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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 68ème jour de séance, 174ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 3 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM (suite) 1

    ARTICLE UNIQUE 3

    APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 9

La séance est ouverte à onze heures quinze.


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RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Nous avons eu cette nuit un débat long -le sujet le méritait-, intéressant, de très bonne tenue, parfois même amusant. Ainsi pourrait-on commenter l'absence remarquée de certaines têtes de liste aux élections européennes, la présence d'autres, le discours rassembleur d'autres encore qui auraient pu être têtes de liste, voire même certains débats au sein du groupe socialiste. Je me contenterai, pour ma part, de répondre aux orateurs.

Je suis d'accord avec M. Lequiller : après le traité d'Amsterdam, il convient maintenant de préparer l'élargissement et la réunification de l'Europe. J'insisterai néanmoins davantage que lui sur le préalable de la réforme des institutions. Je pense comme lui que le traité d'Amsterdam permettra aux pays européens de mieux maîtriser ensemble l'immigration clandestine. En revanche, je refuse le modèle libéral qu'il nous propose, qui a déjà fait tant de mal au projet européen et qui explique sans doute les choix politiques des peuples européens ces deux dernières années. Non, les socialistes ne font pas main basse sur l'Europe, comme certains l'ont prétendu hier soir, mais ils sont d'accord pour traiter de l'emploi, de la coordination des politiques économiques et du dialogue social. Nul enfin ne devrait nous chercher noise sur l'axe franco-allemand car, ne l'oublions pas, les décisions en matière européenne sont prises conjointement par le Premier ministre et le Président de la République. Par ailleurs, mieux vaut s'expliquer franchement avec l'Allemagne que laisser s'instaurer malentendus et incompréhension, au risque d'un échec de la construction que nous voulons.

François Loncle ne sera pas étonné que je convienne avec lui de la nécessité absolue d'une réforme des institutions et que je fasse mienne la devise qu'il propose pour l'Europe : paix, liberté, justice- qui nous rappelle au moins autant Jean Giraudoux qu'Alexis Léger.

L'ancien premier ministre Edouard Balladur a analysé avec justesse les forces et les faiblesses du traité d'Amsterdam : la déception que ce dernier a suscitée fut d'autant plus vive qu'il répondait à une attente très forte de l'opinion. Je suis également d'accord avec M. Balladur sur la nécessité d'une réforme institutionnelle. Je partage aussi son approche de la politique de défense et de sécurité commune. Je ne puis en revanche le suivre sur l'union économique et monétaire : il a d'ailleurs sur ce point oublié que tous les Etats membres excluaient de revenir, dans le traité d'Amsterdam, sur les dispositions économiques du traité de Maastricht. Enfin, je regrette vivement qu'il ait cru bon d'introduire des considérations de politique intérieure dans son appréciation du traité. On connaît ce type de raisonnement qui consiste à vanter la partition de politique européenne, écrite par le Président de la République, pour l'opposer à la mauvaise interprétation qu'en donnerait le Gouvernement. Il a évoqué les critiques d'un commissaire européen français sur notre politique de consolidation budgétaire... Mais n'était-ce pas ce même commissaire qui prédisait à l'automne 1997 que la France serait la seule, avec la Grèce, à ne pas satisfaire aux critères de Maastricht ? M. Balladur pensait-il inconsciemment à l'évolution des déficits publics en France entre 1993 et 1995 ? Cela étant, je puis le rejoindre sur sa conclusion : oui, l'Europe doit être forte et indépendante. C'est d'ailleurs pourquoi, menant une politique radicalement différente de celle qu'il conduisait, ce gouvernement a refusé de signer l'AMI, a clairement posé le préalable de la réforme institutionnelle et refusé un retour dans les structures militaires intégrées de l'OTAN.

J'ai de nombreux points d'accord avec MM. Lefort, Hermier et les autres orateurs du parti communiste. Oui, la monnaie n'est qu'un moyen ; oui, un pacte européen pour la croissance et l'emploi est nécessaire ; oui, il faut relancer les chantiers des grands travaux et des nouvelles technologies, y compris en recourant à l'emprunt. Cher Jean-Claude Lefort, si vous étiez venu à Milan, vous sauriez d'ailleurs que la formation européenne qui y tenait son congrès n'y avait pas renoncé. En revanche, je m'étonne que vous vous soyez référé aux études d'une institution aussi libérale que l'OCDE pour regretter que l'Europe ait par le passé connu une croissance plus faible que les Etats-Unis ou le Japon. Vanteriez-vous le modèle social de ces deux pays ?

M. Robert Pandraud - Mauvaise foi !

M. le Ministre délégué - On peut parfaitement militer à la fois pour le traité d'Amsterdam et pour une Europe de gauche. J'en veux pour preuve les chapitres emploi ou services publics...

M. Jacques Myard - Vous n'avez pas le monopole de l'emploi.

M. le Ministre délégué - Vouloir davantage de fédéralisme en Europe ne nourrit pas les nationalismes. Ces deux options, que nous refusons toutes deux, ne sont néanmoins pas symétriques. Le nationalisme est inacceptable, le fédéralisme est inatteignable, même s'il peut être souhaitable.

Nous n'avançons pas masqués : la déclaration franco-italo-belge sur ce point est sans ambiguïté. Nous ne demandons pas que toutes les compétences soient transférées à l'Europe, seulement que lorsqu'elles le sont, les décisions puissent être prises à la majorité qualifiée.

Je puis me reconnaître dans la plupart des conclusions de M. Bayrou : nécessité d'une réforme institutionnelle, refus d'une approche strictement comptable de la solidarité financière, affirmation du modèle social européen, résultante harmonieuse de l'efficacité économique et de la justice sociale, volonté d'un élargissement maîtrisé. Je m'écarte cependant de lui sur la question du fédéralisme. Si la construction européenne comporte des éléments fédéraux, nous ne construisons pas une Europe fédérale.

M. Jacques Myard - Non, nous instituons le centralisme bureaucratique.

M. le Ministre délégué - Cela peut rester pour certains un idéal. Je préfère, pour ma part, une démarche plus pragmatique. C'est pourquoi j'ai parlé hier, comme Jacques Delors, de fédérations d'Etats-nation.

