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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 80ème jour de séance, 206ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 30 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

MARIAGE, CONCUBINAGE ET LIENS DE SOLIDARITÉ -deuxième lecture- (suite) 1

    QUESTION PRÉALABLE 1

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 21

    FAIT PERSONNEL 25

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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REMPLACEMENT D'UN DÉPUTÉ DÉCÉDÉ

M. le Président - J'ai reçu, en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l'intérieur, en date du 30 mars 1999, m'informant du remplacement de Michel Crépeau, député de la première circonscription de la Charente-Maritime, décédé, par M. Maxime Bono.

La commission n'ayant pas achevé ses travaux, je vais suspendre la séance.

La séance est suspendue et reprise à 21 heures 10.


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MARIAGE, CONCUBINAGE ET LIENS DE SOLIDARITÉ -deuxième lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une question préalable déposée en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Dominique Dord - Avant de défendre cette question préalable, j'aimerais faire le point sur le déroulement de la procédure. Ce texte devrait faire l'objet d'un nouvel examen par le Sénat, puis d'une commission mixte paritaire, pour revenir ici et à nouveau au Sénat avant que l'Assemblée ne statue en dernière lecture.

Quelle est la meilleure manière d'utiliser ce délai ? On peut utiliser la procédure pour la procédure, considérant que nous aurons forcément juridiquement tort puisque nous sommes politiquement minoritaires. On peut aussi essayer de trouver un consensus, ce qui est souhaitable pour un texte qui vise à une réforme de l'organisation sociale.

Pour ma part je n'ai pas d'états d'âme : je vous reconnais, Madame la Garde des Sceaux, Monsieur le rapporteur, le mérite d'avoir initié ce débat et entraîné la représentation nationale dans l'examen de ces questions, dont je n'ai aucune gêne à reconnaître qu'elles sont légitimes et sérieuses.

Sur ces bases, sommes-nous capables de nous entendre, de nous écouter ? Nos débats ont déjà produit quelques fruits ; en première lecture, puis au Sénat, le texte s'est amélioré. Cela montre que notre travail en première lecture, que vous avez parfois qualifié d'obstruction, a malgré tout été utile. Toutefois, bien qu'ayant intégré de nouvelles données et tenu compte de certaines de nos remarques juridiques, vous restez arc-boutés sur le fond du projet. Je ne peux m'empêcher de penser que les seules raisons en sont politiques. Si l'on écartait la promesse que vous avez faite à un petit lobby -qui vient d'ailleurs de montrer qu'il représentait bien mal la population homosexuelle de notre pays- pour ne retenir que la volonté de régler les problèmes rencontrés par les personnes qui vivent ensemble hors du mariage, nous pourrions largement nous mettre d'accord. Si nous faisons cet effort de pragmatisme, je crois que vous pourriez réunir neuf Français sur dix, alors qu'à ce jour nous avons réussi à les opposer sur ce projet. Je suis convaincu que c'est encore possible, car l'amour que vous évoquiez, Madame le Garde des Sceaux, ne s'oppose pas à l'acquisition de droits nouveaux.

La première lecture m'a certes laissé un goût sinon amer, du moins mitigé, dont j'ai retrouvé à travers votre discours quelques traces. A des questions légitimes, à des convictions que heurtent certains aspects de la proposition, on a souvent répondu par la caricature, l'anathème, ou pis l'indifférence. Ce n'est pas défendable dans un débat qui touche à l'organisation de la société, et qui oppose des convictions également respectables. Je veux saluer à cet égard l'attitude d'écoute de notre rapporteur, qui n'a jamais caché ses objectifs ni fui ses responsabilités, et qui s'est toujours efforcé de convaincre plutôt que d'assener, ou de se plonger dans les délices de la lecture... (Sourires) Pour autant, qui peut prétendre qu'en première lecture nous avons été écoutés, quand on s'est efforcé de faire croire que nous étions hostiles à toute évolution du droit en parallèle à celle des moeurs ? Quand on a voulu faire croire que nous donnions des leçons de morale, sous prétexte que nous défendions un modèle de stabilité et de fécondité sociale ?

Qui peut prétendre que nous avons été écoutés et respectés, quand Mme la ministre a soutenu que le Pacs s'adressait à des millions de personnes ? On sait pourtant que, sur les cinq millions d'unions libres aujourd'hui recensées -je me demande d'ailleurs comment-, plus des neuf dixièmes sont provisoires et ne souhaitent aucune reconnaissance juridique. Qui peut prétendre que nous avons été écoutés, quand on nous a reproché de surfer démagogiquement sur les peurs de l'opinion ? De façon contradictoire, vous souteniez en même temps que la majorité de nos concitoyens était favorable au texte : il faudrait choisir. On ne peut pas non plus prétendre que nous avons été écoutés quand on a suggéré que nous avancions une vision arrogante et sûre d'elle-même de l'organisation sociale, dont les concubins seraient à jamais exclus -alors que par nos amendements nous proposions d'aller aussi loin que vous dans la suppression des injustices qui frappent les couples non mariés, et même parfois plus loin, comme sur les pensions de réversion. Il n'est pas acceptable de tenir d'emblée nos positions pour rétrogrades, quand nous redoutons simplement, de bonne foi, qu'un même statut proposé aux couples homosexuels ou hétérosexuels ne soit qu'une étape vers un objectif dont nous ne voulons pas, et vous non plus, Madame la ministre : l'adoption ou la procréation médicalement assistée. Je ne crois donc pas que toutes nos remarques ont été réellement entendues.

A ce stade, est-il possible, au moins une fois dans ce débat, de reconnaître qu'on peut être contre le Pacs, et cependant favorable à l'avancée de droits nouveaux ? Cet état d'esprit est le nôtre depuis le début, et je l'ai dit dans la discussion générale en première lecture ; mais on a feint de ne pas l'entendre. Quant au texte du Sénat, il n'est pas parfait, mais il a l'immense mérite d'accréditer cette position, qui est la nôtre : tenir qu'on peut donner des droits, résoudre des situations d'injustice, sans le Pacs. Le Sénat propose en effet une autre démarche juridique, par la définition du concubinage. On pourrait imaginer d'autres voies encore, pour résoudre les mêmes problèmes et mettre fin aux mêmes injustices ; mais par le constat, non par le contrat, par l'attestation, non par la consécration ; sans risque de fichiers ici ou là, sans démarche publique, et sans engagement de la société dans une formule dont vous-mêmes avez reconnu de fait, tant vous l'avez modifiée, qu'elle était mal ficelée. Formule qui, ne comportant aucun dispositif de sortie pour le partenaire qui sera laissé pour compte, ne saurait être tenue pour une avancée sociale.

La proposition du Sénat répond peut-être mieux que votre dispositif sur le concubinage aux aspirations des couples non mariés. En retenant l'une et l'autre dans leur intégralité, vous auriez risqué de vider le Pacs de tout son intérêt pour les concubins, quel que soit leur sexe. Je ne crois pas en effet qu'ils attendent d'abord une reconnaissance sociale, mais qu'on mette fin à certaines injustices dont ils sont victimes, et qu'on leur donne certains droits -ce qui d'ailleurs concrétiserait de fait la reconnaissance sociale. Si vous aviez maintenu intégralement les deux dispositifs, alors que celui du Sénat, en offrant les mêmes droits ou presque, ne comporte ni contrat ni fichier, je crois qu'il ne serait pas resté grand-chose du Pacs dans la pratique... Mais bien sûr vous avez largement dépecé la proposition du Sénat, et même tenté, ce qui n'était pas nécessaire, de la caricaturer. Contrairement à ce que vous dites, il y a une véritable concurrence entre les différents dispositifs qu'on peut imaginer. Et à vous entendre, Madame la ministre, batailler au Sénat ou dans la presse sur les avantages comparés du Pacs et du dispositif sénatorial, j'ai cru parfois réentendre nos propres propos, quand nous défendions en première lecture les avantages du mariage par rapport au Pacs !

Lorsque vous nous disiez, Madame la Garde des Sceaux, que le Pacs permet une meilleure sécurisation des relations de couple, et offre plus de stabilité sociale, je croyais entendre ce que nous disions en première lecture, mais à propos du mariage. Vous nous répondiez alors qu'il n'y avait pas de concurrence entre les deux. Je persiste à penser qu'il y en a une, forcément, et que nous devrions essayer de renforcer ce qui existe plutôt que d'inventer de nouveaux mécanismes... En tout cas, il ne suffit pas de répéter, Madame la Garde des Sceaux, que le Pacs n'a rien à voir avec le mariage et le droit de la famille pour que cela devienne vrai. Ils ont forcément un rapport puisque vous inscrivez le Pacs dans le code civil !

Une autre faiblesse de la formule en faveur de laquelle vous optez, c'est qu'elle écarte une forme de solidarité pour laquelle cette majorité s'est pourtant battue dans un premier temps, je veux parler de celle qui lie les fratries. J'ai bien entendu que vous vous proposiez d'y revenir dans une réforme du droit de la famille, mais cette promesse sans contenu précis ni calendrier ne vous engage pas beaucoup.

Surtout je ne vois pas comment, à partir du moment où vous proposez un même statut pour des relations hétéro ou homosexuelles, vous pourriez ensuite faire des discriminations. Et cela pose donc bien le problème du droit des couples homosexuels à l'adoption ou à la procréation médicalement assistée...

M. Yann Galut - C'est une obsession !

M. Dominique Dord - Peut-être, mais répondez-y clairement ne serait-ce qu'une fois ! Comment un même contrat pourrait-il induire des droits différents pour les uns et les autres ? Souffrez donc que nous nous inquiétions !

Vous nous accusez à ce sujet de nourrir des fantasme ou des peurs, mais enfin le lobby dont j'ai parlé tout à l'heure prétend lui-même que le Pacs n'est qu'une étape...

M. Jacques Floch - Un homosexuel a déjà le droit d'adopter !

M. Dominique Dord - Et, en première lecture, M. Jean-Pierre Michel a dit qu'il ne voyait pas pourquoi des parents ne pourraient pas être de même sexe.

Quoi qu'il en soit, la Cour de justice européenne n'accepterait pas qu'un même statut soit ensuite le support de discriminations. Il y a aussi pour justifier nos craintes l'exemple de plusieurs pays étrangers.

Nous souhaitons, nous aussi, corriger les injustices les plus flagrantes et faire avancer le droit, mais sans pour autant fragiliser davantage l'édifice social ni créer, à côté du mariage et de l'union libre, une sorte de troisième classe.

Nous pourrions donc nous rassembler sur un certain nombre de points. Ainsi, tout le monde reconnaît, je crois, certaines difficultés que peuvent rencontrer dans leur vie quotidienne les couples qui vivent leur amour hors les liens du mariage. Nous devrions aussi être d'accord pour mieux prendre en compte la solidarité entre personnes, qu'elles aient une relation sexuelle ou pas. Cela ne devrait pas gêner les membres de la majorité, puisqu'ils l'ont accepté en première lecture. Enfin, nous sommes a priori tous d'accord pour éviter toute confusion avec le statut de la famille.

Partant de cette plate-forme commune, nous pensons qu'il faut procéder texte par texte plutôt que par une seule modification du code civil. D'ailleurs, nous pensons qu'en l'occurrence il ne faut pas toucher du tout au code civil, ni au bulldozer ni "d'une main tremblante". Il ne faut ni statut nouveau ni nouvelle définition juridique, mais simplement reconnaître une situation de fait, la vie commune durable et notoire -ou, si l'on préfère, la communauté de vie, de toit- et y rattacher de nouveaux droits. Nous éviterions ainsi les écueils que j'ai mentionnés tout à l'heure, nous pourrions prendre en compte les fratries et marquer une différence de nature avec l'institution du mariage.

Faudrait-il définir des critères de durée ? Sans doute, et peut-être variables selon les droits en découlant. Des critères de notoriété ? Peut-être. Faudrait-il une attestation, un certificat ou un constat ? Passer devant le notaire, devant le maire ou devant un tribunal ? Je ne sais mais ces questions sont secondaires. En toute hypothèse, il nous faudrait définir des garde-fous et veiller à limiter les risques de contentieux. L'important est que cette base juridique de la vie commune durable et notoire nous permettrait de mettre un terme à trois grandes catégories d'injustices. Celles qui ont trait au logement, d'abord. Nous y sommes en effet tous sensibles.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Pas le Sénat !

M. Dominique Dord - Je crois que, sur tous ces bancs, nous serions d'accord pour reconnaître au compagnon ou à la compagne un droit de suite après le départ du signataire du bail.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Chiche !

M. Dominique Dord - ...en veillant cependant à respecter les droits du propriétaire, à commencer par celui d'être informé du changement.

Ensuite, celles qui ont trait à la succession. Il est choquant qu'après des années de vie commune, le survivant soit considéré par l'administration comme une personne étrangère au défunt. Il nous paraît normal d'accorder des taux réduits ou des abattements sur les droits de succession. Là aussi un large consensus est possible. Nous pourrions d'ailleurs en profiter pour remettre à plat une partie de notre régime fiscal applicable aux successions, qui est confiscatoire.

