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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 84ème jour de séance, 213ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 7 AVRIL 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    CRISE DE LA FILIÈRE PORCINE 1

    LUTTE CONTRE LA DÉMORALISATION DES FORCES DE POLICE 2

    MOYENS DE LA JUSTICE 3

    KOSOVO 3

    SERVICE DE L'EAU 4

    AIDE HUMANITAIRE AUX RÉFUGIÉS DU KOSOVO 5

    PÊCHE 6

    BIOÉTHIQUE 6

    POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 6

    LICENCIEMENTS 7

    RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL À FRANCE TÉLÉCOM 8

PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite) 9

ORIENTATION AGRICOLE (nouvelle lecture) 16

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 17

    QUESTION PRÉALABLE 22

La séance est ouverte à quinze heures.

M. le Président - Je réunirai la Conférence des présidents dès la fin de la séance des questions au Gouvernement pour décider des modalités de l'information de l'Assemblée dans les semaines qui viennent.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CRISE DE LA FILIÈRE PORCINE

M. Charles Miossec - Le cours de la viande de porc est au plus bas, inférieur de près de 4 F au prix de revient moyen. La crise qui se prolonge depuis de longs mois a fait disparaître les acquis de 1996 et 1997. Le kilo de viande frôlant le cours historiquement bas de 5 F, certaines exploitations sont dans une situation dramatique et, avec elles, c'est l'ensemble de la filière qui est menacée. Combien de temps pourront encore tenir les éleveurs qui travaillent à perte ? Dans le seul Finistère, 200 d'entre eux ont déposé leur bilan ou vont être contraints de le faire.

Les mesures prises étant restées sans effet, vous en avez annoncé de nouvelles, Monsieur le ministre, aujourd'hui même, devant la Fédération nationale porcine, pour un montant cumulé de 100 millions, m'a-t-on fait savoir. Quel écart avec les besoins ! Il faut faire bien davantage : alléger les charges financières et sociales, d'une part, accélérer l'aide alimentaire à la Russie, d'autre part. Toutes les mesures d'aide à ce secteur sinistré doivent être d'effet immédiat, et tenir compte, mieux que cela n'a été le cas jusqu'à présent, de la réalité économique. Il importe, en particulier, que les directives européennes relatives à la protection de l'environnement soient traduites de manière identique dans l'ensemble des Etats de l'Union, afin qu'une concurrence normale puisse s'exercer. Le Gouvernement doit démontrer sa détermination à soutenir une filière qui regroupe des centaines de milliers d'emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - J'étais, en effet, il y a quelques heures, en train de débattre avec la Fédération nationale porcine des moyens d'endiguer une crise qui, vous avez raison, se poursuit depuis de longs mois. Mais ce n'est pas le Gouvernement qui fixe les cours, et cette crise frappe l'Europe tout entière. J'ai donc expliqué à nouveau les trois axes de la politique gouvernementale dans ce domaine. En premier lieu, rechercher la maîtrise de la production, ce qui ne peut se faire qu'au niveau européen et j'ai, pour cela, relancé mes homologues de l'Union, dont certains restent à convaincre ; ensuite, alléger le poids des charges financières et sociales pour les producteurs en difficulté, et en particulier pour les petits exploitants menacés de faillite. Cela sera fait en collaboration avec le Crédit agricole avec l'objectif, aussi, d'aider ceux qui le souhaitent -et ceux-là seulement, car nous ne souhaitons pas contribuer à une fuite qui conduirait à des concentrations- à se reconvertir ; édifier, enfin, une interprofession pour mieux maîtriser ce marché.

Ce travail de longue haleine sera poursuivi et j'espère qu'il portera ses fruits (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

LUTTE CONTRE LA DÉMORALISATION DES FORCES DE POLICE

M. Christian Estrosi - Après qu'un policier a été abattu par un voleur de voiture qui court toujours, après que, cette semaine, deux ont été blessés par des délinquants qu'ils tâchaient d'appréhender en flagrant délit, ce sont déjà six policiers qui sont morts en 1999. Vingt d'entre eux avaient payé de leur vie, en 1998, la défense et la protection de nos concitoyens. Dans le même temps, les mises en cause de policiers, dans l'exercice légitime de leurs fonctions, se font de plus en plus fréquentes. On l'a vu dans les Alpes-Maritimes, où il s'agissait d'intercepter un convoi d'immigrants clandestins ; on l'a vu à Marseille, où il fallait, en état de légitime défense, se protéger d'un voyou ; on l'a vu à Toulouse, au cours d'une mission difficile dans un quartier difficile ; on l'a vu, plus récemment encore, à Versailles, quand le tribunal a lourdement condamné de nombreux policiers qui avaient eu à démanteler un réseau de trafic de stupéfiants.

Face à la montée inexorable d'une délinquance que votre gouvernement semble incapable d'enrayer (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), les policiers voient maintenant leurs missions périlleuses se doubler de menaces juridiques. Alors que 300 d'entre eux ont, faut-il vous le rappeler, déposé symboliquement les armes, n'est-il pas de votre devoir, Madame la Garde des Sceaux, de montrer un soutien plus déterminé à des forces de police outrées par le sentiment d'impunité qu'est celui de trop nombreux voyous ? (Mêmes mouvements)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Il est vrai que les policiers sont chargés d'exécuter pour le compte de la nation une mission délicate et difficile puisque, conformément aux articles 12 et 13 du code pénal, justice et police doivent, de conserve, faire respecter la loi. Oui, c'est une mission difficile que d'y contraindre ceux de nos concitoyens qui n'y sont pas disposés. Mais, parce que nous sommes dans un Etat de droit, nous devons veiller à ce qu'elle s'exerce dans les meilleures conditions possibles. A cet égard, les fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique doivent la respecter au premier chef (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Personne, en France, n'est à l'abri de la loi et il est heureux qu'à propos des 300 000 gardes à vue dénombrées chaque année, très peu de cas similaires à ceux que le tribunal de Versailles à jugés ne se produisent.

Je profite de l'occasion qui m'est ainsi donnée de rendre hommage à la très grande majorité des policiers qui ont une très haute conscience de la mission que la République leur a confiée et que vous-même, élu de la nation, devriez avoir pour première préoccupation de faire appliquer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

MOYENS DE LA JUSTICE

M. Lucien Degauchy - Sachez, Madame la Garde des Sceaux, que nous ne sommes absolument pas satisfaits de la réponse que vous avez donnée à M. Estrosi. Je tiens quant à moi à appeler votre attention sur la situation des tribunaux qui, en dépit des promesses de votre gouvernement, manquent d'hommes et de moyens. C'est le cas, notamment à Beauvais, où des avocats ont été réquisitionnés pour compenser le faible effectif des magistrats. Cette pratique est certes légale, mais il n'est aucunement souhaitable qu'elle dure. Or elle se perpétue, et les avocats du Barreau de Beauvais ont rédigé une motion à ce sujet. Ils y dénoncent ces pratiques inacceptables. Ils y dénoncent également la défaillance du service public de la justice, dont témoigne l'évolution des effectifs du tribunal de Beauvais, en théorie de seize, mais de fait réduits à neuf.

Madame le Garde des Sceaux, vous avez parlé d'une grande réforme de la justice, d'ailleurs préconisée par le Président de la République... Nos concitoyens l'attendent avec impatience. Mais à quoi bon ces effets d'annonce si les moyens ne suivent pas sur le terrain ? Vos pratiques, Madame, me font penser à celles de votre collègue de l'Éducation nationale... Qu'envisagez-vous de faire pour mettre un terme à ces situations inacceptables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Tout le contraire de mon prédécesseur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) En effet, nous devons aujourd'hui gérer la pénurie organisée par M. Toubon : les tribunaux subissent directement les conséquences du gel des recrutements fin 1996 et début 1997 (Mêmes mouvements).

Pour le reste, la réforme voulue par le Gouvernement, avec l'accord du Président de la République, est en marche. Le projet de loi sur la présomption d'innocence est en cours d'examen. Les textes relatifs à la justice au quotidien avancent... et les moyens suivent, Monsieur le député. Nous avons recruté l'an dernier 70 magistrats et 230 fonctionnaires et en recruterons cette année, respectivement 140 et 230, ce qui est un record depuis quinze ans. Nous allons également recruter mille éducateurs en deux ans alors qu'ils ne sont que trois mille aujourd'hui et que leur effectif fin 1997 se situait au même niveau qu'en 1983.

Aussi avant de prétendre donner des leçons, devriez-vous tenir compte de la réalité. La réforme de la justice avance, les moyens nécessaires à l'amélioration du service public de la justice sont dégagés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

KOSOVO

M. Alain Madelin - Ma question, qui porte sur le drame du Kosovo, s'adresse à M. le Premier ministre. Elle me donne l'occasion de rappeler que nous sommes totalement solidaires de l'action engagée par la France aux côtés de ses alliés. Nous ne pouvions accepter plus longtemps que des Européens massacrent d'autres Européens au coeur de l'Europe sauf à nous rendre coupables de non-assistance à un peuple européen en danger. Placer les droits de l'homme au-dessus de la sacro-sainte souveraineté des Etats signe même, à nos yeux, un progrès de la conscience européenne et l'Europe se serait affirmée à dire très tôt sa volonté de déployer, le cas échéant, une force terrestre.

J'en viens à ma question qui a trait au drame humanitaire. Monsieur le Premier ministre, aviez-vous prévu l'afflux massif de réfugiés ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Si oui -puisqu'on ose craindre une autre réponse-, n'étions-nous pas capables d'organiser à temps les ponts aériens et de négocier à temps la libre circulation de l'aide humanitaire avec les pays concernés ? Nos concitoyens auraient alors eu le sentiment que tout a été fait pour mettre le plus vite possible un terme à ce drame.

L'Union européenne, et pourquoi pas à l'initiative de la France, ne pourrait-elle pas délivrer un titre d'identité aux réfugiés qui se sont vu dépouillés du leur aux frontières de leur pays ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Même si, à l'évidence, la solution ne passe ni par l'exil ni par la dispersion de ces réfugiés, mais bien par leur retour dans leur pays, cette reconnaissance par l'Union de leur statut de réfugié constituerait pour l'heure un geste de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Didier Boulaud - Démago !

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Le Premier ministre a dit hier ici même qu'il eût été difficile d'aider M. Milosevic dans son travail d'épuration ethnique en organisant par avance les camps pour les réfugiés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Pouvions-nous faire plus vite ? On dénombre aujourd'hui plus de 500 000 réfugiés, quelques dizaines de milliers en Hongrie et au Monténégro, 220 000 à 250 000 en Albanie et autant en Macédoine avec une différence majeure, l'Albanie étant tout à fait prête à accueillir ces réfugiés, la Macédoine craignant que leur afflux massif ne rompe l'équilibre ethnique du pays, au demeurant fragile, et qu'une crise économique ne se greffe sur la crise politique. Il fallait agir en urgence : la France a été l'une des premières, avec l'Italie, à s'y employer. Un pont aérien achemine actuellement 50 tonnes par jour de tentes, de couvertures, de médicaments et de vêtements. Des colis de vivres, confectionnés grâce à la générosité de nos concitoyens vont également être expédiés.

Certes, il a été difficile dans les premières heures d'acheminer cette aide au plus près des réfugiés. Des moyens héliportés étaient en effet nécessaires qui, maintenant, sont opérationnels. La difficulté tenait aussi au fait que la Macédoine, contrairement à l'Albanie, n'avait pas laissé entrer les réfugiés sur son territoire. Nous n'avons appris qu'il y a quelques heures qu'elle leur avait ouvert sa frontière.

La France avait décidé de débloquer 75 millions de francs qui s'ajoutaient aux 50 accordés par le biais de sa contribution aux instances européennes. Le Premier ministre a décidé de tripler le montant de cette aide bilatérale, porté donc à 225 millions.

Sur le terrain sont déployés les moyens de la protection civile, du SAMU international, des ONG, l'ensemble de leurs actions étant coordonné par la cellule d'urgence du Quai d'Orsay. Nos militaires jouent également un rôle essentiel, notamment pour la sécurisation des camps destinés à accueillir les réfugiés dans l'attente de leur retour au Kosovo -puisque tel est bien l'objectif, rappelé hier à la fois par le Premier ministre et par le Président de la République, mais aussi le souhait de ces populations.

L'identification de ces réfugiés, dépouillés de leurs papiers d'identité et parfois même de la plaque minéralogique de leur véhicule, est difficile. Elle relève normalement de la responsabilité du pays d'accueil. Elle peut aussi être le fait du HCR, qui en a le mandat de l'ONU. La France, pour sa part, peut, conformément à la loi, délivrer aux réfugiés un certificat de séjour provisoire. Notre pays ne se fermera pas aux réfugiés. Nos ambassades examinent d'ores et déjà certaines situations particulières et nous pourrons accueillir ceux d'entre eux possédant des attaches familiales en France ou dont l'état de santé le justifierait.

La remarquable action de la France sur le terrain est très appréciée, j'ai pu le constater moi-même. Je tiens à rendre hommage à tous ceux qui manifestent leur solidarité à l'égard des réfugiés, au premier rang desquels les familles albanaises et macédoniennes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe du RPR).

SERVICE DE L'EAU

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. L'eau est aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises. La libéralisation de ce service essentiel, n'a pas bénéficié à nos concitoyens, loin d'être égaux devant son prix et sa qualité. Des personnes démunies se voient couper l'eau au motif qu'elles n'ont pas réglé leur facture. Certes, la loi contre les exclusions a réglé en partie le problème puisqu'elle prévoit un service minimal dû à tout usager.

Pour autant, il y a lieu de s'interroger. Suez, Vivendi et la Lyonnaise des eaux se sont fixé pour objectif de contrôler la gestion et la distribution de l'eau à l'échelle internationale sans tenir compte des intérêts des usagers. Si l'heure n'est plus à encourager la création d'un grand service public de l'eau, ce que je regrette vivement, ne pourrait-on pas encourager les régies municipales pour la gestion de l'eau ? Le prix pratiqué serait sans nul doute inférieur à celui des grands groupes privés.

Que compte faire le Gouvernement pour limiter les abus et garantir l'égal accès de tous les citoyens au service de l'eau ? Ne serait-il pas envisageable d'encourager, voire d'obliger, les multinationales à réinvestir une partie de leurs bénéfices pour améliorer la qualité de l'eau ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Des scandales dans le passé, ont mis en évidence une grande hétérogénéité du prix de l'eau, qui s'établit en moyenne, mais avec de grandes distorsions, à 16,5 F par m3. De 1993 à 1997, la hausse annuelle moyenne a atteint 8 %, mais est retombée depuis à 4 %. Un système de gestion déléguée de distribution de l'eau entraîne un surcoût de 20 % par rapport à la régie directe, du moins jusqu'en 1997. L'an dernier, la différence a été de 15 %. Des efforts ont été accomplis pour rendre plus transparent le prix de l'eau et pour aider les collectivités locales à s'y retrouver. Je pense au rapport annuel sur la qualité et le financement de l'eau, à la simplification de la facture d'eau, aux dispositions de la loi du 29 juillet 1993 relatives à la prévention de la corruption, à la commission consultative des services publics locaux créé par la loi du 6 février 1992.

