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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 111ème jour de séance, 283ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 22 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    EMPLOIS JEUNES 1

    ÉQUIPEMENT UNIVERSITAIRE DE PARIS 2

    FRET FERROVIAIRE 2

    AMÉNAGEMENT DE LA DURÉE DU TRAVAIL 3

    DÉPENDANCE 4

    MONITEURS-ANIMATEURS 5

    POLITIQUE DE L'IMMIGRATION 5

    OLÉOPROTÉAGINEUX 6

    ÉLIGIBILITÉ À LA PAT ET AUX FONDS STRUCTURELS 6

    INCULPATION DE 13 JUIFS EN IRAN 7

    ÉNERGIES RENOUVELABLES 7

    TRANSPORTS FERROVIAIRES 8

    RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES 9

ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE 9

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ 18

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

EMPLOIS JEUNES

M. Jean Pontier -  Permettez-moi, Monsieur le ministre de l'éducation nationale, d'introduire ma question par une histoire vraie ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR). C'est celle d'un emploi jeune recruté par l'Éducation nationale dans la Drôme -mais sans doute trouverait-on ailleurs de semblables cas- qui exerce ses talents depuis janvier 1998. Ce jeune homme de vingt-sept ans, marié, avec un enfant à charge, perçoit un salaire net mensuel de 5 624 F. Il intervient dans huit établissements -regroupement scolaire oblige- tantôt dans les nouvelles technologies, tantôt en arts graphiques. Certains de ces établissements sont distants de 30 kilomètres. Le jeune homme fait en moyenne 60 kilomètres par jour, et ne perçoit rien pour ses frais de déplacement. Qu'est-il envisagé pour qu'une situation si peu équitable trouve, dans un premier temps, une solution à la rentrée prochaine, et pour que, dans un second temps, l'on prenne en compte tout ou partie des frais de déplacement, qui sont pénalisants pour des budgets familiaux aussi modestes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Le problème de l'indemnisation des frais de déplacement des emplois jeunes en milieu rural n'est en effet pas résolu. Cela tient à des raisons juridiques : comme il s'agit d'emplois de droit privé, on ne peut leur appliquer la formule habituelle pour les fonctionnaires. Ce point sera traité lors d'une table ronde qui se tiendra le 30 juin, avec tous les partenaires concernés. Mais il y a dans le cas particulier que vous évoquez quelque chose d'anormal, car en principe un emploi-jeune en milieu rural ne peut intervenir que dans trois établissements. Je vais donc regarder de près ce cas, et je vous suggère de prendre contact avec le recteur de Grenoble, à qui je m'adresserai de mon côté. Et vous avez raison : il est anormal que les emplois jeunes, qui n'ont pas des salaires extraordinaires, prennent les frais de déplacement à leur charge (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

ÉQUIPEMENT UNIVERSITAIRE DE PARIS

M. Georges Sarre - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, lors d'un colloque à la Sorbonne en décembre 1998, vous avez présenté les grandes orientations du plan "Universités du troisième millénaire", dit U3M. Le plan "Universités 2000" a été une grande affaire ; malgré cela Paris a pris du retard. Pouvez-vous nous informer sur l'avancement du plan U3M, et notamment sur le montant des financements et le calendrier concernant Paris ? Pouvez-vous préciser les choix retenus quant au plan de réhabilitation des locaux universitaires existants, et à la localisation des nouveaux pôles universitaires parisiens ? Je pense aux sites mentionnés dans le rapport "U3M Ile-de-France", à savoir La Villette, Paris rive gauche, Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux. Quid de l'ensemble que constituent la Sorbonne et les établissements de la Montagne Sainte-Geneviève ? La concurrence entre universités est très forte, au plan européen, mais aussi international. Le risque d'un affaiblissement du potentiel universitaire et scientifique de Paris est réel. Au-delà des nécessaires rattrapages, quelles sont les orientations du Gouvernement pour conforter la place de Paris parmi les grandes universités internationales ? Comment pensez-vous introduire la cohérence nécessaire entre cet objectif et les différentes demandes des universités ? Enfin, il faut agir en faveur de l'accueil des étudiants et enseignants étrangers. Comment comptez-vous développer les capacités d'accueil actuelles ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Le plan Universités 2000, qu'a mis en place Lionel Jospin, a permis de rattraper les grands retards de l'aménagement universitaire français ; mais dans ce plan Paris a été oublié. C'est pourquoi dans le plan U3M la volonté du Gouvernement est de donner à Paris -mais également à la province- les moyens de faire face à la compétition internationale dans l'enseignement supérieur et la recherche. Il est trop tôt pour vous fournir des résultats sur l'aménagement parisien, mais je peux vous indiquer quelques grandes lignes.

Tout d'abord, il est vrai que le Gouvernement entend rééquilibrer l'aménagement universitaire parisien, trop exclusivement concentré en un point. Il est vrai que des sites comme Tolbiac, La Villette, le XVIIIème arrondissement, Boulogne, font l'objet d'une étude attentive. En second lieu, il faut en effet rendre à la Sorbonne tout le lustre qu'elle doit avoir, en organisant au mieux les universités qui utilisent ce remarquable site. Par ailleurs, dans toutes les régions, le plan U3M devra consacrer aux étudiants le quart des investissements ; Paris est très en retard dans ce domaine. Nous aurons donc l'occasion d'en parler dans les semaines qui viennent ; vous comprendrez que je ne puisse annoncer des décisions qui font encore l'objet de discussions difficiles. Mais je tiens à vous le dire : Paris est une grande place intellectuelle mondiale, et nous entendons qu'elle le reste (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

FRET FERROVIAIRE

M. Gilbert Biessy - Monsieur le ministre des transports, les députés communistes ont toujours défendu les services publics et le développement de la SNCF. Les grèves de 1995 ont montré l'attachement des cheminots à cette perspective. L'eurogrève organisée l'an passé par plusieurs syndicats de différents Etats de l'Union européenne contre la démarche proposée par les instances communautaires a montré que la libéralisation n'était pas le bon choix. C'est pourtant la voie qu'a choisie la Commission européenne, qui a avancé des propositions de directives tendant à pousser plus avant le processus de déréglementation de l'actuelle directive 91-440. Nous nous réjouissons donc du résultat que vous avez obtenu la semaine dernière au Conseil des ministres européens des transports. Nous avions d'ailleurs voté la veille une résolution tendant à rejeter les trois projets de directives de la Commission. Vous avez réussi à mettre en échec le texte proposé par les Allemands, et le Conseil a décidé de remettre à plus tard la libéralisation du fret ferroviaire.

Toutefois, dans quatre ans, le problème se posera de nouveau. D'où mes questions. Quelles sont les perspectives de développement avec nos partenaires européens, et notamment les perspectives de développer des corridors de fret ? Vous avez proposé de créer un observatoire européen des transports. Quel sera son rôle ? Permettra-t-il de relever le défi auquel la SNCF est confrontée ? Vous avez, d'autre part, annoncé au nom du Gouvernement un investissement de 120 milliards sur les dix ans qui viennent. Permettra-t-il enfin de développer le fret ferroviaire comme il le mérite ? Il s'agit là, vous le savez, d'un enjeu essentiel pour notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous avez raison de faire référence à la résolution votée par l'Assemblée, avec les voix de la gauche plurielle, mais aussi du RPR et de l'UDF, la seule exception étant le groupe "Démocratie ultra-libérale" (Rires sur divers bancs ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). Ce consensus m'a aidé dans les discussions de la semaine dernière à Luxembourg.

Vos questions sont importantes et touchent à des enjeux de société. Au plan européen, tous les gouvernements sans exception -et cela reflète l'opinion des sociétés- sont favorables au développement du transport ferroviaire des marchandises. Certains souhaitent le faire en privilégiant la libéralisation, d'autres, comme nous, la coopération ; mais tous y sont favorables.

Je travaille à faire que nous puissions constituer un véritable réseau ferré du fret européen, pour transférer le plus possible l'augmentation future du transport de marchandises sur le rail plutôt que sur la route.

L'observatoire européen est une idée que j'ai avancée et qui a été reprise par la quasi-totalité des ministres des Quinze. De quoi s'agit-il ? Certains veulent la libéralisation : libre à eux. D'autres, comme nous, veulent développer le rail par la coopération, sans y introduire la concurrence. L'observatoire aura pour but de comparer, pendant les quatre ans qui viennent, les possibilités des différentes organisations proposées. Je suis confiant dans notre capacité à relever le défi.

Vous évoquez les 120 milliards d'investissements. Ils s'inscriront notamment dans les contrats de plan, car le Gouvernement propose d'en doubler le volet ferroviaire : son développement dépendra donc aussi des régions. Le but est de faire que nous considérions le trafic marchandises, non plus comme secondaire par rapport au trafic voyageurs, mais comme faisant partie de nos priorités de service public et d'intérêt général. Sur cette base, nous allons poursuivre les alliances ; la SNCF s'est engagée en ce sens avec des sociétés européennes. Et nous ferons en sorte de doubler, dans les dix ans qui viennent, le trafic marchandise sur le rail dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

AMÉNAGEMENT DE LA DURÉE DU TRAVAIL

M. Dominique Dord - "La loi ne peut pas décider tout pour chacun. Nous croyons à un Etat qui ne décide pas tout, mais qui fixe simplement le cap". Ainsi s'exprimait hier Martine Aubry, dans un accès de lucidité (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) dans un grand journal du soir que je ne trouve pas très libéral, Monsieur Chevènement, et encore moins ultra-libéral, Monsieur Gayssot !

Quel dommage, Monsieur le Premier ministre, que vous ne tiriez pas les conséquences de ce propos !

Au contraire, sur le second volet des 35 heures, vous vous apprêtez à entraîner le pays dans un maquis de dispositions nouvelles, là où il faudrait de la simplification. En voulant tout régenter depuis Paris, dans une démarche ultra socialiste, comme s'il existait une entreprise type, vous vous heurtez à la diversité de la réalité.

Sauf à y mettre un prix insensé, ce que vous n'avez pas hésité à faire pour EDF-GDF en versant 110 000 F par emploi, l'aménagement autoritaire du temps de travail ne crée pas d'emploi. Pire, il créera de l'injustice sociale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Plusieurs députés socialistes - La question !

M. Dominique Dord - Ne m'en veuillez pas d'exprimer ce que vous-mêmes pensez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Le délai d'un an supplémentaire jouera contre les salaires, qui n'augmenteront pas pendant cette période. Il jouera contre la création d'emplois et pour le développement du travail précaire à temps partiel, les entreprises refusant de charger leur sac à dos avant de passer sous votre toise.

Un député socialiste - La question !

M. Dominique Dord - S'agissant du SMIC, vous entrez dans une mécanique infernale. En effet, alors que Mme Aubry écrit que "majorer le SMIC de 11,4 % immédiatement n'est pas possible", vous garantissez un peu plus loin, Madame la ministre, à ceux qui le perçoivent, que leur salaire mensuel ne baissera pas. Quelle virtuosité !

En réalité, vous allez écraser toute la pyramide des salaires, au détriment de ceux qui sont juste au-dessus ou en dessous du SMIC (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le Premier ministre, ne nous dites pas que les salariés passés à 35 heures avec maintien de leur salaire en sont heureux à 80 %. A 32 heures et avec une légère augmentation, vous auriez pu obtenir 100 % !

Mais votre gouvernement a déjà mangé son chapeau sur la baisse des charges sociales. Combien de temps vous faudra-t-il pour renoncer enfin à l'aménagement autoritaire du temps de travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le débat sur la lutte contre le chômage mérite mieux qu'une caricature (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Une entreprise sur deux négocie aujourd'hui la durée du temps de travail.

Un député DL - Elles n'ont pas le choix !

Mme la Ministre - 73 000 emplois ont été ainsi créés, soit plus de la moitié de la baisse du chômage de l'an dernier. Cela mérite peut-être une autre analyse que la vôtre. La preuve est faite que, sous certaines conditions négociées sur le terrain, la réduction de la durée du travail crée des emplois. Je suis ravie que vous vous intéressiez enfin aux smicards et aux bas salaires (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Les salaires ont baissé quand vous étiez au pouvoir alors que cette année ils ont augmenté de 3 % en pouvoir d'achat, le meilleur score depuis vingt ans.

