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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 102ème jour de séance, 261ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 2 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    POLITIQUE MILITAIRE DE LA FRANCE 1

    SÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS EN COMMUN PARISIENS 2

    35 HEURES 3

    SUPERCARBURANT 4

    ACCÈS À INTERNET 4

    CRÉDIT LYONNAIS 5

    AOC 6

    UTILISATION ABUSIVE DES STAGES DE FORMATION 6

    GRÈVE DU PERSONNEL DES MUSÉES 7

    KOSOVO 7

    NIVEAU DU SMIC 8

    ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS 9

GENS DU VOYAGE 13

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

POLITIQUE MILITAIRE DE LA FRANCE

M. François Fillon - La politique de défense de la France fait l'objet, depuis la fin des années 1970, d'un consensus exceptionnel. C'est une force pour notre pays que ce consensus, qui lui permet de jouer un rôle de premier plan dans l'édification d'une force armée européenne que la situation dans les Balkans rend plus nécessaire que jamais.

Or, un membre éminent de votre gouvernement, Monsieur le Premier ministre, et une partie active de votre majorité viennent de remettre ce consensus en cause. Mme Voynet vient en effet de revendiquer un "droit d'inventaire" sur la politique militaire de la France.

Plusieurs députés RPR et DL - C'est scandaleux !

M. François Fillon - Mme Voynet estime que sur le débat sur la réduction des forces militaires se joue l'avenir de la majorité et elle va jusqu'à ironiser, avec la compétence qu'on lui connaît en ces domaines, sur le coût et les avaries du porte-avions Charles de Gaulle et sur notre politique d'exportation d'armements.

Cette déclaration, faite à Toulouse récemment et qu'il convient naturellement de replacer dans le contexte de la campagne pour les élections européennes, nous a permis de découvrir quel était, en la matière, le programme des Verts, qui constituent une des composantes de votre majorité. Qu'en pensez-vous, Monsieur le Premier ministre, vous que la Constitution en son article 21, a fait responsable de la défense ? Et que pensez-vous des propositions formulées, qui sont d'instaurer une défense "populaire, civile et non violente" (Rires sur les bancs du groupe du RPR), d'abolir définitivement l'industrie nucléaire, de reconvertir l'industrie d'armement et de remplacer, à terme, les forces armées nationales par des casques bleus européens ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Il est bien sûr cocasse que ces propositions émanent d'une formation politique qui se prononce de la manière la plus déterminée en faveur d'une intervention terrestre au Kosovo. Ce qui est grave est qu'elles nuisent à l'action de la France et qu'elles sèment le trouble dans nos armées. Monsieur le Premier ministre, qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Je vous remercie, Monsieur le député, de me donner l'occasion de réaffirmer que la politique de défense que mène la France, sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, est une politique cohérente, qui s'exerce dans la continuité, et qui s'appuie sur un fort consensus, lequel n'empêche pas le débat. M. Fillon et ses amis sont d'ailleurs les mieux placés pour savoir qu'au sein d'une majorité et même d'un groupe politique des visions très différentes peuvent coexister. J'observe, comme vous que la France assume ses responsabilités européennes en matière de sécurité avec la plus grande détermination, et je vois approcher le moment où nos efforts, très largement soutenus, y compris par la formation que vous avez citée, vont porter leurs fruits, et où la paix et la stabilité vont être restaurées. Pour tout cela, nous travaillons dans la plus grande cohésion. Aussi, je m'interroge : votre question n'était-elle pas empreinte de la nostalgie de celui qui déplore qu'une telle sérénité n'ait pas prévalu au sein du gouvernement auquel il appartenait ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

SÉCURITÉ DANS LES TRANSPORTS EN COMMUN PARISIENS

Mme Françoise de Panafieu - C'était une bien faible réponse pour un sujet aussi important et elle avait semblé davantage inspirée par le souci du maintien de votre majorité que par celui de notre défense (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Pendant ce temps, à Paris, la colère a succédé à l'inquiétude. Après qu'un agent de la RATP a été agressé à la station de métro Barbès-Rochecouart, avec une violence telle que sa vie est en péril, les Parisiens doivent affronter une grève générale des agents des transports publics. J'exprime à la famille, durement éprouvée, de cet agent la compassion de mon groupe politique et, je le pense, de toute la représentation nationale. Mais, alors que certains se complaisent dans la louange de votre action, Monsieur le Premier ministre, je me dois de rappeler des chiffres éloquents.

Si la délinquance a diminué de 15 % à Paris -et de 30 % sur la voie publique- entre 1995 et 1997, elle a augmenté de 4,5 % en 1998. Cette augmentation a même été de 10 % sur la voie publique et de 37,5 % sur le réseau de la RATP. Des mesures ont bien été annoncées qui visent à renforcer la sécurité dans les transports en commun, mais elles n'ont eu d'effets ni pour les agents ni pour les usagers. Et ceux-ci, qui subissent une nouvelle grève, la trouvent aujourd'hui parfaitement justifiée. Quant à l'opposition, elle ne cesse de demander un accroissement des forces de police à Paris qui ne lui est pas accordé. Ce ne sont pas les mesures annoncées ce matin, dans la hâte, qui vont améliorer la situation, puisqu'il manque 1 500 policiers à Paris ! Et ce ne sont certes pas les agents d'ambiance qui vont agir contre la délinquance ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Il est grand temps de faire autre chose que des colloques, et d'agir. C'est pourquoi je vous demande, Monsieur le Premier ministre, quelles mesures énergiques vous comptez prendre pour mettre un terme à la délinquance des mineurs et à l'exaspération de la population et des élus ? Nos concitoyens attendent de vous de vrais remèdes à l'insécurité et non des mesures dilatoires (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Le drame qui s'est produit hier dans le métro parisien devrait à mon sens susciter la solidarité plus que la polémique. Cette solidarité, le président de la RATP, le Premier ministre et moi-même l'avons manifestée à la famille de l'agent blessé et à ses collègues, en nous rendant à son chevet. L'émotion est bien vive car il est entre la vie et la mort.

La détermination du Gouvernement est forte, tant pour humaniser le service public que pour renforcer la sécurité dans les transports collectifs. Après la table ronde (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF), organisée à ce sujet en 1997, bien des mesures concrètes ont été appliquées. Ainsi, pour ce qui est des effectifs, 1 700 emplois ont été créés à la RATP, qu'il s'agisse d'emplois statutaires ou d'emplois-jeunes (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs). Quant aux moyens matériels, ils sont passés de 30 millions sous votre règne à 300 millions, qui ont servi à améliorer la radio-surveillance et l'équipement des cabines.

Les effectifs de la police nationale ont, eux aussi, été renforcés et des postes de police vont être installés. Ce matin, la Préfecture de police de Paris a annoncé la multiplication des patrouilles d'agents en uniforme, chargées de lutter contre la vente à la sauvette, qui est à l'origine du drame.

Nous avons aussi proposé au Parlement que les auteurs d'agressions contre le personnel du service public des transports, subissent des sanctions plus sévères. Le Parlement s'est prononcé en ce sens.

Malheureusement, le recours formé devant le Conseil constitutionnel par une partie de l'opposition a empêché que de la loi soit promulguée (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Quant aux contrats locaux de sécurité, ils incluent tous un volet relatif à la sécurité dans les transports en commun, dont à Paris, qui ne l'a pas voulu...

La volonté du Gouvernement est sans équivoque en la matière. Il nous faut en ces circonstances non seulement exprimer tous ensemble notre solidarité et notre compassion envers une famille éprouvée et envers les agents du service public, mais aussi agir en faveur de transports collectifs toujours plus sûrs, que les usagers puissent emprunter dans les meilleures conditions (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV ; vive exclamations et huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

35 HEURES

M. Franck Dhersin - Je tiens à mon tour à rendre hommage à l'agent de la RATP qui a été sauvagement agressé hier à Paris.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

L'application des 35 heures qui est, comme nous le savons tous un véritable fiasco (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), oblige à bâtir de véritables usines a gaz, dont ni les salariés ni les employeurs ne comprennent le fonctionnement.

Après avoir élaboré un meccano fiscal qui vise à taxer davantage les entreprises tout en leur faisant croire l'inverse, le Gouvernement semble tenté par l'institution, à compter du 1er janvier 2000, d'un double SMIC. Le salaire comporterait deux parties, la première correspondant à un SMIC calculé sur la base de 35 heures par semaine qui évoluerait comme le SMIC actuel, la seconde prenant la forme d'une compensation évoluant en fonction de l'indice des prix pour atteindre le niveau du SMIC calculé sur 39 heures.

Ce système kafkaïen pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Il risque d'écraser la grille salariale ; il provoquera des inégalités entre salariés à temps partiel et à temps complet.

Plusieurs députés socialistes - La question !

M. Franck Dhersin - Les entreprises qui ont déjà signé des accords de réduction de temps de travail avec une convergence du SMIC horaire et du SMIC mensuel devront-elles appliquer le nouveau système concocté par les technocrates du ministère du travail ? A-t-on songé en outre à la paperasserie ainsi occasionnée, en particulier pour les PME ? (Brouhaha)

A partir du 1er janvier 2000, les entreprises et les salariés devront jongler avec deux durées légales de travail, deux régimes d'heures supplémentaires, deux régimes de charges sociales et deux SMIC.

A quelques mois de l'entrée en vigueur des 35 heures pour les entreprises de plus de 20 salariés, ces dernières sont, comme les employeurs, en droit d'obtenir des réponses claires du Gouvernement.

Quel sera le régime applicable au SMIC et combien le temps durera le régime transitoire ? Quelles mesures seront prises pour tenir compte de la spécificité du travail des cadres ? Comment sera financée une facture comprise entre 65 et 100 milliards ?

Face à ces questions qui semblent diviser le Gouvernement et les partenaires sociaux et auxquelles vous refusez de répondre depuis plusieurs semaines, ne devriez-vous pas suivre le conseil de Nicole Notat qui vous a demandé de reporter d'un an l'application de la loi sur les 35 heures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville - Mme Aubry étant retenue au Sénat où elle défend la CMU, je répondrai à ce que j'ai pu entendre de votre question.

Je comprends qu'en cette période anniversaire un député de l'opposition veuille minorer les résultats du Gouvernement. Cela s'est fait en d'autres temps avec la décentralisation et l'on voit aujourd'hui à quel point vous l'appréciez... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Il en ira de même avec les 35 heures, cette loi dont nous sommes fiers (Mêmes mouvements).

Il y a aujourd'hui quatre fois plus de salariés touchés par les 35 heures... (Exclamations et rires sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Je veux dire touchés favorablement. D'ailleurs ils sont tellement satisfaits qu'ils sont neuf sur dix à se prononcer en faveur des accords, lorsqu'ils leur sont soumis (Approbations sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Comme le Premier ministre l'avait annoncé, le SMIC n'est pas en cause, le rapport d'étape le montre. Les accords conclus jusqu'ici témoignent également de la volonté de préserver le SMIC comme le pouvoir d'achat des salariés, en trouvant un compromis entre les intérêts des entreprises et ceux des salariés.

Cette démarche sera à nouveau au coeur des propositions que fera le Gouvernement dans le cadre de la deuxième loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

SUPERCARBURANT

M. Jacques Desallangre - La directive européenne du 13 octobre 1998 impose le retrait de la distribution du supercarburant dans le souci de lutter contre les pollutions atmosphériques et de préserver la santé de nos concitoyens. Cependant un grand nombre de véhicules fonctionnent encore exclusivement au supercarburant plombé qui représente 30 % de la consommation.

Leurs possesseurs n'ont bien souvent pas la possibilité financière de changer de véhicule. De même l'utilisation d'additifs coûteux et malcommodes ou l'adaptation des moteurs n'est pas envisageable pour les ménages les plus modestes qui sont, le plus souvent, les possesseurs de ces véhicules anciens.

A-t-on évalué les conséquences de ce retrait pour les ménages à faibles revenus ? Le Gouvernement envisage-t-il d'user de la faculté laissée par l'article 3 de la directive de reporter son entrée en vigueur, le temps de trouver des solutions.

Je souhaite donc, Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie que vous précisiez les modalités du retrait ainsi que la façon dont vous entendez protéger ceux de nos concitoyens que leurs ressources modestes obligent à utiliser des véhicules fonctionnant à l'essence plombée.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La suppression le 1er janvier 2000 de la distribution du supercarburant plombé concerne plusieurs millions d'automobilistes puisqu'il s'agit de 30 % du carburant total distribué, 15 % des automobiles en circulation ayant été fabriquées depuis plus de huit ans.

Le Gouvernement est particulièrement attentif à la situation de ces automobilistes qui sont le plus souvent modestes. S'il a souhaité privilégier la protection de l'environnement, donc ne pas différer l'application de la directive, tout a été prévu pour le remplacement du super par un carburant de substitution, distribué dans les stations service exactement dans les conditions actuelles du super et à un prix équivalent. Rien ne changera donc pour les utilisateurs.

Ce choix, qui est aussi celui de l'Allemagne, de l'Autriche et des pays scandinaves, a été arrêté à l'issue d'une étroite concertation avec les industriels et avec les consommateurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

ACCÈS À INTERNET

M. Jean-Louis Fousseret - Le Premier ministre a fait de l'entrée de la France dans la société de l'information une priorité de l'action du Gouvernement et a placé le développement de l'usage d'Internet au coeur de ses préoccupations. Le 19 janvier dernier, à l'occasion d'un comité interministériel sur la société de l'information, il a souhaité la mise en oeuvre de mesures tarifaires favorables aux internautes.

De nombreuses associations d'internautes mécontents ont manifesté à plusieurs reprises leur hostilité à l'égard des tarifs de France Télécom et demandé des formules plus favorables. J'ai donc déposé il y a quelques mois une proposition de loi pour instituer un forfait de connexion et l'on m'a alors assuré que le Gouvernement ferait des propositions en ce sens.

Alors que le prix du matériel informatique est en baisse constante et que les fournisseurs d'accès gratuit se multiplient, le montant de la facture téléphonique constitue encore un frein pour ceux qui utilisent ce nouveau média pendant longtemps et, surtout, pour les plus modestes.

Quelles sont donc les mesures qui viennent d'être prises pour donner toute sa portée à l'engagement du Gouvernement en faveur du développement véritablement démocratique d'Internet ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'ART ayant vérifié la conformité des dispositions proposées avec les règles de la concurrence, nous avons pu annoncer hier l'institution d'un forfait de 20 heures mensuelles de connexion pour 100 F, utilisable tous les jours à partir de 18 heures, le mercredi dès 14 heures, le week-end et les jours fériés sans restriction.

Ce tarif peut heureusement être comparé à ceux de nos voisins : 147 F pour 20 heures en Grande-Bretagne, 154 F en Allemagne. Dès que France Télécom le commercialisera, nous aborderons une nouvelle étape dans la mise à disposition à coût modique des moyens modernes de communication.

Ce progrès technique doit être suivi d'autres. Nous avons donc demandé à France Télécom de proposer rapidement une offre de raccordement à haut débit par la ligne téléphonique, selon la technique ADSL.

Le Gouvernement continuera l'oeuvre entreprise depuis qu'autour du Premier ministre a été avancée l'idée forte d'une société de l'information dans laquelle la France s'est engagée parmi les premières parmi les nations développées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

CRÉDIT LYONNAIS

M. René Leroux - Monsieur le ministre des finances, à votre arrivée en juin 1997, vous avez trouvé le dossier du Crédit Lyonnais en piteux état (Vives exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La Commission européenne se lassait des atermoiements du gouvernement de l'époque (Mêmes mouvements). Rien n'était réglé et l'avenir du Crédit Lyonnais et de ses salariés était plus qu'incertain (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En mai 1998 vous avez conclu un accord avec les autorités européennes et redonné un avenir au Crédit Lyonnais. Parallèlement la réforme du CDR a mis fin aux dérapages antérieurs.

Nous avons franchi un nouveau cap le 27 mai dernier lorsque vous avez annoncé quels seraient les membres du groupe d'actionnaires-partenaires. Quel sera l'impact de ce partenariat sur la compétitivité de la banque, son avenir à long terme et celui de ses salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - J'ai effectivement rendu publique il y a quelques jours la composition du groupe d'actionnaires-partenaires du Crédit Lyonnais.

Le premier avantage de ce groupe, c'est qu'il va être stable pendant au moins deux ans.

Le second, c'est que les institutions retenues apportent des partenariats. Pour le Crédit agricole, qui détiendra 10 % du capital, ce partenariat est stratégique. Pour d'autres, comme les AGF ou AXA, il y aura complémentarité de produits. Avec les banques européennes, il y aura une complémentarité géographique qui va ouvrir au Crédit Lyonnais le marché de plusieurs pays européens. Enfin le Crédit Commercial de France présente un partenariat plus localisé, spécifique.

Ces participations, qui représentent 33 % du capital, auxquels s'ajoutent les 10 % restant aux mains de l'Etat et 5-6 % réservés au personnel garantissent une stabilisation de l'actionnariat du Crédit Lyonnais.

Le fait qu'il y ait eu autant de demandes montre que le Crédit Lyonnais est devenu une bonne banque et je veux en remercier à la fois ses dirigeants et ses salariés.

Cette opération montre que la restructuration par la coopération marche et qu'il n'est pas nécessaire d'aboutir à des conflits comme ceux qui se déroulent actuellement entre plusieurs banques privées.

Le processus se terminera début juillet, avec les prises de participation du grand public : ce n'est qu'à ce moment que je serais totalement rassuré sur l'avenir du Crédit Lyonnais.

Pour en revenir à un point qui semble avoir déplu à une partie de l'hémicycle, je confirme qu'en mai 1997 Bruxelles attendait depuis huit mois une réponse de la France. En mai 1998 j'ai passé un accord avec les autorités de Bruxelles et en mai 1999 l'avenir du Crédit Lyonnais se met en place.

Quant à la structure de défaisance, (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) elle a perdu beaucoup d'argent en raison des pertes antérieures du Crédit Lyonnais, mais aussi de la façon dont le dossier a été géré à partir de 1995 par certains d'entre vous (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : lorsqu'on décide de tout vendre très vite, qu'on proclame "ce soir, tout doit être parti !", il ne faut pas s'étonner de vendre mal. Depuis fin 1998, le CDR a été réorganisé et désormais les pertes sont révisées à la baisse (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Quand le Crédit Lyonnais aura été cédé, vous verrez que nous serons loin des chiffres de pertes que vous avancez. Plutôt que de vous réjouir des malheurs passés d'une banque, vous feriez mieux de vous réjouir de la santé retrouvée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

AOC

M. Arnaud Montebourg - Monsieur le ministre de l'agriculture, le scandale des poulets belges contaminés à la dioxine montre que la France a eu raison de se battre bec et ongles (Sourires) face aux autorités européennes pour défendre les appellations d'origine contrôlée de la volaille française et d'autres produits. Les consommateurs européens savent-ils, par exemple, que la volaille de Bresse est nourrie exclusivement de lait et de céréales récoltés dans la zone ?