Cet arsenal paraissant insuffisant, j'ai annoncé dans une communication au conseil des ministres en mai dernier la mise en place, qui aura lieu bientôt, d'un haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement. Ce haut conseil émettra des avis sur les composantes et l'évolution du prix de l'eau, et fera des propositions pour améliorer la transparence dans ce secteur (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

AIDE HUMANITAIRE AUX RÉFUGIÉS DU KOSOVO

M. Jean-Claude Viollet - M. Josselin ayant répondu à une partie de ma question, je me tourne vers le ministre des affaires étrangères.

Hier, le Premier ministre nous a indiqué les modalités de la participation de la France à l'aide humanitaire d'urgence apportée aux réfugiés fuyant la terreur déclenchée par Slobodan Milosevic. Cette mobilisation traduit notre attachement aux valeurs de liberté et d'humanisme.

Conformément à notre volonté de ne pas éloigner la population kosovar de sa terre natale, afin de prévenir tout risque de déstabilisation de cette région, nous devons assurer à l'Albanie, à la Macédoine et au Monténégro une première aide économique d'urgence, et plus encore de leur proposer dans un cadre européen un engagement structuré de coopération économique et de développement.

Nos concitoyens ne sont pas restés insensibles au drame qui se déroule dans les Balkans. Les collectes de fonds, de denrées et de vêtements se multiplient, et contribuent elles aussi à cette chaîne de solidarité entre les peuples.

Hier, le Premier ministre a exprimé son accord pour accueillir temporairement certaines personnes déplacées qui le demanderaient, évoquant une action particulière en faveur des blessés, des malades et des handicapés. Nombre de Français sont prêts pour cet accueil, dont le Gouvernement devrait donc définir rapidement le cadre. Quelles mesures concrètes ont-elles déjà été prises dans le domaine de l'aide économique d'urgence à l'Albanie, à la Macédoine et au Monténégro ? Comment pourraient être organisées ultérieurement la coopération économique et l'aide au développement en faveur de ces pays ? Pouvez-vous préciser la façon dont sera mis en oeuvre l'accueil de réfugiés sur notre sol ? Comment analysez-vous les récentes déclarations des autorités yougoslaves appelant à un cessez-le-feu- unilatéral ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je confirme les précisions apportées par M. Josselin sur l'aide humanitaire. La France s'est placée au premier rang de l'effort mené sur le terrain, et aussi à Genève et à Bruxelles pour organiser au plus vite la concentration et l'acheminement des secours, et pour que les déportés soient soustraits à la situation dans laquelle ils avaient été parqués.

Demain, une réunion à Bruxelles traitera de l'aide à apporter à l'Albanie et à la Macédoine, et aussi au Monténégro, dont le président vient de me redemander au téléphone notre soutien.

Hier, nous avons appris que les autorités de Belgrade annonçaient de façon unilatérale qu'elles cessaient un feu qu'elles n'auraient jamais dû ouvrir sur les habitants du Kosovo. C'est cela qui a fait partir les Kosovars, et rien d'autre.

Il appartient aux autorités de Belgrade de nous prouver tout de suite que cette annonce est réelle, et que toutes les actions menées pour terroriser la population ont été stoppées.

Ces autorités sont-elles prêtes à ce que l'arrêt de ces actions soit vérifié ? Les autorités de Belgrade sont-elles prêtes à retirer du Kosovo leurs troupes militaires, paramilitaires et de police, au minimum sur les niveaux fixés en octobre dernier ? Sont-elles prêtes à proclamer immédiatement le droit au retour des réfugiés, qui ne veulent pas être dispersés ? Acceptent-elles de revenir dans un cadre politique, à partir des accords de Rambouillet, à quoi nous travaillons actuellement pour préparer l'avenir avec les autres diplomaties occidentales et en liaison étroite avec nos partenaires russes ? Sont-elles prêtes à accompagner cette démarche politique du rétablissement de la sécurité sur le sol du Kosovo ? Voilà les questions que nous avons posées en réponse à une annonce partielle. Nous attendons les réponses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

PÊCHE

M. René Leroux - Monsieur le ministre de l'agriculture et aussi de la pêche, le 30 mars dernier un Conseil des ministres non décisionnel s'est tenu à Bruxelles, portant en particulier sur les aides structurelles à la pêche, l'IFOP et l'organisation commune de marché. Cette rencontre préfigure le conseil du 10 juin, puis nous entrerons dans le processus de révision de la politique commune des pêches pour les cinq ans à venir.

Quelles conclusions tirez-vous du conseil du 30 mars et quelles orientations entendez-vous prendre en faveur d'une politique durable de la pêche au plan national ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Nous avons débattu le 30 mars de deux points essentiels : les actions structurelles et la réforme de l'OCM. Sur le premier point, je me suis élevé avec force contre un texte qui anticipe sur l'existence même des futurs plans d'orientation pluriannuels, alors même que le quatrième POP n'en est qu'à mi-parcours. Les propositions présentées ne font pas droit à l'essentiel de nos revendications, je les ai rejetées pour l'essentiel, comme l'ont d'ailleurs fait onze de mes collègues, si bien que la Commission sera obligée de revoir sa copie.

Sur la réforme de l'OCM, je suis plus optimiste. La proposition de la Commission préserve l'ensemble des éléments que la France a soutenus ces dernières années. De plus, nous avons un peu de temps, puisque la réforme est fixée pour 2002. J'ai proposé aux professionnels de travailler avec mes services pour définir une position qui deviendra celle de la France dans les négociations. Je vous tiendrai scrupuleusement informés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

BIOÉTHIQUE

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Monsieur le Premier ministre, le moment est venu de réviser la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique. La semaine dernière, à Lyon, au cours du forum mondial "Bio-vision", vous avez fait connaître les grands principes qui vous guident : soutien au développement des bio-technologies et maîtrise des risques qu'elles suscitent ; prévention des risques de discrimination liés à l'emploi des tests génétiques. Une mission interministérielle de dialogue portant sur le développement des technologies bio-végétales sera mise sur pied. Pouvez-vous nous préciser comment le Gouvernement conçoit le travail de révision de la loi, notamment en ce qui concerne le statut de l'embryon et le clonage ?

Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il, d'ores et déjà, pour garantir que les principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés ne soient pas sacrifiés sur l'autel du marché ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé - Je félicite les organisateurs de la conférence de Lyon, ainsi que la municipalité ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF ; sourires), car c'était la première fois qu'était réuni, sur ces questions, un tel aréopage de savants. Nous nous sommes aperçus, à cette occasion, combien les attentes étaient grandes, et grandes aussi les craintes. Les lois sur la bioéthique, dans leur sagesse, posent le principe de leur propre révision tous les cinq ans. Un avant-projet est en cours d'élaboration, qui sera soumis prochainement au Conseil d'Etat.

Les choses évoluent très vite dans les deux domaines que vous avez cités. Pour ce qui est du clonage, il apparaît que deux personnes sur trois lui sont hostiles, tout comme nous, s'il s'agit de reproduction, mais que près d'une sur deux lui est favorable s'il s'agit de lutter contre certaines maladies rares. Le débat, nécessaire, sera vif, car les Anglo-Saxons ont une position très différente de la nôtre. Quant au statut de l'embryon, nous devrons peut-être reconsidérer légèrement notre attitude restrictive, sous réserve d'un encadrement médical strict (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. François Loos - Lors de la discussion de la loi d'aménagement du territoire, Madame la Ministre, vous nous aviez fait de grandes déclarations sur "l'exercice renouvelé de la démocratie" (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL). La négociation des systèmes d'aide au niveau européen vous offre une occasion rêvée de vous y livrer avec nous, car nous sommes les premiers concernés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL)

Or que constatons-nous ? La consultation annoncée n'a été que de pure forme, le CNADT se voit communiquer des cartes qu'il est censé rendre avec ses observations en fin de réunion, et le Gouvernement se contente de dire qu'il prépare des scénarios et que les demandes de Bruxelles l'embarrassent. Votre prédécesseur avait veillé, en 1993, à tenir les commissions parlementaires compétentes régulièrement informées de l'état d'avancement de la négociation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Ma question est simple : avez-vous une politique d'aménagement du territoire ? ("Non !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL ; "Oui !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) Etes-vous prêts à en débattre avec nous ? (Mêmes mouvements) Voulez-vous donner toutes ses chances au développement équilibré du territoire ? (Mêmes mouvements)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Qui chercherait à faire oeuvre d'historien en examinant les archives de la DATAR serait bien obligé de constater qu'il n'y avait eu, en 1993, aucune concertation (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais tout au plus une information des parlementaires. Telle n'est pas la démarche que j'ai choisie : je me suis rendue en chaque occasion devant les commissions compétentes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et j'ai tenu, ainsi que M. Moscovici, de nombreuses réunions de concertation pour tenir les élus au courant de l'état de l'avancement des négociations (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le CNADT, au demeurant, est composé pour moitié de parlementaires et de représentants des collectivités locales et de leurs groupements.

Le cadre général est mieux connu depuis qu'ont été adoptées, à Berlin, les grandes lignes de l'Agenda 2000 : les fonds structurels s'élèveront à 213 milliards d'euros, dont les deux tiers environ au titre de l'objectif 1 et 11,5 % au titre de l'objectif 2. C'est moins que nous ne l'espérions, mais nous sommes confrontés à une volonté générale de concentrer les moyens sur les zones qui en ont le plus besoin, ce qui n'est pas forcément critiquable en soi. Nous ne devons pas négliger, par ailleurs, les 14 milliards, non zonés, inscrits sous la ligne directrice agricole, ni le fonds social pour l'emploi, qui n'est pas zoné non plus et connaît une forte augmentation, ni les zonages nationaux et les politiques qui leur sont liées. La politique d'aménagement du territoire ne se résume pas à des zonages : elle consiste à mobiliser des moyens en vue des objectifs prioritaires que sont l'emploi et la solidarité territoriale (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

LICENCIEMENTS

M. Maxime Gremetz - Dans la Somme, les restructurations, les délocalisations, les licenciements se multiplient. C'est un véritable drame économique et humain.

A la Sucrerie de Beauchamp, qui fait 20 millions de profits et emploie 158 salariés, la fermeture de l'usine annoncée. Il en va de même chez Yoplait, qui affiche 26 millions de profits et emploie 120 salariés La fusion de Goodyear et de Dunlop s'accompagne de chômage partiel, de 120 licenciements et de menaces sur l'avenir du site. Curver délocalise après avoir perçu des dizaines de millions d'aides publiques. AD, grande surface multinationale dont les profits sont considérables, licencie.

Il en est de même partout en Picardie et en France. Renault, dont les profits s'élèvent à 8,8 milliards, annonce 8 500 licenciements, dont 1 200 chez Chausson. Sony annonce 8 milliards de profits et 12 000 licenciements, Elf Aquitaine 7,8 milliards de profits et 2000 licenciements, Alcatel 15 milliards de profits et 12 000 licenciements ! Levi-Strauss annonce la fermeture de son usine et la Seita, malgré ses profits, celle des sites de Tonneins, de Nantes et de Morlaix. Les profits des grands groupes augmentent d'un tiers, leurs licenciements explosent aussi : 10 000 par mois. Ne nous étonnons pas si, malgré les dizaines de milliards de fonds publics destinés aux emplois-jeunes et aux 35 heures, la courbe du chômage repart à la hausse ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Plus que jamais, la question du moratoire sur les licenciements est d'actualité, au moins pour les grands groupes qui font des profits. Nous avons déposé, par ailleurs, une proposition de loi renforçant les dispositions de la loi du 27 janvier 1993 sur les licenciements économiques. L'urgence et la nécessité d'une telle réforme sont évidentes, la responsabilité publique impérieuse. Que compte entreprendre le Gouvernement en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Même si je ne méconnais, pas plus que vous, la situation de certains départements comme la Somme, je rappelle que la meilleure façon de lutter contre les licenciements, c'est de relancer, comme nous le faisons depuis deux ans, l'économie et la croissance (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : cela a permis de réduire leur nombre de 20 % ! (Mêmes mouvements)

Comme vous, je trouve inacceptable que des entreprises qui ont reçu des crédits publics licencient ou se délocalisent sans qu'aucun contrôle de l'emploi des fonds ait pu avoir lieu, et sans consacrer les moyens nécessaires à la réindustrialisation des sites et au reclassement des salariés. C'est pourquoi j'ai donné instruction aux inspecteurs du travail, dès mon arrivée, pour qu'ils refusent les plans sociaux ne comportant pas des mesures de reclassement suffisantes. La réduction du temps de travail a permis, à ce stade, d'éviter quelque 15 000 licenciements (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais il faut aller plus loin, en rendant les plans sociaux plus coûteux pour les entreprises qui font des profits, en améliorant la formation des salariés et des chômeurs, en indemnisant mieux, enfin, les personnes concernées lorsque, par malheur, des licenciements sont inévitables.

La situation de la Somme nous préoccupe, sachez-le, particulièrement, et j'ai vécu douloureusement, comme vous, l'annonce de la fermeture de l'usine Levi-Strauss de La Bassée, dont la rentabilité est pourtant reconnue par les dirigeants du groupe. Cela ne peut que nous inciter à exiger d'eux des mesures compensatoires (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL À FRANCE TÉLÉCOM

M. Bernard Birsinger - Une partie des salariés de France Télécom était en grève et a manifesté la semaine dernière, à l'appel de plusieurs syndicats, contre le très mauvais projet de réduction du temps de travail proposé par la direction. Celle-ci envisage en effet de recruter 11 500 salariés en quatre ans, mais de supprimer parallèlement 23 700 emplois. Alors que les emplois-jeunes ont été conçus comme un rempart contre la précarisation, la part de l'emploi précaire dans l'entreprise est passée, en deux ans, de 5 % à près de 10 %. Outre la réduction des effectifs et la précarité de l'emploi, le personnel s'inquiète de la modification du régime indemnitaire de 44 000 agents techniques, soit les plus faibles salaires de France Télécom qui sont déjà amputés d'une part de leur pouvoir d'achat. Vous avez dit avoir mené une large discussion avec les organisations syndicales sur ce sujet, mais elles ne sont pas de cet avis.