Enfin, j'ai trouvé M. Bayrou sévère sur le Kosovo, en particulier sur la conférence de Rambouillet, où pour la première fois, les Européens, se sont efforcés de régler une crise des Balkans. Je ne suis pas certain que Mme Albright ait été plus efficace que M. Védrine et M. Cook.

M. Robert Pandraud - Quel est l'intérêt de la France en cela ?

M. le Ministre délégué - Je remercie Gérard Charasse d'avoir réaffirmé son engagement européen, notamment en matière d'égalité hommes-femmes, ainsi que Monique Collange qui a proposé une autre devise : paix, liberté, prospérité, à laquelle je pourrais adhérer également.

Michel Suchod a insisté sur la nécessité de réorienter la construction européenne en matière institutionnelle et sociale. Il est vrai que commencera, après Amsterdam, une autre étape...

M. Jacques Myard - Oui, nous fonçons dans le mur...

M. le Ministre délégué - Les convictions exprimées par M. Barrau sont également les miennes. Oui, la construction européenne est bien engagée ; oui, la réforme institutionnelle doit précéder l'élargissement ; oui, des progrès sont nécessaires en matière d'environnement et de santé.

Un débat s'est ouvert entre Julien Dray, Paul Dhaille et Béatrice Marre au sein du groupe socialiste. Il ne vous étonnera pas que je partage plutôt le point de vue de Béatrice Marre. Julien Dray a insidieusement glissé du traité d'Amsterdam au pacte de stabilité, qui sont deux actes distincts. Quant à Paul Dhaille, dois-je lui rappeler, d'une part, que le chapitre social du traité d'Amsterdam reprend le protocole social tant vanté à Maastricht, d'autre part, que le Conseil de l'euro existe bel et bien ? Ce conseil sera, demain, l'interlocuteur politique de la BCE -qui doit rester indépendante- et permettra de parvenir aux indispensables harmonisations sociales et fiscales.

E conclusion, comme Gérard Fuchs, je tiens à souligner l'importance politique de l'article 2. Je rends hommage au travail de la commission et de tous les éminents parlementaires qui ont contribué à améliorer la rédaction de cet article : je pense au Président Giscard d'Estaing, à MM. Balladur, Loncle, Vauzelle et au Président Lang. Je ferai, enfin, observer à Mme Ameline que cet article était aussi demandé par le Président de l'Assemblée nationale et que le Gouvernement peut, à tout le moins, en assumer une paternité partagée. Cessons donc les querelles sur ce point : la France marquera par cet article sa volonté claire et ferme qu'une réforme institutionnelle précède l'élargissement. Et ce ne sont pas là seulement des mots. Le vote de la représentation nationale sur cet article aura une valeur extrêmement forte partout en Europe. Nous aurons prouvé que le Parlement pouvait, en matière européenne, réaliser un excellent travail, constructif...

M. Jacques Myard - Le dernier avant sa disparition !

M. le Ministre délégué - J'attends avec confiance le vote de votre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ARTICLE UNIQUE

M. le Président - J'appelle, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique du projet dans le texte du Gouvernement.

Je demande aux orateurs inscrits sur l'article unique de ne pas recommencer la discussion générale.

M. Jacques Myard - Je rends hommage à M. le ministre pour sa témérité. C'est avec beaucoup de talent qu'il a défendu un mauvais texte.

Une nouvelle fois, nous allons transférer des compétences à Bruxelles. Il devient plus facile d'énumérer les compétences résiduelles des Etats que celles de la Commission européenne. Il ne nous reste plus que le budget des anciens combattants, et encore !

On justifie ces abandons de souveraineté par la prétendue efficacité du droit communautaire, le droit international classique étant réputé inefficace. Or toutes les grandes avancées de la construction européenne -Airbus, Ariane, Schengen- sont dues à des accords internationaux classiques.

Le droit communautaire, quant à lui, est d'autant plus souvent violé qu'il est pléthorique. J'en veux pour preuve le non-respect des règlements douaniers à Rotterdam et ailleurs.

Le traité d'Amsterdam va multiplier les cas de décision prise à la majorité qualifiée. Même unies, la France et l'Allemagne pourront être mises en minorité. Des normes pourront leur être imposées contre leur volonté. C'est une faute que de laisser contraindre la France : on pourra le faire une fois ou deux, mais pas davantage, car il se manifestera un refus de la construction européenne dans son ensemble.

A qui les nouvelles procédures profiteront-elles ? Aux Etats, comme le soutiennent les défenseurs de la "souveraineté partagée", ou à la technocratie communautaire, de plus en plus boulimique, qui, avec la Banque centrale européenne et la sainte Cour de justice, détient maintenant tous les pouvoirs ?

Seule la Commission aura l'initiative des textes, pas les Etats. Une simple majorité suffira pour qu'ils soient adoptés, alors qu'il faudra l'unanimité pour les repousser. Dans ces conditions, comment prétendre que le Conseil des ministres reste une instance de décision ? On ne fait que dessaisir les gouvernements nationaux de leurs prérogatives.

Quant au principe de subsidiarité, son interprétation dans le traité est un chef d'oeuvre d'hypocrisie, une véritable définition du stalinisme : "Ce qui est à moi est à moi", dit la Commission, "Ce qui est à toi est négociable".

C'est la démocratie même qui est en jeu. Cette Assemblée ne fera plus que rendre des avis, qui n'auront pas de suites. Quelle dérision ! Ce processus contre nature nous conduit inéluctablement à une crise, car les Etats séculaires vont devenir de simples échelons administratifs d'exécution, des arrondissements de quartier. Ils seront même soumis au contrôle judiciaire de Bruxelles et pourront être suspendus de leurs droits. C'est du jamais vu. Jamais en temps de paix la France n'a accepté une telle clause ! Notre pays ne sera plus un sujet de droit international, mais un objet de réprimande ! On voit que la "souveraineté partagée" n'est qu'une illusion.

L'Europe qui se construit ainsi, coupée des réalités, est un monstre de réglementation.

Non, le traité d'Amsterdam ne constitue pas une avancée pour l'Europe. Voter sa ratification, c'est porter un coup à la construction européenne.