La réduction des charges sociales laissera une marge aux entreprises pour créer des emplois ou augmenter les bas salaires.

Que propose la droite pour lutter contre le chômage ? Rien (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous vous bornez à opposer un scepticisme permanent à tout ce qui se fait, y compris dans les entreprises ! Dans le fond, votre conception de la politique consiste à accompagner le marché. Pour nous, la politique sert à fixer un cap et des priorités ; pour nous, être moderne ce n'est pas être plus ou moins libéral, c'est régler les problèmes des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe RCV) et c'est ce que nous faisons.

DÉPENDANCE

M. Jean-Luc Préel - J'attends de Mme Aubry une réponse moins caricaturale !

Nous avons contracté envers nos anciens une dette de solidarité. Nous espérons qu'après le rapport Charpin vous prendrez prochainement les mesures propres à sauvegarder les retraites en préservant l'équilibre entre le public et le privé.

Autre problème, celui de la dépendance. Chacun souhaite rester à domicile. Mais l'hébergement en établissement peut devenir nécessaire. Vous venez de modifier la tarification. Cette réforme, sans moyens supplémentaires, d'une rare complexité, manquant d'ambition, est critiquée par la quasi totalité des responsables d'établissement. Que deviendront les nombreux lits autorisés et non financés, soit 600 pour la Vendée ? Le forfait longue durée sera-t-il diminué ? Treize tarifs sont prévus. Cette tarification compliquée lésera de nombreuses personnes âgées.

En réalité la dépendance sera payée par les intéressés et leurs familles. Est-ce normal ? Nous pensons que vous avez gâché une chance dans la prise en charge de la dépendance. Allez-vous reprendre les négociations ?

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - La complexité dont vous parlez n'est pas nouvelle. Nos réformes permettent d'y voir un peu plus clair (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). La durée des négociations avec les associations et le fait de savoir qui paie quoi le permettent. Les frais d'hébergement doivent être pris en charge par les personnes elles-mêmes. Ce qui concerne la dépendance relève de la PSD, c'est-à-dire des conseils généraux. La maladie est à la charge de la caisse d'assurance maladie. La médicalisation sera améliorée dans les établissements, grâce à des contrats précis. Qui propose autre chose ? 352 millions, que vous avez votés, permettront de financer 7 000 places en établissement et 2 000 places en hospitalisation à domicile. Chacun bénéficiera d'un suivi.

Après le rapport Charpin, les concertations sur les retraites commencent. Il n'y a pas d'urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

MONITEURS-ANIMATEURS

M. Jean-Jacques Weber - A la veille des vacances, des milliers de jeunes se préparent à passer une partie de l'été en colonie de vacances ou dans des centres de loisirs sans hébergement. Les moniteurs-animateurs se comptent par milliers, en quête d'expérience et d'argent de poche. La convention collective de l'animation socio-culturelle estime à 120 ou 150 francs leur indemnité journalière.

Or on s'apprêterait à tout subordonner à l'emprise du code du travail, puisque les prud'hommes viennent de considérer que les jeunes moniteurs ne doivent pas toucher une indemnité mais un salaire.

Cette distinction est catastrophique pour les centres de vacances et pour les communes. Va-t-on voir des colonies de vacances où l'encadrement ferait les 35 heures, où tout le monde serait fonctionnaire, où les animateurs cotiseraient pour leur retraite ? Qui supporterait ce surcoût ?

Les vacances commencent dans deux semaines. Comptez-vous régler ce problème avant la fin de la session ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Les associations pouvaient employer des jeunes et les indemniser sous prétexte qu'ils étaient volontaires et que leur activité représentait pour eux un apport éducatif. Mais les temps ont changé et beaucoup de ces jeunes en travaillant dans ces centres de vacances et de loisirs, trouvent un métier. Ils se sont donc tournés vers les prud'hommes pour faire appliquer le code du travail.

Les associations qui n'ont pas beaucoup de facilités financières, sont très inquiètes à l'idée de devoir rémunérer les jeunes comme salariés. N'ayez aucune inquiétude : le ministère de l'emploi et de la solidarité négocie avec elles ainsi qu'avec les syndicats, et les choses sont pour ainsi dire réglées : nous avons presque abouti à un statut de jeunes animateurs volontaires, encadrés par de véritables salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

POLITIQUE DE L'IMMIGRATION

M. Thierry Mariani - Monsieur le ministre de l'intérieur, nous aimerions vous croire quand vous affirmez maîtriser la politique de l'immigration (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Un peu de silence, mes chers collègues... Je ne comprends pas, vous êtes habitués ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Thierry Mariani - Ils sont habitués à ne pas résoudre les problèmes ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR, sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe DL)

Monsieur le ministre, interrogé la semaine dernière sur votre politique en faveur du retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d'origine, vous avez répondu que le dispositif de réinsertion n'avait pas bénéficié d'une publicité suffisante mais que deux conventions concernant 1 000 contrats avaient été signées avec le Sénégal et le Mali. Or, d'après la presse, seulement douze étrangers en ont bénéficié.

Il est donc clair que les 60 000 clandestins, recensés par vos services, qui ne sont pas régularisés en application de vos circulaires, n'entendent pas quitter le territoire national. Pourquoi, d'ailleurs, le feraient-ils puisque le Premier ministre et vous-même avez déclaré à plusieurs reprises qu'ils ne seraient pas expulsés ?

Comment expliquez-vous l'échec manifeste de la politique d'aide au retour menée par la gauche plurielle ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour régler la situation des immigrés en situation irrégulière, qui n'ont pas été le moins du monde impressionnés par votre invitation à quitter la France ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR, sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - La loi sur l'immigration s'applique : les textes d'application ont tous été pris. Les reconduites aux frontières s'effectuent...

M. Thierry Mariani - Au compte-gouttes !

M. le Ministre - ...normalement.

J'ai donné des directives pour qu'elles se fassent de la manière la plus efficace possible. Beaucoup d'immigrés en situation irrégulière retournent d'eux-mêmes dans leur pays (Rires sur de nombreux bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Chaque année, 100 millions d'étrangers arrivent en France... Au plus fort des lois Pasqua et Debré, on n'effectuait qu'un peu plus de 10 000 reconduites en un an. Hier, à la conférence des ministres de l'intérieur de la Méditerranée occidentale, il a été clairement établi qu'une politique favorisant la circulation avait pour contrepartie une application plus stricte des règles relatives au séjour.

Aux dernières élections européennes, l'immigration n'est arrivée qu'au quinzième rang des préoccupations des votants... La crise de l'extrême-droite, qui est passée en dessous de la barre des 10 %, montre que cette démagogie n'est plus de saison et que la politique du Gouvernement, qui a voulu soustraire l'immigration du débat politicien, est un succès pour les immigrés et pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

OLÉOPROTÉAGINEUX

M. Yves Fromion - La loi sur l'immigration paraît aussi efficace que celle sur les 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez déclaré vouloir obtenir l'interdiction des farines animales, auxquelles on ne peut substituer que des oléoprotéagineux. Or ceux-ci n'ont pas été bien traités par le sommet de Berlin : dans le département du Cher, premier producteur national, la perte de revenu par hectare est d'environ 1 100 F. Comment allez-vous sortir de cette contradiction ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Le Gouvernement français a demandé au Conseil des ministres de l'agriculture d'interdire l'utilisation de farines animales pour nourrir le bétail. La Commission doit faire des propositions d'ici à la fin de l'année ; si nous n'obtenons pas gain de cause, nous nous réservons le droit, à l'issue de la présidence finlandaise, de prendre cette décision au niveau national.

Il faudrait, en conséquence, éliminer les sous-produits d'abattoir -ce qui peut avoir pour effet de rejeter de la dioxine dans l'air... Il faudrait, surtout, trouver un substitut végétal. Dans ce domaine, l'Europe est sous-productrice ; les accords de Berlin, qui prévoient de réduire la surprime pour les oléoprotéagineux, posent donc problème.

C'est pourquoi nous avons demandé que soit inscrite dans ces accords une clause de rendez-vous, pour qu'au bout de deux ans la Commission tire les leçons de la situation et fasse des propositions.

En attendant, nous prenons des mesures au niveau national pour encourager ces productions (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

ÉLIGIBILITÉ À LA PAT ET AUX FONDS STRUCTURELS

M. Michel Hunault - Madame la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, la presse s'est fait l'écho des projets du Gouvernement concernant les territoires susceptibles de bénéficier de la prime d'aménagement du territoire et des fonds structurels européens. Beaucoup de ceux qui en étaient jusqu'à présent bénéficiaires seraient exclus.

Ce matin, dans le cadre des questions orales, vous avez bien voulu m'apporter des apaisements concernant ma circonscription (Murmures), mais j'aimerais que vous nous annonciez votre intention de reprendre la concertation, afin d'éviter d'exclure d'autres territoires (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

M. le Président - M. Hunault vient de confirmer l'intérêt de la procédure des questions orales.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - A Berlin, à la fin du mois de mars, les grandes lignes de l'Agenda 2000 ont été arrêtées. Depuis, nous avons travaillé avec la Commission et les éléments du règlement communautaire d'utilisation des fonds structurels ont été arrêtés les 30 et 31 mai.

Nous devons transmettre à la Commission une proposition de zonage à la mi-octobre. Une carte a été distribuée aux membres de la commission de la production ; elle ne fait qu'établir la liste des départements admissibles au vu des critères imposés par la Commission ; mais nous allons travailler au niveau des bassins d'emploi, en utilisant des critères complémentaires, quantitatifs ou qualitatifs. Le CIAT du 23 juillet précisera ces critères, qui permettront aux préfets de région d'animer une large concertation au niveau local.

Nous devons faire face à une réduction drastique de la population couverte, qui passe de 41,3 % à 31 %.

M. Patrick Ollier - Inacceptable !

Mme la Ministre - Je vous invite à faire valoir vos arguments en faveur de tel ou tel territoire au cours de la concertation. En septembre, j'établirai une carte à partir des contributions régionales ; j'ai d'ores et déjà promis de revenir devant la commission de la production : vous aurez donc une deuxième occasion de vous exprimer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

INCULPATION DE 13 JUIFS EN IRAN

M. Daniel Marcovitch - Monsieur le ministre des affaires étrangères, en Iran, treize juifs de nationalité iranienne ont été arrêtés et inculpés d'espionnage au profit d'Israël et des Etats-Unis, ce qui les rend passibles de la peine de mort.

Il s'agit de personnes modestes, âgées pour la plupart d'entre elles. Rabbins, enseignants ou responsables de cimetière, elles appartiennent à une communauté très ancienne, qui compte 25 000 personnes.

Cette affaire semble être orchestrée par les opposants à la politique d'ouverture du gouvernement iranien actuel.

En France, le CRIF et de nombreuses associations organisent aujourd'hui une manifestation devant l'ambassade d'Iran. Monsieur le ministre, je souhaite que vous indiquiez à la représentation nationale les démarches que vous avez entreprises pour éviter que toute une communauté soit victime de conflits internes au régime iranien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - J'ai été informé rapidement de ces arrestations, qui, selon les autorités iraniennes, en annonçaient d'autres, dans différentes communautés.

Nous avons pris contact, directement, avec la communauté juive iranienne, qui nous a demandé d'agir avec la plus grande discrétion, ce que nous avons fait. Depuis le 10 juin cependant, ces arrestations sont publiques, ainsi que les chefs d'accusation. Nous ne pouvons donc garder la même attitude.

J'ai déclaré à la radio que ces arrestations étaient intolérables et que nous n'accordions aucun crédit à ces accusations d'espionnage. L'ambassadeur d'Iran a été convoqué au ministère des affaires étrangères, où nous lui avons fait connaître notre position avec la plus grande fermeté.

Par ailleurs, nos sommes en train de nous concerter avec nos partenaires européens, afin de donner le plus de poids possible à notre intervention.

