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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 78ème jour de séance, 200ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 25 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

MINEURS DÉLINQUANTS 1

MINEURS DÉLINQUANTS (suite) 19

    VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES 19

La séance est ouverte à neuf heures.


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MINEURS DÉLINQUANTS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants.

M. Pierre Cardo, rapporteur de la commission des lois  - "Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains.", lit-on dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Cinquante-quatre ans plus tard, ce constat reste d'actualité. Si la société a changé, cette volonté humaniste de combattre la délinquance juvénile demeure. Nous avons connu les "blousons noirs" des années 50 et 60, les problèmes des Minguettes dans les années 70 et 80, et les émeutes des années 90. La situation sociale permet d'expliquer les mauvais chiffres que nous enregistrons aujourd'hui, mais cela n'excuse pas le comportement de certains jeunes et de leurs parents. Nos réponses sont, en outre, inadaptées. Il importe donc de revoir notre législation et de la réformer.

Entre 1996 et 1997, les décisions d'action éducative ont augmenté de 9,3 % et celles des placements, de 6,5 %. De 1997 à 1998, le nombre de mineurs mis en cause pour crimes et délits a doublé, passant de 82 151 à 171 787. Entre 1997 et 1998 seulement, ce chiffre a augmenté de 11,23 %.

La délinquance des mineurs est aussi devenue plus violente. En douze ans, le nombre de mineurs impliqués dans des vols avec violence est passé de 2 835 à 9 007. Pour les viols, ce chiffre est passé de 369 en 1986 à 1 199 en 1998 et, pour les coups et blessures volontaires, de 2 364 en 1986 à 11 081 en 1998.

S'agissant des destructions et dégradations sans motif économique, le nombre de mineurs mis en cause est passé de 6 552 en 1986 à 23 523 en 1998.

La délinquance, en outre, s'est faite collective. Alors qu'on dénombrait 17 blessés dans des rixes entre bandes en 1992, on déplorait 46 blessés et 6 morts en 1995 et le bilan, pour 1998, s'annonce encore plus lourd. Par ailleurs, le nombre des récidivistes s'accroît : 50 % des mineurs passés devant le juge redeviennent des délinquants. Les statistiques font aussi apparaître l'existence de ce qu'on a longtemps répugné à appeler un "noyau dur", qui représente 10 % des mineurs présentés au juge.

Au-delà des explications d'ordre économique, on observe que certains quartiers sont abandonnés par l'ensemble des institutions et que la famille elle-même n'y joue plus son rôle, qui est de donner à l'enfant des repères essentiels. En raison de sa situation sociale, le père n'est plus respecté. L'école, trop monolithique, est bientôt défaillante : dispenser le même enseignement pour tous, est-ce une politique égalitaire ou égalitariste ? Les services sociaux, qui devraient prévenir les dérapages, ont du mal à recruter dans les quartiers. De nombreux postes restent vacants et les travailleurs sociaux n'habitent plus dans les quartiers où ils sont affectés. La justice se révèle en décalage avec la situation, la politique préventive mise en place dans les décennies précédentes ayant perdu son efficacité, et la police rechigne à jouer les voitures-balais.

Il faut remédier à cette situation, ou bien nous verrons des quartiers entiers se séparer de notre République.

Chacun doit être placé devant ses responsabilités. C'est en faisant travailler les services de l'Etat en réseau qu'on mettra fin au cloisonnement à l'origine des phénomènes de délinquance. Quant aux adultes, ils doivent de nouveau jouer leur rôle, ce qui implique qu'on leur en donne les moyens. A cet égard, j'estime que nous en avons raté l'occasion, comme je l'ai dit pendant l'examen des projets contre l'exclusion et sur les emplois-jeunes. Au lieu de consacrer des moyens importants à renforcer le rôle des jeunes dans des quartiers où il est déjà exorbitant, il aurait mieux valu revaloriser la position des adultes, qui ont perdu toute utilité économique et sociale.

A l'origine, la proposition du groupe DL avait un très large objet, de la prévention à la répression. Mais vous savez ce qui se passe dès que les parlementaires envisagent des dépenses nouvelles...

M. François Goulard - Cela dépend du président de la commission des finances.

M. le Rapporteur - Ce qui me frappe le plus dans les quartiers, c'est le problème de l'errance des jeunes, dont l'éducation n'est plus faite par la famille ni par les institutions, mais par les plus grands, qui ne cherchent pas du tout à s'insérer dans la société. A 13 ou 14 ans, les jeunes qui passent devant le juge pour enfants ont déjà perdu tout repère, tout sens des limites, et c'est en toute insouciance qu'ils commettent des actes délictueux.

Le titre Ier de cette proposition de loi a donc pour objet de protéger l'enfance en danger. Il vous est proposé d'autoriser le maire à prendre un arrêté interdisant aux mineurs de moins de treize ans de circuler dans certains lieux entre vingt-deux heures et six heures du matin sans accompagnement d'un adulte. Tout mineur errant seul serait interpellé, ses parents seraient convoqués dans les quarante-huit heures par le juge pour enfants qui leur rappellerait leur obligation de moyens et pourrait leur infliger une amende. En cas de récidive, on peut considérer que l'attitude des parents relève de l'abandon d'enfant et de la mise en danger : le juge pour enfants serait alors autorisé à prononcer la suspension des allocations familiales pour une période de six mois maximum, pour la part de l'enfant concerné.

Cette disposition, qui a suscité un vif débat en commission, est-elle particulièrement répressive ? Non, elle est plutôt préventive car le code pénal -qu'il suffirait d'appliquer, me dit-on-, prévoit, lui, deux ans de prison et 100 000 F d'amende... La mise sous tutelle des allocations familiales ne me paraît pas la solution adéquate car notre objectif est d'obtenir une réaction de ceux qui doivent être les premiers éducateurs de l'enfant, à savoir les parents. Rien n'empêche d'utiliser par ailleurs les moyens qui existent déjà pour épauler les familles.

Le titre II, qui concerne les mineurs délinquants, tend à adapter l'ordonnance de 1945 à l'évolution de la société. La majorité est passée de 21 à 18 ans, les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes.

Nous aurions souhaité réorganiser complètement la prévention. Nous nous sommes contentés de faire allusion à des pôles d'accueil pour les jeunes en difficulté : il serait, en effet, nécessaire que petit à petit, partout en France, le travail en réseaux s'organise pour détecter, signaler et agir sans toujours judiciariser. Certes le conseil de sécurité intérieure a prévu des mesures, mais on a déjà eu l'occasion de constater que les recommandations formulées par le gouvernement, quel qu'il soit, n'étaient pas toujours suivies d'effet ; il appartient donc au législateur de dire sa volonté. Nous devons obliger les acteurs de terrain à communiquer entre eux. Les travailleurs sociaux, souvent débordés et sans expérience, ne travaillent que dans l'urgence. Il faut réorganiser le dispositif pour mieux connaître les familles et accomplir un réel travail de prévention.

Par ailleurs, quand un jeune est dangereux, il faut bien avoir les moyens de le sanctionner. Or le système carcéral français est totalement inadapté ; nous avons besoin d'un ensemble d'établissements carcéraux strictement réservés aux mineurs, à effectif limité à 15.

D'autres pays ont réussi à lutter contre la délinquance des mineurs ; pourquoi pas nous ? Je ne peux que me féliciter du niveau du débat qui a eu lieu en commission ; les procès d'intention et les anathèmes ont été évités. Je déplore cependant que la commission n'ait pas voulu suivre son rapporteur et se soit abstenue. J'espère que la discussion qui va s'engager en séance publique témoignera de l'intérêt porté par le Parlement à un sujet crucial pour notre jeunesse et pour notre société, et que nous n'en resterons pas là (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le sujet qui nous occupe ce matin est l'un de ceux qui reviennent périodiquement sur le devant de la scène. Pour sa part, le Gouvernement considère que l'ordonnance de 1945 permet, à condition de moderniser nos pratiques, de faire face à la délinquance des jeunes ; mais si nous différons sur les solutions, en revanche nous nous rejoignons sur l'analyse. Les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes et leur nombre a connu une augmentation sans précédent depuis le début des années 90 : jusqu'en 1993, le nombre des mineurs mis en cause a varié entre 92 000 et 100 000 ; il a atteint 155 000 en 1997 et 171 000 en 1998.

Par ailleurs, la délinquance connaît des formes nouvelles. Les atteintes aux personnes, les destructions de biens publics ou privés ont augmenté de manière importante ; des émeutes urbaines ou des faits de violence collective ont eu lieu de manière répétée ; une délinquance dite "d'intégration" se développe : en outre, ces jeunes participent de plus en plus à des trafics, ce qui a pour effet de les couper de l'économie réelle.

Le constat est donc préoccupant, mais je crois qu'il faut aller au-delà et le relier à un contexte caractérisé par le chômage et par une précarité accrue, tous éléments qui remettent assez radicalement en cause les mécanismes d'intégration sociale, à commencer par les mécanismes éducatifs. L'entrée dans la vie active est rendue plus difficile, particulièrement pour les mineurs sans qualification ou d'origine étrangère, victimes de discriminations injustifiables à l'embauche. Dans le même temps, les placements au titre de l'aide sociale à l'enfance, dont le nombre avait diminué depuis les années soixante-dix, se font plus fréquents dans les régions les plus touchées par la précarisation. Une étude de l'INSERM, en date d'octobre 1998, confirme d'ailleurs ce que nous pressentions : elle montre que 12 % des garçons et 49 % des filles pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse ont fait une tentative de suicide, que 31 % des garçons et 21 % des filles sont des utilisateurs habituels de cannabis, et que les deux tiers de ces jeunes ont été victimes d'agressions sexuelles ou de violences physiques ! Ils cumulent donc les handicaps familiaux, sociaux, psychiques, sanitaires et éducatifs.

Cela appelait une analyse précise des modifications à apporter au fonctionnement des institutions, en particulier de la justice des mineurs, et ce fut l'objet de plusieurs rapports : celui que j'ai demandé à l'inspection générale de la justice sur les unités à encadrement éducatif renforcé, déposé en janvier 1998, et celui de la mission interministérielle présidée par Mme Lazerges et par M. Balduick sur le traitement de la délinquance juvénile comme celui du Conseil économique et social sur la protection de l'enfance et de la jeunesse ; tous ont conclu à la nécessité de mobiliser les acteurs sociaux concernés et de mieux coordonner leur intervention, afin que celle-ci soit plus rapide et plus précoce. Ils ont demandé que les services publics soient plus présents sur le terrain, pour éviter la territorialisation de la délinquance et la constitution -qui ne s'est heureusement pas encore concrétisée- de ghettos dans les quartiers désertés. Ces rapports ont également préconisé des actions éducatives en faveur des mineurs les plus en difficulté et ont souligné la nécessité de sanctions, pour apprendre aux jeunes délinquants les règles de la vie sociale. Fort heureusement, en effet, tous les jeunes placés dans des conditions difficiles ne commettent pas des délits et il convient donc de rappeler aux autres la portée de leurs actes.