Ceux qui auront donné à la technocratie européenne la maîtrise de notre destin pourront, quand le peuple leur aura signifié leur congé, méditer cette phrase d'un des conjurés, dans le Jules César de Shakespeare : "Brutus, ce n'est pas à cause des étoiles que nous sommes devenus esclaves, mais en raison de notre propre lâcheté" (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Nicole Catala - Le traité d'Amsterdam est né de l'échec de la conférence intergouvernementale chargée de préparer la réforme des institutions, déjà repoussée dans les années 90, au moment où se précisait l'adhésion de trois nouveaux Etats. Une réforme qui risque même de demeurer inaboutie quand, dans quelques années, l'Union comptera vingt Etats membres et que se profilera une vingt et unième adhésion.

Critiquable en raison de ce qu'il ne contient pas, ce traité l'est bien davantage pour ce qu'il contient, puisqu'il dessaisit notre pays d'une compétence essentielle : déterminer qui peut accéder à notre sol et s'y établir. Peut-on encore parler d'Etat à propos d'une collectivité qui n'a plus de monnaie nationale, doit mener des politiques contraintes en matière budgétaire, fiscale -et demain, sociale- et qui n'a plus la maîtrise de ses frontières ? Je ne vis pas sans un déchirement cet effacement de l'indépendance française pour laquelle mon père a combattu, cette amputation de l'Etat-nation qui, pour les Français demeure le cadre de notre démocratie. Sans doute des considérations politiques majeures ont-elles imposé un tel choix. Ne les saisissant pas, et tout en respectant ceux qui ont fait ce choix, je ne parviens pas à y adhérer.

Alors présidée par Robert Pandraud, notre délégation pour l'Union européenne avait, à la fin de 1996, sur le rapport de nos collègues André Fanton et Xavier de Roux, estimé qu'il n'était "pas souhaitable de bouleverser la rédaction du Traité, notamment par le transfert de domaines de l'article K1 au pilier communautaire". C'est néanmoins ce qui est fait avec l'extension des méthodes communautaires aux politiques concernant l'immigration, les visas et l'asile et l'intégration des "acquis de Schengen". Je déplore que notre délégation n'ait pas été entendue.

S'agissant des normes européennes en matière d'immigration, le Conseil constitutionnel estime que l'essentiel ne se jouera que dans cinq ans, lorsqu'il sera éventuellement décidé de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée. Mais à supposer qu'une telle décision ne soit pas prise, on n'en aura pas moins "communautarisé" les procédures, retiré aux Etats leur droit d'initiative, conféré au Parlement européen un droit nouveau et à la Cour européenne de justice un pouvoir supplémentaire ! Ainsi donc, le mal sera fait.

Par ailleurs, nous ignorons toujours comment "l'acquis de Schengen" se répartira entre le premier et le troisième pilier. On nous demande d'approuver un traité dont nous ne connaissons pas la portée exacte ! Le Gouvernement peut-il nous éclairer sur ce point ?

Je m'interroge aussi sur les conditions d'accès et de séjour des ressortissants des Etats tiers au sein de l'Union quand les contrôles aux frontières intérieures auront disparu. Qu'on harmonise les règles applicables aux étrangers qui voudront accéder au territoire européen, on en voit bien la nécessité. Mais qu'en sera-t-il des déplacements de ces étrangers une fois admis sur le sol de l'un des quinze Etats ? Ils pourront à coup sûr se déplacer pour des séjours de moins de trois mois. Au-delà, le titre de séjour obtenu dans l'un des Etats leur permettra-t-il de s'établir dans un autre ? A priori, on peut croire que les règles de séjour devraient rester nationales. Or la Commission prépare un instrument juridique visant à conférer aux étrangers résidant pour une longue durée les mêmes droits fondamentaux que ceux des citoyens de l'Union et à garantir à l'étranger ayant acquis un titre de résident dans un Etat membre le même titre dans tous les autres. Préparé sous la forme d'une convention, ce texte serait appelé à devenir une directive dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. On peut craindre que n'en résultent des mouvements de populations dangereux pour notre pays, qui n'a toujours pas intégré de manière satisfaisante ses citoyens d'origine étrangère. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur le contenu précis de ce projet de la Commission ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Nicolas Dupont-Aignan - Je voudrais indiquer les raisons qui, en conscience, m'interdisent de voter ce texte. Ce traité n'est pas si anodin qu'on veut bien le dire. La complexité du texte et ses multiples renvois brouillent les pistes et peuvent faire croire qu'il n'est qu'une étape transitoire. Je ne le crois pas. Mes collègues l'ont dit, la communautarisation du contrôle des frontières est une atteinte importante à la souveraineté de notre pays.

On a prétendu que ce traité était le simple prolongement de celui de Maastricht : il l'est, en effet, par son objectif fédéral. Le Président Giscard d'Estaing a d'ailleurs eu le mérite de la franchise en indiquant que le fédéralisme était en marche.

La vraie question est de savoir s'il est bon pour notre pays de s'engager dans cette voie fédérale. La souveraineté ne peut se découper en tranches. Il arrive un moment de vérité où l'on bascule d'un système de coopération entre Etats souverains à un système d'intégration européenne et à un Etat fédéral : nous ne sommes pas loin. Une voie médiane n'est pas possible, sauf à déposséder les peuples de tout contrôle démocratique.

La classe politique française rêve parfois l'Europe au point d'oublier que le régime politique qui donne sa cohérence à notre nation, la République, ne survivra pas à la vision fédérale qui est celle de beaucoup d'autres Etats, notamment l'Allemagne, et de la Commission de Bruxelles.

Les Anglais, eux, ne se privent pas de défendre leurs intérêts. Ils respectent leur démocratie et leur Parlement et demandent des clauses spécifiques.

Les Allemands ont compris tout le bénéfice qu'ils pouvaient tirer de l'unification, qu'il s'agisse de la réunification de leur pays, de l'installation de la Banque centrale à Francfort ou d'une politique agricole commune plus économe pour leur budget.

Et la France ? Où est la réforme institutionnelle indispensable pour atténuer l'impact du passage à une majorité qualifiée, choquante dans les questions de l'immigration ? Quel est l'intérêt de cette évolution vers l'Europe des régions qui met en danger le concept de la nation ? Pourquoi le Gouvernement a-t-il refusé les amendements du groupe RPR qui atténuaient les dégâts ? Tous les jours on évoque le nécessaire rééquilibrage des institutions de la Vème République au profit du Parlement et au moment où une mesure simple permettrait aux élus de mieux contrôler l'effet dévastateur du cumul de la technocratie parisienne et bruxelloise, on nous oppose les grands principes de la Vème !