Cette affaire s'explique, vous l'avez dit, par des conflits internes au régime, mais elle menace toute une communauté. Nous resterons vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Mme Michèle Rivasi - Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, le Gouvernement, sur un arbitrage du Premier ministre, a défini deux grandes orientations pour notre politique de l'énergie : la diversification et l'efficacité énergétique. Ces choix impliquent un réexamen des moyens consacrés au développement des énergies renouvelables. Les enjeux sont de taille. En France et dans les autres pays industrialisés, il s'agit de répondre à une demande croissante d'électricité, ainsi qu'à l'aspiration de plus en plus forte des entreprises à une production déconcentrée, voire à l'autoproduction. Dans les pays en voie de développement, il s'agit tout simplement de permettre à chacun d'accéder à la distribution d'énergie.

Dans le domaines des éoliennes pourtant, c'est-à-dire dans la filière de production qui se développe le plus rapidement, on trouve parmi les fabricants quatre entreprises danoises, deux espagnoles, une allemande, une américaine, mais aucune entreprise française. On n'en trouve qu'une seule, parmi les quarante premières, sur le marché des cellules photovoltaïques, qui croît actuellement de 40 % par an. Notre pays est aussi à la traîne pour les chauffe-eau solaires et les toits solaires.

Comment la France peut-elle être à ce point hors du coup dans ces secteurs d'avenir ? Que comptez-vous faire pour encourager les efforts de recherche et développement dans ce domaine et renforcer les aides aux entreprises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le débat qui s'est tenu ici en janvier nous a permis de définir de manière consensuelle notre politique énergétique. Nous avons refusé aussi bien le "tout-nucléaire" que le "tout-renouvelable". Notre politique de l'énergie doit être diversifiée, maîtrisée et, enfin, responsable, car il importe de garantir à long terme la sécurité de notre approvisionnement.

C'est en fonction de ces exigences que nous avons donné une nouvelle impulsion au développement des énergies renouvelables. Dans le cadre du programme Eole 2005, notre capacité de production va s'accroître de 250 à 500 mégawatts cette année. Notre programme "bois combustible" a favorisé la constitution d'une véritable filière et j'ai demandé à l'ADEME de prendre de nouvelles initiatives dans ce domaine.

Engagé dans les DOM-TOM, notre programme "20 000 chauffe-eau solaires" va bientôt concerner la métropole. Dans les régions volontaires, la diffusion des chauffe-eau et des toits solaires va être encouragée. Enfin, s'agissant des bio-gaz, le programme "biomasse" est entré dans sa phase opérationnelle. Vous voyez qu'après avoir redéfini les conditions de rachat de l'énergie photovoltaïque et hydraulique, le Gouvernement reste très offensif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

TRANSPORTS FERROVIAIRES

M. Didier Boulaud - Monsieur le ministre des transports, je souhaite vous interroger, comme M. Biessy, sur le conseil des ministres européens des transports, qui vient de se tenir à Luxembourg.

Fort de l'appui que vous avez apporté à l'Assemblée nationale en votant la résolution que j'avais déposée au nom de la délégation pour l'Union européenne, fort aussi du soutien du Premier ministre, vous avez pu repousser le projet de libéralisation du transport ferroviaire avancé par la Commission européenne et la présidence allemande.

Contrairement à ce qui a été dit, la France n'était pas isolée : l'Autriche, l'Irlande, l'Espagne, la Belgique et le Luxembourg l'ont rejointe.

C'est une première victoire. Pourriez-vous nous indiquer comment doit désormais évoluer le transport ferroviaire en France dans les prochaines années, et tout particulièrement le fret ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Oui, je le peux ! (Sourires) Il était important que l'Assemblée adopte votre résolution, soutenue par M. Barrau, président de la délégation, et par M. Lajoinie, président de la commission de la production. Ce vote a donné plus de poids à mon intervention. Je ne parlerai cependant pas de "victoire", même si nous avons remporté la première manche.

Notre pays n'était pas isolé, en effet. Certains de nos partenaires sont hostiles à la libéralisation du transport ferroviaire. D'autres estiment cette réforme prématurée. D'autres encore considèrent qu'on ne peut imposer à un Etat membre des mesures contraires à ses intérêts majeurs, et le Premier ministre avait insisté sur ce point dans une lettre adressée au chancelier Schröder. La présidence allemande s'est donc trouvée isolée et aucune décision n'a été prise.

Il nous reste à réfléchir, pour l'avenir, au développement du transport ferroviaire en Europe. Nous allons formuler des propositions en vue de renforcer la cohérence du réseau ferré européen : à travers le continent, en effet, les locomotives sont alimentées par quatre types différents de courant électrique, et l'écartement des rails n'est pas le même partout.

L'observatoire que nous mettons en place nous aidera à relever ce défi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES

M. Patrick Rimbert - Monsieur le ministre des affaires étrangères, votre collègue de l'Intérieur, vient de faire allusion à la cinquième conférence des ministres de l'intérieur de la Méditerranée occidentale, au cours de laquelle il a été décidé d'assouplir les conditions de délivrance des visas français aux Algériens. Il s'agit, nous dit-on, d'améliorer nos relations avec l'Algérie. Cependant, Air France n'a toujours pas repris ses vols en direction de ce pays, que desservent pourtant Alitalia et la Lufthansa. Les centres culturels français restent fermés. Les relations franco-algériennes vont-elles véritablement s'améliorer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - L'importante visite de M. Chevènement à Alger à l'occasion d'une réunion des ministres de l'intérieur du Forum méditerranéen me donne l'occasion de rappeler la politique du Gouvernement en matière de visas accordés aux ressortissants d'Algérie.

Il y a quelques années, leur nombre atteignait 900 000. A la suite des événements que vous savez, pour des raisons sérieuses de sécurité, il est tombé à moins de 50 000.

Le gouvernement de Lionel Jospin a estimé, pour des raisons d'humanité et de coopération, que l'on pouvait, en respectant de strictes conditions de sécurité et de contrôle de l'immigration, développer le nombre de visas accordés : il est remonté à 57 000 en 1997, à 85 000 en 1998 et devrait atteindre 150 000 cette année.

Le chiffre de 200 000 visas évoqué par M. Chevènement est une simple indication, il n'y a pas de quota ; tout dépendra de l'évolution naturelle des échanges, que nous continuerons à encadrer avec la rigueur nécessaire.

Parallèlement, nous voulons améliorer les conditions d'accueil des demandeurs et la procédure de délivrance, jusqu'au moment où nous pourrons rouvrir l'ensemble des services consulaires qui avaient dû être fermés après des attentats et assassinats jusque dans nos locaux.

En ce qui concerne la compagnie Air France, elle va envoyer des missions pour examiner les conditions de sécurité. Les autres compagnies que vous avez citées ont repris certains vols, sans rétablir les trafics précédents. C'est, bien sûr, l'objectif, mais tant pour les consulats et la compagnie Air France que pour les centres culturels, la question de la sécurité n'est pas un prétexte, c'est un vrai problème. Nous travaillons avec les Algériens, surtout après le récent tournant dans leur vie politique, à une relance de la coopération sur tous les plans pour donner au développement des relations franco-algériennes, que nous souhaitons, la meilleure assise possible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Ce projet de loi est à la fois un texte de rupture avec un passé contestable et un texte fondateur pour la justice de notre pays.

Il consacre la rupture, effective depuis deux ans, avec les interventions, directes ou occultes, dans le cours de la justice. Il consacre surtout la volonté de ce gouvernement, exprimée avec force par le Premier ministre dans son discours de politique générale, de garantir à tous nos concitoyens une justice impartiale, égale pour tous sur l'ensemble du territoire.

C'est donc d'abord et avant tout l'objectif d'impartialité de la justice qui est au coeur de ce texte. Elle doit être la même pour tous. Le Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, doit en toute transparence fonder sa politique pénale sur l'intérêt général, sans considération des intérêts particuliers.

Le Premier ministre avait déclaré, dans son discours de politique générale, que plus aucune instruction concernant des affaires individuelles de nature à dévier le cours de la justice ne serait donnée par le Garde des Sceaux. Cet engagement pris devant les représentants du peuple français, au nom de qui la justice est rendue, s'est concrétisé par l'adoption en Conseil des ministres des orientations de la réforme de la justice, le 29 octobre 1997.

Cette réforme vise à instaurer une justice à la fois plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés individuelles et impartiale. Votre assemblée a d'ores et déjà adopté plusieurs textes consacrant cette réforme dans notre droit.

Pour le premier volet qui concerne la justice au quotidien, les projets que je vous ai présentés sont devenus des lois de la République.

La loi sur l'accès au droit du 18 décembre 1998 renforce la justice de proximité et adapte ce service public aux besoins de nos concitoyens. 21 maisons de la justice et du droit ont ouvert depuis juin 1997, dont 10 en 1999 et 63 nouveaux projets sont en cours d'examen. Je rappelle qu'avant juin 1997, 16 seulement fonctionnaient.

La loi sur l'efficacité de la procédure pénale, définitivement votée le 9 juin dernier, apporte des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de petite et moyenne délinquance qui nourrissent le sentiment d'insécurité chez nos concitoyens.

Le décret de procédure civile du 28 décembre 1998 permettra, quant à lui, d'accélérer la justice au quotidien.

Le deuxième volet de la réforme concernait la protection des libertés. Le projet de loi sur la présomption d'innocence, adopté par votre assemblée en première lecture, est en cours d'examen au Sénat. La limitation de la détention provisoire, le renforcement des droits de la défense, y compris dès la garde à vue, concourront à un meilleur respect de la présomption d'innocence. Ce projet de loi comportait aussi des mesures relatives à la protection des victimes.

Le dernier volet de cette réforme, qui vise à restaurer l'impartialité de la justice comprend, outre le présent texte, le projet de loi constitutionnel relatif à la réforme du CSM. Celui-ci, voté dans les mêmes termes par l'Assemblée et le Sénat, doit être soumis au Congrès. Une fois l'article 65 de la Constitution modifié, le Gouvernement pourra proposer au Parlement les deux projets de loi organique qui complètent le dispositif.

La réforme avance donc au rythme prévu et je vous remercie de votre soutien.

Le présent projet, qui soulève de nombreuses questions, a permis d'ouvrir un véritable débat sur la place de la justice et le rôle des juges dans la démocratie.

Avant d'aborder le détail des dispositions, je souhaite souligner la qualité du travail du rapporteur qui a procédé à de très nombreuses auditions, a visité de nombreux parquets et organisé une large concertation. Ce travail permettra d'enrichir le texte d'amendements qui contribuent à renforcer la transparence ainsi que la responsabilité des magistrats du parquet.

Je souhaite également remercier la présidente de la commission des lois à l'initiative de laquelle se sont tenues de très nombreuses réunions. Je salue d'ailleurs la qualité des débats en commission.

Ce projet de loi consacre l'impartialité de la politique pénale.

La situation de l'institution judiciaire était largement compromise en juin 1997.

M. Michel Hunault - Comment pouvez-vous dire cela ?

Mme la Garde des Sceaux - Les Français n'avaient plus confiance dans leur justice et considéraient qu'elle fonctionnait selon des intérêts particuliers. Chacun se souvient de dossiers construits, tronqués, dispersés, retardés ou accélérés.

Mme Odette Grzegrzulka - C'était scandaleux !

Mme la Garde des Sceaux - Le recteur Georgel évoque dans un article intitulé "les libertés de la justice" paru dans La gazette du Palais en septembre dernier "certaines pratiques passées comme la dissimulation volontaire à la justice d'éléments essentiels, les manipulations procédurales pour ralentir l'action judiciaire, l'ignorance délibérée des règles, les menaces et le saucissonnage des affaires".

M. Michel Hunault - Vous parlez de M. Mitterrand ?

Mme la Garde des Sceaux - Les interventions directes dans les affaires sensibles mais aussi dans certaines qui ne le devenaient que du fait de ces interventions, ont défrayé la chronique. L'institution judiciaire, mais au-delà aussi la démocratie, en étaient ébranlées.

Nos concitoyens n'avaient plus confiance dans leur justice qui n'était plus garante de l'intérêt général, n'était plus égale pour tous mais était devenue un outil à l'usage de quelques-uns. Pour lever définitivement le soupçon, pour redonner du crédit tant aux politiques qu'à la justice, pour recentrer la justice sur ses missions dans un Etat démocratique, il était urgent de rompre avec ces dévoiements.

Depuis deux ans, j'ai mis en place des méthodes nouvelles de gestion des relations entre les parquets et la Chancellerie qui ont anticipé sur le présent texte.

