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Session ordinaire de 1999-2000 - 13ème jour de séance, 31ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 26 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

          DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR
          LA PRÉPARATION DE LA CONFÉRENCE
          MINISTERIELLE DE L'OMC À SEATTLE 2

          FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 33

          ANNEXE ORDRE DU JOUR 33

La séance est ouverte à neuf heures.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
SUR LA PRÉPARATION DE LA CONFÉRENCE MINISTERIELLE DE L'OMC À SEATTLE

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la préparation de la Conférence ministérielle de l'OMC à Seattle.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Après le débat qui a eu lieu en juin, le Gouvernement vous présente aujourd'hui ses orientations, relatives aux négociations qui vont s'ouvrir prochainement dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce. L'occasion est opportune, puisque ce nouveau débat a lieu alors que l'Europe a défini une position commune et que commencent à Genève les discussions sur le projet de déclaration ministérielle qui sera adoptée à Seattle.

Je constate que les caractéristiques fondamentales de l'OMC sont souvent méconnues. L'organisation ne doit être ni diabolique, ni idéalisée. En effet, ce n'est pas une instance supranationale qui imposerait mécaniquement ses lois aux peuples : elle n'édicte pas de règles, mais fournit le cadre dans lequel les Etats en décident. C'est donc une organisation internationale démocratique, au sein de laquelle chaque gouvernement peut faire entendre sa voix et dispose en quelque sorte d'un droit de veto, puisque toutes les décisions sont prises par consensus. Ainsi, l'OMC ne consacre pas la domination des forts sur les faibles mais bien plutôt la notion de contrat social international entre partenaires libres et égaux.

D'autre part, l'OMC ne définit pas un carcan de règles irréversibles dans lequel les Etats seraient enfermés quoi qu'ils en aient : un Etat membre peut toujours se soustraire à l'application d'un engagement souscrit s'il propose une compensation. Le dispositif permet aussi qu'un Etat bénéficie de sauvegardes ou de dérogations s'il se trouve dans une situation grave.

Certains voient en l'OMC une organisation irréversiblement marquée par l'idéologie du libre-échange. A mon sens, la réalité est plus complexe. En premier lieu, d'autres sujets que les tarifs douaniers sont traités au sein de l'OMC. Plus fondamentalement, l'OMC ne repose pas tant sur l'ouverture commerciale que sur l'égalité de traitement, qui impose que les dispositions commerciales qu'un Etat décide de faire prévaloir vis-à-vis d'un autre Etat s'applique à tous les membres de l'OMC.

On dit parfois que coexistent, au sein de l'OMC, un volet "ouverture commerciale" et un volet "régulation" qui porte notamment sur la concurrence, l'investissement, les normes sociales et l'environnement. Il me semble que l'ouverture commerciale et la baisse des tarifs douaniers, telles qu'elles sont dosées en fonction des capacités de chaque Etat, et contrôlées par l'OMC, relèvent déjà de la régulation, cette régulation dont l'économie a besoin, comme le Premier ministre l'a affirmé avec force à Strasbourg.

Enfin, le véritable tribunal que constitue l'organe de règlement des conflits est l'un des grands acquis du cycle d'Uruguay. Que l'on se rappelle les guerres commerciales des années 1970 sur le soja, l'acier ou l'aéronautique : la loi du plus fort l'emportait à coup sûr ! Depuis la création de l'ORD, l'Union européenne a connu plus de victoires que de défaites, et les sanctions subies pour la banane ou les hormones ne sont pas définitives. De plus, les perspectives lui sont très favorables dans les litiges qui l'opposent aux Etats-Unis sur l'acier ou au Canada sur l'automobile.

Le fonctionnement de l'ORD doit toutefois être amélioré, d'abord pour améliorer l'accès au droit car, disons-le franchement, les pays pauvres n'ont pas toujours les moyens d'argumenter. Le dispositif doit aussi gagner en transparence, particulièrement lorsque les sujets traités ont une dimension extra-économique -l'environnement par exemple. La confidentialité doit certes être respectée dans une certaine mesure, mais la société civile doit pouvoir faire entendre sa voix. Le système des sanctions, enfin, doit être réformé, afin que des secteurs, des entreprises et, en dernier ressort, des hommes et des femmes qui n'étaient pas parties à un litige ne souffrent des décisions prises par l'ORD. Le bon sens, le sens de la justice et la crédibilité politique et morale de l'OMC l'exigent.

Mais, au-delà des améliorations qui devront, d'un commun accord, être apportées à l'ORD, tous les problèmes ne peuvent être résolus par des juges. La France et l'Union européenne considèrent que les Etats doivent réexaminer ensemble, périodiquement, le cadre normatif sur lequel s'appuie la jurisprudence. Il y va de l'efficacité et de la légitimité de l'institution, car la création de nouvelles règles ou la modification de règles existantes ne peuvent relever que de la volonté des Etats souverains. Ce sera l'un des enjeux de la négociation à venir.

Ces principes rappelés, quel est le bilan de l'OMC ? L'exercice est extrêmement difficile à conduire, car la vie économique internationale dépend de facteurs monétaires, financiers et politiques qui dépassent largement la faculté de régulation de l'organisation. Il me semble en particulier injuste d'attribuer aux accords de Marrakech une responsabilité dans la crise qu'a connue l'Asie en 1997 et 1998, d'autant que les nations frappées par cette crise ne s'étaient pas engagées dans la libéralisation commerciale de façon accélérée, mais obtenu des baisses de tarifs douaniers limitées, assorties de périodes de transition importantes.

Le bilan de l'OMC me semble plutôt positif et il l'est en tout cas pour la France. Grâce aux efforts de nos concitoyens, notre pays a en effet renoué avec une suite spectaculaire d'excédents commerciaux depuis 1993. Aujourd'hui, près de la moitié de notre production industrielle est exportée. Dans le domaine agro-alimentaire, notre balance commerciale est excédentaire depuis maintenant trente ans, avec une progression régulière de 4,5 % par an depuis 1986.

L'économie française, qui a prouvé sa compétitivité, n'a pas à craindre de nouvelles négociations commerciales, d'autant que les perspectives de croissance de l'économie mondiale sont très favorables.

L'enjeu des nouvelles discussions n'est pas le partage de la rareté, mais l'accompagnement et le renforcement de la croissance par des mesures d'ouverture contrôlées.

Je n'ignore pas que certains pays en développement ont le sentiment de ne pas avoir tiré les bénéfices escomptés de l'accord de Marrakech. Mais, n'oublions pas, tout d'abord, que certains des accords signés à Marrakech ne sont toujours pas entrés en vigueur, et que les pays en développement ont bénéficié de périodes de transition qui vont jusqu'à 2000 ou 2005.

Ils considèrent néanmoins que de nombreuses dispositions des accords n'ont pas été respectées, et mettent en avant l'accès au marché pour l'agriculture et le textile, le recours à l'antidumping par les pays industrialisés. Ils considèrent en outre que les pays industrialisés n'ont pas tenu leurs engagements en matière de coopération et de transfert de technologie.

Certains de ces reproches sont fondés mais la polémique ne fera pas évoluer le débat : c'est au sein de l'OMC que les pays en développement doivent présenter leurs propositions pour améliorer la mise en _uvre des accords : c'est un autre enjeu de la prochaine négociation.

J'observe, pour conclure sur cette question difficile, qu'aujourd'hui, une trentaine de pays, aussi différents que le Vietnam ou l'Algérie ont engagé des négociations d'accession à l'OMC. C'est un signe qui plaide en faveur de cette organisation.

Parce que l'existence de l'OMC constitue un atout pour notre pays, nous devons envisager les négociations avec beaucoup de résolution. Non seulement elles servent nos intérêts économiques, mais les objectifs que nous poursuivons nous semblent partagés par la très grande majorité des Français, comme le montrent la résolution adoptée par votre assemblée et la déclaration commune des cinq grandes centrales syndicales.

Le Gouvernement a abordé la préparation de Seattle dans la transparence, non pas en informant la société civile de positions déjà arrêtées, mais en consultant les organisations professionnelles et les associations pour élaborer ses positions. Le rapport de Mme Marre mentionne ces différentes consultations qui se sont tenues en association avec les parlementaires. Cette démarche est tout à fait inverse de celle de l'AMI.

Notre résolution est confortée par l'unité de vues de l'Union européenne. Aujourd'hui à Bruxelles, seront adoptées formellement les conclusions du Conseil qui serviront de cadre à la Commission pour préparer Seattle. Les difficultés ont été rapidement aplanies et l'Europe n'est jamais apparue aussi soudée à l'approche de négociations commerciales.

Cet accord européen et ce consensus au sein de l'opinion française reposent sur une double conviction, à savoir que le développement des échanges est un gage de croissance, mais aussi que l'économie n'est pas une fin, mais un moyen au service de valeurs supérieures.

L'Union européenne estime ainsi que les biens et services culturels ne sont pas des produits comme les autres et à Marrakech, elle a utilisé les deux possibilités inscrites dans l'accord sur les services : celle de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle, celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée pour développer ses instruments de soutien au secteur culturel et audiovisuel. Les conclusions du Conseil adoptées aujourd'hui réaffirment cette orientation.

On dit parfois que la France est le dernier bastion de la spécificité culturelle. Mais sur 134 membres de l'OMC, seuls 19 ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel. Une écrasante majorité de pays -et je l'ai constaté en m'entretenant avec mes homologues africains réunis à Abidjan- partage notre souci de souveraineté culturelle.

Au niveau international, l'exception culturelle est la règle et la libéralisation est l'exception. cela est vrai aussi d'autres secteurs des services. Certains craignent que nos services publics soient mis en péril par les nouvelles négociations, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la santé. Or, selon l'accord sur les services, on ne libéralise que ce que l'on veut libéraliser et moyennant réciprocité.

Il n'est pas question pour la France d'engager des négociations sur l'éducation ou la santé, et en conséquence, nos services publics ne sont en rien menacés par l'OMC.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - J'aborde maintenant les enjeux du prochain cycle de négociation.

A Marrakech, tous les membres de l'OMC se sont entendus pour reprendre, à partir de l'an 2000, les négociations dans certains domaines, en particulier les services et l'agriculture. En se rapprochant de l'échéance, plusieurs membres de l'OMC, dont l'Union européenne, le Japon, les États-Unis, le Canada et certains pays en développement, ont proposé de compléter ce programme : pourquoi ne pas aussi négocier sur l'industrie ? Et pourquoi ne pas mettre à profit cette opportunité pour développer de nouvelles règles commerciales ?

C'est pourquoi la France et l'Europe se sont engagées dans la voie d'un cycle large assorti d'un accord unique. Comme l'a dit le Premier ministre, «rien ne sera acquis quand tout ne sera pas acquis». Ce principe doit permettre de trouver le bon équilibre entre les priorités de chacun des participants, ce qu'un cycle trop court ne permettrait pas.

Le rapport de la Délégation à l'Union européenne vous a présenté les différents thèmes de négociation.

Dans le domaine de l'agriculture, l'Union, souvent accusée de protectionnisme, est en fait importatrice nette : ses exportations ne couvrent que 85 % de ses importations. Elle absorbe 20 % des exportations mondiales de produits agro-alimentaires, soit autant que les États-Unis.

L'Union européenne aborde les prochaines négociations avec trois objectifs majeurs.

Premier objectif, la réduction des protections tarifaires devra être compatible avec la réforme de la PAC, socle permanent de la position européenne. Dans le même temps, l'Union devra rechercher une amélioration de l'accès aux marchés des pays tiers et discuter de certaines pratiques de nos partenaires, comme les monopoles d'importation ou les contingents d'importation.

Le deuxième objectif touche aux soutiens à l'exportation. Certes, l'Europe devra faire face à la pression conjuguée des États-Unis et des pays du groupe de Cairns. Mais elle devra aussi prendre une attitude offensive contre des pratiques comme les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire ou les monopoles d'exportation, qui ont les mêmes effets que les restitutions européennes.

L'Europe devra aussi veiller à ce que progresse la protection des appellations d'origine.

Troisième enjeu, les soutiens internes donneront lieu à des négociations, où le partenaire américain, qui a accru massivement les aides à ses agriculteurs, devra, lui aussi, justifier ses propres soutiens.

Mais au-delà de cette approche classique de l'agriculture, l'Union souhaite élargir le champ de la négociation en prenant en compte les véritables enjeux de l'agriculture : l'environnement, l'aménagement du territoire, la qualité de l'alimentation et la santé.

La multifonctionnalité de l'agriculture, maintenant reconnue par tous nos partenaires européens, doit être prise en compte par tous les pays dans leur propre intérêt, sinon les agriculteurs du monde entier s'épuiseront dans une guerre des prix qui ne favorisera que quelques multinationales de l'agro-industrie.

Dans le domaine des services, nous devons adopter une attitude ambitieuse, la France étant le troisième exportateur mondial de services.

L'accord sur les services devra être complété par des dispositions sur les marchés publics, les subventions et les sauvegardes.

Les télécommunications et les services financiers, qui ont fait l'objet d'accords en 1997, figurent au premier rang des intérêts offensifs de l'Union européenne. La distribution est pour la France un secteur d'intérêt prioritaire, en raison d'une implantation à l'étranger déjà très diversifiée, ainsi que la construction, le tourisme et les services environnementaux.

Il est également de notre intérêt de voir figurer dans le prochain cycle les tarifs douaniers industriels. Le tarif extérieur de l'Union européenne est faible -3 % en moyenne- et donc comparable aux moyennes du Japon -1,7 %- et des États-Unis -1,5 %-. Dès à présent, 40 % des produits sont en franchise de droits.

Dans le secteur sensible des textiles et de l'habillement, les droits européens sont inférieurs à ceux de ses principaux partenaires. Les Etats-Unis maintiennent ainsi 650 lignes tarifaires supérieures à 15 %.

Dans les pays en développement, la moyenne des tarifs douaniers est de quatre à cinq fois supérieure à celle de l'Union. Les droits sur des secteurs-clés tels que l'automobile peuvent atteindre 50 %, et de nombreux secteurs, tels que les équipements mécaniques, la chimie, la pharmacie ou l'acier ont des taux de 15 à 20 %.

La France, avec l'Union européenne, a donc un intérêt réel à reprendre la négociation sur les tarifs industriels. Les Etats-Unis, le Canada, le Japon, et plus généralement les membres de l'APEC souhaitent réduire ou supprimer les droits de douane dans huit secteurs prioritaires. L'Union européenne se prononce pour une négociation dans tous les secteurs, ce qui permettrait à chacun des partenaires d'obtenir des ouvertures en fonction de ses intérêts propres.

Nous souhaitons également que soient abordés des thèmes nouveaux, pour renforcer la régulation de l'économie internationale et mettre la mondialisation au service du développement durable.

En ce qui concerne l'investissement, l'accord sur les "mesures d'investissement liées au commerce" reste d'une portée trop limitée. La France et l'Union européenne sont favorables à l'élaboration de règles qui sécuriseraient les investissements directs, tout en permettant à chaque Etat de garder la maîtrise de ce qu'il entend négocier.

S'agissant des règles de concurrence, il convient de mettre en place un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales qui, à l'heure actuelle, fait défaut.

Dans le domaine des marchés publics, la France et l'Union soutiennent l'objectif d'un accord sur la transparence et l'ouverture, qui doit permettre de lutter contre les pratiques de corruption.

Il n'existe pas aujourd'hui de règles pour régir les possibles conflits entre objectifs de développement du commerce international et protection de l'environnement.

