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Session ordinaire de 1999-2000 - 4ème jour de séance, 8ème séance

2ÈME SÉANCE DU JEUDI 7 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

            RAPPELS AU RÈGLEMENT 2

            RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL (suite) 3

            AVANT L'ARTICLE PREMIER 3

            ARTICLE PREMIER 5

            FIN DE LA MISSION D'UN DÉPUTÉ 25

La séance est ouverte à quinze heures.

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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. François Goulard - Rappel au Règlement ! Je me fonde sur l'article 58 de notre Règlement, mais aussi sur les dispositions de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, dont les principes valent aussi bien pour la loi de finances que pour la loi de financement de la Sécurité sociale. L'article premier de l'ordonnance stipule qu'aucun projet de loi qui prévoit des charges nouvelles ne peut être voté aussi longtemps que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées. Le mécanisme d'allégement des charges sociales prévu dans le nouveau dispositif qui nous est présenté constituant, au choix, une diminution de recettes ou une charge supplémentaire pour les régimes sociaux, les dispositions de cet article de l'ordonnance doivent s'appliquer et un projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait d'abord être voté.

C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement avait prévu, puisque le pré-projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit, dans son article 2, le moyen de financer le nouveau dispositif. Mais des éléments nouveaux sont apparus hier. On a en effet appris qu'au Conseil des ministres le Président de la République avait formulé des réserves sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et, notamment, sur les allégements prévus au titre de la RTT, notamment en raison de l'atteinte portée au paritarisme. On a aussi appris que le Conseil d'Etat avait également émis des réserves, d'ordre juridique celles-là, sur ce texte.

Il est donc indispensable que le Gouvernement explique à la représentation nationale comment il entend financer les allégements de charges sociales prévus dans le nouveau dispositif, dont ils constituent un élément déterminant.

M. le Président - Votre intervention va bien au-delà d'un rappel au Règlement, lequel ne prévoit pas que nous ouvrions un débat préalable à celui que l'ordre du jour de nos travaux nous assigne. Je ne doute pas que vos propos ont été entendus par le Gouvernement et Mme le ministre aura l'occasion d'y revenir au cours du débat.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous outrepassez en effet largement le cadre d'un rappel au Règlement, et même celui du débat inscrit à l'ordre du jour. Mais, par courtoisie, et parce que les questions que vous abordez méritent de l'être, je vous répondrai. En premier lieu, la loi organique fixe des délais très stricts en imposant que la loi de financement de la Sécurité sociale soit votée avant le 1er janvier. Toute inquiétude sur le financement des nouvelles dispositions est donc vaine.

D'autre part, la réduction des charges et les allégements structurels devraient représenter, en l'an 2000, un montant évalué entre 62 et 65 milliards, la ristourne dégressive apparaissant pour 40 milliards dans ce total. Les 22 à 25 milliards restant seront financés à hauteur de 7,5 milliards par un prélèvement sur la taxe sur les bénéfices et sur la taxe sur les activités polluantes, à hauteur de 4,3 milliards par les rentrées fiscales supplémentaires, à hauteur de 4,3 milliards encore par le fonds nouvellement créé et à hauteur de 5,6 milliards par des dispositions incluses dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Reste ce qui était dû au titre de l'UNEDIC -de 5 à 7 milliards- et qui devra faire l'objet d'une discussion visant à régler le contentieux général qui oppose l'UNEDIC à l'Etat. Le projet établissant une taxation de 10 % des heures supplémentaires destinée à alimenter le fonds de baisse des charges, on peut déjà estimer que les sommes recueillies seront supérieures à la contribution attendue de l'UNEDIC. Ainsi non seulement la RTT est bel et bien financée, mais elle l'est peut-être surabondamment. Je m'en réjouis, car cela permettra de faire participer des entreprises en plus grand nombre.

M. Bernard Accoyer - Mon rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, a trait au déroulement de la séance après l'annonce faite, hier soir, par le Gouvernement, qu'il entendait réserver l'examen de l'amendement 735 déposé conjointement par les groupes RPR, UDF et DL. Cette réserve perturbe gravement nos travaux, en vidant le débat, qui devait porter sur la lutte contre le chômage, de toute sa substance. Dans cet amendement, l'opposition expose en effet ce qu'elle tient pour la meilleure solution, à savoir la baisse des charges sur les bas salaires, et précise que les 65 milliards que le Gouvernement entend consacrer au passage aux 35 heures -au prix de difficultés constitutionnelles qu'a rappelées mon collègue François Goulard- devaient être destinés à cette réduction.

Il semble bien que l'objectif du Gouvernement ait changé, comme l'a souligné M. Gremetz lui-même : si la première

loi visait à réduire le chômage, la nouvelle tend avant tout à accroître le temps libre. Nous considérons pour notre part, que la priorité devrait être de réduire les charges qui pèsent sur les entreprises, car tous les économistes s'accordent à dire que le chômage est dû au coût du travail peu qualifié, supérieur de 38% en France à ce qu'il est au Royaume-Uni.

Le plan Borotra avait fourni une solution permettant de corriger les effets dévastateurs de la mondialisation sur l'industrie textile, et l'amendement 735 permettait d'en contourner les difficultés d'application. C'est pourquoi nous tenions à souligner le détournement de procédure que constitue la réserve voulue par le Gouvernement.

M. le Président - Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 95, alinéa 5 du Règlement, la réserve d'un article ou d'un amendement par le Gouvernement est de droit.

M. Hervé Morin - La question posée par François Goulard est extrêmement importante puisqu'elle conditionne l'équilibre du texte que nous allons examiner.

Le Conseil d'Etat aurait donné un avis défavorable à l'article 2 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale au motif qu'il contreviendrait à l'article 34 de la Constitution. Nous aimerions en avoir confirmation.

L'article L. 203 du code de la Sécurité sociale modifié par l'ordonnance de 1996 dispose que le conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance maladie est saisi pour avis de tout projet susceptible d'influer sur l'équilibre financier de la branche ou entrant dans son domaine de compétences. Tel est bien le cas de la ponction opérée sur la caisse et nous souhaiterions donc connaître l'avis du conseil d'administration.

M. le Président - Un rappel au Règlement ne s'adresse pas au Gouvernement mais à la Présidence. Quant au fond, nous aurons largement l'occasion d'y revenir lors d'un débat qui s'annonce long.

Mme la Ministre - Dès lors que je suis convaincue que ces rappels au Règlement ne visent pas à ralentir le débat mais à obtenir des éclaircissements, j'y réponds volontiers.

C'est par courtoisie que le Gouvernement a demandé dès hier soir et non au début de la présente séance la réserve de l'amendement 735 jusqu'à l'article 12, moment où nous discuterons de la diminution des charges sociales. Mais nous avons déjà eu l'occasion de débattre de cette idée de l'opposition puisque le Sénat a adopté une proposition de loi à ce propos et que votre Assemblée en a examiné une autre. Vous connaissez donc la position du Gouvernement. Je déplore en outre que vous n'ayez pas cru bon de vous engager dans cette voie lorsque vous étiez au pouvoir.

Quant à l'avis du Conseil d'Etat, je vous le lirai ultérieurement et vous constaterez que, bien que le problème que vous soulevez y ait été examiné, aucune clause d'inconstitutionnalité n'a été relevée.

RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL (SUITE)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9 du Règlement, les articles du projet dans le texte du Gouvernement.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Hervé Morin - L'UDF considère, comme l'ensemble de l'opposition, qu'en dehors des mesures relatives à l'ordre public social, qui doivent être du domaine de la loi, l'organisation et l'aménagement du temps de travail doivent relever de la négociation collective et de la discussion entre les partenaires sociaux. C'est ce que rappelle notre amendement 822.

Le seul exemple de RTT en Europe nous vient de la métallurgie allemande où les partenaires sociaux en ont déterminé ensemble les modalités, sans intervention de l'Etat.

Votre projet est bien éloigné de cette philosophie respectueuse des forces intermédiaires et du dialogue social dont il aurait fallu souligner le rôle.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires sociales - La commission a repoussé cet amendement. Le titre même du projet montre l'importance accordée à la négociation, que nous aurons l'occasion de rappeler tout au long du débat.

Mme la Ministre - Même avis. La négociation collective sur la durée du travail n'ayant pas porté ses fruits, nous avons fait le choix d'une loi qui laisse une très grande place à la négociation.

L'amendement 822, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Hervé Morin - Alors que les accords signés sous l'égide de la première loi dans plus de 130 branches concernent 15 000 entreprises et plus de 2 millions de salariés, aucun de ces derniers n'a protesté contre le fait qu'un syndicat aurait mal défendu ses intérêts. Ces accords existent, ils ont été acceptés par le corps social, pourquoi les remettre aujourd'hui en cause en revenant sur la durée du travail, la notion de durée effective, le régime des heures supplémentaires, le problème des cadres, les règles de modulation ? Pourquoi bouleverser l'équilibre entre les intérêts de l'entreprise et ceux des salariés, auquel les partenaires sociaux sont parvenus après des heures et des heures de discussion ? Nous proposons au contraire, par l'amendement 821, de confirmer la validité des accords antérieurs.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement.

Mme la Ministre - Cet argument du MEDEF n'a été repris par aucun syndicat alors que l'on peut être certain qu'une remise en cause des accords signés aurait entraîné une protestation. Tous les accords valablement conclus -c'est-à-dire conformes à l'ordre public social-, y compris celui de l'AFB dont une clause a été annulée par un tribunal, ont été étendus. Ne reprenez donc pas un slogan sans en vérifier le fondement.

Le Gouvernement ne peut accepter cet amendement.

M. Maxime Gremetz - Contre l'amendement.

L'opposition est contre cette loi, c'est son droit mais si elle est adoptée, certains accords conclus devront effectivement être revus parce qu'ils ne lui sont pas conformes, quoi qu'en dise le MEDEF.

Il y a des mesures qu'aucun accord de branche ne comporte mais qui sont dans la deuxième loi. Il faudra donc bien rediscuter des accords.

Je pense par ailleurs à la Snecma de Corbeil-Essonnes, entreprise composée à 95 % de capitaux d'Etat, où un accord a été signé par un syndicat minoritaire, où a ensuite été organisé un référendum par lequel 57 % des salariés se sont prononcés contre l'accord. Résultat : la direction prend prétexte de ce refus pour ne plus négocier les 35 heures. Et actuellement, rien ne l'oblige à le faire.