Tout d'abord, aucune instruction n'a plus été donnée depuis deux ans ni par la Chancellerie ni par le Garde des Sceaux aux parquets dans les affaires individuelles. Aucune procédure, médiatique ou non, n'a fait l'objet d'une quelconque instruction.

Personne ne peut citer une seule affaire dans laquelle des décisions auraient été prises sur injonction de la Chancellerie. Il a été mis fin à ces pratiques qui visaient à servir quelques-uns au détriment de l'intérêt général.

Peu à peu, les conclusions des rapports des procureurs généraux se sont modifiés. Les mentions autrefois courantes : "sauf avis contraire de votre part" ou "sous réserve de vos instructions" ont fait place à la formule "je ne manquerai pas de vous tenir informé".

Nous avons en effet mis en place un échange constant sur les procédures et sur le contexte. Je me suis attachée à ce que se noue un dialogue étroit et permanent entre la Chancellerie et les parquets, avec des règles du jeu transparentes. J'ai exigé des procureurs généraux qu'ils me rendent compte de l'activité de leur ressort. J'ai demandé à être tenue informée des affaires qui peuvent toucher à l'intérêt général ou qui ont un retentissement particulier, et cela dans tous les domaines et en toute transparence. Par exemple, je suis informée, en temps réel, des évolutions judiciaires de certaines affaires importantes qui peuvent avoir des répercussions sur l'ordre public, sur la jurisprudence, sur les relations internationales de la France, ou encore sur l'application des politiques conduites par le Gouvernement. 

Mme Nicole Catala - A quoi cela vous sert-il, si vous ne faites rien ?

Mme la Garde des Sceaux - Je citerai trois exemples, dans lesquels, bien que les enjeux nécessitent une information complète, aucune instruction n'a pourtant été donnée pour dévier le cours de la justice. C'est tout d'abord l'action judiciaire en Corse, qu'il s'agisse de l'instruction relative à l'assassinat du préfet Erignac, des affaires de délinquance économique et financière, comme celles du Crédit agricole, et de la chambre de commerce et d'industrie , ou encore de la malheureuse affaire dites des "paillotes". Ce sont ensuite les incidents graves de la commune de Vauvert, symbole des violences urbaines qui sont l'une des préoccupations de nos concitoyens. Ce sont enfin les affaires de dopage dans le monde sportif. Dans ces affaires, comme dans d'autres, je suis avisée des initiatives et des décisions des juridictions. Mais cette information n'est pas destinée à servir de support à de quelconques instructions. Information ne vaut pas demande d'instruction. Informer ne veut pas dire se soumettre : dans un monde où l'information se diffuse de plus en plus rapidement, il faut admettre que l'on puisse rendre compte sans pour autant attendre des instructions. A chacun, dans une démocratie adulte, de se conduire en adulte, d'assumer ses propres responsabilités (Approbations sur les bancs du groupe socialiste).

Mais, je ne me suis pas contentée de demander à être informée sur des affaires individuelles. Certains de mes prédécesseurs, qui consacraient l'essentiel de leur énergie à donner des instruction individuelles, se privaient de l'outil essentiel, pour un ministre de la justice, comme pour le Gouvernement, que constituent les informations générales sur le contexte local, sur les évolutions de la délinquance et sur l'adaptation des moyens pour y répondre. J'ai donc demandé aux procureurs généraux de me rendre compte régulièrement, d'initiative ou à mon choix, de l'état de l'activité de leurs ressorts. Ils font entendre la voix des autorités judiciaires, leurs expériences, leur approche, et ceci est précieux pour la conduite des affaires de l'Etat.

C'est par ce biais que j'ai pu conduire les débats interministériels et nationaux sur les grands thèmes qui ont nourri le travail gouvernemental. Ainsi, en matière de délinquance des mineurs, la préparation du conseil de sécurité intérieure du 29 janvier 1999 a été fondée sur les informations précises que les procureurs généraux m'ont fait parvenir dès octobre 1998, notamment ceux de Douai et de Bordeaux. Quant au récent comité interministériel sur la drogue, sa préparation a reposé sur un recueil des expériences et des pratiques des juridictions et des magistrats spécialisés.

L'information n'est pas à sens unique. Les procureurs généraux savent qu'ils peuvent solliciter de la Chancellerie des avis juridiques, des informations concernant le contexte national et international, des analyses jurisprudentielles, pour leur permettre de prendre en toute responsabilité les initiatives qui conviennent. Quand un procureur général s'interroge sur l'attitude de la France à l'égard des Kurdes, des autorités libyennes ou sur la politique des Pays-Bas en matière de drogue ou encore sur l'attitude des Etats-Unis vis-à-vis d'un ressortissant dont ils demandent l'extradition, la Chancellerie joue son rôle essentiel. Les procureurs généraux ont bien compris que demander une information de cette nature ne traduisait aucune soumission. J'ai d'ailleurs constaté que l'abolition des instructions individuelles libérait les esprit et permettait des demandes d'informations en toute franchise.

Débarrassés des instructions individuelles, parquets et Chancellerie peuvent se concentrer sur l'essentiel, l'intérêt général.

Nous avons également pu mener depuis deux ans une politique pénale cohérente. J'ai ainsi pris des initiatives visant à promouvoir l'égalité devant la loi, l'efficacité des politiques pénales et l'ouverture de la justice à un partenariat local et national. Trois axes ont servi de support à cette politique. Ce sont tout d'abord les circulaires. Si je n'ai plus donné d'instructions dans les affaires individuelles, j'ai en revanche adressé aux parquets des directives générales mais précises quand cela était nécessaire. Ainsi, cinq circulaires leur ont été adressées en 1997, vingt-six en 1998 et sept en 1999, toutes inspirées par l'intérêt général. Deux catégories peuvent être distinguées. La première fixe des directives générales qui visent à appliquer une politique pénale, conforme aux orientations définies par le Gouvernement. Ainsi les circulaires de juillet 1998 sur la délinquance des mineurs, sur l'aide aux victimes et sur la lutte contre le racisme et la xénophobie, ou celles d'il y a quelques jours sur la politique en matière de stupéfiants.

La deuxième catégorie est liée à des événements exceptionnels ou à des périodes de crise pouvant affecter l'ordre public. Je citerai la circulaire du 3 mars 1998 sur la coupe du monde de football, et celle du 23 janvier 1998 sur les violences urbaines. Cette dernière a été inspirée par le souci de prévenir les violences de fin d'année en tirant les leçons de celles de décembre 1997. Grâce aux informations des parquets généraux, ces circulaires ont anticipé les événements, en prévoyant notamment la constitution de cellules de crise réunissant le préfet et le procureur, en organisant la présence des officiers de police judiciaire sur les lieux où des violences se déroulaient et en faisant usage de la procédure de comparution immédiate. Nous en avons vu les résultats dans les chiffres.

Deuxième outil : les réunions de politique pénale. Le directeur des affaires criminelles et des grâces, à ma demande, et moi-même, avons réuni régulièrement les procureurs généraux autour de thèmes relatifs à la conduite de l'action publique : délinquance des mineurs, application de la loi sur les délinquants sexuels, entraide répressive internationale par exemple. Chaque fois j'ai demandé aux procureurs généraux des évaluations de ces politiques ; elles ont été précieuses pour l'élaboration des projets de loi, décrets ou circulaires.

Dernier outil : les politiques partenariales. J'ai demandé aux magistrats du parquet de s'investir régulièrement dans des actions partenariales avec d'autres ministères ou d'autres institutions. J'évoquerai les contrats locaux de sécurité, cosignés par le préfet et le procureur, et qui associent tous les acteurs, notamment les élus. C'est aussi la politique de la ville pour laquelle, le 28 septembre 1998, j'ai réuni avec Claude Bartolone tous les correspondants ville de France. Ce sont encore les contrats de plan Etat-régions en vue desquels, pour la première fois, j'ai demandé aux chefs de cours de se mobiliser.

Sur la base de cette expérience positive menée pendant deux ans, le présent projet vise à conforter les missions essentielles de la justice, notamment du parquet. Il reprend cette pratique, qui a pour objectif essentiel de repositionner la justice, au sein des autres institutions de la République, sur sa mission qui est de garantir l'intérêt général et d'assurer l'égalité de traitement des citoyens devant la loi. Les instructions individuelles du ministère de la justice étant supprimées, elles ne doivent évidemment pas être remplacées par des instructions d'autres ministères, d'élus locaux, ou de quelconques groupes de pression. Je demande aux procureurs généraux de m'alerter quand de telles occurrences se produisent. Le projet se fonde sur l'idée que la justice n'est pas conçue pour le service d'intérêts particuliers, de domaines réservés, de groupes de pression. Elle est avant tout un service public pour pour les justiciables, elle est au service des usagers, qui ont besoin de son indépendance, de sa technicité et de son impartialité. Elle n'est pas faite pour la satisfaction de ceux qui la servent. L'indépendance des magistrats n'est pas une prébende, mais l'indispensable garantie d'une justice au service des citoyens. Plus encore, dans un Etat démocratique, l'impartialité de la justice est la garantie du fonctionnement normal de toutes les institutions. Ce projet est avant tout un texte de confiance dans les magistrats rendus à leurs missions de service public : entendre, poursuivre, juger, et le tout "au nom du peuple français". C'est-à-dire au seul nom de la loi, et non du téléphone, de la majorité, des promesses, des services rendus ou de l'avancement promis ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

C'est pourquoi le projet vise à clarifier le rôle et les missions de chacun. Il incombe au Gouvernement conformément aux lois votées par le Parlement et sous son contrôle, de définir la politique judiciaire, que le Garde des Sceaux exprime par des directives générales, mises en oeuvre par les parquets.

Il incombe au Garde des Sceaux, grâce aux informations fournies par les parquets, d'évaluer cette politique et cette mise en oeuvre, de proposer les orientations nouvelles et de rendre compte au Parlement des politiques conduites. Il incombe aux parquets généraux et aux parquets de prendre, en exécution des directives nationales, les mesures propres à garantir, dans le cadre de l'opportunité des poursuites, un traitement cohérent, égalitaire et efficace des affaires individuelles. A eux de prendre en compte le besoin d'explications de la population, dans la transparence, grâce aux recours contre les classements sans suite et à l'information qu'ils sont tenus d'apporter au ministre et au public. Il incombe, enfin, à la police judiciaire, sous un contrôle renforcé des magistrats qui pourront participer directement à la définition des moyens employés, d'exécuter les directives précises des parquets chargés par la loi de sa direction.

Ainsi les institutions verront leurs rôles mieux définis, précisés et reconnus, pour une répartition démocratique des pouvoirs. Le procureur de la République assume la responsabilité de l'engagement et de la conduite des poursuites. Le procureur général assure la coordination, l'animation et l'évaluation des politiques pénales. Le Garde des Sceaux fait la synthèse des informations qu'ils recueillent, fixe les orientations et surtout rend compte devant le Parlement.

M. Bernard Roman - C'est clair !

Mme la Garde des Sceaux - Notre objectif est de renforcer la transparence de la justice et de responsabiliser les acteurs de la décision judiciaire.

Dans cette perspective, le Garde des Sceaux élaborera "des orientations générales" dans le cadre de la politique judiciaire déterminée par le Gouvernement comme en dispose l'article 30 nouveau du code de procédure pénale. La définition du rôle du ministre de la justice apparaît ainsi dans le code de procédure pénale pour la première fois.

Mme Odette Grzegrzulka - C'est incroyable !

Mme la Garde des Sceaux - Ces orientations générales seront mises en oeuvre par les magistrats du parquet sur l'ensemble du territoire national.

Les instructions individuelles sont désormais interdites, en application de l'article 30-1 nouveau. Le ministre de la justice n'est pas celui des affaires individuelles.

Les procureurs et procureurs généraux devront rendre publiques les conditions d'application des orientations générales de politique générale. De même le Garde des Sceaux informera chaque année le Parlement de la mise en oeuvre de la politique pénale. Le devoir d'information s'impose aux procureurs généraux et aux procureurs vis-à-vis du Garde des Sceaux. Là aussi c'est la première fois.

