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Session ordinaire de 1999-2000 - 9ème jour de séance, 22ème séance

2ÈME SÉANCE DU MARDI 19 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Philippe HOUILLON

Vice-président

Sommaire

          PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 (suite) 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

          QUESTION PRÉALABLE 13

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2000.

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Gilles Carrez - Avant d'examiner sur le fond ce projet de loi de finances et d'évoquer ses motifs d'inconstitutionnalité, je ferai quelques observations de méthode, relatives aux relations entre le Gouvernement et l'Assemblée nationale.

Voici un an, se demandant fort judicieusement comment dépenser moins pour prélever moins, le Président de l'Assemblée nationale soulignait la nécessité d'un meilleur contrôle et d'une meilleure évaluation des recettes et des dépenses publiques. C'est ainsi qu'est née la mission d'évaluation et de contrôle. Celle-ci, présidée successivement par nos collègues Augustin Bonrepaux et Philippe Auberger, a travaillé dans un climat constructif tout au long du premier semestre et formulé plusieurs propositions.

Or, au lieu de dépenser mieux pour prélever moins le projet de loi de finances pour 2000 prélève davantage pour dépenser plus, j'aurai l'occasion d'y revenir.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - C'est faux.

M. Gilles Carrez - S'agissant de la méthode et de la prise en considération du travail des députés, le bilan est mitigé, sinon négatif. Certes, et le souci d'objectivité me conduit à le souligner, quelques efforts ont été faits cette année pour améliorer le déroulement de la procédure budgétaire. D'une part, cinq budgets particuliers seront étudiés au fond par les commissions compétentes. J'espère que le Gouvernement jouera le jeu et dégagera le temps nécessaire à ces examens approfondis en commission. D'autre part, le projet de loi de règlement pour 1998 a été communiqué au Parlement au moment où s'engageait la procédure budgétaire pour 2000. Mais nous savons tous que pour aller plus loin, il faudra réformer l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

M. le Rapporteur général - Nous y travaillons.

M. Gilles Carrez - C'est alors seulement que nous pourrons juger de la volonté réelle du Gouvernement d'associer le Parlement au contrôle et à l'évaluation des recettes et des dépenses publiques.

Au-delà de ces questions de procédure, les travaux conduits au fond par la mission d'évaluation et de contrôle sont-ils pris en compte dans ce budget ? Force est de constater que dans les quatre domaines étudiés par la mission, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances.

Ainsi, l'article 33 du projet de loi de finances propose de relever la taxe due par les concessionnaires d'autoroutes, soit exactement l'inverse de ce que recommande la mission et son rapporteur sur le sujet, M. Idiart. Ces sociétés sont excessivement endettées et supportent une fiscalité anormalement lourde, dont tous les membres de la mission ont convenu qu'il convenait de l'alléger. C'est dire le peu de cas qui a été fait de nos recommandations.

De même, s'agissant des moyens humains de la police, alors que les députés vous proposent de redéployer les crédits ou les postes budgétaires dans un souci de meilleure efficacité, vous vous contentez d'augmenter les crédits. Notre collègue Tony Dreyfus, rapporteur sur le sujet, appréciera.

Il en va de même pour ce qui est de la formation professionnelle avec l'augmentation de la dotation de l'AFPA.

Enfin, s'agissant des aides à l'emploi, quatrième champ étudié par la mission, nous verrons bien si vous accepterez l'amendement proposé par notre collègue Gérard Bapt sur le crédit d'impôt pour création d'emplois.

On le voit, le bilan est très maigre, pour ne pas dire nul. Où est la culture de résultat qui devrait remplacer la culture de dépense, comme vous le disiez tout à l'heure, Monsieur le secrétaire d'Etat ?

Plus grave encore, alors même que le Président de l'Assemblée nationale et la mission réclament, à juste titre, une plus grande transparence du budget, le projet de budget pour 2000 est moins transparent que jamais. Cela est d'autant plus regrettable que vous aviez fait l'effort l'an passé d'y réintégrer divers fonds de concours. Jamais le démantèlement du budget de l'Etat, la débudgétisation, ne seront allés aussi loin que cette année. Je prendrai pour exemple le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale. 110 milliards de dépenses à terme, nul ne sait d'ailleurs à quel horizon. Toutes les conjectures sont permises : 2001 ? 2002 ? 2003 ? Quoi qu'il en soit, 110 milliards, ce n'est pas une bagatelle. Certes, me rétorquerez-vous, ce fonds ne relève pas de votre compétence mais de celle de Mme Aubry puisqu'il est rattaché au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ce n'est pas une excuse car le financement prévu pour ce fonds contredit totalement votre discours sur la sincérité du budget. Les 42,5 milliards de droits sur le tabac sont arbitrairement soustraits au budget de l'Etat et affectés à ce fonds.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Ne l'avez-vous pas fait pour les droits sur l'alcool ?

M. Gilles Carrez - Les droits sur l'alcool représentaient seulement quelques milliards. Il y a une différence d'échelle.

M. le Secrétaire d'Etat - Ils s'élevaient à 20 milliards.

M. Gilles Carrez - L'énormité de ce prélèvement remet en question les principes d'unité et d'universalité budgétaires posés par l'ordonnance de 1959.

Même si l'utilisation de cette somme est détaillée ailleurs -le rapporteur général s'en extasiait tout à l'heure mais c'est tout de même la moindre des choses-, il est cependant surprenant que le ministère des finances se prête à ce jeu de la minoration artificielle des dépenses ainsi que des recettes fiscales.

Il est encore plus grave d'ouvrir ainsi la voie à une dispersion de la gestion financière de l'Etat. Du passage à Bercy de Dominique Strauss-Kahn et de vous-même, Monsieur le secrétaire d'Etat, l'histoire retiendra peut-être ce basculement brutal de la responsabilité budgétaire.

J'appelle votre attention sur un effet pervers qui semble vous avoir échappé. En pleine explosion des recettes fiscales de l'Etat grâce à la croissance, ses recettes nettes diminuent en raison du changement de périmètre. Autre conséquence inacceptable : les dotations des collectivités locales, indexées sur lesdites recettes nettes, baissent à leur tour artificiellement.

J'en viens aux nouveaux impôts affectés au fonds. Est-ce pour vous targuer de baisser ou de supprimer des impôts, que vous laissez le soin à Mme Aubry de les multiplier à l'envi ? Ou est-ce par impuissance face à des arbitrages de Matignon, majorité plurielle oblige, qui vous sont systématiquement défavorables. Vous supprimez la taxe sur les jeux de boules et de quilles, soit une recette de 200 000 F. Votre collègue invente la taxe sur les lessives et les assouplissants qui va rapporter, elle, plusieurs centaines de millions. Vous supprimez les droits sur le baccalauréat, excellente mesure. Elle se défoule sur les granulats minéraux d'un diamètre maximal de 125 mm.

Quelques centaines de milliers de francs d'un côté, à nouveau quelques centaines de millions de l'autre. Quand vous décidez, à juste titre, de ne plus taxer les spectacles sportifs, ce sont les produits antiparasitaires à usage agricole qui viennent à la rescousse de la fiscalité socialiste. Au double langage sur la fiscalité, auriez-vous substitué le langage à deux ? A vous, l'apparente vertu de la baisse des impôts, à Mme Aubry la multiplication des textes sur fond de débudgétisation, de comptes spéciaux, de fonds particuliers. Ce dépeçage de la loi de finances de l'Etat est-il constitutionnel ? Assurément non car l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 dispose qu'il est fait recette du montant intégral des produits, sans contradiction entre les recettes et les dépenses, et que l'affectation exceptionnelle de certaines recettes à certaines dépenses ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances d'initiative gouvernementale. La loi de financement de la Sécurité sociale est-elle habilitée à dépouiller l'Etat de cette écotaxe dont vous claironnez partout qu'elle est la fiscalité de l'avenir et que vous abandonnez pourtant, sans état d'âme, au gouffre sans fond du financement des 35 heures ?

C'est aussi votre crédibilité personnelle qui est en jeu, Monsieur le Secrétaire d'Etat. Quand, à l'automne 1997, vous aviez créé la surtaxe sur l'IS, vous aviez pris devant les chefs d'entreprise l'engagement solennel de la réduire en 1999 et de la supprimer en 2000. Les chefs d'entreprise y ont cru. Mais vous n'allez pas tenir parole puisque vous créez une nouvelle contribution sur les bénéfices, la contribution sociale, pour 4,3 milliards et bientôt pour 12,5 milliards, soit une surtaxe de 5 %, qui viendra s'ajouter à un taux d'IS de 33,3 %, alors que tous nos concurrents européens abaissent leur taux d'impôt sur les sociétés !

M. Charles de Courson - C'est l'exception française !

M. Gilles Carrez - Comme vous dites ! La désarticulation de cette loi de finances est telle, monsieur le secrétaire d'État, qu'il est impossible d'y retrouver les fonds destinés à financer la réforme Aubry. Or il y a bien 7 milliards dans le budget du ministère du travail, mais ils sont affectés au financement des accords loi Robien et première loi Aubry, en aucun cas au financement définitif du fameux fonds. Où sont donc passés les 5 milliards qu'attend Mme Aubry du budget de l'État ? Bercy serait-il aussi réfractaire à sa réforme que les responsables de l'UNEDIC, de la Sécurité sociale et des caisses de retraite ? Avez-vous confiance en votre collègue des affaires sociales ?

Et où figure la taxe sur les heures supplémentaires ? Je vous mets au défi de me le dire.

M. le Secrétaire d'État - Vous le saurez mardi.

M. Gilles Carrez - Bref, ce budget est insincère.

Ayant évoqué la méthode, j'en viens au fond. Ce budget permettra-t-il de dépenser mieux pour prélever moins ? A l'évidence, vous ne vous posez pas cette question mais plutôt celle-ci : comment continuer à dépenser tout en réduisant un peu le déficit et en donnant beaucoup l'illusion de prélever moins ? C'est un tel tour de force que votre habileté ne peut y suffire, même si Dominique Strauss-Kahn est qualifié par plusieurs journaux de «roi des illusionnistes de la finance» (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Mais votre talent persuasif à tous deux se fracasse sur l'écueil des faits. Fin 1997, en effet, 23 milliards d'impôts supplémentaires -votés sous forme de mesures urgentes à caractère fiscal et financier- ont fait passer les prélèvements obligatoires -ancienne nomenclature- de 45,7 % à 46,1 % du PIB. M. Dominique Strauss-Kahn en convenait mais annonçait qu'ils baisseraient de 0,2 point en 1998. Tel ne fut pas le cas. Pourtant, le Gouvernement fit tout ce qu'il faut pour minorer les recettes fiscales en rattachant un maximum de dégrèvements et de remboursements d'impôts sur l'exercice ! Même refrain l'an dernier à pareille époque : les prélèvements obligatoires baisseront en 1999 de 0,2 point, c'est promis, nous dit alors M. Strauss-Kahn, j'en fais une affaire personnelle. Eh bien, en 1999, les prélèvements obligatoires ont atteint, dans la nouvelle nomenclature, le niveau record de 45,3 %. Et si j'en crois le rapporteur général qui annonce dans la presse un supplément, une «cagnotte» de 15 à 20 milliards, si j'en juge aussi par le dynamisme de la CSG, les rentrées fiscales et sociales de l'année 1999 croîtront une fois de plus plus vite que le PIB, ce qui signifie une aggravation de la pression fiscale subie par les Français.

Peut-être nous expliquerez-vous que la surestimation de l'inflation minore l'évolution réelle du PIB, ce qui justifierait l'absence de baisse des prélèvements. Mais ce devrait être aussi le cas des impôts. Nous attendons donc tous vos explications, en espérant qu'elles seront plus convaincantes que celles de M. Strauss-Kahn cet après-midi qui s'est quelque peu embrouillé entre numérateur et dénominateur.

Il est évident en tout cas que les prévisions de recettes fiscales pour 2000 sont très prudentes, voire minorées. En fait, vous êtes en train de constituer une «cagnotte» pour 2001 ou 2002... Je laisse le soin à chacun de deviner l'objectif de la man_uvre.

Votre talent persuasif se heurte aussi au vécu fiscal de nos compatriotes. Au moment où vous annonciez les baisses d'impôt, beaucoup d'entre eux recevaient leur avis d'imposition sur le revenu ; ces jours-ci, ils reçoivent leur avis de CSG, leur taxe d'habitation... On comprend leur déception, voire leur colère.

Ce projet de budget comporte certes plusieurs baisses d'impôt. Mais aucune d'entre elles n'est forte, massive, générale, comme celle de l'impôt sur le revenu décidée et votée par le précédent gouvernement...

M. le Rapporteur général - Qui avait juste oublié de financer !

M. Gilles Carrez - Je vais prendre l'exemple des deux réformes phares que sont la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien dans le logement et la poursuite de la réforme de la taxe professionnelle.

La baisse de la TVA sur les travaux d'entretien est une bonne mesure que nous voterons.

