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Congrès du Parlement

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

2ème SÉANCE du LUNDI 28 JUIN 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

SOMMAIRE :

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF  À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 1

La séance est ouverte à quinze heures.


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  PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF 
À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Cette réunion du Congrès à Versailles, à l'initiative du Président de la République, est, comme toujours, un moment important dans le cours de la République. Cet après-midi, le sujet qui nous rassemble a trait à un des fondements mêmes de notre régime : l'égalité.

La révision constitutionnelle qu'il vous est proposé d'adopter vient longtemps -beaucoup trop longtemps, sans aucun doute- après l'ordonnance du 21 avril 1944, qui faisait des Françaises des citoyennes à part entière, des électrices et des candidates en puissance. Ce dernier texte était lui-même bien tardif. Avant la France, plusieurs pays -dont onze en Europe- avaient reconnu à leurs citoyennes des droits politiques égaux à ceux des hommes.

C'est pourquoi je suis heureux et fier de soumettre ce projet de loi constitutionnelle à votre vote.

Ce faisant, je tiens un engagement pris devant les Français, et que j'annonçais le 19 juin 1997, dans ma déclaration de politique générale.

Ce texte, qui est l'aboutissement d'efforts déployés de longue date, inaugure une nouvelle étape de notre combat pour la parité. Il a suscité de nombreux débats. J'ai déjà eu l'occasion de me réjouir de la qualité de cette réflexion qu'a engagée notre pays. Les Français n'auraient pas compris qu'un accord ne soit pas trouvé. Chacun y a contribué.

Nous franchissons ainsi une étape essentielle pour la modernisation de notre vie publique. Le pacte républicain que j'ai proposé aux Français de nouer se fonde sur une profonde modernisation de notre démocratie. Inscription automatique de nos jeunes concitoyens sur les listes électorales, réforme de la législation sur le cumul des mandats, adaptation du mode de scrutin de la Haute assemblée... (Applaudissements sur quelques bancs) ; cette modernisation a été engagée dans de nombreuses directions.

L'une d'elles, en particulier, était lourde d'exigences : la place des Françaises dans la République. Là subsiste, en effet, un archaïsme auquel il convenait de mettre un terme. Les chiffres soulignent l'injustifiable inégalité qui tient les femmes en lisière de la démocratie élective. Certes, la nouvelle représentation française au Parlement européen comptera 34 femmes sur 87 élus. C'est mieux que précédemment, mais ces résultats ne sauraient masquer l'inégalité flagrante qui entache notre démocratie à tous les niveaux de représentation. Conseils municipaux, généraux et régionaux, Assemblée nationale, Sénat ; nulle part les femmes n'occupent la place qui leur revient. Dans toutes ces instances, alors qu'elles constituent la moitié du corps électoral, leur présence est presque symbolique.

Notre démocratie souffre de cette injustice faite aux femmes. Elle en reste incomplète, inachevée, inaccomplie.

Il faut donc agir, afin que notre démocratie représentative soit le reflet aussi fidèle que possible du corps électoral pour que nos concitoyens, ayant des élus qui leur ressemblent davantage, se sentent plus proches d'eux et pour que notre démocratie, profondément renouvelée par la féminisation, gagne en dynamisme, en vitalité, en imagination.

Depuis l'ordonnance de 1944, cinq décennies l'ont montré : il ne suffit pas de s'en remettre à la bonne volonté des formations politiques pour que cesse cet archaïsme. Pour puissant qu'il soit, et bien que porté par des associations féministes, des intellectuels, des femmes et des hommes politiques, le mouvement spontané de la société n'a pas suffi à lever les puissants verrous qui ferment encore la vie politique aux femmes.

Pour ouvrir aux femmes les portes de la République, l'idée de prendre des mesures volontaristes avait, dès 1982, inspiré une loi, que le Conseil constitutionnel avait jugée incompatible avec notre loi fondamentale, au motif qu'elle contredisait les principes de l'égal accès aux emplois publics, de l'indivisibilité du corps électoral et de la souveraineté. Au mois de janvier dernier, le Conseil constitutionnel a fait de nouveau application de ces principes pour rejeter les dispositions de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux qui obligeait chaque liste à assurer la parité entre les candidats féminins et masculins. Ce double rejet condamnait tout volontarisme législatif. C'est pourquoi modifier la Constitution était devenu indispensable.

Les termes de la révision qui vous est proposée ont fait l'objet d'un examen approfondi. Le préambule de la Constitution de 1946 prévoyant expressément la possibilité pour le législateur d'assurer l'égalité des droits entre femmes et hommes, le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'était pas nécessaire de réviser la Constitution pour adopter des mesures favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. Le Gouvernement a donc limité le champ de cette révision aux seules fonctions politiques.

L'article 3 de la Constitution disposera que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives". Aux termes du nouvel article 4, les partis et groupements politiques "contribuent à la mise en oeuvre" de ce principe.

Adopter cette révision de notre Constitution, c'est permettre au législateur d'accomplir enfin ce que proclame notre République depuis ses origines. Nous naissons et demeurons libres et égaux en droits. La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.

Adopter cette révision, c'est affirmer que l'égalité formelle a besoin d'être mise en oeuvre dans les faits.

Adopter cette révision, c'est donc ouvrir la voie à de nouveaux progrès dans l'accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Avec l'Observatoire de la parité, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les mesures législatives et réglementaires qui pourront être prises en vertu de ces articles révisés. Mais je répète ce que j'ai déjà dit, le 9 décembre dernier, devant la représentation nationale : cette révision n'est pas conçue comme un prétexte à une modification des modes de scrutin, en particulier du mode de scrutin législatif. Le Gouvernement s'emploiera aussi à user de la modulation du financement public des formations politiques afin d'inciter à la féminisation de la vie publique.

Aussi importante soit-elle, cette révision n'est qu'un volet de l'action menée par le Gouvernement en faveur des femmes. C'est dans l'ensemble de la société qu'il faut les aider à jouer le rôle auquel, légitimement, elles aspirent. L'exercice de responsabilités politiques par les femmes -dont l'expérience prouve qu'elles le font avec compétence et talent, lorsque la possibilité leur en est laissée par leurs collègues masculins- les aidera à s'imposer dans d'autres sphères : la haute fonction publique, la direction des entreprises, la recherche et l'Université.

Mais il faut aussi imaginer de nouvelles façons de concilier vie privée et vie professionnelle, afin que les conditions d'un véritable changement culturel soient réunies dans notre pays.

A cet effet, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, a présenté en conseil des ministres, le 23 juin, un série de mesures concrètes concernant aussi bien l'égalité professionnelle que l'accès aux postes de décision et de responsabilité dans la fonction publique, les entreprises et les associations. Elles visent aussi à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et la défense de leurs droits : je pense en particulier à la maîtrise de leurs choix essentiels de vie. Cette plate-forme de travail tend à assurer un équilibre entre activité professionnelle et vie familiale, par exemple en améliorant les modes de garde des enfants.

Le Gouvernement veillera à ce que toutes les politiques publiques prennent en compte l'exigence d'égalité des chances entre les femmes et les hommes.

En révisant notre Constitution, vous êtes appelés à donner une impulsion décisive à une évolution nécessaire. Demain, c'est encore vous qui, en votre qualité de législateurs, aurez à lui donner toute sa substance. Ainsi se construira une société réellement mixte, à laquelle nos concitoyens aspirent.

C'est pourquoi je souhaite que les femmes et les hommes de tout courant de pensée qui siègent sur les bancs de vos assemblées marquent leur attachement à l'idéal d'égalité en mettant fin à ce qui n'est pas la meilleure "exception française" et rassemblent leurs votes pour adopter cette révision constitutionnelle.

Vous ferez ainsi oeuvre de justice (Applaudissements).

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Ce projet de loi constitutionnelle, que le groupe Radical, Citoyen et Vert, votera à l'unanimité, constitue à la fois un aboutissement et un point de départ.

C'est un aboutissement pour tous ceux et toutes celles qui se sont battus tout au long de l'histoire pour faire progresser le droit des femmes. C'est un aboutissement pour les femmes nombreuses et les hommes, beaucoup moins nombreux, qui, il y a deux siècles, avaient compris que la Révolution française, en oubliant les citoyennes, s'était automutilée. C'est un aboutissement pour les femmes de la Commune de Paris, les suffragettes, les Résistantes qui, dans des contextes différents, ont porté haut le drapeau d'une citoyenneté déterminée et courageuse. C'est un aboutissement pour toutes celles qui, une fois obtenu, bien tardivement, le droit de vote, ont utilisé les leviers de la démocratie pour faire avancer la cause des femmes.

C'est enfin l'aboutissement d'une longue controverse sur l'opportunité de recourir à une loi constitutionnelle pour parvenir à la parité, dont nul ou presque ne conteste plus le principe.

Ce projet de loi constitutionnelle sera vraisemblablement adopté tout à l'heure à une écrasante majorité. Nombre de ceux et de celles qui, en d'autres temps, se sont battus pour une plus grande place des femmes en politique, ou même simplement pour le droit de vote des femmes, n'en croiraient pas leurs yeux.

Ce combat pour la parité constitue un authentique enjeu de société. Par sa dimension universelle et républicaine, il dépasse les clivages politiques. Parce qu'il se situe dans une logique de progrès et d'émancipation, il est naturel que la gauche en ait pris l'initiative et ait d'ores et déjà appliqué ce principe. Les trois listes de la majorité plurielle aux récentes élections européennes étaient toutes paritaires.

Ce projet de loi constitutionnelle, qui recueille la quasi-unanimité de la représentation nationale et est massivement approuvé par la population, ne contredit pas l'universalisme républicain, auquel nous sommes attachés parce qu'il est un rempart contre le repli identitaire, tribal, clanique ou communautariste.

Mais il y a loin de l'objectif proclamé d'égalité entre les hommes et les femmes à sa réalisation. Dans le domaine politique, la France a mis un siècle et demi pour accorder le droit de vote aux femmes. L'accès à l'égalité hommes-femmes dans la vie politique exige que la Constitution impose par le droit cette exigence.

Par principe, la démocratie représentative transcende les intérêts particuliers et recherche l'intérêt général. Les hommes et les femmes, qui ne constituent pas des catégories, concourent ensemble à la pérennité de l'espèce humaine. Il leur appartient donc de concourir ensemble à la conduite des affaires de la cité. Cette idée l'emporte enfin aujourd'hui.

S'appuyer sur la loi et sur la Constitution, pour faire progresser l'égalité, relève d'une démarche volontariste tout à fait républicaine. La loi a toujours été utilisée dans notre pays pour limiter ou neutraliser des rapports de force trop déséquilibrés, notamment dans le domaine des relations sociales.

