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Session ordinaire de 1999-2000 - 7ème jour de séance, 16ème séance

2ÈME SÉANCE DU JEUDI 14 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

Vice-président

Sommaire

            SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 2

            RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL (SUITE) 2

            APRÈS L'ART. 4 2

            ART. 5 8

            SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 25

La séance est ouverte à quinze heures.

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SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative au pacte civil de solidarité.

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL (Suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

APRÈS L'ART. 4

M. Yves Cochet - L'amendement 952 est cosigné par les Verts, trois députés socialistes et M. Gremetz. Nous souhaitons en rectifier la rédaction en supprimant l'avant-dernier paragraphe et c'est donc l'amendement ainsi rectifié que je vais défendre.

Comme chacun le sait, la directive européenne de 1993 sur le travail de nuit n'est pas entièrement transposée en droit interne. Cette directive définit aussi bien ce qu'est le travail de nuit que la durée qu'il ne doit pas dépasser. Or une étude de la DARES portant sur les horaires de travail en France en 1998 montre une tendance constante à l'augmentation du travail de nuit, et tout particulièrement du travail de nuit fréquent ou systématique. Le recours au travail de nuit doit donc être strictement encadré et c'est dans cette perspective que nous demandons, avec cet amendement, la mise en conformité du droit interne avec le droit communautaire, qui souligne le caractère exceptionnel du travail de nuit et en donne un définition précise, posant ainsi des garde-fous. Car, si personne ne souhaite voir le travail de nuit se généraliser, on peut comprendre qu'il puisse être nécessaire, soit pour des raisons techniques soit pour des raisons de santé publique.

La France a déjà été condamnée en 1997 pour le retard apporté à la transposition de cette directive et une autre procédure est en cours. L'amendement encourage la négociation dans toutes les branches qui pratiquent le travail de nuit.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La commission n'a pas retenu l'amendement, considérant que la question abordée ne pouvait, de par son importance même, être traitée dans le cadre de ce projet et qu'elle méritait une réflexion globale. Le débat sur l'amendement avait d'ailleurs été suspendu en commission.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je suis particulièrement sensible aux arguments avancés par M. Cochet et je pense souhaitable que la législation définisse mieux le travail de nuit et en fixe le statut. Cependant, la rédaction proposée peut être à l'origine de difficultés réelles. La directive communautaire admet elle-même des exceptions, qui concernent par exemple les gardiens de nuit ou, dans un autre domaine, les infirmières et les gardes-malades, dont il est admis qu'ils peuvent travailler dix heures, voire douze heures de nuit. La réflexion doit donc être approfondie et je ne suis pas opposée à ce que nous y travaillions de concert avant la deuxième lecture, de manière qu'une définition précise puisse être mise au point par la voie conventionnelle, dans un délai précis, ce qui permettra que les activités de service à la personne, notamment, puissent continuer de fonctionner normalement.

Le Gouvernement prenant l'engagement de travailler avec vous à la rédaction d'un texte acceptable par tous, je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement.

M. Bernard Accoyer - Le Gouvernement ayant ouvert la voie en décidant d'imposer une réduction du temps de travail autoritaire et généralisée, il est peu surprenant que M. Cochet, avec l'idéalisme mais aussi la méconnaissance du monde de l'entreprise (M. Cochet fait un geste de dénégation) qui le caractérisent, souhaite revenir sur la plupart des textes qui régissent le droit du travail dans notre pays. Il est vrai que le travail de nuit doit être réexaminé, mais il est tout aussi vrai que le Gouvernement, en contraignant les entreprises à réduire le temps de travail, fait progresser la culture de la paresse (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Il faudrait, bien sûr, aménager le temps de travail en tenant compte des besoins des partenaires sociaux, au lieu d'encourager de travailler le moins possible (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs). N'importe quel individu, doté de bonne santé mentale, auquel on demande s'il souhaite travailler moins tout en étant payé davantage ne peut que répondre par l'affirmative ! L'amendement traduit cet inquiétant glissement et la responsabilité du Gouvernement est lourde, qui a délibérément choisi d'ignorer la pression de la concurrence et les conséquences de l'ouverture des marchés.

Au lieu de priver les partenaires sociaux de la liberté de négocier, vous auriez été mieux inspirés de réfléchir, comme nous ne manquerons pas de le faire (Quolibets sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste) à l'instauration d'une protection sociale complémentaire, aussi bien pour l'assurance maladie -en développant la prévoyance collective au sein des entreprises- que pour les retraites, domaine dans lequel la démission du Gouvernement est aussi grave que flagrante (Protestations sur les mêmes bancs).

M. François Goulard - L'amendement de M. Cochet illustre une tendance largement partagée par deux groupes de la majorité plurielle, le groupe communiste et le groupe RCV, dont les propositions vont bien au-delà de celle du groupe socialiste. Chacun sait que le droit du travail français est l'un des plus contraignants des pays développés. Vous souhaitez en rajouter. Nous considérons, nous, qu'il faut donner plus de place à la convention, loin de renforcer les lourdeurs françaises que des organismes aussi impartiaux que l'OCDE (M. Yves Cochet manifeste son doute) ne manquent pas de dénoncer.

Si nous sommes radicalement opposés à l'idée d'imposer une réduction du temps de travail autoritaire par la loi nous reconnaissons que votre démarche est politiquement cohérente. Les groupes communiste et RCV poursuivent pour leur part une logique différente, car leurs propositions tendent à amender notre droit du travail d'une manière incompatible avec la vie des entreprises et les intérêts des salariés.

S'agissant du travail de nuit, qui peut prétendre sérieusement qu'il n'existe pas dans notre pays une protection des salariés qui travaillent la nuit, qu'aucune convention collective n'en tient compte ? Si le travail de nuit recule dans de nombreux secteurs, il répond dans d'autres à une impérieuse nécessité. De plus en plus de cadres, par exemple, travaillent avec leurs homologues étrangers vivant sous d'autres fuseaux horaires, au Japon ou aux Etats-Unis...

M. Maxime Gremetz - Nous le savons bien ! Nous ne sommes pas ignares !

M. Yves Cochet - Vous parlez des «traders» !

M. François Goulard - Les amendements des groupes communiste et RCV se situent aux antipodes des évolutions sociales et économiques. Ce sont des amendements de provocation dont le sens est essentiellement politique et non pratique (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme la Ministre - M. Goulard a déjà fait la même intervention à deux ou trois reprises, sur le thème du «carcan» que nous serions seuls au monde à imposer à nos entreprises ! Je souhaite lui dire qu'il me semble particulièrement malvenu d'intervenir sur ce thème au moment même où il nous est proposé d'appliquer une directive européenne que la plupart de nos partenaires européens respectent déjà. Nous sommes en retard dans la transposition de cette norme qui date de novembre 1993 et que le Gouvernement précédent aurait déjà dû transposer. Nous sommes résolus à le faire sans plus attendre de la même manière, malgré vos critiques, que pour la directive sur le repos quotidien de 11 heures accolé au repos hebdomadaire et pour celle sur le travail des jeunes.

Notre seul but est d'améliorer le code du travail comme l'ont déjà fait nos voisins et je ne puis imaginer que vous ne souhaitiez pas, comme nous, donner aux salariés qui travaillent de nuit de meilleures garanties (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - N'essayez pas, Monsieur Goulard, d'opposer entre eux des groupes qui composent notre majorité. Si nos origines diffèrent, nous sommes depuis deux ans toujours parvenus, en débattant entre nous, à des positions de synthèse et nous y arriverons cette fois encore. C'est pour cela que nous sommes majoritaires, grâce à un travail d'élaboration collective particulièrement riche.

Et puis, arrêtez de parler de lourdeur. Vous êtes, Monsieur Goulard, un député récent et non dépourvu de talent mais vous manquez de mémoire.

Chaque fois que nous avons dû légiférer pour pallier les insuffisances du dialogue social, imputables pour une large part aux réticences du patronat à s'engager dans la négociation, nous avons entendu le même discours. Souvenons-nous des lois Auroux. On parlait alors de «soviétisation de l'économie». Or les faits ne nous ont-ils pas donné raison ?

Je ne rêve que d'une chose. C'est que le mouvement syndical grandissant oblige enfin le patronat à considérer que c'est la négociation collective qui permet d'aboutir aux solutions les plus satisfaisantes et que l'Etat ne doit légiférer qu'en dernier ressort .

Mais force est de constater que depuis vingt ans, du fait de la pression du chômage, les salariés ont beaucoup subi. Aujourd'hui, la situation de l'économie et de l'emploi permet de réaliser de nouvelles avancées sociales. Il faut en profiter.

M. Maxime Gremetz - Effectivement, le discours de la droite est répétitif...

M. Bernard Accoyer - Moins que le vôtre !

M. Maxime Gremetz - La vérité, c'est que vous ne voulez pas légiférer lorsque le sujet ne vous intéresse pas. Mais l'histoire de notre pays montre que les avancées les plus significatives, les avancées de civilisation procèdent toujours d'un mouvement populaire, qui ouvre une négociation débouchant elle-même sur une loi.

Vos présentes attaques contre le code du travail me rappellent, mais vous n'étiez pas là, les débats sur la loi quinquennale. Mme Bachelot, elle, s'en souvient sans doute.

Cette loi sur les 35 heures, qui reprend une proposition du groupe communiste de 1996, va permettre une nouvelle avancée sociale.

S'agissant du présent amendement, j'y suis favorable dans la mesure où il ne remet pas en cause la disposition du code du travail qui interdit le travail de nuit des femmes dans l'industrie. Si elle est aujourd'hui globalement appliquée, des garanties supplémentaires s'imposent.

Nous ne vivons pas sur une autre planète et nous voyons bien que des centaines de milliers de femmes travaillent la nuit. Or les études médicales montrent l'incidence sur la santé du travail de nuit. Ceux qui travaillent de nuit ou par équipe vivent en moyenne dix ans de moins que les autres ! Un meilleur encadrement du travail féminin de nuit est donc indispensable. Cela dit et puisque, Madame la ministre, vous jugez l'amendement intéressant... (Mme la ministre le confirme) tout en considérant que la rédaction devrait en être améliorée, nous sommes d'accord pour le retirer, sous la condition que soit examiné en deuxième lecture un amendement dans le même sens, mieux rédigé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La France a été condamnée au niveau européen parce qu'au motif louable de protéger les femmes, elle applique concernant le travail de nuit une législation qui est en réalité discriminante à leur encontre. Nous devons donc conformer notre droit au droit européen. Vous me dites que le sujet est à l'étude, Madame la ministre, mais enfin il est temps, car les pénalités s'accumulent ! Nous devrions saisir l'occasion qui nous est offerte de réexaminer les conditions de travail de nuit pour l'ensemble des salariés.