Il faut donc que le prochain cycle permette des avancées sur l'articulation entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement, sur l'éco-étiquetage des produits, sur la coopération avec les institutions internationales qui traitent d'environnement, notamment la Banque mondiale, la CNUCED et les secrétariats des AME.

Le principe de précaution, qui est au coeur des préoccupations de nos opinions publiques, est intégré dans le droit français et le droit communautaire. Il figure, de manière implicite, dans les accords de l'OMC, en particulier l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires.

Mais le contentieux sur les hormones a montré que sa mise en _uvre pouvait être difficile, en l'absence d'évaluation scientifique du risque. L'appel au jugement des scientifiques et le renvoi par l'OMC à des normes édictées dans des enceintes spécialisées n'épuisent pas le débat. Ils offrent en revanche des garanties contre des mesures arbitraires.

L'Union européenne propose donc de renforcer la manière dont l'OMC intègre le principe de précaution.

L'essor du commerce international met en cause les divergences entre les organisations sociales des différents pays, notamment en matière de réglementation du travail. Ainsi, les pays qui interdisent sur leur territoire certaines pratiques, comme le travail des enfants, ne veulent pas accepter l'entrée sur leur territoire de biens produits ailleurs en ayant recours à ces pratiques ; mais ils ne peuvent imposer leurs propres réglementations à d'autres Etats. Il faut donc clarifier les liens entre normes sociales et commerce international.

L'Organisation internationale du travail est chargée de l'élaboration des principes fondamentaux devant régir l'activité de l'homme au travail. Si l'OMC n'a pas vocation à s'y substituer, elle pourrait en revanche traiter de l'articulation de ces normes avec les règles du commerce international. C'est pourquoi l'Union européenne et les Etats-Unis ont proposé, en 1996, la création à l'OMC d'un groupe de travail spécialisé sur ce thème. Mais cette proposition s'est heurtée à l'opposition de nombreux pays, notamment du monde en développement : ceux-ci redoutent l'institution de nouvelles barrières protectionnistes, car ils considèrent que le progrès de leurs normes sociales ne peut résulter que du développement économique, alors que le développement social peut paraître, au contraire, comme une des conditions fondamentales du progrès économique.

L'Union européenne, notamment à l'initiative de la France et de l'Allemagne, propose donc une enceinte permanente de travail associant l'OMC et l'OIT, sur le lien entre développement social et commerce.

La préparation de la déclaration ministérielle a commencé à Genève. Si les positions initiales restent assez divergentes, l'Union européenne n'est pas pour autant isolée : d'autres pays européens, les pays de l'Est, le Canada, ont des positions similaires. Le Japon n'en est pas très éloigné.

A ce stade, les Etats-Unis abordent la réunion de Seattle plus en simple participant, avec des intérêts propres, qu'en pays hôte, ayant pour devoir de faciliter le compromis. Comme l'a souligné le Premier ministre «le souhait des Etats-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux quelques sujets qui ont leur préférence est irréaliste».

Certes, il ne faut pas sous-estimer les difficultés internes de l'administration américaine. Cependant, des déclarations hostiles à l'encontre de la politique agricole européenne, la volonté de réduire les «nouveaux sujets» à de simples conversations séparées ne correspondent ni aux responsabilités d'un pays d'accueil, ni aux enjeux d'une meilleure organisation économique internationale, ni aux interrogations légitimes des opinions publiques.

L'Europe et ses alliés ont quelques semaines pour convaincre leurs partenaires de l'intérêt commun à se rallier à un cycle global. Les Etats-Unis peuvent encore se rapprocher de nos thèses. Les pays en développement et les pays les moins avancés n'ont pas forcément intérêt à différer les avantages qu'ils pourraient tirer d'un nouveau cycle de négociations.

Le Gouvernement tiendra informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève que, plus que jamais, l'Europe devra mener avec fermeté.

Notre ambition, comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le 11 octobre dernier, est de construire une OMC plus légitime, plus régulatrice, plus généreuse et au service de la croissance.

Le développement économique et social, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, le renforcement du droit sont des valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation.

Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif nouveau, pour défendre et propager ces valeurs, au service d'un monde plus prospère et plus juste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Laurent Dominati - Au delà de l'OMC, ce débat concerne la gouvernance mondiale. Je regrette donc que malgré un travail préparatoire important, la volonté proclamée d'y associer totalement le Parlement, ce débat soit tronqué et ne débute pas sur un vote. Cela permettrait pourtant au Gouvernement de s'appuyer sur un mandat clair pour négocier. On prétexte les difficultés internes du Gouvernement et de la majorité plurielle. Mais vous êtes capables de les surmonter. Sinon, mieux vaut encore le dire franchement que de laisser se dérouler un débat qui manque de clarté. Je souhaite que le Gouvernement s'explique. Pourquoi ne veut-il pas le soutien de l'Assemblée ? Les Etats-Unis ont celui du Congrès.

Venons-en à l'OMC. La mondialisation est souvent perçue d'abord comme une menace, par un réflexe autarcique. Tout ce qui est étranger, lointain, qui relèverait de mécanismes anonymes broyant les hommes, suscite en premier lieu la réticence. Mais la France est un pays de raison. Nous avons convaincu notre peuple des avantages de la mondialisation et les Français y sont largement favorables.

Pourtant on pratique toujours le double langage au sujet du libre-échangisme mondial. Ainsi le rapport de notre collègue est en faveur de la mondialisation et de l'OMC. Mais il reprend la liste des idées reçues à l'encontre de la libéralisation, qui serait contraire à l'intérêt de l'homme et de la civilisation. Nous qui sommes convaincus de l'intérêt d'ouvrir les marchés devons au contraire expliquer pourquoi elle est au service de l'homme et de tous les pays. Et il est de la responsabilité du Gouvernement d'éclairer l'opinion sur ce point et de détruire les mythes, d'autant que certains groupes sont entrés en lutte contre la libéralisation. A l'Assemblée même, -d'où peut-être les difficultés de ce débat- des députés font partie du groupe ATTAC, sous prétexte d'instaurer la taxe Tobin, qui est un amusement économique,...

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Un très bon groupe !

M. Laurent Dominati - ...a en réalité pour ambition de lutter contre l'ouverture des marchés. Le Gouvernement aurait intérêt à ne pas laisser se développer d'ambiguïtés. Je vais donc essayer, pour ma part, de passer à la "contr'ATTAC" car je crois ces idées fausses et dangereuses.

On prétend d'abord que le libre-échange se fait au profit des pays riches. Si tel était le cas, pourquoi les pays pauvres voudraient-ils entrer à l'OMC ? C'est bien pour accéder aux marchés des pays riches et se développer. La libéralisation des échanges n'est pas au profit des riches.

Mme Béatrice Marre - Un peu tout de même !

M. Laurent Dominati - Dans votre rapport, vous dites tantôt ceci, tantôt cela, sans doute par souci d'équilibre pour ne fâcher personne. Pour ma part, je n'ai pas peur de fâcher qui que ce soit et je crois qu'il faut défendre haut et fort ses idées.

Ainsi, on accuse sans cesse les Etats-Unis. Il est vrai qu'ils se sont beaucoup développés, mais ils pèsent moins aujourd'hui qu'après la guerre. C'est que 50 ans de développement des échanges ont profité à tous les pays qui ont choisi l'ouverture des marchés plutôt que le protectionnisme.

De même, certains pays d'Asie décollent, d'autres s'enfoncent. Il y a certes une question politique. Les régimes totalitaires -hier fascistes et nazis, puis les communistes- ont toujours choisi l'autarcie ; les libéraux choisissent l'ouverture car le développement économique va de pair avec la liberté politique.

La réalité, c'est que l'ouverture des marchés profite à tous les pays.

M. François Loncle - Dans ce cas, pourquoi est-ce que les écarts se creusent ?

M. Laurent Dominati - Parce que certains pays sont exclus des marchés, pour des raisons qui tiennent avant tout aux conditions sociales. J'y reviendrai à propos du travail des enfants. On en rend responsable la libéralisation des échanges. C'est l'inverse. Où elle a lieu, le travail des enfants disparaît (Protestations sur les bancs du groupe communiste) alors qu'il existe dans les secteurs traditionnels comme l'agriculture des pays peu développés. Quand, dans ces pays, un secteur s'ouvre à la concurrence, les entreprises se développent, augmentent les salaires, adaptent des normes sociales et d'environnement supérieures.

M. Bernard Outin - Ce n'est pas la réalité !

M. Laurent Dominati - C'est la réalité que le PC n'a jamais voulu voir, celle qui a conduit à l'écroulement du communisme ! On a fermé les marchés, les normes sociales et pour l'environnement étaient basses, les populations se sont révoltées. Les chiffres le prouvent, les pays en retard qui ont choisi l'ouverture se développent deux fois plus vite que ceux qui ont choisi le protectionnisme. Cela, Messieurs les ministres, il faut le dire et le répéter, jusqu'à en convaincre l'opinion : si on ne le faisait, on mettrait à mal tout ce processus et ce serait, cette fois, au détriment des plus pauvres.

La libéralisation des échanges, dit-on aussi, favoriserait les États-Unis plutôt que les autres pays industrialisés, les pays européens notamment. Si tel était le cas, j'espère bien que le gouvernement français et ceux de nos partenaires mettraient un terme aux négociations. Or on voit bien que tel n'est pas le cas et qu'au contraire l'OMC -dont la création résulte d'ailleurs d'une demande de la France- travaille en faveur de nos intérêts. C'est qu'en effet l'impérialisme, la loi de la jungle, le règne du plus fort supposent l'absence de règles alors que l'OMC a précisément pour tâche d'édicter des règles pour les échanges internationaux. Contrairement à ce que disent certains, il ne peut y avoir de libéralisation sans règles ! La liberté des échanges suppose la confiance, donc la paix et le droit. Elle oblige par conséquent à élaborer, à garantir des règles et, en ce sens, elle est une lutte contre l'impérialisme de la canonnière et c'est pourquoi il faut poursuivre ces négociations.

J'ajoute que les sanctions prononcées par l'OMC n'ont pas visé les Européens surtout, mais bien plutôt les États-Unis : n'est-ce pas la preuve concrète que ce forum international travaille à l'avantage du droit ? (Exclamations sur les bancs du groupe communiste) Mais je vois qu'il est difficile d'aller contre la propagande !

Ceux qui disent que la libéralisation se fait au profit des plus riches n'ont qu'une vision statique de l'économie mondiale. L'économie ne consiste pas à partager au mieux des richesses, mais à en produire sans cesse de nouvelles. Et c'est ce que permet la libéralisation des échanges !

Deuxième critique : la libéralisation des échanges menacerait la souveraineté nationale. Mais n'est-ce pas ce qu'on peut dire dès qu'il y a importation ou exportation, dans la mesure où l'on devient alors tributaire des marchés extérieurs ? Les régimes totalitaires l'ont d'ailleurs compris et c'est ce qui les a conduits à essayer d'élargir leur «espace vital» (Exclamations sur les bancs du groupe communiste), comme certains le savent fort bien !

M. Jean-Claude Lefort - Attention !

M. Laurent Dominati - Relisez les thèses économiques des hitlériens et des mussoliniens : elles étaient toutes orientées vers la recherche de l'autarcie. Mais je ne comprends pas que vous vous sentiez vexés ! En revanche, il me semble essentiel de tirer les leçons de l'histoire pour établir quelques principes politiques.

Il faut considérer moins la souveraineté même des Etats que l'exercice de cette souveraineté. Va-t-on refuser la libre conclusion du traité entre Etats, la libre détermination de règles internationales, en quoi consiste l'exercice de la souveraineté ? Cependant, on ne peut nier une certaine ingérence : la libération des échanges comporte avec elle la fixation de normes, non seulement dans les domaines social, environnemental ou sanitaire que vous avez cités, Monsieur le secrétaire d'Etat, mais aussi dans le domaine politique. Au reste, peut-on appeler de ses v_ux des normes sociales sans souhaiter aussi un progrès politique, un progrès pour l'homme tout entier ? La Charte de l'OMC ne fait-elle pas référence aux valeurs de la démocratie pluraliste ? La promesse du libre échange est une arme politique contre les régimes dictatoriaux, comme l'a rappelé hier un dissident chinois ! Le Gouvernement serait donc bien avisé d'intervenir auprès de nos partenaires de l'Union européenne pour qu'à l'exigence de normes sociales et environnementales, on ajoute une exigence de garanties politiques. Le système de l'OMC a d'ailleurs commencé de faire la preuve de son efficacité en ce domaine, en obligeant par exemple des firmes américaines à respecter le droit social mexicain.

Mais, tout ce que j'ai dit jusqu'ici ne servirait à rien si nous ne convainquions l'opinion que ce processus est dans l'intérêt de la France : qui, hormis certains philosophes et, je l'espère, certains hommes politiques, agirait contre l'intérêt de son pays uniquement pour servir l'ensemble de l'humanité ? Il faut donc expliquer que le libre échange est, non seulement conforme à nos traditions, mais bénéfique pour nous. Vous l'avez fait en partie en rappelant que les négociations actuelles s'engagent mieux pour la France que les précédentes, fortement compromises par les discussions entre Européens. Mais il faudrait aussi montrer que l'emploi n'est pas menacé par cette libéralisation qui, bien loin d'entraîner la fermeture d'usines, tire tous les pays vers le haut.

Je note, d'autre part, que le Gouvernement a quelque peu modifié sa position, en substituant à la défense de l'exception culturelle celle de la diversité culturelle. En cela, il a eu raison : nous sommes certes tous convaincus que la culture n'est pas une marchandise comme les autres mais on pourrait en dire autant de la santé. Surtout, l'idée d'exception culturelle revient à dire que la culture ne doit pas être régie par des normes internationales protectrices, comme le sont les autres marchandises, et la modification sémantique à laquelle vous avez procédé devrait donc nous placer en position plus forte pour négocier sur les questions de propriété intellectuelle et de nouvelles technologies. La défense de la diversité culturelle permettra en effet d'élaborer des règles internationales, tandis que l'exception culturelle pourrait très bien coexister avec le maintien de la loi de la jungle -elle n'a jamais été de nature à endiguer, par exemple, le déferlement de Star Wars.

En conclusion, j'appelle donc le Gouvernement à défendre haut et fort le principe du libre échange et à tout faire pour convaincre l'opinion de son bien-fondé : faites fi des perturbations du groupe ATTAC et passez à la contre-attaque !

M. Michel Meylan - Très bien !

Mme Béatrice Marre - Les dernières semaines ont permis de mesurer les enjeux de la conférence de Seattle. Je me réjouis de ce second débat en séance publique même si nous aurions souhaité qu'il ait lieu plus tôt.

La déclaration du secrétaire d'État a montré que la position défendue par le gouvernement français auprès des Quinze au moment de la définition du mandat de négociation du commissaire Pascal Lamy, était conforme à la résolution votée le 6 octobre dernier par notre commission de la production à la suite du rapport que la délégation pour l'Union européenne avait bien voulu me confier.

La France aura été le seul des quinze pays de l'Union à prendre position de sa propre initiative au sein du Parlement -le Danemark y étant tenu par sa Constitution- sur une question majeure pour l'avenir du monde.

Ce débat nous permet également de préciser encore les attentes de l'Assemblée nationale sur un sujet dont les termes évoluent chaque jour.

Le débat de fond a pour objet de déterminer le rôle exact et la place de l'OMC dans les relations économiques internationales.

