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Session ordinaire de 1999-2000 - 7ème jour de séance, 15ème séance

1ÈRE SÉANCE DU JEUDI 14 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Pierre André WILTZER

Vice-président

Sommaire

              CONSEIL DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DE LA
              COHÉSION SOCIALE 2

              ART. 3 12

              ART. 8 13

La séance est ouverte à dix heures.

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CONSEIL DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DE LA COHÉSION SOCIALE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean Le Garrec et de plusieurs de ses collègues relative à la création d'un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale.

M. Jean Rouger, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Notre époque se caractérise par des évolutions sociales, économiques et culturelles rapides et incertaines et de nombreuses inégalités. C'est pourquoi nous devons nous doter d'outils fiables pour analyser les coûts de production et la répartition des revenus. Dès 1966 , cette nécessité avait conduit à la création d'un outil d'observations spécialisé, le centre d'étude des revenus et des coûts, le CERC. La qualité de ses études, son indépendance et sa compétence scientifique, la crédibilité qu'il a acquise lui ont vite conféré une utilité incontestable. Véritable observatoire des revenus des Français, le CERC, en favorisant la diffusion d'informations sur ce sujet, a permis d'approfondir le débat public et d'analyser les inégalités sociales. Il s'est donc imposé comme un outil d'information conforme aux exigences de la vie démocratique.

Cependant, le 20 décembre 1993, lors de l'examen de la loi quinquennale sur l'emploi, un amendement du Sénat lui a substitué le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, le CSERC, ce qui a provoqué de vives protestations parmi les économistes et le personnel politique. En effet, ce changement de nom s'est accompagné d'une transformation de ses missions. En lui demandant d'étendre ses investigations à l'emploi et de formuler des recommandations sur ce sujet, on l'a en fait fragilisé et sa crédibilité en a été amoindrie.

Dès 1998, un rapport de Mme Join-Lambert, demandé par le Premier ministre, concluait à la nécessité de faire évoluer le CSERC. Notre collègue Jean-Michel Marchand et les membres du groupe socialiste ont également proposé, lors de l'examen de la loi contre les exclusions, de revoir ses attributions pour que cet outil s'attache plus précisément aux questions relatives aux inégalités et à la cohésion sociale et qu'il bénéficie d'un plus grand pluralisme et d'une totale

liberté d'expression.

L'objet de la présente proposition est donc de reconstituer ce «thermomètre» des revenus, en redéfinissant ses missions, sa composition et son mode de travail. Il s'agit de mieux connaître et comprendre les évolutions de notre société en utilisant une nouvelle méthode d'évaluation. Cette réforme ne doit pas relever d'une volonté passéiste de faire revivre l'ancien CERC, dont la plus grande part du personnel a été reprise dans d'autres institutions statistiques. Ce nouvel organisme doit se libérer de toute tentation technocratique pour mieux répondre aux attentes de la société civile, informer la représentation nationale et alimenter le débat économique et social.

L'article premier lui confie ainsi la mission de contribuer à une meilleure connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale. Comme le CSERC, il s'intéressera à l'emploi mais il n'aura pas à faire de recommandations en la matière. Il pourra s'autosaisir de questions de sa compétence.

L'article 2, en proposant un conseil de taille réduite, composé de personnalités aux itinéraires divers, lui donne les moyens de son ouverture et de son indépendance.

Les articles 3 et 4 posent des règles garantissant son autonomie. Le Conseil publiera lui-même ses rapports, sans que leur transmission au Premier ministre et aux présidents des assemblées soit un préalable. Cette publicité devrait améliorer la clarté et la lisibilité de ses travaux.

Le président du CERC pourra être entendu par les commissions parlementaires, sur leur demande.

Il est interdit aux membres du CERC de solliciter ou d'accepter des instructions dans l'exercice de leurs fonctions.

L'article 5 précise les moyens dont il disposera. Il pourra se faire communiquer par les administrations les éléments nécessaires à ses études, ce qui évitera toute superposition de compétences avec les organismes statistiques existants.

L'article 6 renvoie à un décret en Conseil d'Etat la composition et les règles de fonctionnement du CERC.

Cette proposition a été adoptée sans modification par la commission.

M. Robert Gaïa - En examinant cette proposition, les membres du groupe socialiste témoignent de la façon dont ils conçoivent l'information économique et sociale.

M. François Goulard - En effet !

M. Robert Gaïa - Ils soulignent ainsi l'importance qu'ils accordent aux outils permettant de mieux suivre les évolutions sociales, afin de lutter contre les nouvelles formes d'inégalités.

L'invalidation par le Conseil constitutionnel de l'article de la loi contre les exclusions relatif à ce nouvel organisme a retardé sa création, mais elle l'a surtout sortie de son contexte.

En effet, la volonté de l'inclure dans l'ambitieux texte défendu par Martine Aubry témoignait du souci de notre majorité d'aborder la cohésion sociale sans parti pris, et avec le souci de rester au plus près des situations du terrain. Comme l'indiquait un ancien rapporteur du CERC, «en matière de sciences humaines, il n'y a guère d'étude appliquée qui vaille sans écoute attentive et respectueuse de ceux auxquels l'étude s'applique».

L'esprit de cette proposition est d'aborder les évolutions de notre société avec un regard objectif. Seule l'indépendance et la fonctionnalité d'un organisme de taille restreinte le permet.