M. Alain Barrau - Vous faites mieux que l'an dernier !

M. Gilles Carrez - Elle a le triple avantage d'améliorer les logements, de lutter contre le travail au noir, de favoriser l'économie nationale. Mais peut-on accorder la moindre confiance au chiffrage par Bercy de la baisse d'impôt correspondante ? Les 19 milliards annoncés sont manifestement surestimés, car ce montant ne prend pas en compte les recettes à attendre d'un surcroît probable de travaux confiés à des professionnels. Une étude de l'INSEE montre qu'en 1997 60 % des ménages ont réalisé dans leur logement des travaux inférieurs à 10 000 F. Pour eux, le crédit d'impôt était plus avantageux que la baisse de TVA. Moins de 5 % des ménages ont réalisé des travaux supérieurs à 100 000 F. Cette étude montre en outre que ce sont surtout les ménages les plus aisés ou les plus âgés qui recourent à des professionnels ; ce sont donc eux qui profiteront le plus de la baisse de TVA. Le Premier ministre se met à s'intéresser aux classes moyennes, mais peut-on considérer que cette mesure soit plus conforme à la justice sociale que la réforme Juppé de l'impôt sur le revenu ?

M. Philippe Auberger - Non, c'est évident !

M. Gilles Carrez - Du côté des entreprises, l'avantage net de la réforme de la taxe professionnelle est de seulement 2 milliards ; en effet, vous reprenez 2 milliards avec l'augmentation de la cotisation minimale à la valeur ajoutée, 1,2 milliard avec l'accroissement de la cotisation nationale de péréquation, 2 milliards avec la suppression de la réduction pour embauche et investissement, 2 milliards avec les économies sur l'écrêtement à la valeur ajoutée et 2,7 milliards de surcroît d'impôt sur le bénéfice du fait que la taxe professionnelle est déductible, soit au total 10 milliards... Et bien des entreprises vont avoir l'énorme surprise de devoir payer plus de taxe professionnelle qu'auparavant !

En regard de cette baisse de 2 milliards, les entreprises vont subir, avec 4,3 milliards de cotisation Aubry sur les bénéfices, 4,2 milliards d'augmentation de la quote-part pour frais et charges à intégrer au produit des participations des sociétés-mères et 1,5 milliard au titre de la réduction de l'avoir fiscal, un supplément de prélèvements de 10 milliards, sans compter l'extension de l'écotaxe ni la future taxe sur les heures supplémentaires...

Pour les familles, 2000 ne sera pas non plus une année favorable. La commission des finances a repoussé nos amendements sur le quotient familial et la réduction d'impôt pour emplois familiaux. Elle a même refusé l'exonération fiscale des indemnités de maternité. Décidément, cette majorité n'aime pas la famille... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Pourquoi n'y a-t-il pas de baisses d'impôt à l'horizon ? La raison est simple : la dépense publique n'est pas maîtrisée.

M. le Rapporteur général - Mieux qu'avec vous !

M. Gilles Carrez - En 1997, grâce au précédent gouvernement, les dépenses de l'Etat avaient diminué. En 1998, alors qu'une stabilisation en volume était prévue, on a enregistré un dérapage d'un demi-point. En 1999, le dérapage s'amplifie. Vous avez cherché à le masquer en majorant délibérément la prévision d'inflation, mais la dérive en volume risque d'atteindre 1,8 à 2 %. Je vous donne rendez-vous pour dresser le constat lors du collectif de fin d'année !

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Chiche !

M. Gilles Carrez - Pourquoi d'ailleurs, Messieurs les ministres, ne nous avez-vous pas parlé tout à l'heure des fameux contrats de gestion dont vous nous entreteniez en juin dernier, lors du débat d'orientation ?

M. le Ministre - Parce que c'est fait !

M. Gilles Carrez - En consacrant 54 % de son PIB à la dépense publique, la France bat tous les records des pays développés. Mais, l'_il rivé sur les échéances électorales, vous restez le seul gouvernement en Europe à refuser toute maîtrise...

Vous sacrifiez l'avenir au présent, comme le démontre un budget d'investissement en berne, avec moins de 80 milliards pour l'investissement civil et 160 milliards en comptant l'investissement militaire.

Dans le même temps, on ne fait rien pour juguler certaines dépenses. Ainsi, l'accord salarial de la fonction publique de 1998 coûte au budget de l'Etat 23 milliards supplémentaires en 2000 ; et aucune réflexion prospective n'est conduite alors que dans les dix années à venir près de la moitié des fonctionnaires civils vont partir en retraite. En outre, contrairement à votre affirmation, les effectifs de la fonction publique ne baissent pas.

Ce manque de courage à tirer parti du retour de la croissance pour engager des réformes de structure -réforme de l'Etat, des retraites, baisse des prélèvements obligatoires- fait penser à votre inconscience de la fin des années 80, qui a précipité notre pays dans les abîmes financiers de 1993.

Votre manque de rigueur a pour conséquence la croissance de notre endettement public.

M. le Secrétaire d'Etat - Quoi ?

M. Gilles Carrez - La dette brute de l'Etat a atteint 4 250 milliards en 1998, soit une hausse de 8,1 % par rapport à 1997. Ce n'est que cette année que l'équilibre primaire du budget sera atteint.

M. le Ministre - Cela ne vous est jamais arrivé !

M. Gilles Carrez - La commission s'inquiète de cette réduction trop lente de nos déficits publics. Vous gaspillez les marges de man_uvre que vous donne la croissance mondiale et vous allez mettre en difficulté vos successeurs -ou vous-mêmes- en cas de retournement de la conjoncture internationale. La droite est fatiguée (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) de trouver en revenant au pouvoir des abîmes financiers ! En 1993, souvenez-vous, nous avons trouvé un déficit de l'Etat sous-estimé de 170 milliards, un déficit cumulé de la Sécurité sociale de 100 milliards, un déficit de l'UNEDIC de 40 milliards ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Pour 2000, la consolidation des trois fonds liés aux 35 heures, à la CMU et à la retraite anticipée des travailleurs de l'amiante avec le budget général fait apparaître une augmentation des dépenses de plus de 3 %.

M. Charles de Courson - Je le démontrerai ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gilles Carrez - En vérité le seul freinage de dépense concerne les dotations de l'Etat aux collectivités locales qui pourtant sont aux côtés de l'Etat dans le combat pour l'emploi.

On a rarement vu un budget si mauvais pour les communes, les départements et les régions.

Le recensement général fait apparaître deux millions de Français de plus qui rapportent à l'Etat des recettes supplémentaires, mais qui induisent aussi des charges nouvelles pour l'Etat et pour les collectivités. La DGF devrait donc être abondée des sommes nécessaires à l'occasion de chaque recensement général, comme en dispose expressément la loi de 1993, soit en l'espèce 1,5 milliard. Or vous avez décidé de ne pas appliquer la loi et d'étaler la majoration sur 3 ans, de telle sorte que 200 millions seulement sont inscrits pour 2000. Le 5 ou le 6 novembre, vous présenterez un projet de loi tendant à modifier la loi de 1993, pour éviter d'avoir à adapter la DGF aux résultats du recensement général.

M. Philippe Briand - C'est scandaleux !

M. Gilles Carrez - Vous souriez, Monsieur le ministre. Peut-être la population de Sarcelles diminue-t-elle ; (M. le ministre fait un signe de dénégation) mais là où elle augmente, il est grave que l'Etat n'applique pas la règle du jeu !

Vous sanctionnez une deuxième fois les collectivités locales en ne relevant que de 0,8 % la première dotation de compensation de la taxe professionnelle apparue en 1999 dans le cadre de la réforme de la TP. Dès cet été, j'ai signalé l'aspect presque déloyal de cet arbitrage budgétaire, et notre amendement sur ce point a paru si légitime que le rapporteur général et le président de la commission l'ont repris et fait adopter par la commission. Espérons donc que le Gouvernement ne s'opposera pas à ce que la dotation soit indexée sur l'inflation et la moitié de la croissance, soit un peu plus de 2 % au lieu de 0,8 %. La réforme de la TP représente donc un marché de dupes pour les collectivités locales. Vous êtes tellement gênés (Exclamations du ministre et du secrétaire d'Etat) que votre rapport sur la TP ne souffle mot de ce problème d'indexation, soit que vous ayez honte, soit que vous considériez les parlementaires comme incapables de rien comprendre à rien. Il est vrai que vous m'avez dit que je ne savais pas la différence entre un numérateur et un dénominateur ; je m'attends donc à tout de votre part !

La réforme de la TP telle que l'applique le Gouvernement, représente un piège financier et fiscal pour les collectivités locales, on risque de porter atteinte aux dispositions de l'article 72 de la Constitution relative à la libre administration des collectivités territoriales.

En effet leur autonomie fiscale est progressivement remplacée par des dotations d'Etat dont l'évolution relève pour l'essentiel de contraintes budgétaires. Sans doute la fiscalité locale est-elle archaïque. Plutôt que de la réformer au coup par coup, mieux vaudrait ouvrir le chantier d'un juste partage de la fiscalité moderne entre l'Etat et les collectivités locales.

M. le Ministre - Que deviendrait la liberté des communes ?

M. Gilles Carrez - C'est l'un des défis majeurs posés par la relance de la décentralisation voulue par le Premier ministre.

Pour finir, le principal motif d'inconstitutionnalité de votre projet de budget tient à ce qu'il ne retrace pas, comme il le devrait en application de l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, l'ensemble des recettes et des dépenses de l'Etat. De votre passage à Bercy, Monsieur le ministre, l'histoire retiendra peut-être principalement que vous avez été le premier à aliéner une aussi grande part de vos responsabilités budgétaires.

En effet, les recettes provenant de la taxe générale sur les activités polluantes sont désormais comptabilisées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, sans qu'aucune disposition d'affectation figure dans le projet de loi de finances. Or cette taxe prend place cette année dans le budget général, puisqu'elle a été créée par la loi de finances pour 1999. Elle n'est donc pas un impôt nouveau. Sa version 2000 étend et alourdit seulement celle de 1999.

Pour que la taxe figure dans la loi de financement de la Sécurité sociale, une disposition d'affectation devait impérativement être inscrite en loi de finances, comme vous l'avez fait à l'article 29 pour les droits de consommation sur les tabacs. Sur ce point, l'article 18 de l'ordonnance de 1959 est formel, tout comme est formelle la décision rendue par le Conseil constitutionnel du 16 décembre 1993.

Puisque vous n'avez fixé aucune affectation aux 3,2 milliards attendus de la TGAP, le produit de cet impôt constitue par défaut une recette de l'État qui devrait être inscrite au budget général. Le compte unique intitulé budget général n'est donc pas exact.

Un autre motif d'inconstitutionnalité provient de l'article 60, en deuxième partie, qui comporte une cession unique de 50 000 F par an et par foyer fiscal, pour les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux. Ce montant ne prend pas en considération la situation familiale des contribuables, au mépris de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme.

M. le Ministre - Rien que ça !

M. Gilles Carrez - La budgétisation du compte spécial FARIF fait également problème. En effet ce fonds est alimenté par une recette limitée à l'Ile-de-France. L'État s'approprie ainsi une taxe locale, au point que dans la négociation en cours du contrat de plan, vous n'hésitez pas, Monsieur le secrétaire d'État, à majorer les crédits de l'État par le produit de cette taxe.

Enfin, je l'ai dit, l'ampleur prise par les dotations d'État en compensation des exonérations ou suppressions d'impôts locaux porte atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a certes estimé que le législateur pouvait modifier les règles relatives aux ressources des collectivités et donc procéder à des compensations en conséquence, mais le problème est celui de l'ampleur extrême de cette substitution de la subvention d'État à l'impôt local et de l'évolution insuffisante des dotations. Sans liberté fiscale et financière, il n'est de liberté locale que formelle.

Pour toutes ces raisons, je demande à l'Assemblée d'adopter l'exception d'irrecevabilité et de refuser ainsi d'examiner en l'état le projet de loi de finances (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Ministre - Je prie M. Carrez de m'excuser d'avoir manqué le début de son intervention. Mais, d'après ce que m'en ont dit mes collaborateurs, la fin reprenait le début ! (Sourires) J'ai donc tous les éléments pour lui répondre, ce que je ferai en même temps qu'aux autres orateurs.

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Daniel Feurtet - Nous serons brefs car il est temps d'aborder le fond du débat. La nation a besoin d'un bon budget, dont nous devons débattre sérieusement. En tentant, péniblement, de prouver que ce budget était irrecevable, M. Carrez n'a pas su s'arrêter au bon tableau.

C'est pourquoi nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité.

M. Laurent Dominati - J'ai trouvé la démonstration de M. Carrez éclairante, au point que le ministre doit d'abord rassembler ses esprits avant de lui répondre !

En observant les membres du Gouvernement pendant l'intervention de notre collègue, je me demandais si leur air réjoui tenait au caractère éclairant de sa démonstration ou trahissait leur autosatisfaction de voir l'argent rentrer à flots, au point qu'il faut le cacher afin de se constituer des réserves en vue des élections (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Ou bien encore serait-ce la marque du plaisir de celui qui, tel le joueur de bonneteau, trouve une certaine satisfaction à tromper ? (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Le Gouvernement dit, en effet, qu'il va réduire les prélèvements obligatoires alors qu'ils atteignent un record historique. Il annonce que les impôts vont baisser alors que l'impôt sur le revenu augmente, l'impôt sur les sociétés augmente, tous les impôts augmentent, d'au moins 33 milliards au total. Et encore avez-vous caché une partie des taxes et contributions dans la loi de financement que nous examinerons prochainement. Bref, ce budget est faux, pour ce qui est des recettes.

