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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 103ème jour de séance, 263ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 3 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

          SOMMAIRE :

ARTS MARTIAUX -deuxième lecture- (procédure d'examen simplifiée) 1

CHÈQUES-VACANCES -nouvelle lecture- (procédure d'examen simplifiée) 4

    ART. 4 quater 8

INNOVATION ET RECHERCHE 9

CONVOCATION D'UNE CMP 32

La séance est ouverte à quinze heures.


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ARTS MARTIAUX -deuxième lecture- (procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à la délivrance des grades dans les disciplines relevant des arts martiaux.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Cette proposition a pour objectif d'encadrer la délivrance des grades dans les arts martiaux. Le Gouvernement la soutient.

Plus de cent quatre-vingts disciplines sont concernées. L'engouement qu'elles suscitent, en particulier chez les jeunes, nous oblige à leur accorder une attention particulière.

L'article premier dispose que les grades seront délivrés par les fédérations sportives délégataires ou, dans les disciplines qui en sont dépourvues, par une fédération sportive agréée. L'Etat déterminera par arrêté la liste de ces fédérations. Il approuvera également les conditions de délivrance des grades, mais sur proposition de commissions spécialisées par discipline. Enfin, dans un souci d'harmonisation des titres et de la déontologie, une commission consultative est créée.

Le Sénat a souhaité préciser par voie d'amendement que les grades visés par la présente loi se limitent aux "dans" ou grades de valeur équivalente, requis pour l'enseignement. De la sorte, les commissions spécialisées n'auront à intervenir que pour les titres d'un niveau au moins égal à la ceinture noire, ce qui correspond au dispositif existant depuis le premier décret de 1976. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à cette modification.

Concernant la composition des commissions spécialisées, fixée par arrêté du ministre des sports, la rédaction du Sénat maintient le principe d'une consultation des fédérations concernées, tout en laissant au ministre le soin de veiller à l'équilibre dans la composition de ces commissions.

Devront y siéger, outre les représentants des organisations professionnelles des professeurs et les représentants des fédérations unisports délégataires, ceux des fédérations affinitaires.

Le second article vise à sécuriser les grades et "dans" délivrés par les fédérations qui avaient reçu cette attribution en vertu du décret du 2 août 1993, dont l'annulation par le Conseil d'Etat pour défaut de base légale a nécessité l'intervention du législateur. Environ 60 000 titres sont concernés. La rédaction du Sénat ne remettant pas en question l'objectif poursuivi, le Gouvernement l'a acceptée.

Je vous remercie d'avoir élaboré cette proposition, qui donne satisfaction à tous ceux qui pratiquent les arts martiaux (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Patrick Leroy, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Le Conseil d'Etat, le 28 janvier 1998, a annulé le décret du 2 août 1993 "fixant les conditions de délivrance de certains titres dans les disciplines sportives relevant des arts martiaux".

Le bon sens commande, dans l'intérêt général, de valider les 60 000 titres délivrés sur la base de ce décret.

Cette annulation trouve sa cause dans la non-coïncidence entre la pratique et la loi du 16 juillet 1984, selon laquelle la délivrance de titres ne sanctionne que les résultats obtenus dans les compétitions. Or, dans les disciplines concernées, ces titres attestent aussi de l'acquisition de connaissances techniques. Il fallait mettre fin à cette situation juridique.

Dans les petits clubs cependant, des voix se sont élevées pour dénoncer le monopole que la proposition allait donner aux fédérations pour la délivrance des titres.

Le Sénat, plus sensible à ces protestations que ne l'avait été l'Assemblée nationale, a décidé que le texte s'appliquerait non à l'ensemble des grades, mais seulement aux plus importants. Les clubs indépendants conserveront donc toute latitude pour délivrer, selon leurs propres critères, les grades de niveau inférieur.

Même si l'on peut s'interroger sur l'opportunité de cette modification, je vous propose, compte tenu de la nécessité de clore la navette rapidement, d'adopter le texte dans la version du Sénat, sans modification.

M. Pierre Cardo - L'adoption de ce texte est nécessaire pour combler le vide juridique actuel, qui résulte de la décision du Conseil d'Etat. Il y a, dans les arts martiaux, un foisonnement de disciplines, ce texte nous aidera à y voir plus clair.

Vous avez raison, Madame la ministre, de combattre les dérives mercantiles de certains clubs et d'organismes qui s'attribuent le nom de "fédération". Ayant pratiqué de nombreux arts martiaux, je sais que de telles dérives existent. Cependant, dans une discipline comme le karaté, il y a beaucoup de méthodes différentes, qui toutes doivent continuer à être enseignées.

Vous vouliez à l'origine contrôler la délivrance de l'ensemble des grades. Vous avez raison de vous rallier à la position du Sénat, qui limite le contrôle aux "dans".

Vous créez une commission où siégeront aussi bien les représentants des fédérations unisports que ceux des fédérations affinitaires. Je souhaite qu'elle procède à une évaluation du dispositif, pour l'information du Parlement.

Ne mettons pas en danger, à force de contrôles, la richesse et la diversité des arts martiaux en France. Notre pays, dans ces disciplines, enregistre d'ailleurs des résultats remarquables au plan international.

Le groupe DL, en première lecture, était divisé sur ce texte. Il importe cependant de valider les grades accordés. Nos sportifs ne peuvent rester indéfiniment le pied en l'air. C'est pourquoi mon groupe, ne désirant gêner l'adoption de ce texte, a décidé de s'abstenir.

M. Daniel Feurtet - Madame la ministre, permettez-moi d'abord de vous remercier pour l'évolution du dossier sportif au niveau européen : d'après les médias, la position française semble progresser et je m'en réjouis.

Avec mes collègues du groupe communiste, je me félicite que le Sénat ait adopté cette proposition de loi à l'unanimité après avoir introduit quelques amendements. On sait que le décret du 2 août 1993 pris par le précédent gouvernement réglementait les conditions de délivrance des titres dans les disciplines relevant des arts martiaux.

En l'absence de base légale, le Conseil d'Etat l'a annulé, par un arrêt du 28 janvier 1998.

Notre souci est donc, d'une part, de valider les titres délivrés depuis 1993 par les fédérations d'arts martiaux et, d'autre part, de combler le vide juridique causé par cette annulation, préjudiciable notamment aux disciplines de judo, karaté, taekwondo et aïkido.

Lors de la discussion au Sénat, deux modifications ont été apportées à l'article premier relatif au pouvoir des fédérations sportives délégataires -ou, à défaut, des fédérations sportives agréées- de délivrer des titres. La première limite ce pouvoir aux grades les plus élevés, "dan ou grade équivalent", c'est-à-dire les grades à partir de la ceinture noire qui donnent accès aux brevets d'Etat d'éducateur sportif.

Si cette disposition risque d'instaurer deux types de régime juridique et de dévaloriser certaines activités, elle a l'avantage de permettre à des clubs, des associations et des fédérations indépendantes de délivrer des titres en dessous de ce grade lors des compétitions qu'ils organisent.

La seconde modification porte sur la composition des commissions spécialisées des "dans" et grades équivalents : elle sera fixée par arrêté ministériel, après consultation et non plus proposition, des fédérations concernées. Cette disposition que nous approuvons permettra de voir représentés dans les commissions l'ensemble des acteurs concernés, à savoir les organisations professionnelles des professeurs, les fédérations délégataires, mais également les fédérations affinitaires.

La modification apportée à l'article 2, relatif à la validation des titres délivrés depuis 1993, précise que seuls en bénéficient les titres dont l'invalidité est liée à l'annulation du décret de 1993 et non à d'autres irrégularités. Entre 1993 et 1998, ce sont près de 60 000 grades et "dans", exigés pour l'inscription aux brevets d'Etat d'éducateur sportif et aux concours de professeur de sport dans les disciplines de judo, karaté, taekwondo et aïkido, qui ont été délivrés sans base juridique.

Je vous invite donc, chers collègues, compte tenu de l'urgence, à vous prononcer en faveur du texte du Sénat.

M. Pierre Morange - L'annulation par le Conseil d'Etat du décret du 2 août 1993 a rendu nécessaire un texte de loi qui vienne valider les diplômes obtenus par quelque 60 000 pratiquants des arts martiaux, diplômes par ailleurs indispensables pour pouvoir passer un brevet d'Etat.

La proposition de loi que nous examinons en seconde lecture valide les "dans" et grades délivrés en application du décret de 1993 et, d'autre part, donne une base légale à la procédure de délivrance de ces titres.

Cette délivrance sera confiée à des commissions spécialisées, créées au sein des fédérations délégataires ou à défaut agréées.

Il est par ailleurs créé une commission consultative des arts martiaux dont la composition est arrêtée par le ministre chargé des sports.

Lors de la première lecture, mon collègue Patrick Ollier s'était inquiété du caractère un peu flou de cette commission consultative. Il avait également appelé votre attention sur les risques de dérive sectaire, qui conduisent à dévoyer la pratique d'un "art" qui concilie aptitudes physiques et spirituelles.

Un certain nombre de questions vous ont été posées : quelle place sera réservée aux syndicats de professeurs ? Comment associer les fédérations agréées ? Comment seront représentées toutes les branches des arts martiaux ?

Au Sénat, vous avez précisé que la composition des commissions devra refléter la qualité de la pratique sportive et donc que les organisations professionnelles, les fédérations délégataires et les fédérations affinitaires seront bien représentées. Nous prenons acte de cet engagement.

Le Sénat a amélioré la rédaction initiale, en particulier en limitant la compétence des commissions fédérales spécialisées à la délivrance des seuls "dans" et grades d'un niveau égal ou supérieur à la ceinture noire. Les clubs indépendants des fédérations délégataires conserveront donc la possibilité de délivrer les grades inférieurs et d'organiser les compétitions. Cette précision importante rassurera les petits clubs.

Les modifications apportées par le Sénat ont été approuvées par le Gouvernement et acceptées par la commission des affaires culturelles.

Le groupe RPR votera ce texte.

M. Claude Birraux - La proposition de nos collègues communistes s'inscrit dans un contexte où les scandales liés au dopage et aux affaires entachent de façon grave l'image du sport. Il faut donc rappeler que l'objet du sport c'est l'épanouissement personnel, la connaissance de soi et le partage. Pour cela, il faut des règles du jeu claires, que ce texte entend instaurer en reconnaissant le rôle des fédérations.

Il a donc une double valeur, clarificative et symbolique.

Il s'agit d'abord de donner une base légale à la délivrance des grades dans les arts martiaux. Celle-ci relève, en effet, d'une pratique singulière, puisqu'elle ne sanctionne pas seulement le résultat des compétitions, mais aussi des épreuves techniques et des exercices collectifs pratiqués dans les clubs. Or l'article 17 de la loi du 16 février 1984 disposait que les grades étaient délivrés par les fédérations délégataires ou les fédérations agréées à l'issue de compétitions, excluant donc implicitement tout autre mode d'attribution. C'est pourquoi le décret du 2 août 1993 fixant les conditions de délivrance de certains titres dans les arts martiaux, et prévoyant que les grades sanctionnent "la valeur sportive des pratiquants", a été finalement annulé par le Conseil d'Etat. Il s'agit donc de combler ce vide juridique, d'une part, en validant les 60 000 titres délivrés depuis l'annulation du décret, d'autre part, en précisant les prérogatives des fédérations délégataires ou agréées.

La valeur symbolique de ce texte tient à sa volonté d'éviter certains débordements : en effet, le succès des arts martiaux auprès des jeunes, et la mise en avant de valeurs spirituelles et intellectuelles propres à ces sports, peuvent parfois conduire à des pratiques purement mercantiles, voire à des dérives sectaires. Soyons donc vigilants.

Le rôle des fédérations est renforcé, mais il faut également associer les syndicats professionnels aux commissions spécialisées. Quand les règles du jeu sont claires, le sport doit pouvoir s'épanouir.

Enfin, à quelques mois de la discussion d'un important projet, je voudrais insister sur le rôle de l'éthique dans le sport. C'est dans cet esprit que le groupe UDF apportera son soutien.

M. Pierre Cohen - L'objet de cette loi est de sortir de la situation ubuesque où se trouvent les 60 000 personnes qui ont obtenu un dan depuis le 2 août 1993, certains ayant obtenu, sur cette base, un brevet d'éducateur sportif.

Je félicite donc les députés du groupe communiste, en particulier Patrick Leroy, d'avoir déposé cette proposition et je vous remercie, Madame la ministre, de lui avoir accordé votre attention.

La première lecture, à l'Assemblée comme au Sénat, a montré qu'il existait un consensus, sur tous les bancs, pour régler ce problème. Le Sénat a proposé des modifications valables, qui prennent en compte les attentes de toutes les parties concernées, qu'il s'agisse des fédérations, des professeurs indépendants ou des clubs. Il est en effet important de reconnaître leur rôle. Ma collègue, Mme Hélène Mignon s'était d'ailleurs exprimée en ce sens lors du débat en commission en première lecture. Je rappellerai également l'intervention de M. Dasseux, député socialiste de la Dordogne et judoka émérite, qui avait insisté sur le caractère populaire des arts martiaux en France : leurs fédérations totalisent 550 000 licenciés et 850 000 adhérents. Leur succès tient autant aux valeurs qu'elles souhaitent transmettre qu'à leur intérêt sportif. Ces valeurs seront préservées par les fédérations et les enseignants qui siégeront au sein des commissions spécialisées. Les arts martiaux pourront ainsi retrouver la sérénité quelque peu perdue ces derniers temps.

Le groupe socialiste votera ce texte.

La discussion générale est close.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Je voudrais remercier le rapporteur et la commission du travail effectué.

Cette proposition ne vise pas à réduire la diversité des arts martiaux, mais à les préserver de certaines dérives sectaires, intégristes ou sécuritaires.

Le ministère a entrepris un travail de longue haleine pour aboutir, dans chaque discipline, à un rattachement à une fédération ou à la création d'une nouvelle fédération.

Je tiens à ce que les commissions soient bien le reflet de la diversité des pratiques.

Grâce à l'action de la France, les ministres des sports de l'Union européenne ont fait une avancée historique en matière de prise en compte des intérêts spécifiques du sport. Celle-ci ne veut évidemment pas dire que l'on s'écarte du droit : elle a sa contrepartie en termes de responsabilité, à laquelle cette proposition de loi participe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix dans le texte du Sénat, est adopté.


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CHÈQUES-VACANCES -nouvelle lecture- (procédure d'examen simplifiée)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que la CMP n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant l'ordonnance du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi.

Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme - Malgré tous les efforts de votre rapporteur, que je veux remercier de sa persévérance, la CMP a échoué. Je le regrette d'autant plus que le Sénat affirme partager l'objectif du Gouvernement de voir se développer le chèque-vacances.

Ce projet, qui étend le système aux PME-PMI de moins de 50 salariés, répond à un souci de justice sociale. Tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale, il concilie l'élargissement du système avec l'encouragement du dialogue social. La possibilité, introduite par amendement, de mettre en place le dispositif par accord de branche va certainement accélérer son développement.

Ce texte devrait contribuer à la construction de l'Europe sociale : plusieurs de nos partenaires, en effet, réfléchissent à la mise en place d'un système inspiré du nôtre. De plus, l'amendement, adopté sur proposition du Gouvernement, qui étend l'utilisation du chèque-vacances au territoire des pays membres de l'Union européenne, favorisera le développement des échanges touristiques au sein de l'Europe.

Je vous propose donc d'adopter le texte que vous aviez voté le 26 mai dernier, à une réserve près. Chacun la connaît : elle concerne la cotutelle du ministère de l'économie sur l'agence nationale du chèque-vacances qui, s'agissant d'un établissement qui émet et rembourse des titres de paiement représentant plus de 4 milliards, me paraît justifiée. Je vous propose donc, sur l'article 4 quater, de rétablir le texte adopté par le Sénat.

En adoptant ce projet, vous permettrez à des millions de salariés et à leurs familles de connaître à leur tour le bonheur partagé des vacances (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Gérard Terrier, rapporteur de la commission des affaires culturelles - En deuxième lecture, l'Assemblée nationale est revenue au texte qu'elle avait adopté en première lecture, en considérant que le Sénat s'était écarté des principes qui doivent guider le législateur, à savoir : le chèque-vacances doit être une mesure de justice sociale ; il ne doit pas être le prétexte à de nouvelles exonérations sociales et fiscales ; il doit faire l'objet d'une véritable négociation collective.

Comme c'était prévisible, la CMP n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte. L'Assemblée nationale et le Sénat n'ont pas trouvé d'accord sur le plafond de ressources. Votre rapporteur vous propose donc de voter sans modification le texte que nous avions adopté en deuxième lecture.