Vous nous dites que l'amendement est intéressant mais pas très au point. Pourtant, cette histoire traîne depuis longtemps...

Mme la Ministre - A qui la faute ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Et je vois que cet amendement du groupe RCV est cosigné par Mme Génisson qui, rapporteuse générale à l'Observatoire de la parité, doit savoir ce qu'elle fait. C'est pourquoi la façon dont vous bottez en touche, Madame la ministre, me surprend. Si l'amendement de M. Cochet n'est pas au point, faites maintenant une contre-proposition !

Mme la Ministre - J'étais ministre en 1992 et un texte sur le travail de nuit était prêt : mes deux successeurs l'ont enterré (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Je retrouve aujourd'hui beaucoup de dossiers sous le tapis. J'essaie de les régler un par un.

Nous avons prévu de présenter au printemps une loi de transcription des directives : le problème du travail de nuit sera réglé dans ce cadre mieux qu'il ne le serait dans ce projet sur les 35 heures. De plus, Madame Bachelot, je ne suis pas capable de présenter à l'instant une contre-proposition sur un sujet aussi délicat et sur lequel mes deux prédécesseurs n'ont pas avancé en quatre ans. J'ai toutefois la même position qu'en 1992.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Que ne l'avez-vous fait passer alors ?

Mme la Ministre - La majorité a alors changé, souvenez-vous. Quoi qu'il en soit, j'ai treize ou quatorze directives à transcrire. Cette loi de transcription sera votée au printemps. Pour l'instant, quoique je n'aie pas d'opposition de fond au texte proposé, je dis qu'il reste du travail à faire sur le sujet.

M. Yves Cochet - Dans ces conditions, et avec l'accord des cosignataires, je retire l'amendement.

M. Maxime Gremetz - L'amendement 470, cosigné par M. Hammel -nous sommes du même département- et adopté par la commission, a pour objet de mettre fin aux abus concernant le travail du dimanche, les quelques condamnations pénales prononcées à l'encontre de certains employeurs n'y suffisant pas car trop légères. Nous proposons donc de ne plus faire reposer sur les seules organisations syndicales tout le poids des procédures judiciaires nécessaires pour faire respecter le repos dominical mais de confier à l'inspecteur du travail le pouvoir de saisir en référé le président du tribunal de grande instance afin qu'il ordonne toutes mesures propres à faire cesser l'infraction. Des astreintes, en particulier.

M. Francis Hammel - Peut-on parler de droit au repos et d'amélioration de la qualité de vie si on laisse se multiplier les ouvertures de grandes surfaces le dimanche ? Mon amendement 947, qui concerne les établissements de vente de denrées alimentaires, ne remet pas en cause les articles du code du travail

qui autorisent à titre exceptionnel cinq dimanches par an et qui font un sort spécial aux lieux à caractère touristique : il ne vise que les entreprises de cinq salariés au plus, de manière à protéger les salariés des grandes surfaces, en particulier leur personnel féminin, tout en préservant les commerces de proximité et l'activité des centres-villes.

M. le Rapporteur - C'est la République et la gauche qui ont rétabli le repos dominical en 1906. Mais on a vu ensuite se multiplier les dérogations, dont certaines sont de plein droit. Celle dont bénéficient les débits de tabac peut d'ailleurs soulever quelques interrogations.

M. Hammel pose une vraie question mais je l'invite à retirer son amendement car mieux vaut, comme il est proposé à l'amendement 470 auquel la commission est favorable, faire en sorte que les règles existantes soient mieux appliquées.

Mme la Ministre - Je partage cet avis. Notons au passage que la jurisprudence a permis certaines avancées et que, par exemple, on vérifie que les établissements demandant à ouvrir le dimanche ont bien une vocation essentiellement alimentaire.

L'article R. 262-1-1 du code du travail prévoyait cette possibilité de référé mais le Conseil d'État l'a annulé, considérant que seule la loi peut confier à l'inspecteur du travail le pouvoir d'user du référé. C'est pourquoi je suis favorable à l'amendement 470. En revanche, j'invite M. Hammel à retirer son amendement.

M. François Goulard - Il est vrai que travailler le dimanche perturbe la vie familiale mais il y a des célibataires qui apprécient de pouvoir le faire. Il faut tenir compte de la diversité des situations. De plus, l'ouverture de commerces le dimanche répond à une forte demande du consommateur.

Contrairement à ce que dit M. Hammel, son amendement n'est pas spécialement favorable aux commerces de détail car eux aussi ont besoin d'un personnel nombreux, en particulier pour ouvrir le dimanche.

Mais c'est surtout l'amendement de M. Gremetz qui me gêne car il fait intervenir le juge des référés en une matière où le préjudice n'est pas tel, ni si instantané, que le référé se justifie. Je trouve donc que c'est un pouvoir excessif qui serait ici confié aux inspecteurs du travail. Et si ces derniers ont du mal à constater toutes les infractions, c'est peut-être que la multiplication des règlements les surcharge trop.

L'amendement 470, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 947 tombe.

M. Yves Cochet - Dans son discours de Strasbourg, le Premier ministre a fait de la lutte contre la précarité un objectif de son action. Or les travaux précaires, sous forme de CDD ou autres, se multiplient. Ils représentent un quart des emplois à La Poste, les trois quarts des embauches en 1998 : ce recours à l'emploi précaire déstabilise les salariés. Je propose de le limiter. Mon amendement 953 fixe comme objectif à terme de ne pas dépasser 8 % de CDD et de sous-traitance dans les entreprises de plus de 20 salariés, grâce à une diminution de 2 % chaque année. Mon amendement 1012 prévoit de diminuer de 10 % par an le volume de travail effectué dans ces conditions dans une entreprise.

M. le Rapporteur - Cette question de la précarité est importante.

M. François Goulard - C'est une réponse qui commence mal pour M. Cochet... (Sourires)

M. le Rapporteur - C'est de 1993 à 1997 que la précarité a pris une ampleur sans précédent, Monsieur Goulard.

Or depuis deux ans, le retour de la croissance offre d'autres perspectives d'emploi. Le Gouvernement est donc ferme sur ce sujet. Il a demandé très clairement que s'ouvrent des négociations dans les branches où le travail précaire est concentré. Il n'a pas eu d'écho. Une fois de plus le législateur doit donc intervenir pour rappeler les règles.

Mais à l'initiative de la majorité et du Gouvernement, nous aurons bientôt un débat à ce sujet. Nous pourrons aborder le problème mieux qu'avec ces deux amendements. La ministre nous dira certainement quelles initiatives elle compte prendre et selon quel calendrier.

Mme la Ministre - Je répondrai à cette injonction -courtoise- au c_ur du débat. Même avis sur les amendements.

M. François Goulard - Une fois de plus, une règle uniforme et contraignante comme celle que vous proposez serait inapplicable dans nos entreprises. D'ailleurs qu'est-ce que la sous-traitance ? Entre l'externalisation des tâches et l'appoint temporaire, les situations économiques sont très diverses. L'entreprise doit s'adapter en permanence et les solutions figées qui avaient un sens il y a 40 ans sont inadéquates.

D'autre part, l'intérim n'est pas forcément favorable, mais il a beaucoup évolué.

Mme la Ministre - Grâce à l'ordonnance de 1982.

M. François Goulard - Il représente une amélioration sociale incontestable par rapport à d'autres formes de travail précaire, notamment en ce qui concerne la formation professionnelle.

Certains membres de la majorité proposent des amendements qui sont de véritables provocations au regard des nécessités économiques.

M. Eric Doligé - Les références ne cessent de se multiplier au «discours de Strasbourg». Distribuez-le donc à tous les parlementaires, que nous sachions ce qu'il contient.

Les amendements de M. Cochet introduisent des seuils alors que le travail temporaire n'est pas qu'une question de chiffres. Pour beaucoup, l'intérim est un progrès. Il permet de se former et offre une souplesse que recherchent bien des salariés.

Permettez-moi un témoignage sur une entreprise du Loir-et-Cher. Elle compte 88 salariés en CDI, dont 87 femmes. Mais comme elle fait de la sous-traitance pour la parfumerie, vous imaginez bien qu'à certains moments l'effectif monte à 250 ou 255 personnes par recours à l'intérim. Le chef d'entreprise veut passer aux 35 heures. L'inspecteur du travail lui dit : transformez les intérimaires en CDI. Il l'a fait.

Trois mois plus tard, les employées ont démissionné, préférant reprendre un emploi intérimaire plus respectueux de leur vie familiale.

M. Maxime Gremetz - Le Loir-et-Cher est vraiment une exception ! (Sourires)

M. Eric Doligé - Bref, Madame le ministre, je vous ferai parvenir l'adresse de cette entreprise par l'intermédiaire du député de la circonscription, afin que vous teniez compte de ce cas particulier dans le futur texte que vous nous présenterez.

Mme la Ministre - Le travail temporaire tout comme les contrats à durée déterminée sont nécessaires à l'entreprise dans des cas légitimes reconnus par la loi et que personne ne conteste, tels qu'un surcroît occasionnel d'activité, le lancement d'un nouvel équipement ou le remplacement d'un salarié absent.

D'autre part, je partage l'avis de M. Goulard : le travail temporaire est mieux protégé que le contrat à durée déterminée, mais grâce à l'ordonnance de 1982, à laquelle j'ai travaillé.

Bref, sur tous ces points, nous sommes d'accord. Le problème naît du fait que les entreprises utilisent le travail précaire comme un mode de gestion permanent, dont elles renvoient le coût social sur la collectivité. 12 % des établissements utilisent en permanence et en moyenne sur une année 20 % de salariés en CDD ou en travail temporaire ! Voilà pourquoi un projet ou une proposition de loi sera voté d'ici à la fin

de l'année pour mettre fin à ces abus.

Aux entreprises qui recourent au travail précaire, dont celle du Loir-et-Cher que vous avez citée, M. Doligé, la loi offrira des solutions propres à éviter cette précarité, qu'il s'agisse de la modulation ou du contrat intermittent annuel. Ainsi, par exemple, les entreprises de vente par correspondance du Nord, qui embauchent deux fois par an des salariés titulaires d'un CDD de deux mois pour envoyer leurs catalogues d'hiver et d'été, pourront-elles désormais signer des contrats annuels intermittents. L'entreprise et les salariés y trouveront avantage. Voilà une bonne façon de résoudre le problème de la saisonnalité.