Quant aux dépenses, vous ne les avez même pas stabilisées : elles augmentent de près de 3 % ! C'est un budget d'occasions manquées, qui trahit votre manque de courage. Notre pays est celui d'Europe où les impôts diminuent le moins. Que n'allez-vous demander quelques recettes à vos homologues socialistes pour réduire le déficit et les impôts ?

Vous nous rétorquez que nous avions aussi augmenté les impôts. Mais si l'augmentation de TVA dont vous ne cessez de parler vous déplaît tant, pourquoi la maintenir ? Si vous avez trop d'argent, rendez-le !

En tout cas, le groupe DL ne pourra pas repousser cette motion car, comme l'a si bien dit M. Carrez, ce budget est mensonger (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Gérard Fuchs - Vous avez tenu quelques propos excessifs, Monsieur Carrez.

Vous avez dit que la majorité qui était au pouvoir en 1997 nous avait légué des finances saines.

M. Gilles Carrez - Je le maintiens.

M. Gérard Fuchs - Rappelez-vous l'atmosphère politique qui régnait dans vos rangs en mai de cette année-là. C'était la panique ! Il fallait atteindre l'objectif de réduction du déficit à 3 % du PIB afin de qualifier la France pour l'euro, mais cela était impossible à moins de prendre des mesures très douloureuses pour les ménages. Comme cela vous paraissait impossible un an avant les élections, vous avez décidé de dissoudre. L'auriez-vous fait si les finances avaient été aussi saines que vous le prétendez ?

Pour ce qui est de la débudgétisation, aurions-nous à examiner dans les jours qui viennent un projet de loi de financement de la Sécurité sociale sans la réforme opérée par M. Juppé ?

De nouveaux impôts sont-ils créés ? Quand bien même ce serait le cas, ce ne serait pas anticonstitutionnel et, au demeurant, c'est faux. Nous changeons l'assiette des charges sociales patronales pour qu'elles ne pèsent plus exclusivement sur les salaires, donc sur l'emploi, mais aussi sur les bénéfices des entreprises et sur certaines activités polluantes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'équivalent de la TGAP existera dans tous les pays d'Europe d'ici à quelques années. Quant au changement d'assiette des cotisations patronales, il est neutre fiscalement.

Selon vous, Monsieur Carrez, seule une baisse de l'impôt sur le revenu serait sincère et véritable. Vous l'avez fait et les Français vous ont jugés car en diminuant l'impôt sur le revenu que n'acquitte qu'un Français sur deux, vous n'amélioriez la situation que de la moitié des Français la plus favorisée. C'était votre choix politique : vous en avez subi les conséquences. Nous en avons fait un autre, en choisissant d'abaisser la TVA de 30 milliards depuis 1997. Nous escomptons de la baisse de 20 milliards qui aura lieu cette année la disparition d'une partie du travail au noir.

S'agissant des entreprises, elles vont bénéficier du changement d'assiette des cotisations patronales et d'une baisse de la taxe professionnelle, qui diminuera progressivement de près d'un tiers pour 90 % d'entre elles : c'est bon pour l'emploi, donc pour la France.

J'en viens à la fonction publique, qui constitue une de vos cibles privilégiées. Vous vous vantiez en 1997 d'avoir réduit de 5 000 le nombre des fonctionnaires. Mais les Français se rendent parfaitement compte que la fonction publique rend un service public. Bien sûr, les tenants du «tout marché» que vous êtes, n'aiment pas l'intervention de l'État. Ils n'aiment ni la fonction publique, ni le service public ! Tel n'est pas notre cas.

Le budget qui nous est soumis est sincère et raisonnable. Les fruits de la croissance sont équitablement répartis : un tiers pour la réduction de la dette, un tiers pour les baisses d'impôt -39 milliards- et un tiers pour les priorités du Gouvernement.

C'est un budget de réforme, favorable à l'emploi et qui n'est pas anticonstitutionnel. C'est pourquoi le groupe socialiste rejettera votre exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Philippe Auberger - Nous sommes là, en ce moment, non pour ouvrir un débat sur le budget, mais pour examiner une exception d'irrecevabilité.

Je retiendrai un seul des arguments excellemment développés par M. Carrez : l'atteinte au principe de l'universalité budgétaire, un des principes fondamentaux de notre droit des finances publiques.

J'en veux pour illustration le fonds d'allégement des charges sociales sur les bas salaires. Cet allégement, décidé par le précédent gouvernement, était inscrit au budget et vous aviez repris cette dépense dans la loi de finances en 1998 et en 1999. Pourquoi donc, brutalement, créer un établissement administratif spécial, comme le fait l'article 2 de la loi de financement de la Sécurité sociale ? Aucun argument juridique ne justifie un tel démembrement de l'administration publique. D'autant plus que ce fonds est alimenté aux trois quarts, hormis une subvention de l'Etat de 4,3 milliards, par des ressources fiscales. Il n'y a aucune raison de démembrer l'administration pour gérer des ressources fiscales, et c'est une anomalie au regard de nos principes budgétaires.

D'autre part, il n'y a aucun lien entre ressources et dépenses, et cette affectation d'une ressource fiscale n'est pas justifiée. Pour qu'elle le soit, il faut un lien entre recette et dépenses. Qui peut prétendre qu'il en existe entre l'impôt sur le tabac et l'allégement des charges sur les bas salaires ? Il n'y a d'ailleurs ni dans la loi de finances, ni dans la loi de financement aucune motivation justifiant cette affectation. Il en va de même pour la TGAP : supposer un lien entre une taxe sur les lessives et les adoucissants et la baisse des charges sur les bas salaires est absurde. Il y a plus absurde : c'est que Mme Aubry s'était opposée à une semblable baisse de charges au motif qu'elle était financée par un impôt sur les ménages. Mais qui d'autre que les ménages va payer les taxes sur le tabac et sur les lessives ? Donc cette argumentation ne vaut rien (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Pourquoi ce démembrement ? Parce qu'il permet, au lieu d'inscrire des dépenses qui figureront au budget, de les réaliser sous la forme d'un prélèvement sur recettes. La Cour des comptes a déjà dénoncé les prélèvements sur recettes destinés au budget européen ou à celui des collectivités locales ; celui-ci n'a pas plus de justification. En outre, le compte présenté par Mme Aubry pour ce fonds d'affectation n'a pas été présenté en équilibre. Et il doit être alimenté par une taxe sur les heures supplémentaires. Or on ne trouve ni dans le budget de l'Etat, ni dans celui de la Sécurité sociale la moindre évaluation des recettes de cette taxe, qu'a instituée la loi sur les 35 heures. C'est une grave anomalie. Il s'agit d'une ressource fiscale : elle doit figurer au budget de l'Etat, ou dans la loi de financement.

J'en viens au second démembrement : les fonds destinés à financer la CMU. Quelle sont ses ressources ? D'abord, une subvention de l'Etat, d'ailleurs minime, de 1,4 milliard. Mais, pour l'essentiel, -plus de cinq milliards- ses ressources viennent des départements, et sont financées sous la forme d'un prélèvement sur recettes, en faisant jouer la dotation générale de décentralisation : nouvelle anomalie ! Il y a enfin une contribution des mutuelles et organismes de prévoyance. Toutes ces recettes, comme les dépenses de la CMU, devraient figurer au budget de l'Etat, et non dans un fonds spécial. J'observe d'ailleurs que ni la loi de finances, ni la loi de financement ne présentent pour ce compte de prévisions de recettes ou de dépenses.

Aussi les chiffres les plus fantaisistes circulent -ils varient de 10 à 20 milliards par an... Il y a donc là encore une grave anomalie au regard de l'universalité du budget de l'Etat.

Telles sont les deux raisons essentielles d'adopter l'exception d'irrecevabilité, pour dénoncer le manque de rigueur de ce budget au regard des règles de nos finances publiques et du droit budgétaire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Charles de Courson - Il y a deux grandes raisons de voter l'exception d'irrecevabilité. La première réside dans la débudgétisation inconstitutionnelle que propose ce budget. Elle ne porte pas sur de petites sommes : 65 milliards en 2000, et, deux ans plus tard, on ne sait combien : on parle de 105, 110, 115 milliards... On a monté là une usine à gaz, un système tel que le ministre lui-même n'est pas capable de nous expliquer le financement des 65 milliards. Quant à Mme Aubry, elle nous a dit qu'on verrait mardi prochain. N'est-ce pas se moquer du monde ? Nous abordons la loi de financement en commission, le budget déjà en séance publique, et on nous dit, comme à des enfants : «On verra plus tard» ! C'est une claque incroyable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) au regard du respect dû à l'incarnation de la souveraineté nationale qu'est le Parlement. Et l'absence d'évaluation précise est incompatible avec la loi organique.

En outre, dans la loi de financement, Mme Aubry réinvente une catégorie juridique d'Ancien Régime : le don gratuit... Quand le royaume était en faillite, on allait «taper» l'Eglise de France, et on négociait un don. Parfois elle refusait ; alors on créait un impôt. Mme Aubry réinvente cette catégorie -la majorité n'est pas à un archaïsme près. Du point de vue constitutionnel, le don gratuit est-il compatible avec la démocratie ? Non.

Mme Aubry avait médité trois hold-up. A l'UNEDIC, tout d'abord, elle voulait prélever 5,5 milliards. Le conseil d'administration a refusé. Les 5,5 milliards sont toutefois mentionnés dans l'exposé des motifs de la loi de financement ; mais aux dernières nouvelles Mme Aubry y a renoncé. Le deuxième hold-up était un prélèvement de 1,5 milliard sur l'AGIRC et l'ARRCO, ce qui était tout de même très fort, étant donnée leur situation très grave à moyen et long termes.

Les deux conseils d'administration ont refusé, et Mme Aubry semble ne pas insister. Reste un hold-up de 6 milliards, avec des pressions à l'appui : si vous ne les donnez pas, il y aura des sanctions. C'est la reine de France menaçant l'Eglise : nous sommes en pleine résurrection de l'Ancien Régime (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; applaudissements ironiques et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Et les vrais républicains sont de ce côté-ci de l'hémicycle.

Un autre argument constitutionnel, qu'a indiqué M. Carrez, concerne la libre administration des collectivités territoriales. Elle n'est pas respectée dans ce budget, et ici je m'adresse, sans esprit de parti, à l'ensemble de la représentation nationale. Qu'est-ce qu'une démocratie locale, qu'est-ce que la libre administration des collectivités territoriales ? C'est un système où les assemblées locales élues ont la capacité de lever l'impôt. Or, année après année, ce gouvernement poursuit et accélère un mouvement de suppression de l'autonomie financière locale. Certains membres de la majorité, attachés à la démocratie locale, n'osent pas le dire publiquement, mais partagent en privé notre inquiétude. La taxe professionnelle est nationalisée pour un tiers, après quoi elle évolue comme la DGF, d'environ 1 %... Quant aux droits de mutation, on les réduit, puis on compense : en deux ans les collectivités ont perdu plus d'un tiers d'autonomie dans ce domaine. Vous êtes-vous demandés si cette politique était juste ? ("Oui !" sur les bancs du groupe socialiste) Non ! Car une fois de plus les dispendieux sont récompensés et les rigoureux sont sanctionnés : c'est un principe socialiste de base, que de taxer les entreprenants et de décourager l'initiative. Vous ne vous étonnerez pas que le groupe UDF vote l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Ministre - Un mot tout d'abord sur les sujets abordés par M. Carrez en dehors des questions de constitutionnalité. Pour ce qui est de la transparence, quand un Gouvernement rebudgétise quarante fonds de concours et supprime quatre comptes spéciaux du Trésor, il est difficile de prétendre qu'il n'y a pas de transparence.

Qu'il y ait encore à faire, soit : il ne reste que neuf comptes spéciaux, mais le mouvement pourrait s'accélérer. Reste que la suppression de quarante fonds de concours, ce n'est pas négligeable.

M. Charles de Courson - Cela représente 9 milliards...

M. le Ministre - On a évoqué le principe des transferts de ressources. Mais je ne me souviens pas -je n'étais pas alors député- qu'en 1994, quand M. Balladur a transféré à la Sécurité sociale les droits sur l'alcool, l'actuelle opposition ait protesté comme elle le fait quand nous transférons les droits sur le tabac. Or, du point de vue constitutionnel, la différence entre ces deux types de droits n'est pas bien grande...

Vous avez soutenu, Monsieur Carrez, que la dérive des dépenses ne serait pas contenue à 1 %, l'inflation étant plus faible. Vous auriez raison si la dépense en valeur était celle prévue. Tel ne sera pas le cas, si bien que la dépense en volume croîtra bel et bien de 1 % seulement. Je vous donne rendez-vous lors de l'examen du collectif.

M. Gilles Carrez - La Cour des comptes l'a constaté pour 1998.

M. le Ministre - Que je sache, elle n'a pas examiné les prévisions pour 1999, qui sont celles dont vous parlez.

Vous avez évoqué l'évolution de la dette, nous y reviendrons. Je ne puis cependant résister à rappeler quelques chiffres. En quatre ans, de 1993 à 1997, elle est passée de 45,6 % à 60 % du PIB...

M. Jean Ueberschlag - Toujours le passé ! Parlez donc de votre budget.

M. le Ministre - J'y viens mais le passé explique assez souvent le présent. En 2000 donc, disais-je, la dette publique représentera un peu moins de 60 % du PIB, chacun s'accorde sur ce point.