Au moment où la France est la première destination touristique au monde et où le tourisme est le premier poste excédentaire national, il est urgent de permettre à des millions de nos concitoyens de pouvoir enfin bénéficier du droit aux vacances, qui contribuent, outre au repos, à l'épanouissement de la personnalité et à l'accès à la culture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Pierre Morange - Madame la ministre, nous sommes déçus. Faute de moyens financiers, nous sommes très loin de l'extension substantielle promise... 40 % de nos concitoyens ne partent pas en vacances : cette situation est inadmissible, nous en sommes tous convaincus.

L'objet de la proposition de loi de M. Bernard Pons, cosignée par l'ensemble du groupe RPR et examinée le 15 mai 1998, dans le cadre de la séance mensuelle réservée à un ordre du jour fixé par l'Assemblée, était de répondre à cette forte attente sociale, tout en confortant le tourisme intérieur. M. Renaud Muselier en avait été le rapporteur, Jean-Michel Couve et Michel Bouvard l'avaient brillamment défendue. Son champ d'application était beaucoup moins restreint que celui de votre texte, et je ne comprends toujours pas l'obstination de votre majorité, qui a dédaigné d'examiner les articles de notre proposition.

Les salariés des PME de moins de 50 salariés, les non-salariés et les agriculteurs étaient concernés.

Par ailleurs, l'augmentation du plafond de ressources renforçait l'impact social du dispositif et favorisait la création d'emplois dans le secteur du tourisme. Ce double objectif, vous l'avez perdu de vue.

Votre majorité avait d'ailleurs déposé une question préalable en commission, et vous nous aviez promis un nouveau texte. Je constate que les Français modestes, supposés être les nouveaux bénéficiaires du chèque-vacances, auront perdu une année.

Votre projet est trop restrictif. En effet, le Gouvernement prétend ouvrir le dispositif à de nouveaux bénéficiaires tout en imposant aux entreprises des contraintes rédhibitoires.

Le point d'achoppement en CMP reste celui du plafond de ressources, dont tous les syndicats, y compris la CGT, réclament le relèvement. A défaut, de nombreux fonctionnaires à revenus modestes n'auront plus accès au chèque-vacances. Enfin, il aurait fallu tenir compte davantage de nombre d'enfants à charge.

Monsieur le rapporteur, vous aviez invoqué trois raisons pour ne pas accepter le texte du Sénat : renforcer la justice sociale ; éviter le prétexte à de nouvelles exonérations, comme si la gauche avait le monopole du social ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Enfin, développer la concertation collective. Vous avez tort ! C'est bien le texte que vous rapportez qui est inéquitable et insuffisant. En effet, vous mettez en place un système de discriminations qui touchent aussi bien les salariés que les retraités. De plus, vous fustigez un prétexte dont se servirait la droite pour exonérer abusivement les entreprises, mais alors pourquoi prévoir d'autres exonérations pour certaines catégories, dans des conditions et des proportions d'ailleurs insuffisantes ? Enfin, si vous organisez la concertation pour les uns, vous la négligez pour les autres.

Voilà donc une nouvelle occasion manquée pour soutenir un secteur économique trop ignoré, et favoriser un véritable tourisme familial et populaire. Aussi le groupe RPR votera-t-il contre (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Dufau - L'Assemblée nationale, à quelques semaines de la pause estivale, vit déjà à l'heure du voyage. Hier soir, nous discutions du projet relatif aux gens du voyage (Murmures sur les bancs du groupe UDF), aujourd'hui cette troisième lecture du projet sur le chèque-vacances préfigure la grande transhumance des congés payés, fruit d'une formidable conquête sociale. Puissions-nous y forger une éternelle jeunesse !

La CMP, à laquelle j'ai participé, s'est soldée par un constat d'échec. Pouvait-il en être autrement ?

Passé le consensus qui a fait adopter par les deux assemblées l'amendement du Gouvernement, fixant le champ des nouveaux bénéficiaires du chèque-vacances, les antagonismes ont ressurgi. C'est que la philosophie de la majorité et celle de l'opposition sont différentes.

L'opposition reste imprégnée de l'esprit de la proposition de loi Pons, rejetée par notre assemblée. Elle ne cesse de revenir au "Canada Dry" du chèque-vacances. Souvenons-nous de l'histoire des croissants, immortalisée par Fernand Raynaud !

Pour la droite, l'extension du chèque-vacances est le prétexte à davantage d'exonérations pour toutes les entreprises. Il y a là un détournement de l'esprit et de la lettre de l'ordonnance de 1982, auxquels, au contraire, la majorité entend rester fidèle : le dispositif doit bénéficier aux salariés et aux revenus modestes. Et comme plus de 7 millions d'entre eux sont concernés, l'emploi en bénéficiera.

Nous sommes également attachés au dialogue social dans l'entreprise, sur lequel la dure réalité du chômage ne devrait pas peser négativement, bien au contraire. C'est pourquoi ce projet peut contribuer à ce que le rapporteur appelle justement la hiérarchisation du dialogue social.

Enfin, le groupe socialiste est très attaché à l'utilisation du chèque-vacances dans les pays de l'Union européenne. On ne peut construire l'Europe à reculons, il faut lui donner des perspectives. De plus nous jugeons particulièrement opportun de confier au ministère du tourisme la tutelle de l'agence nationale du chèque-vacances.

Le groupe socialiste votera le projet dans la rédaction issue de la deuxième lecture, suite à l'excellent travail de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Claude Birraux - La constante progression du chiffre d'affaires de l'agence nationale du chèque-vacances atteste du succès de la formule. En 1995, 1,3 million de porteurs ont permis à 5,2 millions de personnes de bénéficier des avantages du chèque-vacances, et généré 10 milliards de retombées économiques.

Toutefois, aujourd'hui encore, près de 37 % des Français, dont une bonne partie pour raisons financières, ne partent pas en vacances. Or votre projet manque d'ambition.

D'abord, il aurait fallu étendre plus largement le bénéfice du chèque-vacances. En première lecture, nous avons plaidé pour qu'il soit attribué à tous les travailleurs, quel que soit leur statut, dès lors que leurs ressources étaient insuffisantes. Vous avez été convaincue par Léonce Deprez et Jean-Michel Couve et nous nous réjouissons de l'amendement que vous avez fait adopter au Sénat.

Nous aurions souhaité que vous alliez plus loin. Il aurait fallu obliger, et pas simplement autoriser, les organismes sociaux à octroyer des chèques-vacances.

Imposer la généralisation des chèques-vacances est une bonne mesure sociale et fiscale. En effet, le montant émis représente le tiers des dépenses touristiques induites. Ce sont ainsi des milliers de chômeurs qui seront embauchés et le produit de la TVA s'en ressentira.

Cela n'a rien à voir avec les mesures que vous prenez en faveur des gens du voyage, dont vous verrez bientôt ce qu'il en coûte aux commerçants, car ces gens ne volent pas seulement des poules ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

L'ouverture à l'Europe est demandée depuis longtemps. Celle-ci doit être réciproque. Nous nous félicitons que vous ayez proposé lors de la deuxième lecture un amendement dans ce sens. Il faudrait étendre ce principe à nos voisins helvétiques.

Je regrette que le monopole de l'ANCV ait été maintenu, d'autant qu'il est contraire aux principes européens.

Au total, il ne nous est pas possible d'accepter en l'état ce texte. Cependant, vous avez déjà infléchi votre position. Nous vous demandons d'aller au bout de cette réflexion faute de quoi nous voterons contre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Christian Cuvilliez - Le projet a déjà recueilli, dans son principe, l'assentiment du groupe communiste. La promotion du tourisme social découle de l'ordonnance de 1982, qui réserve le bénéfice des chèques-vacances aux seuls salariés et à leurs ayants droit, au moyen d'une contribution de l'employeur s'ajoutant à une épargne constituée par le salarié.

Le projet renforce le caractère social de l'ordonnance qu'il élargit aux salariés des PME et PMI, qui sont 7,5 millions.

S'agissant de l'abondement de l'employeur, le principe est maintenu et le montant en reste plus élevé pour les salariés ayant les plus faibles revenus.

Lors des précédents débats, notre groupe a fait des propositions pour accentuer encore cet esprit social du chèque-vacances en en faisant bénéficier aussi les emplois-jeunes et les titulaires de CES, parce qu'ils sont également des salariés, ainsi que les retraités et les préretraités, en tant qu'anciens salariés. Nous nous félicitons donc que la nouvelle rédaction de l'article 6 de l'ordonnance nous ait donné satisfaction en deuxième lecture.

Nous avions de même souhaité qu'il soit possible d'utiliser les chèques-vacances sur l'ensemble du territoire européen : l'ouverture à l'Europe doit être l'ouverture à une Europe sociale. De plus, la mesure ne peut que favoriser notre industrie du tourisme. Nous approuvons donc sans réserve la décision du Gouvernement de reprendre notre proposition.

La réussite des chèques-vacances sera, pour une part importante, fonction de la publicité donnée à ces dispositions et nous avions par conséquent présenté un amendement donnant une responsabilité d'information aux employeurs. Cet amendement a été retiré après que le Gouvernement s'est engagé à élaborer, dès cet automne, un dispositif destiné à informer les PME et leurs salariés, mais nous resterons vigilants sur ce point.

Le projet qui nous est soumis aujourd'hui reste donc bien fidèle à l'esprit de l'ordonnance de 1982. L'élargissement du dispositif était nécessaire et son caractère social devait être préservé. Les modifications apportées en deuxième lecture vont dans le bon sens et nous voterons donc ces dispositions en espérant qu'elles connaîtront un plein succès (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Pierre Cardo - Il serait bien difficile de s'opposer à l'objectif : améliorer une législation pas trop restrictive pour aider les familles à partir en vacances, grâce à ces chèques-vacances conçus dans une logique à la fois participative et sociale. Il est simplement dommage que ce projet soit trop peu ambitieux, et insuffisant pour de nombreuses catégories de Français.

La volonté manifestée par le Sénat de prendre en compte la dimension familiale du problème n'était pas dépourvue d'intérêt ! Or les non-salariés resteront écartés de ce dispositif, ce qui ne peut que nourrir les tensions sociales à une époque déjà trop marquée par les phénomènes d'exclusion. Je regrette donc que nous n'ayons pas répondu aux aspirations des retraités, des artisans et des commerçants. Quant à l'absence d'incitation fiscale et sociale en faveur des employeurs lorsqu'il n'existe pas de comité d'entreprise, elle ne saurait être comblée par le dialogue social. Le monde politique devrait être davantage à l'écoute du monde économique.

Le groupe Démocratie libérale votera contre le projet, non qu'il y soit opposé sur le principe mais parce qu'il aurait fallu toucher davantage de Français. Certes, M. Le Garrec a proposé de créer un groupe de travail pour étudier les moyens de combler les lacunes de ce texte, mais nous savons ce que valent de telles mesures. Comme le groupe RPR, nous refuserons donc ce texte en l'état.

Mme Nicole Bricq - Le libéral l'emporte sur le démocrate !

M. le Rapporteur - Je suis surpris du radicalisme de l'opposition, radicalisme qui n'est d'ailleurs pas exempt de contradictions. Ainsi M. Birraux s'est montré plus social que la majorité avant de réclamer la suppression du monopole de l'agence nationale, il est vrai !

Vous nous reprochez de trop réguler mais lorsque, ici, à travers l'article 6, nous ouvrons un large champ à la négociation, cela ne vous convient pas non plus ! Votre opposition est donc une opposition de principe, et je le déplore.

La discussion générale est close.

ART. 4 quater

Mme la Secrétaire d'Etat - L'amendement 1 du Gouvernement vise à rétablir la cotutelle exercée sur l'agence nationale du chèque vacances par le ministère de l'économie et par mon secrétaire d'Etat.

L'agence a été placée par l'ordonnance du 26 mars 1982 sous la double tutelle du ministre du temps libre et du ministre de l'économie et des finances.

En deuxième lecture, votre Assemblée a adopté un amendement pour confier cette tutelle à mon seul ministère. Or la cotutelle du ministère des finances est justifiée, non seulement par la présence de celui-ci au conseil d'administration mais surtout par le fait que l'agence émet des titres de paiement et doit assurer à tout moment leur remboursement. Il importe que les décisions prises soient cohérentes avec celles qui conservent les autres titres de paiement, par exemple les titres restaurants pour lesquels il y a aussi cotutelle du ministère de l'économie.

L'agence a émis pour plus de 4 milliards de chèques-vacances en 1999 ; l'encours moyen de trésorerie dépasse 2 milliards et l'excédent distribuable en 1998 est sans doute supérieur à 35 millions. Ces montants justifient la participation du ministère des finances au développement de l'agence.

Enfin, la suppression de la tutelle de ce ministère entraînerait une modification du décret régissant le fonctionnement de l'agence, ce qui retarderait l'application de la loi.

Or le nouveau conseil d'administration aura à gérer le passage à l'euro et à organiser la diffusion du chèque-vacances parmi les PME. Ne freinons pas l'élan si nécessaire de cette agence.

M. le Rapporteur - La commission a examiné cet amendement ce matin, lors de la réunion tenue au titre de l'article 88, mais elle le connaissait déjà pour l'avoir repoussé en seconde lecture. Pour moi, il n'est pas paradoxal -et il n'est donc pas interdit- de supprimer la tutelle du ministère des finances. Dans les discussions que M. Le Garrec et moi-même avons eues avec votre cabinet, on nous a opposé que la mesure serait inconstitutionnelle ou contraire au règlement, mais sans jamais pouvoir produire la moindre preuve jusqu'à aujourd'hui. Quant à l'argument selon lequel nous compromettrions les bonnes relations avec le ministère des finances, il ne résiste guère à l'examen : je crois à la qualité de ses fonctionnaires. Au reste, le rôle du Parlement n'est-il pas de veiller à ce que toutes les institutions de l'Etat respectent les lois qu'il a votées ?

Pour toutes ces raisons et faute d'éléments nouveaux, la commission a maintenu son avis défavorable.

M. Jean-Pierre Dufau - Je me réjouis de l'esprit de solidarité gouvernementale dont a fait preuve Mme la secrétaire d'Etat, mais l'argumentation de la commission nous convainc pleinement. Le ministère des finances n'a produit aucun élément réglementaire en faveur du maintien de sa tutelle. Dans ces conditions, et parce que Mme la secrétaire d'Etat a défendu avec pugnacité ce projet ambitieux, parce que nous devons reconnaître pleinement l'importance du tourisme pour notre pays, parce que nous voulons donner encore plus de poids à ce ministère, nous voterons contre cet amendement.

M. Germain Gengenwin - Je soutiens la position de nos deux collègues. Que cherchez-vous, Madame, des arguments pour abdiquer en faveur de Bercy ? Contre l'amendement !

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 4 quater, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 15, est reprise à 16 heures 20.


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INNOVATION ET RECHERCHE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, sur l'innovation et la recherche.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Le projet de loi sur l'innovation et la recherche que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui porte sur un sujet qui représente un enjeu décisif pour notre pays. Il s'agit du transfert de technologie de la recherche publique vers les entreprises ; il s'agit de la diffusion des résultats de cette recherche dans le monde économique ; il s'agit tout simplement de l'accroissement de la capacité d'innovation et de création de richesses de notre pays.

Innovation et recherche, les deux mots sont génétiquement liés. Regardons la croissance américaine de ces dernières années : elle est "tirée" par les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour environ un tiers, et pour plus de la moitié pour les industries de haute technologie. Ces nouvelles technologies sont à l'origine d'une croissance plus soutenue et plus durable, car indépendante des fluctuations des monnaies et des cycles conjoncturels.

Ce phénomène commence à se manifester en France, mais d'une façon plus timide puisqu'il explique le tiers et non la moitié de notre croissance. Aussi faut-il accélérer ce mouvement afin d'arriver à ce "nouvel âge" de l'économie mondiale, où l'innovation stimule en permanence la productivité et la création de richesses et d'emplois.

Dans cette "nouvelle économie" à venir, la recherche est appelée à jouer un rôle fondamental. Ne nous y trompons pas : si le processus d'innovation a vocation à se diffuser dans l'ensemble de l'économie, c'est dans les résultats de la recherche qu'il puise sa source, c'est dans la recherche qu'il trouve ses racines. Quelques exemples suffisent à le montrer. Dans le secteur pharmaceutique, ce sont plus de 85 % des nouveaux médicaments qui sont découverts dans les laboratoires, notamment universitaires. Dans celui des biotechnologies, la plupart des sociétés ne doivent leur essor qu'à une collaboration fructueuse avec la recherche publique. Dans l'agroalimentaire, c'est l'excellente position de l'INRA qui permet aux entreprises de ce secteur de jouer un rôle moteur. Et je ne parle pas de l'aéronautique, des transports terrestres ni des technologies de l'information...