En vertu de l'article 30-2 nouveau, le Garde des Sceaux pourra agir directement en saisissant une juridiction lorsque l'intérêt général le commande et lorsque ces poursuites n'ont pas été engagées par le procureur. Afin que cette action subsidiaire s'accomplisse en toute transparence, le Parlement sera informé chaque année de son exercice.

De l'autre côté, les magistrats du parquet verront leur responsabilité accrue. Ainsi le procureur général aura autorité sur les procureurs de son ressort et sera le garant d'une application réelle et uniforme de la loi pénale. Ce sont les articles 36 nouveau et 35 nouveau. Il devra coordonner la mise en oeuvre par les procureurs des orientations générales dont il pourra adapter l'application en fonction des circonstances. Il pourra leur donner des instructions écrites et motivées de mettre en mouvement l'action publique. Ces instructions seront versées au dossier.

Les procureurs auront de nouvelles obligations vis-à-vis des justiciables. En application de l'article 4 du projet, les victimes seront avisées des décisions de classement sans suite, qui seront motivées. Elles seront aussi informées de leurs droits, par exemple se constituer en partie civile ou obtenir l'aide juridictionnelle.

Les personnes intéressées pourront former un recours contre le classement devant le procureur général, puis devant une commission des recours.

Enfin, les procureurs disposeront des moyens de contrôler plus efficacement la police judiciaire. Nous n'envisageons pas de rattacher la police judiciaire au ministère de la justice. En revanche, le projet tend à donner efficacité au principe selon lequel la police judiciaire est dirigée, contrôlée, surveillée par le parquet. A cet effet, les enquêtes devront s'exercer dans le cadre des orientations générales de la politique pénale. Le procureur contrôlera non seulement les mesures de garde à vue mais aussi le déroulement des enquêtes. Ainsi, les autorités judiciaires disposeront d'un véritable droit de regard sur l'affectation des effectifs de police judiciaire lors des enquêtes. Ce sont les articles 14 et 41 modifiés du code de procédure pénale.

Dans le cas d'une affaire complexe ou d'une certaine durée, le procureur ou le juge d'instruction définira avec la police judiciaire les moyens à mobiliser. S'agissant d'une enquête préliminaire, le procureur fixera son délai d'exécution et il devra être informé par les enquêteurs dès que l'auteur présumé de l'infraction sera identifié, ainsi que de l'état d'avancement de la procédure à l'achèvement d'un délai d'un an.

Les décisions de la chambre d'accusation seront d'application immédiate pour le retrait d'habilitation des officiers de police judiciaire.

Ainsi le texte confère une réelle responsabilité au magistrat, qui devra justifier de son utilisation.

Enfin, et c'est un point important du débat, ce projet réalise un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif et l'autorité judiciaire.

M. Jacques Brunhes - C'est exact !

Mme la Garde des Sceaux - L'article 20 de la Constitution dispose que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Cela vaut pour la politique judiciaire. Je sais que beaucoup, parmi les plus soucieux de l'intérêt général et de l'avenir de notre démocratie, s'interrogent encore. Je voudrais les convaincre de deux choses.

M. Michel Hunault - Ce sera difficile !

Mme la Garde des Sceaux - L'Etat non seulement ne sera pas désarmé mais il sera plus fort. Les magistrats ne gouverneront pas mais ils seront plus autonomes et plus responsables.

Je n'ai jamais cru, et ma pratique ne m'a pas démentie, que la politique pénale pouvait être élaborée et menée par l'addition désordonnée d'instructions particulières (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Nicole Catala - Quelle caricature !

Mme la Garde des Sceaux - Non seulement les instructions individuelles ne font pas une politique pénale mais, quand on a tenté de les réglementer, comme en 1993, elles ont été utilisées à des fins partisanes. D'ailleurs ceux qui y ont recouru s'en repentent encore (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Roman - Sachez écouter des évidences !

Mme la Garde des Sceaux - Depuis 1993, les instructions écrites et versées au dossier ont été rares et elles ont laissé peu de traces à la Chancellerie ! En revanche, les instructions non écrites et adressées en secret ont été utilisées pour empêcher que la justice suive son cours.

M. Michel Hunault - C'était sous Mitterrand !

Mme la Garde des Sceaux - La réforme permettra de mener une politique pénale claire, transparente et déterminée, qui sera rendue publique et fera l'objet d'une évaluation. Assumée devant le Parlement et devant les citoyens, cette politique aura plus de cohérence sur l'ensemble du territoire et assurera une plus grande égalité devant la loi pénale. Ce disant, je ne fais ni profession de foi, ni pari risqué sur l'avenir puisque je vous propose d'inscrire dans la loi ce qui est notre pratique depuis deux ans.

Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand nous avons pu gérer des crises comme les manifestations d'agriculteurs, les blocages de routiers, la coupe du monde, les violences urbaines, la délinquance des mineurs et les événements de Corse ?

Non seulement la Justice a bien rempli sa tâche dans ces occasions mais la suppression des instructions individuelles nous a conduits à anticiper et à modifier nos modes d'action.

Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand chaque procureur sait qu'il lui revient d'exercer la plénitude de ses attributions à la seule lumière du code pénal et des directives générales reçues, mais en même temps doit annoncer publiquement ses propres objectifs, rendre compte à son procureur général, et mieux s'expliquer dans les cas de classement ?

Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand le Garde des Sceaux est informé du déroulement des procédures, émet des directives et en évalue constamment la mise en oeuvre, et dispose d'un droit subsidiaire d'engager les poursuites ? Quand les premiers résultats des politiques pénales font apparaître une baisse du taux de classement sur auteur connu et une augmentation sensible du recours aux mesures alternatives ?

Je vous ai indiqué notre action pour lutter contre les violences urbaines. Je pourrais vous dire aussi comment j'ai engagé les parquets dans la lutte contre les mouvements sectaires. Je ne fais pas de politique pénale fiction, je vous parle de ma pratique. Je ne prends pas des paris, je vous propose de codifier ce qui a été fait. Nous avons besoin d'une politique pénale déterminée dans ses choix et appliquée partout où il n'y a pas de raison convaincante d'y déroger.

Le projet réalise un meilleur équilibre entre les pouvoirs. En effet, je souhaite que plus personne ne puisse dire que l'exécutif a instrumentalisé l'autorité judiciaire ; par ailleurs, les magistrats du parquet, comme ceux du siège, seront plus responsables.

Avant de vous le montrer, je voudrais rappeler quelques idées simples : l'indépendance de la justice n'est pas faite pour les magistrats ; elle est au service des justiciables ; l'indépendance de la justice est ce qui permet aux magistrats de se déterminer seulement en fonction de la loi, pour le seul intérêt général car la loi nous libère des passions privées ; les magistrats du siège sont déjà totalement indépendants du pouvoir politique, heureusement pour notre démocratie, et depuis longtemps.

M. Jean-Luc Warsmann - Quand même...

Mme la Garde des Sceaux - Il s'agit aujourd'hui de donner une plus grande autonomie aux magistrats du parquet.

Par ailleurs, l'impartialité de la justice commande que les magistrats soient responsables, afin tant de prévenir un mauvais fonctionnement de la justice que de réparer les conséquences de celui-ci.

Il existe déjà un régime de responsabilité pénal, civil et disciplinaire, qui s'applique aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège. Mais la judiciarisation de notre société, qui fait du juge un arbitre, voire un censeur, impose que cette responsabilité soit renforcée.

L'ordonnance du 1958 dispose que les magistrats du parquet sont soumis pour l'exercice de leur fonction à l'autorité du Garde des Sceaux et au contrôle de leur chef hiérarchique et que leurs fautes s'apprécient "compte tenu des obligations qui découlent de leur subordination hiérarchique". Les magistrats du siège sont soumis au principe général de responsabilité, selon lequel "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constituent une faute disciplinaire".

Depuis deux ans, j'ai exercé tous mes pouvoirs en matière disciplinaire et prédisciplinaire. Pour la seule année 1998, j'ai effectué plus d'une cinquantaine de saisines du CSM et demandes d'explications. Depuis un an, j'ai saisi le CSM de quinze dossiers disciplinaires.

En outre, j'ai doté l'inspection générale des services judiciaires de cinq postes supplémentaires dans la loi de finances et je compte poursuivre cet effort. Par ailleurs, la formation des magistrats comprend désormais des enseignements sur la responsabilité des magistrats, au regard de la jurisprudence du CSM.

La responsabilité des magistrats est renforcée par l'ensemble de la réforme de la justice.

Ainsi, en vertu de la réforme constitutionnelle, le CSM sera composé majoritairement de non-magistrats, afin d'échapper à la menace du corporatisme. Le texte sur la présomption d'innocence instaure le juge de la détention, pour que les mesures relatives à la privation de liberté fassent l'objet de deux regards, prévoit des délais d'enquête et d'instruction contrôlés, développe les droits de la défense au cours de l'enquête et de l'instruction, et améliore les conditions d'indemnisation des détentions provisoires, en cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.

S'agissant des textes qui doivent être examinés prochainement par le Parlement, le projet de loi organique sur les CSM dit qu'il pourra être saisi par les chefs de cour, et non plus seulement par le Garde des Sceaux, des fautes éventuelles des magistrats ; quant au projet de loi organique sur le statut des magistrats, il instituera une commission d'examen des plaintes des justiciables, avec information du Garde des Sceaux et saisine du CSM si le comportement incriminé apparaît contraire à la déontologie, et limitera la durée des fonctions de chefs de juridiction ou de cour d'appel.

Enfin, le présent texte affirme le rôle du Garde des Sceaux, qui définit les orientations de politique pénale et rend compte au Parlement de leur mise en oeuvre ; il renforce les droits et obligations des procureurs généraux, qui ont autorité sur les procureurs ; il pose un devoir d'information de tous les magistrats du parquet à l'égard du Garde des Sceaux ; il oblige à motiver les décisions de classement et rend possible un recours contre elles.

Voilà... Nous voulons une démocratie adulte, donc une justice impartiale, indépendante et responsable.

Aucun gouvernement ne pourra plus sortir indemne de tentatives de manipulations de la justice. Le peuple n'aura confiance dans le pacte républicain que s'il est certain que la justice est égale pour tous, puissants ou misérables. Il n'y a pas de justice si les magistrats ne sont pas à l'abri des pressions ; il n'y a pas d'impartialité de la justice si ceux qui la rendent n'ont aucun compte à rendre au peuple (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. René Albertini - Comment ?

Mme la Garde des Sceaux - Ce texte donne à la justice les moyens d'une grande ambition : l'impartialité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois - Chaque année, au mois de janvier, dans nos départements, nous assistons aux audiences solennelles de rentrée des cours d'appel et des tribunaux, et leur rituel nous donne de la justice l'image d'une institution un peu figée. Mais chaque semaine, dans nos permanences, nous sommes confrontés à un autre visage de la justice, celui des drames familiaux, de la toxicomanie, de la délinquance juvénile.

La société connaît une mutation sans précédent et la justice hérite de toutes les questions que la famille, l'école, le quartier ou les institutions ne savent plus traiter.

Le juge doit désormais trancher de tout : on lui demande d'être une mémoire -procès- Papon, Touvier, Barbie- de dire la vérité historique -procès Aubrac-, d'évaluer les politiques de santé publique -affaires du sang contaminé ou de l'amiante-, de valider le contenu d'un plan social -Renault-Villeborde-, ou même de définir ce qu'est une religion -église de scientologie...

Pourtant, les Français doutent de leur justice. Plus des deux tiers ne lui font pas confiance. Ils lui reprochent non seulement de mal fonctionner, mais aussi d'être trop soumise au pouvoir politique. Or quand un tel doute s'installe, c'est la société tout entière qui peu à peu se déchire, c'est la nation qui est menacée.

Une réforme profonde s'imposait donc. C'est un élément essentiel du pacte républicain que Lionel Jospin a proposé aux Français de renouer en juin 1997. Jamais sous la Vème République on n'avait ainsi entrepris de mettre à plat notre institution judiciaire.