M. Philippe Auberger - Non.

M. le Ministre - Si même les statistiques sont contestées ! Sans doute la droite est-elle fatiguée, comme l'a avoué M. Carrez. A votre place, je le serais.

M. Jean Ueberschlag - Ce n'est pas sérieux.

M. le Ministre - Nombre de vos remarques le sont-elles ? J'essaie, sans toujours y parvenir, d'adapter mes réponses au niveau de vos questions (Rires sur les bancs du groupe socialiste). S'agissant des collectivités locales, un seul chiffre permettra de couper court à bien des débats. Si nous avions poursuivi la mise en _uvre du pacte de stabilité mis en place par M. Juppé, les collectivités toucheraient en 2000 3,774 milliards de moins qu'elles ne toucheront, et en 2001, 6,604 milliards de moins (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Tout le reste n'est que littérature.

J'en viens plus directement aux motifs d'inconstitutionnalité évoqués.

M. Carrez, et à sa suite M. de Courson, nous ont expliqué que nos réformes restreignaient l'autonomie fiscale des communes. Ils préconisent en revanche de déterminer par avance quel pourcentage du produit d'impôts comme la TVA ou l'impôt sur le revenu sera affecté aux communes.

M. Charles de Courson - Je n'ai pas dit cela.

M. le Ministre - M. Carrez, si. Dans cette hypothèse, où serait l'autonomie des communes ? On peut difficilement soutenir deux positions aussi contradictoires.

M. Gilles Carrez - Votre système est le pire de tous.

M. le Ministre - Par définition puisque nous sommes au pouvoir.

S'agissant de la TGAP, l'article 1 de l'ordonnance, auquel vous vous êtes référé, ne dit nullement que le budget de l'Etat doit retracer les recettes de la Sécurité sociale. Or la TGAP devient une recette de la Sécurité sociale, si bien qu'il est tout à fait normal qu'elle ne soit pas retracée. Quant à son article 18, il prévoit qu'une disposition est nécessaire dans la loi de finances lorsqu'une part d'une recette fiscale est transférée. En l'espèce, la totalité de la recette est transférée, si bien qu'il n'est pas nécessaire de l'évoquer. Cela étant, pour couper court à tout débat inutile et pour vous rassurer, Monsieur Carrez, le Gouvernement présentera un amendement retraçant cette recette.

M. Gilles Carrez - Vous reconnaissez donc qu'il fallait le faire.

M. le Ministre - S'agissant de la taxe sur les bureaux, il vous a sans doute échappé qu'il s'agit déjà d'une recette d'Etat. Le seul changement est qu'elle ne sera plus affectée et qu'une part croissante de son produit sera transféré aux régions. Il n'y a là aucun motif d'inconstitutionnalité (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Monsieur Dominati, pourquoi faut-il que vous traitiez toujours la majorité et le Gouvernement, et moi tout particulièrement, de noms d'oiseaux ? Il ne suffit pas de taxer autrui d'une supposée supériorité pour masquer l'infériorité de son propre discours !

M. Laurent Dominati - Vous me donnez raison !

M. le Ministre - Monsieur Auberger, il est très fréquent que des recettes fiscales alimentent un établissement public, c'est le cas par exemple pour le fonds solidarité vieillesse créé par M. Balladur qui reçoit aujourd'hui 60 milliards de ces recettes. Vous jugez inutile la création d'un tel établissement. Mais quand bien même cette création serait inutile, elle n'en serait pas pour autant inconstitutionnelle. Cela étant, nous créons ce fonds pour bien montrer que l'opération se fait à prélèvements constants. Il ne s'agit pas, comme vous le prétendez, d'un prélèvement sur recettes mais d'un transfert de recettes. Nous ne faisons que transférer à la Sécurité sociale les droits sur les tabacs, tout comme M. Balladur lui avait transféré les droits sur les alcools. Votre erreur tient au fait que vous raisonnez comme s'il s'agissait d'un compte d'affectation spéciale de l'Etat, ce qui n'est plus le cas. Il ne date pas de ce projet de budget que des recettes fiscales soient affectées à la Sécurité sociale : 350 milliards au titre de la CSG le sont déjà. Là encore, je ne vois pas l'ombre d'un problème de constitutionnalité.

Vous vous demandez par ailleurs pourquoi la CMU n'est pas retracée dans le budget de l'Etat. Mais pourquoi cette dépense de la Sécurité sociale apparaîtrait-elle dans le budget de l'Etat ?

Monsieur de Courson, l'autonomie des communes, garantie dans bien d'autre pays que le nôtre, consiste le plus souvent en la liberté qui leur est laissée de choisir leurs dépenses. Les communes hollandaises sont considérées comme les plus libres d'Europe. Elles n'ont pourtant aucune ressource fiscale propre. Nous considérons, pour notre part, que la fiscalité levée par les communes fait partie de leurs libertés. Pour autant, prétendre qu'un allégement de la taxe professionnelle porte atteinte à ces libertés est pour le moins exagéré.

Vous avez ensuite critiqué les relations complexes entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Critique injuste d'un système mis en place par M. Juppé ! Quoi qu'il en soit, il est pour le moins curieux de passer son temps à critiquer le projet de Mme Aubry à l'occasion d'une explication de vote sur l'exception d'irrecevabilité déposée sur le projet de budget. Cela n'a aucun rapport. Le transfert de recettes ne pose aucun problème de constitutionnalité, d'autres y ont eu recours avant nous.

M. Charles de Courson - Les droits sur le tabac transférés n'ont aucun lien avec ce qu'ils sont censés financer, voilà le problème.

M. le Ministre - Et les droits sur les alcools ? Pourquoi ce qui était acceptable, proposé par M. Balladur, ne l'est plus lorsque c'est nous qui le proposons ?

S'agissant du retour à l'Ancien Régime, que vous croyez noter, je reconnais bien volontiers que vous êtes plus compétent que moi sur ce sujet (Sourires sur les bancs du groupe socialiste).

Au total, aucun des arguments avancés pour démontrer l'inconstitutionnalité du projet de budget ne paraît fondé. J'invite donc la majorité à repousser cette exception d'irrecevabilité, comme elle l'a fait, à juste raison, lors des projets de budget pour 1998 et pour 1999 puisque le Conseil constitutionnel n'a jamais suivi l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Marc Laffineur - Les titres de la presse en disent long sur la façon dont les observateurs perçoivent ce budget. «Ce budget manifeste-t-il un projet politique ?», s'interroge L'Evénement du jeudi du 16 septembre, qui conclut, comme Libération, à votre immobilisme, Monsieur le ministre. «Le budget oublie le financement des 35 heures», titrait de son côté La Tribune, tandis que Le Figaro parlait de «budget sans audace». Ce matin encore, Le Parisien évoquait la TVA et les «ratés de la baisse», et ce soir Le Monde faisait sa une avec la question suivante : «Pourquoi les impôts continuent d'augmenter».

Tout d'abord, ce budget isole la France. Pourtant, la conjoncture est favorable : l'économie européenne profite de la faiblesse de l'euro pour doper ses exportations ; le bas niveau des taux d'intérêt favorise l'activité ; la crise asiatique n'a que peu touché notre pays, l'éclatement de la bulle spéculative a même permis à beaucoup d'entreprises occidentales de s'installer en Asie, notamment par le rachat à bas prix de concurrents affaiblis ; enfin, les Etats-Unis, qui entrent dans leur neuvième année de croissance, continuent de tirer la croissance internationale. Si la plupart des pays de la zone euro et de l'OCDE en profitent pour assainir leurs finances, la France socialiste prend, elle, un autre chemin, ce qui d'ailleurs inquiète les économistes de l'OCDE et autres observateurs. Ils constatent en effet que la France a relâché son effort en 1998 et 1999 pour réduire son déficit public, qu'aucune réforme structurelle des retraites et de l'assurance maladie n'a été menée, malgré une croissance de 3 % en 1998, de 2,5 % en 1999 et vraisemblablement de 3 % en 2000. Il y a quinze jours, le ministre hollandais des finances a critiqué le manque de rigueur et d'ambition de votre projet de budget...

M. le Ministre - C'est faux.

M. Marc Laffineur - ...et, quoique ressortissant d'un pays qui pratique la baisse de la durée du travail, a émis des réserves quant à la façon dont cette réforme est imposée en France et quant à ses conséquences financières.

De son côté, la Banque de France réclamait, par la bouche de Jean-Claude Trichet, un retour à plus de sagesse en matière de dépenses publiques.

D'ailleurs, tous nos partenaires ont adopté des politiques de maîtrise drastique des dépenses publiques, avec l'objectif avoué de parvenir à un équilibre des comptes à l'orée du troisième millénaire. Les autres gouvernements socialistes d'Europe ont, eux, compris que les périodes de croissance doivent servir à réduire les déficits et que le bon sens comme la prudence exigent de ne pas engager de dépenses publiques nouvelles tant que les comptes ne sont pas assainis.

Le gouvernement de Lionel Jospin refait, lui, la même erreur que celui de Michel Rocard il y a dix ans en gaspillant les fruits de la croissance et en gageant des dépenses structurelles et nouvelles sur des recettes temporaires et incertaines.

Ce budget marque une absence de maîtrise des dépenses publiques -leur croissance affichée pour 2000 sera de 0,9 %, soit le double de l'inflation- et, plus grave encore, une absence de volonté de maîtrise et une incapacité à réformer l'État. L'an dernier déjà, les dépenses avaient augmenté trois fois plus vite que l'inflation. La diminution de celle-ci et la baisse des taux d'intérêt, qui permettent cette année de réduire la charge de la dette de 2,5 milliards, vous autorisaient un objectif plus ambitieux que ces 0,9 % qui, une fois réintégrées les opérations hors budget, valent en réalité 2,7 %, soit 48 milliards ! Cette forte progression de la dépense publique grèvera durablement le budget de notre pays. Je n'ose imaginer les conséquences de votre politique si la conjoncture se retournait.

Vous ne consacrez qu'une part modeste des ressources supplémentaires pour réduire le déficit budgétaire qui, atteignant 216 milliards, restera le plus élevé de la zone euro et qui diminue moins vite que celui de nos partenaires. J'ajoute qu'il ne s'améliore chez nous que grâce au gonflement des recettes et pas par la maîtrise des dépenses. C'est pourtant en dégageant des sources structurelles d'économies que l'on prépare l'avenir.

C'est aussi en allégeant la pression fiscale. Dans ce domaine, nous avons entendu beaucoup de déclarations fracassantes, à commencer lors du discours d'investiture du Premier ministre, qui promit, si la croissance le permettait, de moins taxer les revenus du travail et de baisser le taux normal de TVA. La croissance est là, mais nous ne voyons rien venir, ni baisse du taux normal de TVA, ni moindre taxation des revenus du travail ! Loin de baisser, les prélèvements obligatoires se sont nettement accrus, passant de 3 848 milliards en 1998 à 4 112 milliards en l'an 2000. 264 milliards de plus depuis votre arrivée au pouvoir, 26 milliards prélevés sur les ménages et les entreprises !

Vous-même, Monsieur le ministre, déclariez dans Libération le 26 août : «Il faut baisser les impôts et les charges sur le travail pour donner de l'air à la nouvelle croissance et faire bénéficier les Français du fruit de leurs efforts». Hélas, ni les impôts, ni les charges ne se ressentent de déclarations faites sans doute pour apaiser les contribuables au moment où leur parvenaient leurs feuilles d'impôts ! Peut-être votre volonté a-t-elle été contrecarrée par les rivalités et les guerres intestines qui minent la majorité plurielle et ce gouvernement disparate...

M. le Secrétaire d'État - Voyez le vote sur les 35 heures !

M. Marc Laffineur - Toujours est-il que les effets d'annonce ont été, là encore, remplacés les actes.

Le Président de notre assemblée a pourtant multiplié les invites au Gouvernement : «La gauche moderne doit savoir baisser les impôts et les charges» disait Laurent Fabius, il y a un an. Même discours cette année et même absence de réponse concrète. Le mois dernier toujours, Laurent Fabius poursuivait son analyse, en réfutant par avance tous les arguments qui pourraient justifier un nouveau délai dans la baisse des impôts et insistait sur le fait qu'il s'agissait là «d'une affaire de choix politique et de détermination réformatrice». Nous prenons acte de la force de votre détermination, Monsieur le ministre.

L'an dernier, à la même époque, en me répondant sur une demande de renvoi en commission, vous aviez proposé de remplacer la tapisserie qui représente l'école d'Athènes par la courbe des prélèvements obligatoires. Et dans un accès de lyrisme, vous aviez affirmé que nous pourrions alors voir que cette courbe monte lorsque la droite est au pouvoir, et descend lorsque la gauche y est... Permettez-moi donc de vous rappeler que, lorsque vous êtes arrivés au pouvoir, le taux des prélèvements obligatoires était de 44,8 % du PIB et qu'il atteindra en 1999 le niveau record de 45,3 %. Bien sûr, vous nous annoncez une baisse pour 2000, mais vous l'aviez déjà fait l'an dernier avec le résultat que l'on sait.

