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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 78ème jour de séance, 201ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 25 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE Mme Nicole CATALA

vice-présidente

          SOMMAIRE :

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite) 1

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite) 2

La séance est ouverte à quinze heures.

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 1ère séance du mercredi 24 mars 1999

A la page 6, lire ainsi le titre de la question posée par M. Alain Bocquet : "Intervention militaire au Kosovo" (au lieu de : "Intervention contre la Serbie")


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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes.

ART. 9

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois - L'amendement 165 rectifié tend à préciser que le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins (...).

M. Patrick Devedjian - Mon amendement 19 est identique.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La rédaction actuelle du deuxième alinéa du I est plus claire. Comment poser directement une question "par l'intermédiaire du président" ?

M. Philippe Houillon - Les deux amendements concernent en fait le premier alinéa du I, et non le second, comme l'amendement de la commission le porte par erreur.

M. Patrick Devedjian - En effet. Seuls le ministère public et les avocats des parties pourront poser des questions directement. Le prévenu et la partie civile continueront de passer par l'intermédiaire du président.

Mme la Garde des Sceaux - Cette ambiguïté levée, avis favorable.

Les amendements 165 rectifié et 19, mis aux voix, sont adoptés.

L'article 9 modifié, mis aux voix, est adopté.


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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jacques Limouzy - Comment le débat de demain sera-t-il organisé ? Seul un orateur par groupe pourra-t-il s'exprimer ? Dans la mesure où au sein d'un même groupe, les positions peuvent ne pas être unanimes, il conviendrait au contraire que plusieurs membres du groupe puissent s'exprimer.

Je ne réclame pas de vote à l'issue de ce débat. Il n'y en a d'ailleurs pas eu depuis fort longtemps sur ce type d'opération...

M. Robert Pandraud - Sur l'engagement en Irak, il y en avait eu un.

M. Gérard Gouzes - En effet.

M. Jacques Limouzy - Je souhaite seulement savoir qui demain pourra participer au débat. Seulement les présidents de groupe ? Un orateur par groupe ? Ce rappel au Règlement s'adresse à la présidence... comme devraient le faire tous les rappels au règlement.

Mme la Présidente - Je vous invite à vous reporter à l'article 132 du Règlement. Celui-ci prévoit qu'après une communication du Gouvernement, un débat peut être organisé pour lequel chaque groupe dispose, pour l'orateur qu'il désigne, d'un temps de parole de trente minutes.

M. Robert Pandraud - Il peut être ainsi organisé. Ce n'est pas une obligation.

Mme la Présidente - Il a ainsi été organisé par la Conférence des présidents. Vous êtes néanmoins invités à y assister nombreux et à y participer par l'intermédiaire des orateurs désignés par chaque groupe.

M. Jacques Limouzy - En réalité, c'est un débat verrouillé.


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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (suite)

AVANT L'ART. 10

Mme la Rapporteur - L'amendement 93 tend à créer une section I A "Dispositions générales", destinée à recevoir des articles additionnels de portée générale.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

L'amendement 93, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 94 tend à mieux définir les conditions du recours au contrôle judiciaire et à la détention provisoire. Nous énonçons que le présumé innocent demeure libre, puis nous indiquons les exceptions.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

Le principe est la liberté, les sûretés sont des exceptions.

L'amendement 94, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - L'amendement 272 tombe.

Mme la Rapporteur - La commission a décidé, par l'amendement 95, de supprimer les dispositions du code de l'organisation judiciaire selon lesquelles chaque tribunal de grande instance compte au moins un juge d'instruction. La Garde des Sceaux a indiqué quatre scénarios possibles pour réformer intelligemment la carte judiciaire. Notre proposition se rapporte au troisième scénario, qui tend à regrouper les juges d'instruction dans certains tribunaux de grande instance.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable à cet amendement d'honnêteté intellectuelle et politique, puisqu'il est destiné à mieux adapter l'organisation de la justice aux réalités du terrain.

M. Gérard Gouzes - Tous les Français ont droit à la même justice, qu'ils habitent en ville ou à la campagne. L'amendement de la commission conduisant à retirer le juge d'instruction de certains tribunaux, les citoyens devront-ils se déplacer ? Ou bien les juges viendront-ils au-devant des justiciables ? J'interroge le Gouvernement sur ce point.

M. Patrick Devedjian - Monsieur Gouzes, on ne peut pas à la fois reconnaître que l'actuelle carte judiciaire fait obstacle à la réforme de la justice, et s'opposer à sa rationalisation.

Si tous les Français ont en effet droit à la même justice, il se trouve qu'aujourd'hui elle ne s'exerce pas de façon égale sur tout le territoire, en raison des différences de moyens. Mme Lazerges a le courage d'aller contre tous les conservatismes locaux. Il faut la soutenir.

M. Alain Tourret - Si nous n'adoptons pas cet amendement, aucune réforme n'est possible. Il est en effet inconcevable de doter tous les tribunaux à chambre unique d'un magistrat supplémentaire.

Je suis favorable à la départementalisation de l'instruction, avec au minimum trois juges par tribunal. Sinon, nous n'arriverons à rien.

M. Gérard Gouzes - Monsieur Devedjian, je ne suis pas sûr que la justice, dans sa dimension humaine à laquelle vous êtes attaché comme moi, soit mieux rendue dans un hypermarché que dans une petite boutique.

Monsieur Tourret, à trop vouloir être moderne, vous risquez de verser dans l'archaïsme. Vous savez, en effet, que le département, dans le cadre de l'aménagement du territoire, est de plus en plus contesté.

Mme Frédérique Bredin - Je soutiens l'amendement de Mme Lazerges. Nous devons savoir rationaliser. Nos concitoyens sont-ils unanimes, dans toutes les provinces, pour réclamer d'avoir un juge d'instruction à portée de main ? Je n'en suis pas sûre. La question ne se pose pas comme pour l'école ou la poste.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement est de nature à permettre de mieux organiser les juridictions. Les Français ont droit à la même justice, mais aussi à une justice de qualité.

Vous observerez, Monsieur Gouzes, que tous les tribunaux ne possèdent pas un juge pour enfants. Nous ne nous interdisons aucune solution, depuis les audiences foraines jusqu'aux regroupements. C'est ainsi que nous procédons pour la réforme de la justice du commerce.

L'amendement 95, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Tourret - Les amendements 96 et 238 corrigé, identiques, complètent la disposition que nous venons d'adopter. La carte judiciaire actuelle doit être révisée tribunal par tribunal, sans schéma préconçu, en tenant compte des réalités géographiques, de l'habitat, des moyens de transport... Nous proposons un délai raisonnable de deux ans pour modifier la carte. La façon dont est réformée la carte des tribunaux de commerce est de bon augure.

Mme la Rapporteur - La commission a adopté ces deux amendements.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement n'y est pas favorable. La réforme de la carte judiciaire est en cours. Le Gouvernement, comme c'est sa prérogative, la conduit à son rythme. Pour cette entreprise dans laquelle je me suis engagée, on veut m'indiquer une voie qui n'est pas la mienne.

M. Pierre Albertini - Cet amendement complète heureusement le précédent et, par ailleurs, il ne précise pas quelle devrait être l'ampleur de cette révision de la carte judiciaire. Pour ma part, je souhaite une réforme profonde car, comme on l'a rappelé, le nombre des magistrats est aujourd'hui, à 5 % près, ce qu'il était en 1914 ! Compte tenu du nombre des affaires et de la judiciarisation des relations sociales, c'est absolument dérisoire.

Installer des juges de la détention provisoire en nombre suffisant et, plus généralement, améliorer le fonctionnement de la justice, tout cela suppose des décisions courageuses. Il faut en effet respecter certaines exigences et même si l'on regroupe, même si l'on développe la polyvalence, il faudra aussi parfois spécialiser. Nous ne pouvons nous en remettre à un modèle unique, comme l'a d'ailleurs reconnu Mme la Garde des Sceaux lorsqu'elle a dit qu'elle étudiait plusieurs scénarios. Le pouvoir politique s'honorerait donc à réviser profondément notre carte judiciaire, bien entendu après concertation avec les intéressés : les moyens sont actuellement par trop inégalement répartis sur le territoire. Et c'est pourquoi il paraît bon de fixer un terme.

