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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 96ème jour de séance, 243ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 19 MAI 1999

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

CHARTE DE L'ÉNERGIE (procédure d'examen simplifiée) 1

CONVENTION SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION DU 17 DÉCEMBRE 1997 CONVENTION SUR LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES DU 26 JUILLET 1995 PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DU 27 SEPTEMBRE 1996 PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DU 29 NOVEMBRE 1996 PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DU 19 JUIN 1997 CONVENTION SUR LA LUTTE 1

CONTRE LA CORRUPTION DU 26 2

MAI 1997 (discussion générale commune) 2

La séance est ouverte à neuf heures.


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CHARTE DE L'ÉNERGIE (procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité sur la Charte de l'énergie.

M. le Président - La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée. Conformément à l'article 107 du Règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

M. Michel Vaxès - Le groupe communiste s'abstiendra.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.


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CONVENTION SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION DU 17 DÉCEMBRE 1997
CONVENTION SUR LA PROTECTION DES INTÉR
ÊTS FINANCIERS
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES DU 26 JUILLET 1995
PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉR
ÊTS FINANCIERS
DU 27 SEPTEMBRE 1996
PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉR
ÊTS FINANCIERS
DU 29 NOVEMBRE 1996
PROTOCOLE SUR LA PROTECTION DES INTÉR
ÊTS FINANCIERS DU 19 JUIN 1997
CONVENTION SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION DU 26 MAI 1997
(discussion générale commune)

L'ordre du jour appelle la discussion de six projets de loi, adoptés par le Sénat, autorisant la ratification de trois conventions et de trois protocoles relatifs à la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers et à la protection des intérêts financiers.

M. le Président - La Conférence des présidents a décidé que ces six textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - L'Assemblée nationale est aujourd'hui appelée à se prononcer sur six projets de loi destinés à autoriser, d'une part, la ratification de la convention du 26 juillet 1995, élaborée sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, communément appelée convention "fraude", les trois protocoles qui s'y rattachent, la convention du 26 mai 1997, élaborée sur la base du même article du traité, relative à la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union, communément appelée convention "corruption", d'autre part, la convention relative à la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, élaborée par l'OCDE et signée le 17 décembre 1997. Cette dernière convention requiert une adaptation législative interne pour laquelle un projet de loi est soumis au Parlement.

La convention du 26 juillet 1995, outre l'incrimination des faits de fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, impose aux Etats membres de prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives pour tous les cas de fraude portant sur un montant supérieur à 4 000 euros, et des peines privatives de liberté pouvant entraîner l'extradition, au moins dans les cas graves de fraude portant sur un montant supérieur de 50 000 euros.

Le premier protocole, signé le 27 septembre 1996, définit quant à lui des incriminations de corruption, passive ou active, liée à une fraude affectant les recettes et les dépenses communautaires. Il s'applique aux fonctionnaires nationaux des Etats membres et aux fonctionnaires communautaires. Il impose aux Etats membres les mêmes obligations pour les faits de corruption que pour les faits de fraude. La convention du 26 mai 1997 a repris les mêmes éléments, élargissant la portée du protocole en faisant disparaître le lien entre ceux-ci et ceux-là.

Les deux conventions "fraude" et "corruption" prévoient l'application du principe aut de dere aut judicare, extrader ou juger, qui impose aux Etats membres d'établir leur compétence pour des faits de fraude commis à l'étranger s'ils n'en extradent pas l'auteur. La convention "fraude" énonce par ailleurs un principe de coopération judiciaire entre Etats membres et de centralisation des poursuites sur le territoire d'un seul Etat membre.