Enfin, un consensus pourrait également conduire à reconnaître la qualité d'ayant droit à toute personne qui vit avec un assuré social, d'autant que la couverture maladie universelle devrait régler l'essentiel du problème.

Il est une deuxième série de droits que vous voulez introduire pour pallier ce que vous considérez comme des injustices par rapport à la situation des couples mariés, en particulier la déclaration commune d'imposition. Personnellement, je considère qu'elle se justifie par la volonté de deux personnes de vivre ensemble dans une solidarité réciproque. Mieux vaut du reste pour la société que deux personnes vivent ensemble plutôt que seules.

Mme la Présidente de la commission - C'est tout le sens du projet !

M. Dominique Dord - Je l'ai donc bien compris. La possibilité d'une déclaration d'imposition commune ne me choque donc pas. Dans le domaine du droit du travail, s'agissant par exemple du rapprochement de conjoints, là non plus la différence n'est pas bien grande entre nous, bien que ce genre de mesure soit très difficile à appliquer.

Enfin, vous envisagez une troisième catégorie de droits sur lesquels nous ne vous suivons pas, et qui ont trait à la possibilité de régulariser par le biais du Pacs le séjour des étrangers en situation irrégulière et d'acquérir la nationalité française. Nous ne souhaitons pas que le Pacs devienne un outil de régularisation. Nous avons déjà assez de difficulté avec les mariages blancs.

Dès la première lecture, nous avons dessiné les contours de la position que je viens d'exposer, et qui pourrait nous réunir assez largement. Pour autant, je ne suis pas naïf. Je sais que vous souhaitez aller au-delà, même si je ne comprends toujours pas pourquoi. Pour nous, et c'est le sens de notre question préalable, il n'y a pas lieu de délibérer sur ce texte.

Nous n'avons pas moins que vous l'envie sincère de régler les situations qui donnent lieu à des injustices. Mais acceptez de considérer que l'on puisse procéder autrement, en recourant à une formule qui recueille l'accord des Français plutôt que de les diviser. Acceptez de considérer que l'on puisse être moderne sans siéger pour autant sur vos bancs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vous rends hommage pour avoir utilisé le ton du dialogue, et n'avoir parlé que quarante minutes. Pour le reste, je demeure perplexe. Vous avez fait, pour commencer, allusion à un lobby. Ne soyez pas obsédés ! Vous pensiez, j'imagine, à un lobby homosexuel, M. Mariani a parlé récemment du lobby des juges d'instruction. Ici, vous êtes tous la représentation nationale. Il n'y a pas de lobby qui tienne ! Alors libérez-vous, soyez vous-mêmes ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez des convictions, nous en avons aussi ! Ne nous abritons pas derrière des lobbies qui driveraient des fractions de l'Assemblée nationale !

Vous me dites : "Vous vous êtes essayée à quelque chose !" J'ai déjà entendu cela au Sénat, de la part de M. Larché : "Madame le ministre" -j'aurais préféré Madame la ministre, mais ce n'est pas grave - "vous n'êtes pas convaincue parce que vous défendez !" "Qu'est-ce qui vous permet de dire une chose pareille ?" lui ai-je répondu. Je suis une femme libre, je défends des textes auxquels je crois, et je crois au Pacs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Lellouche - Vive la ministre libre !

Mme la Garde des Sceaux - Tout cela, c'est encore un pétard mouillé !

Vous me dites aussi que vous n'aviez pas été écouté.

M. Dominique Dord - Entendu !

Mme la Garde des Sceaux - Entendu ! Il y a une nuance. On peut tout entendre et donner l'impression de ne pas écouter. On peut écouter et ne pas entendre. On peut regarder et ne pas écouter. On peut écouter et ne pas regarder.

M. Pierre Lellouche - Elle est très en forme.

Mme la Garde des Sceaux - Je me sens assez libre de ces comportements variés selon l'heure, selon l'humeur, selon la fantaisie, selon l'idée que l'on se fait de l'intérêt du discours.

Je vous ai écouté, regardé et entendu.

M. Patrick Devedjian - Et ému !

Mme la Garde des Sceaux - Je n'ose vous contredire !

En première lecture, les débats ont duré près de 70 heures.

M. Yves Fromion - Deux semaines à 35 heures !

Mme la Garde des Sceaux - Les deux tiers de ce temps ont été utilisés par l'opposition.

M. Pierre Lellouche - C'est normal !

Mme la Garde des Sceaux - Utilisés comment ? Je vous renvoie aux amendements qui ont été défendus. Pour certains, quelle tristesse ! Pour d'autres, 70 heures, franchement...

M. Patrick Devedjian - Dites-nous donc ce que doit être l'opposition !

Mme la Garde des Sceaux - Je me borne à un constat (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Je ne vois pas, au total, que répondre sur le fond (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Fromion - Quel aveu !

Mme la Garde des Sceaux - Vous défendez la question préalable tendant à faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Or toutes vos propositions montraient le contraire. Alors décidez-vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois - Monsieur Dord, je vous ai écouté, même si je ne vous ai pas totalement entendu. Nous sommes d'accord sur le fond. Nous pensons qu'il faut régler les questions qui se posent aux couples non-mariés, qu'il faut prendre le plus possible en compte les solidarités qui s'exercent dans la vie autour de nous. Nous sommes d'accord pour éviter toute interférence entre ce que nous essayons de faire et le statut de la famille. Il n'y a pas de désaccord entre vous et nous. Peut-être ne partage-t-on pas partout sur vos bancs un point de vue aussi libéral que le vôtre. Sur les droits nouveaux que nous offrons à ces couples, vous vous déclarez là aussi d'accord sur l'essentiel, à l'exception du problème des étrangers. Ce qui fait donc débat entre nous, c'est la forme juridique à donner à la solution. Ce n'est pas l'essentiel, et je me dis : "Quel chemin parcouru depuis le 9 octobre !" et pourtant l'Assemblée n'est pas à Damas (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Je m'en félicite, moi qui ne manie ni l'obstruction ni l'anathème, Mme Boutin le sait bien...

Mme Christine Boutin - C'est vrai !

M. le Rapporteur - Moi qui écoute ce que vous dites, même quand vous le dites de façon parfois un peu répétitive, plaisante ou exagérée. Nous avons essayé, entre les deux lectures et au vu de la discussion au Sénat, d'améliorer le texte.

Mais entre vos propos et la façon dont se déroule le débat, il y a un hiatus dont j'espère qu'il sera rapidement comblé. Ce travail que vous nous proposez, c'est en commission qu'il faut le faire. Or en commission, vous ne nous avez pas facilité les choses en déposant une multitude d'amendements -500 cette fois. Certains sont intéressants, et j'y ai répondu longuement en première lecture. Beaucoup sont de pure obstruction. Vous-même, Monsieur Dord, en avez signé toute une série que j'ai fait repousser, trop rapidement peut-être. Nous sommes donc d'accord sur tout sauf...

Mme Christine Boutin - Sauf sur l'essentiel !

M. le Rapporteur - Nous le sommes sur le diagnostic, pas sur les remèdes. Cela arrive aussi aux médecins (Sourires). J'espère qu'au cours du débat nous pourrons aller vite sur des amendements qui n'apportent rien pour nous concentrer sur ceux qui sont intéressants et progresser. Je crois à la navette parlementaire, je suis partisan du bicamérisme, je veux améliorer le texte. A l'issue de toutes les lectures, peut-être ne nous satisfera-t-il pas, car nous conserverons le Pacs. Mais peut-être aurons nous fait des progrès sur un problème de société important. Pour l'instant, au nom de la commission, je demande le rejet de la question préalable afin de mener un débat serein et constructif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous passons aux explications de vote.

M. Patrick Delnatte - En première lecture le débat, mal préparé, a été escamoté et nous avons perçu les limites de la procédure lorsqu'il s'agit d'un grand débat de société. Le Sénat pour sa part a longuement consulté des spécialistes et des représentants de tous les courants de pensée.

Il a relevé les imperfections et les erreurs contenues dans ce texte et mis au point une loi pragmatique rappelant la place et le fondement du mariage dans notre société.

Les sénateurs ont constaté une situation de fait, l'existence du concubinage tant hétérosexuel qu'homosexuel, tout en assurant la protection juridique des personnes.

Ils ont éliminé les discriminations dont peuvent souffrir des homosexuels mais également garanti leurs droits sociaux au quotidien.

Ils ont pris en compte les légitimes solidarités qui existent entre frères et soeurs.

La solution, ils l'ont trouvée sans imposer un nouveau modèle social, à l'image du Pacs.

C'est la même méthode qu'a proposée Dominique Dord en défendant la question préalable.

Mais la majorité et le Gouvernement veulent en revenir au texte initial, sans prendre en considération les acquis du Sénat. Ce faisant, vous brouillez encore plus les repères. Malgré toutes vos déclarations, vous continuez à obéir à un réflexe purement idéologique qui privilégie l'absolu individuel.

Nous mesurons tous les jours les dangers de l'idéologie libertaire et individualiste qui aggrave les fractures sociales et pousse à l'égocentrisme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

En revenir au Pacs, c'est reprendre des aberrations juridiques largement dénoncées.

On ne peut qu'être déçu que la chancellerie n'ait pas joué un rôle plus positif dans l'élaboration de ce texte, y compris avant sa seconde lecture. Nous avons le sentiment que le Garde des Sceaux a cédé le pas à la militante.

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Et alors ?

M. Patrick Delnatte - Le Pacs accumule les incertitudes. Rien ne sert de faire des lois, si cela revient à laisser la jurisprudence décider.

Plus fondamentalement, le Pacs reste bien un sous-mariage. Il génère des droits en contrepartie d'obligations minimes.

L'institution du mariage civil a pour fonctions essentielles d'assurer la protection du plus faible, la création d'un lien social et la pérennité de la société.

L'individu peut prendre la responsabilité de choisir d'autres types d'union. Mais leur attribuer les mêmes droits, sans les mêmes devoirs, c'est vider le mariage de sa finalité et faire de la famille une réalité aléatoire.

Pour la très grande majorité des Français, le mariage demeure la structure la plus protectrice du couple et des enfants.

M. Yann Galut - Alors ils le choisiront.

M. Patrick Delnatte - A l'heure où l'on cherche à responsabiliser les familles, il importe de renforcer le mariage. Le Gouvernement et sa majorité font exactement l'inverse. Il y a d'autres urgences sociales.

Le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Véronique Neiertz - J'ai écouté M. Dord avec beaucoup d'intérêt (Exclamations dubitatives sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) Ce débat a lieu d'être, et je ne comprends pas votre détournement de procédure. Vous déposez une question préalable, signifiant qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Mais toute votre intervention montre le contraire et nous appelle à un débat pragmatique.

Autre contradiction, vous ne voulez pas débattre et vous déposez l'autre fois mille, cette fois cinq cents amendements. Entre question préalable et amendements, il faut choisir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Yves Nicolin - Comme si vous n'aviez jamais fait cela !

Mme Véronique Neiertz - Mais ce débat auquel vous nous invitez est une caricature de débat.

En première lecture nous avons discuté en commission d'amendements relevant de l'intégrisme, de l'homophobie, du juridisme et de l'esprit procédurier.

Nous allons débattre en deuxième lecture d'amendements où la dérision le dispute à l'absurde. Cette obstruction déconsidère l'opposition, mais aussi toute l'Assemblée, je le regrette (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Christine Boutin - Pas vous, Madame !

Mme Véronique Neiertz - Je remercie nos collègues du Sénat. Ils n'ont pas déposé de motion de procédure, reconnaissant qu'il y avait lieu à débattre. Le fait qu'ils aient supprimé le Pacs, après avoir voté contre la parité, nous prouve que nous avons totalement raison de vouloir le rétablir. Je les remercie également de nous permettre d'étendre aux concubins, quel que soit leur sexe, le dispositif du Pacs. Nous faisons ainsi une oeuvre législative cohérente et qui est une première républicaine, en dissociant totalement le droit du couple du droit de la famille, et c'est ce que vous refusez toujours ! (Interruptions sur les bancs du groupe DL)

Cette cohérence est une première républicaine (Rires sur les bancs du groupe du RPR) dont nous sommes fiers, face à vos contradictions et à vos divisions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

M. le Président - La parole est à Mme Boutin ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mme Christine Boutin - Au nom du groupe UDF, je tiens à souligner le ton modéré de Dominique Dord qui a aussi, de façon constructive, proposé des aménagements en ce qui concerne la fiscalité, les baux, le droit du travail, mais dit clairement qu'il ne souhaitait pas que le Pacs permette d'acquérir la nationalité et favorise le développement de l'immigration clandestine (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Cette motion de procédure est particulièrement bienvenue.

En ce qui concerne le travail du Sénat, on peut le voir autrement que vous. Nos collègues n'étaient pas sur le chemin de Damas. En proposant autre chose, ils ont simplement voulu dénoncer un monstre juridique. Pour notre part, mais dans la même logique, nous considérons qu'il n'y a pas lieu de statuer. C'est bien ce que pense aussi Mme la ministre quand elle déclare ne savoir que dire sur l'excellente démonstration de M. Dord.