Le Conseil constitutionnel lui-même a, de façon constante, admis que le législateur ne contrevenait pas au principe d'égalité lorsqu'à des circonstances de fait ou de droit différenciées, il faisait correspondre des dispositions législatives différenciées.

Si ce projet constitue un aboutissement, beaucoup reste à faire pour appliquer le nouvel alinéa de l'article 3 de la Constitution : "La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives".

Je regrette que, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale et au Sénat, le débat sur les modes de scrutin ait souvent interféré avec celui sur la parité, bien que le Gouvernement ait à plusieurs reprises rappelé qu'il ne modifierait pas le mode de scrutin uninominal à deux tours des élections législatives.

Lier l'application du nouvel alinéa de l'article 3 de la Constitution, aisée pour les scrutins de liste, plus difficile pour les scrutins uninominaux à un changement de mode de scrutin, qui peut se défendre par ailleurs, affaiblirait la parité. Renoncer à appliquer ce nouveau principe constitutionnel pour les élections législatives, lieu d'expression par excellence de la souveraineté du peuple, l'affaiblirait également.

Certes, les partis politiques seront désormais tenus de "contribuer à la mise en oeuvre du principe de parité". On peut espérer qu'ils feront le nécessaire pour se mettre en conformité avec la Constitution, dès les prochaines élections législatives. On peut penser qu'une contrainte imposée aux municipales et aux régionales fera élire davantage des femmes qui seront des candidates potentielles aux législatives. On peut espérer que les résultats de ces élections à scrutin de liste auront un rôle d'entraînement pour les candidatures féminines aux élections à scrutin uninominal. Mais, l'expérience montre que des dispositions incitatives et parfois contraignantes sont nécessaires.

M. Emmanuel Hamel - Point trop de contraintes ne faut, Madame !

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Certains ont proposé de moduler l'aide publique accordée aux partis politiques. D'autres ont imaginé que dans chaque département ou chaque région, les partis politiques soient tenus de présenter autant de femmes que d'hommes, à une unité près en cas de chiffre impair. Aucun dispositif n'est parfait. Mais nous devons absolument résoudre ce problème afin que le principe de parité soit effectivement respecté.

Cette réforme de la Constitution constitue un point de départ. Ce symbole fort doit servir de levier pour tous les autres combats à livrer en vue d'assurer une réelle égalité entre les hommes et les femmes tant dans la sphère privée et civique que dans la sphère publique. Le droit prescrit l'égalité. Dans les faits, il en va tout autrement : le taux de chômage des femmes atteint 13,5 %, quand celui des hommes n'est que de 9,8 % ; les inégalités de salaire et les inégalités d'accès aux postes décisionnels subsistent.

Certes, depuis un quart de siècle, des progrès ont été accomplis grâce à l'action de femmes courageuses. Mais pour mettre en conformité les faits avec le droit, les initiatives individuelles, aussi volontaires et opiniâtres soient-elles, ne suffisent pas. Des mesures doivent parallèlement les conforter. Ainsi je me réjouis des dispositions prises par la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, dans sa plate-forme de travail visant à réduire ces inégalités.

Puisse enfin ce projet de loi constitutionnelle avoir au-delà de nos frontières, un écho suffisant pour aider toutes les femmes qui luttent à travers le monde.

Le combat pour l'égalité ne s'arrêtera pas avec l'adoption de ce texte. Il en sera cependant renforcé et dans notre belle devise républicaine, le mot égalité aura comblé une partie de son retard sur ceux de liberté et de fraternité. (Applaudissements)

Mme Nicole Ameline - Dans cette enceinte royale.

M. Emmanuel Hamel - Et républicaine !

Mme Nicole Ameline - ...la tentation est grande d'évoquer l'histoire et donc aussi, celle des femmes. Reines, régentes, relapses, hérétiques ou courtisanes, de tous temps, elles furent des exceptions. Premières oubliées de la Révolution, elles ont été d'emblée exclues de la démocratie par un suffrage prétendument universel, en réalité réservé aux hommes.

Après avoir raté la marche des siècles, en raison du modèle culturel et juridique dominant, hérité des Francs saliens et conforté par la vision rousseauiste d'une sphère privée opposée à la sphère publique qui restait le domaine des hommes, les femmes pouvaient-elles manquer ce nouveau rendez-vous avec l'histoire ?

Après l'adoption, je le souhaite à la plus large majorité, de cette révision constitutionnelle, ces murs résonneront d'une entreprise résolument moderne. Il s'agit bien d'accélérer l'histoire et d'adapter notre République aux réalités de notre temps mais aussi de l'espace européen.

Selon leur culture, leurs traditions, à leur rythme, tous les pays européens ont en effet modernisé leur vie politique en y améliorant la représentation des femmes. Les moyens ont parfois différé, la volonté était toujours la même.

Le terme "parité", qui n'a pas été retenu dans ce texte, est lui-même un élément de la nouvelle culture politique. Toutes les listes présentées aux élections européennes se sont inspirées de cette exigence nouvelle. Mais les symboles ne suffisent pas. Les grandes victoires des femmes en tous domaines, qu'il s'agisse de l'autorité parentale, de l'indépendance économique, de la maîtrise de leur fécondité, ont toutes résulté d'une volonté inscrite dans la loi.

Je rends d'ailleurs hommage aux responsables politiques qui ont assumé ces choix avec courage, anticipant sur les évolutions.

Bien que chacun s'accorde sur le constat -notre pays est en ce domaine une exception française au plus mauvais sens du terme- et sur l'objectif, cette révision constitutionnelle a suscité des oppositions. Le débat philosophique l'a du reste souvent emporté sur les arguments juridiques.

Toute opinion est respectable et les réserves exprimées, qui ont largement transcendé nos clivages politiques, avaient trait à l'atteinte qui serait portée aux principes républicains et à l'exercice de la souveraineté.

Selon certains, toute discrimination positive menacerait l'ordre républicain. Mais 90 % de la classe politique étant aujourd'hui masculine, déterminer par la loi les conditions de l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives n'est en rien assimilable au communautarisme. Les femmes ne sont pas une minorité parmi les minorités et cette réforme nous place d'emblée au coeur d'un universalisme concret, très éloigné d'une notion abstraite qui, au nom de l'égalité juridique, a fait reculer l'égalité réelle.

Combattre les préjugés inégalitaires, c'est précisément tenir compte de cette dualité constitutive de notre humanité, déjà inscrite dans notre Constitution et à laquelle nous devons donner corps aujourd'hui.

Cette révision constitutionnelle marque une transition historique, qui nous oblige à réfléchir à une nouvelle organisation de notre société. Accroître la participation des femmes à la vie publique n'est pas une fin en soi, mais préfigure un renouvellement de nos institutions, un changement de conception de la politique, qu'il nous faut réhabiliter. Le décalage entre pays politique et pays réel est tel que nul n'oserait plus se satisfaire de la place singulièrement limitée faite à celles qui sont majoritaires dans l'électorat comme dans la population.

Il faut en finir avec la carence des partis, en évitant de faire de la cause des femmes l'enjeu de manoeuvres politiciennes.

Vous venez, Monsieur le Premier ministre, de confirmer votre promesse de ne pas modifier les modes de scrutin, ce qui aurait abouti à une véritable régression politique. Mais il convient aussi de réfléchir au rôle et au fonctionnement des partis, aux moyens de les inciter à faire une place plus large aux femmes et à mener des actions de sensibilisation, de formation et de promotion, comme nous l'avons fait au sein de Démocratie libérale.

Mais là n'est peut-être pas encore l'essentiel : comptent aussi les possibilités concrètes qu'ont les femmes d'assumer des responsabilités politiques lorsqu'elles assument déjà toutes les autres.

Nous avons à imaginer des mesures efficaces -congé formation, aide familiale, aide au retour à l'emploi, temps partiel, etc.- afin de leur ouvrir un nouveau champ de liberté.

Repenser la gestion du temps des femmes, c'est aussi et avant tout repenser la politique de la famille : cette dernière doit rester un espace sacré, mais doit se fonder sur une responsabilité partagée au sein du couple.

La rénovation de notre vie politique, à laquelle les Français aspirent et que la modernité commande, appelle des évolutions en ce qui concerne la décentralisation, le statut de l'élu et le cumul des mandats. Notre avenir est à la fois dans l'Europe et dans la décentralisation.

Il nous faut donc continuer de conforter notre démocratie locale, en nous appuyant sur notre réseau de 500 000 élus dévoués et compétents.

Je souhaite que l'Observatoire de la parité, travaillant en liaison avec nos groupes politiques, s'inspire des expériences menées dans les autres pays européens, et que nous puissions disposer régulièrement de rapports d'évaluation dans ces années 2000 qui doivent être celles de la parité.

Si ces murs royaux...

M. Emmanuel Hamel - Provocatrice !

Mme Nicole Ameline - ...si ces murs royaux résonnent encore des rires suscités par Molière, les femmes ne sont plus les héroïnes ridicules d'Aristophane ou de Shakespeare. Elles ont, grâce à leurs efforts et à ceux de leurs associations, grâce aussi à notre volonté politique, celle du Président de la République en premier lieu, obtenu enfin un droit de cité. Dans sa grande majorité, le groupe Démocratie libérale votera cette révision, parce que les faits ne précèdent pas toujours le droit et qu'une victoire pour les femmes est un progrès pour la démocratie.

Il reste aux femmes à franchir cette marche du siècle : elles le feront, j'en suis convaincue.

La politique ne se résume pas à l'art de gérer les crises : elle doit avant tout promouvoir le projet d'une société plus libérale, c'est-à-dire qui fasse davantage confiance aux femmes et aux hommes : je suis fière, avec mon groupe, d'y contribuer (Applaudissements).

M. Pierre-Christophe Baguet - Aujourd'hui est un jour historique pour la condition féminine et pour la société française tout entière. Après des semaines de débats parfois enflammés, et de votes parfois difficiles, ce projet de loi constitutionnelle va enfin être ratifié. L'égalité entre les femmes et les hommes est désormais reconnue !

De tous ces débats sur une des formes de l'exception française, notre démocratie sort grandie dans la mesure où nous sommes tous d'accord pour franchir une nouvelle étape dans la modernisation de notre vie politique.