Le protocole adopté le 19 juin 1997 demande aux Etats membres d'ériger en infraction pénale le blanchiment de capitaux issus du produit de la fraude et de la corruption et de prévoir, pour les mêmes faits, un régime de responsabilité des personnes morales instaurant des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Ce protocole est le premier instrument international qui consacre le principe d'une responsabilité pénale qui figure dans le code pénal français depuis 1993. Ce même principe est repris dans la convention "corruption" de l'OCDE ainsi que dans tous les instruments normatifs de droit pénal. Il organise par ailleurs la collaboration des Etats membres avec la Commission, chargée de tout mettre en oeuvre pour faciliter la coordination des enquêtes menées par les autorités nationales compétentes.

Le protocole relatif à l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention "fraude" et de ses protocoles contient, quant à lui, une clause d'opting in à l'intention du Royaume-Uni. Dans sa déclaration, l'Etat membre doit indiquer s'il entend limiter la possibilité de saisine de la Cour de justice aux seules juridictions de son ordre interne statuant en dernier recours -Cour de cassation et Conseil d'Etat pour la France-, ou s'il souhaite accorder cette possibilité à toute juridiction. La convention "corruption" institue le même système déclaratif.

Ces trois protocoles ne pourront entrer en vigueur que lorsque la convention du 26 juillet 1995 à laquelle ils se rattachent sera elle-même entrée en vigueur.

La France effectuera, conformément à la possibilité ouverte par le troisième tiret du paragraphe 1 de l'article 4 de la convention du 26 juillet 1995, l'article 6 du protocole du 27 septembre 1996 et l'article 7 de la convention du 26 mai 1997, une déclaration rappelant que l'engagement de la compétence de ses tribunaux pour connaître des faits de fraude ou de corruption commis à l'étranger par un ressortissant français sera soumis aux règles habituelles applicables en la matière en droit français, énoncées par l'article 113-8 du code pénal.

La convention de l'OCDE a, quant à elle, pour objet de permettre aux pays membres de coordonner leur action en vue de l'adoption de lois nationales d'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers.

Pour ce faire, elle contient une définition autonome de la notion d'agent, à la différence des instruments élaborés par l'Union européenne, qui renvoient au droit national de chaque Etat membre, et développe des éléments d'incrimination, limités à la corruption active, que les Etats membres s'engagent à inclure dans leurs lois nationales.

La différence avec les textes élaborés par l'Union européenne, qui retiennent corruption active et corruption passive, s'explique par le caractère universel de la convention OCDE. Les premiers ne visent que les fonctionnaires nationaux des Etats membres, le second s'applique à tous les fonctionnaires quelle que soit leur nationalité.

Les Etats partie à la convention s'engagent à prévoir des sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives incluant des peines privatives de liberté, ainsi qu'à permettre une entraide judiciaire et l'extradition. La convention vise le blanchiment des infractions de corruption d'un agent public étranger au même titre que celles d'un agent public national. De ce fait, la France n'est pas obligée d'effectuer une déclaration précisant que les dispositions de l'article 113-8 du code pénal s'appliquent.

Cette convention peut servir de base légale à l'entraide judiciaire ou à l'extradition lorsque les Etats partie ne sont liés par aucun autre traité bilatéral ou multilatéral en la matière.

Elle prévoit des modalités particulières d'entrée en vigueur afin que celle-ci ait lieu de manière simultanée entre les principaux pays exportateurs.

Compte tenu de sa ratification par les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni, le Canada, la Corée, la Norvège, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, l'Islande et la Bulgarie, la convention est entrée en vigueur le 15 février dernier. Elle entrera en vigueur en France le soixantième jour suivant la date du dépôt de son instrument de ratification.

Notre pays dispose d'ores et déjà en droit interne des incriminations nécessaires à la mise en oeuvre de la convention du 26 juillet 1995. Cependant, l'incrimination de la corruption, active ou passive, d'agents publics étrangers ou internationaux ne figurant pas dans notre code pénal, une loi d'adaptation est nécessaire pour l'assurer et conférer la compétence nécessaire aux juridictions françaises.

M. Pierre Brana, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Les six projets de loi en discussion commune tendent à autoriser la ratification de conventions et protocoles ayant pour point commun de s'attaquer à la fraude et à la corruption.

