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Session ordinaire de 1999-2000 - 31ème jour de séance, 74ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 24 NOVEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

PROPOS DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR SUR LE
TRAVAIL DES COMMISSIONS PARLEMENTAIRES 2

TITRE D'IDENTITÉ RÉPUBLICAIN 3

PRÉLÈVEMENT SUR LES CONTRATS DE
RETRANSMISSION AUDIOVISUELLE
DES ÉVÉNEMENTS SPORTIFS 3

NÉGOCIATIONS DE L'OMC 4

ENCOMBREMENTS DANS LA VALLÉE DU RHÔNE 5

LOGEMENT 6

REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX 7

RAPPORT PATRIAT SUR LA CHASSE 8

SIÈGE SOCIAL D'EADS 8

FISCALITÉ DES CÉLIBATAIRES 9

ACCORDS INTERNATIONAUX SUR
LES MÉDICAMENTS 9

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL 10

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ
SOCIALE POUR 2000 (nouvelle lecture) 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 15

QUESTION PRÉALABLE 19

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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PROPOS DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
SUR LE TRAVAIL DES COMMISSIONS PARLEMENTAIRES

M. Dominique Dord - Monsieur le Premier ministre...

Plusieurs députés UDF et DL - Il n'est pas là !

M. Dominique Dord - ...alors que le pays traverse, avec l'affaire corse, une crise institutionnelle grave, que des conflits internes paralysent les services de police, que de hauts magistrats en appellent au Président de la République, M. Philippe Houillon vous a interrogé hier sur les propos méprisants tenus par Jean-Pierre Chevènement à l'encontre de la représentation nationale (Protestations sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe DL). Alors que la question vous était personnellement adressée, vous avez préféré désigner Mme la Garde des Sceaux pour y répondre. C'est donc à elle que le Président de l'Assemblée a donné la parole. Quelle ne fut donc pas notre surprise -et la vôtre- de voir le ministre de l'intérieur se ruer sur le micro ! (M. le Premier ministre entre dans l'hémicycle) Cet incident montre que tous les rouages de l'Etat sont désormais atteints de dysfonctionnements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Or Jean-Pierre Chevènement n'a rien dit des conflits internes qui existent au sein de son ministère, il s'est contenté d'un dégagement sur la séparation des pouvoirs judiciaire et législatif, question légitime que posent d'ailleurs plusieurs magistrats de l'anti-terrorisme mais qui n'était pas celle de M. Philippe Houillon. Je vous repose donc aujourd'hui la même question, étant entendu que M. Chevènement n'est pas qualifié pour y répondre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), sauf s'il entend présenter ses excuses aux parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, qui ont siégé dans ces commissions d'enquête. Condamnez-vous, Monsieur le Premier ministre, les propos méprisants de votre ministre de l'intérieur, qui nourrissent l'antiparlementarisme et portent atteinte à la crédibilité de l'Assemblée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je suis très heureuse de pouvoir répondre à votre question (Sourires sur divers bancs) pour dire tout d'abord que Jean-Pierre Chevènement et nous travaillons ensemble (Exclamations sur les bancs du groupe DL) ; et que quand un membre du Gouvernement s'exprime, il le fait au nom de l'ensemble du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). S'agissant des rapports des commissions parlementaires, je voudrais souligner qu'ils contiennent aussi, même si la presse n'en a guère fait état -comme on sait, elle s'intéresse peu aux trains qui arrivent à l'heure-, des louanges sur le fonctionnement des services publics, en particulier sur celui de la justice.

Plusieurs députés DL - Ce n'est pas la question !

Mme la Garde des Sceaux - Le rapport du Sénat, dont je salue l'objectivité, note ainsi que l'on est passé de « l'inertie » au « sursaut » dans le domaine de la question Corse (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL, bancs sur lesquels le brouhaha se prolonge pendant toute la durée de la réponse de Mme la Garde des Sceaux), que depuis deux ans, l'attitude des juges a changé et que l'on constate une fermeté nouvelle. Aucun des deux rapports ne remet en cause la centralisation des affaires terroristes à Paris et les deux soulignent à quel point la répartition du travail entre magistrats parisiens et corses se fait harmonieusement.

Cela étant, des améliorations sont possibles et le Gouvernement tiendra donc le plus grand compte des propositions faites dans ces deux rapports parlementaires. En ce qui me concerne, je demanderai au procureur général de Corse un rapport sur le fonctionnement de la justice criminelle et j'inviterai les magistrats de Paris et de Corse à réfléchir ensemble sur les moyens d'améliorer la répartition entre eux des compétences. Enfin, j'ai demandé qu'un groupe composé de magistrats corses, de représentants des services fiscaux, des douanes, des banques et du Tracfin soit institué pour cerner les contours de la criminalité organisée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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TITRE D'IDENTITÉ RÉPUBLICAIN

M. Bernard Roman - Le 20 novembre dernier, nous avons fêté le dixième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant. En cette fin de siècle, nous pouvons nous féliciter d'avoir mené ce combat, trop souvent délaissé, pour que les droits des enfants, leur liberté et leur citoyenneté soient reconnus. Cet anniversaire nous donne l'occasion d'évoquer une mesure votée ici, en décembre 1997, dans la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France : la création du titre d'identité républicain.

Jusqu'alors, les enfants nés en France de parents étrangers étaient des sans-papiers. Seuls le passeport ou le titre de séjour de leurs parents témoignaient de leur identité. Français à 18 ans mais avant cet âge, étrangers sans pièce d'identité, privés de voyages scolaires à l'étranger et interdits de visite des bâtiments officiels, ces enfants de l'immigration ont trop souvent connu la discrimination. Grâce à la gauche (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et malgré l'opposition de la droite parlementaire, ces enfants sont traités comme les autres et ont des papiers d'identité. Ce sont des enfants de la République.

Pouvez-vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, nous faire un premier bilan de cette mesure qui a constitué un petit pas pour le législateur, un grand pas pour la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Vous avez raison de rappeler l'innovation qu'a constitué, dans la loi Reseda du 11 mai 1998, l'institution d'un titre d'identité républicain. Nous avons mis fin à un vide juridique choquant et progressé dans la voie de l'égalité et de l'intégration.

Dans le même esprit d'intégration, la réforme du code de la nationalité, conduite par Mme Guigou, a réaffirmé le droit du sol, qui avait auparavant subi quelques atteintes. De mon côté, je m'attache à promouvoir l'accès à la citoyenneté de ces jeunes Français qui, issus des dernières vagues de l'immigration, méritent qu'on leur donne les mêmes chances qu'aux autres enfants de la République.

Concernant le titre d'identité républicain, une circulaire du 5 février 1999 a prévu un suivi statistique. Nous disposerons de données précises au premier trimestre 2000 mais les premiers résultats font état de 25 à 30 000 titres délivrés annuellement (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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PRÉLÈVEMENT SUR LES CONTRATS DE RETRANSMISSION AUDIOVISUELLE
DES ÉVÉNEMENTS SPORTIFS

M. Jean-Claude Beauchaud - Les équipes sportives de haut niveau obtiennent de brillants résultats dans de nombreuses disciplines, mais sans le sport de masse, ces résultats ne susciteraient pas le même engouement chez nos concitoyens. Cependant, les bénévoles des petits clubs ressentent souvent de l'amertume, sinon de l'éc_urement quand ils mettent leurs conditions d'exercice en regard des tourbillons financiers du sport professionnel.

L'article 31 bis du projet de loi de finances pour 2000 prévoit un prélèvement sur les contrats de retransmission audiovisuelle signés par les fédérations sportives, lequel alimenterait le Fonds national de développement du sport pour aller ensuite aux petits clubs. Mais certaines instances du sport professionnel semblent s'être émues de ce qu'elles considèrent comme une nouvelle taxe.