Ne caricaturez donc pas notre position. Nous cherchons des solutions favorables aux entreprises et aux salariés, et dont la collectivité n'aura pas à supporter le coût social et financier.

M. Maxime Gremetz - A mon tour, je voudrais citer un exemple : celui de l'entreprise VALEO d'Abbeville dans la Somme qui emploie 33 % d'intérimaires en permanence, bien que son activité ne soit nullement saisonnière. Elle n'embauche jamais définitivement, préférant changer de salariés tous les six mois.

Pour dissuader les entreprises d'abuser de l'intérim au lieu de créer des emplois stables, Mme la ministre avait incité les partenaires sociaux à signer un accord conventionnel. Cette démarche n'ayant pas abouti, il est temps de légiférer. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à taxer les entreprises qui utilisent plus de 10 % de salariés intérimaires.

M. le Président - J'applique le Règlement de telle sorte que chacun puisse s'exprimer, sur quelque banc qu'il siège. Mais je n'accepterai ni invectives, ni interpellations directes. Si cela se produisait, j'appliquerais notre règlement avec plus de rigueur.

Mme la Ministre - Oh ! oui, oh oui !

L'amendement 953, mis aux voix, n'est pas adopté non plus que le 1012.

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ART. 5

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Cet article aborde le délicat problème des cadres. Travaillent-ils trop ? Oui et non. Certains d'entre eux dépassent allègrement les trente-neuf heures par semaine et ne prennent pas la totalité de leurs congés annuels. Ils sont nombreux à aspirer à une réduction de leur temps de travail et nous comprenons ce souhait car, comme le disait Taine, «il faut des loisirs pour faire un homme et un femmes complets».

Cela dit, limiter leur temps de travail par voie législative relève d'une intention louable mais sera difficile. La première difficulté tient à la définition des cadres. Ils sont moins d'un million à cotiser à l'AGIRC mais l'INSEE en recense 3,5 millions. C'est que la notion de cadre recouvre des réalités très diverses. Ainsi, selon le directeur des ressources humaines d'une grosse entreprise d'informatique, celle-ci emploie officiellement 50 cadres mais les salariés qui travaillent comme des cadres y sont trois fois plus nombreux.

Distinguer trois catégories de cadres -les cadres dirigeants hors horaire, les cadres postés et les autres- comme le fait le projet relève de la mission impossible. Pourquoi ne pas avoir conservé la définition retenue par l'accord interprofessionnel du 24 avril 1983 ?

Autre difficulté : comment qualifier le travail des cadres ? Il faut en finir avec une vision «chapelinesque» du travail, qui n'est plus ni homogène, ni substitutif, ni anonyme. Désormais, les cadres travaillent partout et à toute heure : dans le train, chez eux, au téléphone y compris avec des partenaires qui ne sont pas dans le même fuseau horaire. Selon l'excellente formule de Jacques Attali, on passe d'une économie de compétition à une économie de coopération, dans laquelle chacun se trouve mieux si les autres réussissent.

Dans ces conditions, un contingentement trop étroit du temps de travail, en jours ou en heures, provoquera un déplacement du travail du bureau vers le domicile, ou, pire, une délocalisation des activités à l'étranger.

Mieux vaut donc privilégier une approche qualitative, lutter contre les réunions interminables, limiter les rapports inutiles, la hiérarchie inefficace, les corvées administratives. Il faut faire en sorte que chaque cadre puisse prendre pleinement ses responsabilités. En revanche, la solution législative nous semble inadaptée. Le forfait journalier inquiète les cadres, qui redoutent un allongement de leur journée de travail, le seul garde-fou résidant dans les onze heures de repos consécutif. Quant au forfait horaire, il est utopique, la plupart des cadres assurant plus de 45 heures hebdomadaires. Et qu'en sera-t-il pour les cadres de plus en plus nombreux qui passent un millier d'heures par an sur les routes ou pour les cadres «diesel», qui ont besoin de temps pour s'échauffer et être opérationnels ?

Bref, tous ces problèmes, qui sont réels, ne seront pas résolus par la loi mais grâce à la négociation de branche, d'entreprise ou d'établissement, sans exclure le dialogue direct entre le salarié et son patron. En d'autres termes, il faut se méfier des lois «macédoniennes» qui, en voulant tout définir, posent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. Déjà 70 % des dispositions du code du travail ne sont pas appliquées. N'en rajoutons pas !

M. Hervé Morin - Reconnaissons-le, cet article 5 représente à lui seul une véritable révolution. Vous avez fait naître, c'est vrai, une nouvelle aspiration à moins de travail chez les cadres, surtout chez les plus jeunes, qui souhaitent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale et personnelle. Cette attitude est due à deux raisons : d'une part, les cadres ont perdu, dans les années 80, leur statut privilégié et subi eux aussi, les «charrettes» de licenciements. D'autre part, le niveau des prélèvements obligatoires est tellement élevé qu'il n'encourage pas à travailler davantage.

Avec votre loi, la catégorie des cadres perd son unité puisqu'elle distingue les cadres forfaitisés, ceux qui sont intégrés au site de travail et les cadres dirigeants. Cela va créer une nouvelle fracture au sein de l'entreprise. La distinction sera d'ailleurs difficile à appliquer : la loi renvoie sur ce point aux accords de branche, mais dans chaque branche il y a une grande diversité de métiers.

Enfin, je voudrais insister sur le saut considérable que va représenter pour l'entreprise la réduction du temps de travail des cadres. Ceux-ci ne travaillaient pas 39 heures, mais plutôt 42 ou 45, et les faire passer à 35 heures va entraîner des difficultés importantes, surtout dans les secteurs où les cadres constituent la majorité du personnel : dans les nouvelles technologies, les cadres représentent 70 % de la masse salariale !

J'aimerais avoir les réponses à deux questions précises.

Pour les cadres forfaitisés, que va-t-il se passer au-delà des 217 jours ? Comment seront payés les jours supplémentaires ? Deuxième question, le décompte s'effectuera-t-il en jours ou en heures ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Cet article 5 est l'occasion d'un débat utile et c'est sans doute l'un des éléments les plus positifs de ce projet que de nous amener à examiner le travail des cadres.

Nous avons en France une culture du cadre taillable et corvéable à merci sur laquelle il faut sans doute revenir. Un technicien de maintenance m'expliquait ainsi récemment qu'en devenant cadre il avait vu son salaire augmenté de 1 000 F, mais que ses heures supplémentaires n'étaient plus payées, ce qui est contraire au droit du

travail. Comme le disait Mme Boisseau, il faudrait d'abord faire respecter la réglementation actuelle...

Si ce débat est utile, les solutions proposées ne sont pas satisfaisantes. La notion de cadres dirigeants est très floue. Notre rapporteur a tenté de la préciser en définissant les cadres dirigeants par la capacité de prendre des décisions de façon autonome et par leur haut niveau de rémunération. Mais cela traduit une vision passéiste du travail, car dans les entreprises gérées de façon moderne, il y a des groupes d'ouvriers qui prennent des décisions autonomes. Quant aux rémunérations, elles ne sont absolument pas liées à l'importance des responsabilités : on voit, dans les petites entreprises, des cadres dirigeants qui ne touchent que deux ou trois fois le SMIC, alors qu'inversement certains salariés reçoivent des salaires très élevés sans être dirigeants pour autant -je pense à certains chercheurs, commerciaux, stylistes etc...

Seconde objection, une fois de plus, vous ne respectez pas les accords déjà signés. Vous réservez ainsi le forfait sans référence horaire aux cadres dirigeants, alors que dans plusieurs accords que vous avez par ailleurs déclaré excellents, Madame la ministre, il est appliqué à l'ensemble de l'encadrement. Quant au décompte du travail en jours, il est également appliqué à tous les cadres dans l'accord signé dans la chimie par exemple, alors que votre loi le réserve aux cadres dirigeants et aux salariés itinérants. Une fois de plus, on se moque du dialogue social...

M. François Goulard - S'il y a des débats utiles, il me semble que les lois ne sont pas faites pour ouvrir des débats, mais pour apporter des solutions.

Votre article sur les cadres est l'illustration parfaite, Madame la ministre, de l'inadaptation de votre texte à la réalité. D'une part, il y aura des problèmes de frontières évidents entre les trois catégories que vous créez. D'autre part, le fameux « malaise des cadres » touche principalement les membres de l'encadrement dont le statut réel et les aspirations se rapprochent de ceux des salariés -et qui d'ailleurs, dans d'autres pays, ne seraient pas qualifiés de cadres. Sans doute ceux-là souhaitent-ils une meilleure maîtrise de leur temps de travail. Mais en ce qui concerne les cadres supérieurs -je ne parle pas de l'infime majorité des cadres dirigeants- il est faux de prétendre qu'ils veulent moins travailler. S'ils connaissent un malaise, il est dû à une fiscalité confiscatoire, qui conduit d'ailleurs une proportion non négligeable d'entre eux à s'expatrier.

La légende du cadre français qui serait un «malade de travail» ne correspond pas à la réalité. Dans la multinationale où j'ai travaillé, je n'ai pas constaté de différence de comportement selon les nationalités. Vous voulez imposer une réduction du temps de travail à des catégories qui n'en veulent pas et qui ne la pratiquent pas, sauf à mettre un inspecteur du travail derrière chaque cadre français !

Les dispositions que vous proposez de faire voter auront pour conséquences de ternir l'image de notre pays en donnant à penser que l'on y empêche les cadres de travailler autant qu'ils le voudraient et, beaucoup plus grave encore, elles pousseront les plus entreprenants d'entre nos cadres à s'installer à l'étranger.

M. Bernard Accoyer - Quel gâchis ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Georges Sarre - Le nouveau dispositif va donc enfin consacrer une réalité. On sait depuis longtemps qu'un même vocable désigne des situations hétérogènes, ce que le projet reconnaît à juste titre. Nous convenons que l'emploi du temps particulier des cadres impose des aménagements spécifiques, mais ces catégories de salariés doivent, eux aussi, bénéficier de la réduction du temps de travail. Ils attendent d'ailleurs du législateur qu'il apporte certaines limites à leur subordination temporelle.