Le premier porte sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales et concerne les membres de l'OCDE. Cette convention a été signée par Mme Guigou et M. Strauss-Kahn le 17 décembre 1997.

Les autres textes ont été élaborés par l'Union européenne. La convention anti-fraude du 26 juillet 1995 et ses trois protocoles additionnels, adoptés de septembre 1996 à juin 1997, visent à protéger les intérêts financiers des Communautés européennes. Le dernier texte, adopté en mai 1997, vise à sanctionner la corruption des fonctionnaires de l'Union européenne et des Etats membres.

Je déplore les délais importants entre la signature et la ratification de ces textes, délais qui nous placent en queue du peloton des pays industrialisés. Je rappelle que le dossier a été ouvert en 1989, après la chute du mur de Berlin.

Compte tenu du nombre de ratifications déjà intervenues, la convention de l'OCDE est déjà entrée en vigueur le 15 février dernier. Il est donc urgent de la ratifier à notre tour.

En France on chiffre à 10 milliards de francs les commissions occultes versées pour les marchés à l'exportation à des agents commerciaux, fonctionnaires étrangers et autres intermédiaires. Or, jusqu'ici, ces commissions étaient légalisées selon une procédure contrôlée par le ministère des finances et défiscalisées. Cette pratique douteuse avait été prise au cours des années 1960 pour doper les grands contrats internationaux. Je n'épiloguerai pas sur certaines dérives connues de tous. Le montant de ces commissions s'élevait entre 5 % et 15 % de la valeur des contrats, atteignant parfois 30 ou 40 % pour les contrats d'armements.

Heureusement cette procédure hypocrite a été supprimée par l'article 32 de la loi de finances rectificative pour 1997, qui interdit la déductibilité des pots-de-vin à compter de l'entrée en vigueur de la convention.

Il n'empêche que des habitudes ont été prises et il est à craindre qu'elles ne perdurent sous une autre forme.

Chaque pays ayant ratifié la convention doit la transposer en droit interne. Nous verrons comment se traduira la mise en oeuvre des poursuites ; l'expérience des Etats-Unis, où existe déjà une législation de ce type, n'est pas très convaincante.

Chaque année, le montant des "commissions" sur les marchés publics internationaux est évalué à 80 milliards de dollars -et encore, il ne s'agit là que du "sommet de l'iceberg". Il ne faut pas être naïf, un simple traité n'éradiquera pas ce fléau.

Fraude et corruption sapent les bases mêmes de la démocratie, menacent le développement économique, faussent les règles de la concurrence.

Cette convention est un progrès, mais ce n'est qu'un premier pas. Elle impose de sanctionner pénalement la corruption d'agents publics étrangers de la même façon que celle des agents nationaux.

C'est pourquoi le Gouvernement a adopté un projet de loi, que nous allons prochainement examiner, prévoyant des peines allant jusqu'à dix ans de réclusion criminelle.

Cette convention OCDE, si elle ne sanctionne que la corruption active, a un caractère universel puisqu'elle s'applique à tout agent public étranger, ressortissant ou non d'un pays signataire.

Un des éléments qui ont conduit à se mobiliser contre la corruption internationale est son lien avec le blanchiment des capitaux. Lutter contre la corruption, c'est s'attaquer aux circuits financiers des opérateurs du crime organisé, des trafiquants de stupéfiants et autres mafieux qui profitent de la globalisation croissante de l'économie, des facilités technologiques et des carences des législations nationales. Il est heureux que les responsables des pays industrialisés s'entendent enfin pour les traquer.

Cette convention constitue la plus importante initiative multilatérale contre les pratiques corruptrices, espérons qu'elle sera suivie d'effet.

Les autres textes proposés, dont l'un prolonge celui de l'OCDE, concernent l'Union européenne et la protection de ses intérêts financiers. Les chiffres, ici encore, sont frappants : 1,4 milliard d'euros, soit 9 milliards de francs, de manque à gagner en 1997 pour le budget communautaire du fait des seules infractions décelées. Le phénomène touche tant les recettes -droits de douanes et accises- que les dépenses, en particulier agricoles.