Je dirai à Jean-Pierre Michel, avec lequel j'ai toujours eu d'excellentes relations de respect mutuel, que si l'opposition a déposé 600 amendements c'est non seulement pour user de son droit le plus strict mais aussi parce qu'elle estime qu'un certain nombre de clarifications et de précisions doivent encore être apportées, ne serait-ce que pour que vous nous expliquiez comment il sera juridiquement possible d'être à la fois pacsé et célibataire.

Il n'y a aucune contradiction à défendre cette question préalable dont nous savons que sauf accident comme le 9 octobre, elle ne sera pas adoptée, et à déposer des amendements qui doivent l'être avant la fin de la discussion générale, en application du Règlement.

Le groupe UDF votera cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - J'ai du mal à prendre au sérieux l'idée que l'opposition repousserait ce texte pour des raisons de confusion juridique.

M. Richard Cazenave - Bien sûr que si !

Mme Muguette Jacquaint - Tout simplement, vous êtes contre le Pacs.

M. Yves Nicolin - Parce que c'est un monstre juridique !

Mme Muguette Jacquaint - Vous refusez que des droits soient donnés...

M. Dominique Dord - Rien ne vous permet de dire ça !

Mme Muguette Jacquaint - ...aux couples homosexuels comme hétérosexuels (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Reconnaissez-le au lieu d'user de prétextes ! Il n'y a aucune confusion : vous y voyez très clair dans ce texte et c'est bien pourquoi vous vous y opposez.

M. Pierre Lellouche - C'est vous qui nous donnez des leçons de tolérance ?

M. Richard Cazenave - Ils ont oublié Staline !

Mme Muguette Jacquaint - Nous avons déjà eu 70 heures de débat, nous avons examiné des milliers d'amendements, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, que celui qui ne veut pas comprendre !

L'ensemble de la majorité a compris ce texte, moi je suis pour ! La grande majorité de nos concitoyens attend qu'il soit voté.

M. Yves Fromion - Ils trépignent d'impatience...

Mme Muguette Jacquaint - C'est pourquoi nous voterons contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Claude Goasguen - Cette question préalable se justifie d'abord par des raisons de forme. Ce texte a une histoire singulière : la proposition d'origine a fait l'objet d'un certain nombre de consultations qui, le rapporteur l'a reconnu et je lui en donne acte, n'ont sans doute pas été suffisantes et il a fallu, il l'a aussi reconnu, attendre la première lecture pour qu'apparaissent des imperfections juridiques, qui pouvaient avoir de graves conséquences pour le droit des personnes. Hélas, toutes ces imperfections n'ont pas disparu et vous semblez découvrir les problèmes d'indivision, de tutelle, de curatelle, que nous avions soulevés en première lecture et que vous aviez alors jugés accessoires. Après avoir consulté d'éminents professeurs de droit, il vous est apparu que des dispositions techniques étaient peut-être nécessaires. Très bien, mais vous auriez pu vous en rendre compte avant...

Les imperfections sont nombreuses. Or ce texte n'est pas anodin puisqu'il porte sur le droit des personnes. En outre les textes relatifs aux questions de société sont quasi irréversibles, il aurait donc fallu nous mettre d'accord sur un acte aussi important pour l'avenir.

J'en viens donc aux motivations de fond de cette motion de procédure. Certes, le mariage souffre d'une relative désaffection et de moins en moins d'enfants sont conçus en son sein. Certes aussi, le problème de l'homosexualité est très important dans notre société.

Mme Yvette Benayoun-Nakache et M. Patrick Braouezec - Où est le problème ?

M. Claude Goasguen - Il est juridique, sinon vous n'auriez pas fait le Pacs...

Cette question, on aurait pu la traiter différemment. Nous avons fait des propositions, le Sénat en a fait d'autres. Mais pourquoi vous êtes-vous engagé dans la voie de l'institutionnalisation d'une situation fondée sur la précarité, à laquelle vous ajoutez en outre en deuxième lecture, une autre précarité, celle du concubinage ? Ce n'est pas de bonne méthode en droit social et en droit des personnes, d'autant que notre société souffre de l'incertitude juridique en ces domaines.

Mieux aurait valu examiner de plus près l'institution du mariage, qui ne doit pas être conservée comme monument aussi vétuste qu'intangible, et faire évoluer le reste à partir de là. Ce débat, vous ne l'avez pas voulu, vous avez préféré ajouter une nouvelle institution. Vous n'avez donc pas répondu à la question sociale du moment. Pour toutes ces raisons, nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Guy Hascoët - Trois argumentaires étaient possibles pour l'opposition ; votre erreur tactique est de ne pas vous être mis d'accord pour vous en tenir à un.

Selon un premier, le mariage est la seule façon pour les gens de vivre ensemble. Cela ne correspond pas à l'évolution de la société, mais cela permet de présenter le Pacs comme un danger pour les familles.

Selon le deuxième, heureusement minoritaire, le Pacs doit être combattu pour sa valeur symbolique, et en relation avec une communauté.

Un député DL - C'est un procès d'intention !

M. Guy Hascoët - Dois-je rappeler ce qu'a dit M. Dord à propos des services vétérinaires ? (Protestations sur les bancs du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

Troisième option : notre assemblée, décidément bien médiocre, serait incapable de trouver une solution. En fait, ce que vous refusez fondamentalement, c'est que l'on adopte un statut, qu'on le reconnaisse. M. Goasguen vient de nous reprocher de viser des situations de précarité. Mais il y a bel et bien des faits, des situations dramatiquement précaires, et qui ne peuvent entrer dans la norme. Vous avez une vision normative de ce que devrait être la société. Nous la prenons dans sa diversité, que nous voulons intégrer dans ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Nous voilà à la deuxième lecture d'un texte qui a suscité tant de polémiques, après les modifications du Sénat qui a tout simplement substitué au Pacs une définition frileuse du concubinage. Le Pacs veut reconnaître une autre forme d'association entre deux personnes, de sexe différent ou non. Le Sénat, sous couvert d'une extension du concubinage qui serait une alternative, ne montre que sa capacité à vider un projet généreux de son contenu.

On aurait pu imaginer qu'il soit à l'origine d'un projet de société visionnaire, accompagnant de façon intelligente l'évolution de la société !

M. Yves Fromion - Heureusement que vous êtes là !

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Mais il ne faut attendre de la droite sénatoriale qu'un frein à des projets comme la parité ou le Pacs.

La définition du concubinage par le Sénat ne fait pas mention de la sexualité, n'impose pas d'acte prouvant le concubinage, n'étend pas le bénéfice de l'imposition commune. Elle ne prévoit qu'un abattement fiscal pour quiconque hébergerait une personne aux revenus inférieurs au RMI. L'imposition commune des partenaires du Pacs est un des fondements du projet ! Et puis, définir le concubinage en faisant l'impasse sur son caractère sexuel et la notion de couple... A l'aube de l'an 2000, il y a des choses dont on peut parler publiquement !

Nous proposerons d'introduire la notion de contrat, acte positif qui distingue le Pacs du concubinage, union de fait, que nous souhaitons d'ailleurs redéfinir dans le code civil en en mentionnant le caractère hétéro ou homosexuel. Nous en profitons pour apporter certaines améliorations comme la suppression du délai de deux ans nécessaire au bénéfice des abattements fiscaux en matière de succession.

Cinq millions de nos concitoyens sont concernés par le Pacs. Le mariage n'est plus une norme, mais un choix, et le Pacs en consacre une alternative. Il est un engagement contractuel, formalisé par une signature, que le concubinage, même avec des droits étendus, ne saurait remplacer. Il est un texte essentiel de cette législature, une étape importante du progrès de la société. Des associations, des individus attendent le Pacs. Tâchons de ne pas les décevoir une deuxième fois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Maurice Leroy - Le Premier ministre l'avait promis, vous-même, Madame la ministre, l'aviez annoncé, une réforme de la politique familiale devait être menée. Des rapports ont été commandés, dont un à Mme Irène Théry, qui se réclame de la gauche, intitulé Couple, filiation et parenté aujourd'hui. Le droit face aux mutations de la vie privée. Certes, ces questions méritent un débat de fond. Le droit de la famille a parfois un siècle de retard : en matière successorale, il date de 1804 ! Comme l'a remarquablement dit ici Patrick Devedjian, le droit fiscal et social est souvent dissuasif : des retraités ne se marient pas pour ne pas perdre leur pension de réversion ; des conjoints survivants sont dépouillés parce qu'ils ne bénéficient que d'un usufruit sur le quart de la succession. Ces gens-là aussi attendent une vraie réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Et vous refusez d'entendre et de résoudre leurs problèmes. La vraie laïcité imposerait que la fiscalité soit neutre pour les couples, car enfin, on ne peut pas réglementer tous les rapports sociaux ! La vraie réforme serait la modernisation tant du mariage que du divorce. Certes, il faut tenir compte des problèmes qui visent les couples homosexuels. Mais doit-on établir un modèle communautaire pour des pratiques relevant de la vie privée ? Les homosexuels en France n'ont jamais constitué une communauté, et beaucoup ne le souhaitent pas. Ce serait d'ailleurs contraire à ce qui fonde les valeurs de notre République et qui n'est pas, Madame Neiertz, le modèle communautaire anglo-saxon ! Vous nous parlez de l'évolution des moeurs et de la situation des concubins hétérosexuels pour justifier les versions successives et contradictoires du Pacs, qui n'a plus rien à voir avec les revendications de départ des homosexuels.

A la différence du président Giscard d'Estaing ou des ministres Simone Veil et Jean Lecanuet, qui ont sur mener des réformes difficiles sur le divorce ou l'interruption volontaire de grossesse, vous n'avez à aucun moment engagé un dialogue avec l'opposition. Vous avez voulu mener une telle réforme à la sauvette. Au lieu d'un travail de réflexion sérieux sur la sexualité, le couple, l'amour, la procréation et la famille, vous nous avez imposé le CUC, le CUS, le CUCS, le PIC et enfin les PACS 1, 2 et 3 !

La gauche a beaucoup critiqué le Sénat. Mais où en seriez-vous si le Sénat avait adopté conforme le texte de l'Assemblée ?

Un député RPR - Le risque était modéré !

M. Maurice Leroy - S'il n'avait pas fait un travail de fond, s'il avait dit "chiche", de quoi auriez-vous l'air devant le Conseil constitutionnel, vous qui avez été contraint à retirer les dispositions sur les fratries ?

Votre texte, à force de vouloir satisfaire tout le monde sans mécontenter personne, risque d'aboutir à l'inverse. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mme Théry, qui déclare encore que le Pacs ne tranche aucune question mais qu'à force de compromis, il est devenu une sorte d'objet juridique non identifiable.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Elle est ravie du texte actuel.

M. Maurice Leroy - Le groupe UDF s'oppose résolument au Pacs, qui prévoit des droits sans devoirs. En effet, nous avons tenté d'améliorer le texte par nos amendements. Et qu'on ne feigne pas de découvrir à ce propos le rôle de l'opposition ! Ce rôle consiste d'abord à défendre des positions de principe, mais ensuite à proposer des amendements de repli : c'est le b-a-ba du travail parlementaire. Mais chaque fois nous étions coincés, et le dispositif se révélait inamendable ! En effet, pour l'améliorer, il aurait fallu le rapprocher du mariage, ce qui en aurait fait un sous-mariage. Et c'est l'argument même sur lequel Mme la ministre fondait son opposition à nos amendements. Parlions-nous des enfants ? Cela n'a rien à voir, nous disait-on, c'est un autre débat. A chacun de nos arguments, on nous renvoyait à un autre débat. De grâce, qu'il vienne vite, cet autre débat, pour qu'on puisse enfin discuter des questions de fond !

C'est pourquoi, avec l'ensemble de l'opposition, nous voterons résolument contre ce texte. Vous le voterez, certes, puisque vous êtes la majorité. Mais, je vous le dis très tranquillement, je prends date. Le Journal officiel est une chose sympathique. Quand apparaîtront les difficultés et les contentieux que produira inévitablement votre loi, nous rappellerons les propos des uns et des autres. Car le Pacs sera inapplicable, et sera source d'un contentieux insurmontable.

Il restera à avoir un vrai débat de fond : celui qui permettra à la représentation nationale de se saisir de la politique familiale. Les députés UDF ne confondent pas le respect de la vie privée, donc de la liberté sexuelle de chacun, au nom de l'égalité des droits -et celui de l'égalité entre des couples qui ne remplissent pas la même fonction sociale. Ils ont à coeur de relever les défis du siècle nouveau : celui de l'enfance et de l'éducation, celui du troisième âge et de la dépendance, celui de l'exclusion et de la pauvreté -dans un esprit humaniste (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Guy Hascoët - Nous défendrons peu d'amendements dans cette deuxième lecture. Sur ceux que nous avons défendus en première lecture, il y a eu une sorte de renoncement. Il est lié à une pratique nouvelle : quand une loi progressiste dérange certains, ils annoncent qu'ils ne l'appliqueront pas. Je ne reviens pas sur la loi de 1974 et les difficultés qu'elle rencontre encore ici ou là, face à des actions illégales que soutiennent parfois d'anciens ministres. Ici nous avons eu une levée de boucliers de la part de maires qui ont annoncé qu'ils n'appliqueraient pas la loi (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Maurice Leroy - Et vous, sur les sans-papiers ?