Le débat plus immédiat a trait à la capacité de tel ou tel des partenaires en présence, en particulier des Etats-Unis d'Amérique, à imposer sa vision propre de cette organisation : c'est l'objet de la conférence de Seattle.

Quelle OMC, pour quelle mondialisation, c'est-à-dire pour quel modèle de civilisation sur notre planète ?

L'OMC n'est pas la mondialisation, et la mondialisation n'est pas, de façon inéluctable, la planète "Mc Donald's". Les opinions publiques se rebellent, à juste titre, contre l'uniformisation des modes de vie selon le modèle unique de la plus grande puissance économique mondiale que sont les Etats-Unis. L'assimilation entre "mondialisation" et "américanisation" fonde la dénonciation véhémente de l'OMC comme principal facteur de l'une et de l'autre.

Or, les effets de la mondialisation peuvent être positifs ou négatifs selon l'usage qui en est fait.

Le développement des échanges est loin de n'avoir que des effets négatifs. L'accroissement de la circulation des biens, des personnes et des idées n'est pas un mal en soi, et la France fut, du reste, l'un des premiers pays à bénéficier du développement du commerce international, même si certains secteurs, certaines régions ou certaines catégories socio-professionnelles en ont souffert et en souffrent encore.

Ce qui, en revanche, n'est pas acceptable, c'est l'échange inégal, qui affecte d'abord les pays dits "en voie de développement" mais aussi de nombreux citoyens des pays développés. Cet échange inégal est né des conditions mêmes dans lesquelles se sont forgées, depuis cinquante ans, les règles du commerce international, à savoir la domination d'un pays sur tous les autres.

L'OMC n'échappe pas à cette analyse. Créée en 1994, à la demande notamment de l'Union européenne, par les accords de Marrakech concluant le "cycle d'Uruguay", pour remplacer le secrétariat du GATT, cette organisation a de nombreux défauts mais une qualité : elle possède une instance de nature juridictionnelle, l'ORD -organe de règlement des différends- reconnu par les 134 Etats membres de l'OMC, à la fois dans sa capacité de jugement et dans sa légitimité à les faire appliquer.

Il convient, dès lors de définir la nature et l'origine des règles de droit que l'ORD doit appliquer dans ses jugements. Bien entendu, il faut espérer qu'un tel organe juridictionnel soit indépendant de tout autre organisme, hormis l'ONU, mais nous serons alors dans une phase de "gouvernance mondiale" dont l'horizon me semble encore pour moins éloigné.

En attendant, sous réserve d'améliorations relatives à la transparence, à l'équité, et aux conditions d'accès à l'ORD, notamment pour les ONG, établissons clairement ses compétences. Il doit fonder ses décisions sur les règles édictées par les organismes internationaux compétents : l'OMS s'agissant de la santé ; la FAO pour ce qui est de l'alimentation -c'est déjà largement le cas puisque l'accord de l'OMC sur la sécurité sanitaire et phytosanitaire reprend le corpus de règles édicté par la FAO, le "codex alimentarius"- ; l'OIT pour les normes sociales...

Bref, l'OMC, par le biais de l'ORD peut et doit être l'outil d'application de règles internationales élaborées dans d'autres enceintes. Elle doit aussi devenir plus universelle. Il est urgent de permettre à la Chine, à la Russie et à tous les autres Etats "observateurs" d'y entrer.

Pour que la mondialisation soit réorientée, notamment grâce à l'outil privilégié qu'est pour elle l'OMC, vers la construction d'un monde multipolaire fondé sur le droit et la démocratie, il faut que l'Union européenne prenne toute sa dimension de puissance économique, et soit déterminée à conduire des négociations équilibrées dans lesquelles tous les Etats membres de l'OMC participent à égalité de droits et de résultats.

J'en viens aux enjeux immédiats de la conférence de Seattle.

Les cycles précédents, en particulier celui d'Uruguay, s'étaient caractérisés par un dialogue, sinon un affrontement exclusif entre les Etats-Unis et l'Europe, tournant régulièrement à l'avantage des premiers.

Mais la situation n'est plus la même qu'en 1986 : le mur de Berlin s'est effondré, l'Union européenne s'est renforcée, les autres pays émergents ou, au contraire moins avancés, veulent, à juste titre, se faire entendre. Enfin, les opinions publiques, y compris aux Etats-Unis ne sont plus disposées à rester muettes face à un processus déterminant pour leur avenir.

Dans cette situation, l'Union européenne a un rôle éminent à jouer grâce à sa puissance économique, mais aussi à son rayonnement qui en fait un pôle de stabilité dont le modèle de développement suscite un intérêt croissant dans le monde.

Nous devons convaincre tous nos partenaires que notre position de négociation officialisée dans le mandat de négociations qui est donné à Pascal Lamy traduit la promotion de ce modèle.

Nous voulons un cycle de négociations court, soit trois ans, mais qui recouvre tous les sujets ayant un lien avec le commerce international, d'une part, pour éviter le duel entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur l'agriculture, d'autre part, pour garantir à tous les pays la possibilité d'obtenir les avancées qu'ils souhaitent.

Nous voulons aussi un accord global, pour éviter que des accords partiels ou "récoltes précoces", comme disent le Américains, obtenus à l'arraché, ne mettent en péril l'équilibre global de la négociation.

Nous voulons préciser le rôle et la place de l'OMC conçue comme un organisme d'encadrement des échanges internationaux qui substitue la règle de droit à la loi du plus fort.

Nous voulons, enfin, que soit mieux prise en considération la situation des pays dits "les moins avancés", en exonérant leurs exportations de droits de douane et en accroissant l'aide technique -et notamment juridique- qui leur est apportée pour faciliter, par exemple, leur accès à l'organe de règlement des différends.

Cette position d'une Union européenne ferme sur un mandat de négociations peut-elle l'emporter, face, notamment, à des Etats-Unis crispés sur leur volonté de réduire le cycle de négociations à l'agriculture et aux services ? Certainement pas facilement.

Toutefois, quelques indices sérieux nous permettent de penser que rien n'est joué.

Sur la forme tout d'abord, un changement de vocabulaire, qui n'est pas anodin, est apparu : les "récoltes précoces" ont disparu des négociations qui se tiennent à Genève, c'est-à-dire que les Etats-Unis admettent l'idée d'un cycle global.

Le quatrième avant-projet de la déclaration ministérielle est, depuis hier, un document de près de quarante pages retraçant de façon beaucoup plus objective qu'auparavant les positions des Etats-membres, notamment celles de l'Union européenne, en particulier sur l'agriculture, sur les services, sur l'environnement, sur la concurrence ou sur l'investissement.

Sur le fond, enfin, l'Union européenne n'apparaît pas aussi isolée que certains le disent ou le craignent : certes, sur l'agriculture, elle fait toujours l'objet d'attaques virulentes, en particulier des pays dits «du groupe de Cairns», mais au sein même de ces pays, des tensions apparaissent suscitées par certaines pratiques des Etats-Unis beaucoup plus protectionnistes que la PAC et qui, de plus, pèsent bien davantage sur le commerce des produits agricoles et agro-alimentaires mondiaux. En effet, 85 % des échanges de l'Union européenne sont intra-communautaires. Parallèlement, le modèle agricole européen, fondé sur la préférence communautaire et sur la multifonctionnalité de l'agriculture, rencontre des soutiens croissants de la part du Japon et de l'Europe centrale et orientale, notamment. Les soutiens sont encore plus nombreux sur la diversité culturelle.

Restent deux sujets sur lesquels l'Union européenne a un gros travail à faire en direction des pays en voie de développement : le bilan des Accords de Marrakech et la conception que ces pays ont de leur application ; les normes fondamentales du travail. On ne peut, sur le long terme, envisager un développement durable qui ne serait pas fondé sur le respect des droits de l'homme et de leurs libertés fondamentales.

En conclusion, la Conférence de Seattle et plus encore les négociations qui suivront sera un exercice extrêmement difficile dont l'issue, après la phase des «peintures de guerre», où l'on entend le ton monter de tous côtés, dépendra de la capacité de l'Union européenne à faire valoir sa volonté de rééquilibrage des relations internationales en faveur d'un renforcement des règles de l'échange égal.

Je me réjouis, de ce point de vue, d'entendre les représentants de la partie droite de l'hémicycle demander «davantage d'Europe, et davantage de règles» bien que personne ne puisse croire, Monsieur Dominati, que la régulation soit l'essence du libéralisme ! Vous déplacez le débat sur le terrain de l'ouverture ou de la fermeture alors qu'il s'agit de savoir comment ouvrir, à quelles conditions et avec quels objectifs.

Plus et mieux d'Europe, plus et mieux d'OMC, ce sont les conditions d'un monde plus proche du modèle de civilisation que nous voulons, fondé sur le respect des hommes et des femmes et de leur environnement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Hervé Gaymard - C'est la deuxième fois en trois mois que nous débattons de l'OMC et des futures négociations internationales et nous devons nous féliciter de la mobilisation de notre assemblée sur ce dossier majeur. Il faut remercier la Délégation pour l'Union européenne et son président du travail qui a été accompli, et plus particulièrement son rapporteur, Mme Marre, dont le rapport permet à notre Assemblée d'aborder ce sujet difficile, mais vital, avec tous les éléments d'information utiles.

La proposition de résolution qui a été adoptée est satisfaisante. Elle traduit bien les préoccupations qui ont été exprimées sur tous les bancs, même si j'ai cru déceler quelque part, dans les rangs de la majorité, le sentiment qu'il n'y avait pas lieu de débattre...

Dans le bref temps qui m'est imparti, je ne referai ni le monde, ni la mondialisation, me contentant de résumer notre état d'esprit à la veille de l'ouverture des négociations.

Faut-il aller à Seattle ? C'est la question première qu'à en lire la presse beaucoup de personnalités éminentes se posent comme moi. Est-il, en effet, imaginable d'entamer des négociations aussi importantes alors que l'exécutif d'un des principaux partenaires, les Etats-Unis, n'a pas de mandat de négociation ? J'ai bien noté les glissements sémantiques que vient de rappeler notre rapporteur ; il ne s'agit pas de faire de l'antiaméricanisme primaire, mais d'être réalistes. Cette grande puissance, à qui nous devons tant, toujours partagée entre l'hégémonie vertueuse et le retrait méprisant, connaît aujourd'hui un tel blocage institutionnel -dont les conséquences sur la politique extérieure ont été récemment illustrées par la non ratification du traité relatif à l'interdiction des essais nucléaires- qu'il est légitime de s'interroger.

Bien sûr, il faut toujours discuter ; sans doute, donc, faut-il se rendre à Seattle, mais avec la claire conscience qu'il ne s'agira que d'un prologue et qu'il faudra faire preuve d'une prudence, d'une vigilance et d'une résolution très grandes. Bref, il faut aller à Seattle avec une très longue cuillère...

Nous avons une certitude : l'Europe a raison d'exiger un ordre du jour large, couvrant l'ensemble des thèmes essentiels pour l'avenir du système commercial.

Bien sûr, la libéralisation du commerce, l'élimination des barrières sont une nécessité. Les questions relatives à l'«accès» ont toute leur place dans la négociation : c'est l'intérêt de nos entreprises, et donc de nos emplois. De ce point de vue, l'évolution des Etats-Unis pose question : malgré une situation économique exceptionnellement florissante, ce grand pays semble avoir basculé dans l'isolationnisme économique et le protectionnisme. Le Président ne dispose d'aucun mandat pour négocier, on annonce des manifestations hostiles organisées par les syndicats américains ; qu'adviendra-t-il si la croissance se ralentit et le chômage augmente ? Jamais une négociation aussi importante n'aura été lancée dans un climat aussi incertain.

C'est pourquoi l'Europe, aiguillonnée par la France, a raison de demander une négociation différente des précédentes. On ne peut en effet s'en tenir à un simple exercice mercantiliste. Ce qui est en jeu, à l'ère de l'Internet et du commerce électronique, ce sont nos lois, notre culture, notre mode de vie.

M. Christian Cuvilliez - Et vlan, Dominati !

M. Hervé Gaymard - Il n'est pas question, sur ces sujets, d'être crispés ou défensifs ou non plus d'imposer aux autres nos conceptions et nos visions ; mais il n'est pas question non plus de nous interdire de nous exprimer.

Il nous faut débattre sur trois sujets vitaux.

D'abord, les droits sociaux fondamentaux. Je suis conscient de l'inquiétude que peut susciter ce thème chez nos amis des pays en développement ou émergents. Nous devons leur dire que nous n'avons en ce domaine aucun objectif protectionniste. La promotion de ces droits peut et doit être obtenue sans recours à des mesures commerciales ; mais il est impossible de ne pas nous faire l'écho des aspirations de millions d'hommes à un meilleur sort. Toutes les organisations internationales doivent faire progresser ce dossier, et d'abord bien sûr, l'OIT, dont c'est la vocation ; mais l'OMC ne peut l'ignorer.

L'identité culturelle ensuite. Ce point n'est pas négociable. Nous avons obtenu en 1993, avec Edouard Balladur et Alain Juppé, les garanties les plus fondamentales : Monsieur le ministre vous devez les préserver. Il ne suffit pas de dire que «la culture n'est pas une marchandise», même si c'est vrai ; il faut obtenir des textes qui préservent nos politiques de soutien. De ce point de vue la satisfaction parfois affichée n'est sans doute pas de mise car nous pouvons nourrir certaines inquiétudes.

Enfin, la sécurité alimentaire. Le principe de précaution doit assurément être défendu. Nous devons affirmer notre droit à définir nous mêmes, sans ingérence étrangère, les normes de sécurité applicables aux produits mis sur le marché, dès lors qu'elles ne sont pas discriminatoires à l'égard des pays étrangers. Toutes les expertises, toutes les compétences doivent être mises à contribution. J'ai été parmi les premiers à préconiser la mise en place d'agences de sécurité alimentaire et sanitaire. Je suis heureux que cette idée soit maintenant admise et reprise par le président de la Commission des Communautés européennes et surpris par certaines réactions outre-Atlantique dans la mesure où, avec la création de la Food and Drug Administration en 1904, les Etats-Unis avaient pris quelques décennies d'avance sur nous. J'ajouterais, et ce n'est pas le moins important, que pour nous la réforme récente de la politique agricole commune -dont parlera François Guillaume- constitue un point d'arrivée et non de départ : il n'est pas question de remettre sur le métier les politiques de soutien à l'agriculture européenne.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Hervé Gaymard - La démarche globale qui est celle de l'Europe est assurément la bonne. Mais prévaudra-t-elle ? Rien n'est moins sûr.

En effet, j'ai entendu parler, Monsieur le ministre, de l'aspiration à une nouvelle régulation de l'économie mondiale. Mais ce n'est pas de cela du tout qu'on discute aujourd'hui à Genève : on parle plutôt de démanteler la politique agricole commune, de mettre fin à l'exception culturelle, de subordonner les politiques de l'environnement aux objectifs du libre-échange. Ce décalage inquiète, et largement. Le commissaire français, M. Lamy, dit qu'il n'est pas certain, dans les conditions actuelles, que la négociation puisse être lancée, il a raison ; mais dans le même temps, nous apprenons que le Président de la Commission se précipite à Washington pour négocier des compromis : tout cela donne une impression de désordre et d'impréparation.