M. Gérard Gouzes - Je me félicite que M. Albertini reconnaisse enfin que nous manquons de fonctionnaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) Mais je sais gré aussi à Mme la Garde des Sceaux de ne pas exclure a priori un recours à la procédure dite des juges placés et de vouloir procéder avec souplesse et intelligence. Ce problème de la carte judiciaire est posé depuis longtemps, mais l'amendement n'y apporte qu'une fausse bonne solution. Exiger que tout soit réglé en deux ans sans préciser dans quelles conditions ni selon quels critères, ne peut être qu'un voeu pieux. De surcroît, cela introduit un élément de rigidité dans la réforme. Le Gouvernement a donc raison de s'y opposer !

Les amendements 96 et 238 corrigé, mis aux voix, sont adoptés.

ART. 10

M. Pierre Albertini - Avec cet article, le Gouvernement reste au milieu du gué. En effet, ne sera transférée au juge de la détention provisoire que la décision de mettre ou non en détention, tout ce qui relève du contrôle judiciaire restant de la responsabilité du juge d'instruction.

On a justifié la création d'un nouveau juge par l'avantage qu'il y aurait à disposer d'un "deuxième regard", mais je crains fort que ce magistrat, ne découvrant le dossier qu'in extremis, ne puisse porter sur celui-ci un regard aussi pertinent et aigu que celui de son collègue, en charge de l'affaire depuis l'origine. Dans ces conditions, comment ferait-il contrepoids ? D'autre part, dans les petites juridictions, il y a une proximité dont peut souffrir le nouveau juge.

Pour limiter la durée de la détention provisoire et combattre les abus, la meilleure solution, à notre sens, est la collégialité préconisée dans le rapport Truche. La prolongation de la détention n'étant pas condition de l'efficacité, il faut en outre fixer des termes, de façon ferme : la mesure est en effet très attentatoire à la liberté et nous ne devrions pas perpétuer cette solution de facilité.

M. Alain Tourret- La création d'un juge de la détention et des libertés est une bonne chose. Aller au-delà pour instaurer la collégialité serait irréaliste. Et pourquoi ne pas exiger douze magistrats, dont neuf non professionnels, comme pour la cour d'assises ? S'engager dans cette voie serait tuer la réforme dans l'oeuf : une réforme n'est bonne que si elle est applicable !

Cela étant, quels pouvoirs conférer au nouveau juge ? Pour moi qui suis attaché à la conception inquisitoriale qui est celle de cette réforme, je pense qu'il convient de lui transférer aussi la responsabilité des mesures de contrôle judiciaire : on aurait alors un juge chargé de l'enquête et un autre chargé du contentieux. Le premier pourrait être un "super-flic", ayant pour mission de faire éclater la vérité : dès lors pourquoi le surcharger en lui confiant le contrôle judiciaire ? Songez qu'il s'agit de mesures très variées -on en compte une dizaine- et surtout extraordinairement graves : interdiction de séjourner dans son département de résidence habituelle, interdiction de voir ses amis ou même de rencontrer sa femme... Il serait plus logique de donner cette lourde responsabilité au juge du contentieux. Je suis d'ailleurs persuadé que c'est ce qu'on décidera à la prochaine réforme, celle qu'a déjà évoquée Mme la rapporteur : c'est le seul moyen de "sauver" le juge d'instruction !

D'autre part, au cours des travaux préparatoires, on avait envisagé d'appeler le nouveau juge "juge des libertés". Passer de là à "juge de la détention", je vous avoue que cela me heurte. Veut-on donner à l'intéressé l'envie de se pendre ? Le condamne-t-on à condamner ? Je préférerais qu'on le dénomme "juge de la détention et des libertés" puisqu'il peut aussi bien mettre que ne pas mettre en détention. La réforme ne peut que gagner à des termes appropriés !

M. Léonce Deprez - La décision attendue par beaucoup de Français n'est pas venue : je veux parler de la collégialité, défendue par M. Balladur et qui contribuerait en effet à une justice de qualité, contradictoire mais non polémique. La formule du juge de la détention provisoire n'est admissible qu'en cas d'urgence : dans tous les autres, c'est la collégialité qui devrait s'imposer -ce qui suppose toutefois de recruter et c'est peut-être tout le problème. Mais pourquoi recule-t-on chaque fois qu'il est question d'accroître l'effectif de magistrats ? La justice ne le vaut-elle pas ? Ne connaissons-nous pas beaucoup de jeunes juristes désireux de devenir juges et qui se heurtent à des barrages excessifs ?

Hier, le Garde des Sceaux a évoqué la possibilité de faire appel à des vice-présidents, nécessairement "civils", ou au président du tribunal de grande instance : mais tous sont déjà surchargés de travail ! J'ai fait mon enquête : pour un tribunal de taille moyenne, cela reviendrait à réduire de 200 par an le nombre de jugements qu'il pourrait prononcer !

On peut craindre aussi la baisse du nombre des arrestations, la police sachant que la détention est incertaine. Vous dites que le juge pourrait couvrir le territoire d'autres petits tribunaux. Est-ce réaliste ?

Vous voyez un président de tribunal de grande instance se déplacer avec son greffier, arriver à 16 heures pour instruire l'affaire au tribunal et en partir à 20 ? Et cela après avoir rencontré le juge d'instruction ? Comment cela pourrait-il s'appliquer dans l'Allier, qui compte trois tribunaux à une chambre ? Votre prédécesseur M. Vauzelle avait déjà pensé au juge de la détention. L'expérience n'a pas duré plus de six mois. Il ne faut pas oublier que ces juges ne pourront être pris que sur l'effectif civil.

La solution d'un organe collectif facultatif, proposée par les juges d'instruction eux-mêmes, semble la meilleure solution. Il ne serait saisi qu'à la demande expresse de la personne qu'on veut placer en détention. On sait qu'aujourd'hui pas plus de 5 % des décisions font l'objet d'un appel. C'est le signe que les personnes mises en détention ne fondent sur lui que peu d'espoir. La collégialité doit renforcer le droit de tout individu à sa liberté. En cas d'urgence ou d'impossibilité de réunir la collégialité, la décision serait prise par un seul juge.

M. Philippe Houillon - Je rejoins les préoccupations sémantiques de M. Tourret, d'autant qu'avec notre goût des sigles, le juge des libertés deviendrait vite le juge DL ! (Sourires)

L'institution du juge de la détention vise à dissocier les fonctions d'instruction et de mise en détention. Je crains que votre texte n'aboutisse à l'inverse.

Le juge de la détention n'est saisi que quand le juge d'instruction estime devoir placer en détention et, qui plus est, par une ordonnance motivée. Il statue aussi au vu des réquisitions du Parquet, qui seront probablement concordantes. Il reçoit donc d'abord deux avis, et dont l'un est juridictionnel -l'ordonnance motivée. Il statue donc comme juge d'appel du juge d'instruction, confirmant ou infirmant son ordonnance. Le système, en dépit d'intentions louables, va donc exactement à l'encontre de la séparation des fonctions. Il est aussi en contradiction avec l'article premier, selon lequel la procédure pénale doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.

M. Arnaud Montebourg - Je voudrais défendre avec enthousiasme le juge de la détention. L'expérience du juge délégué a permis que se tienne un débat extrêmement vif entre l'accusation et la défense, dont l'arbitre était un juge qui n'était pas intéressé directement à l'enquête et pouvait donc être en désaccord avec celui qui réclamait le mandat de dépôt. On nous propose aujourd'hui d'améliorer ce système. L'opposition nous dit que c'est insuffisant. Mais il y a cinq ans, c'était beaucoup trop ! La majorité de l'époque, faisant le bilan de six mois de juge délégué, s'était employée à le détruire. Les mandats de dépôt ayant diminué de 25 %, ce dont nous nous réjouissions, le ministre UDF Pascal Clément déplorait que la société ne soit pas protégée contre la criminalité ! Qui croire alors ? Le discours de 1993 ou celui de 1999 ?

La collégialité existe pour la chambre d'accusation ou les tribunaux statuant en comparution immédiate. Les résultats en terme de détention provisoire sont-ils meilleurs ? La collégialité ne serait-elle pas plutôt un débat itératif ? Si les chiffres de la détention provisoire ont baissé avec le juge délégué, c'est bien que certaines d'entre elles étaient inutiles et que la gauche peut donc s'enorgueillir de son bilan.