A la question du MEDEF -les accords déjà signés seront-ils tous validés ?-, je réponds donc non. Puisque la deuxième loi progresse sur certains points par rapport à la première, il faudra bien en tenir compte dans les accords.

Et c'est pourquoi je suis contre l'amendement.

M. François Goulard - Le capital de la Snecma étant pour l'essentiel détenu par l'Etat, je suppose, Monsieur Gremetz, que vous avez demandé au Gouvernement de faire revenir la direction sur sa décision.

Je voudrais aussi préciser que nos relations avec le MEDEF ne sont pas plus étroites qu'avec l'ensemble des organisations syndicales de ce pays.

Mais j'en reviens à la question centrale, à savoir les places respectives de la convention et de la réglementation. Je ne vois pas pourquoi il y aurait une exception française qui ferait que les partenaires sociaux n'arriveraient pas à conclure des accords...

Si tel est parfois le cas, cela tient à l'interventionnisme excessif de la puissance publique. D'ailleurs quand la négociation se fait entreprise par entreprise, le dialogue social est beaucoup plus nourri.

A ma connaissance, le seul pays qui ait procédé à une réduction généralisée du temps de travail -40 à 38 heures- par voie d'accords est la Hollande en 1982. Mais cela s'était accompagné d'un fort engagement de modération sociale et, côté Etat, d'un plan de rigueur budgétaire qui a permis par la suite de diminuer de 10 points les prélèvements obligatoires.

Vous le voyez, Madame la ministre, la négociation collective permet d'atteindre les objectifs qui sont les vôtres. C'est votre approche conservatrice des choses qui empêche la convention, seule réponse valable à la diversité économique et sociale de notre époque de prendre tout son essor (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Hervé Morin - Le préambule de la Constitution de 1946 dit : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Nous demandons simplement le retour à l'esprit même du contrat social.

On nous accuse de parler pour le MEDEF. Mais enfin, FO, la CGT et la CFDT et tous ceux qui ont négocié veulent aussi que l'on respecte les accords signés (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Mme la Ministre - Mme Bachelot, M. Dord, M. Morin et d'autres s'inquiètent, nous disent-ils, des conditions de travail des salariés, mais je trouve qu'il y a une certaine incohérence à considérer d'un côté que les accords de branche peuvent faire tout et n'importe quoi, notamment concernant le travail de nuit et du dimanche, et de l'autre, à pleurer sur les conditions de travail. Je répète donc que l'ensemble des accords de branche sont repris dans la deuxième loi dès lors qu'il ne dérogent pas aux clauses d'ordre public social. Seul M. Seillière prétend que les accords ne sont pas repris. M. Blondel n'a, lui, jamais dit cela.

L'amendement 821, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Je rappelle qu'à la demande du Gouvernement, l'amendement 735 est réservé jusqu'après l'article 12.

ARTICLE PREMIER

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Cet article très important peut être abordé sous différents angles. Je veux pour ma part poser une question de fond : où est le temps ? Qu'est-ce que le temps ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Il y a quelque chose de dérisoire dans la volonté de fixer un même temps de travail, impératif, pour tous les salariés de France et de Navarre.

On s'acharne à mesurer le temps du XXIe siècle comme à l'ère industrielle, quand la pénibilité du travail était surtout physique : le salarié était deux fois plus fatigué après huit heures de travail qu'après quatre, il était donc normal qu'il soit payé deux fois plus et que son temps de travail soit contrôlé. Mais nous ne sommes plus au XIXe siècle. Dans notre société de services et d'information, le temps de travail ne représente plus rien.

La diffusion des nouvelles technologies fait que le travail devient plus abstrait. A l'écran, on travaille sur des représentations de la réalité plutôt que sur les choses elles-mêmes. Il devient aussi interactif : il faut répondre aux sollicitations du fax, du mobile, d'Internet et ce en temps réel.

Il devient aussi de plus en plus coopératif : on travaille en groupes de projet, sans d'ailleurs forcément se voir. Et on travaille de plus en plus à distance : chez soi, à l'hôtel, dans les transports... On considère que 30 à 40 % du travail -hors le télétravail proprement dit- est réalisé ainsi.

Dans tous les cas, le travail intellectuel complexe induit une fatigue mentale que le temps de travail ne prend pas en compte.

Nous sommes passés de la civilisation de la pelle à celle de la panne. Or, quelqu'un qui va réparer un ordinateur ne sait pas s'il en aura pour cinq minutes ou pour cinq heures.

Compte tenu de toutes ces évolutions, une approche purement quantitative ne suffit pas. Mais l'approche qualitative est, elle aussi, difficile. Permettez-moi une comparaison avec la nourriture : elle se mesure en poids -comme le travail se mesure en heures. Mais de même qu'entre aussi en jeu la composition en glucides, vitamines et autres, il faudrait voir si les activités sont subies, programmées, choisies. Et de même que l'on mesure la valeur énergétique d'un plat, il faudrait pouvoir mesurer l'intérêt au travail, le plaisir qu'on y prend, le stress... Sans parler des réactions individuelles qui peuvent être très différentes pour une même nourriture ou un même travail.

Dans ces conditions, que doit-on mesurer ?

M. Hervé Morin - Nous serons donc le seul pays occidental à nous lancer dans l'aventure de la réduction générale et autoritaire de la durée du travail par la voie légale. Demain, nos entreprises devront continuer à être concurrentielles dans un monde qui fait toute leur place au dialogue et à la négociation, mais sans imposer autoritairement la diminution du temps de travail. Ni l'Italie, où les syndicats, après s'être beaucoup avancés, ont demandé à l'Etat de revenir en arrière, ni l'Allemagne, ni les Pays-Bas, ni les pays scandinaves et encore moins anglo-saxons n'ont fait comme nous (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Pour l'entreprise France, la réduction du temps de travail entraînera mécaniquement une perte de compétitivité.

Si, Madame la ministre, vous étiez vraiment persuadée que la réduction du temps de travail n'aura aucun effet négatif sur l'économie, vous n'auriez pas commencé par l'appliquer aux grandes entreprises, mais bien aux petites, là où les emplois sont les plus nombreux. 37 % des emplois en France sont le fait des entreprises de moins de 50 salariés, et 11 % seulement des entreprises de plus de 500. 89 % des Français travaillent donc dans les PME. Pour ces dernières, si vous étiez si sûre du résultat, vous n'auriez pas retardé l'application de la réduction du temps de travail à 2002, date derrière laquelle se profile l'élection présidentielle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Jusque-là, la croissance permettra de dissimuler les effets négatifs de la réduction du temps de travail. Ce n'est qu'à partir de 2003 que viendra le vrai rendez-vous avec les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Bernard Accoyer - L'article 1er dit tout. Aucun délai ne sera accordé pour l'entrée en vigueur de la réduction du temps de travail dans les entreprises de plus de 20 salariés. Nous ne comprenons pas la raison de ce calendrier contraignant.

En présentant la première loi, vous affichiez des prévisions de

créations d'emplois très flatteuses, qui permettaient d'expliquer vos choix. La majorité vous a suivie. A l'époque, quelques observateurs émettaient des doutes. Aujourd'hui, plus aucun d'entre eux n'accorde de crédit au chiffre de 125 000 emplois que vous continuez de proclamer avec aplomb. C'est que vous amalgamez des causes très différentes de l'évolution de l'emploi, dont les principales sont en fait la croissance et les effets d'aubaine. S'y ajoute la confusion pernicieuse que vous introduisez en assimilant emplois créés et emplois préservés. En effet, pour profiter des effets d'aubaine, les entreprises ont intérêt à annoncer d'inévitables et très cruels plans sociaux.

M. Maxime Gremetz - Je l'avais dit à l'occasion de la loi de Robien, que vous avez pourtant votée !

M. Bernard Accoyer - L'amalgame de chiffres auquel vous procédez montre que le bilan de la première loi est en réalité insignifiant. Pire, la RTT risque de provoquer un arrêt de la croissance, et donc des pertes d'emplois.

Au reste, notre rapporteur n'a pas caché la réalité des effets d'aubaine : ce sont en général les entreprises les plus performantes et les plus dynamiques qui ont conclu des accords, a-t-il noté. Autrement dit, ce qui a eu lieu jusqu'à présent laisse entiers sur l'établi les dangers que représente la RTT pour les entreprises et les salariés.

De plus, vous faites entrer dans vos chiffres les résultats de la négociation dans les entreprises para-publiques ou monopolistiques, qui ne sont pas engagées dans la concurrence et pour lesquelles au reste, le surcoût engendré par la RTT sera financé par les consommateurs et les contribuables.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises que M. Delmas, président de l'UPA, s'était fait l'avocat de la réduction autoritaire du temps de travail .

Or ce matin, au cours de l'assemblée générale de l'UPA, le président Delmas a exprimé des réserves sur votre interprétation euphorique, et vous a demandé des délais supplémentaires.

Bref, nous nous opposons aux dispositions autoritaires, contraignantes et donc dangereuses de l'article 1er (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - La parole est à Mme Bachelot-Narquin.

M. Jean-Pierre Brard - Sera-t-elle aussi bonne que le PACS ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Vous imposez le passage aux 35 heures de façon contraignante et autoritaire. Vous continuez à affirmer que la négociation a bien lieu, mais que si elle échoue, elle continuera autoritairement quand même. Je ne comprends pas bien. Vous posez la question : pourquoi, depuis un an, 117 accords de branche ont-ils été conclus, couvrant 2,2 millions de salariés, alors que le rythme était bien inférieur sous le régime de la loi de Robien ? En vérité, si la négociation a paru mieux se passer, c'est qu'elle a eu lieu le pistolet sur la tempe ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Les entreprises ont simplement anticipé sur un mécanisme obligatoire, un peu comme dans les film « Le trésor de la Sierra Madre », où les malfrats invitent Humphrey Bogart à creuser sa propre tombe pour se préserver des ardeurs du soleil ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Comme le disait naguère André Bergeron, pour que la négociation marche, il faut du grain à moudre. Or ce grain, c'est la croissance...

Mme la Ministre - Précisément !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - ...dans laquelle le Gouvernement n'est pour rien (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Au reste, la négociation n'a jamais cessé dans les entreprises. Simplement, vous l'avez dirigée exclusivement vers la RTT, quelquefois contre l'avis des salariés, qui auraient préféré discuter par exemple d'augmentations de salaires ! 2,2 millions de personnes sont désormais couvertes, mais 14 millions sont en principe concernées. Pourquoi, en dépit des avantages financiers que vous accordez, 12 millions de salariés n'ont-ils toujours pas accédé à votre merveilleux dispositif ? C'est que la plupart des entreprises ne le pouvaient pas, pour de multiples raisons. Or c'est à elles que vous allez maintenant vous attaquer, avec tous les risques que cela comporte (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - La question principale, la seule en vérité, qui importe, est celle-ci : le passage aux 35 heures peut-il améliorer la situation de l'emploi ?