L'apport des travaux de la recherche publique est de plus en plus fondamental pour le dynamisme de l'économie. Il est loin le temps où plusieurs années pouvaient s'écouler entre une découverte et son application : désormais, le temps mis à exploiter une idée est très rapide, et il y a la plupart du temps concomitance entre recherche fondamentale et application industrielle. Quand Pierre-Gilles de Gennes étudie comment une goutte d'huile se déplace sur un métal, non seulement il met en évidence un phénomène fondamental de la physique des polymères, mais il résout un problème très difficile de la lubrification des moteurs. De même, quand Matthias Finck travaille sur la réversibilité du temps, il opère une avancée fondamentale sur la propagation des ondes et améliore aussi les scanners à ultrasons. Enfin, les travaux de Jean-Marie Lehn permettent non seulement de faire progresser de façon considérable la chimie supra-moléculaire mais ont également donné naissance aux "nanotechnologies".

Le rapprochement entre la recherche publique et les entreprises correspond ainsi à un objectif économique et à une réalité scientifique incontestables à l'aube du XXIème siècle. Il répond également à un objectif politique, partagé, par la droite comme par la gauche, et fait l'objet d'un large consensus depuis plusieurs années. C'est Jean-Pierre Chevènement qui, en 1982, a explicitement cité, parmi les missions de la recherche publique, la valorisation de ses résultats et de ses travaux. C'est ensuite un gouvernement de droite qui, en 1994 avec la consultation nationale organisée par François Fillon, puis en 1997 avec le projet de loi de François d'Aubert, a relancé la question de la création d'entreprises à partir des résultats de la recherche publique. C'est enfin le gouvernement de Lionel Jospin qui, à partir du constat effectué lors des assises de l'innovation tenues en mai 1998 sur l'ensemble du territoire, s'est attelé à ce vaste chantier. Ce projet constitue donc l'aboutissement d'une longue série de travaux et l'un des derniers maillons dans la politique que Dominique Strauss-Kahn et moi-même menons en faveur de l'innovation. Présenté d'abord au Sénat, car la majorité sénatoriale avait déjà adopté des dispositions analogues, il a fait l'objet d'un large consensus, en dehors de certaines dispositions fiscales, et a été enrichi par l'apport de tous les groupes. C'est donc dans un esprit d'ouverture que j'aborde la discussion d'aujourd'hui.

Le premier volet concerne les collaborations entre les personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur et les entreprises.

Celles-ci restent en effet insuffisantes, du fait de contraintes statutaires nombreuses. Paradoxalement, les personnels de la recherche peuvent être détachés, mis en disponibilité, voire mis à disposition d'une entreprise pour effectuer des travaux de recherche, mais ils ne peuvent ni participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux, ni apporter leur expertise à celle-ci. Du coup, le nombre d'entreprises créées par ou avec des chercheurs est extrêmement faible : de l'ordre de 50 par an, soit une entreprise créée par an pour 1 000 chercheurs ou enseignants-chercheurs.

Le projet entend lever ces obstacles et substituer à une interdiction générale un régime d'autorisation transparent et encadré par la commission de déontologie, adapté aux spécificités de la recherche et respectueux des intérêts publics. Il reprend sur ce point, en les complétant par d'autres dispositions, l'avant-projet de loi préparé en 1997 par M. d'Aubert.

Les chercheurs pourront être autorisés à quitter le service public pour une durée de six ans afin de participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux. Ils pourront, d'autre part, apporter leur concours scientifique à une entreprise, entrer dans son capital et siéger à son conseil d'administration, tout en restant dans le service public.

Ces dispositions seront complétées par une mesure spécifique aux enseignants des premier et second degrés, les autorisant à effectuer des périodes de mobilité au sein d'une entreprise ou d'un organisme public. Il s'agit d'une disposition importante pour les professeurs des lycées professionnels et technologiques.

L'expérience a montré, en effet, ce que les enseignants peuvent apporter à un secteur comme celui du multimédia éducatif. En outre l'expérience pédagogique et les qualités professionnelles des enseignants sont appréciées des entreprises.

Ce projet vise aussi à renforcer les relations entre les universités ou organismes de recherche et les entreprises. Il s'agit de compléter les lois de 1982 et 1984 par la création de structures plus adaptées au soutien de petites et moyennes entreprises de haute technologie. Ainsi, les universités et les organismes de recherche pourront créer des services d'activités industrielles et commerciales afin de gérer les contrats de recherche dans un cadre budgétaire plus souple, avec des règles contractuelles adaptées.

Ils pourront également créer des incubateurs afin d'encourager le développement d'entreprises de haute technologie.

Ces incubateurs apporteront un soutien appréciable aux entreprises innovantes en mettant à leur disposition -moyennant rémunération, bien entendu- les équipements, les connaissances et le savoir-faire de la recherche publique.

Afin de favoriser la constitution d'incubateurs et de fonds d'amorçage, Dominique Strauss-Kahn et moi-même avons d'ailleurs débloqué plus de 200 millions, destinés à une vingtaine de projets.

De même, les lycées technologiques et professionnels pourront réaliser des prestations de service pour les entreprises, moyennant rémunération et dans le cadre du projet d'établissement.

Ce projet tend encore à créer un cadre fiscal favorable aux entreprises innovantes. Dès sa constitution, le Gouvernement a décidé de favoriser les entreprises innovantes en les autorisant à intéresser leurs collaborateurs à la croissance de leurs résultats. Les salariés acceptent en effet des rémunérations assez basses et un risque important en travaillant dans ces sociétés. Il est normal qu'ils puissent aussi partager les espérances de succès. En outre, ces entreprises ont tout intérêt à fidéliser leurs collaborateurs.

A cette fin, Dominique Strauss-Kahn a créé dans le loi de finances pour 1998 les bons de souscription de parts de créateur d'entreprises, soumis à un traitement fiscal et social favorable. Ces bons ont été progressivement étendus aux sociétés de moins de quinze ans.

Toutefois, la part du capital de la société qui devait être détenue par des personnes physiques restait trop élevée. Aussi Dominique Strauss-Kahn et moi-même avons-nous souhaité assouplir le dispositif. C'est ainsi que la part du capital détenue par des personnes physiques passera de 75 % à 25 %. En outre, le dispositif des BSPCE est prolongé au-delà de 1999.

De même, le Gouvernement a décidé d'assouplir le régime des fonds communs de placement dans l'innovation créés par M. d'Aubert en 1996. Ces fonds investissent dans des petites et moyennes entreprises de haute technologie et complètent utilement l'action des fonds de capital-risque. Il paraissait logique d'élargir les critères d'éligibilité aux FCPI.

Enfin, le Gouvernement a décidé de reprendre l'amendement sur le crédit d'impôt recherche, proposé par le groupe communiste du Sénat et voté à l'unanimité. Le dispositif du crédit d'impôt recherche, d'ailleurs, a déjà été amélioré dans la dernière loi de finances.

En revanche, le Gouvernement souhaite la suppression de tous les articles fiscaux votés par le Sénat, principalement sur les stock-options. En effet, ces dispositions concernent l'ensemble des entreprises, et pas seulement les entreprises innovantes. Elles relèvent davantage d'une loi de finances que de ce projet.

La question des stock-options est trop complexe, trop délicate et trop passionnelle pour être traitée de façon convenable dans une loi sur l'innovation. Lionel Jospin, d'ailleurs, a demandé en janvier 1999 à Dominique Strauss-Kahn de dresser un bilan du système actuel, opaque, inégalitaire et peu compétitif, et de substituer aux stock-options de véritables "bons de croissance", largement diffusés auprès de tous les salariés. Cette réflexion n'est pas encore achevée et il serait inopportun d'aborder ce sujet aujourd'hui.

Enfin, ce projet vise à donner un cadre juridique adapté aux entreprises innovantes. Le statut actuel des sociétés anonymes, en effet, convient mal aux jeunes entreprises à risques et à fort potentiel de croissance qui ont besoin de disposer d'une très grande liberté contractuelle dans leurs statuts. Elles doivent pouvoir modifier rapidement la géométrie de leur capital et les relations entre les actionnaires, mais aussi émettre des actions de priorité sans droits de vote, de façon que leurs dirigeants puissent bénéficier de capitaux supplémentaires sans perdre le contrôle de la société.

Pour donner de telles possibilités aux entreprises innovantes, la meilleure solution consiste à leur étendre le régime de la société par actions simplifiée, aujourd'hui réservé aux filiales de sociétés importantes.

Dans une société par actions simplifiée, les statuts peuvent prévoir, par exemple, que les assemblées générales et les conseils d'administration sont tenus par vidéoconférence ou par Internet. De même, le statut de la SAS permet à une entreprise d'émettre différentes classes d'actions, ce qui a pour effet de dissocier le contrôle de l'entreprise et la participation au capital et de favoriser l'appel à des "capitaux risqueurs", encore que je n'aime guère cette expression.

Etendre aux entreprises innovantes le régime des SAS, tel est l'objet d'un amendement déposé par votre rapporteur, dont je salue le travail. Cet amendement a été repris par des parlementaires de tous les bords. J'en ai discuté avec Elisabeth Guigou et Dominique Strauss-Kahn et j'ai le plaisir de vous annoncer que le Gouvernement l'acceptera.

C'est un projet global et cohérent qui vous est proposé pour encourager la création d'entreprises innovantes.

Mais les avantages accordés ne vont pas sans contreparties. On caricature souvent mon action en la prétendant inspirée du modèle américain. C'est faux. Je suis le premier à reconnaître le défaut traditionnel du système français : une recherche publique trop coupée des préoccupations industrielles. Mais je connais aussi les risques de dérive du système américain dans lequel la recherche publique est trop dépendante du secteur privé, dans la définition de ses objectifs comme dans l'obtention de ses moyens. Aussi toute mon action a-t-elle tendu, depuis deux ans, à faire avancer ensemble la qualité de la recherche publique et la diffusion de ses résultats dans l'économie.

Je ne vous rappellerai pas l'effort entrepris pour accroître la capacité de la recherche fondamentale : l'augmentation des moyens, le développement de l'emploi scientifique, le renforcement de la coordination entre les organismes de recherche et, plus récemment, la définition de domaines de recherche scientifique prioritaires.

L'ouverture aux entreprises ne signifie pas le pillage mais l'enrichissement et le renforcement de la recherche publique.

Une commission de déontologie où siégeront des magistrats, des personnalités qualifiées et des représentants des organismes intéressés, aura pour mission de veiller à la protection des intérêts matériels et moraux du service public. Elle sera tenue informée des conventions passées entre l'entreprise et l'organisme dont relève le fonctionnaire. A la demande de M. Cuvilliez, j'accepterai tout à l'heure un amendement du parti communiste visant à donner à la commission le pouvoir de saisir le ministre.

Seconde garantie, le Gouvernement a décidé de retenir un autre amendement du groupe communiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) visant à faire approuver par l'instance chargée des relations entre les universités et les entreprises les prises de participation dans des sociétés, les créations de filiales, le recours à l'arbitrage et les conventions de longue durée conclues entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les entreprises.

En outre, la concentration des moyens apportés par les incubateurs sur les PME de haute technologie permettra d'éviter les détournements et les abus. Le décret d'application limitera à une durée de trois ans, renouvelables une fois, la mise à disposition de moyens aux entreprises accueillies dans les incubateurs. Il plafonnera les aides reçues et les conditionnera à une contrepartie en terme de rémunération pour l'organisme public, ce qui répond, je crois à des inquiétudes légitimes. Il exclura enfin les grandes entreprises installées et leurs filiales du dispositif.

L'octroi d'un statut au personnel contractuel embauché par les universités dans le cadre de l'exécution des contrats de recherche satisfait une attente légitime.

La création de services d'activités industrielles et commerciales a pour but d'éviter aux universités d'avoir recours à des associations qui emploient du personnel de droit privé dans des conditions souvent précaires -je pense notamment aux associations caritatives dans le secteur médical. Ce personnel a vocation à être peu à peu intégré au sein des universités avec le statut d'agents contractuels de droit public.

A ces dispositifs d'encadrement et de contrôle s'ajoute le renforcement des pouvoirs de l'inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale. Le Gouvernement a ainsi décidé de déposer un amendement visant à étendre le contrôle de l'IGAEN à tous les organismes qui bénéficient d'un concours financier du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, extension cohérente avec les possibilités nouvelles de collaboration entre la recherche publique et les entreprises.

J'ai été très étonné, en arrivant au ministère, de voir que les programmes lancés n'étaient jamais évalués. Nous avons commencé à procéder à cette évaluation et ce n'était pas un luxe !

Ce sont ces garanties, ces contreparties légitimes qui ont permis d'obtenir un avis favorable du Conseil d'Etat, du Conseil supérieur de la fonction publique, et de l'ensemble des ministères, y compris la Chancellerie et la Fonction publique.

L'objectif du Gouvernement n'est pas, en effet, de casser le service public pour le vendre aux entreprises. Le Gouvernement croit beaucoup au service public, mais celui-ci sera d'autant plus apprécié qu'il saura concourir efficacement au dynamisme de l'économie.

Avec M. Strauss-Kahn, nous avons lancé un concours de création d'entreprises dans le domaine de l'innovation et de la haute technologie : 5 000 dossiers ont été déposés, 1 800 déjà sélectionnés et nous aboutirons probablement à la création de 500 entreprises au 1er septembre, ce qui montre les ressources d'imagination et de volonté de ce pays.

Avec cette loi, nous avons donc l'occasion de montrer que la France, au-delà des clivages politiques, et avec ses traditions et ses spécificités, peut être présente au premier rang de la compétition de l'intelligence au XXIème siècle.

Et je ne peux, pour finir, résister au plaisir de vous citer cette pensée d'Henri Bergson sur le caractère mystérieux de l'innovation : "Quant à l'innovation proprement dite, notre intelligence n'arrive pas à la saisir dans son jaillissement, c'est-à-dire dans ce qu'elle a d'indivisible, ni dans sa génialité, c'est-à-dire dans ce qu'elle a de créateur. L'expliquer consiste toujours à la résoudre, elle imprévisible et neuve, en éléments connus (...) arrangés dans un ordre différent".

Je souhaite que l'esprit d'innovation pénètre dans l'enseignement, dès le niveau élémentaire, et permette aux jeunes et moins jeunes Français de démontrer que, dans la compétition de l'intelligence, la France peut figurer au premier rang (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Paul Bret, rapporteur de la commission des affaires culturelles - La France dispose d'une recherche publique de qualité, mais ses résultats ne sont que faiblement transférés vers les entreprises. C'est ce constat, bien connu des spécialistes, qui justifie l'essentiel des dispositions soumises aujourd'hui à notre examen. Ce texte se fonde sur plusieurs rapports récents consacrés aux liens entre recherche, innovation et croissance : rapport de la Cour des comptes de juin 1997 sur la valorisation de la recherche dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique, rapport du Conseil d'analyse économique réalisé à la demande du Premier ministre et publié en septembre 1998, et surtout rapport de mission sur la technologie de l'innovation d'Henri Guillaume, président d'honneur de l'ANVAR, qui a été remis au Gouvernement en mars 1998.

Tous ces rapports concluent à la nécessité de renforcer les liens, les passerelles, entre la recherche et l'innovation.

Rapprocher les inventeurs des innovateurs, encourager la création d'entreprises innovantes, garantir à l'innovateur la récompense de son effort créateur, tels ont été les objectifs que le Premier ministre a fixés le 12 mai 1998, en concluant les assises de l'innovation.

Alors que 1 300 entreprises se créent chaque année dans les secteurs dits de haute technologie depuis 1984, seules 389 entreprises l'ont été à partir de la recherche publique. C'est évidemment trop peu.

Dans 95 % des cas, ce transfert de technologie s'est réalisé par le départ d'un chercheur de laboratoire public vers une entreprise privée. Ces entreprises ont un taux de survie important : elles ont créé au total près de 6 000 emplois et réalisent plus de trois milliards de francs de chiffre d'affaires.

Le CNRS estime, de son côté, que 800 entreprises exploitent, sans avoir de liens avec lui, des brevets citant un chercheur du CNRS comme inventeur.

Promouvoir la création d'entreprises innovantes, c'est donc bien favoriser, à terme, la création de plusieurs milliers d'emplois nouveaux.