Mme Frédérique Bredin - Il y a bien une ironie de l'histoire à voir la droite, qui s'était acharnée contre la collégialité que nous avions proposée en 1993, la réclamer aujourd'hui. Le juge de la détention présente deux avantages. D'abord, la séparation des fonctions d'investigation et de placement en détention provisoire est une garantie essentielle pour les droits de la défense. Ensuite, il y aura désormais un double regard pour la mise en détention contre un seul pour la remise en liberté. C'est donc un progrès décisif.

M. Gérard Gouzes - Le juge d'instruction est un magistrat du siège que la Constitution institue gardien des libertés individuelles. Sa force et sa faiblesse est qu'il est aussi un prêteur à charge et à décharge. Quand il a participé à l'enquête, orienté l'action des policiers, ordonné des écoutes téléphoniques, autorisé une perquisition, peut-il vraiment rester neutre ? Le juge de la détention a donc toute sa justification. Le Gouvernement veut redéfinir le rôle du juge d'instruction. Est-il d'ailleurs le seul responsable de l'abus des détentions provisoires ? N'oublions pas que les chambres d'instruction, qui ont tendance à entériner systématiquement les décisions du magistrat instructeur, ont leur part de responsabilité.

Il faut donc créer un juge de la détention. Mais je ne saurais oublier qu'en janvier 1993, nous avions voté une loi pour cela, et qu'en août de la même année le gouvernement Balladur l'a annulée. Aujourd'hui un amendement de M. Balladur réclame la collégialité. Faut-il qu'il soit long le remords par lequel l'opposition regrette ce qu'elle a fait au pouvoir !

Si je voulais être plus cruel...

M. Arnaud Montebourg - Soyez cruel ! (Sourires)

M. Gérard Gouzes - ...je rappellerais à MM. Albertini, Devedjian, Houillon, qui nous disent aujourd'hui qu'il faut aller plus loin pour restreindre la détention provisoire, les communiqués que les groupes RPR-UDF ont publié l'an dernier, quand notre collègue Tourret a fait voter une proposition de loi allant dans ce sens : le communiqué signé par Jean-Louis Debré s'élevait contre l'adoption d'un texte "laxiste" voté "subrepticement" et qui "équivaudrait à quatre lois d'amnistie".

Dans un autre communiqué, M. Philippe Houillon, porte-parole du groupe UDF, déplorait "le caractère idéologique et l'inconséquence" de la proposition. Alors arrêtons cette comédie qui tendrait à faire croire que l'opposition, tout d'un coup, défendrait mieux les libertés que la gauche qui, elle, les a toujours défendues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Rapporteur - Cette partie du projet de loi est absolument capitale. Elle vise à confier la décision en matière de détention à un magistrat extérieur à l'instruction.

La conversion de nos collègues de l'opposition est si fraîche qu'ils tombent dans le zèle extrême des néophytes. Ne les critiquons pas, mais ayons surtout présent à l'esprit qu'il y a en France 32 personnes en détention provisoire pour 100 000 habitants, contre 17 en Belgique et 24 en Allemagne.

Le système proposé a déjà été expérimenté et a fait ses preuves. Il paraît de bon sens d'y revenir. Il permettra à un second magistrat du siège d'exercer un second regard sur une décision difficile à prendre. L'appel devant la chambre d'accusation restera possible.

Nous souhaitons que le juge de la détention ait rang de président ou vice-président de tribunal de grande instance.

Cet ensemble représente une avancée considérable. Reste à trouver un bon titre pour désigner ce juge. Le contrôle judiciaire devrait, lui, rester de la compétence du juge d'instruction.

M. Patrick Devedjian - Monsieur Gouzes, notre conversion à la défense des libertés est une heureuse chose et un retour à notre véritable vocation. Elle n'a d'ailleurs d'égale que votre conversion aux privatisations ("Ça n'a rien à voir !" sur les bancs du groupe socialiste).

Dans le programme sur lequel vous avez été élu, Monsieur Gouzes, il n'était pas question de privatisations, mais de nationalisations : je suis heureux que vous vous soyez converti à la liberté économique. Acceptez que nous ayons évolué aussi, c'est tout l'intérêt des défaites électorales.

Si nous n'avons pas voté la proposition de M. Tourret, je vous fais remarquer que vous, vous ne lui avez pas accordé assez d'importance pour la présenter au Sénat...

J'en viens à l'amendement 273 proposé par M. Balladur et cosigné par les trois groupes de l'opposition. Il tend à instituer un tribunal de la liberté. Pourquoi ? Parce que votre dispositif est une fausse bonne idée : il ne réalise pas la nécessaire séparation des fonctions entre l'enquêteur et le juge impartial qui doit décider de la détention. En effet, dans votre texte, le juge de la détention provisoire est saisi par le juge d'instruction par une ordonnance motivée, qui est une vraie réquisition. Ce serait normalement la fonction du procureur de la République d'opérer cette saisine. Vous ne faites pas ce que Mme Delmas-Marty, M. Badinter et la commission Truche ont demandé, une séparation totale entre les fonctions d'enquête et celle de mise en détention. Votre réforme est purement sémantique, comme souvent chez les socialistes.

Mme la Présidente - Monsieur Devedjian, veuillez conclure !

M. Patrick Devedjian - Des milliers de gens sont mis en prison chaque année sur le fondement de ce texte, souffrez que nous prenions le temps d'en discuter !

Mme la Présidente - Je dois faire appliquer le Règlement.

M. Patrick Devedjian - C'est un dispositif très important. M. Balladur institue le tribunal de la liberté : celui-ci n'est pas saisi par le juge d'instruction, mais par le procureur de la République. Il statue de façon collégiale, en audience publique et sans se préoccuper de la suite de l'enquête : son rôle est de regarder si les charges réunies sont suffisantes pour justifier la détention. Ainsi, pour la première fois, la détention provisoire serait assortie des mêmes garanties que la condamnation à une peine de prison, et c'est logique car elle porte le même préjudice.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Le sujet est effectivement important. Dans notre projet, le juge de la détention provisoire sera un président ou un vice-président de tribunal, ce qui est une garantie d'expérience et d'autorité.

J'envisage de confier cette fonction à un vice-président placé auprès du premier président de la cour d'appel.

Il nous sera plus facile, de la sorte, d'améliorer l'organisation de la carte judiciaire. A cet égard, j'ai déjà localisé soixante postes sur les cent qui seront nécessaires -il n'est évidemment pas question d'installer un juge de la détention dans chacun des 187 tribunaux de grande instance, la moitié d'entre eux n'enregistrant qu'une trentaine de mandats de dépôt par an- et sur ces soixante postes il y aura cinquante-deux vice-présidents. Je ne répondrai pas sur la première partie de l'amendement, qui doit être reliée à l'amendement 267 que vous avez repoussé hier.

S'agissant du juge de la détention provisoire, j'ai voulu tirer les leçons de l'expérience du juge délégué, qui a duré six mois, jusqu'à ce que le gouvernement Balladur y mette fin en 1993. Il fallait certes rehausser le niveau d'expérience du juge. Mais là où on a joué le jeu, l'institution du juge délégué a diminué considérablement le nombre des mandats de dépôt, comme l'a rappelé M. Montebourg. Si l'ancienne majorité n'était pas revenue sur cette réforme, il y aurait beaucoup moins de personnes en détention provisoire aujourd'hui et une partie des objectifs que vous vous assignez serait déjà atteinte.

Monsieur Devedjian, vous qui trouvez ce projet purement "sémantique", demandez aux gens s'ils préfèrent passer devant un ou deux juges : ce sera un plébiscite en faveur du juge de la détention provisoire.

Mme Frédérique Bredin - Bien sûr.

Mme la Garde des Sceaux - C'est bien une forme de collégialité que je propose, même si elle se limite à deux juges. Rien d'ailleurs ne nous empêchera d'aller plus loin. La sagesse commande de commencer par là, puis de faire le bilan du dispositif. M. Tourret l'a dit, la procédure ne devient pas plus contradictoire parce qu'on multiplie le nombre des juges : l'important, c'est de créer un dialogue.

M. Houillon a assimilé le juge de la détention à une juridiction d'appel, mais M. Devedjian a su rappeler qu'il n'en était rien : alors qu'une juridiction d'appel a la même compétence, à un degré différent, que la juridiction de première instance, nous proposons d'associer deux juges aux compétences différentes sans lien de subordination.