Fraudes, abus, corruption doivent être éradiqués. Le contribuable européen et les élus exigent une bonne utilisation des deniers publics et une vision plus claire des instruments de contrôle. Dans ce but plusieurs études sont en cours à l'Assemblée, en particulier un rapport d'information de la délégation à l'Union européenne, qui m'a été confié.

A la différence du texte de l'OCDE, les conventions de l'Union européenne visent à réprimer toute forme de corruption, tant passive qu'active. Chaque Etat membre s'engage à prendre des sanctions pénales incluant des peines privatives de liberté. La responsabilité pénale des responsables d'entreprises pour les actes frauduleux commis par une personne soumise à leur autorité est définie. Est également édicté le principe d'assimilation entre le traitement réservé aux fonctionnaires communautaires, aux membres de la Commission européenne, du Parlement européen, de la Cour de justice et de la Cour des comptes et celui appliqué aux fonctionnaires, ministres, parlementaires et hauts magistrats des Etats membres.

Les règles d'extradition, obéissant au principe "extrader ou juger" sont précisées. La coopération entre Etats membres est organisée par l'entraide judiciaire, le transfert des poursuites et de l'exécution des jugements prononcés dans un autre Etat membre.

L'esprit de ces projets est d'harmoniser le droit pénal de chacun des pays, d'incriminer les infractions sur les mêmes bases afin de lutter contre les fraudeurs et les corrupteurs organisés sur le plan international. L'atteinte aux intérêts financiers des Communautés n'a pas seulement un poids financier, elle a un coût politique et constitue une menace directe contre la démocratie. C'est un combat de longue haleine.

La commission des affaires étrangères a adopté ces projets de lois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Hunault - Notre assemblée est invitée à autoriser la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers, signée à ce jour par 29 pays de l'OCDE, ainsi que par cinq Etats non membres de cette organisation.

Le RPR approuve la philosophie de cette convention, qui vise à réglementer la conquête des marchés à l'exportation. Les Etats signataires s'engagent à créer dans leur législation une incrimination de corruption d'agents public étrangers, assortie de sanctions.

Il s'agit de moraliser les pratiques du commerce international, tout en laissant aux Etats signataires la responsabilité de la mise en oeuvre et du respect de ces principes : c'est là qu'on peut s'interroger. La crédibilité du texte implique que les règles nouvelles s'appliquent à tous de manière uniforme. La concurrence loyale pour la conquête des marchés à l'exportation ne pourra être établie que si la convention est appliquée de manière similaire par l'ensemble des parties : or nous n'avons aucune garantie là-dessus, d'où l'incertitude des entreprises exportatrices françaises.

Il n'y a pas si longtemps, elles avaient le droit de déduire les commissions versées à des agents publics étrangers, dès lors qu'elles correspondaient à un service réel. Il est à craindre que le texte ne soit sans effet sur ceux qui décident de l'attribution des marchés, qui sont le plus souvent les véritables bénéficiaires de la corruption.

Certaines sociétés sont tentées d'utiliser des sociétés écrans ou des paradis fiscaux. Ainsi l'application de la convention dépendra essentiellement des mesures de transposition prises par chacun des Etats signataires.

Les risques de distorsion dans l'application de la convention concernent surtout la mise en oeuvre des actions pénales, qui obéissent selon les pays à des règles et des traditions juridiques différentes. En France, le projet de loi relatif à la corruption déposé au Sénat introduit l'incrimination de corruption d'agent public étranger dans les transactions commerciales internationales et exclut l'automaticité des poursuites liées au dépôt de plainte avec constitution de parties civiles ; le monopole des poursuites appartiendrait donc au ministère public, le procureur serait seul juge de leur opportunité.