Enfin, ce traité va encore accroître le décalage entre la classe politique et les Français. Comment expliquerons-nous à nos concitoyens que dans le domaine du contrôle des frontières et de l'immigration, le Parlement a partagé -pour ne pas dire abandonné- ses compétences ? Comment leur dire que toute nouvelle loi en ces domaines devra recevoir l'assentiment de MM. Blair et Schröder et de la Commission sans parler du cas où la France se verrait imposer une loi contraire à l'opinion de son gouvernement, comme on l'a vu pour la chasse ?

Après l'économie et la monnaie, les frontières et les visas.

Prenons garde qu'ils nous reprochent d'avoir cédé aux jeux politiques -je pense à la célèbre phrase du général de Gaulle sur "la soupe"- au détriment du destin du pays (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Lionnel Luca - Ce traité est une étape supplémentaire sur le chemin de l'Europe fédérale, qui signifie abandon de souveraineté et confusion des esprits.

Abandon de souveraineté car ce traité signifie bien le renforcement des institutions supranationales et la marginalisation des parlements nationaux avec la perte de leurs pouvoirs de proposition, de décision et de contrôle, mal compensée par quelques hochets symboliques. On peut du reste s'étonner que les parlements nationaux se réjouissent de voir ainsi réduire leurs maigres attributions, mais ce ne sera pas la première fois.

Lors de la révision constitutionnelle, on a parlé de "souveraineté partagée". Comme si la souveraineté pouvait se diviser ! On est souverain ou on ne l'est pas. Chaque fois que la souveraineté est assortie de tels qualificatifs, cela signifie qu'elle n'existe pas -ce fut le cas à Vichy ou avec la doctrine Brejnev dite de "souveraineté limitée".

La confusion des esprits est due au fait qu'on abuse le peuple, tant on craint qu'il puisse jeter à bas une construction européenne faite en catimini et dans le secret des cabinets. Une oligarchie de technocrates et de juges prend, au nom des peuples, des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux.

La confusion, c'est de prétendre que l'Europe qui se construit n'est pas fédérale et de pratiquer la tactique du salami pour y parvenir : une tranche d'Acte unique, une tranche de Maastricht, une tranche d'Amsterdam... La méthode est habile car elle permet d'abandonner un à un les attributs de la souveraineté sans jamais reconnaître qu'on vise à la détruire.

La confusion, c'est une jonglerie sémantique stupéfiante : la notion de "fédération des Etats-nation" est aussi réjouissante que les notions nègre blanc du parti radical d'avant-guerre.

La confusion, c'est faire croire que ceux qui refusent cette voie sont des anti-Européens qui veulent isoler la France. On faisait déjà ce reproche au général de Gaulle, qui condamnait "une fédération... où les pays seraient régis... par quelque aréopage technocratique, apatride et irresponsable".

La confusion, c'est prétendre dépasser le débat entre fédéralistes et souverainistes, ce qui revient à admettre que l'Europe qui se construit est bien fédérale.

La confusion, enfin, c'est dire que ce traité est sans importance, purement technique, médiocre et qu'il est inutile de consulter le peuple à son sujet. Les Irlandais et les Danois ont eu la chance, eux, de l'approuver par référendum.

Il est dommage pour la France qu'un si grand nombre de ses responsables politiques ne croient plus à la maîtrise de son destin.

Certains sont sincères, mais d'autres cherchent à abriter leur incapacité à opérer les réformes nécessaires sous le parapluie européen.

L'Europe est donc désormais le Viagra idéologique (Sourires sur divers bancs) d'une grande majorité de la classe politique.

Certes le Président de la République reste le garant de l'identité française, mais le traité dépasse largement un mandat présidentiel, même renouvelé.

A mi-parcours de cette mandature, le seul dirigeant qui aura, dans cette enceinte, parlé du rôle de la France dans le monde aura été le Président de la République du Sénégal ! (Exclamations sur divers bancs)

Il est rare qu'un Etat renonce à assumer son rôle de grande puissance mondiale, alors même qu'il est la troisième puissance nucléaire, la troisième puissance spatiale, la troisième puissance exportatrice, qu'un demi-milliard d'hommes parlent sa langue et qu'il soit la référence unique des droits de l'homme !

L'Europe fédérale n'est qu'un rétrécissement de la France. C'est pourquoi ce traité n'est pas acceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Cochet remplace M. Forni au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

M. François Guillaume - Le traité d'Amsterdam est une nouvelle dérive supranationale de la construction européenne. C'est un pas de plus vers les Etats-Unis d'Europe, orientation que le peuple n'a pas légitimée puisqu'il n'a pas été consulté. Sous couvert d'une interprétation a minima de la Constitution, le Parlement se fait aujourd'hui le complice d'un nouvel abandon de la souveraineté. Depuis le traité de Rome, chaque traité a instillé sa dose de supranationalité. La première tentative est intervenue en 1965 lorsque la Commission proposa de substituer la règle du vote majoritaire à la règle de l'unanimité. Le général de Gaulle y mit bon ordre et un compromis dit de Luxembourg a rétabli de fait la règle de l'unanimité pour toute décision touchant aux intérêts vitaux d'un Etat membre.

En 1986, l'adoption de l'Acte unique posait le problème de la libre circulation des personnes dans l'Union européenne. L'accord de Schengen a laissé aux Etats qui souhaitaient y adhérer le soin de supprimer les contrôles aux frontières et d'organiser la coopération de leurs services de sécurité. Les décisions étaient prises à l'unanimité et chacun pouvait s'y soustraire temporairement. Le Président de la République a usé de cette clause de sauvegarde en rétablissant les contrôles aux frontières belges, lieu de transit de la drogue en provenance des Pays-Bas. A cette libre coopération, le traité d'Amsterdam substitue la soumission des Etats à une règle commune contraignante et étend la communautarisation au troisième pilier, c'est-à-dire le domaine des affaires intérieures et de la justice. Dans cinq ans, la politique d'immigration sera totalement confiée aux autorités de Bruxelles, la France ne pesant plus que pour 12 % dans les votes.

D'autres dispositions du traité ne sont pas moins dangereuses. Ainsi, le mode de désignation de la Commission s'apparente à une élection par le Parlement européen, ce qui donne à cette institution une légitimité démocratique qui renforce son autorité au détriment de celle du Conseil des ministres représentant les Etats.