Ce projet a pour objectif majeur de mettre fin au soupçon qui pèse sur les rapports entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire. En fait, cela fait une dizaine d'années que se développe le souci d'assurer l'indépendance de l'autorité judiciaire ; ce qu'il est convenu d'appeler "les affaires" n'y est, bien sûr, pas étranger, mais cette prise de conscience s'inscrit dans un processus de maturation de nos institutions, initialement déséquilibrées au profit de l'exécutif. Ce n'est pas un hasard si ces interrogations sur la place des magistrats succèdent à une période marquée par l'affirmation de la justice constitutionnelle, dans notre pays pourtant très rétif à l'affirmation d'un pouvoir judiciaire face aux pouvoirs qui tirent leur légitimité de l'élection.

Alors que la nomination des magistrats et les relations du ministre de la justice avec le parquet n'avaient fait l'objet d'aucune modification législative pendant 35 ans, cinq années seulement se sont écoulées entre la réforme de 1993 et le dépôt par l'actuel gouvernement des deux projets relatifs au CSM et à l'action publique.

A droite comme à gauche, toutes les forces politiques ont constaté les dégâts causés dans l'opinion publique -je dirai même dans l'esprit public, tant la question est grave- par le soupçon qui pèse sur l'indépendance de la justice. C'est le pacte social lui-même qui est menacé. En effet, comment un citoyen pourrait-il accepter une sanction pénale, s'il a le sentiment que d'autres justiciables pourront, par protection se soustraire aux poursuites ?

Les interventions directes, quand elles sont connues du public, ont toujours un effet dévastateur. Or elles furent de plus en plus nombreuses à être connues, jusqu'à ce qu'elles cessent complètement, en 1997. Elles ont un effet dévastateur, parce que l'opinion ne distingue pas entre les magistrats du siège et ceux du parquet, si bien que c'est la justice dans son ensemble qui est discréditée. Même si de telles interventions sont restées peu nombreuses, elles focalisent l'attention sur quelques dossiers délicats, au détriment de l'action judiciaire courante.

L'indépendance des magistrats doit donc être garantie, de façon à convaincre les Français que les magistrats du siège ne se déterminent qu'en fonction de la loi et de l'intérêt général. Tel est bien l'objet de ce texte, dont le dépôt, en juin 1998, a été précédé par les travaux de la commission Truche, par une déclaration du Gouvernement en janvier 1998 et par l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif au CSM. C'est dire si les modifications proposées ont été mûrement réfléchies.

Dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre plaçait la justice au premier rang des responsabilités de l'Etat, d'un Etat "qui inspire le respect, qui redevienne impartial, qui se conforme au droit". Puis il annonça solennellement que, dans l'attente des réformes, "plus aucune instruction concernant les affaires individuelles, de nature à dévier le cours de la justice, ne sera donnée par le Garde des Sceaux et que les projets de nomination de magistrats du parquet qui recueilleraient un avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature, ne seront pas maintenus par le Gouvernement".

Il n'a pas été dérogé à cette ligne de conduite. Ce projet, qui apporte des garanties aux magistrats du parquet, réserve toutefois au Garde des Sceaux le pouvoir de définir et de faire appliquer sa politique pénale. Aucune institution, aucune personne ne saurait, en effet, être au-dessus de tout contrôle. Les juges doivent comprendre qu'ils doivent, eux aussi, rendre des comptes. C'est pourquoi il faudra, dans le prolongement de ce texte, en adopter un autre sur le statut et la responsabilité des magistrats. C'est l'objet des lois organiques en préparation.

On nous dit que les magistrats s'interrogent, que les parlementaires s'inquiètent. Mais fait-on la loi pour satisfaire les magistrats, pour rassurer les politiques, ou bien pour défendre les droits des citoyens ?

De ce point de vue, ce projet permettra à nos concitoyens d'échapper à l'arbitraire du pouvoir politique avec la suppression des instructions individuelles, mais aussi à l'arbitraire des magistrats qui devront respecter la politique pénale du Gouvernement et motiver les classements sans suite, contre lesquels un recours sera possible.

A ceux pour qui les Français souhaitent surtout une justice plus simple et plus rapide, je répondrai que nous avons déjà amélioré l'accès au droit.

A ceux qui pensent que cette réforme ne serait pas vraiment nécessaire, puisque les manipulations politiques de la justice ont toujours été marginales comparées à la masse des affaires traitées chaque année, je réponds qu'une seule manipulation, ce serait encore une de trop.

Si les Français souhaitent une justice plus accessible, ils exigent tout autant une justice impartiale.

Ce projet est discuté en période de cohabitation, comme en 1993. La première initiative tendant à rendre la justice plus indépendante venait de François Mitterrand, qui avait chargé la commission Vedel de lui faire des propositions.

M. Pierre Albertini - Pour faire oublier ses turpitudes !

M. le Rapporteur - Après l'alternance de 1993, la réforme du CSM fut réalisée par le gouvernement d'Edouard Balladur : elle fut d'ailleurs votée par le groupe socialiste. Il faut se féliciter qu'une telle réforme ait transcendé les clivages politiques et je souhaite qu'il en aille de même pour le présent débat.

Le fantôme du "gouvernement des juges" semble hanter cet hémicycle. Autant que d'autres, je souhaite que l'Etat soit en mesure de faire appliquer sa politique pénale et, pour cela, de se faire entendre des magistrats. C'est pourquoi je vous demande d'adopter ce projet, qui va renforcer l'efficacité de cette politique pénale tout en restaurant la confiance de nos concitoyens. Nous montrerons ainsi qu'il est possible de faire avancer la démocratie sans désarmer l'Etat ni faire reculer la République.

Les Français attendent depuis longtemps une grande réforme de la justice, qui rende celle-ci accessible à tous mais aussi indépendante de tous et particulièrement des puissants. C'est bien ce que vous nous proposez, Madame la Garde des Sceaux.

La République n'est légitimement fondée à exiger des citoyens l'obéissance aux lois que si elle est capable de leur garantir une justice impartiale. La démocratie le requiert. Les Français l'exigent. Nous allons le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Nicole Catala - Ce projet porte atteinte aux principes de notre Constitution.

Il comprend d'abord un groupe de dispositions modifiant les pouvoirs du ministre de la justice dans la mise en oeuvre de l'action publique : le Garde des Sceaux continuera de définir les orientations générales de la politique pénale, mais il ne pourra plus intervenir dans l'instruction des affaires individuelles, la loi lui donnant simplement la possibilité de saisir lui-même la juridiction compétente si l'intérêt général le commande.

Actuellement, les pouvoirs du ministre sont décrit à l'article 36 du code de procédure pénale, selon lequel "le ministre de la justice peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge inopportunes".

Au prétexte de mettre fin à certains abus, on nous propose une réforme qui porte atteinte à nos principes constitutionnels, qui jette la suspicion sur la légitimité de l'Etat comme sur les magistrats et qui n'aboutira, en fait, qu'à un progrès en trompe-l'oeil.

Il ne faut pas ôter ses prérogatives au ministre mais faire en sorte qu'il les exerce dans la plus grande transparence. Tel était mon objectif quand, en octobre 1992, j'avais fait adopter par la commission des lois un amendement précisant que "les instructions du ministre sont toujours écrites". j'avais aussi souhaité qu'elles soient motivées, mais M. Vauzelle n'avait pas voulu de cette précision, qu'a acceptée plus tard M. Méhaignerie, dont je salue la présence (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il est intéressant de se reporter aux travaux de la commission des lois de 1992 : combattant un amendement sur ce sujet de M. Pezet, rapporteur de la commission, M. Gouzes, qui en était le président, estimait que le parquet disposait déjà d'une grande liberté d'action et qu'il était inopportun de priver le Gouvernement de la possibilité de lui donner des instructions.

M. Michel Terrot - Eh oui !

Mme Nicole Catala - C'était aussi le point de vue de M. Colcombet, qui se prononçait pour le statu quo, car, tout en laissant la plus grande liberté aux parquets dans la quasi-totalité des affaires, il permettait à l'Etat d'assumer ses responsabilités : "Pourquoi, disait-il, donner l'autonomie aux parquets et pas à l'armée, à la police ou à la douane ?" ("Eh oui !" sur les bancs du groupe du RPR).

Quant à M. Gérard Saumade, favorable à mon amendement, il soulignait que la liberté laissée aux parquets risquait d'aboutir à des divergences sans justification -nous verrons comment il va voter cette fois ! M. Alain Vidalies abondait dans le même sens.

Un certain nombre de députés socialistes feraient donc bien d'effectuer un bref retour en arrière...

M. Pierre Albertini - O tempora ! o mores ! (Sourires)

Mme Nicole Catala - Votre projet, Madame le ministre, repose sur la conviction que les réformes précédentes du code de procédure pénale ne sont pas suffisantes et qu'il faut retirer au Garde des Sceaux le pouvoir de donner des instructions dans les dossiers individuels pour le transférer à chaque procureur général. Votre projet déplace donc d'un cran la faculté d'engager l'action publique...

M. Pascal Clément - Il la dénature !

Mme Nicole Catala - ...mais ce faisant il change la nature de l'autorité investie du pouvoir d'initiative : ce n'est pas l'autorité politique, mais l'autorité judiciaire.

Un tel bouleversement heurte à plusieurs titre des règles de valeur constitutionnelle. D'une part, c'est au Gouvernement de déterminer et de mettre en oeuvre la politique pénale : c'est là une responsabilité éminemment politique. D'autre part, conférer aux 33 procureurs généraux une autonomie accrue risque d'aboutir à des distorsions considérables contraires au principe de l'égalité des citoyens devant la justice. Enfin, le caractère imprécis des directives générales que prendra le ministre de la justice risque de se traduire par une atteinte à l'article 34 de la Constitution.

Je reviens au premier argument : ce projet méconnaît nos règles constitutionnelles dans la mesure où il dessaisit le Gouvernement de la faculté de prendre des mesures dans les dossiers individuels, y compris ceux qui touchent à l'ordre public. Or cette faculté comporte un pouvoir d'appréciation en opportunité qui est politique, au sens noble du terme : il s'agit d'une responsabilité de l'exécutif, qui peut d'ailleurs être sanctionnée par le suffrage populaire, comme plusieurs gardes des Sceaux en ont fait l'expérience.

M. Arnaud Montebourg - C'est incroyable !

Mme Nicole Catala - Dessaisir l'exécutif de cette responsabilité, c'est porter atteinte à l'organisation des pouvoirs publics prévue par la Constitution.

C'est aussi changer profondément la nature des fonctions exercées par le parquet. Or celles-ci sont bien particulières. Bien qu'ayant la qualité de magistrats, les membres du parquet n'ont pas le pouvoir de juger, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 février 1995 : il a déclaré non conforme à la Constitution un texte permettant au parquet de ne pas déférer à la justice une personne acceptant de se soumettre à une injonction pénale ; la sanction, a rappelé le Conseil, appartient au juge du siège, non au parquet.

Les représentants du ministère public sont chargés depuis toujours de représenter les intérêts de la société : ils en sont les mandataires, comme l'indique d'ailleurs leur dénomination qui signifie "celui qui agit pour autrui". Dans le procès pénal, ce ne sont pas seulement les intérêts de la victime qui sont en jeu, mais ceux de la société, qui exigent que soient identifiés et punis les auteurs d'infractions afin de mieux assurer à l'avenir le respect de la loi.

C'est aussi l'intérêt de la société qui peut conduire, dans certains cas, à ce que des poursuites ne soient pas engagées, ou pas tout de suite. Dans un système de légalité des poursuites, ces dernières doivent être automatiquement lancées. Mais notre droit, après un débat qui a eu lieu au début de ce siècle, a opté pour la règle de l'opportunité des poursuites, qui laisse un pouvoir d'appréciation à l'autorité publique.

Je reprendrai l'exemple donné en commission par notre collègue Jean-Pierre Michel, magistrat et député RCV, hostile, lui aussi, à ce projet de loi. Supposons qu'une grève massive des chauffeurs routiers conduise à un blocage de la circulation. Si le Gouvernement parvient à enclencher une procédure de médiation, peut-on accepter qu'à ce moment le procureur de la République cite à comparaître les chauffeurs en infraction ? La réponse est clairement non. L'autorité qui a la charge de rétablir l'ordre public, c'est le Gouvernement -le parquet n'est à cet égard que son bras séculier et c'est chose légitime. C'est M. Badinter qui, dans un article paru le 29 octobre 1997, disait que "dans la République, c'est le Gouvernement qui doit assumer la responsabilité politique des actes des fonctionnaires... Or les magistrats... sont des fonctionnaires... Il est des affaires de terrorisme, de criminalité internationale, d'infractions liées à des mouvements sociaux où l'intérêt général est en jeu et le choix de la décision à prendre revêt... un caractère politique. Qui doit en répondre devant le Parlement et les citoyens, sinon un membre du Gouvernement ?". Et M. Badinter invitait à ne pas s'engager dans la voie de l'irresponsabilité politique... ("Quelle leçon !" sur les bancs du groupe du RPR)

M. Charasse était tout aussi catégorique dans son opposition à toute coupure du lien hiérarchique entre le parquet et la Chancellerie...