Pour autant, constater l'insuffisance des transferts entre la recherche et l'innovation, ce n'est pas faire le procès de la recherche publique. Celle-ci doit continuer à jouer un rôle majeur et vous avez justement évoqué, Monsieur le ministre, l'augmentation des moyens qui lui sont accordés depuis deux ans.

L'intervention de l'Etat dans la recherche reste indispensable car le gain procuré à l'entreprise qui la réalise est souvent inférieur à son rendement social, c'est-à-dire aux gains pour la collectivité. L'Etat doit donc pallier les défaillances du marché en développant lui-même des activités de recherche et en incitant les entreprises à en réaliser par des subventions et des aides fiscales.

Il n'y a donc aucune raison de dire que la recherche publique serait trop importante en France, bien au contraire. Il s'agit simplement de favoriser la diffusion et l'utilisation par le secteur privé de ses résultats. C'est l'objectif essentiel de ce projet de loi.

De nombreux dispositifs institutionnels et incitatifs existent déjà. Je citerai seulement les deux plus récents : le concours national de création d'entreprises innovantes, lancé le 8 mars 1999, dont les premiers résultats sont prometteurs, vous l'avez dit, et l'appel à projets lancé le 24 mars 1999, qui trouvera tout son sens avec les dispositions contenues dans ce texte.

Existe-t-il en France un phénomène de fuite de cerveaux, comme le rapportent complaisamment certains ? Les études sur les flux de chercheurs ne confirment pas cette hypothèse.

Moins de trois mille doctorants français sont en activité aux Etats-Unis ; au total, 2 500 postdoctorants exercent leur activité à l'étranger, certains pour accomplir leur service national. Selon l'ambassade de France à Washington, seuls 300 Français titulaires d'un doctorat ont bénéficié d'un visa permanent aux Etats-Unis entre 1985 et 1995.

S'il n'y a pas "fuite des cerveaux", le "voyage des cerveaux" est un phénomène indéniable, beaucoup de chercheurs revenant en France après avoir passé quelques années à l'étranger.

Il ne faut pas pour autant oublier les nombreux doctorants et postdoctorants qui ne trouveront ni un emploi, ni la possibilité de valoriser leur travail et leur savoir-faire dans les structures actuelles. Certaines des dispositions du projet visent à y remédier.

Ce texte, si l'on met à part une disposition fiscale en faveur des jeunes entreprises innovantes et un amendement du Gouvernement relatif aux fonds communs de placement dans l'innovation, est essentiellement centré sur le rôle des chercheurs, des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur dans la promotion de l'innovation. Il vise à rendre possible ce qui est aujourd'hui juridiquement impossible.

Actuellement, en effet, la création d'entreprise par des chercheurs exige qu'ils fassent d'emblée le grand saut et rompent toute relation avec leur laboratoire d'origine : il y a là une contradiction évidente avec l'idée même de création d'entreprises par des personnels de recherche.

L'article premier du projet permettra aux chercheurs et enseignants-chercheurs de s'engager dans la création d'une entreprise en tant qu'associés, administrateurs ou dirigeants pendant une période à l'issue de laquelle ils pourront opter entre le retour dans le service public et l'appartenance à l'entreprise. Durant cette période, d'une durée maximale de six ans, ils seront détachés ou mis à disposition et conserveront donc leur statut de fonctionnaire.

L'entreprise créée pourra entretenir des liens contractuels avec le laboratoire d'origine du chercheur, ce qui facilitera le transfert de technologie, le chercheur n'étant plus obligé d'opérer une rupture brutale avec son laboratoire.

L'autorisation pour un fonctionnaire de collaborer avec une entreprise sera délivrée par l'autorité dont il relève, après avis d'une commission de déontologie, afin de garantir la protection des droits et des intérêts des organismes publics.

Ensuite, le projet permet aux établissements publics à caractère scientifique et technologique et aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de créer en leur sein des incubateurs pour valoriser leurs activités de recherche. Ces incubateurs seront gérés selon des règles financières souples, dans le cadre de services d'activités industrielles et commerciales internes aux organismes de recherche et aux universités, qui pourront mettre à la disposition de jeunes entreprises innovantes des moyens matériels et humains, moyennant rémunération.

Enfin, toujours dans le même but, les formalités administratives et les modes de gestion des structures de collaboration entre établissements publics et entreprises sont simplifiés.

Ce projet de loi a été examiné par le Sénat, en première lecture, le 18 février 1999. Ces dispositions correspondant à un objectif partagé par tous, elles ont fait l'objet d'un consensus, sous réserve de quelques modifications d'ordre rédactionnel et d'amendements conformes à l'esprit du texte.

Toutefois, la majorité sénatoriale a souhaité les compléter par un certain nombre de mesures purement fiscales qui n'y ont pas leur place. Ainsi une dizaine d'articles supplémentaires concernent la création d'entreprises en général, et offrent un cadeau fiscal aux contribuables aisés, par le biais des plans d'options de souscription ou d'achat d'actions.

La commission a supprimé toutes ces dispositions, dont la discussion doit être renvoyée à la loi de finances.

Toutefois, la commission a accepté un amendement du Gouvernement tendant à maintenir le seul article 3 octies, relatif aux fonds communs de placement dans l'innovation. En effet, comme l'article 3 du projet initial, il concerne directement le financement des entreprises technologiques innovantes. La commission a également souhaité améliorer le dispositif du crédit d'impôt recherche, afin de favoriser l'emploi de jeunes doctorants.

Pour le reste, la commission a apporté quelques modifications de cohérence au texte initial du projet, par exemple pour régulariser la situation de chercheurs qui ont déjà créé une entreprise. Elle a aussi adopté quelques complément importants, concernant notamment la création d'une société par actions simplifiée, forme juridique particulièrement adaptée. L'amendement relatif à la création de groupements d'intérêt public pour soutenir les actions de formation continue menées par les établissements scolaires en partenariat avec le monde économique a été déclaré irrecevable par la commission des finances ; je remercie le Gouvernement d'avoir bien voulu le reprendre.

J'espère que, compte tenu de l'enjeu pour la recherche et l'économie française, ce texte recueillera sur ces bancs la plus large approbation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis de la commission de la production - On se lamente depuis fort longtemps sur nos difficultés à passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée et à la création d'entreprises -donc d'emplois. On invoque parfois le caractère français, voire un gêne inhibiteur...

M. Jean-François Mattei - La génétique est à la mode !

M. le Rapporteur pour avis - Certes, il y a eu le projet de loi d'Aubert, les assises de l'innovation, le rapport Guillaume de mars 1998... Cependant les chiffres sont éloquents : alors que la part de notre pays dans les publications scientifiques mondiales a augmenté de 16 % en douze ans, sa part est en régression en matière de dépôt de brevets, pour lesquels l'industrie française est aujourd'hui au neuvième rang.

Il devenait donc urgent de faire sauter des verrous, sinon psychologiques, du moins pratiques et juridiques. A cet égard, ce projet apporte une contribution décisive. La commission de la production a particulièrement apprécié les articles 1, 2 et 6, qui vont permettre la diffusion des innovations vers le monde de l'entreprise. En complétant la loi du 15 juillet 1982, qui autorisait le chercheur à opter pour le détachement, la mise à disposition ou la mise en disponibilité, le projet va favoriser la mobilité des fonctionnaires chercheurs. Ils pourront créer leur entreprise afin d'exploiter les résultats de leurs travaux, apporter leur concours à une entreprise de valorisation, participer à des conseils d'administration ou de surveillance dans des conditions souvent dérogatoires au droit commun de la fonction publique.

Les articles premier et 2 favorisent l'émergence de structures "d'incubation" -mot dont la consonance n'est sans doute pas la meilleure par les temps qui courent...- la pérennité d'une entreprise se déterminant souvent dans les deux ou trois premières années, pendant lesquelles l'accompagnement matériel et intellectuel est nécessaire.

L'article 6 associe à l'effort de diffusion de l'innovation technologique les lycées d'enseignement technique ou professionnel, par le biais de conventions ou de groupements d'intérêt public.

Peut-être faudra-t-il demain franchir un pas supplémentaire, en s'inspirant de l'exemple du CEA pour mettre en place un réseau de diffusion des technologies, permettant de mettre en relation l'offre technologique des laboratoires et les besoins industriels. Une action pourrait être engagée en ce sens dans le cadre du XIIème plan.

Il reste que ce texte va permettre de constater que nos chercheurs, pour peu qu'on lève les obstacles juridico-administratifs, sont capables de participer à la création d'entreprises innovantes.

Je présenterai, au nom de la commission de la production, cinq amendements dont le but est de préciser que le dispositif concerne toute la recherche publique, et donc les entreprises publiques -qui peuvent être des personnes de droit privé.

En espérant que les décrets d'application de ce projet très attendu seront publiés au plus tôt, la commission de la production a émis à l'unanimité un vote favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - La loi de 1982 qui a posé un certain nombre de principes a entraîné un indéniable renouveau de la recherche française mais elle n'a pas pleinement réussi à favoriser la mobilité des chercheurs et les transferts de technologie entre laboratoires et entreprises. La situation est devenue très préoccupante, notamment pour les étudiants titulaires d'un doctorat : sur les 11 000 qui soutiennent une thèse chaque année, 3 500 entrent dans le secteur de la recherche publique ; il faut donc préparer les autres à entrer dans le secteur industriel.

La politique de recherche-développement ne peut rester concentrée sur un petit nombre de grandes opérations ; au-delà du système artériel, il faut veiller au bon fonctionnement du système capillaire. Les petites entreprises à forte concentration de matière grise prouvent tous les jours leur efficacité. L'Etat doit, sans nier la valeur de l'action passée, adapter sa politique.

Le système français de recherche publique est caractérisé par son cloisonnement et son isolement du monde économique. Il a commencé à s'adapter mais de manière trop clandestine : des chercheurs ont été amenés à se mettre en contravention avec la loi, avec ou sans l'accord tacite de leur hiérarchie, pour valoriser leur savoir-faire dans une entreprise commerciale.

Le texte que vous nous soumettez, Monsieur le ministre, permet à un fonctionnaire d'exercer des responsabilités dans une entreprise créée pour valoriser ses propres travaux de recherche. C'est une nouveauté considérable dans la conception même de la fonction publique.

Les nouvelles dispositions vont permettre d'intensifier les contacts entre la recherche de base et le monde socio-économique, avec des échanges dans les deux sens.

Cependant, il conviendra d'initier les chercheurs, au cours de leur formation, au monde des entreprises. Ajoutons que le dispositif prévu assure la transparence nécessaire à la prévention. Il permet de développer la prise de brevets par nos chercheurs.

Sur la prise de brevets justement, permettez-moi de lancer un cri d'alarme, tant le constat de M. Henri Guillaume est accablant. Si la recherche française, au titre des publications scientifiques est d'un bon niveau, la prise de brevets est très insuffisante, en particulier dans les nouvelles technologies de l'information et des biotechnologies. Cette carence est d'autant plus grave que les biotechnologies par exemple, concernent transversalement l'agroalimentaire, l'agriculture, la pharmacie, et aussi l'industrie électronique, avec les bio-puces à ADN.

Les statistiques ne sont pas encourageantes. Après avoir augmenté en 1996 et 1997, le nombre de brevets déposés en France a diminué de 0,5 % l'an dernier. Notre pays se place au 15ème rang mondial, avec 292 brevets pour 1 million d'habitants, contre 795 en Suède, 692 en Allemagne et 418 aux Etats-Unis. De plus, le système américain en matière de brevets avantage fortement nos concurrents d'outre-Atlantique. Il faudrait unifier à l'échelle de l'OMC les règles de dépôt de brevets.

Le projet tend aussi à mieux associer la recherche publique et l'entreprise privée. Les conditions nouvelles d'association devraient être fixées rapidement, et allégées par rapport aux dispositions de la loi de 1982 relatives aux GIP.

De plus, les EPST pourront créer des "incubateurs". La France se met ainsi à l'unisson des grandes universités en Europe et aux Etats-Unis, où ces structures sont très courantes, comme je l'ai constaté en préparant mon dernier rapport de l'Office. Aussi convient-il de définir au plus vite les conditions de création de ces incubateurs.

Il faut aller de l'avant, débusquer les idées qui gisent dans les placards et sous les paillasses, afin de promouvoir le transfert de technologie entre recherche publique et entreprises. Peut-être allons-nous enfin assister au décollage des entreprises de haute technologie en France !

Veillez, s'il vous plaît, à promulguer rapidement les mesures d'application de la loi, qui doivent être simples.

L'Office parlementaire d'évaluation, à qui vous aviez réservé la primeur de vos intentions, vous soutient (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Hélène Aubert - L'annonce d'un projet sur l'innovation et la recherche a d'abord réjoui les députés écologistes. En effet, si nous atteignons en France le niveau honorable de 2,4 % du PIB consacrés à la recherche publique, le décalage persiste entre celle-ci et la demande sociale, en particulier celle du tiers secteur associatif.

En effet, les relations de la recherche publique avec la société en général, et pas seulement avec le marché privé, sont gravement insuffisantes.

Il fallait donc compléter la loi Chevènement du 15 juillet 1982, véritable monument, et celle du 23 décembre 1985 dans laquelle Hubert Curien proposait de porter l'ensemble des dépenses de recherche-développement à 3 % du PIB dans les cinq ans. Cet objectif partagé par tous n'a pas été atteint. Les grandes ambitions ne seraient-elles plus de mise ?

La loi Chevènement distinguait, dans son article 3, quatre catégories de recherches éligibles au BCRD : les recherches fondamentales dont le développement sera garanti ; les recherches appliquées et finalisées ; les programmes de développement technologique ; les programmes mobilisateurs pluriannuels.

Nous espérions que le projet porterait sur l'ensemble de ces catégories. Or il se borne à favoriser l'interpénétration des activités de recherche publique et privée. Aux assises de l'innovation de mai 1998, puis au comité interministériel de la recherche de juillet, de nombreuses voix s'étaient élevées pour qu'on prenne en compte les politiques publiques et le service public, et pas seulement les entreprises privées. Elles n'ont guère été entendues !

C'est que cela ne va pas de soi.

Nous craignons que, comme de nombreux scientifiques, vous ne considériez que le seul axe science-technologie-innovation-entreprises privées-marché au préjudice d'une conception de l'innovation tendant à satisfaire les besoins des politiques publiques. Là est la carence principale de votre projet.

Pourtant son titre même laissait croire qu'il porterait sur la totalité du champ de la recherche, en particulier la deuxième des catégories que je citais à l'instant. Or vous vous focalisez exclusivement sur les besoins des entreprises privées. Cette démarche est révélatrice de choix politiques et d'une certaine fascination pour les Etats-Unis. Faut-il alors rappeler les exemples des hormones de croissance dans la viande ou des OGM ? Pourtant, vous vous bornez à soutenir massivement les biotechnologies et les entreprises qui les exploitent, sans regarder au-delà. L'OMC n'est sans doute pas le cadre le plus pertinent pour traiter de ces questions.

On aurait pu penser qu'un projet relatif à la recherche et à l'innovation présenté par un membre du Gouvernement de la gauche plurielle corrigerait le déficit dont souffrent les politiques publiques dans le domaine de la recherche. Nous regrettons vivement que ce ne soit pas le cas.

De fait, lorsque nos diplomates participent à des conférences internationales relatives à l'environnement, ils ne bénéficient que d'un bien maigre appui scientifique face aux délégations américaines et d'Europe du Nord.

De quels moyens disposent chez nous les recherches sur la dissémination des nitrates, des dioxines, pour lesquelles il n'existe qu'un laboratoire en France, des métaux lourds ? Tout ce qui a trait aux sols pollués, à la protection de la biodiversité, aux politiques urbaines, qui n'intéresse pas les entreprises privées, comment votre projet le prend-il en charge ? Qu'en est-il également du développement durable, des principes de prévention et de précaution ? Là encore, le texte ne comporte rien. Pourtant, des recherches dans ces domaines sont indispensables, d'autant qu'elles se situent au carrefour des diverses disciplines.

Notre dispositif institutionnel de recherche -CNRS, CEA, INRA, BGRM- date pour l'essentiel des Trente glorieuses. Ces établissements ne sont pas en mesure de préparer les politiques d'environnement ou d'aménagement du territoire de demain. Or votre projet ne propose rien pour combler ces lacunes. Les disciplines propres à concourir le plus efficacement à ces politiques publiques, comme l'épidémiologie ou la toxicologie, ne sont guère développées chez nous, non plus que l'économie de l'environnement et l'écologie, pour s'en tenir aux déficiences les plus flagrantes. Je ne vous demanderai pas en quoi cette loi est susceptible d'améliorer la situation, tant il est prévisible qu'elle contribuera à l'aggraver !