Il n'en reste pas moins que cette réforme apportera aux justiciables des garanties supplémentaires, puisque ce seront cinq juridictions qui pourront successivement se prononcer sur la mise en détention : le juge d'instruction, le juge de la détention provisoire, le président de la chambre d'accusation, la chambre d'accusation elle-même et, enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation. C'est une avancée.

M. Pierre Albertini - Composée d'universitaires, de philosophes, de magistrats du siège et du Parquet, la commission Truche, malgré son pluralisme, a rendu un avis unanime sur ce point, estimant que "le pouvoir de mettre en détention doit être séparé de celui d'enquêter", et précisant que "c'est à l'unanimité que la commission souhaite l'introduction d'une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu".

M. Patrick Devedjian - C'est capital !

M. Pierre Albertini - Diminuer le nombre et la durée des détentions abusives, ce serait renforcer la protection des libertés. A cet égard, je ne peux laisser dire que seule la gauche, au XXème siècle, a défendu la liberté. C'est une affirmation contraire à l'histoire (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez même eu, pendant longtemps, un maître à penser en matière de violation des grands principes et d'adaptation aux circonstances (Mêmes mouvements). Moi qui ai soutenu la proposition de M. Tourret, je me réjouis que la défense de la liberté soit ici la préoccupation de tous. Ce qui nous sépare, M. Montebourg, c'est que vous ne vous déterminez qu'en fonction de vos appartenances partisanes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), alors que c'est l'intérêt général qu'il faut rechercher.

La commission Truche montre qu'il y avait une défiance excessive à l'encontre de la défense et des avocats. Philosophiquement et pratiquement, l'amendement 273 est intéressant : il annonce la prochaine grande réforme de la justice.

M. Patrick Devedjian - Bravo !

L'amendement 273, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Pierre Albertini - Mon amendement 54 vise à faire un premier pas vers la collégialité en confiant à la chambre d'accusation le pouvoir de prolonger la détention provisoire.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable. On a déjà tenté à plusieurs reprises d'instituer la collégialité et vous-mêmes n'en avez pas voulu. Restons pragmatiques.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable. Si nous créons un juge spécifique pour autoriser la détention, il doit aussi avoir le pouvoir de la prolonger.

L'amendement 54, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 97 de la commission est de précision. Nous avons pensé que, pour le remplacement du juge de la détention provisoire, le président du tribunal de grande instance pouvait désigner un autre juge à titre provisoire sans en référer à la cour d'appel.

L'amendement 97, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - Mon amendement 20 vise à confier la réquisition au procureur de la République. Dans votre projet, le juge de la détention est saisi par ordonnance du juge d'instruction, mais il peut quant à lui ne pas statuer par ordonnance : on pourrait donc faire appel de la saisine, mais pas de la décision ! C'est complètement fou !

Mme la Rapporteur - On n'a jamais pu faire appel d'une décision de remise en liberté. Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - J'ai déjà dit que j'étais opposée à la saisine du juge de la détention provisoire par le procureur. Au contraire, la détention ne doit être autorisée que si deux magistrats du siège l'estiment nécessaire : c'est tout l'intérêt de cette réforme.

En outre, comment imaginer que le Parquet puisse demander une détention que le juge d'instruction lui-même n'estimerait pas nécessaire à l'enquête ?

Cette disposition ne serait pas raisonnable.

M. Philippe Houillon - Je n'ai pas interrompu M. Gouzes tout à l'heure. Je lui répondrai maintenant dans un souci d'apaisement.

Je comprends que la gauche s'en prenne aujourd'hui à l'opposition. Si elle n'a jamais été excellente en matière économique ou de sécurité...

Plusieurs députés socialistes - Préjugés !

M. Philippe Houillon - ...elle s'est autoproclamée championne des libertés. Or elle constate aujourd'hui des divergences dans ses rangs sur le sujet -Mme Bredin a dû retirer son amendement- quand l'opposition est unie.

Nous souhaitons être positifs dans ce débat et apporter des précisions sur divers points techniques, quand cela est nécessaire. Ainsi Mme le rapporteur a-t-elle dit qu'il n'y avait jamais appel des ordonnances de remise en liberté. Or c'est faux.

Comment contester que dans la mesure où le juge de la détention examine une demande formulée par le juge d'instruction, il s'agit bien là d'un deuxième regard ?

Mme la Rapporteur - Vous conserveriez les juges d'instruction, comme pour ne pas les peiner, mais en réalité vous vous passeriez totalement d'eux. Vous appliqueriez entièrement la réforme Delmas-Marty, qui prévoyait de supprimer les juges d'instruction, tout en maintenant ces derniers. Où serait la logique ?

Pourquoi le procureur de la République serait-il le seul à pouvoir saisir le juge de la détention ? Un juge d'instruction peut parfaitement saisir ce dernier par une ordonnance de renvoi, tout comme il peut saisir par le même type d'ordonnance trois magistrats du siège en correctionnelle.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable à l'amendement.

L'amendement 20, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 186.

Mme la Rapporteur - L'amendement 98 tend à préciser que le juge d'instruction transmet le dossier de la procédure au juge de la détention, accompagné des réquisitions du procureur de la République.

L'amendement 98, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Tourret - Mes amendements 239 et 240 ont trait aux pouvoirs du nouveau juge de la détention. Ce dernier doit avoir un pouvoir en matière de contrôle judiciaire. Limiter ses pouvoirs à la détention, c'est ne pas tirer les conséquences mêmes du projet qui nous est proposé.

Mme la Rapporteur - Si nous avions choisi de supprimer le juge d'instruction, en confiant l'enquête au Parquet et le contrôle de l'enquête au juge de la détention provisoire et des libertés, alors il aurait fallu accorder à ce dernier un pouvoir en matière de contrôle judiciaire. Mais telle n'est pas notre logique. Nous souhaitons seulement apporter des garanties supplémentaires en prévoyant un second regard. Dans cette perspective, il est cohérent que le contrôle judiciaire demeure de la compétence du juge d'instruction.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable à l'amendement 239. Tous les magistrats sont garants des libertés.

Avis très défavorable à l'amendement 240 qui retire au juge d'instruction le pouvoir de placer sous contrôle judiciaire, qui serait réservé au seul juge de la détention. C'est placer de facto contrôle judiciaire et détention sur le même plan. L'incarcération n'a pourtant pas du tout le même retentissement sur la vie personnelle, familiale et sociale d'un individu que le placement sous contrôle judiciaire avec obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat. Si le juge d'instruction ne pouvait pas placer sous contrôle judiciaire, il serait tenté de solliciter davantage d'incarcérations du juge de la détention.

Dans le dispositif que nous préconisons, le juge d'instruction a compétence en matière de contrôle judiciaire. Pour le placement en détention, il doit saisir le juge de la détention mais ce dernier peut choisir la détention, la liberté ou le contrôle judiciaire. Dans ce dernier cas, le juge d'instruction peut, s'il l'estime nécessaire, en modifier les modalités. Ce dispositif responsabilise le juge d'instruction tout en respectant la liberté du juge de la détention.

M. Gérard Gouzes - La proposition de M. Tourret ne s'inscrit pas dans la logique de ce projet de loi. Si l'on contraint le juge d'instruction à quémander ceci ou cela d'un autre magistrat, les instructions risquent de durer plus longtemps encore. Or la meilleure façon de protéger la présomption d'innocence, c'est de raccourcir les instructions au maximum.

M. Alain Tourret - Je pense au contraire que mes propositions confortaient le texte du Gouvernement.

Je me suis demandé s'il était possible de distinguer entre les différentes mesures coercitives que peut comporter le contrôle judiciaire. Il est moins grave de se voir retirer son passeport que d'être interdit de séjour dans son département ou d'entrée dans son entreprise.

Les amendements 239 et 240, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Devedjian - Je regrette, comme M. Tourret, que le placement sous contrôle judiciaire puisse être ordonné à la fois par le juge d'instruction et par le juge de la détention.

Bonjour la confusion ! La décision de mise sous contrôle judiciaire est très souvent en prise sur l'instruction elle-même. La possession du passeport est très importante pour un commandant de bord, Monsieur Tourret ! Alors, Madame la rapporteur, Madame la ministre, choisissez et ne restez pas à cheval sur les deux bords de la rivière. Vous risqueriez une déchirure musculaire !