Ces travaux ont en outre réaffirmé la pertinence de l'ordonnance du 2 février 1945 et des principes organisant ce texte de référence : responsabilité pénale des mineurs, graduée en fonction de l'âge ; priorité donnée aux mesures éducatives et recherche de sanctions à valeur éducative... Aussi le Gouvernement s'est-il attaché dès lors à favoriser l'application des dispositions existantes, dans tous leurs aspects, plutôt que la réforme législative pourtant préconisée par nombre de parlementaires...

M. Michel Herbillon - De toutes tendances !

Mme la Garde des Sceaux - Un examen rapide des dispositions proposées par M. Cardo suffit à démontrer qu'une révision de l'ordonnance de 1945 serait inopportune.

En premier lieu, si, comme le demande l'article 7, il devenait possible de placer les mineurs de moins de 16 ans, auteurs de délits, en détention provisoire, la France irait contre ses engagements internationaux et méconnaîtrait une césure justifiée par le degré de maturation. La mesure apparaîtrait en outre paradoxale, au moment où nous nous attachons à la limiter, s'agissant des adultes, au nom de la présomption d'innocence ! L'incohérence serait d'ailleurs encore plus grande pour la droite, si l'on songe à ses surenchères sur le texte dont nous débattons cette semaine... (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

On ne peut vouloir à la fois un recours plus limité à la détention provisoire quand il s'agit de majeurs et un recours accru quand il s'agit de mineurs ! Une telle différence de traitement peut difficilement se justifier au regard de la logique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). C'est d'ailleurs une contradiction qu'avait stigmatisée M. Cardo lui-même, le 27 mars 1996, lorsque M. Béteille avait proposé la même disposition dans le cadre de ce qui devait devenir la loi du 1er juillet 1996 ! Je ne puis que souscrire à l'appel au bon sens qu'il lançait alors, d'autant que cette régression par rapport à la loi du 30 décembre 1987 pourrait bien être sanctionnée par le Conseil constitutionnel.

M. Michel Herbillon - Lequel ?

Mme la Garde des Sceaux - Celui que préside M. Guéna. Je suppose que vous ne mettrez pas en cause cette présidence...

Quant à l'article 4, qui vise à instaurer un régime de garde unique pour les mineurs, il méconnaît la spécificité des dispositions qui doivent être prises pour les mineurs les plus jeunes, spécificité dont la nécessité a été réclamée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 août 1993. Celle-ci a considéré que placer un mineur de 13 ans en garde à vue serait contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui proscrit toute rigueur non strictement nécessaire.

Pour ce qui est de la suspension du versement des prestations familiales, elle est contraire au principe posé par la loi selon lequel les allocations familiales sont attribuées à la personne qui assume la charge effective de l'enfant. Si l'on veut par là responsabiliser les parents, je rappelle que ceux-ci sont civilement responsables de leurs enfants mineurs et doivent, à ce titre, réparer les dommages causés par ces derniers.

M. Guy Teissier - Ce n'est jamais le cas !

Mme la Garde des Sceaux - Demandez donc à des élus comme MM. Le Roux ou Braouezec : cela se fait de plus en plus souvent, notamment dans le cadre du traitement des infractions en temps réel.

D'autre part, la mesure de tutelle aux prestations familiales, de la compétence du juge des enfants, permet déjà un contrôle de l'utilisation de ces prestations, en vertu de l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale. Elle implique l'intervention d'un délégué à la tutelle qui, dans la plupart des cas, bénéficie également d'une formation d'éducateur et est chargé d'apporter conseil à la famille.

En outre, l'article 40 de l'ordonnance de 1945 permet que "les allocations familiales soient versées directement par l'organisme débiteur à la personne ou à l'institution en charge du mineur en cas de placement". De plus, l'article L. 552-3 du code de la sécurité sociale autorise la suspension de leur versement en cas de manquement à l'obligation scolaire.

Aller plus loin ne ferait qu'accroître les difficultés des familles, et donc des mineurs.

Vous proposez l'instauration par les maires, fût-ce sous le contrôle d'un magistrat, de zones interdites la nuit aux mineurs de treize ans non accompagnés. Mais cette mesure contreviendrait à la liberté d'aller et de venir affirmée par le préambule de la Constitution de 1946. Je rappelle que le juge des enfants a déjà la faculté de prendre toutes mesures de protection à l'égard d'un mineur en danger, et que le procureur de la République peut intervenir en urgence la nuit pour ordonner le placement d'un mineur en situation de danger. Quant à la disposition tendant à priver le juge d'instruction de la faculté d'ordonner une mesure de réparation quand elle est unanimement considérée comme adaptée à une infraction commise par un mineur, vous comprendrez qu'elle pose un problème.

Cette analyse très critique me conduit à rejeter votre proposition de modifier l'ordonnance de 1945. Mais cette proposition m'offre l'occasion de faire le point sur l'action que le Gouvernement, avec l'appui résolu de sa majorité, conduit depuis vingt et un mois (Murmures sur les bancs du groupe DL). Permettez-moi de profiter de l'occasion qui m'est offerte... Les conseils de sécurité intérieure des 8 juin 1998, 2 octobre 1998 et 27 janvier 1999 ont déterminé un plan cohérent de lutte contre la délinquance juvénile. Il s'articule autour de trois axes. Tout d'abord, une réponse systématique, rapide, adaptée et lisible à chaque acte de délinquance. Ensuite, une meilleure coordination de l'intervention de tous les ministères concernés, impliquant de nouvelles méthodes d'intervention des services de l'Etat, et leur mobilisation autour d'un projet d'action territorialisé. Elle implique aussi une meilleure coordination entre ces services et les conseils généraux, responsables de la prévention de la délinquance ; or beaucoup de ceux de l'opposition ne font pas grand-chose... Troisième axe : une action sur l'environnement des jeunes qui passe par l'aide et la responsabilisation des parents, le renforcement du rôle de prévention de l'école, l'amélioration de l'accès à l'emploi.

M. Jean-Pierre Blazy - Dans le Val-d'Oise par exemple...

Mme la Garde des Sceaux - Ces axes ont été repris dans une circulaire de politique pénale que j'ai adressée le 15 juillet 1998 aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, ainsi que dans la circulaire interministérielle du 6 novembre 1998.

Les bilans d'application de ces circulaires ont montré le caractère positif de la volonté d'apporter une réponse judiciaire rapide et systématique. Les Parquets essaient de faire qu'à chaque acte, une réponse soit donnée, en vue de mettre fin à l'impunité de certains mineurs primo-délinquants, mais aussi de détecter plus précocement ceux qui nécessitent une intervention. Les Parquets ont appliqué aux mineurs des innovations déjà mises en place pour les majeurs. Je pense tout d'abord au traitement en temps réel. Les réformes apportées à l'ordonnance de 1945 par les lois du 8 février 1995 et du 1er juillet 1996, ont tendu à réduire le délai entre l'interpellation du mineur et sa comparution devant le juge des enfants. En instituant la convocation par officier de police judiciaire aux fins de mise en examen puis de jugement, ces dispositions permettent que, dès la fin de la garde à vue, le mineur et ses parents soient convoqués à une date précise devant le juge des enfants. Elles permettent aussi au procureur, grâce à la procédure de comparution à délai rapproché, de demander au juge des enfants, lorsqu'il défère un mineur devant lui pour mise en examen, de fixer l'audience de jugement dans un délai d'un à trois mois. La part prise par ces procédures rapides dans les poursuites pénales n'a cessé de s'accroître, passant de 47 % en 1995 à 65 % en 1997.

Autre innovation appliquée aux mineurs : le développement des réponses alternatives, avertissements, classements sous condition, interventions des délégués du procureur. Ces derniers étaient près de 200 fin 1998 : le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier a souhaité qu'il y en ait 200 de plus. Le projet de loi sur les alternatives aux poursuites viendra institutionnaliser ces réponses. Citons, enfin, les mesures de réparation qui permettent aux délinquants de comprendre la gravité des faits par une confrontation rapide à leurs conséquences, tant pour la victime que pour eux-mêmes et leurs parents : 6 300 mesures de ce type ont été réalisées en 1998, 4 320 supplémentaires sont prévues en 1999.

Si la réponse doit être rapide et systématique, elle doit être adaptée à la nature des faits et à la personnalité du mineur. Aussi, à côté des mesures précédentes, qui s'adressent essentiellement à des mineurs primo-délinquants, le Gouvernement a voulu répondre à la situation spécifique des mineurs multirécidivistes ou ayant commis des actes très graves. En direction des mineurs pour lesquels un éloignement immédiat de leur lieu de vie aura été décidé par le magistrat et pour lesquels une prise en charge éducative renforcée sera nécessaire, cinquante centres de placement immédiat seront créés d'ici 2001, dont quinze dès 1999. De même, à l'égard des mineurs pour lesquels un séjour de rupture de quelques mois est nécessaire, le programme de développement des centres éducatifs renforcés sera accéléré afin de disposer de cent unités à la fin 2000. Il fallait enfin améliorer la prise en charge des mineurs détenus, qui ont été 4 038 en 1998. Le plan en cours de réalisation repose sur l'adaptation de l'action éducative et l'amélioration des conditions de détention, l'affectation de personnels mieux formés et spécialisés, et l'intensification de l'action éducative en prison.

Par ailleurs, l'évolution de la délinquance des mineurs et la complexité de leurs situations familiales ont conduit le Gouvernement à élaborer un nouveau projet pour la protection judiciaire de la jeunesse. Les missions de son secteur public se recentrent sur le diagnostic, l'orientation et l'exécution des mesures et peines prononcées à l'égard des mineurs délinquants, ainsi que leur prise en charge. Une circulaire d'orientation a été adressée en ce sens le 24 février 1999 à tous les services déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse.

Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement a dégagé des moyens importants. Les budgets 1998 et 1999 traduisent la priorité renouvelée accordée à la protection judiciaire de la jeunesse : nous avons recruté cent personnes en 1998 et encore cent cinquante en 1999, alors qu'entre 1980 et 1997 leur nombre n'avait augmenté que de 317. Au conseil de sécurité intérieure du 27 janvier, le Gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure concernant les moyens : mille éducateurs seront recrutés d'ici 2001, alors qu'il n'y en a aujourd'hui que trois mille, et un concours exceptionnel sera organisé dès 1999. Mais nous recruterons aussi cinquante juges des enfants, vingt-cinq substituts des mineurs, et nous accroîtrons les personnels de surveillance spécialisés.

Le Gouvernement a donc fait preuve de pragmatisme et de cohérence  s'appuyant sur les différents rapports, qui ne prônent pas une réforme de la loi mais une amélioration et une augmentation des moyens. Il s'est engagé dans cette voie depuis 1997. Nous poursuivons en permanence une réflexion sur les problèmes de fond ; mais notre objectif principal est de prendre des mesures concrètes et rapides, et de trouver sur le terrain le bon équilibre entre prévention, répression, sécurité, mais aussi réinsertion.

Car ces jeunes délinquants, nous devons avoir en tête de les réinsérer dans leur famille, dans leur quartier, dans la société. Rien ne serait pire qu'une société qui nourrirait le fantasme de pouvoir les mettre à l'écart.

M. Guy Teissier - Ce n'est pas ce que nous disons.

M. Jean-Antoine Léonetti - Mais c'est ce qui se passe aujourd'hui.

Mme la Garde des Sceaux - Je remercie M. Cardo de m'avoir permis cette mise au point sur un problème aussi important (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Rapporteur - Sur le contexte social qu'a évoqué Mme la Garde des Sceaux, la précarité, les mécanismes d'intégration qui ne fonctionnent plus, nous sommes d'accord. Mais comprendre un phénomène n'est pas l'excuser. Vous avez évoqué les discriminations à l'embauche qui frappent les jeunes des quartiers, notamment ceux d'origine étrangère. Mais n'existe-t-il pas de discriminations dans les mesures de lutte contre le chômage ? Les emplois Aubry n'ont réservé aucune priorité d'embauche aux jeunes sans qualification, ni aux adultes chômeurs de longue durée. Et l'on voit l'éducation nationale les recruter à bac plus deux ! De deux choses l'une : ou ce sont de vrais emplois, et il faut les traiter comme tels, ou ils s'adressent aux jeunes en difficulté, et pourquoi recruter à ce niveau de qualification ? Quant aux adultes, si nous voulons les rétablir dans leur rôle de parents, il faut leur donner une place dans la société ; nous ne l'avons pas fait.

Sur la détention provisoire, vous avez rappelé ma position d'il y a quelques années. Le système carcéral n'est pas adapté à la détention provisoire, c'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'établissements destinés aux mineurs, de petite taille et en nombre. Cela ne veut pas dire que je suis favorable à la détention provisoire pour les majeurs !

Sur les prestations familiales, vous avez rappelé que la loi autorise déjà leur suspension. Mais que faites-vous de la loi de 1954 qui prévoit l'obligation de moyens pour les parents, quand des enfants rôdent dans la cité à deux heures du matin ? Est-il normal qu'un mineur puisse circuler librement dans un endroit dangereux ?

Vous nous dites que cette disposition serait contraire à la Constitution, mais il y a bien des lieux où on interdit aux adultes de circuler ! On ne le ferait pas pour des mineurs ?

Vous avez glissé, Madame le ministre, sur le fait que le code pénal prévoit deux ans d'emprisonnement et 100 000 F d'amende pour abandon d'enfant. Mais ce n'est pas en prison que les parents vont mieux s'occuper de leurs enfants ! Les juges n'utilisent pas cette disposition parce qu'elle est complètement inadaptée. Il faut donc la modifier.

M. Guy Teissier - Les élus sont confrontés à la montée régulière de la délinquance. Il ne passe pas un jour sans qu'un maire ne soit alerté sur un nouveau délit. Nous sommes le réceptacle de toutes les peurs, fondées ou non et attisées par une médiatisation à outrance qui institutionnalise quasiment le sentiment d'insécurité. Mais les maires sont trop souvent impuissants. Malgré les politiques de prévention, le développement des activités sportives ou des animations, l'augmentation de la délinquance est continue, et les événements de la Saint-Sylvestre à Strasbourg en sont la triste illustration.

Le rajeunissement de la délinquance a été dénoncé dès 1991. Mais il était alors limité à certains quartiers, et aujourd'hui il se généralise.

En 1998, 45 % des vols avec violence et 15 % des atteintes aux moeurs ont été le fait de mineurs. Non moins inquiétant : ceux-ci recourent de plus en plus à la violence.

Certes, notre société souffre d'une cassure profonde du lien social : familles éclatées, marginalisées, échec scolaire, chômage, urbanisme déshumanisé... Les jeunes portent l'héritage d'une, voire deux générations de parents sans statut. Mais les causes de la délinquance ne constituent pas des excuses. Certains, dans votre cabinet, expliqueront que dans cet environnement, de nouveaux modèles asociaux remplissent le vide laissé par les repères traditionnels, la famille, l'autorité... L'acte délictuel serait une affirmation d'autonomie ! Le taux de récidive démontrant l'inadaptation de la réponse judiciaire de type éducatif, vous avez découvert récemment certaines vertus de la répression. Cependant, depuis que vous êtes au Gouvernement, la délinquance augmente, et vos déclarations ne peuvent rassurer les personnes âgées, les parents ou les propriétaires de voitures incendiées. Le temps de la réflexion est passé, vous devez agir, en renonçant à une politique irréaliste, marquée du sceau de l'idéologie.

Démocratie libérale a fait le choix de la responsabilité. Nous mesurons l'exaspération des citoyens honnêtes, qui travaillent, payent des impôts et n'aspirent qu'à la tranquillité. Nous proposons donc des dispositions rapidement applicables, et sans coût, comme la restriction de la circulation des mineurs non accompagnés. Il s'agirait aussi de réformer l'ordonnance de 1945, qui n'est plus adaptée, en créant des pôles d'accueil des jeunes en difficulté. Il faut aussi responsabiliser les parents, en suspendant les allocations familiales -étant entendu qu'elles seraient alors affectées à l'établissement amené à accueillir le mineur. Bref, nous voulons des propositions concrètes, et c'est pourquoi notre groupe soutiendra cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Guy Hascoët - Il est triste qu'un sujet aussi grave fasse l'objet d'une telle exploitation politicienne (Protestations sur les bancs du groupe UDF). On inverse le problème, en insistant sur les conséquences et en se taisant sur les causes. Nous aurions pourtant besoin d'un vrai débat.

M. le Rapporteur - Il faut lire le rapport !

M. Guy Hascoët - Monsieur Cardo, nous partageons certaines préoccupations. Mais le fond du problème, c'est que notre société a accepté que le chômage pèse essentiellement sur ses jeunes. Là où les autres pays conservaient un taux de chômage des jeunes proportionné, le nôtre a dérapé jusqu'à 25 %, ce qui veut dire 60 % dans les quartiers difficiles et 85 % pour les jeunes issus des populations immigrées ! Notre société a laissé des familles entières s'enfoncer dans l'exclusion, et maintenant tout le monde le regrette !

Les mesures d'éloignement des jeunes, nous l'avons déjà dit, n'apporteraient pas une bonne réponse. Il faudrait plutôt s'attacher à reconstruire l'identité des jeunes délinquants. J'entends parler de prison, d'âge minimum d'incarcération, mais pas de contenu pédagogique. Or nous avons affaire à des jeunes déchirés, qui ont perdu leurs repères et leur identité, et qui doivent recouvrer le respect d'eux-mêmes pour pouvoir respecter autrui.

Responsabiliser les parents, oui. Je suis inquiet comme toute le monde que des enfants de 8 ans fassent le guet à 1 heure du matin. Mais supprimer les allocations familiales, n'est-ce pas oublier les frères et soeurs du mineur délinquant, les priver de leur simple droit à être nourris régulièrement ? Il nous faudrait une loi sur la jeunesse et le droit de l'enfance. Il est extraordinaire de voir comme notre société peut se mobiliser médiatiquement pour une légère recrudescence du nombre de morts sur les routes, pourtant passé de 12 000 il y a cinq-six ans à 800 aujourd'hui, et rester indifférents au taux de suicide des jeunes, passé de 8 000 à plus de 12 000 pendant la même période.

Il y a recrudescence également de la fuite dans la drogue.

Je voudrais également attirer l'attention sur la nécessité de mieux encadrer l'utilisation des jeux vidéo : de très jeunes enfants sont confrontés à la mort et à des violences qu'ils ne peuvent digérer (Approbation sur les bancs du groupe UDF). Pour peu que cela se combine avec une violence effective dans le milieu familial, il y a là un cocktail explosif. Il faut assurer la protection de l'enfant pour légitimer la sanction éventuelle.

Je regrette donc la philosophie d'un texte qui ne s'attaque qu'à un aspect partiel du problème. Il semble que certains reprochent aux exclus de l'être -même si je sais que ce n'est pas votre cas, Monsieur Cardo. Je pensais à un film très fellinien qui s'appellerait Salauds de pauvres !...

M. Jean de Gaulle - Il aura donc fallu attendre la "niche parlementaire" pour que, grâce à l'opposition, nous puissions enfin débattre de la délinquance des mineurs et de son évolution. Et pourtant, il y a "urgence à agir", comme le Président de la République y exhortait le Gouvernement, le 16 janvier dernier, pour enrayer cette très inquiétante croissance de la violence juvénile. Le nombre de mineurs mis en cause pour un crime ou un délit a, en effet, augmenté de 57 % depuis 1994, de 11 %, encore l'an dernier, atteignant 171 787 personnes en 1998, contre 104 437 en 1980.

Cette délinquance se caractérise aujourd'hui par l'âge de plus en plus jeune des mineurs mis en cause dans des faits de plus en plus graves et par la multiplication des agressions commises en groupe, voire en bandes, dont les effets sur les populations sont devenus insupportables.

L'appropriation des espaces publics par des bandes organisées, le vandalisme, les violences verbales sont souvent les prémices d'incidents plus graves, susceptibles de se déclencher au moindre prétexte. Je me refuse, pour ma part, à banaliser ces situations devenues courantes.

Les principales mesures qui me paraissent s'imposer répondent à trois objectifs principaux : mettre fin à l'impunité des mineurs, améliorer les politiques de prévention et responsabiliser les familles.