Encore une question fondamentale : quelle est exactement la nature du compromis réalisé à Bruxelles sur le mandat européen, s'agissant des questions culturelles ? Je comprends que l'Europe défendra la diversité culturelle, mais une formule aussi vague n'apporte aucune garantie quant à la préservation de nos dispositifs nationaux et européens de soutien à la production audiovisuelle et à la création artistique, étant donné les intentions agressives des Etats-Unis. Le Gouvernement, je crois, avait demandé des garanties plus explicites ; apparemment, il a renoncé à les obtenir. Pour quelles raisons ? Pourquoi avons-nous renoncé à utiliser notre pouvoir de veto, contrairement à ce qui a été fait avec succès en 1993 ? Il était indispensable d'obtenir la reconnaissance explicite de l'exception culturelle au sein de l'OMC ; ne pas l'avoir fait constitue un dangereux abandon : la France commence cette négociation dans une position moins favorable que celle qui était la sienne à la fin de la négociation précédente. Monsieur le ministre, pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ?

Pourquoi les intérêts français, sur lesquels existent, au sein de cette Assemblée, une large convergence, n'ont-ils pas été, dès le départ mieux pris en compte ? Après tout, l'Europe a pris l'initiative de cette négociation, elle s'est battue pour en convaincre des partenaires initialement réticents ; pourquoi l'Europe et la France donnent-elles aujourd'hui l'impression de devoir lutter pour obtenir le minimum ? Il eût mieux valu s'assurer, avant de donner notre accord sur le principe de la négociation, que les conditions d'un déroulement favorable seraient réunies. En procédant en sens inverse, vous avez pris le risque de devoir petit à petit abandonner vos ambitions.

Je suis bien conscient que nous sommes au début d'un très long parcours du combattant, Monsieur le ministre, et je ne vous fais nul procès d'intention. Mais comprenez que nous soyons vigilants, instruits que nous sommes par le précédent de 1992-1993, et soucieux de ne pas manquer ce rendez-vous capital. Vous abordez cette négociation avec le soutien de la représentation nationale ; vous êtes porteur des espoirs de tous ceux qui veulent une France ouverte, dynamique, partenaire actif de la mondialisation, mais qui exigent aussi que leur identité soit respectée et leurs aspirations reconnues. Si vous deviez revenir de Seattle en ayant reculé sur l'essentiel, vous donneriez raison à tous ceux qui, par peur ou par dépit, se résignent à une vision étriquée de la France. Le groupe gaulliste récuse le choix infernal entre la «France seule» de Charles Maurras et la «World Company» ; il n'est qu'un moyen de le dépasser : l'audace, le courage et la volonté politique (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - C'était beaucoup mieux que DL... Tout seul, Dominati !

M. Georges Sarre - Le peuple français est opposé à la mondialisation libérale, qui n'est pas un phénomène neutre qui résulterait presque naturellement de la révolution technologique. La mondialisation met en concurrence des systèmes sociaux, elle fait quelques gagnants et beaucoup de perdants, et elle tend à déconnecter l'économie du politique. Processus de transfert du pouvoir des Etats vers les multinationales par le truchement d'instances largement indépendantes de tout contrôle démocratique, la mondialisation consacre le délestage, par le pouvoir politique, de ses propres responsabilités.

L'OMC reflète une idéologie dangereuse, celle du libre échange généralisé. S'y joue un subtil mélange d'influence politique et d'une sorte de juridisme anglo-saxon qui fait une large place au lobbyisme et à la technocratie. L'abaissement généralisé des droits de douane, en négligeant les disparités monétaires et sociales constitue une source de chômage dans les pays du Nord, avec les délocalisations, et accroît les inégalités entre le Nord et le Sud.

Or, la Commission européenne se fait le relais de la mondialisation libérale, en poussant à l'élargissement du nombre des secteurs qui seront soumis à libéralisation. Les Etats-Unis abordent les négociations de Seattle de manière moins offensive qu'on pourrait le penser. Certes, ils sont bien décidés à remettre en cause la PAC et ils auront des alliés au sein du groupe de Cairns. Mais n'est-ce-pas la Commission qui a recommandé d'inclure la protection des investissements dans les prochaines négociations, faisant ainsi entrer l'AMI par la fenêtre de l'OMC alors que la France était parvenue à l'expulser par la grande porte de l'OCDE ?

M. Nicolas Dupont-Aignan - Très bien !

M. Georges Sarre - L'Union européenne, qui ne forme pas une nation, se trouve souvent en position d'infériorité face au Japon et aux Etats-Unis, dont les négociateurs sont adossés au suffrage universel. Comment peut-on escompter bien négocier, quand ses intérêts sont représentés par des tiers ?

Mme Nicole Catala - Très juste !

M. Georges Sarre - A cet égard, un épisode récent est particulièrement significatif. Alors que l'Allemagne et la France avait pris fermement position en faveur de l'instauration de normes sociales et de la préservation de l'exception culturelle, lors du dernier Conseil consacré aux affaires générales, le COREPER, formé de fonctionnaires de la Commission, est parvenu à un accord a minima, selon lequel au lieu de créer un groupe de travail au sein de l'OMC, on se contentera d'un forum OIC-OIT.

Mieux : la recommandation du COREPER, uniquement disponible en anglais...

M. Alain Clary - Incroyable !

M. Georges Sarre - ....insiste sur « la ferme opposition de l'Union à toute approche fondée sur des sanctions » lorsqu'il s'agit de respecter les normes sociales. Il n'est plus question, non plus, de l'exception culturelle, mais du respect de la diversité culturelle, ce qui laisse la porte ouverte à des négociations. Arrêtez-donc, Messieurs les ministres, de nous dire que l'exception culturelle est maintenue !

Mais le plus éclairant n'est pas là. Le compromis élaboré par les fonctionnaires aurait dû être discuté pour ratification par les ministres compétents, lors du prochain Conseil « affaires générales » des 15 et 16 novembre. Or, une dépêche d'agence nous indique que c'est le conseil des ministres de la pêche qui devrait, sans débat, entériner l'accord mardi 26 octobre !

Dans ces conditions, je m'interroge d'autant plus sur l'opportunité d'élargir le nombre de secteurs soumis à négociation, que ce n'est pas la France, mais la Commission qui va négocier et que M. Pascal Lamy, nouveau commissaire européen chargé du commerce, a déclaré lors de son audition d'investiture devant le Parlement européen : «la libéralisation est une bonne chose (...) pour des raisons économiques et, à la limite, pour des raisons philosophiques, voire idéologiques.»

Les Etats doivent, sans plus tarder, reprendre les leviers de commande. C'est le préalable à toute évolution vers une OMC moins asservie aux multinationales. C'est d'ailleurs cette quête de souveraineté qui est au c_ur des trois mouvements anti-mondialisation qu'a connus la France depuis 1995 : défense du service public à la française, souveraineté alimentaire et défense des créations en langue française.

Par quels moyens procéder à cette reconquête ? Notre première proposition, préalable à toutes les autres, consisterait à placer l'OMC sous contrôle démocratique en redonnant la primauté aux élus sur les technocrates et aux nations sur les multinationales. Les Parlements nationaux devraient disposer de moyens de contrôle et d'action permanents.

La seconde proposition consisterait à agir au plus vite pour que la Chine et la Russie rejoignent l'OMC, afin que nous sortions du face-à-face Etats-Unis - Union européenne.

La troisième serait de promouvoir le développement maîtrisé du libre-échange, dans le cadre de zones régionales qui s'organiseraient autour de trois grands pôles industrialisés, USA, UE, Japon. Seule, une telle organisation tripolaire serait apte à assurer une co-responsabilité dans la gestion du monde de demain. Évidemment, cela irait à l'encontre de la stratégie des multinationales ; c'est là où le bât blesse.

La quatrième proposition serait d'inclure les négociations commerciales dans un cadre plus large afin que le droit du travail, les variations monétaires, les normes environnementales soient réellement pris en compte. Cela revient à proposer, d'une part, un moratoire à toute nouvelle négociation, ce qui permettra de dresser le bilan économique et social des cinq premières années d'existence de l'OMC et, d'autre part, de modifier les statuts de l'organisation.

Les négociations de Seattle seront un test de la capacité de la France à éviter la création d'une économie administrée par les multinationales. Le Gouvernement doit donc s'appuyer sur la prise de conscience citoyenne qui se fait jour dans l'opinion publique pour résister, au besoin en disant «non», afin que le peuple français demeure républicain, que la France garde sa liberté d'allure et, incidemment que, demain, le peuple français ait encore envie de dire «oui» à la majorité plurielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste, du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. François Guillaume - Excellente intervention, la dernière phrase exceptée !

M. Claude Gaillard - Pour des raisons qui m'échappent, mais que vous m'expliquerez certainement, Monsieur le ministre, le débat qui devait avoir lieu sur la proposition de résolution relative à la conférence ministérielle de l'OMC à Seattle, et qui avait un sens, s'est transformé en un débat sur la déclaration gouvernementale, ce qui en a beaucoup moins.

Ce que j'ai dit lors du débat du 23 juin reste d'actualité, et je ne répéterai ce que j'ai exposé ce jour-là, au nom de l'UDF, sur ce que devrait être l'approche des marchés, de l'environnement des problèmes sanitaires, du travail des enfants, de la diversité culturelle -puisque l'on ne parle plus d'exception culturelle, si l'on vous en croit, Monsieur le ministre- des normes sociales...

Je traiterai plutôt de l'agriculture, en soulignant que la France se doit de défendre le droit à la différence, ses spécificités et le modèle européen. Ce faisant, elle défendra aussi ses exportations, enjeu fondamental. Cela signifie que les accords de Berlin doivent servir de socle à la négociation à venir, sans qu'il soit question d'aller plus loin ni d'accepter d'autres réformes. Comme l'a indiqué le ministre, la France doit exiger la signature d'un accord global.

Sur le plan stratégique, on constate que si l'Europe est prête, les Etats-Unis, tout occupés à la préparation des élections, ne le sont pas. Les négociations sérieuses ne commenceront donc que lorsque ces élections auront eu lieu. Il faut par conséquent demander dans l'intervalle, que le bilan soit dressé des accords de Marrakech, ce qui éclairera utilement les négociations à venir.

En effet, alors que les agriculteurs français ont réalisé la réforme qui leur était demandée, les Américains continuent d'octroyer des aides qui vont au-delà des engagements souscrits. Un état des lieux serait donc hautement souhaitable, qui n'exclut nullement un débat plus général sur les conséquences de la mondialisation sur la sécurité sanitaire et alimentaire. Il faut en effet établir ce qui relève, en la matière, de l'OMC et de l'OMS, y compris pour les organismes génétiquement modifiés.

Enfin, il est absolument nécessaire de travailler en étroite collaboration avec les pays d'Europe centrale, car ce qu'ils vont négocier s'imposera aussi à tous quand ils deviendront membres de l'Union européenne.

Second point, il importe de faire évoluer toutes les régions du monde dans le même sens, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque l'Afrique continue de s'enfoncer. Il faut donc éviter que la prochaine convention de Lomé ne balaie les accords ACP et aussi veiller à la situation des DOM. Parallèlement à la négociation de «Lomé V», le Parlement européen a confié à M. Blaise Aldo la rédaction d'un rapport qui préconise une reconnaissance plus poussée des particularités des DOM et introduit la notion de réciprocité dans les échanges entre les DOM et les pays ACP.

L'UDF invite le Gouvernement à suivre ces recommandations et à favoriser une politique de coopération régionale à partir des DOM. Le Premier ministre doit d'ailleurs dévoiler dans les prochains jours les grandes lignes du projet de loi d'orientation pour les DOM.

Quelques mots sur l'évolution technologique et la cohérence politique, à partir de l'exemple d'Internet et des enchères sur ligne. Un journaliste a parlé à ce sujet d'un «marché aux puces», où «du crayon à l'entreprise, de l'idée à l'organe, tout est désormais à vendre».

N'oublions pas que ce développement est le fait non des grands groupes, mais de nouvelles petites entreprises, qui jouissent d'un contexte plus ou moins favorable selon les pays, en fonction des règles fiscales, des coûts d'accès à Internet, etc. S'il est important de se battre à l'OMC pour défendre nos marchés, il faut aussi se battre pour favoriser l'émergence chez nous de ces entreprises qui façonneront l'économie de demain.

Pour conclure, quelques réflexions politiques, compte tenu du fait que ce débat est sans vote.

La mondialisation s'est imposée en un temps record, entraînant des effets complexes et des sentiments contradictoires. Face à cela, je dirais volontiers, comme Philippe Séguin, c'est quoi, la politique ? On sait que le monde politique a rarement vu arriver les grands événements, qu'il s'agisse de l'effondrement du bloc soviétique ou de la réunification allemande -j'ai encore en tête les expressions du Président de la République de l'époque !

L'évolution actuelle accélère la création de mastodontes et appelle une nouvelle réflexion sur les monopoles. Quand le premier groupe d'une branche d'activité pèse autant, à lui tout seul, que toutes les autres entreprises de cette branche, on ne peut plus parler d'une approche libérale du marché. On assiste à la disparition progressive des indépendants -chez les paysans, chez les avocats, bientôt chez les médecins. Nous changeons de société.

Face à cette évolution rapide, il faut réhabiliter la place du politique, sinon les peuples réagiront eux-mêmes, comme ils ont su souvent le faire.

Je terminerai en citant un poème que m'a remis le maître d'hôtel du petit restaurant du XVeme où j'ai dîné hier soir (Sourires).

«Devons-nous les haïr ou leur tendre la main,

Oui, que devons-nous faire à ces Américains ?

Accepter leurs bovins au parfum de l'hormone ?

Déguster leurs recettes au goût si monotone ?

Picorer les maïs qui poussent sans malice,

Gênés par le génie qui modifie d'office

La génétique, naturelle normalement,

Qui, bouleversée, déchaînera les éléments ?»

Je ne connais pas l'auteur, mais il a traduit des inquiétudes que la classe politique a intérêt à connaître pour ne pas trop se déconnecter du monde réel. Je continue la citation :

«Non le combat commence...

Nous sommes résistants et voulons préserver

Ce qui est en nous-mêmes, qui nous a élevés,

Nous sommes des humains attachés à la terre...»

L'évolution actuelle peut donner des espoirs, elle peut aussi susciter des craintes : je souhaite que ce débat nous permette à tous de réfléchir à la façon de mieux maîtriser cette évolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lefort - Je me félicite du fait que notre assemblée, pour la seconde fois, soit appelée à débattre des négociations OMC qui doivent s'ouvrir à Seattle, la ville de Boeïng et de Microsoft, à la fin du mois prochain -je rappelle à ce propos qu'aux Etats-Unis c'est le Congrès qui a compétence en matière commerciale, mais c'est l'administration qui négocie !

Ce second débat était nécessaire car le mandat de la Commission européenne, chargée de négocier pour l'Europe, n'est pas encore entériné et parce que l'opinion publique, qui se mobilise en France et ailleurs, nourrit de ses idées notre propre réflexion.

La présence des opinions publiques dans ce débat est un phénomène nouveau et positif. Il faut dire que le dogme selon lequel la mondialisation serait en soi bénéfique a pris du plomb dans l'aile. Ce ne sont pas des présupposés idéologiques qui sont à la base de ces contestations, mais les faits eux-mêmes. Il serait d'ailleurs nécessaire, avant d'aller plus loin, de réaliser un bilan de l'application des accords mis en _uvre depuis que sévit l'OMC afin de vérifier si la libéralisation des échanges est, de manière univoque, porteuse de progrès.