Si vous n'aviez pas estimé positive la réponse à cette question, vous n'auriez jamais envisagé d'imposer une réduction uniforme du temps de travail.

Pour en avoir débattu avec vous pendant plus de deux ans, j'ai pu constater qu'un argument n'avait jamais reçu de réponse de votre part. Si l'on peut relever, en effet, qu'un certain nombre d'entreprises ont bel et bien procédé à des embauches et qu'il y a donc eu, au moins en première instance, et fût-ce en moins grand nombre que vous ne l'escomptiez, des créations d'emplois, jamais vous n'avez répondu à nos interpellations sur les effets économiques indirects, et négatifs, de la réduction du temps de travail sur l'emploi : augmentation des coûts salariaux, des prélèvements obligatoires, multiplication des goulots d'étranglement du fait de la baisse de production de nombreuses entreprises. Vous n'avez donc pas répondu à notre objection principale, qui est qu'au bout du compte la réduction du temps de travail ne créera pas d'emplois (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Nicole Catala - Comme je l'ai dit hier, c'est un contresens, à mes yeux, que de considérer la réduction du temps de travail comme un élément de la politique de l'emploi : elle doit, en revanche, être envisagée et encouragée comme une mesure de progrès social, à condition de n'être pas imposée de façon immédiate, brutale et autoritaire. C'est pourquoi je défendrai un amendement visant à la rendre progressive, échelonnée dans le temps, ainsi qu'un autre, qui tend à élargir le champ de la négociation entre les partenaires sociaux, en prenant modèle sur le droit social européen, lequel évolue, soit dit en passant, en sens inverse du nôtre.

Je m'interroge par ailleurs sur la pertinence du cadre hebdomadaire pour la fixation de la durée légale du travail. Ne conviendrait-il pas de réfléchir à un cadre mensuel, voire annuel ? Enfin, la référence à l'unité économique et sociale pour l'appréciation des effectifs fait problème : que se passera-t-il, par exemple, en cas de dissolution d'une unité regroupant des salariés qui relèvent d'employeurs différents, et situés de part et d'autre du seuil de 20 salariés ?

M. Yves Rome - Nous allons enfin, après avoir perdu un peu de temps en début de séance, entamer l'écriture de l'une des plus belles pages de l'histoire des avancées sociales. L'article premier confirme la nouvelle durée légale hebdomadaire du travail à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et du 1er janvier 2002 pour les autres. C'est une réduction substantielle, qui représente quatre heures de temps libre en plus, à consacrer à la vie familiale, aux loisirs, à l'épanouissement personnel.

Des amendements de la commission donnent du temps de travail effectif une définition plus précise. Nous en profiterons pour mieux encadrer les heures d'équivalence et d'astreinte, sans méconnaître pour autant les nécessités des entreprises. La commission a également retenu l'amendement dit « Michelin », proposé par Mme Saugues et le groupe socialiste, et qui subordonne le dépôt d'un plan social à l'exploration préalable des possibilités de réduction du temps de travail. L'analyse des accords « défensifs » déjà signés montre que celles-ci sont de plus en plus fréquemment utilisées, et nous y voyons un progrès pour le dialogue social. Nous aborderons la discussion de cet article avec le souci de faire de la réduction du temps de travail un outil puissant de la lutte pour l'emploi. Hier, neuf députés de l'opposition étaient présents pour voter la motion de renvoi ; souhaitons qu'ils soient plus nombreux pour participer aux débats ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Accoyer - Vous n'étiez guère plus nombreux !

M. Maxime Gremetz - Cet article est important, car il officialise la réduction à 35 heures de la durée hebdomadaire légale du travail, avec maintien du pouvoir d'achat et création d'emplois. Il doit être le socle législatif de la redéfinition du temps de travail effectif. Le deuxième alinéa de l'actuel article L. 212-4 du code du travail exclut en effet le temps d'habillage et de casse-croûte, ainsi que les pauses, et l'expérience des accords déjà conclus montre que les employeurs n'hésitent pas à s'appuyer sur cette ambiguïté. Ainsi, dans la grande distribution, la déduction cumulée des trois minutes de pause auxquelles les salariés ont droit toutes les heures permet de retenir, comme base de calcul, 37 heures au lieu de 39 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Vous qui défendez les grands patrons, allez plutôt voir comment les choses se passent ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La loi du 13 juin 1998 avait pourtant défini le temps de travail effectif comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations ». Nous avons déposé, avec nos amis des Verts et du MDC, un amendement tendant à supprimer le deuxième alinéa de l'article L. 212-4. La commission lui a préféré un autre amendement réécrivant cet alinéa ; c'est un progrès, mais nous continuerons de demander que les pauses réglementaires ou conventionnelles restent incluses dans le temps de travail effectif. Pour dénaturer la définition de celui-ci, le patronat use et abuse également d'une autre notion : celle des heures d'astreinte. Nous proposons donc d'en encadrer plus strictement le volume et la rémunération.

Mais cela ne suffit pas : il convient de prendre également en compte la pénibilité des tâches, en instituant une réduction supplémentaire de quatre heures hebdomadaires pour les salariés affectés à un travail posté, nocturne ou pénible. C'est une question de justice et de santé publique. Cela implique, en toute logique, de réduire dans les mêmes proportions les maxima journaliers et hebdomadaires.

C'est ainsi qu'il faut modifier cet article pour que la RTT demeure créatrice d'emplois.

M. Philippe Martin - L'article premier réaffirme le principe de la réduction autoritaire de la durée légale du travail, en contradiction avec le titre du projet, dans lequel il est question de « réduction négociée ». Vous avez une conception originale de la négociation puisque toutes les entreprises devront obligatoirement être passées aux 35 heures avant 2002.

Votre volonté d'imposer la RTT néglige aussi une réalité reconnue par tous, à savoir que la capacité à créer des emplois n'est pas identique selon la taille de l'entreprise et son secteur d'activité. Entre 1980 et 1995, les entreprises de plus de cinquante salariés ont perdu 1,2 million d'emplois, tandis que les entreprises de moins de vingt salariés en ont créé 1,05. Aujourd'hui, 55 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de cinquante personnes, dont 37 % dans des entreprises de moins de vingt personnes.

De nombreux rapports européens ont montré que le coût du travail pèse particulièrement sur les petites structures, qui sont pour l'essentiel des entreprises de main-d'_uvre. Or votre texte va encore renchérir le coût du travail.

Ses incidences, au demeurant, ne seront pas identiques dans tous les secteurs. Financièrement avantageux pour les entreprises industrielles, qui sont déjà en sureffectif et créeront peu d'emplois, il pénalisera en revanche les petites sociétés qui n'embauchent pas davantage compte tenu du faible volume des heures libérées.

Votre approche aurait dû être micro-économique et non macro-économique. Il fallait tenir compte de la taille des entreprises mais aussi des différents types de chefs d'entreprise : certains sont de simples mercenaires payés par les actionnaires, tandis que d'autres, comme les artisans, détiennent véritablement leur entreprise.

Votre projet n'aura pas d'effets positifs sur l'emploi, mais réduira la compétitivité de nos entreprises.

M. Jean-Pierre Brard - Nos collègues de droite dépensent beaucoup d'énergie pour une mauvaise cause, égrenant le chapelet de ces mornes prières auxquelles on ne croit plus et dont on ne connaît guère que la mélodie... (Sourires sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Pour la clarté de ce débat, il faut que chacun s'avance comme il est, sans masque. M. Morin nous a reproché de le considérer comme un représentant du MEDEF. Il a eu raison de protester, car il ne représente pas que cet organisme mais l'ensemble des privilégiés, dont lui et ses collègues sont les sentinelles et les petites mains (Rires sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. François Goulard - Revoilà Mme Bettencourt.

M. Jean-Pierre Brard - M. Goulard connaît les noms de ceux dont il est ici le fondé de pouvoir.

Ce projet vise à défendre les salariés, mais il s'agit aussi de moderniser nos entreprises pour les rendre plus efficaces, ce qui passe bien par la réduction du temps de travail. Il est donc temps d'ouvrir le dialogue social et de provoquer une confrontation positive dans les entreprises.

M. Morin a dit que la France serait le premier pays à généraliser la réduction du temps de travail. C'est faux. Mais ailleurs, comme en Allemagne où le patronat a les oreilles moins bouchées, le dialogue social fonctionne, si bien qu'il n'a pas été nécessaire de légiférer.

Nous sommes, nous, obligés de légiférer sur les 35 heures, tout comme nous sommes obligés de légiférer sur la parité.

N'est-il pas honteux, d'ailleurs, qu'il faille procéder ainsi, dans notre pays, pour faire place aux femmes ? Voyez donc sur vos bancs ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Je ne vois que deux femmes, Mme Catala et Mme Bachelot, qui heureusement ont su inverser la tendance par la qualité de leurs interventions.

Il faut légiférer. Combien y avait-il eu d'accords avant la première loi ?

En Allemagne, la durée hebdomadaire a été réduite à 32 heures, parfois même à 28, par le dialogue social. Vous voulez le bloquer en France, vous et ceux que vous représentez. Quand leurs intérêts sont menacés, vous ne faites jamais le service minimum !

Mme Boisseau nous a dit que la notion de « temps de travail » ne voulait rien dire. C'est de la philosophie de Prisunic ! Pour que les salariés aient vraiment le temps de vivre, d'aimer, d'éduquer leurs enfants, de participer à la vie sociale, de se reposer et de se distraire, il faudrait que les rapports sociaux soient plus équilibrés.

Mme la ministre l'a dit hier, ce projet ne vise pas exclusivement à régler le problème du chômage. Aussi ne faut-il pas en rester aux propos de ces « observateurs » chers à M. Accoyer, qui ne voient qu'une partie de la réalité.

Si nous avions été plus audacieux, Madame la ministre, nous aurions directement réduit le temps de travail à 32 heures, c'est-à-dire à quatre jours, ce qui aurait rendu indispensable la réorganisation du travail dans les entreprises.