La loi de 1982 a eu le grand mérite de fixer, dans son article 14, les objectifs assignés à la recherche publique : favoriser le développement, la valorisation des résultats, la diffusion des connaissances et la formation. Mais elle a totalement ignoré l'obligation qui doit être faite aux chercheurs et aux organismes de recherche d'être à l'écoute de la société, pour répondre à ses besoins et l'aider à anticiper : comme si la recherche ne fonctionnait que de façon centrifuge -de ses laboratoires vers l'extérieur. Nous sommes quelques-uns à souhaiter qu'une loi nouvelle affirme cette nécessité de l'écoute, du dialogue avec la société, au service notamment des politiques publiques. La vôtre marque un progrès dans le sens de l'interpénétration, mais avec pour seul partenaire l'entreprise privée.

Faute de deuxième "pilier", nous ne pourrons voter ce projet. En attendant une politique plus globale, plus ambitieuse, plus équilibrée, nous nous abstiendrons.

M. Jean-François Mattei - Nous souhaitons tous que la reprise actuelle se transforme en croissance durable, créatrice d'emplois. Or cette croissance ne peut que refléter, pour une large part, la progression de la productivité, qui est fonction elle-même du dynamisme de la recherche et de l'innovation technologiques. La croissance et l'emploi exigent donc qu'émergent des entreprises innovantes, en nombre. L'enjeu qui nous occupe est par conséquent majeur pour la France.

Notre pays a un potentiel scientifique indéniable, grâce à l'importance des ressources financières et humaines consacrées à la "recherche-développement" et à la technologie. Avec un effort de recherche équivalent à 2,3 % de son produit intérieur brut et une recherche réalisée dans les entreprises à peine moindre, la France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Néanmoins, sa part n'est que de 6 % très loin derrière les 43 % des Etats-Unis et les 17 % du Japon.

L'attribution du prix Nobel à des chercheurs français, à différentes reprises au cours de la décennie, comme la part croissante de nos publications scientifiques dans le monde -4,3 % en 1983, 5,1 % en 1995- témoignent de nos atouts.

Cependant, les résultats sont contrastés. Ainsi entre 1987 et 1996, la part de la France dans le système de brevet européen a diminué de 17 %, et sa part dans les brevets accordés aux Etats-Unis a décliné depuis la fin des années quatre-vingt, pour s'établir à 2 %.

De plus, les transferts de technologie restent de l'avis de tous insuffisants. Il ne se crée chaque année qu'une entreprise pour mille chercheurs, et, sur moins d'une centaine d'entreprises de haute technologie nouvelles, une quarantaine seulement sont créées à l'initiative de chercheurs.

Or il est prouvé que la croissance de l'emploi est plus forte dans les firmes innovantes et, parmi les firmes nouvelles, dans celles qui ont une vocation technologique. Les entreprises "d'essaimage" ont un taux d'échec, estimé à 1 sur 6, alors que dans le secteur de l'industrie et des services, une entreprise sur deux disparaît dans les cinq ans. Par ailleurs, ces mêmes entreprises d'essaimage créent trois fois plus d'emplois puisque, en moyenne, elles emploient 11 salariés quelques années après leur création.

Il s'impose donc de renforcer les incitations à innover et de lever les obstacles statutaires et institutionnels. Actuellement, la valorisation économique des découvertes et des compétences accumulées dans le secteur public de la recherche est beaucoup trop faible : en 1996, seuls 50 chercheurs du CNRS, sur un total de 11 400, sont entrés dans le secteur industriel ; la même année, les redevances de brevets et licences n'ont représenté que 172 millions de francs soit trois fois moins qu'en Grande-Bretagne ; les laboratoires communs entre la recherche publique et l'industrie sont peu nombreux et la part de la recherche publique financée par l'industrie est sensiblement plus faible que dans les autres pays européens.

Le présent projet part de ce constat. Reprenant les travaux de vos prédécesseurs -souffrez qu'au nom de Jean-Pierre Chevènement, par vous cité, j'ajoute celui de François Fillon, ainsi que le projet de loi de François d'Aubert- ce texte, à quelques amendements près, devrait recueillir notre assentiment, à raison de cette paternité partagée.

J'émettrai toutefois deux réserves. La première concerne le volet fiscal, nettement insuffisant dans la version initiale, mais largement développé par le Sénat. La seconde concerne le nécessaire équilibre à trouver entre la volonté de faire sortir les chercheurs de leur laboratoire et le maintien d'une recherche de qualité.

Certaines dispositions, attendues, apparaissent intéressantes. Il convenait ainsi de favoriser la mobilité et la création d'entreprises par les chercheurs en les autorisant à participer en tant qu'associés, administrateurs ou dirigeants à une entreprise nouvelle, assurant la valorisation de leurs travaux. En position de détachement ou de mise à disposition, ils auront ensuite à choisir entre le retour dans le service public et l'appartenance à l'entreprise. Nous nous félicitons de vous voir reprendre ainsi le dispositif proposé par François d'Aubert.

De même, la possibilité donnée d'apporter son concours scientifique à une entreprise de valorisation et de participer à son capital va dans le bon sens, mais nous souhaitons laisser au fonctionnaire la possibilité de conserver une participation lorsqu'il décide de ne pas rester dans l'entreprise. Pourquoi ne pourrait-il bénéficier de la contrepartie des efforts consentis ?

Nous approuvons aussi qu'on donne aux organismes de recherche et d'enseignement supérieur la possibilité de créer des structures d'incubation. M. Le Déaut a eu raison de souligner que déjà, il n'était plus indispensable de partir aux Etats-Unis : des incubateurs d'entreprises existent déjà à Marseille-Lumigny, par exemple, et ils fonctionnent si bien qu'il faut maintenant se préoccuper de créer des "pépinières" pour prendre le relais. Cependant, cette création d'entreprises innovantes suppose une période de maturation, dans un environnement approprié. Jusqu'ici, on recourait à des structures associatives pour mettre à disposition locaux et matériels. Nous souhaiterions aller plus loin en permettant aux organismes de recherche de mettre à disposition leurs outils de communication, tels qu'Internet ou les réseaux du type "Renater".

En troisième lieu, la création de "services d'activités industrielles et commerciales" dans les établissements d'enseignement supérieur afin d'organiser les activités commerciales de l'établissement procède de la même volonté de créer des structures de valorisations spécifiques. C'est à juste titre que le Sénat a étendu ce dispositif aux EPST.

Enfin, certaines dispositions relatives à la limite d'âge, à la possibilité pour les établissements d'enseignement supérieur ou les EPST de cotiser aux ASSEDIC pour leur personnel contractuel ou pour les organismes de recherche, de conclure des contrats pluriannuels avec les ministères de tutelle, devraient permettre de remédier à une rigidité endémique. Il faut insuffler davantage d'esprit d'entreprise dans le monde de la recherche. Nous espérons donc que vous prendrez en compte nos amendements.

Mais, je le répète, si les dispositions visant à lever les obstacles statutaires et institutionnels sont globalement satisfaisantes, il n'en va pas de même du volet fiscal du texte. Dans votre projet initial, celui-ci se réduisait à une seule disposition, d'ailleurs non négligeable, visant à réduire de 75 à 25 % la part du capital de l'entreprise devant être détenue soit par des personnes physiques soit par des personnes morales, pour que cette entreprise puisse émettre des bons de souscriptions de parts de créateurs d'entreprise -BSCPE. Or cette mesure est largement insuffisante au regard de ce qui se fait dans d'autres pays.

Il n'y aura véritablement soutien à l'innovation que si la loi permet de compenser la prise de risques par la possibilité de gains réels et si le financement de l'innovation est assuré. Conscient de cette nécessité, vous aviez prévu dans votre avant-projet un certain nombre de dispositions en ce sens mais sous la pression de votre majorité, tout cela a été ramené à presque rien.

En revanche, le texte enrichi par le Sénat apparaît davantage conforme aux enjeux. En effet, peu de personnes disposant d'un emploi stable dans la recherche publique ou dans le secteur privé le quitteraient pour une jeune entreprise innovante à moins que l'espérance de gain ne soit à proportion du risque. Les stock-options sont une forme de rémunération de ce risque. La méthode a fait ses preuves aux Etats-Unis et a été maintenant adoptée dans beaucoup d'autres pays. En France, elle a eu une histoire troublée en raison de réticences liées à des soucis d'équité. Un dispositif équilibré a été intelligemment proposé par le Sénat. Certes, vous objectez que ces mesures relèvent davantage de la compétence du ministère des finances que de la vôtre et qu'il convient donc de les retirer pour les réexaminer lorsque sera présenté un texte fiscal spécifique. Néanmoins, compte tenu du caractère indispensable des dispositions fiscales pour assurer la réussite de votre projet, je veux, Monsieur le ministre, connaître votre sentiment personnel sur ce point et la nature de votre engagement.

J'en viens à ma deuxième réserve, qui peut sembler paradoxale, mais qui correspond pourtant à une réelle préoccupation : si nous voulons tout faire pour que les chercheurs qui le souhaiteraient créent leur entreprise, nous ne voulons pas pour autant que les laboratoires soient vidés de leurs meilleurs éléments et que la qualité de notre recherche en pâtisse. Un équilibre doit donc être trouvé.

A l'occasion de la préparation du projet, j'ai souhaité rencontrer les représentants du monde de la recherche et j'ai organisé dans ce but une table ronde à Marseille. Il en est ressorti un net décalage entre les discours des chercheurs en poste dans les laboratoires et de ceux qui ont créé une entreprise.

Les premiers ne connaissent encore rien du monde de l'entreprise et leurs inquiétudes concernent essentiellement le devenir des laboratoires : ils craignent que ceux-ci ne soient dépouillés de leurs meilleurs éléments sans que les départs soient compensés par de nouvelles recrues. Il serait bénéfique d'instaurer un système de compensation qui permettrait de remplacer celui qui quitte l'unité scientifique ou de soutenir l'équipe restante. On voit bien qu'une réelle réflexion est à mener, et il peut paraître surprenant que ce problème ne soit nullement évoqué dans ce projet. Il ne faudrait pas non plus démotiver les chercheurs qui souhaiteraient poursuivre leurs recherches dans un laboratoire, en présentant le départ du laboratoire comme le seul moyen de "réussir".

Les chercheurs ayant franchi le pas réagissent, pour leur part, en véritables hommes d'entreprise déjà totalement impliqués dans le milieu économique. Leur apprentissage des réalités économiques a parfois été difficile, et ils ont souvent insisté sur l'absence de préparation des chercheurs à ce nouvel environnement. Dès lors, il apparaît indispensable d'inclure dans la formation des étudiants des filières recherche un enseignement optionnel qui les préparerait au monde de l'entreprise et à devenir chercheurs-entrepreneurs.

Avec ce texte, nous allons voir comment deux mondes, jusqu'ici distincts et ayant peu de relations entre eux, vont pouvoir se rencontrer. La principale difficulté réside dans le fossé existant entre l'un et l'autre. Une véritable révolution culturelle est nécessaire. Il faut insuffler l'esprit d'entreprise dans le monde de la recherche sans pour autant que celui-ci "perde son âme". La recherche et l'innovation sont une nécessité pour tout pays qui souhaite préparer son avenir et assurer sa place dans le monde. Il s'agit donc là d'un enjeu capital.

Sous ces quelques réserves dont j'ai fait état, le groupe DL approuve ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Michel Destot - Très bien !

Mme Cécile Helle - Ce projet traite globalement des problèmes qui se posent aujourd'hui à notre pays en matière d'innovation. Il comporte une série de propositions concrètes face aux difficultés rencontrées par la communauté scientifique pour satisfaire aux missions de valorisation de la recherche publique, telles que définies par la loi du 15 juillet 1982 et par la loi du 26 janvier 1984. Il constitue un dispositif efficace pour exploiter pleinement les potentiels d'emplois, de richesses et de croissance que contient la recherche scientifique et technologique, dans un contexte d'urgence et de doute pressenti en 1997 par François d'Aubert, alors secrétaire d'Etat à la recherche, confirmé par le rapport Guillaume, démontré, enfin, par vous-même, Monsieur le ministre, et par le Premier ministre lors des assises nationales de l'innovation au printemps 1998.

Contexte de doute, caractérisant l'état d'esprit d'une communauté scientifique qui cherche, face à la mondialisation, à redéfinir sa place dans la société française, à repenser ses missions, à réinventer ses modes de fonctionnement. Contexte d'urgence aussi, pour remédier au paradoxe français qui veut que notre recherche publique soit de qualité, mais peu portée aux transferts technologiques vers le monde industriel ; pour diversifier les débouchés professionnels de nombreux jeunes docteurs qui arrivent chaque année sur le marché du travail ; pour doter notre économie, notamment dans les secteurs de pointe comme les biotechnologies ou les technologies de l'information.

Contexte d'attentes, qui ont guidé la politique que vous menez depuis deux ans pour placer le monde scientifique et technologique au coeur du développement de notre société et de notre économie. Ce double objectif vous a amené à multiplier les réponses : réponses financières dans le cadre des projets de loi de finances pour 1998 et 1999 ; réponses parlementaires par la nomination de deux députés en mission, Jean-Yves Le Déaut et Pierre Cohen, chargés d'engager une réflexion de fond sur la place de la recherche en France ; réponse législative, enfin, avec le présent projet de loi.

Premier objectif du projet : développer les relations entre les personnels de la recherche et les entreprises. Il s'agit avant tout de lever de nombreux obstacles statutaires qui freinent la mobilité des chercheurs et des enseignants-chercheurs vers le monde de l'entreprise et qui ont par ailleurs favorisé le développement de situations à la limite de la légalité, bien souvent synonymes de précarité pour les rares téméraires qui se sont lancés dans l'aventure des transferts de technologies.

Deuxième objectif : le développement des collaborations entre la recherche publique et les entreprises. Même si des structures de coopération ont été prévues par les lois de 1982 et 1984, la lourdeur de leur gestion et certaines lacunes ont suscité de nombreuses critiques. Rappelons que la création de filiales ou de sociétés communes est encore soumise à arrêté ministériel ! Aussi ce projet de loi comporte-t-il de multiples mesures pour faciliter l'interpénétration de la recherche publique et des entreprises : allégement des formalités administratives, aide à la création d'entreprises, assouplissement de la gestion des contrats avec les entreprises et des activités de valorisation au sein des universités.

Troisième objectif : instituer une fiscalité favorable aux entreprises innovantes. L'article 3, qui abaisse le seuil de détention du capital d'une entreprise par des personnes physiques pour l'autoriser à émettre des BSPCE permet aux chercheurs de capitaliser leur investissement personnel, sans pour autant accepter l'ensemble des dispositions relatives aux stock-options introduites par les sénateurs, qui relèvent d'une logique contraire au progrès social et à la justice fiscale.

Quatrième objectif : créer un cadre juridique adapté à la création d'entreprises innovantes. Il s'agit là d'une proposition de notre rapporteur, reprise par plusieurs parlementaires. En proposant d'ouvrir le régime de la société par actions simplifiée aux entreprises innovantes, les députés ont souhaité adapter le cadre offert par le droit des sociétés.

Ce texte, qui comporte également des garanties contre les dérives d'une collaboration à sens unique, concourt à une vraie reconnaissance de la recherche publique française, des hommes qui l'animent et des travaux qui en découlent. Il suscite de grands espoirs au sein de la communauté scientifique et réaffirme la place de la recherche et de la science dans notre projet de société. Le groupe socialiste le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard - La recherche publique française, dont nous avons tous, à l'exception de M. Le Déaut, salué la qualité, souffre en premier lieu de son organisation et de ses structures. Vous le savez, Monsieur le ministre, vous qui venez de publier un article sur ce thème dans un grand journal du matin.

En amont, il faudra revoir les méthodes pédagogiques de base, qui laissent trop peu de place à la créativité individuelle. En aval, il faut favoriser les transferts de technologies. C'est le but de ce projet, mais il n'aborde que les questions statutaires. Or la création d'entreprises innovantes est surtout freinée par des raisons culturelles et un environnement institutionnel défavorable. Depuis dix ans même, le nombre de créations d'entreprises diminue, malgré notre potentiel technologique. Notre retard est patent dans les secteurs d'avenir que sont les technologies de l'information et les biotechnologies. Cette situation nous pénalise par rapport aux Etats-Unis, mais aussi à l'Allemagne, aux Pays-Bas, au Japon, à la Suède, qui savent bien mieux que nous tirer parti de leur potentiel scientifique. Nos chercheurs font des découvertes, mais ce sont d'autres pays qui les exploitent.