Vous sous-estimez les recettes attendues pour pouvoir vous réjouir d'une heureuse surprise en milieu d'année, mais cette heureuse surprise pour Bercy est loin d'en être une pour les Français, car elle résulte d'une augmentation des impôts. C'est déjà la technique pour cet exercice budgétaire, nul doute que nous y aurons droit l'an prochain. Et quand bien même le taux serait conforme à vos prévisions, il serait déjà la preuve que vous absorbez allègrement les fruits de la croissance, sans laisser aux Français les richesses supplémentaires que leur travail a généré. Quand donc comprendrez vous que la conjoncture vous offre l'opportunité de diminuer significativement les prélèvements obligatoires ?

Quand donc comprendrez vous que «jouer sur le dénominateur» ne suffit pas et qu'un Etat moderne doit s'attacher à réduire ses dépenses.

L'an dernier, vous aviez affirmé que les impôts n'augmenteraient pas. Quand la conjoncture a créé des plus-values et des revenus fiscaux nouveaux, vous nous avez dit que les Français allaient profiter de la croissance. Mais vous avez pris 40 des 60 milliards générés par la croissance. Et, malgré vos discours, la facture est arrivée : la forte augmentation de l'impôt sur le revenu -effet direct de la baisse du plafond du quotient familial et de la baisse des deux autres plafonds d'abattement, le premier pour le rattachement des enfants à charge, le second sur les pensions alimentaires- a trouvé aussi une traduction dans le montant de la taxe d'habitation. De sorte que certains ménages qui n'étaient pas assujettis à l'impôt sur le revenu ont franchi d'un coup deux paliers fiscaux, d'une part en le payant, d'autre part en ne bénéficiant plus du dégrèvement de leur taxe d'habitation. Bel exemple de justice fiscale !

Vous avez annoncé des baisses d'impôt historiques. Parlons-en ! Sur les 38 milliards annoncés, seuls 25 correspondent à des mesures nouvelles ; et vous ne mettez pas en regard les hausses d'impôt -TIPP, écotaxe, contribution sociale sur les bénéfices...

La baisse des prélèvements est une illusion d'optique : vous ne faites que miser sur une croissance du PIB plus rapide que celle des impôts.

Tout cela manque de sincérité, d'autant plus que vous débudgétisez des dépenses et des recettes nouvelles, afin de masquer des prélèvements obligatoires qui servent à financer les 35 heures.

Venons-en au détail de vos mesures.

Toute baisse d'impôt étant à saluer, je salue la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien ; mais je déplore tout d'abord la complexité et l'opacité de la mesure. De plus, j'observe que celle-ci vaut pour trois ans, mais que les avantages qui en contrepartie sont supprimés disparaissent, eux, définitivement... Enfin, les contribuables vont perdre au change pour les travaux d'entretien ou d'amélioration inférieurs aux plafonds.

Les Français ont raison de se méfier quand vous annoncez des baisses d'impôts : depuis votre arrivée au pouvoir, les prélèvements auront augmenté de 30 milliards au titre de l'impôt sur le revenu, de 36 milliards au titre de l'impôt sur les sociétés, de 14 milliards sous forme d'impôts sur l'essence, 49 milliards sous forme de TVA. En ajoutant l'écotaxe et la nouvelle contribution sur les bénéfices, on arrive à un total de 145,5 milliards... La majorité parlementaire a même aggravé la facture des entreprises de 2,6 milliards.

Refusant de maîtriser les dépenses de fonctionnement, vous avez été contraints de rogner sur les investissements et sur les concours aux collectivités locales.

Les crédits d'équipement militaire reculent de 3,6 % . La DGF ne progresse que de 0,8 %, alors que la masse salariale des collectivités locales augmente de 3,5 % par an en raison du GVT et de la revalorisation du point. Vous revenez ainsi sur votre promesse de compenser intégralement les effets de votre réforme de la taxe professionnelle, ce qui revient à leur en faire payer le prix : c'est une nouvelle débudgétisation qui cache son nom et qui vous permettra demain de montrer du doigt les élus locaux qui augmentent leurs impôts...

Les 2 millions d'habitants supplémentaires dénombrés par le recensement entraînent pour les collectivités locales des dépenses nouvelles ; pourtant, vous n'allez pas réévaluer les dotations en proportion...

Vous réfléchissez à l'extension des 35 heures à la fonction publique, ce qui ne manquera pas d'entraîner pour les collectivités de nouveaux problèmes financiers. Enfin, l'Etat ayant pris pendant longtemps à la CNRACL ses excédents, vous allez demain faire contribuer les collectivités pour boucher le trou...

Le danger essentiel de ce budget tient à une débudgétisation massive et à la lourde menace qui pèse sur les finances de notre pays. Ainsi, les 35 heures coûteront, à terme, 70 milliards par an aux contribuables...

Pour financer votre politique, vous êtes contraints de créer ou d'augmenter des impôts. Bien sûr, vous jouez les vierges effarouchées quand on vous rappelle cette réalité, mais les Français ne seront pas dupes longtemps ! Martine Aubry a monté cette année une vaste opération de camouflage, dont tout le Gouvernement porte la responsabilité.

Quant aux entreprises, elles sont pénalisées non seulement par votre loi autoritaire sur la réduction du temps de travail, mais une deuxième fois par votre politique fiscale. L'écotaxe et la contribution sur les bénéfices renforcent un dispositif déjà très lourd. Votre politique décourage les initiatives ; pourtant, ce sont les entreprises qui créent l'emploi !

Bien plus, bien que la France soit sur le point d'entamer sa troisième année consécutive de croissance soutenue, qui assure spontanément à notre pays des rentrées fiscales abondantes, vous n'engagez aucune réforme.

Ainsi, le Gouvernement devrait avoir pour priorité absolue de réformer notre système de retraites. Mais vous refusez d'assumer cette responsabilité : déjà, le candidat perce sous le Premier ministre. Demain pourtant, il faudra mettre en place des fonds de pensions en complément de notre système par répartition ; et il faudra bien aussi se pencher sur les disparités de situation entre les retraités du privé et ceux de la fonction publique. Refuser cette évolution, c'est refuser de préparer l'avenir des actifs de notre pays. Le retard pris rendra les choix nécessaires plus douloureux encore.

Loin donc de répondre aux questions de fond, votre budget gère seulement le très court terme.

Le Gouvernement propose de fausses baisses d'impôts, et ne fait rien pour encourager l'innovation et la création d'entreprises.

M. le Ministre - Vous avez vraiment regardé ce budget ?

M. Marc Laffineur - La croissance économique permet de baisser fortement les impôts. Pour cela, il faut d'abord réduire les dépenses publiques. Nous proposons un objectif de diminution de 1 % par an. Il convient ensuite de baisser substantiellement l'impôt sur le revenu pour susciter l'initiative, et préparer ainsi une réforme de cet impôt que nos voisins ont tous entreprise, et que le gouvernement précédent avait entamée avant que vous l'interrompiez. L'impôt sur le revenu actuel, concentré sur 50 % des foyers fiscaux, a cessé d'être progressif et pénalise essentiellement les classes moyennes.

Le Gouvernement, depuis deux ans, a accentué la pression sur les ménages, et surtout sur les familles et les retraités. MM. Fabius et Migaud, conscients de cette situation, ont préconisé une diminution du taux marginal. Le Gouvernement serait bien inspiré de les écouter ou de prendre exemple sur Tony Blair, qui a ramené le premier taux du barème de 23 % à 10 %.

Le Premier ministre avait promis de baisser cette année d'un point le taux normal de TVA. On nous dit aujourd'hui que c'est impossible. En vérité, c'est la volonté qui vous manque. Le Gouvernement a préféré se lancer dans des baisses sectorielles qui contrarient le droit communautaire, alors qu'il aurait été plus facile de réduire le taux normal. Cette réduction coûtait 35 milliards, alors que les plus-values fiscales s'élèvent à près de 60 milliards. La baisse sectorielle sur les travaux ne porte que sur 15 milliards. Elle a le mérite d'exister, et certains secteurs, comme le sport et la restauration, devraient en profiter eux aussi car ils souffrent de distorsions de concurrence. L'an dernier, vous aviez dit être préoccupé des difficultés de la restauration, mais rien de concret n'a suivi. Nous voulons également inciter à la création d'entreprises, en particulier de PME axées sur les nouvelles technologies de l'information, qui sont la clé de la croissance économique. Dans ce domaine, vous n'avez rien fait, et votre majorité plurielle a même supprimé l'article 10 relatif à l'extension du système de bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise.

Nous proposons aussi de lancer l'épargne de proximité, les investissements informels sans intermédiaire bancaire.

Nous défendrons des amendements dans ce sens.

Enfin, nous souhaitons développer véritablement l'actionnariat salarié, que souhaitent de nombreux salariés français mais que rejette une partie de votre majorité disparate. Pour cela, nous proposons de créer de vrais bons de croissance dans toutes les entreprises, tout en assurant la transparence pour éviter les excès de certains dirigeants.

Voilà quelques pistes à partir desquelles bâtir un vrai projet pour la France.

Votre budget ne nous satisfait pas. C'est pourquoi le groupe DL demande à l'Assemblée d'adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Ministre - Parler de l'isolement de la France est un peu ridicule, quand on lit dans la presse étrangère des appréciations élogieuses sur notre situation économique.

M. Marc Laffineur - Tous les pays ont réduit leur déficit !

M. le Ministre - Nous le faisons plus que les autres depuis juin 1997, mais le point de départ est plus élevé. Il faut ne fréquenter aucune réunion internationale pour prétendre que la France est isolée.

Nous ne ferions pas assez d'efforts pour maîtriser les dépenses publiques. Mais les mêmes qui nous le reprochent demandent davantage de crédits pour les contrats de plan, pour la défense... Qu'ils se mettent d'accord avec eux-mêmes ! Au total, de 1993 à 1997, la dépense d'Etat augmenté en moyenne de 1,5 % par an, mais de 0,3 % seulement depuis 1997.

M. Marc Laffineur - C'est trop !

M. le Ministre - Avant de donner des leçons, il faut se retourner sur son propre passé !

Pour critiquer le Premier ministre, vous évoquez les variations des prélèvements obligatoires à coup de milliards. Cela n'a aucun sens ! N'importe quel étudiant le sait ! Vous faites comme si la croissance n'avait pas eu lieu pendant ce temps.

M. Marc Laffineur - Ces milliards, ce sont les Français qui les paient !

M. le Ministre - Pour que leurs revenus s'accroissent ! Ce qui compte, c'est la part des impôts dans la richesse nationale.

En 1999, c'est vrai, le taux des prélèvements obligatoires a augmenté, contrairement à mes prévisions. Mais on en connaît les raisons. Et à la fin de la législature, et même dès l'an prochain, ils seront à un niveau inférieur à celui de 1996 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En 2000, aucun taux d'imposition des ménages n'augmente.

M. Charles de Courson - Et la TGAP ?

M. le Ministre - Ce n'est pas un impôt sur les ménages !

M. Charles de Courson - Les Français la paient indirectement.

M. le Ministre - La hausse de la TGAP peut avoir une incidence sur les prix, pas sur le taux d'imposition.

Quant aux investissements civils, dont on a parlé, ils ont baissé de 13 % entre 1993 et 1997 et augmenté de 10 % depuis lors. Ces chiffres ne sauraient justifier les critiques formulées contre le présent budget.

En résumé, vous ne faites que répéter ce que vous disiez déjà il y a deux ans. Si, à l'époque, les gens pouvaient penser que vous aviez raison, ils constatent aujourd'hui que l'économie fonctionne mieux que ce fut jamais le cas depuis 1990. Alors, ou bien vous vous trompez lorsque vous dites que la politique que nous menons n'est pas bonne -c'est ce que je crois- ou bien votre théorie libérale ne tient pas puisque, malgré les hausses d'impôt et les contraintes supplémentaires que nous imposerions aux entreprises, la croissance est là depuis 1990.

Vous tenez le même discours depuis deux ans : le discours général du moins d'Etat. Mais, en dépit de vos critiques, la croissance est revenue en France où 1 million d'emplois ont été créés. Pouvez-vous prétendre que les entreprises sont découragées alors qu'on n'en a jamais créées autant dans le secteur des technologies de pointe ?

M. Marc Laffineur - Beaucoup moins que dans d'autres pays.

M. le Ministre - Pas du tout, mais nous sommes en retard parce que vous n'aviez rien fait avant !

Vous dites qu'il faudrait diminuer la dépense publique de 1 %. Mais aucune majorité de droite ne s'est risquée à le faire lorsqu'elle était au pouvoir. Vous ne faites pas, lorsque vous êtes au pouvoir, ce que vous nous conseillez de faire lorsque vous n'y êtes plus. Votre démarche ne consisterait-elle pas à nous donner des conseils pour que nous allions dans le mur si nous les suivions ? Mais je veux rassurer la majorité : le Gouvernement ne suivra pas les conseils de M. Laffineur, ce qui évitera au Président de la République de dissoudre et notre politique donnera les résultats que les Français constatent déjà : hausse du pouvoir d'achat, création d'emplois et baisse du chômage, autant de résultats que vous n'avez jamais pu obtenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.

Mme Béatrice Marre - Selon notre Règlement, une question préalable tient à démontrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer. On aurait pu penser le contraire en écoutant M. Laffineur nous dire ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire.

Cela dit, je ne suis pas certaine que vous n'adhériez pas à l'idée qu'il n'y a pas lieu de délibérer car, selon la théorie libérale que vous défendez, la bonne politique économique est celle qui n'existe pas, un bon budget est à la fois le plus faible et le plus neutre possible. Cela ne vous a pas empêchés de déposer quelques amendements.