M. Michel Voisin - Très bien.

M. Arnaud Montebourg - Cet exemple montre que la politique des AOC, de délivrance des labels, de surveillance de la traçabilité des produits, politique qui est renforcée par la dernière loi d'orientation agricole, doit être transposée dans certains pays européens qui la rejettent avec une obstination coupable. Quelles initiatives entendez-vous prendre pour imposer au niveau européen ces exigences qualitatives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - C'est vrai que l'Europe traverse une crise grave en matière de sécurité alimentaire et que les labels et AOC sont une garantie pour les consommateurs. De ce point de vue, la France est en avance et nous allons conforter cette avance grâce à la loi d'orientation agricole qui améliore les procédures garantissant la qualité.

Nous devons aussi veiller à ce que ces procédures de certification soient harmonisées au niveau européen, mais harmonisées par le haut, ce qui suscite des résistances chez certains de nos partenaires européens -je pense aux produits biologiques, pour lesquels la France a des normes très élevées.

Mais tant que toute la production agricole ne sera pas labellisée et certifiée -nous en sommes loin- il nous faudra prendre des précautions en faveur de l'ensemble des consommateurs, qui ne peuvent pas tous acheter ces produits aux prix plus élevés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

UTILISATION ABUSIVE DES STAGES DE FORMATION

M. Bertrand Kern - Pour remplacer des salariés absents ou licenciés, des entreprises utilisent abusivement des stagiaires. Cette pratique tend malheureusement à se généraliser. Le stage ne doit pas devenir un mode de gestion des ressources humaines.

Deux récents procès dits "des palaces" ont illustré cette évolution alarmante : en l'occurrence les missions confiées aux stagiaires ne correspondaient pas à leur formation puisqu'on leur demandait de faire le ménage à la place de personnels qui auraient dû être recrutés à cette fin.

Dans le même esprit, certains employeurs font miroiter la perspective d'un emploi stable pour prolonger abusivement des contrats de stage.

Ces pratiques doivent cesser. Le stage est un outil remarquable pour la formation professionnelle, il doit le rester. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre dans ce but ?

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle - Vous faites référence à la pratique de certains grands hôtels parisiens qui utilisent parfois des stagiaires de manière abusive et à la décision du 23 mars du tribunal de grande instance de Paris condamnant ces pratiques. Dès le 2 avril, Mme Aubry a rappelé à l'inspection du travail la nécessité de contrôler ces stages, qui ne peuvent, c'est évident, devenir un mode de gestion des ressources humaines.

Le fait que les inspecteurs du travail et ceux de la formation professionnelle ne forment plus qu'un seul corps devrait faciliter ces contrôles.

Malgré ces pratiques illicites, je tiens à souligner le rôle décisif des entreprises dans la formation en alternance.

En ce qui concerne l'hôtellerie et la restauration, nous avons pris contact avec les branches professionnelles pour limiter la précarité de l'emploi et construire une véritable politique de qualification du personnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

GRÈVE DU PERSONNEL DES MUSÉES

M. Jean-Jacques Jégou - Avant de poser ma question, je voudrais dire à M. le ministre de l'économie qu'il n'est pas sérieux ni objectif d'avoir passé sous silence les responsables du trou béant que nous a laissé le Crédit Lyonnais et qui va coûter plus de 130 milliards aux contribuables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Madame la ministre de la culture, depuis quinze jours, une partie des gardiens de musée ont démarré un mouvement de grève en vue d'obtenir la création de 1 000 postes supplémentaires.

En cette période pré-estivale où beaucoup de touristes, parmi lesquels une forte proportion de jeunes étudiants, arrivent à Paris avec le désir d'en voir les trésors culturels, trouvez-vous normal qu'ils se heurtent à une petite pancarte les informant que le musée ou l'exposition sont fermés en raison de la grève d'une certaine catégorie de personnel ?

N'auriez-vous pas dû, Madame, prévoir et éviter cette grève qui non seulement prive la France de devises mais surtout qui nuit à l'image de notre pays et qui va obliger des milliers de touristes à repartir sans avoir vu ce qu'ils étaient venus voir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Vous m'étonnez : comment pouvez-vous à la fois réclamer en permanence une limitation des dépenses publiques et demander, lors des questions d'actualité, qu'elles augmentent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

En deux ans, vous et vos amis avez diminué de 20 % le budget de fonctionnement du ministère de la culture et ne vous êtes nullement soucié de résorber l'emploi précaire (Mêmes mouvements ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Si bien qu'en 1997, j'ai trouvé 1 104 agents de catégorie C rémunérés sur des crédits de vacations. Ma première priorité est de remplacer ces vacations par des emplois permanents. Fin 1999, 351 d'entre eux seront donc stabilisés sur des emplois de titulaires. Par ailleurs, j'ai obtenu en 1999 la création de 69 postes dans les établissements publics -principalement pour le Musée d'Orsay, le Louvre et le Centre Pompidou.

En deuxième lieu, je m'attache à empêcher la reconstitution d'un volant d'agents vacataires.

Et troisièmement, nous veillons à ne pas ouvrir de nouveaux équipements si nous n'avons pas les postes permanents correspondants.

Comme vous, je souhaite que les collections des musées et les expositions soient accessibles au plus grand nombre mais si je n'avais pas trouvé à mon arrivée au ministère une situation aussi dégradée, j'aurais pu aller plus vite dans la démocratisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

KOSOVO

M. Christian Cuvilliez - Je voudrais d'abord dire que mon groupe partage l'émotion générale consécutive à l'agression d'un agent de la RATP et se sent solidaire des personnels.

Ma question concerne le Kosovo. Au soixante-dixième jour de l'intervention des forces de l'OTAN, il semble que la croisade pour les droits de l'homme tourne à l'expédition punitive. Le remède va bientôt être pire que le mal. Le bilan est en effet désastreux. Les déportations massives continuent et vont bientôt atteindre le niveau de ce que nous avons déjà connu au Soudan, en Afrique subéquatoriale ou dans certains pays d'Asie. L'aide humanitaire bascule dans l'inhumanitaire, les mafias albanaises prennent en main la moitié des réfugiés qui viennent dans leur pays. Les pays voisins sont déstabilisés par la ruine de la Serbie, qui était un carrefour de communications. Toutes les infrastructures de ce pays sont en effet mises à mal et seront bientôt réduites à néant. Le Danube est pollué pour longtemps. D'une manière générale, la région est confrontée à une pollution durable causée par le pyralène des centrales, les hydrocarbures, le graphite des bombes, l'uranium appauvri des missiles...

Au moment où M. Tchernomyrdine...

Un député RPR - Tchernobyl !

M. Christian Cuvilliez - ...et M. Ahtisaari sont à Belgrade pour obtenir que le président de la Yougoslavie confirme son accord sur les résolutions dictées par le G8, au moment donc où les conditions sont réunies pour le faire plier, mes questions sont les suivantes : le but de la guerre a-t-il changé ? S'agit-il encore d'obtenir du gouvernement yougoslave qu'il applique les résolutions du G8 ? Ou s'agit-il de punir le peuple serbe et de détruire la Serbie, en même temps que le Kosovo, afin de démontrer que les Etats-Unis sont les maîtres du monde ? La France va-t-elle demander la suspension immédiate des frappes pour donner une chance immédiate à la négociation et au rétablissement de la paix dans les Balkans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Plusieurs députés RPR - Scandaleux !

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Le drame du Kosovo n'a pas commencé il y a quelques semaines mais en 1989 quand le président Milosevic a mis fin à l'autonomie de cette province. Il a ensuite duré des années, il ne faut pas l'oublier. Mais nous avançons. A partir des positions exprimées par tous les pays de l'Alliance -et en France par le Président de la République comme par le Premier ministre-, nous avons pu hier encore et ce matin préciser et renforcer l'accord entre occidentaux et Russes. C'est sur ces bases que M. Ahtisaari, qui sera dans quelques semaines le président en exercice de l'Union européenne, et M. Tchernomyrdine sont partis s'assurer de l'acceptation par Belgrade des termes d'un règlement, dont les points restant à trancher sont de moins en moins nombreux. Si les autorités de Belgrade acceptent les dispositions contenues dans le document qui a été ainsi précisé, la solution peut venir très vite. La solution, c'est-à-dire la combinaison que nous cherchions depuis des jours et des jours entre l'acceptation par les autorités de Belgrade -qui n'ont que trop attendu-, le vote de la résolution et la suspension des frappes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

NIVEAU DU SMIC

M. Michel Vaxès - Pour le MEDEF, la deuxième loi sur les 35 heures est devenu le prétexte à une offensive contre le SMIC. A l'en croire, les entreprises ne pourraient plus assurer le maintien du SMIC mensuel à son niveau actuel. Pourtant, une étude réalisée en 1997 montre que le coût horaire moyen en Europe est de 118 F et en France de 105 F, ce qui nous met, parmi les pays industrialisés, à la treizième place sur dix-neuf, derrière notamment l'Allemagne, le Japon et les Etats-Unis.

Par ailleurs, l'Institut européen de la statistique fait état d'une très forte disparité des rémunérations en France, et ce au détriment des jeunes. Les dispositifs de préretraite ont accentué ce phénomène. Quant aux allégements de cotisations dont ont bénéficié les entreprises concernant le travail peu qualifié, ils ont tiré vers le bas à la fois le niveau de rémunération et de qualification, ce qui n'est bon ni pour l'entreprise, ni pour l'économie.

Enfin, les études du ministère montrent que des gains de productivité liés à la réduction du temps de travail, la modération salariale qui caractérise la plupart des accords, les aides financières accordées par l'Etat se traduisent pour l'entreprise par un solde à financer nul. Dans ces conditions, l'augmentation du taux horaire du SMIC est tout à fait réaliste. Le Gouvernement va-t-il prendre des mesures en ce sens dans le cadre de l'application des 35 heures ? (Applaudissements bancs du groupe communiste)

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville - Le Premier ministre avait annoncé que les salariés, notamment ceux payés au SMIC, qui passeraient aux 35 heures verraient globalement leur pouvoir d'achat préservé. Le bilan d'étape effectué en mai montre que tel est bien le cas -pour 90 % des salariés et 100 % de ceux payés au SMIC- dans les entreprises qui ont déjà négocié de tels accords. Elles ont su trouver un compromis entre la souplesse nécessaire pour faire face aux demandes de leurs clients et la nécessité de préserver le pouvoir d'achat de leurs salariés.

Lors de l'examen de la prochaine loi, je pense que nous nous attacherons à donner une traduction législative à ce qui a d'ores et déjà été négocié par les entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS

M. Philippe de Villiers - Après le scandale européen de la vache folle et au moment où les Français assistent horrifiés à la crise du poulet à la dioxine, une découverte capitale vient de démontrer ce que nous avions déjà mais que le Gouvernement feignait d'ignorer, c'est-à-dire que les OGM font courir des risques considérables à la santé publique.

Monsieur le Premier ministre, estimez-vous encore aujourd'hui avoir pris la bonne décision en autorisant la culture du maïs transgénique dans notre pays ? N'avez-vous pas l'impression que votre ministre de l'environnement a cédé un peu vite à la pression de la Commission de Bruxelles, et donc aux multinationales agro-chimiques américaines ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

Deuxième question : pourquoi les lieux où est pratiquée la culture du maïs transgénique sont-ils dissimulés à la population française, y compris aux élus, à commencer dans mon département ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Soyez assez aimables pour attendre la fin de ma question dont je comprends toutefois qu'elle vous gêne (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Les députés non-inscrits ne sont autorisés à poser qu'une question par an. Je l'ai fait de façon non polémique. Ce sujet, abordé sous le regard de nos concitoyens, mérite un peu de patience et d'attention (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe socialiste). La Conférence des présidents s'est arrangée pour que ma question, placée à la fin, ne puisse être télévisée. Il en va là comme pour la campagne européenne : les grands partis, les appareils se partagent le temps de parole...

M. le Président - Monsieur de Villiers, vous cherchez l'incident. Vous ne le trouverez pas. J'applique le Règlement de l'Assemblée : celui-ci prévoit que, dans certaines conditions, les députés non-inscrits peuvent s'exprimer après les groupes. La Conférence des présidents vous a autorisé à poser la question que vous souhaitiez poser. Vous avez pu le faire dans le respect des droits et des devoirs de l'Assemblée, qui valent pour tous les démocrates, et donc aussi pour vous, me semble-t-il (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Philippe de Villiers - Monsieur le Président, je n'accepte pas ce sous-entendu. Il est scandaleux de placer les questions des non-inscrits en fin de séance. Une démocratie adulte se garde de telles méthodes... (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste) Monsieur le Président, trouvez-vous normal ce vacarme ?

M. le Président - Achevez de poser votre question.

M. Philippe de Villiers - Je le ferai lorsqu'auront cessé les quolibets sur les bancs socialistes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Troisième question : pourquoi le Gouvernement est-il incapable d'imposer un étiquetage précis sur les produits dérivés d'OGM dont 60 % entrent dans nos aliments quotidiens ? Cette question doit gêner la gauche qui se targue de préoccupations écologiques, et tout particulièrement le ministre de l'environnement qui restera dans l'histoire comme celle qui s'est tue sur la crise de la vache folle, sur la viande aux hormones, sur les poulets contaminés par la dioxine et qui a elle-même autorisé la culture du maïs transgénique en France.

Monsieur le Premier ministre, quand une fois pour toutes, allez-vous interdire les aliments trafiqués ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF et quelques bancs du groupe du RPR)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Sur la cohérence des décisions gouvernementales relatives aux OGM, je vous renvoie au passé qui vit un gouvernement autoriser l'importation, mais non la culture, du maïs transgénique. Ce gouvernement qui a fait, lui, preuve de cohérence, a clairement dit que sa décision politique restait subordonnée à l'évolution des connaissances scientifiques. Ainsi Mme Voynet et moi-même avons-nous saisi la commission du génie biomoléculaire pour savoir si les éléments scientifiques nouveaux, dont vous avez fait état, étaient de nature à modifier la position du Gouvernement.

S'agissant de la transparence, j'ai donné des consignes strictes aux directions départementales de l'agriculture afin que soient connues les parcelles cultivées en maïs transgénique. L'opacité risquerait d'entretenir une psychose. Nous devons satisfaire la soif d'information de la population et des élus.

Pour ce qui est de l'étiquetage, outre qu'il n'est pas évident, pour des raisons scientifiques, d'affirmer qu'un produit contient ou non des OGM, toute décision ne pourra être prise qu'au niveau européen. Des discussions sont en cours pour parvenir à une harmonisation des étiquetages. Cela prendra du temps mais le travail est bien entamé (Applaudissements sur bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et quelques bancs du groupe RCV).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.


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ÉLOGE FUNÈBRE DE MICHEL CRÉPEAU

(Mmes et MM. les députés et Mmes et MM. les ministres se lèvent)

M. le Président - Existe-t-il une belle mort ? En tout cas, certaines sont clairement porteuses de sens. Lorsque le 23 mars dernier, quelques secondes seulement après qu'il eut interrogé le Gouvernement sur l'épargne populaire, Michel Crépeau s'est affaissé sur son siège, puis a été étendu, inanimé, au centre de notre hémicycle, ce fut la stupeur. Et quelques jours plus tard, un très grand chagrin lorsque nous apprîmes qu'il ne reviendrait pas à la vie. Michel Crépeau est mort ici, c'est-à-dire au coeur de la démocratie, c'est-à-dire chez lui.

Démocrate, républicain, parlementaire : ces trois mots formaient en effet sa devise. A dix-huit ans, il les avait déjà inscrits au fronton de sa constitution personnelle. Avec enthousiasme, comme pour tout ce qu'il faisait, il défendait les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Il n'était pas du genre à disserter de manière sombre sur la joie, il ne séparait jamais sa conviction et sa vie, il avait l'humanisme communicatif. Il portait passionnément les vertus de solidarité, de laïcité et de modernité, parce qu'elles contribuent à rendre l'homme meilleur.

Michel Crépeau, avocat, était le défenseur de toutes les causes qui font reculer l'obscurantisme. Radical, praticien du franc-parler, ce fils d'un inspecteur des écoles primaires, s'est battu toute sa vie pour l'égalité des chances et la justice sociale. Mendésiste, refusant les compromissions, il a contribué à refonder son parti. Après Gambetta, Clemenceau et Caillaux, héritier vigilant d'une part essentielle de l'idéologie française, adepte d'un juste milieu qu'il ne situait pas au centre, il incarnait un radicalisme authentique, inscrit dans l'épaisseur d'une histoire et d'un terroir. Tel était Michel Crépeau.

En 1981, il s'était lancé dans la compétition électorale au niveau le plus élevé, sans perspective immédiate de succès. Pourquoi ? Pour faire partager sa vision de la vie. Parce qu'il pensait que ce sont les utopies qui font bouger le monde. Au second tour, avec ferveur, il apporta, en homme du rassemblement de la gauche, près d'un million de voix à François Mitterrand qu'il ne cessa jusqu'au bout d'admirer. N'aurait-ce été que pour une seule des 110 propositions d'alors -l'abolition de la peine de mort-, il soutint vigoureusement son projet d'alternance.

Il fut un des ministres du gouvernement de Pierre Mauroy, puis du mien. A l'Environnement, où il excellait. Au Commerce et à l'artisanat, où sa connaissance des dossiers faisait autorité. Comme Garde des Sceaux, brièvement, où lui semblait aussi important de lutter contre les injustices que de construire la justice. Partout, loin des excès et des conservatismes, communiquant à tous cette confiance qui fait la force du sentiment républicain.

Michel Crépeau était l'homme d'un enracinement et d'un attachement. Un homme de l'Atlantique, né en Vendée, lycéen à Rochefort, étudiant à Bordeaux, inscrit et plaidant depuis un demi-siècle au barreau de La Rochelle. Au centre du quadrilatère qui relie Niort à Angoulême, Poitiers à l'Ile de Ré, au service d'une ville à laquelle il sut donner ses rêves. Pendant près de trente ans, Michel Crépeau fut l'artisan imaginatif de la transformation de sa cité. Il développa naturellement La Rochelle à son image : accueillante et conviviale, innovante et amicale. Il lui offrit une dimension culturelle et universitaire exceptionnelle. Il redressa les remparts, planta des arbres, pratiqua l'écologie communale avant beaucoup, multiplia, les chantiers et les travaux en faveur de la tranquillité, de l'art de vivre, créant des quartiers piétonniers, introduisant des véhicules électriques, mettant à la disposition de chacun les fameux vélos jaunes, instaurant la journée sans voiture, créant des jardins ouvriers, inaugurant le tri sélectif des déchets. TGV, bus de mer, Francofolies, musée maritime, tous les gouvernements se souviennent de son effervescence municipale qui faisait courir et s'essouffler des services de l'Etat qui n'en pouvaient mais... Michel Crépeau était un maire pour toutes les saisons, lui qui, se proclamant jacobin, savait que c'est pourtant près d'un clocher ou d'un mail, dans ce territoire qu'on s'est choisi et par lequel on a été choisi, que se font les réalisations concrètes pour l'épanouissement de chacun, là qu'on recueille les fruits d'une action, d'une gestion, d'une passion. Son oeuvre, nous le savons, sera poursuivie.