M. Arnaud Montebourg - Voilà une référence !

Mme Nicole Catala - Parfaitement ! Il voyait dans une telle coupure "la fin de la République" car les citoyens devaient pouvoir à tout moment interpeller le Garde des Sceaux pour lui demander de rendre des comptes, ce que ne pouvait faire le procureur de la République.

Couper ce lien, poursuivait-il, "reviendrait à admettre que l'autorité de poursuite peut, sans sanction, s'asseoir sur l'expression de la volonté populaire. C'est la porte ouverte à la dictature d'un corps sans contrôle".

Or, c'est à cette irresponsabilité politique que tend votre projet, Madame le ministre, en contradiction avec les principes de notre démocratie.

Il faut aussi souligner l'incohérence d'un tel bouleversement. En effet, le pouvoir du Garde des Sceaux de donner des instructions dans les affaires individuelles ne lui est pas retiré dans les domaines autres que l'action publique.

L'avis du ministère public est ainsi requis dans les affaires relatives à la filiation, à la tutelle des mineurs ou des majeurs. Il est aussi prévu dans les procédures de suspension des poursuites, d'apurement collectif de passif et toutes autres décisions lors de la liquidation ou de la mise en redressement judiciaire d'une entreprise. Où est la logique ?

Ce texte manque aussi de cohérence quand on compare l'incapacité imposée au Garde des Sceaux aux droits ouverts à un nombre croissant d'associations de déclencher l'action publique en se portant partie civile. Je citerai une fois de plus M. Badinter...

M. Henri Nayrou - Encore !

Mme Nicole Catala - Vous aimeriez peut-être aussi être cité, Monsieur Nayrou, mais je n'ai pas trouvé d'articles de fond dont vous seriez l'auteur.

Souhaite-t-on que le Garde des Sceaux ait moins de pouvoir que les responsables de n'importe quelle association de lutte contre le racisme ou pour la protection de l'environnement ?

Au demeurant, tous les gardes des Sceaux qui vous ont précédée, Madame, ont fermement défendu le principe du rattachement fonctionnel du ministère public au ministère de la justice. Vous êtes la première à souhaiter vous auto-mutiler d'un pouvoir... que vous prétendez cependant ne pas vouloir exercer. Je m'explique mal telle irrationalité. Sans douter de vos intentions, je me permets toutefois d'appeler votre attention sur le fait qu'en ce domaine, les textes comptent moins que leur application effective.

L'obligation faite au Garde des Sceaux de transmettre ses instructions par écrit constituait une bonne réforme. Elle n'a pas, selon vous, donné les résultats escomptés, le téléphone permettant de donner les mêmes instructions sans laisser de trace. Votre texte n'y changera rien si d'aventure un Garde des Sceaux se montre interventionniste. Pourquoi n'appellerait-il pas tel ou tel procureur pour lui faire part de son sentiment sur telle ou telle affaire ? Vous avez vous-même reconnu qu'un dialogue se nouait entre vous et les procureurs.

Seule une indépendance totale des magistrats du parquet ferait obstacle à ces pratiques. A défaut, la rupture entre le ministère public et la Chancellerie ne serait qu'un trompe-l'oeil. Et, malheureusement, votre texte n'est qu'un trompe-l'oeil, sur ce point en tout cas. Le prix risque d'en être élevé.

Il bouleverse en effet certains principes fondamentaux de notre justice pénale et risque de nous faire faire un pas de plus vers cette République des juges, dont ne veulent pas les vrais républicains.

La Constitution de 1958 consacre une organisation de la justice pénale qui remonte à la Révolution française et même au-delà. Le ministère public a toujours eu pour rôle dans notre pays de porter l'accusation, au nom du roi d'abord, puis des instances révolutionnaires, de l'empereur ensuite, de la société de nos jours. Dès le XIVème siècle était reconnu le principe que celui qui juge ne doit pas accuser. Celui-ci a survécu à la tourmente révolutionnaire sauf durant une brève période où, au faîte de la Révolution, existèrent des accusateurs publics. Rétabli dès 1795, ce principe fut consacré en 1808 par le code d'organisation criminelle.

Cette conception traditionnelle du ministère public n'a jusqu'à présent jamais été répudiée. La Constitution de 1946 dispose que le CSM assure l'indépendance des magistrats du siège, non de ceux du parquet. Du reste, d'après un projet alors élaboré par le parti socialiste, les magistrats du parquet devaient passer sous le contrôle du ministère de l'intérieur. L'idée ne fut pas reprise. Peut-être le sera-t-elle demain... Plus près de nous, Michel Jéol, qui passe pour être proche de vous, juge dans son ouvrage Changer la justice comme un défi au bon sens d'amalgamer les deux types de magistrats. Si la justice doit être indépendante au sein de l'Etat, écrit-il, elle ne doit pas fonctionner de façon isolée. Le Gouvernement, qui a la responsabilité de définir et de conduire la politique de la nation, doit pouvoir faire entendre sa voix par ses porte-parole naturels que sont les membres du ministère public.

Les magistrats du parquet expriment et défendent les intérêts de la société sous la responsabilité du pouvoir exécutif. Ils n'assument pas eux-mêmes, quoi que vous en disiez, la responsabilité du "mal décidé" pas plus que les magistrats du siège n'assument celle du "mal jugé".

Votre réforme, avez-vous dit, renforcera leurs responsabilités. Mais il ne pourra s'agir que d'une responsabilité disciplinaire accrue, les magistrats, n'étant pas élus, n'étant pas responsables devant le peuple. Le fondement de leur pouvoir réside dans leur nomination par le Président de la République, élu au suffrage universel. Un haut magistrat soulignait récemment que seule cette onction présidentielle justifiait l'imperium du juge, et en aucun cas le sentiment personnel d'équité qu'il aurait. Il n'existe pas "dans les cieux étoilés, hors des lois de la République, poursuivait ce magistrat, de justice immanente dont le juge serait le serviteur, par-dessus l'Etat, pourrait-on dire".

L'autorité judiciaire, et les magistrats qui l'incarnent, qu'il s'agisse de ceux du siège ou du parquet, ne détiennent qu'une légitimité secondaire, celle que leur confère l'autorité présidentielle. Il faut le souligner, au moment où l'on veut rendre les parquets totalement indépendants et ainsi, indirectement, responsables des décisions à prendre en cas de violations de la loi y compris en cas d'atteinte grave à l'ordre public.

Cette indépendance nouvelle soulève une seconde interrogation d'ordre constitutionnel. Elle conduira en effet les procureurs généraux à adapter les orientations générales que vous leur donnerez, en fonction des situations propres à leur ressort. Ainsi dans le ressort de telle cour d'appel, sera-t-on impitoyable en matière de toxicomanie, dans tel autre non. Et ce, au risque d'une inégalité devant la justice pour nos concitoyens. Il pourra y avoir 33 politiques pénales, autant que de procureurs généraux.

Or l'égalité devant la justice est l'un de nos plus hauts principes constitutionnels. Le Conseil constitutionnel manifeste d'ailleurs une particulière vigilance dans son application. Ainsi a-t-il jugé le 23 juillet 1995 que des infractions de même nature devaient être jugées par des juridictions de même type.

Ce péril d'inégalité risque de se vérifier aussi dans la détermination de la notion d'"affaires individuelles". Dans le cas de violences urbaines suscitées par un petit groupe de meneurs, considérez-vous qu'il s'agit d'autant d'affaires individuelles ou d'une affaire de portée générale ? Autre exemple : l'assassinat du préfet Erignac. L'affaire est-elle individuelle dans la mesure où il n'y a qu'une victime ou de portée générale dans la mesure où un réseau terroriste ou mafieux est certainement à l'origine de l'acte ? Vous reconnaissez-vous ou non le droit de donner des instructions dans de tels dossiers ?

On voit bien toute l'ambiguïté et toute l'imprécision du système proposé, lequel n'a d'autre finalité que politicienne.

Mais ce système appelle une autre interrogation d'ordre constitutionnel, concernant la nature et la portée des orientations -ou "directives", si l'amendement du rapporteur est adopté- que vous adresserez aux procureurs généraux. S'il s'agit d'orientations non contraignantes, elles ne poseront pas de problème, mais pourront ne pas être suivies. Mais il semble que vous les conceviez au contraire comme des directives ayant un caractère contraignant, puisque l'article 35 dispose que les procureurs généraux veilleront à leur mise en oeuvre. Dès lors, le ministre ne risque-t-il pas, par ces orientations, d'ajouter à la loi, ce qui serait contraire à l'article 34 de la Constitution, et particulièrement grave en matière pénale ?

Je m'interroge aussi sur l'article 32 qui autorise le Garde des Sceaux à mettre en mouvement l'action publique quand l'intérêt général lui paraît commander que des poursuites soient engagées et qu'elles ne le sont pas. Par là, le ministre pourra se substituer aux parquets défaillants ou réticents. La procédure est surprenante. Qui représentera en effet le ministre ? Le parquet conservera-t-il ses pouvoirs propres ? L'adage "la plume est serve, la parole est libre" vaudra-t-il dans ces circonstances ? Surtout, ce sera l'irruption directe dans une procédure répressive d'une autorité politique qui ne peut être créditée de l'impartialité qu'on doit attribuer a priori aux magistrats. Cette novation peut donc inquiéter du point de vue de l'égalité des justiciables devant la loi.

J'évoquerai rapidement d'autres dispositions du texte qui soulèvent aussi des questions d'ordre constitutionnel. Les dispositions du titre III instituent la faculté, pour les personnes ayant dénoncé des faits au parquet mais qui ne peuvent se porter partie civile, de former un recours contre un classement sans suite. Le texte dispose que la commission saisie de ces recours sera exclusivement composée de magistrats du parquet... c'est-à-dire les mêmes qui auront prononcé le classement sans suite. Pour qu'il y ait un vrai recours, il faudrait qu'il soit tranché par des magistrats du siège, comme l'exigeait le Conseil constitutionnel dans la décision du 2 février 1995 que j'ai citée. La création de ces commissions a d'ailleurs tellement surpris le Conseil d'Etat qu'il y a vu un objet juridique non identifié ; je n'ai malheureusement pas eu connaissance directe de son avis. En outre, la nature des décisions de ces commissions n'est pas définie et l'égalité des citoyens devant ces décisions n'est pas garantie, pas plus que devant les politiques pénales de trente-trois procureurs généraux. Aucun recours n'est prévu contre les décisions de ces commissions. En l'absence d'un contrôle juridictionnel à l'échelon national, qui nous garantit que leurs jurisprudences seront homogènes et que les contribuables obtiendront d'elles les mêmes solutions sur tout le territoire ?

Tels sont les griefs qu'appelle ce projet sur le terrain de la constitutionnalité. Ils sont assez nombreux et graves pour que je vous invite à voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Garde des Sceaux - Je ne doute pas de la bonne foi de Mme Catala quand elle défend un système d'instructions individuelles écrites et motivées. Mais elle serait plus convaincante si elle prenait cette position à son propre compte, au lieu de dresser une galerie de portraits de socialistes qui ont exprimé la même opinion. Il y a peut-être là l'expression d'un doute sur l'opportunité de maintenir ces instructions...

Je ne peux pas laisser dire que, si ce projet est voté, les instructions occultes et par téléphone continueront. La différence considérable avec la situation actuelle est que, si des instructions sont données, ce sera clairement en violation de la loi. Dès lors qu'elles seront interdites, le Garde des Sceaux n'aura plus la facilité -comme certains de mes prédécesseurs- d'invoquer le fait que la loi les autorise comme alibi pour donner des instructions qui dévient le cours de la justice.