La convention prévoit certes la constitution d'un groupe de travail pour assurer le suivi de son application mais le danger est réel d'un déséquilibre entre les parties. Le groupe RPR, bien entendu, est favorable à la ratification, mais souhaite que les mêmes règles soient étendues à l'ensemble des pays de l'OMC. Il insiste sur le fait que le respect du principe d'équivalence entre les mesures prises par les parties, posé dans le préambule de la convention, sera délicat, dès lors que l'article 5 reconnaît l'applicabilité des régimes nationaux.

La convention ne risque-t-elle pas, dans ces conditions, d'être inefficace, voire de constituer un paravent ?

Quelles sont les intentions du Gouvernement concernant la ratification de la convention pénale internationale, adoptée en juin dernier par l'ensemble des pays du Conseil de l'Europe ? Celle-ci vise à harmoniser les règles de droit et notamment à définir de manière uniforme la corruption de fonctionnaire étranger ; sa ratification rendrait plus efficace la convention dont nous parlons aujourd'hui.

M. François Loncle - Les textes dont nous parlons aujourd'hui traitent d'un sujet longtemps oublié : ils visent à lutter contre la criminalité financière internationale.

Qui songerait à justifier les trafics qu'il s'agit de combattre ? Personne. Pourtant, le mal perdure. Une organisation nord-américaine, "Transparency international", fournit tous les ans le tableau des pays les plus affectés. Je n'aurai pas le mauvais goût de les citer. Beaucoup ont vivement contesté leur classement ou leur présence sur cette liste.

M. Michel Hunault - La France n'y est pas très bien placée.

M. François Loncle - Ces trafics étaient souvent considérés comme inévitables pour gagner des marchés étrangers. Peu de pays ont adopté une législation nationale en la matière. Les Etats-Unis sont de ceux-là ; ils ont beaucoup fait, avec le soutien de la France, pour qu'une réglementation plus ambitieuse soit adoptée.

La difficulté de l'exercice, la peur de baisser la garde face à un concurrent expliquent les hésitations, la longueur des négociations. Par ailleurs, on constate que la loi nord-américaine a été peu utilisée de 1977 à aujourd'hui ; l'OCDE ou vos services, Monsieur le ministre, disposent-ils d'éléments pouvant l'expliquer ? La question est d'autant plus fondamentale qu'une affaire de corruption mettant gravement en cause une entreprise nord-américaine fait, depuis plusieurs mois, la une dans un grand pays sud-américain.

Je souhaite, bien sûr, que la France applique loyalement toutes les clauses des textes qu'elle aura ratifiés ; je souhaite aussi qu'elle fasse preuve de la plus grande vigilance : les autres signataires sont engagés de la même manière ; qu'ils aient une législation nationale antérieure à celle de l'OCDE ne leur crée aucun droit particulier.

Sous réserve de ces observations, le groupe socialiste votera l'ensemble des textes qui nous sont soumis.

M. François d'Aubert - Il était temps de ratifier ces protocoles et conventions, qui datent de 1995, 1996 et 1997.

La fraude affectant le budget communautaire a pris des proportions extraordinaires. La plus connue concerne la politique agricole ; elle touche aussi l'attribution des fonds structurels, en prenant parfois une forme indirecte -lorsque ces fonds financent des opérations sur lesquelles la criminalité organisée ou des hommes politiques véreux prélèvent une dîme ; elle consiste également en trafics divers sur les programmes d'initiative communautaire : c'est ce qui a fait tomber la Commission européenne il y a quelques semaines. Les programmes PHARE et TACIS, à destination des anciens pays de l'Est, ont donné lieu à de considérables détournements de fonds.

Il y a deux ans, la Cour des comptes européenne a évalué la fraude à 17 % du budget de l'Union, soit près de 100 milliards de francs, c'est-à-dire un peu plus que la contribution française, ou un peu plus du tiers du produit de notre impôt sur le revenu.

Les conventions distinguent entre fraudes et irrégularités, en établissant une différence entre fraudeurs intentionnels, profiteurs et crime organisé, pour qui la fraude est une source de profit non négligeable.