Les 15 milliards de bénéfices de l'entreprise pour 1998 ne profitent donc pas aux salariés, ni d'ailleurs aux abonnés qui voient les tarifs augmenter ou le nombre des cabines téléphoniques diminuer.

L'Etat est actionnaire majoritaire. Que compte faire le Gouvernement pour conforter l'emploi, le pouvoir d'achat des salariés et le service rendu aux usagers ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Vous avez raison, le climat social à France Télécom n'est pas satisfaisant. Le Gouvernement avait demandé dès l'automne 1997 à l'entreprise de conduire une politique de relations sociales renouvelée pour donner au personnel une vision claire de son avenir et l'associer aux grandes orientations de l'entreprise. Il souhaite que les questions actuelles -aménagement du temps de travail, régime indemnitaire spécial, réorganisation de la restauration collective- fassent l'objet d'une véritable négociation, qui doit s'organiser autour de quelques principes : la reconnaissance des efforts déjà fournis par le personnel, la volonté d'un véritable dialogue social et l'existence systématique d'une concertation préalable.

Des discussions sont en cours. Elles doivent aboutir. Il n'y a aucune raison que le dialogue social ne mène pas, comme à EDF ou à La Poste, à la réduction du temps de travail et à la diminution de la précarité. Nous voulons une entreprise technologiquement de pointe, mais une entreprise qui réussit parce que le progrès social va de pair avec le progrès économique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Je vais maintenant suspendre la séance pour permettre à la Conférence des présidents de se réunir.

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 25, sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - Compte tenu de la situation au Kosovo, M. le Président a proposé à la Conférence des présidents qui vient de se réunir que, malgré l'interruption de nos travaux, l'Assemblée tienne le mardi 13 avril à 15 heures une séance de questions au Gouvernement. Cette proposition, commandée par les circonstances, répond au légitime souci d'information de la représentation nationale.

Il en est donc ainsi décidé.


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PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, en deuxième lecture.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - A l'occasion de ce vote solennel, je tiens à remercier vos deux rapporteurs et votre commission des lois pour le travail accompli, ainsi que votre assemblée tout entière pour le souci d'apaisement qu'elle a manifesté. Nous avons franchi avec ce texte une étape importante. A l'origine, beaucoup niaient la nécessité même de légiférer. Assez vite cette position est apparue intenable et a été abandonnée. Mais les mêmes ont alors plaidé qu'un texte unique n'était pas nécessaire : il suffisait selon eux de modifier successivement nos lois sociales ou fiscales. Vous avez refusé de procéder ainsi en catimini, sans vision d'ensemble. Nous avons ensemble préféré la clarté et la reconnaissance des droits des couples non mariés qui sont, je le rappelle, environ cinq millions dans notre pays.

Aujourd'hui d'importantes différences d'appréciation subsistent. Mais le débat a montré la pertinence d'une démarche qui appréhende globalement les évolutions de notre société. Il a permis surtout de faire progresser les esprits vers une plus grande reconnaissance des couples homosexuels, et vers l'idée qu'il faut reconnaître les droits des couples non mariés.

Le pacte civil de solidarité permet de donner des droits à des personnes qui ne peuvent ou ne veulent se marier. C'est un contrat qui a toute sa place entre le mariage et l'union libre. Il ne s'agit pas d'une institution comme le mariage, modèle déterminé par l'Etat qui s'imposerait à tous. Mais ce n'est pas non plus un simple constat, car le pacte permet une organisation nouvelle de la vie en couple qui allie responsabilité et solidarité dans la vie quotidienne.

Des améliorations techniques significatives lui ont été apportées, qui précisent sa nature, sa déclaration, sa conclusion, le régime des biens ou encore l'attribution préférentielle.

La question, importante, des fratries, fera l'objet d'une réflexion spécifique. Le débat en a été clarifié : c'est bien du couple qu'il s'agit, même si le respect de la vie privée des personnes justifie que le pacte civil de solidarité puisse s'adresser à deux personnes liées non par des liens charnels mais par l'affection, l'amitié ou le souhait de faire face ensemble à l'avenir.

Nul ne peut plus douter que le pacte civil de solidarité ne concerne pas la famille. Non pas que les couples non mariés ne puissent constituer une famille, puisque nombre d'entre eux élèvent les enfants qu'ils ont eus, mais parce que la situation de ces enfants ne peut dépendre de la conclusion d'un contrat par leurs parents.

Enfin, vous avez souhaité, suivant en cela une proposition des sénateurs socialistes, introduire dans le code civil une définition du concubinage, pour que cesse la discrimination dont les couples homosexuels étaient victimes.

Vous le savez, ce gouvernement a toujours été opposé, dès lors qu'il ne s'agit pas de la filiation, à toute discrimination fondée sur le sexe. Puisqu'un doute subsistait sur l'évolution de la jurisprudence, il approuve votre démarche.

Le texte sur le pacte civil de solidarité fait ainsi progresser l'harmonie entre les pratiques sociales et le droit. Il fait donc oeuvre utile, et c'est pourquoi je vous demande solennellement de le voter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - La commission des lois, saisie dès juin 1997, son rapporteur, Jean-Pierre Michel, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, Patrick Bloche, ont pleinement rempli leur tâche d'écoute, d'analyse juridique et de proposition. Mais il leur a fallu consacrer beaucoup de temps et d'énergie à réfuter les critiques portées le plus souvent à la marge de ce texte, et même sur des sujets dont il ne prétendait pas traiter et que, d'ailleurs, il ne change en rien : le mariage, l'adoption, le droit des enfants. Au terme de cette deuxième lecture, je souhaite donc revenir sur le sens de ce texte et sur la nature du débat qu'il a suscité.

Le Pacs sera un contrat moderne pour tous les couples qui, ne voulant ou ne pouvant se marier, veulent "sécuriser" leur relation et consacrer leur engagement mutuel. Pour répondre à leur attente, nous n'avons voulu ni d'une solution communautariste, ni d'une succession de petits arrangements juridiques et fiscaux. Au contraire, le Pacs offrira un nouveau cadre juridique global et ouvert à tous, hétérosexuels comme homosexuels. Là est la condition de son efficacité juridique et pratique et, tout aussi important, de sa portée symbolique.

En effet, ce pacte assurera aux couples qui le choisiront une vraie reconnaissance par notre République laïque. Il aura, notamment pour les couples homosexuels, une signification décisive, en mettant fin à l'opprobre, ou à l'indifférence, en un mot à la discrimination qui n'en finit pas de perdurer malgré les protestations de "tolérance" qui fusent ici ou là, à l'occasion. De toute façon, ce n'est pas de tolérance dont ces couples ont besoin -et Jean Cocteau disait bien : "je n'accepte pas qu'on me tolère"- mais d'une reconnaissance.

Le débat ayant évolué, presque plus personne ne nie l'évolution des modes de vie ni la nécessité d'y apporter des réponses juridiques. La cause de quelques-uns est ainsi devenue la cause de presque tous. Depuis de nombreuses années, l'action militante résolue d'associations d'homosexuels -que certains ont sans cesse voulu présenter comme un petit "lobby"- a trouvé un écho chez quelques parlementaires déterminés. Aujourd'hui, je m'en réjouis, c'est la volonté du Gouvernement de Lionel Jospin et de sa majorité tout entière qui va permettre de mener à bien une réforme de droit et de justice sociale très attendue.

De ces convergences est né dans le pays un débat d'une ampleur peut-être inattendue. Mais cette ampleur même permet de mesurer les enjeux de la réforme. Nous entendons certes les résistances bien repérables qu'elle suscite, mais aussi l'adhésion profonde et paisible qu'elle rencontre chez une grande majorité de nos concitoyens. Cette adhésion tranquille a, de semaines en semaines, de plus en plus la force de l'évidence, malgré toutes les tentatives d'affolement, tous les pronostics de bouleversement de notre société.

Mme Christine Boutin - Méthode Coué !

Mme la Présidente de la commission des lois - Le Pacs n'est pas une révolution. Les Français le savent. Il n'est qu'une évolution de notre droit, trop longtemps attendue. Réformer est bien la mission de notre majorité. Comme l'ont si justement écrit les sénateurs socialistes Dinah Derycke et Jean-Pierre Bel, "si la loi n'a pas vocation à faire le bonheur des individus, elle doit contribuer à le permettre et à le protéger".

Le Pacs n'obligera ni ne lésera personne mais il représentera pour celles et ceux qui s'en saisiront librement un vrai progrès de la justice, de la solidarité et de la dignité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois - Je souhaite, en faisant le point, expliquer à ceux de nos collègues qui n'ont pas participé à l'ensemble du débat ce sur quoi nous allons voter aujourd'hui. Le Sénat a en effet profondément modifié le texte que nous avions adopté en première lecture, puisqu'il a supprimé le Pacs. Pensant se tirer d'affaire, il a décidé ensuite d'introduire le concubinage dans le code civil.

En seconde lecture, nous avons suivi la démarche sénatoriale dans ce qu'elle avait de positif, et nous avons donc maintenu l'inscription du concubinage dans le texte, en précisant -ce que la Haute assemblée n'avait pas fait- qu'il était ouvert à tous les couples, hétérosexuels et homosexuels. Madame la Garde des Sceaux s'est par ailleurs engagée, devant les sénateurs, à ce que le problème particulier des fratries soit réglé ultérieurement.

Le Pacs, rétabli, a été substantiellement amélioré par l'adoption d'amendements déposés par les rapporteurs, par le Gouvernement -que je remercie de sa contribution constante à la discussion- et par le groupe communiste. Les améliorations portent sur la nature du Pacs, clairement défini comme étant un contrat ; sur la procédure de sa conclusion, -au greffe des tribunaux d'instance- qui a été précisée ; sur les conditions de la rupture, puisqu'il est désormais spécifié que le juge du contrat pourra réparer d'éventuels dommages ; sur le régime des biens de l'indivision.

Autre amélioration essentielle : la suppression des délais pour obtenir le bénéfice des dispositions relatives aux droits de succession. Le Gouvernement ne s'y est pas opposé, et a même accepté de lever le gage. Enfin, l'adoption d'un amendement du groupe communiste a ouvert aux fonctionnaires qui auront signé un Pacs la possibilité d'un rapprochement, ce qui permettra non seulement les changements d'affectation mais aussi de corps.

Le texte que vous allez voter est donc supérieur à la version adoptée en première lecture, et beaucoup plus lisible. La navette parlementaire a correctement fonctionné et je souhaite qu'il continue d'en être ainsi : que le Sénat, donc, prenne acte du vote, vraisemblablement acquis à une très large majorité, par lequel l'Assemblée va se prononcer dans quelques instants, et qu'il améliore encore le texte sur les quelques points qui restent à préciser. Ainsi justifiera-t-il le bicamérisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Le texte adopté par le Sénat en première lecture présentait deux avantages et trois inconvénients. Il soulignait la nécessité de légiférer pour faire disparaître toute discrimination et il inscrivait le concubinage dans le code civil, ce qui n'a guère contribué à la cohésion de l'opposition.

Mais, curieusement, la Haute assemblée s'est arrêtée en chemin dans sa définition du concubinage, confirmant plutôt, de manière paradoxale, la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui exclut du concubinage les couples homosexuels. Pour éviter que cette rédaction "légère" -comme l'a souligné lui-même le rapporteur de la commission des lois du Sénat- ne sème la confusion, nous proposons une définition claire du concubinage.

Un autre inconvénient du texte proposé par le Sénat tient à ce que sa logique n'a pas été poussée à son terme.

Enfin, dernier inconvénient, la suppression pure et simple du Pacs, que nous vous proposons donc de rétablir. La commission des affaires culturelles a contribué à ce rétablissement, en insistant notamment sur la modernité du Pacs.

C'est un contrat qui prend naturellement place entre l'institution du mariage et l'union de fait. Il ouvre des droits en contrepartie de devoirs, et partant, protège bien le plus faible, contrairement au concubinage. Après cette deuxième lecture, il est devenu plus lisible : c'est dans ce souci qu'il ne concerne plus les fratries, un groupe de travail ayant été chargé de conduire une réflexion sur ce problème particulier. Le Pacs ouvre droit à un barème et à un abattement spécifiques en matière de droits de succession, et ce sans délai désormais. Je remercie à cet égard Mme la ministre d'avoir fait preuve de compréhension à l'égard des souhaits de la majorité de notre assemblée.

La deuxième lecture, qui a eu lieu dans des conditions bien différentes de la première, aura permis tous ces enrichissements. Le contexte international a bien évidemment pesé sur nos échanges et sur l'attitude de l'opposition. Je lui sais gré de n'avoir pas défendu l'intégralité de ses 600 amendements.

Il est vrai que, comme souvent, le temps a fait son oeuvre. Le mot Pacs est passé dans le langage courant et, comme l'a souligné Jean-Pierre Michel, les médias et les notaires ont anticipé notre vote définitif (Murmures sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Le Pacs est une proposition raisonnable, bien pensante, ont même écrit certains. Certes, qu'est-ce aujourd'hui que bien penser ? S'agit-il d'une pensée morale, d'une pensée unique ? Pensée majoritaire ? Quoi qu'il en soit, le Pacs me paraît bien pensé pour répondre aux aspirations légitimes de nos concitoyens, favoriser une plus grande égalité des droits et moderniser notre droit, qui en a bien besoin. Mais n'est-ce pas là notre raison d'être même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Pierre Blazy - La proposition de loi relative au pacte civil de solidarité que nous allons voter en deuxième lecture, sera un texte plus cohérent et plus riche. Le Pacs prendra désormais place entre la situation de fait qu'est le concubinage et l'institution qu'est le mariage. Il régira les relations de deux personnes vivant en couple qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se marier mais désirent obtenir une reconnaissance sociale de leur engagement commun.

La reconstruction du lien social que nous appelons tous de nos voeux exigeait un texte clair et neutre. Ce contrat est neutre au retard du droit de la filiation, de l'adoption, de la procréation médicalement assistée et de l'autorité parentale. Il ne constitue donc pas une alternative à la famille.

Le rétablissement du Pacs en deuxième lecture n'a pas été le fait d'un réflexe majoritaire consistant à voter à l'identique le texte adopté en première lecture. Au contraire, nous avons écouté, dialogué et cherché à améliorer un texte qui concernera près de cinq millions de nos concitoyens. Ainsi avons-nous accepté la reconnaissance du concubinage homosexuel comme état de fait, ou bien encore refusé de traiter la délicate question des fratries dans ce texte -elle le sera de façon séparée.