M. Alain Tourret - L'amendement 241 est défendu.

Mme la Rapporteur - Lorsque le juge de la détention est saisi, il est normal qu'il puisse choisir la mise en liberté, le contrôle judiciaire ou la détention provisoire. Le juge d'instruction possède, lui, un demi-choix : liberté totale ou contrôle judiciaire.

Mme la Garde des Sceaux - Rejet.

Les amendements 21 et 241, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Devedjian - Mon amendement 22 tend à préciser que le juge de la détention provisoire statue par voie d'ordonnance susceptible d'appel.

Mme la Rapporteur - Rejet. L'appel du Parquet reste toujours possible.

M. Patrick Devedjian - De quoi faire appel, sinon d'une ordonnance ?

Mme la Garde des Sceaux - Pourquoi serait-il besoin d'une ordonnance motivée, puisque le principe, c'est la liberté ? C'est le mise en détention qui doit être motivée.

L'amendement 22, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 99 est rédactionnel.

L'amendement 99, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Philippe Houillon - Lorsqu'il ne décide pas de mettre en détention, le juge de la détention n'est pas tenu de statuer par une ordonnance "motivée". Tel est l'objet de mon amendement 187. Cette rédaction me paraît juridiquement la plus correcte, car le juge doit toujours statuer par ordonnance, y compris lorsqu'il décide de mettre en liberté.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable. L'article 137-5 du code de procédure pénale est clair : le juge n'a pas à rendre d'ordonnance motivée. Mais le procureur de la République peut toujours saisir directement la chambre d'accusation.

Mme la Garde des Sceaux - Je le répète, le principe, c'est la liberté. Il n'est donc pas besoin d'ordonnance pour la décider.

M. Gérard Gouzes - Un autre M. Houillon, le 3 avril 1998, déclarait : "Depuis la loi du 30 décembre 1996, les motifs pour lesquels la détention provisoire peut être prononcée sont strictement définis". M. Houillon était donc satisfait des choses telles qu'elles étaient. Il ajoutait : "En ce qui concerne le motif d'ordre public, en interdisant toute prolongation lorsque la peine encourue n'est pas une peine criminelle, on irait trop loin dans le laxisme, et nous nous y opposerons". Monsieur Houillon, votre main droite oublie trop souvent ce qu'a dit votre main gauche !

M. Patrick Devedjian - Madame la rapporteur, vous croyez à tort qu'il est impossible de faire appel d'une ordonnance de mise en liberté. Or l'article 497 ouvre clairement cette possibilité. Qui, dès lors, contrôlera la décision du juge de la détention, y compris de mettre en liberté ? Vous m'opposez l'article 137-5. Mais expliquez-moi au moins comment se matérialisera la décision du juge. Ce dernier aura bien écrit quelque chose. Comment s'appelle ce quelque chose dont la chambre d'accusation pourra contrôler la régularité ?

Mme la Rapporteur - Beaucoup de décisions sont rendues sans ordonnance, à commencer par la mise en examen.

M. Patrick Devedjian - C'est un problème !

Mme la Rapporteur - Peut-être, mais c'est ainsi actuellement, et nous ne modifions rien en ce qui concerne la mise en liberté. Il est bien question, dans ce cas, non pas d'ordonnance, mais de décision.

M. Patrick Devedjian - Donc non contrôlable.

Mme la Rapporteur - Si, en application des articles 185 et 186.

M. Philippe Houillon - Notre différend ne porte pas sur le fond, mais sur la procédure. Toute décision de justice doit revêtir une forme juridictionnelle, qui s'appelle, en l'occurrence, une ordonnance.

Mme la Rapporteur - La liberté est le principe. Quand on rend la liberté, on décide sans recourir à une ordonnance. Telle est bien la situation actuelle.

Mme la Garde des Sceaux - Je confirme, à la lecture des articles 82 et 137-1, que, actuellement, le juge d'instruction qui laisse en liberté ne statue pas par ordonnance, ce qui n'empêche pas le Parquet de pouvoir faire appel.

L'amendement 187, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Houillon - L'amendement 188 est défendu.

L'amendement 188, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Les amendement 23 et 189 tombent.

L'article 10 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 10

M. Patrick Devedjian - Mon amendement 237 sert deux causes : la liberté et la modernisation. Actuellement, la personne mise en liberté sous cautionnement doit verser des espèces au trésorier du Palais de justice. Je propose qu'il puisse désormais s'acquitter par tous les moyens qu'autorise le livre des procédures fiscales : warrant, garantie bancaire, hypothèque, etc.

Aujourd'hui, si la caution est importante, l'intéressé est obligé de vendre son bien et, par exemple, de brader son pavillon : d'où un préjudice irrémédiable en cas de non-lieu. Le dispositif que je suggère n'est ni plus ni moins coercitif que ceux auxquels recourt le fisc, qui n'est pas réputé faire des cadeaux !

M. Jacques Heuclin - Par mon amendement 266 deuxième rectification, je souhaite préciser les conditions dans lesquelles doit être fixé le montant de la caution, étant entendu que je reste profondément hostile à ce qu'on fasse dépendre la mise en liberté d'une telle mesure -et les drames évoqués par M. Devedjian ne peuvent que me confirmer dans cette position ! Mais puisque la caution existe, réglementons-la au moins en exigeant qu'elle soit déterminée en fonction des ressources prouvées de l'intéressé et non, comme il arrive, en fonction de considérations arbitraires qui reviennent en fait à prolonger la mise en détention.

Mme la Rapporteur - L'affaire est délicate, mais je fais confiance aux juges d'instruction pour éviter toute injustice. Au reste, la jurisprudence est claire : l'arrêt de la Chambre criminelle du 19 avril 1995 dispose que les juges doivent fixer le montant de la garantie en se fondant sur les ressources de la personne mise en examen. Ces amendements protègent surtout les personnes disposant de biens suffisants pour s'acquitter de la caution demandée. En effet, je n'ai jamais eu connaissance de cas où un juge d'instruction aurait contraint quelqu'un à vendre son pavillon !

M. Patrick Devedjian - Vous avez peu vu ! Cela s'est produit, bien sûr.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement de M. Devedjian n'est pas de ceux que l'on peut rejeter sans examen approfondi quand on recherche des solutions alternatives à la détention provisoire. On imagine bien les hypothèses dans lesquelles de telles dispositions pourraient être utilisées : le juge pourrait par exemple placer sous hypothèque la maison d'une personne mise en examen, susceptible de prendre la fuite et ne disposant pas de liquidités... Cependant, des difficultés techniques risquent de surgir : cette hypothèque ne pourrait être qu'une créance de premier rang ; par ailleurs, comment vérifier rapidement la valeur du bien, ou même son existence, sans recourir à l'administration fiscale ? Je pense donc que nous pourrions mettre à profit la navette pour approfondir la question.

Quant à l'amendement de M. Heuclin, je ne puis y être favorable. L'article 138-11 oblige déjà le juge à tenir compte des ressources de l'intéressé. En outre, il faut pouvoir continuer à utiliser une partie de la caution pour rembourser la victime, conformément à l'article 142-1.

M. Jacques Heuclin - Le cautionnement est une atteinte à la présomption d'innocence. Comment justifier qu'on oblige à le verser quelqu'un dont la non-culpabilité peut ensuite être reconnue ? J'ai eu dans mon département l'exemple de petites gens qui ont été dans ce cas, à la suite de drames familiaux ou après une accusation de pédophilie, et dont les revenus ne permettaient pas de verser les 50 000 F demandés. Il s'agit sans doute de cas exceptionnels, mais les conséquences ont été suffisamment graves pour qu'on s'en préoccupe. Ne donnons pas de prise aux soupçons malveillants, qui sont toujours prompts, non plus qu'aux dérives médiatiques.

Mme Frédérique Bredin - M. Devedjian ne nous en voudra pas de donner la préférence à l'amendement de M. Heuclin, mais celui-ci a l'avantage d'exiger que la caution soit en proportion des ressources et du patrimoine.

Mme la Rapporteur - Je propose que nous nous penchions sur l'ensemble des obligations relevant du contrôle judiciaire dans l'intervalle entre les deux lectures.

L'amendement 237, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 266, deuxième rectification, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - L'amendement 258 n'est pas défendu.

ART. 11

L'amendement 53 est retiré.

L'article 11, mis aux voix, est adopté.