Souvenons-nous toutefois des temps où il était exclu pour une femme de prendre des responsabilités professionnelles ou politiques. Emile Zola écrivait alors : "Emanciper la femme, c'est excellent ; mais il faudrait avant tout lui enseigner l'usage de la liberté", tandis que le père des lycées de filles, Camille Sée, affirmait "qu'il n'y avait tout de même pas besoin d'avoir des avocates femelles, pas plus que des docteurs femelles." Ces propos, révoltants aujourd'hui, témoignent que même les plus progressistes, s'ils admettaient que la femme puisse un jour "s'émanciper", ne pouvaient à cette époque le concevoir autrement qu'avec le consentement des hommes.

Puis est arrivée la première guerre mondiale qui a vu tant de femmes remplacer les hommes dans les usines et les bureaux. Nécessité faisait alors loi, mais le bouleversement social fut sans précédent. Les femmes prouvaient qu'elles n'avaient rien à envier aux hommes.

Il fallut donc une guerre pour que les hommes découvrent leur égal : la femme !

Plus tard, le général de Gaulle, en 1944, leur accorde le droit de vote. L'on évoqua alors la nécessité de rendre hommage au courage et au sacrifice de toutes ces femmes qui s'étaient battues dans la Résistance. Rien n'était pour autant acquis...

En 1999, personne ne se risquerait sérieusement à remettre en cause l'égalité naturelle entre la femme et l'homme, mais il n'en a pas toujours été ainsi dans la société de nos grands-parents.

N'oublions pas non plus qu'en ce domaine, notre pays reste encore à la remorque des autres pays européens.

Au cours de nos débats, certains ont prétendu que seule une évolution des mentalités garantirait l'égalité des hommes et des femmes. C'est en partie vrai mais l'histoire a aussi prouvé que seuls des actes politiques pouvaient accélérer une évolution trop lente. Ainsi, lorsque Michel Debré annonça que l'ENA allait s'ouvrir aux femmes, il dut affronter le scepticisme des directeurs et des chefs de service. Rendons-lui l'hommage qu'il mérite au moment où nous apportons à la Constitution une modernisation qu'il pressentait déjà.

Selon d'autres, cette révision mettrait en cause les fondements de notre République, notamment le principe universaliste de l'élection républicaine. Mais l'homme abstrait auquel se réfère la Déclaration universelle des droits de l'homme, n'est-ce pas chacun d'entre nous, citoyen homme ou femme ?

Gardons-nous cependant de céder à la facilité et d'ériger la féminité en catégorie sociale. Cela conduirait tout droit au communautarisme et ce serait, si j'ose dire, un non-sens "naturel" puisque, êtres humains, nous naissons toujours homme ou femme. Par ce vote, nous ne ferons en définitive que rétablir un ordre naturel.

Après ce premier pas décisif, il convient aussi de s'interroger sur les conditions sociales qui permettraient d'affirmer cette égalité des hommes et des femmes. De ce point de vue, notre politique familiale apparaît dépassée, car fondée sur le modèle hérité des Trente Glorieuses : la famille patriarcale, indissolublement unie par le mariage. Seule une politique tenant compte des évolutions du siècle permettra aux femmes de trouver enfin leur juste place dans notre cité, de s'épanouir socialement, professionnellement et familialement : en bref, de mener harmonieusement une seule et même vie plutôt que mener de front des vies parallèles.

Pourquoi ne pas laisser aux femmes la liberté de choisir leur propre vie, de leur donner les moyens d'être ce qu'elles désirent être ? Il n'est plus supportable qu'un trop grand nombre d'entre elles n'aient d'autre choix que renoncer à avoir plus de deux enfants ou abandonner tout projet de carrière.

Pourquoi les bonnes intentions ne sont-elles jamais suivies d'effets ?

Est-il cohérent d'avoir hier diminué l'AGED et réduit la déduction fiscale pour emplois familiaux et de proclamer aujourd'hui la liberté et l'indépendance des femmes ? Ces mesures anti-famille ont eu pour unique conséquence de restreindre encore la liberté de choix des femmes (Exclamations de parlementaires du groupe socialiste et du groupe RCV ; applaudissements sur certains bancs).

Et lorsqu'une femme décide d'élever son enfant, croyez-vous que le congé parental lui permet de vivre ? Pourquoi ne pas instituer un salaire maternel ? (Mêmes mouvements) Plus que de logique, il s'agit de bon sens, pour ne pas parler du bénéfice économique (Mêmes mouvements).

Combien de femmes, faute de pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants avec leurs seules allocations, doivent se contenter d'emplois dits "alimentaires" ?

Désormais, politiques familiales, politique de l'emploi et politiques fiscales sont intimement liées. Favoriser la natalité, donner confiance en l'avenir, c'est aider les femmes à entrer sur le marché de l'emploi. Impliquer les hommes dans l'éducation des enfants, c'est tout simplement aider les femmes, donc la société tout entière.

Il faut en finir avec quelques idées fausses. L'INSEE a démontré que les pays dans lesquels les femmes sont les plus présentes dans la vie active sont ceux qui souffrent le moins du chômage. Les pays dans lesquels leur taux d'activité est faible, comme l'Espagne ou l'Italie, connaissent à l'inverse un chômage structurel élevé.

Mais l'égalité politique également reste largement à parachever. Les propos contradictoires du chef du Gouvernement, des ministres ou du Premier secrétaire du parti socialiste, ne sont pas pour nous rassurer, même si nous nous félicitons de ce que vous venez de dire à ce sujet, Monsieur le Premier ministre. Nous ne connaissons aujourd'hui ni le calendrier, ni le contenu des futures lois organiques ou autres. Nous n'avons aucune garantie que, derrière les intentions égalitaires louables, ne se cache pas une volonté de modifier les modes de scrutin. Certains parlementaires socialistes réclament des quotas, voire exigent une obligation de résultats électoraux. Ce serait remettre en cause la souveraineté du peuple ! (Exclamations de parlementaires du groupe socialiste)

De plus, cette réforme ne pourra se faire contre les partis politiques et le Sénat a donc eu raison de proposer, dans sa grande sagesse, une modification de l'article 4 de notre Constitution. La nouvelle UDF a toujours eu le souci de cette concertation et plusieurs de ses membres ont déposé des propositions de loi : d'abord Nicole Ameline et Gilles de Robien, soutenus par 104 députés de la IXe législature. Puis Alain Ferry et Pierre Albertini, qui proposent de modifier la loi de 1988 relative à la transparence de la vie politique ; sans oublier les nombreuses contributions d'Anne-Marie Idrac. La nouvelle UDF attend que ces propositions soient soutenues, comme elle attend de pouvoir mesurer la réelle détermination du Gouvernement à bien faire fonctionner les textes qui seront soumis demain au vote de l'Assemblée nationale, en deuxième lecture.

Le vote positif du groupe parlementaire UDF-Alliance n'empêchera pas celui-ci d'être vigilant pour l'application du principe égalitaire entre les hommes et les femmes.

Enfin je souhaiterais m'adresser particulièrement à mes collègues masculins. Dans 90 % de nos foyers, nous, les hommes, déléguons la gestion quotidienne du ménage à nos épouses ou à nos compagnes : celles-ci gèrent donc économiquement 90 % des communautés de vie de notre pays. Par ailleurs, jeune père de famille nombreuse, je souffre comme beaucoup d'entre nous d'un emploi du temps particulièrement chargé, qui nous conduit à confier à nos épouses et à nos compagnes ce que nous avons de plus cher au monde : nos enfants. Elles s'acquittent de cette double responsabilité avec compétence et amour.

Dans ces conditions, je n'arrive pas à comprendre que nous ayons tant de difficulté à leur faire confiance pour gérer nos communes, nos départements, nos régions, voire davantage. Offrons-leur cette possibilité constitutionnelle avec le plus naturel des respects, et sans condescendance (Applaudissements).

Mme Dinah Derycke - Il est des actes ou des événements dont on ne mesure l'importance que longtemps après. La présente révision constitutionnelle en fait partie, parce qu'elle ne produira ses effets concrets qu'à l'avenir, mais surtout parce qu'elle emporte une modification essentielle de notre lecture de la démocratie, de la République et de l'universalisme.

L'universalisme abstrait qui a prévalu depuis deux siècles ne s'est décliné en réalité qu'au masculin. La République a été, jusqu'en 1946, une République sexuée. Pourtant, par leur intelligence, leur courage, leur travail, les femmes ont, tout autant que les hommes, contribué à la construction de la République. Elles l'ont parfois payé de leur vie. Mais l'égalité en droits proclamée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et reconnue explicitement par notre Constitution ne s'est pas traduite par une égalité de fait.

Nous ne devons plus le tolérer.

Le constat est patent. Les femmes demeurent exclues de la représentation nationale. A chaque niveau de l'engagement en politique, des barrières invisibles existent. Les mécanismes de la discrimination sont multiples. D'abord l'organisation économique et sociale ne favorise guère l'engagement des femmes dans la vie publique, car elles subissent plus durement que les hommes la précarité de l'emploi, le temps partiel imposé, les salaires minorés, les professions peu valorisées, tout en assumant davantage que les hommes les charges domestiques et familiales. La double journée de travail constitue un frein à leur participation active aux responsabilités politiques.

D'autres freins relèvent des comportements propres aux partis politiques, cooptation et prime au sortant.

Enfin, les modes d'organisation et de fonctionnement de nos institutions ne sont pas neutres, qu'il s'agisse du cumul des mandats, des modes de scrutin ou du statut de l'élu.

Mais l'exclusion des femmes du champ politique s'appuie d'abord sur des préjugés tenant à une conception patriarcale toujours vivace : les femmes, par nature, ne seraient pas destinées à l'exercice du pouvoir.

Cette conception biologique a abouti à la hiérarchisation des sexes : aux hommes, la sphère publique, aux femmes la sphère privée. C'est dans le refus de ce concept d'une humanité non pas double, mais hiérarchisée, que réside le sens profond de la parité.

Inscrire, à l'article 3 de notre Constitution, que la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, n'est pas nier l'universalisme. C'est, au contraire, l'expliciter, le réaffirmer. Il n'est question ni de fonder un corps électoral distinct, ni de limiter les femmes à la seule représentation des femmes, mais de veiller à un partage équilibré des responsabilités au sein de la République. En ce sens, le combat pour la parité est un combat universaliste.

Il l'est parce qu'il concerne les déterminants fondamentaux de la vie humaine : la mixité est universelle, l'égalité entre femmes et hommes est un droit essentiel de l'être humain. Si nous nous accordons, je le crois, pour dire que les femmes ne sont pas une catégorie, ni une communauté, mais la moitié de l'humanité, alors la parité ne porte pas atteinte à l'universalisme, elle en procède.

Anatole France souriait de "cette majestueuse égalité devant la loi qui permet aux riches comme aux pauvres de dormir sous les ponts". En tant que représentants du peuple, il est de notre devoir de veiller à l'effectivité des droits. C'est dans la faille qui sépare le droit universel du fait social que se situe précisément notre rôle politique.