Le sentiment d'impunité nourrit la délinquance juvénile et favorise la récidive. Y mettre fin est un préalable indispensable à la reconquête de nos quartiers. Lorsque je préparais la proposition de loi contre la délinquance des mineurs que j'ai déposée, en décembre dernier, tous les magistrats, avocats, policiers, éducateurs, psychologues et enseignants consultés avaient tenu à souligner la nécessité de faire respecter les règles de vie en société et de sanctionner au plus tôt leur transgression.

Atteindre cet objectif exige certainement d'accorder des moyens humains et matériels nouveaux aux forces de l'ordre et aux services de la justice. Les trop nombreux classements sans suite ont un impact si déplorable sur les primo-délinquants qu'il faudrait peut-être les interdire pour les mineurs.

Il faut également recourir plus fréquemment aux procédures les plus rapides, pour donner tous son sens à la sanction, incomprise lorsqu'elle est trop tardive. Des progrès ont été accomplis avec la création, à l'initiative du gouvernement d'Alain Juppé, des procédures de convocation par officier de police judiciaire et de comparution à délais rapprochés. Les magistrats devraient davantage user de la faculté d'imposer les mesures d'aide aux victimes ou de réparation prévues par l'article 12-1 de l'ordonnance de 1945, et que, contrairement à M. Cardo, je souhaite voir préservées dans leurs modalités actuelles. C'est en effet un moyen appréciable de mettre en oeuvre le principe de "tolérance zéro".

Effective, rapide, la sanction doit naturellement être proportionnée. Pour cela, il faut se doter des quelques dispositifs qui font aujourd'hui défaut, notamment par rapport aux individus les plus violents qui ne reconnaissent plus aucune autorité, instaurant ce que Socrate considérait comme le début de la tyrannie.

Le premier pas serait de réserver le bénéfice de l'atténuation de minorité aux seuls primo-délinquants.

Le second, au coeur de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, réside dans la création d'établissements carcéraux à effectif réduit, spécifiques aux mineurs les plus délinquants. L'incarcération des mineurs dans le système pénitentiaire habituel est peu souhaitable et les structures en milieu ouvert se sont révélées souvent inadaptées. Ces établissements spécialisés permettraient de rendre plus effectif l'éloignement de certains "caïds" qui veulent imposer leur loi.

Ces établissements compléteraient ainsi la gamme des dispositifs existants, notamment les internats et les unités éducatives à encadrement renforcé, créés à l'initiative d'Alain Juppé et de Jacques Toubon, mais encore trop peu nombreux.

Certes, les mesures répressives ne suffisent pas à combattre les noyaux durs de la délinquance. Il faut associer prévention et répression et c'était d'ailleurs bien l'esprit de l'ordonnance de 1945.

La prévention suppose une détection de la délinquance le plus en amont possible, ce qui implique de cesser de banaliser ce qu'il est convenu d'appeler des "incivilités", actes quotidiens plus ou moins agressifs qui contribuent à la dégradation des conditions de vie dans certains quartiers. Un suivi plus systématique des mains courantes des commissariats, associant les services de la justice, de la police, de l'aide sociale à l'enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse, permettrait de repérer les jeunes en voie de basculement dans une délinquance plus marquée.

Il conviendrait également de limiter la circulation, la nuit, des mineurs de moins de treize ans non accompagnés. Cette mesure de prévention a été mise en oeuvre avec succès au Royaume-Uni.

En effet, l'errance nocturne des jeunes en fait des proies faciles pour des adultes ou des grands adolescents qui vivent de petits trafics. Elle révèle, de surcroît, les difficultés qui peuvent exister dans certaines familles. S'intéresser à cette errance nocturne permettrait de repérer, de manière précoce, ces familles en rupture et de leur apporter un soutien adapté.

Travailleurs sociaux, éducateurs ou bénévoles habilités ont évidemment un rôle majeur à jouer dans la prévention de la violence juvénile. Mais ils ne pourront se substituer à l'autorité parentale, dont il convient de renforcer la responsabilité. Une modulation du versement des allocations familiales pourrait y contribuer. Différentes solutions sont possibles : la suspension de ces prestations, leur affectation à des dépenses de scolarisation, comme l'a suggéré Pierre Cardo, la création d'allocations familiales à points, ou encore, un recours plus systématique à la tutelle aux prestations sociales.

Craignant les conséquences que pourrait avoir la fragilisation financière de certaines cellules familiales, je suis, personnellement, favorable au développement de la tutelle aux prestations sociales. Sa mise en oeuvre me paraît devoir être systématisée lorsqu'est décelé le signe d'une démission parentale, par exemple en cas de refus du parent de déférer à la convocation d'un juge pour enfants ou en cas de récidive du mineur.

Responsabiliser les parents, c'est aussi aggraver les peines sanctionnant le recel d'un objet volé par l'enfant et associer l'adulte à la réparation de l'acte délictueux. Cette dernière mesure rendrait vraiment visible l'action d'aide et de réparation envers les victimes tout en contribuant à rapprocher le mineur délinquant de ses parents. Elle pourrait être proposée de manière alternative au versement d'une partie des prestations familiales aux victimes et aussi devenir une modalité de règlement des amendes pour les délits mineurs, dans le cadre de la politique de "tolérance zéro", préconisée par le RPR.

Son introduction dans notre législation me semble d'autant plus souhaitable que l'article L. 227-17 du code pénal, qui sanctionne les manquements parentaux, n'est que trop rarement utilisé.

La plupart des mesures que j'ai énumérées figurent dans la proposition de Pierre Cardo et le groupe du RPR la soutiendra.

Il appartient maintenant au Gouvernement de démontrer, au-delà de ses effets d'annonce, sa détermination à mettre en oeuvre des mesures efficaces.

Puissiez-vous, madame la Garde des Sceaux, entendre la mise en garde de notre Président de la République : "Il y a urgence à agir" (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrick Braouezec - Cette proposition a au moins le mérite de permettre à la représentation nationale de débattre de l'augmentation préoccupante de la délinquance juvénile. Sous l'apparence de la fermeté, les mesures proposées sont marquées par un esprit de renoncement et leur adoption signifierait l'abdication de toute volonté collective.

La création d'un couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans a l'apparence du bon sens. Personne ne souhaite que des enfants restent livrés à eux-mêmes, dans la rue, après 23 heures, ni même avant.

M. Guy Teissier - Bravo !

M. Patrick Braouezec - Mais si vous considérez qu'il faut une loi pour que les policiers, les voisins ou n'importe quel adulte demandent à un enfant de dix ans ce qu'il fait dans la rue à deux heures du matin, c'est qu'il est déjà trop tard.

Evitons l'inflation législative. Il existe déjà des textes sur l'enfance en dérive. Au lieu de prendre des décrets et des arrêtés pour réguler la vie sociale, efforçons-nous d'aider les institutions à réinvestir le terrain et les citoyens à se réapproprier la vie collective.

De plus, ce couvre-feu serait mis en place sur tout ou partie du territoire de la commune : va-t-on une nouvelle fois stigmatiser les quartiers, des zones de non-droit ? Va-t-on créer des réserves à sauvageons ?

Vous évoquez à nouveau les "quartiers difficiles", alors que le phénomène de la délinquance des mineurs tend à se généraliser. Les journalistes parlent maintenant de la "banlieue de Besançon" -bientôt de celle de Lamotte-Beuvron ? Les "quartiers", les "jeunes" ne sont pas les maux de la société, mais la manifestation la plus visible de son profond malaise. La société ne va pas mal parce qu'il y a des quartiers "difficiles" : c'est la crise de l'Etat qui est plus visible dans les quartiers où l'égalité d'accès aux services publics reste à conquérir. Stigmatiser certains jeunes, comme beaucoup le font, y compris à gauche, c'est les enfermer dans l'attitude qu'on leur prête.

Les rencontres nationales de la prévention de la délinquance, qui se sont tenues à Montpellier la semaine dernière, ont abouti au triptyque : "prévention, sécurité, insertion". Trois priorités ont été définies : la présence effective d'une police de proximité, une réponse systématique aux actes de délinquance et des stratégies nouvelles de prévention. Comme l'a déclaré Claude Bartolone, "le débat entre prévention et sanction est bien fini". Les acteurs de la politique de la ville n'ont pas réclamé de nouveaux textes répressifs, mais davantage de moyens humains et matériels, plus de travail en commun et un aggiornamiento des institutions et de leurs méthodes.

Au contraire, opposer la police à la justice, la police à la jeunesse, les parents en difficulté à leurs enfants n'est d'aucune utilité. Au lieu de confier à la police une prétendue mission nouvelle, il faut aider les différents acteurs à travailler en réseau. Les institutions et les adultes doivent coproduire les normes qui régissent la vie de la cité et en assurer solidairement le respect. Ce travail, certes difficile, a l'avantage de rendre la règle plus légitime et de faire reculer le sentiment d'injustice.

Il n'est plus possible de faire porter toute la responsabilité à la seule police. Il faut renforcer la présence adulte dans l'éducation, la justice, les services sociaux, les services publics de proximité, mais aussi associer les habitants à une prise en charge collective de la sécurité. C'est ce que nous nous efforçons de faire à Saint-Denis, au travers de la démocratie participative.

Il ne s'agit pas d'angélisme mais d'un travail concret, de longue haleine. Les règles naissent plus souvent dans le conflit que dans le consensus mou.

Pierre Cardo, qui évoque dans son exposé des motifs "des mesures inapplicables ou inappliquées", en propose cependant de nouvelles au lieu de réclamer des moyens nécessaires pour faire appliquer la législation existante. Il faut revenir à l'esprit initial de l'ordonnance de 1945, et considérer que tout jeune est éducable. Un pays qui met ses enfants en garde à vue n'a pas beaucoup d'avenir.

La responsabilité des jeunes eux-mêmes est curieusement absente de votre texte, Monsieur Cardo. Sans pratiquer le discours victimaire ni l'absolution sociologique, je dis que votre exposé des motifs méconnaît les réalités sociales. Eludant le déterminisme social, vous présentez le problème ex nihilo, sans remettre en question la machine à exclure qui fonctionne aujourd'hui.

Il n'y a pas de fatalité sociologique à la délinquance. Rien ne serait pire que de figer un jeune dans un statut de victime : ce serait nier son individualité. Or les maires savent bien que le sauvageon d'hier demandera bientôt un logement et se mariera en mairie demain (Sourires).

Le vrai laxisme, c'est la déresponsabilisation. Monsieur Cardo, je comprends que votre texte a beaucoup souffert de l'article 40, mais il était déjà marqué par l'idéologie de la réduction des dépenses publiques.