Grâce à l'excellent travail de Patrick Bloche et de Jean-Pierre Michel, la majorité plurielle appuyée par le Gouvernement, tient ses engagements.

D'aucuns auraient pu penser que ce débat de société aurait échappé au clivage gauche-droite, comme cela avait été le cas du débat sur l'IVG en 1974 où la gauche, alors minoritaire, avait apporté son soutien à un texte de progrès social proposé par le gouvernement de l'époque (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). D'aucuns auraient pu penser que dans une démocratie comme la nôtre, l'opposition traditionnelle entre l'ordre et le mouvement s'effacerait un instant et que prévaudrait l'intérêt général (Mêmes mouvements) ; qu'une certaine unanimité se ferait jour sur le fait que la nature de la relation entre deux adultes consentants ayant un projet de vie commune devait rester du domaine strictement privé. Tel n'a pas été le cas : nous le regrettons.

Il est plus facile d'utiliser la peur de l'Autre, d'attiser la haine que d'affronter la réalité d'une société en mutation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La défense de la famille dont l'opposition n'a pas le monopole, ne justifie pas la mauvaise foi qui s'est manifestée sur les bancs de l'opposition (Mêmes mouvements).

Mesdames et Messieurs de la droite, en utilisant le Pacs pour dénoncer le choix de vie et de sexualité des couples homosexuels, vous portez un jugement moral, certains diraient sectaire ou intégriste, indigne de représentants du peuple souverain dans un Etat laïc (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En outre, vous mentez sciemment à nos concitoyens. Nous avons en effet refusé d'entrer dans une logique communautariste et de créer un statut particulier pour les personnes homosexuelles qui aurait légitimé une exclusion intolérable dans un Etat de droit moderne.

Enfin, votre objectif politicien de ne pas vous laisser déborder par l'extrême droite sur cette question a conduit certains d'entre vous à reproduire son discours homophobe (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En deuxième lecture, votre croisade a fini par se réduire aux discours d'un quarteron de députés dont l'archaïsme n'a pas su convaincre y compris dans les rangs de l'opposition... (Huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - Mes chers collègues, laissez M. Blazy terminer !

Monsieur Blazy, ne provoquez pas vos collègues !

M. Jean-Pierre Blazy - Je ne provoque pas. Je dis ce qui est. Un quarteron de députés, dis-je, brandit la troisième lecture comme l'ultime rempart.

Le caractère républicain et social du Pacs est indéniable car il tend à une plus grande égalité de droits entre tous les citoyens et leur donne la possibilité réelle de choisir leur mode de vie à deux. Il n'y a pas de contradiction entre notre politique familiale ambitieuse et rénovatrice (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) et le Pacs. Le Pacs comble un vide juridique et répond à une aspiration profonde des Français : la liberté pour chacun de choisir son mode de vie amoureuse. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera la proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Henri Plagnol - Le débat en deuxième lecture a malheureusement révélé la véritable nature du Pacs. Nous n'en savons pas davantage de sa nature juridique : le Pacs sera désormais un sujet classique de dissertation pour étudiants en droit ! Mais aux yeux de la majorité et du Gouvernement, le Pacs n'a jamais été et ne sera jamais une réponse pragmatique et raisonnable aux problèmes posés par les nouvelles formes de vie à deux ou par les évolutions nécessaires du droit de la famille. Il ne s'agit pas non plus pour eux de préparer les esprits à une réforme de société susceptible de réunir l'immense majorité d'entre nous. Il s'agit seulement, comme M. Blazy vient encore d'en apporter la preuve, d'agiter le drapeau de l'idéologie pour diviser artificiellement les Français sur la famille, avec d'un côté, les héritiers des lumières, tenants de la modernité, hostiles à toute discrimination (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), d'un autre les prisonniers de la nuit, archaïques tenants du conservatisme... (Mêmes mouvements)

Monsieur Blazy, je fais partie de ce quarteron de députés qui ont ferraillé inlassablement contre le projet de Pacs. Je considère en effet que c'est une très mauvaise réponse à une question légitime.

Je veux pour preuve de la nature idéologique du Pacs qu'à aucun moment du débat vous n'avez manifesté un souci de concertation. Je veux pour preuve de votre arrogance que vous avez vidé le travail du Sénat de sa substance. Nos collègues qui, eux, n'ont pas refusé la concertation, ont formulé une proposition alternative au Pacs, tout à fait raisonnable, qui eût pu nous rassembler. Elle reposait à la fois sur la reconnaissance solennelle, inscrite dans la loi, du libre choix de chacun de vivre comme il l'entend, et sur la réaffirmation du mariage républicain comme seul pilier de la famille et de la société. Au lieu de prendre cette main tendue par l'opposition, vous avez préféré empiler le concubinage sur le Pacs et le mariage, au risque de créer un bien indigeste mille-feuilles juridique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Une fois satisfaites les revendications légitimes des couples homosexuels, comme le droit au transfert de bail ou à la couverture maladie pour le compagnon, le Pacs était inutile. Il aurait suffi d'introduire quelques modifications dans notre législation fiscale et sociale pour mettre un terme aux discriminations actuelles.

Au demeurant, le Pacs n'est pas seulement inutile, il est dangereux. Il crée le règne de la confusion et de l'irresponsabilité, il multiplie les risques de fraudes et d'abus. Il va aggraver la décomposition de la famille en favorisant la précarité de couples à géométrie variable. Il fait l'impasse sur le conjoint le plus faible, qui n'est en rien protégé par ce contrat en trompe-l'oeil. Il ne dit rien non plus des enfants, les grands oubliés de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Vous avez même refusé de préciser que l'adoption n'était pas ouverte aux couples homosexuels, non plus que la procréation médicalement assistée. Votre acharnement idéologique a créé une fracture inconnue jusque là dans la conception que se font les Français de la famille. Vous avez voulu faire en 1999, dans le domaine des moeurs, ce que vous ne pouvez plus faire, comme en 1981, dans le domaine économique, c'est-à-dire tout bouleverser par une réforme bâclée et exclusivement idéologique.

Il nous appartiendra, en nous inspirant du travail du Sénat, de proposer une véritable modernisation de la famille, avec pour principal fondement l'accueil et l'épanouissement de l'enfant (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Alain Tourret - Le calme est quand même revenu ici, après les fureurs qu'a déchaînées la première lecture de ce grand projet de société. La droite s'était arc-boutée sur les positions les plus extrêmes, caricaturant à l'excès l'une des grandes réformes de notre temps (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Finalement l'extrémisme s'est délité, en partie grâce à certaines propositions du Sénat qui a perdu par là un peu de sa proverbiale ringardise, en partie aussi grâce aux contradictions internes de l'opposition, résumées par ce sarcasme de l'un des siens que j'aperçois : "Le parti de Simone Veil est devenu celui de Christine Boutin".

Le texte d'aujourd'hui a pris de l'épaisseur. Le Pacs est un contrat conclu entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe pour organiser leur vie commune, avec des droits et des devoirs. Il implique une résidence commune, et ne peut pas s'appliquer aux fratries. Ainsi disparaît tout risque de rupture de l'interdit de l'inceste, fondement de notre société occidentale. Le mariage demeure l'institution de référence, le Pacs étant seulement une convention. Le Pacs n'influe en rien sur le droit de la famille. Il n'a aucune incidence sur l'adoption, sur l'autorité parentale, sur la transmission du nom, sur la PMA (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En revanche il est excellent que le concubinage soit désormais reconnu comme une union de fait. Voilà enfin le Rubicon franchi. La reconnaissance du concubinage homosexuel est une avancée du droit attendue depuis longtemps.

Notre texte a trouvé sa cohérence. Nous sommes fiers d'avoir créé un nouvel espace de liberté (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous avons montré que toute la gauche sait se retrouver sur les projets de société. Le groupe RCV, les radicaux de gauche, sauront favoriser les mutations de notre temps. Nous sommes des humanistes épris de liberté. Nous voterons donc ce texte de liberté qui renforce le pacte républicain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Dominique Dord - Regrettant sans doute de n'avoir pas été entendus, ou trop souvent caricaturés, en première lecture, nous avions choisi, comme vous l'aviez relevé, Madame le Garde des Sceaux, la voie du dialogue et de l'ouverture. Hélas, trois jours et deux nuits plus tard, je ne peux pas vous retourner le compliment. Votre hommage était sans doute empreint de quelque hypocrisie (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En effet, il n'y a pas eu de dialogue. Aucune modification substantielle n'a été apportée au texte, vous n'avez retenu aucun de nos 600 amendements, vous avez retiré du texte les fratries, et vous avez tenté de nous placer en porte-à-faux par rapport à la majorité du Sénat par une grossière manoeuvre politicienne visant à intégrer pour partie la définition du concubinage élaborée par nos collègues.

Pourtant, n'en déplaise à M. Blazy, les bases d'une plate-forme commune pouvaient se dégager. Sur un texte qui modifie l'organisation sociale, la recherche du consensus dans la société française, pensions-nous naïvement, n'était pas inutile. Il suffisait pour y parvenir d'adopter une démarche pragmatique, et non pas dogmatique. Nous saisirons l'occasion de la troisième lecture pour la proposer à nouveau.

Sur votre volonté, que nous affirmons partager depuis le 16 septembre dernier, de mettre fin à certaines injustices, nous étions d'accord. Vous nous proposez de modifier la loi de 1989 pour donner un droit de suite dans le logement ? Aucun de nous ne s'y est opposé. Vous proposez de modifier la loi de 1995 pour que la qualité d'ayant droit à l'assurance maladie soit reconnue à ceux qui vivent en couple hors mariage ? Nous y sommes favorables. D'accord aussi pour modifier la fiscalité sur les successions. A l'exception de la disposition faisant du Pacs un élément d'appréciation pour acquérir la nationalité française, que nous refusons, les conditions d'un très large consensus étaient réunies. Restait à définir le véhicule juridique de ces droits nouveaux. Vous proposiez un contrat, le Sénat proposait une définition du concubinage dans le code civil, nous étions partisans d'une simple attestation prenant en compte les réalités de la vie commune.

Or, alors que tout semblait possible, vous avez fermé la discussion. Est-ce simplement, Monsieur le rapporteur, parce que le Pacs était déjà passé dans le langage courant, et apparu au cinéma ? Bien sûr que non !

En réalité les modalités du Pacs étaient devenues pour vous secondaires, et les difficultés des concubins passaient après celles de la majorité plurielle, pressée, après tous les contre-temps de la première lecture, de se sortir du bourbier politique qu'était devenu ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

L'objectif n'était donc pas de dialoguer, ni de rassembler ; au contraire il fallait opposer, caricaturer : les conformistes d'un côté, les modernes de l'autre ; l'ombre et la lumière ; les égoïsmes et les générosités. Bref, pour les besoins de la cause, vous avez feint de croire que tout était devenu simple, et que les inquiétudes de millions de Français étaient à balayer d'un revers de main. Bien sûr, pour vous le Pacs est neutre par rapport à la famille, il n'existe aucune concurrence avec l'union libre et le mariage. Honte à ceux qui pouvaient penser le contraire, aux philosophes, aux sociologues, aux psychiatres, aux juristes, aux fiscalistes, aux associations familiales, aux confessions religieuses (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), à des millions de Français et à quelques malheureux députés réactionnaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Non, le Pacs n'est pas une étape vers l'adoption ni vers le PMA ! M. Jean-Pierre Michel ne l'a jamais dit, les associations d'homosexuels ne le revendiquent pas ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) On verra plus tard quand les pacsés hétérosexuels demanderont à bénéficier du droit à l'adoption et à la PMA, comment vous pourrez le refuser aux pacsés homosexuels. Bien sûr, la rupture unilatérale d'un contrat de vie commune est une avancée sociale et n'a rien à voir avec la répudiation, même si personne n'a été capable de nous expliquer en quoi (Mêmes mouvements). Non, le Gouvernement ne subit pas la pression de je ne sais quel lobby ! D'ailleurs, à vous entendre, on peut se demander si ces lobbies existent ! (Claquements de pupitres sur quelques bancs)

M. le Président - Mes chers collègues, j'ai donné la parole à M. Bloche sans que le Règlement le prévoie et je n'ai mesuré le temps à aucun des orateurs. Je vous prie donc de bien vouloir laisser M. Dord conclure.

M. Dominique Dord - Non, il n'y a aucune raison d'être choqué par la comparaison entre les économies que vous faites sur la politique familiale et les dépenses que vous vous apprêtez à faire pour le Pacs ! Vos arguments sont les bons, puisque ce sont les vôtres, et à force de les répéter, ils deviennent vérité ! Vous resterez donc, Madame le Garde des sceaux, avec vos certitudes, et M. Blazy avec ses insultes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous resterons avec nos regrets, nos doutes et nos inquiétudes sur un dispositif inutile qui ouvre des perspectives que nous ne pouvons accepter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Bernard Birsinger - Les députés communistes voteront d'autant plus volontiers pour le pacte civil de solidarité qu'il porte la marque de nombreuses améliorations par rapport au texte adopté le 9 décembre : abandon de l'article sur les fratries, suppression du délai pour l'abattement sur les successions, extension des possibilités de mutation dans la fonction publique, sans oublier, naturellement, l'inscription de la notion de concubinage, sans distinction de sexe, dans le code civil.

Chaque fois qu'elle s'est prononcée, l'Assemblée est allée dans le sens du progrès, et je me permets de faire quelques suggestions en vue de la prochaine lecture : limitation de la part d'arbitraire dans l'appréciation des liens personnels et familiaux des étrangers en France ; levée du délai fixé pour l'imposition commune, au moins au bénéfice des personnes qui vivent de longue date ensemble ou qui ont ensemble un enfant ; substitution de la mairie au greffe du tribunal d'instance pour la signature du Pacs.

La droite a annoncé qu'elle poursuivrait son combat rétrograde et son obstruction systématique en troisième lecture. Le groupe communiste sera présent et saura se placer résolument dans le camp de la modernité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Patrick Devedjian - La version du Pacs qui nous est présentée aujourd'hui est la septième, et si j'en crois M. Birsinger, ce n'est pas fini ! Aussi répondrai-je à M. Blazy, qui déplorait l'absence de vote unanime en faveur du texte : sur laquelle de ces sept ou huit versions auriez-vous souhaité que nous vous suivions ? Mais peut-être considérez-vous que nous aurions dû, au nom de la haute opinion que la majorité a d'elle-même, la suivre dans toutes ses hésitations, ses repentirs, ses réticences, ses retournements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Vous qui prétendez combattre les discriminations, il vous reste en vérité une chose à apprendre : c'est à respecter les gens qui ne pensent pas la même chose que vous ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Si le texte a tant varié, ce n'est pas que la discussion l'ait réellement enrichi : c'est que vous n'avez cessé de changer d'avis sur sa signification. Institution ou contrat, mairie, préfecture ou greffe du tribunal, extension aux fratries ou pas, statut du concubinage ou pas, portée des droits et des délais : vous avez tout dit et son contraire, y compris sur l'adoption par les homosexuels, dont vous avez commencé par nier la possibilité avant de reconnaître que seule l'adoption conjointe était interdite !