A cet égard, les distinctions qu'introduit l'article 5 nous semblent relativement satisfaisantes -en théorie tout au moins. Il reste à évaluer ce qu'il adviendra dans les faits, puisqu'il revient aux partenaires sociaux de préciser les conventions collectives. Le législateur se devait, en tout cas, d'empêcher que des chefs d'entreprise de mauvaise foi ne décident d'étendre abusivement deux catégories de cadres sur les trois que distingue le texte. J'apprécie tout particulièrement l'ajout de la référence à la rémunération. Il importe en effet que la catégorie des cadres dirigeants demeure un cercle restreint, et qu'elle n'englobe en aucun cas les chefs de service. Il faut aussi éviter que la législation imposant des forfaits n'ait pour effet de rendre les cadres encore plus corvéables qu'ils ne le sont actuellement. Plus généralement, les cadres ne doivent pas être les grands laissés pour compte de la nouvelle loi.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Philippe Martin - La notion de «cadre dirigeant» est d'un tel flou qu'elle suscite de multiples ambiguïtés. Ainsi, les cadres «3B» et «3C» appartiennent-ils à cette catégorie ? Et, dans les PME, nombreux sont les cadres dont l'autonomie et les responsabilités équivalent à celles des cadres dirigeants d'un grand groupe. Si le texte est adopté en l'état, on voit bien que les clauses contenues dans les accords de branche et dans les accords d'entreprise seront considérablement limitées dans leur application.

Les règles prévues pour le calcul de la rémunération horaire sont, elles aussi, lourdes d'ambiguïté, car on ne précise pas si d'autres règles que celles de la négociation peuvent s'appliquer. Mais, puisqu'il s'agit de clauses d'ordre public, on peut le supposer, ce qui enlève tout intérêt aux conventions de forfait !

La complexité et la diversité des cas sont telles que de nombreux contentieux sont prévisibles, en particulier pour ce qui touche à la définition des salariés itinérants.

M. Daniel Paul - La question du temps de travail des cadres est l'une des plus importantes du projet, car elle concerne directement 3 millions de personnes, et si l'on inclut, comme cela s'est fait dans de nombreux accords, les techniciens et les agents de maîtrise, ce sont 40 % des salariés qui sont considérés comme cadres. Ils veulent, eux aussi et à juste titre, voir baisser leur temps de travail.

Une mise au point s'impose, à propos de leur salaire : non seulement 20 % d'entre eux touchent un salaire inférieur au plafond de la Sécurité sociale, mais encore un tiers environ, qui travaillent de 50 à 60 heures par semaine, perçoivent une rémunération plus proche du SMIC horaire que de tout autre chose.

La définition donnée dans le projet est beaucoup trop floue. C'est pourquoi nous proposons de définir comme cadres dirigeants ceux dont le salaire atteint au moins huit fois le SMIC mensuel. Cela n'empêche pas d'octroyer des jours de repos supplémentaires aux autres cadres, à condition qu'un décompte horaire soit maintenu. Si ne restait en effet en vigueur que le repos de 11 heures consécutives par jour, les cadres pourraient se voir contraints de travailler 13 heures par jour, 78 heures par semaine et 2 821 heures par an. Une telle perspective qui n'est, hélas, pas qu'une vue de l'esprit, est bien entendu inacceptable et unanimement considérée comme telle par les intéressés et leurs organisations. Il est donc nécessaire de maintenir un décompte horaire en cas de convention de forfait en jours.

Les cadres seront amenés à mettre en _uvre la réduction du temps de travail ; les exclure du bénéfice de la loi n'est certainement pas un gage de réussite, d'autant que les abus sont innombrables. Quelques procès ont ainsi dévoilé que cette catégorie de salariés est contrainte à des millions d'heures de travail clandestin et démontré les pressions exercées par certains employeurs pour faire exécuter ce travail gratuit. J'évoquerai à cet égard une note interne diffusée à titre confidentiel dans l'une de nos grandes entreprises, qui fait état de «dépassements réguliers», évaluant le coût potentiel du paiement des heures supplémentaires à 150 millions de francs par an... lesquels ne feraient que s'imputer sur des bénéfices faramineux ! La conclusion de cette note est qu'il vaut mieux être condamné à moyen terme que de payer à court terme...

On voit que garantir l'application de la réduction du temps de travail aux cadres libérerait des millions d'heures et quantité d'emplois. Ce serait aussi une mesure de justice sociale, à condition de maintenir un décompte horaire.

Le décompte en jours, présenté comme une idée moderne, est non seulement contraire aux dispositions de la directive communautaire, mais elle masque le retour aux pratiques du XIXème siècle, quand la journée de travail n'avait pas de limites horaires.

M. Gérard Terrier - Les cadres, dans leur grande majorité, aspirent légitimement à la réduction de leur temps de travail, d'autant qu'ils sont le plus souvent exposés aux dépassements illégaux des horaires.

Ce projet clarifie leur statut, ce qui en fait un véritable outil de progrès social. C'est la première fois que les cadres sont pris en compte dans un projet de loi et la commission a enrichi le texte par différents amendements, dont les plus importants consistent à définir de manière plus restrictive la notion de cadre dirigeant -cette définition reprend la jurisprudence en cours, plus protectrice que la définition du droit communautaire non encore transposé-, à encadrer le forfait par la négociation pour empêcher la signature d'une convention de forfait de gré à gré, et permettre aux partenaires sociaux de veiller au respect de la réduction du temps de travail pour les cadres.

Enfin, un amendement précisera que le plafond de 217 jours de travail n'est pas dépassable. Je souhaite poser plusieurs questions d'interprétation à Madame la ministre.

J'ai reçu dernièrement avec mon collègue M. Rome une délégation de cadres de la CFDT, de la CFE-CGC et de la CFTC. Admettons que cet événement est historique ! Tous sont d'accord pour le décompte en jours de la durée du travail, sachant qu'ils travaillent en moyenne 235 jours par an. Mais tous craignent aussi que l'absence de référence horaire minimale ne débouche sur une intensification du travail. La seule obligation de l'employeur est en effet de respecter le repos quotidien de 11 heures, ce qui permet des journées de 13 heures, soit plus de 2 800 heures par an.

L'accord d'une organisation syndicale pour signer une convention de forfait étant impératif, il est improbable qu'un syndicat s'engage dans cette voie.

Cependant, il me semble qu'une partie non écrite dans la loi mais présente dans le code du travail limite la durée annuelle à 1 730 heures.

Pouvez-vous confirmer l'existence d'un droit permettant aux cadres de refuser des horaires abusifs. Sinon, il semble nécessaire de limiter la durée annuelle de façon formelle, en déposant en deuxième lecture un amendement de précision.

D'autre part, n'est-il pas envisageable de faire bénéficier les cadres dont la durée annuelle ne dépasse pas 1 600 heures de l'aide structurelle et des abattements de charges ?

Nous ne pouvons priver du bénéfice de la réduction du temps de travail une catégorie qui est aujourd'hui surexploitée par les entreprises, dont les yeux de Chimène sont davantage tournés vers les actionnaires que vers ces personnels indispensables à la bonne marche de l'entreprise.

M. Yves Cochet - Il y a quelques mois, au début de notre réflexion, nous avons pensé qu'il serait peut-être souhaitable de fondre le régime juridique des cadres dans le droit commun.

Le Gouvernement a préféré préciser la notion de cadre en proposant trois catégories distinctes. La troisième catégorie concerne ceux dont la durée annuelle de travail est appréciée en nombre de jours, sans limite horaire.

Il a cependant été rappelé que les durées maximales journalières -10 heures- et hebdomadaires -44 heures ou 48 heures en semaine isolée- constituaient des mesures d'ordre public social pour des motifs de santé publique.

Ces cadres de troisième type seraient-ils des êtres génétiquement différents bénéficiant d'une endurance hors du commun qui leur permet de travailler 13 heures 217 jours par an ?

Certaines dispositions de l'article 5 sont choquantes. La distinction entre les cadres de catégories II et III est fallacieuse et ne repose sur aucun critère objectif.

Par une sorte de fait du prince, c'est l'employeur qui déterminera si un cadre relève ou non d'un horaire de travail collectif. Or la prédétermination du temps de travail d'un cadre est par nature aléatoire car il est de sa responsabilité de faire face à des impondérables. Il serait donc sans doute préférable de se fonder a posteriori, sur la base d'un contrôle effectif, sur le temps de travail réalisé.

De nombreux cadres aspirent d'ailleurs à l'introduction de moyens de contrôle perfectionnés sous la forme de «badgeuses» ou de «pointeuses», tels ceux de la société Thomson Broadcast System.

Il est à craindre, eu égard aux avantages pour l'employeur, que la catégorie d'exception de type III ne prolifère, au détriment des cadres concernés qui deviendront ainsi corvéables 13 heures sur 24, 217 jours par an. Cette forme de retour au servage met à mal l'un des grands principes républicains qui est celui de la subordination limitée.

Le bénéfice de la réduction du temps de travail risque également d'être inférieur de moitié pour cette catégorie de salariés par rapport aux autres. En moyenne, la réduction du temps de travail procure 23 jours de repos supplémentaires sur la base de 230 jours de travail par an, la durée maximale devrait donc être de 207 jours. Or le chiffre retenu pour les cadres est celui de 217 soit 10 jours de plus que le régime ordinaire.

En conclusion, ces dispositions sont porteuses d'un danger non seulement pour les cadres mais aussi, par propagation, pour l'ensemble des salariés.

Enfin, en réponse à M. Goulard, je citerai une enquête parue récemment dans Liaisons sociales qui rapporte que huit cadres sur dix souhaitent consacrer plus de temps à leurs loisirs qu'à des objectifs de carrière.

Mme la Ministre - Comme l'ont souligné MM. Cochet, Terrier et Paul, la situation actuelle des cadres présente une extrême diversité. Globalement, les cadres français travaillent plus que leurs voisins européens, à égalité avec les Anglais avec 45 heures de durée hebdomadaire moyenne, devant les Allemands -42 heures-, les Belges, les Italiens et les Autrichiens -40 heures- et les Néerlandais -36 heures. La réalité, la voilà. J'ai moi-même occupé des fonctions de comité exécutif au sein d'un groupe multinational, qui me conduisaient à travailler une semaine sur quatre aux États-Unis.

A 16 heures 30, l'ensemble des personnels des sièges sociaux ont quitté leur poste et ils ne sont pas moins efficaces que ceux du siège social de la Défense qui se croient obligés de rester jusqu'à 21 heures !

Depuis un an, nous avons engagé une petite révolution dans l'organisation du travail des cadres et les esprits progressent.