Pouvez-vous donc, Madame la ministre de la jeunesse et des sports, nous éclairer sur cet article et nous dire quand il entrera en vigueur et quand les petits clubs pourront en bénéficier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Cette mesure est une mesure de solidarité entre les différents sports ainsi qu'entre les différents niveaux de sport.

Vous évoquez les brillants résultats remportés par les équipes nationales, mais leur obtention commence à l'évidence par l'accueil des enfants dans un club local animé par des bénévoles (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

L'argent n'ira pas dans les caisses de l'Etat mais directement au FNDS, qui le redistribuera immédiatement en cogestion avec le mouvement sportif.

Quelques voix -très peu- se sont élevées contre ce prélèvement. Le débat continue. Le Gouvernement et sa majorité ont entendu le sport professionnel, dont l'importance économique et sociale a été reconnue. Une loi va être bientôt adoptée pour donner aux clubs différentes possibilités de statut, encourager les clubs formateurs et protéger les sportifs mineurs. Les subventions au sport professionnel seront maintenues. Il faut aussi que le sport professionnel pense au sport amateur (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Les bénévoles se sentent plutôt ponctionnés qu'aidés. C'est pourquoi nous avons augmenté de 37 % la part régionale du FNDS, qui recevra aussi les bénéfices de la Coupe du monde et le produit de ce prélèvement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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NÉGOCIATIONS DE L'OMC

Mme Béatrice Marre - Monsieur le ministre de l'économie, le 30 novembre, à Seattle, va s'ouvrir la conférence de l'OMC au cours de laquelle seront définis le contenu, la durée et les modalités du prochain cycle de négociations.

Chacun connaît les enjeux de cette conférence : confirmer le rôle régulateur de l'OMC -car en l'absence de règles, c'est la loi du plus fort qui régit tout- et définir la place de cette organisation parmi les autres instances internationales. Ce qui est en jeu, c'est notre modèle agricole, la diversité culturelle, la préservation des prérogatives de la puissance publique, en particulier dans les domaines de l'éducation et de la santé.

La discussion doit être globale, ce qui exclut tout accord partiel, et aussi multilatérale, les pays en voie de développement ayant aussi voix au chapitre. Cette conférence ne doit pas se limiter à un face à face entre Européens et Américains.

Pour la première fois, l'Union européenne discutera sur la base d'un mandat de négociation qui doit beaucoup à la France. L'Union européenne se trouvera ainsi en position centrale dans ces négociations, qu'elle refusera d'entamer si les Etats-Unis n'en élargissent pas le champ.

L'accord conclu entre la Chine et les Etats-Unis constitue-t-il une avancée ? L'absence de compromis à Genève ne fait-elle que refléter le caractère politique du cycle qui va s'engager ? En effet, la mobilisation des opinions publiques interdit que les négociations aient lieu hors de tout contrôle démocratique. Enfin, quel jugement vous inspire la stratégie de Pascal Lamy ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Dans votre rapport, qui est devenu un document de référence (Exclamations sur les bancs du groupe DL), vous souhaitiez, Madame Marre, que nous passions «d'une mondialisation subie à un développement contrôlé»... Telle est bien la volonté du Gouvernement, qui entend substituer une logique de régulation à l'actuelle logique de libéralisation.

Telle est la position que François Huwart et moi-même défendrons à Seattle, où nous irons accompagnés de dix-sept parlementaires, car il nous a paru important que la représentation nationale soit associée à ces négociations.

La perspective d'une adhésion de la Chine à l'OMC constitue un progrès, car elle permet d'espérer un rééquilibrage de cette organisation au sein de laquelle les pays en voie de développement doivent prendre une place plus importante. Il reste cependant des points à négocier entre l'Europe et la Chine.

L'absence de compromis à Genève s'explique par des raisons tactiques et des raisons de forme. Les conditions d'un accord n'étaient pas réunies, mais elles le seront. La France, cependant, n'acceptera pas n'importe quoi.

L'approche européenne est la bonne, car elle répond aux attentes des citoyens du monde entier.

Promouvoir notre modèle agricole, préserver les ressources naturelles, faire respecter le principe de précaution en matière alimentaire, édicter des normes sociales et nouer une nouvelle alliance avec les pays en voie de développement, tels sont les enjeux de cette conférence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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ENCOMBREMENTS DANS LA VALLÉE DU RHÔNE

M. Eric Besson - Monsieur le ministre des transports, je souhaite revenir sur les encombrements qui viennent de paralyser la vallée du Rhône.

Contrairement à ce qui a été suggéré hier, les facteurs météorologiques ne suffisent pas à expliquer pourquoi les automobilistes se sont retrouvés dans une véritable nasse. Certes, la neige est tombée et on avait sous-estimé l'enneigement.

Mais, comme il y a trois ans, ce sont des erreurs humaines et même des fautes lourdes qui ont transformé la situation en cauchemar. Comme il y a trois ans, la Société des Autoroutes du Sud de la France s'est montrée incapable d'assumer ses responsabilités de concessionnaire. Elle a sous-estimé le trafic, n'a pas su filtrer l'accès aux autoroutes et n'a pas réussi à organiser les poids lourds en convois derrière des chasse-neige. Elle n'a pas non plus informé convenablement ses usagers, diffusant des informations véritablement débiles sur Radio trafic. Tout ce qu'elle a fait, c'est ouvrir ses sorties et laisser ses clients s'embourber sur les petites routes.

Par ailleurs, la coopération interrégionale et interdépartementale n'a pas fonctionné. On a laissé arriver les automobilistes au lieu de les dévier en amont.

Par bonheur, une nouvelle fois, la température est restée clémente. Nous n'aurons pas toujours une telle chance.

Nous déplorons chaque année les encombrements de l'été ; nous nous lassons maintenant du feuilleton des naufragés de la neige.

Je souhaite que vos services enquêtent sur les carences constatées. Il faut aussi songer à limiter l'accès aux autoroutes de la vallée du Rhône quand les conditions l'exigent et mieux coordonner le rail et la route. Je vous demande d'accorder une grande attention à ce cordon vital qu'est la vallée du Rhône (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Conformément au plan neige élaboré après 1997, il a été procédé à un stationnement forcé des poids lourds, ce qui a permis d'éviter la paralysie du réseau secondaire.

Comme vous l'avez dit, des dysfonctionnements ont été constatés. Jean-Pierre Chevènement et moi-même avons décidé de demander à nos services une inspection conjointe dont les conclusions nous aideront à éviter que de tels encombrements se reproduisent.

Vous suggérez une restriction d'accès pour les poids lourds au moment des grandes migrations : vous connaissez la détermination du Gouvernement à défendre certaines limitations au transport routier au sein de la Commission européenne. Le problème de la saturation du couloir rhodanien renvoie à celui du transfert rail-route, que le Gouvernement souhaite encourager. Si la mise en service du TGV Méditerranée va libérer des sillons, cela ne nous dispensera pas de désengorger certaines voies à la hauteur de Dijon, de Lyon et de Montpellier.

Les contrats de plan vont nous aider à améliorer la situation. Il faut renforcer le transport combiné et le ferroutage, mais aussi certaines voies routières stratégiques, comme l'A75, l'A9 et l'A51. Le Gouvernement, en matière de transports, a décidé de changer la donne (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

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LOGEMENT

M. Patrice Carvalho - Monsieur le secrétaire d'Etat au logement, quand nous avons adopté la loi contre les exclusions, nous avons réformé cet impôt injuste qu'est le surloyer. Le groupe communiste souhaite sa suppression complète, afin de favoriser la mixité sociale.

Lors de l'examen de la loi de finances, l'amendement que nous avions déposé à cet effet a été repoussé. Que comptez-vous faire pour donner suite à ce qui est un engagement de la majorité ?