Les prochaines dérives supranationales concerneront le dernier carré de souveraineté des Etats, la diplomatie et la défense. Le traité d'Amsterdam en amorce le grignotage en confiant à un haut représentant de la PESC le soin de représenter l'Union dans les instances internationales. N'aura-t-il pas, un jour, la prétention de remplacer les représentants britannique et français au Conseil de sécurité de l'ONU ? On peut redouter aussi que, avec le soutien d'Etats membres dont l'autorité internationale est moindre, il prenne progressivement en autorité modèle sur le Président de la Commission, à moins qu'à terme il n'en devienne le rival.

Il faut rejeter le traité d'Amsterdam pour mettre un frein aux dérives supranationales. Un tel vote n'aurait rien de dramatique ; il obligerait à renégocier et notamment à proposer une réforme des institutions préalable à l'accueil de nouveaux membres, mission qui, bien que prioritaire, a été totalement négligée par la conférence intergouvernementale. Il nous redonnerait la chance de construire l'Europe sans détruire la France (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Jacques Guillet - Tout semble fait pour que la page du traité d'Amsterdam soit rapidement tournée, sans véritable examen, comme si la construction européenne n'était plus un enjeu fondamental et comme si l'on voulait au plus vite revenir aux petits jeux politiciens qui font les délices des états-majors.

Le peuple français a été écarté du débat. Le Parlement n'est guère mieux traité, une majorité existe pour réclamer ce mauvais traitement...

Notre rapporteur le dit sans détours : le texte qu'on nous demande de ratifier est "technique, sans cohérence, sans vision". Il est cocasse d'en prendre prétexte pour nous suggérer de l'adopter sans trop de discussion. En réalité, il est à l'image de l'Union Européenne d'aujourd'hui, elle-même technique, sans cohérence et sans vision : accepter Amsterdam, c'est accepter cette Europe-là, en panne parce qu'elle s'est coupée des peuples, préférant l'illusion d'une nation européenne virtuelle qui viendrait se substituer aux nations existantes -idée fausse aux conséquences tragiques.

Ce traité ne répond à aucun des objectifs qui étaient assignés à la conférence intergouvernementale, à savoir : une Union plus proche des citoyens ; des institutions rénovées pour plus de démocratie et d'efficacité ; un renforcement de la capacité extérieure de l'Union. Ceux-ci découlaient de l'insatisfaction générale devant le traité de Maastricht, centré sur l'Union économique et monétaire. Au lieu de rompre avec l'engrenage d'une Europe technocratique, dominée par une oligarchie, Amsterdam le conforte, sanctionnant le divorce entre Europe et démocratie, si puissamment dénoncé en 1992 à cette tribune par Philippe Séguin.

La Commission devait être remise sous la tutelle politique des Etats ; au contraire, elle est renforcée, acquiert compétence pour les politiques du troisième pilier, sans qu'on puisse démontrer que cette centralisation soit plus efficace que la coopération instaurée à Schengen. Elle devient le véritable exécutif de l'Union : on en fait un gouvernement, disposant, privilège du Roi en 1815, du monopole de l'initiative des lois. Le Conseil, pouvoir uniquement législatif, vote, ou ne vote pas, les directives qu'on lui présente... Quant au Parlement, auquel on donne des pouvoirs de marchandage par la multiplication de cas de codécision, il est censé représenter un peuple européen fictif.

La Cour de justice de Luxembourg voit sa jurisprudence consacrée : le droit communautaire devient supérieur aux constitutions nationales. Enfin, la souveraineté reconnue de la Banque centrale porte en germe des conflits de pouvoir avec les gouvernements nationaux, ceux-ci n'ayant plus à leur disposition que la seule variable d'ajustement social.

Où est la démocratie dans tout cela ? On met en place un véritable super-Etat, avec ses trois capitales : Francfort, où il bat monnaie, Bruxelles où il fait la loi, Luxembourg où il rend la justice.

Il ne suffit pas des garanties factices de l'article 6 TUE ex-article F, que M. Barrau évoquait hier, pour que des mécanismes démocratiques existent comme par enchantement. La constitution stalinienne de 1936, la plus démocratique du monde, ne faisait pas de l'URSS un pays libre...

Jean Monnet l'avait prévu : faire l'Europe par la monnaie conduirait inévitablement à l'Europe fédérale. Or le fédéralisme en Europe ne peut être démocratique puisqu'il supposerait l'existence d'un peuple européen. Bien sûr, il y a une civilisation européenne, une culture commune, mais les nations ne sauraient disparaître. Pour autant, on ne peut affirmer que l'Europe des nations est en train de se réaliser : celles-ci sont en effet dépouillées peu à peu de leur souveraineté au profit d'une super-structure technocratique.

Il n'y a pas de démocratie en dehors du cadre national, comme le soulignait Stuart Mill. Pour le général de Gaulle, elle se confondait exactement avec la souveraineté nationale. Une Europe fédérale ne peut être une démocratie, dès lors que les peuples sont dessaisis de leur pouvoir de décision par des organes qu'ils ne contrôlent pas. Enfin, l'Europe fédérale ne peut être l'Europe européenne. Le général de Gaulle l'avait compris, sachant que seule la France avait la volonté de s'affranchir de la tutelle américaine. Déjà, nous avons réintégré l'OTAN qui accueille, avant l'Europe, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque. La cérémonie se passe symboliquement au fin fond du Middle West ! Peu à peu, nous nous alignerons comme les autres, sur la politique américaine, comme l'a montré la récente crise irakienne.

Une Europe fédérale est un leurre. C'est pourtant ce à quoi nous conduit Amsterdam, même si pour mieux habiller le nouveau-né, on le prénomme chez les uns fédération d'Etats-nation, chez les autres Europe unie des Etats. Je doute que le peuple français reste longtemps absent du débat et ne dise pas rapidement non à cette Europe fédérale et oui à une Europe clairement bâtie sur le socle des nations (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

M. Thierry Mariani - Ce débat aura été bien tronqué : nous aurons passé dans cet hémicycle trois fois plus de temps à parler des pitbulls qu'à discuter du traité d'Amsterdam... (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR)

Je ne voterai pas en faveur de la ratification car il me paraît inacceptable, d'une part, de communautariser des politiques telles que la justice et l'immigration, d'autre part, de subordonner l'intégralité de notre corps normatif, y compris constitutionnel, au droit communautaire, y compris dérivé.