Le rapport le plus récent de l'ONU sur le développement note que la consommation actuelle exacerbe les inégalités et met en péril les ressources de la planète. Il souligne que sur les 4,4 milliards d'habitants des pays en voie de développement, trois-cinquièmes sont privés d'infrastructures sanitaires de base et un tiers n'a pas accès à l'eau potable. Et si la bipolarisation entre pays riches et pays pauvres s'aggrave, le rapport de l'ONU constate qu'au sein même des pays riches, le dénuement et la pauvreté ont tendance à s'aggraver.

Ainsi cette libéralisation des échanges aboutit à une situation insupportable : aujourd'hui, 225 personnes à travers le monde détiennent autant de richesses que 2,5 milliards d'individus !

Tout cela justifie ce qu'on entend de plus en plus : non à un nouveau cycle aboutissant à une accentuation de ces tendances. Il est temps de mettre l'individu au c_ur de toutes les problématiques, et non plus des intérêts puissants mais dévastateurs pour les sociétés.

Cette gouvernance-là du monde est vraiment une mauvaise gouvernance pour le monde, une gouvernance où le politique est subordonné à l'économique.

On peut comprendre, dès lors, que l'OMC, qui symbolise cette mondialisation libérale, soit remise en cause et le report des négociations demandé. Mais on peut aussi adopter une position offensive pour obtenir qu'elles aboutissent à ce que nous souhaitons : le progrès humain et la réforme de l'OMC. Pourquoi faudrait-il se résoudre à l'impuissance ou au statu quo que nous dénonçons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

De ce point de vue, considérer que rien n'est signé tant que tout n'est pas réglé est essentiel. Négocier n'est pas signer !

Félix Leyzour reviendra sur la politique agricole, le principe de précaution et les OGM. Mais à ce propos, je m'élève contre les propos insultants de la responsable américaine de commerce, qualifiant les Européens de « bande d'hystériques ».

Notre philosophie générale s'applique à chaque dossier. J'en évoquerai quelques uns.

D'abord, la culture et ses supports ne sont pas des marchandises, il faut que cela soit reconnu. C'est toute une civilisation qu'il faut protéger de l'uniformisation par la World Company. C'est ce que disent aujourd'hui les cinéastes et les fabriquants de Roquefort... Surtout les services publics font également partie de cette exception culturelle. Il convient donc de refuser de soumettre aux règles classiques qui régentent le commerce ces services, en particulier l'éducation et la santé. Refuser d'élargir la libéralisation des secteurs publics déjà bien atteints est un point essentiel. Je me félicite de vos déclarations sur ce point, Monsieur le ministre.

Ensuite, je reprends à mon compte le paragraphe 15 de la résolution de la commission de la production et de la délégation pour l'Union européenne qui rappelait qu'à l'inverse de l'AMI -qu'on voulait nous imposer- « toute négociation sur l'investissement doit intégrer les préoccupations des pays en voie de développement, favoriser le développement durable et préserver la capacité des Etats à réglementer, sur leurs territoires, l'activité des investisseurs ». Les entreprises nationales ou multinationales, ont une responsabilité publique et les devoirs afférents. La Charte des Nations unies pour les droits économiques et les devoirs des Etats devraient servir de référence dans ce domaine, et l'on devrait appliquer la taxe Tobin aux mouvements spéculatifs de capitaux.

Les normes sociales et environnementales ne peuvent relever de l'OMC, dont la volonté tentaculaire n'est pas acceptable. Qui dit le droit ? A l'OIT les droits sociaux fondamentaux, à l'OMS la santé, aux accords multilatéraux l'environnement. C'est ainsi que nous pourrons tendre la main efficacement aux pays du Sud.

Et quelle est la hiérarchie des droits au niveau international ? L'opinion s'en est souciée à propos des contentieux sur la banane ou le b_uf aux hormones. L'Organe de règlement des différends de l'OMC a rendu des jugements à ce propos. Lorsqu'aucun arrangement à l'amiable n'est possible, ce tribunal « autorise » un pays qui s'estime victime d'entraves à prendre des sanctions unilatérales contre un autre pays. C'est là une conception assez primaire de la justice.

Il règle un certain consensus pour rendre plus transparentes la nomination des juges, des experts consultés, et la participation des ONG. Il faut aller plus loin, en finir avec système de sanctions où des secteurs d'une économie nationale payent, pour d'autres, une compensation financière versée à un Etat représentant ses firmes multinationales !

La solution est, à l'inverse, de soumettre les règles économiques aux règles du droit social, du droit de l'environnement et de la santé par une véritable inversion des priorités et non par un simple aménagement du droit commercial.

Nous avons donc du pain sur la planche. Mais une chose est désormais certaine : rien ne se fera plus sans l'opinion publique et sans la représentation nationale. A la globalisation, il faut apporter une réponse globale. Ni l'Europe, ni les Etats-Unis, ni l'OMC ne pourront désormais en faire l'économie ? C'est finalement une bonne nouvelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. le Président de la commission - La mondialisation rendrait inéluctables les restructurations économiques, nous dit-on. Restructurons plutôt la mondialisation. C'est dans cet état d'esprit qu'il faut aborder les prochaines négociations de l'OMC.

Dans sa résolution, proposée par notre collègue Béatrice Marre, adoptée à la quasi-unanimité, la commission de la production souhaite d'ailleurs que puisse s'établir un «équilibre entre la régulation et la libération des échanges commerciaux».

M. Laurent Dominati - Cela va de pair.

M. le Président de la commission - Sur plusieurs points, le texte vise à réorienter l'OMC : établir un bilan de l'application des accords depuis la conférence de Marrakech, donner la priorité aux pays en voie de développement, intégrer l'OMC dans le système onusien, reconnaître la multifonctionnalité en agriculture et la préférence communautaire en ce domaine, affirmer le respect de la diversité culturelle, de la santé sanitaire et alimentaire, des services publics non marchands et lier de «nouveaux sujets», comme les normes sociales ou l'environnement, au commerce mondial. Ce sont autant de repères à partir desquels le Gouvernement de la gauche plurielle doit aborder la négociation. Vous y avez fait écho, Monsieur le ministre. Je vous en remercie.

Une grande partie de l'opinion, en Europe, refuse de léguer aux générations futures un monde uniforme, dangereux et insalubre, un océan de malvie parsemé d'îlots de fortune.

Pour faire entendre cette aspiration, il faut ouvrir en grand les portes aux citoyens, mettre fin aux conciliabules et démocratiser les institutions de l'OMC, de son secrétariat général à son organe de règlement des différends.

L'accroissement des inégalités sur la planète, la persistance d'une pauvreté et d'une exclusion de masse, ne peuvent être passés aux pertes et profits. Certes l'OMC, qui aspire au rôle de juge et d'arbitre, n'est pas maître de la mondialisation. Cette dernière est pilotée par les puissances dominantes, et principalement par les Etats-Unis.

Le FMI et la Banque mondiale imposent leurs vues à leurs débiteurs. Surtout, la globalisation porte la marque des marchés financiers et de quelques multinationales nord-américaines, européennes ou japonaises pour la plupart.

Dans un rapport du 27 septembre 1999, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement souligne qu'en 1998 les investissements mondiaux ont augmenté de 39 % pour atteindre 644 milliards de dollars, soit 3 860 milliards de francs. Cependant, les deux-tiers de ces capitaux ont été captés par les Etats-Unis et l'Europe, tandis que la part des pays dits émergents tombait de 37 % à 25 %, l'Afrique à 8 % seulement.

Or, l'essentiel de ces flux est orienté par cent grandes entreprises qui détiennent à elles seules 10 800 milliards de francs d'actifs à l'étranger, emploient plus de six millions de personnes et réalisent un chiffre d'affaires total de 12 600 milliards de francs, soit huit fois le budget de l'Etat français. Il est de la responsabilité des représentants des nations, des organisations démocratiques et de tous les citoyens, de ne pas laisser le champ de l'économique et du social à ces maîtres d'une guerre où la loi boursière prime toujours sur l'intérêt collectif.

L'OMC offre bien un cadre susceptible de limiter les débordements d'une concurrence sauvage ; mais elle se borne à appliquer les dogmes du libéralisme. Pour changer de cap, d'aucuns prônent la référence au «modèle européen», une sorte de vade-mecum synonyme de progrès social et de résistance aux velléités hégémoniques américaines. Mais l'Union européenne -où l'on recense tout de même 18 millions de chômeurs- n'a-t-elle pas, ces dernières années, poussé les feux de la réduction des dépenses publiques, de la déréglementation et de la privatisation ?

Les Etats-Unis n'ont jamais autant aidé leur agriculture ; pourtant l'Union a entériné de nouvelles baisses de prix lors du sommet de Berlin.

Renault, pour sceller sa fusion avec Nissan, détruit 21 000 emplois dans le monde. Est-ce cela le modèle européen qu'il faudrait étendre ? Le drapeau étoilé de l'Union ne saurait servir de paravent.

La France ne doit donc pas se lier les mains. Indéniablement, sa voix a porté au cours des discussions entre les Quinze sur le mandat à confier au commissaire Pascal Lamy. Nous sommes heureux d'y avoir participé.

Les conclusions adoptées vendredi en témoignent, même si elles restent assez alambiquées. En particulier pour la production et la diffusion audiovisuelle, la référence à l'exception culturelle n'est qu'implicite.

Il convient donc d'être vigilants, d'autant que les autorités américaines abordent ce cycle de négociations avec morgue et agressivité.

A Seattle, la délégation des Etats-Unis, emmenée par Mme Barshefsky, dont le président Clinton dit qu'elle est «si dure qu'elle arracherait les larmes à un homme mort», entend restreindre le terrain des débats à deux sujets, l'agriculture et les services. L'hôte de la Maison Blanche s'est donné pour «objectif n° 1» le démantèlement de la PAC, tandis que Boeing et Microsoft misent sur un accord taillé sur mesure, mais il est vraisemblable que, faute de mandat de négociation globale confié par le Congrès et soucieux de caresser les électeurs dans le sens du poil à un an du scrutin présidentiel, il ne pourra prendre aucun engagement ferme avant la fin de l'an 2000. Devant cette ambiguïté et pour éviter tout marché de dupes, ne serait-il pas opportun de reporter toute décision jusqu'à ce que cette situation américaine soit éclaircie ? Les conclusions de Mme Marre, en faveur d'un accord global, me semblent aller en ce sens.

Il me semble en tout cas indispensable de mieux associer à la négociation les parlementaires et les responsables de syndicats ou d'ONG. Pourquoi refuser aux représentants des citoyens un droit de regard et d'intervention quand les grandes sociétés pratiquent ouvertement le lobbying ? Le 12 octobre, Lionel Jospin a souhaité que cette nouvelle négociation soit «transparente et respectueuse des préoccupations de nos concitoyens» : c'est dans cet esprit que la résolution adoptée par la commission de la production invite le Gouvernement à tenir l'Assemblée régulièrement informée du déroulement du cycle du millénaire. C'est en effet en se mettant à l'écoute de la représentation nationale et de l'opinion publique que notre délégation pourra faire entendre la voix de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - L'OMC doit-elle être la même avant et après Seattle ? Pour nous, il est clair que non. A l'exception de M. Dominati et de son groupe, tous ce matin sont convenus qu'il convenait de modifier le fonctionnement de cette organisation. Autrement dit, nous souhaitons que notre Gouvernement et la Commission n'abordent pas la négociation dans un esprit d'acceptation passive, mais bien avec la volonté d'agir pour améliorer les conditions du commerce international. Il ajoute notamment que ce commerce continue à se développer, mais sans creuser davantage l'écart entre pays riches et pays pauvres et sans aggraver les distorsions constatées entre pays industrialisés. Il faut donc que l'OMC soit réellement une organisation universelle placée sous l'égide de l'ONU et qu'elle adopte des règles pour prendre en considération la situation des pays les moins développés et celle des secteurs en difficulté.

Considérer qu'il ne faudrait pas s'engager activement dans cette négociation, ce serait faire comme si un emploi sur quatre, en France, ne dépendait pas du commerce international. L'Assemblée doit par conséquent arrêter une position et c'est à quoi nous avons pourvu : la Délégation a demandé à Mme Marre un rapport et a adopté le 30 septembre une résolution que, grâce à la diligence de son président, la commission de la production a examinée le 6 octobre. Cependant, j'aurais personnellement souhaité que nous allions plus loin et que le débat de ce matin puisse se conclure par un vote : ce que le Gouvernement avait accepté et je l'en remercie. Malheureusement, et pour des raisons sans doute différentes, MM. Sarre et Douste-Blazy s'y sont opposés...

Reste que, seule dans toute l'Union européenne, notre Assemblée a arrêté une position. Nous avons ainsi tiré la conséquence d'une donnée essentielle : même si c'est de façon contradictoire, partielle et partiale, l'opinion publique s'est saisie de la question et les choses ne pourront plus se passer comme auparavant, loin de son regard. Nous devons donc être à même, à chaque étape de la négociation, de contrôler, de porter un jugement, de donner une impulsion sur les points importants.

Quels sont ces points ? En premier lieu, comme on l'a dit, il faut établir un bilan complet de l'après-Marrakech. En second lieu, il conviendra de déterminer clairement quels seront nos interlocuteurs du côté américain et de savoir quel est leur mandat. Troisièmement, sur les grands sujets -l'agriculture et les services-, nous ne devons pas nous contenter de positions «de départ», susceptibles d'évoluer : ainsi, sur le premier, nous devons nous appuyer sur l'accord de Berlin pour définir une position européenne, conformément d'ailleurs à ce que vient de décider le Conseil «affaires générales».

S'agissant de l'investissement, nous devons nous souvenir qu'une majorité a tranché ici dans le même sens que le Gouvernement et il faut donc aller de l'avant en faisant l'inverse de ce qui était proposé, au sein de l'OCDE, avec l'AMI.

Il convient aussi, ne serait-ce que pour des raisons de justice mais également pour développer le commerce mondial, de réintégrer d'emblée dans la négociation les pays en voie de développement, en particulier les pays moins avancés.

Enfin, sur des questions comme celles de la culture, des services publics ou de la sécurité alimentaire, nous devons impérativement faire montre d'esprit offensif.

Nous sommes au milieu du gué mais je crois que nous pouvons encore pousser à l'adoption d'une position européenne commune avec des chances raisonnables de succès. Et comme cette position ne manquera pas de susciter des critiques, il nous faut dès maintenant chercher des alliés afin de créer les conditions d'un rapport de forces favorable avec les Etats-Unis notamment.

Les négociations seront d'autant plus difficiles qu'elles se dérouleront sous le regard de l'opinion mais je crois que notre Gouvernement peut faire de cette contrainte un avantage. Et si, sur tel sujet, plutôt que de nous résigner à un accord a minima qui ne ferait que conforter le libéralisme, nous devrons saisir cette opinion en expliquant que le rapport de forces nous apparaît trop défavorable.

C'est ainsi que nous devons aborder ces négociations, avec la volonté d'avancer vers un monde multipolaire. La responsabilité est grande pour la France et pour son Gouvernement mais celui-ci peut compter sur la détermination de la représentation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Claude Daniel - L'enjeu du prochain cycle de l'OMC sera d'apporter des réponses à tous les problèmes de l'économie mondiale -internationalisation parfois sauvage, risques accrus de déséquilibre et d'instabilité, en même temps qu'une aspiration croissante des citoyens à plus de transparence et de démocratie.