D'autres mesures sont nécessaires. S'il existe un dispositif pour les loyers impayés, il faut aider les familles à trouver un logement sans avoir à nommer un garant, car ce système a pour effet de mettre deux ménages en difficulté au lieu d'un. Par ailleurs, les enfants quittent le domicile familial de plus en plus tard, faute d'avoir conquis leur autonomie financière. Mais les revenus qu'ils tirent du moindre « petit boulot » entrent dans le calcul des aides au logement versées à leur famille.

Je souhaite connaître votre position (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Sur le principe, le logement HLM est un logement aidé par la collectivité nationale. On y entre donc sous conditions de ressources et, lorsque les ressources s'améliorent, il n'est pas illégitime de mettre en jeu la solidarité nationale. Il n'est cependant pas acceptable qu'il en résulte une éviction du locataire, laquelle favorise à terme la ségrégation sociale et la constitution de quartiers ghettoïsés. Avec M. Gayssot, nous nous sommes efforcés de supprimer les causes qui amènent à ces effets pervers : les plafonds de ressources ont été relevés à trois reprises et mieux indexés, le seuil de mise en recouvrement du surloyer a été relevé et son montant a été encadré. Au total, la moitié seulement des anciens assujettis se trouve encore concernée, pour une participation globale ramenée au tiers de ce qu'était à l'origine le produit des surloyers.

Je pense que ces mesures vont dans le sens de la mixité sociale que vous appelez de vos v_ux. D'autant que le nouveau financement du logement locatif social admet, pour la première fois, l'entrée de locataires en dépassement de ressources dans les nouveaux programmes.

S'agissant des garants qu'exigent parfois les organismes HLM, aucune disposition législative ou réglementaire ne le prévoit. Il s'agit donc d'une simple pratique. Pour la faire reculer, le Gouvernement est intervenu dans deux directions. D'abord, les moyens d'intervention des fonds de solidarité logement ont été augmentés. Le décret du 22 octobre 1999, pris en application de la loi d'orientation et de lutte contre les exclusions, permet aux FSL d'apporter des cautions pour l'accès au logement et en deux ans, ces fonds ont été doublés. Ensuite, le Gouvernement a créé un produit nouveau, financé par la participation des entreprises à l'effort de construction, le LOCAPAS, qui intervient en avance de garanties de loyers, pour les salariés en mobilité et pour les jeunes de moins de trente ans tant qu'ils n'ont pas de contrat de travail à durée indéterminée.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Enfin, vous avez posé la question des jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je conçois que le rappel de toutes ces mesures, que vous n'avez pas voulu soutenir, vous soit désagréable ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

J'en viens donc au problème des jeunes qui acquièrent leur autonomie plus tardivement qu'auparavant. Ce phénomène a été abordé lors de la conférence de la famille du 7 juillet dernier et M. le Premier ministre a annoncé à cette occasion le report, à compter du 1er janvier 2000, à 21 ans de l'âge jusqu'auquel sont pris en compte les jeunes dans le calcul du droit des parents à bénéficier des allocations logement.

Les trois problèmes que vous avez soulevés ont donc été pris en compte de manière prioritaire par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX

M. Patrick Braouezec - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Dans plusieurs villes de France, des chômeurs et des personnes en grande difficulté ont manifesté récemment, comme aujourd'hui au Havre où elles sont soutenues par notre collègue Daniel Paul.

Malgré la reprise économique, les minima sociaux n'étant pas indexés sur la croissance -et encore moins sur celle de la Bourse-, les inégalités continuent de se creuser. En dépit des profits records réalisés par les grands groupes, une partie importante de notre population vit dans la précarité et sous la menace permanente de l'exclusion. Alors que les chiffres du chômage s'améliorent, les mêmes statistiques font état d'une augmentation du travail précaire...

Un député RPR - C'est le résultat de la politique socialiste !

M. Patrick Braouezec - Vous n'avez pas fait mieux, loin de là.

Derrière les statistiques, il y a des centaines de milliers de familles qui survivent à grand-peine, et ce du fait du montant actuel des minima sociaux. Les députés communistes ont bataillé pour obtenir une revalorisation de ces allocations et nous continuons à demander cette mesure de simple justice car il faut combattre l'idée selon laquelle la revalorisation des minima sociaux « désincite » à la recherche de travail. A l'inverse, en redonnant aux personnes concernées des conditions de vie dignes, elle est favorable à l'emploi. Les comparaisons internationales montrent d'ailleurs que la France est loin de se distinguer par la générosité de ses prestations, notamment pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. A nos yeux, l'action des chômeurs et l'écho qu'elle rencontre constituent une aide objective à la réussite d'une véritable politique de gauche. Leurs demandes portent aujourd'hui sur une allocation de 3 000 F qui leur permette de recueillir une partie des fruits de la croissance, à l'occasion du passage à l'an 2000. Quelles mesures entendez-vous prendre, Madame la ministre, pour que les chômeurs et les personnes qui perçoivent des minima sociaux profitent à leur tour de la meilleure santé de l'économie française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous avez raison, Monsieur le député, de dire que lorsque la situation s'améliore... (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)... comme le démontrent les 850 000 emplois créés, les 140 000 chômeurs de moins, c'est encore plus dur pour ceux qui restent sur le bord de la route. A leur intention, le Gouvernement intervient par trois voies. D'abord, par la revalorisation des minima sociaux, avec dès le 1er janvier 1998, la revalorisation du montant de l'allocation de solidarité spécifique et de l'allocation d'insertion, qui ont vu de surcroît leur pouvoir d'achat garanti. Ensuite, l'année dernière et afin que les minima sociaux bénéficient des fruits de la croissance, par coup de pouce de 3 % avec effet rétroactif à compter du 1er janvier. C'est enfin la grande réforme que représente la couverture maladie universelle, qui à partir du 1er janvier prochain permettra à chacun de se soigner.

Nous devons continuer à soutenir ceux qui n'ont que ces minima pour survivre, tout en les aidant à retrouver un emploi, grâce notamment aux règles de cumul emploi-salaire et aux dispositions de la loi exclusion. Depuis onze mois, le chômage de longue durée baisse sans discontinuer, sous l'effet de l'action « Nouveau départ » menée par l'ANPE en direction des érémistes et des chômeurs de longue durée. Enfin, nous avons mis en place des commissions d'urgence pour lesquelles l'aide de l'Etat est passée de 400 millions en 1997 à 720 aujourd'hui.

Beaucoup d'attentes restent aujourd'hui insatisfaites. Le Gouvernement y est bien entendu attentif et prendra comme il en a l'habitude toutes ses responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

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RAPPORT PATRIAT SUR LA CHASSE

M. Jean-Claude Lemoine - Ma question s'adresse à Mme Voynet. Hier, mon collègue Didier Quentin vous a posé quatre questions relatives au rapport Patriat sur la chasse auxquelles vous n'avez apporté aucune réponse... (Approbation bruyante sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ... je vous demande donc à nouveau de nous dire ce que vous pensez... (un député RPR : « elle ne pense rien ! ») du ré-aménagement de la loi Verdeil, de la légalisation de la chasse de nuit, de l'interdiction de la chasse le mercredi et enfin, dans l'attente du projet de loi promis par le Premier ministre, de la réduction proposée des périodes de chasse aux oiseaux migrateurs -fermeture le 10 ou le 28 février ? Merci, Madame la ministre, de nous donner quatre réponses précises à ces quatre questions précises (Applaudissements et exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Je croyais avoir été hier extraordinairement précise... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Patriat a en effet formulé à la demande du Premier ministre des propositions qui me semblent constituer d'excellents compromis entre les positions des tenants d'une chasse responsable et celles des autres usagers des milieux naturels.