Dans le domaine de la vie civique, du droit social, de l'économie, le législateur a souvent interprété d'une manière active le principe d'égalité. Voyez la loi sur l'égalité professionnelle voulue par Mme Roudy. Les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances seront, d'ailleurs, un instrument utile pour progresser encore sur cette voie.

Mais dans le champ politique, les blocages restent multiples : si les décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et de 1998 ont installé un verrou interdisant toute mesure volontariste, le poids des mentalités, des traditions, des habitudes empêche aussi un rééquilibrage en faveur des femmes.

La question de la parité en politique nous place devant nos responsabilités de représentants du peuple. Combien de temps pouvions-nous encore accepter que la politique reste le dernier bastion du pouvoir masculin, quand, partout ailleurs dans notre société, la mixité est réalisée, ou en voie de l'être ? Si le rôle du politique est d'éclairer, d'énoncer les principes, il doit commencer par se les appliquer à lui-même. En ce sens, l'image de notre Congrès composé à 90 % d'hommes et 10 % de femmes a de quoi heurter. La tolérerait-on si c'était l'inverse ?

Le débat sur la "parité" s'est installé sur la place publique, de manière essentiellement philosophique car il y va de la place de la politique dans notre organisation sociale, de sa représentation, de son audience. Il a permis aussi de mettre en lumière les inégalités graves et persistantes dont les femmes sont encore victimes.

Nous voulons croire que notre Parlement, recomposé, transformé, deviendra un exemple pour faire avancer, partout, l'égalité. Nous voulons croire qu'à son tour, la société se mettra en mouvement sur des sujets qui, aujourd'hui, faute d'une représentation véritablement universelle, demeurent en grande partie occultés.

Des questions aussi fondamentales que les violences faites aux femmes au foyer ou sur leur lieu de travail, le partage des tâches domestiques ne doivent pas être renvoyées à la sphère privée. D'autres pays nous ont montré le chemin.

Les lois qui découleront de cette révision constitutionnelle provoqueront un bouleversement majeur de notre vie politique, bien au-delà de nos assemblées territoriales ou nationales. L'image que les Français se font de leurs hommes et de leurs femmes politiques en sera profondément transformée. En montrant que le pouvoir se partage de manière égale, la parité entraînera une adhésion plus grande de nos concitoyens. En montrant qu'il est possible de transformer radicalement ses moeurs et ses pratiques, la parité fera la preuve qu'il est possible de changer la société.

Dans une convention ratifiée par la France en 1983, l'ONU déclarait que les discriminations à l'encontre des femmes empêchaient ces dernières de servir l'humanité tout entière. Il nous faut l'entendre et ouvrir un nouveau chapitre, en appliquant les principes de l'égalité des droits des hommes et des femmes, en consacrant officiellement et symboliquement le principe du partage des responsabilités politiques. Ainsi, ensemble, dans la diversité de nos potentialités, de nos talents, de nos vertus, nous ferons honneur à la France et à la République. Le groupe socialiste du Sénat y contribuera avec fierté (Applaudissements des parlementaires du groupe socialiste).

M. le Président - La parole est à Mme Zimmermann pour le groupe RPR.

M. Emmanuel Hamel - La quatrième femme, après un seul homme ! Où est la parité ? (Exclamations et rires)

Mme Marie-Jo Zimmermann - Cet après-midi, nous allons renforcer le principe d'égalité, fondement même de notre République, en adoptant cette révision constitutionnelle. Celle-ci s'impose à nous, si nous souhaitons donner aux femmes toute leur place dans la vie politique. Regardons à cet instant notre hémicycle. Réuni en congrès, ce Parlement compte 898 membres dont 81 femmes, soit moins de 10 %.

Le Président de la République a cité Tacite le 16 avril dernier : "Quand un peuple ne parvient plus à faire évoluer ses moeurs, il en vient à devoir faire des lois". L'égalité des femmes et des hommes est déjà acquise en théorie. Mais dans les faits, d'importantes distorsions subsistent, et il est légitime d'adopter des mesures complémentaires, afin de mettre la réalité en conformité avec le droit.

Beaucoup a changé en quelques décennies. Il avait fallu attendre la Libération pour que les femmes françaises obtiennent le droit de vote, bien des années après les femmes des pays voisins. Elles avaient apporté une lourde contribution à l'effort de la Résistance.

C'était là un pas décisif vers une évolution irréversible que les gaullistes sont fiers d'avoir, depuis, accompagnée sans timidité.

En matière de droit du travail, une étape importante a été franchie en 1965, sous le gouvernement de Georges Pompidou, lorsque la loi a donné aux femmes mariées la liberté d'exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari. En 1973, sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, fut reconnu par la loi le principe "à travail égal, salaire égal", il est vrai, encore trop souvent négligé. Ce fut également le cas, dix ans plus tard, de l'interdiction de toute discrimination à l'embauche.

C'est à l'un de nos collègues, alors député gaulliste, aujourd'hui sénateur, que les Françaises doivent la reconnaissance, en 1967, du droit à la contraception. En 1970, l'autorité paternelle est remplacée par l'autorité parentale. En 1975, sous le gouvernement de Jacques Chirac, le divorce par consentement mutuel est reconnu, une loi interdisant toute discrimination de traitement entre hommes et femmes dans la fonction publique est votée, une législation sur l'interruption volontaire de grossesse est adoptée. En 1994, sous le gouvernement d'Edouard Balladur, les premières lois d'éthique biomédicale sont votées (Murmures sur divers bancs).

Dans la fonction publique, les femmes ont peu à peu acquis l'égalité avec les hommes à tous les postes. Dès sa création, à la Libération, Michel Debré a voulu que l'ENA s'ouvre sans distinction aux hommes et aux femmes mais il fallut attendre près de trente ans pour qu'il en soit de même à l'Ecole polytechnique. Les femmes ne purent accéder à l'Ecole navale qu'en 1993. La première femme préfet de région fut nommée en 1996 par le gouvernement d'Alain Juppé (Exclamations sur divers bancs).

Ces évolutions, qui nous semblent aujourd'hui naturelles, ont toutes nécessité une volonté politique. Les gaullistes les ont toujours amorcées ou accompagnées.

Les femmes ont su investir le marché du travail et y ont imposé leur savoir-faire. Cependant leur proportion diminue au fur et à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie, dans l'entreprise privée comme dans le secteur public : 25 % des cadres d'entreprises sont des femmes, mais seulement 5 % des cadres supérieurs. Dans le secteur de la santé, il y a 76 % de femmes, mais elles ne représentent que 20 % des médecins généralistes. 65 % des enseignants de l'école primaire sont des femmes, mais seulement 10 % des professeurs d'universités. Selon le récent rapport de Mme Colmou, sur 109 préfets, il n'y a que 6 femmes ; 5 seulement sur 30 recteurs ; 4 sur 88 présidents d'universités ; 1 seule sur 35 premiers présidents de cour d'appel. Ce n'est pas le fait du droit, mais n'est-ce pas le rôle du législateur de mettre un terme aux inégalités qui ne se résorbent pas naturellement ?

C'est en politique que la sous-représentation des femmes est la plus criante. A cet égard, la situation de la France contraste fortement avec celle des autres pays de l'Union européenne : la Suède compte plus de 40 % de femmes dans son Parlement, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas un tiers ; même l'Espagne, dont l'héritage historique et culturel est proche du nôtre, nous devance largement, puisque 25 % des parlementaires y sont des femmes, tandis qu'en France, on compte à peine 10 % de femmes parmi les députés et moins de 6 % parmi les sénateurs.

La sous-représentation des femmes dans les assemblées locales, pour être plus limitée, n'en reste pas moins anormale. Les femmes représentent en effet 21 % des conseillers municipaux, 25 % des conseillers régionaux et moins de 8 % des maires et des conseillers généraux.

Bien sûr, des femmes parviennent à entrer en politique et à y réussir, mais beaucoup d'obstacles demeurent, et il serait fort hypocrite de regretter le manque de femmes en politique sans proposer de remèdes.

Individuellement, chacun parmi nous souhaite que les femmes occupent une juste place en politique ; malheureusement, les responsables ont trop souvent reculé devant les mesures à prendre. La conduite des affaires publiques doit s'ouvrir pleinement à la réalité sociale de notre pays, fondée sur la mixité. Nos différences nous enrichissent ; nous devons donc faire en sorte que les femmes aient toute leur place dans la République. L'égalité fonde notre citoyenneté.

L'adoption de cette révision constitutionnelle sera le couronnement du travail parlementaire, qui a remédié aux ambiguïtés et imprécisions du projet initial. Le texte sur lequel nous nous prononçons est l'expression d'un large consensus.

Avec mon collègue Baguet, nous avions proposé en deuxième lecture à l'Assemblée nationale un amendement de conciliation, consistant à revenir au texte initial. Nous n'avons pas été entendus et il a fallu une troisième lecture pour parvenir à un compromis.

Ce texte, à la fois plus équilibré et plus réaliste, sera un levier efficace pour faire évoluer les mentalités et les comportements. Réduire l'inégalité en introduisant plus de mixité dans notre vie politique, voilà l'enjeu ; renforcer la place des femmes dans la vie politique est une exigence de démocratie, de justice et de bon fonctionnement de notre pays, mais la promotion des femmes dans la vie politique doit s'accompagner de leur promotion dans toute la société. Il s'agit de servir non pas les ambitions féminines, mais l'intérêt général.

En votant cette révision constitutionnelle, les députés RPR affirment solennellement que les femmes ne sont pas une catégorie de la population mais l'une des deux composantes, absolument égales en dignité, de l'humanité. Ils contribueront ainsi à construire une société plus juste et, pour reprendre le mot de Stendhal, "plus civilisée". Parce qu'ils approuvent aujourd'hui résolument ce texte, ils seront demain particulièrement vigilants lorsque seront proposées les mesures d'application (Applaudissements).

M. Emmanuel Hamel - Présentez-vous à la présidence du RPR !

M. Philippe Richert - L'un des objectifs premiers que se fixe notre démocratie est d'offrir à chacun de nos concitoyens des chances égales d'épanouissement personnel et d'accès aux responsabilités. Nous avons à cet égard une obligation de moyens et de résultats. L'engagement sans faille pour le respect de ce principe républicain est un devoir moral.