ART. 12

M. Claude Goasguen - L'amendement 190 est défendu.

M. Patrick Devedjian - De même le 24.

Les amendements 190 et 24, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 274 est de conséquence.

L'amendement 274, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 100 tend à harmoniser les délais au terme desquels le juge doit se prononcer.

M. Alain Tourret - L'amendement 242 est identique : l'article 12 fixait le délai à cinq jours tandis que le 13 parlait de trois jours ouvrables !

Les amendements 100 et 242, mis aux voix, sont adoptés.

L'article 12 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 13

M. Patrick Devedjian - L'amendement 25 est de conséquence.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 191 est défendu.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable, ce sont des amendements de conséquence.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable.

L'amendement 25, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que le 191.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 275 est de conséquence.

L'amendement 275, repoussé par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 13, mis aux voix, est adopté.

ART. 14

M. Patrick Devedjian - L'amendement 26 est de conséquence.

Mme la Rapporteur - Rejet de conséquence.

L'amendement 26, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Claude Goasguen - L'amendement 192 est défendu.

L'amendement 192, repoussé par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 101 est la rectification d'une erreur formelle.

L'amendement 101, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - Les amendements 276 et 277, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 14 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 14

M. Patrick Devedjian - L'amendement 288 est de conséquence.

L'amendement 288, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - Les amendements 278 et 289 sont de cohérence avec le reste du dispositif.

Les amendements 278 et 289, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme la Présidente - A la demande de la commission, la séance est suspendue.

La séance, suspendue à 17 heures 20, est reprise à 18 heures 10.

ART. 15

M. Alain Tourret - Cet article est important car il concerne les seuils de peine pris en compte pour la mise en détention.

Actuellement elle ne peut être ordonnée que si la personne mise en examen encourt une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans -un an en cas de flagrant délit.

Le projet du Gouvernement porte les seuils à trois ans pour les atteintes aux biens et à deux ans pour les atteintes aux personnes ou à l'Etat.

En avril dernier, nous avions adopté une proposition de loi où les seuils étaient respectivement portés à cinq et trois ans. A l'époque le groupe socialiste l'avait soutenue. La presse avait été unanime à approuver cette réforme. Les éditorialistes d'Ouest France comme du Canard enchaîné expliquaient que, pour la première fois, une loi sur la détention provisoire prenait le problème à bras-le-corps.

Je persiste à dire que le relèvement des seuils est le moyen essentiel de mettre un terme aux détentions abusives.

Combien de détentions seraient ainsi évitées ? 11 500, avait estimé Mme la Garde des Sceaux, alors qu'avec son projet le chiffre serait réduit à 7 500. Cette différence n'est pas négligeable.

Je rappelle que la situation est très différente en province et à Paris, où on met beaucoup plus facilement en prison.

Madame la ministre fait valoir qu'à partir du moment où on fait intervenir deux magistrats, on peut abaisser les seuils. Cet argument ne me convainc pas. Il suffit d'éclairer de façon excessive la façade d'un magasin pour risquer cinq ans de prison ; si un député explique qu'il faut dépénaliser la consommation de cannabis, il risque également cinq ans de prison (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Véronique Neiertz - Et l'immunité parlementaire ?

M. Alain Tourret - Elle n'existe plus en dehors de l'hémicycle.

Je demande donc à mes amis socialistes d'être cohérents avec eux-mêmes et leur vote précédent.

M. Léonce Deprez - Nous avons tous la volonté de réduire le nombre de personnes en détention provisoire, cela ne nous empêche pas d'aller d'échec en échec. Après neuf modifications législatives, notre pays continue de battre tous les records : 36 % de la population carcérale est en détention provisoire, nous indique le rapport, alors que ce chiffre se situe entre 25 et 35 % dans les pays voisins.

Comment y remédier ? Les causes de cette situation résident dans l'insuffisance des moyens mis en oeuvre par la police et l'engorgement de la justice. Ce qui se passe dans un cabinet de juge d'instruction est édifiant. Ces fonctionnaires, pour venir à bout de leur tâche, devraient effectuer un nombre d'heures de travail incalculable.

On parle de créer des emplois publics. C'est en priorité dans l'administration de la justice qu'il faut le faire, aucun député ne le conteste. Il faut ouvrir le recrutement des juges pour en finir avec un record qui ne fait pas honneur à la France.

M. Louis Mermaz - M. Tourret a eu raison de rappeler les seuils fixés par l'Assemblée : cinq ans pour les atteintes aux biens et trois ans pour les atteintes aux personnes. A l'époque, M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR s'était écrié : "Vous venez de libérer 12 000 personnes !" Il n'est pas parmi nous aujourd'hui et les représentants de son groupe sont saisis d'un grand élan libertaire. Ils partagent, au fond, notre avis et s'inscrivent contre Goethe qui disait : "Je préfère une injustice à un désordre".

Je regrette qu'au sein de notre groupe, Mme Bredin ait été mise en minorité. Mme la Garde des Sceaux a su se montrer convaincante, mais je l'invite encore à reconsidérer sa position. Il y a parfois des miracles (Sourires).

M. Patrick Devedjian - L'amendement 249 de M. Hunault est défendu.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement s'oppose à tout amendement visant à relever les seuils au-delà de ce qui est proposé dans le projet.

Je ne peux approuver la proposition de M. Tourret : combinée avec la création du juge de la détention provisoire et la limitation de la durée de l'incarcération, elle affaiblirait trop la répression dans des domaines sensibles.

M. Christophe Caresche - M. Devedjian, qui défend l'amendement de M. Hunault, a regretté, dans Le Point du 20 mars, que le Gouvernement permette aux personnes passibles de moins de trois ans de prison d'échapper à la détention provisoire, ce qui mettait hors d'atteinte les auteurs d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux. En conséquence, M. Devedjian ne devrait pas voter l'amendement qu'il défend.

M. Gérard Gouzes - Je suis surpris. L'amendement de M. Hunault vise à relever les seuils, alors que M. Mariani, il y a quelques jours, nous disait qu'il ne pouvait pas nous suivre dans cette voie. Où en est l'opposition ?

L'amendement 249, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteur - L'amendement 102 de la commission vise à préciser que la détention provisoire n'est possible qu'à titre exceptionnel, lorsque le contrôle judiciaire se révèle insuffisant.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Il faut le rappeler en toute occasion.

L'amendement 102, mis aux voix, est adopté.

M. Pierre Albertini - Mes amendements 67, 68 et 46 s'inspirent de la même logique.

Tous nos efforts pour réduire le nombre et la durée des détentions provisoires ont échoué. Leur durée s'est stabilisée à 23 mois en moyenne, mais elle peut être de trois ou quatre ans dans certains cas. A force de fixer des règles sur les seuils, la gravité, la durée et le motif, on a créé un système si complexe que les juges d'instruction passent maintenant 15 à 20 % de leur temps à le gérer, au lieu de se consacrer à la recherche de la vérité.

La presse a fait état des arbitrages rendus au sein du groupe socialiste. Ils marquent un net recul par rapport à la proposition Tourret, adoptée par l'Assemblée nationale...

M. Christophe Caresche - Pas par vous !

M. Pierre Albertini - Je l'ai votée, à titre personnel : j'étais il est vrai minoritaire dans mon groupe.

M. Christophe Caresche - Il faut le dire !

M. Pierre Albertini - Je le dis, et je me réjouis d'être devenu majoritaire... Tous les progrès en faveur de la liberté doivent être salués, Monsieur Caresche.

Mes amendements visent à supprimer la détention provisoire pour les cas d'atteinte à l'ordre public. En effet, il n'appartient pas au juge d'instruction d'apprécier si l'ordre public est menacé : c'est le travail du procureur de la République.

Mme la Présidente - L'amendement 46 sera discuté ultérieurement. Je demande à Mme le rapporteur de se prononcer sur les amendements 67 et 68.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Il y a quelque chose qui m'échappe dans la position de M. Albertini : il donne l'impression d'approuver M. Tourret, qui a voulu relever les seuils, mais ses amendements visent à en abaisser certains. Avis défavorable.

Le Gouvernement propose de relever les seuils pas autant que le souhaiterait M. Tourret, mais de manière, je crois, raisonnable.

L'amendement 67, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 68.