Une meilleure régulation des échanges mondiaux est nécessaire, une régulation qui ne se confond pas avec l'assujettissement des souverainetés nationales à un ordre élaboré dans le secret, à une alchimie d'intérêts privés.

Face à ces enjeux, la commission de la production a largement approuvé la proposition de résolution présentée par la délégation pour l'Union européenne, proposition combative, généreuse et claire : pouvez-vous nous assurer, Messieurs les ministres, que l'accord conclu par l'Union européenne permettra de maintenir cette position pour l'essentiel ?

La commission de la production a souligné que si la croissance du commerce international, a été bénéfique pour les pays développé, elle n'a pas profité à tous. L'écart entre pays intégrés et pays non intégrés à ce mouvement se creuse. A la déclaration du Président Clinton «L'ouverture du commerce augmente la richesse du monde», fait écho celle du Président Mandela : «elle augmente en même temps l'étendue des zones de pauvreté».

L'écart se creuse aussi au sein même des pays développés, dont certaines catégories de population ressentent les effets négatifs de la mondialisation : pertes d'emploi liées à la concurrence des pays émergents ou délocalisations par exemple.

Nos concitoyens s'interrogent légitimement et manifestent de très fortes exigences en matière de sécurité sanitaire, de qualité des produits, de protection de l'environnement et de contrôle démocratique. L'opinion publique se préoccupe également de la place des pays pauvres dans cette économie mondiale, qu'il faut réguler pour éviter qu'elle ne se confonde avec la loi du plus fort.

En ce qui concerne la cadre général des négociations, il faut renforcer la multilatéralité afin de mieux maîtriser l'ouverture des marchés en l'encadrant par des règles acceptées par tous. Afin de rendre l'OMC plus universelle, il convient que des pays tels que la Chine et la Russie ou encore le Vietnam et l'Algérie y adhèrent.

D'autre part, la négociation doit être globale. Loin de se limiter à l'agriculture et aux services, elle doit porter aussi sur la propriété intellectuelle, la baisse des droits sur les produits industriels ou le respect des normes fondamentales du travail et de l'environnement définies dans d'autres enceintes. A cet égard, il convient que l'OMC renforce ses liens avec les organisations internationales telles que le FMI, la CNUCED, la FAO ou l'OIT, si elle veut devenir une autorité mondiale du commerce crédible, efficace et transparente, destinée à intégrer à moyen terme le cadre de l'ONU.

S'agissant de l'agriculture, la position de la France est claire. Nous espérons que celle de l'Europe l'est tout autant. Le mandat de négociation doit se structurer autour de plusieurs axes : la défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle respectueuse des hommes et de leur environnement ; la référence aux accords de Berlin et le renforcement de la PAC comme socle permanent de la position européenne ; une négociation globale conclue par un engagement unique.

Le souhait des Etats-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux sujets qui ont leur préférence est inacceptable. S'ils persistaient dans cette voie, ils remettraient eux-mêmes en cause le lancement du nouveau cycle de négociations. La France ne peut accepter les demandes américaines relatives aux exportations agricoles européennes, alors même que les Etats-Unis soutiennent leurs propres exportations selon des modalités moins transparentes.

De même, en vertu du principe de précaution, nous ne pouvons admettre l'introduction sur nos marchés de produits qui suscitent l'inquiétude sur le plan de la sécurité. Quel sera le mandat de M. Lamy à ce sujet ?

Enfin, en ce qui concerne la diversité culturelle et les services, on ne peut considérer les services culturels comme de simples marchandises. La culture est, avant tout, le support d'une identité dans le respect des diversités et les échanges commerciaux ne peuvent nier cette réalité, qui justifie l'exception culturelle.

Pour les services autres que culturels, à l'initiative de M. Leyzour, la commission a souhaité que l'Union européenne ne s'engage pas dans des mesures de libéralisation supplémentaires dans les secteurs d'intérêt public tels que l'énergie, les transports et les services postaux. Là encore, quel est le mandat de l'Union européenne ?

Enfin, comment la France et l'Union européenne envisagent-elles de s'allier avec les pays d'Europe centrale et orientale, avec les pays méditerranéens, avec les pays en voie de développement, pour éviter que les négociations ne se limitent à une opposition frontale entre les Etats-Unis et l'Europe ?

En conclusion, la commission a souhaité que l'Assemblée soit régulièrement informée -au moins une fois par an- de l'état d'avancement des négociations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - J'informe l'Assemblée de la présence, dans les tribunes, de M. Itamar Franco, ancien président de la République fédérale du Brésil, président de l'Etat de Minas Gerais, à la tête d'une délégation à laquelle nous souhaitons la bienvenue (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement applaudissent).

M. François Guillaume - Contrairement à ce que l'on affirme ici et là, la conférence de Seattle ne sera pas la simple entrée en matière du round du millénaire, car le projet de déclaration ministérielle qui devrait y être approuvé fixera le programme et l'esprit de la négociation et il sera difficile de les remettre en cause ultérieurement.

C'est la Commission qui négocie à l'OMC sur un mandat que lui confie le Conseil des ministres. Ce mandat lui fixe un cadre mais ne peut lui imposer des consignes impératives. Ainsi, la marge de man_uvre dont elle dispose peut être, comme la langue d'Esope, la meilleure ou la pire des choses. C'est la raison pour laquelle le Conseil des ministres doit, par sa présence effective lors des réunions décisives, contrôler l'action des commissaires et leur donner ou non le feu vert en temps utile. Ce marquage au plus près, qui avait fait ses preuves à Punte del Este, a cruellement manqué aux négociateurs européens par la suite ; c'est pourquoi ils ont cédé si facilement à l'offensive américaine.

Dans la préparation à cette ouverture solennelle des «hostilités», allais-je dire, je regrette que l'Union européenne se soit déjà laissée isoler. Le groupe de Cairns, partisan irréductible du Free-market, n'agresse que nous, alors qu'il n'a pas critiqué les récentes aides accordées par les Etats-Unis à leurs agriculteurs. C'était une occasion de mettre un coin dans leur sainte alliance avec Washington. Vous ne l'avez pas saisie, comme vous n'avez pas su éviter que les pays du Tiers-monde ne rejoignent le camp américain. Considérant que le combat des Etats-Unis pour le libre échange est aussi le leur, n'espèrent-ils pas tirer profit de l'avantage comparatif du coût de leur main-d'_uvre pour gagner des parts de marché ? Il est pourtant facile de leur démontrer, exemples de la banane et des accords de Lomé à l'appui, que les intentions des Etats-Unis ne sont pas aussi généreuses et loyales qu'ils l'affirment et que cet espoir des PVD se révélerait un mirage dans un libre marché généralisé.

Faute de ces préparations diplomatiques, l'Union européenne se présente à Seattle seule contre tous. Première puissance commerciale du monde à l'égal des Etats-Unis, elle doit y adopter une attitude offensive en posant un préalable et une condition, en ménageant une précaution.

La précaution consiste à associer les PECO candidats à l'adhésion à la stratégie européenne pour éviter qu'ils n'acceptent à l'OMC un libre accès à leurs marchés au profit des tiers lors de leur entrée dans l'Union.

Le préalable, c'est le Fast track, c'est-à-dire la capacité accordée par le Congrès des Etats-Unis au président américain de négocier sans que ses engagements puissent être remis en cause.

La condition est celle d'une négociation globale pour éviter ce que les américains appellent la «récolte précoce» dans les secteurs qui les intéressent.

L'agriculture est l'un de ces accords partiels recherchés par les Etats-Unis. En la matière leur mauvaise foi est totale. Le reniement de leurs engagements de l'Uruguay-Round est permanent alors que l'Europe a scrupuleusement respecté les siens, qu'ils s'agissent d'ouverture de marché, de réduction des aides à l'export ou du soutien des prix. Contre toute logique, une loi américaine postérieure aux accords de Marrakech a rétabli des systèmes d'aide démantelés par le GATT. Plusieurs dizaines de milliards de dollars ont été octroyés chaque année pour compenser la baisse des revenus paysans. En 1999 les aides publiques à l'agriculture américaine sont de 50 % supérieures à celles dont bénéficient les agriculteurs européens !

Enfin, l'un des objectifs annoncés de l'OMC était de rétablir les conditions d'une concurrence loyale. A cette fin, vous vous proposez de combattre le dumping social et environnemental pratiqué par les PVD ; mais à la grande irritation de ceux-ci qui y voient une man_uvre destinée à mettre à mal leurs avantages comparatifs et à réduire leurs chances de gagner des parts de marché.

Vous semblez oublier le dumping monétaire qui fausse la concurrence. C'est si vrai que, sur une longue période, les courbes comparées de la valeur du dollar et des exportations européennes sont régulièrement inversées. A l'issue de la conférence ministérielle inaugurale de l'Uruguay-Round, les Etats-Unis avaient dû concéder le principe d'un correctif monétaire pour pallier les fluctuations erratiques du dollar par rapport à l'écu. Deux ans plus tard, la Commission abandonnait, hélas, cet acquis. Ce problème reste la clé de la loyauté du commerce international plus que ne l'est l'élimination du reliquat des droits de douane.

Dans votre propos liminaire, Monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas relevé la moindre ébauche d'une stratégie française et européenne. Vous vous êtes contenté de rappeler des lieux communs et de dresser un constat. Je le regrette car l'enjeu est de taille et la faiblesse de certains de nos partenaires qui tels les Allemands ou les Anglais ont pour les Américains les yeux de Chimène, nous obligerait plutôt à sonner la charge de cette guerre commerciale qui ne fait que commencer. D'autant plus que ce sont nos intérêts agricoles qui sont les plus menacés. Il ne suffit pas de se glorifier des performances de nos paysans à l'exportation : encore faut-il les préserver des concurrences déloyales.

Il est plus que temps, Messieurs les ministres, de vous ressaisir : en diplomatie aussi, il faut savoir dire non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Chantal Robin-Rodrigo - La France a choisi une économie ouverte et l'intégration européenne. C'est un bon choix, sachant que notre pays exporte près de la moitié de sa production industrielle, qu'il est le second fournisseur de services au monde, la seconde puissance agricole et le quatrième exportateur de produits manufacturés. N'oublions pas non plus que la croissance a été tirée depuis une quinzaine d'années par une progression des échanges de près de 7 % par an.

Si la France a su s'adapter à la mondialisation, nos concitoyens sont circonspects : financiarisation économique, concentrations bancaires et industrielles, embargo américain contre les productions françaises, vache folle, b_uf aux hormones, organismes génétiquement modifiés, marchandisation de la culture. Cet inventaire à la Prévert des dysfonctionnements de la mondialisation inquiète à juste titre nos compatriotes.

Même si elle n'est pas directement responsable de tous ces phénomènes, l'OMC traverse une crise de légitimité et il est regrettable que nous ne disposions pas d'un bilan global de l'application de l'accord de Marrakech au plan économique et social. A quelques semaines de la conférence à Seattle, ce «chaînon manquant» renforce le sentiment que la transparence et le débat démocratique restent à conquérir au sein de l'OMC.

Comme le souligne Béatrice Marre dans son excellent rapport, le commerce international tend à aggraver l'écart entre pays riches et pays pauvres -de même qu'il s'aggrave entre riches et pauvres à l'intérieur de chaque pays. Il est donc urgent de renforcer les règles multilatérales et d'éviter que l'OMC se limite à un face-à-face entre l'Union européenne et les Etats-Unis, en permettant aux pays du Tiers-monde de s'organiser collectivement pour devenir des interlocuteurs à part entière. En ce qui nous concerne, la politique commerciale étant de compétence communautaire, il est important de confier à la Commission un mandat de négociation clair.

Le demi-échec de la réunion du Conseil européen des affaires générales du 11 octobre dernier a démontré qu'il subsistait des différences d'approche ; depuis, le comité des représentants permanents des Etats membres de l'Union européenne est arrivé à un accord tant sur le chapitre de la diversité culturelle que sur celui des normes sociales. La France doit cependant convaincre les plus libéraux de nos partenaires de la nécessité de défendre à Seattle une conception qui préserve le modèle social européen et ouvre la voie à des relations moins déséquilibrées entre pays riches et pays pauvres. La reconnaissance que toutes les activités humaines ne peuvent être assimilées à des marchandises, la prise en considération des normes sociales, de sécurité sanitaire, de respect de l'environnement, l'interdiction du travail des enfants et des prisonniers, la promotion du développement des plus pauvres sont des impératifs sur lesquels nous ne devons pas transiger. Il nous faut parvenir à un accord clair, pour que l'Union européenne parle d'une seule voix ; l'accord conclu à Berlin sur l'agriculture, qui doit beaucoup à la pugnacité de Jean Glavany, peut servir de référence pour d'autres secteurs.

S'agissant des investissements, chacun a gardé en mémoire les conditions dans lesquelles l'AMI avait été rejeté dans le cadre de l'OCDE ; je souhaiterais savoir ce qui se cache derrière la pudique expression «protection des investissements». Il est souhaitable que l'OMC ne s'érige pas en gendarme mondial en imposant des règles universelles, dans un domaine qui est décisif pour le développement des pays du Tiers-monde. Il faut en particulier que les contrats d'achat public, qui restent l'un des rares leviers de développement permettant de soutenir l'industrie locale, demeurent à l'abri d'une conception ultralibérale.

Il nous faut également réaffirmer que l'OMC ne peut rester repliée sur elle-même, dominée par les fonctionnaires et les lobbyistes des multinationales. L'opinion publique, les parlements nationaux, le Parlement européen, les organisations non gouvernementales, les associations et les syndicats ont vocation à peser sur une institution dont, un jour ou l'autre, il faudra envisager l'intégration institutionnelle au sein de l'ONU. Je salue, de ce point de vue, l'excellente initiative de notre délégation pour l'Union européenne et de son président, Alain Barrau, d'organiser un colloque avec les organisations non gouvernementales et les syndicats le 9 novembre prochain.

Dans le même esprit, je me félicite que le Gouvernement ait le souci d'associer toujours plus l'Assemblée nationale à sa réflexion et à son action en matière de politique commerciale. Le débat d'aujourd'hui en appelle d'autres, si l'on veut donner une vraie légitimité démocratique à l'OMC (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Félix Leyzour - Je limiterai mon propos à l'agriculture.

Sur ce sujet, il y a continuité entre les différents cycles de négociation ; mais le contexte a évolué. Non seulement la mise en place de la zone euro change la donne au niveau européen, mais l'Europe et les Etats-Unis ne sont plus en tête-à-tête : désormais, les pays en voie de développement sont aussi partenaires. Par ailleurs, tout ne se passe plus entre seuls spécialistes. Qui, hier, connaissait la signification du sigle GATT ? Aujourd'hui, beaucoup de gens savent que OMC signifie organisation mondiale du commerce ; et ils sont nombreux à entendre libéralisation des échanges, pressions ultra-libérales des Américains et des groupes de l'agro-business, b_uf aux hormones, organismes génétiquement modifiés, prix à la production écrasés, élimination d'agriculteurs, concentration des productions...

De plus en plus, l'opinion met en avant le principe de précaution pour garantir la sécurité alimentaire, et souligne la nécessité de défendre la qualité et la diversité de l'alimentation, sans se plier aux exigences du capitalisme sauvage. Cette irruption de l'opinion publique dans le débat doit nous conduire à prendre appui sur elle pour donner un mandat clair et ferme aux négociateurs et nous devons lui donner toute sa place dans la négociation. La forte mobilisation contre l'AMI montre qu'il est possible de marquer des points contre l'ultralibéralisme.