Utile, ce projet n'est cependant qu'une étape. La réduction du temps de travail répond à une aspiration de la société : c'est ce que nos collègues ne veulent pas comprendre. Pour les salariés, travailler un jour de moins par mois a plus de signification qu'une réduction de quelques minutes du temps de travail quotidien. Nous voulons aller plus loin que les 35 heures, afin de changer les rapports de chacun avec son travail.

A l'heure de la révolution de l'information, l'opposition en est tout juste à la révolution industrielle...

M. Bernard Accoyer - A Moscou !

M. Jean-Pierre Brard - Moscou ! Voyez leurs références ! Les miennes sont celles du mouvement ouvrier français, de la Révolution à nos jours, en passant par la Commune et le Front populaire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Mon amendement 120 vise à supprimer l'article premier, dont l'adoption ferait de la France le pays du monde où la durée légale du travail serait la plus courte. Hier soir, à ce propos, Mme la ministre a confondu durée légale maximum hebdomadaire et durée moyenne, ce qui n'est pas la même chose.

Il faut supprimer cet article, qui risque de casser la croissance et de réduire la compétitivité de la plupart de nos entreprises. Celles qui, dans certains secteurs, pouvaient réduire le temps de travail l'ont fait par voie d'accords, avant même l'adoption de la première loi. D'une grande diversité, nos entreprises doivent relever le défi des 35 heures dans des conditions très hétérogènes. Certaines ne supporteront pas les contraintes nouvelles que vous leur imposez.

Je me suis longuement entretenu avec les dirigeants du CJD qui avaient décidé, en accord avec vous, Madame la ministre, et sans a priori, de lancer une expérimentation, après le vote de votre première loi. Or, ce qu'ils disent est inquiétant, et il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler les propos que tenait leur président, le 15 janvier 1999, tels que les rapporte Libération : « on va au casse-pipe... Cette loi autoritaire est une mauvaise loi car elle ne tient pas compte de la diversité des entreprises ».

Vous ne pouvez rester insensible à ces témoignages qui émanent des forces vives de la nation, à ces appels au secours ! Quant au président de l'UPA, que vous citiez hier, il vous a, lui aussi, demandé du temps...

Mme Muguette Jacquaint - Du temps, c'est ce que veulent les salariés !

M. Bernard Accoyer - J'observe enfin que, s'il y a deux ans, votre objectif était de créer des emplois, il est à présent de dégager du temps libre.

L'article premier de votre projet recèle de multiples dangers. A ce titre, il doit être supprimé.

M. François Goulard - Nous souhaitons, naturellement, que les entreprises ne soient pas contraintes de réduire le temps de travail, et l'amendement 275 tend donc à supprimer l'article premier pour que cela leur soit évité. Je ne suis d'ailleurs pas certain que les doutes fleurissent seulement sur les bancs de l'opposition. La réalité de la création d'emplois induite par votre dispositif laisse bien des esprits dubitatifs -et je ne parle pas des chefs d'entreprise....

M. Jean-Pierre Brard - Dont vous vous faites pourtant le porte-voix...

M. François Goulard - Monsieur Brard ! Jusqu'à présent, nous avons estimé que vos propos déplacés ne méritaient, de par leur excès même, que la dérision, mais il vient un moment où les dinosaures, s'ils ne font plus peur, ne font pas non plus rire.

J'en reviens à l'éventualité de créations d'emplois, pour rappeler que tous les partenaires sociaux doutent. Pourquoi, au sein de l'Unedic et des organismes de sécurité sociale, n'ont-ils pas accepté les prélèvements que vous envisagez ? Parce qu'ils considèrent que les rentrées supplémentaires ne seront pas celles que vous escomptez, si bien que votre dispositif conduira immanquablement à déséquilibrer le budget des organismes considérés. C'est dire que nous sommes loin d'être les seuls à ne pas croire que le passage aux 35 heures créera des emplois.

M. Philippe Martin - L'amendement 574 vise, lui aussi, à empêcher une réduction autoritaire du temps de travail que la France serait la seule à appliquer en Europe. Dans ma seule circonscription, 80 % des 3 000 chefs d'entreprise qui ont répondu à l'enquête que j'avais lancée à ce sujet m'ont répondu être contre ce projet. Je citerai le seul cas de ce prestataire de services employant 3 salariés, et dont les charges vont augmenter de 47 000 francs... Comment s'étonner que, dans ces conditions, nous demandions la suppression de l'article premier ?

M. le Rapporteur - On aura compris que ces amendements de suppression visent à interrompre le processus engagé, et à établir que la réduction du temps de travail doit se faire sans recourir à la loi. Nous avons, au cours du débat, entendu des critiques répétitives selon lesquelles le mécanisme envisagé serait autoritaire. Qu'en est-il exactement ?

Le dispositif proposé articule loi et négociation, la loi donnant l'impulsion et la négociation apportant les solutions innovantes dont la loi, à son tour, tient compte. C'est bien la négociation qui, pendant la période de transition, permettra de définir les solutions adaptées à toutes les entreprises considérées. En outre, le projet renvoie expressément à la négociation de nombreux aspects du dossier : le travail des cadres, le temps partiel, les heures supplémentaires...

La négociation est donc au c_ur même d'une loi qui n'est pas moins indispensable. M. Jacques Barrot a déclaré hier que le projet faisait irruption dans un « océan de négociation ». Ne doit-on pas souligner que cet océan pourrait avoir nom Mer Morte ? Combien d'accord visant à la réduction du temps de travail ont-ils été signés avant le vote de la première loi ? Deux mille chaque année, trois mille au mieux, et c'est bien peu, comparé à la marée des 15 000 accords signés au cours des derniers mois. J'ajouterai que même les rédacteurs de l'accord interprofessionnel national ne semblaient avoir qu'une confiance limitée dans les possibilités de la négociation en cette matière, puisqu'ils ne repoussaient pas l'idée de recourir, si besoin était, au législateur.

De toute évidence, l'intervention du législateur était nécessaire pour que la négociation s'engage et se poursuive.

Une autre des accusations portées est que le projet tendrait à imposer une règle uniforme à des entreprises diverses -est-ce le cas ? Certes les modalités de travail changent, et l'on tend à une flexibilité et une intensification accrue. La loi ne doit-elle pas faire respecter le repos dominical et hebdomadaire, ou faut-il y renoncer ? A toutes ces questions, vous n'apportez aucune réponse !

Il a beaucoup été question, aussi, de ce qui serait une exception française, et comparaison a été faite avec la situation qui prévaut aux Pays-Bas et en Allemagne. Il n'y aurait rien à redire à de telles comparaisons, si ceux qui les ont faites n'avaient pas passé sous silence que, dans ces deux pays aussi, la loi était venue encadrer ce qui devait l'être !

Notre collègue Mariani disait hier que les salariés souhaitaient un emploi et non du temps libre. Mais quelle réponse leur donne-t-il, lui qui refuse les emplois-jeunes et toutes les propositions du Gouvernement ? On observe d'ailleurs davantage que des nuances dans les positions des groupes de l'opposition. Il serait donc bon que la clarté soit faite, et que vous nous disiez nettement si vous comptez, un jour abroger la loi, faire à nouveau travailler les Français 39 heures, et baisser le SMIC (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme la Ministre - Je ne peux que joindre ma voix à celle de M. le Rapporteur, qui a brillamment expliqué pourquoi les amendements de suppression ne sont pas recevables.

Les amendements 120, 275 et 574, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'importance de l'amendement 736, déposé par les trois groupes RPR, DL et UDF, est telle que je souhaite que MM. Goulard et Morin puissent prendre la parole à leur tour. Nous souhaitons tous que la RTT résulte de la négociation et non d'une contrainte qui aura des conséquences néfastes pour les salariés. L'amendement tend à revoir en ce sens l'article premier d'un projet qui remet en cause le dialogue social que le Gouvernement avait lui-même encouragé.

C'est très important, en particulier pour les PME qui créent les emplois.

Vous avez dit hier, Madame la ministre, que le président de l'UPA avait reconnu que le présent projet allait dans le bon sens. C'est faux ! (Mme la ministre proteste) Il a déclaré devant notre commission des affaires culturelles que l'UPA désapprouvait l'obligation du passage aux 35 heures et que la loi du 13 juin 1998 ne prenait pas en compte la situation spécifique des petites entreprises. Pour autant, les adhérents de l'UPA, parce qu'ils sont des citoyens et des employeurs responsables, se sont engagés dans une démarche pragmatique dès la promulgation de la loi. L'opposition de l'UPA a d'ailleurs été réaffirmée ce matin lors de son assemblée générale.

Je vous demande donc solennellement de revenir sur vos propos d'hier.

Mme la Ministre - Je n'ai pas l'habitude de dire n'importe quoi ! Je n'ai fait que reprendre hier une dépêche de l'AFP citant, avec des guillemets, le président de l'UPA, je n'ai jamais dit qu'il était enthousiaste devant les 35 heures.

J'étais par ailleurs ce matin à l'assemblée générale -je ne vous y ai pas vue- nous y avons eu un débat extrêmement constructif. Je doute fort qu'on m'y aurait ainsi applaudie si l'UPA avait partagé la vision de la droite...

M. le Président - Cet amendement émanant en effet des trois groupes de l'opposition et l'auteur de l'amendement 790, identique, n'étant pas là pour le défendre, je vais exceptionnellement accéder à la requête de Mme Bachelot-Narquin.

M. François Goulard - Merci, Monsieur le Président.

M. le rapporteur nous a demandé, si d'aventure nous revenions au pouvoir, si nous rétablirions la durée légale du travail de 39 heures.

Précisément, cet amendement montre que nous ne jugeons pas utile de fixer par la loi une durée uniforme du travail -quelle qu'elle soit, 35, 32 ou 39 heures- pour tous les salariés français. Peu importe la durée légale, pour nous il appartient aux partenaires sociaux de se mettre d'accord sur les modalités, l'organisation du travail, le régime d'heures supplémentaires, le temps partiel. C'est la seule méthode acceptable et moderne, à laquelle tout gouvernement devra recourir un jour pour répondre à la diversité des attentes des salariés et des besoins des entreprises.

M. Hervé Morin - Que ferions-nous si, d'aventure (Rires sur les bancs du groupe socialiste), -oh vous avez bien connu cette aventure extraordinaire en 1997...- nous revenions au pouvoir ?

Eh bien cet amendement de trois groupes de l'opposition apporte la réponse : l'organisation du temps de travail relève avant tout des partenaires sociaux. Il faut donc façonner l'instrument de la démocratie sociale moderne qui fait aujourd'hui défaut à notre pays. Cela, oui, relève du législateur et non la fixation de la durée du travail.