Depuis 1980, l'économie américaine a perdu 13 millions d'emplois, mais elle en a créé 73 millions, contre 43 pour l'Europe au cours de la même période. En outre, 80 % des 7,7 millions d'emplois créés aux Etats-Unis entre 1991 et 1995 sont dus aux entreprises innovantes.

Tel est le diagnostic que firent François Fillon, puis François d'Aubert, dont le projet de loi avait été examiné au cours du printemps 1997 par le Conseil d'Etat et le Conseil supérieur de la fonction publique. S'il faut se réjouir que votre texte s'en inspire largement, comment ne pas déplorer ces deux années perdues ?

Les mesures que vous proposez pour supprimer les verrous institutionnels et administratifs sont satisfaisantes. En particulier, la participation des établissements d'enseignement du second degré au processus de valorisation de la recherche va représenter un grand changement culturel.

Mais ces mesures suffiront-elles à transformer la situation ? Dans un rapport sur les transferts de technologies, qui m'avait été commandé par Edouard Balladur, j'ai montré que la clé du succès, c'était le financement. Votre réforme sera inefficace en l'absence de financement solide. Votre projet est comme une voiture rutilante dont le réservoir serait vide.

Je souris d'ailleurs en lisant, dans le rapport de M. Bret, que cette réforme est "un symbole fort de la politique gouvernementale".

Le Gouvernement ne nous avait-il pas annoncé, à l'occasion du dernier débat budgétaire, une réforme des options sur actions ? Il y a renoncé, devant l'hostilité idéologique de certaines composantes de sa majorité. Je ne suis guère convaincu, Monsieur le ministre, par l'argumentation du Conseil d'Etat selon laquelle les dispositions relatives aux stock-options, introduites par le Sénat, seraient trop éloignées du projet. En effet, l'article 3 de ce texte n'est-il pas lui aussi de nature fiscale ?

La commission des finances du Sénat et son rapporteur ont cherché à améliorer le financement des entreprises innovantes. Mais vous ne voulez pas aborder cette question et M. Bret est allé jusqu'à parler de "paquet-cadeau fiscal" et d'initiatives "inopportunes".

A l'exception des FPCI, tout le volet fiscal a donc été supprimé. Nous ne savons pas quand la réforme annoncée des stock-options sera présentée en conseil des ministres. Le débat se tiendra -"le cas échéant", écrit M. Bret- au moment de l'examen de la loi de finances.

Dans ces conditions, le groupe RPR ne pourra voter ce projet en l'état.

M. Patrick Leroy - Si tout le monde reconnaît qu'il y a un réel problème de recherche industrielle en France, les remèdes proposés divergent selon les sensibilités politiques et la conception qu'on se fait du service public. Personne ne nie la qualité de la recherche scientifique française, mais les carences du système font que des brevets français sont finalement exploités à l'étranger et que de jeunes docteurs n'ont le choix qu'entre l'emploi précaire, le chômage et l'expatriation.

Il faut néanmoins nuancer ce jugement. Nul ne peut ignorer l'importance des contrats passés entre les organismes de recherche publique et l'industrie : 70 % du financement des laboratoires publics proviennent de ces contrats.

Les performances de notre pays dans l'aéronautique, l'énergie, le nucléaire, les télécommunications et la technologie ferroviaire sont indéniables.

Mais notre système de recherche est sorti affaibli de certaines mesures gouvernementales. Ainsi, le développement de la précarité de l'emploi dans les organismes de recherche et les établissements d'enseignement supérieur fait obstacle à la mobilité : 20 % des personnels du CNRS sont en situation précaire et près de 10 000 docteurs sont dans le même cas, quand ils ne se retrouvent pas au chômage.

Les restructurations dans les établissements publics à caractère industriel et commercial et le remplacement du financement des thèses par un financement de postdoctorat ne vont pas dans le bon sens.

Actuellement, les professeurs de l'enseignement supérieur sont recrutés parmi les agrégés du second degré, qui ont une charge de travail double de leurs collègues du supérieur, ou parmi les enseignants en situation précaire.

Notre souci a donc été de favoriser l'innovation, la coopération entre les secteurs public et privé, l'inventivité et la création d'emplois, tout en préservant l'autonomie et le bon fonctionnement des organismes publics de recherche.

Rien ne serait plus néfaste, en effet, que de sacrifier la recherche fondamentale. Nul n'ignore que les découvertes ne se programment pas et que les retombées de la recherche fondamentale sont imprévisibles.

Nous avons déposé un amendement visant à créer une agence nationale de l'innovation et de la recherche, qui regrouperait toutes les parties concernées : Etat, entreprises, communauté scientifique et universitaire. Jouant un rôle d'arbitre, elle devrait veiller à ce que l'effort de recherche ne repose pas uniquement sur le secteur public. Elle s'efforcerait en outre d'identifier les obstacles aux transferts de technologies. Ces missions pourraient certes être assurées par l'agence nationale pour la valorisation des activités de recherche, mais il faudrait alors élargir ses compétences et renforcer ses moyens.

Nous avons souhaité que la mise à disposition des moyens de fonctionnement entre les secteurs public et privé soit réciproque, de façon que la coopération reste mutuellement avantageuse. Par l'insuffisance de leurs efforts et même à cause de leur désengagement en matière de recherche, les entreprises privées portent une lourde responsabilité dans le retard pris par notre pays, malgré l'existence de mesures incitatives, comme le crédit d'impôt recherche. C'est bien la preuve que ce dispositif, d'une grande opacité, est en outre inefficace.

L'article 5 bis a été introduit par le Sénat par l'adoption d'un amendement du groupe communiste. Il vise à moduler le crédit d'impôt recherche en fonction de son impact sur l'emploi des jeunes scientifiques. C'est toutefois insuffisant. Nous souhaitons qu'à l'examen de la loi de finances, ce système soit remplacé par un impôt recherche libératoire dont seraient exonérées les entreprises justifiant de véritables investissements dans la recherche et d'embauches de personnels scientifiques.

Nous défendrons d'autres amendements en visant à garantir le respect des obligations statutaires et des orientations scientifiques.

Nous souhaitons aussi que les décisions importantes, comme les conclusions de conventions soient soumises à l'avis conforme du conseil d'administration des établissements publics. Instance pluraliste et démocratique, dont font partie des représentants d'organisations syndicales, le conseil d'administration doit avoir son mot à dire.

Plusieurs de nos amendements visent à supprimer les dispositions inacceptables introduites par le Sénat sur les stock-options.

Nous souhaitons, enfin, que le Gouvernement présente au Parlement un rapport triennal sur l'application de la présente loi, auquel serait joint un avis du conseil nationale de l'enseignement supérieur, qui est composé de membres élus.

Notre politique scientifique ne doit pas être asservie aux pratiques aveugles des marchés et à leurs fluctuations erratiques. Faisons en sorte que l'innovation se traduise par des progrès scientifiques, l'épanouissement des individus et l'accroissement de l'emploi scientifique.

Faisons de l'homme, du citoyen, la finalité d'une recherche réellement orientée vers le progrès social et économique.

M. Claude Birraux - Il n'est pas très fréquent qu'un texte sur la recherche vienne devant notre assemblée. Celui-ci était en incubation sous plusieurs gouvernements précédents et le scientifique que je suis toujours se réjouit qu'il soit discuté aujourd'hui.

Il aura fallu pour cela plusieurs rapports qui, comme le rapport Guillaume, concluent que notre pays dispose d'un potentiel scientifique de premier plan, mais que le couplage de ces découvertes avec les activités industrielles s'effectue moins facilement qu'aux Etats-Unis ou au Japon.

Pourtant, en consacrant 2,4 % de son PIB à la recherche et au développement, la France est bien placée, près des Etats-Unis -2,60 %- devant la RFA -2,3 %-, le Royaume Uni -2,2 %- et les Pays-Bas -1,9 %. De même, le pourcentage de publications scientifiques de chercheurs français est en augmentation, passant de 4,3 % en 1983 à 5,1 % en 1997. Des prix Nobel ont été décernés à des Français. Le CNRS réalise, du point de vue scientifique, de bonnes performances, comme l'a récemment montré une étude indépendante.

Pourtant, depuis dix ans, le nombre de créations d'entreprises a régulièrement diminué, alors que le potentiel scientifique devrait conduire au développement d'activités innovantes. Si en 1991, 5 groupes européens se classaient encore parmi les 25 premières entreprises mondiales de haute technologie, en 1997 il n'en reste qu'un, Siemens.

Or, avec la mondialisation croissante des marchés, le développement de la recherche est vital dans la mise sur le marché de nouveaux produits ou l'amélioration de produits existants.

Contrairement à une idée reçue, l'innovation peut être le moteur du développement économique. Par exemple, dans ma circonscription, alors que M. Tapie, ministre en exercice d'un gouvernement socialiste, licenciait quelques centaines de personnes chez Terraillon pour délocaliser en Asie, un de ses concurrents créait 200 emplois pour mettre sur le marché un pèse-personne utilisant un circuit imprimé.

On sait que la Silicon Valley, créée autour de l'Université de Berkeley, a donné naissance aux plus grands succès industriels de ces dernières années.

Chacun observe le fossé culturel qui nous sépare des Etats-Unis, où l'esprit d'entreprise est toujours vivace. Chez nous, la recherche ne vise qu'à accroître les connaissances.

La fonctionnarisation en 1982 a rigidifié le système et posé des barrières statutaires auxquelles ce texte tente maintenant de remédier. Il est vrai que c'était l'époque des utopies, des nationalisations, du volontarisme législatif forcené, qui faisait inscrire dans la loi le taux de croissance de la recherche dans les laboratoires, les entreprises publiques et privées ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Germain Gengenwin - Très bien !

M. Claude Birraux - Beaucoup citeront les exemples américains, dont nous devrions nous inspirer. Plus proche de nous, je vous citerai l'exemple de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve, créée en 1968.

Les services d'activités commerciales et industrielles que vous créez pour les universités, l'Université catholique de Louvain les a créés dès 1979, pour servir d'interface entre l'Université et le monde extérieur. Cette structure a pour tâches, entre autres, d'améliorer la collaboration avec les entreprises, de déposer des brevets, de participer au financement de nouvelles sociétés, de procéder à de brèves études de marchés et de promouvoir les trois parcs scientifiques et les deux incubateurs de l'Université.

L'Université catholique de Louvain a réglé le problème de la répartition des redevances sur les brevets, ce qui motive le personnel. Elle a réglé d'une manière claire et pratique la collaboration avec les entreprises, de même que sa participation à la création d'entreprises.

Son personnel universitaire permanent peut avoir, à titre personnel, des activités de conseil, deux demi-journées par semaine.

Le parc scientifique de Louvain-la-Neuve regroupe aujourd'hui 75 entreprises totalisant 3 200 emplois. Un exemple de création d'entreprise réussi est l'AFI, l'Application de Faisceaux Ioniques. Lancée avec 25 millions de francs belges, l'entreprise a aujourd'hui un capital de 200 millions et emploie 160 personnes. Le succès tient surtout à l'approche globale, qui a su lever tous les freins et les verrous au transfert de technologie.

Un chiffre illustre ce dynamisme : le gouvernement français a lancé un concours d'entreprises innovantes doté de 200 millions et des fonds d'amorçage dotés de 100 millions. Or 100 millions, c'est la somme que consacre chaque année l'Université de Louvain pour créer et soutenir ses entreprises innovantes !

Si les dispositions fixant le cadre dans lequel les chercheurs pourront valoriser le résultat de leur recherche me paraissent positives, certaines vont encore dans le sens du blocage. L'activité de conseil devrait pouvoir mieux se développer.

Par ailleurs, on peut regretter que le projet n'évoque pas la question stratégique de la propriété intellectuelle et des brevets. En effet, le coût du dépôt et du maintien d'un brevet est six fois plus élevé en Europe qu'aux Etats-Unis.

L'Office européen des brevets organise une coordination des brevets valables dans tous les Etats de l'Union, mais ne délivre pas de brevet européen. Voilà une tâche urgente pour le prochain commissaire à la recherche, si les gouvernements veulent bien soutenir cette proposition.

Je regrette aussi que les dispositions réformant la fiscalité des stock-options aient été retirées du texte original, suite aux pressions du parti communiste.

Le Sénat a introduit des dispositifs intéressants dans le domaine fiscal, malheureusement la majorité n'entend pas les conserver.

Si ce texte permet aux chercheurs de mieux articuler leurs travaux avec le monde de l'entreprise, il n'améliore pas réellement l'environnement des entreprises. Les mesures proposées par le Sénat vont plus loin dans l'incitation fiscale, afin que le financement ne reste pas un des obstacles majeurs à la création d'entreprises de haute technologie.

Je crains qu'il n'y ait un blocage culturel du côté du Gouvernement et de sa majorité. Or à quoi bon lever des verrous statutaires ou réglementaires pour les chercheurs si des obstacles fiscaux les découragent de participer à la création d'entreprises ? Il manque là un chaînon important.

Comme l'analyse une association spécialisée, les premiers capitaux -le capital d'amorçage- sont apportés par la famille et les amis, mais aussi par des investisseurs privés. Le capital d'amorçage est ce qui fait le plus défaut en France. Or le Gouvernement continue de penser que seul doit être favorisé un fonds d'amorçage où l'Etat joue un rôle prépondérant. Ne serait-il pas plus efficace de favoriser l'amorçage par des dispositifs fiscaux, de faire en sorte que l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur la fortune n'apparaissent plus comme des outils confiscatoires, mais comme des instruments créateurs de richesses ? Faut-il prendre le risque de voir les capitaux s'investir dans d'autres pays, soutenant la création d'emplois ailleurs que chez nous ? Là aussi la concurrence joue son rôle.

La Commission européenne lance des initiatives pour mobiliser le capital risque, en coopération avec la Banque européenne d'investissement : resterons-nous à l'écart ou en retard, en raison de législations inadaptées.

Par exemple, le dispositif des bons de souscription pour la création d'entreprises, pratiquement inutilisé du fait de critères trop restrictifs. Voilà le type de mesure qui fait saliver l'administration des finances : "Monsieur le ministre, il faut être prudent, il ne faut pas être laxiste, il faut bien cibler" et voilà... une ligne budgétaire inutilisée, ce qui lui permet de dire qu'elle ne servait à rien !

Pourquoi, Monsieur le ministre, vous obstiner à n'en faire qu'un régime provisoire, alors que la création d'entreprises a besoin d'un cadre fiscal stable ? Je me réjouis, en revanche, que la commission ait adopté un amendement permettant aux entreprises cotées au nouveau marché d'y avoir droit ; il faut leur laisser le temps de trouver leur rythme de croisière.

Enfin, il nous semble que la création d'une entreprise innovante mobilise tellement ses créateurs que la loi sur les 35 heures ne devrait pas leur être appliquée dans la phase de démarrage.

Je me réjouis également que la commission ait adopté notre amendement sur les sociétés par actions simplifiées pour l'innovation.

Toutefois je m'interroge sur l'architecture globale du texte, tel qu'il résulte du vote en commission.

En effet, ce texte a subi une lente maturation depuis Jean-Pierre Chevènement, François Fillon, Mme Dufourcq, François d'Aubert, vous-même. Nous avons un préjugé favorable, mais alors que le Sénat en avait fait un texte complet, renvoyer le volet fiscal à la loi de finances 2000, sans engagements fermes dès maintenant, lui donnerait un goût d'inachevé. Et ne nous racontez pas, Monsieur le ministre, que ces dispositions fiscales n'ont rien à faire dans ce texte : vous savez parfaitement qu'elles étaient prévues dans l'avant-projet et en ont été retirées non pour des raisons de cohérence interne, mais pour des raisons de cohérence de la majorité plurielle... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous sommes prêts à lui donner toute sa portée, car c'est l'économie, l'emploi, l'avenir de notre pays qui sont en jeu (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Pierre Cohen - Pendant dix-sept ans, à la suite des assises de la recherche et de l'innovation, débat national sans précédent entre les chercheurs, les partenaires industriels, les enseignants du supérieur et les élus, la recherche et l'innovation ont fini par s'imposer comme des priorités politiques.

Une loi sur la recherche en 1982 et de nombreuses avancées significatives auront été mises en oeuvre. Même si le rapport Guillaume émet certaines critiques, que je partage pour une bonne part, une véritable révolution culturelle s'est opérée dans la recherche publique en ce qui concerne son rôle en matière de transfert technologique.

Sans doute la recherche, et plus particulièrement la recherche fondamentale publique, constituent notre fierté.