La qualité des travaux de l'ancien CERC et l'autonomie de ton qu'avait notamment su lui conférer son dernier président, mon ami Christian Goux, ont été nos références.

Les travaux de l'ancien CERC sur des sujets parfois tabous tels que le patrimoine des Français, les transferts financiers entre générations, la rémunération des jeunes entrant dans la vie active ou les revenus des plus de soixante ans, ont fait reconnaître à cet organisme une légitimité et une compétence indiscutables. C'est bien parce que ces études pouvaient être dérangeantes pour les gouvernements quels qu'ils soient qu'elles ont été aussi utiles. Il est fondamental, dans toute démocratie, de disposer d'organismes indépendants menant des travaux sur les questions essentielles.

La suppression du CERC, en 1994, a été une erreur. Non seulement le gouvernement Balladur a cassé un organisme réputé pour son autonomie et sa compétence, mais surtout le conseil qui lui a succédé n'a pas répondu aux attentes des acteurs sociaux. S'il était souhaitable d'adapter les missions et l'organisation du CERC, la transformation opérée en 1994 l'a, en fait, profondément dénaturé.

La création d'un nouveau conseil est donc une nécessité, dans une société dont les évolutions sont de plus en plus rapides, pour avoir en permanence un panorama de cette société.

Le président et les six membres du nouveau CERC seront nommés par décret, procédure qui avait déjà été adoptée lors de la création du CERC initial. L'expérience a montré qu'une telle procédure de nomination ne saurait constituer un obstacle à l'indépendance requise. Il faudra cependant veiller à ce que ces personnalités soient représentatives de la société civile et non de la seule administration.

La publicité des rapports du conseil doit également renforcer son autonomie.

Cette publicité sera désormais générale, et non subordonnée à la transmission préalable des rapports au Premier ministre et aux présidents des assemblées.

Je me réjouis que les commissions des assemblées puissent, à la demande de leurs présidents, entendre le président du CERC. Cela permettra d'éclairer utilement nos travaux et de mieux appréhender les évolutions sociales.

Cette proposition de loi est dans la continuité de l'action entreprise par le Gouvernement. La prise en compte des évolutions de notre société exige une approche non partisane des informations.

Je regrette que l'opposition se soit servie d'un prétexte technique pour ne pas soutenir la création de cet organisme, lors du vote de la loi de lutte contre les exclusions.

Compte tenu de l'utilité du CERC, et pour mieux lutter contre les inégalités, le groupe socialise votera pour cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Goulard - Le président de la commission ayant signé la proposition qui crée un nouveau CERC à la place du CSERC qui avait remplacé le CERC, je n'ironiserai pas sur le «machin» qui remplace un «machin» et s'ajoute à d'autres, toujours à grands frais et peu de profit.

Mais que M. Le Garrec se soit attaché à la recréation de ce CERC n'est pas anodin. Derrière la recherche d'indépendance, proclamée à l'envi, il y a la volonté d'offrir une tribune idéologique pour développer les thèses de la majorité (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). En effet rien dans ce texte ne garantit l'indépendance du nouvel organisme. Tout est renvoyé au décret, et vous nommerez des personnalités qui vous conviennent.

M. Robert Gaïa - Vous ne respectez guère les chercheurs.

M. François Goulard - A preuve ce qui est arrivé à la commission des comptes de la Sécurité sociale. Cet organisme qui manifestait une certaine hauteur de vues et dont les avis étaient respectés se permet de parler de «gouvernement de droite» à propos des gouvernements d'avant 1995...

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Ce n'est pas vrai ?

M. François Goulard - ...et établit des comparaisons défavorables pour la période 1993-1995 sans reprendre les chiffres bien plus mauvais d'avant 1993.

Nul ne doit donc être dupe de cette opération. Nous, en tout cas, nous voyons clair dans votre jeu.

Mais la France a un véritable retard culturel. L'expertise économique y relève presque uniquement d'organismes qui dépendent du Gouvernement et dont l'indépendance n'est donc pas assurée. C'est une faiblesse. J'appelle donc à la constitution d'organismes véritablement indépendants.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Mais est-ce possible ?

M. François Goulard - Il leur faudrait des moyens et pour cela que les services d'analyse économique des administrations disparaissent progressivement au profit de véritables laboratoires d'analyse économique au sein des universités. Ce serait une réforme importante pour la démocratie. Cela nous éviterait d'entendre, comme dans le débat sur les 35 heures, le résultat de pauvres études réalisées sur ordre par des fonctionnaires soumis à l'autorité hiérarchique, ce qui n'est pas à l'honneur de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Paul - Notre groupe se félicite que grâce à l'initiative parlementaire, on revienne sur la mise en cause du CERC par le gouvernement Balladur au détour de la loi quinquennale sur l'emploi.

Depuis sa création en 1966, le CERC placé sous l'autorité du Commissariat du plan publiait de nombreuses études et notamment depuis 1983 un constat annuel sur l'évolution des revenus des Français qui a beaucoup fait pour sa notoriété.

Le CERC n'émettait pas de recommandations mais fournissait des analyses objectives aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux. Son indépendance était largement reconnue et son fonctionnement original reposait sur le dialogue entre un conseil pluraliste et une équipe d'étude aux compétences variées.

Sa transformation décidée en catimini fut une véritable régression. Le nouveau CSERC regroupait une majorité des représentants de la haute fonction publique assistés par une maigre équipe de chercheurs. Il compilait un unique rapport annuel à partir de travaux existants sans pouvoir développer les siens. Son rapporteur était nommé -et révoqué- par le Premier ministre.