Il était député de l'Aunis. Sa voix, son humour et sa verve résonnèrent souvent dans notre hémicycle. Il présidait une formation parlementaire qui n'était pas numériquement la plus grande. Qu'importe, il se chargeait de le rappeler lui-même d'une pirouette, relevant autour de la table de la Conférence des présidents qu'il était le seul à y représenter trois groupes, et estimant que, quitte à être plurielle, la partie de la majorité qu'il dirigeait ne devait pas l'être à moitié. Sous sa houlette ferme et débonnaire, les membres de son groupe savaient que, de temps à autre, leur parfaite harmonie n'empêchait pas leur totale autonomie ; celle-ci ne mettait cependant jamais Michel Crépeau dans l'embarras ou, si c'était le cas, son rire l'en débarrassait aussitôt. Il fut un grand parlementaire.

Michel Crépeau était éloquent. La vraie éloquence, celle qui n'a pas été détruite par le plan en deux parties et deux sous-parties, celle qui parle au coeur. Sens de la formule et de la répartie, la forme de son expression donnait une vigueur complémentaire à sa conviction. Il savait et montrait qu'un même amendement peut être à la fois juridiquement ciselé et défendu avec bonne humeur. Le rire était sa vérité et sa ruse, une sorte de masque de pudeur. Nous mesurions tous combien ses improvisations venaient de loin, et nous les admirions parce que, développées sur un ton qui empruntait à la fois à Guitry et à Arletty, elles sonnaient juste par leur authenticité. Nous avions compris que, chez ce militant de la synthèse constructive, l'oeil ouvert sur les plaisirs de la vie et sur la beauté du monde, une partie du talent consistait à ne pas assommer l'allié ou l'adversaire par d'évidentes qualités intellectuelles, mais à mettre en avant, auprès de collègues et de collaborateurs, d'amis et d'électeurs, de non moins incontestables qualités de coeur. Ainsi avait-il mené son dernier combat, un combat de principe, contre ce qu'il considérait avec raison comme une dérive grave : les abus de la détention provisoire.

Force et douceur, fermeté sur les choix et absence de dogmatisme, souci de réconcilier sans transiger, d'apaiser sans affadir. Michel Crépeau organisait le mélange. Jouait-il "un" rôle ? Non, il assumait "son" rôle. Il savait que la réforme a besoin de révolte et de raison et ne reconnaissait qu'un seul arbitre : le suffrage universel. Président de son parti, membre du Gouvernement, élu local, son existence et son parcours s'inscrivent en faux éclatant contre cette idée reçue qui voudrait qu'un homme public soit loin de ceux qui l'ont élu. Proche du peuple, il aura constamment bien mérité de sa ville, du Parlement et de la République.

Michel Crépeau cultivait des fleurs bleues, d'azur comme le ciel de Charente qu'il aimait contempler chargé de nuages, gonflé d'iode et de vent, et soudain lumineux. Son jardin personnel s'ouvrait sur l'art, les bateaux, la mer. Comme Montaigne, il choisissait en toutes situations de "rester lui-même", cultivant une pensée libre qui, à travers des textes qu'il avait lui-même écrits, sut, au jour de son enterrement, envahir la cathédrale. Républicain modéré, mais pas modérément républicain, constamment européen, politiquement toujours droit, il aimait les gens et il était aimé d'eux. Ils furent très nombreux -beaucoup d'entre nous en étions- venus de tous les horizons, à s'incliner une dernière fois devant le catafalque de ce grand démocrate gentilhomme.

Mes chers collègues, voici quelques semaines, le coeur généreux de Michel Crépeau s'est donc arrêté. Il disait souvent : "Vivre, c'est marcher. Face au vent s'il le faut" ; et voilà qu'une bourrasque l'a abattu. Lui qui avait confié un jour à un de ses proches qu'il rêvait de partir comme Molière, lui, l'ami souriant, le parlementaire dans l'âme, il est parti, ici.

J'ai reçu de l'épouse de Michel Crépeau, à laquelle je souhaite dire ainsi qu'à sa famille et à ses proches notre peine très profonde, une lettre que je veux vous lire, car je l'ai reçue avec émotion et qu'elle nous est à tous destinée. "Je ne serai pas physiquement présente car je ne souhaite par revoir le haut lieu dans lequel la voix si particulière de Michel a résonné tant de fois et où elle s'est tue à jamais ce 23 mars. Je voulais simplement que vous sachiez qu'au moment où vous lui rendrez hommage, je serai près de lui avec un bouquet de roses de son jardin. Si cela vous est possible, j'aimerais que vous demandiez ce jour-là à chacun d'imaginer le petit cimetière de Saint-Maurice, à La Rochelle ; il repose sous un grand laurier et sur sa tombe sera gravée cette réflexion superbe qu'il avait livrée à Jean-Yves Boulic, en 1979, pour la rédaction du livre Questions sur l'essentiel : "J'accepte de mourir en tant qu'individu, dès lors qu'il me sera permis d'éprouver au jour de ma mort le sentiment d'avoir accompli ma part d'humanité. C'est à travers elle que je survivrai." (Mmes et MM. les députés, Mmes et MM. les ministres observent une minute de silence).

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Par la voix de son Président, l'Assemblée nationale vient d'honorer la mémoire de Michel Crépeau. C'est avec beaucoup d'émotion que je veux associer le Gouvernement à cet hommage pour saluer le talent d'un orateur d'exception, la fermeté d'un engagement au service des valeurs de la République, l'intégrité d'un homme.

Tout homme vient d'une terre : nul n'est d'un seul pays. Chacun est un peu du terroir où il naît, de la ville où il grandit, du port où il s'attache, du pays qui en retour le choisit, de l'endroit enfin où il termine sa course.

Michel Crépeau est né à Fontenay-le-Comte, en Vendée. De ce pays d'indépendance et d'affrontements sans merci, Georges Clemenceau avait tiré un attachement farouche pour la liberté, la justice, la République. Michel Crépeau y vécut ses premières années, dans un milieu où la "République enseignante" de Jules Ferry était une tradition.

Lycéen à Rochefort, il s'approche de la mer. Etudiant en droit à Bordeaux, il retrouve l'océan. Il s'ouvre à l'esprit des lieux, s'imprègne des écrits de Montaigne et de Montesquieu. De ces années de formation, il gardera des guides -Voltaire, Diderot, Rousseau- et des amis -ceux du lycée de Rochefort. Jusqu'au bout, il aura été fidèle aux uns comme aux autres.

Inspiré par les philosophes des Lumières, Michel Crépeau fut un humaniste en politique. Dès l'âge de dix-huit ans, et pour un demi-siècle, il fut de toutes les luttes. C'est pour mieux porter l'héritage de Pierre Mendès France, celui d'une gauche "humaniste et radicale" qu'il fonda avec Robert Fabre, en 1972, le Mouvement des Radicaux de Gauche, dont il devint plus tard le président.

Son humanisme, loin d'être abstrait, était celui d'un homme pratique et fraternel, attaché à la ville qu'il avait choisie et qui lui avait témoigné puis renouvelé sa confiance. Un lien presque charnel l'unissait à La Rochelle, port de mer où il avait voulu fonder, sous la lumière de l'Aunis, son bonheur et celui des siens. L'attention chaleureuse qu'il portait à tous les Rochelais, au-delà des choix de chacun, témoignait de la profondeur de cet attachement. Cette ville qu'il aimait avec passion, il ne manquait jamais d'en prononcer le nom dans cette enceinte, pour en défendre les industries, en illustrer les initiatives, en accroître le rayonnement. Sans doute aussi pour en faire partager le goût.

Humaniste, il le fut aussi dans son souci, précurseur, de l'environnement. Par ce combat qu'il mena avant bien d'autres, Michel Crépeau soulignait le droit des générations à venir de jouir d'une nature dont l'homme n'est pas le propriétaire, mais seulement l'usufruitier. Les arbres qu'il plantait à La Rochelle, les vélos gratuits, les rues piétonnes, le véhicule électrique, la journée sans voitures : tout cela traduisait une façon de penser la ville autrement -une volonté de changer la vie.

Humaniste, il s'est engagé avec ferveur dans la construction européenne. Parce que l'Europe était d'abord, pour Michel Crépeau, ce plus grand pays, cette prochaine escale, ce lieu presque unique au monde où la paix est préservée, où la liberté -les libertés- sont respectées, où les droits de l'homme sont protégés. Parce qu'il ne voulait pas que ses petits-enfants, comme l'avait fait son grand-père, "pataugent à Verdun". Parce qu'il appelait inlassablement à bâtir "l'Europe d'un grand dessein", celle des travailleurs, celle des citoyens, celle de la culture.

Ainsi Michel Crépeau donnait à l'action politique tout son sens, qui n'était pas selon lui, "de conserver, pas seulement de gérer, mais de transformer la société, en la fondant sur l'imagination et les valeurs de l'homme".

La liberté, les libertés, la justice, l'égalité : telles sont les valeurs défendues par celui qui disait : "J'ai été garde des Sceaux pendant trente jours, avocat pendant trente ans". Avocat de la liberté, il défendait d'abord celle des consciences : la sienne propre, comme celle de chaque citoyen qu'il défendait souvent avec vigueur. Pour que la création soit libre de toute influence, pour que les créateurs soient exempts de pressions, il voulait dès 1973 que le ministre de la culture soit le "ministre de la liberté".

Avocat pour la justice, il fut des grands combats menés pour la défense de celle-ci contre la loi "sécurité et liberté", pour la réforme du code de procédure pénale. Il combattit pour l'abolition de la peine de mort comme pour la suppression des juridictions d'exception. Avec persévérance, il attira l'attention sur le sort des détenus comme sur les abus de la détention provisoire.

Avocat de l'égalité, il le fut dans la grande tradition républicaine. Celle de Joseph Caillaux, qui vit voter l'impôt progressif sur le revenu. Celle de Jules Ferry, dont il s'inspirait, encore récemment, pour plaider avec fougue l'égal accès de tous à l'Université. C'était une priorité de son action dans la cité dont il était le maire : il voulut faire de La Rochelle une ville universitaire, et y parvint -j'en fus. L'égalité devant la loi, pour Michel Crépeau, c'était aussi faciliter l'accès de chacun aux lois adoptées par la représentation nationale, grâce à un droit codifié et simplifié. L'égalité, c'était inscrire dans la Constitution la parité entre hommes et femmes : Michel Crépeau était intervenu dans ce débat avec vigueur, afin qu'en organisant "le bonheur sur terre, on n'oublie pas la moitié du ciel".

Nous en avons tous gardé le souvenir dramatique, c'est en ces murs que la voix de Michel Crépeau s'est éteinte. C'est ici, dans les couloirs et les travées de l'Assemblée nationale, qu'il a pleinement accompli sa passion de l'action politique -et, peut-être, trouvé sa vérité. Grand orateur, au discours souvent brillant, enflammé parfois, toujours animé d'une conviction sincère, il parlait sans notes, avec une aisance qui forçait l'admiration. Il restera dans nos mémoires comme un des grands parlementaires de la Vème République.

Cette voix du contradicteur ironique et coriace, de l'interlocuteur exigeant, était aussi, pour moi, celle d'un ami fidèle. Fier d'avoir été, dans les années 1970 et 1980, un des piliers de l'union de la gauche, il était depuis juin 1997 à la tête du groupe Radical Citoyen et Vert, d'où il faisait entendre, au sein de la majorité plurielle, une note originale, juste et forte.

A l'annonce que Michel Crépeau allait prendre la parole, l'un d'entre vous s'était une fois exclamé : "On va prendre le large !". Il voulait dire que l'on allait respirer un air plus vif, et le trait était juste. Pas seulement parce que Michel Crépeau évoquait avec bonheur, avec précision, toujours avec passion, l'avenir des chantiers navals, le développement de la flotte marchande, le métier des marins et des pêcheurs qu'il connaissait intimement, qu'ils soient de Vendée, de Rochefort, de Bordeaux ou de La Rochelle. Mais aussi parce qu'il réussissait dans ses contributions à vos travaux, à unir pragmatisme et hauteur de vue, simplicité des exemples et grandeur des fins ; parce qu'il gardait toujours "les pieds sur terre et le coeur dans les étoiles" (Mmes et MM. les députés, Mmes et MM. les ministres observent quelques instants de silence).

La séance, suspendue à 16 heures 30, est reprise à 16 heures 45, sous la présidence de M. Forni.

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président


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PUBLICATION DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le Président - Le 26 mai 1999, j'ai informé l'Assemblée du dépôt du rapport de la commission d'enquête sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit "Département Protection et Sécurité" et les soutiens dont il bénéficierait.

Je n'ai été saisi, dans le délai prévu à l'article 143, alinéa 3 du Règlement, d'aucune demande tendant à la constitution de l'Assemblée en comité secret afin de décider de ne pas publier tout ou partie du rapport. En conséquence, celui-ci, imprimé sous le no 1622, sera mis à la distribution demain jeudi 3 juin 1999.


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GENS DU VOYAGE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Toute loi est inspirée par les intérêts souvent contradictoires des différentes parties qu'elle concerne. S'il en allait différemment, celles-ci éprouveraient-elles le besoin de saisir la puissance publique et la représentation nationale ?

Le présent projet ne fait pas exception à la règle, bien au contraire. Il touche en effet à des droits fondamentaux : le droit de chacun de choisir son mode de vie ; la liberté de circulation ; le droit de propriété ; la reconnaissance de la légitimité des droits de celui qui vit différemment de soi, le respect, enfin, de la loi républicaine.

La question du stationnement des gens du voyage suscite de plus en plus souvent des tensions locales, la fréquences des articles de presse en témoigne. Les élus locaux y sont très attentifs, et le dernier congrès de l'Association des maires de France a organisé pour la première fois, un atelier de travail à ce sujet. La volonté des maires de voir évoluer la législation est apparue clairement.

Pour le Gouvernement, l'objectif ne peut être que de parvenir à la cohabitation harmonieuse de tous les groupes sociaux sur le territoire national.

La présence de gens du voyage, de différentes appartenances culturelles, est dans notre pays ancienne et constante, puisqu'on l'observait dès le XVème siècle. Leur population est évaluée aujourd'hui à quelque 300 000 personnes dont 95 % sont de nationalité française, la plupart depuis plusieurs générations. Pour autant, leur mode de vie, leurs déplacements et leurs stationnements, soulèvent des difficultés d'autant plus fortes que les règles précises sont peu nombreuses en ce domaine.

L'article 28 de la loi du 31 mai 1990, issu d'un amendement de votre ancien collègue Guy Malandain, a été la première tentative de réponse législative à ces difficultés. Il instituait l'élaboration de schémas départementaux et faisait obligation aux communes de plus de 5 000 habitants de réaliser une aire d'accueil. Cependant, son application demeure insuffisante.

En effet, un tiers seulement des départements disposent d'un schéma départemental approuvé conjointement par le président du conseil général et par le préfet, et un quart seulement des communes de plus de 5 000 habitants ont réalisé des aires d'accueil. Même si des communes plus petites ont, elles aussi, réalisé des aires, seules quelque 10 000 places sont aujourd'hui disponibles, pour des besoins évalués à 30 000 places.

Cet équipement nettement insuffisant qui est à l'origine de la plupart des problèmes rencontrés, tient aux réticences des communes à l'idée de réaliser des aires d'accueil qui suscitent souvent l'opposition des riverains, sans avoir la certitude de pouvoir faire respecter, ensuite, l'interdiction du stationnement irrégulier sur le reste du territoire communal, contrepartie normale des efforts d'aménagement consentis.

Bref, le statu quo n'est pas concevable car il est source d'insatisfaction pour tous. Un nouveau cadre législatif s'imposait donc et c'est pourquoi votre assemblée est aujourd'hui saisie d'un projet qui est le fruit d'un travail interministériel poussé et d'une concertation aussi large que possible avec les élus locaux, les associations représentatives des gens du voyage et, bien évidemment, les parlementaires, dont plusieurs ont déjà réalisé à ce sujet un travail d'une qualité que je tiens à souligner.

L'objectif du projet est de créer les conditions d'un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et d'autre part, le souci tout aussi légitime des élus locaux d'éviter des installations illicites qui rendent houleuse la coexistence avec leurs administrés.

Cet équilibre doit être fondé sur le respect, par chaque partie, de ses droits et de ses devoirs, qu'il s'agisse des collectivités locales, des gens du voyage ou de l'Etat, qui doit exprimer la solidarité nationale.

Le projet pose d'abord le principe selon lequel les communes participent à l'accueil des gens du voyage. C'est la traduction juridique de la jurisprudence du Conseil d'Etat qui reconnaît une obligation d'accueil aux communes.

Le schéma départemental sera le pivot de l'organisation de cet accueil : il prévoira la nature, la localisation et la capacité des aires à créer ainsi que les interventions sociales nécessaires. Il désignera par ailleurs les terrains susceptibles d'accueillir occasionnellement de grands rassemblements traditionnels, qui nécessitent l'implication de l'Etat et de ses représentants.

L'élaboration de ce schéma doit être précédée par une véritable concertation entre les communes, le département, les services de l'Etat et les représentants des gens du voyage afin d'aboutir à une évaluation aussi fine que possible des besoins et, donc, à des solutions adaptées. Faute d'une concertation efficace, l'utilité du schéma serait affaiblie. En effet, la diversité des besoins constatés localement appelle une solution à la fois locale et globale. Le schéma départemental doit donc apporter une réponse d'ensemble cohérente, par exemple au niveau intercommunal- permettant ainsi une première répartition entre les communes et des solutions complémentaires à une échelle plus vaste. Ce sera possible si la concertation joue pleinement ; ce sera plus difficile là où elle ne sera que partiellement fructueuse.

Dans la plupart des cas, la concertation préalable devrait rendre possible l'approbation conjointe du schéma par le préfet et le président du conseil général. Mais si ce n'est pas le cas, le préfet pourra l'approuver seul, passé un délai de 18 mois.

Ainsi donc, le projet encourage la réalisation et la gestion intercommunales des dispositifs d'accueil des gens du voyage : dans ce cadre, des aires pourront être inscrites au schéma et réalisées dans toute commune, quelle que soit sa taille. Toutefois, afin de s'assurer que, à défaut d'un tel accord intercommunal, les aires seront bien réalisées, il est nécessaire de maintenir, pour les communes les plus importantes, une obligation d'aménagement spécifique. Le seuil actuel de 5 000 habitants sera donc conservé.

Le projet oblige les communes à réaliser les investissements nécessaires dans les deux ans qui suivent l'approbation du schéma. A défaut, l'Etat se substituera à elles pour réaliser les aires à leurs frais. Il ne serait en effet pas admissible que certaines communes ne remplissent pas leurs obligations car, en plus de manquer à leurs devoirs, elles compromettraient l'efficacité des efforts des autres.

J'en viens aux moyens qui seront apportés aux communes par la loi. Vous avez que, dans de nombreux cas, les projets locaux d'aménagement se sont trouvés ralentis parce que certains élus craignaient d'être les seuls à agir et de susciter ainsi un grand afflux de gens du voyage... L'objectif du projet, tel que le résume votre rapporteur, Mme Raymonde Le Texier est bien de "réaliser le maximum d'aires d'accueil dans un minimum de temps" afin que l'application du schéma permettre l'aménagement, en quelques années, d'un nombre d'aires d'accueil suffisant pour satisfaire les besoins.