Nous avons su nous doter d'outils et de moyens qui font que notre pays contribue très largement au développement du savoir, indispensable à l'évolution de l'humanité et de la citoyenneté.

Afficher la recherche comme une priorité est une nécessité absolue pour un pays qui se veut progressiste. Avec l'enseignement, la recherche est un des remparts à l'irrationnel, à l'obscurantisme, aux dérives sectaires.

C'est pourquoi, la mission que le Premier ministre, Lionel Jospin, nous a confiée, à Jean-Yves Le Déaut et à moi-même, me semble opportune et intéressante. Elle devra apporter des réponses, d'ici deux mois, sur les métiers de la recherche, leurs liens avec l'enseignement supérieur, la place des jeunes, le renouvellement sans précédent au cours des dix prochaines années et, enfin, l'organisation de la recherche et sa place dans notre société.

Une des retombées de la recherche, et non des moindres, est l'innovation et vous avez, Monsieur le ministre, souhaité répondre très vite à certaines attentes.

Après plusieurs colloques régionaux et un colloque national sur l'innovation, le Gouvernement nous propose un texte qui sera d'autant plus efficace qu'il est ciblé ; bien sûr, d'autres chantiers restent ouverts.

Tout d'abord, ce projet légalise des pratiques assez couramment utilisées pour donner à la recherche dans les établissements publics une suite logique dans le monde des entreprises ; permettre que cela se fasse en toute transparence est certainement le meilleur moyen de faire reconnaître les compétences des universités et des organismes. En deuxième lieu, le texte répond à des attentes nombreuses par ses dispositions relatives aux incubateurs. Enfin, il reconnaît aux lycées d'enseignement professionnel ou technologique la capacité de travailler en partenariat avec les PME-PMI.

L'objectif poursuivi est de doter notre pays d'une recherche privée digne de ce nom ; quoi qu'en pensent les libéraux, ce n'est pas en affaiblissant la recherche publique qu'on peut y parvenir, mais en la renforçant et en lui donnant les moyens d'avoir des débouchés économiques. Bien sûr, beaucoup reste à faire pour que les entreprises privées comprennent qu'il faut intégrer la recherche dans leur stratégie, mais ce texte est un bon début. Nous le soutiendrons donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Lasbordes - L'impulsion politique donnée par les Gouvernements entre 1955 et 1970 a abouti à un dispositif d'enseignement supérieur et de recherche publique unique au monde, avec de grands organismes nationaux de recherche comme le CNRS, l'INSERM ou le CEA. Ce modèle est devenu inadapté aux défis à relever, en dépit des qualités remarquables des chercheurs.

La loi du 15 juillet 1982, sur la recherche et celle du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, modifiées plusieurs fois depuis lors, n'ont pas mis fin aux pesanteurs. L'organisation des universités ne favorise pas l'élaboration de stratégies ambitieuses, certaines d'entre elles devant gérer plus de 2 500 fonctionnaires et un budget annuel de près d'un milliard, en accueillant plus de 35 000 étudiants.

En fait, le système a changé d'échelle et d'environnement sans que nous réalisions les changements structurels et fonctionnels indispensables.

Notre pays possède plus de 250 établissements publics indépendants qui ont une responsabilité de recherche et reçoivent régulièrement des moyens de l'Etat. On dénombre plus de 47 500 professeurs ou maîtres de conférence dans les universités, qui ont tous une obligation de recherche, et plus de 35 000 chercheurs ou ingénieurs de recherche dans les organismes nationaux ; mais certains établissements, comme le CNRS, comptent plus de 11 000 chercheurs, alors que les plus petits en ont moins de 25. L'imbrication des compétences est extrême, et la lourdeur de gestion fortement pénalisante.

Le monde politique doit être porteur d'une nouvelle ambition. Il faut un diagnostic précis, une méthode, une pédagogie et une volonté -notamment en matière d'emploi.

Un diagnostic avait été fait par le gouvernement d'Alain Juppé sous la responsabilité de François d'Aubert. Il avait abouti à l'élaboration d'un projet de loi, examiné par le Conseil d'Etat et le Conseil supérieur de la fonction publique. C'est, pour une très large part, celui qui nous est présenté ce soir, malheureusement deux années plus tard.

Y figurent quelques dispositions pour que le développement de notre potentiel d'innovation ne reste pas un voeu pieux. S'agissant de la mobilité des personnels vers les entreprises, il y avait fort à faire, puisqu'en 1997, moins de 30 chercheurs ou universitaires ont utilisé les possibilités qui leur étaient ouvertes. Le nouveau dispositif placera nos chercheurs dans des conditions comparables à celles offertes par les autres grands pays scientifiques en leur donnant la possibilité de valoriser le fruit de leur travail.

Je défendrai un amendement permettant au chercheur de poursuivre des activités de recherche pendant sa mission dans l'entreprise sans lien avec celle-ci afin qu'il puisse réintégrer son organisme d'origine sans dommages.

On peut considérer que le projet qui reprend presque mot pour mot celui de 1997 offre les meilleures solutions possibles compte tenu des contraintes inhérentes au statut de la fonction publique. Toutefois, il nous appartient également d'explorer d'autres pistes, telles que l'adaptation de la formation doctorale aux besoins de la société et de l'économie ou l'amélioration de la répartition des moyens financiers au sein des organismes.

Nous craignons que ce projet révèle l'absence d'une vision globale de notre appareil de recherche. Par ailleurs, nous souhaiterions obtenir des précisions sur le contenu des huit décrets d'application prévus... Nous voudrions également des engagements fermes en matière de propriété intellectuelle et de dispositions fiscales, sujets qui sont ignorés par ce texte.

Je veux croire que les débats qui vont suivre nous donneront l'occasion d'avancer... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Christian Cuvilliez - Mon collègue Patrick Leroy a achevé son propos en disant que l'objectif de la recherche scientifique devait être d'améliorer la situation de l'homme et de relever les défis de l'avenir. Dans cet esprit, nous devons nous demander si ce projet répond aux perspectives démographiques du siècle prochain, aux enjeux du développement durable ou de santé, à la nécessité d'une recherche fondamentale désintéressée.

Le dispositif existant a longtemps rempli sa fonction à la satisfaction générale, mais les temps ont changé ; il faut lutter contre les pesanteurs et favoriser la diffusion des résultats de la recherche.

Qui ne pourrait souscrire à un projet qui, en même temps qu'il vise à améliorer le passage de la recherche à ses applications concrètes, tend à développer l'emploi et la formation ? Pas nous.

Nous sommes à peu près d'accord sur les conditions dans lesquelles seraient mis à la disposition des entreprises des chercheurs sous statut. Nous approuvons l'ouverture d'un champ d'emplois nouveau aux doctorants et postdoctorants dans les entreprises créées, mais leur statut doit être bien assuré, pour leur éviter des salaires de misère et des contrats à durée déterminée. Nous défendrons des amendements dans ce sens, et aussi pour que les projets donnant lieu à mise à disposition soient contrôlés et évalués avant d'être acceptés.

S'agissant des moyens et des méthodes, la communauté scientifique, Monsieur le ministre, vous reproche de vous comporter comme un pilote, certes avisé, mais qui ne demande pas aux passagers leur avis sur l'itinéraire et la destination.

M. le Ministre - Les pilotes d'avion ne le demandent pas non plus !

M. Christian Cuvilliez - Heureusement, et mon image est sans doute mal choisie. Mais elle exprime l'impatience de chercheurs qui souhaitent savoir dans quelles conditions et sur quoi ils vont travailler.

Le comité interministériel tenu deux jours avant notre discussion nous fait connaître vos priorités : sciences du vivant, avec le renforcement bienvenu du géno-pôle d'Evry, communication, santé. Ce choix est considéré comme imposé.

Enfin, les dispositifs d'incitation et d'aides collectives à la création d'entreprise méritent examen et contrôle. Nous ne souhaitons pas entrer dans l'espace mouvant de la fiscalité. Nous avons refusé, et vous en êtes d'accord, que les stock-options figurent dans la loi.

Nous proposerons des mesures tendant à rendre plus lisible et mieux contrôlé le crédit d'impôt recherche. Sur les fonds communs de placement et sur les bons de souscription sur les parts de création, nous sommes plus réservés et plus exigeants, car les logiques de l'actionnariat ne sont pas celles de la recherche.

Nous sommes prêts à vous accompagner, en particulier pour tout ce qui concerne la formation et l'emploi. Pour tout ce qui ressemble à un cheval de Troie fiscal, nous serons à la traîne (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Germain Gengenwin - Nous avons conscience de participer à un débat d'avenir.

Il n'est pas logique qu'un gouvernement soi-disant désireux de favoriser la création d'entreprises s'oppose à toutes les propositions tendant à améliorer l'environnement juridique et fiscal de ces entreprises, dont vous dites que 500 pourraient naître d'ici à octobre. C'est pourtant le coeur du problème.

Le projet initial ne comportait qu'une seule mesure fiscale en faveur des bons de créateurs d'entreprises, ce qui était insuffisant. C'est pourquoi le véritable volet fiscal introduit par le Sénat nous satisfait pleinement, c'est pourquoi aussi nous regrettons que la commission et le rapporteur l'aient écarté, et nous n'accepterons pas cette nouvelle version.

Le groupe UDF est attaché à trois points en particulier, le premier étant les bons de créateurs d'entreprises. Introduit par l'article 71 de la loi de finances pour 1998, ce dispositif convient parfaitement aux petites entreprises, mais ses modalités d'application sont telles qu'elles sont très peu nombreuses à en profiter.

Vous corrigez ce défaut en proposant à l'article 3 de réduire de 75 % à 25 % la part du capital de l'entreprise qui doit être détenue par des personnes physiques pour que cette entreprise puisse émettre des bons.

Le Sénat a ouvert le dispositif aux entreprises cotées au nouveau marché, soit environ 80 entreprises supplémentaires. La commission l'a accepté. Je propose de l'étendre aux entreprises cotées au second marché et aux sociétés étrangères créant des filiales en France.

Le dispositif, créé à titre transitoire jusqu'au 31 décembre prochain, a été prolongé de deux ans par le Sénat. Nous souhaitons le pérenniser, car les entreprises ont besoin d'un environnement stable.

Un second point important à nos yeux touche au capital d'amorçage. Il existe des personnes physiques prêtes à investir dans les sociétés innovantes, alors que celles-ci n'ont pas encore accès au capital risque. Mais le rôle primordial de ces "investisseurs providentiels" n'est pas reconnu, et les investisseurs français souffrent d'une distorsion de traitement au regard de l'ISF par rapport aux non-résidents et aux étrangers. C'est pourquoi nous proposons de différer le paiement de l'ISF au moment où l'investissement réalise vraiment sa plus-value, lorsqu'il cède sa participation. Monsieur le rapporteur, sachez que le nombre de sociétés expatriées s'élevait à 233 277 en 1997, contre 131 100 en 1990. Il est inadmissible d'accorder ainsi un quasi-monopole aux étrangers et aux non-résidents pour investir dans des sociétés innovantes françaises.

Notre troisième point est juridique. La société anonyme classique n'est pas la formule qui convient aux sociétés innovantes. La société par actions simplifiées est beaucoup mieux adaptée, mais cette formule est actuellement réservée aux grandes sociétés. Nous proposons de l'ouvrir aux jeunes entreprises à risque mais à fort potentiel de croissance. M. Strauss-Kahn s'est déclaré d'accord au colloque de l'AFIC. L'accueil réservé à nos propositions sur ces trois points importants déterminera notre vote final (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Michel Destot - l'innovation est le moteur du développement scientifique et technologique, comme d'ailleurs du progrès culturel et social. Pour l'avoir compris trop tard, la France et l'Europe ont pris du retard pour ce qui est des transferts de technologie, entre la recherche et l'industrie ou les services. En Rhône-Alpes par exemple, bien que 500 sociétés, 20 000 chercheurs répartis entre plus de cent laboratoires et 18 000 étudiants travaillent dans le secteur des sciences du vivant, seulement une poignée d'entreprises issues de la recherche ont vu le jour, au cours de ces cinq dernières années, contre 1 200 aux Etats-Unis et 200 en Angleterre. Dans le même temps, aux Etats-Unis, près de 80 % des créations d'emplois sont dues à l'innovation et aux transferts de technologies.

Pour redresser la situation, il fallait une volonté politique forte, un projet ambitieux. Le Gouvernement s'y est employé. Déjà, les assises de l'innovation, conclues par le Premier ministre le 12 mai 1998, ont permis de mettre en application 85 % des préconisations du rapport Guillaume : organisation de réseaux de recherche technologique, création d'incubateurs et de fonds d'amorçage, lancement d'un concours pour la création d'entreprises innovantes, développement du capital-risque, reconduction et renforcement du crédit d'impôt recherche. Les résultats ne se sont pas fait attendre et, à l'intention de M. Dubernard, je rappellerai ici les chiffres livrés le 27 mai dernier par l'association française des investisseurs en capital : les fonds levés au titre du capital-risque ont quadruplé en 1998, pour atteindre 17 milliards. Aujourd'hui donc, le problème n'est plus, ou plus seulement, financier ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Il faut donc mener l'effort plus loin. C'est l'objet de ce projet, premier texte d'importance depuis les lois de 1982 et de 1984, et qui vise à développer les partenariats entre la recherche publique et l'industrie, grâce à un nouveau cadre juridique et à un statut du chercheur plus souple et plus clair. Ce projet permettra également de créer des réseaux de recherche technologique dans des secteurs clés, avec la collaboration du public et du privé.

Ces dispositions sont essentielles pour des technopoles qui, à l'exemple de Grenoble, ont assis leur développement sur le triptyque magique : université-recherche-industrie. Nous allons pouvoir amplifier et pérenniser les initiatives que nous avons multipliées depuis plus d'un an : je pense à EMERTEC, fonds d'amorçage du CEA, de la Caisse des dépôts et d'établissements financiers privés ; au projet d'incubateur commun aux universités et aux organismes de recherche ; aux choix du LETI et du CEA-Grenoble comme tête de réseau national pour les nanotechnologies et l'énergie...

Cependant, si je me réjouis de ces avancées, il conviendrait que nous puissions mieux anticiper les besoins nouveaux en matière de technologie de la communication et d'accès à l'information, mais aussi de développement durable, de renforcement de la citoyenneté, de lutte contre les exclusions et de formation initiale et continue. Dans tous ces domaines, le champ ouvert à l'innovation est immense. En associant plus en amont à ce travail les chercheurs en sciences sociales et humaines, nous inverserons cette tendance bien française à faire prévaloir la logique de l'offre sur la logique de la demande, donc sur le marché et l'emploi.

Pour améliorer le soutien aux PMI et aux filières émergentes, créatrices d'emplois, je suggère qu'on envisage d'instaurer, dès la prochaine loi de finances, un crédit d'impôt-innovation.

Gardons-nous, enfin de la tentation jacobine : c'est du terrain, des bassins d'emploi que doivent venir les initiatives et il convient donc d'encourager le travail en réseau des grandes villes et des agglomérations, avec des méthodes de type "bottom-up" inspirées des programmes Eurêka. C'est d'ailleurs ce que nous faisons déjà en Rhône-Alpes, avec la création de deux agences de développement, l'une pour le numérique, l'autre pour les biotechnologies.

Mais cela passe aussi par une nouvelle conception de la politique européenne : il n'est plus acceptable que des régions de haute technologie soient systématiquement écartées du bénéfice des fonds structurels. C'est une aberration économique et sociale.

M. Germain Gengenwin - Eh voilà !

M. Michel Destot - Enfin, ce projet gagnerait en crédibilité s'il était complété par un rapport d'évaluation sur les aides de l'Etat aux différents secteurs industriels. Nous pourrions ainsi parvenir à un juste équilibre entre le soutien aux secteurs en reconversion et le soutien aux filières d'avenir, les plus créatrices d'emplois.

Le dispositif d'aide à l'innovation devra d'ailleurs lui aussi faire l'objet d'une évaluation et de comparaisons avec ce qui se pratique aux Etats-Unis et en Europe, afin de faciliter les adaptations nécessaires.

En vous attaquant aux vrais problèmes, Monsieur le ministre, vous avez élaboré un projet d'avenir, bon pour la France, pour l'Europe et pour l'emploi. Nous le soutiendrons donc sans réserves (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Loos - Ce projet va globalement dans le bon sens. Depuis de nombreuses années, on souhaitait faciliter la création d'entreprises par les chercheurs, afin que l'innovation se traduise davantage par des créations d'emplois. Or, jusqu'ici, nous n'étions pas parvenus à réaliser les espérances que pouvait légitimement nous ouvrir la qualité de notre recherche publique. Selon l'association des fonds d'investissement en capital-risque, l'investissement de "venture capital" n'était chez nous que de 2 milliards en 1998, contre 90 milliards aux Etats-Unis : ce rapport de 2 % est sans commune mesure avec le rapport entre les poids économiques respectifs qui est de 16 %.