Lors de la négociation du traité de Maastricht, l'idée d'un transfert de souveraineté au profit des instances européennes en matière de justice, de sécurité ou d'immigration était loin de faire l'unanimité. La France et la Grande-Bretagne s'y opposaient fermement, tandis que l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique considéraient cette évolution avec bienveillance. Il a donc été décidé d'introduire un article K9, permettant d'envisager la communautarisation des actions relevant du troisième pilier ; ces nouveaux transferts de souveraineté devaient être acceptés à l'unanimité par le Conseil, puis ratifiés par les parlements nationaux. Ce n'est que pour les visas n'excédant pas trois mois, qu'un premier pas vers la communautarisation a été franchi, même s'il demeurait limité. Une communautarisation complète de la politique des visas ne serait concevable que dans une optique fédéraliste. Chaque Etat membre doit pouvoir accueillir sur son sol qui il veut, selon les règles qu'il aura lui-même édictées. Or, après ratification du traité d'Amsterdam, il en ira tout autrement.

Durant une période transitoire de cinq années, chaque Etat disposera d'un droit de veto en matière d'immigration, d'asile et de visa.

Ensuite, le Conseil pourra prendre à l'unanimité la décision d'appliquer dans ces matières la règle de la majorité qualifiée et la procédure de codécision. Il s'agit d'un transfert de souveraineté, que je juge inacceptable, car la France pourra se voir imposer des décisions contraires à ses intérêts. Je ne nie pas l'intérêt de mettre en commun certains outils de lutte contre l'immigration irrégulière, qui est un fléau pour toute l'Union européenne, mais je refuse l'abandon définitif de toute souveraineté sur ces questions d'importance.

Mais le traité va encore plus loin dans la soumission de notre droit aux règles communautaires. Le protocole qui lui est annexé, et qui a la même valeur juridique, dispose en son paragraphe 2 que "l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité... ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire". En d'autres termes, la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle toute forme de droit communautaire, même dérivé, est supérieure à toute forme de droit national, même constitutionnel, est confirmée. Que reste-t-il de la France en tant que nation souveraine, en tant qu'Etat indépendant et maître de son destin ?

Pour ma part, je considère que mes concitoyens ne m'ont pas donné mandat pour procéder à de tels bouleversements institutionnels et à de tels abandons de souveraineté, et je m'opposerai donc à la ratification du traité d'Amsterdam (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Mme Sylvie Andrieux - Les socialistes souhaitent que soit ratifié le traité d'Amsterdam, et voteront donc le projet de loi autorisant sa ratification. C'est un vote de raison, qui tient compte des lacunes comme des avancées du texte.

M. Jacques Myard - C'est un recul !

Mme Sylvie Andrieux - Certes le traité ne permettra pas à l'Union européenne de relever tous les défis auxquels elle est confrontée, en particulier celui de l'élargissement, mais le Gouvernement a enrichi le projet d'un amendement, rédigé en étroite collaboration avec les parlementaires, qui accentue la pression en faveur des réformes institutionnelles nécessaires à la constitution d'une Europe élargie et solidaire.

Le traité d'Amsterdam ne mérite ni opprobre, ni louanges excessives. Il n'est ni assez social ni assez audacieux sur les plans institutionnel et diplomatique, mais il a le mérite d'indiquer une direction. Il est une étape, un chaînon supplémentaire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du RPR) de la longue marche de l'Europe. Le groupe socialiste votera donc l'article unique et l'amendement du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

M. le Ministre délégué - Sans revenir sur l'article qui vient d'être voté, je voudrais citer, une nouvelle fois, un diplomate et homme de lettres, Paul Claudel, qui donna comme sous-titre au Soulier de satin : "Le pire n'est pas toujours sûr"...

M. Jacques Myard - Avec Amsterdam, il est certain !

M. le Ministre délégué - Je redonne lecture de l'amendement du Gouvernement, que j'ai présenté hier : "La République française exprime sa détermination de voir réaliser, au-delà des stipulations du traité d'Amsterdam, des progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions de l'Union européenne, afin de rendre le fonctionnement de l'Union plus efficace et plus démocratique, avant la conclusion des premières négociations d'adhésion".

Cet ajout, exceptionnel dans le cas d'une loi de ratification, répond à une forte demande de la représentation nationale et rejoint la déclaration franco-italo-belge sur le "préalable institutionnel à l'élargissement". Sa rédaction, qui tient compte des observations faites par la commission des affaires étrangères, et par M. Giscard d'Estaing en particulier, se veut amicale et non pas blessante envers les pays candidats à l'adhésion. Nous considérons en effet que la meilleure façon de ne pas retarder celle-ci, c'est de procéder sans attendre aux réformes nécessaires. Le Gouvernement continuera de s'y employer avec le soutien d'une large partie de cette Assemblée, et n'exclut pas d'y parvenir en l'an 2000, sous présidence française (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Georges Sarre - Comme pour faire oublier que le vrai débat n'a pas eu lieu devant le peuple souverain... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UDF)

M. Jacques Myard - Il a raison !

M. Georges Sarre - ...une majorité de rencontre a pu convaincre le Gouvernement d'introduire un amendement mettant l'accent sur l'une des principales lacunes du traité : l'absence de toute réforme institutionnelle préalable à l'élargissement de l'Union européenne. Cette procédure est à usage franco-français, même si l'Italie et la Belgique se sont jointes à une démarche similaire ; elle n'a guère d'intérêt ni de portée, le Gouvernement ne pouvant prendre aucune disposition normative à l'occasion de la ratification du traité. Je le dis à M. Giscard d'Estaing : dans le genre "faux-semblant", il est difficile de faire mieux !

Il s'agit, en vérité, de faire montre d'un ton ferme tout en poursuivant la fuite en avant vers toujours plus d'européisme verbal et toujours moins de bon sens. Comment les pays candidats recevront-ils nos atermoiements ? Ne seront-ils pas fondés à considérer que poser le préalable de la réforme institutionnelle, c'est traîner les pieds pour retarder l'élargissement ? Je me prononce en conscience, pour ma part, contre cet amendement, qui occulte les vrais enjeux de demain. La seule voie raisonnable est une large confédération d'Etats démocratiques aux droits égaux, qu'avait d'ailleurs évoquée François Mitterrand au lendemain de la chute du mur de Berlin.