Cependant, les disparités entre les cadres créent une forte insécurité juridique. Le code du travail ne traite pas du problème spécifique du temps de travail des cadres et seule la jurisprudence conduit à leur appliquer la réglementation sur la durée du travail.

Sur la base de cette jurisprudence, l'inspection du travail a contrôlé la durée du travail des cadres dans plusieurs sièges sociaux et a mis en évidence l'insécurité juridique qui s'attachait à cette question.

Nous avons voulu régler le problème. La première loi l'avait posé et faisait confiance à la négociation pour apporter les réponses adaptées. L'opposition nous disait alors qu'il était impensable de diminuer le temps de travail des cadres, que la compétitivité des entreprises en serait affectée au point d'entraîner de nombreuses délocalisations.

En vérité, la majorité des cadres français, notamment les plus jeunes, considèrent aujourd'hui que leur activité professionnelle n'est pas toute leur vie. Contrairement aux affirmations de M. Goulard, 54 % d'entre eux estiment que le travail leur prend trop de temps, 79 % aspirent à plus de disponibilité pour leur vie privée et familiale et 73 % se prononcent en faveur d'une réduction du temps de travail identique à celle dont bénéficieront les autres salariés.

Face à cette situation, nous faisons confiance à la négociation collective. La situation des cadres dans notre pays est d'une extrême diversité. Il convient donc de s'appuyer sur la négociation pour régler un problème certes technique mais qui ne doit pas conduire à laisser à l'écart de la réduction du temps de travail plus d'un million et demi de salariés.

J'observe que 80 % des accords traitent du problème des cadres en excluant les cadres dirigeants. Je suis donc favorable à un amendement de la commission qui précisera la définition de la notion de cadre dirigeant. Je ne trancherai pas sur le point de savoir si les cadres B ou C de la convention collective de la métallurgie sont ou non des cadres dirigeants. Il appartient aux négociateurs de dire ce qu'ils mettent dans chaque catégorie et je leur fais confiance pour y parvenir.

Pour les cadres dirigeants, nous sommes donc d'accord : on ne peut pas leur appliquer la réglementation. Il existe une deuxième catégorie de cadres, ceux qui sont intégrés à une équipe de travail et qui donc appliqueront dès le 1er janvier le droit commun, soit environ 58 % des cadres.

Reste une catégorie intermédiaire : ceux qui, par leurs responsabilités ou leur mode de fonctionnement, ont une durée du travail différente ou qui ne peut être mesurée. Je pense par exemple aux commerciaux qui travaillent à l'extérieur, aux opérateurs sur les marchés financiers qui ont des horaires décalés, aux techniciens et ingénieurs qui doivent remettre d'urgence un projet... Pour tous ceux-là,

les choses se déclineront selon les accords mais leur durée de travail se réduira, même si la loi n'impose pas que cette réduction se fasse sous forme de jours de congé annuel. La réduction de leur durée du travail peut être hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Dans les deux premiers cas, il peut y avoir un forfait. S'il est horaire, les maxima -1 600 plus 130 heures supplémentaires- s'appliquent.

Mais certains cadres choisiront le forfait annuel, soit parce qu'ils refusent de voir contrôler leurs horaire, ce qui est leur droit, soit parce que leur durée du travail est difficilement contrôlable. Dans ce cas, la loi fixe un maximum de jours travaillés dans l'année, en l'occurrence 217 jours, ce qui représente tout de même 15 jours de repos supplémentaires.

Certains trouveront que ce n'est pas assez, mais il faudrait qu'ils évitent de passer d'un excès à un autre. Je me rappelle que l'an dernier, la confédération générale des cadres s'opposait farouchement aux 35 heures, en disant : «Jamais les cadres ne pourront travailler moins». Et aujourd'hui, elle demande qu'ils soient tous aux 35 heures.

Je le répète : 58 % d'entre eux y seront en même temps que les autres salariés ; pour les autres, l'objectif est d'y arriver par étapes, en fixant des maxima, en créant des incitations et en laissant place à la négociation. Quoi qu'il en soit, les cadres sont désormais partie prenante de la réforme des 35 heures.

M. François Goulard - La réponse de Mme la ministre ne m'a pas convaincu. Elle nous livre certes des sondages tendant à prouver que sa réforme répond aux souhaits des intéressés, mais je pense, pour ma part, que la situation est beaucoup plus diverse : à côté de cadres qui, pris dans le mouvement général, se disent «pourquoi pas nous ?», il en est beaucoup d'autres qui n'ont pas envie de réduire leur durée du travail. Bien sûr, quand on leur demande si leur vie professionnelle empiète sur leur vie privée, ils répondent par l'affirmative pour peu qu'ils aient des activités un peu prenantes ou des responsabilités. Mais il n'y a pas lieu d'en tirer des conclusions trop générales.

Les dispositions que vous prévoyez ne seront pas appliquées, Madame la ministre. Mais elles auront une répercussion négative sur l'image de notre pays. Je note en outre que vous ne parlez plus ici de création d'emploi, alors qu'elle est censée être la motivation première de la loi. Mais il est bien évident que la réduction du temps de travail des cadres ne sera pas à l'origine de la moindre création d'emploi.

Bref, sous couvert d'adaptation aux accords, cet article crée en réalité des rigidités nouvelles et risque de provoquer des situations conflictuelles. C'est pourquoi notre amendement 279 tend à le supprimer.

M. Bernard Accoyer - Vous avez distingué, Madame la ministre, trois catégories de cadres : les cadres dirigeants que vous mettez délibérément à part ; ceux qui vont rentrer dans le droit commun, avec les conséquences

désastreuses que l'on peut imaginer compte tenu du rôle des cadres dans l'organisation de la production et de la commercialisation ; enfin, ceux soumis au forfait. Pour cette dernière catégorie, vous avez, faute d'autre outil de contrainte, décidé de réduire le nombre de jours travaillés.

Tout cela va renchérir le coût du travail, quoi qu'en dise le Gouvernement. Certes, les charges sur les bas salaires vont baisser, mais à partir de 1,6 fois le SMIC, le coût du travail augmentera. Or ce coût est déjà la première cause de chômage en France. En outre vous vous attaquez ici au travail qualifié.

Ce renchérissement du coût du travail provoquera des délocalisations à l'étranger. Nous ne nous résolvons pas à ce renoncement. Madame la ministre aime nous donner des leçons au motif qu'elle a l'expérience de l'entreprise et de l'entreprise internationale. Malheureusement, -et je ne parle pas pour elle- les grandes catastrophes qu'ont connues ces entreprises, et que paie le contribuable sont généralement liées à des allers-retours malsains entre les allées du pouvoir et les entreprises.

Cet article ne prend pas en compte les problèmes humains des cadres, il est dangereux pour notre tissu économique. Notre amendement 541 le supprime.

M. le Président de la commission - La commission a rejeté ces amendements.

C'est bien en ce qui concerne les cadres que j'ai le plus de mal à vous comprendre et que nos analyses me paraissent les plus justes. Les cadres ont un rôle de plus en plus important, ce que ne perçoit pas le MEDEF, et leur évolution révèle un malaise profond. Pendant une période on les a glorifiés. Puis, grâce à la pression que représentait le chômage, les patrons ont fait preuve d'une certaine désinvolture en ce qui concerne la place des cadres dans l'entreprise, leur temps de travail et leur rémunération. Il s'en est suivi une démobilisation de l'encadrement que montrent tous les sondages. Avec les 35 heures, les cadres veulent maîtriser leur temps et leur place dans l'entreprise. L'article 5 répond à cette aspiration de façon simple et en favorisant la concertation. Je ne sais par quel aveuglement vous n'en voyez pas la nécessité. On sait que l'efficacité des cadres n'est pas liée au nombre d'heures de travail et qu'il existe des formes d'organisation dépassées. Mais vous passez votre temps à avoir peur des évolutions (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Je sais de quoi je parle, j'ai une longue pratique.

M. Bernard Accoyer - Et nous on ne sait rien ! Vous feriez mieux de ne pas faire deux choses en même temps et de présider votre commission !

M. le Président de la commission - Cet article est l'un des plus importants. Il prend en compte une mutation nécessaire pour tout l'encadrement, avec les précautions voulues et dans la concertation.

Mme la Ministre - Défavorable aux amendements.

M. Hervé Morin - Il existe bien une certaine démotivation chez les cadres. C'est une question de génération. Les jeunes veulent un autre

équilibre. Je pourrais aussi citer le cas d'un grand cabinet où les cadres dirigeants préfèrent ne pas être reconnus comme tels pour être concernés par les 35 heures.

Mais pourquoi cette démotivation ? Il y a eu désinvolture, peut-être. Mais surtout, les cadres sont les plus accablés par les prélèvements et l'impôt, les plus maltraités pour les cotisations sociales. Chez eux comme chez les professions libérales, on décourage le travail.

Par ailleurs, dans certaines activités de conseil, d'audit, de haute technologie où les cadres sont majoritaires dans la main-d'_uvre, passer aux 35 heures signifiera diminuer le temps de travail de 20 %, ce qui entraînera des difficultés considérables. Il n'y aura pas de contrôles, dira-t-on. En fait, à partir de 2000, ils seront plus nombreux, puisque l'on donne des aides, et effectués par l'URSSAF comme par l'inspection du travail.

M. le Président de la commission - Monsieur Accoyer, j'avais pensé réunir la commission à 14 heures 30, mais j'ai fait annuler cette réunion hier car nous n'avions pas suffisamment avancé. Elle aura lieu demain. C'est un cas banal. Soyez assez courtois pour reconnaître que je préside ma commission.

M. Bernard Accoyer - Rappel au Règlement. Il faut exposer les conditions de travail de la commission. Il y avait bien réunion à 14 heures 30, pour auditionner le président de la CNAM. J'y suis allé. Vous étiez dans votre bureau. Le vice-président Evin est arrivé au bout d'un quart d'heure... Il s'agissait de travailler sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Nous avions un quart d'heure avant de revenir ici travailler sur un autre des textes les plus importants de notre histoire sociale, comme le dit la ministre de tous les textes qu'elle présente. Monsieur le Président, je vous demande d'alerter la Conférence des présidents sur ce télescopage et sur la légèreté avec laquelle on a traité l'un des principaux acteurs sociaux.

M. le Président - Je prends acte de vos déclarations. Mais nous ne sommes pas ici pour traiter des affaires de la commission.

M. Eric Doligé - La ministre et le président de la commission auraient toujours raison et nous toujours tort. Eh bien, non. Nous avons le droit d'exprimer une position différente.