M. Yves Fromion - La main dans le sac !

M. Guy Hascoët - Pour ma part je m'inscris dans l'application des textes. Mais je constate qu'on évoque souvent ici l'importance du renouveau citoyen, du rôle des parents, du respect de la loi, des droits et des devoirs, de la République. Or ceux qui seront concernés par le Pacs ne trouveront pas ce services dans les lieux, répartis sur tous le territoire, où la République est présente, j'entends les mairies. On a inventé un dispositif compliqué, loin des gens, mal réparti sur le territoire, au prétexte que des maires ne voulaient pas l'appliquer.

Un deuxième point essentiel concerne les délais. Quand on vote un texte qui accorde des droits nouveaux, faut-il considérer d'emblée que leurs bénéficiaires vont en faire un usage malhonnête ? Pourquoi cette suspicion a priori ? Elle pourrait s'appliquer aussi bien à toute une série d'autres droits et d'autres textes. Je ne comprends pas, ou je comprends trop bien, pourquoi elle s'applique ici.

Enfin, vous serez peut-être surpris de voir apparaître une catégorie imprévue d'usagers du Pacs : les couples recomposés dans un âge avancé de la vie, qui n'auront pas forcément envie de s'engager à nouveau dans l'institution du mariage, mais souhaiteront une protection face aux aléas de l'existence. Vous serez peut-être surpris, Monsieur Leroy, de voir que beaucoup d'usagers du Pacs ne seront pas ceux auxquels vous pensiez.

M. Jean-François Mattei - Le présent texte reprend, à quelques détails près, la philosophie du texte initial. Il n'a pas fondamentalement changé ; notre opinion à son sujet non plus. Aussi ne reprendrai-je pas l'ensemble de l'argumentation que j'ai développée le 9 octobre. Je veux simplement exprimer un regret, confirmer un désaccord et proposer une réflexion.

Un regret tout d'abord. Face à un réel problème, le Gouvernement a sous-estimé la portée des enjeux et la profondeur des clivages, et ne s'est pas engagé comme il l'aurait dû. Toujours en retrait jusqu'à la première lecture, il a laissé un texte incertain errer d'une solution à l'autre. J'y vois la raison de l'insuffisante mobilisation initiale de la majorité. Le débat a d'abord tourné court, contre toute logique politique. Après ce faux pas, deuxième erreur : au lieu de reprendre la concertation et la réflexion sur de nouvelles bases, vous avez présenté trop vite un texte trop semblable au premier. Sur un tel sujet, le passage en force n'est pas la bonne méthode. Le débat a perdu en sérénité ; d'enjeu de société, il est devenu un enjeu politique.

Or, vous n'avez jamais cherché le compromis, pour chercher une réponse à un problème que personne ne saurait nier. Nous savons bien que notre société a évolué, et que de nouveaux modes de vie commune sont apparus, en dehors du mariage. Nous savons bien que cinq millions de Français vivent en union libre et que 40 % des enfants naissent hors mariage. Nous savons également que les personnes homosexuelles vivent de plus en plus publiquement leur différence. Mais nous pensons que ces deux phénomènes n'ont pas de lien, qu'ils relèvent de mécaniques totalement différentes, et qu'il est fallacieux d'en faire l'objet d'un même dispositif législatif. Dès la première lecture, nous avons reconnu les problèmes concrets, parfois dramatiques, qui se posaient aux couples homosexuels. Nous étions prêts à en débattre de façon pragmatique et réaliste. C'était le sens de ma première intervention.

Je regrette donc que vous n'ayez pas porté ce texte de la meilleure façon. Depuis dix ans que je siège dans cette assemblée, j'ai déjà vécu plusieurs grands débats de société. A l'unique exception de celui-ci, tous ont d'abord été étudiés par une mission commune d'information, ce qui permettait à tous les parlementaires, sous la présidence de l'un d'eux et avec un rapporteur, d'auditionner, de prendre la température de l'opinion, de voir quels avis pourraient éventuellement se rapprocher. J'ai notamment vu, dans les débats sur la bioéthique, des points de vue très opposés se rapprocher peu à peu. Après la mission d'information, était constituée une commission spéciale, ce qui permettait un travail commun des membres de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles, mais aussi des autres. Pourquoi un commissaire de la défense, des affaires étrangères ou de la production ne serait-il pas impliqué dans ces sujets ? Or cette fois ces parlementaires ont été écartés, ce qui, sur un tel sujet, n'est pas convenable. Tel est mon regret ; car si, selon les règles de la démocratie, l'opposition a politiquement tort au moment du vote, je reste convaincu qu'elle a juridiquement raison face à un texte qui manque de logique et de cohérence (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Ce qui me conduit à confirmer nos désaccords. Le Pacs ressemble à l'histoire d'un rendez-vous manqué. A chaque étape de l'élaboration du projet, entre deux solutions, vous avez toujours choisi la plus problématique. De la sorte nous avons aujourd'hui un dispositif à trois étages. Le mariage, qui demeure la seule institution réservée à deux personnes de sexe différent. Le concubinage, dont l'existence sera désormais authentifiée dans le code civil. Enfin le Pacs, qui apparaît comme une union libre désormais contractualisée. Inscrit à la fin du livre I du code civil traitant des personnes, ce pacte n'est pas permis à ceux qui ne peuvent se marier ensemble pour cause d'inceste, ni à celui qui serait déjà marié, car ce serait une sorte d'offense à la monogamie. C'est un contrat qui entraîne une solidarité des dettes ménagères et une présomption d'indivision pour les biens acquis à titre onéreux après sa conclusion. Comme il est révocable ad nutum, la rupture est libre. Si l'on ajoute que l'imposition est commune et que l'abattement pour la perception des droits de mutation à titre gratuit est de 300 000 F, il apparaît évident que le Pacs est un succédané du mariage... pour les hétérosexuels qui trouveraient le mariage trop contraignant : se marier, oui, mais selon la formule d'Evelyne Sullerot, pour le meilleur et sans le pire ! Mais pour les homosexuels aussi, le Pacs apparaît comme une union de seconde zone. Quand ils réclamaient l'égalité, ils se retrouvent avec un lien dont le contenu est strictement matériel, et avec des droits inférieurs à ceux des couples hétérosexuels lorsqu'ils se marient. Finalement, vous ne leur aurez offert qu'une union ne correspondant pas aux voeux de la majorité d'entre eux.

On en vient à se demander si cela valait la peine de disqualifier l'union libre par un contrat d'union de seconde zone, qui sera la seule possibilité offerte aux couples homosexuels, alors que les hétérosexuels pourront toujours choisir entre concubinage, Pacs et mariage.

Vous aviez d'autres solutions : soit redéfinir le Pacs comme une déclaration solennelle d'union libre ; soit le réserver aux couples de même sexe puisque pour eux, il n'y a pas d'autre issue pour consacrer la solidarité dans la vie commune. Vous auriez ainsi offert aux homosexuels une protection législative spécifique et, au moins, les choses auraient été claires.

Je vous avais moi-même proposé, le 9 octobre, de reconsidérer le mariage en menant une politique familiale à sa mesure ; de mieux définir l'union libre au regard de l'évolution de notre société ; de prévoir un contrat de vie commune pour les couples homosexuels organisant leur vie privée.

Au lieu de cela, nous aurons désormais au travers du Pacs, toutes les confusions possibles  entre solidarité et sexualité ; entre société et vie privée ; entre constatation, contractualisation et consécration ; entre justice et précarité.

En définitive, le Pacs, cette construction juridique étrange, ne satisfera personne. Ni les concubins, qui ont fait le choix délibéré de vivre en union libre et qui voient là une atteinte à leur liberté et à leurs intérêts ; ni les couples mariés qui voient là le moyen pour les autres d'obtenir de nombreux droits sans en avoir les obligations ; ni les couples homosexuels qui n'y trouvent pas la reconnaissance à laquelle ils aspiraient ; ni les personnes vivant seules, c'est-à-dire sept millions de Français, outrageusement pénalisés par les impôts alors que leur capacité contributive est généralement moindre.

M. Yves Fromion - Très bien !

M. Jean-François Mattei - Quant aux problèmes de filiation, ils demeurent pour beaucoup un sujet majeur de préoccupation. Certes, conformément au souhait de la majorité d'entre vous, ils ne sont pas inscrits dans la loi mais ils le sont en filigrane dans l'évolution de celle-ci, car la logique des textes européens et de la Cour européenne des droits de l'homme feront qu'au même statut juridique devront correspondre les mêmes droits.

Ce sont toutes ces raisons qui nous conduisent à nous opposer au Pacs.

Je conclurai par une réflexion qui m'a été inspirée par la récente disparition du philosophe Jean Guitton, dont la vie a été marquée par la confrontation de la foi avec la raison moderne. Volontiers provocateur, il tentait de jeter des passerelles entre "les modernes qui n'ont pas la foi et les croyants qui n'ont pas l'esprit moderne". Il cultivait ainsi l'attrait des contraires entre sa philosophie qui lui interdisait l'intolérance et sa foi qui lui interdisait la moindre concession.

Accepter l'autre dans sa différence mais défendre sa propre conviction avec exigence, voilà bien ce qui doit nous guider. Ce n'est pas la qualité des personnes prises individuellement ou en couple que je conteste, mais une organisation sociale ambiguë qui s'écarte du modèle anthropologique naturel.

Jean Guitton écrivait encore : "La vérité est une chose, la mentalité d'une époque en est une autre, la spiritualité en est encore une troisième". Me tournant vers vous les membres de la majorité comme de l'opposition, je souhaite que nous puissions aspirer à la vérité sans céder à la mentalité d'une époque qui fait les modes et en nous gardant d'oublier l'indispensable spiritualité qui seule peut tout préserver (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Muguette Jacquaint - Avec ce débat, l'occasion nous est donnée d'ouvrir grand les yeux sur le XXIème siècle. De notre société monte l'exigence d'en faire une époque nouvelle pour les droits et les libertés, une époque marquant la fin des discriminations. En ouvrant des droits nouveaux pour les personnes qui forment un projet commun de vie sans vouloir ou pouvoir se marier, le Pacs participe de cette ambition. La République n'a pas le droit de s'immiscer dans la vie privée des citoyens, encore moins de les juger, mais elle a la responsabilité d'accorder à tous sa protection, de permettre à chacun de bénéficier de nouveaux droits et libertés à condition que ceux-ci n'entravent point ceux des autres. C'et bien ce qu'entend apporter le Pacs, compte tenu de l'évolution récente de la société et en particulier de la famille.

Ces dernières décennies, les femmes ont pris une place nouvelle dans la société. Elles ont investi le monde du travail, nous nous en réjouissons. Certes, il reste beaucoup à faire pour aller vers une réelle égalité des droits, mais ce rééquilibrage entre hommes et femmes a d'ores et déjà des répercussions sur la famille. Aujourd'hui, 87 % des unions se forment hors mariage ; 4,8 millions de personnes vivent en couple sans être mariées ; deux enfants sur cinq naissent hors mariage ; deux millions d'enfants vivent avec leurs deux parents non mariés. C'est à cette famille nouvelle que le pacte civil de solidarité entend donner une plus grande stabilité juridique. Sans rien enlever à ceux qui font le choix de se marier, le Pacs participe d'une politique familiale qui intègre mieux les contours contemporains de la famille.

Le groupe communiste se réjouit que le texte sur le Pacs soit complété par l'introduction dans le code civil de la notion de concubinage sans distinction de sexe. Union libre, concubinage, pacte civil de solidarité, mariage... les couples auront désormais le choix du statut qui convient le mieux à leurs conceptions.

Avant nous, d'autres pays ont déjà reconnu juridiquement le couple homosexuel -on continue de s'y marier et d'avoir des enfants ! Il était temps que la France mette le cap vers le droit à l'égalité et l'égalité des droits, comme l'y invitait d'ailleurs un rapport du Parlement européen adopté l'an dernier. Sans doute parce qu'ils étaient les premières victimes des discriminations, les homosexuels et leurs associations ont eu l'immense mérite de faire grandir l'exigence de ce pacte civil de solidarité. Preuve qu'en relativement peu de temps, une exigence exprimée par une minorité peut devenir une avancée significative pour l'ensemble de la société.

Pour y parvenir, les parlementaires communistes n'auront pas ménagé leurs efforts. Hostiles à toute forme de discrimination, ils avaient déposé au cours de la précédente législature une proposition de loi allant dans le même sens que celle-ci. Et ils ont fait là le choix d'un apport constructif au texte afin d'ouvrir un maximum de droits nouveaux. Des progrès ont ainsi été faits depuis la première version en septembre dernier. Je citerai notamment : l'amendement, que nous avions déposé et qui a été adopté, précisant que le Pacs est ouvert à deux personnes "de sexe différent ou identique" ; l'ouverture de la qualité d'ayant droit d'assuré social au partenaire lié par un Pacs et qui ne pourrait y prétendre à un autre titre ; la disparition des délais nécessaires avant que le survivant puisse bénéficier de la reprise du bail de son partenaire décédé.