Concernant la reconnaissance du droit de non-chasse préconisée par M. Patriat, l'obligation qui nous incombe à la suite d'une décision de justice n'est pas la conséquence de décisions irrationnelles prises par des écologistes urbains méconnaissant la nature mais fait suite à une initiative portée par des agriculteurs de la Creuse, et approuvée par la Cour de justice des Communautés européennes (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste ; plusieurs députés RPR : » quatre questions ! quatre réponses ! »)

Je suis convaincue qu'il nous reste à progresser pour protéger la chasse en France et garantir une chasse durable. Le projet de loi qui sera préparé dans les prochaines semaines sera l'occasion de formuler un « paquet » qui répondra aux questions que se posent non seulement les chasseurs mais aussi les protecteurs de l'environnement. Il devrait nous permettre de mettre un terme au contentieux communautaire et de définir le cadre d'une gestion pacifiée de la chasse (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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SIÈGE SOCIAL D'EADS

M. Philippe Briand - En devenant ministre, Mme Voynet a perdu sa franchise coutumière... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Monsieur le Premier ministre, en octobre dernier, nous nous sommes tous réjouis du rapprochement entre Aérospatiale et Dasa qui a permis à la société constituée de devenir le deuxième opérateur mondial. Dans cette nouvelle société, l'Etat français est actionnaire à 50 % du noyau dur. Cependant, son siège social n'est ni à Paris, ni à Berlin, ni à Toulouse mais aux Pays-Bas. A la question « pourquoi la Hollande ? », M. Philippe Camus, directeur général d'Aérospatiale a répondu que les Pays-Bas avaient été choisis parce que la fiscalité y est la plus avantageuse (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Cette réponse n'est pas acceptable. Signifie-t-elle en effet que notre propre politique fiscale est insupportable au point d'encourager nos entreprises à s'implanter en Hollande ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - J'ai d'abord retenu de votre question la satisfaction que vous exprimez devant la constitution de ce premier constructeur aéronautique européen, l'un des tout premiers mondiaux, qui fera jeu égal avec nos concurrents américains ; et de fait nous devons tous nous en réjouir. Le groupe aura deux sièges opérationnels, l'un en France, l'autre en Allemagne, où se prendront les décisions ; la structure installée aux Pays-Bas « chapeautera », mais n'aura pas un rôle de direction (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Puisque vous posez le problème de la concurrence fiscale, sachez que le Gouvernement est très attaché à l'existence d'un minimum de règles, notamment en matière d'implantations d'entreprises. La France a été au premier rang du combat pour définir un code de bonne conduite sur la fiscalité des entreprises, et vous en verrez les résultats au sommet d'Helsinki (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

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FISCALITÉ DES CÉLIBATAIRES

M. Pierre Morange - Monsieur le Premier ministre, aujourd'hui 7,2 millions de Français vivent seuls. Ils représentent environ 12 % de la population et 23 % des contribuables, et pourtant ils fournissent 35 % du produit de l'impôt sur le revenu, puisqu'ils ne bénéficient que d'une part fiscale. Or l'INSEE et les sociologues reconnaissent qu'une seule personne connaît, par rapport à la vie à deux, une baisse de niveau de vie d'environ 30 %. Comme les prélèvements obligatoires ont atteint grâce à vous le niveau record de 45,3 % du PIB, les personnes seules, mais aussi l'ensemble des foyers, sont victimes d'un matraquage fiscal. Pourquoi refusez-vous d'alléger leurs impôts, alors que vous dépensez sans compter pour financer le Pacs et les 35 heures ? Vous le pourriez, puisque vous bénéficiez des efforts du passé et d'une croissance mondiale qui remplit les caisses de l'Etat. Quand votre gouvernement, qui se gargarise de justice sociale, prendra-t-il des mesures, et lesquelles, pour réduire le déséquilibre qui pèse sur les personnes seules ? Je me plais à croire que ces mesures reposeront sur un effort pour réduire les dépenses inefficaces, plutôt que sur une aggravation de la pression fiscale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous prenez la défense des contribuables célibataires, et c'est votre droit. Mais notre système fiscal se veut favorable à la famille, grâce au quotient familial et au nombre de parts (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; sourires sur divers bancs). Il est important qu'à travers l'impôt sur le revenu toute la collectivité apporte aux familles qui ont des enfants le soutien dont elles ont besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Votre question m'offre l'occasion de dire que le Gouvernement va s'attaquer à une réforme des impôts directs, impôt sur le revenu et taxe d'habitation ; dans les budgets 2001 et 2002, nous allons travailler à les réduire. Peut-être, dans ce cadre, réfléchirai-je à votre proposition (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

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ACCORDS INTERNATIONAUX SUR LES MÉDICAMENTS

M. Guy Hascoët - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi, de la solidarité et de la santé, à la veille des négociations de Seattle. Nous sommes confrontés depuis des années à cette crise mondiale majeure qu'est l'épidémie du sida. Plus de cinq millions de personnes ont été contaminées en 1999, et le chiffre global est d'environ 34 millions, dont 95 % dans les pays du Sud.

Les accords internationaux sur la propriété intellectuelle, conclus à Marrakech, permettent à un Etat confronté à une situation d'urgence nationale de faire fabriquer par l'industrie locale des versions génériques des médicaments nécessaires. C'est ce qu'a fait par exemple l'Inde pour l'AZT, pour le trentième du prix de ce produit en Occident. Lors de la prochaine renégociation des accords à Seattle, le lobby pharmaceutique espère la disparition de ces dispositions, pour garantir son monopole sur le traitement. D'où mes questions : comment la France et l'Union européenne envisagent-elles de défendre les principes posés à Marrakech ? Peut-on imaginer un système de conventionnement avec l'industrie pharmaceutique qui permettrait une prise en charge réelle des grandes épidémies dans les pays les plus fragiles sur le plan de la santé publique ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - L'accès aux soins est en effet un élément du droit fondamental à la santé auquel aucun pays ne doit rester indifférent, y compris dans les relations internationales. Aujourd'hui 40 millions de personnes vivent avec le virus VIH, la plupart dans des pays en voie de développement. Notre solidarité s'exerce fortement et continuera de le faire. Un programme ambitieux du fonds de solidarité thérapeutique internationale a été lancé dans les pays les plus touchés. Nous travaillons à mobiliser sur ce problème toute la communauté internationale. Cette proposition a reçu un accueil très favorable des pays du Sud et des associations qui luttent contre le sida. Les premiers projets sont axés sur la prévention de la transmission entre mère et enfant, et sur leur prise en charge médico-sociale. Le premier a été lancé en avril en Côte d'Ivoire, le deuxième au Maroc en juillet ; d'autres sont en préparation en Afrique. En 2000 la France consacrera 41 millions à ce fonds.

Quant aux accords internationaux sur la propriété intellectuelle, vous redoutez que leur renégociation mette en cause l'accès aux traitements dans les pays en développement. Il faut en effet veiller à ce que le droit des brevets s'articule avec l'effort nécessaire pour réduire le fossé Nord-Sud en matière d'accès aux soins. La législation internationale sur la propriété intellectuelle doit prendre en compte les intérêts en jeu. A cet égard les accords existants assurent un équilibre : si les détenteurs des brevets ne pratiquent pas des prix raisonnables, les pays membres de l'OMC peuvent recourir à des licences obligatoires pour fabriquer les médicaments, dont ils ont besoin, ou recourir à des importations parallèles à des prix correspondant à leurs moyens. L'Union européenne n'a pas proposé que cet accord soit rediscuté, y compris dans ses dispositions d'urgence concernant les pays en développement. D'autant que cet accord ne déroge pas aux règles multilatérales relatives à la contrefaçon, pratique dangereuse en matière sanitaire. Nous poursuivrons avec détermination notre action avec les pays concernés et les associations (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

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RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