Cependant, qui oserait affirmer aujourd'hui qu'un fils d'ouvrier a les mêmes chances de réussite qu'un jeune dont les parents occupent des postes de responsabilité ? Qui voudrait faire croire qu'un jeune issu des "quartiers difficiles" peut prétendre au même parcours qu'un jeune né dans le XVIème arrondissement de Paris ? La situation n'a fait qu'empirer ces vingt dernières années ; l'ascenseur social semble en panne.

L'une des inégalités inacceptables est celle dont sont victimes les femmes. Il n'est pas admissible que subsiste un écart de salaire de 25 % entre hommes et femmes pour des postes à responsabilité identique. Il n'est pas acceptable que si peu de femmes occupent des postes de responsabilité dans la vie économique et sociale de notre pays, pas normal que la présence active des femmes soit si faible dans les instances de la représentation nationale.

Le groupe de l'Union centriste, parce qu'il milite avec conviction pour l'égalité des chances, s'est attelé à rechercher les voies et moyens de remédier à cette situation, en s'attachant au fond plutôt qu'aux effets d'annonce. L'inscription dans la Constitution du principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives lui paraît inéluctable.

Certes, des changements se sont produits et l'état d'esprit a évolué. Depuis juin 1997, les femmes représentent 10 % des députés en France, et aux dernières élections européennes toutes les listes ont fait des efforts pour tendre vers la parité, mais les écarts restent sensibles, et des renversements de tendance ne sont pas à exclure. Or, le préambule de la Constitution de 1946, inséré dans notre actuelle Constitution, proclame : "La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes". Plus généralement, le droit français ne comporte aucune distinction, exclusion ou restriction ayant pour effet de compromettre le droit égal des femmes en matière politique. Notre débat trouve donc son origine, non dans un déficit législatif, mais dans le constat unanime d'un écart manifeste entre le droit et les faits.

La plupart des observateurs estiment que le verrou principal a été posé par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982 qui a déclaré non conforme un amendement au projet de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux, visant à limiter à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant figurer sur une liste. Une révision de la Constitution apparaissait donc indispensable pour mettre fin aux réticences du juge constitutionnel et pour inscrire dans les tables de la Loi le principe, désormais constitutionnel, de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Mais tout reste à faire, car l'application effective de ce principe ne dépend pas seulement d'une modification des règles de droit. Le Sénat a bien compris que les partis politiques détiennent une des clés essentielles pour atteindre l'objectif poursuivi et a fini, à force d'insistance, par être entendu. Ainsi, la loi pourra prévoir des mesures d'incitation financière à l'égard des partis. De plus, l'amélioration du statut de l'élu devrait encourager la participation des femmes à la vie publique.

La sous-représentation des femmes dans les instances et les lieux de décision publics tient avant tout à des résistances sociologiques et psychologiques et à une pratique politique que seule une action volontariste des partis politiques permettrait de dépasser, pour peu qu'ils le souhaitent vraiment. Les exemples de nos voisins européens sont là pour nous le rappeler. L'adoption de ce texte, même s'il est un signal fort, ne provoquera donc pas ipso facto une arrivée massive des femmes sur le devant de la scène politique. Le chemin à parcourir sera long. Nous devons accompagner ce texte d'une véritable "révolution culturelle", une révolution de nos mentalités et de nos comportements, puis adopter dans tous les secteurs des mesures efficaces.

Chacun s'accorde à penser que les partis politiques doivent montrer l'exemple, mais tout le monde sait aussi que cela ne sera pas suffisant. Pour qu'une société soit équilibrée, il faut que l'égalité vaille également dans le domaine de l'entreprise, de l'administration, de la vie privée. C'est contre toutes les discriminations qu'il faut lutter, à tous les niveaux de la société. Le groupe de l'Union centriste a toujours été un farouche partisan de leur abolition. Veillons ensemble à ce que ce texte soit bel et bien suivi d'effets.

Sans une initiative forte du législateur, la situation n'aurait sans doute jamais évolué d'elle-même aussi rapidement. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'Union centriste du Sénat est favorable à la modification de la Constitution (Applaudissements).

Mme Catherine Tasca - "Souvent femme varie", écrivait Hugo dans Le Roi s'amuse. Notre présence aujourd'hui à Versailles fait mentir le poète. Si nous sommes réunis ce jour pour réviser la Constitution en ses articles 3 et 4, afin d'affirmer l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, c'est avant tout grâce au combat résolu, obstiné et constant de ces femmes qui, depuis des années, ont oeuvré pour la parité. Elles, elles n'ont jamais varié (Applaudissements). Je ne puis toutes les citer, tant elles furent nombreuses, mais je tiens à leur rendre un juste hommage et à leur adresser un salut amical et reconnaissant.

Je salue aussi l'action de Lionel Jospin, d'Elisabeth Guigou et de Nicole Péry qui, malgré les difficultés rencontrées lors de l'examen de ce projet de loi constitutionnelle, n'ont jamais infléchi leur position. Le débat aura été vif, contradictoire et finalement passionnant. Les deux assemblées se sont opposées, cette confrontation des idées suscitant d'ailleurs un débat de spécialistes d'une grande intensité comme il est normal pour un texte constitutionnel qui ne propose rien de moins que de faire évoluer notre lecture des principes républicains, puis l'Assemblée et le Sénat ont su, avec sagesse et responsabilité, rapprocher leurs vues afin d'aboutir à un texte équilibré qui, je le crois, suscite une large adhésion dans l'opinion et permettra d'atteindre l'objectif poursuivi : une juste représentation des femmes et des hommes dans nos assemblées.

Je ne reviendrai pas sur le retard que notre pays connaît en ce domaine. Cet état de fait déplorable est connu de tous, et chacun dit le regretter. Je ne reprendrai pas non plus l'analyse des raisons culturelles et historiques qui ont conduit à cette situation. Je constate seulement que la France demeure, aujourd'hui encore, sous l'empire de la loi salique, si ce n'est en droit, du moins dans les mentalités. Pour cette raison, il est impossible de s'en remettre aux seuls partis politiques pour aller vers l'égalité réelle : ils ont largement montré leur incapacité à infléchir la réalité.

Les déplorations perpétuelles qui ne se traduisent par aucune avancée réelle ne peuvent plus suffire. Il faut affirmer clairement la nécessité d'aboutir à l'égalité réelle des femmes et des hommes.

Certains ont redouté que cela n'entraîne la fin de l'universalisme et l'instauration d'une forme de communautarisme dans notre République. D'autres ont feint de croire que cette égalité réelle provoquerait la constitution d'un véritable régime d'apartheid, fondé sur un critère de genre. Il y a là bien des excès, mais aussi de véritables préoccupations qu'il serait injuste et léger de balayer d'un revers de main. Je veux donc rassurer ceux qui ont pu exprimer ces craintes que je crois infondées.

Nous avons engagé, par cette révision constitutionnelle, une démarche pragmatique. L'égalité réelle des femmes et des hommes en matière politique suppose un changement de mentalité, et il est difficile de s'opposer à une culture et à une histoire nationales qui ont si longtemps tenu les femmes écartées de l'exercice de la souveraineté. On ne peut changer la société par décret, ont l'habitude de dire ceux qui ne veulent pas agir. Mais si la loi a évidemment une fonction normative, elle présente également des vertus incitatives et symboliques. Elle ne se contente pas d'interdire : elle peut également fixer des objectifs afin d'accorder la République avec son temps.

Le présent projet de loi constitutionnelle en est un exemple. Il permettra tout d'abord aux femmes de porter à leur juste place -c'est-à-dire la moitié de l'humanité- leur part du fardeau des responsabilités. Plusieurs mesures ont pu être évoquées, à commencer par la parité des candidatures aux scrutins de liste. Pour les scrutins uninominaux, on pourra prévoir des incitations financières à l'intention des partis politiques. Le projet autorise ces mesures et permet de dépasser la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 et 1999. On peut également imaginer bien d'autres mécanismes ou incitations, et je suis convaincue que, dans les mois qui viennent, les réflexions en ce domaine seront intenses et fructueuses, que ce soit à l'initiative de Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes ou sur proposition de nos futures délégations parlementaires aux droits des femmes ou de l'Observatoire de la parité. Mme Péry a d'ailleurs présenté en conseil des ministres mercredi dernier une politique globale pour améliorer l'accès des femmes à l'emploi et aux postes de décision, et cette préoccupation chemine aussi au niveau européen, comme l'a montré la récente conférence de Paris.

Cette politique active en faveur d'une égalité réelle des femmes et des hommes n'est pas, comme certains ont pu l'affirmer, une remise en cause de nos principes fondamentaux. Bien au contraire, elle entend faire que notre République devienne enfin réellement universelle, car force est de constater que l'universalisme républicain a longtemps été un édifice incomplet décliné uniquement au masculin. Cela ne choquait pas les hommes : un tel universalisme leur convenait... évidemment. Mais la dualité des sexes constitue bien une différence universelle et non catégorielle. La société politique doit accepter cette mixité et non plus la nier aveuglément. La mixité ne porte pas atteinte au principe d'égalité : elle en est au contraire la traduction nécessaire. Il ne s'agit pas d'affirmer la primauté d'un sexe sur un autre et de reprendre à l'envers les discours si longtemps tenus par les hommes, en proclamant la supériorité des femmes.

Nos concitoyens sont attentifs à ce que nous allons voter aujourd'hui. De ce signal fort, inscrit dans notre loi fondamentale, naîtra un vaste mouvement vers l'égalité réelle, non seulement en politique, mais aussi dans toutes les sphères de la vie sociale. Il nous faudra savoir répondre à l'interrogation, et souvent au doute, qu'expriment toutes celles qui -comme tant d'hommes, d'ailleurs- n'entreront jamais en politique. Elles nous demandent : qu'est-ce que la parité politique changera pour nous ?

L'égal accès aux mandats et fonctions politiques ne constitue pas un point d'aboutissement, mais un socle. Demain, les femmes qui le voudront pourront prendre des responsabilités. Elles aussi pourront dire : "Nous avons décidé" et non plus : "Ils ont décidé".

Messieurs les députés, Messieurs les sénateurs, ne craignez pas cette présence des femmes dans nos assemblées et dans la société. Ce n'est pas, pour vous, une concurrence nouvelle mais bien plutôt un renfort qui vous sera ainsi apporté. Stendhal écrivait : "L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain". Face à cette société moderne dont il est de plus en plus difficile de démêler l'écheveau, nous ne serons jamais trop nombreux, hommes et femmes, pour aller plus loin, ensemble.

C'est pourquoi le groupe socialiste de l'Assemblée nationale votera ce projet de loi constitutionnelle qui est au coeur du projet de modernisation de notre vie publique que mène notre majorité (Applaudissements).