En même temps, vous avouez votre impuissance face aux règles économiques internationales. Telle n'est pas notre conception. Nous pensons qu'une politique économique peut accompagner et consolider la croissance, sinon la créer, et même atteindre les objectifs de lutte contre le chômage et les inégalités que nous lui assignons.

D'autre part, nous sommes engagés dans une économie mondialisée et vous prétendez que la France est isolée. Mais alors que s'ouvriront dans quelques semaines les très importantes négociations de l'OMC, il est important que la France, quatrième puissance économique mondiale, puisse, grâce à sa croissance consolidée, contribuer avec l'Union européenne à créer un rapport de force propice à faire évoluer les échanges internationaux vers plus d'équité.

Vous êtes fasciné par vos amis américains, dont personne ne conteste la croissance, mais la façon dont la France essaie d'utiliser cette croissance pour lutter contre les inégalités est plus conforme au modèle européen de croissance qu'à ce qui se passe aux États-Unis.

C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je vous demande de repousser cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Gilles Carrez - M. Laffineur a prononcé un réquisitoire implacable contre le budget 2000. Le ministre était très gêné comme sa réponse l'a montré (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

A propos des dépenses, il a cité la Commission européenne selon laquelle nos dépenses publiques augmentent beaucoup plus rapidement que l'inflation. Au lieu des 0,9 % que vous annoncez, l'augmentation sera plutôt de 2,5 % ou 3 %. La Cour des comptes dit exactement la même chose. Le ministre nous explique que les dépenses ont augmenté plus vite de 1993 à 1997 que depuis cette date, mais quoi de plus normal en période de difficultés économiques, puisqu'un budget de dépenses publiques doit être contra-cyclique.

Pour ce qui est des recettes, Marc Laffineur a dénoncé les promesses de baisses d'impôt jamais tenues. Comme ne cesse de le dire M. Laurent Fabius, les prélèvements obligatoires sont trop élevés.

Notre collègue a aussi mis en évidence le fait que notre pays est isolé dans sa politique de lutte contre le déficit : nous sommes les plus mauvais élèves de la classe euro...

Mme Béatrice Marre - Que faites-vous de la Belgique et des Pays-Bas ?

M. Gilles Carrez - Le résultat est mécanique : la France est aussi le pays où l'endettement de l'État continue d'augmenter. Ce budget 2000 va sacrifier l'avenir au présent.

M. Laffineur a proposé de baisser l'impôt sur le revenu. Malheureusement, vous avez annulé la grande réforme Juppé (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) qui réduisait cet impôt de 25 milliards dès 1997.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera sans hésiter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Cuvilliez - Cet exercice rituel des questions préalables a quelque chose d'exaspérant. On y retrouve tous les poncifs de la pensée libérale, sans qu'aucune place soit laissée à l'amorce d'un débat.

M. Laffineur nous a donné une sorte de leçon de «thatchérisme» à la française : diminuer à tout prix le déficit, la dépense publique et les impôts et, si possible, faire disparaître l'État de la gestion libérale de l'activité économique. Ce n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous repousserons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Hériaud - M. Laffineur a montré combien la présentation tronquée du budget créait de confusion dans ce débat. Après avoir retracé la croissance de l'endettement, il a souligné le rôle des collectivités locales dans la réduction des déficits qui nous a permis, au 1er janvier 1998, de respecter les critères de convergence de Maastricht. Et elles continuent, année après année, d'investir, malgré des dotations d'État qui ne suivent pas la croissance du PIB. M. Laffineur a montré les marges que permettrait la croissance, mais dont on fait mauvais usage. Pour ces raisons l'UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 23 heures 45, est reprise à 23 heures 55.

M. Michel Bouvard - L'examen de ce budget a lieu dans un contexte de croissance confortée : 2,3 % en 1999, 2,8 % prévus en 2000. Cette croissance trouve-t-elle son origine dans l'action du Gouvernement, dans la baisse durable des taux d'intérêt obtenue et engagée par vos prédécesseurs, dans le dynamisme des entreprises et du commerce extérieur, relayé par une démarche intérieure appuyée sur la confiance des ménages dans l'avenir ? Je n'aurai pas la prétention d'arbitrer entre ces différents facteurs, car les équilibres économiques complexes qui régissent notre monde doivent inciter à la modestie, face à des prévisions que peut toujours venir infirmer tel événement international. L'essentiel n'est pas de savoir qui peut s'en attribuer le mérite, mais comment la France peut utiliser au mieux cette croissance qui assure à l'Etat un niveau de recettes rarement atteint, par une hausse mécanique dans certains cas des prélèvements obligatoires.

A nos yeux, compte tenu des excédents dégagés et des hypothèses de croissance pour l'an 2000, ce projet aurait pu être plus audacieux sur les baisses d'impôt, pour restituer aux Français une part de ce qu'ils ont donné ; sur les baisses de charges pour les entreprises, notamment ; et sur le budget d'investissement, qui assure l'avenir. Plus audacieux sur les baisses d'impôt : vous affichez une baisse de 30 milliards, dont 24 sur les ménages, ce qui est bien. Mais ce n'est pas suffisant, dès lors que -comme M. le ministre et M. le secrétaire d'Etat l'ont reconnu- la croissance génère un effet mécanique de hausse des prélèvements obligatoires.

Ce n'est pas suffisant dès lors qu'il a fallu demander un effort à nos concitoyens, dans une période de moindre croissance, pour obtenir notre qualification à l'euro -et vous savez quel était mon sentiment sur la rigidité des critères de convergence.

Aujourd'hui, les Français doivent bénéficier eux aussi de cette croissance retrouvée, et notamment ces classes moyennes qui ont porté une large part de l'accroissement des charges. C'est pourquoi le RPR proposera par ses amendements d'engager une nouvelle tranche de la réduction de l'impôt sur le revenu, dont vous avez interrompu le processus en 1997. C'est aussi pourquoi nous proposons de ne pas pénaliser plus durablement les familles, en réajustant le plafonnement du quotient familial -d'autant que la modification de ce plafond n'est pas pour rien dans l'accroissement des prélèvements en 1999.

Nous avons comme vous le souci de maintenir l'activité et l'emploi au travers de baisses ciblées de TVA...

M. Alain Barrau - Ah !

M. Michel Bouvard - ...comme nous avons bien compris que vous n'aviez pas l'intention d'abaisser le taux normal de TVA...

M. Alain Barrau - ...porté à 20,6 % par le gouvernement de M. Juppé !

M. Michel Bouvard - Nous sommes heureux d'avoir été entendus s'agissant de la baisse de la TVA sur les travaux et avons appuyé votre démarche lors de la discussion de la résolution en juin dernier.

Il est grand temps en matière de TVA de mettre fin à quelques aberrations. La TVA sur la restauration figure au nombre de celles-ci. Pourquoi attendre pour en finir avec la distorsion de concurrence entre restauration traditionnelle et fast-foods, pour améliorer la compétitivité du tourisme français et pour permettre à tous les salariés qui ne bénéficient pas d'une restauration collective d'améliorer leur repas ? L'abaissement de la TVA sur la restauration créerait en outre des emplois et n'alourdirait pas le budget, comme ce sera sans doute le cas de celle sur les travaux.

Nous attendons sur ce point, Monsieur le ministre, suite au conseil Ecofin et conformément aux engagements pris par le passé, une initiative forte. Allez-vous continuer de refuser plus longtemps aux restaurateurs français ce que vous avez accepté pour les restaurateurs portugais ?

De même, pourquoi les équipements sportifs sont-ils les seuls, avec les pompes funèbres, à être assujettis au taux plein de TVA parmi les secteurs figurant dans la directive européenne 92-77 ? Cette discrimination vis-à-vis du sport est d'autant plus injustifiée que le sport concourt aussi à l'amélioration de la santé publique.

Je ne détaille pas davantage nos propositions qui concernent aussi la TVA sur le chocolat par exemple, nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

Nous proposerons aussi des amendements tendant à alléger les charges sur la recherche et l'innovation dans les entreprises et à conforter les jeunes entreprises dont la mortalité est, selon vos propres services, trop élevée.

Le projet de budget prévoit certes de mettre fin à la majoration exceptionnelle de l'impôt sur les sociétés à laquelle vous aviez dû procéder pour respecter l'équilibre budgétaire. Mais le projet de loi de financement de la Sécurité sociale alourdira les charges des entreprises qui devront déjà supporter l'effet des 35 heures dans un contexte de concurrence internationale accrue.

M. le Ministre - Ce n'est pas vrai.

M. Michel Bouvard - Si.

L'application de l'écotaxe à toutes les activités fortement consommatrices d'énergie, comme l'électrométallurgie, l'industrie de l'aluminium ou des aciers spéciaux, aura des conséquences dramatiques. En renchérissant de plusieurs dizaines de millions de francs les coûts des sites de production français, vous les condamnez, d'autant que les dirigeants des entreprises de ces secteurs, souvent étrangères, sont très attentifs à la rentabilité des investissements et les actionnaires exigeants sur le rendement des fonds de pension. Nous souhaitons des précisions sur ce point.

J'en viens aux budgets d'investissement. Les crédits des titres V et VI diminuent de près de 2 % dans le projet de budget pour 2000 et le secteur routier par exemple verra ses crédits régresser de 12 % hors FITTVN. Ce fonds devient d'ailleurs d'année en année un instrument de débudgétisation de plus en plus affirmé, le rapporteur général partage cet avis. La taxe autoroutière perçue à son profit va encore augmenter, et ce en totale contradiction avec les conclusions de la mission d'évaluation et de contrôle créée par notre assemblée. A cet égard, comment le Gouvernement entend-il prendre en compte les recommandations de cette mission ? Si celle-ci n'a aucune utilité, qu'on nous le dise clairement.

Tous les présidents de conseils régionaux, quelle que soit leur couleur politique, sont déçus des sommes allouées dans le cadre des contrats de plan 2000-2006. Si les crédits semblent progresser de 80,2 milliards pour la période 1994-2000 à 86,4 milliards pour la période 2000-2006, il faut tenir compte, d'une part, de l'inflation, d'autre part, de l'allongement de la durée des contrats.

En réalité, laisser s'accroître les dépenses de fonctionnement courant et transférer certaines recettes du budget pour financer la Sécurité sociale et les 35 heures, comme vous le faites, prive le pays de capacités d'investissement, créatrices d'emplois durables et de nature à renforcer l'attractivité de notre pays pour les investisseurs étrangers. Ces capacités sont en outre obérées par l'accroissement de la dette publique. Les budgets d'investissement, qui ont déjà souffert de la mise en _uvre des critères de convergence, ne progressent pas comme ils le devraient, étant donné les recettes.

Je souhaite que la discussion qui s'engagera, notamment sur les amendements, au-delà des divergences de fond sur les orientations budgétaires, normales dans une démocratie, permette au Gouvernement et à sa majorité de prendre en compte nos préoccupations. Notre seul souci est en effet celui de l'intérêt de notre pays. Celui-ci doit tirer avantage de cette croissance pour consolider son économie et assurer la création d'emplois durables (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Daniel Feurtet - Pendant les trois années d'application du pacte de stabilité, «véritable plan de régression» selon les propres termes de l'association des maires de France, les collectivités locales ont subi une perte de recettes de 7 milliards de francs. Si ce pacte n'avait pas été supprimé, leurs recettes auraient été amputées de 3,7 milliards supplémentaires.

Nous ne pouvions donc que nous féliciter du contrat de croissance et de solidarité adopté dans la loi de finances pour 1999. L'enveloppe réservée aux collectivités locales progressera, non seulement en fonction du taux d'inflation mais aussi, pour une part, du taux de croissance du PIB.

Faire profiter les collectivités d'une partie de la croissance, c'est reconnaître leur rôle économique et social dans la recherche du plein emploi. C'est aussi leur donner les moyens d'assumer leurs nouvelles responsabilités, notamment pour la création d'emplois-jeunes. C'est aussi en finir avec la conception dépassée qui veut que l'Etat décide, que les collectivités appliquent et que les citoyens paient.

Ce contrat de croissance et de solidarité a été une bouffée d'oxygène pour les collectivités locales auxquelles la loi de finances pour 1999 a garanti un minimum de recettes. Elles ont pu par ailleurs, compte tenu de la conjoncture, réaménager leur dette et obtenir des conditions favorables pour leurs nouveaux emprunts.

Je ne dirai pas que «tout va bien dans le meilleur des mondes» comme on pourrait le croire à la lecture du rapport de l'observatoire des finances locales présenté par le sénateur Joël Bourdin. Mais le Gouvernement issu de la majorité plurielle a indéniablement fait des collectivités locales l'une de ses priorités.

Il poursuit son effort dans le projet de loi de finances pour 2000. Les engagements pris sont tenus : le texte intègre les majorations exceptionnelles prévues pour trois ans en loi de finances initiale 1999, à savoir 500 millions pour la dotation de solidarité urbaine et 150 millions pour le fonds national de péréquation. En outre, l'enveloppe normée sera indexée sur 25 % de la croissance.