Nous cherchons à éviter que votre loi, dont une grande partie sera inapplicable, n'ait des effets pervers. Je citerai un exemple. Lors d'un voyage récent que j'ai effectué avec M. Sueur, nous avons constaté qu'une entreprise informatique importante dont le nom commence par I et finit par M avait quitté la France pour s'installer à Dublin, où ses coûts sont inférieurs de 30 % ! Alors, vous pouvez penser que les cadres qui sont partis là-bas travailleront 40 heures et que c'est injuste au lieu de 35 heures en France, ce qui vous paraît juste, vous n'empêcherez pas que notre territoire national se vide de sa matière grise.

L'important est de trouver un juste milieu mais vous refusez toutes les solutions que nous proposons pour y parvenir.

Les amendements 279 et 541, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Goulard - J'ai bien entendu les déclarations de M. Le Garrec sur le malaise des cadres, mais je ne vois pas en quoi la réduction du temps de travail que vous proposez y portera remède. Les problèmes que vous évoquez sont inhérents à l'évolution de la société, de l'économie et des entreprises et c'est dans ce cadre-là qu'ils seront résolus. Les entreprises savent ne pas laisser perdurer une situation où les cadres, parce qu'ils se sentent mal, deviennent moins productifs.

Les cadres souffrent surtout de voir les plus-values en capital enrichir considérablement les créateurs d'entreprise quand eux-mêmes sont privés de gains substantiels par une fiscalité qui ramène leurs revenus à un niveau qu'ils jugent insuffisant.

En outre, les cadres supérieurs sont en mesure de négocier leur statut et leur salaire. Pourquoi ne pas leur laisser le soin de négocier aussi leur temps de travail et leurs jours de congé ? Pourquoi imposer une loi inopérante à des individus capables de se défendre eux-mêmes ?

M. le Rapporteur - Avis défavorable, mais je voudrais revenir sur la doctrine de l'opposition...

M. Bernard Accoyer - Toujours l'anathème !

M. le Rapporteur - J'observe que vous avez pris à partie le président de la commission et que vos propos sont parfois véhéments. Vous me permettrez donc, à mon tour, de porter un jugement sur vos positions. Je crois y discerner une ligne directrice : la réglementation. Vous refusez que des règles existent qui protègent les salariés. Ainsi voulez-vous définir tous les cadres comme dirigeants, ce qui les priverait de toute protection, hormis celle relative aux congés payés et aux femmes en couches ! N'appliquons aucune règle, ne protégeons personne : telle est votre doctrine. J'en veux pour preuve les amendements par lesquels vous proposez que les cadres dirigeants soient définis d'une manière conventionnelle, ce qui les priverait de toute protection en matière de temps de travail.

Bref, vous reconnaissez qu'un problème se pose mais vous récusez toutes les solutions que nous avançons sans rien proposer d'autre que la déréglementation.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à l'amendement 678.

L'amendement 678, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Article L. 212-15-1 du code du travail

M. Bernard Accoyer - Mon amendement 542 tend à supprimer cet article. Le vrai problème des cadres est celui de la confiscation des fruits de leur travail. Alors qu'ils sont la substance même de l'entreprise, ils ne sont pas directement intéressés à ses résultats. Et ce n'est pas en réduisant uniformément leur temps de travail comme vous le proposez, que vous améliorerez leur statut ou leurs garanties sociales complémentaires.

l'amendement 542, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - A plusieurs reprises, vous avez semblé vouloir vous inspirer des directives européennes. C'est une excellente démarche qui est à l'origine de l'amendement 886. L'expression «cadres dirigeants», trop restrictive, risque de réduire le champ de cet article aux mandataires sociaux. Aussi proposons-nous, nous inspirant de la directive européenne de novembre 1993, de parler des «cadres dirigeants et autres personnels disposant d'un pouvoir de décision autonome... ainsi que des personnels disposant statutairement ou fonctionnellement de l'indépendance technique».

M. le Rapporteur - Soucieux de définir le plus précisément possible la notion de cadres dirigeants, la commission propose, par son amendement 471 rectifié, d'ajouter aux critères retenus par le Gouvernement le niveau de rémunération et le pouvoir de décision autonome. Bien entendu -je le précise à l'intention de Mme Bachelot- tous ces critères sont cumulatifs.

Mme la Ministre - Le Gouvernement est défavorable à l'amendement 886 mais favorable au 471 rectifié.

L'amendement 886, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 471 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - En conséquence, les amendements suivants jusqu'au 58 inclus tombent.

Article L. 212-15-2 du code du travail

M. Bernard Accoyer - L'amendement 346 est défendu.

L'amendement 346, repoussé par la commission et par le Gouvernement,mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Doligé - L'amendement 56 est défendu, ainsi que le 695.

M. le Rapporteur - La commission les a repoussés.

Mme la Ministre - Même avis.

Les amendements identiques 56 et 695, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul - L'amendement 315 vise à fixer au niveau déjà évoqué précédemment le seuil de rémunération définissant les cadres non touchés par la réduction du temps de travail. Tous les autres doivent en bénéficier. Les cadres en ont assez des journées qui n'en finissent plus. Ils ne veulent pas être les oubliés de la réduction du temps de travail. Attention à ne pas diviser cadres et employés !

M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 315, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - L'amendement 910 est défendu.

M. Bernard Accoyer - Je voudrais insister sur l'amendement 944 qui me paraît très important car il concerne un grand nombre de cadres qui risqueraient, sinon, d'être exclus de la réduction du temps de travail. Cet amendement vise à prendre en compte les cadres des entreprises n'entrant pas dans le champ d'application d'une convention de branche. Il les définit par référence à l'article 4 de la convention du 14 mars 1947 relative à la retraite complémentaire des cadres. Cette dernière convention, qui a été signée par les grandes organisations syndicales, définit les cadres d'après leurs fonctions réelles, leur formation, leur marge d'initiative et de responsabilité.

Je rappelle que le secteur bancaire, notamment, est concerné.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé l'amendement.

Mme la Ministre - Je pense que cet amendement n'apporte pas grand chose car la convention de 1947 ne fait que renvoyer aux accords de branche. Mais je suis sensible à votre souci d'améliorer le texte.

M. François Goulard - En l'occurrence il s'agit d'un amendement purement technique qui nous a été suggéré par des organisations syndicales. L'étude à laquelle nous avons procédé montre qu'il répond à une difficulté réelle et apporterait des garanties qui vont dans le sens des objectifs que vous affichez.

Mme la Ministre - Je suis prête à vérifier ce qu'il en est d'ici la deuxième lecture. Mais encore une fois, l'article 4 de cette convention renvoie aux accords de branche.

M. Bernard Accoyer - Et quand il n'y en a pas ?

Mme la Ministre - Heureusement il n'y a

plus que 200 000 ou 300 000 salariés non couverts par une convention collective et ces vides sont en train d'être comblés. De toute façon, s'il n'y a pas de convention collective, il sera très difficile d'appliquer le texte puisqu'il suppose un accord. Mais je vais regarder de plus près votre amendement.

M. Bernard Accoyer - Je vous en remercie.

Les amendements 910 et 944, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Goulard - L'amendement 917 répond à une suggestion des organisations professionnelles : il s'agit de substituer l'expression «cadres pratiquant l'horaire collectif» aux mots «cadres occupés selon l'horaire collectif».

M. le Rapporteur - La commission est restée perplexe, mais a préféré, dans le doute, repousser l'amendement.

Mme la Ministre - Avis négatif.

L'amendement 917, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Doligé - L'amendement 727 tend à préciser que sont considérés comme cadres intégrés ceux qui ne disposent d'aucune autonomie.

Par ailleurs, j'ai pu me procurer le texte du discours de M. Jospin à Strasbourg : il y est annoncé qu'un projet de loi contre la précarité sera voté «avant la fin de la session». Or vous avez parlé de «la fin de l'année». Qu'en est-il ?

M. le Rapporteur - La commission a repoussé l'amendement car il aboutirait en fait à réduire le nombre des cadres bénéficiant de la réduction du temps de travail.

Mme la Ministre - J'espère trouver d'autres raisons de rendre heureux M. Doligé (Sourires), car je ne suis pas d'accord avec l'amendement 727.

En ce qui concerne le texte sur le travail précaire, j'ai compris des discussions que j'ai eues avec le Premier ministre qu'il souhaitait qu'il soit voté avant la fin de l'année.

L'amendement 727, mis aux voix, n'est pas adopté.

Article L. 212-15-3 du code du travail

M. François Goulard - Nos amendements identiques 57 et 654 prouvent que nous sommes capables de faire des concessions tout en introduisant une certaine souplesse.

M. le Rapporteur - Avis négatif.

Mme la Ministre - Cet amendement reviendrait à ne plus appliquer aucune clause de la loi aux cadres. Avis négatif.

M. Hervé Morin - Mme la ministre n'a pas répondu à une question que j'ai posée précédemment et que soulèvent beaucoup de juristes : si un cadre dépasse les 217 jours de travail par an, comment sera-t-il rémunéré ?

Mme la Ministre - Que des juristes puissent poser pareille question m'étonne. Puisque c'est d'une durée maximale qu'il s'agit, elle ne peut être dépassée ! Seule exception possible : qu'à la demande du salarié, il y ait report de congés, qui ne seront pas perdus pour autant.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 316 vise à permettre la conclusion de conventions de forfait pour les cadres en respectant les règles qui fixent la durée maximale du travail.

La rédaction actuelle du projet prévoit que «sans même que l'accord ait à le préciser, la contrepartie du forfait jours est que les minima journaliers et hebdomadaires ne s'appliquent plus». Ne resterait donc en vigueur que le repos de 11 heures consécutives par jour, pour 217 jours travaillés. Ainsi, en toute légalité, les cadres pourraient être contraints de travailler 13 heures par jour, 78 heures par semaine et 2821 heures par an. M. Cochet a fait à ce sujet une excellent démonstration que je reprends à mon compte. Nous sommes loin, très loin du total maximal de 1730 heures annuelles prévues pour les non-cadres !

Le décompte en jours est une construction abstraite, un artifice qui permettra de perpétuer la situation en vigueur. Comme l'a exposé mon collègue Daniel Paul, le non-paiement, aux

cadres, de millions d'heures supplémentaires est source de bénéfices considérables pour de très nombreuses entreprises, et l'exemple qu'il a donné était éloquent. Le décompte en jours fera persister une durée de travail non seulement excessive mais pour partie non rémunérée, et ce travail gratuit empêche des embauches par milliers.