La prévention n'a pas échoué. Partout où elle est véritablement mise en oeuvre, elle donne des résultats. C'est le manque de moyens qui est en cause.

Ainsi, l'équipe éducative de Saint-Denis couvre une population plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale. En Seine-Saint-Denis, plus de quatre cents mesures éducatives sont en attente, faute d'éducateurs. En 1998, 80 % de la protection judiciaire de la jeunesse dans mon département s'est concentrée sur le pénal et l'urgence, au détriment des interventions en amont et du signalement des enfants en danger. La tendance à l'incarcération des mineurs observée dans le secteur de Saint-Denis en 1996 et 1997 illustre les risques de fuite en avant répressive, dès lors que le maillon éducatif est insuffisant : il n'est pas rare de voir des mineurs "primo-délinquants" incarcérés, alors que la prison ne devrait être que l'ultime recours. A Saint-Denis, de 1990 à 1997, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ont diminué. Un restaurant d'insertion, un atelier de coiffure ont dû fermer quelques temps, et je remercie le Gouvernement de leur avoir permis de reprendre leur activité. De 1980 à 1997, le nombre de mineurs interpellés en France est passé de 104 000 à plus de 154 000, mais on n'a créé que 317 postes d'éducateurs supplémentaires. La prévention, c'est aussi la dissuasion par la présence policière. Or il y a deux fois moins de policiers par habitant à Saint-Denis que dans le XVIème arrondissement de Paris. La politique de la ville ne consiste pas à prendre des mesures de "discrimination positive", mais simplement à garantir l'égalité des citoyens devant la loi et les services publics. Nous devons encourager le Gouvernement à remettre les policiers sur le terrain et à restaurer la déontologie policière, en mettant fin à ces contrôles au faciès qui creusent chaque jour le fossé entre la police et la jeunesse.

Tout notre effort doit porter sur la mise en oeuvre de sanctions systématiques prises rapidement et proportionnées aux délits. Les tenants de la répression se prononcent en faveur de mesures spectaculaires qui laisseraient beaucoup de faits impunis en engorgeant le système judiciaire et carcéral. Les décisions pour l'exemple sont la pire des choses.

Parler de laxisme est démagogique. Pour la seule Seine-Saint-Denis, le taux d'incarcération des mineurs a quadruplé en quelques années.

En 1997, 3 600 jeunes ont été incarcérés et seulement 1 200 accueillis en foyer. Quant à la suspension des allocations familiales, le dispositif existant est suffisamment lourd. L'article 227-17 du code pénal autorise déjà la mise sous tutelle des allocations familiales dans le cadre de l'assistance éducative et la loi de 1954 encadre leur suppression.

M. le Rapporteur - En cas de déscolarisation.

M. Braouezec - La suspension des allocations familiales pénalisera le reste de la famille : nous entrerions dans une logique d'engrenage plutôt que de traitement.

Bien des comportements sont mis abusivement au compte de la démission parentale. Dans mon bureau, comme je l'imagine dans celui de M. Cardo, les parents me le disent : "A la maison, il est gentil, il file droit". En outre, la suspension des prestations familiales -ou pire, la suggestion de M. Raymond Couderc, maire de même étiquette que M. Cardo, qui entend supprimer les aides accordées par la commune aux familles de délinquants- sont des mesures de fichage et de discrimination sociale, qui frappent plus durement les pauvres. En rajouter dans l'injustice, ce serait alimenter la violence.

Il est aussi proposé que les prestations familiales suspendues soient reversées à l'établissement d'accueil du mineur ou aux victimes des délits sanctionnés. C'est nier la dimension éducative que doit avoir toute réparation. Une nouvelle fois, vous déresponsabilisez les jeunes et vous dépossédez les familles de leur rôle. Il faut au contraire développer les pratiques de médiation mises en oeuvre actuellement par les procureurs au travers des maisons de justice et du droit, ainsi que les travaux d'intérêt général.

Pour que les parents puissent faire de leurs enfants des citoyens actifs et responsables, encore faut-il qu'eux-mêmes soient des citoyens à part entière.

De plus, les pôles d'accueil évoqués ne sont pas décrits avec précision, ce qui pose à nouveau la question des moyens.

Cette proposition, enfin, repose sur l'idée que la délinquance est le seul fait des pauvres pour qui les prestations familiales constituent un véritable enjeu. Mais il faut aussi combattre la grande délinquance.

Le groupe communiste est défavorable à cette proposition. Nous venons de sortir du sempiternel débat entre prévention et répression. Il n'est que temps d'agir, dans l'un et l'autre domaine. Vous pouvez compter, Madame la Garde des Sceaux, sur la vigilance et la détermination des députés communistes (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jean-Antoine Léonetti - Cette proposition de loi a retenu toute l'attention du groupe UDF, qui a, lui aussi, mené une réflexion sur ce sujet brûlant.

"La délinquance des mineurs est une réalité préoccupante dont les causes sont multiples. Si elle ne concerne qu'une faible partie des mineurs -ceux qui concentrent les plus grandes difficultés sociales, familiales, scolaires- elle n'en connaît pas moins une réelle augmentation depuis 1993, marquée surtout par une aggravation des faits commis et un rajeunissement de leurs auteurs" : tel était le constat de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, présenté en avril 1998 par nos collègues Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck.

Ainsi que le rappelait Pierre Cardo, 45 % des vols avec violence et plus de 15 % des atteintes aux moeurs sont le fait de délinquants de moins de 18 ans. Dans les Alpes-Maritimes, la délinquance juvénile a augmenté de 26 % en un an. Les mineurs ont commis plus de la moitié des vols à la tire et des vols de deux roues, 13 % des viols et agressions sexuelles, 18 % des infractions à la législation sur les stupéfiants, 14 % des vols à main armée, 36 % des vols avec violence et 30 % des cambriolages.

Les modifications du modèle familial, l'urbanisation inhumaine, le chômage, la drogue, la mauvaise intégration d'une partie des enfants de l'immigration, la perte des repères et des valeurs civiques contribuent largement à cette situation.

Vous avez, Madame la ministre, appelé l'opposition à la cohérence, mais le Gouvernement n'en a pas toujours fait preuve : nous avons assisté à une passe d'armes entre le ministère de l'intérieur et la Chancellerie, à laquelle le Premier ministre a finalement donné raison.

Mme Dominique Gillot - Parlez-nous du texte !

M. Jean-Antoine Léonetti - Cette nouvelle délinquance juvénile résulte d'une crise de l'intégration sociale étudiée par des sociologues comme Bachmann. La famille perd de son emprise, l'école voit sa légitimité contestée et le quartier devient le vecteur principal de socialisation. On voit ainsi se développer une sorte de "patriotisme de cité", une contre-culture hostile à la République.

Alors que notre société cherche en toutes circonstances à désigner des coupables, paradoxalement, lorsqu'il s'agit de délinquance des mineurs, l'irresponsabilité et l'impunité semblent l'emporter, pour le délinquant comme pour ses parents. L'irresponsabilité n'est pas le fait de la loi : la liberté surveillée, le placement en centre ou famille d'accueil, les travaux d'intérêt général et la prison sont autant de mesures prévues à l'encontre des mineurs ; la responsabilité pénale des parents peut être engagée et les allocations familiales supprimées en cas de non-scolarisation de l'enfant. Mais l'impunité est constatée dans les faits : un mineur délinquant sur dix reçoit une sanction et les parents ne sont presque jamais sanctionnés. On justifie cette indulgence par le manque de moyens, la dangerosité de l'univers carcéral pour le mineur, les conséquences d'une sanction financière pour les parents en difficulté. Mais comment apaiser le sentiment d'injustice éprouvé par la victime souvent issue du même milieu ?

La lutte contre la délinquance des mineurs passe par une implication de tous les responsables dans leur socialisation, au premier rang desquels se trouvent les parents. Il nous paraît tout à fait normal de rendre possible la suspension des prestations familiales pour une durée ne pouvant pas dépasser six mois ; la mission interministérielle elle-même évoquait des "procédures de suppression, suspension ou mise sous tutelle des prestations sociales". Déjà, l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale dispose que, lorsque les enfants sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement ou d'hygiène manifestement défectueuses, ou lorsque le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient versées en tout ou partie à un tuteur.

Actuellement, la loi autorise à infliger deux ans de prison aux parents défaillants. La suspension temporaire des allocations familiales serait-elle une mesure plus violente ?

On ne peut ignorer que des familles complices utilisent des "petites mains" pour commettre des délits sans risque. La semaine dernière, dans les Alpes-maritimes, une demi-douzaine de voleurs ont été interpellés ; dans les quarante-huit heures, leurs jeunes frères se sont dénoncés comme étant les auteurs du délit, sachant qu'ils risquaient beaucoup moins que leurs aînés... La loi peut donc devenir perverse.

Par ailleurs, peut-on refuser au maire la possibilité d'interdire sur tout ou partie du territoire de sa commune, la circulation des mineurs de moins de 13 ans non accompagnés. Qui pourrait prétendre que cette mesure ne vise pas à protéger les mineurs et à éviter qu'ils soient pris en main par les bandes organisées de délinquants plus âgés ? Faudrait-il laisser le loup libre dans la bergerie libre ?

Ce pouvoir de police du maire est couplé avec l'intervention du juge judiciaire, qui met les parents ou les responsables de l'enfant devant leurs responsabilités.

D'aucuns pourraient critiquer le placement pour une durée limitée dans une structure d'accueil. Il ne s'agit pas d'un établissement pénitentiaire ; ce n'est même pas l'équivalent des centres de placement immédiat dont la création a été décidée par le Premier ministre le 27 janvier dernier. Ce qui est proposé est beaucoup moins sévère...

L'ordonnance de 1945 doit être progressivement adaptée. Les mesures proposées aujourd'hui ne sont que partielles ; elles doivent s'inscrire dans un plan d'ensemble.

La sanction est éducative : une république qui ne punit pas les enfants, lorsqu'ils commettent des actes répréhensibles, les ignore, les méprise, les abandonne. Les jugerait-on à ce point irrécupérables que nous ne nous donnions même pas la peine d'en faire des citoyens ? Aurait-on si peu de foi dans notre modèle républicain que nous acceptions qu'une partie de notre jeunesse ne se reconnaisse plus dans nos valeurs ? Croit-on si peu en la famille qu'on renonce à faire des parents les premiers éducateurs ?