Quand la sidérurgie allemande est passée aux 35 heures pour répondre à une revendication d'IG-Metall, l'Etat n'est pas intervenu, il n'a pas donné un centime. Mais que disent aujourd'hui les syndicats, les patrons et l'administration du travail ? D'abord que le passage aux 35 heures n'a permis aucune création d'emploi, qu'il a surtout été l'occasion d'introduire la flexibilité dans ces entreprises ; ensuite que l'organisation du temps de travail a été négociée avec les salariés ; enfin qu'aujourd'hui, parce que les commandes sont plus nombreuses, les salariés travaillent à nouveau plus longtemps. On le voit, même lorsque patronat et syndicats l'ont décidée ensemble, la durée du travail peut encore évoluer.

M. le Rapporteur - Même s'il faut prêter une grande considération aux trois amendements -sur 630...- que les trois groupes de l'opposition ont déposés ensemble, la commission a repoussé celui-ci.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Voilà que la discussion générale recommence, comme si nous n'avions pas déjà débattu pendant 10 heures, sans compter le travail en commission.

Bien sûr, l'aventure est au coin de la rue, Monsieur Morin, mais votre retour, d'aventure, au pouvoir, n'est qu'une hypothèse d'école...

Un député socialiste - D'école privée !

M. le Président de la commission - Vous voulez inventer une démocratie sociale moderne, mais c'est bien ce que nous sommes en train de faire.

M. Goulard découvre pour sa part que la loi d'incitation qu'il a combattue avec pugnacité et talent était bonne...

M. François Goulard - Je n'ai jamais dit cela !

M. le Président de la commission - Il oublie une chose fondamentale : en France, tant que l'Etat ne donne pas l'orientation, rien ne bouge. Une fois cette impulsion donnée, nous pourrons aller vers cette démocratie sociale moderne dont nous avons besoin. Mais tout cela, vous ne voulez pas l'admettre car cela dérange votre construction politique et intellectuelle.

Nous sommes en train de redonner vie à la négociation et à la représentation des salariés. En 18 mois, 50 000 salariés ont participé à des négociations. C'est une vraie révolution culturelle et sociale ! Reconnaissez donc, Monsieur Morin, que cette démocratie sociale moderne que vous appelez de vos v_ux, nous sommes en train de la construire. C'est d'ailleurs bien pourquoi, si d'aventure votre hypothèse d'école se confirmait un jour, vous ne remettriez certainement pas en cause notre _uvre.

M. Jean-Pierre Brard - Je voudrais citer l'exemple d'une petite entreprise de Montreuil qui a bénéficié de la présence d'un représentant syndical mandaté. Au début, le patron s'est montré circonspect face à cet « intrus », puis le dialogue s'est établi et le chef d'entreprise a réfléchi avec ses salariés à une autre organisation du travail.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont les « Feux de l'amour » que vous nous racontez là !

M. Jean-Pierre Brard - Quant à l'accord signé en Allemagne, Monsieur Morin, il n'a peut-être pas créé d'emplois mais il a permis d'éviter des licenciements massifs. Vous nous dites qu'avec l'afflux de commandes, les salariés concernés travaillent désormais plus. Sans doute voudriez-vous vous-même un système, dans la tradition libérale, où les gens soient taillables et corvéables à merci. Notre approche à nous est différente car nous considérons les personnes dans leur globalité plutôt que comme de simples participants à un système de production.

L'amendement 736, mis aux voix, n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 5, est reprise à 17 heures 15.

M. Bernard Accoyer - Le paragraphe I dispose que la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine. Notre amendement 121 tend à supprimer cette disposition essentielle, qui est dangereuse pour les entreprises et les salariés. Pourquoi 35 heures ? Sans doute ce chiffre est-il apparu au cours d'une soirée préélectorale au fond d'une salle enfumée alors que la gauche n'imaginait nullement remporter les élections. 35 est tombé comme cela, dans la discussion.

Mais pourquoi pas 37, 36 ou même 32 heures, comme le demandent les Verts, en contradiction avec le reste de la majorité plurielle ? Au reste, la commission a adopté un amendement suivant lequel les aides apportées à la RTT sont d'autant plus élevées que cette réduction est plus importante. Si l'on poursuit jusqu'à la limite ce raisonnement par lequel ceux qui travaillent le moins reçoivent le plus d'argent public, il n'est pas besoin d'être grand mathématicien pour comprendre qu'on s'enfonce dans l'absurde. Un système économique dans lequel on paie plus ceux qui travaillent moins est un non-sens, que nous entendons dénoncer. En imposant la RTT de façon autoritaire et non pas librement négociée comme il l'aurait fallu, l'Etat subventionne en fait les entreprises qui sont déjà en mesure de passer aux 35 heures. Il en coûtera 65 milliards dès cette année. D'autres priorités auraient pu être ainsi financées par exemple l'indispensable baisse des prélèvements obligatoires ou les retraites, pour lesquelles vous avez créé un fonds demeuré vide jusqu'à présent.

M. Philippe Martin - L'amendement 575 est identique.

M. Germain Gengenwin - De même que l'amendement 823. Dans les entreprises comptant quelques dizaines de salariés, une personne supplémentaire sera nécessaire pour gérer le système compliqué que vous imposez. Il existe chez nous, c'est vrai, des entreprises qui sont déjà passées

aux 35 heures, mais parce qu'elles recourent au travail de nuit et pendant les week-ends, ce qui est tout différent. Enfin, tout en prônant la négociation, vous nourrissez beaucoup de méfiance envers les accords de branche conclus en application de la première loi, par exemple par l'UIMM. Nous demeurons hostiles au passage obligatoire aux 35 heures.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Supprimer le paragraphe I entraînerait au reste la suppression de toute référence à une durée légale du travail, ce qui pose un problème.

M. Bernard Accoyer - C'est inexact ! Ne déformez pas le sens de nos amendements.

Les amendements 121, 575 et 823, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Bernard Accoyer - Par l'amendement 14, nous tentons de ménager les conditions d'une survie acceptable pour les établissements artisanaux et coopératifs, qui considèrent avec effroi la perspective de l'application du texte. Il s'agit en fait de permettre la libre négociation du temps de travail.

L'amendement 14, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Bernard Accoyer - Par l'amendement 777, nous essayons d'attirer l'attention magnanime de la ministre sur la situation des hôpitaux privés, qui, si le projet est adopté, devront appliquer les 35 heures alors que les hôpitaux publics resteront à 39 heures. Les salariés ne le comprendraient pas et la situation serait d'autant plus inextricable que le Gouvernement a émis un avis favorable à l'application de la tarification pathologique dans les établissements publics et privés. Comment en sortir ?

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Ministre - Les hôpitaux publics et les cliniques doivent appliquer également les 35 heures, même si ce domaine ne relève pas du projet de loi.

En effet, les cliniques privées et les hôpitaux répondent aux mêmes normes, même si l'hôpital remplit une fonction particulière de service public. Nous avons engagé des négociations sur la question que vous soulevez. Naturellement, je suis opposée à l'amendement.

M. Germain Gengenwin - Qu'en est-il des accords signés par la fédération des hôpitaux privés ?

Nous avons tous reçu des lettres par dizaines, nous demandant de vous inviter à donner votre agrément. Les hôpitaux privés devront-ils attendre que la négociation soit achevée dans les hôpitaux publics ? Cela risque de prendre au moins deux ans !

L'amendement 777, mis aux voix, n'est pas adopté

M. François Goulard - L'amendement 290 n'est certes pas d'une originalité remarquable : son objet est simplement de souligner les difficultés d'application considérables que rencontrera le passage aux 35 heures dans les petites entreprises artisanales ou coopératives, et que j'illustrerai par ce mot d'un chef d'entreprise de ma circonscription : « J'ai deux salariés qui vont perdre huit heures. Qui va les faire ? Moi... »

M. le Rapporteur - Le secteur de l'artisanat s'est justement engagé dans la négociation, et une disposition viendra, plus loin, l'encourager à anticiper sur la date du 1er janvier 2002.

L'amendement 290, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Martin - L'amendement 601 tend à compléter le dernier alinéa du I par les mots « dès lors qu'un accord de branche ou d'entreprise sera intervenu sur le sujet ». La loi est trop générale, en effet, pour tenir compte des intérêts des entreprises et des salariés de chaque branche.

L'amendement 601, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - Vous me pardonnerez, je l'espère, le caractère succinct de l'amendement 683, qui marque notre opposition à la réduction générale et imposée de la durée du travail...

M. le Rapporteur - La notion à laquelle il recourt est juridiquement étrange. Avis défavorable.

L'amendement 683, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Martin - L'amendement 602 remplace « est fixée » par « peut être fixée ». Le passage aux 35 heures étant impossible dans nombre d'entreprises, il convient de n'y procéder que dans celles qui le peuvent et le veulent.

M. le Rapporteur - C'est toujours le même débat : veut-on ou ne veut-on pas réduire le temps de travail. Il a, me semble-t-il, été tranché.

L'amendement 602, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - J'ai défendu par anticipation, tout à l'heure, l'amendement 933, qui témoigne de notre volonté de regarder droit devant nous et non pas, comme on le fait à droite, dans le rétroviseur (Sourires). Je le retirerai après avoir entendu Mme la Ministre nous confirmer qu'elle rendra public le bilan détaillé des accords conclus, car il semble bien qu'un certain nombre d'entre eux ramènent la durée de référence, non à 35, mais à 32 heures - négociées, ce qui devrait entraîner l'adhésion de nos collègues de droite... (Sourires)

M. le Rapporteur - La loi étant conçue comme une invitation à négocier, il n'y a pas de raison, en effet, de borner le résultat de la négociation, mais un autre amendement, adopté par la commission, tend justement à encourager le passage aux 32 heures.

Mme la Ministre - 7 % des salariés concernés par les accords déjà signés ont désormais un horaire hebdomadaire inférieur à 32 heures. Les 35 heures sont une étape, et je me réjouis que certains aient osé aller plus loin.