M. Jacques Myard - Très bien !

Mme Nicole Catala - Je regrette que le ministre n'ait pas répondu aux deux questions importantes que j'ai soulevées quant à la portée du traité d'Amsterdam.

M. Robert Pandraud - Et pour cause ! Il ne peut pas y répondre !

M. Jacques Myard - Il n'a rien à dire ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Nicole Catala - Sur le plan juridique et institutionnel, les dispositions du traité sont contraires à ce que l'on doit souhaiter pour la France et pour l'Europe. Dans le domaine de la PESC, il entraînera, comme l'a montré le rapport de M. Ligot au nom de la Délégation, un triple décalage : entre l'ambition du Parlement européen d'embrasser progressivement tout le champ de la politique étrangère et la volonté des Etats membres de resserrer la PESC autour de quelques sujets clés ; entre les prérogatives budgétaires du Parlement européen, dont l'accord sera désormais requis pour le financement d'actions extérieures de maintien de la paix, et la simple procédure d'information et de consultation prévue en matière diplomatique ; entre le renforcement général des pouvoirs du Parlement européen et la stagnation de ceux des Parlements nationaux, et en particulier du Parlement français, qui détiendra, lorsque le traité sera en vigueur, moins de pouvoirs que le Parlement européen en matière de politique étrangère. C'est inacceptable, et je tiens à le dire solennellement ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

En second lieu, je crois le mécanisme de coopérations renforcées utile et même nécessaire pour introduire un peu de flexibilité dans une construction européenne devenue de plus en plus lourde. Or, loin de les favoriser, le traité d'Amsterdam va freiner, voire empêcher ces coopérations. Pour le deuxième pilier, il ne prévoit qu'une "abstention constructive". Pour le premier, s'il les autorise, il les soumet à un accord préalable de la Commission, ce qui est tout de même un comble ! Le pouvoir politique ainsi conféré à la Commission ira jusqu'à décider si un Etat peut ou non s'engager dans ces coopérations renforcées... Je pourrais faire des observations similaires pour le troisième pilier, même si la situation apparaît moins critique. C'est donc un élément essentiel de la rénovation des institutions communautaires qui est mis en péril.

S'agissant, enfin, de la subsidiarité, le protocole no 7 va contre l'orientation arrêtée à Maastricht. Il avait été prévu alors que la Commission, après réexamen des directives et décisions déjà adoptées, proposerait la suppression de celles qui n'apparaîtraient pas conformes au principe de subsidiairité. Il n'en a rien été et, aujourd'hui, voici que le protocole no 7 propose de déclarer intangibles tout l'acquis communautaire, ainsi que les principes mis au point par la Cour de justice, en ce qui concerne les relations entre le droit communautaire et les droits nationaux. Or on sait que cette Cour a, il y a quelques années, proclamé la prééminence du premier sur les constitutions nationales. Pour moi, la France ne peut accepter cela sans débat.

M. Jacques Myard - Très bien !

Mme Nicole Catala - Ce serait une capitulation. Au total, nous ne pouvons que dire notre inquiétude devant ce qu'on nous propose de sanctionner aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. François Loncle - Comment ne pas être frappé par le contraste entre le ton adopté hier par le groupe RPR et celui du défilé ahurissant auquel nous assistons ce matin ! J'ai cru un moment me trouver au musée de Saint-Germain ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) J'invite donc nos collègues à méditer cette citation de 1951 : "Nous sommes pour la Fédération européenne, c'est-à-dire que nous sommes pour un accord qui lie entre eux de façon positive, sur des sujets positifs, les Etats de l'Europe qui le veulent". Elle est signée du général de Gaulle...

M. Jacques Myard - Il parlait des "Etats de l'Europe" !

M. François Loncle - Mais surtout de fédération européenne.

Certains regrettent le présent débat mais dois-je leur rappeler que cet article additionnel est issu d'une idée lancée dès 1997 par le Président Giscard d'Estaing, par le Président Fabius et par le président de notre commission des affaires étrangères et qu'il est conforme à la déclaration franco-italo-belge. A partir d'un texte enrichi par le dialogue en commission, il s'agit de poser nettement que, en dehors même de tout élargissement, une réforme des institutions s'impose pour les rendre plus efficaces et plus démocratiques. Le groupe socialiste ne peut que voter un tel article additionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - Cet article additionnel est une faute politique et diplomatique, et même une faute au regard de la construction européenne. On pourrait ici répéter les paroles de Churchill après Munich : "Vous vouliez la paix, vous vouliez sauver l'honneur : vous aurez la guerre et le déshonneur !" (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

L'élargissement est inéluctable et il doit être réalisé dans les meilleurs délais. Or ce pseudo-amendement en donne une image négative, comme si l'on oubliait que cet élargissement permettra de refonder les institutions européennes et l'Europe des nations et de les adapter à la situation internationale. Il convient donc de le repousser fermement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Valéry Giscard d'Estaing - En marge de la dissertation d'un de mes camarades, mon professeur de lettres classiques avait porté l'annotation suivante : "Touffu, diffus, confus, et pourtant incomplet". Tel est, je crois, le jugement que portait hier sur le texte soumis à notre ratification le président de la commission des affaires étrangères, et tel est bien notre jugement, même après les éclaircissements apportés par le Gouvernement sur certains points positifs. En effet, ce traité n'est pas conforme au mandat donné aux négociateurs. A la fin de la négociation de celui de Maastricht, on s'était aperçu qu'on avait oublié la réforme des institutions, c'est-à-dire, pour parler précisément, des conditions de désignation et de fonctionnement de la Commission, et du mode de vote et de décision du Conseil. On avait donc prévu, dans le deuxième paragraphe de l'article N, une négociation sur ces deux points, en en fixant la date à 1996. Là est l'origine du traité d'Amsterdam. Or, comme l'a relevé le rapporteur, ce traité ne comporte rien de tel. Si donc le projet s'était réduit à l'article premier, je n'aurais personnellement pas voté la ratification, et beaucoup d'autres avec moi sans doute.

Ne pouvant compléter le traité, ni proposer un amendement, le président de la commission des affaires étrangères et moi-même avons cherché une procédure adéquate et le Gouvernement nous a entendus. D'où l'engagement qui figure à l'article 2 et qui, en l'état, répond pour l'essentiel aux demandes de la commission.