Mme Anne Heinis - "Tous les citoyens étant égaux", ils sont "également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents". C'est l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme.

"La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme", précise le préambule de la Constitution de 1946.

Ces deux textes, on le sait, ont valeur constitutionnelle. Le principe de l'égalité des hommes et des femmes à toutes les fonctions est ainsi clairement posé par nos textes fondateurs.

La révision constitutionnelle, soumise au vote du Parlement réuni en Congrès, vise à compléter l'article 3 de notre Constitution afin de préciser que "la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives". Elle tend aussi à ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 4, relatif aux partis politiques, qui "contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi." Nous passons donc au plan des moyens.

Tout au long du débat parlementaire, l'absence des femmes aux postes de haute responsabilité a été largement commentée. Deux raisons majeures ont été mises en avant : les moeurs des partis politiques et les freins socio-culturels.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation difficile, puisqu'il nous est demandé de réformer les moeurs par la loi, et même la loi constitutionnelle, alors qu'il est plus logique et plus habituel de réformer la loi en fonction des moeurs.

L'exécutif aurait pu mener une large réflexion sur les moyens de faire coïncider le rôle des femmes, en ce XXe siècle finissant, avec les responsabilités qui devraient aller de pair. Au lieu de cela, l'unique voie qui nous a été proposée fut celle de la révision constitutionnelle.

Nous avons entendu les partisans de celle-ci vouloir l'imposer en réclamant sans cesse "du concret", alors que nous ne pouvions éviter le débat philosophique, dans lequel se sont affrontées les plus éminentes personnalités, sans toutefois aboutir.

Par ailleurs, j'observe que le Gouvernement n'a pas précisé les conditions de mise en oeuvre du principe d'égalité. L'incertitude plane sur les lois qui devront être élaborées.

Or seule la proportionnelle qui politise les choix à l'excès et a pour effet de paralyser l'exécutif, permet de garantir l'égalité du nombre des candidatures, ce qui exclut le scrutin uninominal qui, lui, permet l'émergence de candidats libres et respecte le droit de chaque citoyen de voter pour le candidat de son choix. Aucun système électoral n'est parfait, mais il est dangereux d'éliminer celui qui respecte le mieux la liberté individuelle, sans laquelle il n'y a pas de démocratie.

J'observe également qu'à plusieurs reprises, le Premier ministre et le Garde des Sceaux ont affirmé que l'inscription du principe de parité dans la Constitution ne serait pas liée à une réforme des modes de scrutin et à l'instauration de quotas. C'est sur cette garantie que nous avons voté la révision de la Constitution intégrant les propositions de la majorité sénatoriale en faveur de la parité.

Or, dès la semaine dernière, le Gouvernement a présenté au Sénat une loi tendant à instaurer la proportionnelle dans tous les départements qui ont plus de deux sénateurs. Première entorse !

Par ailleurs, jeudi dernier, alors que nous examinions un amendement du groupe communiste imposant la parité aux sénateurs élus à la proportionnelle, le ministre de l'intérieur a répondu à Henri de Raincourt, président du groupe des Républicains et Indépendants, que cet amendement était prématuré et qu'il convenait d'attendre le vote du Congrès.

C'est une réponse de principe que nous attendons du Gouvernement, qui ne peut laisser planer le doute sur ses intentions.

Je regrette que M. le Premier ministre n'ait pas pris devant le Sénat un engagement aussi ferme que devant l'Assemblée nationale.

Quant on fait oeuvre de constituants, qu'on écrit ou qu'on modifie notre texte fondateur, on ne peut pas évacuer le débat philosophique. C'est l'esprit de la République qui est menacé.

L'article 3 traite de la souveraineté nationale, une et indivisible, alors que l'article 4 est relatif aux partis politiques, par nature multiples et changeants. Se pose à nous le problème de la compatibilité entre la logique philosophique universaliste et la logique politique, qui ne sont pas du même ordre.

L'article 3, en effet, renvoie à la représentativité qui, intemporelle et désincarnée, ne connaît pas de contingences. L'article 4, au contraire, se situe dans une logique d'action, qui vise un résultat et met en jeu la spécificité des personnes et leurs capacités à atteindre les objectifs fixés.

L'individu ou la personne ? La représentation ou l'action ? Le temps ou la durée ? Vastes questions ! L'universel est-il sexué ? C'est un des aspects du débat philosophique.

Comment assurer l'égalité sans compromettre l'universalité ? s'interroge Robert Badinter. Comment concilier l'esprit d'égalité et l'esprit de liberté ? se demandait déjà Alexis de Tocqueville, qui appelait "l'inquiétude du coeur", cette difficulté à concilier l'obsession égalitaire, passion de l'individu démocratique, et l'aspiration à être libre.

Universalité, égalité, liberté. Pour revenir à la réalité, il manque à cette trilogie deux notions essentielles : le temps et la complémentarité.

Notre époque vit dans l'instant, ce qui nous fait confondre opinion publique et opinion médiatique, refuser simultanément le passé et l'avenir, alors que la vie n'est jamais qu'une longue histoire tournée vers l'avenir.

L'universel s'incarne à la fois dans le temps, dans l'homme et dans la femme. Chaque "personne humaine" est unique, mais est aussi un être différencié, social, qui ne peut vivre sans les autres. C'est sans doute cette complémentarité qui, dans la vie, fait le lien entre la différence, l'égalité et l'universalité.

En effet, si en tant que personnes, nous sommes biologiquement différents, comme citoyens nous ne le sommes pas : nos votes ont tous le même poids. C'est pourquoi, si on veut instituer la différence des sexes dans la représentation citoyenne, où elle n'a pas lieu d'être, il convient au moins d'affirmer la complémentarité de l'homme et de la femme dans les liens du couple, où elle fonde la dimension essentielle et constitutive de la vie.

Dans le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, les femmes doivent à la fois affirmer l'universalité du genre humain, qui garantit l'égalité en droit, et faire admettre que leurs aspirations sont, pour certaines, différentes, mais heureusement complémentaires de celles des hommes. Exercice qui n'est pas si aisé !

J'ai un grand regret : nous n'avons pas interrogé les jeunes femmes, ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat, malgré ma demande. J'aurais aimé les entendre. Les plus jeunes et les plus dynamiques d'entre elles ne veulent pas qu'on leur fasse l'aumône d'une place. Celles qui se sont battues à armes égales avec les garçons refusent ces quotas qui déshonorent leur combat et leur succès.

En outre, si les femmes aspirent à jouer leur rôle dans la vie publique, sociale et économique, elles n'entendent pas pour autant renoncer à la sphère privée et spécialement à la fonction maternelle. Qu'on le veuille ou non, donner la vie est bien la fonction spécifique de la condition féminine, bien évidemment indissociable et complémentaire de celle de l'homme, sauf à envisager un univers terrifiant d'êtres clonés, dont on ne sait pas ce qui leur restera d'humain, à part, peut-être, l'apparence.

Les fonctions fondamentales demeurent. Ce sont les tâches qui changent dans le temps et sur lesquelles doivent porter tous nos efforts.

Comme l'a dit justement ma collègue Annick Bocandé, il est encore difficile pour une femme de s'imposer en politique, pour des raisons culturelles, familiales et sociales évidentes. Il reste encore de grands progrès à faire dans les comportements politiques et administratifs, mais aussi en matière d'aide aux familles. N'oublions pas que mettre au monde des enfants, les élever, les éduquer, c'est former les citoyens de demain.

Concilier l'épanouissement familial et l'ambition professionnelle ou politique, voilà l'objectif. Mme Colmou, dans son rapport, rappelle que "les freins à la progression des femmes sont dans les faits et non dans le droit". Elle rejoint, sur ce point, et pour des raisons très différentes, les conclusions d'Elisabeth Badinter, qui dit : "Nous nous sommes trompés de débat, c'est au pouvoir qu'il fallait s'attaquer".

Alors, fallait-il d'emblée enfermer le débat dans un champ spécifiquement juridique et philosophique, ou bien s'atteler à des réformes que je qualifierai de techniques pour débloquer les freins à l'égalité ? La question reste posée.

Dans cette ligne d'action, les présidents de groupes de la majorité sénatoriale ont déposé une proposition de loi, adoptée en séance publique le 15 juin dernier. Ce texte porte sur la famille, dont le rapporteur a souligné qu'elle n'était pas seulement une affaire privée, mais aussi une affaire publique. Il s'organise autour de plusieurs axes et tend à assurer un meilleur équilibre entre obligations familiales et obligations professionnelles ou politiques.

C'est bien ce qu'il faut faire pour être efficace sans encourir les foudres du Conseil constitutionnel ni malmener nos grands principes républicains.

Le plus intéressant, dans ce débat, est ce qui s'est passé lors des assemblées. L'égalité, en effet, progresse plus vite qu'on le pense. Ainsi, 44 % des candidats admis à l'ENA sont des filles, contre 4 % il y a vingt ans.

A la sortie, l'égalité est presque atteinte dans les grands corps. Au sein de la dernière promotion même, trois filles ont intégré le Conseil d'Etat, contre seulement deux garçons. Une jeune femme vient d'obtenir son brevet de pilote de chasse, une autre a été nommée PDG de la plus grosse entreprise nucléaire de France. Ce sont là des cas exceptionnels, mais je n'aurais pu en trouver de tels il y a quinze ans.

Alors que la révision de la Constitution n'était même pas votée, six des dix premières listes aux européennes comportaient au moins la moitié de femmes, dont la moitié en position éligible. Qui l'aurait cru il y a trois ans seulement ?

A la demande pressante du Gouvernement et du Président de la République, l'Assemblée nationale et le Sénat ont tout fait pour concilier leurs approches et aboutir à un vote conforme. L'analyse détaillée de nos débats révèle toutefois combien la question était délicate.

La loi sur la parité ne résoudra pas tout. Le reste ne nous sera pas non plus donné par surcroît. Comme l'a souligné le Président Chirac lui-même, les mentalités devront évoluer pour que l'on donne aux femmes leur juste place dans la société. Nous aurons tous encore beaucoup d'efforts à faire.

En conclusion, je formulerai le voeu que les femmes, si elles en ont le goût, s'investissent courageusement dans la vie politique. Le monde politique a besoin d'elles : hommes et femmes sont faits pour que leurs qualités se complètent... et que leurs insuffisances se compensent, même en politique. Enfin, la France est, dit-on, le pays où les hommes et les femmes s'entendent le mieux. Ne perdons surtout pas cette source de bonheur (Nombreux applaudissements).

M. Gérard Cornu - A regarder notre démocratie de plus près, nous avons décelé les symptômes d'une défaillance. Les femmes n'ont en effet pas accès de façon égale aux responsabilités politiques.