M. Léonce Deprez - Madame la ministre de l'emploi, nous sommes nombreux à entendre les inquiétudes qui s'expriment quant à l'application des 35 heures. Elles s'exprimaient tout à l'heure à proximité de l'Assemblée. Mais je pense surtout aux inquiétudes qu'expriment les PME, et notamment leurs salariés, ils se rendent compte qu'ils risquent de perdre, par la suppression des heures supplémentaires, le complément de revenu que leur assurait jusqu'alors leur travail. Et n'oublions pas l'inquiétude des salariés du secteur hospitalier public et parapublic. Nous avons entendu ses responsables, ainsi que ceux de la formation professionnelle des adultes. Ces derniers disposeront de 10 % de temps de travail en moins, alors que leurs tâches s'alourdissent, et ils ont appris qu'on prévoyait de leur accorder seulement 1 ou 2 % de salariés en plus... Ils demandent pourquoi vous n'appliquez pas vous-même dans le secteur public et parapublic ce que vous proposez aux entreprises privées. Ils demandent pourquoi il y a blocage des négociations, alors que vous recommandez sans cesse aux entreprises privées de négocier. Et ils demandent comment vous allez financer les emplois nouveaux requis pour faire face aux tâches de la formation professionnelle aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous n'avons pas entendu les mêmes choses. Près d'ici, je n'ai pas entendu s'exprimer de l'inquiétude contre les 35 heures, mais au contraire le souhait de passer aux 35 heures, et je m'en réjouis, comme je me réjouis de constater la même attente chez les salariés de la formation professionnelle des adultes. Mais l'AFPA est une association loi de 1901. Les négociations sont en cours. J'en suis la progression et je crois pouvoir dire qu'un accord devrait intervenir dans des délais relativement brefs. Nous continuons à accroître le rythme des accords, qui sont chaque semaine 100 à 200, avec 500 à 1 000 emplois créés.

M. Edouard Landrain - C'est faux.

Mme la Ministre - Cela traduit une attente importante, et je souhaite que tous s'associent au vote de la loi que nous réexaminerons la semaine prochaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Wiltzer.

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

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FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2000 (nouvelle lecture)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que, la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Pour cette nouvelle lecture, notre objectif reste de maintenir et d'améliorer notre système de protection sociale afin de répondre aux besoins de nos concitoyens. Cela passe d'abord par le rétablissement des comptes et vous savez que cette loi de financement prévoit pour l'an prochain un excédent de la Sécurité sociale de l'ordre de 2 milliards. Nous devons ce redressement à l'augmentation des recettes mais aussi aux mesures prises cette année et à des réformes structurelles que nous entendons poursuivre en 2000. Nous pourrons ainsi consolider nos régimes de retraite par répartition, renforcer la prise en charge des maladies professionnelles, continuer de rénover la politique familiale et de réformer le financement de la protection sociale au bénéfice de l'emploi. Ce texte vise plus largement à faire reculer l'incertitude du lendemain et à mieux faire face aux risques de la vie.

Or, à l'évidence, tel qu'il nous revient du Sénat, il diffère beaucoup de celui que vous aviez adopté. Toutes les mesures structurelles que nous proposions ont été abandonnées ! Il en est ainsi des mesures d'allégement de charges, les articles 2 à 4 ayant été supprimés par la Haute assemblée. J'avoue ne pas comprendre cette attitude de la part de ceux qui, bien que n'ayant pas décidé de réforme aussi importante que celle-ci, ont toujours défendu ces allégements de charges. Cela apparaît d'autant plus étonnant que notre réforme vise à exonérer 85 % des cotisations patronales au SMIC, concerne deux tiers des salariés et conduit à réduire de 5 % le coût du travail pour les salaires de moins de 10 000 F par mois. Il est vrai que ces réductions de charges auront pour contrepartie des créations d'emplois et qu'elles seront financées, non plus par les ménages, mais par deux prélèvements sur les entreprises, en particulier les plus capitalistiques...

Un amendement du Gouvernement tendant à alléger les bases de calcul des contributions et cotisations sociales pesant sur les créateurs d'entreprise a toutefois été adopté par le Sénat. Proche de celui qu'avait proposé M. Cahuzac pour les jeunes agriculteurs, il permettra d'alléger de 30 % les cotisations des artisans, commerçants et professions libérales pendant leur première année d'activité et de 15 % pendant la deuxième. A ce titre, il est favorable à la création d'emplois. Nos regrets sont loin d'être atténués par ce qu'a proposé le Sénat en vue de maîtriser les dépenses de santé. Quelle cohérence y a-t-il, pour la majorité sénatoriale, à réclamer plus de rigueur et à s'opposer ainsi à toute régulation un peu sérieuse des dépenses, à toute maîtrise médicalisée ? Les contrats de bonne pratique ou de bon usage des soins ont été supprimés, ainsi que toutes les dispositions visant à développer les conventions entre assurance maladie et médecins.

Nous proposons de réformer profondément l'assurance maladie en plaçant la régulation de la médecine de ville sous l'entière responsabilité des caisses et des professionnels ; en outre, nous travaillerons à rapprocher hôpitaux et cliniques et nous poursuivrons la politique du médicament engagée depuis deux ans. Il est surprenant que certains aillent alors contre la paritarisme dont ils parlent tant par ailleurs !

Autre incohérence : le Sénat a décidé de supprimer le fonds de réserve pour les retraites après en avoir approuvé le principe l'an dernier en regrettant qu'il ne soit doté que d'un montant symbolique ! Or à la fin de 2000, ce sont 20 milliards qui figureront à ce fonds ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Bernard Accoyer - Il n'y a toujours rien dans ce fonds créé lors de la première lecture !

Mme la Ministre - Si : il y a déjà 2 milliards ! Et la Sécurité sociale sera en excédent !

Quant à la politique familiale que nous avons menée depuis deux ans en liaison avec les associations et les organisations syndicales, elle a permis de mieux prendre en charge les familles, aussi bien en termes d'allocations que de services. Le Sénat a souhaité dans ce domaine prolonger le versement de toutes les prestations jusqu'à la vingt-deuxième année de l'enfant. Or ce n'était pas une priorité souhaitée par les associations. Nous avons préféré consacrer les mêmes moyens budgétaires à aider les jeunes à trouver un emploi.

Je vous invite à rendre à ce projet ses vertus initiales afin de garantir la pérennité de notre système de protection sociale et de le rendre plus juste et plus efficace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV, et sur quelques bancs du groupe communiste)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - En première lecture, vous avez manifesté votre intérêt pour les priorités que nous avons retenues en matière de santé publique et d'action sociale : prévention, réduction de la mortalité évitable, action en faveur des handicapés. Vous avez ainsi confirmé l'utilité de ce rendez-vous annuel.

Je ne m'attacherai ici qu'à peu de points : en premier lieu, la prévention. En ce domaine, nos priorités vont à la prévention des pratiques addictives, à la prise en charge des personnes souffrant de maladies chroniques, à la réduction de nombre des grossesses non désirées et des suicides, à la promotion de la santé mentale et à l'amélioration de la nutrition.

En première lecture, vous avez souhaité préciser les engagements qui doivent être ceux du Gouvernement, s'agissant de lutter contre le tabagisme : hausse des prix du tabac, accès plus facile aux substituts nicotiniques, concertation sur une éventuelle interdiction de la vente de tabac aux moins de 16 ans... Le rapport d'évaluation que le Commissariat général au plan a rédigé sur la loi Evin vient de confirmer l'intérêt d'une politique volontariste dans ce domaine, mais il a aussi mis en lumière les limites de toute interdiction. L'_uvre sera donc de longue haleine et nous la poursuivrons donc en 2000 en nous appuyant sur les précieuses recommandations du rapport Recours.

L'évolution a été plus contrastée pour ce qui est de la lutte contre l'alcoolisme : le rapport souligne certaines incohérences, s'agissant des mesures visant à interdire la publicité pour l'alcool, mais il confirme la nécessité d'adopter une démarche globale. C'est bien dans ce sens que nous entendons travailler en accroissant les moyens mis à la disposition des 259 structures spécialisées dans la prise en charge sanitaire et psychosociale des personnes ayant des problèmes avec l'alcool, en développant le travail en réseaux des structures de prévention et en luttant, dans le cadre de la MILDT, contre la dépendance. Seule en effet une action coordonnée peut réduire le nombre et l'importance des comportements préjudiciables à la santé.