M. François Goulard - Je tiens à rassurer M. Brard : je respecte parfaitement le choix de ceux qui sont parvenus à se mettre d'accord sur une durée de 32 heures. Je poserai simplement une question de bon sens : pourquoi la plupart de ceux qui croient à l'effet positif de la réduction de la durée du travail sur l'emploi n'ont-ils pas, curieusement, cru devoir aller plus loin que les 35 heures ? Pourquoi, après 1982, le passage de 40 à 39 heures n'a-t-il pas été suivi d'autres étapes ? Pourquoi a-t-il fallu attendre 1997 pour que l'idée resurgisse ? La réponse est évidente : vous croyez si peu aux vertus de la réduction du temps de travail que vous vous bornez à la stricte exécution d'engagements électoraux pris lors d'une campagne qui vous a, il est vrai, pris de court - comme nous d'ailleurs... (Rires)

M. Jean-Pierre Brard - Quand je vous entends reprocher à vos adversaires de tenir une promesse qu'ils ont faite, je me dis que ce n'est pas à vous que cela arriverait ! (Sourires) Qu'un Gouvernement fasse ce qu'il a dit qu'il ferait ne me paraît pas sans portée du point de vue des rapports entre l'éthique, la politique et les citoyens - mais c'est un discours que vous ne pouvez comprendre...(Mêmes mouvements)

Le Gouvernement nous dit que 7 % des salariés couverts par des accords sont déjà à moins de 32 heures. Il faut populariser ces accords, et puisque M. Morin nous donne rendez-vous en 2002, je vois justement dans la généralisation des 32 heures un bon objectif pour cette date et pour les grands combats qui nous attendent !

M. le Président de la commission - Très bien !

L'amendement 933 est retiré.

M. François Goulard - Il y a, dans l'affaire qui nous occupe, des considérations qui tiennent à l'emploi et d'autres qui tiennent aux conditions de travail. De notre point de vue, la réduction de la durée du travail est parfaitement légitime, et même souhaitable, pour ceux qui exercent des emplois pénibles. C'est ce qu'exprime notre amendement 682.

L'amendement 682, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Martin - Les 35 heures nuiront grandement, c'est évident, à la compétitivité des petites et moyennes entreprises, que le caractère dégressif des aides contraindra à augmenter progressivement leurs prix. C'est pourquoi les amendements 604 et 603 excluent respectivement du dispositif les entreprises de moins de 20 et de moins de 10 salariés.

M. Hervé Morin - Mon amendement 826 vise à exclure du dispositif les entreprises de moins de vingt salariés. C'est avoir peu de considération pour la personne humaine que de considérer qu'on puisse fragmenter le travail à l'infini. Comment passer à 35 heures dans les entreprises artisanales, qui comptent en moyenne trois salariés ? Comment appliquer votre loi dans une entreprise du bâtiment qui compte un charpentier, un maçon et un man_uvre ? Ce sera d'autant plus difficile que vous voulez sanctionner le recours au temps partiel.

Qu'on ne m'objecte pas que la CAPEB a signé un accord. Son président avait consulté ses adhérents, qui ont voté contre les 35 heures à 92%. Sur le terrain, à peine 300 entreprises du bâtiment ont réduit le temps de travail.

Les petites entreprises doivent pouvoir continuer à produire.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 604, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 603 et 826.

M. François Goulard - L'amendement 123 de M. Accoyer, vise à préciser que la durée légale sera de 1 600 heures par an, comme il est déjà indiqué à l'article 3 du projet.

J'en profite pour signaler un tour de passe-passe du Gouvernement qui, en comptabilisant ainsi les heures de travail annuelles, transforme les jours fériés récupérés en jours chômés.

M. le Rapporteur - Je vous répondrai sur ce point là plus tard. Avis défavorable.

L'amendement 123, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Charasse - Mon amendement 190 est de précision. Il vise à empêcher qu'un salarié, en signant plusieurs contrats de travail, puisse être amené à contourner la loi.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Ce salarié ne pourra pas travailler plus de 35 heures.

Mme la Ministre - Même avis.

M. Hervé Morin - Votre conception du travail est hallucinante ! Madame la ministre, vos collaborateurs travaillent bien au-delà de 35 heures ! C'est d'ailleurs un choix qu'ils ont fait en acceptant de travailler dans un cabinet ministériel.

Interdire aux Français qui le souhaitent de travailler plus de 35 heures, c'est porter atteinte à une liberté fondamentale.

Mme Odile Saugues - Il y a des gens qui n'ont pas de travail !

M. Hervé Morin - Ce n'est pas en procédant ainsi que vous leur en donnerez !

Il est normal que l'Etat fixe des bornes et empêche les abus. Mais je dois pouvoir travailler autant que je le souhaite, un peu, beaucoup, passionnément.

M. le Président de la commission - Quand, au siècle dernier, il a été question de réduire le temps de travail des enfants, Thémistocle Lestibondois, député du Nord, a déclaré : « Vous remettez en cause

la liberté de l'entrepreneur et vous empêchez les enfants d'acquérir le goût salutaire du travail » (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

L'amendement 190, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Martin - L'amendement 776 de M. Accoyer vise à compléter le I de cet article par l'alinéa suivant : « Toutefois, les entreprises qui ne seront pas en mesure d'appliquer l'article L. 212-1 pourront s'en exempter en instituant et abondant un fonds de protection sociale complémentaire collectif créé dans l'entreprise ou dans la branche. »

Afin de laisser aux partenaires sociaux la possibilité d'améliorer la protection sociale des salariés, il est proposé de développer la prévoyance collective complémentaire.

L'amendement 776, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - L'amendement 775 de M. Accoyer soulève le problème des pénuries de main-d'_uvre qu'on observe dans certaines professions. Malgré un chômage massif, nous manquons en effet de certaines qualifications. Votre projet ne fera qu'aggraver ces pénuries de main-d'_uvre, ce qui se traduira par une production réduite, une perte de richesse et, peut-être, par des destructions d'emplois.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'apporte pas de solution à ce problème. Il me semble en outre difficile de soutenir en même temps que la RTT ne créera pas d'emplois et qu'elle sera cause de pénurie de main-d'_uvre !

Dans plusieurs secteurs, une réflexion est déjà engagée sur cette question.

L'amendement 775, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Germain Gengenwin - Pour les raisons que vient d'exposer M. Goulard, mon amendement 825 vise à instituer un moratoire au profit des entreprises qui rencontrent de véritables difficultés à trouver de la main-d'_uvre. Dans certaines zones, le taux de chômage est inférieur à 5 %.

Faudra-t-il que nos entreprises renoncent à des commandes ? Dans ma région, on voit déjà beaucoup de camionnettes d'artisans immatriculées en Allemagne. Veut-on inciter nos entreprises artisanales à organiser le travail au noir ? Les entreprises qui ont du mal à recruter doivent bénéficier d'un moratoire de deux ans.

M. le Rapporteur - J'écoute toujours avec respect M. Gengenwin, dont je connais la compétence en matière de formation.

S'il existe en effet des différences importantes entre les bassins d'emploi, c'est là un problème d'aménagement du territoire, que nous ne pourrons résoudre ni par cette loi, ni par un moratoire.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La question est grave. On manque de personnel qualifié dans de nombreux domaines. Je connais un important abattoir de l'Ouest qui serait disposé à réduire le temps de travail, mais qui ne trouve pas d'ouvriers désosseurs, et les chantiers navals de Saint-Nazaire ne trouvent pas de soudeurs. De tels exemples sont nombreux.

A ces sociétés en plein développement, vous allez imposer de réduire le temps de travail et, par là-même, de diminuer leur production, ce qui, à terme, menacera l'emploi. Soyez réaliste, entendez les appels au secours qui montent de toutes les provinces, et tenez-en compte !

M. le Rapporteur - Contrairement à ce que vous décrivez avec complaisance, le projet ne s'appliquera pas brutalement et uniformément à toutes les entreprises, comme le montre l'article 2 dont nous allons débattre. Nous examinerons en outre un amendement incitant les PME qui le souhaitent -et elles existent !- à anticiper les délais prévus. C'est donc l'ensemble du texte qu'il faut considérer, sans le caricaturer.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Ce que je décris est la réalité.

L'amendement 825, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Hervé Morin - L'amendement 827 reprend mot pour mot les termes de la convention passée entre IGMetall et le patronat allemand, et qui a le mérite d'introduire la souplesse qui fait défaut à votre projet ; en effet, 20 % des salariés peuvent, s'ils le souhaitent, travailler davantage que ne le prévoit la nouvelle durée légale. Ainsi conservent-ils le droit d'améliorer leur pouvoir d'achat, et ainsi les entreprises peuvent-elles s'adapter plus facilement aux fluctuations de la demande.

M. le Rapporteur - L'amendement a été rejeté par la commission.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

Mme Muguette Jacquaint - Je suis contre l'amendement, non seulement, comme l'a dit M. le rapporteur, parce que nous allons traiter de l'organisation du travail lorsque nous examinerons l'article 2 mais aussi parce que c'est d'heures supplémentaires et de niveau de rémunération qu'il s'agit. Que souhaitent les salariés aujourd'hui ? Travailler moins pour disposer de davantage de temps libre. Un débat vient d'avoir lieu sur le manque de personnel qualifié, qui a mis l'accent sur des lacunes persistantes. Comment pourra-t-il en aller autrement, aussi longtemps que les salariés travailleront, pour certains, de 50 à 60 heures par semaine ? Quel temps peuvent-ils consacrer à la formation ? La réduction du temps de travail répond, aussi, à cette préoccupation.

Je m'étonne, d'autre part, d'entendre M. Morin se préoccuper soudainement du pouvoir d'achat des salariés. Le parti communiste ne l'a pas attendu pour réclamer un SMIC mensuel à 8 000 F ! Il est, en effet, manifeste que seule l'augmentation des rémunérations permet d'éviter aux salariés impécunieux de

recourir aux heures supplémentaires. Plus généralement encore, ce n'est que justice que de permettre aux salariés de bénéficier, avec des loisirs accrus, des richesses qu'ils ont, tout comme les entrepreneurs, contribué à produire. Ils ne doivent pas être oubliés !

M. Germain Gengenwin - Loin de les oublier, nous voulons les protéger !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Je considère, comme Mme Jacquaint, qu'un trop grand nombre d'heures supplémentaires ne se justifie pas. Ce n'est pas une raison pour les contingenter à l'excès, surtout quand manquent les professionnels qualifiés ! De plus, en exigeant des entreprises qu'elles appliquent dès janvier une loi qui sera votée à Noël, vous les contraignez de fait à recourir aux heures supplémentaires, car vous ne leur laissez pas le temps de se réorganiser.