On cite souvent la grève des routiers, pour étayer un scénario-catastrophe. Or nous avons pu faire face, en mettant en place une cellule de crise à la Chancellerie, et en produisant des directives générales, adaptables d'heure en heure -car on ne gère pas plus une crise sociale par des circulaires de trente ou quarante pages que par des instructions individuelles concernant un camion à Cahors ou un barrage à Maubeuge.

Au demeurant je ne crois pas qu'une addition d'instructions individuelles puisse faire une politique pénale générale. Il y a environ six cent mille plaintes par an. Comment le Garde des Sceaux donnerait-il autant d'instructions ? Il faut bien faire un tri, et le dispositif pousse au crime, car ce tri ne peut être fait que par les médias ou le copinage. C'est en tout cas ce qu'on a vu dans la dernière période. Ce projet n'apporte pas seulement une amélioration, mais une rupture radicale avec les pratiques passées, et je le revendique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Mme Catala a posé des questions juridiques intéressantes, mais ne m'a nullement convaincu de l'inconstitutionnalité du texte. J'appelle donc à repousser l'exception d'irrecevabilité (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. François Colcombet - L'excellente intervention de Mme Catala nous conduit à relire notre Bible : la Constitution. Que dit-elle ? Tout d'abord, qu'il existe une autorité judiciaire, confiée aux magistrats. Cette autorité est gardienne des libertés individuelles, et c'est pour cela que les magistrats ont un statut particulier. Il n'y a plus de problème pour les magistrats du siège : le Conseil supérieur de la magistrature protège leur indépendance. Soit dit en passant, le CSM a été créé en 1946, mais la Constitution de 1958 lui avait porté un coup, puisqu'il n'était plus qu'un simple conseil du Président de la République. En 1993, il est devenu une vraie instance de gestion du corps ; il est présidé par le Président de la République, mais les magistrats participent à la nomination des juges du siège, et le CSM sert de conseil de discipline.

Restent les magistrats du parquet, qui ont le même statut d'après la Constitution, laquelle reconnaît en eux aussi les dépositaires de l'autorité judiciaire. Ils ont d'ailleurs au sein du CSM leur formation propre. Seule différence : au lieu de nommer les magistrats, ses membres proposent les nominations, et c'est la politique qui nomme. La Constitution ne dit nulle part que le Garde des Sceaux est un magistrat. C'est un homme politique -ou une femme politique- qui est en même temps ministre de la justice, comme le ministre de la défense est en même temps ministre des armées, etc. Elle n'est pas dépositaire de l'autorité judiciaire. Elle est chargée, d'une part, des problèmes d'intendance (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) -palais de justice, prisons...- et, d'autre part, elle a pour fonction, comme tout autre ministre, d'assurer une cohérence dans son secteur. A ce titre elle est appelée à rédiger des circulaires. Il y a d'ailleurs longtemps que cela se fait, sans que la loi le dise et l'encadre : les ministres de la justice faisaient des circulaires comme M. Jourdain de la prose. Maintenant ce sera plus clair, puisqu'elles seront publiées, et par là soumises à la critique.

Par ailleurs, avec ce projet, le ministre se prive d'un droit contraire, selon moi, à l'esprit de la Constitution : celui d'adresser des injonctions particulières. Soyons clairs : à certaines époques de crise grave, leur utilisation a pu se comprendre, et avoir des effets utiles. On peut hélas citer beaucoup d'autres cas où elles furent inutiles, voire néfastes à l'institution. Je me souviens d'avoir vu des interventions insistantes, et efficaces, en faveur de membres du SAC ; j'ai vu des procédures se perdre auprès d'instances supérieures qui les ensablaient.

Je sais aussi que quand la gauche est arrivée au pouvoir, elle a continué cette dangereuse "jurisprudence" (Exclamations). Je sais, enfin, que c'est un ministre de droite, M. Méhaignerie, qui a renoncé aux instructions individuelles. Vous ne l'avez d'ailleurs pas critiqué, mais vous n'avez pas non plus critiqué son successeur le très intervenant M. Toubon, dont l'activisme a laissé pantois même ses propres amis (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Prenons acte de toutes ces expériences. Les Français nous demandent aujourd'hui de clarifier les rapports entre le politique et le judiciaire. La suppression des directives individuelles correspond au véritable esprit de la Constitution. L'ancien adage "plume serve, parole libre" allait déjà dans ce sens.

Au demeurant, le statut que nous voulons donner aux magistrats est celui que possède le procureur général de la Cour de cassation. Ce poste a été occupé par M. Truche, qui n'a pas démérité, puis par M. Burgelin qui, secrétaire général du CSM, sous le septennat de M. Giscard d'Estaing puis procureur général du temps de M. Toubon, a montré dans l'affaire du sang contaminé une grande indépendance en requérant le non-lieu, ce qui prouve qu'un magistrat libre peut rendre des décisions qui sont acceptées (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), quitte à être critiqué par ses propres amis, ce qui donne la mesure de son courage.

Faisons confiance à un système dans lequel l'accusation appartiendra à de procureurs raisonnables et bien éclairés par les circulaires du Garde des Sceaux. La justice sera donc correctement rendue.

Je vous propose donc de repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Méhaignerie - Le groupe UDF, lui, la votera.

Je partage, Madame la ministre, votre double ambition de mieux assurer l'indépendance de la Justice et de renforcer l'autonomie du parquet. Je crois avoir naguère concrètement servi ces objectifs.

Mais le texte qui garantit l'indépendance des magistrats, c'est la réforme du CSM. La réforme de 1993 constituait simplement à recueillir son avis pour la nomination des procureurs. Pour ma part, je l'ai toujours suivie. La deuxième réforme du CSM a garanti l'indépendance des magistrats. Là se situait le cordon ombilical entre le pouvoir politique et les magistrats du parquet, comme l'indiquait M. Badinter.

Reste que se produisent dans la vie d'une nation des circonstances dramatiques où la responsabilité du pouvoir politique est engagée : des moments de violence extrême, des moments où, pour parvenir à l'apaisement, des instructions individuelles sont nécessaires. Il en est allé de même dans des cas de racisme brutal ou d'insécurité forte. La responsabilité politique, alors, ne ne peut pas être déléguée à des fonctionnaires, fût-ce à des procureurs généraux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Ce qui est grave, ce ne sont pas les instructions individuelles, c'est l'opacité, c'est le téléphone. En revanche des instructions écrites et versées au dossier assurent la sécurité des procureurs.

M. Jacques Floch - Elles n'empêchent pas les coups de téléphone !

M. Pierre Méhaignerie - C'est vrai, la loi ne peut pas tout empêcher. Mais celle-ci n'empêchera pas non plus des comportements dans l'autre sens. Quel Garde des Sceaux prendra le risque, avec des instructions écrites et versées au dossier, d'envoyer une instruction scandaleuse dont les médias pourraient s'emparer ?

Le risque ne se trouve pas dans le lien entre le parquet et la Chancellerie, s'il est transparent, il se trouve dans la démission face à la responsabilité, dans une justice trop complexe, dans l'opacité. Votre texte ne mérite ni excès d'honneur ni indignité, parce qu'il ne changera pas grand-chose.

Je partage votre critique d'un certain passé, mais je vous trouve bien unilatérale dans votre sévérité, car vous oubliez l'époque où vous aviez des responsabilités sous l'autorité du président Mitterrand.

Je note, sur tous les bancs, une inquiétude à l'égard de la justice, une critique à mon avis injustifiée à l'égard des magistrats, face au fantôme du gouvernement des juges. Nous n'en sommes pas là. Cette inquiétude devrait viser plutôt le Parlement, qui introduit dans les textes législatifs beaucoup trop de dispositions pénales. Nous devrions y prendre garde. Ce projet est un instrument de promotion politique, c'est un texte d'opportunité et d'ambition médiatique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Pascal Clément - L'argument essentiel de l'intervention de Mme Catala, vous n'y avez pas répondu : il s'agit du transfert de la responsabilité et de la légitimité démocratique du Garde des Sceaux au procureur général, qui deviendra le maître absolu de l'opportunité des poursuites. En même temps, d'ailleurs, le Garde des Sceaux, qui ne pourra plus donner d'instructions, devient lui-même l'autorité judiciaire, puisqu'il peut, sans délégation, mettre en mouvement l'action publique.

Là est la racine de l'inconstitutionnalité. Seul un élu, un responsable devant le peuple, doit pouvoir décider de l'opportunité de poursuivre.

Si votre dispositif était cohérent, vous n'auriez pas prévu que le Garde des Sceaux puisse lui-même mettre en mouvement l'action. Alors pourquoi abandonner l'article 36 du code de procédure pénale ? C'est un non-sens juridique !

Aussi ce texte ne peut-il pas cadrer avec la Constitution, et il sera annulé, j'en prends le pari.

Si tel est bien le cas, l'article 36 s'appliquera à nouveau, et il faudra rétablir les instructions du Garde des Sceaux. Votre texte est juridiquement vicié, comme l'a démontré Mme Catala, à qui vous n'avez pas répondu, vous bornant à prendre l'opinion à témoin. Nous trouverons  60 parlementaires pour saisir le Conseil constitutionnel, et pour balayer votre texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Jean-Luc Warsmann - Je salue l'excellente démonstration de Mme Catala, dont nous voterons la motion.

Le projet méconnaît le principe d'égalité de traitement entre les citoyens, qu'il appartient au Garde des Sceaux de garantir. En effet, les décisions risquent de varier selon les ressorts des procureurs généraux. De plus, nous sommes attachés à la mise en oeuvre d'une politique pénale forte. Le Garde des Sceaux, Monsieur Colcombet, n'est pas chargé de l'intendance, il détient seul la légitimité pour définir et appliquer la politique pénale. Mme Catala a bien montré que le seul outil que vous conserviez, la directive, est inefficace. En effet, les directives ne sont juridiquement fondées que si elles se bornent à des généralités. Au-delà, elles sont contestables.

Enfin, il s'agit d'un projet en trompe-l'oeil. Vous affirmez ne pas vouloir intervenir dans les affaires individuelles ; alors pourquoi voulez-vous faire obligation aux procureurs généraux et procureurs de la République de vous informer sur toutes les affaires qui leur paraîtront devoir être portées à votre connaissance ? Vous n'avez pas besoin de connaître le nom des personnes condamnées pour trafic de drogue pour mener une politique en ce domaine ; vous avez besoin de rapports généraux, non de rapports individuels (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

En outre, vous reprenez d'une main ce que vous donnez de l'autre, puisque vous voulez accorder au Garde des Sceaux un droit d'action propre...

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera, bien sûr, l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jacques Brunhes - Madame Catala, vous êtes une juriste avertie, vos avis sont écoutés et je puis témoigner de leur intérêt. Je suis donc extraordinairement perplexe après vous avoir entendue...

Avez-vous lu le rapport de la commission Truche ? Avez-vous lu le texte qui nous est proposé ? Avez-vous écouté Mme la Garde des Sceaux et regardé les amendements ?

Il m'a semblé que votre pensée tournait en rond et que votre argumentaire, qui relevait du procès d'intention, n'avait qu'une finalité politicienne... Vous n'êtes pas montée à la tribune pour débattre sur le fond.

Mme Michèle Alliot-Marie - C'est un procès stalinien !

M. Jacques Brunhes - Avez-vous une idée de la manière dont notre justice est ressentie ? Un sondage réalisé après que notre pays a été dirigé par les gouvernements que vous avez soutenus révélait que 82 % de nos compatriotes se méfient d'un système qu'ils estiment soumis au pouvoir politique.

Plusieurs députés RPR - Mitterrand !

M. Jacques Brunhes - 66 % pensent que la justice fonctionne mal ; 77 % regrettent qu'elle manque de moyens ; 84 % déplorent qu'elle soit trop coûteuse ; 73 % lui reprochent de traiter plus favorablement les hommes politiques et les fonctionnaires.

Mme Nicole Catala - Avez-vous lu Le Monde d'aujourd'hui ?

M. Jacques Brunhes - Vous refusez toute réforme tendant à éviter les abus et à assurer l'égalité devant la justice. C'est pourquoi nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - A la demande du Garde des Sceaux, je vais lever la séance.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 18 heures 35.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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