Quant au Gouvernement, il n'a jamais eu le courage de reprendre la proposition à son compte, tant il redoutait les remontrances du Conseil d'Etat, et il ne l'a soutenue qu'avec prudence, en insistant sur son caractère symbolique. Celui-ci est au demeurant des plus flous, les uns cherchant à promouvoir une forme de mariage homosexuel tout en considérant le mariage classique comme archaïque, tandis que d'autres veulent carrément détruire l'institution familiale, ainsi que le prouve la lecture de l'organe officiel du parti socialiste. Pour notre part, nous ne pensons pas que le mariage soit, comme il y était écrit le 29 janvier, "un instrument de perpétuation des hiérarchies sociales et des inégalités" (Huées sur les bancs du groupe RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : nous pensons au contraire qu'il est instrument d'amour, de solidarité, de progrès et de lien social. Votre erreur n'est pour nous qu'une raison de plus de voter contre, résolument contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

A la majorité de 300 voix contre 253 sur 554 votants et 553 suffrages exprimés, l'ensemble de la proposition de loi est adopté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 40.


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ORIENTATION AGRICOLE (nouvelle lecture)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que, la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation agricole, il demande à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45-4 de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi.

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production - Le texte que nous avons examiné en octobre définissait une agriculture riche en hommes, respectueuse du territoire et capable de produire des produits de qualité. Il réorganisait les filières, reconnaissait les syndicats de producteurs en organisant la concertation et le pluralisme, renforçait les outils de gestion du marché et définissait un contrat territorial d'exploitation entre Etat et agriculteurs. Le CTE devait favoriser la multifonctionnalité de l'agriculture, lui donner des moyens et des objectifs, bref, lui redonner un sens.

Il n'est pas possible de parler de la LOA sans parler de la PAC. Monsieur le ministre, nous voterons votre texte par nécessité, mais aussi pour éviter un faux débat. En effet, cette PAC n'est pas la nôtre. Elle n'a pas été désavantageuse pour tout le monde et elle encourage le productivisme au détriment de la qualité, entraînant la disparition de nombre d'agriculteurs. Mais l'Agenda 2000 a été accepté par 10 Etats sur 15. Votre tâche était rude de défendre la France, qui s'est exprimée d'ailleurs d'une seule voix, et de soutenir que toujours plus de produits à des prix toujours plus bas ne constituait pas un bon système !

La majorité au Conseil étant ce qu'elle est, vous avez dû vous battre pour obtenir le maximum. Vous avez refusé le cofinancement, obtenu la prise en compte du troupeau allaitant, une OCM viti-vinicole satisfaisante, et vous avez obtenu que l'accord ne soit pas finalisé le 11 mars, de sorte que le Président de la République et le chef du Gouvernement ont pu, ensemble, parvenir à un accord qui constitue un moindre mal.

Pourquoi faut-il aujourd'hui, par cohérence, voter la LOA ? Parce que cette PAC orientée vers plus de productivité et de surface inscrit dans le marbre, que nous le voulions ou non, la disparition d'un certain nombre d'agriculteurs. La loi d'orientation doit dépasser l'objectif 2005-2006, et dire quelle agriculture nous voulons à échéance de vingt ans. Cette agriculture que nous voulons doit permettre aux agriculteurs des zones défavorisées, comme aux petits agriculteurs des zones plus riches, d'obtenir un revenu décent à travers les multiples services qu'ils rendent à la collectivité. Elle doit permettre d'installer plus de jeunes, et de renforcer les filières.

Le Sénat a perfectionné certains aspects de la rédaction du texte, que nous n'avions peut-être pas suffisamment éclairés. Mais il reste que le Sénat, en dénaturant le contrat territorial d'exploitation, en refusant le pluralisme... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) C'est bien sur cette question de la définition du pluralisme que la CMP a échoué ! (Mêmes mouvements) Le Sénat, dis-je, a refusé sur ces points la logique de la loi d'orientation, tout comme sur les signes de qualité ou le contrôle des structures, et il a retenu des dispositions que la majorité de cette assemblée ne peut accepter. S'il faut en effet que le CTE s'adresse à l'ensemble des activités, et qu'il puisse en exister qui s'inscrivent dans une démarche collective, il peut y en avoir d'autres qui reposent sur une démarche individuelle, autour d'un projet particulier. Ce CTE, au sujet duquel l'opposition avait émis des doutes, nous devons le conforter aujourd'hui. Nous savons, Monsieur le ministre, que vous vous êtes battu pour la dégressivité, et pour la partie financement rural de la PAC. Si sur ce point nous n'avons pu obtenir satisfaction, ce ne fut pas faute de combativité. Il convient donc d'agir maintenant à travers le plafonnement et la ré...orientation des aides. Il est peut-être temps de relégitimer les financements publics, et d'asseoir la possibilité d'un revenu décent.

Pour ce qui est du contrôle des structures, j'ai reçu ce matin une délégation d'un grand syndicat agricole représentatif. Elle m'a demandé d'être très ferme dans ce débat à leur sujet, de traiter demain les sociétés comme les exploitations individuelles, de ne pas toujours tenir compte des liens de parenté... (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Christian Jacob - Ils n'aiment pas la famille !

M. le Rapporteur - ...de ne pas laisser disparaître, autant que possible, des unités viables ; bref, de faire que l'agriculture soit durable, grâce à l'installation des jeunes, qu'ils soient issus ou non du milieu agricole. On sait en effet qu'il y a une forte demande, et que la génération qui vient ne suffira pas à assurer le renouvellement du nombre d'agriculteurs.

En ce qui concerne les signes de qualité, le Sénat a voulu faire plaisir à tel ou tel lobby (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) alors que nous avons tenté une clarification, grâce à plusieurs amendements. Il est normal que demain l'INAO puisse déterminer la marche à suivre pour tout ce qui touche à l'origine. Nous ne céderons pas à certaines volontés hégémoniques qui voudraient faire des IGP sans labels ou certifications de conformité. Il faut que l'INAO, qui a fait ses preuves à travers la politique des AOC, puisse recevoir délégation pour instruire les dossiers d'IGP, dans un dispositif où l'INAO et la CNLC auront tous deux leur place. Sur l'enseignement supérieur enfin, le clivage doit être dépassé, dans le cadre de la réforme des études de troisième cycle.

Nous ne devons pas céder au chantage selon lequel cette loi devrait répondre à toutes les insuffisances de la PAC, qu'il s'agisse de fiscalité, d'investissement, de transmission, de compensations pour les régions difficiles... Non, la LOA n'a pas vocation à assurer le rattrapage de la PAC, mais à conforter l'agriculture et à conforter les régions difficiles. Les outils que vous nous donnez permettront de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Philippe Vasseur - Reconnaissez, Monsieur le rapporteur, que depuis la première lecture de ce projet il s'est passé bien des choses. Nous avons changé de ministre ; et il y a eu l'accord sur la réforme de la PAC. De cet accord nous n'avons sans doute pas la même vision. Pour être honnête, je crois qu'il aurait pu être pire pour notre pays. Je vous donne acte, Monsieur le ministre, de votre combativité. Il faut rendre à chacun, au sommet de l'Etat, les mérites qui lui reviennent, à vous-même au Conseil des ministres de l'agriculture, puis au Président de la République lors du sommet de Berlin -et qui ont consisté à arracher un accord qui permet de sauvegarder un certain nombre de nos secteurs agricoles. Du résultat obtenu, vous n'avez pas à rougir.

Mais, s'il aurait pu être pire, il aurait aussi pu être meilleur. C'est que vous avez hérité d'un dossier mal préparé. Dans une négociation européenne de cette ampleur, ce n'est pas dans la dernière ligne droite qu'on gagne la course : il faut, des mois à l'avance, négocier, proposer, et de ce point de vue je crois que la France n'a pas fait le bon parcours. Je dirai même que la discussion de la loi d'orientation a plutôt affaibli notre position face à l'Europe. Dans un tel contexte, cette loi aurait dû être un signe fort, adressé à l'Europe, sur l'ambition qu'a la France pour son agriculture. Je ne pense pas que nous ayons clairement montré à nos partenaires ce que nous voulions faire pour obtenir qu'ils se calent sur les positions françaises.

J'en prendrai un exemple : le contrat territorial d'exploitation. C'est l'essentiel de votre loi : enlevez-le, et il ne reste pas grand-chose -pas de quoi en tout cas parler d'une loi d'orientation. Je n'ai rien contre le CTE, et je pense même qu'il peut être un bon outil. Mais ce n'est qu'un outil : il ne constitue pas en lui-même une grande politique. Et je crains même qu'aujourd'hui il n'apparaisse comme un leurre. Nous avons interrogé votre prédécesseur, lors de la première lecture, sur le financement de ce dispositif. Nous n'avons pas eu de réponses satisfaisantes, et nous ne les avons toujours pas. On nous a parlé de redéploiement, et on nous a surtout dit qu'on comptait sur l'Europe pour financer cette politique. Mon ami et homologue allemand m'avait dit, du temps où j'occupais le banc qui est aujourd'hui le vôtre : l'Allemagne en a un peu assez de payer pour les autres ; nous payons trop pour l'agriculture.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Cela n'a pas changé...

M. Philippe Vasseur - Il ajoutait : si l'on peut concevoir qu'au nom de la PAC nous apportions notre contribution à une politique d'ensemble, il est hors de question que nous financions ce que nous considérons comme une politique de l'aménagement du territoire en France. Aujourd'hui le problème reste entier. On ne peut demander l'impossible, et vous pouviez difficilement revenir avec un accord pour le financement européen des CTE. Il vous reste certes des possibilités, comme la modulation des primes ; mais on n'a pas le sentiment que le financement européen soit assuré.

Reste donc à financer les CTE par redéploiement de crédits nationaux. Il se pose alors une question, à laquelle nous souhaitons obtenir réponse. Il arrive que des membres du Gouvernement éludent certaines questions, comme on l'a vu tout à l'heure à propos de la prime d'aménagement du territoire. Mais vous n'êtes pas homme à éluder les questions. Je vous le demande donc : où prendrez-vous l'argent ? M. le Pensec avait évoqué différentes possibilités, notamment celle -qui nous avait alarmés- de prendre sur les crédits d'installation des jeunes. Comment ne pas s'interroger sur une politique qui consiste à diminuer les crédits consacrés à l'installation des jeunes agriculteurs ? Mais peut-on réellement leur faire croire que leur avenir passe par les contrats territoriaux d'exploitation, qui représentent chacun de 30 000 à 40 000 francs de produit -et non de revenu ? Et prévoir 10 000 de ces contrats par an, c'est s'obliger à trouver de 300 à 400 millions cette année, 800 millions en 2000, 1,6 milliard l'année suivante... Alors que ce dispositif devrait être accessible au plus grand nombre, ce n'est que de 100 contrats par département qu'il s'agit, et comment les financera-t-on ? Ce n'est pas ainsi que nous répondrons aux défis que nous pose la PAC.

Encore ne pouvons-nous, à ce jour, estimer précisément les effets des mesures déjà prises. Nous savons bien, cependant, que l'augmentation des quotas alloués à l'Italie et à l'Espagne ne manquera pas de créer des tensions sur le marché laitier : comment pourrait-il en être autrement ? La loi d'orientation qui nous est présentée ne répond pas aux questions fondamentales qui se posent et je suis en désaccord flagrant avec le rapporteur sur ce point. On avait pu penser, pourtant, et je l'ai pensé moi-même, que les conceptions de la majorité présidentielle et celles de la majorité plurielle étaient, en matière agricole, strictement identiques. Je vois qu'il n'en est rien. S'agissait-il, alors, d'une simple posture politicienne ?

M. François Loncle - Il s'agissait de défendre les intérêts de la France.

M. Philippe Vasseur - Il est vrai qu'en certaines circonstances, un front commun s'impose. Mais je constate que l'identité de vues n'est pas totale, et cela doit être souligné car, à de certains moments, la majorité socialiste semblait se réclamer de la même politique agricole que le Président de la République...

M. Pierre Forgues - Mais non !

M. Philippe Vasseur - Vous me rassurez ! Cela montre qu'il existe au sein de la majorité plurielle matière à débat !

Ce que nous attendons de la LOA, c'est à la fois qu'elle nous permette de répondre aux défis de la PAC et qu'elle consolide notre position dans les négociations en cours ou à venir dans le cadre de l'OMC. On sait combien la partie sera difficile, on sait aussi que, malheureusement, les Européens ne parviennent pas à parler d'une seule voix face aux Américains.

Que de difficultés en suspens avec le veau aux hormones et les organismes génétiquement modifiés ! Nous devrons, grâce à cette loi d'orientation, renforcer notre agriculture, et préserver nos exploitations familiales. Or la réforme de 1992 a eu des effets dévastateurs sur l'agriculture française, effets programmés, puisqu'il s'agissait de restructurer et non pas de faciliter l'installation de jeunes agriculteurs. Et c'est ainsi que, depuis 1992, 200 000 exploitations ont disparu...

M. PIerre Forgues - Ce n'est pas exact !

M. Philippe Vasseur - Ne le niez pas ! Vous ne pouvez refaire l'Histoire, même si vous déplorez son cours, mais vous pouvez, en effet regretter que cette politique ait été avalisée par un gouvernement que vous soutenez ! Or la réforme en préparation va dans le même sens que celle de 1992. Je ne mets pas le Gouvernement, ni le ministre de l'agriculture, en cause mais je constate que l'Europe subit la mondialisation, autre nom, il faut bien en convenir, d'une américanisation rampante. Je n'ai rien contre les Américains à titre individuel, mais je considère que nous avons le droit de maintenir notre propre culture !

Il nous faut donc définir et appliquer une politique nationale ambitieuse et, pour cela, fixer dans la LOA des objectifs connus : occuper le territoire, respecter la nature, entretenir le paysage. Cela suppose l'installation de jeunes agriculteurs rompus à de bonnes pratiques. Mais nul ne peut perdre de vue que l'agriculteur est avant tout un acteur économique, dont le but est de produire des biens de qualité répondant aux attentes des consommateurs. Le reste en découle.