Aucune mesure isolée ne peut provoquer de miracle et il faut sans doute imaginer d'autres moyens de sanctionner les actes délictuels en évaluant au plus juste la responsabilité respective des mineurs et des parents, mais l'enjeu le vaut si nous voulons responsabiliser les familles et ne pas désespérer de notre jeunesse. Comme le disait Platon, lorsque les pères s'habituent à laisser faire leurs enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte des paroles des pères, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois, ne reconnaissant plus rien ni personne au-dessus d'eux, alors, en toute beauté et en toute jeunesse, on a le début de la tyrannie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Bruno Le Roux - Le problème n'est certes pas nouveau et ce débat est donc légitime, d'autant que l'initiative prise par M. Cardo trouve, nous le savons, son origine dans une préoccupation sincère, qui s'est traduite par une action de longue date. S'il s'agit par conséquent d'ouvrir la discussion pour que chacun s'exprime, je ne puis que souscrire au projet.

Il me faut cependant rappeler, par précaution, ce qui a inspiré l'ordonnance de 1945 : après une guerre qui avait bouleversé l'ordre moral et matériel, entraînant une augmentation de la délinquance juvénile, le gouvernement provisoire a voulu définir un régime pénal propre aux mineurs, afin de protéger l'enfance délinquante. Il a ainsi énoncé trois principes essentiels : tout d'abord, l'unité de traitement judiciaire a été consacrée. Qu'il s'agisse d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, les mineurs sont jugés par des juridictions spéciales et le même juge a donc la double mission de protéger et de sanctionner, ce qui garantit la continuité de l'action. En second lieu, l'ordonnance affirme clairement la primauté des mesures de protection et d'éducation sur les mesures de répression. Enfin, elle repose sur une individualisation poussée, grâce à une gamme diversifiée de placements et à la possibilité de réviser à tout moment la mesure ordonnée.

Ce texte, bien qu'adapté à plusieurs reprises, est resté conforme à l'inspiration première. C'est à l'honneur de nos prédécesseurs d'avoir su ainsi se garder des tentations du tout-répressif.

Aujourd'hui, nous ne saurions faire l'économie d'une analyse, qui nous conduit à reconnaître certaines tendances lourdes. L'augmentation des faits de délinquance se poursuit depuis vingt ans, en raison du chômage et de la dévaluation du modèle familial, tous éléments qui accentuent un sentiment de relégation peu propice à l'insertion. Le nombre de mineurs impliqués dans des crimes et délits croît et l'on doit bien constater que les intéressés sont de plus en plus jeunes.

L'évolution n'est cependant pas aussi alarmante que certains voudraient le faire croire : les statistiques brutes sont parfois trompeuses. En effet, l'aggravation supposée de 1998 s'explique en partie par les circulaires du Garde des Sceaux, appelant à un signalement systématique des mineurs aux Parquets. Or ce signalement est ce qui permet l'enregistrement des faits par la police ou la gendarmerie. Mécaniquement, la transmission systématique, dont il faut vous féliciter d'avoir pris l'initiative, Madame, entraînait cette augmentation des chiffres. Elle complique par conséquent l'évaluation.

D'autre part, dans la période récente, le taux de récidive a crû, ce qui signifie que le nombre des mineurs présumés délinquants ne croît pas proportionnellement au nombre de mises en cause : tout simplement, un noyau dur de jeunes est entré dans la spirale de la délinquance, multipliant son activité.

On note par ailleurs une modification de la délinquance juvénile, qui se fait plus violente, qui est davantage liée à la toxicomanie et qui peut aussi se traduire par des dégradations de biens publics ou privés.

Enfin, depuis vingt ans, l'entrée dans la délinquance correspond de plus en plus à un processus de socialisation parallèle : pour le jeune privé de repères et à qui la voie "normale" de la socialisation paraît fermée, le passage à l'acte est synonyme de reconnaissance par le groupe. Or, dans le même temps, le seuil de tolérance de la population s'est abaissé car les premières victimes sont paradoxalement les habitants des quartiers où se concentrent ces délinquants. La sécurité étant un droit pour tous, se pose alors une question de justice sociale.

Ces évolutions et le sentiment d'insécurité qu'elles alimentent poussent certains à remettre en cause les principes qui fondent notre justice des mineurs. Pourtant, notre droit est à bien des égards en avance sur celui d'autres pays, dans la mesure où il repose sur l'idée selon laquelle la délinquance juvénile est d'abord le résultat de carences éducatives et familiales, ainsi que d'une fragilité particulière du mineur. Contester ce traitement spécifique, ce serait accepter la dérive vers la banalisation sécuritaire. Le gouvernement Blair, par exemple, a fait sienne cette orientation répressive, en revenant sur la présomption d'irresponsabilité des mineurs de 14 ans, en instaurant des couvre-feux ou en supprimant les allocations familiales en cas de délinquance, mais cette politique n'a pas renversé la tendance et, comme elle ne saurait entraîner de résultats qu'à court terme, elle ne le fera probablement jamais. Nous refusons donc cette facilité tout comme nous refusons de laisser les choses lentement dériver.

Dès son discours de politique générale, le Premier ministre a fait de la sécurité une priorité et la question de la délinquance des jeunes a très rapidement mobilisé les réflexions. Une mission interministérielle a été confiée à nos collègues Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck, dont les analyses sans complaisance ont permis de dégager plusieurs axes de travail. Tout d'abord, a été clairement posé le principe selon lequel il fallait répondre systématiquement à tous les actes de délinquance, ce que nos prédécesseurs n'avaient jamais fait et qui témoigne d'un courage certain ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) On ne l'avait jamais dit auparavant...

M. Jacques Myard - Parmi les socialistes !

M. Bruno Le Roux - Non : vous mettez en avant la punition, mais vous n'avez jamais réellement réfléchi à ce qu'est la sanction.

Le rapport de Mme Lazerges et de M. Balduyck recommande, par ailleurs, la mobilisation de tous les acteurs sociaux concernés : les familles et l'éducation nationale bien sûr, mais aussi les départements -et puisqu'on a parlé à ce propos de commission d'enquête, je ne serais pas hostile à ce qu'on examine de près l'aide que ces derniers apportent aux collectivités locales : on constaterait certainement des manques, liés à des orientations politiques.

Le rapport préconisait également un renouvellement des réponses offertes par la police et par la justice, grâce à une spécialisation plus marquée des personnels et à une action de prévention plus accentuée. Il faut en outre "bousculer" le fonctionnement de la justice des mineurs, pour exploiter toutes les ressources du droit en vigueur. Cela semble commun de tenir un tel propos, mais agir en conséquence serait nouveau !

Le Gouvernement s'est clairement engagé dans cette voie depuis plusieurs mois, optant pour une démarche à la fois pragmatique et exhaustive. Les problèmes ont été envisagés dans leur globalité, la délinquance juvénile n'étant pas appréhendée indépendamment de son contexte social. La politique des ministères de la justice et de l'intérieur est dès lors indissociable de celles que mènent, dans leurs départements respectifs, Mme Aubry, MM. Bartolone, Besson et Allègre... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jacques Myard - Quel tableau d'honneur !

M. Bruno Le Roux - Plusieurs ministres sont donc en première ligne dans ce combat et cela aussi est une nouveauté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Les conseils de sécurité intérieure des 8 juin 1998 et 27 janvier 1999 ont permis de franchir une nouvelle étape, en plaçant l'action sous le signe de la proximité, qu'il s'agisse de la police ou de la justice.

M. Robert Pandraud - Pour quels résultats en Seine-Saint-Denis ?

M. Bruno Le Roux - Les résultats sont réels, dans les villes où l'on a retroussé ses manches, au lieu de tout attendre du Gouvernement !

M. Jacques Myard - Mais la sécurité est une mission régalienne...

M. Bruno Le Roux - En revanche, il n'y a pas eu d'amélioration là où on attend que le Gouvernement réussisse ou échoue ! Quand on passe son temps à demander des commissions d'enquête, il est vrai que l'on ne peut être dans sa ville ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Nous voulons donc assurer une présence effective de la police dans les quartiers. Les contrats locaux de sécurité, ce n'est pas du pipeau !

M. Jacques Myard - Tous les magistrats sont contre.

M. Bruno Le Roux - Les élus locaux prennent des initiatives. A la lumière de ce qui s'est passé à Montpellier, organisons des assises de l'initiative locale. On verra alors que nombre d'élus ne ressentent pas le besoin de signer des arrêtés, mais celui de mettre en place des dispositifs locaux. Et M. Cardo ne me contredira pas si je rappelle que M. Bartolone a donné de nouveaux moyens aux communes, permettant un accompagnement de ces dispositifs. C'est aussi pourquoi, Madame la ministre, vous devez militer au sein du Gouvernement pour une redistribution des richesses entre collectivités locales.

Amélioration de l'efficacité de la réponse judiciaire, préservation de l'école... Non, on ne peut faire à ce gouvernement aucun procès en inaction ! Le choix de ne pas remettre en cause les principes de l'ordonnance de 1945 part du simple constat que l'arsenal juridique existe : le problème est son insuffisante application. Cette remise en cause est d'autant moins opportune que la modernité de ce dispositif est certaine. L'assemblée générale des Nations Unies n'a-t-elle pas érigé en principe fondamental, en 1985, la nécessité d'établir, dans chaque pays, une législation expressément applicable aux délinquants juvéniles et des institutions chargées d'administrer la justice pour les mineurs ?

Je ne suis guère entré dans le détail de la proposition, que je crois inutile, dangereuse, conçue à l'emporte-pièce. L'essentiel était d'ouvrir le débat plutôt que d'examiner les articles (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Tel a d'ailleurs été le choix de M. Cardo lui-même.

Je conclurai en citant des sociologues avec qui j'ai travaillé, et qui s'interrogent sur le but que poursuivent ceux qui proposent la suppression des allocations familiales aux parents de mineurs délinquants : "Souhaitent-ils démontrer que notre société ne compte pas seulement des inclus et des exclus, comme on dit, mais aussi des êtres achevés, d'un côté, et des êtres inachevés de l'autres ? Assez frustes pour que ce chantage ait l'effet souhaité. Les parents de gosses violents sont ainsi présentés comme des gens simples. Cette proposition contient un sous-entendu effrayant. Des gens simples ne sont pas seulement des gens dépourvus de capital financier, scolaire, social, etc. Ils forment aussi une curieuse humanité. Alors que les classes moyennes et supérieures remplissent les cabinets des psys pour tenter de démêler l'écheveau des relations familiales qui leur a causé des bleus à l'âme, il suffirait de menacer de supprimer les allocs pour que d'autres parents, miraculeusement, retrouvent de l'autorité ?" De tels postulats m'effraient, car ils sont ce qui masque le plus notre impuissance. Votre action résolue, Madame la Garde des Sceaux, est propre aussi à placer tous les élus devant leurs responsabilités. Devant les moyens sans précédent que vous avez déployés, je ne comprendrais pas qu'on n'essaie pas de voir si cela marche avant d'envisager de nouvelles modifications législatives (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon - S'il est un point, hélas, qui fera l'objet d'un consensus, c'est l'évolution alarmante de la délinquance des mineurs. Leur part dans la délinquance est passée de 10 % en 1972 à 22 % en 1998. Impliqués dans 60 % des vols de deux roues, ils sont responsables de 45 % des vols avec violence et de plus d'un tiers des destructions et dégradations de biens. Cette situation ne peut durer. Elle exige une réponse ferme, adaptée, bref pragmatique.