Une telle disposition est, d'autre part, contraire à celles que soutient la directive européenne relative à la duré du travail, qui n'est pourtant plus un modèle de droit social. Si même des dérogations existent, elles doivent respecter le principe de la sécurité et de la santé des salariés concernés. Pense-t-on vraiment que la sécurité et la santé du technicien de maintenance qui regagne son domicile après une journée de 18 heures sont préservées ?

Daniel Paul l'a déjà dit : des procès ont eu lieu qui ont permis de dévoiler le système de pressions organisé grâce auquel certains employeurs font exécuter d'innombrables heures supplémentaires non rémunérées. Le malaise des cadres, déjà évoqué, tient aussi aux conditions de travail qui leur sont imposées Ils veulent, comme les autres salariés, profiter de la richesse qu'ils ont contribué à créer. Or, si certains d'entre eux ont de justes salaires, d'autres ne sont pas justement rémunérés.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements. Il faut, pour comprendre la raison de ces rejets, bien vouloir se rappeler l'architecture générale du texte, d'une part, la situation actuelle des cadres, d'autre part. Quelle est-elle ? Ils sont dans un vide juridique qui les oblige à supporter une charge de travail considérable incluant des heures supplémentaires non payées. Rien de tout cela n'est acceptable, et c'est pourquoi le Gouvernement a décidé, dans son projet, de distinguer les cadres dirigeants des autres cadres, qui relèvent du droit commun. C'est donc une minorité de ces salariés qui sera soumise au régime du forfait.

Le vrai débat devrait donc porter sur l'encadrement conventionnel de ces forfaits, qui doit empêcher que ne relèvent de tels dispositifs des salariés qui ne seraient pas des cadres. C'est pourquoi le texte prévoit que ne seront «cadres» que les salariés définis comme tels dans les conventions collectives. C'est pourquoi, aussi, ce sont les conventions collectives qui définiront quelles catégories de cadres seront soumises aux forfaits.

Il est exact qu'il est compliqué de vérifier le temps de travail effectué par les cadres. Mais, outre que certains d'eux ne le souhaitent pas, il paraît difficile de les faire suivre tous par un inspecteur du travail. Des amendements présentés par mon collègue Gérard Terrier viseront donc à mieux garantir la situation de cette petite minorité.

Le dispositif proposé se caractérise par un bon équilibre entre la loi et la négociation et, en fixant des garanties conventionnelles, rétablit les cadres dans leurs droits.

Mme la Ministre - Même avis, pour les mêmes raisons que celles qu'a exposées M. le rapporteur.

M. François Goulard - Le théâtre des ombres, dont nous sommes les acteurs, n'a jamais été aussi éloigné de la réalité.

M. le Rapporteur - Parlez pour vous !

M. François Goulard - Que se passera-t-il, dans les faits, le 218ème jour ? Car il y aura un 218ème jour, soyez-en assurés ! La réalité ne cadrera pas avec votre projet, et ces longues heures de discours auront été vaines.

Quant à Mme Jacquaint, n'oublie-t-elle pas que la rémunération des cadres inclut ces heures supplémentaires qu'elle dit volées et que les intéressés admettent, eux, fort bien ? Sa démonstration est abstraite, car elle omet de préciser que, si les heures supplémentaires étaient toutes décomptées, les salaires convenus seraient bien inférieurs à ceux qui sont versés.

Mme Muguette Jacquaint - j'avais omis, Monsieur le Président, de défendre l'amendement 317, qui est de repli.

M. François Goulard - Il est indéfendable !

Mme Muguette Jacquaint - Pour revenir sur vos propos relatifs au salaire des cadres, je tiens à souligner que non seulement leur montant est légitime au regard des responsabilités assumées mais que certains n'ont pas le salaire qu'ils méritent. D'autre part, ce sont les cadres eux-mêmes qui souhaitent une réduction de leur temps de travail ! Enfin, que cela vous plaise ou non, il est de fait que des heures supplémentaires non-rémunérées, c'est du travail volé.

Les amendements 654, 316 et 317, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Goulard - L'amendement 445 tend à ouvrir les dispositions de l'article L.212-15-3 aux cadres, au sens des conventions collectives d'entreprise.

L'amendement 445 repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - Nos amendements 909 et 945 ont pour objet d'ouvrir aux cadres, au sens de l'article 4 de la convention collective nationale du 14 mars 1947 sur le régime de retraite complémentaire des cadres, les dispositions de l'article L. 212-15-3. Il s'agit de mieux cerner la catégorie de «cadre».

Mme Christine Boutin - M. Gengenwin propose l'amendement 1028.

L'article 5 du projet de loi distingue trois catégories de cadres : les cadres dirigeants, les cadres occupés selon l'horaire collectif applicable au sein de l'unité de travail et les autres. Or l'article L. 212-15-3 dispose que cette troisième catégorie au sens des conventions collectives de branche, doit bénéficier d'une réduction effective de la durée du travail et précise les modalités de décompte de leur temps de travail.

Il serait souhaitable d'ouvrir cette disposition aux cadres au sens des accords collectifs interprofessionnels. Par souci d'harmonisation, cette définition devrait être retenue également dans l'article L. 212-15-2.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

Les amendements 909, 945 et 1028, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 1053 est purement rédactionnel.

Mme la Ministre - Avis favorable.

L'amendement 1053, mis aux voix, est adopté.

M. Eric Doligé - L'amendement 60 tend à conférer un peu de souplesse pour l'application des 35 heures aux cadres en transformant l'obligation en possibilité.

Pour réagir aux propos de Mme Jacquaint, je voudrais ajouter que nous sommes un certain nombre sur ces bancs à être cadres et que lorsqu'il nous est arrivé de dépasser nos horaires habituels de travail, nous n'avons jamais eu l'impression d'être volés ou de voler quiconque. La passion pour le travail, qui conduit à dépasser l'horaire sans réclamer, cela existe aussi ! Il faut que la majorité accepte l'idée que l'on peut avoir envie de travailler plus !

Mme Muguette Jacquaint - S'il s'agit d'un choix librement consenti, la situation est différente !

M. François Goulard - Que d'avancées conceptuelles ! M. Gremetz a renié hier la dictature du prolétariat ; Mme Jacquaint admet aujourd'hui que l'on puisse travailler au-delà des règles (Sourires).

M. le Rapporteur - Tout bref qu'il est, cet amendement change tout puisqu'il tend à priver les cadres de la réduction du temps de travail. Or le malaise des cadres est perceptible et il tient pour une large part à la question de la durée du travail, la réglementation afférente ne leur étant pas applicable.

Vos amendements successifs confirment votre état d'esprit. Vos positions tendent à aller plus loin dans la déréglementation, au détriment des garanties des salariés. La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la Ministre - Même avis que la commission.

Les amendements 347 et 60, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Goulard - La conclusion de conventions individuelles de forfait risque d'aboutir, pour les cadres relevant d'une même catégorie professionnelle ou exerçant la même fonction et soumis à des rythmes de travail identiques, à des situations différentes en matière d'horaire de travail. Afin d'éviter une telle disparité, notamment dans les structures importantes, il paraît opportun que l'on puisse également définir, pour les salariés visés au présent article, leur durée de travail et sa base de calcul par des statuts issus d'une convention ou d'un accord de branche dont l'extension par le ministère du travail assurera une validation juridique.

Notre amendement 918 ne peut avoir que des répercussions favorables sur le texte.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 918, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Doligé - Je comprends que notre état d'esprit gêne M. le rapporteur car, pour prendre une image sportive, il préfère les figures imposées aux figures libres. Or nous savons bien que la France est plus à l'aise dans cette dernière discipline et je pense que cela s'applique aussi à la réalité économique.

Notre amendement 61 tend à supprimer la dernière phrase du I de l'article L. 212-15-3 du code du travail afin de permettre un accès direct à la modulation du temps de travail des cadres. Il s'agit d'introduire un peu de liberté.

M. le Rapporteur - Je constate que le terme déréglementation a touché l'opposition qui préfère parler de défense des libertés... Mais nous sommes aussi attachés qu'elle à la liberté et à la négociation et l'ensemble du projet en témoigne.

La commission a émis un avis défavorable à l'amendement 61.

Mme la Ministre - Avis défavorable également.

L'amendement 61, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Terrier - Notre amendement 1018 démontre que nous ne souhaitons pas corseter les entreprises mais au contraire donner toute sa dimension à la négociation.

Ainsi, cet amendement prévoit que la détermination des catégories de cadres pouvant faire l'objet de conventions individuelles de forfait, ainsi que les caractéristiques principales de ces conventions, font l'objet préalablement à leur conclusion avec le salarié d'un accord collectif de branche ou d'entreprise ou d'établissement. A défaut, les conventions de forfait ne peuvent être établies que sur une base mensuelle.

Cette restriction est justifiée pour garantir que les conventions individuelles de forfait ne donnent pas lieu à un dépassement des limites horaires.

M. le Rapporteur - La commission est favorable à cette amélioration de l'encadrement conventionnel des conventions individuelles de forfait.

Mme la Ministre - J'y suis également favorable car cela correspond à l'esprit du texte. Mais je propose en outre de ne pas oublier les forfaits établis sur une base hebdomadaire qui sont plus protecteurs pour les salariés en permettant un meilleur contrôle.

Je propose donc de compléter l'amendement 1018 en précisant que les conventions de forfait peuvent être établies sur une base mensuelle ou hebdomadaire.

M. Gérard Terrier - J'accepte cette modification.

M. le Rapporteur - La commission y est également favorable.

L'amendement 1018 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

M. François Goulard - On parle beaucoup de la baisse du moral des cadres mais il y a aussi une baisse du moral de l'opposition ! Lorsque nos amendements heurtent vos principes, je conçois que vous les rejetiez, parfois de manière passionnée. Mais quand il s'agit, comme avec notre amendement 918, d'apporter au texte des améliorations techniques, lorsque nous essayons de nous mettre au service de l'intérêt général par des remarques judicieuses, nous acceptons mal que nos propositions soient repoussées d'un revers de main.

Sur l'amendement 918, nous aurions souhaité une réponse plus argumentée que celle du rapporteur, qui s'est contenté de dire qu'il n'en voulait pas !

L'amendement 447 est défendu.

M. le Rapporteur - Puisque M. Goulard veut une réponse de fond, je laisse Mme la ministre la lui apporter. Elle le fera mieux que moi.

Avis défavorable sur le 447.