Pour les avoir défendues en première lecture, nous souscrivons aussi pleinement aux modifications apportées par la commission des lois : suppression des délais imposés avant de pouvoir bénéficier des abattements sur la succession du partenaire décédé ; suppression de l'article sur les fratries ; enfin, les députés communistes voteront allègrement la reconnaissance dans le code civil du concubinage sans distinction de sexe et se félicitent que le législateur mette ainsi fin à la jurisprudence rétrograde de la Cour de cassation.

Que de chemin parcouru depuis septembre dernier ! Mais le texte mérite encore d'être amélioré. Nous reproposerons donc que le Pacs soit signé en mairie, l'institution la plus proche des citoyens, la plus connue, la plus accessible. En optant pour cette solution, nous ferions un grand pas supplémentaire vers la reconnaissance sociale des couples non mariés. De même, nous demanderons la suppression de tous les délais qui subsistent encore, particulièrement ceux qui courent avant d'accéder à l'imposition commune, afin de faire disparaître tout suspicion envers ceux qui signent un Pacs.

Le Pacs doit également ouvrir un droit au séjour plus ferme pour les étrangers. Or le texte adopté en première lecture précise seulement que "la conclusion d'un pacte civil de solidarité constitue un élément d'appréciation des liens personnels en France". Nous ne pouvons pas nous satisfaire que la situation de ces personnes demeure assujettie au pouvoir d'appréciation des préfets. Il faut que la conclusion d'un Pacs ouvre le droit au séjour, comme le mariage.

Nous regrettons aussi que l'article 40 de la Constitution ne nous permette pas d'adopter des dispositions complémentaires que nous avons déposées : abattement sur les successions, qu'il conviendrait d'indexer sur les dispositions en vigueur pour les personnes mariées, pension de réversion.

S'ouvre aujourd'hui la seconde lecture. Les manoeuvres de l'opposition n'ont pas manqué. Estimant que le débat a déjà largement eu lieu, nous avions demandé au Gouvernement de déclarer l'urgence. Nous regrettons de n'avoir pas été entendus. Autant nous sommes disponibles pour prendre le temps d'élaborer le meilleur texte possible, autant nous veillerons à ce que le Pacs entre en vigueur dans les meilleurs délais. Des millions de personnes attendent des droits nouveaux. Nous refusons qu'elles soient prises en otages par certains parlementaires de droite. Il convient donc que la gauche plurielle aille au bout de sa volonté transformatrice en permettant une adoption rapide du Pacs (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). Ce dernier revêt aussi une portée historique et symbolique. Il fait avancer notre pays sur le long chemin menant vers la fin des discriminations. Vous pouvez compter sur les députés communistes pour contribuer à y avancer le plus vite possible (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Patrick Devedjian - Je ne vais pas reprendre les arguments que j'ai développés en première lecture, parce que le débat s'est relativement apaisé, et parce que l'opposition et la majorité ne recherchent pas le même objectif. La majorité recherche une victoire politique, nous demandons à légiférer convenablement et avec cohérence.

Le Pacs qui nous revient aujourd'hui s'est modifié, accumulant les couches sédimentaires. Quel Ovide Madame nous décrira les métamorphoses de cette machine tous les jours un peu plus complexe ? Il n'est pas de projet socialiste sans usine à gaz.

Tout avait pourtant commencé très simplement. Il s'agissait d'éviter qu'un concubin homosexuel soit plus mal traité qu'un hétérosexuel à l'égard des droits alimentaires. Il s'agissait d'infléchir une jurisprudence de la Cour de cassation. Le Sénat, comme l'opposition ici, vous ont proposé une solution toute simple : une nouvelle définition du concubinage. Cela prouve au moins que le Sénat est plus moderne que la Cour de cassation et qu'une vaine propagande tente de le faire croire.

Curieusement, le débat ne vous a rien appris. Vous aviez contesté ici que le pacsé soit un célibataire. C'était une catégorie nouvelle, disait M. Michel, fruit de la créativité d'une gauche inspirée. Or le 17 mars, Mme Guigou a reconnu au Sénat qu'un concubin est célibataire, et que le signataire d'un Pacs l'est aussi. C'est au Journal officiel, page 1515. Nous avions donc raison.

Mme la Garde des Sceaux, qui proclamait son refus de l'adoption par des couples homosexuels, ne nous disait pas non plus la réalité des choses. C'est nous qui avions raison : le pacsé homosexuel peut adopter, en bénéficiant des dispositions de l'article 343-1 du code civil. Il était donc inutile de nous affirmer le contraire. L'adoption est possible. Pourquoi avoir tenté de tromper l'opinion ?

Nous avions également raison sur les fratries, et leurs tribulations. Le projet de Pacs no 1, qui a échoué le 9 octobre, ne comportait aucune disposition à leur sujet. Dans la version no 2, envoyée au Sénat, vous avez introduit les fratries pour dissimuler un peu plus la véritable portée du texte. Puis les fratries sont retournées à leur néant. Ainsi elle vont, elles viennent, elles disparaissent.

Nous avions raison en décelant dans le projet une véritable hostilité envers la famille. J'ai trouvé la preuve dans L'hebdo des socialistes du 29 janvier dernier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yann Galut - Nous sommes attentifs !

M. Patrick Devedjian - Juste après un éditorial de M. Hollande, on lit : "La famille est un instrument de perpétuation des hiérarchies sociales et des inégalités. On comprend que l'hostilité au Pacs soit vive dans les milieux où les structures familiales sont d'autant plus essentielles que les capitaux à transmettre sont plus importants" (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Fabre-Pujol - C'est une réalité !

M. Yann Galut - Vous ne détenez pas la vérité sur la famille !

M. Patrick Devedjian - Le Pacs est destiné à lutter contre les inégalités qu'organise la famille ; c'est écrit par le parti socialiste. Vos déclarations lénifiantes sur la famille sont démenties par le parti auquel vous appartenez, Madame la Garde des Sceaux. Qui de vous deux dit la vérité ? Qui est de bonne foi ?

L'incertitude des dispositions proposées, leur coût soigneusement dissimulé, l'importance de la réduction des dispositions fiscales en faveur de la famille, autorisent toutes les craintes.

M. Yann Galut - Nous n'avons pas de familles !

M. Daniel Marcovitch - Nous n'aimons pas les enfants !

M. Patrick Devedjian - A vous de résoudre vos contradictions ! Vous vous livrez à une perpétuelle surenchère, et vous voulez cumuler le concubinage et le Pacs sans vous soucier de la compatibilité de leur statut respectif. Cette question ne vous intéresse pas.

Le 29 octobre, Mme Neiertz reprochait à M. Tourret son amendement 813, tendant à l'indifférenciation des sexes dans le concubinage : "L'adoption de cet amendement viderait le Pacs de sa raison d'être". Mme Neiertz avait perçu l'incompatibilité. Depuis, on n'en parle plus, et l'enchevêtrement juridique ne cesse de croître. Nous serons en présence de cinq situations différentes, avec trois régimes juridiques : hommes et femmes mariés, hommes et femmes en concubinage, hommes et femmes en Pacs, personnes de même sexe en concubinage, personnes de même sexe en Pacs. Croyez-vous que ce sera facilement praticable ? Tous auront des droits variables, au bonheur des avocats et des notaires ! Je vous reproche de traiter le code civil comme un tract du pacte socialiste, d'en faire un instrument de propagande politique (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Aucune étude d'impact, ni de compatibilité. Mme Jacquaint croit que les arguments juridiques sont des prétextes destinés à cacher une hostilité de fond.

M. Alain Clary - C'est vrai !

M. Patrick Devedjian - Nous croyons, nous, que le droit est la civilisation elle-même, et il est singulier d'entendre dans cet hémicycle voué à l'élaboration de la loi un tel mépris pour ce que nous faisons et le qualifier de juridisme.

M. Alain Clary - Ce sont des arguties !

M. Patrick Devedjian - Vous ne pouvez pas déclarer que nous sommes d'accord sur des points importants, comme l'a fait M. Michel, et affirmer que notre opposition n'est pas sincère.

Il faudrait un minimum de cohérence. Je le répète, il faut plus de précaution pour faire la loi : c'est le fond de notre opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Blazy - Il est plus facile de dénaturer un texte que d'avoir une position constructive sur une proposition de loi importante pour près de 5 millions de nos concitoyens, le Sénat nous l'a montré. Il est aussi plus facile d'utiliser la peur de l'autre, d'attiser la haine, pour nos collègues de l'opposition, que d'affronter la réalité d'une société en mutation.

J'ai été choqué de voir sur les murs des affiches homophobes. C'est hélas la preuve que l'homophobie est partie intégrante du corps doctrinal des conservatismes de tous genres.

Nous discutons de la proposition de loi relative "au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité". Cela n'a aucun sens. La reconstruction du lien social impose un texte clair, qui respecte la neutralité de l'Etat en ce qui concerne la vie privée, et donc ne prend pas en compte la nature du couple.

En voulant faire du Pacs un cheval de bataille anti-homosexuel, vous donnez une légitimité à des processus d'exclusion intolérables dans un Etat de droit moderne. Notre réponse est d'affirmer clairement le principe de non discrimination en fonction du comportement sexuel.

Le caractère républicain et social du Pacs est indéniable car il tend à une plus grande égalité de droit entre tous les citoyens. La puissance publique offre ainsi une reconnaissance sociale à deux personnes qui n'ont pas fait le choix du mariage, et dont le choix est éminemment respectable dans un Etat laïque.

La liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. Dès l'instant où l'homme est passé de l'état de nature à un état de culture, où l'acte sexuel est détaché de son objet naturel, c'est-à-dire la procréation, dès l'instant où le plaisir entre en jeu, nous n'avons plus moralement le droit de dénoncer les pratiques de deux adultes consentants, et ce d'autant moins qu'ils entendent avoir un projet de vie commune.

Je tiens à saluer Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel pour la qualité de leur travail (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) et surtout pour leur capacité à prendre en compte toutes les remarques d'un débat qui fut riche afin de parfaire ce texte.

Reconnaître le concubinage homosexuel en tant qu'union de fait est certes une avancée, car elle s'inscrit dans la démarche de liberté pour tous. Cependant, cette reconnaissance ne peut se substituer au dispositif que nous voulons mettre en place, de même que le Pacs ne se substitue pas au mariage, et il peut apparaître étrange que le Sénat ait réintroduit le mariage dans un texte qui ne traite pas de cette question.

Le Pacs apporte une réponse globale et cohérente à la situation des couples qui ne peuvent ou ne veulent pas se marier. C'est un contrat qui implique des droits mais aussi des devoirs pour deux personnes ayant un projet de vie commune, s'inscrivant dans la durée.

De même il me semble essentiel d'exclure la question des fratries de ce texte particulier, en leur consacrant un dispositif propre, pour que cette proposition soit crédible et conserve sa force symbolique.

Ce texte correspond à l'exigence de solidarité qui marque toutes les actions du Gouvernement et de la majorité plurielle.

Aujourd'hui, si la famille reste la cellule de base de la cohésion sociale, ses frontières sont plus floues, sa structure évolue sans cesse. Or, le ou les divorces successifs conduisent à un appauvrissement et à une fragilisation des individus.

Le Pacs répond à l'exigence de solidarité avec ceux qui entendent définir librement le cadre de leur engagement mutuel, qui ne peuvent, ne veulent, ne se sentent pas prêts ou ne veulent plus se marier.

Enfin, cette proposition s'insère dans un ensemble cohérent pour renouer le lien social en tenant compte des réalités. Le Gouvernement s'est engagé très fortement dans la définition d'une politique de la famille rénovée, alors que dans le même temps une réflexion de fond est menée pour réformer la question délicate du divorce.

Par ailleurs, nous voulons aider la famille à jouer son rôle dans l'éducation à la citoyenneté.

Il n'y a pas de contradiction entre une politique familiale ambitieuse et rénovatrice et le projet du Pacs.

Le Pacs comble un vide, et répond à une aspiration profonde des Français : la liberté pour l'individu d'assumer ses choix de vie et notamment de vie amoureuse. Notre société y aspire. Un Etat démocratique, laïque et républicain doit pouvoir y répondre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Au fur et à mesure de nos débats, les faux-semblants tombent. Ainsi, Mme la présidente Tasca dit dans Le Point "Ce texte n'est rien d'autre que la reconnaissance du couple homosexuel..."

Mme la Présidente de la commission - Il fallait lire la rectification la semaine suivante. Ce sont les propos de M. Pinte.

Mme Christine Boutin - "... ensuite il y aura leur mariage".

C'est M. Lang qui déclare "Nous avions décidé avec le Gouvernement de ne pas poser la question de l'adoption. Mais elle se posera fatalement".

Mme la Présidente de la commission - Vous mentez à la tribune !