Il y a trois ans, un premier progrès a eu lieu, grâce à l'ouverture du nouveau marché à Paris : de nombreux spécialistes des entreprises émergentes de technologie ont pu investir dans des projets français.

Restait toutefois à lever les obstacles culturels et administratifs, nombreux : c'est à quoi tend ce projet.

Les chercheurs publics pourront désormais participer à la création et à la gestion d'entreprises. "Gagner de l'argent n'est pas honteux, c'est servir son pays", avez-vous dit, Monsieur le ministre, aux assises de l'innovation...

M. Christian Cuvilliez - C'est du Guizot !

M. François Loos - Le propos peut inspirer tous ceux qui iront frapper aux portes des "incubateurs", des "fermenteurs" ou des banques, pour créer une entreprise.

Il est toutefois regrettable que ce projet ne comporte plus de volet fiscal -même si vous avez annoncé que la lacune serait comblée ultérieurement. En effet, de nombreux Français préfèrent aujourd'hui investir aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Belgique. J'aimerais d'ailleurs savoir combien Bercy a délivré de récépissés et à combien se monte cette évasion fiscale !

Si l'on excluait de l'assiette de l'ISF les sommes investies dans la création d'entreprises technologiques, ce serait un grand progrès. Il faudrait y ajouter une déduction des pertes éventuelles subies au cours des cinq premières années de l'entreprise. L'Etat s'y retrouverait très largement car ce qu'il risque de perdre, il le gagnerait par les taxes et les charges sociales.

Mme Nicole Bricq - On peut préférer d'autres méthodes !

M. François Loos - Vous qui êtes pragmatique et décidé à résoudre les problèmes, Monsieur le ministre, vous devez nous donner ce volet fiscal !

S'agissant de l'incubation, si cette méthode apporte indiscutablement une aide à ceux qui veulent créer des entreprises, beaucoup de celles-ci se sont créées sans cela parce que certains patrons savaient créer des associations ou imaginer des aménagements. Mais il est vrai que d'autres sont restés bloqués dans leur organisme, ou ont dû le quitter voire s'expatrier pour réussir. Et ceux qui ont réussi ont d'abord dû choisir clairement leur voie. Mais tel est le lot de chaque créateur d'entreprise et celui qui n'est pas chercheur n'a même pas le bénéfice d'un traitement de la fonction publique. La première exigence est donc celle du talent. L'existence d'un guichet pour la création d'entreprise ne suffit pas à donner la rage de réussir.

Les connaissances disponibles sur les matériaux ou en biologie, donnent énormément d'idées pour la création d'objets ou de services nouveaux. Les spécialistes du capital-risque connaissent les produits qui sont sur le point d'être lancés. Il y a un deal flow mondial, associant dans chaque projet un chercheur passionné, un financier habile, un gestionnaire rigoureux et une certaine "vision de l'avenir d'un domaine" -sans exclure la chance !

Ceux qui entrevoient ces produits les lancent avec leurs propres fonds. La vraie question est de savoir s'il y a en France des chercheurs qui détiennent un savoir "clé" pour de tels sujets.

Dans ma circonscription, il y a eu des cas de peste porcine et la vérification des diagnostics exigeait huit jours.

On devait donc tuer tous les sangliers, suspectés d'être porteurs de la maladie, sans pouvoir les consommer ! Les chasseurs n'étaient pas contents. Mais quand j'ai suggéré un système d'analyse différent, fondé sur la méthode PCR plutôt que sur la méthode Elisa, tout le monde resta coi...

Monsieur le ministre, intéressez donc vos chercheurs, vos enseignants, les élèves -et aussi les banquiers- à ce qui se passe dans les sciences, montrez-leur sur quels gisements de savoir nous sommes assis sans rien faire... et les gens qui ont faim et soif d'argent ou de pouvoir créeront des entreprises !

Nous avons un vrai retard, qui sera bientôt une vraie dépendance technologique si votre projet ne produit pas ses effets (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Nicole Bricq - Ce projet vient à son heure, car les entreprises à haute technologie, créatrices d'emplois et de richesses, manifestent depuis deux ans un réel dynamisme, grâce à un environnement financier et fiscal favorable. Jamais gouvernement n'aura fait tant d'efforts pour la recherche en si peu de temps. La loi de finances pour 1998 permet l'attribution de BSPCE aux dirigeants et aux salariés de ces entreprises, ainsi que le report d'imposition des plus-values réinvesties dedans et le maintien de l'exonération des contrats d'assurance vie majoritairement composés de tels placements -contrats qu'il conviendrait d'ailleurs de proroger au-delà du 30 juin. Quant à la loi de finances pour 1999, elle assouplit le régime de déduction des pertes en capital et reconduit pour cinq ans le crédit d'impôt recherche.

Le Sénat a voulu profiter de l'examen du présent projet pour proposer de modifier le régime des BSPCE et du crédit d'impôt recherche. Le ministre a fait des ouvertures appréciables, et l'on ne saurait prétendre que le texte ne comporte aucune mesure fiscale : il élargit les BSPCE aux entreprises du "nouveau marché" et abaisse de 75 % à 25 % la part du capital réservée aux personnes physiques. Ce n'est pas la peine, me semble-t-il, d'en rajouter, encore moins d'introduire une mesure sur les stock-options, ou plutôt sur les "bons de croissance", que le Sénat a malicieusement suggérée. C'est une question qui doit être traitée dans son ensemble, et donc dans la loi de finances, de façon à garantir la transparence du dispositif et son extension au plus grand nombre de salariés possible, tout en remédiant aux lacunes du dispositif, actuellement réservé aux entreprises de moins de 15 salariés et peu attractif pour les cadres supérieurs de nationalité étrangère.

La commission a en revanche adopté, à mon initiative et à celle de plusieurs de mes collègues, un amendement ouvrant le régime des sociétés par actions simplifiées aux jeunes entreprises innovantes. je crois qu'il s'agit d'un pas décisif, notamment pour les dirigeants qui privilégient le développement de leur entreprise par rapport au contrôle de son capital.

Nous sommes en présence d'un texte cohérent, qui favorisera la régénération du tissu industriel et contribuera à réaliser cette Europe de l'intelligence et de l'innovation que nous appelons tous de nos voeux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Je remercie les rapporteurs et l'ensemble des orateurs pour ce débat riche, à la fois serein quant à la forme, passionné quant au fond et passionnant pour moi. Deux d'entre vous ont cru devoir l'élargir à l'organisation de la recherche en général, et à la concertation en particulier.

Le projet lui-même a fait l'objet de toutes les concertations possibles : avec les instances statutaires, mais aussi avec les syndicats. En revanche, les priorités de la recherche, elles, sont discutées exclusivement avec le Conseil national de la science, les directeurs d'organisme et les chercheurs de haut niveau, car associer les syndicats à leur définition serait entretenir cette tendance à l'"auto-reproduction" dont souffre la science française, et qui explique, par exemple, que le CNRS ne comporte pas de direction des sciences de l'information et de la communication.

La recherche, par définition, est originale et dérangeante. Les novateurs sont forcément minoritaires, sans quoi ils ne seraient pas novateurs. Si l'on recherche le consensus, on ne crée pas. Les grandes entreprises ne sont pas novatrices, car il faut passer par une demi-douzaine de comités et convaincre tout un tas de gens : ce n'est pas un hasard si le micro-ordinateur n'a pas été inventé par IBM et si c'est Steve Jobs, au fond de son garage de Stanford, qui a mis au point la souris ! Si le pilote d'un avion consultait les passagers, soit il se "planterait", soit il referait toujours le même trajet ! C'est donc la compétence qui doit primer si l'on veut, et telle est bien mon ambition, faire de la science française l'une des meilleures du monde. Pour cela, il faut rompre avec un certain nombre de pratiques...

MM. François Loos et Jean-François Mattei - Nous sommes d'accord !

M. le Ministre - La représentante des Verts a eu tort de déplorer l'insuffisance de l'effort fait en faveur de l'écologie scientifique : le CIRS qui s'est réuni avant-hier a adopté un programme sur la ville, un autre sur l'eau, un autre sur les OGM !

J'en viens à la question très importante de la formation et des "thésards". Nous en avons 10 000 en France, et j'en sais quelque chose, car c'est moi qui en ai augmenté le nombre quand j'étais conseiller spécial de Lionel Jospin. Notre objectif n'est pas que tous deviennent chercheurs, mais qu'une part importante entrent dans les entreprises, où la formation par la recherche est de plus en plus appréciée.

Pour autant, je précise que l'Etat recrute maintenant 3 500 thésards par an, contre à peine un millier sous le précédent gouvernement.

Certains d'entre vous ont insisté sur la nécessité de former les étudiants des DEA à la vie d'entreprise. Mais une circulaire rend déjà obligatoire, dans tous les DEA, l'organisation de cours sur la constitution d'une entreprise et le capital-risque. En outre, un stage en entreprise va être exigé, au titre des efforts d'harmonisation européenne.

A propos de la mobilité du personnel, je suis d'accord avec MM. Mattei et Dubernard pour estimer qu'un chercheur qui cesse de travailler dans l'entreprise et réintègre le service public doit pouvoir conserver sa part dans le capital.

Par ailleurs, quand un fonctionnaire est détaché, qu'advient-il de sa carrière ? Comment faut-il calculer son ancienneté ? Nous devrons un jour régler ce problème, qui concerne aussi les chercheurs travaillant à l'étranger ou devenus députés !

Quant aux remplacements, attendons de voir combien d'entreprises vont se créer. La solution dépend du nombre de personnes concernées. Cela dit, vous avez raison d'affirmer qu'on ne peut laisser s'affaiblir un laboratoire parce que ses chercheurs ont particulièrement l'esprit d'entreprise.

On a parlé des stock-options, y compris les gaullistes. Je préférerais pour ma part qu'on dise "options de prise de participation"...

M. Patrick Leroy - C'est tout aussi mauvais.

M. le Ministre - Les stock-options ne sont pas critiquables dans leur principe. Il s'agit d'un salaire différé, ce qui est utile pour attirer des ingénieurs dans une entreprise qui vient de se créer. Ce sont les modalités de leur attribution qui sont aujourd'hui condamnables.

A propos des stock-options, j'ai été surpris d'entendre M. Arthuis, au Sénat, me réclamer ce qu'il avait lui-même supprimé !

Il y avait bien un volet sur les stock-options, auxquelles je suis favorable, dans le projet initial. Mais le ministère des finances s'est aperçu qu'il n'était pas possible, techniquement, de créer pour les entreprises innovantes un régime particulier. Or je n'ai pas vocation à légiférer pour l'ensemble des entreprises : le bâtiment, l'industrie lourde ne sont pas de mon ressort ! (Interruptions sur les bancs du groupe UDF)

C'est donc moi, et non le groupe communiste, qui ai demandé la suppression du volet sur les stock-options, ne voulant pas que l'examen de ce projet important soit pollué par un débat fiscal. Celui-ci aura lieu en temps voulu, le Premier ministre ayant demandé à mon ami Dominique Strauss-Kahn de se pencher sur la question.

D'ailleurs, le sujet est délicat, et je ne suis pas sûr que l'opposition trouve sur ce sujet une position unanime, compte tenu des divergences entre gaullistes et libéraux (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Personnellement, je suis partisan de détaxes extraordinaires en faveur des entreprises innovantes..

M. Jean-Michel Dubernard - Faites-le !

M. le Ministre - ...mais il n'est pas facile de définir précisément ce que sont ces sociétés.

Nous améliorons considérablement le dispositif des BSPCE. En outre, le ministère des finances a consenti de gros efforts pour lancer le capital-risque.

Contrairement à ce qu'a déclaré un orateur, ce n'est pas l'argent qui manque pour créer des entreprises. Le frein est en grande partie administratif. D'ailleurs, Mme Lebranchu est en train de simplifier les procédures. Il nous faut aussi encourager les jeunes à créer leur entreprise.

Faut-il parler d'incubateurs ou de pépinières ? Le premier terme renvoie au règne animal, le second au règne végétal. Vous avez intégré la dualité du vivant... (Sourires)  

Qu'il s'agisse des incubateurs ou du capital-risque, l'Etat ne doit jouer, selon nous, qu'un rôle d'impulsion. Il n'est pas question de faire durablement du capital-risque d'Etat. Notre philosophie n'est en rien colbertiste. C'est en premier lieu aux régions qu'il appartiendra de se mobiliser.

J'en viens aux brevets. Le mode de communication qui existe entre le Gouvernement et l'Assemblée fait que vous n'êtes pas forcément au fait de tout ce qui se passe. Or nous menons en ce moment une importante bataille, au niveau européen, sur les brevets et le "délai de grâce".

En Europe, dès lors que vous avez publié un résultat, vous ne pouvez plus le breveter. Comme le dépôt de brevet coûte cher, beaucoup de chercheurs préfèrent publier, perdant ainsi le fruit de leurs recherches. Aux Etats-Unis, en revanche, publier signifie prendre date : le chercheur a trois mois pour déposer un brevet, ce qu'il fait si des industriels se manifestent.

Dans le domaine du génome, la recherche française se fait piller, car les séquences sont publiées.

Le prix des brevets est un problème que je n'hésite pas à qualifier de politique. Pendant longtemps, en Europe, on a considéré qu'ils devaient être pris par des industriels : le prix élevé du dépôt obligeait le chercheur à se lier d'entrée de jeu avec un industriel. Il faut maintenant abaisser ce prix. L'Allemagne est à nos côtés, mais c'est une négociation difficile.

Plusieurs orateurs, dont ceux du groupe communiste, ont insisté sur le contrôle. S'il n'est pas question de créer une nouvelle agence, nous allons étendre et renforcer les pouvoirs de l'ANVAR.

Je suis favorable à la publication d'un rapport triennal d'évaluation. C'est une bonne idée, car la situation va nécessairement évoluer.

J'approuve aussi votre souci de soumettre au conseil d'administration des établissements publics les créations de filiales ou de groupements.

Dernier point, les décrets d'application. Vous avez raison de vous en soucier et je m'en soucie aussi, mes collaborateurs en savent quelque chose !

Le coeur du projet de loi, c'est-à-dire la possibilité pour les chercheurs de créer une entreprise ou de participer à son développement, sera d'application immédiate.

Les textes concernant les structures seront élaborés entre juin et octobre, car il faut passer par le Conseil d'Etat etc...

Les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs pourront être applicables pour les recrutements de l'an 2000.

Donc je crois que tout pourra être bouclé d'ici à la fin de cette année.

Je répète que j'aborde cette discussion avec un esprit d'ouverture, dans le cadre qui a été fixé. Le débat fiscal sur les stock-options ne sera pas esquivé, il sera mené par le ministre de l'économie dans la loi de finances.

On sent actuellement un frémissement dans la création d'entreprises. J'ai été le premier surpris par le nombre de participants au concours, je ne m'attendais pas à recevoir autant de projets. Ce Gouvernement ne laissera pas passer une occasion d'encourager les créations d'entreprises et s'il faut modifier la législation pour cela, on le fera !

Je n'ai pas du tout l'intention d'affaiblir la recherche fondamentale, c'est plus que jamais le coeur de la recherche. A quoi sert la recherche sur le génome ? D'abord à comprendre le vivant et accessoirement à fabriquer des médicaments, des OGM etc. On ne comprend toujours pas le vivant : on connait les 94 types de cellules d'un nématode et l'intégralité de son génome et pourtant on n'a pas encore réussi à fabriquer un ver qui est pourtant un organisme élémentaire !

M. Jean-François Mattei - C'est de la métaphysique !

M. le Ministre - Non, c'est de la physique expérimentale ! Mais on n'a pas encore tout compris.

Sur le problème fondamental des OGM et de leur impact sur l'environnement, nous avons décidé de faire une recherche. Je l'ai déjà dit, nourrir des herbivores avec des produits animaux, c'est-à-dire les transformer en carnivores alors que leur système immunitaire n'est pas aussi développé, c'est une manipulation invraisemblable !

Cette loi va conforter la recherche publique. En dépit des réactions de quelques-uns, la grande majorité des chercheurs attend cette loi. Ils ne veulent plus être spoliés de leurs découvertes.

Sur tous ces sujets, nous devrions donc tous nous retrouver. Je m'efforcerai en tout cas d'y parvenir lors de la discussion des amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.


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CONVOCATION D'UNE CMP

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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