La lutte contre la fraude au budget communautaire doit s'inscrire dans le combat contre la fraude internationale, qui est de plus en plus sophistiquée, qu'elle s'exerce entre les pays de l'Union européenne, grâce aux différences de législations pénales, ou entre l'Union et l'extérieur.

La lutte contre la fraude au budget communautaire fait partie des domaines d'intérêt commun du "troisième pilier". Bien que relevant de la souveraineté de chaque Etat, ce sujet entre dans le champ de la coopération intergouvernementale. Nous avons dû beaucoup attendre avant que paraissent ces conventions qui viennent pourtant en application du traité de Maastricht. Les mesures qu'elles contiennent ne sont pas négligeables, et c'est pourquoi nous les voterons, mais on ne peut pas en espérer de miracles.

La fraude au budget communautaire procède de l'existence de véritables systèmes. Si le budget agricole se prête particulièrement à la fraude, c'est que c'est simple, que ça peut rapporter gros et que ça reste largement impuni. En effet, la Commission a multiplié des règlements de plus en plus compliqués, qui sont une sorte de pousse-au-crime. A l'intérieur des institutions européennes ces fraudes font l'objet d'une attention insuffisante, comme si régnait une sorte de fatalisme, les Etats et la Commission se renvoyant les responsabilités dans une sorte de jeu de ping-pong. Les Etats membres ne montrent guère d'empressement à lutter contre la fraude, car cela gêne leurs ressortissants, et quand les faits sont établis, ils doivent indemniser Bruxelles sans espoir de se rembourser auprès des contrevenants.

Il est vrai aussi que dans certains domaines la fraude prend une forme très complexe, et nécessite une action internationale. Prenons l'exemple de l'huile d'olive. De l'huile de noisette est importée clandestinement de Turquie en Italie, et comme 28 contrôles chimiques sont nécessaires pour la distinguer de l'huile d'olive, cette huile de noisette devient de l'huile d'olive italienne. A ce titre, elle bénéficie d'une aide à la production puis d'un soutien à la consommation. Parfois, cette vraie-fausse huile d'olive est réexportée vers les Etats-Unis, ouvrant droit à une subvention à l'exportation. Un même produit se prête ainsi à des fraudes multiples et je doute que les conventions fournissent les moyens d'y parer.

La fraude la plus importante est celle à la TVA intracommunautaire, qui représenterait environ 60 milliards, en plus des 100 milliards dont je parlais à l'instant. Là non plus, on ne nous propose pas grand-chose.

Cependant, les conventions ont l'intérêt de créer une incrimination de la fraude aux subventions communautaires, ce qui devrait conduire chaque pays à disposer des mêmes incriminations. Or la France, sur ce point, est en retard. Les Allemands ont déjà introduit dans leur droit interne l'incrimination de fraude aux subventions communautaires. Nous n'en sommes pas encore là, d'autant que les fraudes communautaires sont considérées chez nous comme relevant du droit douanier. Ainsi, le contrevenant pris la main dans le sac a droit à une transaction. Cela lui évite de figurer sur la liste noire établie à Bruxelles, laquelle d'ailleurs ne comporte que deux ou trois entreprises. De plus, la transaction douanière éteint la plupart du temps toute action en justice, et dans le cas contraire les procédures sont extrêmement longues.

Au total, il importe donc de créer des incriminations communes, et un système d'investigation indépendant des Etats et de la Commission. En effet l'UCLAF a montré sa relative inefficacité : quand elle souhaite contrôler des opérations relevant directement de la Commission, elle est bridée, voire brimée, puisqu'elle dépend du Secrétaire général et du président de la Commission. Voilà qui contribue à expliquer les problèmes récents rencontrés par la Commission.