M. André Gerin - La notion de trouble à l'ordre public pour justifier une détention provisoire, imprécise, peut entraîner des abus. Le projet propose que la détention puisse être ordonnée ou prolongée si elle permet "de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction". Cet encadrement n'est pas suffisant, d'autant que la référence à la gravité de l'infraction va à l'encontre du respect de la présomption d'innocence.

Mme la Rapporteur - Nous reviendrons sur cette question dans la suite du débat. Nous proposerons que le motif de trouble à l'ordre public ne puisse plus être invoqué pour une prolongation de détention provisoire dans une affaire correctionnelle. En revanche, pour un placement initial, il peut être justifié. Avis défavorable donc.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable également.

Je reconnais que le motif de trouble à l'ordre public, beaucoup plus imprécis que tous les autres motifs de placement en détention provisoire, peut être invoqué de manière excessive. Cela étant, il est parfois le seul à pouvoir l'être, notamment dans le cas de crimes passionnels, de violences urbaines ou de violences lors de manifestations autorisées, où l'incarcération est pourtant indispensable. Le Gouvernement souhaite toutefois limiter le recours à ce critère qui ne pourra plus justifier une prolongation de détention provisoire, sauf en matière criminelle.

M. Louis Mermaz - L'élasticité de la notion de trouble à l'ordre public a donné lieu à des abus. En adoptant l'amendement 41, nous ne ferions que nous conformer aux dispositions de la convention européenne des droits de l'homme.

L'amendement 41, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Les amendements 46, 103 et 244 tombent.

M. Alain Tourret - Je ne voterai pas l'article 15. Par élégance vis-à-vis de mes collègues socialistes, je n'ai pas voulu les mettre en difficulté par rapport à leur ancien vote.

Mais je ne puis, au nom des députés radicaux, accepter cette régression des libertés que nous avions conquises en avril dernier.

L'article 15 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 16

Mme Frédérique Bredin - L'article 16, qui touche à la durée des détentions provisoires, est essentiel. Un amendement de la commission enrichira le texte du Gouvernement. Il sera proposé de réduire la détention provisoire en matière délictuelle à quatre mois lorsque la personne encourt une peine inférieure ou égale à cinq ans et qu'elle n'est pas récidiviste ; à douze mois si cette peine est supérieure à cinq ans et inférieure à dix ans ; à vingt-quatre mois si elle est égale à dix ans. Il sera possible de manière exceptionnelle de prolonger la détention de douze mois dans le cas de peines encourues supérieures à cinq ans et s'il existe une commission rogatoire internationale et dans le cas de peines de dix ans pour les délits les plus graves comme le trafic de stupéfiants.

En matière criminelle aussi, la détention provisoire sera limitée à deux ans si la peine encourue est inférieure à vingt ans et à trois ans si elle est supérieure ou égale à vingt ans.

Mme la Rapporteur - Pour réduire véritablement les détentions provisoires, il convient de s'attaquer aux seuils mais aussi à la durée de ces détentions. Cela est d'autant plus nécessaire que l'incarcération est une épreuve particulièrement douloureuse pour qui n'est pas encore jugé. La plupart des suicides dans nos prisons sont le fait de personnes en détention provisoire.

Par son amendement 104, la commission propose de limiter la détention provisoire en matière délictuelle à quatre mois lorsque la personne encourt une peine inférieure ou égale à cinq ans et qu'elle n'est pas récidiviste ; à douze mois dans les autres cas ; à vingt-quatre mois dans le cas des infractions les plus graves pour lesquelles les investigations peuvent être les plus complexes.

Toutefois, afin de tenir compte des contraintes pratiques évidentes, ces mêmes délais seraient portés à deux ou trois ans en cas de commission rogatoire internationale.

Ces délais paraissent raisonnables et ne portent pas atteinte au respect du droit à la sécurité.

M. Pierre Albertini - L'amendement 52 est défendu.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement sera favorable à l'amendement 104 à condition que son propre sous-amendement 307 soit adopté.

L'amendement 104 modifie sensiblement la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle. Je suis favorable à certaines des modifications proposées : limiter à quatre mois la durée de la détention pour les primo-délinquants encourant une peine inférieure ou égale à cinq ans, exiger un débat contradictoire dès la première prolongation de détention après un délai de quatre mois... J'appelle en revanche l'attention de l'Assemblée sur la limitation à un an contre deux ans aujourd'hui de la détention pour tous les délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement. En 1997, 2 857 détentions provisoires en matière correctionnelle ont duré plus d'un an. L'impact de la mesure proposée ne serait donc pas négligeable. Elle pourrait concerner des vols avec violence, des recels aggravés ou des agressions sexuelles.

Le Gouvernement a pris ses responsabilités en estimant qu'il n'était pas opportun de réduire la durée actuellement prévue. A l'Assemblée nationale maintenant de prendre les siennes.

Je suis opposée à l'instauration d'un délai butoir de deux ans -trois ans en cas de commission rogatoire internationale- dans les affaires de terrorisme, de proxénétisme, de trafic de stupéfiants ou de délinquance en bande organisée. Dans ces cas graves et complexes, une détention provisoire plus longue peut se justifier.

Bien sûr, cette mesure doit rester exceptionnelle. Mais nous devons veiller à ne pas désarmer l'Etat de droit. Il serait dangereux de mettre prématurément en liberté de redoutables malfaiteurs, ou de les renvoyer en correctionnelle pour éviter cette mise en liberté alors que le dossier n'est pas suffisamment nourri. C'est pourquoi le Gouvernement, par le sous-amendement 307, veut supprimer les délais butoirs dans les cas d'extrême gravité. La durée de la détention provisoire ne sera pas pour autant indéfinie. Elle fera l'objet d'un strict contrôle et devra être conforme à la notion de "délai raisonnable", telle qu'elle figure dans la convention européenne des droits de l'homme et dans l'article 144-1 du code de procédure pénale.

Au total, le Gouvernement est favorable à l'amendement 104, sous réserve de l'adoption de son sous-amendement 307.

Mme la Rapporteur - La commission n'a pas adopté ce sous-amendement. Mais après les explications de la ministre, et sachant qu'un débat contradictoire précédera chaque prolongation de la détention provisoire, je crois que nous pourrons le voter ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Le sous-amendement 307, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 104 modifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 16 est ainsi rédigé.

ART. 17

M. Pierre Albertini - L'amendement 51 est défendu.

L'amendement 51, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Gerin - Notre amendement 43 tend à limiter dans tous les cas en matière criminelle à deux ans la durée de la détention provisoire.

Mme la Rapporteur - Avis défavorable. La commission a adopté l'amendement 105, afin de fixer des dates butoirs plus strictes que celles qui figurent dans le projet : deux ans si la peine est inférieure à 20 ans de réclusion, trois ans dans les autres cas, ces délais étant majorés d'un an en cas de commission rogatoire internationale.

Mme la Garde des Sceaux - Rejet de l'amendement 43.

Avis favorable à l'amendement 105, à condition de repousser le 106, qui exclut la référence aux crimes multiples, et d'accepter le 308 du Gouvernement relatif aux exceptions.

L'amendement 43, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 105, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Tourret - L'article 17 établit des seuils en matière criminelle, mais les supprime quand plusieurs crimes sont reprochés à la même personne, qui peut ainsi subir une détention provisoire éternelle. Ce dispositif aboutirait à des absurdités : quelqu'un qui commet deux braquages dans la même demi-heure, qui tue deux personnes avec la même balle, n'aura pas droit à une durée limitée de détention provisoire, qu'il obtiendrait s'il avait volé la même somme en un seul endroit au lieu de deux, ou tué une seule fois.

Il faut supprimer cette partie de l'article, et en revenir aux principes, sans exceptions. Tel est l'objet des amendements 106 et 245.

Mme la Rapporteur - Nous pensions judicieux de placer des délais butoirs, mais il est apparu que pour des affaires particulièrement dramatiques, pour des crimes contre la personne, contre l'Etat, la nation ou la paix publique, il fallait pouvoir prolonger la détention provisoire. C'est pourquoi je propose de substituer l'amendement 319 aux amendements 106 et 245.

Mme la Garde des Sceaux - Rejet des amendements 106 et 245. Avis favorable au 319, qui retient l'essentiel des exceptions souhaitées par le Gouvernement.

Les amendements 106 et 245, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 319, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 308 du Gouvernement tend à exclure tout délai butoir pour les crimes de trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsions de fond ou crimes graves commis en bande organisée.