En révisant la Constitution de façon que la loi "favorise un égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives et aux mandats électoraux", nous répondons au voeu du Président de la République qui a souhaité que cette révision aboutisse le plus rapidement possible, mais aussi des femmes, des élus et de la classe politique tout entière qui s'accorde sur ce principe.

Pour certains -les "universalistes"-, la République et le corps électoral sont indivisibles. Pour eux, la revendication paritaire et l'introduction de quotas menacent l'universalisme républicain qui confond tous les citoyens, là où la parité va les distinguer.

Pour d'autres -les "paritaristes" ou les "communautaristes"-, la parité est conciliable avec l'universalisme car les femmes ne constituent ni une catégorie physique, ni une classe sociale ni une composante culturelle. Pour eux, la différence des sexes traverse toutes les catégories et la faible place des femmes en politique fait apparaître une discrimination.

Pour notre part, ni féministes, ni misogynes, nous avons débattu sur le terrain juridique.

Mes collègues et moi aurions préféré inscrire la parité à l'article 4 de la Constitution qui concerne les partis politiques. Comme ils concourent à l'expression du suffrage, il était légitime de leur faire revenir la charge d'établir la parité. Les résultats des dernières européennes ont montré qu'ils en étaient capables, sans avoir besoin de la loi, et que la suspicion à leur égard n'était peut-être pas justifiée.

Notre travail de parlementaire est d'élaborer un droit vivant, qui ne peut en aucun cas être l'apanage d'un parti. C'est guidés par l'intérêt général que nous avons envisagé cette modernisation de la vie politique. Ce ne pouvait être le monopole d'un groupe, d'hommes ou de femmes, de droite ou de gauche.

Nous devons permettre une parité conciliable avec l'esprit républicain, puisque l'exercice du droit de vote n'a pas suffisamment permis aux femmes de représenter la nation.

En droit, le débat est inutile, l'égalité étant garantie à la fois sur le plan juridique et sur le plan constitutionnel.

Pourtant, peu glorieuse exception française, le nombre de femmes élues est insuffisant. A l'évidence, il existe une inégalité de traitement et le droit des femmes à représenter est demeuré formel.

Nous allons donc veiller à ce que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Nous veillerons et les partis politiques veilleront à ce que les femmes ne soient pas élues grâce à des quotas, mais bien à leur mérite, à leur travail et à leurs compétences. Elles ne doivent pas être élues au rabais ! Sous prétexte de parité, les femmes ne doivent pas devenir un gadget électoral.

Si nous nous accordons sur le principe de favoriser un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions, nous n'ignorons pas que la parité peut entraîner l'adoption du scrutin proportionnel. En effet, elle ne peut être réalisée que par l'institution de quotas ou l'incitation financière qui pourrait peser sur les partis. Or, quotas et scrutin majoritaire sont inconciliables. L'engagement du Gouvernement ne nous assure en rien qu'une majorité à l'Assemblée nationale n'imposerait pas la généralisation de la proportionnelle, au prétexte d'instaurer la parité.

Bien des questions demeurent donc. Comment le Gouvernement envisagerait-il de réformer le financement public des partis ? Jusqu'à quelle hauteur serait sanctionné le non-respect du principe d'égal accès ? Une réforme du statut de l'élu pourrait-elle inclure des discriminations positives pour les femmes ? Si oui, lesquelles ?

On ne peut revendiquer le droit à la représentation comme le droit de vote. L'égal accès sera favorisé au stade des candidatures. Des "quotas" de candidats accroissent l'égalité des chances mais ne garantissent en aucun cas l'égalité de résultats. Cette égalité des chances ne doit en rien entamer la liberté de candidature et la liberté de vote.

Personne n'est totalement satisfait par le texte soumis à notre approbation, mais surtout personne n'y est radicalement hostile. C'est pourquoi le Sénat, tout en refusant de donner des gages à la démagogie, a voulu éviter le blocage. Pour réaliser la réforme constitutionnelle, chacune des chambres du Parlement devait faire un effort.

Tout en modernisant notre vie politique, nous devons nous garder des effets de mode. Déplacer les frontières des inégalités n'est pas supprimer les inégalités. La dynamique démocratique est toujours à renouveler : avec elle, c'est Pénélope devenue législateur.

Renforcer la démocratie, c'est aussi améliorer la démocratie. Tel doit être notre objectif : aller vers nos concitoyens sans s'attacher à leurs différences, mais en gardant toujours à l'esprit qu'ils appartiennent à une même communauté, à une même nation.

C'est dans cet esprit que le groupe RPR du Sénat votera majoritairement la réforme constitutionnelle (Nombreux applaudissements).

Mme Hélène Luc - Nous sommes aujourd'hui investis d'une grande mission : celle de placer l'entrée de la France dans le troisième millénaire sous les auspices d'une nouvelle modernité, d'une nouvelle avancée historique, en inscrivant dans notre Constitution l'exigence de l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités de la vie publique.

Nous sommes nombreuses et nombreux ici à l'instar de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs du groupe Communiste Républicain et Citoyen que j'ai l'honneur de présider, a avoir à coeur le vote d'une réforme consacrant la place qui revient aux femmes dans la société. Cette place par elles conquise, l'article 3 de la Constitution devait la leur garantir. Or ce fut le contraire qui se produisit. C'est en effet en se fondant sur cet article que le Conseil constitutionnel a censuré toute initiative du législateur visant à assurer une participation équilibrée des hommes et des femmes à la vie politique. Aussi cette révision s'impose-t-elle.

La parité des sexes prendra ainsi place parmi les fondements de notre démocratie, au même rang que la séparation des pouvoirs et le suffrage universel car elle restitue à notre communauté humaine sa dualité constitutive. A travers elle se refonde l'universalité, dans ses deux composantes, masculine et féminine. Hors de cette essence irréductiblement double, le genre humain n'a ni identité ni destin.

Le débat sur la parité a été un formidable déclencheur, suscitant une prise de conscience qui contribuera à corriger une inégalité flagrante. Il faut que ce mouvement soit irréversible !

Les Françaises sont électrices et éligibles depuis 1945. Or combien sont-elles, 55 ans après, dans les assemblées élues ? Au Parlement, 82 sur 893 : pas même 10 % ; 24 % dans les conseils régionaux, 7 % dans les conseils généraux, 22 % dans les conseils municipaux et seulement 8 % à la tête des municipalités. Avec la persistance de ce quota invisible, il apparaissait illusoire d'attendre une évolution spontanée des mentalités et des comportements. Il fallait une démarche volontariste, un acte solennel.

Il s'agit de passer enfin d'une participation limitée à la représentation pleine et entière des femmes. Si ce n'est que justice pour elles, pour toute la société, ce sera bien plus ! Cette nouvelle donne va enrichir notre communauté de nouvelles idées, valeurs et pratiques, pour le plus grand progrès de la démocratie. Je suis convaincue que, quand il y aura 50 % de femmes dans nos institutions, nous gagnerons en efficacité ! La politique sera plus soucieuse des réalités, plus chaleureuse, plus proche des citoyens, moins désincarnée ou résignée, plus solidaire, même si les engagements continuent de diverger.

Les femmes sont en effet un ferment de changement et d'innovation dont la société a un besoin urgent et vital et qui redonnera à la vie politique sens et finalité. Ainsi rétablirons-nous la confiance de nos concitoyens qui sont d'ailleurs très majoritairement favorables à cette réforme voulue par la gauche plurielle.

Mais cette marche vers l'égalité, depuis longtemps amorcée, fut tout sauf spontanée. Elle doit beaucoup à l'action de quantité de femmes illustres ou anonymes : femmes écrivains, intellectuelles, personnalités marquantes des sciences, de la culture, du sport, résistantes, ouvrières animatrices de grandes luttes, femmes engagées dans le mouvement associatif, social et familial. Par leurs réflexions, leurs écrits, leur exemplarité, leurs élans, leurs révoltes, leur audace, leur générosité, elles ont remporté des batailles cruciales et arraché des droits nouveaux, comme le droit au travail ou le droit à une maternité choisie, qu'il nous appartient aujourd'hui de défendre contre les remises en cause incessantes.

C'est d'abord d'elles que nous tenons notre présent mandat et je veux leur rendre l'hommage qu'elles méritent.

Si de très nombreux hommes défendent les mêmes objectifs que nous autres femmes, certains autres, devenus minoritaires, se coalisent et se dissimulent derrière des considérations juridiques pour refuser ou freiner toute réforme. Aussi nous réjouissons-nous qu'après un débat passionné, un accord ait été trouvé entre les deux Assemblées. Rappelons-nous toutefois que le changement des institutions ou l'établissement de droits sont toujours le prix de combats et de ruptures. La vigilance et le volontarisme seraient nécessaires pour faire vivre dans les faits et dans les lois cette réforme de la Constitution.

Il faudra notamment promulguer au plus vite des textes organisant la parité pour chaque élection, développer le scrutin proportionnel (Exclamations sur divers bancs), car c'est la condition nécessaire de l'égalité de représentation ! et responsabiliser les partis politiques pour qu'ils assument la parité, pour ne pas parler du non-cumul des mandats et du statut de l'élu.

Si l'égalité marque des points pour ce qui est des fonctions électives, elle doit s'affirmer dans tous les autres lieux de pouvoir, dans tous les domaines de l'action publique, économique et sociale. En effet, pour ce qui est du chômage, de la précarité, des bas salaires, de la ségrégation professionnelle et des difficultés de la vie en général, la parité est, hélas, déjà largement atteinte. Les femmes en ont plus que leur part, alors que la responsabilité, la qualification et l'activité professionnelle des femmes sont à l'évidence des facteurs de croissance et d'efficacité.

Ce chantier d'une parité étendue, la gauche plurielle a vocation à le mener à terme. L'étape d'aujourd'hui doit être une incitation à aller plus loin.

Puisse également cet acte symbolique dépasser le strict cadre de nos frontières, pour influencer des sociétés où les femmes, simplement parce qu'elles sont femmes, demeurent des parias (Murmures). Nous pensons fortement à elles et nous agissons dans la solidarité.

Aujourd'hui, les sénateurs du groupe Communiste, Républicain et Citoyen voteront avec confiance, fierté et enthousiasme cette révision porteuse de changements importants. Grâce à cette reconnaissance solennelle de la parité, pourra se déployer une stimulante et riche dualité et complémentarité, dans une société de femmes et d'hommes que nous voulons libres, associés et égaux (Applaudissements).