Les mesures annoncées à grand renfort médiatique par le Premier ministre à l'issue du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier ne sont pas de nature à juguler ce phénomène. Même si le Gouvernement finit par nous indiquer comment il entend les financer, leur impact sera limité. Il est clair que la police, la justice et l'éducation ont besoin de moyens supplémentaires. Mais ceux-ci seront utilisés en pure perte, si notre société n'appréhende pas autrement le phénomène de la délinquance des mineurs.

Il faut avant tout mettre fin à la logique d'irresponsabilité généralisée qui prévaut en matière de mineurs délinquants. Ce n'est pas leur faute, dit-on, puisqu'ils sont mineurs. Ce n'est pas celle de leurs parents, ajoute-t-on souvent, puisqu'ils sont dans une situation sociale difficile.

Et comme il faut bien un responsable, ce sera la société. C'est à dire vous, moi, tout le monde, et donc personne en particulier... C'est ce type de raisonnement, aboutissant à une dilution permanente de la responsabilité qui nous a conduits là où nous sommes. Même le Premier ministre a dû probablement admettre "les limites des explications sociologiques". Il était temps. On ne saurait certes nier la part de responsabilité qui incombe à notre société, notamment parce qu'elle n'a pas su enrayer le chômage de masse, ni mener une politique d'urbanisme raisonnable. Mais l'état de droit ne saurait fonctionner que si chacun répond de ses actes. Or c'est trop rarement le cas des mineurs délinquants. Leur délinquance se nourrit de l'impunité dont ils jouissent. Qui n'a entendu des victimes de vols ou d'agressions raconter que le mineur auteur de ces actes, appréhendé, avait pu revenir quelques jours plus tard les narguer, voire les menacer ? Les maires que nous sommes passent leur temps à entendre de tels récits...

Si telle est la réalité, ce n'est pas seulement parce que les moyens manquent pour exécuter les sentences lorsqu'elles sont prononcées. C'est aussi et surtout parce que le dispositif juridique de l'ordonnance de 1945 ne permet pas de répondre de façon adaptée à la délinquance actuelle, plus jeune, plus massive et plus violente. C'est cette impunité qui constitue une injustice choquante, et un formidable terreau pour les discours extrémistes. Il faut y mettre fin. C'est l'intérêt de notre société. C'est ce que les victimes sont en droit d'attendre. Et c'est aussi un service à rendre aux mineurs eux-mêmes. Car leur impunité momentanée les prive non seulement des repères nécessaires pour juger du bien et du mal, mais les laisse s'engager dans une spirale de violence à laquelle ils ne pourront se soustraire.

Irresponsabilité et impunité : tels sont les deux maux auxquels la présente proposition tente de remédier. Certains députés de la majorité en ont jugé les mesures trop répressives. Attitude surprenante, pour ne pas dire hypocrite ! Comment peut-on s'alarmer de l'évolution actuelle, reconnaître qu'il faut l'enrayer, et refuser une proposition qui recherche l'équilibre entre prévention et répression ? Comment peut-on juger anormal que des enfants errent la nuit dans les rues, et refuser des dispositions de nature à les protéger et à responsabiliser leurs parents ? Mme la Garde des Sceaux dit que c'est mettre en cause la liberté de circulation. Mais ce sont la délinquance et l'insécurité qui portent atteinte à nos libertés publiques. La sécurité est un droit, qui conditionne l'exercice de toutes les libertés.

Qu'y-a-t-il de choquant, lorsqu'un mineur est convaincu d'avoir commis une infraction, à ce que le versement des prestations familiales puisse être suspendu, dans de strictes conditions juridiques, après examen au cas par cas par le juge des enfants, au profit de la personne ou de l'établissement amené à accueillir ce jeune ? Je rappelle que cette possibilité de suspendre ou de mettre sous tutelle les allocations familiales a été soutenue il n'y a guère par le ministre de l'intérieur et certains maires socialistes. Cette possibilité a d'ailleurs un caractère aussi préventif que répressif : la menace de sanction a aussi une valeur éducative.

La proposition de loi n'offre en vérité que des mesures de bon sens. Elles sont soutenues par une majorité de Français, las du décalage entre des discours lénifiants et l'absence de réponses réelles. En l'adoptant, notre assemblée adresserait un signe clair à nos compatriotes. Cela leur prouverait que, sur la sécurité, la majorité plurielle sait faire autre chose que des colloques et des tables rondes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ils pourraient même croire que la prétendue révolution culturelle que vivait la majorité dans ce domaine est autre chose que l'habillage des ambitions électorales du Premier ministre et des membres du Gouvernement... (Mêmes mouvements) Alors, Mesdames et Messieurs de la majorité, saisissez la chance qui s'offre à vous et adoptez ce texte ! Vous rendrez ainsi service aux enfants en danger, aux parents qui n'arrivent plus à exercer leur autorité et rendrez confiance à nos compatriotes qui doutent de plus en plus de la capacité du Gouvernement à enrayer la montée de la délinquance (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Plusieurs députés socialistes - C'est faux !

M. Christian Estrosi - L'ordonnance du 2 février 1945 abordait déjà les thèmes dont nous débattons ce matin. Quel est le constat aujourd'hui ?

L'insécurité est partout. La violence est quotidienne, et pas seulement dans les banlieues mais désormais à l'école. Les jeunes qui s'y adonnent font tous les jours les premières pages des journaux. Ils seront demain privés d'avenir, tout en étant déjà privés de famille et de repères. Il est de notre devoir de proposer des solutions pour empêcher la dérive de ceux qui sont, malgré tout, la richesse de la France de demain. Bien entendu, de simples dispositions législatives ne suffiront pas, mais il est temps d'ouvrir un grand débat de société.

Alors que le Gouvernement affaiblit la chaîne sécuritaire en condamnant les polices municipales à accomplir des tâches subalternes et en étant incapable d'organiser la présence policière -sur 113 000 membres des forces de l'ordre, seuls 5 000 sont sur le terrain- alors que Mme Guigou et M. Chevènement, dans leur grande cacophonie, rendent chaque jour nos frontières plus perméables, alors que le Premier ministre ne cesse d'envoyer des signaux en faveur des résidents clandestins, nous disons qu'il est temps de surmonter les difficultés que nous connaissons.

J'ai déposé une proposition de loi instituant un système d'allocations familiales à points, pour enrayer la hausse constante de la délinquance juvénile. Les prestations familiales constituent l'effort de la nation envers les parents pour les aider à élever leurs enfants. Elles s'élèvent à 69 milliards de francs par an. Les Français sont en droit d'imposer des conditions à leur versement et il paraît normal que les parents qui démissionnent de leurs responsabilités en soient privés.

Au lieu de cela, le Gouvernement s'est lancé dans des attaques scandaleuses contre les familles, en leur supprimant une partie de l'allocation de garde d'enfants (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il est revenu à de meilleurs sentiments en ce qui concerne les allocations familiales.

Cette proposition de loi cherche à protéger nos enfants. Elle règle le problème des mineurs errant dans les rues à des heures tardives : ceux qui circuleraient non accompagnés d'adultes entre 22 heures et 6 heures seraient remis par la police à leurs parents. En cas de récidive, le juge pour enfant pourrait prononcer la suspension des prestations familiales. Les élus de tous bords ne peuvent être que favorables à ces dispositions... ("Non !" sur plusieurs bancs) du moins ceux qui sont conscients des réalités. Il nous faudrait aller beaucoup plus loin : degré de tolérance zéro, mesures d'internement immédiat pour les récidivistes, responsabilisation accrue des parents... Si ceux-ci sont sanctionnés à chaque fois que leurs enfants portent atteinte à autrui ou à l'édifice public, ils veilleront de plus près à leur éducation !

Nous devons lutter contre le fléau de la délinquance des mineurs et un gouvernement responsable ne peut pas s'opposer à cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Nicole Feidt - Cette proposition aura au moins eu le mérite de nous permettre de débattre en séance de ce sujet sensible. L'ordonnance de 1945 est bien mal connue et mal appliquée, même par les éducateurs et les magistrats qui semblent parfois en ignorer les possibilités. Mais si l'implication croissante des jeunes dans des infractions de plus en plus graves est préoccupante, elle ne doit pas laisser croire que rien n'est fait et que la solution miracle serait la répression.

Votre rapport, après avoir découvert la légitimité de la punition, cherche des critères pour l'appliquer : il faut reconnaître le bon moment pour châtier et les bonnes et mauvaises manières de punir. Il préconise un système révolu : l'éducation par la punition, tant des parents que des enfants.

Vous ne distinguez pas l'enfance en danger de l'enfance délinquante. Les enfants en danger se trouvent à l'école, qui n'arrive pas à surmonter les difficultés actuelles, chez les mères isolées qui sont en situation difficile, ce sont des jeunes en mal de vivre et menés vers la toxicomanie... Ce ne sont pas des délinquants. Les dispositions de l'article premier ne peuvent donc pas être les mêmes pour ces différentes catégories de jeunes. J'avais fait remarquer que la PJJ participait peu à la protection de l'enfance, essentiellement assurée par les services des conseils généraux, mais une meilleure coordination a été organisée -car on sait que l'enfance en danger mène vers la délinquance.

Vous proposez de responsabiliser les parents par la suppression des allocations familiales. Il me semble préférable de travailler sur le rôle des parents, la médiation familiale, la prévention en milieu ouvert, qui ont fait leurs preuves. Cette suppression obligerait les familles à chercher l'aide financière des CCAS ou à obtenir l'allocation de protection de l'enfance, très coûteuses.

Elle renforcerait l'assistanat et pourrait inciter à des pratiques délictueuses. Il faut lier les allocations familiales, comme c'est le cas, à la fréquentation de l'école.