L'objectif numéro un des Américains et du groupe de Cairns est le démantèlement de la PAC. En témoignent la déclaration du secrétaire d'Etat à l'agriculture, pour qui «à Seattle, l'objectif principal est de conclure l'agenda du cycle précédent» et donc d'éliminer les subventions à l'agriculture, de même que les propos de la représentante américaine à l'OMC, selon lesquels «les objectifs des Etats-Unis pour le round de Seattle comprendront la réduction des tarifs douaniers, l'élimination de subventions aux exportations et la diminution des soutiens intérieurs». Visiblement, ce qui reste de la PAC après les accords de Berlin est dans le collimateur des Américains -qui ne se privent pas, par le biais de leur système fiscal, de donner des avantages aux sociétés exportatrices, notamment dans les secteurs des céréales et du soja, et qui ont accordé en septembre dernier 7,5 milliards de dollars -plus de 50 milliards de francs- à leurs agriculteurs, venus s'ajouter aux 6 milliards de dollars versés l'an dernier.

On dit que le commissaire européen va négocier sur la base des accords de Berlin. Cela ne suffit pas à nous tranquilliser : ces accords ont certes permis d'éviter que ne soient appliquées dans leur brutalité les mesures préparées par la Commission, mais traduisent néanmoins d'importantes réductions des prix garantis aux producteurs et l'affaiblissement de la préférence communautaire. On sait en outre que le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas souhaitent aller plus loin dans la libéralisation des échanges. Nous avons donc à être extrêmement vigilants pour éviter la mort de la PAC.

Pour cela, il faut être offensif. Le renforcement des normes de sécurité et de qualité des aliments est un point important ; en décidant de maintenir l'embargo sur la viande bovine britannique, la France a bousculé la logique libérale de la Commission de Bruxelles.

Il faut aussi bousculer cette logique au niveau mondial, en faisant prévaloir le principe de précaution : dès lors que la preuve de l'innocuité d'un produit n'est pas établie, un Etat doit pouvoir interdire sa commercialisation. Sur cette base, il faut défendre la qualité et la diversité des produits.

La France doit être particulièrement active pour combattre les prétentions américaines à éliminer à terme les subventions à l'exportation, ce qui aboutirait à mettre l'agriculture européenne hors jeu en la privant de l'arme des restitutions pour la conquête des marchés tiers.

On cherche à faire croire aux populations pauvres de la planète qu'elles ont tout à gagner à la libéralisation des échanges, à la domination sans partage d'un libéralisme qui aboutirait à imposer à tous les pays les brevets des multinationales. Une entreprise américaine a ainsi déposé un brevet pour le riz basmati, que des populations consomment depuis des siècles... Sous couvert de mondialisation, on met en place l'arme alimentaire.

La production agricole et alimentaire ne peut pas être soumise à des négociations au couteau qui ruine les producteurs les plus fragiles et affame de nombreux peuples. Il faut donc s'attacher à transformer l'OMC en une instance valorisant les coopérations, promouvant la croissance, le développement durable et le progrès social et humain (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Laurent Dominati - Et vive la Corée du Nord !

M. Lionnel Luca - A un mois de la Conférence de Seattle, vous nous soumettez une proposition de résolution qui n'est rien d'autre qu'un catalogue de bonnes intentions destiné à rassurer ceux qui s'inquiètent, à juste titre, de la dérive mondialiste.

Ces négociations auraient pu se dérouler, comme les précédentes, dans l'indifférence générale, si des crises financières répétées, le déferlement de l'américanisation, la dépossession sournoise des souverainetés nationales et le mépris de la santé des peuples pour le seul profit de quelques multinationales n'avaient accéléré la prise de conscience des peuples qui souffrent de ces maux. En France, elle s'est manifestée lors des élections européennes, lorsque la seule liste clairement souverainiste, celle de Charles Pasqua et de Philippe de Villiers, est arrivée en seconde position, derrière celle du parti gouvernemental -elle-même traversée par un courant de même nature. Pendant l'été, les manifestations d'agriculteurs et les attaques symboliques contre l'un des symboles de l'hégémonisme américain ont été des signes supplémentaires de cet état d'esprit.

Voilà pourquoi vous vous êtes senti obligés de prévoir ce débat devant la représentation nationale, mais c'est un débat à la sauvette, tenu dans la précipitation et tronqué. Que sont trois heures pour des négociations de trois ans ? Et pourquoi cette discussion, coincée au milieu du débat budgétaire, et sans vote -ce qui évitera de révéler à l'opinion des contradictions internes ?

Mme Nicole Catala - Eh oui !

M. Lionnel Luca - De toute évidence, la proposition de résolution est destinée d'abord à ceux qui pensaient vous avoir élus pour combattre le capitalisme et qui n'en reviennent pas de vous voir progressivement vous coucher devant lui. C'est donc d'un alibi et d'un paravent qu'il s'agit. Il est consternant d'avoir vu, en commission, le représentant communiste retirer son amendement dénonçant les ravages des cent firmes multinationales. Il est heureux que, les usines de Renault étant désaffectées, il n'y ait plus personne à désespérer à Billancourt ! (Protestations sur les bancs du groupe communiste ; rires sur les bancs du groupe du RPR)

De même, il est assez réjouissant de constater que les élus socialistes se reconnaissent dans un texte de l'Union européenne affirmant haut et clair qu' « une libéralisation plus poussée et le développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la croissance »...

Manifestement, ce débat trompe-l'_il, où l'on privilégie le double langage, ne sert qu'à masquer votre renoncement ; un de plus !

M. Alain Clary - Réservez votre chiffon rouge aux bêtes à cornes !

M. Lionnel Luca - Sur le fond, la Conférence de Seattle n'est rien d'autre qu'une convocation des Etats-Unis, sur leur territoire, dans la ville de Boeïng et de Microsoft, avec l'objectif unique d'asseoir toujours davantage leur suprématie, sous couvert d'une mondialisation synonyme de colonisation.

Quelle est l'urgence de s'y précipiter, alors que, chacun le sait, les accords de démantèlement des souverainetés nationales conclus à Marrakech sont loin d'être tous entrés en vigueur et que ceux qui le sont n'ont fait l'objet d'aucune évaluation ?

M. Nicolas Dupont-Aignan - Très juste !

M. Lionnel Luca - Chacun sait bien que la négociation se terminera, comme par le passé, au profit exclusif des plus forts : les Etats-Unis. Mieux vaudrait freiner le mouvement que l'accélérer !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Pourquoi baisser les bras ?

M. Lionnel Luca - L'Union européenne accepte de répondre à cette convocation parce que cet engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais y figuraient également le b_uf aux hormones et la banane jamaïcaine, que, sous la pression de l'opinion publique, l'Union a rejetés !

L'urgence n'est pas de faire céder les derniers garde-fous mais, au contraire, de préserver toutes les civilisations du globe et d'empêcher qu'elles ne soient réduites au folklore, ou à ses sous-cultures.

Pourquoi, enfin, surenchérir et, alors que les Etats-Unis ont fixé un cadre de discussion limité, étendre les négociations à d'autres secteurs, dans lesquels s'imposera une fois de plus la loi du plus fort, celle des multinationales américaines ?

Surtout, ce n'est pas la France, troisième puissance commerciale mondiale, qui participera à ces discussions, mais l'Union européenne, par la voix d'un Français, comble de l'ironie. Ainsi, la nation qui représente quelque 45 Etats francophones s'en remet à un apparatchik forcément apatride, qui n'aura de compte à rendre qu'à ses congénères ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

C'est pourquoi MM. Guillet, Dupont-Aignan, Myard et moi-même avons demandé, par différents amendements, le report de la négociation, un bilan des accords de Marrakech et le refus de tout mandat global sur la libéralisation indifférenciée des services. La commission n'en a retenu aucun, sinon celui qui tendait à garantir un nouveau débat devant la représentation nationale qui sera ainsi, au moins, informée du déroulement des négociations, ce que ni le Gouvernement ni sa majorité n'avaient jugé utile ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Ainsi que l'a souligné Charles Pasqua, il ne suffit pas de se rendre à un spectacle dans lequel on rappelle le souvenir de celui qui a dit « non », il faut aussi ne pas passer le reste de son temps à dire « oui » ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Julien Dray - Le nom dont on l'affuble revêt finalement peu d'importance. Que l'on soit pudique en disant globalisation, mensonger en évoquant une «mondialisation heureuse», ou réaliste en parlant de «nouvel âge du capitalisme», le trait fondamental qui caractérise notre époque est que, le capitalisme financier contrôle tout : les flux économiques, les marges d'action des Etats-nations et le nouvel imaginaire culturel des peuples.

J'ai eu l'occasion, lors de la discussion budgétaire de décrire les conséquences de ce nouvel ordre : toujours plus de richesses, mais aussi des inégalités toujours plus grandes.

Le trompe-l'_il vient de ce que ce phénomène est présenté comme un ensemble cohérent et spontané, auquel on ne peut rien. Ce nouvel âge du capitalisme ne sort pourtant pas de l'_uf ! Il est le résultat d'un interventionnisme actif des négociateurs et des législateurs de chaque pays. L'OMC y occupe une place de choix, et son concours a été décisif dans l'installation d'un système qui, depuis dix ans, a amplifié comme jamais la déréglementation et, donc, la dépossession des Etats et des citoyens de leurs capacités d'intervention. La chute du Mur de Berlin a accentué ce mouvement, en libérant des terres vierges, et les négociations de Seattle sont une nouvelle étape d'un processus, régi par des principes toujours identiques.

Il y a donc fort à parier que par delà les déclarations d'intention et les habillages nous franchissions une nouvelle borne en instaurant une totale flexibilité, un nivellement des normes sociales par le bas et une commercialisation accrue de tous les secteurs de la vie.

La mondialisation se traduit donc à la fois par la concentration des richesses entre les mains de quelques uns et par la transformation de l'humanité non plus en une communauté de sujets mais en un marché d'objets.

Ceux qui ont défini l'ordre du jour officieux de ces négociations le savent parfaitement : l'objectif est bel et bien de créer les conditions telles qu'un gouvernement occulte puisse diriger le monde, bref, que nous soyons sous la dictature des firmes transnationales. Certains diront, je le sais, qu'il s'agit là d'une description apocalyptique ou d'une approche défaitiste. Pourtant Renato Ruggero, directeur général de l'OMC en 1998, n'a-t-il pas dit qu'il «rédigeait la constitution d'une économie mondiale unifiée» ? Pourtant Mme Barshefsky, représentante spéciale des Etats Unis chargée du commerce, n'a-t-elle pas dit que l'objectif des négociations était «d'encourager l'extension des privatisations», de «promouvoir la réforme des réglementations pour favoriser la concurrence» et d'«obtenir l'accès aux marchés pour tous les services» ? Pourtant le Président Clinton ne s'est-il pas dit « déterminé à poursuivre une stratégie agressive d'ouverture des marchés dans toutes les régions du monde » ?

Vous nous dites avoir construit des digues qui vont permettre de moraliser l'OMC et de la rendre plus démocratique. N'en doutons pas : on permettra aux gouvernements de sauver la face. Ils obtiendront peut-être la reconnaissance de l'exception culturelle, du principe de précaution en matière de sécurité alimentaire, et de vagues recommandations sociales limitées au strict minimum, c'est-à-dire à une déclaration interdisant le travail des enfants.

Mais ce qu'on ne dira pas, c'est que, la négociation étant globale, il faudra bien céder sur d'autres terrains. Lesquels ? Pas seulement sur des transactions commerciales portant sur des milliers de milliards de dollars chaque année, mais sur toutes les activités humaines, c'est-à-dire, la distribution, les travaux publics, l'architecture, la décoration, l'entretien, le génie civil, les services financiers et d'assurances, la recherche-développement, les services immobiliers, les postes, les télécommunications, l'audiovisuel, le tourisme, la voirie, l'enlèvement des ordures, l'assainissement, la protection du paysage, l'aménagement urbain, les spectacles, les bibliothèques, les archives et les musées, l'édition, la publicité, les transports et la formation permanente, la santé animale et humaine, soit plus de 160 sous-secteurs et activités... On voit bien les déséquilibres terribles qui naîtront de l'accord à venir. Voilà pourquoi il faut clarifier les choses. Il ne s'agit pas de s'enfermer dans l'isolationnisme ou le protectionnisme mais de proposer une alternative en rupture avec la logique libérale. C'est d'ailleurs la seule manière d'éviter que demain, partout en Europe, le refus du libéralisme ne se traduise par une montée du nationalisme ségrégationniste.

La démarche que vous devez faire prévaloir à Seattle, c'est celle de la mobilisation citoyenne, qui ne demande d'ailleurs qu'à s'exprimer. Mais pour que ce contrôle ait un effet, encore doit-il pouvoir combattre à armes égales l'armada des conseillers de la chambre de commerce internationale, des centaines de fonctionnaires américains et des lobbies qui dépensent sans compter pour faire valoir leurs droits.

Sans plus attendre, il faut donc exiger que soit réalisé un audit précis de la situation. Aussi longtemps que ses conclusions ne sont pas connues, toute décision nouvelle doit faire l'objet d'un moratoire.

Dans le même temps, la France devrait demander à l'Organisation internationale du travail de présenter une charte fondamentale des droits de la personne. D'ores et et déjà, notre assemblée doit prendre ses responsabilités en constituant une délégation permanente à l'OMC et en invitant le Parlement européen à faire de même.

Mes chers collègues, nous entendons souvent parler du mal-être des responsables politiques et de leur impuissance à peser réellement sur le cours des événements. Avouons-le, beaucoup d'entre nous se posent la question : «à quoi servons-nous ?»

Aujourd'hui se présente à nous la possibilité de reprendre en main ce que beaucoup cherchent à faire disparaître : le droit des peuples à disposer de leur avenir par l'intermédiaire de leurs responsables politiques.

A nous d'avoir le courage d'en appeler aux citoyens pour qu'il nous aident à définir une mondialisation qui soit à leur service au lieu de servir les multinationales (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur plusieurs bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin et M. Lionnel Luca - Très bien !

M. Yves Cochet - J'appuierai mon propos sur l'ORD en partant de l'exemple de la banane. On le sait, l'ORD a donné raison à l'Equateur, pays téléguidé par les Etats-Unis, contre l'Europe, estimant le préjudice qu'il avait subi à 200 millions de dollars, qui devront lui être remboursés.

Or, à quoi sert le régime ACP ? A garantir aux travailleurs des pays signataires des accords de Lomé un minimum de droits sociaux et syndicaux, et à leur permettre, aussi, de refuser l'usage de certains pesticides inutiles et dangereux. L'accord ACP garantit donc certaines normes sociales et environnementales. Pour dire les choses plus brutalement, la banane ACP n'est pas produite par des esclaves. La banane équatorienne ou jamaïquaine, si !

Dans le cas de la viande aux hormones, autre sujet de litige entre l'Union européenne et les Etats-Unis, c'est le principe de précaution qui est en jeu : en vertu de ce principe, depuis dix ans l'Union européenne refuse d'importer de la viande bovine américaine et canadienne traitée aux hormones. Mais l'accord dit SPS fournit une interprétation minimaliste des normes sanitaires internationales et fait prévaloir les intérêts commerciaux. En outre la charge de la preuve du risque sanitaire incombe à l'Union européenne !