Cet objectif d'intérêt général ne peut se réaliser, le Gouvernement en est pleinement conscient, sans la contribution forte de l'Etat, garant de la solidarité nationale. C'est pourquoi le projet contient des engagements financiers clairs.

Pour l'investissement, la subvention de l'Etat sera portée, pendant la durée normale d'application du schéma départemental, à 70 % des sommes investies. Pour le fonctionnement des aires équipées et convenablement gérées, une aide spécifique de l'Etat, comparable à l'allocation de logement temporaire sera créée, qui couvrira environ la moitié du coût de fonctionnement ; le département apportera une aide complémentaire, plafonnée au quart de ces dépenses ; enfin, les gens du voyage acquitteront un droit d'usage, contrepartie normale de l'utilisation de ces équipements.

De plus, les bases de calcul de la dotation globale de fonctionnement tiendront compte du nombre de places de caravanes.

Enfin, les moyens juridiques des communes pour lutter contre les stationnements illicites seront accrus, dès lors qu'elles auront rempli leurs obligations. C'est une préoccupation importante des maires et si les droits des gens du voyage doivent être respectés, il importe que ceux des maires et des habitants sédentaires le soient aussi.

La loi permet déjà au maire d'interdire par arrêté le stationnement des caravanes sur le reste du territoire de sa commune dès lors qu'elle satisfait aux obligations de la loi. Cette possibilité sera étendue aux maires qui participeront à l'application du schéma en réalisant une ou plusieurs aires intercommunales.

En outre, lorsqu'un stationnement contreviendra à cet arrêté, et s'il porte atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publique, le maire aura la capacité de saisir le tribunal de grande instance pour obtenir l'évacuation forcée de caravanes irrégulièrement stationnées sur un terrain privé.

Quant au juge qui statuera au fond, mais en référé, c'est-à-dire selon une procédure d'urgence, il pourra assortir son ordonnance d'évacuation d'une injonction de rejoindre l'aire d'accueil aménagée ou de quitter le territoire communal. Cette injonction vaudra décision d'expulsion de tout autre terrain indûment occupé, ce qui évitera au maire de recommencer l'ensemble de la procédure d'expulsion en cas de déplacement d'un groupe dans la commune. La décision sera exécutoire au seul vu de la minute donc plus rapidement applicable.

Il est enfin nécessaire de prendre en considération l'évolution du mode de vie des gens du voyage et, en conséquence, de diversifier les formes d'habitat qui leur sont proposées. Environ 70 000 semi-sédentaires en plus des 100 000 gens du voyage déjà sédentaires, restent plusieurs mois voire plusieurs années sur un même lieu. Certains sont même de fait devenus sédentaires, tout en continuant à vivre en caravane. Cette sédentarisation s'explique par la disparition de nombreuses activités traditionnelles des gens du voyage.

Le Gouvernement n'entend pas prendre la décision de les sédentariser. Cette éventuelle décision leur appartient, cela va de soi. Mais lorsqu'elle est souhaitée, cette sédentarisation doit être facilitée.

Toutes les dispositions relatives à l'accès au droit au logement et à son accompagnement, en particulier les prêts locatifs aidés d'intégration, sont applicables sans discrimination.

Certaines dispositions législatives doivent toutefois être modifiées. Il faut ainsi faciliter le développement maîtrisé de petites aires d'accueil. Le projet précise donc les conditions dans lesquelles pourront être aménagés des terrains sur lesquels les caravanes pourront durablement stationner, dans le respect du code de l'urbanisme.

Concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes d'une part, les aspirations légitimes des populations de l'autre, dans un rapport équilibré des droits et des devoirs de chacun, tel est l'objectif de ce texte. Parce qu'elles sont directement concernées, les communes sont les acteurs naturels de cette politique. Parce qu'il s'agit là d'une action d'intérêt général, la solidarité nationale mais aussi départementale, doit s'exercer. Parce que les efforts réalisés par la collectivité nationale et locale appellent une contrepartie, les gens du voyage devront se conformer aux dispositions régissant leur accueil dans les communes. L'enjeu est la cohabitation harmonieuse de tous, au-delà des différences sociales et culturelles. C'est l'ambition de ce projet.

Pour cela le débat qui va s'ouvrir, je veux dire la volonté d'écoute du Gouvernement et son souhait de parvenir à un texte équilibré, enrichi, qui sera, je l'espère, adopté dans les meilleurs délais, et qui comblera au mieux les attentes de tous et qui fera échapper ce sujet sensible aux tensions qu'il suscite aujourd'hui trop souvent.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Je souhaite que le débat soit fructueux et je suis certain que la représentation nationale aura à coeur de trouver une solution efficace, humaine, raisonnable, à une question qui concerne la vie quotidienne d'un très grand nombre de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur de la commission des lois - Depuis de nombreuses années, les élus et les gens du voyage sont confrontés à un déficit chronique d'aires de stationnement et réclament tous des solutions efficaces. En raison de l'urbanisation, le stationnement des gens du voyage qui a toujours été malaisé, pose des problèmes de plus en plus aigus et le trop faible nombre de places encourage les infractions.

Le climat se tend ainsi de plus en plus entre gens du voyage et riverains, les premiers étant stigmatisés par les infractions qu'ils commettent, faute de places, les secondes supportant de plus en plus mal un certain sentiment d'impunité.

L'été dernier, de nombreux événements, dont un dramatique, ont durci le climat entre sédentaires et itinérants. Ne rien faire équivaudrait à laisser s'amplifier la colère des uns, le rejet des autres. Le rôle des pouvoirs publics est pourtant bien de permettre "une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes sur le territoire national", comme vous l'avez déclaré, Monsieur le ministre.

Il devenait donc urgent d'agir. Un long travail avait déjà été entrepris depuis de nombreuses années, tant par les gouvernements que par la représentation nationale. Tandis que Daniel Vachez et moi-même animions depuis plusieurs mois un groupe de réflexion, le groupe d'étude présidé par M. Weber a continué son travail. M. Delevoye, sénateur et président de l'Association des maires de France, a pour sa part fait adopter par le Sénat une proposition relative au stationnement des gens du voyage. Le présent projet répond à des préoccupations identiques.

Tous, nous partagions la volonté d'aboutir rapidement sur le principal problème, celui du stationnement. Neuf ans après l'entrée en vigueur de la loi relative au droit au logement, force est de constater que les dispositions fondées sur la bonne volonté des acteurs locaux n'ont pas permis de résoudre la question de l'accueil des gens du voyage.

L'article 28 de cette loi, complété par une circulaire, imposait aux villes de plus de 5 000 habitants la réalisation d'une aire de stationnement. Mais le dispositif, faute notamment de mesures contraignantes et de moyens financiers suffisants, n'a pas eu l'effet escompté. Seuls 32 départements disposent d'un schéma départemental approuvé conjointement par le préfet et le président du conseil général et 15 d'un schéma approuvé par le seul préfet. Un quart seulement des communes de plus de 5 000 habitants ont réalisé une aire de stationnement.

Le 19 novembre 1998, lors du congrès de l'Association des maires de France, l'impatience des élus était aisément perceptible. Vous aviez alors affirmé, Monsieur le ministre, que l'objectif d'une évolution législative devait "être de définir un équilibre satisfaisant entre d'une part la liberté constitutionnelle d'aller et venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, d'autre part le souci compréhensible des élus locaux d'éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés". Les maires vous avaient alors demandé une action rapide, ils ont été entendus.

Lors des auditions organisées ces dernières semaines, l'AMF nous a fait part de sa volonté de voir la loi publiée avant son prochain congrès. Plusieurs de ses propositions seront discutées tout à l'heure. Quant à l'Assemblée des départements de France, elle a souligné la nécessité de prendre en considération à tous les niveaux -national, régional et départemental,- l'accueil des gens du voyage. Enfin, les associations de gens du voyage et celles qui travaillent auprès d'eux ont insisté sur les effets de la sédentarisation et les réponses à apporter. Tous ont souligné l'urgence d'adapter la législation existante.

En effet, le nombre d'aires d'accueil couvre moins du quart des besoins estimés, à 30 000 places pour une population de 100 000 voyageurs. Cette pénurie explique les difficultés tant des gens du voyage, qui sont souvent obligés d'occuper des terrains sans autorisation, que des communes qui, ayant réalisé une aire, sont confrontées au problème de sa sur-fréquentation. Celle-ci est, en outre, un obstacle à la réalisation d'aires par d'autres communes, qui prennent souvent prétexte des problèmes rencontrés par celles qui appliquent la loi.

La démarche qui nous est aujourd'hui proposée est pragmatique et consensuelle. Son objectif est simple : réaliser le maximum d'aires dans un minimum de temps.

Les schémas départementaux, élaborés au plus près du terrain, définiront les différents types d'aires et préciseront les obligations de toutes les communes inscrites aux schémas départementaux.

En contrepartie et pour rendre les prescriptions du schéma efficaces, l'Etat soutiendra fortement l'investissement et le fonctionnement des aires.

L'efficacité passe également par l'obligation d'agir. La démarche volontaire est donc renforcée par la capacité donnée au préfet de se substituer aux communes défaillantes si elles n'ont pas rempli leurs obligations dans un délai de deux ans.

Dans une volonté d'équilibre entre droits et devoirs pesant sur des gens du voyage comme des collectivités locales en charge de leur accueil, le projet donne aux maires ayant satisfait aux dispositions du schéma départemental de nouvelles possibilités d'action en vue de faire respecter les règles d'urbanisme et des arrêtés municipaux relatifs au stationnement. Ils pourront ainsi se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en infraction. En outre le pouvoir d'injonction du juge, éventuellement assorti d'astreintes, leur évitera d'engager de nouvelles procédures. Enfin, dans le souci d'accélérer l'exécution des décisions de justice, la signification aux intéressés sera facultative, le jugement pouvant être exécuté au seul vu de la minute.

Le système est toutefois limité aux seuls terrains privés, le juge administratif conservant sa compétence pour les occupations sans titre du domaine public non routier et le tribunal de police pour les occupations de la voirie et de ses dépendances. Nous souhaitons une simplification de ce régime complexe et l'institution d'un juge unique pour ce type de contentieux et nous aurons l'occasion d'y revenir.

Ce projet n'entend pas régler l'ensemble des questions touchant à la vie des gens du voyage, mais traiter l'urgence et le préalable qu'est l'augmentation de la capacité de stationnement.

C'est en effet la seule solution satisfaisante et le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées l'a admis dans l'avis qu'il a remis à Monsieur Louis Besson, indiquant qu'il approuve le projet de loi et souhaite une évaluation rapide de son application.

Pour améliorer notre approche des autres sujets intéressant les gens du voyage, nous souhaitons réactiver le rôle de la commission nationale consultative des gens du voyage et de ses commissions départementales. Associées à l'élaboration des schémas départementaux, elles pourront travailler sur les aspects les plus divers : scolarisation, adaptation économique, protection sociale, sédentarisation, droit de vote, droit de circulation, etc.

Une réelle implication des gens du voyage au sein de ces commissions contribuera à une meilleure représentation de cette population.

En conclusion, la commission des lois considère que le texte propose une réponse efficace au manque d'aires d'accueil. En offrant des moyens importants aux maires, il permettra de réaliser un maximum d'aires dans un minimum de temps.

Il reviendra principalement aux élus locaux et aux gens du voyage de faire vivre ce texte et de remplir ainsi notre devoir de solidarité nationale. La réalisation de ces aires, en réduisant mathématiquement les stationnements illicites, amènera l'apaisement nécessaire à la poursuite de notre réflexion sur ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Patrick Braouezec - Personne aujourd'hui ne conteste la nécessité d'examiner un projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage.

Même si le dispositif de financement devrait être amélioré, l'Etat est, avec ce projet, parfaitement dans son rôle qui est de faire prévaloir l'intérêt général. Voir l'Etat assumer sa responsabilité devient suffisamment rare pour être salué !

Il s'agit de mettre un terme au phénomène du "Pas dans mon jardin" ! qui fait que les gens du voyage sont souvent expulsés et ballottés de commune en commune.

L'insuffisance des aires d'accueil explique en partie la surpopulation et les dégradations que connaissent les aires existantes, dissuadant par là même encore davantage les communes récalcitrantes d'en construire.

La réalisation rapide d'un nombre suffisant d'aires d'accueil est donc le préalable indispensable au renforcement de la lutte contre les installations illicites et contre la surpopulation et les dégradations des aires autorisées. Il y va de la dignité des personnes concernées comme de celle des habitants des communes de passage ou de séjour.

En effet, en dépit des outils juridiques et des normes qui réglementent les conditions de séjour et de passage des populations itinérantes, leur arrivée et leur installation sur le territoire d'une commune sont souvent mal comprises. Partout, l'arrivée de caravanes suscite un sentiment tenace d'insécurité. C'est du reste souvent sous la pression de leurs administrés que les autorités publiques réclament des textes plus répressifs.

Les gens du voyage voient ainsi leur situation sociale, et culturelle totalement fragilisée et vivent mal leur condition d'exclus.

Je serais tenté de dire, comme l'a fait Emmanuel Aubin, dans son étude de décembre 1996, que, en dépit des textes en vigueur, "l'accueil des gens du voyage apparaît toujours comme le mythe de Sisiphe des communes de plus de 5 000 habitants". Sans cesse repoussée au lendemain ou remise en cause par des déprédations commises sur les aires de stationnement, la politique d'accueil des gens du voyage connaît des avancées et des reculs incessants.

N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur la nécessaire transformation des mentalités, souvent enracinées dans des préjugés séculaires ?

Ce projet est un préalable pour sortir du cercle vicieux, ou l'ostracisme et le repli sur soi se nourissent mutuellement.

La diversité du monde du voyage se prête mal à une classification satisfaisante de ses composantes. La population tsigane compterait plus de 300 000 personnes en France, dont un tiers d'itinérants ; 95 % ont la nationalité française. Certains alternent des séjours à la ville et dans les zones rurales, d'autres franchissent régulièrement les frontières des Etats, d'autres tournent dans deux ou trois cantons depuis des générations. Pour une grande majorité d'entre eux, sédentaires ou non, l'été reste une période traditionnelle de déplacement pour renouer les liens familiaux et religieux.

Les politiques menées à leur égard ont oscillé depuis toujours entre l'exclusion et l'assimilation.

Au XIXème siècle, le rejet était surtout culturel et juridique. Aujourd'hui, c'est la marginalisation économique qui s'accroît.

Alain Reyniers, ethnologue à l'université de Louvai, en Belgique, et directeur de la revue Tsigane, estime que les gens du voyage sont de plus en plus nombreux à dépendre des secours publics : en France, 20 % des Tsiganes seraient attributaires du RMI.

Cette population, qui voit une partie de ses activités traditionnelles disparaître, qui souffre d'une réglementation plus stricte du porte à porte et du commerce ambulant, est en quête d'un nouvel équilibre économique et, de plus en plus, se sédentarise.

Il est donc important d'aborder la question en rejetant toute idée préconçue, en écartant toute volonté de normaliser la population tsigane, qui a le même droit à la différence que les autres individus et communautés vivant en France.

Or la situation qui est faite aux gens du voyage est profondément inégalitaire.

Ils vivent en liberté surveillée. De nombreux témoignages attestent de discriminations, de brimades, de contrôles abusifs, qui se teintent souvent d'un caractère raciste, alors qu'ils sont des citoyens français.

Comment oublier que pendant la guerre, les dizaines de milliers de déportés pour des motifs raciaux, comptaient beaucoup de Juifs certes, mais aussi de nombreux Tsiganes, dont 3 000 seulement revinrent.

Il conviendrait donc de mener une politique d'ensemble, respectant la liberté de circulation, le droit à la différence, leur mode de vie ancestral, et intégrant la totalité des éléments économiques, sociologiques, juridiques, culturels, éducatifs, pour résoudre les problèmes de passage et de stationnement des gens du voyage.

S'attaquer au problème de l'accueil des gens du voyage n'est pas suffisant. Nous partageons cependant l'analyse de M. le ministre qui en fait un préalable, mais nous souhaitons que nos débats soient l'occasion d'engagements précis en matière éducative et socio-économique.

Il faut parvenir à une contractualisation entre l'Etat, les collectivités et les gens du voyage. La moindre des difficultés n'est pas de trouver des interlocuteurs représentatifs de cette communauté. L'impulsion que ce projet devrait donner à la réalisation d'aires d'accueil en nombre suffisant est de nature à instaurer un nouveau dialogue avec les gens du voyage sur les autres questions, notamment scolaires et sociales.

Il importe en effet de concilier le respect du mode de vie et des traditions de la communauté des gens du voyage avec celui de la liberté des individus, notamment des enfants de perpétuer ou non ce mode de vie à l'âge adulte.

Il y a donc lieu d'envisager une véritable consultation entre les pouvoirs publics, les maires, les représentants des gens du voyage et les associations qui les représentent. Cela permettrait à notre sens de lever quelques difficultés.

Les députés communistes s'associent à toutes les démarches appropriées pour concilier le droit à un habitat et la libre circulation des personnes d'une part, les aspirations légitimes des populations de l'autre, dans un rapport équilibré des droits et des devoirs de chacun.

L'article 28 de la loi de 1990 sur le droit au logement fait obligation aux communes de plus de 5 000 habitants de se doter d'aires de stationnement, tout en renforçant les pouvoirs d'interdiction de stationnement sur le reste du territoire communal. Mais le bilan n'est pas satisfaisant, loin s'en faut.

Compte tenu des difficultés financières des collectivités locales, il aurait été nécessaire de les aider davantage.

Actuellement, non seulement il n'y a pas équilibre entre l'offre et la demande, mais les gens du voyage restent encore une communauté à part, ce qui explique pour partie les tensions que l'on rencontre tant dans les communes qui ont respecté leur obligation légale que dans celles qui ne l'ont pas fait.

La jurisprudence du Conseil d'Etat révèle les limites du dispositif adopté en 1990 et l'inapplicabilité de l'article 28 dans le cadre d'un POS.

Une modification du système était donc nécessaire et nous sommes satisfaits de pouvoir examiner ce projet, qui est un texte d'intérêt général engageant la solidarité nationale.

L'article premier pose le principe selon lequel les communes participent à l'accueil des gens du voyage. Cette disposition, apparemment moins rigide que l'article 28, ne compromet nullement l'application des schémas départementaux. Au contraire, elle impose la concertation pour l'élaboration de ce schéma.

Et la mesure tendant à ce que, dans chaque département, soit créée une commission comprenant notamment des représentants des communes et des gens du voyage nous convient.

Cependant, le fait que cette commission n'ait qu'un pouvoir consultatif ne risque-t-il pas de nuire à son efficacité ? Ne pourrait-elle être habilitée à faire des propositions sur les conditions de séjour et d'habitat adaptées aux gens du voyage ? N'y a-t-il pas lieu d'y impliquer plus fortement les associations qui représentent les intérêts des gens du voyage ?

Le problème du financement, même s'il n'est pas la seule cause du retard constaté, est cependant bien réel. Si le projet met à la charge de l'Etat une partie substantielle des frais d'investissement et de fonctionnement des aires de stationnement, la contribution requise des départements et des communes reste néanmoins importante.