Quant aux sorties du soir, elles font partie de la vie de l'enfant ! On ne peut pas mettre un gendarme derrière chacun d'eux ! D'autre part, les dispositions pénales que vous proposez sont dangereuses. Il serait aberrant, alors que l'on veut mieux contrôler la garde à vue et la détention provisoire pour les adultes, de durcir le régime des mineurs.

Enfin, vous ne permettez plus au juge de prononcer des mesures pour le bien de l'enfant. Vous réduisez son champ d'intervention.

Je ne vois donc guère ce que nous pouvons garder de cette proposition. Les services concernés sont très dévoués. Certes, il y a des dysfonctionnements, mais la question ne se pose pas en termes juridiques. L'ordonnance de 1945 est un texte adapté et qui comporte de larges possibilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jacques Myard - J'avais proposé une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. La majorité a commis la faute de la repousser, sans doute parce qu'elle se sentait coupable.

Mon objectif était de faire publiquement la lumière sur la situation. Vous auriez pu constater qu'il y a des dysfonctionnements dans la réponse judiciaire et policière à la délinquance juvénile, mais aussi que les éducateurs sur le terrain font un travail en profondeur. Le débat est donc contrasté.

Prévenir, éduquer, oui, mais il faut aussi réhabiliter la sanction.

Les instituteurs de l'époque de Jean Jaurès le savaient bien, qui n'hésitaient pas à appliquer une sanction proportionnée.

Les propositions de M. Cardo vont dans le bon sens et je les approuve, même si je suis nuancé sur la question de la suspension des prestations familiales. Il faut laisser au juge le soin de trancher dans quels cas cette mesure est appropriée.

M. Laurent Dominati - Il suffit d'appliquer la loi !

M. Jacques Myard - La prison n'est pas, nous le savons tous, la réponse appropriée pour les mineurs délinquants, sauf dans les cas extrêmement graves.

Je voudrais attirer votre attention sur une initiative de l'amiral Bracque de la Peyrière, qui a créé quatre centres "jeunes en équipe de travail". S'ils ne sont malheureusement pas assez nombreux, la formule paraît bonne.

Madame la Garde des Sceaux, j'espère que vous affecterez les moyens que vous allez demander au ministre des finances à la création de ce genre de centres. Dans certains cas, on pourrait aller jusqu'à créer des centres disciplinaires par le travail et l'éducation.

Je conclurai par le dicton populaire : "qui aime bien châtie bien".

M. le Président - La séance est suspendue pour quelques minutes.

La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à 12 heures.

M. le Rapporteur - Chers collègues, je voudrais vous remercier pour la qualité du débat. Sur l'analyse nous sommes tous d'accord et ce consensus est assez rare pour mériter d'être souligné.

Sur les réponses à apporter, il y a manifestement un profond désaccord. J'ai entendu certains affirmer que la prévention avait fait ses preuves : pourtant les statistiques et l'observation quotidienne semblent démontrer le contraire.

Dans de nombreux endroits les élus locaux ont essayé bien des solutions pour enrayer la montée de la délinquance et de la violence. Certains ont affirmé qu'il suffisait d'appliquer la loi. Pourtant, l'ordonnance de 1945 n'est manifestement pas appliquée et il m'a paru évident qu'il appartenait au législateur de la modifier.

Comme l'a dit M. Myard, "qui aime bien châtie bien". La sanction fait partie de l'éducation. Une société qui ne sait plus sanctionner ses enfants les aime-t-elle vraiment ? Une société qui confond liberté de circulation et abandon est-elle digne d'estime ? Je vous invite à y réfléchir avant le vote (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme la Garde des Sceaux - Le problème n'est pas de légiférer, mais d'intensifier l'action sur le terrain. Vous avez déjà modifié l'ordonnance de 1945 en 1996 et nous en voyons aujourd'hui le résultat.

Il faut en outre responsabiliser tous les acteurs. Je remercie à cet égard M. Le Roux d'avoir parlé des conseils généraux et Mme Feidt d'avoir indiqué que la concertation, quand elle a lieu, donne de bons résultats. Pour 110 000 mesures d'assistance éducative prises par les services de l'Etat en 1998, il n'y a eu que 8 000 mesures administratives des conseils généraux.

Avec l'association des présidents de conseils généraux, nous travaillons à identifier ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Il faut améliorer la coordination des services concernés en vue de renforcer leur action. Ce n'est pas facile, car nos services déconcentrés ont perdu l'habitude d'aller dans certains quartiers : comme vous, j'en fais l'expérience en tant qu'élue.

Comme l'a dit M. Braouezec, nous n'avons pas besoin de mesures spectaculaires, mais d'une action continue sur le terrain. "De l'action, pas des mots", nous dit l'opposition. Je vous réponds : chiche ! Vous qui prônez la fuite en avant et qui n'avez rien fait, laissez agir ce gouvernement, qui a créé des postes dans des proportions sans précédent. Je préfère l'action à l'incantation et aux discours trop politiciens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Distinguons bien entre parents démissionnaires et parents dépassés. Ceux qui sont complices de leurs enfants délinquants sont sanctionnés en vertu du code pénal. L'action répressive existe, elle ne fait même que progresser. Je ne dis pas qu'il faut renoncer à la répression, mais qu'elle doit aller de pair avec la prévention. La sanction fait nécessairement partie de l'éducation. Sortons donc de ces oppositions qui nous éloignent de la réalité.

M. Jean de Gaulle m'a interrogée sur l'exploitation des "mains-courantes" par la protection judiciaire de la jeunesse : des conventions ont été signées en ce sens, dans les Hauts-de-Seine par exemple.

Je remercie, enfin, M. Hascoët d'avoir abordé le douloureux problème du suicide des jeunes et de leur rapport avec la mort, qu'on n'évoque pas assez. Avec le secrétariat d'Etat à la santé, nous menons une réflexion sur la souffrance psychique des jeunes. Il nous apparaît que la prise en charge psychiatrique de certains jeunes est gravement insuffisante.

Préférant l'action durable aux mesures spectaculaires, et malgré toute l'estime que j'ai pour M. Cardo, je suis défavorable à cette proposition.


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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Robert Pandraud - Rappel au Règlement ! Selon l'article 35 de la Constitution, "la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement". Quant à l'article 131 de notre Règlement, il prévoit que "les autorisations prévues aux articles 35 et 36 de la Constitution ne peuvent résulter, en ce qui concerne l'Assemblée nationale, que d'un vote sur un texte exprès d'initiative gouvernementale se référant auxdits articles".

Je souhaite savoir comment la Conférence des présidents compte organiser le débat prévu demain.

M. le Président - Ce débat aura lieu demain matin à partir de 11 heures, en présence du Premier ministre.

M. Robert Pandraud - Mais y aura-t-il un vote ?

M. le Président - Ce sera un débat sans vote, avec un orateur par groupe, chacun disposant de vingt minutes.


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MINEURS DÉLINQUANTS (suite)

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES

M. Robert Galley - Quand nous avons voulu examiner les causes de l'exclusion, nous avons constitué un groupe de travail avec M. Louis Besson, Mme Geneviève de Gaulle Anthonioz et le spécialiste qu'est à nos yeux M. Pierre Cardo. Je le rappelle, car le conseil national de la lutte contre l'exclusion a conclu que l'exclusion des adultes était souvent précédée d'une phase de désocialisation des mineurs. Plus récemment, réunissant les responsables des missions locales d'insertion, M. Destot a déclaré qu'il fallait habituer les mineurs à respecter les règles de la vie en société.

L'absence de relation entre les ressources dont ils disposent et le travail est inévitablement à l'origine de la marginalisation de certains jeunes.

J'ai donc suivi avec intérêt notre débat. J'observe que personne n'a contesté les chiffres de notre rapporteur, selon lesquels les mineurs commettent 45 % des vols avec violence et 15 % des atteintes aux personnes. Tout le monde admet, en outre, qu'on ne peut plus se contenter de discours et de colloques. Il faut agir.

M. Cardo nous ouvre de nouvelles voies. Il ne prétend pas détenir le remède absolu, mais souhaite enrayer la croissance du phénomène avant que notre société devienne une véritable jungle.

Le groupe RPR considère que ce débat doit se poursuivre. Moi-même, je ne suis pas de l'avis de M. Cardo sur la suspension des allocations familiales. Nous devons pouvoir défendre nos positions. Madame le Garde des Sceaux, je vous demande d'user de votre influence pour que ce débat important continue.

M. Michel Herbillon - Vous avez été nombreux à estimer que le premier mérite de cette proposition était de nous donner l'occasion de débattre de la délinquance juvénile. Cette discussion doit se poursuivre, d'autant que nos positions ont été caricaturées par certains orateurs.

Tout le monde sait qu'il existe, en matière de sécurité, de profonds désaccords au sein du Gouvernement et de sa majorité. Si vous refusiez de passer à l'examen des articles, on pourrait légitimement penser que vous ne voulez pas les mettre en lumière.

Les Français sont lassés des colloques et des discours sur la délinquance ; ils attendant des mesures concrètes. Cette proposition de loi, qui trouve le juste équilibre entre prévention et répression, veut mettre fin à l'irresponsabilité généralisée et à l'impunité ; poursuivons sa discussion, afin de redonner confiance à nos compatriotes (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. Jean-Antoine Léonetti - Madame le Garde des Sceaux, nous n'avons pas la même conception du débat politicien. En souhaitant poursuivre la discussion sur la proposition de notre collègue Cardo, pour confronter nos positions et trouver le plus juste équilibre entre la prévention et la répression, nous sommes dans notre rôle. En revanche, relèvent sans doute du débat politicien les colloques organisés avec force médiatisation, où l'on affiche de bonnes intentions qui ne débouchent sur aucune mesure concrète...

La progression du nombre des jeunes suicidés est réelle, en particulier dans les banlieues. Mais les statistiques prouvent qu'il ne s'agit pas de jeunes délinquants. Ce sont plutôt des jeunes victimes d'une délinquance impunie.

L'ordonnance de 1945 est-elle adaptée ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre. Il ne s'agit pas de dire si elle est trop répressive ou pas assez : des peines d'emprisonnement sont déjà prévues, tant pour les parents que pour les enfants, mais elles ne résolvent pas le problème de la délinquance juvénile. La proposition de Pierre Cardo ouvre des pistes pour réintégrer les banlieues dans l'Etat républicain ; la discussion de ses articles nous paraît donc indispensable.

La situation s'aggrave, vous êtes au pouvoir : alors, oui, chiche, discutons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. le Président - La commission des lois n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles.

M. le Président - En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 20.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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