M. Alain Fabre-Pujol - C'est du Goebbels !

Mme Christine Boutin - C'est inacceptable. Retirez ce mot !

Plusieurs députés RPR - Qu'il s'excuse.

M. Jean-Pierre Blazy - On lui envoie des fleurs !

Mme Christine Boutin - Madame Tasca, j'ai lu ces propos sous votre plume et je les répète de bonne foi. S'ils ne sont pas de vous, je retire mes propos.

Mme la Présidente de la commission - Merci.

Mme Christine Boutin - Je n'ai pas l'habitude de mentir, ou celle de traiter les autres de Goebbels ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL). Donc les faux-semblants se dissipent peu à peu. On peut penser que ce texte sera voté. Mais ce n'est pas parce qu'un combat est perdu d'avance qu'il ne convient pas de le mener.

Au cours de ma vie parlementaire, j'ai constaté que nous ne débattions pas assez de problèmes de société. Aujourd'hui il s'agit de faire un choix. Mme Tasca a demandé à certains qui hésitaient à voter ce texte de le voter. Pour ma part, j'invite ceux qui, dans votre camp, hésitent aussi à se poser quelques questions fondamentales.

D'abord quelle valeur donnons-nous à l'engagement ? En le dévalorisant, ne fragilisons-nous pas la vie sociale ?

M. Daniel Marcovitch - Première réponse, non.

Mme Christine Boutin - Croyons-nous que le principe d'altérité est un principe fondamental de cohésion sociale ?

Mme la Présidente de la commission - Non.

Mme Christine Boutin - Quels sont les droits des enfants après ce texte ?

Mme la Présidente de la commission - Tous leurs droits.

Mme Christine Boutin - Les pacsés hétérosexuels auront le droit d'adoption, les homosexuels non. Or ces couples seront dans la même situation juridique. Au nom du principe d'égalité vous ne pouvez faire autrement que de permettre l'adoption aux homosexuels.

Ensuite, n'avez-vous pas le sentiment que nous passons inévitablement d'une République universelle à une République communautariste ?

Enfin, n'avez-vous pas le sentiment qu'avec les meilleures intentions du monde, on va favoriser le plus fort, le plus fraudeur, le plus riche ? Quelle société voulons-nous ?

Pour conclure, laissez-moi citer Claude Lévy-Strauss, interrogé par Didier Eribon dans De près et de loin : "Les sociétés se maintiennent parce qu'elles sont capables de transmettre leurs principes et leurs valeurs. A partir du moment où elles se sentent incapables de transmettre ou ne savent plus quoi transmettre et se reposent sur les générations futures, elles sont malades... Si l'on veut rendre à un humanisme modéré ses chances, il faut que l'homme tempère sa gloriole et se convainque que son passage sur la terre, qui de toute façon connaîtra un terme, ne lui confère pas tous les droits." (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Georges Sarre - La majorité sénatoriale nous renvoie un texte, lessivé, essoré, remanié. De profundis le Pacs ! On nous propose de reconnaître le concubinage dans le code civil et d'autoriser les concubins à régler leurs problèmes matériels. L'idée n'est pas mauvaise, mais elle est très largement en retrait par rapport aux souhaits de notre assemblée.

L'opposition n'a pas bougé d'un "iota". Elle ne veut pas entendre parler du Pacs. Mais comme elle craint les réactions de l'opinion, elle nous propose, contre mauvaise fortune bon coeur, quelques petits aménagements juridiques avec l'adoption, aussi discrète qu'incertaine, du concubinage homosexuel.

Nous avions le choix entre "constater" une relation et la "reconnaître". C'est dans cette deuxième voie que nous devons nous engager. D'abord, un véritable engagement permet mieux de définir des droits et obligations. Surtout, avec le Pacs nous allons affirmer explicitement que la République entend considérer tous les individus de manière égalitaire quels que soient leurs choix affectifs, et refuse toute vision "communautariste".

Pour le reste, le Pacs, n'est ni une révolution, ni un tremblement de terre. Il prend simplement acte du fait qu'il existe d'autres situations que le mariage, qu'elles ne peuvent être ignorées par le droit. Le Pacs apporte une réponse globale, équilibrée et adaptée à la diversité des cas en définissant un certain nombre de règles concrètes et simples pour en finir avec certaines tracasseries qui n'ont plus de sens.

Arrêtons de faire dire au Pacs ce qu'il n'est pas. Il faut distinguer les liens de solidarité qui unissent un couple et la famille. Faire le Pacs, ce n'est en aucun cas amoindrir la famille car nous devons compter avec les centaines de milliers de cohabitants non mariés, avec deux millions d'enfants nés hors mariage. Tout ce qui peut stabiliser les couples sera bon pour les familles et pour les enfants.

Il n'y a aucune contradiction entre le fait d'approuver le Pacs et de militer pour une politique familiale ambitieuse. Bien au contraire ! A l'occasion de la conférence de la famille, dès le mois de juin prochain, nous réaffirmerons notre souhait de voir notre pays s'engager dans une politique familiale ambitieuse et résolument nataliste. Nous n'avons jamais été de ceux qui n'osaient dire "famille" ou "natalité" de peur de se faire taxer de familialistes et de réactionnaires par certains, hérissés de bonne conscience malthusienne.

Mais une chose après l'autre. Aujourd'hui, grâce au Pacs, nous allons créer les conditions favorables à l'épanouissement de nombre de nos concitoyens. Au passage, en institutionnalisant la réalité sociale qu'est le couple homosexuel nous allons offrir à beaucoup d'entre eux une reconnaissance sociale et une dignité qui leur ont été jusqu'ici déniées.

Nous ne doutons pas du soutien des Français. Ce qui les anime tous, qu'ils soient hétérosexuels, homosexuels, mariés ou pas, c'est un désir sans cesse plus grand de sécurité, de stabilité affective, émotionnelle et matérielle dans une société de plus en plus mobile, compétitive et sans repères fixes. Le Pacs y contribuera tout en veillant à préserver toujours plus de cohésion et de solidarité dans notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrick Braouezec - Le texte qui nous revient du Sénat est un modèle d'hypocrisie et de confusion. Plutôt que de prétendre qu'il n'y a pas de place dans notre droit entre le concubinage et le mariage, la majorité sénatoriale aurait pu affirmer sa conviction profonde : il n'y a pas de place pour les couples homosexuels.

Du moins la réflexion du Sénat et la bataille de procédure de l'opposition auront permis la maturation du texte dans les rangs de la majorité et son approbation toujours plus grande par nos concitoyens.

M. Dominique Dord - Cela reste à démontrer !

M. Patrick Braouezec - La suppression de l'élargissement du Pacs aux fratries est une avancée importante.

La majorité assume aujourd'hui pleinement ce texte, rejetant les arguments souriants mais dilatoires selon lesquels, par exemple, le Pacs permettrait à un prêtre et à sa bonne d'accéder à des droits qui leur sont aujourd'hui interdits, nous l'avons entendu ici...

Le coming out sur le texte du moins, de l'ensemble de la gauche est désormais clair. Le Pacs est principalement motivé par les discriminations dont sont victimes les homosexuels. Cette motivation est loin d'être honteuse. Il est à l'honneur des associations homosexuelles d'avoir oeuvré depuis dix ans pour que ce texte voie le jour. Son adoption permettra d'offrir une solution digne, concrète et responsable à des dizaines de milliers de couples qui ne souhaitent ou ne peuvent se marier, qu'ils soient de même sexe ou non. Cette victoire, ce progrès dans l'égalité de tous devant la loi, nous les devons pour une grande part à la mobilisation des homosexuels. Par son rejet d'une solution communautariste ou stigmatisante, cette mobilisation est un exemple de pugnacité et d'efficacité pour tous ceux qui aujourd'hui combattent d'autres formes de discriminations.

Cette avancée dans l'égalité des droits ne lèse personne, ne se fait sur le dos d'aucune catégorie. Le Pacs est tout sauf une attaque contre la mariage, ou contre la famille, dont la droite n'a pas le monopole. Les chevaliers blancs autoproclamés du mariage sont bien complexés et bien peu confiants dans l'institution et les valeurs qu'ils se flattent d'incarner. Prétendre défendre le mariage par le maintien des discriminations à l'encontre des couples non mariés est injuste et peu convaincant.

M. Dominique Dord - Personne ne dit cela !

M. Patrick Braouezec - Le Pacs permet simplement de reconnaître les droits des couples non mariés. Ce pacte est une option pour les couples et non une norme ou une obligation. Aucun des orateurs de l'opposition ne sera contraint demain de souscrire un Pacs. Ce sont là de plates évidences mais à entendre les cris d'orfraies de certains, qui convoquent la nature, voire l'occident chrétien, au secours de leurs convictions morales individuelles, on pourrait en douter.

M. Dominique Dord - Nous n'avons pas vu le même film...

M. Patrick Braouezec - Ce texte de liberté va consolider et officialiser des liens de solidarité existants. La proposition d'étendre cette solidarité aux dépenses liées au logement en est la meilleure preuve. En renforçant ces liens de solidarité entre les personnes et l'Etat, nous sommes au coeur de notre rôle de législateur.

Les propositions de la commission marquent des progrès réels par rapport au texte que nous avions adoptés en première lecture. Ainsi, elle a supprimé le délai de deux ans pour les successions. Pour reprendre l'expression du rapporteur, il était "inutile d'introduire ce genre d'inégalités devant la mort".

Le groupe communiste juge inutile de maintenir les délais qui introduisent une inégalité devant la vie. Je pense aux donations entre les vivants et à l'imposition commune seulement à compter de la troisième année du pacte.

Je regrette par ailleurs que la conclusion d'un Pacs ne soit qu'un élément d'appréciation par les préfectures des liens personnels des étrangers en France. La reconnaissance du droit à la vie familiale et privée ne doit pas être une question d'appréciation. L'admission au séjour d'un étranger ayant conclu un Pacs devrait être de plein droit.

Le Pacs du printemps est meilleur que celui de l'automne, je ne peux que m'en féliciter (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Yann Galut - Cette deuxième lecture est l'occasion de rétablir un texte qui, après de nombreuses vicissitudes, a trouvé finalement une nouvelle vitalité. Quel retournement de situation pour ceux qui ont tenté de diaboliser ce texte !

Au-delà de la mobilisation des associations, de la persévérance sereine des rapporteurs et de la présidente de la commission des lois, nous le devons, Madame la ministre, en grande partie à votre ténacité, à votre esprit pédagogique, aux choix d'équilibre qui ont été les vôtres. Nous le devons aussi aux représentants de la majorité plurielle qui ont mené la bataille, tant à l'Assemblée qu'au Sénat. Enfin, nous le devons à nos adversaires qui par leur intransigeance, leur conservatisme, leur homophobie latente ont montré leur décalage avec l'évolution de notre société. Résultat : ils ont obtenu le contraire de ce qu'ils recherchaient : la franche acceptation du principe du Pacs par une majorité de l'opinion.

M. Dominique Dord - Cela reste à démontrer !

M. Yann Galut - Le Pacs a été supprimé par le Sénat. Mais cette honorable institution craignant un nouveau procès en conservatisme après le débat sur la parité, a voulu faire preuve de modernité et a décidé de reconnaître le concubinage, en tant qu'union de fait, traçant ainsi la voie pour la reconnaissance du concubinage homosexuel.

Cette légalisation du concubinage marque une avancée. Mais il faudra y ajouter "de sexe différent ou de même sexe" pour pouvoir modifier la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation.

Même ouvert aux homosexuels, même assorti de droits plus étendus, le concubinage ne saurait cependant remplacer l'engagement contractuel global que représente la signature d'un pacte civil de solidarité.

De plus, le pacte civil de solidarité se distingue du concubinage en ce qu'il permet de contractualiser la vie commune, présume une union de fait stable, durable et une solidarité dont découlent automatiquement des droits et devoirs.

Est-il encore utile de rappeler que contrairement aux amalgames faits par le Sénat, le pacte civil de solidarité n'a pas d'incidence sur le droit de la famille et n'intervient pas sur les relations entre parents et enfants ?

M. Thierry Mariani - Ce n'est pas vrai, vous êtes un menteur ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yann Galut - Il concerne exclusivement les relations au sein du couple sans incidence sur la filiation. De même, la suppression de la clause concernant les fratries permet de clarifier ce qu'est le Pacs : un contrat destiné aux couples hétérosexuels et homosexuels ; même si nous devrons nous pencher ultérieurement sur les fratries.

M. Thierry Mariani - Vous avez reculé sur les fratries, vous vous êtes déballonnés, vous vous êtes ridiculisés ! (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yann Galut - Bref, le Pacs est un lien social moderne. En posant les bases d'une solidarité active entre deux personnes, il répond à une vraie demande sociale dans une société où beaucoup connaissent une situation précaire.

M. Thierry Mariani - C'est votre discours qui est précaire, vous disiez le contraire il y a peu !

M. Yann Galut - Pourquoi une telle levée de bouclier face à ce texte ? Parce que certains refusent de voir reconnaître des droits aux homosexuels. Or le débat qui a traversé la société nous a permis de gagner la bataille morale de la reconnaissance du couple homosexuel. Il faut réaffirmer que les homosexuels sont des citoyens comme les autres qui ont droit à la reconnaissance de leurs sentiments et de leur sexualité.