Comme le projet de loi de financement, le projet de loi de finances témoigne de notre action déterminée en faveur des handicapés et de leurs familles. Nous avons déjà enregistré des résultats tangibles : au terme du programme 1999-2003, 16 500 places seront créées dans les établissements spécialisées pour adultes ; le plan de rattrapage élaboré en faveur des autistes sera amplifié ; avec le ministère de l'éducation, vingt mesures ont été prises pour la scolarisation des jeunes handicapés ; la politique en faveur de l'emploi des handicapés a été relancée, de sorte que nous avons constaté cette année une première diminution du nombre des demandeurs d'emploi. Des expérimentations et une réflexion ont été menées avec les associations pour une stratégie globale de l'aide technique et du soutien à domicile. Enfin, je n'aurai garde d'oublier la définition d'une politique en faveur des personnes sourdes.

Mme Aubry et moi-même voulons que cette action résolue et méthodique soit également durable. Les efforts conjoints de l'Etat, de la Sécurité sociale et de l'AGEFIP devraient permettre de mobiliser dès 2000 plus d'un milliard de mesures nouvelles. La progression de 24 % des crédits inscrits à ce titre dans l'ONDAM servira à développer les services ambulatoires d'accompagnement précoce et l'appui à l'intégration scolaire. Cela permettra aussi d'accroître les capacités d'accueil des adultes handicapés ou des autistes.

Le prochain budget renforcera les moyens dont disposent les commissions de reclassement professionnel, de même que sera menée à bien, à l'échéance 2000, les institutions sociales et médico-sociales, n'est-ce pas, Monsieur Terrasse !

Cette politique, pour réussir, requiert un dialogue renforcé entre les pouvoirs publics et les associations.

Soyons-en conscients, l'intégration de la différence est plus difficile en France que dans les pays anglo-saxons. A nous donc d'unir nos forces pour atteindre ce but commun (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires sociales - Il fallait, durant cette législature, réformer le régime des cotisations d'assurance maladie des salariés. Nous l'avons fait voilà deux ans, en les basculant sur la CSG. Ce faisant, nous avons élargi l'assiette des cotisations, puisque sont désormais taxés les revenus du patrimoine et les revenus financiers.

M. Bernard Accoyer - Et les retraites !

M. Alfred Recours, rapporteur - Il fallait aussi réformer les cotisations patronales. Nous y voilà. Ici encore nous élargissons l'assiette des cotisations, suivant les conclusions d'un rapport cité par Mme Gillot. 37 milliards de droit de consommation sur les tabacs viennent grossir les recettes de la Sécurité sociale, ce qui sortira peut-être l'Etat de cette situation schizophrénique où il était à la fois responsable de la politique de santé et bénéficiaire du produit des droits sur les tabacs.

M. François Goulard - C'est uniquement pour financer les 35 heures !

M. Alfred Recours, rapporteur - Cette recette supplémentaire provient bien du budget de l'Etat. Les ressources de la protection sociale sont également accrues par une contribution sur les bénéfices des entreprises capitalistiques, qui sont au total peu nombreuses.

Autre recette nouvelle, la TGAP, taxation assise sur les machines.

Le financement de la protection sociale ainsi nanti de 110 à 120 milliards supplémentaires en année pleine, il est normal que le Gouvernement se demande ce qu'il doit en faire (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - Les rendre aux contribuables !

M. Alfred Recours, rapporteur - C'est une question que vous n'avez jamais été en situation de vous poser !

Nous avons décidé, en nouvelle lecture, d'affecter ces recettes nouvelles à l'allégement des charges patronales, et nous avons créé un fonds exprès pour cela. Ce fonds permet de financer une réduction généralisée des cotisations sur les plus bas salaires, et aussi sur les salaires jusqu'à 1,8 fois le SMIC, à la différence de ce qui se faisait jusque là.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires sociales - Parfaitement !

M. Alfred Recours, rapporteur - Puisque nous agissons au nom de l'emploi, est-il normal que bénéficient également de l'allégement de charges les entreprises qui ne jouent pas le jeu de la réduction du temps de travail ? Non ! Et nous avons pris les dispositions pour cela. Peut-être le fonds d'allégement a-t-il davantage pour rôle de favoriser l'emploi que de faciliter l'application pure et simple de la réduction du temps de travail.

M. Bernard Accoyer - Constatons que le rapporteur parle beaucoup de la santé et des retraites !

M. Alfred Recours, rapporteur - Nous serons donc bientôt en mesure de suréquilibrer nos comptes sociaux (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et de mieux ventiler les excédents qui devront contribuer à l'embauche dans les entreprises. Le Sénat n'a pas tenu compte de ce raisonnement. Je vous proposerai de ne pas tenir compte du raisonnement du Sénat.

M. Bernard Accoyer - Voilà qui coûte cher !

M. Alfred Recours, rapporteur - Pas du tout !

Je viens de vous exposer une forte raison de revenir au texte adopté en première lecture. En voici une autre : le Sénat a rayé d'un trait de plume le fonds de réserve des retraites...

M. Bernard Accoyer - Il n'y a rien dedans !

M. Alfred Recours, rapporteur - Il n'a été abondé que de 2 milliards cette année, mais il le sera de 20 milliards d'ici le 31 décembre 2000. Parmi ces 20 milliards, trois proviennent de la Caisse des dépôts et consignations. Nous sommes résolus, année après année, à abonder ce fonds de réserve, avant même de commencer à discuter de la question des retraites. En effet le travail sera plus facile si nous avons derrière nous un fonds déjà abondé.

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse - Il faudrait tout de même y mettre des sommes plus importantes.

M. Alfred Recours, rapporteur - Revenir au texte de l'Assemblée c'est revenir aux 20 milliards destinés aux retraités. Ne pas le faire, c'est les leur refuser.

M. le Président de la commission - Le raisonnement est impeccable !

M. Alfred Recours, rapporteur - Revenir à notre texte, c'est acter de réels progrès en faveur de la famille ou de l'assurance maladie. Surtout, c`est garantir l'équilibre des régimes de protection sociale, commencer à assurer l'équilibre des retraites.

Année après année, le Gouvernement et la majorité poursuivent leur politique de réformes, pour que les Français continuent de disposer d'une protection sociale hors d'atteinte des privatisations, des libéralisations, des «assurantisations»...

M. Bernard Accoyer - Fantasmes !

M. Alfred Recours, rapporteur - En première lecture, à longueur de temps, vous avez développé ces thèmes, surtout M. Goulard.

Je recommande simplement à l'Assemblée de revenir le plus possible à l'excellent travail qu'elle a réalisé en première lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. le Président de la commission - C'était parfait !

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Bernard Accoyer - Nous allons donc assister à la réintroduction du texte adopté en première lecture.

Mme la Secrétaire d'Etat - On ne peut rien vous cacher !

M. Bernard Accoyer - Je comprends que Mme Aubry quitte l'hémicycle. Elle n'aime pas entendre parler du détournement organisé par ce projet. Il ne s'agit en effet que de cela, et notre excellent rapporteur, de fait, n'a pas dit un mot de la santé. Ce détournement prend la forme d'un montage financier destiné à prendre en charge une partie du surcoût induit par les 35 heures. En effet, abaisser de 11,4 % la durée du travail conduit à augmenter son coût de 11,4 %.

M. Marcel Rogemont - Mais non ! Tout le monde n'est pas rémunéré au SMIC !

M. Bernard Accoyer - Le Gouvernement se flatte d'abaisser les charges sur les salaires allant jusqu'à 1,8 fois le SMIC mais il oublie que le gouvernement d'Alain Juppé l'avait déjà fait pour les salaires allant jusqu'à 1,33 fois le SMIC. La compensation proposée n'est donc que très partielle. Elle occupe pourtant l'essentiel du projet de loi.