Mme la Rapporteur - Avis favorable.

L'amendement 308, mis aux voix, est adopté.

L'article 17 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 18

Mme la Rapporteur - L'amendement 108 est de coordination.

L'amendement 108, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 18 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 18

M. Pierre Albertini - L'amendement 255 de M. Michel est défendu.

Mme la Rapporteur - Faut-il ou non harmoniser les seuils à partir desquels la détention provisoire peut être prononcée, cela quelle que soit la procédure ? Actuellement, dans le cas de la comparution immédiate, si l'infraction est flagrante, la détention provisoire est possible dès lors que la peine encourue est d'au moins un an d'emprisonnement. Si l'infraction n'est pas flagrante, le seuil est à deux ans, comme lorsqu'il y a instruction. Dans la mesure où nous abaissons les seuils pour ces cas d'instruction préparatoire, la question peut se poser de faire de même pour les cas de comparution immédiate, hormis infraction flagrante. Après réflexion, la commission a accepté l'amendement 255 mais, me demandant si la disposition n'est pas quelque peu prématurée, je m'abstiendrai personnellement.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement vise donc à étendre à la procédure de comparution immédiate les seuils prévus par le Gouvernement pour les procédures où il y a instruction, sauf dans les cas de délit flagrant. Cet alignement, qui n'interdit pas de recourir à la comparution immédiate, limite cependant la possibilité qu'aura le tribunal de prononcer la détention provisoire en cas de renvoi de l'affaire. La comparution immédiate s'en trouvera affaiblie de facto.

Je rappelle que les seuils actuels sont d'un an s'il y a flagrance et de deux ans sinon. Si le texte du Gouvernement est adopté, ils seront de deux ans pour les délits contre les personnes et contre l'Etat, ainsi que pour les infractions contre les biens s'il y a déjà eu condamnation, et de trois ans dans les autres hypothèses. Un alignement, intellectuellement séduisant, poserait des problèmes politiques. Tout d'abord, en cas de renvoi, la détention provisoire avant jugement, ne dure en général que quelques jours -deux mois au maximum aux termes de l'article 397-3 du code de procédure pénale. Par ailleurs, si l'élévation des seuils ne concerne que quelques cas limitativement énumérés, figurent parmi ceux-ci les délits de dégradation ou de destruction simple, punis de deux ans d'emprisonnement. Si l'on identifie l'auteur plus de huit jours après les faits, l'amendement rendra le recours à la comparution immédiate impossible de fait.

Et c'est ici que se pose un autre problème, d'opportunité cette fois. Si nous affaiblissons ainsi la procédure de comparution immédiate, nous nous priverons d'un outil efficace dans la lutte contre les violences urbaines, alors même que la population qui en est victime ne supporte plus l'impunité dont jouissent parfois les auteurs de ces délits. On peut, comme moi, être heurté par le spectacle de cette procédure mais songez qu'avec cet amendement, on n'aurait pas pu prononcer la détention provisoire contre les auteurs des dégradations commises à la fin de l'an dernier dans le quartier de la Nation, à Paris, ou, au début de cette année, à Grenoble -dans ce dernier cas, la police avait bouclé l'enquête en dix jours, mais ce serait désormais trop ! Même observation en ce qui concerne les violences du 31 décembre à Strasbourg, au cours desquelles 61 véhicules avaient été brûlés et pour lesquelles huit comparutions immédiates ont été organisées le 4 janvier.

Ces violences sont un phénomène nouveau, durement ressenti par la population. Il est souvent difficile de prouver qu'elles sont commises en bande, ce qui dispenserait d'observer les seuils. Aussi justifiées que soient les critiques adressées à la procédure de comparution immédiate, je vous demande de considérer qu'elle constitue un instrument dont il serait fâcheux de se priver.

Mme Véronique Neiertz - La question mérite à l'évidence un débat approfondi, et des positions nuancées. Le groupe socialiste, quant à lui, ne souhaite pas affaiblir la comparution immédiate, testée pour la première fois en Seine-Saint-Denis. Dans ce département, le traitement en temps réel des violences urbaines a permis d'éviter des catastrophes. La procédure a en outre le mérite d'être comprise à la fois des victimes et des délinquants eux-mêmes. En réduire l'efficacité, ce serait, enfin, aller contre la politique arrêtée par le Gouvernement ces derniers mois en même temps que ruiner tous les efforts déployés dans les cités. Pour toutes ces raisons, l'amendement paraît inacceptable.

M. Pierre Albertini - L'équilibre est difficile à trouver entre les exigences de la justice et celles de l'opinion. Nous en sommes d'accord, il ne faut pas remettre en cause le principe de la comparution immédiate. Pour autant, pouvons-nous ne pas nous interroger sur son fonctionnement ? Elle a certes l'avantage de l'exemplarité...

Mme Véronique Neiertz - En effet !

M. Pierre Albertini - Mais il faut reconnaître qu'elle aboutit souvent à des condamnations d'une très grande sévérité. Face à cette balance difficile entre l'efficacité et la pédagogie de la sanction, d'une part, et la justice qui veut des peines proportionnées à la faute, d'autre part, l'esprit peut hésiter.

On ne peut tout de même pas élaborer une politique pénale en raisonnant sur quelques actes de délinquance urbaine, si douloureux soient-ils. Il serait préférable d'agir sur la cause de cette violence. Je suis favorable à l'alignement des seuils proposés par M. Michel et approuvé par la commission.

M. Jacques Floch - Evitons de polémiquer sur un sujet de cette importance. On peut ne pas voter cet amendement dans le souci partagé par tous de protéger les victimes de malfaisances. On peut voter cet amendement pour arriver à un équilibre raisonnable, sans mériter d'être traité de laxiste. Toutes les villes connaissent ces problèmes de sécurité. Et quand les gens voient l'auteur d'un méfait revenir sur les lieux narguer ses victimes, ils ne croient plus en la justice ni en la police. Faut-il pour autant renforcer la comparution immédiate, qui est un peu de la justice des pauvres : la défense est faible, les victimes n'apparaissent jamais, le juge doit trouver rapidement une sanction... Le juge décide souvent la mise en détention provisoire parce qu'il sait que la peine qui sera ensuite prononcée la couvrira. La détention provisoire devient une sorte de pré-peine, très bien comprise d'ailleurs par les concitoyens, qui ont le sentiment que la justice est passée. J'étais donc tenté de voter cet amendement, mais les arguments de Mme la Garde des Sceaux m'ont convaincu que nous devrions prendre le temps de la réflexion d'ici la deuxième lecture. Je m'abstiendrai donc.

M. André Gerin - Un tel débat paraît surréaliste. Certes, la comparution immédiate n'est pas la panacée. Mais il faut garantir à nos concitoyens le droit de vivre en sécurité, qu'il s'agisse de justice, de transport ou de santé. Il ne suffit pas de parler de la délinquance, il faut penser à tous ceux qui en souffrent dans leur vie quotidienne. Ne touchons pas à la comparution immédiate. Prenons le parti des victimes, et les moyens d'une justice exemplaire.

M. Arnaud Montebourg - Je connais la comparution immédiate pour y avoir fait mes débuts. On y est confronté à une extrême violence, à des situations de terrible misère, devant laquelle on ressent l'impuissance à aider. Mais la comparution immédiate est une nécessité. Je ne voterai donc pas l'amendement de M. Michel. En revanche, je proposerai pour la deuxième lecture que les seuils relatifs aux infractions relevant du juge d'instruction soient alignés sur ceux de la comparution immédiate. On a décidé un relèvement uniforme, est-ce un progrès, en tout cas le juge de la détention sera un facteur d'individualisation. Et je proposerai donc d'aligner les deux régimes vers le haut.

Mme Frédérique Bredin - Il me semble que se pose un problème d'égalité devant la loi. Comment peut-on prévoir des seuils de détention différents en fonction de l'aiguillage, décidé par le Parquet, vers la comparution immédiate ou vers l'instruction ? Le cas du flagrant délit est à mettre à part puisqu'il exclut la discussion sur la culpabilité, mais on ne peut admettre un double régime.

Mme la Rapporteur - Ce débat montre qu'il est prématuré de se prononcer sur cet amendement. Je pense aussi que nous devrons adopter les mêmes seuils pour les deux procédures.

L'amendement 255, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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