Mme la Ministre - L'amendement 918 ne constituait pas une simple modification technique mais tendait à revenir sur une jurisprudence, protectrice pour les cadres, de la Cour de cassation selon laquelle le forfait doit être accepté par le salarié, l'accord de celui-ci ne se présumant pas. C'est pourquoi nous avons émis un avis défavorable.

Même avis pour le 447.

L'amendement 447, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - Le 348 est défendu.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - De même que le 876.

Les amendements 348 et 876, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Dans le texte initial, aucune limitation haute du forfait annuel en heure n'est proposée, pas plus qu'une définition des populations concernées par les deux formes de forfait. De même, une référence horaire fait défaut pour le forfait jour. C'est pourquoi M. Pélissard propose, dans l'amendement 184, une nouvelle rédaction qui permet de définir les salariés visés par l'un ou l'autre forfait. En effet, le texte que je vous propose risque d'inciter les entreprises à privilégier le forfait jour, dans la mesure où celui-ci échappe à toute limitation ou contrôle, la seule garantie apportée par le texte -la conclusion d'un accord d'entreprise ou d'établissement- étant insuffisante.

L'amendement vise également à ce que le forfait en jours ait une équivalence annuelle horaire semblable à celle des forfaits en heures de l'entreprise, le nombre de jours retenus pouvant alors varier en fonction de l'estimation de la durée de travail théorique moyenne effectuée par les salariés concernés par ce forfait.

Cet amendement devrait recueillir l'assentiment général.

M. le Rapporteur - Repoussé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Sans motif ?

Mme la Ministre - Je vais vous en donner un. Cet amendement fait comme s'il n'existait pas de plafond. Or nous en avons fixé un qui est de 1730 heures -1600 plus 130 heures supplémentaires. Défavorable, donc.

L'amendement 184, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Terrier - Le 473 est un amendement de coordination.

L'amendement 473, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Yves Cochet - Comme les autres salariés, les cadres au forfait annuel en heures doivent être protégés par des limites horaires quotidiennes et hebdomadaires. Tel est le sens de notre amendement 954.

Je voudrais citer en exemple un accord signé en juin dernier par quatre organisations syndicales dont la CFDT et la CGT et qui concerne la filiale Thomson Multimédia -cette entreprise qui, vous vous en souvenez,

valait hier à peine un franc ! Il s'agit, Monsieur Goulard, d'une entreprise très concurrentielle au niveau international et qui fabrique de belles images numériques : le patron comme les cadres y ont choisi d'être au forfait horaire, mais dans les limites prévues par le code du travail. Cet accord marche très bien.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement mais a adopté un peu plus loin un amendement 474 qui précise les conditions dans lesquelles on contrôle le respect des maxima, problème que Mme Bachelot a raison de soulever.

Mme la Ministre - L'amendement de la commission précise en effet comment contrôler les maxima prévus par convention ou accord collectif.

L'amendement 954, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je voudrais pour ma part citer une lettre des cadres CFE-CGC de Nestlé. Le projet, disent-ils, engendre une grande hostilité chez les cadres qui craignent d'être une fois de plus les dindons de la farce. Accepter la loi en l'état, concluent-ils, ce serait officialiser l'idée selon laquelle les cadres sont corvéables à merci. Nous avons entendu s'exprimer les mêmes craintes, de la part d'autres fédérations, lors des auditions de la commission.

C'est pourquoi l'amendement 763 corrigé de M. Delnatte tente au moins de réintroduire la limite de 48 heures par semaine.

M. le Rapporteur - Je l'ai dit, un amendement ultérieur précisera les choses.

Cela étant, en cas de forfait horaire sur l'année, le plafond est de 1 730 heures, ce qui est plus protecteur qu'aujourd'hui. Les maxima s'appliqueront, sauf dérogation conventionnelle. La question est, Madame la ministre : quelles limites mettre à ces dérogations ?

Mme la Ministre - Les cadres veulent la réduction du temps de travail, je m'en réjouis. Ils manifestent pour cela ? Soit. Je voudrais simplement souligner qu'ils seraient beaucoup plus nombreux dans la rue si nous avions adopté les amendements de l'opposition visant à les exclure du champ de la loi sur les 35 heures !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous savons bien que tous les cadres ne travaillent pas plus de 48 heures par semaine, mais la loi est faite aussi pour protéger à la marge, pour empêcher les excès. Je ne comprends pas que vous refusiez un amendement qui devrait tous nous réunir.

L'amendement 763 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Terrier - L'opposition a vraiment des arguments à géométrie variable ! Tantôt elle nous dit : «Laissez les cadres travailler autant qu'ils veulent, c'est l'essence même des cadres», tantôt elle réclame une limitation horaire. Je ne vous comprends plus, vous êtes difficiles à suivre !

M. Eric Doligé - Quelle mauvaise foi !

M. Gérard Terrier - Non, voyez le compte rendu des débats !

L'amendement 474 donne plus de force à la négociation, ce qui est un choix constant du texte. Si le problème du forfait horaire et du forfait hebdomadaire est réglé, reste celui du forfait annuel. La loi n'en parlant pas, il pourrait y avoir des dérives. Afin de les contenir, cet amendement instaure un contrôle de l'application des horaires.

M. le Rapporteur - La commission a adopté cet amendement.

Mme la Ministre - Favorable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On oppose -stupidement- négociation et droit du travail. Vous abaissez autoritairement la durée du travail à 35 heures, en interdisant de faire des heures supplémentaires dans des conditions normales, mais le forfait annuel en jours permet toutes les dérives. Nous voulons que le droit du travail protège des vrais abus, et faire travailler plus de 48 heures en est un. Mais entre 35 et 48 heures, il y a place pour une vraie négociation.

L'amendement 474, mis aux voix, est adopté.

M. François Goulard - L'amendement 349 supprime le III de l'article, qui est peu compréhensible.

L'amendement 349, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Goulard - L'amendement 448 est défendu.

L'amendement 448, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. Eric Doligé - Les amendements identiques 62 et 618 sont défendus.

M. François Goulard - L'amendement 929 rétablit une disposition qui figurait dans l'avant-projet et a été supprimée.

M. le Rapporteur - Rejet.

Mme la Ministre - Défavorable.

Les amendements identiques 62 et 618, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 929, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Doligé - Les amendements 725, 63 et 619 suppriment la deuxième phrase du III de cet article. Les conventions ou accords prévoyant la conclusion du forfait en jours doivent pouvoir déterminer le nombre de jours travaillés, sans limite maximale légale. Les cadres qui travaillent plus de 35 heures ne sont pas forcément malheureux. Regardez vos collaborateurs. Ils sourient.

Mme la Ministre - Pas du tout !

M. Eric Doligé - On peut travailler beaucoup avec passion. Votre texte rigide ne correspond pas à la réalité.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement. D'abord, il fallait rétablir le maximum, maintenant le supprimer. J'ai du mal à comprendre la démarche de l'opposition.

M. Eric Doligé - C'est un amendement de repli.

Mme la Ministre - Un repli contradictoire.

M. Gérard Terrier - L'opposition est prise en flagrant délit de contradiction.

Les amendements identiques 63, 619 et 725, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Gérard Terrier - L'amendement 475 précise que les 217 jours par an sont un plafond.

L'amendement 475, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Yves Cochet - Notre amendement 955 fait passer le plafond annuel de 217 à 207 jours. Bien entendu si l'on retient 233 jours, on peut aussi diminuer de 10 % et passer à 210 jours. Les syndicalistes de la CGC veulent cette diminution.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement. 217 jours est un plafond satisfaisant. La négociation peut aller au-delà.

Mme la Ministre - Même avis.

L'amendement 955, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 476 complète la protection dans le cadre du forfait journalier. Il rédige ainsi la quatrième phrase du premier alinéa du III de cet article : «Il détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte».

Mme la Ministre - Favorable.

M. François Goulard - Cette disposition est parfaitement inapplicable. Comment contrôler le temps de travail du cadre qui rentre chez lui avec son ordinateur ? C'est absurde.

Mme la Ministre - Monsieur Goulard, je ne peux vous laisser dire que la position de Mme Bachelot, qui proposait une durée maximale contrôlée, est absurde (Sourires).

L'amendement 476, mis aux voix, est adopté.

M. Yves Cochet - L'amendement 956 vise de nouveau à protéger les cadres travaillant au forfait annuel en jours.

M. le Rapporteur - Défavorable.

Par l'amendement suivant, la commission a rétabli un certain nombre de dispositions souhaitées par M. Cochet.

Mme la Ministre - Défavorable.

L'amendement 956, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les cadres de la fédération métallurgie redoutent qu'en autorisant un décompte en jours sans autre précision, ce texte n'ouvre la porte aux mêmes abus que ceux actuellement constatés. C'est pour éviter cela que M. Delalande propose, par l'amendement 942, de ne pas exclure les cadres de la durée maximale quotidienne du travail. Bien entendu, ce maximum n'interdit nullement la négociation et le dialogue social.

M. le Rapporteur - Effectuer un contrôle horaire dans un système qui repose sur un décompte en jours semble difficile. L'opposition s'emploie à rendre le dispositif plus complexe. Avis défavorable.

Mme la Ministre - Même avis.

L'amendement 942, mis au voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 477 a pour objet de préciser les dispositions sur le repos applicables aux cadres soumis à un forfait en nombre de jours : onze heures consécutives de repos journalier, pas plus de six jours de travail par semaine, repos hebdomadaire le dimanche.

L'amendement 477, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Pour ne pas pénaliser les cadres soumis au forfait jours, la règle du repos quotidien de onze heures consécutives leur est appliquée. L'amendement 478 dit que «la concertation ou l'accord doit déterminer les modalités concrètes d'application» de ces dispositions.

Mme la Ministre - Avis favorable.

M. François Goulard - Contre l'amendement. Il me paraît aller de soi que la convention définit les modalités d'application, lesquelles, de surcroît, ne sauraient être abstraites !

L'amendement 478, mis aux voix, est adopté.

Article L. 212-15-4 du code du travail

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'amendement 173 de M. Pélissard tend à réparer un oubli en ajoutant «ou en jours» après «en heures» au début de l'article, de sorte que la garantie de rémunération s'applique à chaque type de forfait.

L'amendement 173, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Sur l'article 5, je suis saisi par le groupe communiste d'une demande de scrutin public.

A la majorité de 28 voix contre 14, sur 42 votants et 42 suffrages exprimés, l'article 5 ainsi modifié est adopté.

M. le Président - A la demande de la commission, nous allons maintenant interrompre nos travaux.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative au pacte civil de solidarité.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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