Un effort supplémentaire est fait pour éviter des difficultés consécutives à la prise en compte des résultats du recensement. Les communes, dont la population a diminué, ne seront pas pénalisées, bénéficiant de la même dotation forfaitaire qu'en 1999. La dotation d'équipement est par ailleurs abondée de 200 millions, et celle de solidarité urbaine de 500 millions. Un projet de loi relatif aux dotations de l'Etat aux collectivités locales, destiné à atténuer les effets du recensement, sera examiné le 5 novembre prochain. Enfin, un prélèvement de 500 millions sur les recettes de l'Etat est prévu afin de favoriser la coopération intercommunale.

Les collectivités locales connaissent néanmoins des difficultés budgétaires : elles doivent en effet réaliser des investissements considérables, notamment en matière d'eau, de déchets et d'assainissement.

Bien qu'en hausse, l'enveloppe normée subit de nouveau l'incidence d'une régularisation négative de la DGF à hauteur de 680 millions -mesure instaurée par un amendement de M. Auberger lors de la mise en place du pacte de stabilité. L'effort du Gouvernement en faveur des collectivités est ainsi neutralisé. Dès lors, pourquoi maintenir un tel dispositif ? Ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire.

Les députés communistes préconisent la prise en compte, dans le calcul de l'enveloppe normée non de 25 % de la hausse du produit intérieur brut mais de 50 %, afin notamment de permettre aux communes qui connaissent une hausse de population de répondre aux besoins supplémentaires.

Si un tel effort paraît aujourd'hui insurmontable, ne doit-on pas l'envisager et ce pour l'ensemble des dotations de l'enveloppe normée dans la loi de finances 2001 qui marquera la fin du contrat de croissance et de solidarité ? Selon la direction générale des collectivités locales, le surcoût engendré par l'augmentation de la population sera de 1,5 milliard de francs, qui pourrait également être financé par une majoration plus importante de la dotation d'aménagement. Les députés communistes et apparentés défendront un amendement en ce sens.

L'évolution de la DGF est la base de calcul de l'actualisation de la compensation salaire dans les bases de la taxe professionnelle.

A nos yeux, l'actualisation de la compensation salaire ne saurait reposer sur des indices économiques 1998 et 1999 puisqu'elle n'était alors pas instaurée. Nous demandons donc que soit retenu comme indice, pour la première année, la moitié du produit intérieur brut plus l'inflation soit + 2,05 % -au lieu des 0,82 % prévus.

Il est d'ailleurs plus que jamais nécessaire d'élargir l'assiette de la taxe professionnelle aux actifs financiers : titres du marché monétaire, obligations, actions. Car la suppression progressive de l'élément salaire pourrait produire les effets contraires à ceux recherchés, le surplus de profits induit par elle pouvant être affecté à des placements financiers au détriment des actifs physiques et matériels. L'intégration des actifs financiers dans les bases de la taxe professionnelle permettrait de renforcer le produit de cette taxe et inciterait les entreprises à préférer les investissements productifs ; en outre, elle allégerait le budget de l'Etat dans sa compensation aux collectivités locales et faciliterait la péréquation nationale de cette taxe.

Je me permets d'ouvrir une parenthèse sur la situation des communes qui ont sur leur territoire des établissements hospitaliers. Ces établissements, non redevables de la TP, paient la taxe sur les salaires, dont le produit est versé au budget général. Ne serait-il pas légitime, d'une part, de faire bénéficier ces communes d'une partie de ce produit, d'autre part, d'alimenter le fonds national de péréquation ?

J'attire également votre attention, Monsieur le ministre, sur la situation de France-Télécom. Les élus locaux contestent la non-application du droit commun fiscal.

M. Christian Cabal - Très bien ! Cela fait trois ans que ça dure.

M. Daniel Feurtet - Dans l'intérêt même de l'entreprise comme dans celui des collectivités locales, il est nécessaire que soit mis un terme à cette situation et nous souhaitons que dès cette année, un premier pas soit fait dans ce sens.

Une autre question fait également l'unanimité : l'arrêt de la surcompensation au titre de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Même si le Gouvernement fait un geste en faisant passer le taux de la surcompensation de 38 à 34 % en 2000 et de 34 à 30 % en 2001, la CNRACL ne pourra pas tenir plus longtemps le rôle de pivot qui lui a été dévolu dans le financement des régimes spéciaux.

Concernant la fiscalité locale, nous restons dans l'attente d'une réforme prenant en compte l'ensemble des revenus et faisant jouer, en fonction des situations, les éléments d'exonération et de seuil. Dès aujourd'hui, il est possible et nécessaire de corriger l'injustice du mode de calcul de la taxe d'habitation. Il faut pour cela baisser le montant minimal de cette taxe de 1 500 à 1 200 F, en maintenant en cas de retour à l'emploi le bénéfice du dégrèvement pour la première année.

Dès aujourd'hui, il est possible et nécessaire d'exonérer de la taxe foncière sur les propriétés bâties les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de solidarité spécifique et de l'allocation de parent isolé. Les assujettis à cette taxe sont certes propriétaires mais s'ils n'ont comme seule ressource qu'un minimum social, l'exonération se justifie.

La loi de 1982 a posé fortement le principe de l'autonomie des collectivités locales territoriales. Pour que celle-ci soit effective, il faut donner un nouvel élan à la décentralisation....

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. Daniel Feurtet - ...en donnant aux collectivités des moyens financiers correspondant à leur champ de compétences et aux nombreuses coopérations qu'elles souhaitent développer, au soutien qu'elles peuvent apporter à la consommation et à l'investissement. Cet élan pourrait par exemple consister à donner aux collectivités le désir de déterminer indépendamment chaque taux d'imposition appliqué aux quatre taxes locales.

Contrairement au précédent, ce Gouvernement souhaite faire des collectivités locales des éléments décisifs de l'harmonie du territoire.

M. Christian Cabal - N'importe quoi !

M. Daniel Feurtet - On doit donc se donner les moyens de faire du contrat de croissance et de solidarité un véritable outil «du progrès solidaire pour une croissance partagée». C'est dans cet esprit que les députés communistes prendront toute leur place dans le débat qui s'engage aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Charles de Courson - Qu'est-ce qu'une bonne politique des finances publiques pour la France ? C'est une politique qui vise, premièrement, une réduction rapide du déficit pour le ramener dans un premier temps à un niveau du même ordre de grandeur que nos partenaires européens, dans un second temps à zéro, conformément à nos engagements européens ; deuxièmement, une réduction significative du taux des prélèvements obligatoires ; troisièmement une stagnation des dépenses publiques en valeur, doublée d'un réel effort de redéploiement des moyens.

Au regard de ces trois critères, il est clair que non seulement la politique proposée est mauvaise, mais aussi qu'elle est dans la droite ligne de la politique menée depuis mai 1997.

En effet, le déficit se réduit deux fois moins vite que sous l'ancienne majorité et il est plus élevé que chez nos principaux partenaires, alors même que la situation économique est beaucoup plus favorable.

En avril 1993, lors du changement de majorité, les déficits publics atteignaient 6,3 % du PIB ; en mai 1997, ils étaient réduits à 3,3 % en quatre ans, nous les avons donc fait baisser de trois points.

La nouvelle majorité, entre mai 1997 et décembre 2000, aura réduit les déficits publics de 3,3 % à 1,8 %, soit 1,5 point de baisse, alors que la conjoncture était bonne. La dure vérité est donc là : vous réduisez le déficit moitié moins vite que les deux précédents gouvernements.

M. le Ministre - Vous oubliez la soulte de France Télécom et vous comptez quatre budgets là où il n'y en a que trois.

M. Charles de Courson - En l'an 2000, la Grande-Bretagne aura un excédent de ses finances publiques égal à 1 % de son PIB, les Etats-Unis de plus de 2 % et la zone euro un déficit de 0,8 %. La France, avec ses 1,8 % de baisse, est mal placée. Elle ne soutient la comparaison qu'avec l'Italie et l'Allemagne.

L'un des indicateurs de l'excès de déficit est le montant croissant de la dette publique, qui a atteint 60,3 % du PIB en 1998 et qui progresse en 1999 à 60,5 %. En l'an 2000, vous prévoyez de redescendre à 59,9 %.

Est-ce crédible ? Non, car cela supposerait que la dette n'augmente que de 159 milliards. Or le déficit de l'Etat atteindra 215 milliards en 2000. Et la différence entre ces deux montants ne saurait provenir du seul désendettement des collectivités locales. Cela ne tient pas la route.

J'ajoute qu'une partie des dettes de l'Etat ne figure pas dans la dette publique. Celles de Réseau ferré de France, par exemple. En réalité, la dette publique représentera plutôt 62 % du PIB.

Les prélèvements obligatoires sont trop élevés, n'ont cessé de s'accroître depuis mai 1997 et ne baisseront pas en 2000.

En mai 1997, lors de votre arrivée au pouvoir, le taux de prélèvements obligatoires était de 44,9 % du PIB.

Votre première décision fiscale a été, en novembre 1997, d'accroître de plus de 23 milliards l'impôt sur les sociétés au prétexte que les prévisions de recettes étaient sous-évaluées d'environ 23 milliards dans la loi de finances pour 1997. Or la loi de règlement 1997 a montré qu'il n'en était rien. Vous avez donc accru de 0,3 point du PIB les prélèvements obligatoires au titre de cette année-là.

Pour 1998, vous nous aviez annoncé que les prélèvements obligatoires, hors la prise en charge par l'État des cotisations sociales, baisseraient de 0,2 point. Quel a été le résultat ? Officiellement, pas de baisse. En fait, il y a eu une hausse de 0,2 point, que vous avez dissimulée en accélérant les remboursements de TVA à hauteur d'une quinzaine de milliards, comme l'a suggéré le rapport de la Cour des comptes sur la loi de règlement de 1998.

Pour 1999, vous avez à nouveau annoncé une baisse de 0,2 point, hors la prise en charge par l'État des cotisations sociales, mais, ayant été pris une seconde fois les doigts dans le pot de confiture, il vous a fallu avouer une nouvelle hausse de 0,4 point, soit plus de 35 milliards de pression fiscale supplémentaire. Cette hausse est d'ailleurs encore probablement sous-estimée de 0,1 point, car les recettes fiscales et sociales sont plus élevées que prévu, alors que la croissance du PIB en valeur est tombée de 3,8 % dans vos prévisions initiales à 2,9 % dans vos prévisions révisées. Or ce seul facteur représente 0,4 point de hausse des prélèvements.

Mais, Monsieur le ministre, qui établit les prévisions de PIB ? Vous ! Depuis deux ans, vous nous expliquez que ce n'est pas votre faute si le taux de prélèvements obligatoires ne baisse pas, le dénominateur n'ayant pas été conforme aux prévisions. Mais l'année dernière, je vous avais dit que jamais vous n'auriez une inflation de 1,2 %... Votre jeu est en fait très simple : vous surestimez systématiquement la croissance du PIB en valeur, parfois même en volume, pour afficher une baisse du taux de prélèvements obligatoires.

M. le Ministre - En 1998, c'était l'inverse : la croissance du PIB a été supérieure à celle qui était prévue !

M. Charles de Courson - Il y a eu plus de croissance en volume, mais moins d'inflation que vous ne l'aviez prévu ! Et vous n'avez pas tenu votre engagement.

M. le Ministre - Votre raisonnement en valeur est un raisonnement de comptable...

M. Charles de Courson - Je comprends que vous ne soyez pas très à l'aise quand on vous rappelle ce que vous avez dit.

M. le Ministre - On est parfaitement à l'aise quand la croissance et les créations d'emplois sont au plus haut !

M. Charles de Courson - En moins de trois ans, nous aurons ainsi connu trois promesses non tenues et une aggravation de 0,7 point des prélèvements obligatoires, alors que vous aviez promis une baisse de 0,4 : l'écart représente 100 milliards par an !

Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, de voir monter l'insatisfaction, jusqu'au sein de la gauche ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste)

La quatrième promesse -baisser le taux de prélèvements obligatoires de 0,5 point en 2000- a-t-elle une chance d'être tenue ? Non, pour quatre raisons.

Tout d'abord, vous surestimez la baisse du taux de prélèvements des collectivités locales. En 1999, les mesures de réduction de la fiscalité locale décidées par l'Etat ont représenté 18 milliards, ce qui représente 0,2 point de PIB, mais la croissance des recettes fiscales des collectivités locales représente une nouvelle aggravation, ainsi la baisse ne sera pas de 0,3 point comme prévu, mais se situerait entre 0,1 point et 0,2 point. En 2000, vous prévoyez de nouveau une baisse de 0,2 point. Or les deux mesures fiscales -taxe professionnelle et droits de mutation- représentent 14 milliards, soit 0,15 % du PIB. Vous prévoyez donc que la fiscalité locale augmentera d'environ 2 %, soit moins vite que la croissance du PIB estimée à 4 % ; mais avec la croissance très faible des contributions financières de l'Etat, les collectivités locales devront augmenter une nouvelle fois leurs impôts. En réalité, vous avez sous-estimé d'au moins 0,1 point de PIB, voire de 0,2 points, la pression fiscale locale en l'an 2000.

M. Christian Cuvilliez - C'est une caisse enregistreuse ! (Sourires)

M. Charles de Courson - En ce qui concerne les impôts de l'Etat, vous prévoyez pour l'an 2000, une baisse de 0,6 point de PIB ; mais la fiscalité affectée à la protection sociale représente 0,6 point de PIB. En d'autres termes, Dominique baisse de 0,6, mais Martine augmente de 0,6 !