La participation financière des départements devient obligatoire en matière d'aide sociale et, en matière de gestion, elle est fixée à 25 % des dépenses de fonctionnement. Les départements s'inquiètent de ce surcoût financier.

Pour les communes, il est prévu que les bases de calcul de la DGF soient bonifiées par l'octroi forfaitaire d'un habitant par place de caravane créée au sein d'une aire d'accueil aménagée. Une bonification en fonction du nombre d'occupants par caravane est-elle envisageable ? Dans le même esprit, l'Etat ne pourrait-il faire bénéficier les communes qui accueillent des populations en difficulté d'une bonification particulière de la DSU ?

Les communes auraient aussi besoin d'une aide technique et humaine pour comprendre et satisfaire les besoins des gens du voyage. Pour beaucoup d'entre elles, mieux vaudrait que les aires d'accueil soient gérées par l'intermédiaire d'associations relais que les pouvoirs publics doivent soutenir.

Ce texte ne remet pas à plat la législation relative à l'accueil des gens du voyage mais respecte néanmoins son objectif premier : trouver un équilibre satisfaisant entre d'une part la liberté constitutionnelle d'aller et venir, l'aspiration légitime des gens du voyage à stationner dans des conditions décentes et, d'autre part, le souci légitime des élus locaux d'éviter des installations illicites. C'est pourquoi les députés communistes voteront pour ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Weber - Je trouve excellent, Monsieur le ministre, que vous ayez décidé de régler le problème lancinant du stationnement des gens du voyage. Depuis votre loi de 1990 et son fameux article 28, les maires demandaient en effet qu'on les aide et qu'on leur donne réellement les moyens de mettre fin aux troubles éventuels. Ils ne voulaient plus être coincés entre une administration prudemment absente, une justice attentiste et des administrés exaspérés. Vous aviez donc promis d'agir et vous tenez parole. En tant que président du groupe d'étude sur les gens du voyage, je vous en donne acte.

De fait, il était urgent de proposer des solutions pour faciliter les rapports entre d'une part les millions de citoyens attachés à leur "chez eux" et à leur quiétude, d'autre part, la minorité qui, par atavisme...

Mme Nicole Bricq - Que voulez-vous dire par atavisme ?

M. Jean-Jacques Weber - ...par tradition, par goût ou simplement par nécessité, a décidé de vivre autrement. Attachée elle aussi à son mode de vie, cette communauté n'accorde pas toujours au respect des règles la même importance que les populations de nos régions.

Mais il faut bien reconnaître aussi que la conjugaison des différentes réglementations -code de la route, code de l'urbanisme, code de la voirie, code général des collectivités locales- laisse peu d'espace juridique aux gens du voyage. Il en résulte des infractions d'autant plus nombreuses que les sanctions à l'encontre des contrevenants sont peu efficaces, du fait de la mobilité de ces derniers et de leur insolvabilité.

La loi de 1990 n'a pas eu les résultats escomptés puisque, sur 1 800 communes de plus de 5 000 habitants, seules 450 se sont dotées de terrains adaptés au stationnement des nomades, ce qui ne fait que 10 000 places disponibles. Il faut dire que le maire désireux de se conformer à cette loi prend, en l'absence de moyens coercitifs à l'encontre des récalcitrants, le risque énorme de favoriser la constitution de véritables camps autour des aires d'accueil. L'occupation illicite d'une propriété ne constitue pas en effet une infraction pénale. Il ne peut donc y avoir de flagrant délit d'occupation. Quant aux amendes prévues par le code de l'urbanisme, elles sont peu dissuasives. La procédure de référé est, elle, chère et inopérante dès lors que les personnes visées vont s'installer 100 ou 200 mètres plus loin. Devant tant de difficultés, le maire est bien souvent tenté d'abandonner la partie.

De leur côté, les gens du voyage n'ont guère les moyens de se se faire entendre. Certains les traitent de "voleurs de poules" et oublient que 90 % d'entre eux sont des citoyens français ou européens qui ont des droits, notamment celui d'aller et venir. Mais, Monsieur le ministre, le droit au stationnement existe-t-il et, si oui, quelle est exactement sa nature ? Le moment n'était-il pas venu d'écouter le mouvement confédéral tsigane qui demandait notamment par une loi interministérielle, la suppression des carnets de nomades et des livrets A ou B, ces fameux carnets de circulation qui créent pour les gens du voyage un statut discriminatoire. Moins de 15 % des gens du voyage ont une carte d'identité. Le premier problème des gens du voyage est celui de la citoyenneté.

Mêmes droits, mêmes devoirs : la formule doit être répétée tant il est vrai que les gens du voyage n'ont pas aujourd'hui les mêmes droits que les autres. Comment voulez-vous dès lors qu'ils se sentent les mêmes devoirs ? Votre projet, Monsieur le ministre, ne traite pas de cet aspect des choses. Enorme lacune.

Vous avez choisi de ne vous attaquer qu'au problème du stationnement. Soit, mais encore faudrait-il y apporter une réponse réaliste et facile à mettre en oeuvre.

A cet égard, le projet comporte des avancées. Reste que l'engagement financier de l'Etat sera plus faible qu'annoncé. Si le plafond est fixé à 60 000 F, sa participation ne dépassera pas 42 000 F. On peut aussi regretter l'absence du FAS qui jusqu'ici apportait 14 000 F par emplacement.

Maire d'une commune qui est confrontée à des flux permanents de nomades, j'ai tenté de tester grandeur nature les différents aspects du projet.

Je constate tout d'abord que la loi charge les communes de dépenses lourdes d'investissement, même si une partie d'entre elles est prise en charge. Le fonctionnement de l'aire aura un coût permanent, du fait notamment de l'obligation de gardiennage. Par ailleurs, le texte ne parle même pas des POS, ce qui est très étonnant. Quel statut auraient les préposés aux aires ? Les associations de gestion ne risquent-elles pas d'être accusées de gestion de fait ? Autant de questions en suspens.

L'élaboration du schéma départemental sera, dites-vous, l'occasion d'une concertation approfondie entre l'Etat, le conseil général et les communes. Une des clés de la réussite est certainement là, mais pourquoi un débat en définitive si fermé ?

Pour ce qui est de la majoration de la DGF, je sais que vous avez bataillé ferme contre Bercy mais permettez-moi cependant de vous dire que prendre seulement en compte une personne par emplacement est ubuesque !

Une bonne loi est une loi équilibrée. Or la vôtre crée une masse de devoirs pour les collectivités locales et les organismes sociaux -qui ne semblent d'ailleurs pas enthousiastes- mais n'impose aucun devoir particulier aux gens du voyage et ne donne aux maires aucun réel moyen de coercition face aux récalcitrants et à ceux qui abusent.

Avec d'autres parlementaires du groupe UDF, j'ai déposé de nombreux amendements dont l'adoption ferait de ce projet un véritable outil pour les maires. Il nous restera cependant à préparer un grand débat sur la population nomade de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Chantal Robin-Rodrigo - La question du stationnement des gens du voyage revêt une importance croissante du fait, notamment, de l'urbanisation qui a supprimé de nombreux emplacements traditionnels. Partant de ce constat, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, relatif au droit au logement, souhaitait favoriser l'accueil des gens du voyage. Mais cette loi a montré ses limites puisque le nombre d'aires d'accueil réalisées couvre moins du quart des besoins, que peu de schémas départementaux ont été mis en place et que les maires se sentent impuissants face aux problèmes liés au stationnement illicite.

Les procédures actuelles sont longues, coûteuses, et inappropriées. Et il est paradoxal que les communes ayant réalisé des aires d'accueil soient celles exposées aux problèmes les plus aigus, du fait de la sédentarisation de bon nombre de voyageurs.

Cette situation s'explique par le déficit global d'aires d'accueil, estimé aujourd'hui à 20 000 places.

Il était donc impératif de relancer l'aménagement des aires d'accueil par les communes. Résoudre les problèmes liés au stationnement constitue en effet un préalable indispensable à tout autre action en faveur des gens du voyage, qu'il s'agisse du droit à la santé, de la scolarisation, des enfants, des droits sociaux...

Le présent projet trouve un équilibre satisfaisant entre le droit légitime des gens du voyage à circuler et stationner et la volonté tout aussi légitime des élus locaux de disposer de moyens juridiques appropriés pour agir rapidement contre les stationnements illicites.

Les obligations contenues dans ce projet devraient permettre une concertation efficace entre les élus locaux à tous les échelons, sous la responsabilité conjointe des préfets et des présidents de conseils généraux.

Avoir fixé une date-butoir pour l'élaboration des schémas départementaux, soit 18 mois après l'adoption de la loi, constitue une avancée notable, tout comme l'autorisation donnée à l'Etat de se substituer aux communes qui n'auraient pas satisfait à leurs obligations dans un délai de deux ans. Il fallait, une fois pour toutes, en finir avec l'attitude de certains élus, tout à fait favorables à la création d'aires d'accueil pour les gens du voyage... de préférence sur le territoire des communes voisines.

Ce texte renforce aussi l'arsenal juridique à la disposition des élus pour leur permettre de mettre un terme rapide à toute occupation illicite d'une propriété publique ou privée. Toutefois, le nouvel arsenal juridique ne profite pas aux communes de moins de 5 000 habitants, non membres d'une structure intercommunale ayant compétence pour l'accueil des gens du voyage. Dans ces communes, le maire ne pourrait user que de son pouvoir de police, d'où des délais longs et des procédures onéreuses.

La participation de l'Etat à l'investissement a été fixée à 70 % d'une dépense plafonnée : le plafond fixé par décret devra correspondre à la réalité des investissements, souvent très lourds induits par la création de ces aires.

Le projet de loi prévoit la création, en complément des aires d'accueil aménagées, d'aires de passage. Il serait paradoxal que celles-ci ne soient pas subventionnées par l'Etat.

Il serait par ailleurs souhaitable que l'Etat prenne en charge les dépenses occasionnées par des aménagements temporaires lors de grands rassemblements traditionnels. Je pense dans mon département au pèlerinage des gens du voyage à Lourdes.

Enfin, le complément de DGF devrait être calculé, non pas sur la base d'une personne par caravane, mais de plusieurs. La famille nomade est en effet le plus souvent nombreuse.

Sous ces réserves, les députés radicaux de gauche voteront ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Michel Meylan - On compte en France environ 300 000 gens du voyage, tsiganes, manouches, gitans ou roms, dont un tiers d'itinérants, un tiers de semi-sédentaires et un tiers de sédentaires. La plupart ont la nationalité française.

Leurs déplacements obéissent à des motifs familiaux, économiques ou religieux. Il existe aussi de grandes migrations, comme celle des Tsiganes yougoslaves dans les années 1960-1970 pour satisfaire les besoins de main-d'oeuvre peu qualifiée des pays occidentaux ou plus récemment, des Tsiganes bosniaques et kosovars pour fuir les conflits ethniques.

Le stationnement des gens du voyage est une question délicate et récurrente. Périodiquement, des contentieux surgissent entre les maires, les riverains et les gens du voyage.

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a garanti à tout citoyen la liberté d'aller et de venir, qui a pour corollaire celle de pouvoir stationner. De même l'un des protocoles de la Convention européenne des droits de l'homme stipule que "quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence".

La liberté de stationner constitue donc une liberté publique au sens de l'article 34 de la Constitution. Mais il s'agit d'un droit constitutionnel non légalisé et c'est le juge administratif qui a progressivement établi ce caractère. Par ailleurs, même reconnu, ce droit se trouve limité du fait du droit de l'urbanisme et des pouvoirs de police des maires et des préfets.

La jurisprudence a établi qu'un maire ne peut valablement interdire le stationnement sur une partie du territoire de sa commune que si le stationnement a, par ailleurs, été autorisé sur un emplacement officiellement désigné, doté des équipements nécessaires et dont la capacité d'accueil est suffisante.

Une circulaire du 16 décembre 1986 fait obligation au maire, en l'absence d'une aire de stationnement aménagée pour le séjour prolongé, de tolérer pendant une période minimale, la halte des gens du voyage sur des terrains de passage sans pour autant imposer la création d'équipements coûteux. Les administrés sont d'ailleurs régulièrement surpris de ce droit accordé aux gens du voyage alors même que ceux-ci enfreignent souvent le droit avec leurs branchements pirates sur les bornes incendie ou sur le réseau électrique.

Le juge a donc progressivement affirmé l'existence d'un droit au stationnement, qui reste toutefois imprécis. Puis est intervenue la loi du 31 mai 1990. Malheureusement, aucune disposition n'instaure de solidarité entre les maires de communes voisines pour assumer le coût de l'aménagement d'une aire d'accueil. Les obligations d'entretien et de gardiennage ne sont pas mutualisées. Si la caravane est considérée comme un domicile inviolable, ce n'est pas un logement. Le droit de stationnement a été reconnu aux gens du voyage sans s'accompagner de la reconnaissance d'un droit au logement.

L'article 28 de la loi Besson impose l'obligation d'établir un schéma départemental d'accueil des gens du voyage prévoyant les conditions de passage et de séjour, de scolarisation des enfants et d'exercice d'activités économiques ; il oblige les communes de plus de 5 000 habitants à créer une aire de stationnement aménagée sur leur territoire ou dans un cadre intercommunal ; enfin, il les autorise à interdire le stationnement sauvage des gens du voyage hors des aires.

Mais seuls 32 départements et un quart des 1 739 villes concernées ont satisfait à ces obligations. Cet échec relatif peut s'expliquer par l'absence d'incitation financière et par l'impuissance des maires, dont la commune a réalisé une aire de stationnement, à faire cesser les occupations illégales hors de l'aire. En l'absence d'emplacements en nombre suffisant, les communes qui remplissent leurs obligations sont soumises à de fortes pressions.

Un effet pervers de la loi est en outre que les Tsiganes se regroupent pour faire face aux menaces d'expulsion. Faute de pouvoir stationner à trois ou quatre caravanes, ils arrivent en force pour éviter d'être délogés. Il arrive aussi qu'une cinquantaine de caravanes, partout rejetées, tournent en rond, au risque de susciter la haine des riverains, nourrie par les préjugés et par un sentiment tenace d'insécurité.

Les maires, sous la pression de leurs administrés, n'ont cessé de réclamer de pouvoir ordonner et obtenir, grâce au concours de la force publique, l'expulsion immédiate des gens du voyage lorsque ceux-ci s'installent en dehors des aires aménagées. Aujourd'hui en effet, un constat d'huissier et une décision de justice sont nécessaires, ce qui peut prendre une vingtaine de jours... soit plus qu'il n'en faut pour que les gens du voyage aient levé le camp de leur propre fait, après avoir souvent dégradé les parcelles, voire les équipements collectifs voisins.

Les maires, comme l'avait souligné notre collègue Jean-Paul Delevoye, en déposant en novembre 1997 une proposition de loi sur le sujet, ont l'impression d'être impuissants devant les stationnements sauvages. Les gens du voyage se plaignent de manquer d'emplacements, la population de l'impunité des Tsiganes.

La loi Besson a tenté d'améliorer la situation, sans réussir à l'apaiser. Elle a achoppé sur l'absence de décret d'application de l'article 28 alors même que celui-ci n'avait prévu ni délai pour l'adoption des schémas départementaux ni sanction en cas de non-réalisation des aires d'accueil. La loi n'avait pas non plus désigné les personnes compétentes pour lancer le schéma départemental, même s'il pouvait être communément admis que c'était le préfet, non plus que les personnes associées à son élaboration et celles chargées de son application. En outre, ce schéma n'était pas opposable aux collectivités locales, notamment à leurs plan d'occupation des sols.

Les gens du voyage ont besoin de terrains familiaux de petite taille intégrés dans les zones urbanisées et équipés pour de longs séjours, d'aires de passage plus vastes pour accueillir ponctuellement des rassemblements importants, enfin, de parcelles familiales avec un bâtiment en dur, autour duquel peuvent stationner quelques caravanes. Les difficultés sont multiples : pénurie de terrains, notamment en zone fortement urbanisée ou sur le littoral, opposition des riverains, absence de solidarité des communes voisines, absence d'aide à la gestion des aires...

Pour atteindre l'objectif fixé, les différentes communautés tsiganes et Gadjé doivent consentir un effort conjointement à l'Etat, aux régions, aux départements et aux communes.

Le projet pose le principe selon lequel toutes les communes participent à l'accueil des gens du voyage, le schéma départemental demeurant le pivot du dispositif. Elaboré conjointement par le préfet et le président du Conseil général, après consultation des communes concernées, il détermine la nature, la localisation et la capacité des aires à créer, ainsi que les interventions sociales nécessaires. Il doit être élaboré dans un délai de 18 mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi, faute de quoi, ce délai passé, le préfet pourrait l'approuver seul.

Les communes de plus de 5 000 habitants doivent se doter d'aires d'accueil aménagées dans un délai de deux ans suivant l'approbation du schéma départemental et réaliser les investissements corrélatifs nécessaires.

J'observe que ces délais nous portent après les prochaines municipales. Qu'en sera-t-il d'ici là ? D'autre part, les communes et les groupements de communes peuvent confier la gestion et la réalisation des aires d'accueil à des personnes morales. Les organismes HLM entrent dans ce champ. Les mentionner expressément dans le projet de loi aurait levé toute ambiguïté sur les possibilités offertes aux maires de leur déléguer effectivement cette compétence.

Le projet dispose ensuite qu'en cas de non-respect de leurs obligations par les communes, l'Etat pourrait réaliser les aides pour leur compte et à leurs frais. En contrepartie, il prendrait en charge, à hauteur de 70 %, et non plus de 35 %, les investissements nécessaires dans la limite d'un plafond déterminé par décret, la région, le département et les caisses d'allocations familiales pouvant accorder des subventions complémentaires de fonctionnement. Le projet prévoit également une meilleure compensation des charges de fonctionnement sur le modèle de l'aide au logement temporaire. Enfin les bases de calcul de la DGF pourraient être bonifiées en considérant qu'une place de caravane créée correspond à un habitant supplémentaire.

Les présidents de conseils généraux sollicités pour participer aux frais de fonctionnement, souhaitent une compensation dans la logique des lois de décentralisation. La charge financière supportée par les communes, parfois peu nombreuses à être concernées par l'accueil des gens du voyage au sein d'un même département, devrait être déductible du contingent départemental d'aide sociale due par ces communes et considérée comme une dépense obligatoire que le département répartirait entre tous les financeurs de l'aide sociale. Enfin, la bonification forfaitaire accordée pour le calcul de la DGF devrait pouvoir être portée à quatre habitants par caravane.

Le corollaire de la création des aires d'accueil serait que les maires des communes ayant respecté leurs obligations puissent interdire le stationnement sauvage des caravanes hors des aires. En cas de stationnement illégal sur un terrain n'appartenant pas au domaine public, mais seulement si ce stationnement porte atteinte à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique, le maire peut saisir en référé le président du TGI, lequel pourrait prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement existante ou de quitter le territoire communal. En cas de stationnement illégal sur le domaine public, le juge administratif pourrait édicter les mêmes prescriptions, sa décision étant exécutoire à titre provisoire. La crédibilité de cette loi repose en effet, comme le souligne l'Association des maires de France, sur la capacité de l'Etat à faire respecter les aires de stationnement et à apporter son concours aux maires. Le sentiment d'un laxisme de l'Etat et de l'impuissance des maires ne pourrait que nourrir le racisme, d'autant plus que, pour nombre de nos concitoyens, la mise en oeuvre de dispositions pour le stationnement et le logement des gens du voyage, à une période où toutes les demandes de logement à loyer modéré ne peuvent être satisfaites, pourrait déjà apparaître comme un traitement "préférentiel".