Confronté au refus des partenaires sociaux de contribuer au financement de sa réforme, le Gouvernement a opté pour un prélèvement à la source sur les recettes de la Sécurité sociale qui s'apparente à un véritable détournement de fonds sociaux puisqu'une partie du produit de la taxe sur les alcools n'ira plus, désormais, au Fonds de solidarité vieillesse. La moitié du produit de la taxation de l'épargne est également détournée de son objet. Et les choses ne font que commencer puisque l'an prochain, il faudra trouver non plus 25 milliards de financements nouveaux mais 65.

Par ailleurs, le présent projet élargit l'assiette de la TGAP, conformément à l'habituelle dynamique socialiste de création puis d'extension des impôts...

M. Marcel Rogemont - Vous, vous augmentez la TVA !

M. Bernard Accoyer - Mais ni la TGAP ni la contribution sociale sur les bénéfices ne seront affectées à ce qui devrait être leur objet, à savoir respectivement la lutte contre la pollution et la protection sociale. Non, elles serviront à couvrir un besoin de financement de l'Etat.

Tout le projet entretient donc une confusion entre dépenses sociales et dépenses de l'Etat.

J'ajoute que le mode de calcul de la TGAP, qui consiste à taxer les produits en fonction du tonnage de matières actives vendues, est de nature à créer des distorsions de concurrence. En effet, les dix grandes multinationales de l'industrie des produits phytosanitaires présentes sur le marché français seront nettement moins taxées que les douze autres entreprises du secteur, de taille plus réduite et dont l'activité est plus tournée vers les produits génériques. Sachant qu'environ 1 000 emplois sont menacés sur l'ensemble du territoire -en Aquitaine, dans l'Aude et dans l'Hérault, notamment-, je suggère à mes collègues socialistes de réclamer pour eux l'application de la jurisprudence Fabius-Aubry, laquelle, en première lecture, a exclu du champ de la nouvelle taxation les usines de certaines circonscriptions... Nous avons ainsi fait connaissance avec la fiscalité à géographie variable.

Mais le plus choquant est de faire payer le coût de la réduction du temps de travail par les agriculteurs, eux qui travaillent deux fois 35 heures chaque semaine de l'année ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste) Ce sont bien eux, et non les consommateurs, qui devront supporter l'enchérissement du coût des phytosanitaires.

Les mesures en faveur de la branche famille sont quasi nulles, à l'heure où le Gouvernement réserve 8 milliards de francs au Pacs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). D'ailleurs, la misérable revalorisation de 0,3 % des bases de calcul des prestations familiales a motivé en première lecture l'abstention du groupe communiste. L'allongement jusqu'à 22 ans du droit aux prestations familiales, auquel avait procédé la loi du 25 juillet 1994, est supprimé, ce qui crée un problème pour le million et demi de jeunes entre 20 et 22 ans pris en charge par leurs parents. Si le Gouvernement relâchait pour une fois son acharnement anti-famille, il accepterait au moins de reporter l'abrogation de l'article 22 de la loi de 1994 jusqu'en 2002. Il devrait le faire d'autant plus volontiers qu'il est coutumier du report des problèmes après 2002 : sortie des emplois jeunes, application des 35 heures dans les petites entreprises, avenir des retraites...

Malheureusement, nous risquons fort d'assister, au détour d'un amendement de dernière minute du Gouvernement, à un nouveau coup de force contre les familles. Hier, en effet, la Cour de cassation a annulé une disposition incluse dans la convention collective de l'AGIRC qui diminuait de 20 % les bonifications familiales de 400 000 cadres retraités ayant élevé une famille nombreuse. Les sommes en jeu étant considérables, le Gouvernement va certainement réagir.

La régression de l'aide aux familles est non seulement choquante mais aussi dangereuse pour l'avenir. Celui de la protection sociale mais aussi celui des retraites et en définitive de la nation tout entière.

Cette loi de financement aurait dû être l'occasion d'apporter enfin des réponses aux difficultés que rencontrera notre système de retraite au fur et à mesure que se dégradera le rapport entre actifs et retraités. Alors que le gouvernement précédent avait pris des mesures courageuses, celui-ci n'a rien fait depuis deux ans et renvoie à plus tard les décisions, en particulier celles concernant les régimes spéciaux, par peur de susciter des mouvements de contestation (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Ce renoncement à agir porte en lui les germes d'un grave conflit de générations.

Le Gouvernement se targue d'avoir créé un fonds de réserve mais sa dotation est symbolique...

Mme la Secrétaire d'Etat - 2 milliards tout de même !

M. Bernard Accoyer - ...alors que le besoin de financement est estimé à 300 milliards par an à partir de 2015.

La loi de financement de la Sécurité sociale devrait aussi être l'occasion privilégiée de parler des priorités et des moyens de l'assurance maladie. Or ce sujet occupe à peine un quart du texte consacré à la branche maladie. De plus, le projet organise une sorte de désengagement financier de l'Etat en matière de santé publique : voyez les dispositions relatives au dépistage anonyme et gratuit du sida.

Mme la Secrétaire d'Etat - Il s'agit de prévention secondaire, Monsieur Accoyer.

M. Bernard Accoyer - Voyez aussi la prise en charge des campagnes de désintoxication...

Mme la Secrétaire d'Etat - S'agissant de soins, la prise en charge par l'assurance maladie est normale.

M. Bernard Accoyer - Pour ce qui est des centres de santé, je me demande, Madame la secrétaire d'Etat, si vous avez pris connaissance du rapport de l'IGAS qui pointait certaines défaillances. Bien sûr, ces structures rendent des services mais elles pratiquent aussi une certaine confusion des genres entre dépenses sociales et de santé, ce qui n'est jamais satisfaisant.

Alors que les professions libérales de santé devront, du fait des lettres clés flottantes, travailler plus pour gagner moins, les salariés de ces centres ne seront, eux, soumis à aucune régulation. Où est l'équité ? Il y a là une rupture d'égalité dont nous saisirons le Conseil constitutionnel...

M. Didier Boulaud - Si c'est avec le même succès que pour le Pacs !

M. Bernard Accoyer - Le projet ne fait aucun cas des priorités de santé publique, l'ONDAM évolue dans le vague, d'autant qu'on en change la référence : au lieu de le calculer à partir de l'objectif de l'année précédente, on prendra pour base les dépenses réelles, dont on ne connaîtra le montant que le 31 décembre. Une telle imprécision compromet la maîtrise des dépenses de l'assurance maladie.

La redéfinition des conventions entre l'assurance maladie et les professionnels de santé -chirurgiens-dentistes, sages-femmes, auxiliaires médicaux- visent à donner aux partenaires sociaux la possibilité de déroger de façon courante aux principes fondamentaux de la Sécurité sociale, puisque les professionnels de santé seront contraints de signer un avenant tarifaire dès la première année de la convention.

En incluant dans le projet de telles dispositions, vous méconnaissez l'article 34 de la Constitution, en vertu duquel le Parlement « détermine les principes fondamentaux » du droit de la Sécurité sociale, ce qui se limite aux modalités de paiement et au champ de la prise en charge.

Violant l'esprit des lois de 1996, le Gouvernement refuse toute expérimentation, préférant imposer un nouveau système.

Les alinéas 2, 3 et 4 de l'article 17, sur les conventions conclues avec les infirmières, les masseurs kinésithérapeutes et les directeurs de laboratoires d'analyses médicales, ne sont pas conformes à la Constitution.

L'instauration des lettres clés flottantes bafoue la décision du Conseil constitutionnel du 18 décembre 1998, qui annulait le mécanisme de sanctions collectives contenu dans le projet de loi de financement de l'année dernière. Saisi par l'opposition, il avait en effet considéré que, pour faire peser une charge sur les médecins, le législateur devait fonder son appréciation « sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif de modération des dépenses médicales qu'il s'est assigné ».