Il est également essentiel que la Cour de justice européenne s'intéresse à la fraude au budget européen. Elle n'est jusqu'à présent que très peu saisie, faute d'un espace judiciaire européen. La construction de ce dernier devrait commencer par là. Mais il y faudrait des transferts de souveraineté en matière de police et de justice, qui sont les roches dures sur lesquelles sont ancrés les Etats. Lutter contre la fraude, c'est faire reculer la corruption. En effet les complicités ou ou les complaisances sont à l'oeuvre dans les avenues du Parlement ou de la Commission. Outre les cas avérés de corruption, le triptyque irresponsabilité-immunité-impunité favorise les dérives. De véritables règles de déontologie doivent être établies au sein des institutions européennes, les commissaires et les fonctionnaires étant placés sous les feux croisés de lobbies plus ou moins sauvages. On voit, par exemple, un fonctionnaire ayant obtenu des subventions pour une entreprise entrer à son service lorsqu'il part à la retraite.

Voilà, selon nous, l'intérêt et les limites de ces conventions, limites qui sont celles de la construction européenne elle-même dans le domaine de la lutte contre la fraude. Il sera nécessaire d'aller plus loin. Le groupe DL émettra un vote positif.

Mme Janine Jambu - Ces textes tombent à point nommé, alors que nous gardons la mémoire fraîche du vacillement de l'édifice européen, qui a abouti à la démission collective de la Commission. Les accusations d'irrégularités, de népotisme, voire de fraude, ne représentaient qu'un épisode d'une crise autrement plus profonde qui ébranle cette institution européenne.

La situation ainsi créée est imputable à tout un système, où règne l'absence totale de contrôle démocratique, où le secret est érigé en règle, et où ne pèsent vraiment que l'intérêt des marchés financiers et la force des lobbies.

Comment dans ces conditions, ne pas juger légitimes les aspirations à la transparence et la démocratie participative dans la construction européenne ?

La corruption, la fraude, ne sont-elles pas les conséquences extrêmes de la crise générale de la représentation démocratique ?

Lorsque des organismes non élus, tels la Commission de Bruxelles, ou la Banque centrale européenne exercent une puissance presque discrétionnaire dans un processus qui allie maximalisation du profit, opacité croissante de l'activité économique et absence généralisée du contrôle public, ne doit-on pas se demander : quelle démocratie pour sauvegarder les intérêts du peuple et de la nation ?

Les communistes ont choisi l'Europe comme "espace moderne de ce développement entre nations", mais entre nations souveraines.

Il s'agit en fait d'imaginer une réorientation sociale qui donne priorité à l'emploi et à la formation et à une croissance saine, d'imaginer une réorientation solidaire et de paix dans la coopération et le désarmement, d'imaginer surtout une réorientation démocratique.

Pour construire cette Europe, il faut réformer les institutions et créer des droits nouveaux. Les instances légitimées par le suffrage universel, doivent avoir la primauté. Le Parlement européen doit jouer un rôle de contrôle accru et les parlements nationaux disposer de prérogatives plus importantes. Nous voulons une Europe qui ne soit ni une fédération, ni un empire, mais qui se construise par la voie politique.

A l'évidence, un nouveau souffle est nécessaire pour sortir la construction européenne de l'ornière où la maintiennent les orientations ultra-libérales.

Certes, il y a beaucoup à faire pour que la citoyenneté s'exerce réellement, que la transparence s'instaure dans les processus de décisions, dans l'utilisation de l'argent. Mais n'est-ce pas la voie à suivre pour donner à la construction européenne une certaine ambition ?

Tout cela, bien sûr, touche les institutions. Il nous est proposé aujourd'hui de rapprocher les législations pénales pour lutter contre la fraude et la corruption. C'est un tout petit pas en avant. Le groupe communiste en prend acte et votera ces textes.