Le démantèlement du CERC dispersait un potentiel précieux et compromettait la coopération avec des instituts étrangers.

Fort heureusement, les chercheurs ne baissèrent pas les bras. 300 d'entre eux ont poursuivi la tâche en créant avec l'aide des partenaires sociaux le « CERC association ». Dans un rapport de juillet 1997 celui-ci montre comment la pauvreté a progressé depuis 20 ans. Trois millions de ménages dépendent des minima sociaux garantis dont l'évolution relativise l'effort consenti pour lutter contre la précarité et l'exclusion.

Avec le nouveau CERC, ce travail d'investigation va pouvoir se développer pleinement. Il est plus que jamais nécessaire de comprendre les phénomènes macro-économiques, la répartition des richesses, les coûts de production mais aussi les stratégies des grands groupes qui sacrifient l'emploi à la rentabilité financière et dont Michelin est un symbole. Des formes nouvelles de précarité et d'exclusion apparaissent. Il est donc judicieux d'étendre la mission du CERC à l'étude de la cohésion sociale.

Pour affirmer la nécessité de nouveaux droits de contrôle, d'information -et d'intervention- des salariés, il faut développer la recherche théorique et appliquée. Certains intérêts préfèrent l'opacité. Pour approfondir la démocratie et l'élargir dans la sphère économique et sociale, il faut une expertise indépendante qu'offre le CERC.

Lors d'un colloque en 1994, son équipe développait une éthique de l'information économique qui donne tout son sens à cette proposition de loi. Elle affirmait que cette information, élément crucial de débat social, doit «écouter les demandes de la société civile», clarifier les concepts et nuancer les typologies pour dépasser les conceptions simplistes et désincarnées de la société. Cette information

«rempart contre la passion du court terme» doit être capitalisée dans la durée Elle nécessite donc de développer une méthode, d'acquérir une expérience, qu'on ne saurait remplacer par «des expertises ponctuelles conduites par des équipes de passage».

Cette conception d'une connaissance au service de l'action mériterait d'être généralisée. Trop de choix fondamentaux sont faits dans le secret de cercles étroits. Dans une démocratie vivante les citoyens ne peuvent être simplement spectateurs.

Pour contrôler l'usage des fonds publics censés contribuer à l'emploi, pour rechercher à l'échelle des régions et des bassins d'emploi des solutions alternatives aux plans sociaux, une bonne information est indispensable. Approfondir la démocratie économique et sociale suppose de mobiliser toutes les institutions existantes, tant l'INSEE et les différents organismes de recherche que les établissements du secteur financier public, lesquels peuvent contribuer à mieux faire connaître la manière dont s'établissent les flux financiers dans les régions. Considérant que cette proposition de loi du groupe socialiste est une avancée en ce sens, notre groupe la votera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Godfrain - Il aura fallu trente-trois ans pour que l'opposition d'hier, aujourd'hui devenue majorité, reconnaisse les vertus des ordonnances de 1966 prises par Georges Pompidou, auprès duquel travaillait à l'époque Edouard Balladur. Peut-être lui faudra-t-il à nouveau trente-trois ans pour découvrir que la décision prise par celui-ci en 1993, lorsqu'il était Premier ministre, était bonne...

En tout cas, la sévérité dont elle fait preuve aujourd'hui à ce sujet est en contradiction totale avec son affirmation selon laquelle ce type d'organisme doit élargir son champ d'investigation. En effet, on a très logiquement considéré en 1993 que l'emploi -qui, en 1966, n'était pas une préoccupation prioritaire dans la mesure où il y avait moins de 500 000 chômeurs- devait constituer l'un des domaines d'investigation du nouvel organisme.

Autre exemple d'illogisme dans la démarche de nos collègues : ils nous parlent d'indépendance, mais à aucun moment les orateurs qui m'ont précédé n'ont pu citer un seul cas de mise en défaut de l'indépendance du CSERC. On a fait allusion à la nomination de ses membres, ce qui est une offense aux experts, hauts fonctionnaires et universitaires concernés. Soupçonne-t-on ces personnalités de céder à des pressions ? S'il y a des cas précis, citez-les !

Enfin, le rapporteur nous a dit que le nouvel organisme ne devrait avoir aucune tentation technocratique, ajoutant qu'il aurait à alimenter le débat économique et social. Bravo ! Mais comment se fait-il qu'en rédigeant ce texte, personne n'ait songé à faire du Conseil économique et social un destinataire du rapport ? L'information des assemblées parlementaires est une excellente chose, mais s'il est une enceinte où un débat serein a lieu entre les acteurs économiques et sociaux, c'est bien celui-là. Évidemment, il est à l'abri de la politique spectacle...

M. Paul a évoqué les inégalités sociales régionales. Il a raison : la connaissance des revenus au niveau national est une chose, mais dans le débat sur l'aménagement du territoire, nous manquons souvent de statistiques sur la situation économique et sociale des régions. Il serait donc important que les conseils économiques et sociaux régionaux soient informés des études réalisées et qu'ils soient eux-mêmes à la source de l'information ; eux aussi débattent dans la sérénité et produisent des rapports fort utiles pour les conseils régionaux.

Je souhaite donc qu'on reconnaisse que le texte de 1993 a réalisé un élargissement utile. A cet égard, Madame le ministre, j'attends de vous que vous modériez les critiques qui ont été formulées par les orateurs précédents. Je souhaite aussi que vous demandiez à votre majorité de voter notre amendement sur le Conseil économique et social.