M. Guy-Pierre Cabanel - Qu'il est difficile d'appliquer la parité : sept femmes se sont exprimées mais je ne serai que le quatrième homme à parler et même notre collègue Bocquet ne pourra à l'évidence rétablir l'équilibre ! (Sourires et murmures).

Approuvé en conseil des ministres le 17 juin 1998, ce projet de loi constitutionnelle a suscité depuis sa présentation, le 15 décembre dernier, à l'Assemblée nationale des débats passionnés et des prises de position contradictoires. J'espère qu'aujourd'hui nous débattons de cette réforme dans la sérénité mais je ne veux pas moins essayer de dire quel a été l'état d'esprit du Sénat, à la fois en tant que rapporteur et témoin, mais aussi comme partisan résolu de l'égalité en politique. "Hors d'âge", "misogyne", "conservateur", "rétrograde" : ainsi la presse a-t-elle qualifié le Sénat ou sa majorité pour n'avoir pas voté sans discuter la réforme constitutionnelle. L'occasion était tentante pour ceux qui critiquent le bicamérisme. La misogynie qu'ils croyaient déceler dans notre assemblée, très majoritairement masculine, offrait, face à l'accord unanime et immédiat des députés, un contraste trop évident pour qu'on ne l'exploite point !

Je reconnaîtrai franchement l'hostilité d'un grand nombre de sénateurs à l'instauration d'un système de quotas, ressenti d'ailleurs par beaucoup de femmes elles-mêmes comme une humiliation et je ne nierai pas le scepticisme d'autres.

M. Emmanuel Hamel - Dont M. Badinter.

M. Guy-Pierre Cabanel - Mais tous ont reconnu et déploré l'insuffisante présence des femmes dans les instances publiques et tous ont vu dans leur promotion en politique une élémentaire exigence démocratique.

Cependant, un tel constat ne dispense pas de s'interroger sur le moyen de parvenir à une mixité plus affirmée. Le texte approuvé par le Président de la République et le Premier ministre visait à ajouter à l'article 3 de la Constitution : "La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions". Mais l'Assemblée, sans état d'âme, adoptait une formule d'apparence plus contraignante, qui ne pouvait que susciter l'inquiétude du Sénat. Dès lors allait s'engager une joute qui a donné faussement une impression de combat d'arrière-garde.

Doit-on brocarder les sénateurs parce qu'ils ont fait leur travail de législateur en cherchant à concilier un voeu légitime, avec le respect des principes fondateurs de notre République ? En permettant que la loi établisse une discrimination positive en faveur des femmes, n'allait-on pas, en effet, ouvrir une brèche dans la conception universaliste de la citoyenneté et risquer une dérive communautariste ?

Peut-être certains de nos collègues ont-ils voulu croire à l'argument de Montesquieu : "il ne faut point faire par les lois ce que l'on peut faire par les moeurs". Au reste, selon un sondage BVA pour La Croix 74 % de nos concitoyens approuvaient certes le principe d'une loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes, mais 76 % considéraient que la société avait la responsabilité de l'évolution vers l'égalité des sexes, tant dans la vie publique que dans les domaines professionnels.

En première lecture, contrairement à ce qui a été dit, les sénateurs n'ont pas rejeté la parité, mais préféré à la formule de l'Assemblée une modification de l'article 4 de la Constitution, confiant aux partis politiques la responsabilité d'atteindre cet objectif de mixité égalitaire. J'avais obtenu que soit ajouté à cela un alinéa modulant le financement public des partis en fonction des efforts accomplis dans ce sens.

Pourquoi cette démarche, appuyée sur l'avis d'experts en droit constitutionnel, fut-elle assimilée hâtivement par certains à un refus pur et simple . Sans doute le Sénat a-t-il souffert d'un climat de suspicion favorisé par les précédents fâcheux de nos prédécesseurs, rejetant par six scrutins sans appel, de 1920 à 1936, les propositions en faveur du vote des femmes adoptées par la Chambre des députés.

C'est aussi parce que, malgré de généreuses déclarations, on n'a pas su, au sein de la plupart des partis politiques, corriger les plus criantes inégalités de candidature entre les femmes et les hommes. Les logiques, en usage pour les investitures constituent des obstacles infranchissables, pour les femmes. Au reste, il semble qu'on constate un phénomène analogue dans le secteur professionnel. Plusieurs études ont fait état d'un déclassement à l'embauche des jeunes filles par rapport aux garçons, et d'un "plafond invisible" auquel les femmes se heurtent presque inévitablement dans leur carrière.

En tout cas, le Sénat s'est converti, en deuxième lecture, au texte que j'avais proposé en commission des Lois, en écrivant : "La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives", et en ajoutant : "Les partis politiques contribuent à la mise en oeuvre du principe ainsi énoncé". Cela a permis un dénouement heureux, puisque nous sommes aujourd'hui en Congrès. Ce qu'il faut retenir de ce psychodrame parlementaire, c'est la capacité de réflexion de nos Assemblées. Le bicamérisme ne stérilise pas le débat, il l'enrichit et le rend plus sûr, toutes les objections ayant été examinées.

M. Christian Poncelet, Président du Sénat  - Très bien !

M. Guy Cabanel - Peur-être le débat a-t-il aussi incité les femmes à mieux analyser leur démarche. En voulant être égales, elles ont cherché à faire oublier leur différence : mais celle-ci n'est-elle pas ce qui fait d'elles une des deux composantes de l'humanité ?

Je regrette enfin que le Gouvernement n'ait pas exposé plus clairement ses vues sur les modalités d'application des principes que nous allons voter, même si la déclaration du Premier ministre a contribué à éclairer le débat. Je souhaite qu'il soit fait de la réforme un usage prudent et progressif.

Mais "la vie n'est pas neutre" observait Bergson, il faut choisir. C'est pourquoi je voterai le projet avec la majorité du RDSE. La démocratie a beaucoup à gagner de la présence accrue des femmes dans nos assemblées. Il est important de donner sans arrière-pensée un signal attendu depuis longtemps. Pour ma part, je suis heureux d'y contribuer par le vote de la réforme constitutionnelle. (Nombreux applaudissements).

M. Alain Bocquet - Je veux d'abord, au nom des députés communistes et apparentés, rendre hommage à toutes les femmes qui ont, par leur détermination, su entraîner le politique à prendre en compte le fait que la société est composée d'hommes et de femmes. La modification apportée aujourd'hui à la Constitution manifeste la volonté de la France d'aborder le XXIe siècle en plaçant au coeur de ses choix l'égalité des femmes et des hommes.

"L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses probabilités de bonheur", écrivait déjà Stendhal. Ce n'est pas qu'une question d'égalité des droits, c'est une question de démocratie. Les femmes ont, par les luttes qu'elles ont menées, obtenu leur émancipation. Du droit de vote accordé par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, sur proposition de Fernand Grenier, à l'égalité professionnelle, en passant par la maîtrise de la fécondité par la contraception et la loi sur l'IVG, les droits des femmes ont connu des progrès remarquables depuis un demi-siècle.

Les rapports entre les femmes en ont été changés, mais aussi les rapports entre les enfants et les parents, comme l'ensemble des rapports dans la société. Il reste néanmoins beaucoup à faire, car il y a encore des blocages dans beaucoup de domaines, dont la sous-représentation inadmissible des femmes dans les lieux de décision. C'est ce qu'expriment plus de 80 % de nos concitoyens en approuvant la parité.

Il est nécessaire, dans ce contexte, de faire preuve de responsabilité, et d'aller au-delà du consensus de principe et des déclarations d'intention. Inscrire, dans l'article de la Constitution consacré à la souveraineté nationale, l'égal accès des femmes et des hommes aux divers mandats et fonctions, constitue une avancée nécessaire et un point d'appui pour la prochaine étape. Il faudra en effet une profonde réforme des institutions pour que la réforme constitutionnelle produise tous ses effets. Il faudra développer la démocratie participative, donner la primauté à l'assemblée élue au suffrage universel direct face à l'exécutif et à l'Union européenne, accroître les pouvoirs d'initiative, de décision et de contrôle de l'Assemblée nationale, dont les hommes et les femmes élus sont représentatifs de notre pays dans toute sa diversité.

Etendre le scrutin proportionnel, limiter le cumul des mandats et adopter un véritable statut de l'élu, voilà des mesures nécessaires et urgentes à mettre en oeuvre pour concrétiser cette volonté d'égalité, en tenant compte de la vie réelle des femmes aujourd'hui.

Le Gouvernement et sa majorité ne doivent pas renoncer devant les pressions de ceux qui veulent réserver le politique à une élite, mutilant ainsi notre démocratie. Les droits civiques sont indissociables des droits politiques et sociaux. Changer la vie politique est nécessaire, mais il faut agir avec la même conviction pour une autre finalité du travail et des rapports sociaux. Les inégalités persistent en effet pour l'accès à l'emploi, à la formation et aux salaires, et la précarité touche plus particulièrement les femmes.

La loi pour les 35 heures, à condition de ne pas céder aux pressions du MEDEF, devrait déboucher vers de vrais progrès de société. Pour cela, il faut y intégrer les rythmes de vie, les conditions de travail, le développement des services publics et de proximité, offrir des droits nouveaux à tous les salariés, ainsi que des salaires permettant de vivre dignement -un coup de pouce au SMIC ne serait pas un luxe ! (Quelques exclamations et applaudissements)

Alors que la législation communautaire et nationale pose en principe l'égalité entre les hommes et les femmes, la logique de l'argent domine et fragilise la société. Elle engendre des inégalités entre hommes et femmes en les mettant en concurrence.

Il est grand temps qu'un pays comme la France invente un dessein démocratique qui favorise une citoyenneté active, solidaire, complète, mixte à tous les niveaux de représentation et de décision. Une citoyenneté qui ne se décrète pas, mais qui se conjugue avec la dignité et le respect de la personne humaine, sans distinction de sexe, de couleur, de langue, de religion, d'opinion, comme l'indique l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Les députés communistes et apparentés s'inscrivent avec confiance dans cette dynamique et voteront pour cette révision constitutionnelle qui doit amorcer un profond changement de la vie publique (Nombreux applaudissements).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les explications de vote.

La séance est suspendue et le scrutin est ouvert à 17 heures 30.

La séance est reprise à 18 heures.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin :

Votants 836

Suffrages exprimés 788

Majorité requise 473

Pour 745

Contre 43

Le Congrès a donc adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (Applaudissements).

Il sera transmis à M. le Président de la République.

Le Congrès a épuisé l'ordre du jour pour lequel il avait été convoqué.

Je déclare donc close la session du Congrès du Parlement.

La séance est levée à 18 heures 5.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques
          de l'Assemblée nationale,


          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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