M. Christian Martin - La convention du 17 décembre 1997 signée dans le cadre de l'OCDE cherche à entraver le développement de la criminalité financière internationale, qui progresse au rythme de la mondialisation, comme en témoignent de nombreux scandales récents. Pendant longtemps les Etats ont lutté contre la corruption passive de leurs fonctionnaires nationaux et donc contre la corruption active, sans s'inquiéter de la corruption des fonctionnaires étrangers, qui pouvaient les servir. Ce laxisme a fini par se retourner contre eux. D'autre part, le lien entre corruption, blanchiment de l'argent et trafic de stupéfiants incite à la fermeté. Enfin, la transparence s'impose de plus en plus. La France avait par exemple une pratique condamnable, celle du "confessionnal", permettant le versement de commissions avec l'aval des autorités publiques.

Jusqu'à présent seuls les Etats-Unis et le Royaume-Uni disposaient d'une législation permettant d'incriminer les fonctionnaires étrangers. Les conventions signées par les pays de l'OCDE et ceux de l'UE leur imposent d'adapter des mesures en droit interne pour lutter contre cette même corruption.

La convention OCDE concerne toutes les transactions internationales réalisées par les pays signataires et donc, potentiellement, l'ensemble des activités économiques. Elle ouvre la voie à l'incrimination de tout agent public étranger qu'il soit ou non ressortissant d'un pays signataire.

La convention conclue au sein de l'Union européenne complète ce dispositif. Elle prévoit la protection des intérêts financiers des Communautés contre la fraude. Chaque Etat membre s'engage à prendre les mesures adéquates en droit interne. Les premier et deuxième protocoles élargissent la portée de ces textes aux actes de corruption et au blanchiment de l'argent. La convention du 26 mai 1997 prévoit l'harmonisation des dispositions relatives à l'incrimination de corruption des fonctionnaires.

Ces textes constituent une avancée. Le groupe UDF les votera en regrettant que le Gouvernement ait tardé à les présenter à la représentation nationale.

M. Michel Hunault - Très bien !

M. le Ministre délégué - Je remercie le rapporteur et tous les orateurs.

M. Hunault a évoqué la convention pénale internationale du Conseil de l'Europe. Elle sera signée très prochainement par le représentant de la France. Le Gouvernement engagera ensuite une procédure de ratification.

La convention OCDE pourra être contournée par les pays qui n'en sont pas membres, a-t-on observé. Certes. Mais l'OCDE regroupant 90 % des pays qui participent au commerce international, le problème sera largement réglé.

Cette convention sera très dépendante des mesures prises par les Etats. Le risque existe. Mais il était impossible d'obtenir un accord préalable entre Etats dont les conceptions sont parfois très éloignées.

Quant aux mesures prises dans le cadre européen, elles révèlent l'importance du pouvoir économique et des lobbies. En effet le risque est en proportion de la tentation. Le souci d'efficacité et de simplicité des procédures peut paraître contradictoire avec la volonté d'exercer un meilleur contrôle. A l'évidence, il ne faudra pas refuser des moyens à l'Europe si l'on veut qu'elle fonctionne dans de meilleures conditions.

Enfin, dans certains pays, la tentation est plus grande car faute de rémunération principale pour les élus et les fonctionnaires, ce type de "rémunération accessoire" paraît normal.

L'organisation politique et l'administration de certains Etats restent à construire. A cet égard, la lutte contre la corruption sera désormais intégrée dans la convention de Lomé.

La discussion générale est close.

Le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris, le 17 décembre 1997, mis aux voix dans le texte du Sénat, est adopté.

Le projet de loi autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, faite à Bruxelles le 26 juillet 1995, est adopté dans le texte du Sénat.

Le projet de loi autorisant la ratification du protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Dublin le 27 septembre 1996, est adopté dans le texte du Sénat.

Le projet de loi autorisant la ratification du protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 29 novembre 1996, est adopté dans le texte du Sénat.

Le projet de loi autorisant la ratification du deuxième protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 19 juin 1997, est adopté dans le texte du Sénat.

Le projet de loi, autorisant la ratification de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997, est adopté dans le texte du Sénat.

Prochaine séance, cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 10 heures 15.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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