Chacun sur ces bancs appelle de ses v_ux un vrai débat démocratique sur les revenus, l'emploi et les inégalités sociales : suivre ma proposition serait contribuer à un approfondissement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Mme Annette Peulvast-Bergeal - Je constate qu'aujourd'hui la parité est respectée... (Sourires)

Créer un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, oui, mais pourquoi et pour quoi faire ?

Jusqu'en 1994, à chaque printemps, le CERC, créé en 1966, et dont les compétences avaient été élargies en 1976, rendait son rapport. La qualité de ses travaux était reconnue par tous. Le CSERC institué sous le gouvernement Balladur n'a pas su occuper la même place et à l'époque, nombreux sont ceux qui, tels Jean Le Garrec et Laurent Fabius, avaient déploré la décision prise. Raymond Barre lui-même avait exprimé son attachement au CERC. Celui-ci avait fait preuve de son indépendance, par des publications qui parfois indisposaient les gouvernements.

Les gouvernants ont tout à gagner d'un débat démocratique fondé sur les faits. Le gouvernement actuel nous a déjà assurés de sa volonté de redonner au futur CERC indépendance, autonomie et transparence. Les quatre rapports produits par le CSERC de M. Balladur n'ont pas établi sa légitimité auprès des partenaires et la création du CERC répond pleinement aux aspirations des acteurs sociaux et aux préoccupations du Gouvernement.

Les partenaires sociaux ont eu à se prononcer sur le rapport commandé par le Premier ministre à Mme Marie-Thérèse Join-Lambert, inspecteur général des affaires sociales.

L'ancien CERC travaillait en contact étroit avec les partenaires sociaux. Il soumettait ses conclusions provisoires sur une catégorie particulière à l'organisme professionnel concerné, nourrissant ainsi le dialogue social. Nous souhaitons que le nouveau Conseil de l'emploi poursuive sur cette voie.

Quelle sera son utilité ? Nous attendons de lui qu'il procède à des études fines et objectives sur l'emploi. L'article 2 de la présente proposition en fait une structure légère, composée d'un président et de six membres, qui pourra s'appuyer sur les analyses scientifiques réalisées par les organismes existants. Bref, il s'agit non pas de créer un centre de recherche supplémentaire, mais de mettre en place une équipe autonome, capable de mobiliser le potentiel des organismes d'étude et qui sera, en quelque sorte, le baromètre de la cohésion sociale. Ce nouveau Conseil mettra en lumière les évolutions de la société civile et contribuera au dialogue social. C'est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La présente proposition reprend l'article 152 de la loi relative à la lutte contre les exclusions, annulé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 juillet 1998 au motif qu'il avait été adopté en méconnaissance des règles relatives au droit d'amendement.

En effet, la commission des affaires culturelles avait introduit, après l'échec de la commission mixte paritaire, un article additionnel qui mettait fin au Conseil supérieur de l'emploi des revenus et des coûts institué par l'article 78 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 et lui substituait un organisme chargé de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale.

Sans la vigilance de certains parlementaires, notamment ceux du groupe UDF, qui ont saisi le Conseil constitutionnel, le Gouvernement aurait enfreint les règles élémentaires du droit d'amendement.

Contrecarré dans ses projets, le groupe socialiste cherche aujourd'hui à faire adopter l'article censuré dans le cadre de la fenêtre parlementaire.

Mais pourquoi créer un nouvel organisme ?

Le premier Centre d'étude des revenus et des coûts, créé en 1966, avait pour objectif de contribuer à une meilleure connaissance des revenus et des éléments constitutifs des coûts de production. La loi quinquennale du 20 décembre 1993 avait étendu à l'emploi la mission de cet organisme rebaptisé Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, ce qui inclut implicitement la cohésion sociale. Ce Conseil supérieur est parfaitement à même d'améliorer la connaissance des phénomènes d'exclusion, d'apprécier les besoins des populations concernées et d'évaluer les dispositifs de prévention et de lutte contre l'exclusion. C'est faire peu de cas du travail accompli jusque-là par ses membres que de proposer sa suppression.

Il ne paraît donc pas nécessaire, a priori, de dissoudre le CSERC pour créer un autre conseil, à moins que politiquement..., mais cela augurerait mal de son indépendance et de son objectivité.

Nous n'avons, du reste, aucune garantie à cet égard. Nous pourrons seulement espérer qu'il portera un regard lucide, honnête et exigeant sur la société, à l'instar de la Fédération nationale des associations de réadaptation sociale qui regroupe 650 organismes et qui tire la sonnette d'alarme sur l'application de la loi contre les exclusions. Elle estime que « sa mise en _uvre est loin d'être achevée » et déplore que le Gouvernement ne mobilise plus les acteurs. Elle ajoute :

«Le démarrage quantitatif du programme Trace est faible», «les revenus n'y sont pas garantis du tout», et les jeunes prennent Trace «pour un stage parking de plus». On est en train de rater à nouveau une solution pour les jeunes». Dans une lettre adressée au Premier ministre, la Fnars affirme que les budgets d'aide et d'action sociale ne bougent guère. Pour elle, il faudrait 1,5 milliard supplémentaire par an pour atteindre les objectifs de la loi. En conclusion, cette fédération parle d'une «priorité oubliée»...