Il convient, pour assurer l'avenir, de mettre en jeu des moyens importants et, pour commencer, d'appliquer une politique nouvelle d'allégement des charges sociales qui pèsent sur les exploitations agricoles, quelles que soient les réticences du ministère des finances. Il faut aussi développer les filières. Il faut, encore, aborder la question de la grande distribution, non pour en faire un bouc émissaire, mais pour en finir, par la voie législative, avec certaines situations aberrantes. Des garde-fous sont possibles, on le sait bien !

Si je l'ai bien compris, le rapporteur considère que les productions agricoles doivent être payées au juste prix. Or, en vingt-cinq ans, le prix des produits alimentaires payé par les consommateurs a quintuplé quand celui des produits agricoles payé aux agriculteurs n'a été multiplié que par deux et demi. Si celui-ci avait suivi celui-là, nous n'aurons pas les problèmes que nous connaissons aujourd'hui. Certes, nous savons bien que la grande distribution n'empoche pas tous les bénéfices, comme certains le prétendent. Se pose néanmoins un véritable problème de partage de la valeur ajoutée entre les acteurs de la chaîne alimentaire. Les consommateurs ne comprennent pas que le jambon continue de coûter aussi cher alors que les cours du porc s'effondrent. Nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion sur ces sujets. Ne m'objectez pas que mon discours n'a rien de libéral. Lors d'un récent colloque, M. Nallet m'a dit qu'il était plus libéral que moi ! Peu m'importe. Mon seul souci est que la filière agricole et agroalimentaire fonctionne mieux.

Prenons l'exemple de la baguette, produit emblématique s'il en est, qui coûte actuellement 4 F dans ma ville. Sur ces 4 F, le prix du blé représente au plus vingt centimes, si bien qu'une baisse de 15 % des prix à la production se traduirait au mieux par une baisse de trois centimes du prix de la baguette ! Cessons de faire croire que la diminution des prix payés au producteur procurera des avantages considérables au consommateur.

Une juste rémunération des agriculteurs serait préférable aux primes et aux subventions, et je regrette que ce point de vue n'ait pas prévalu au niveau européen. On paie de moins en moins nos agriculteurs, alors même qu'on leur demande de plus en plus, en matière de respect de l'environnement, de qualité et de sécurité des produits. Sur ce dernier point, je m'attarderai quelques instants...

M. Louis Mexandeau - Oh ! Non !

M. Philippe Vasseur - Vous avez tort, Monsieur Mexandeau, le sujet est d'importance et ne saurait vous laisser indifférent, vous qui êtes élu de Normandie. Une psychose se développe actuellement qui risque de réduire à néant nos efforts pour défendre les fromages au lait cru, grande tradition de la gastronomie française. Ainsi, du jour au lendemain, on assisterait à une flambée des cas de listériose. N'est-ce pas surprenant ? D'autant qu'aucune précision n'est donnée sur la proportion relevée de listéria... Des contre-expertises jettent d'ailleurs le doute sur les décisions qui ont été prises.

Il n'y a pourtant aucune raison pour les services de se faire la guerre. Il n'y a aucune raison pour eux de régler, ainsi, de façon interposée, leurs conflits de compétences...

M. Louis Mexandeau - Sur ce point, je suis d'accord.

M. Philippe Vasseur - Il faut raison garder. Aux pires moments, la listéria aura fait moins de morts que la route lors du week-end de Pâques.

Un député socialiste - Mauvaise comparaison !

M. Philippe Vasseur - Certes, il faut toujours réduire les risques au minimum. Mais l'on sait bien que beaucoup de toxi-infections alimentaires qui se développent ne tiennent pas au produit initial mais à ses conditions d'utilisation ultérieures.

Seuls importent le respect du consommateur et l'exigence de santé publique. Or j'ai le sentiment dans ce qui s'est passé ces dernières semaines que certains nourrissaient des arrière-pensées...

M. Louis Mexandeau - Je suis en accord total sur ce point avec M. Vasseur. Il semble que les services vétérinaires, dits services compétents, fassent aujourd'hui preuve d'un acharnement quasi maniaque qui sur les poissons, qui sur les viandes, qui sur les fromages... Il est à craindre que nous subissions les conséquences d'une offensive venue d'Europe du Nord...

M. Patrick Ollier - Que fait le Gouvernement ?

M. Louis Mexandeau - Certains pays, habitués à des produits sans goût, cherchent à nous imposer leurs normes. Ne nous laissons pas faire ! Défendons l'authenticité de nos produits : jamais un Maroilles ni un saucisson n'ont tué quelqu'un de bien portant !

Plusieurs députés RPR - Très bien !

M. Philippe Vasseur - Il est donc des points sur lesquels nous pouvons nous retrouver.

Oui, il faut être extrêmement vigilant en matière de sécurité alimentaire mais en l'espèce, il semble qu'il y ait eu quelques comportements à tout le moins légers...

Mme Sylvia Bassot - Irresponsables !

M. Philippe Vasseur - Je referme cette parenthèse sur la sécurité alimentaire.

J'aurais apprécié que la loi traite davantage des retraites, cette question n'étant pas indépendante de celle de l'installation des jeunes.

Pour ce qui est de l'enseignement, je nourris quelques inquiétudes. Ce qui fait la force de l'enseignement agricole, c'est son enracinement dans la profession. Supprimer cette spécificité serait une erreur. Toute manoeuvre visant à priver le ministère de l'agriculture d'une partie de ses prérogatives en ce domaine irait dans le mauvais sens.

Cette loi d'orientation comporte certaines lacunes, auxquelles le Sénat a partiellement tenté de remédier. A tout le moins convient-il de tenir compte de son travail, de reprendre et de compléter ses amendements les plus importants. Mais même après cela, nous ne serons pas quittes, car nous délibérons à contre-temps. En effet, la discussion de ce projet et la réforme de la PAC se chevauchent malencontreusement. Le texte est venu trop tard pour imprimer sa marque aux orientations européennes, ou trop tôt car, une fois adoptée la réforme de la PAC, nous devrons adapter notre cadre national. C'est pourquoi, j'en prends le pari, il nous faudra légiférer à nouveau dans les toutes prochaines années, quelle que soit la majorité.

Ainsi, le projet que nous examinons est déjà dépassé et donc, en quelque sorte, "irrecevable". Je vous entend déjà me répondre que vous n'avez pas trouvé dans mon propos d'arguments d'ordre constitutionnel.

M. le Ministre - C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Philippe Vasseur - J'en conviens. Le plus raisonnable serait de mettre immédiatement en chantier une grande loi d'orientation, qui reprendrait certaines dispositions de celle-ci, mais qui irait beaucoup plus loin. Nous pouvons le faire vite, et dans la concertation. S'agissant de la concertation, Monsieur le rapporteur, ce n'est pas un refus de la démocratie qui s'est exprimé en CMP, mais une divergence d'interprétation. Les critères de représentativité sont issus d'un décret de M. Nallet, qui ne passe pas pour un héraut de l'opposition. Le Sénat a souhaité, pour plus de précaution, introduire ces critères dans la loi. Il n'y a là aucun refus du pluralisme.

A vous, Monsieur le ministre, qui êtes un homme de dialogue, je suggère de renouer avec la conférence annuelle agricole, ce grand rendez-vous qui vous engage, mais qui engage aussi tout le Gouvernement. Vous en tireriez grand profit. Réunissez aussi une grande conférence d'orientation avec les professionnels, afin de jeter les bases d'une grande politique agroalimentaire. Vous feriez oeuvre utile, et vous nous mettriez dans l'embarras en nous retirant des arguments critiques.

Bref, remettons l'ouvrage sur le métier. Dans mon département, on dit : "Il ne faut pas attendre de bonnes moissons d'une terre mal labourée et de mauvaises semailles" (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Ministre - Le ton de votre intervention fait honneur au dialogue républicain. Vos propos aimables à mon égard me gênent, car ils risqueraient de compromettre au moins l'un d'entre nous !

Je suis attaché aux traditions de l'Assemblée, et en particulier à l'article 91-4 de son Réglement, relatif aux motions de procédure. Vous vous êtes d'ailleurs excusé de ne présenter aucun argument d'ordre constitutionnel. Il s'agit donc d'un détournement de procédure, ce qui est toujours regrettable.

M. Christian Jacob - Comme si vous ne l'aviez jamais fait !

M. le Ministre - Non, je l'ai toujours évité personnellement.

J'en viens à l'accord sur la réforme de la PAC. Je passe sur qui a fait ou n'aurait pas fait du bon ou du mauvais travail. Je considère que les deux parties de l'exécutif peuvent se retrouver pour la défense de l'intérêt national. C'est pourquoi je me suis réjouis que le texte du 11 mars ait été amélioré à Berlin, sans me livrer au petit jeu des évaluations. Ou alors il faudrait expliquer à certains comment, avec une baisse de 5 % sur le prix des céréales et un délai supplémentaire de deux ans sur le lait, on est passé de la nuit le 11 mars à la lumière à Berlin...

Oui, je suis assez d'accord avec vous, la PAC de 1999 est dans la ligne de la PAC de 1992. Mais entre 1992 et 1999, il y a eu 1996, et cette année-là des discussions à Cork et à Dublin, pour essayer de renforcer le deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le développement rural. Or il me semble qu'alors vous vous y êtes opposé.

M. Philippe Vasseur - Je n'étais pas à Cork.

M. le Ministre - Du moins les représentants du gouvernement français s'y sont-ils opposés. Aujourd'hui, nous payons un peu le prix de cette erreur de 1996.

Au total, l'accord trouvé sur la PAC est loin d'être idéal, mais il est moins pire qu'on pouvait le craindre. J'éprouve néanmoins deux regrets : le traitement réservé aux oléoprotéagineux...

M. François Sauvadet - C'est dramatique !

M. le Ministre - Je me suis engagé à trouver une solution sur le plan national.

Je regrette également que le deuxième pilier de la PAC n'ait pas été mieux pris en compte, d'autant que 14 des 15 pays le souhaitaient. Alors, faute de résultat sur ce point, dites-vous, tout l'édifice du projet chancelle. Pas du tout ! L'accord comporte la modulation des aides, et de fait le plafonnement est attendu par tous.

M. François Sauvadet - On verra !

M. le Ministre - Il y a là matière à un beau débat, que je suis prêt à soutenir. Je suis déterminé à mettre en place cette modulation chez nous, et aussi à convaincre mes collègues de faire de même chez eux, et au total nous serons plus nombreux que vous ne croyez, puisque, je le répète, 14 Etats sur 15 étaient favorables à la réorientation des aides. Nous pourrons délivrer un message en faveur du développement rural.

Il y aura des financements européens et des financements nationaux, ce qui nous permettra de faire fonctionner les CTE de façon efficace.

La loi serait irrecevable, avez-vous dit encore, parce qu'elle est déjà dépassée. Dépassé, le pluralisme syndical ? Dépassée, l'installation des jeunes ? Dépassé, le contrôle des structures ? Dépassée, l'amélioration des retraites ? Dépassée, la promotion de la qualité des produits ? La vérité est que ce texte, que le Sénat a amélioré sur certains points et que l'Assemblée améliorera encore sur d'autres, est très attendu car il répond à de vrais besoins, et vous ne serez donc pas surpris que le Gouvernement s'oppose à l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Rapporteur - J'ai apprécié la teneur des propos de M. Vasseur, qui avait, il est vrai, l'avantage du temps. Ce qui nous sépare, cependant, c'est avant tout la conception de la compétitivité et de la capacité exportatrice de la France : celle-ci est fondée, selon nous, sur la qualité des produits, sur la valeur ajoutée, plus que sur la production des plus grandes quantités possible aux prix les plus bas possible, conception qui m'a bien semblé être celle de M. Vasseur lorsqu'il était ministre et même, après, au cours de l'examen en commission.

M. Philippe Vasseur - Vous m'avez mal compris !

M. le Rapporteur - Sans doute, mais lorsque vous vous demandez si la loi d'orientation ne va pas empêcher la modernisation de l'agriculture française (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je vous réponds qu'elle va, au contraire, nous aider à développer la spécificité de nos terroirs et la valeur ajoutée de nos produits.

La réforme de la PAC a-t-elle été mal préparée ? M. Le Pensec avait ouvertement critiqué une logique qui tendait à baisser sans cesse les prix et à augmenter sans cesse les subventions. Notre logique est inverse : moins de baisses de prix et moins de compensations, davantage de maîtrise budgétaire et davantage de valeur ajoutée.

S'agissant des préretraites, rendons à César ce qui est à César : nous les devons à François Mitterrand...

M. Christian Jacob - A Pierre Bérégovoy !

M. le Rapporteur - C'était en 1992, avant même la réforme de la PAC, et ce n'était pas conçu comme une mesure de restructuration : ce ne l'est devenu que par la suite, dans les faits. De la même façon, le président de la République avait su imposer, en 1984, les quotas laitiers contre l'avis des producteurs. Ce sont des choses qu'il faut rappeler !

Enfin, il faudra, c'est vrai, d'autres lois, notamment dans le domaine fiscal ou dans celui de l'enseignement supérieur agricole, mais je ne crois pas qu'une conférence annuelle ait d'autre intérêt que médiatique ou clientéliste (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ce dont le monde agricole a besoin, c'est avant tout de perspectives : celle d'une dynamisation des produits de qualité, celle aussi d'un renforcement des filières et des interprofessions face au poids de la grande distribution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Joseph Parrenin - Je ne suis pas spécialiste de la Constitution, mais il me semble que le sujet n'a guère été abordé par M. Vasseur... Je ne tomberai pas, pour ma part, dans le piège de l'amabilité, car j'ai cru discerner dans son discours quelques procès d'intention désobligeants (Sourires et protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La spécificité de l'enseignement agricole n'est nullement remise en cause. Quant aux amendements du Sénat, qui sait combien seront finalement repris et combien repoussés ?

Je suis d'accord, en revanche, sur le fait, insuffisamment mis en avant, que la listéria touche davantage les fromages pasteurisés que les fromages au lait cru.

Une conférence annuelle ? Le président de mon conseil général en organise une, au cours de laquelle il distribue 800 000 F, après quoi tout se termine par un grand repas. C'est du pur clientélisme ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Bien labourer et bien semer : la droite semble en juger la gauche incapable, mais c'est bien la gauche, pourtant, qui fut présente au rendez-vous de l'histoire pour imposer, contre les critiques de la droite, le statut du fermage et la maîtrise de la production laitière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Germain Gengenwin - Le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité.