Je pourrais parler encore de la baisse des cotisations sociales et de l'effet base. Et heureusement qu'on a changé de système de comptabilité nationale : sinon, nous en serions quittes pour 0,25 point de PIB supplémentaire !

M. le Président - Vous avez largement dépassé votre temps de parole.

M. Charles de Courson - Je conclus. Prélèvements obligatoires excessifs, déficits excessifs, charges publiques qui croissent trop vite et pénalisent toujours les plus humbles et les plus entreprenants : voici un budget à la petite semaine, un budget politicien destiné à ne mécontenter personne et à préparer les futures élections. La France développe son exception dans le vice, et non dans la vertu budgétaire : c'est pourquoi le groupe UDF votera contre ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Gérard Charasse - Pour la troisième fois depuis l'avènement de cette majorité, nous examinons le projet de loi de finances. Pour nous, Radicaux de gauche, c'est l'occasion de montrer notre attachement à la majorité plurielle, en soutenant les orientations du Gouvernement mais en lui rappelant aussi, s'il en était besoin, ses racines sociales et humanistes.

Ce budget s'inscrit dans une double continuité, l'action en faveur de l'emploi et de la justice sociale d'une part, la réduction des déficits publics et des prélèvements obligatoires d'autre part. Les Radicaux de gauche proposeront, à coût constant, quelques dispositifs de nature à renforcer encore cette politique. Sans doute le temps est-il également venu d'ouvrir un débat sur une réforme de fond de nos finances publiques.

Nous nous félicitons que la politique en faveur de l'emploi et de la justice sociale soit, encore une fois, la priorité de ce budget. L'année dernière, nous avions entendu des Cassandre ; peut-on sérieusement cette année discuter une prévision de croissance comprise entre 2,6 % et 3 % ? Peut-on sérieusement dire que l'on met à mal le budget alors que le déficit diminue de 21,2 milliards, que les dépenses évoluent au seul rythme de l'augmentation prévisionnelle des prix hors tabac et que 39 milliards d'impôts seront supprimés ?

Nous avons été nombreux à réclamer des allégements d'impôts, là où ils frappaient les ménages les plus modestes : taux réduit de TVA sur la rénovation de l'habitat et sur les services d'aide à la personne, baisse des droits de mutation, suppression du droit de bail.

Cet élan doit s'étendre à d'autres secteurs. Ainsi nous proposons de ramener l'ensemble de la restauration au taux réduit de 14,6 %.

M. Christian Cuvilliez - Ah non !

M. Gérard Charasse - Ce secteur est caractérisé par un rapport élevé entre le nombre de postes de travail et le chiffre d'affaires. Il est peu probable que la profession puisse faire face à une demande en hausse, née d'une baisse sensible des prix, sans procéder à des embauches importantes. La baisse de taux de TVA peut donc se traduire par un développement de l'emploi.

La restauration rapide a pu négocier des taux de TVA intermédiaires, sans qu'existent pour autant deux tarifications distinctes. C'est donc le consommateur qui, en emportant son plat, règle une partie de la taxe, imputable à celui qui consomme sur place. Il s'ensuit des prix affichés trop favorables aux établissements de restauration rapide. Pourtant, depuis quelques années, le coût des prestations de base, offertes par les établissements classiques, diminue et l'écart de prix entre les deux secteurs sur ce type de prestation est principalement imputable à la différence de taxation.

Il nous est donc apparu indispensable de revoir le taux de TVA applicable dans ces secteurs en l'unifiant. Je souhaite que cette proposition soit examinée avec la plus grande attention.

Nous déposerons également un amendement sur la redevance télévision qui est à la fois trop pesante pour les ménages, et mal recouvrée. Nous proposerons enfin, suite à vos récentes décisions relatives à la dette fiscale des ménages surendettés, d'encadrer plus strictement les taux d'intérêt des prêts à la consommation.

Les radicaux de gauche examineront avec attention vos propositions avant de voter cette loi de finances. Votre politique, soutenue par notre majorité plurielle, a permis de dégager de nouvelles marges de man_uvre et nous sommes à l'orée d'une période plus favorable. On le sait, ces périodes sont courtes.

A la gauche de les mettre à profit sans attendre, et d'engager dès maintenant une réforme fiscale de fond. Les radicaux de gauche apprécieront plus qu'un signe de votre part (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Le projet de loi de finances pour 2000 est celui des occasions manquées. Le Gouvernement a opté pour une politique terne, alors que la croissance permettait enfin à notre pays de bâtir un projet ambitieux.

Vous en avez si bien conscience que vous avez déjà annoncé, comme pour vous racheter, de grandes réformes pour 2001 : impôt sur le revenu, taxe d'habitation ; mais les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent...

Ce budget va, comme celui de 1999, à contre-courant de ce que font tous nos partenaires européens, à contre-courant du monde moderne. Le Gouvernement n'en finit pas de s'auto-féliciter, mais il n'y a malheureusement pas de quoi. En effet, malgré le retour de la croissance, la France accumule les contre-performances.

Avec un déficit public de 1,8 % du PIB, nous sommes à des années lumière de l'excédent américain, qui est de 1,8 %, de celui du Danemark, 1,9 %. Mais nous sommes aussi derrière l'Espagne dont le déficit n'est plus que de 1,4 %, beaucoup plus loin encore du Royaume-Uni et de ses 0,4 %.

Tous nos partenaires réduisent le poids des dépenses publiques. Or vous continuez de dépenser sans compter. Ce poids a diminué de 18 % du PIB en Irlande, de 12,5 % aux Pays-Bas, de 6 % au Royaume-Uni, de 4 % en Allemagne.

Vous affichez un taux de croissance des dépenses de l'Etat de 0,9%. Ce n'est pas un exploit, mais surtout ce taux est faux. En effet, il faut retirer la charge de la dette qui fluctue en fonction des taux d'intérêt et ajouter les prélèvements sur recettes. La progression des dépenses de l'Etat passe alors de 15 à 33 milliards, soit de 0,9 % à 1,9 %, ce qui n'est pas du tout pareil ! De plus, le Gouvernement s'est lancé dans le bricolage budgétaire en multipliant les fonds de gestion : un fonds pour la CMU, un fonds pour les victimes de l'amiante, un fonds de réserve des retraites, un fonds pour les 35 heures. Du coup, les comptes de l'Etat et de la Sécurité sociale sont de plus en plus illisibles. La multiplication des transferts croisés imposerait pourtant la présentation de comptes consolidés. Mais cela ne vous arrangerait pas. En effet, si on réintègre ces trois fonds dans les dépenses de l'Etat, ces dernières augmentent de 3,5 %.

Ce laxisme augure mal de la réduction de notre dette publique qui, avec plus de 5 000 milliards, dépasse les 60 % du PIB. En 1981, la France avait un des taux de dette publique les plus faibles de l'OCDE ; maintenant c'est l'inverse.

Grâce à la croissance, grâce aux recettes de privatisation, le Gouvernement aurait eu les moyens d'arrêter cette progression diabolique. Il est inadmissible que nous ne puissions pas envisager, comme les Etats-Unis s'y sont engagés pour 2015, de réduire à néant la dette publique qui pèsera sur les jeunes générations. Celles-ci, avec raison, auront des reproches à nous faire.

On ne peut guère espérer réduire la dette publique tant que l'Etat ne disposera pas d'une comptabilité patrimoniale. En 1991, j'avais fait adopter, malgré l'opposition du rapporteur général, un amendement demandant l'élaboration d'un rapport sur ce sujet. Or les gouvernements socialistes se sont assis sur l'engagement pris dans cet article 81. Je ne peux que me réjouir de la remise le 30 juin dernier du rapport de Jean-Jacques François, qui conclut que l'Etat devra faire face à une crise grave de son système financier d'ici trois à cinq ans. Les sinistres à venir sont évalués à plusieurs centaines de milliards, et on ne fait rien pour y faire face.

Il est anormal que l'Etat n'établisse aucun bilan comptable, ne fasse aucune prévision, aucun amortissement de ses investissements. Que dirait-on d'une entreprise ainsi gérée ?

Il est fort difficile, indique Jean-Jacques François, d'établir une cartographie des actifs de l'Etat. Seule vraie certitude, depuis 1986 l'Etat a vendu pour 400 milliards d'actions d'entreprises publiques et depuis 1997, le Gouvernement de Lionel Jospin a encaissé ainsi 90 milliards. Ces recettes exceptionnelles n'ont pas été utilisées pour le désendettement, ni pour assurer le financement des retraites dans les prochaines années. Quel dommage !

Vous êtes devenus des spécialistes du trompe-l'_il.

M. le Secrétaire d'Etat - Oh !

M. Gilbert Gantier - Depuis 1997, le Gouvernement annonce, chaque année, que les prélèvements baisseront l'année suivante ; et chaque fois ils augmentent ! De 1998 à 1999, le taux de prélèvements obligatoires est ainsi passé de 44,9 à 45,2 %, et M. Strauss-Kahn vient d'admettre qu'il va encore s'accroître.

Le ministre rend public, à grands coups de trompette, un grand plan de baisse d'impôt. Mais en 2000, les recettes de l'impôt sur le revenu augmenteront de 4,1 %, quatre fois plus vite que l'inflation, deux fois plus vite que le PIB. Vous ne pouvez donc pas prétendre que les impôts baissent ! Le produit de l'impôt sur les sociétés augmentera de 4,3 %, celui de la TVA de 3,1 %, malgré la baisse sur les travaux d'entretien, et celui de la TIPP de 3,2 %.

De 1997 à 2000, le produit des recettes fiscales a augmenté de plus de 130 milliards. Là encore, vous faites du bricolage. Mais vous êtes de mauvais bricoleurs.

M. le Secrétaire d'État - Oh !

M. Gilbert Gantier - Le Gouvernement annonce une baisse des impôts de 39 milliards, mais il augmente la TIPP sur le gazole, il réduit le crédit d'impôt sur les dépenses d'entretien, il élargit l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes, il institue une contribution supplémentaire sur les bénéfices...

La majorité de gauche de la commission des finances a poursuivi sur cette voie en proposant de diminuer l'avoir fiscal, de supprimer le crédit d'impôt emploi, de taxer davantage les stock-options et de ne pas actualiser l'ISF.

Le Gouvernement, comme pour les dépenses, masque ses véritables intentions. Ainsi, l'écotaxe étant affectée au financement des 35 heures, sort du budget de l'État et n'est pas prise en compte dans les prélèvements obligatoires. Je ne vois guère le rapport entre l'écotaxe et les 35 heures, mais, en tout état de cause, il faudra la payer !

Le Gouvernement trompe également l'opinion en éclatant les recettes issues des droits sur les tabacs entre le fonds pour les 35 heures, la Caisse nationale d'assurance maladie et le fonds pour l'indemnisation des victimes de l'amiante. Après la CSG, les droits sur les tabacs sont le deuxième impôt à être ainsi découpé en tranches. Cette pratique rendra encore plus illisible notre système de finances publiques, contrairement aux principes de gestion démocratique de l'argent public.

Certes, vous abaissez le taux de TVA sur les travaux d'entretien réalisés par des professionnels. Mais pourquoi privilégier tel ou tel secteur d'activité plutôt que tel autre, comme la restauration par exemple. Et comment évitera-t-on qu'un particulier négocie avec un artisan du matériel à 5,5 % afin de ne pas subir le taux de 20,6 % dans un magasin ? Ces mesures sectorielles sont une source de fraude regrettable.

N'aurait-il pas mieux valu diminuer le taux normal et réduire ainsi l'écart excessif qui existe avec le taux réduit ? C'était une de vos promesses en 1997. Or selon le rapport économique et financier, les recettes de l'Etat augmenteront de plus de 85 milliards de francs en 2000, ce qui aurait permis largement de financer une baisse de deux points de la TVA.

Mais vous vous êtes surpassé avec l'impôt sur le revenu : en abaissant, l'année dernière, le plafond du quotient familial, vous avez alourdi cet impôt pour plus de 280 000 familles. Certes, vous promettez pour l'année prochaine une réforme de cet impôt et de la taxe d'habitation, mais nous avons appris à nous méfier de vos promesses !

Ainsi, la commission des finances a relancé l'idée de créer un troisième impôt sur le revenu, après l'IRPP et la CSG. Cette provision rappelle le projet avorté de taxe départementale sur le revenu, lancé par le groupe socialiste puis abandonné du fait des transferts de charges qu'il occasionnait.

Alors que nous allons changer de siècle et même de millénaire, la majorité plurielle veut nous faire entrer dans l'avenir à reculons. On cherche en vain dans ce budget les réformes de structures, des mesures en faveur de l'innovation, de l'investissement, ou des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Le retard de la France en matière de création d'entreprise provient de la combinaison diabolique «impôts sur le revenu, droits de succession, ISF» qui empêche une petite entreprise de devenir grande, sans passer dans le giron d'une multinationale. Ce n'est pas le fruit du hasard si la France n'a pas des entreprises comparables à Microsoft, Amazon ou Yahoo, qui, en quelques années, sont passées du stade de PME à celui de multinationales.

Le projet de loi de finances pour 2000, en perpétuant des méthodes qui ont échoué dans le passé, ne prépare aucunement l'avenir. C'est pourquoi, sans état d'âme, le groupe DL votera contre.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 20 octobre, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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