M. François Goulard - Très juste !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Le conseil que vous allez créer sera-t-il capable d'autant d'objectivité et d'honnêteté ? Saura-t-il dépasser l'idéologie pour dénoncer les conséquences économiques et humaines de la loi sur les trente-cinq heures ? Osera-t-il dire qu'en raison de son caractère autoritaire et rigide, ses effets sur l'emploi risquent d'être négatifs ? Si certaines entreprises s'emploient aujourd'hui à réduire leur «voilure» pour faire en sorte de ne pas créer d'emplois, c'est parce que ceux-ci vont coûter de plus en plus cher.

Hier, j'ai posé une question concrète et réaliste à Mme le ministre de l'emploi. Comment les entreprises agroalimentaires feront-elles pour passer de 39 heures à 30 heures, comme les y oblige la loi sur les 35 heures ? Voilà un vrai problème qui mériterait un débat objectif. Il en va de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale.

S'agissant des revenus, je voudrais que le nouvel organisme soit capable de dire que les dispositions prises vont provoquer un gel des salaires pendant plusieurs années, faire disparaître certaines primes, nuire aux petits emplois du fait de la suppression des heures supplémentaires, dans le secteur du bâtiment par exemple.

M. Yves Cochet - Et les chômeurs ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau - J'y pense mais vous agissez contre leur intérêt en adoptant, sur le travail à temps partiel et sur le temps de travail effectif, des dispositions coercitives qui ne créeront pas d'emplois. Quant à l'allégement des charges sociales jusqu'à 1,8 % du SMIC, il bloquera l'évolution des salaires. Autant de sujets que le CERC devrait analyser objectivement, puisqu'on n'écoute pas l'opposition. Que certains jeunes refusent de travailler parce qu'on leur propose des salaires de l'ordre de 5 000 F nets par mois, c'est aussi une question sur laquelle il serait bon que le CERC se penche.

Pour ce qui est de la cohésion sociale, la loi sur les 35 heures aggravera les inégalités en freinant l'embauche des personnes les moins qualifiées.

En conclusion, le groupe UDF ne voit pas l'intérêt de substituer le CERC au CSERC, qu'il aurait suffi d'aménager. Il votera donc contre la proposition de loi.

M. François Goulard - Très bien !

M. Yves Cochet - Revoilà enfin ce CERC, dont l'actuelle opposition, naguère au gouvernement, nous avait privés. Englouti dans l'article 78 de l'autoritaire loi quinquennale du 20 décembre 1993, le CERC renaît aujourd'hui de ses cendres. Il aurait été oublié si notre collègue des Verts, Jean-Michel Marchand, n'avait glissé un judicieux amendement dans le projet de loi de lutte contre les exclusions. Le CERC va ainsi retrouver l'autorité et la place que l'opposition n'aurait jamais dû lui enlever.

Evidemment, il n'est pas sûr qu'un tel organisme ait vocation à enthousiasmer les gouvernements, quels qu'ils soient, mais c'est un pôle d'information objectif, une tribune d'expression démocratique et un tremplin décisif à l'action publique. C'est pourquoi le CERC est à la fois tant décrié et si désiré.

Depuis 25 ans, nous avons découvert le chômage, les inégalités sociales et la misère, bref la crise structurelle. Tout un vocabulaire nouveau, cruel, est apparu : SDF, smicards, nouveaux pauvres, exclus, chômeurs de longue durée. Le chômage et le mal emploi ont provoqué une crise de confiance et répandu la morosité. Une vague de panique, de rumeurs, de déclarations alarmistes et de rapports alarmants a nourri les médias. Désemparés, les gouvernements successifs ont créé des dizaines d'organismes d'analyse et de statistiques, mais en vain... Politiquement, le chômage et la misère sont devenus des outils électoraux grâce auxquels certains partis politiques, mouvements syndicaux ou groupuscules extrémistes se sont fait une place sur l'échiquier politique et médiatique. Les idées extrémistes, libérales comme nationalistes, ont trouvé là un terrain propice (M. François Goulard proteste). Je crois, Monsieur Goulard, qu'il y a un extrémisme nationaliste, mais aussi un extrémisme libéral.

M. François Goulard - Il y a aussi un extrémisme de l'autre bord.

M. Yves Cochet - Quant aux partis traditionnels perdant leurs certitudes idéologiques et électorales, ils ont dû se plier au jeu des alternances, aussi brèves qu'inefficaces en la matière, et compris peu à peu qu'ils n'avaient plus d'idées pour défendre l'emploi et lutter contre les inégalités. Quelqu'un leur a suggéré que le chômage était une fatalité. En réponse à la mondialisation et à la construction européenne, ils n'ont rien trouvé de mieux que la pensée unique libérale : aux impératifs de solidarité et de volontarisme d'Etat, ils ont répondu libéralisme et flexibilité.

Il fallait introduire dans ce débat un peu de sérénité et de confiance. En juin 1997, enfin, la majorité plurielle, fondée sur la collégialité et le retour de la discussion, a favorisé l'émergence d'une façon inédite de penser et d'attaquer la crise. Elle a pu ainsi rétablir la confiance et l'espoir par une politique volontariste pour l'emploi. Mais la sérénité n'est pas encore revenue, car la misère et les inégalités n'ont pas encore été enrayées.