M. Christian Jacob - Le groupe RPR la votera également. Le ministre a dit qu'elle n'était guère fondée sur le plan juridique, mais c'est oublier la question de l'atteinte au droit de propriété. Sur le fond, la loi dont nous avons besoin est une loi d'adaptation fiscale, de baisse des charges et d'incitation à l'installation (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean Proriol - Le groupe DL, naturellement, apportera son soutien à la motion brillamment défendue par M. Vasseur, qui a su tenir l'auditoire sous son charme et même emporter l'adhésion fugace de M. Mexandeau -non sans mérite, compte tenu de l'heure tardive...(Sourires)

De grands points d'interrogation demeurent : sur le financement des CTE, en particulier, le ministre ne nous a pas davantage convaincus que son prédécesseur ; quant à la question de l'enseignement, elle est mise sous le boisseau. Le Sénat a amélioré le texte ; la commission a retenu quelques-uns de ses amendements, mais trop nombreux sont ceux qui sont passés à la trappe.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, 4ème alinéa, du Règlement.

M. François Sauvadet - La loi d'orientation arrive en deuxième lecture dans un contexte nouveau : celui de l'accord de Berlin sur l'Agenda 2000. Vous avez fait preuve d'une grande habileté stratégique, en insistant dès le départ sur la difficulté des négociations et en vous référant sans cesse au chef de l'Etat, auquel je rends hommage pour son action tout à fait déterminante. Car cette négociation avait été mal engagée. Le Gouvernement, et surtout votre prédécesseur, avait joué un jeu dangereux en ouvrant la boîte de la renationalisation de la PAC pour financer le CTE. Rappelez-vous les débats sur le CTE, dont on voyait d'ailleurs mal les contours : serait-il financé par redéploiement du fonds de l'installation agricole, par les fonds structurels, par la PAC... ? On n'avait aucune réponse claire. C'est aussi un contexte nouveau parce que c'est la première fois que vous défendrez devant l'Assemblée nationale cette loi préparée pour l'essentiel par votre prédécesseur, alors que s'annonce pour septembre le rendez-vous très difficile de l'OMC dont nous espérons qu'il n'aura pas de conséquences trop graves pour notre agriculture. C'est de votre responsabilité, Monsieur le ministre, d'apporter des réponses concrètes et bien françaises à l'adaptation de notre agriculture, pour favoriser l'emploi et la valorisation de nos productions.

Notre question préalable s'impose donc : il serait préférable pour la France de reprendre cette loi d'orientation qui, je vous le rappelle, est prévue pour vingt ans et à laquelle nous attachons la plus grande importance. Je vous rappelle que c'était un grand rendez-vous voulu par le Président de la République et la précédente majorité. Il faut donner à cette loi plus de portée dans des domaines qui sont de votre responsabilité, tenant aux charges, à la transmission et à l'installation, à l'investissement par exemple, pour que notre agriculture puisse passer l'épreuve de l'OMC.

M. Ollier remplace M. Paecht au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

M. François Sauvadet - Cela aurait mieux répondu aux attentes actuelles que le renvoi à des rapports ultérieurs des dossiers des retraites agricoles, du mécanisme d'assurance récoltes ou de la fiscalité agricole par exemple. Vous repoussez aussi la réflexion sur la pluriactivité dans l'agriculture, qu'il faut développer tout en respectant l'équilibre du monde artisanal. Mais vous avez déjà des rapports, faits par une administration de grande qualité, et des propositions, auxquelles nous avons contribué. Ce qu'il faut, c'est que vous passiez aux actes et l'urgence déclarée que vous continuez à afficher n'y suffira pas.

Les organisations professionnelles ont salué comme nous les avancées de l'accord de Berlin : le report de la réforme laitière, la réduction de la baisse des prix des céréales, le maintien des majorations mensuelles, l'amélioration du marché de la viande bovine... Mais des inquiétudes subsistent, pour les oléoprotéagineux par exemple, pour les régions défavorisées et plus généralement à propos de la baisse globale des prix. Les organisations professionnelles, comme nous, vous demandent donc de réparer les erreurs liées à une négociation mal entamée et insuffisamment préparée.

M. Joseph Parrenin - Ce n'est pas gentil pour M. Vasseur !

M. François Sauvadet - C'est également ce que demandent les chambres d'agriculture : des engagements de votre part pour que l'environnement économique, fiscal et social permette à l'agriculture de s'adapter à la nouvelle donne mondiale. Le prochain rendez-vous de l'OMC donnera lieu en effet à de fortes querelles, ainsi que le prévoit un rapport américain sur les barrières commerciales. Passer ce cap suppose d'abord de baisser les charges, ce que votre projet ne prévoit en aucune façon.

Votre texte a une portée limitée, mais ses orientations ne seront pas sans conséquences : je pense particulièrement aux structures et au financement des CTE. Dans ces deux dossiers, la loi d'orientation est à contretemps. Nous avons attendu un an sa première rédaction, dont chacun a reconnu le caractère centralisateur : c'est le préfet seul qui devait concevoir et signer les CTE... Elle est arrivée trop tard pour peser dans les négociations sur l'Agenda 2000 et promouvoir une vision fondée sur la qualité, le territoire et aussi l'ambition exportatrice, parce que nous sommes une grande puissance agricole. Une nouvelle fois, plutôt que proposer, vous opposez les gros et les petits, les fermiers et les propriétaires, vous opposez les territoires, en oubliant qu'un vrai projet, outre la dimension économique, devait prendre en compte l'environnement et la démarche de qualité.

L'opposition entre professionnels n'a jamais fait une bonne politique agricole. C'est au contraire en reconnaissant la diversité des situations comme une chance, en cherchant de nouveaux équilibres entre production, environnement, qualité et répartition des hommes sur le territoire qu'on définira un nouveau modèle agricole performant.

Le CTE permettra-t-il ce nouveau modèle ? Nous ne le pensons pas, car cette ambition suppose non pas une recentralisation, une renationalisation, des contrats individuels avec l'Etat, une suradministration, mais de vrais projets de territoires et de vrais projets d'entreprises et de filières.

Les différentes vocations de l'agriculture ne vont pas les unes sans les autres, et supposent une vraie réflexion de fond sur l'approche économique des territoires.

L'échec de la CMP, puis le retour au texte initial, le montrent : votre intention n'était pas d'aller en ce sens, vers un dialogue renouvelé, mais d'en revenir à la dimension la plus réduite, la plus dogmatique du texte. L'échec de la CMP a été voulu par vous pour revenir au texte initial, alors que les propositions de l'Assemblée et du Sénat répondaient davantage aux attentes des professionnels. On a d'ailleurs vu balayées toutes les avancées des deux assemblées, qu'il s'agisse de fiscalité ou d'ouverture à une vision plus pragmatique, moins centralisée et administrée. Et ce goût d'inachevé que nous avons ressenti en première lecture s'est mué aujourd'hui en un sentiment de regret, faute que vous ayez voulu rechercher les voies d'un équilibre en dehors duquel il n'y aura pas de développement durable.

Nous avons des désaccords de fond. Pour nous, la France est un grand pays exportateur, aux tous premiers rangs mondiaux, et elle doit le rester. Pour nous, les industries agroalimentaires, les petites PME et PMI qui contribuent aussi à l'aménagement du territoire sont le premier secteur industriel, avec un chiffre d'affaires que vous connaissez. Elles doivent le rester et être présentes sur les marchés. Nous pensons, enfin, que la France doit trouver de nouveaux équilibres territoriaux, et cette loi ne permettra pas de faire coïncider les exigences commerciale et territoriale de gestion d'un espace où tous les acteurs du monde rural trouveraient leur place ; vous avez d'ailleurs renvoyé à un nouveau rapport l'équilibre à trouver entre ces acteurs.

Songez que c'est par un amendement de l'opposition que la capacité exportatrice de la France a été reconnue et inscrite comme une ambition ! C'est au détour d'un amendement gouvernemental qu'on a évoqué les OGM, sujet qui mériterait à lui seul un grand débat.

Tout cela ne donne pas un texte au caractère d'orientation claire, malgré le travail de notre rapporteur que je veux saluer, et auquel la première version du texte devait beaucoup. Mais on a aujourd'hui l'impression que l'aile dure de votre majorité a repris le dessus. Je me refuse, Monsieur le ministre, à y voir votre marque ; les débats nous le diront...

Dans le même temps, on assistait au retour de vieux démons. Je pense à la politique des structures. Bien sûr nous partageons les objectifs de limiter les agrandissements et de favoriser l'installation. Mais en mettant en place un système trop contraignant et rigide, notamment dans la définition de l'unité de référence et du seuil de déclenchement, vous risquez de démanteler un certain nombre d'exploitations. En ne reconnaissant pas clairement la spécificité des structures familiales, vous risquez d'affaiblir l'ensemble du dispositif, d'autant qu'il n'y a aucun encouragement fiscal à la transmission.

La commission mixte paritaire a échoué sur des sujets lourds et importants : les critères de représentativité syndicale étaient l'un d'eux. Qu'on ne fasse pas de démagogie à ce sujet : nous souhaitons que toutes les sensibilités puissent s'exprimer. Mais il faut que l'exercice des responsabilités revienne à ceux qui représentent la majorité des agriculteurs. Cet équilibre existait dans les critères de représentativité. Nous souhaitions les inscrire dans la loi pour leur donner de la stabilité ; vous ne l'avez pas voulu. Autre sujet de désaccord en CMP, le financement des CTE, qui met en cause l'avenir des politiques territoriales et sectorielles, en renvoyant l'essentiel des moyens vers un contrat individuel. En première lecture on avait écarté nos arguments. En deuxième lecture -je me tourne vers M. Leyzour et d'autres collègues de la majorité- un amendement a été déposé pour que l'ICHN ne rentre pas dans le financement du CTE et reste bien une politique territorialisée. Il est bon que nous nous retrouvions pour garantir l'avenir de la politique sectorielle.

Un semblable débat doit avoir lieu sur le destin des aides spécifiques à l'installation. Le fonds d'installation agricole va-t-il rejoindre le financement du CTE ? La question importe aux jeunes agriculteurs. Je suis assez partisan de l'idée de contrat, et de mettre tous les partenaires autour de la table, non le seul représentant de l'Etat. Je crains que le CTE ne devienne un outil fourre-tout, et qu'il ne crée de nouvelles complexités et une suradministration. Le tout sur fond de redéploiement de crédits qui ont d'ailleurs été opérés, puisque vous avez supprimé le fonds de gestion de l'espace rural.

Nous aimerions, comme la profession, savoir comment vous utiliserez les possibilités qu'offre la modulation des aides acceptée par les Quinze à Berlin. Bien sûr, l'aide directe ne doit pas être un facteur de course à l'hectare et je ne suis pas hostile à l'idée de plafonnement, quoiqu'il faille s'entendre sur ses modalités. Mais je vous le dis, Monsieur le ministre, avec une certaine solennité : la volonté d'équité ne doit pas conduire au nivellement, ni devenir source de nouveaux déséquilibres avec nos partenaires européens. Vous avez indiqué tout à l'heure à M. Vasseur que quatorze partenaires sur les Quinze seraient prêts à un accord. Mais il ne faut pas non plus créer de nouveaux déséquilibres territoriaux en introduisant des conditions d'aides différentes selon la prospérité globale d'une région ; ce serait très grave pour certaines zones. MM. Gengenwin et de Courson y reviendront. Je ne souhaite pas que la modulation des aides soit la première étape d'une renationalisation dont nous combattons l'idée même, comme contraire à notre conception de l'Europe et de la politique agricole commune. L'agriculture a besoin d'Europe, et même de plus d'Europe. Elle a besoin aussi d'une politique française qui lui permette d'affronter les défis, y compris celui de l'emploi. Or votre copie est blanche sur les leviers fiscaux et sociaux et sur l'allégement des charges, qui constituent pourtant des fondamentaux économiques.

La CMP a échoué aussi parce que la majorité n'a accepté aucune des dispositions fiscales proposée par l'opposition ou si peu, notamment pour la transmission des exploitations agricoles. Le système de préretraite peut être un outil de gestion s'il est lié directement à l'installation d'un jeune : ce dispositif a été balayé. J'ai parlé des critères du contrôle des structures. On pourrait aussi évoquer l'égalité d'accès aux formations supérieures de l'enseignement public et privé. Ce qui doit primer, dans ce domaine, c'est l'intérêt des jeunes, qui devront demain faire leur métier dans un environnement en évolution. C'est un sujet sur lequel il faut que nous avancions, dans l'équité entre public et privé, et je souhaite que vous teniez sur ce point les engagements de votre prédécesseur.

Ce qu'attendent les agriculteurs de cette nouvelle lecture de la loi d'orientation, c'est que vous disiez, Monsieur le ministre, ce que vous entendez faire sur les plans fiscal, social, financier et budgétaire, pour rendre un équilibre à notre agriculture, dont certaines régions seront inévitablement mises à mal : je pense bien sûr aux régions fragiles, de montagne ou du bassin allaitant, mais aussi aux régions intermédiaires.

Je ne reviendrai pas sur les oléoprotéagineux, la question ayant déjà été évoquée.

Tous le sens de cette question préalable est de souligner que la loi d'orientation est, pour l'essentiel, un retour à un texte initial que l'Assemblée et le Sénat avaient pourtant particulièrement enrichi en première lecture, ce qui n'est pas de nature à renforcer notre agriculture. L'urgence est de répondre aux attentes des agriculteurs. Or je crains qu'ils ne soient victimes d'un marché de dupes. Car quel est l'enjeu ? C'est de permettre à notre pays d'aborder les marchés de manière conquérante, en garantissant la qualité des produits qu'il offre aux consommateurs. Sur la qualité, il faudra agir, car il existe d'autres fromageries en difficulté -je pourrais citer l'époisses- non pour ce qu'elles ont fait elles-mêmes, mais que les mauvaises actions d'autrui fragilisent. Le Gouvernement devrait donc réfléchir à la création d'un fonds de soutien -ou à un dispositif d'avances remboursables.

L'enjeu, c'est aussi une agriculture répartie de manière équilibrée sur le territoire, avec des actifs formés, une agriculture respectueuse de l'environnement, assurant aussi sa mission d'occupation de l'espace. Encore faudrait-il, sur ce point aussi, que le Gouvernement mette en adéquation ses proclamations et les moyens qu'il entend consacrer aux priorités qu'il affiche. Or, si l'on entend beaucoup parler de mise aux normes en matière d'environnement, pas un sou n'a été débloqué !

Je ne crois pas un seul instant que la loi d'orientation que votre majorité a, en commission, ramené à un texte dont nous avions dénoncé les insuffisances, répondra aux défis qui se posent alors que va s'engager la négociation dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce.

La négociation européenne a permis d'éviter le pire mais vous êtes aujourd'hui renvoyé à vos propres responsabilités, puisque vous n'avez plus l'appui du Président de la République.