Plusieurs points devraient être précisés. Il faudrait définir un délai impératif pour l'obtention du référé, généraliser des pratiques plus souples ne supposant pas l'identification formelle des contrevenants, appliquer dans un délai très court l'ordonnance d'expulsion. Tout cela suppose des moyens pour la police et la justice.

En dépit de ces critiques, je reconnais que le projet constitue une avancée significative. Raisons de plus pour regretter ses imperfections. La discussion doit néanmoins nous permettre d'obtenir des gages de la volonté du Gouvernement de travailler en collaboration avec tous les parlementaires, et des précisions sur la manière dont la loi sera appliquée.

Je regrette qu'on ne nous ait pas dressé un état des lieux précis. Le dernier recensement des gens du voyage remonte à 1961. L'Etat devrait en outre assumer l'entière responsabilité des grands rassemblements. Pourquoi ne pas élaborer un schéma national intégré dans les réflexions sur l'aménagement du territoire ?

Des interrogations pratiques subsistent. Quelles dispositions s'appliqueront-elles pour les communes qui ne seraient pas intégrées dans un schéma départemental mais souhaiteraient réaliser une aide d'accueil ?

Il y a aussi la question des POS. Le schéma devrait être opposable afin de permettre aux communes qui auront des difficultés à imposer un terrain d'implantation, de disposer des moyens juridiques nécessaires.

Chaque aire d'accueil fonctionnera selon un règlement intérieur propre. Il serait cependant souhaitable qu'un certain nombre de dispositions soient communes et inscrites dans la loi, par exemple, la participation des gens du voyage aux frais de fonctionnement de ces emplacements, la question du carnet de circulation. Nous souhaitons aussi qu'on précise la réalité de l'aire d'accueil, taille, équipement à prévoir.

Il faudrait aussi des moyens humains et financiers pour faciliter la scolarisation des enfants, et faciliter ainsi leur intégration.

Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous saurez entendre la voix des parlementaires. Ce projet de loi doit déboucher sur une loi utile pour tous les maires, et qui sera bien acceptée si la concertation préside à sa mise en oeuvre. Je souhaite aussi que ceux qui en bénéficieront puissent continuer à vivre autrement, mais comprennent qu'ils doivent respecter certaines règles (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Daniel Vachez - Chaque jour, quelque 30 000 caravanes de gens du voyage cherchent à stationner en France sur moins de 10 000 emplacements disponibles. Ce constat résume le problème auquel sont confrontés de très nombreux maires. Plusieurs milliers de caravanes stationnent donc chaque jour de façon irrégulière, avec un coût important pour les communes, les entreprises ou le propriétaires concernés et une incompréhension des habitants, conduisant parfois à de vives tensions.

Nous avons été nombreux, en particulier au sein du groupe socialiste, à alerter le Gouvernement sur les menaces que représentaient les stationnements irréguliers pour la paix civile. Il y avait urgence à améliorer des dispositions qui, fondées sur la seule bonne volonté des acteurs locaux, se sont avérées inefficaces. C'est donc avec une grande satisfaction que nous avons accueilli le dépôt de ce projet et son inscription rapide à notre ordre du jour.

Le Gouvernement fait montre d'un réel courage politique en s'attelant à un problème difficile qui, depuis neuf ans, n'avait jamais trouvé de solution adéquate. Le projet de loi marque l'aboutissement d'un important travail de réflexion mené au sein du groupe socialiste, en étroite concertation avec les ministères concernés, à commencer par le secrétariat d'Etat au logement.

Lors de ces travaux, nous avions défini trois axes majeurs : faire en sorte que les obligations qui incombent aux départements et aux communes en application de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 soient effectivement respectées ; instaurer une solidarité financière vis-à-vis des communes qui aménagent des aires, notamment pour faire face aux frais de fonctionnement ; permettre aux maires des communes qui ont satisfait à leurs obligations d'obtenir plus facilement un jugement ordonnant l'expulsion des caravanes qui stationnent en dehors des aires aménagées. Bref, nous plaidions pour un dispositif qui assure un équilibre entre droits et devoirs de chacun. L'architecture du projet répond à ce souci.

Celui-ci ne prétend pas régler l'ensemble des difficultés auxquelles sont confrontés les gens du voyage.

M. Charles Cova - Dommage !

M. Daniel Vachez - Il tente d'apporter des réponses concrètes au problème le plus urgent, celui des aires de stationnement. Notre priorité est de permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps, et les schémas départementaux sont le socle du dispositif.

Il ne s'agit pas de conférer aux voyageurs de nouveaux droits, mais de leur permettre d'exercer effectivement leurs droits, au même titre que chaque citoyen français -l'immense majorité d'entre eux sont des citoyens français de très longue date. Pouvoir disposer de conditions de stationnement stables, sans être quotidiennement renvoyé d'un terrain à l'autre, c'est le préalable indispensable à l'exercice d'autres droits tels que la scolarisation ou l'accès aux soins.

La commission nationale et les futures commissions départementales consultatives des gens du voyage constituent le cadre institutionnel le mieux adapté pour traiter de ces questions, et je souhaite que le Gouvernement s'engage à relancer la commission nationale qui ne s'est pas réunie depuis quatre ans. Nous avons absolument besoin d'une structure vivante au sein de laquelle toutes les parties prenantes puissent dialoguer de façon continue. Au niveau départemental, les commissions consultatives auront également un rôle moteur à jouer pour prendre en compte, au plus près du terrain, les besoins des gens du voyage et les attentes des élus locaux, voire pour désamorcer d'éventuels conflits.

La priorité de ce projet, c'est donc de développer les capacités d'accueil des gens du voyage. Prenant acte des insuffisances de la loi actuelle, le Gouvernement a cherché à la rendre plus précise et plus incitative. D'une part, le projet rappelle l'obligation faite à toutes les communes de participer à l'accueil des gens du voyage, en mettant à leur disposition un terrain sommairement aménagé pour stationner au minimum 48 heures. Il réaffirme ensuite l'obligation de réaliser une aire aménagée pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants -et cela au plus tard deux ans après la publication du schéma départemental. A défaut, le préfet pourra se substituer à la commune et inscrire les coûts afférents aux dépenses obligatoires.

Certes, nous souhaitons que cette dernière disposition ne constitue que l'arme ultime dans les mains du préfet. Mais elle est indispensable pour assurer la réussite du dispositif, car on ne peut compter sur la seule bonne volonté. Depuis neuf ans, trop de communes refusent d'assumer leurs obligations -ce sont souvent les mêmes qui refusent de construire des logements sociaux.

Nous le disons avec force : aucune commune ne doit pouvoir se défausser de ses responsabilités, par exemple sous forme d'une contribution financière qui viendrait l'exonérer de l'obligation d'aménager une aire sur son territoire. Il est, à cet égard, souhaitable de clarifier la rédaction de l'article 3, comme le propose un amendement de la commission.

Nous souhaitons aussi que, le moment venu, le Gouvernement veille à la correcte application de la loi, et que les préfets fassent un réel usage des facultés qui leur sont ouvertes.

D'autre part, le Gouvernement a prévu de renforcer sensiblement son soutien financier aux communes pour la réalisation et la gestion des aires, en doublant l'aide à l'investissement nécessaire à l'aménagement qui passe à 70 %. Il conviendra de préciser que les dépenses de réhabilitation ouvrent droit à cette prise en charge majorée. Il apparaît, en effet, que plus de la moitié des 10 000 places de stationnement officiellement disponibles, ne respectent pas les normes actuelles et doivent donc faire l'objet d'importants travaux de rénovation.

Le soutien de l'Etat prend surtout la forme d'une aide versée directement aux gestionnaires des aires d'accueil et qui devrait couvrir environ 50 % des coûts de fonctionnement. Voilà un progrès important, qui lève un frein réel à la réalisation d'aires par les communes.

Enfin, le Gouvernement a prévu un abondement de la DGF versée aux communes sur lesquelles est implantée une aire d'accueil. Cet abondement est amplement justifié par les coûts qu'induit une telle implantation, notamment pour le budget social des communes, car la population des gens du voyage connaît souvent de graves difficultés sociales et économiques. Toutefois, le ratio retenu apparaît plus symbolique que vraiment fidèle à la réalité. Nous en reparlerons lors de l'examen de l'article concerné.

Précises et incitatives, les dispositions de ce projet sont à la hauteur des ambitions affichées. Mais il nous est toujours apparu indispensable d'assurer l'équilibre entre droits et devoirs de chacun : droit des gens du voyage à stationner dans des conditions décentes et devoir des collectivités locales d'aménager des aires en nombre suffisant, mais aussi droit des communes à empêcher le stationnement des caravanes en dehors des aires aménagées et devoir des gens du voyage de respecter les règles de la vie collective en n'occupant pas de façon illicite, voire sauvage, des terrains parfaitement inadaptés.

Les maires ont eu jusqu'à présent le plus grand mal à faire cesser ces stationnements illicites, quand bien même ils avaient réalisé une aire. Les communes qui ont rempli leurs obligations sont même souvent confrontées à un afflux de voyageurs qui sature ses capacités d'accueil et crée de graves frictions avec les habitants sédentaires. Il était donc indispensable de permettre aux maires des communes qui ont satisfait à leurs obligations d'obtenir plus rapidement un jugement d'expulsion. A cet égard, le projet de loi apporte des améliorations sensibles.

L'usage systématique du référé "heure à heure" et la possibilité de faire appliquer la décision de justice au seul vu de la minute permettront de réduire sensiblement les délais. La possibilité donnée au juge de prononcer une injonction valable sur l'ensemble du territoire communal, ainsi que la proposition faite par le rapporteur d'unifier le contentieux au profit du juge civil -proposition que le groupe socialiste souhaite vivement voir adoptée-, sont aussi de nature à simplifier les procédures.

Enfin, il est bon de permettre au maire d'agir en justice pour demander l'évacuation de caravanes stationnant de façon illicite sur un terrain privé, si ce stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques.

Certains auraient souhaité aller plus loin, permettre l'évacuation forcée des caravanes en stationnement illicite sur simple décision administrative.

Outre le fait qu'une telle disposition serait contraire à l'article 66 de la Constitution, chacun droit prendre conscience des menaces qu'elle ferait peser sur notre démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Si l'on créait un régime d'exception pour une certaine catégorie de la population, on ouvrirait la voie à tous les arbitraires. Ce qui s'appliquerait aujourd'hui aux gens du voyage pourrait s'appliquer demain à un locataire en conflit avec son propriétaire et, après-demain, à n'importe quel citoyen, pour n'importe quel motif. Les maires qui ont aménagé des aires ont le droit de réclamer des procédures judiciaires plus rapides et plus efficaces. Mais, il ne nous appartient pas de nous engager sur une voie hautement périlleuse, qui aboutirait à la négation des principes fondamentaux de notre droit.

Plusieurs députés socialistes - Très bien !

M. Daniel Vachez - Conclusion, ce projet constitue un progrès réel, longtemps attendu. Certes, nous ne résoudrons pas toutes les difficultés en un jour. Mais ce texte, qui conjugue incitation et contrainte, fournit des outils extrêmement précieux, qui amélioreront très sensiblement la situation dans les trois ou quatre années qui viennent.

Comme l'ont souligné le ministre et Mme le rapporteur, l'enjeu de ce texte est de permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps afin de mettre un terme à la pénurie actuelle, qui explique l'essentiel des tensions. Cela suppose la mobilisation et la responsabilisation de chacun et en premier lieu des maires. Nous avons tous intérêt à ce que le projet se traduise dans les faits afin que cesse une confrontation qui sape nos principes républicains. C'est dire, Monsieur le ministre, que le groupe socialiste le votera avec conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Lionnel Luca - C'est un projet fort attendu par tous les maires de France que vous nous présentez aujourd'hui, Monsieur le ministre et, à ce seul titre, il mérite déjà notre attention. Nous nous félicitons que le Gouvernement prenne -enfin- ses responsabilités en la matière car le précédent -et insatisfaisant- texte date de 1990 et, depuis lors, les élus locaux se sont trouvés bien seuls. Bien seuls devant ceux qui prétendent à l'installation sauvage même lorsqu'une aire d'accueil existe ; bien seuls face aux représentants de l'Etat qui hésitent à faire appliquer les expulsions décidées par la justice ; bien seuls devant leurs administrés qui éprouvent alors un désagréable sentiment d'iniquité...

A défaut de résoudre un problème difficile, sinon insoluble, le projet doit permettre de réduire les tensions, et le débat qu'il va susciter montre l'avantage que constitue le fait d'être député-maire : ceux-là sauront parler de pratique là où la discussion aurait risqué de n'être que théorique (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Mme Nicole Bricq - Ce n'est pas parce que l'on n'est pas maire que l'on ne s'intéresse pas à la question !

M. Lionnel Luca - Nous attendons donc de votre part pragmatisme et absence de préjugés, ces préjugés qui ne peuvent qu'aggraver la situation et qui sont, en effet nombreux. En effet, pour les uns, ces populations ne devraient jamais pouvoir s'arrêter en aucun lieu ; pour les autres, incurables romantiques, le pauvre Romanichel à la roulotte, victime de l'exclusion, devrait être partout chez lui.

Votre projet prétend, dans l'exposé des motifs, à un équilibre que la lecture des articles ne confirme pas. Et l'on ne peut manquer d'être surpris par la rapidité, sinon la précipitation, qui a présidé à l'élaboration d'un texte pour lequel, jusqu'à présent, il avait paru nécessaire de se hâter fort lentement. Faudrait-il voir là l'influence de certaines élections à venir, qui en annoncent d'autres ? On regrettera, d'autre part, et contrairement à ce que vous avez dit, que la rédaction du projet ait donné lieu à une concertation aussi réduite, que ce soit avec les parlementaires ou avec les représentants d'associations que l'on ne peut limiter aux seuls représentants des gens du voyage.

Cela dit, le projet apporte des progrès indéniables. Ainsi, il est bon que les schémas départementaux prennent en considération les réalités locales, que les communes puissent satisfaire à leurs obligations par différents moyens et, surtout, que l'Etat prenne un engagement financier que les départements pourront éventuellement compléter. Un blocage est ainsi levé.

Vous le voyez, Monsieur le ministre, le groupe RPR aborde ce débat avec l'ouverture d'esprit qui convient, considérant que la discussion doit être technique et non politique. Pour autant, le projet n'est dénué ni d'ambiguïtés, ni d'insuffisances, ni d'arbitraire.

L'ambiguïté tient à l'affirmation réitérée d'une volonté d'équilibre, que les articles ne traduisent guère. Rien n'est dit, par exemple, de ce que seront les obligations des gens du voyage en cas de vandalisme.

M. Charles Cova - Très bien !

Mme le Rapporteur - Le code pénal s'appliquera !

M. Lionnel Luca - Que fera-t-on s'ils refusent l'aire d'accueil qui leur est proposée conformément au schéma départemental, au motif que de mauvais esprits l'entourent, ou parce qu'elle est humide et surtout parce que seul le bord de mer peut convenir ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Que fera-t-on s'ils refusent de verser leur contribution ?

Le texte n'est pas plus ferme sur l'application par les préfets des décisions d'expulsion.

Mme le Rapporteur - Quelle mauvaise foi ! Le texte est très clair !

M. Lionnel Luca - Globalement, on constate qu'une fois de plus les seules contraintes réelles incomberont aux maires, dont on a peine à croire que ce texte leur soit destiné.

Les insuffisances tiennent sans doute à la rapidité avec laquelle le projet a été élaboré, et qui fait que nombre de questions demeurent sans réponse. Ainsi, il fait l'impasse sur le schéma national qu'envisageait M. Delevoye, le président de l'Association des maires de France, dans la proposition de loi qu'il avait présenté au Sénat. Ce schéma national aurait pourtant permis de prendre en compte les phénomènes migratoires, qui posent les problèmes les plus délicats. L'échelon régional est aussi oublié.

Autres insuffisances, l'augmentation de la DGF et ces pouvoirs que vous feignez de donner aux maires alors qu'ils en disposent déjà pour les terrains communaux et que l'application aux terrains privés soulève des difficultés constitutionnelles.

Insuffisances encore, sur toutes ces questions que le texte ne fait qu'effleurer : scolarisation, sédentarisation, fiscalité, achat des terrains, occupation illégale.

Le romantisme du romanichel à la roulotte a souvent fait place au matérialisme de la grosse berline étrangère tirant des caravanes inaccessibles aux autochtones...

Mme le Rapporteur - Ça, on l'attendait... (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Georges Tron - Cessez d'interrompre l'orateur, c'est scandaleux ! Taisez-vous !

Mme le Rapporteur - C'est la façon dont vous me traitez qui est scandaleuse !

M. Georges Tron - On n'a jamais vu un rapporteur se conduire de la sorte !

M. Lionnel Luca - Quant à l'arbitraire, c'est le pouvoir de substitution donné aux préfets en cas de blocage. Alors que le schéma départemental est élaboré conjointement avec le président du conseil général on se passera ensuite de lui puisque seule la signature du préfet validera le schéma. C'est un recul important, d'autant que les maires se verront imposer le lieu et les obligations financières. C'est faire peu de cas de la démocratie locale et faire preuve, sinon de mépris, du moins d'un manque de confiance envers les élus locaux. Le seul mérite de cette recentralisation est de ne pas être insidieuse.

Il y a donc, on le voit, beaucoup à faire pour améliorer ce texte. Le débat sur les articles, le sort que vous réserverez aux amendements destinés à créer un véritable équilibre entre les obligations et les droits de chacun, les engagements que vous prendrez sur les futurs décrets d'application détermineront notre position définitive (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jacques Desallangre - Ce projet répare l'échec partiel de la loi de 1990 qui, en dépit de ses intentions généreuses, n'a pas permis d'accueillir les gens du voyage dans les conditions satisfaisantes.

Notre échec à tous dans une stratégie globale d'amélioration de l'accueil tient à la dissymétrie entre le principe de l'accueil de tous et l'insuffisance des structures.

S'il paraissait acquis aux maires que des aires devraient être mises à disposition, ils préféraient jusqu'ici laisser l'initiative à leurs voisins, craignant qu'en appliquant la loi ils voient affluer une population légitimement désireuse d'être accueillie dignement.

Par ailleurs, les communes les plus pauvres, les plus rurales sont souvent les plus exposées à la nécessité d'accueillir les non sédentaires. Une péréquation entre communes riches et pauvres serait donc sans doute nécessaire.

Quant aux 30 % du coût d'aménagement restant à la charge de la commune, ils peuvent être difficiles à supporter pour certaines d'entre elles. Une modulation de l'aide en fonction du potentiel fiscal et un déplafonnement de la dépense engagée dans le calcul de la subvention seraient donc bienvenus.