L'amendement 827, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'amendement 801 est un texte de repli, notre position initiale étant, bien sûr, le retour à la réduction négociée du temps de travail. Ne l'ayant pas obtenu, nous souhaitons que du temps soit accordé aux entreprises qui devront affronter cette épreuve. Il paraît raisonnable de fixer une échéance suffisamment longue pour leur permettre de s'adapter, et c'est pourquoi nous proposons de la fixer à 2005.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé l'amendement.

Mme la Ministre - La loi de 1998 instituait un délai de 2 ans : on ne peut donc dire que les entreprises ont été prises au dépourvu. De plus, le projet prévoit une période transitoire. Il n'y a donc pas lieu d'adopter l'amendement. Et, en guise de réponse un peu tardive à Mme Boisseau, je lui rappellerai l'aphorisme de Schopenhauer selon lequel « l'homme ordinaire ne se préoccupe que de passer le temps, l'homme de talent que de l'employer ». Puissions-nous bien employer le nôtre !

M. Hervé Morin - Je souhaite, madame la ministre, un éclaircissement. Les quinze mille entreprises qui ont, depuis le vote de la première loi, signé un accord prévoyant la réduction du temps de travail dont certaines clauses seront contraires aux dispositions de votre projet bénéficieront-elles néanmoins des aides prévues dès le 1er janvier prochain, ou devront-elles, avant que d'y avoir droit, avoir modifié ce qui doit l'être, et notamment ce qui touche à la durée effective du temps de travail ?

Mme la Ministre - Un peu de patience, la réponse viendra à l'article 14. Si une entreprise pratique effectivement les 35 heures, elle percevra immédiatement les aides et disposera d'un an pour se mettre en conformité.

M. Hervé Morin - Y compris sur la durée effective ?

Mme la Ministre - En la matière, les amendements ne feront que reprendre une jurisprudence à laquelle les entreprises ont déjà dû se conformer.

L'amendement 801, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - Comme le précédent, l'amendement 291 vise à éviter que l'on passe trop tôt aux 35 heures.

L'amendement 291, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Bernard Accoyer - Les plus petites entreprises pâtiront le plus du passage autoritaire aux 35 heures car elles ne pourront ni changer leur organisation ni gagner en productivité.

Nous proposons donc, par l'amendement 774, de remplacer le seuil de 20 salariés, qui ne correspond à aucune réalité économique, par le seuil de 500 salariés. C'est le chiffre qui, en Allemagne, permet de distinguer les PME des autres entreprises.

L'amendement 774, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - Dans le même esprit, notre amendement 295 fixe un seuil de 200 salariés. Il existe déjà de nombreux seuils dans notre droit du travail, et Mme la ministre a beau nier qu'ils poussent les entreprises à maintenir leurs effectifs juste en-dessous de la barre...

Mme la Ministre - J'ai dit que plus il y a de seuils, moins il y a d'effet de seuil.

M. François Goulard - ...beaucoup d'entreprises maintiennent artificiellement le nombre de leurs salariés à 9 ou à 49. En outre, le seuil de 20 ne correspond à rien : il n'y a pas de réelle différence entre une entreprise de 19 salariés et une de 21 alors que l'on pourrait sans doute déterminer le seuil au-delà duquel une entreprise change d'organisation, par exemple en se dotant d'un directeur des ressources humaines.

Les amendements 294 et 293 modifient également ce seuil.

M. Bernard Accoyer - L'amendement 126 a le même objet.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements.

Mme la Ministre - Un seuil n'acquiert de valeur juridique que quand il est créé ; le seuil de 10 salariés ne vaut qu'au regard des obligations liées aux délégués du personnel, au logement, à la formation professionnelle et celui de 50 qu'au regard du comité d'entreprise ou du CHSCT.

En fixant un seuil de 20 salariés, nous avons voulu offrir à plus de petites entreprises un délai supplémentaire car il leur est, en effet, plus difficile de s'organiser. Nous avons aussi voulu éviter d'accumuler les obligations liées à un même seuil car, je l'ai dit, la multiplication des seuils limite l'effet de seuil.

J'ajoute qu'aucun représentant du patronat ou des syndicats n'a contesté celui-ci.

Je suis donc opposée à ces amendements.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Je l'ai dit lors du débat sur la première loi, les effets pervers des seuils sont réels, ils freinent l'activité économique sans laquelle il n'y a pas d'augmentation de la richesse donc pas de création d'emplois, ce qui est pourtant notre objectif commun.

Je ne suis pas une spécialiste du droit du travail mais une députée de terrain et je connais nombre de chefs d'entreprises qui rechignent à embaucher, quand bien même leur activité le leur permettrait, car ils craignent ce qui va « leur tomber dessus » avec cette loi.

En outre, avec ce seuil, vous allez inciter les techniciens, les ouvriers qualifiés dont manquent nos entreprises, à quitter celles de moins de 20 salariés pour rejoindre les plus grandes, où ils travailleront 35 heures dès le 1er janvier 2000.

Ce seuil de 20 salariés ne veut donc rien dire et je regrette que vous y restiez si attachée.

M. Hervé Morin - A-t-on une idée précise du nombre d'entreprises concernées par ce seuil de vingt ?

Mme la Ministre - Je n'ai pas ici le chiffre exact mais je dirais qu'il y a entre 1 050 000 et 1 100 000 entreprises de moins de vingt salariés.

L'amendement 295, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 294, 293 et 126.

M. Bernard Accoyer - Notre amendement 125 tend à desserrer la contrainte temps qui pèse sur les entreprises en reportant à 2005 l'échéance qui leur est imposée. Une telle négociation réclame en effet du temps.

Cela m'amène à évoquer à nouveau un problème inquiétant : la pénurie de main-d'_uvre que connaissent certains secteurs à haut savoir-faire. Je pense en particulier au décolletage, activité dont la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie a la plus forte concentration mondiale.

M. Maxime Gremetz - N'oubliez pas les autres départements !

M. Bernard Accoyer - Dans ce secteur, le chômage est au niveau zéro. En vérité, il n'y a pas un seul décolleteur qualifié qui soit au chômage. Si la durée du travail diminue, la capacité de production des entreprises du secteur va elle aussi baisser d'environ 10%, mais malheureusement, faute de main-d'_uvre disponible, elles ne pourront pas compenser cette baisse par des embauches. La profession plaide donc, soutenue par tous les élus du département en faveur non d'un moratoire mais au moins d'une application progressive de la réduction du temps de travail, et ce dans le cadre d'un accord conventionnel de formation. Je souhaite ardemment que vous en acceptiez le principe, Madame la ministre.

M. Philippe Martin - Mon amendement 579 vise aussi à allonger le délai de négociation laissé aux entreprises. Il faut leur laisser le temps de s'adapter.

M. Bernard Accoyer - L'amendement 699 de M. Chabert a le même objet, preuve que le problème de délai concerne beaucoup de départements. Les entreprises du Rhône voudraient elles aussi un délai plus long.

M. François Goulard - Notre amendement 292 a sensiblement le même objet.

L'entrée en vigueur de la réduction du temps de travail va créer, comme l'a souligné Mme Boisseau, des distorsions de concurrence. C'est un problème.

Quant à la pénurie dont a parlé M. Accoyer, elle ne se limite pas au décolletage. Dans le transport routier, secteur par excellence où la réduction de la durée du travail serait utile et souhaitable, la profession était parvenue il y a quelques années à un accord à ce sujet, mais les contingents d'heures supplémentaires qui avaient été négociés seront

remis en cause par l'application des 35 heures. Et comme il y a pénurie de chauffeurs, la loi aura cet effet pervers que les transporteurs routiers étrangers, déjà avantagés, du point de vue de la concurrence, par des règles sociales plus souples, s'empareront de parts croissantes du marché. Il aurait mieux valu laisser les partenaires sociaux régler la question en tenant compte de l'état du marché et de la quantité disponible de main-d'_uvre.

Mme Odile Saugues - Vous voulez le nivellement par le bas, pas nous !

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements.

Mme la Ministre - Un mot d'abord sur le transport routier. En 1994, date à laquelle je n'étais pas ministre du travail, a été signé un accord disant que la durée du travail -et donc les contingents d'heures supplémentaires- se calculerait désormais au mois et non plus à la semaine. Cet accord était illégal et le reste. Ce ne sont donc pas la loi de 1998 et celle d'aujourd'hui qui font problème, mais le fait qu'un tel accord ait été signé. Une directive européenne concernant ce secteur est en train d'être discutée : attendons la fin de cette discussion plutôt que de mettre en place un système qui risquerait d'être bientôt caduc.

Quant à la pénurie de main-d'_uvre que connaissent certains secteurs, décolletage et autres, nous y faisons face, en concertation avec les professions concernées, par une sensibilisation des jeunes, par des forums de rencontre entre offre et demande tels ceux organisés en 1992 qui nous ont permis en un an de remplir quelque 250 000 « manques », par une mise à disposition de l'AFPA, par une modification dans certains cas de la durée de l'apprentissage. Nous organiserons des forums dans tous les départements en janvier et février prochains.

Au total, 35 heures ou pas, il existe aujourd'hui des difficultés pour recruter dans certains secteurs. Profitons du mouvement dans lequel nous sommes engagés pour traiter cette question et attirer à nouveau les jeunes vers des métiers qui les rebutent, comme le décolletage, en raison de conditions de travail difficiles. Les petites entreprises de ces secteurs ont jusqu'à 2003 pour passer aux 35 heures. Mobilisons-nous pour que les jeunes retrouvent le chemin de ces vrais métiers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - L'application des 35 heures aura des effets insoupçonnés et parfois inhumains sur les chauffeurs-routiers. Actuellement, chacun d'entre eux a son tracteur à lui, où il a sa couchette, ses habitudes... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) S'ils ne travaillent plus que 35 heures, les routiers devront changer de tracteur fréquemment. Je ne suis pas sûre que ce soit humainement un progrès.

M. Bernard Accoyer - On l'a dit, nous manquons de main d'_uvre qualifiée dans certains secteurs. L'obstacle est moins celui des conditions de travail car le décolletage a évolué, il a atteint un haut niveau de technologie et de compétence et donc aussi de salaires, que celui de la formation qui est assez longue. Aujourd'hui, pour changer d'entreprise, dans nos vallées, il suffit aux salariés de traverser la route, attirés par des établissements étrangers qui ont repéré leur haute qualification.

Dans ces conditions, êtes-vous prête à conclure avec la profession un accord organisant la RTT en contrepartie d'embauches, sous réserve de lui laisser le temps de former des jeunes ?