A un mois du prochain cycle de négociations, trois questions se posent : le non-respect du principe de précaution, la collusion entre intérêts commerciaux et pouvoir judiciaire à l'OMC, enfin la capacité d'intervention du politique dans la régulation du commerce international.

Le principe de précaution, consacré par la Conférence de Rio, n'est pas mis en _uvre par les règles du commerce mondial. Il faudrait le faire d'urgence en inversant la charge de la preuve, qui devrait incomber aux producteurs.

Se pose dès lors la question de la localisation de l'organe de règlement des différends. La tutelle de l'OMC ne garantit pas l'impartialité des décisions. Il est inadmissible qu'une organisation à vocation commerciale ait la prétention de dire le droit et d'édicter des principes juridiques universels. Il faut donc déconnecter le juge de la partie en transférant les différends à une instance indépendante, par exemple une section spécialisée de la Cour de justice internationale. Sinon l'affaire de la banane ou du b_uf aux hormones se reproduira.

Enfin il est impératif de politiser et démocratiser les négociations commerciales en les ouvrant à des observateurs critiques et en donnant aux parlements les moyens de les préparer en amont («Tout à fait !» sur les bancs du groupe communiste). On pourrait d'ailleurs s'inspirer des Etats-Unis, où le Congrès a compétence pour suivre et ratifier les accords commerciaux.

Alors que la réunion ministérielle de l'OMC à Seattle va inaugurer un nouveau cycle de discussions tendant notamment à élargir les compétences de l'OMC, il est urgent de créer au sein de notre Parlement une délégation permanente aux accords et traités multilatéraux et même de modifier la Constitution afin que nos assemblées puissent orienter la politique internationale de notre pays.

M. François Guillaume - Vous avez la majorité pour le faire !

M. Yves Cochet - Bref, nous ne voulons plus être les ratificateurs muets de textes intouchables (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Je me félicite de la haute tenue politique de ce débat sur un sujet passionnant. Nous traitons à la fois de questions qui sont vieilles comme l'économie politique -libre-échange contre protectionnisme- et de sujets très actuels, comme la maîtrise de la mondialisation. Le débat a permis d'éclairer et enrichir les propos de M. Huwart.

Plusieurs d'entre vous ont soulevé une question de forme : pourquoi un débat sans vote ? Ce n'est pas du fait du Gouvernement. Je rappelle qu'il y a déjà eu deux votes sur l'OMC : la proposition de résolution de Mme Marre a été adoptée le 30 septembre, à la quasi unanimité, par la délégation pour l'Union européenne et le 6 octobre par la commission de la production. Le Gouvernement a donc disposé de la position du Parlement avant le Conseil du 11 octobre. Si aujourd'hui il n'y a pas de vote, c'est parce que l'usage, disons excessif, de certaines motions de procédure nous a conduits à inscrire à l'ordre du jour une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une résolution. Nous n'avions rien à craindre d'un vote, l'unanimité en commission l'a montré.

Je rappelle que la communication de la Commission européenne sur le mandat de négociation vous a été transmise volontairement par le Gouvernement. Nous resterons à la disposition du Parlement pour nous expliquer continuellement sur les négociations de l'OMC.

M. le Président de la délégation - Très bien !

M. le Ministre délégué - Même sans vote, la résolution adoptée par vos commissions constituera pour le Gouvernement un point d'appui essentiel dans les négociations. La délégation française comprendra d'ailleurs des parlementaires de toutes les familles politiques.

Sur le fond, nous sommes favorables à la participation à ce cycle de négociations pour plusieurs raisons. Nous ne tenons pas de double langage, Monsieur Dominati. Notre position est claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du commerce international...

M. Laurent Dominati - Très bien !

M. le Ministre délégué - ...mais nous voulons aussi qu'il soit régulé et que nos intérêts soient préservés.

M. Luca et d'autres se sont demandé s'il fallait aller à Seattle. Je pense que oui car la politique de la chaise vide desservirait nos intérêts nationaux.

Nous sommes favorables à ces négociations parce que l'ouverture du commerce international stimule la croissance, les faits l'ont montré : depuis l'Uruguay Round la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à l'accroissement du commerce international, qui atteint 8 % par an. Dans notre pays, un emploi sur quatre dépend du commerce extérieur. La France, quatrième puissance commerciale mondiale, troisième exportateur de services, a un parti important à tirer de l'ouverture des échanges.

La deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles reconnues internationalement. Nous ne sommes pas comme vous, Monsieur Dominati, pour une mondialisation sans règles ni contrepoids...

M. Laurent Dominati - J'ai dit l'inverse ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - En dix ans nous sommes passés de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos économies que les comportements de nos concitoyens sont largement tributaires d'évolutions extérieures au territoire national.

C'est une réalité, on ne doit pas la nier, mais l'organiser, avec la volonté de remettre de l'ordre dans l'économie internationale.

Enfin, troisième raison, nous sommes convaincus qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en voie de développement. Vous avez été plusieurs à le souligner, la mondialisation a soutenu la croissance, mais de manière inégale, elle est créatrice d'injustices. On voit se développer à l'échelle de la planète des politiques de firmes orientées entièrement sur le bénéfice des actionnaires, avec des conséquences néfastes pour l'emploi et la constitution de fortunes très choquantes : les 200 plus grosses fortunes du monde équivalent aux ressources de 41 % de la population mondiale. Cela doit être maîtrisé et je salue, à cet égard, le rapport présenté par M. Lefort à la délégation européenne il y a déjà un an.

La richesse tend à s'ordonner autour de quelques lieux privilégiés à tous points de vue, tandis que de vastes ensembles démographiques sont mis à l'écart des circuits d'échanges.

En même temps, Monsieur Lajoinie je ne crois pas que l'OMC assure la domination des grands sur les petits. Au contraire, ces derniers peuvent se faire entendre puisque chaque pays dispose d'une voix et que les décisions se prennent par consensus. Il est de notre responsabilité et de notre intérêt d'intégrer les pays en voie de développement dans l'OMC. Celle-ci doit aussi tendre vers l'universalité, et notamment par l'adhésion de la Chine et de la Russie.

Voilà donc pourquoi il faut aller à Seattle : pour y négocier de façon ferme, mais sans refuser le débat et utiliser ce cadre en essayant de l'élargir. Contrairement à M. Dray, je ne crois pas que l'OMC soit un acteur de la mondialisation libérale où préfigure un gouvernement occulte du monde. Elle est un cadre de régulation, qu'il serait paradoxal de refuser.

L'Union européenne jouera tout son rôle dans ces négociations et elle est plus unie que par le passé. Je crois même, comme M. Gaillard, qu'elle est mieux préparée que les Etats-Unis. En outre, l'UE ne sera pas isolée. Le Conseil des affaires générales du 11 octobre avait fixé le cadre de notre position ; vendredi les dernières questions en discussion ont été résolues de façon satisfaisante. L'Union doit être capable de peser dans ces négociations comme puissance politique.

Comme l'ont indiqué M. Huwart et Mme Marre, nous voulons un cycle large. L'accord de Marrakech prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et sur les services au 1er janvier 2000. Mais nous n'acceptons pas de nous en tenir là. L'UE veut que soient aussi inscrits à l'ordre du jour les «nouveaux sujets» définis par la conférence ministérielle de Singapour. J'en évoquerai quatre.

Sur les règles de l'investissement international, j'ai bien entendu M. Sarre et Mme Robin-Rodrigo. En 1998, le Premier ministre a refusé que l'on discute de l'AMI -ce faux ami selon Jack Lang- et précise qu'il fallait bien harmoniser les règles en la matière, non dans le cadre restreint des pays riches de l'OCDE, mais dans celui plus légitime de l'OMC. Nous voulons changer le contexte et les thèmes de cette négociation, en tenant compte des rapports Nord-Sud et du développement durable. Le moment est venu d'expliquer aux PVD qu'ils attireront mieux les investissements directs grâce à des règles communes, pourvu qu'ils offrent aussi un cadre sûr aux investisseurs.

Le second sujet nouveau concerne la concurrence. Certaines pratiques portent atteinte aux droits des consommateurs. Nous le constatons au niveau national et européen mais, étant donné le poids des groupes internationaux, c'est au niveau mondial qu'il faut réguler la concurrence. Bien entendu l'OMC n'a ni la vocation ni les moyens d'être une autorité mondiale de la concurrence. Mais nous souhaitons qu'au cours du prochain cycle, l'on fixe un corps de principes et de procédures grâce auxquels les différents pays pourront mener des politiques compatibles entre elles.

Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. L'UE n'a pas à redouter qu'il y ait plus de délocalisations avec l'ouverture des marchés. Le coût du travail n'est en effet que l'un des éléments de la compétitivité globale et l'Union européenne a d'autres atouts. Pour autant, ni sur le plan moral ni sur le plan économique, nous ne pouvons accepter que certains pays exportent librement des produits issus du travail des enfants et des prisonniers.

C'est pourquoi nous demandons la création d'un forum permanent conjoint entre OIT et OMC pour que cette dernière prenne en compte les normes sociales fondamentales élaborées par l'OIT.

Enfin, il faut que l'OMC tienne mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement. Il faut situer les échanges dans le cadre du développement durable et comme M. Cochet, je souhaite qu'ils soient mieux régulés afin de ne pas dégrader davantage l'air, l'eau ou la couche d'ozone.

Nous voulons que ce cycle soit large, mais également global. C'est pourquoi nous tenons au principe fondamental de l'engagement unique. Rien ne sera décidé s'il n'y a pas accord sur l'ensemble des sujets. Nous refusons donc l'idée de « récoltes précoces » c'est-à-dire des accords partiels.

Notre société veut préserver une alimentation de qualité, une identité culturelle, le caractère non-marchand de la santé et de l'éducation. Ces attentes sont légitimes, et ces questions ne sont pas négociables. Je pense comme M. Gaillard que le rôle du politique doit être réhabilité. Aussi ferons-nous valoir le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, si cher à certains dans l'OMC. Nous n'accepterons pas qu'à l'occasion de discussion sur le commerce international on mette en cause les fondements de notre vie collective. Sur ce point, je préfère l'opinion de M. Gaymard à celle de M. Luca.

Après une longue discussion nous aurons obtenu que l'Union européenne fixe à la Commission un mandat concernant la culture et l'agriculture. La Commission va négocier pour nous, il faut lui fixer des orientations, sinon elle négociera librement.

M. François Guillaume - Elle peut ne pas négocier.

M. le Ministre délégué - Le Président de la République et le Gouvernement ont donc souhaité qu'un mandat soit fixé. Nous avons fait des propositions à ce sujet dès avant le Conseil du 22 octobre, et jusqu'à l'adoption d'un mandat par le COREPER qui travaille sur instruction. L'Union européenne s'engage sur la diversité culturelle, le maintien des acquis de Marrakech, et veillera à la libre mise en _uvre des politiques culturelles dans l'audiovisuel. Il s'agit, forcément, d'un compromis, mais il est satisfaisant. Dans le domaine culturel, comme l'a dit M. Huwart, l'exception devient la règle, la libéralisation l'exception.

Pour l'agriculture, nous nous appuierons sur l'excellent texte des ministres, texte qui doit beaucoup à Jean Glavany et auquel le Conseil a dûment renvoyé dans ses conclusions. Par ailleurs, tout complexe serait déplacé devant les Etats-Unis : lorsqu'ils nous taxent de protectionnisme ou que Mme Barshefsky se livre une attaque en règle contre la PAC, il suffit de leur rappeler qu'ils dépensent 60 milliards de dollars pour leurs agriculteurs alors que l'Union n'en consacre que 40 aux siens, malgré une population plus nombreuse !

Et que M. Leyzour se rassure : comme lui, nous entendons bien protéger le modèle agricole européen, à la fois dans ce qu'il a de traditionnel et de neuf, et faire valoir les exigences de la sécurité alimentaire. Le Premier ministre a d'ailleurs rappelé ces orientations jeudi, lors de la table ronde qui réunissait les organisations professionnelles : défense de l'agriculture multifonctionnelle, prise en compte de la qualité et de la sécurité et, Monsieur Gaillard, référence aux accords de Berlin. Le mandat de négociation de l'Union sera conforme à ces principes.

Pour ce qui est des DOM et de la coopération dans la région caraïbe, le Premier ministre abordera le sujet lors de son voyage aux Antilles, à la fin de cette semaine, mais je vous renvoie aussi au projet de loi d'orientation.

Qu'il soit donc clair que, dans cette négociation, nous n'entendons pas plus renoncer à notre mode de vie que les Américains à l' American way of life ! Nous irons donc à Seattle en nous montrant intransigeants quant à nos convictions, mais en essayant de le faire intelligemment : nous défendrons nos intérêts et nos spécificités de façon offensive. C'est précisément parce qu'elle a, à la fois, cette capacité défensive et offensive que je crois à l'Europe comme puissance apte à organiser la mondialisation, avec la contribution éminente de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Lionnel Luca - Amen !

M. le Président - Le débat est clos.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au lundi 22 novembre inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu intégral de la présente séance.

Prochaine séance ce mardi 26 octobre, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ANNEXE ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au lundi 22 novembre 1999 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents:

Cet APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

      _ explications de vote et vote par scrutin public sur la première partie du projet de loi de finances pour 2000 ;

      _ projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 ;

à 21 heures, et MERCREDI 27 OCTOBRE, à 9 heures, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

JEUDI 28 OCTOBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures,

et éventuellement, VENDREDI 29 OCTOBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000.

MARDI 2 NOVEMBRE, à 10 heures :

      _ discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · services du Premier ministre : services généraux, SGDN, Conseil économique et social, plan, journaux officiels ;

          · enseignement supérieur, recherche et technologie ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ explications de vote et vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 ;

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · enseignement supérieur, recherche et technologie (suite).

MERCREDI 3 NOVEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · fonction publique, réforme de l'Etat et décentralisation ;

          · anciens combattants.

JEUDI 4 NOVEMBRE, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · équipement et transports.

VENDREDI 5 NOVEMBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · culture ;

          · intérieur ;

      _ projet de loi modifiant le code général des collectivités territoriales et relatif à la prise en compte du recensement général de la population de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales.

LUNDI 8 NOVEMBRE, à 10 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · environnement ;

          · travail et emploi.

MARDI 9 NOVEMBRE, à 9 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · solidarité et santé ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · justice (procédure expérimentale) ;

          · légion d'honneur et ordre de la Libération ;

          · solidarité et santé (suite).

MERCREDI 10 NOVEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · affaires étrangères (procédure expérimentale) ;

          · défense (procédure expérimentale).

LUNDI 15 NOVEMBRE, à 10 heures, à 15 heures et à 21 heures:

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · tourisme ;

          · outre-mer.

MARDI 16 NOVEMBRE, à 9 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · ville ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures:

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · logement (procédure expérimentale) ;

          · éventuellement, ville (suite) ;

          · enseignement scolaire.

MERCREDI 17 NOVEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures:

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · agriculture et pêche ; BAPSA.

JEUDI 18 NOVEMBRE, à 9 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · communication ;

à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · jeunesse et sports (procédure expérimentale) ;

          · éventuellement, communication (suite) ;

          · aménagement du territoire.

VENDREDI 19 NOVEMBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat ;

          · économie et finances : charges communes, services financiers, monnaies et médailles, comptes spéciaux du Trésor, taxes parafiscales ; commerce extérieur ;

          · industrie, poste et télécommunication.

LUNDI 22 NOVEMBRE, à 10 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 :

          · articles non rattachés.


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