Il y a aussi une inégalité entre communes dotées de moyens de défendre leurs droits, et celles qui ne peuvent compter que sur des forces de maintien de l'ordre disséminées. Comment demander à des contribuables de participer financièrement à l'aménagement d'aires si les forces de l'ordre ne sont pas capables d'assurer leur tranquillité ?

Le dispositif proposé en faveur de l'intercommunalité atténue ces dysfonctionnements. Il peut vaincre la frilosité ambiante, permettre une meilleure répartition de l'effort et apporter une réponse globale à l'accueil des gens du voyage dans un bassin de vie. L'intercommunalité atténue le caractère brutal du seuil des 5 000 habitants pour des départements comme le mien où 10 communes sur 816 seront assujetties à l'obligation d'aménagement, où la majeure partie des zones rurales, où les gens du voyage s'installeront, s'ils le désirent, ne sera pas aménagée, et où les maires ne disposeront pas des moyens nécessaires pour empêcher l'occupation illégale du domaine public. Je souhaite donc le renforcement de l'intercommunalité car ce n'est pas la présence d'une population sédentaire qui devrait déterminer les modalités d'accueil des gens du voyage, mais les surfaces et les territoires.

Au regard du droit de chacun de vivre dignement, il est insupportable, inhumain, de voir à la périphérie de nos agglomérations de véritables bidonvilles. Pour autant, tout droit suppose des devoirs tels celui de participer aux frais de séjour, de se conformer aux normes, de fréquenter uniquement les aires de stationnements, de rompre avec l'habitude détestable de mépriser les règlements, de ne respecter ni les espaces publics ni même souvent la propriété privée.

Les devoirs devront donc être rappelés à tous. A défaut nous risquerions de voir monter l'insatisfaction de tous, maires, contribuables, gens du voyage. L'Etat, en contrepartie de l'effort demandé aux collectivités locales, ne doit pas laisser les maires désarmés. Je salue à cet égard les engagements que comporte ce texte. En le présentant, le Gouvernement assume une grande responsabilité vis-à-vis des exécutifs locaux comme des gens du voyage. De l'efficacité de l'aide apportée aux maires dépendra en grande partie la réussite de votre loi, Monsieur le secrétaire d'Etat.

Si chacun a le droit de déterminer sa vie, la qualité de citoyen impose que tous soient assujettis aux mêmes devoirs. En espérant que ce projet ambitieux emportera l'adhésion de tous, les députés du MDC le voteront (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Christine Boutin - L'inadéquation entre les places disponibles et le nombre de gens du voyage pose de réelles difficultés dans de nombreuses régions, dont l'Ile-de-France. A ce titre, j'associe à mes propos mon collègue Pierre-André Wiltzer, élu de l'Essonne.

Nombreux sont les maires qui souhaitent voir résoudre ce véritable problème de société. Ce projet, qui paraît renforcer massivement les créations d'aires d'accueil m'a donc d'emblée intéressée. Hélas, les maires m'ont rapidement démontré qu'il se concentre sur l'aspect technique du problème.

Certes, il devrait permettre de porter la capacité d'accueil de 10 000 à 30 000 places, ce qui devrait suffire pour 100 000 voyageurs. Mais ces chiffres sont-ils fiables alors que le dernier recensement de ces populations remonte aux années 1960 ? Et si, selon Mme Le Texier, ce projet est un "préalable à toute avancée ultérieure", les étapes suivantes ne sont pas même annoncées. Le Gouvernement a-t-il des intentions quant aux conditions de vie des gens du voyage, à leur sécurité, à la scolarisation de leurs enfants ? Compte-t-il envisager un jour leur vie sous son angle social ? Il est regrettable que l'on ne nous propose pas une réforme d'ensemble, qui serait nécessaire pour l'organisation même des schémas départementaux. Mieux prendre en compte les conditions de vie des gens du voyage permettrait en outre de faire des propositions plus adaptées pour l'aménagement des aires d'accueil.

Alors que le texte prévoit que l'organisation des aires d'accueil relèvera d'un schéma départemental, il semble à de nombreux maires qu'il serait plus adapté, dans un souci de décentralisation et d'efficacité, de prévoir des schémas d'arrondissement, j'ai déposé un amendement en ce sens.

L'exposé des motifs insiste sur l'importance de parvenir à un équilibre entre droits et devoirs des gens du voyage. Selon le rapporteur, le déséquilibre aurait souvent été au détriment de leurs droits. Pourtant, certains élus directement concernés, y compris de votre majorité sont parvenus à la conclusion inverse. S'il est essentiel de garantir à tout citoyen le droit de circuler librement et si les sédentaires doivent accepter que d'autres personnes aient choisi un autre style de vie, force est de constater que la coexistence de deux modes de vie fondamentalement différents n'est pas évidente et pose de nombreux problèmes aux communes. La cohabitation harmonieuse et sereine entre gens du voyage et sédentaires n'est jamais facile.

Dans ce texte, les droits des gens du voyage apparaissent bien supérieurs à leurs devoirs. Le respect et l'entretien des installations sur les aires ne semblent pas faire l'objet d'une stricte exigence. Et que dire de la participation aux taxes locales, du paiement de l'eau et de l'électricité, du ramassage des ordures, de l'impôt sur le revenu, compte tenu de l'origine souvent obscure de leurs ressources ? La proportion de familles de gens du voyage qui bénéficient du RMI est forte bien que leur niveau de vie semble important. Les devoirs des sédentaires semblent plus surveillés que ceux des nomades. La solution n'est pas de contraindre tout le monde à la sédentarisation mais d'exiger tous les mêmes devoirs (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Pourquoi les habitants des communes supporteraient-ils seuls le coût des services fournis aux gens du voyage ? Ni leur mode de vie, ni leurs finances ne le justifient.

On peut craindre également que l'investissement demandé aux maires soit surévalué et que les moyens dont ils disposent pour que les voyageurs accomplissent leurs devoirs et respectent l'organisation et l'emplacement des aires d'accueil soient sous-évalués.

La nécessité de passer par le juge pour faire respecter certains arrêtés ralentit la procédure d'expulsion. Or l'atteinte portée à l'Etat de droit est parfois très sérieuse. Mme le rapporteur estime que si l'on passait outre cette intervention du juge, on risquerait de multiplier les décisions arbitraires et discriminatoires.

Mme Laurence Dumont - Bien sûr !

Mme Christine Boutin - Pour ma part, je considère que les maires sont tout aussi responsables et avisés que les juges et que leur pouvoir de police doit suffire ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Enfin, d'importantes questions ne sont qu'incomplètement abordées dans ce projet.

Comment justifier que seules les communes de moins de 5 000 habitants qui le souhaitent contribuent au financement des aires de stationnement ? Si solidarité il doit y avoir, chaque commune de France doit y participer.

Selon quelles modalités le préfet décidera-t-il de contraindre les communes réfractaires à constituer leur aire ? Achètera-t-il lui-même le terrain ? Modifiera-t-il le POS ? Les maires de ma circonscription aimeraient avoir une réponse.

L'occupation de terrains privés en l'absence d'autorisation expresse du propriétaire représente une atteinte grave au droit des personnes. Ce droit ne devrait-il pas être mieux protégé que par des procédures de référé, toujours longues ?

Faute de répondre à ces questions et d'aborder l'ensemble des problèmes, il est à craindre que les tensions ne se renforcent. Il est pourtant de notre devoir de tout faire pour les éviter, en respectant la dignité de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Ce projet de loi qui vise à organiser, par la création d'aires d'accueil aménagées, un droit à un habitat adapté pour les gens du voyage, marque une étape importante dans notre volonté d'avancer dans un contexte de solidarité nationale.

Il pose les bases de la libre circulation des gens du voyage, tout en leur offrant la possibilité de s'établir plus durablement. Il respecte donc les choix des individus, et crée les conditions d'un respect réciproque des règles de vie des gens du voyage et des populations d'accueil. On connaît trop bien les problèmes posés par la concentration des gens du voyage dans des lieux non organisés dans un cadre de solidarité -je citerai l'exemple du camp de Gineston à Toulouse, largement montré du doigt.

Le souci des élus locaux d'éviter des installations illicites est compréhensible. Malheureusement la solution se fait souvent au détriment des gens du voyage, rejetés loin du coeur de la ville, parfois même à proximité des déchetteries !

Les communes doivent assumer leurs responsabilités et remédier au déficit d'aires d'accueil. Seule une volonté politique s'appuyant sur l'action associative, comme le fait le syndicat intercommunal pour l'étude et l'accueil des nomades de l'agglomération toulousaine, peut créer les conditions d'un bon accueil et d'une bonne coexistence : ce syndicat a fait la preuve que les élus peuvent s'organiser et dépasser les idées préconçues négatives.

Précisément ce projet vise à fixer un cadre à l'aspiration légitime de chacun à aller et venir librement et à stationner dans de bonnes conditions. Parce qu'il touche à la question essentielle du vivre ensemble, ce projet participe à la construction d'une société où les êtres coexistent dans le respect de leurs différences de culture et de mode de vie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Charles Cova - Ce texte était attendu depuis longtemps et il a au moins le mérite d'exister. Son intérêt principal tient à ce qu'il prévoit un financement partiel par l'Etat des aires d'accueil. Pour le reste, il reprend les principes énoncées par la loi de 1990 et certaines modalités envisagées par la proposition de loi sénatoriale.

Mais les principes ne sont rien s'ils ne sont pas accompagnés de moyens concrets : or nous constatons l'absence totale de moyens pour faire appliquer ce texte.

Autre lacune de taille, son champ d'application se limite au passage des gens du voyage dans nos communes, sans prendre en compte la diversité des populations et des habitants, sans aborder la question de l'hivernage et de la semi-sédentarisation, sans traiter de l'afflux croissant des populations venant des pays de l'Est, qui vont, à terme, créer une situation inextricable.

Vous ne précisez pas les devoirs et obligations de ces populations, de sorte que le texte est déséquilibré.

Enfin si notre assemblée aborde cette question aujourd'hui, c'est plus sous la pression des élus, de droite ou de gauche, perpétuellement confrontés au stationnement illégal des gens du voyage, que par votre volonté de régler une bonne fois pour toutes ce problème. Or vous savez bien qu'on ne pourra résoudre les conflits qu'en donnant aux maires des moyens efficaces de faire respecter notre droit par les gens du voyage. Après l'adoption de ce texte, les choses ne vont guère changer pour eux. Ils rencontreront les mêmes difficultés si les décrets et circulaires d'application ne précisent pas les moyens coercitifs capables de convaincre les récalcitrants aux schémas départementaux.

Si le texte devait rester en l'état, ce serait une occasion manquée. Les maires de ma circonscription m'ont tous fait part de leur scepticisme : qu'ils soient de droite ou de gauche, ils souhaitent voir renforcer leurs pouvoirs de police, pouvoir recourir au juge dans un délai rapide et accélérer la procédure devant le préfet pour obtenir l'usage de la force publique pour expulser les nomades en stationnement irrégulier. Telles sont les mesures qu'il faut prendre !

Ce texte aurait dû nous rassembler et faire l'unanimité. Vous avez manqué cette chance.

Je m'interroge également sur le calendrier fixé par le projet. Curieusement l'obligation faite aux maires de réserver des terrains d'accueil tombe juste après les élections municipales... D'ici-là, pas de vagues !

En réalité ce texte ne constitue qu'une demi-mesure. Je ne le voterai pas en l'état (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. André Aschieri - Redéfinir les dispositions relatives à l'accueil des gens du voyage était une nécessité. Pour les intéressés eux-mêmes, qui rencontrent de plus en plus de difficultés à stationner, pour les populations, qui vivent mal la situation actuelle et pour les élus locaux, qui se retrouvent bien seuls pour gérer les problèmes et éviter que les tensions ne tournent au conflit ouvert. La loi du 31 mai 1990 n'a pas répondu aux objectifs qu'elle s'était fixés. Sur 1 739 communes de plus de 5 000 habitants, 20 % seulement possèdent une aire de séjour, ce qui représente moins de 10 000 emplacements.

Dans les Alpes maritimes, un plan départemental a été adopté, il n'est pas appliqué.

Le sentiment d'inégalité de traitement entre les communes est très répandu. Les communes de moins de 10 000 habitants se voient imposer un nombre d'emplacements égal à celui de Nice qui en compte 350 000. En revanche, des villes comme Antibes qui a satisfait aux exigences du plan départemental ou ma commune de Mouans-Sartoux, qui possède dix aires de stationnement, se voient confrontées parfois à l'arrivée de centaines de caravanes et à leur installation sauvage accompagnée de destruction de clôtures, de branchements électriques pirates, d'ouverture forcée de bornes d'incendie !

Les communes qui appliquent la réglementation aujourd'hui sont bien mal récompensées. Ce sont elles qui attirent des convois disproportionnés alors que celles qui n'ont rien prévu sont préservées.

La loi préconise le développement de petites aires d'accueil de type familial pour permettre la sédentarisation ou la semi-sédentarisation de ceux qui le souhaitent. C'est une bonne initiative que j'ai expérimentée et qui marche bien.

L'ambition de votre projet est de faciliter une cohabitation harmonieuse de tous sur le territoire national. La tâche n'est pas facile car notre société a de plus en plus de mal à accepter les modes de vies différents.

La liberté d'aller et venir est reconnue par notre Constitution. Il est normal qu'elle s'accompagne de possibilités de stationnement dans des conditions décentes pour les gens du voyage.

Les Verts auraient souhaité qu'à la notion de stationnement on substitue celle d'habitat car il s'agit bien d'un mode d'habitation particulier. Il est regrettable que le texte n'aborde pas l'ensemble des questions posées par ce mode de vie, qu'il s'agisse des activités économiques exercées par les gens du voyage, des conditions de scolarisation des enfants, de l'accès aux droits sociaux, des titres de circulation et de domiciliation, etc.

Vous avez choisi de limiter l'objet du texte. J'insiste sur le fait que ses trois volets -responsabilité des communes qui ont la charge de l'accueil, intervention et incitation de l'Etat, qui subventionnera l'investissement et aidera au fonctionnement, lutte contre les stationnements irréguliers sont inséparables. Si l'un des trois venait à manquer, les difficultés persisteraient.

On peut s'inquiéter que l'aide au fonctionnement accordée via la dotation globale de fonctionnement ne prenne en compte qu'un habitant par emplacement alors qu'un emplacement correspond en fait à cinq, six voire dix personnes.

Il nous revient de faire vivre la paix sociale et reculer l'incompréhension. Les habitants sédentaires supportent en effet de moins en moins bien la présence de personnes qui paraissent parfois jouir d'un train de vie supérieur au leur. L'Etat et les communes doivent donc exercer une mission de médiation et informer sur les droits et les devoirs de chacun. Mais le succès des dispositions nouvelles réside avant tout dans l'observation, par les gens du voyage eux-mêmes, d'un code de bonne conduite. Comme tous les citoyens de notre pays, ils doivent rendre à la communauté nationale une part de ce qu'elle leur apporte. Chacun, dans la mesure de ses moyens et de ses talents, doit contribuer à la vie de la société. L'équilibre des droits et des devoirs de chacun est à la base du contrat social. Rendre celui-ci le plus lisible possible sera la meilleure garantie de notre réussite. A cet égard, Monsieur le ministre, ce projet vient à point nommé.

M. Jean-Antoine Léonetti - Ce projet était attendu par les élus et les populations locales ainsi que par les gens du voyage. La situation actuelle est en effet loin d'être satisfaisante. Périodiquement, des stationnements anarchiques et illégaux créent des tensions qui entraînent des actes de violence et de rejet.

L'objectif du présent projet est louable : mieux définir les obligations respectives de l'Etat et des communes. Le premier est le garant de l'ordre public et du respect de la loi ; les secondes ont la responsabilité de l'accueil des gens du voyage. Un équilibre est par ailleurs souhaité entre les droits légitimes de personnes qui ont choisi un mode de vie non sédentaire et le devoir qui incombe néanmoins d'être respectueux des règles collectives.

A l'heure actuelle nous sommes loin de cet équilibre harmonieux souhaité par tous. Et je voudrais ici témoigner au nom d'une ville qui s'est conformée, sans y être obligée, à l'article 28 de la loi du 31 mai 1990. Il faut bien reconnaître que ces villes n'ont pas pour autant été épargnées par l'occupation illicite de terrains publics ou privés, effectuée au mépris des arrêtés d'interdiction du maire et malgré les plaintes auprès des juridictions compétentes, plaintes qui demandaient quelquefois plus d'un mois pour être suivies de décisions, l'exécution de celles-ci intervenant souvent le jour même où les gens du voyage avaient décidé de partir en laissant derrière eux des dégâts à la charge des contribuables...

Comment s'étonner dans ces conditions que les schémas départementaux soient rares et que les communes ne se soient pas soumises avec enthousiasme à des obligations légales assorties d'aucun pouvoir !

Ces violations répétées de la loi -dégradations des biens publics ou privés, branchements illégaux d'eau et d'électricité, manquement aux règles sanitaires les plus élémentaires- se produisent devant une population consternée et révoltée. Le maire est quant à lui contraint de "négocier la loi" avec les gens du voyage en tentant de calmer la population qui s'étonne à juste titre que leur véhicule puisse être mis en fourrière lorsqu'il est en infraction quelques heures mais que l'on tolère que des dizaines de caravanes stationnent n'importe où en toute impunité pendant des semaines. Ce projet de loi ne résout pas vraiment le problème, à cet égard.

Vous auriez pu, Monsieur le ministre, vous inspirer de la proposition de loi que le groupe UDF avait proposée et qui imposait des délais maxima pour l'exécution des décisions de justice. Malheureusement, ce gouvernement persiste dans les mêmes erreurs qu'avec le projet concernant la police municipale, c'est-à-dire dans une méfiance vis-à-vis des élus locaux. Le Gouvernement est en somme pour une décentralisation où l'Etat se décharge financièrement de ses missions de police, de justice et d'éducation, mais veut conserver le pouvoir de décision.

Lorsqu'une infraction aussi grave que l'occupation illégale de terrain privé ou public s'effectue sur le territoire d'une commune qui respecte la loi en ayant aménagé une aire d'accueil pour les gens du voyage, l'expulsion doit s'exécuter sans délai. C'est en respectant ces principes simples qu'on restaurera l'Etat de droit de plus en plus bafoué dans notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Jacques Filleul - Je souhaite tout d'abord vous féliciter, Monsieur le ministre, de nous présenter ce projet destiné à régler un problème qui pourrait devenir explosif si nous ne faisions rien. Il ne prétend pas traiter l'ensemble de la question mais apporte des réponses pratiques à des problèmes urgents que les députés socialistes avaient maintes fois soulignés. Il était temps de légiférer.

Les limites de la législation actuelle étaient en effet devenues flagrantes et les maires contrôlaient de plus en plus difficilement la situation. Ils devaient faire face à de continuels conflits nés d'incompréhensions mutuelles. Dans mon département d'Indre-et-Loire, et plus particulièrement dans ces plaines ligériennes entre la Loire et le Cher, lieux ancestraux de passage et de stationnement, les tensions sont parfois vives. Les maires se lassent, mais aussi les gendarmes, car en l'absence de réglementation adaptée, les uns et les autres tournent en rond.