L'échec des politiques de l'emploi avant 1997 me conduit à penser que le chômage et la misère n'ont pas été bien diagnostiqués. Il ne suffit pas de les constater : il faut les expertiser, pour les comprendre, et l'expertise doit être publiée, pour susciter notre capacité d'indignation et d'action. Car l'Etat peut et doit agir ! La recréation du CERC est la première étape de cette exigence. Il nous donnera les moyens de ce diagnostic, de cette expertise, de cette capacité d'indignation et d'action. Voilà pourquoi sa création, qu'on aurait pu prendre pour celle d'un simple institut de plus, suscite tant d'émois et d'appréhensions. Il est en effet particulièrement audacieux de jouer la carte de la transparence sur les coûts, les salaires et les inégalités. Car la transparence d'Etat est une idée qui n'est jamais allée de soi ! Erigée en méthode de gouvernement, comme aujourd'hui, elle est exceptionnelle.

En tant que pôle d'informations indépendant, le CERC ne devra souffrir d'aucune ingérence gouvernementale. Jouant à fond la carte de l'objectivité et de l'indépendance, il a vocation à recevoir les moyens de ses ambitions. On comprend donc aisément qu'en 1993, année de crise comme on n'en avait pas vu depuis vingt ans, le gouvernement de M. Balladur, pris de panique, ait décidé de supprimer un CERC, qui gênait parce que ses analyses n'allaient pas dans le sens des orientations gouvernementales, voire électorales. Dans la forme, le CERC, organisme transversal, doit clarifier, synthétiser et relier les analyses d'autres organismes. Organe d'inspiration démocratique, enfin, il doit démontrer sa capacité de concertation avec les partenaires sociaux et d'ouverture sur la société civile. Avec le CERC, c'est la démocratie qui est redynamisée, et les intermédiaires sociaux qui sont interpellés.

Enfin, le CERC doit accompagner les politiques de l'emploi, et en particulier celle des 35 heures. A l'heure où la réduction du temps de travail va bouleverser les habitudes de chacun, les modes de production et le marché du travail, plus que jamais les analyses statistiques et politiques doivent être fiables, et synthétiques. La réussite de la réduction du temps de travail doit être garantie par les bons diagnostics du CERC. C'est d'abord sur la mise en place des 35 heures que le CERC devra

justifier de la confiance que nous plaçons en lui. Bien entendu, nous voterons cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

La discussion générale est close.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Madame la ministre -c'est avec beaucoup de plaisir que je vous adresse ce titre, car notre commission, se souvenant du travail que vous avez fait en son sein, se réjouit de vous voir à cette place- je veux d'abord remercier notre rapporteur pour la qualité de son travail, et tous les orateurs qui ont soutenu ce texte. Je remercie également Mme Peulvast-Bergeal d'avoir rappelé qu'en 1994, je dénonçais la suppression du CERC par M. Balladur, disant que ce dernier, Monsieur Godfrain, oubliait l'esprit des ordonnances de 1966... Il a fallu un peu de temps pour remettre les choses en route. Nous avions voulu le faire à l'occasion de la loi sur l'exclusion, mais nous nous sommes heurtés à un problème juridique souligné par le Conseil constitutionnel ; ce sont des choses qui arrivent à tous les gouvernements. Nous pouvions penser que nous avions convaincu, ayant évoqué le problème dès la première lecture ; ce ne fut pas le cas, et je n'ai pas coutume de commenter les décisions du Conseil constitutionnel.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce débat s'est engagé à partir de la loi sur l'exclusion. Je crois en effet que les gouvernements -tous les gouvernements- ainsi que les parlementaires n'ont pas un regard assez aigu sur la société française. Et il est clair que le CERC -que j'ai bien connu-, l'ayant soutenu financièrement en 1991 quand j'étais président de la commission des finances- était considéré comme du poil à gratter, ce dont nul gouvernement ne s'accommode aisément. Or notre société n'a pas une suffisante «capacité d'indignation» -je reprends volontiers les termes de M. Cochet. Et nous ne voyons pas assez clairement les contraintes, les contradictions, les difficultés d'une société en mutation. A cet égard la recréation du CERC est importante, et il y a là une suite logique de notre action. Je rappelle à Mme Boisseau que, pour chaque texte qui passe en commission des affaires sociales, je demande un rapport de suivi, qui équivaut à une interpellation du Gouvernement. C'est ainsi qu'hier, devant la commission, Mme Mignon a présenté la première étape du rapport de suivi sur la loi contre l'exclusion. Il souligne l'excellence de cette loi, mais aussi ses insuffisances et ses difficultés d'application. Et dans les jours suivants le Premier ministre et la ministre de la solidarité seront saisis de ce rapport.

Tel est bien l'esprit de notre action, et il est nouveau. C'est à ce titre que nous avons besoin d'un organisme capable d'éclairer ce qui se passe. Et je trouve tout à fait intéressant que ce soit Mme Join-Lambert qui ait établi le rapport préconisant la création du CERC, après avoir fait son rapport sur l'exclusion qui a largement alimenté nos réflexions. Nous sommes bien dans la continuité d'une action.

Une autre remarque, Monsieur Goulard. Je suis de plus en plus agacé par l'usage qui est fait du mot « idéologie », dont on a l'air de croire qu'il constitue une injure. Mais enfin qu'est-ce que l'idéologie ? C'est le discours sur les idées. Et je me flatte d'avoir quelques idées -justes ou fausses- ainsi que quelques convictions.