M. le Ministre - Comment vais-je faire ?

M. François Sauvadet - Je suis plus inquiet que vous ne semblez l'être des difficultés réelles auxquelles sont confrontés les fermiers, de l'état des comptes en banque, des aides indispensables...

Votre responsabilité, c'est de donner les moyens de concilier l'impératif de performance, l'emploi, le territoire, la préservation de l'environnement comme l'a rappelé M. Hervieu, le président de l'APCA. L'agriculture ne sera présente sur les territoires que si elle est présente sur tous les marchés : l'un ne va pas sans l'autre et cette volonté délibérée d'opposer production et présence territoriale ou exigence de qualité et préservation de nos paysages ; cette opposition entre les producteurs, les uns ayant vocation à être présents sur les marchés, les autres vocation à jardiner, risque de nous faire perdre une chance.

On gagne en faisant coïncider les exigences d'une agriculture qui doit rester performante, diversifiée et exportatrice mais aussi présente sur le territoire, respectueuse de l'environnement et des attentes nouvelles des consommateurs. On gagne en donnant à la plus petite ferme et à l'entreprise agricole les chances de vivre. L'agriculture française est diversifiée et c'est une chance.

Nous devons donc permettre à tous d'atteindre une nouvelle forme de compétitivité par une logique de projet. Cela suppose que vous abandonniez toute vision dogmatique.

Avons-nous vraiment saisi, avec cette loi, l'occasion unique qui nous est offerte de tenir compte de ces enjeux et de dire ce que la France souhaite ? Non et je le regrette.

L'urgence est donc de retravailler hardiment ce texte. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de voter cette question préalable.

M. le Ministre - Je constate, Monsieur Sauvadet, que vous avez commencé votre exposé en disant qu'il n'y avait pas lieu à débattre pour nous expliquer longuement toutes les questions en suspens qui appellent, selon vous, des réponses urgentes, que la profession attend avec impatience, ce qui prouve qu'il y a bel et bien lieu à débattre. D'ailleurs, les organisations professionnelles, ayant appris que la CMP n'avait pu aboutir, n'a pas souhaité que le texte soit revu : elles ont plutôt fait part de leur crainte d'une perte de temps. Je considère donc, pour ma part, qu'il y a bien lieu de débattre et donc de ne pas voter la question préalable.

Vous me priez ensuite d'assumer mes responsabilités... Mais vous savez dans quelles circonstances j'ai succédé à M. Le Pensec : il n'y pas eu d'alternance, et je n'ai donc aucune raison de me démarquer d'un texte que, encore parlementaire, j'avais d'ailleurs voté en première lecture...

Il pourra cependant m'arriver de dire ma différence sur tel ou tel point du texte ; sur l'article 6, par exemple, si l'accord ne se trouve pas, ou encore sur l'IGP autonome à laquelle je ne suis pas particulièrement attaché. Nous trouverons, je le pense, une solution plus adaptée à l'exigence de qualité que nous poursuivons tous.

Vous avez dit aussi que vous auriez rédigé une meilleure loi, et M. Vasseur, quant à lui, a estimé que si l'on retranchait les CTE du texte, il ne resterait rien. Mais, puisque nous devisons courtoisement, et puisque de nombreuses allusions ont été faites à un certain Président de la République, aurais-je la cruauté de rappeler à M. Vasseur que ce même Président de la République lui avait dit qu'il manquait un volet fiscal à la loi qu'il lui présentait ? Je sais bien qu'à la dernière minute, un arbitrage a eu lieu qui vous a permis de l'obtenir. Puis est arrivée la dissolution, et l'Assemblée n'a jamais eu à s'interroger pour savoir ce qu'il serait resté de la loi Vasseur sans son volet fiscal... C'est la loi du genre !

M. Philippe Vasseur - Vous savez ce que sont les arbitrages interministériels, Monsieur le ministre, et quel est le poids de Bercy... Le volet fiscal existait bel et bien, et c'est avec la complicité du Président de la République qu'il a été rétabli, l'autorité présidentielle faisant contrepoids, fort heureusement, à la puissance du ministre des finances... Le reste appartient à l'Histoire, mais il est certain qu'eussions-nous gagné les élections législatives, nous aurions inclus dans la LOA les dispositions fiscales nécessaires... (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. le Ministre - Monsieur Sauvadet, vous avez également affirmé que je chercherais à opposer petits et gros agriculteurs. Il n'en est rien ! Je cherche à tenir compte de la diversité de l'agriculture française. Qu'y a-t-il de commun, en vérité, entre l'agriculture en Seine-et-Marne et l'agriculture de montagne, entre viticulteurs et céréaliers, entre exploitations compétitives et exportatrices et fermes familiales, où l'on se bat pour boucler les fins de mois ? C'est parce que l'agriculture française est ainsi diversifiée que les soutiens doivent l'être aussi. Il convient d'aider le plus ceux qui en ont le plus besoin. Et je considère que les agriculteurs qui se battent sur les marchés mondiaux ont moins besoin d'aide que ceux qui s'efforcent tant bien que mal de boucler leurs fins de mois. Si nous ne prenions pas en compte ces petites exploitations, qui contribuent à l'entretien des paysages comme à l'animation du tissu rural et permettront d'enrayer l'exode rural, nous faillirions à notre mission.

S'agissant de l'échec de la CMP, je n'ai pu le vouloir : je n'y étais pas. Cela étant, je ne le regrette pas puisqu'il m'aura donné l'occasion de vous entendre, Monsieur Sauvadet et vos collègues... (Sourires) Je n'y vois nulle preuve de dogmatisme mais simplement le jeu normal de la démocratie où il est naturel que s'expriment des divergences politiques.

En ce qui concerne le financement des CTE, la modulation vous paraît faire courir le risque d'une renationalisation. Je ne vois pas en quoi car, modulés ou non, des crédits européens restent des crédits européens.

M. François Sauvadet - Spécieux !

M. le Ministre - Pas du tout. En tout cas, le risque de renationalisation est bien moindre qu'il ne l'aurait été avec le cofinancement des aides directes, que nous avons heureusement réussi à éviter.

Je reviendrai en détail sur la question de la sécurité et de la qualité alimentaire, ce qui nous permettra de poursuivre le débat ébauché par MM. Vasseur et Mexandeau.

Toutes les réponses aux questions que vous m'avez posées sont attendues : il y a donc tout lieu de débattre et donc de ne pas adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Béatrice Marre - Le groupe socialiste repoussera, bien sûr, la question préalable.

Monsieur Sauvadet, vous m'avez déçue. Vous avez été beaucoup moins aimable que M. Vasseur mais aussi beaucoup moins pertinent. Vous écoutant, j'ai eu l'impression de me retrouver en octobre dernier où vous nous expliquiez qu'il fallait attendre la réforme de la PAC et le résultat des négociations de l'OMC avant d'adopter la loi d'orientation agricole. Je pense, pour ma part, que les négociations auraient été beaucoup plus difficiles à Berlin et que le Président de la République aurait été beaucoup moins à l'aise pour défendre la politique agricole française si nous n'avions pas déjà examiné ce texte en première lecture.

S'agissant de l'OMC, il nous faut en effet lutter contre une certaine américanisation. Mais n'oublions pas que le Fair Act constitue pour les Etats-Unis un solide point d'appui dans les négociations. La loi d'orientation agricole nous fournira un instrument comparable. C'est d'ailleurs pourquoi il importe de ne pas reporter ce débat après les négociations de l'OMC.

Je ne relèverai maintenant que quelques preuves de votre mauvaise foi, Monsieur Sauvadet. Vous avez voulu faire croire que certains dans la majorité actuelle souhaitaient s'en prendre aux agriculteurs exportateurs. Or, pour ma part, élue de l'Oise où ils sont nombreux, j'y suis extrêmement attachée. Nous avons seulement voulu dire qu'il ne devait pas y avoir d'exportations à n'importe quel prix.

Ne reprochez pas au Gouvernement d'avoir déposé en catimini un amendement sur les questions de sécurité alimentaire.

M. François Sauvadet - J'ai parlé des OGM.

Mme Béatrice Marre - Vous savez pertinemment que le Gouvernement attendait une réponse de Bruxelles.

Pour ce qui est du volet fiscal, soyez assurés que nous le mettrons en place. Pour l'heure, il s'agit seulement d'une loi d'orientation. Et si d'aventure nous ne pouvions pas le faire, pour les mêmes raisons que celles que M. Vasseur nous a expliquées, ce ne serait pas un argument pour ne pas prendre les autres mesures.

Enfin, M. Sauvadet nous a reproché d'être trop rigides sur la politique des structures. Or j'ai reçu ce matin même un coup de fil du CNJA, nous demandant de revenir au texte de l'Assemblée. Toute la profession agricole n'est donc pas d'accord avec vous.

Cette loi d'orientation est très attendue. Nous en avons besoin sur le plan national comme dans les négociations internationales à venir. C'est pourquoi je vous demande de repousser la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Jacob - Je vous pensais moins fragile, Madame Marre ! Votre agressivité vous a presque conduite au ridicule. Comme si le Président de la République avait eu en tête le CTE à Berlin et comme si c'est ce dernier qui lui avait permis d'obtenir des avancées significatives ! Il faut savoir raison garder. Le Président de la République, qui connaît très bien, et depuis longtemps, les questions agricoles, n'avait pas besoin de cette loi d'orientation pour négocier.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu aux questions que vous a posées M. Sauvadet. A quand, par exemple, une véritable politique de réduction des charges ? Vous vous contentez de renvoyer à un énième rapport. La décision de financer les CTE par la modulation est grave. Nul doute, Madame Marre, que les céréaliers de l'Oise seront heureux d'apprendre que des aides, initialement conçues comme des compensations économiques, vont être affectées à tout autre chose et distribuées par les CDOA où siégeront consommateurs, artisans, commerçants, associations de défense de l'environnement ! Allez le leur expliquer rapidement car le ministre ne nous en avait pas parlé jusqu'à présent. De même, c'est au détour du débat, que nous avions appris de M. Le Pensec que seuls les agriculteurs ayant signé un CTE pourraient bénéficier de la DJA ou de l'ICHN. Les réactions vont évoluer au fil des discussions et certaines organisations professionnelles, très favorables initialement au CTE, risquent de faire machine arrière.

Pour toutes ces raisons, j'appelle à voter la question préalable.

M. Roger Lestas - Le groupe UDF estime que ce projet de loi manque d'ambition. La vocation économique de l'agriculture n'y est pas assez encouragée ; le volet consacré à la qualité sanitaire des produits est nettement insuffisant et le volet fiscal fait quasiment défaut.

Ce projet propose un contrat entre les agriculteurs et la société, à l'avenir bien incertain. Les dispositions relatives aux CTE et à leur financement restent floues. Le renforcement excessif du contrôle des structures risque, quant à lui, de se révéler contreproductif.

Enfin, ce projet ne prend pas assez en compte la dimension communautaire et internationale de la politique agricole.

Monsieur le ministre, vous pensez accroître le nombre des agriculteurs grâce aux vocations nées hors du monde agricole. Ce sera difficile, notamment pour les éleveurs. Peu réussissent qui ne sont pas eux-mêmes fils d'éleveurs et donc habitués aux contraintes très lourdes de la profession qui exige une présence 24 heures sur 24 sept jours sur sept.

Il est regrettable aussi que le projet de loi ne favorise pas davantage les propriétaires. Le preneur pourra notamment rénover les bâtiments ou les mettre aux normes sans avoir même à consulter le bailleur. Cela risque de décourager les locations alors que nous aurions besoin, surtout dans les régions de petites et moyennes exploitations, de terres à louer dans de bonnes conditions.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jacques Rebillard - La longue intervention de M. Sauvadet m'a surpris : il a parlé du Président de la République, de la réforme de la PAC, il a tenu une tribune politique plutôt que développé une critique de fond du projet de loi d'orientation (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

En vérité vous n'avez pas le courage de déplaire à une profession dont vous estimez qu'elle vous soutient politiquement. Vous voulez satisfaire tout le monde, par un unanimisme qui, en fait, accroît les disparités et les inégalités.

Nous, nous avons le courage de prendre les bonnes décisions en cherchant à réorienter les financements au profit des exploitations le plus en difficulté. Vous auriez présenté un meilleur texte, prétendez-vous. Or vous avez été au pouvoir pendant quatre ans, de 1993 à 1997, et nous n'y sommes que depuis deux ans. Pourtant nous avons présenté une loi d'orientation agricole, ce qui prouve bien que l'agriculture est pour nous une véritable priorité gouvernementale. Vous utilisez la baisse des charges comme un slogan commode. L'impôt foncier a déjà été largement réduit. Mais si l'on baisse les charges sociales, comment financer le supplément de déficit qui s'ensuivra ? Je n'ai rien entendu sur ce point.

Nous n'avons pas non plus la même idée sur les exportations. Nous sommes favorables à l'exportation de produits à forte valeur ajoutée déjà transformés, alors qu'il s'agit pour vous d'exporter des produits de base, des céréales ou des carcasses, ce qui pèse sur les prix, accroît l'exode rural et augmente la taille moyenne des exploitations. Vous doutez du succès du CTE. Tant mieux ! Les choix entre nous sont clairs. Comme dans l'industrie, il s'agit pour le CTE d'apporter de l'aide non pas à tout le monde, mais aux exploitants qui s'engagent dans un effort de qualité.

Enfin, on peut voir dans l'échec de la CMP la volonté de l'opposition de gêner le Gouvernement à la veille de négociations importantes.

Au fond, nous nous rencontrons dans l'analyse des maux dont souffre l'agriculture, mais nous différons totalement sur les remèdes. Le groupe RCV votera donc contre la question préalable. Je constate qu'une fois de plus M. Jacob utilise la tribune de l'Assemblée pour appeler au soulèvement des campagnes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - Nous avons entendu un premier journaliste devenu député et ministre, puis un deuxième journaliste devenu député, qui tous deux ont montré une parfaite maîtrise du dossier agricole.

M. Sauvadet a exposé nos ambitions économiques pour l'agriculture française, soulignant que pour la majorité le volet environnemental l'emportait sur la préoccupation économique. J'ai apprécié ses propos sur l'aspect territorial.

M. Sauvadet a posé des questions qui, Monsieur le ministre, appelaient des réponses. Par exemple, les aides à l'installation seront-elles détournées au profit des CTE ? Pourquoi ces silences du projet en matière fiscale et sociale ? Comment sera financé le volet relatif à la protection de l'environnement contre les pollutions animales ?

Voilà les raisons pour lesquelles nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Félix Leyzour - Je m'expliquerai au cours de la discussion générale. Pour le moment, le groupe communiste votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 45.

La séance est levée à 20 heures 5.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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