En répondant positivement et rapidement à nos sollicitations, Monsieur le ministre, vous avez créé un espoir fort de parvenir à des résultats substantiels, le but étant bien de mailler le territoire d'aires d'accueil ou familiales de tailles différentes. Je souhaite simplement que les différentes lectures de la loi se fassent rapidement afin que celle-ci s'applique au plus vite.

Il me paraît également souhaitable de compléter le texte par un amendement qui permettrait aux communes de préempter certaines zones sensibles clairement identifiées dans le POS, je pense à ces petits terrains agricoles situés en marge des zones urbaines sur lesquels les gens du voyage s'installent, après les avoir achetés à bas prix, et vivent en l'absence totale de commodités et sans qu'il soit possible de faire respecter une quelconque réglementation, en particulier en matière d'urbanisme. Il convient d'éviter une telle déréglementation, très éloignée de l'esprit de ce projet qui fixe au contraire les droits et les devoirs de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Bernard Schreiner - Ce projet résulte d'une volonté conjointe de l'Etat et des collectivités locales de faire évoluer une situation qui n'a que trop duré.

Représentant d'une commune rurale confrontée au stationnement abusif des gens du voyage, je me fais ici l'interprète de nombreux maires ruraux, toutes tendances politiques confondues.

Bien que ce projet reprenne plusieurs propositions de l'Association des maires de France, de nombreux points restent en suspens et surtout, il n'y a pas de réelle avancée permettant aux maires d'exercer correctement leurs pouvoirs de police. Alors que le texte devait trouver un juste équilibre entre droits et devoirs, ses rédacteurs ont manifestement omis la partie consacrée aux devoirs des gens du voyage.

Le premier des devoirs des gens du voyage devrait être de respecter les lois et règlements en vigueur. Or, même dans les communes respectant la loi Besson, des stationnements illicites sont quotidiennement constatés. Ce projet n'apporte aucune réponse pratique : les maires continueront d'effectuer un parcours du combattant pour faire respecter la loi. Il faut leur donner les moyens d'exercer leur autorité. Ce texte l'occulte complètement.

Les maires et présidents de groupements de communes doivent être associés à l'élaboration des schémas départementaux.

Enfin, pour que les principes animant ce texte ne restent pas lettre morte, les compensations financières et les aides de l'Etat devront être suffisantes. Le 30 octobre 1997, en réponse à une de mes questions, le ministre de l'intérieur s'était engagé à doubler l'aide de l'Etat aux communes. Louable intention ! Malheureusement, ce texte ne prévoit aucune actualisation périodique des aides de l'Etat.

Par ailleurs, la bonification forfaitaire d'un habitant par caravane pour le calcul de la DGF n'est que symbolique. Sans vouloir faire de surenchère, un équivalent de trois ou quatre habitants par caravane correspondrait mieux à la réalité.

Enfin, ce texte n'évoque pas même l'idée de faire participer les gens du voyage aux frais de fonctionnement des aires d'accueil, comme s'il s'agissait d'un tabou. Or, la solidarité a ses limites. Nos concitoyens ne peuvent comprendre qu'ils doivent supporter, en tant que contribuables, les frais d'investissement et de fonctionnement d'aires destinées à des personnes ne payant aucun impôt dans leur commune mais circulant par ailleurs dans des véhicules haut de gamme, notamment des 4X4 du dernier cri, tractant d'imposantes caravanes, l'ensemble valant souvent le prix d'un logement.

J'espère que le Gouvernement nous permettra d'améliorer ce texte, qui va toutefois dans le bon sens. Faute de quoi, nous ne pourrions l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Laurence Dumont - "Amer savoir, celui qu'on tire du voyage", écrivait Baudelaire. Nous traitons ce soir du droit à la différence et de la difficulté de notre société à admettre la différence. La tension monte en effet entre les gens du voyage, qui ont choisi une vie hors normes perpétuant un héritage culturel et un mode de vie historique, et ceux qui ont choisi une vie sédentaire. Il faut lutter contre la discrimination dont sont victimes les voyageurs. A défaut de pouvoir abolir les préjugés, il nous faut créer les conditions pour que s'atténue la méfiance réciproque entre sédentaires et gens du voyage.

L'accueil, objet de ce projet de loi, est en effet la première étape -les aspects éducatifs et socio-économiques devront suivre. Des élus de ma circonscription m'ont à plusieurs reprises saisie du problème du stationnement des nomades. Ils réclament en général les moyens d'expulser les voyageurs gênants, mettant en avant des débordements, voire des exactions, qui restent cependant le fait d'une minorité. Aucune solution durable ne sera trouvée par la seule coercition. Tant que nous ne donnerons pas leur place aux gens du voyage, tant que nous ne les traiterons pas comme nos égaux, tant en matière de droits que de devoirs, tant que nous ne leur garantirons pas le droit au logement, ils seront contraints d'occuper illégalement les lieux.

Il n'est pas de liberté d'aller et venir sans droit corollaire au stationnement dans des conditions dignes. Gageons qu'au fur et à mesure de la création des aires, les occupations illicites se feront plus rares. Celles-ci ne pouvant toutefois disparaître en un jour, les maires qui auront respecté leurs obligations doivent pouvoir faire cesser rapidement les stationnements illégaux. A cet égard, le projet de loi répond aux attentes des élus locaux. Ils pourront désormais saisir le TGI en cas d'occupation illicite d'une propriété privée et le juge pourra délivrer une injonction de quitter les lieux valable durablement sur tout le territoire de la commune.

En participant au financement de l'investissement et du fonctionnement des aires d'accueil, l'Etat a pris ses responsabilités au titre de la solidarité nationale. Je me félicite d'une telle disposition : ces équipements sont en effet coûteux pour nos communes.

Enfin, les schémas départementaux devront prendre en compte la diversité des modes de vie et d'habitat des gens du voyage. Le succès de cette nouvelle loi, attendue tant par les élus que par les voyageurs, dépend d'abord de l'acceptation des structures proposées. Pour être acceptées, elles devront êtres adaptées aux besoins des intéressés. L'Etat, les conseils généraux et les communes devront engager une concertation avec les gens du voyage et les associations qui les représentent afin que les aires de stationnement provisoire, semi-permanent ou permanent ne soient pas des aires de relégation, mais bien d'intégration.

N'oublions jamais que nous avons été élus pour représenter les gens et que parmi eux, il y a aussi des gens du voyage. A nous de faire mentir Baudelaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Gérard Hamel - C'est avec soulagement que les maires de France apprendront que les parlementaires ont essayé de mettre fin à un vide juridique. En effet, confrontés chaque jour à l'accueil des gens du voyage, ils se sentent abandonnés et surtout désarmés.

Il est donc louable de votre part d'aborder ce problème et ce projet de loi permettra certaines avancées. Je regrette cependant qu'il ne prévoit rien de vraiment nouveau.

Monsieur le ministre, votre intention est de faire respecter la loi et je l'approuve. En effet, alors que toutes les communes de plus de 5 000 habitants devaient créer une aire d'accueil sur leur territoire depuis 1990, cela est loin d'avoir été le cas. Vous avez décidé d'imposer des dispositions très strictes aux maires et aux départements afin d'améliorer la situation. Mais la mauvaise volonté de certains élus locaux tient au fait qu'ils ont l'impression que les gens du voyage échappent aux lois qui s'appliquent à tous ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Cette injustice ressentie par la population sédentaire nourrit les conflits avec les gens du voyage. Si chacun accepte que les nomades aient un mode de vie différent, personne ne comprend qu'ils puissent échapper à la loi commune. Les relations sont d'autant plus difficiles que les maires n'ont pas d'interlocuteur privilégié représentatif.

En ce qui concerne le stationnement, les communes et les départements assureraient l'essentiel des coûts de fonctionnement, alors que l'Etat prendrait en charge une partie, non encore définie, des coûts d'investissement. Vous vous réservez la bonne part Monsieur le ministre ! En effet, du fait du vandalisme, des déprédations et de la surpopulation, les coûts de fonctionnement seront bien plus lourds que ceux d'aménagement.

Votre projet de loi laisse dans l'ombre d'autres points essentiels. Il conviendrait de prendre en compte les différences qui existent au sein de la communauté des gens du voyage. Les grands rassemblements temporaires exigent des aménagements différents d'une aire où vit pendant plusieurs mois une population plus restreinte.

Par ailleurs, si des procédures juridictionnelles existent, leur mise en oeuvre exige des délais qui aggravent la situation. Le texte aurait dû prévoir une participation des gens du voyage, fixée par la commune, pour le stationnement sur une aire aménagée.

Le partenariat que l'Etat propose aux communes et aux départements ne sera efficace que si l'obligation de construction des aires s'accompagne, dès l'annonce d'une décision de justice, par l'octroi immédiat de forces destinées à la faire exécuter.

Si le cadre départemental est le plus pertinent, un schéma national est nécessaire pour les grands rassemblements qui devraient relever de la seule compétence de l'Etat.

Si ce projet de loi va dans le bon sens, il ne traite pas de la scolarisation ni de la lutte contre les activités criminelles ou délictueuses.

Bien que la majorité de la population des gens du voyage soit française, elle connaît les mêmes problèmes d'analphabétisme que celle d'un pays en développement avec un taux de scolarisation de 50 %. Si cette situation perdure, elle mettra en péril l'avenir des jeunes générations. Ces élèves ne doivent pas être systématiquement orientés vers des structures spécialisées pour enfants en difficulté.

Puisque les gens du voyage refusent souvent de confier leurs enfants à des tiers, pourquoi ne pas fixer en un lieu donné, les anciens et leur confier les enfants, comme l'a proposé le préfet Delamon ?

Pour la scolarisation pré-élémentaire, l'école sur le terrain dans des salles installées à côté des caravanes semble être la meilleure solution.

Une approche originale serait nécessaire. Malheureusement il n'en est rien.

Enfin, afin de réduire les tensions entre les sédentaires et les gens du voyage, l'Etat et ses administrations doivent vérifier que les activités de ceux-ci ne vont pas à l'encontre de la loi républicaine.

Si, comme je l'ai dit, la majorité de gens du voyage est de nationalité française, les déplacements de ces populations sont aussi l'un des moyens utilisés dans le cadre de l'immigration clandestine, notamment en provenance d'Europe de l'Est et il serait temps que l'Etat développe des moyens de contrôle.

Le contrôle des ressources financières des gens du voyage n'est pas abordé non plus dans le projet. Or, les populations sédentaires ont souvent le sentiment que les gens du voyage échappent à tout contrôle, qu'il soit fiscal, social ou douanier. Si le RMI est un droit pour les gens du voyage dont les revenus sont quasiment officiellement inexistants, il est assorti de devoir et notamment l'insertion professionnelle : le RMI ne peut s'appliquer durablement sans cette contrepartie. De même, les allocations familiales sont en principe versées sous condition de la scolarisation des enfants. Il reste donc beaucoup à faire pour le contrôle, sans parler du travail au noir ou des contrôles fiscaux.

Ce projet, si attendu soit-il, ne suffira pas à résoudre tous les problèmes, et j'espère que le Gouvernement ne s'arrêtera pas là. Il faut que l'Etat considère les maires comme des partenaires imaginatifs et fiables. L'opposition a déposé des amendements équilibrés. De votre volonté de les accueillir dépendra notre adhésion au projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Blazy - L'échec de la mise en oeuvre de l'article 28 de la loi de 1990 nous conduit à instaurer un meilleur équilibre entre les droits et les devoirs en matière d'accueil des gens du voyage. Le système précédent n'était pas assez incitatif pour les communes, de sorte que si, dans le meilleur des cas le schéma départemental existe, il reste souvent virtuel. Et les communes qui ont réalisé des aires d'accueil sont celles qui sont confrontées aux problèmes les plus aigus, du fait de la présence continue de gens du voyage en surnombre.

Quant aux communes qui ne se sont pas encore dotées d'une aire de stationnement et qui sont situées dans les périphéries urbaines, elles connaissent également des situations très difficiles. La commune de Gonesse, dont je suis le maire, a connu une quarantaine d'intrusions au cours des deux dernières années, soit plus d'une par mois ! Et le domaine public communal n'est pas le seul concerné, les terrains des entreprises sont aussi très exposés.

Sachant que les frais d'une procédure en référé pour expulsion s'élèvent en moyenne à 12 000 F, et que les passages s'accompagnent souvent de dégradations, la charge pour les communes devient de plus en plus lourdes, tandis que la multiplication de faits délictueux caractérisés provoque une révolte des habitants. Récemment, le maire d'une commune voisine de la mienne a même démissionné en condamnant l'impuissance des pouvoirs publics face à "l'envahissement de sa commune".

Il était donc plus que temps que le Gouvernement présente ce projet de loi, qui manifeste une volonté d'équilibre entre droits et devoirs reconnus aux gens du voyage comme aux collectivités locales en charge de leur accueil. Si l'Etat et les collectivités locales s'engagent à réaliser rapidement les places de stationnement nécessaires, il est aussi indispensable que les gens du voyage adoptent un comportement citoyen.

D'où l'importance de l'article 9 du projet qui permet aux maires de se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en situation d'infraction, ou en cas d'atteinte à l'ordre public. Ce dispositif est complété par un pouvoir d'injonction du juge, qui évitera aux maires d'engager de nouvelles procédures dès lors qu'une décision de justice aura été obtenue à l'encontre de gens du voyage en infraction. De plus, dans un souci d'accélérer l'exécution des référés, la signification aux intéressés devient facultative, le jugement pouvant être exécuté au seul vu de la minute.

Les amendements de la commission qui visent à confier au président du TGI la compétence en matière d'expulsion des gens du voyage, y compris sur les terrains appartenant au domaine public, constituent à cet égard un progrès important. Il faut en effet agir avec célérité pour éviter que se développe un sentiment d'impunité. Cet article 9 est essentiel pour la crédibilité du projet.

Je crains cependant que le texte ne puisse régler tous le problèmes. Les communes situées en périphérie des grandes agglomérations, qui connaissent le plus grand nombre de difficultés, les connaîtront sans doute encore même si la réalisation des aires d'accueil est rapide. Mais nous pourrons évaluer l'efficacité du nouveau dispositif dans les quatre à cinq années à venir. En tant que maire, confronté comme beaucoup d'autres à l'accueil des gens du voyage, je souhaite vivement la réussite de cette loi que j'espère voir adopté de façon aussi consensuelle que possible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrice Martin-Lalande - A l'occasion de la loi sur l'exclusion, la question dont nous débattons aujourd'hui avait déjà été abordée, et vous aviez annoncé que l'on y reviendrait ultérieurement. Nous y sommes, mais j'aurais souhaité une approche plus globale.

En Sologne, nous voyons arriver chaque année, à l'ouverture de la chasse, des caravanes qui rendent difficile le maintien de l'activité économique. Mais il n'y aura pas de solution durable au problème s'il n'y a pas un équilibre des droits et des devoirs : pour les communes, obligation d'accueil ; pour les gens du voyage, respect des règles de stationnement, transparence des revenus, respect des règles d'hygiène et des obligations de scolarisation. Or, sur tous ces points, la loi est insuffisante -en réalité, elle se réduit au volet-logement.

C'est une loi déséquilibrée. L'Etat fait un effort financier, mais dont la pérennité n'est pas garantie. Le préfet voit son pouvoir renforcé, mais au détriment des maires et des présidents de conseils généraux. Le conseil général pourra imposer un schéma départemental, et donc des charges aux communes, mais ne sera pas obligé de participer au coût d'équipement.

Les droits des gens du voyage sont confortés, mais en dehors d'une éventuelle redevance de place, aucune disposition particulière n'est prévue pour assurer le respect de leurs devoirs légaux, nulle sanction efficace n'est envisagée, rien n'est prévu pour la transparence des revenus. Certes, la loi permettra aux maires d'engager plus vite la procédure, le juge et le préfet pourront mieux vérifier que les communes remplissent leurs obligations. Mais la loi n'apporte rien de nouveau qui puisse contraindre les gens du voyage à respecter la légalité républicaine. La seule amélioration, mais elle reste insuffisante, concerne la rapidité de la justice.

Ainsi, on élargit les possibilités d'accueil offertes aux gens du voyage, mais pas les moyens des communes de faire face à des dérapages. Cette loi était nécessaire, mais elle n'est pas suffisante, et nous proposerons de la compléter notamment à propos de l'enquête publique pour fixer une implantation, du droit de limiter le stationnement à 48 heures, de non-plafonnement de la dépense subventionnable, de la consultation de l'ensemble des communes. Ainsi parviendra-t-on peut-être à une loi équilibrée (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Mme Martine Lignières-Cassou - Comme cela a été dit par notre rapporteur, ce projet ne traite pas toutes les questions touchant à la vie des gens du voyage ; mais il veut régler le problème le plus urgent, celui du stationnement dans un souci d'équilibre entre les droits et les devoirs de chacun.

Les besoins des gens du voyage en matière d'accueil sont complexes. On estime qu'il y a 70 000 itinérants permanents ; 70 000 semi-sédentaires, et 100 000 sédentaires.

Quant aux voyages, ils répondent à différentes motivations : le travail, comme la cueillette ou les vendanges ; le rassemblement religieux et familial ; le voyage permanent.

Les réponses en terme d'accueil sont donc forcément multiples, et le projet distingue les aires d'accueil permanentes et les grands rassemblements.

Il faut apporter des réponses diverses à des besoins différents, et la solution traditionnelle du terrain d'accueil permanent ne peut être la seule. C'est donc à juste titre que le texte distingue aire d'accueil permanente et terrains destinés aux grands rassemblements ponctuels.

On se félicitera par ailleurs que le Gouvernement prévoie, outre une aide à l'investissement, une aide au fonctionnement.

On voit que le logement en HLM est inadapté au mode de vie de ces familles. Il convient d'encourager des solutions familiales "diffuses" : les gens du voyage le souhaitent, ils l'ont montré en achetant des terrains ou des maisons. Encore cette pratique doit-elle être encadrée. La formule est en effet plus responsabilisante, chaque famille devant, par exemple, assumer sa consommation d'eau et d'électricité, mais elle est aussi moins coûteuse pour la collectivité et, surtout, elle facilite l'intégration des gens du voyage.

Le projet traite, dans son article 8, des terrains familiaux, en proposant de modifier l'article L.443-3 du code de l'urbanisme. Il conviendrait en outre d'inclure les terrains familiaux dans les schémas d'accueil départementaux, et je présenterai un amendement en ce sens à l'article premier.

Il faudra encore, à l'avenir, assouplir la législation relative à l'allocation "logement familial", mais les esprits ne sont sans doute pas encore mûrs.

Aujourd'hui, quand une collectivité crée un terrain familial et confie l'opération à un bailleur social qui construit, sur un lot privatif, une pièce à vivre avec salle d'eau, cette opération peut ouvrir le droit à l'APL. En revanche, cette possibilité n'existe pas, la plupart du temps, s'il s'agit d'un terrain familial "privé". Il me paraîtrait donc souhaitable d'assouplir les conditions de surface requises pour l'octroi de l'allocation logement à une famille installée sur un terrain bâti.

Une réflexion plus poussée s'impose à ce sujet, car la création de terrains familiaux doit être encouragée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrice Martin-Lalande - Dans certaines conditions.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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