Chaque fois que nous avançons une proposition, on nous dit : c'est idéologique ! Eh bien oui : nous avons un discours idéologique, c'est-à-dire un discours sur des idées, à quoi s'ajoute un certain nombre de convictions. Vous-même, Monsieur Goulard, avez aussi un discours idéologique, puisque vous avez des idées. Vous êtes un libéral, d'ailleurs talentueux, dont je combats les idées, tout en les respectant ; et jamais je ne vous reproche d'avoir une « idéologie ». Cessons donc. Je souhaiterais parfois qu'il y ait dans nos débats un peu plus d'idées, si ce n'est de convictions ; et je supporte mal ce jeu sur les mots, qui n'a pas grand sens.

M. Godfrain a déposé un amendement que je soutiens. J'ai moi-même renforcé en 1983, par une loi organique, les pouvoirs du Conseil économique et social, et l'idée de lui envoyer les rapports du CERC me va très bien. Je suis plus nuancé sur les CES régionaux, non pas que je sous-estime leur rôle, mais parce que je m'interroge sur l'efficacité de ces diffusions multiples des rapports. J'attends de connaître à ce sujet l'avis du Gouvernement.

Par ailleurs, un décret va paraître. Il est essentiel qu'il marque bien la volonté d'indépendance du CERC. Nous y serons -amicalement- très attentifs. Car c'est là qu'on verra la différence entre l'ancienne équipe, de grande qualité, mais qui représentait les grands corps, et une équipe plus portée à un regard critique sur la société et apte à l'indignation -je reprends encore le mot. A cela, Madame la ministre, nous serons attentifs. Vous pouvez compter sur moi pour soutenir votre action. Mais si elle n'était pas conforme à notre volonté, je le dirais publiquement : je m'y engage devant cet hémicycle. Nous vous faisons confiance ; un décret sera pris, c'est la méthode normale. Mais la composition du CERC sera l'objet de toute notre attention (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme la Secrétaire d'Etat - Cédant à la sollicitation du président Le Garrec, je commencerai par me féliciter de cette initiative parlementaire, visant à installer auprès du Premier ministre ce Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale -dont l'article 4 garantit l'indépendance, Monsieur Goulard !

Même si, comme l'a rappelé M. Cochet, un tel organisme ne peut être un élément de confort pour un gouvernement, quel qu'il soit, c'est un outil de transparence bien nécessaire et c'est pourquoi, dès septembre 1997, le Premier ministre avait souhaité que soit examinée la situation créée par la suppression, inscrite dans la loi quinquennale du 20 décembre 1993, du Centre d'étude des revenus et des coûts. Cette

décision, ainsi que la création du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts -CSERC-, avait d'ailleurs suscité de vives réactions, à la suite desquelles Mme Join-Lambert avait reçu mission de réfléchir aux évolutions souhaitables.

Un amendement à la loi de lutte contre les exclusions avait été déposé à ce sujet, lors de la première lecture, au printemps 1998. Tout en reconnaissant l'intérêt de cette proposition, le Gouvernement avait souhaité disposer, avant de se prononcer, du délai nécessaire à une poursuite de la consultation sur les conclusions de Mme Join-Lambert et l'amendement avait été retiré.

En deuxième lecture, un article avait été voté, mais le Conseil constitutionnel l'avait rejeté dans une décision du 29 juillet, au motif que cette disposition intervenait après la CMP.

La proposition de loi reprend les principales conclusions du rapport Join-Lambert. Le nouveau CERC sera ainsi chargé de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales, mais aussi des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale, ce qui s'inscrit dans notre volonté de contribuer à une croissance soutenue par une action volontariste en matière d'emploi et de réduction des inégalités. C'est au moment où notre économie va mieux, où des emplois sont créés en nombre -750 000 depuis juin 1997 !- que nous devons en priorité faciliter le retour à l'emploi et veiller à réduire les poches d'exclusion, ce à quoi nous nous employons avec ténacité. Grâce à la loi de lutte contre les exclusions, nous avons pu nous attaquer pour la première fois au noyau dur du chômage structurel, en réduisant de 105 000 en un an le nombre des chômeurs de longue durée. A ce propos, je tiens à rappeler à Mme Boisseau l'importance des moyens mis en _uvre dans cette lutte contre les exclusions : 5 milliards en 1998, 13 cette année et 20 pour 2000 ! L'Etat a donc tenu ses engagements et il continuera de le faire. Cette politique a rétabli la confiance des entreprises et des ménages et placé la France dans un cercle vertueux : création d'emplois, croissance, confiance. Pour que ce soit profitable à tous, il est indispensable d'étudier l'articulation entre revenus, emplois et inégalités sociales...

Votre initiative me paraît donc répondre à un réel besoin. Il nous faut une voix forte et indépendante, apte à rendre compte des difficultés auxquelles se heurte notre société, des contradictions que fait parfois naître notre système économique, mais aussi des chances qu'offre la croissance retrouvée. Le CERC sera ainsi appelé à porter un regard critique sur le fonctionnement économique et social de notre pays, à dresser un état des lieux des inégalités comme des limites de la redistribution, à appeler enfin l'attention sur les évolutions souhaitables : en un mot, à jouer le rôle de «poil à gratter» tant prisé par M. Le Garrec.

Pour ce faire, le CERC devra bénéficier de toutes les garanties d'indépendance. Votre proposition de faire appel à des personnalités reconnues pour leur compétence et représentant différentes sensibilités, le placera heureusement sous le signe de l'ouverture et du pluralisme. L'amendement de M. Godfrain, visant à rendre le Conseil économique et social destinataire du rapport de ce conseil, va dans le même sens et il recueille donc l'agrément du Gouvernement.