Mais les réactions homophobes n'en sont que plus violentes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Thierry Mariani - Fantasmes !

M. Yann Galut - Or, nous devrions, Madame la ministre, réfléchir à des poursuites judiciaires contre les propos homophobes. Il est inacceptable d'entendre, dans des manifestions publiques, des slogans appelant à brûler les homosexuels ! (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Thierry Mariani - Il faut brûler les socialistes, pas les homosexuels ! C'est Yann d'Arc...

M. Yann Galut - Quelques remarques sur le fond. Alors qu'un couple hétérosexuel binational a la possibilité de se marier et d'obtenir un titre de séjour, voire la nationalité, pour le conjoint étranger, cette possibilité est limitée pour les pacsés. Certes, la conclusion d'un pacte civil de solidarité est prise en considération pour apprécier les liens personnels noués par un étranger en France, susceptibles d'ouvrir droit à un titre de séjour, selon l'article 6. Mais il conviendrait que le Pacs permette sans ambiguïté d'obtenir un titre de séjour.

M. Thierry Mariani - Même les clandestins ?

M. Yann Galut - Il conviendrait de même, afin de répondre aux attentes des futurs usagers du Pacs, de réduire voire de supprimer les délais de carence. Puisqu'elles répondent aux critères de stabilité fixés par le Gouvernement, deux personnes pouvant attester par tous moyens de deux ans de vie commune doivent bénéficier sans délais, par rétroactivité, des droits ouverts par le Pacs.

Il nous appartient, maintenant, à nous députés, de réaffirmer les principes qui ont guidé un choix réfléchi, cohérent et global pour prendre en compte les aspirations des couples non mariés. C'est l'honneur de notre Parlement de rétablir, en l'améliorant et en l'élargissant, ce texte républicain qui ouvre des droits nouveaux à nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Philippe de Villiers - Le débat de ces derniers mois a permis une forte mobilisation des Français, notamment lors de la manifestation nationale du 31 janvier au cours de laquelle je n'ai entendu aucun slogan homophobe.

M. Thierry Mariani - Galut n'y était pas !

M. Philippe de Villiers - On pouvait donc aujourd'hui espérer plus de sagesse. Or la confusion la plus totale règne sur cette proposition, qui reste inutile, dangereuse et absurde. Après le vote du Sénat, on aboutit à une mécanique aberrante. D'une part, le concubinage étendu et inscrit dans le code civil assimile les unions de personnes de sexe opposé et celles de même sexe. D'autre part, le Pacs première version, dépouillé du gadget des fratries, sape les fondements de notre société en brouillant le repère des différences sexuelles qui fonde la famille.

La logique sournoise du Pacs, après la proclamation de droits divers mais sans devoirs, est de mener à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, dictée par nos voisins et par les institutions européennes (Sourires sur les bancs du groupe socialiste). Il est frappant de voir les Pays-Bas autoriser, quelques mois seulement après l'entrée en vigueur leur version du Pacs, l'adoption par des couples homosexuels. Ceux-ci doivent, et c'est là la ruse, justifier de trois ans de vie commune et s'occuper de l'enfant depuis un an. Au Danemark, un projet de loi permettant aux homosexuels d'adopter les enfants de leur partenaire sera bientôt voté.

Petit à petit, l'Europe du Pacs s'harmonise et l'article 13 du traité d'Amsterdam permettra à l'Union de prendre toutes les mesures pour combattre les discriminations en fonction de "l'orientation sexuelle". Avec une telle formulation, un couple homosexuel pacsé à qui l'on aura refusé l'autorisation d'adopter saisira la Cour de justice des Communautés européennes qui, fidèle à sa pratique, imposera de lever cette "discrimination". Le Parlement européen se livre déjà de multiples pressions.

On nous présente le Pacs comme un progrès des droits individuels. Mais c'est la modernité des Talibans ! Il prévoit un droit de répudiation unilatérale par lettre recommandée.

Montesquieu disait qu'on ne devait toucher aux lois que d'une main tremblante, et le Parlement s'apprête à violenter la mieux établie, celle qui fonde notre identité. Souffrez qu'une majorité silencieuse n'accepte pas un texte qui touche aux principes de notre civilisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La discussion générale est close.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91-6 du Règlement.

M. Henri Plagnol - Après 70 heures de débat, on peut trouver une telle motion provocante (Sourires). Il ne s'agit pourtant pas de sacrifier à un rituel parlementaire. Les objections juridiques et philosophiques au texte n'ont pas été suffisamment étudiées. En dépit d'améliorations techniques, dues à l'opposition et aussi au rapporteur et à la présidente de la commission des lois, sur le fond, le projet a été aggravé depuis la première lecture.

M. Thierry Mariani - C'est le Pacs en pire !

M. Henri Plagnol - Comment concilier des choix de vie privée et le respect des institutions pour l'épanouissement de la famille et de l'enfant ?

Vous avez convenu que l'opposition ne conteste pas la nécessité de repenser le droit du couple et de la famille. Mais nous sommes très éloignés de votre solution, et ceci pour une raison simple, que vous ne sauriez résumer. Quand on veut réformer la société, on doit prendre le temps de la concertation : n'est-ce pas là la fameuse méthode Jospin ?

Or vous avez, à l'inverse, fait de cette réforme un drapeau idéologique au risque de diviser gravement les Français sur la conception du couple et de la famille, qui les rassemblait au-delà des autres clivages depuis la Libération.

Le résultat en première lecture a été une réforme bâclée, et un débat tronqué, passionnel et à la limite de la caricature.

Le Sénat a suivi une démarche inverse. Il a organisé la concertation et a mené une étude approfondie et sans a priori. Il propose une réforme équilibrée, fondée sur la reconnaissance du concubinage dans la loi et sur la réaffirmation du mariage comme pilier de la société. Au lieu de vous inspirer de ce travail pour essayer de réunir un consensus, vous avez rétabli intégralement le Pacs. Ce n'est pas à l'honneur de cette Assemblée : certes, nous sommes davantage tributaires de l'actualité, mais quand il s'agit de légiférer sur les personnes, il faut dépasser les chapelles partisanes. La droite a su le faire dans d'autres débats, comme pour la bioéthique. En privilégiant l'idéologie, vous avez aggravé la fracture entre les deux camps. Pour ne pas fissurer davantage la majorité après la première lecture, vous avez empilé les propositions du Sénat sur votre projet initial, aboutissant à une sorte de mille-feuilles juridique, comportant quatre ordres : célibat, concubinage, Pacs et mariage.

Les propositions du Sénat étaient plus raisonnables, mais elles étaient exclusives du Pacs! L'exposé des motifs du projet initial comportait trois arguments : l'évolution des moeurs, la reconnaissance du fait homosexuel et le développement de nouvelles formes de solidarité. Sur ces trois points, le Sénat apporte une réponse équilibrée : inscription à l'article 9 du code civil du droit de chacun à choisir librement son mode de vie ; extension du concubinage mettant fin à la jurisprudence de la Cour de cassation ; liberté du choix testamentaire ; ouverture d'un droit général à l'abattement d'impôt sur le revenu pour l'accueil d'une personne majeure à faibles ressources.

Cette construction a pour premier mérite sa simplicité. Quand on légifère sur le droit des personnes et des familles, il faut respecter une exigence de clarté et de sobriété, loin des constructions chimériques qui se retournent contre les intéressés parce qu'ils ne peuvent maîtriser leurs droits et leurs devoirs. La construction du Sénat permet de répondre aux problèmes nés de la vie en commun des couples homosexuels. Elle comble ainsi une des principales lacunes du texte de la majorité, qui ignorait les problèmes des concubins qui ne veulent pas se pacser. Je pense en particulier à deux points cruciaux : la possibilité pour le concubin homosexuel d'être ayant droit à la Sécurité sociale de son compagnon s'il est à sa charge ; et le bénéfice du transfert ou de la continuation du bail en cas de décès ou d'abandon du domicile. Ces deux revendications que nous avons toujours tenues pour légitimes -et nous n'admettons pas les caricatures de certains orateurs à ce sujet- étaient à la source du projet de la majorité.

Un autre mérite de la construction sénatoriale est d'inscrire la réflexion sur la fiscalité des couples et la transmission du patrimoine dans le cadre d'une vraie modernisation, libérale et généreuse, de notre fiscalité. Je suis pour ma part très favorable à l'encouragement par le législateur de formes de solidarité concrète entre les personnes, ne passant pas par la médiation de l'Etat-providence. Il n'y a aucune raison de réserver aux couples pacsés la possibilité de transmettre une partie de leur patrimoine à une personne de leur choix. L'option du Sénat en faveur de la liberté testamentaire ouvre à tous cette possibilité. On le voit, le Sénat et l'opposition ne sont pas nécessairement plus conservateurs et rétrogrades que votre majorité. Dans ce domaine, ils sont même plus audacieux qu'une majorité prisonnière de son attachement immodéré à la fiscalité... Vous avez bien du mal à concilier votre ultralibéralisme en matière de moeurs et votre passion pour l'Etat et l'impôt !

Mais l'essentiel est ailleurs : c'est que la solution du Sénat échappe au piège constitutif et rédhibitoire du Pacs. Et je souhaiterais ici convaincre ceux de nos collègues qui sont réticents devant l'introduction du concubinage dans le code civil. Leurs inquiétudes rejoignent celles de certaines associations familiales et de la Conférence des évêques. Elles sont légitimes et compréhensibles, et le législateur doit les entendre. Je ne suis pas de ceux qui écartent d'un revers de main des réticences exprimées par toutes les confessions de notre pays. Je crois toutefois que ces inquiétudes peuvent être dissipées, si nous voulons bien approfondir le travail commencé par le Sénat. La reconnaissance du concubinage se borne à constater une situation de fait. Elle met certes fin à l'adage de Bonaparte selon lequel, les concubins ignorant la loi, la loi ignore les concubins. Mais cette évolution est déjà largement entamée par la jurisprudence. Le juge n'a pas attendu le législateur pour imaginer notamment, en cas de séparation, des solutions protectrices des enfants. Il était donc naturel -je parle ici en mon nom- que le législateur prenne ses responsabilités, et mette fin à la jurisprudence de la Cour de cassation qui limite la notion de couple à l'union d'un homme et d'une femme.

Ce point seul justifiait un projet à vocation universelle. Toutes les autres revendications légitimes pouvaient être satisfaites par des projets de loi particuliers, et nous avons fait de nombreuses propositions en ce sens lors de la première lecture et du débat budgétaire. Mais ce point justifiait, selon moi, l'intervention du législateur. Le concubinage est un régime fondé sur la liberté des deux partenaires. Il s'agit donc d'un choix de vie privée, dans lequel le législateur doit interférer le moins possible. Le Sénat a d'ailleurs, sagement, ouvert aux couples de concubins qui le souhaitent la faculté d'organiser leur vie commune par un contrat devant notaire. Il ne propose pas d'institutionnaliser le couple, mais lui laisse le soin d'organiser sa vie, sous le contrôle du juge. Il n'institue pas d'autre part un régime nouveau comme le Pacs, avec un statut juridique et fiscal unique, comme si tous les couples avaient la même vocation. A l'issue de la réflexion du Sénat, notre société reste organisée autour d'une alternative simple : l'union libre ou le mariage. C'est une évolution prudente, mesurée, qui accompagne celle de la société, sans introduire de bouleversements juridiques, toujours dangereux.

Le maintien idéologique du Pacs est donc une source de confusion et d'abus, alors que le Sénat a dessiné les lignes d'un compromis acceptable pour les deux tiers des Français -certains disent neuf sur dix : oui à la reconnaissance du fait homosexuel ; oui aux droits concrets nécessités par la vie commune des concubins ; non à un régime matrimonial qui ferait concurrence au mariage et mettrait en péril la stabilité de la famille. Mais vous avez choisi de maintenir le Pacs, devenu inutile, et qui reste dangereux. Entre l'union libre et le mariage, il n'y a pas de place pour ce régime hybride. C'est si vrai qu'après des dizaines d'heures de débat nous ne connaissons toujours pas la nature juridique du Pacs. Contrat ou institution ? Si c'est un contrat, quelles règles appliquera le juge en cas de rupture ? Les incertitudes sont encore plus grandes en matière de droit international privé.