Cet engagement est un engagement du Gouvernement, sanctionné par l'Assemblée. S'il n'y était pas donné suite, comme certains le redoutent, il y aurait à tout le moins des suites politiques qui se produisent lorsqu'un engagement pris devant la représentation nationale n'est pas tenu.

D'autre part, c'est là une affaire urgente, même si elle est en attente depuis l'élargissement de 1992 : elle doit impérativement être réglée avant le prochain élargissement car un système conçu pour six, qui devait déjà être réformé quand l'Europe passa à douze et qui marche mal à quinze, ne peut fonctionner à davantage, à l'évidence. Mais, même sans ce nouvel élargissement, l'Union court le péril de l'impuissance et de la dilution si l'on fait l'économie de cette réforme des institutions -et c'est pourquoi nous n'avons pas inscrit dans cet amendement le mot "rapide" que souhaitait M. Balladur.

Pour conclure, je me félicite du bon travail effectué en collaboration entre le Gouvernement et l'Assemblée, et de la large majorité avec laquelle cet amendement a été adopté par la commission. Mais pouvait-il en être autrement, s'agissant de l'intérêt de la France ? (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. René André - Comme je l'ai dit hier, le groupe RPR approuvera naturellement ce projet de loi de ratification et cet amendement, qui va dans le sens que nous souhaitions. Sans cet article additionnel, nous aurions d'ailleurs eu quelque difficulté à voter le projet : dans cette affaire, ce qui est en jeu, c'est de savoir si les nations pourront s'unir pour décider par elles-mêmes ou si elles devront se plier à des décisions de l'extérieur.

Le Président de la République appelle de ses voeux, il nous l'a rappelé hier, une Europe indépendante, qui, non seulement préserve les nations mais leur permette même de s'affirmer davantage. Cela exige une réforme rapide des institutions. Pour autant, ce préalable ne doit pas être interprété par les pays d'Europe qui frappent à la porte de l'Union comme une quelconque réticence de la France à leur adhésion. Des engagements ont été pris à cet égard : ne laissons pas s'ériger une nouvelle barrière entre pays riches et pays pauvres, ne laissons pas se reconstituer un nouveau mur entre l'est et l'ouest de l'Europe, celui de l'argent. La réforme des institutions doit aller de pair avec l'élargissement. Pour toutes ces raisons, nous voterons le texte proposé.

M. Pierre Lequiller - Le groupe Démocratie Libérale votera l'amendement que vient d'exposer avec brio le Président Giscard d'Estaing. Voilà treize ans que l'Union, d'abord à douze, puis à quinze, fonctionne mal... avec des institutions prévues à l'origine pour six. D'où l'importance de réformer rapidement ces institutions. A cet égard, je ne partage pas du tout l'avis de ceux qui considèrent cet amendement comme inutile. Prise de position solennelle de l'Assemblée nationale, il est au contraire un mandat donné au Gouvernement pour la conduite des négociations.

Je ne reviens pas sur l'importance de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. Il est grand temps que l'Union fixe un calendrier à la fois pour la réforme institutionnelle et pour l'unification de l'Europe.

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Contrairement à ce qu'a prétendu M. Mariani, nous avons pu débattre largement du traité d'Amsterdam : ce fut le cas lors de la révision constitutionnelle préalable, ce fut le cas en commission pour le présent texte -où M. Mariani aurait pu se joindre à nous- et encore cette nuit en séance publique.

Certains estiment paradoxal qu'un rapporteur puisse, après avoir critiqué un texte, inviter ses collègues à le voter. Mais il est en matière internationale, comme dans la vie tout simplement, des devoirs épineux qu'il convient néanmoins de remplir. En l'espèce, il y va de l'avenir de la France.

Plusieurs orateurs ont défendu, non sans une certaine émotion -je pense à Mme Catala- mais de manière maladroite, la souveraineté de la France. Je la défends moi aussi, comme je l'imagine nous tous ici. Mais nous devons comprendre que le monde a changé : notre pays doit se donner les moyens de relever le défi de la mondialisation. Le traité d'Amsterdam, loin de menacer la souveraineté nationale, la confortera dans son expression ultime.

Je tiens, à mon tour, à rendre hommage au Gouvernement pour avoir déposé cet amendement qui reprend une idée initialement formulée par Laurent Fabius, puis enrichie, notamment par MM. Giscard d'Estaing et Lang. Dans le respect des textes, sera ainsi marqué le souci, très largement partagé, d'une réforme des institutions européennes. Je me félicite en outre que le Gouvernement ait accepté d'amender son propre amendement. L'image de notre pays, toujours à la pointe de la construction européenne, gagnera à cette démarche exemplaire. La France n'est pas seule à souhaiter le renforcement de l'Union : la Belgique et l'Italie ont cosigné une déclaration en ce sens et les quinze pays en ont exprimé le souhait lors du Conseil européen de Luxembourg en 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Robert Pandraud - Je voterai la ratification du traité d'Amsterdam mais non cet amendement.

Je croyais en effet que le législateur ne pouvait en aucun cas, a fortiori en matière de politique étrangère, donner d'injonction à l'exécutif. Or tel est bien le cas avec cet amendement qui est donc contraire à l'esprit de nos institutions. En outre, cet amendement est inutile : encore une fois, ce seront des mots, des mots et des mots... Une nouvelle conférence sera sans doute réunie, un nouveau traité ratifié et l'élargissement non plus que la réforme des institutions n'auront toujours pas eu lieu -mais peut-être est-ce la moins mauvaise formule pour la sauvegarde des intérêts nationaux...

M. le Ministre délégué - Cet article 2 ne constitue nullement une injonction du pouvoir législatif au pouvoir exécutif : nous avons précisément veillé à éviter cet écueil. Il s'agit simplement de marquer la volonté de la France que l'Union réforme ses institutions avant tout élargissement. Et contrairement à ce que vous prétendez, cette déclaration sera entendue à l'étranger, d'autant que le Parlement s'apprête à la voter à la quasi-unanimité. Soyez assurés que ce Gouvernement, comme ses successeurs, tiendra le plus grand compte de ce vote (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 1 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - La Conférence des présidents, en application de l'article 65-1 du Règlement, a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi auront lieu cet après-midi, après les questions au Gouvernement.

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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