Le nouveau CERC sera de plus complémentaire des institutions déjà créées pour améliorer notre connaissance des questions sociales et pour donner la parole à ceux qui en sont généralement privés : l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion, présidé par Mme Juin-Lambert, et le Conseil national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, dont la composition a été renouvelée et qui est désormais chargé d'un rôle très large de conseil, sous la présidence de notre collègue Jean-Claude Boulard.

Par ailleurs, l'administration s'est dotée elle-même des moyens de mieux appréhender les revenus et les phénomènes de pauvreté : c'est ainsi que la nouvelle Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques est venue compléter, en matière sociale, le travail déjà accompli par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques en ce qui concerne l'emploi.

Le Cerc pourra mobiliser le potentiel des services et organismes existants pour préparer l'adaptation de nos politiques. En rendant des rapports spécifiquement consacrés aux revenus et aux inégalités sociales, il sort du seul champ de l'exclusion pour s'intéresser aux implications sociales de l'ensemble de notre système économique. Le Premier ministre, auprès duquel il est placé pourra le saisir mais le Conseil pourra également s'auto-saisir des questions relevant de sa compétence.

Vous aurez compris qu'il ne s'agit pas de dissoudre le CSERC pour le seul plaisir de créer un nouveau conseil, mais bien de trouver ce qui a fait l'originalité et le succès de l'ancien CERC tout en prenant en compte les évolutions souhaitées.

En démocratie, il est bon de disposer d'un conseil indépendant, qui puisse éclairer le débat public. N'en doutez pas, Monsieur Le Garrec, le décret garantira cette indépendance et, par là-même, la stimulation indispensable à la créativité politique. Le Gouvernement est donc très favorable à cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. le Président - J'appelle, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Les articles 1er et 2, successivement mis aux voix, sont adoptés.

ART. 3

M. Jacques Godfrain - Comme la majorité -M. Le Garrec en particulier- et le Gouvernement l'ont reconnu, mon amendement 2 était nécessaire. En effet, il n'est pas destiné à «faire plaisir» au Conseil économique et social mais il part du constat que celui-ci est un lien essentiel de la concertation sociale, je suis d'ailleurs navré que les auteurs de la proposition ne l'aient pas compris eux-mêmes, alors même que le Président de la République venait de rappeler le Gouvernement à la nécessité de cette concertation.

La concomitance entre la discussion de ce texte et celle de la loi sur les 35 heures ne laisse pas de nous intriguer. Compte tenu de l'absence de garanties d'indépendance, nous prenons date et nous émettons à l'avance les plus vives réserves sur les travaux que mènera le nouveau CERC sur l'application de cette loi sur la réduction du temps de travail.

M. François Goulard - Mon sous-amendement 3 ne vise qu'à compléter l'amendement en rendant également les conseils économiques et sociaux de nos régions destinataires des rapports du CERC. Les études économiques et sociales gagneront en effet à voir leur dimension régionale développée et ma proposition devrait remédier modestement à l'insuffisance que l'on constate à cet égard.

Sans doute nous sommes-nous mal compris, Monsieur Le Garrec : je sais parfaitement que chacun d'entre nous est porteur d'une idéologie -et, je l'espère, de convictions. Mais ici, il s'agit de connaissance, de science, ce qui exige impartialité, objectivité et indépendance.C'est pourquoi je réprouvais l'approche idéologique.

M. le Rapporteur - La commission n'a pu examiner ni l'amendement ni le sous-amendement. Cela étant, je pourrais l'approuver tout en le repoussant, en faisant observer qu'aux termes de l'article 3, le rapport sera publié et que tout le monde pourra donc en avoir connaissance.

L'adresser au conseil économique et social peut cependant avoir une valeur emblématique, mais cette institution est moins une institution politique qu'un lieu où l'on recherche l'information, dans une démarche volontaire et, dirai-je, dynamique.

Je conçois que cette réponse puisse ne pas apparaître très claire...

M. François Goulard - Je serai assez d'accord ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Mais il me semble que l'article 3, dans sa sobriété, répond déjà à votre demande.

M. le Président de la commission - A qui d'entre nous n'arrive-t-il pas d'hésiter ?

Les rapports du CERC seront bien évidemment transmis aux conseils économiques et sociaux régionaux. Mais ces organismes ne sont pas de même nature ni de même niveau que les trois assemblées citées dans l'amendement et il me semble préférable d'en rester à cette rédaction.

Mme la Secrétaire d'Etat - Je suis du même avis. J'accepte l'amendement de M. Godfrain, mais suis défavorable

au sous-amendement. Il incombera au CERC lui-même d'organiser une diffusion plus large de ses travaux, entre autres auprès des organismes régionaux.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Les problèmes d'emploi et de cohésion sociale ne se règlent pas depuis Paris, mais au plus près du terrain. J'insiste donc pour que les rapports du CERC soient communiqués aux organismes régionaux et départementaux traitant de ces questions.

Je souhaiterais aussi que dans la composition du CERC la parité hommes/femmes soit respectée. Il est important qu'il y ait un regard féminin sur ces questions (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Le sous-amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté.

L'article 3, ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

Les articles 4, 5, 6 et 7, successivement mis aux voix, sont adoptés.

ART. 8

Mme la Secrétaire d'État - Par l'amendement 1 le Gouvernement propose de lever le gage et donc de supprimer l'article 8.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté et l'article 8 est ainsi supprimé.

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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