Qui plus est, ces incertitudes constitutives du Pacs sont encore aggravées par les chevauchements entre les différents régimes juridiques applicables aux couples. Tel est l'effet pervers de votre mille-feuilles législatif. Les couples ont en effet le choix entre trois solutions : l'union libre, le Pacs, le mariage. On va donc vers une situation d'une grande complexité. Considérons par exemple l'autorité parentale. Son exercice conjoint est probablement le point le plus délicat pour les concubins hétérosexuels qui ont des enfants. Mais dans leur cas le juge en a défini depuis longtemps les modalités. Vous vous êtes refusés à le faire dans le cas du Pacs, puisque celui-ci, par construction, ne fait aucune différence entre couples homosexuels et hétérosexuels, avec ou sans enfants. On est donc dans la situation baroque où les pacsés voient le régime du Pacs, déjà complexe, s'appliquer à la plupart des aspects de leur situation, mais sont renvoyés au droit commun du concubinage en cas de rupture et de problème touchant à l'autorité parentale... Par ailleurs les célibataires peuvent être pacsés, etc. Il y a donc un risque sérieux de perte des repères fondamentaux et d'affaiblissement de la cellule familiale. Vous avez traité par le mépris et la dérision nos inquiétudes à ce sujet. Mais comment n'y aurait-il pas perte des repères avec un tel enchevêtrement de statuts ? Surtout si l'on considère qu'il s'agit pour vous d'un statut évolutif, un même couple pouvant entrer successivement dans ces trois régimes. Le législateur choisit d'encourager une cellule familiale à géométrie variable. En première lecture je me suis déjà étonné de voir votre majorité, qui dénonce la société de marché, adopter une législation qui institue un supermarché de la famille. Désormais, l'adulte est le consommateur-roi, qui pourra choisir dans les rayons du bazar de la famille le produit qui lui convient le mieux au moment le plus opportun. Vous encouragerez par exemple des stratégies d'optimisation fiscale, qui pourraient être rassemblées dans un petit guide fiscalo-social de la vie commune : concubinage simple au début de celle-ci afin de bénéficier d'impositions séparées, Pacs avec l'arrivée des enfants si la femme arrête de travailler, retour au concubinage simple quand les enfants grandissent, deux ans de mariage pour obtenir la pension de réversion et favoriser la donation entre les époux, retour au concubinage pendant la retraite si les pensions sont équivalentes mais Pacs si elles sont disparates (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Marcovitch - Vous avez l'esprit tordu !

M. Henri Plagnol - Je n'évoque pas là des hypothèses d'école ! Cette optimisation des choix se conçoit dans une optique libérale pure et dure, mais il nous paraît étrange de prétendre lutter contre la fracture sociale et en même temps tout faire pour encourager l'atomisation de la société et affaiblir le seul cercle d'entraide qui limite les effets de la crise, je veux parler de la famille.

Vous nous avez dit, Madame la Garde des Sceaux, que nous légiférions sur le couple, pas sur la famille. Mais nous sommes convaincus que l'on ne peut pas faire l'un sans l'autre.

M. Daniel Marcovitch - C'est pourtant ce qu'a fait le Sénat.

M. Henri Plagnol - Pas du tout, puisqu'il s'en tient au choix entre union libre et mariage. Or il y a bien longtemps que des solutions jurisprudentielles ont été définies pour les enfants nés dans le cadre d'union libre.

Je crois en tout cas qu'il nous faut oser parler de l' "homoparentalité", terme désormais connu du grand public. Je comprends très bien le désir des couples homosexuels d'avoir des enfants. D'autre part, les progrès de la procréation médicalement assistée, le clonage et une certaine tendance à l'effacement de la différence sexuelle nous permettent d'imaginer une société qui déciderait que la reproduction des générations n'est plus liée à la différence sexuelle. Je ne compte pas faire maintenant le tour de ce sujet (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) mais je constate, après Jean-François Mattei, qu'à l'horizon du Pacs, il y a la remise en cause d'un "modèle anthropologique naturel". Certains considèrent que, tout étant affaire de culture, il n'y a plus de place pour le droit naturel. Nous pensons au contraire qu'à l'heure où se produisent tant de mutations, il est plus que jamais nécessaire de défendre cet ordre naturel et les fondements anthropologiques de notre civilisation.

En tout cas, il eut été plus honnête d'avoir ce débat maintenant, puisque nous l'aurons de toute façon un jour ou l'autre et puisque nous sommes avec le Pacs plus dans le symbolique que dans la résolution de problèmes concrets -pour laquelle la reconnaissance du concubinage suffirait...

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Pas du tout !

M. Henri Plagnol - Vous privilégiez un ordre social fondé exclusivement sur le "droit à la différence"...

M. le Rapporteur pour avis - A l'indifférence !

M. Henri Plagnol - ...L'individu n'étant plus responsable que de lui-même !

M. Bernard Outin - C'est déjà pas mal !

M. Henri Plagnol - ...et donc l'horizon se limitant à un couple à géométrie variable. Nous, nous considérons que l'épanouissement de la personne humaine s'inscrit de préférence dans la communauté naturelle qu'est la famille. Si nous demandons le renvoi du texte en commission, c'est pour revenir à l'équilibre voulu par le Sénat. Mais quoi qu'il arrive, son travail n'aura pas été inutile car il nous servira de cadre de référence quand viendra le temps de l'alternance. Nous reconstruirons alors un projet pour le couple et la famille en partant de l'enfant. Le pilier en sera le mariage républicain car c'est l'institution qui protège le mineur, le conjoint le plus faible et l'enfant. Le Sénat en a rappelé le caractère hétérosexuel, vérité d'évidence que vous avez cru bon de supprimer. Nous nous efforcerons d'arriver à une neutralité fiscale pour les familles, étant entendu que nous sommes aujourd'hui bien loin du compte avec le plafonnement du quotient familial et la diminution des réductions pour garde d'enfant.

Le législateur doit laisser la jurisprudence évoluer au plus près des situations concrètes, résister à la tentation bien française d'édifier un nouveau monument législatif et d'enfermer artificiellement l'infinie diversité de celles-ci dans le carcan d'une règle juridique écrite. La majorité choisi de passer en force. Nous déplorons ce rendez-vous manqué. Il nous appartiendra, le moment venu, de revenir à l'équilibre de la proposition sénatoriale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme la Garde des Sceaux - A ce point du débat et à cette heure, je voudrais seulement vous poser deux questions, Monsieur Plagnol. Après 70 heures de discussion en première lecture, 6 rapports -dont celui du Sénat qui fait 300 pages- de quatre auteurs différents, après d'innombrables auditions et un débat passionné dans la société civile, cette demande de renvoi en commission est-elle bien raisonnable ? (Sourires)

Et puisque 600 amendements nous attendent, dont l'examen nous offrira l'occasion de perfectionner le texte tout à loisir, ne voudriez-vous pas retirer vous-même cette motion ? Maintenant que nous avons eu une nouvelle démonstration de votre éloquence et de votre esprit aigu, nous sommes tous très impatients de passer à la phase suivante du débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Henri Plagnol - Il est difficile de répondre non à des questions posées avec autant de gentillesse et de courtoisie, mais il se déduit de tout ce que j'ai dit tout à l'heure -et que je ne pense pas devoir répéter- que ma motion a un sens. Et peut-être en a-t-elle d'autant plus que le manque de concertation se fait sentir.

M. le Rapporteur - J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre intervention qui était comme d'habitude brillante et posait de vraies questions. Je suis prêt à en débattre avec vous : quelle société pour demain ? Quelle famille ? Comment les enfants seront-ils faits ? (Exclamations sur divers bancs du groupe socialiste) La société repose-t-elle sur l'altérité des sexes ?

Le renvoi en commission pourrait donc être opportun si, Monsieur Plagnol, vous n'étiez pas empêché d'assister à nos réunions, comme ce fut le cas dernièrement. Je doute que l'Assemblée veuille renvoyer en commission uniquement pour me permettre d'y venir quelques instants (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Même si vous marquez un peu de lassitude, laissez-moi vous faire observer que si ce texte avait été préparé dans des conditions normales, soumis au Conseil d'Etat, étudié par une commission spéciale, un certain nombre d'interventions, de motions et d'amendements seraient devenus inutiles.

Aujourd'hui, après que le Sénat a réalisé un travail constructif qui aurait pu susciter ici le consensus, mais que la commission des lois a annulé en réintroduisant le Pacs augmenté du concubinage, nous devons retravailler ce texte. La confusion est à son comble, confusion par rapport aux repères sur lesquels la société s'est construite et doit plus fermement que jamais s'appuyer face aux dangers qui la menacent ; confusion envers l'institution du mariage qui est atteinte par votre texte en dépit de vos assurances ; confusion entre les multiples situations désormais offertes à nos concitoyens. Surtout, ce texte est dangereux pour les plus faibles : enfants, femmes, personnes moins bien pourvues.

Mais tout cela, vous le balayez d'un revers de main, alors qu'il y aurait matière à un beau travail en commission. Confusion et danger encore avec l'instauration d'une indivision dans le code de contrats qui feront la joie du lobby des juristes, des avocats et des notaires. Danger pour la famille, pour ceux qui devront financer les avantages substantiels que vous accordez, au mépris de l'aide due à ceux qui assurent la pérennité de notre société.

Surtout, après l'avoir nié ici, vous avez reconnu au Sénat que les Pacsés étaient célibataires, et comme tels capables d'adopter. (Mme la Garde des Sceaux fait un signe de dénégation) Vous institutionnalisez donc pour demain l'adoption par les couples homosexuels.

Pour ces graves raisons, le groupe RPR votera la motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Claude Goasguen - Nous avons beaucoup travaillé, mais pas suffisamment pourtant. Ainsi, pour définir le Pacs et le concubinage, vous vous êtes servi des travaux du Sénat de façon cynique. Je suis sûr du reste qu'en troisième lecture vous présenterez un texte où le concubinage ne figurera pas. Le Pacs, qui repose sur la seule notion de vie commune, ouvre des droits substantiels. Le concubinage, défini à l'article 3 comme une union de fait présentant un caractère de stabilité et de continuité, n'ouvre aucun droit. Quelle est la cohérence ? Le Sénat, lui, s'était borné à définir le concubinage comme une union de fait.

En réalité, vous avez cherché à mettre l'opposition à l'Assemblée en contradiction avec la majorité du Sénat, mais au prix d'un texte incohérent.

Ou vous vous en tenez au Pacs, ou vous proposez à la fois le Pacs et le concubinage tout en sachant que ce dernier disparaîtra, et vous laissez deviner vos arrière-pensées politiciennes.

En première lecture, la ministre avait déclaré que la question de l'adoption méritait d'être examinée, puis cette déclaration a été fortement atténuée, et vous nous avez affirmé que le Pacs ne concernait pas l'adoption. Vous avez donc repoussé nos amendements tendant à interdire l'adoption dans la loi. Mais alors, comment justifier la présence de l'article 3 ? Quand cela vous dérange, vous choisissez de ne rien dire de l'adoption dans la loi ; quand cela vous arrange vous y inscrivez le concubinage qui n'a ici aucun sens.

M. Yann Galut - Nous avons voulu éclairer la pensée des sénateurs !

M. Claude Goasguen - Ou vous enlevez le concubinage, et nous pouvons discuter, ou vous faites de ce texte un patchwork destiné à mettre l'opposition en difficulté, et nous retournons travailler en commission. Voilà pourquoi nous voterons le renvoi en commission. Nous avons déjà beaucoup travaillé, mais on ne se lasse pas, Monsieur le rapporteur, de discuter avec vous (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Maurice Leroy - Certes, le débat a été long dans les deux assemblées. Mais, à l'évidence, de nombreux points restent à éclaircir, d'autant qu'à chaque lecture nous revient un texte différent, qui oblige à un nouveau travail de fond. Voilà qui justifie le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Muguette Jacquaint - 70 heures de discussion, ce n'est pas rien, ni non plus un millier d'amendements examinés. Pourtant nos collègues de l'opposition sont toujours dans la confusion. Alors, que faire de plus ? 600 amendements nous attendent encore, et des heures de discussion.

Je souhaite que nous engagions la discussion au plus vite pour que vous sortiez de la confusion. Nous n'adopterons donc pas la motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jacques Floch - Chers collègues, vous qui avez tout compris, s'il vous plaît ne renvoyez pas en commission (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

FAIT PERSONNEL

M. le Président - En application de l'article 58 alinéa 4, Mme Boutin a demandé à intervenir pour fait personnel.

Mme Christine Boutin - Lors de ma brève intervention, un parlementaire de la majorité m'a traitée de Goebbels. Je comprends que, ce texte paraissant peu à peu pour ce qu'il est, la majorité n'a rien à répondre à nos questions. Certains n'ont donc plus d'autre recours que de traiter de nazis ceux qui ne sont pas d'accord avec eux. Quand on en est réduit à utiliser des attaques personnelles aussi inqualifiables, c'est que l'intelligence a abandonné le terrain. J'espère que la majorité nous donnera une meilleure image dans la suite des débats.

Je veux bien croire que cette insulte est sortie "toute seule" mais cette spontanéité en dit long sur l'intolérance de certains collègues. Le nom de Goebbels évoque l'horreur des pires comportements humains d'élimination raciste. Comme députée de la République française attachée aux droits de l'homme et à la dignité de l'homme de la conception à la mort naturelle, quels que soient sa race, sa religion ou son état de santé, je ressens cette évocation d'un des pires dirigeants nazis comme une insulte grave.

Je souhaite, non que l'auteur de ces paroles indignes les retire, mais qu'il me présente des excuses (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Je vous en donne acte.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu aujourd'hui, mercredi 31 mars, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 5.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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