M. François Goulard - Oui, il faut faire revenir les jeunes vers les secteurs où la main-d'_uvre manque. Cette démarche prendra du temps.

En évoquant les acteurs de la formation professionnelle, Madame la ministre, il y a un mot que vous n'avez pas prononcé, celui de région. Pourtant, les régions sont les principaux acteurs de la formation professionnelle et toute action dans ce domaine doit passer d'abord par elles.

Mme la Ministre - Sur ce point, vous avez raison. Nous avons prévu des accords avec les conseils régionaux.

Les amendements 125, 579 et 699, mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement 292.

M. Bernard Accoyer - Notre amendement 778 tend à définir un autre mode d'évaluation du nombre des salariés à partir duquel tombera le couperet déclenchant la date d'application de la RTT. En effet, le seuil figurant actuellement dans le projet dissuadera d'embaucher durant la période 2000-2002 afin d'éviter d'atteindre l'effectif des 20 salariés.

Nous proposons donc d'évaluer l'effectif au regard du nombre de salariés atteint pendant 12 mois consécutifs au cours des trois années précédentes.

M. François Goulard - Mon amendement 296 est d'inspiration voisine, ce qui montrera au rapporteur qui ironisait sur le faible nombre d'amendements déposés en commun par l'opposition que nos trois groupes sont animés par les mêmes préoccupations. Il ne faudrait pas que des emplois soient perdus parce que des entreprises ne voudraient pas franchir le seuil de 20 salariés. Il est donc important, dans l'intérêt même de l'emploi, d'assouplir les conditions d'appréciation du nombre des salariés.

M. le Rapporteur - Rejet. Mieux vaut s'en tenir au mode de calcul figurant dans le code du travail.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 778, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 296.

Mme Muguette Jacquaint - La discussion de la première loi avait conduit à prendre en compte la situation des salariés affectés à des travaux pénibles, en particulier le travail posté et le travail de nuit.

Déjà l'ordonnance de 1982 avait réduit à 35 heures la durée moyenne du travail pour ces salariés. En juin 1998, l'Assemblée avait adopté un de nos amendements tendant à accentuer cette évolution. De plus, certains accords conclus récemment comportent une diminution supplémentaire de la durée du travail pour les travailleurs postés. Nous demandons, par notre amendement 201, que la seconde loi exprime à nouveau la conviction qu'aucune réduction du temps de travail n'est ni vraiment juste ni réellement efficace sans une réduction plus grande pour les travaux pénibles.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas adopté l'amendement, tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une question importante et sensible. Les travailleurs postés en continu sont plus de 200 000. L'ordonnance de 1982 a réduit leur temps de travail à 35 heures. La mesure proposée n'a pas paru de nature à résoudre un problème qui se pose réellement.

M. Bernard Accoyer - Vous avez droit à des réponses bien plus déférentes que nous !

Mme la Ministre - Vous exagérez ! Ne vous ai-je pas répondu, cet après-midi, avec une infinie gentillesse ? Je sens qu'il va falloir que j'en remette une louche... (Sourires)

Pour les quelque 210 000 salariés travaillant en continu, un horaire de 32 heures n'aurait pas grand sens, puisqu'il ne correspond pas à une organisation par équipes, mais nous trouverons sans doute une autre solution.

M. François Goulard - Le problème soulevé est réel, mais sa solution relève, selon nous, de la convention collective. La position du groupe communiste, qui souhaite régler toutes ces choses par la loi, est cohérente, mais il me semble déceler un hiatus dans celle du rapporteur et du Gouvernement...

M. Georges Sarre - Cet amendement mérite que l'on s'y attarde, et même qu'on l'adopte. Il s'agit en effet d'un vrai problème, auquel il faut apporter une vraie réponse, qui consiste à marquer dans la loi une orientation nette, afin que la négociation aboutisse à un résultat tangible.

M. Maxime Gremetz - Nous sommes très attachés à cet amendement, que nous avions d'ailleurs déjà déposé lors de l'examen de la première loi. Il y a plus de 2,5 millions de salariés concernés ! Tout le monde ne travaille pas sur ordinateur, Madame Boisseau ! Il y a encore des gens qui ont les mains dans le cambouis ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF) Nous souhaitons que le problème soit traité dans la loi d'une façon ou d'une autre, et si le Gouvernement s'engage à le faire dans un autre article, je suis prêt à retirer l'amendement ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Yves Cochet - J'ai déposé, un peu plus loin, un amendement de portée plus restreinte, puisqu'il est relatif au seul travail de nuit - défini plus largement, soit dit en passant, que dans l'amendement du groupe communiste, auquel je suis au demeurant favorable. Peut-être pourrions-nous faire la synthèse des deux ?

Mme la Ministre - J'ai dit, voici un instant, que 32 heures ne correspondait pas à une organisation en équipes : s'il y a cinq équipes, en effet, chacune travaille 33 heures 36. Mais je suis tout à fait disposée à mettre en place les incitations nécessaires afin que tous les travailleurs en continu passent à 33 heures 36.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ne vous laissez pas faire, Monsieur Gremetz ! (Rires)

M. Maxime Gremetz - Après m'être concerté avec Mme Jacquaint, je retire l'amendement (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'amendement 201 est retiré.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont les deniers de Judas ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Maxime Gremetz - Soucieux de corriger les errements qui ont marqué les expérimentations consécutives à la première loi, nous souhaitons rendre à la fois plus équitable et plus homogène le cadre de négociation. Il n'est actuellement possible de s'opposer à l'exclusion des pauses que dans le cas d'un accord bénéficiant d'aides publiques, et ce jusqu'au 31 décembre 1999. Les patrons d'Intermarché en ont profité pour faire signer aux représentants de leurs salariés un accord partant du principe que leur horaire était non pas de 39 , mais de 37 heures, déduction faite des trois minutes de pause à laquelle ils avaient droit toutes les heures ! L'équité commande d'imposer, comme nous le proposons par l'amendement 202, un mode constant de décompte des éléments de l'horaire collectif. Les acquis des travailleurs ne sont nullement des privilèges, Madame Boisseau !

M. le Rapporteur - C'est une question très pertinente, qui interpelle nombre de nos collègues, car la réduction du temps de travail ne doit pas ouvrir la voie à la remise en cause de la définition légale du temps de travail effectif. Votre amendement me paraît toutefois satisfait par la nouvelle rédaction, retenue par la commission, du deuxième alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail.

M. Maxime Gremetz - L'accord conclu chez Intermarché devra-t-il, si cette disposition est votée, être renégocié ? Si oui, nous sommes prêts à retirer l'amendement. Nous croyons connaître la réponse, mais aimerions que le rapporteur nous la donne de vive voix, car l'attente des salariés de la grande distribution est très forte.

M. le Rapporteur - Dès lors qu'il y a une définition légale du temps de travail effectif, et sous réserve des précisions que pourra vous donner Mme la Ministre, un accord qui ne respecterait pas cette définition légale ne pourrait pas être considéré lui-même comme légal. J'ajoute que tout accord conclu après le 1er janvier 2000 devra recevoir l'approbation des salariés.

Mme la Ministre - Même avis.

M. Maxime Gremetz - Dans ce cas, nous retirons l'amendement.

L'amendement 202 est retiré.

M. Bernard Accoyer - Je défendrai ensemble mes amendements 128, 127, 129 et 130, qui visent tous à exclure du dispositif certaines catégories d'entreprises : celles qui réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires à l'export, et qui sont donc partiellement exposées à la concurrence internationale, mais aussi les entreprises dont le secteur d'activité est en récession et les entreprises de sous-traitance automobile.

S'agissant en particulier du décolletage, je vous ai déjà proposé la signature d'une convention entre la collectivité nationale et les entreprises prévoyant, en contrepartie d'embauche, un étalement de la RTT afin de former des jeunes.

M. le Rapporteur - Je vous dirai avec déférence, Monsieur Accoyer, que la commission regrette d'avoir dû repousser ces amendements, qui n'étaient pas dans l'esprit de la loi.

Mme la Ministre - Avis défavorable. Il n'est pas question d'allonger les délais prévus.

En revanche, nous sommes prêts à signer un accord sur la formation avec les professionnels du décolletage, comme Mme Péry vient de le faire avec ceux du textile. L'Etat pourrait même financer une partie de la formation et l'ANPE rechercher des candidats.

L'amendement 128, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 127, 129 et 130.

M. Bernard Accoyer - L'amendement 631 est défendu. Madame le ministre, je me réjouis que la puissance publique soit prête à financer certaines formations, mais pour former, il faut du temps. Accordez donc un délai aux entreprises pour que votre engagement soit réalisable.

L'amendement 631, repoussé par la commission et par le Gouvernement mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'amendement 9 a fait l'objet, en commission, d'une discussion approfondie et vous-même, Monsieur le Président, aviez admis qu'il n'était pas sans fondement, allant jusqu'à souhaiter que la commission l'adopte.

Un arrêt récent de la Cour de Cassation a limité la mise en _uvre des équivalences horaires aux décrets, aux accords de branche étendus et aux accords d'entreprise. Cette jurisprudence aurait de graves conséquences financières dans le secteur sanitaire et social. Il vous est donc proposé d'ouvrir le régime des heures d'équivalence aux conventions agréées. Ainsi, la convention collective du 16 mars 1966 relative aux établissements et services pour personnes inadaptées ou handicapées et celle du 31 octobre 1951 relative aux établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux à but non lucratif resteront valides.

Sinon, ces établissements rencontreront de graves difficultés, indépendamment de celles que leur causera le passage aux 35 heures.

Le président de la commission s'était dit favorable à cet amendement et le rapporteur nous avait accordé toute son attention. La balle est dans votre camp.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Mon amendement 824 est identique.

M. le Rapporteur - Le régime des équivalences horaires devra être clarifié : c'est l'objet d'un autre amendement, qui viendra plus tard en discussion.

Nous avons en effet voulu revoir le dispositif, en prévoyant que ce régime s'appuie sur une convention dont devra s'inspirer le décret. L'amendement déposé par M. Cochet et adopté par la commission vous donnera satisfaction.

Mme la Ministre - Même avis.

Les amendements 9 et 824, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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FIN DE LA MISSION D'UN DÉPUTÉ

M. le Président - Par lettre du 6 octobre 1999, M. le Premier ministre m'a informé que la mission temporaire précédemment confiée à M. Guy Lengagne, député du Pas-de-Calais, avait pris fin le 6 octobre 1999.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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