Votre projet porte aussi atteinte au secret médical, en donnant aux services de contrôle médical un rôle de censeur pour les arrêts de travail et les transports sanitaires et en les autorisant à modifier une prise en charge thérapeutique au seul prétexte que le montant des dépenses serait excessif !

Le contrôle médical n'est pas une structure habilitée à dispenser des soins. De surcroît, ces dispositions ne seraient pas sans conséquence sur la responsabilité médico-légale ou pénale de ses services.

Le secret médical n'est pas plus respecté dans ce texte qu'à l'article 57 de la loi de finances, unanimement condamné par les institutions professionnelles : les amendements de dernière minute n'y changent rien.

Parce qu'il détourne la loi de financement de son objet, qu'il ponctionne les recettes sociales pour financer les 35 heures, qu'il ne se distingue plus du budget de l'Etat -comme l'a souligné le Conseil d'Etat- et qu'il viole nos principes fondamentaux, ce projet est contraire à la Constitution.

C'est pourquoi je vous demande d'adopter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Luc Préel - Le groupe UDF votera cette motion que M. Accoyer vient de défendre avec la fougue et la compétence que nous lui connaissons.

Ce projet ne vise qu'à créer des fonds pour financer les 35 heures, fonds alimentés par de nombreux prélèvements : taxe sur les tabacs, taxe sur les alcools, TGAP, impôt sur les bénéfices et taxe sur les heures supplémentaires. Comme nous vous l'avions déjà dit en première lecture et comme le Sénat l'a établi par son vote, ce fonds n'a pas sa place dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Je ne parlerai pas des 35 heures en elles-mêmes, qui pénaliseront nos entreprises.

Vous ne proposez rien pour la famille, alors que notre pays a besoin d'une politique familiale volontariste. La seule mesure relative à la famille est l'abrogation de la loi de 1994, qui visait à allonger jusqu'au vingt-deuxième anniversaire de l'enfant le bénéfice des allocations familiales.

Rien n'est prévu non plus pour les retraites. Si vous souhaitez vraiment sauver les régimes par répartition, il est pourtant urgent de légiférer.

En matière de santé, vous avancez à grands pas vers l'étatisation, sans vous préoccuper des problèmes de santé publique.

Je trouve choquant que notre rapporteur n'ait parlé ni de la santé, ni des retraites, ni de la famille, mais seulement du financement des 35 heures.

Vous nous demandez de rétablir le texte adopté en première lecture, qui définit l'ONDAM de manière purement comptable et autorise des sanctions collectives.

Le vote de l'exception d'irrecevabilité s'impose (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Marcel Rogemont - Fallait-il revoir le calcul des cotisations sociales ? Oui, et nous l'avons fait. Fallait-il revoir le calcul des cotisations patronales ? Oui, et nous l'avons fait. Fallait-il réduire les cotisations sur les bas salaires ? Oui, et c'est ce que nous faisons.

Vos propos sur la famille m'étonnent, Monsieur Préel. Il y a une heure, un orateur du RPR prenait la défense des célibataires... (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) L'opposition est complètement désorientée.

S'agissant de la TGAP, fallait-il la créer ? Oui, parce que l'Europe nous le demandait...

M. Jean Bardet - Vous êtes à la botte de la Commission ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Marcel Rogemont - Il fallait aussi la créer parce qu'une telle taxe incitera les entreprises à polluer moins.

M. Bernard Accoyer - Pas du tout !

M. Marcel Rogemont - Vous nous reprochez d'oublier les retraites, alors que nous créons un fonds de réserve de 20 milliards (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En critiquant les dispositions de ce texte, M. Accoyer nous a fait entrer dans le vif du débat, ce qui me laisse penser qu'il ne souhaite pas l'adoption de son exception d'irrecevabilité (Sourires). Je suggère donc que nous le suivions et que nous ne la votions pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Goulard - M. Accoyer nous a convaincus d'adopter cette motion. Il est en effet anormal qu'une loi de financement de la Sécurité sociale serve à dégager des ressources pour le passage aux 35 heures. Il y a là une violation des textes organiques qui, à elle seule, va motiver l'annulation du projet par le Conseil constitutionnel.

Ce projet, en outre, reprend presque à l'identique le mécanisme de sanctions collectives déjà annulé l'année dernière. On ne fait que substituer des « baisses tarifaires » à des reversements. Les critiques formulées l'an dernier par le Conseil constitutionnel gardent toute leur pertinence.

Nous voterons cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Comme nous l'avions déjà remarqué en première lecture, la droite ne souhaite rien d'autre qu'une réduction des dépenses consacrées à la protection sociale. Le groupe communiste demande au contraire qu'on la renforce.

Or, le passage au Sénat a montré que l'opposition persistait dans sa volonté de réduire les dépenses. Pour toutes ces raisons, le groupe communiste s'opposera à cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Patrick Delnatte - Je voudrais dire à notre collègue socialiste, qui a tenté de mettre le groupe RPR en contradiction, qu'en matière de politique familiale, nous connaissons nos repères et je ne suis pas sûr que le groupe socialiste puisse en dire autant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

S'agissant de cette exception d'irrecevabilité, M. Accoyer a développé une argumentation extrêmement solide qui démontre combien les principes et les dispositions de votre texte sont contraires à la Constitution. Bien évidemment, le groupe RPR votera cette exception d'irrecevabilité.

La réforme Juppé qui permettait à notre Assemblée de prendre un certain nombre de décisions et d'accéder à un véritable contrôle des dépenses de Sécurité sociale fait l'objet d'un large consensus.

Par rapport à cette avancée dans le sens de la transparence et de la responsabilité, la loi de financement que vous proposez marque un véritable recul car elle introduit de la confusion et des tours de passe-passe. En effet, que vient faire le financement des 35 heures dans cette loi ? De même, vous détournez la fiscalité comme le montrent vos projets en matière de fiscalité sur les activités polluantes. Il y a donc matière à voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une question préalable, déposée en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Gilbert Gantier - Permettez-moi, tout en vous saluant respectueusement, Madame la ministre, de regretter l'absence de Mme Aubry qui est en quelque sorte la « mère porteuse » de toute notre législation sociale.... depuis les débuts du Gouvernement... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Je vous ai connu plus élégant !

M. Gilbert Gantier - ...Je n'ose pas dire que son absence témoigne d'un manque de considération pour la représentation nationale mais je le pense un peu. Ce texte est étrange car la Sécurité sociale, qui représente 1 800 milliards, soit beaucoup plus que l'ensemble du budget de l'Etat, semble y jouer un rôle second, derrière la promotion des trente cinq heures. Il ressemble aussi davantage à un projet de loi portant diverses mesures d'ordre gouvernemental qu'à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Il s'agit en définitive d'un mécano fiscal et social d'un genre un peu nouveau.

Les comptes de l'Etat et de la Sécurité sociale se trouvent en effet de plus en plus imbriqués et donc illisibles, du fait notamment de la création d'un grand nombre de fonds.

Compte tenu de la complexité croissante des finances publiques, Madame le ministre, vous devriez accepter la proposition du Sénat de présenter annuellement des comptes consolidés de la Sécurité sociale et du budget de l'Etat.

En ce qui concerne les comptes sociaux, la France se distingue de ses voisins européens par le véritable capharnaüm de taxes affectées à une ou plusieurs branches des assurances sociales, d'une rare complexité et bien souvent d'un faible rendement. A l'inverse, nos partenaires européens, l'Espagne, la Grèce, l'Irlande ou l'Italie, simplifient leurs systèmes de financement en supprimant les recettes dites « de poche ». Autre particularité française, la multiplication des fonds spéciaux gérés en dehors du budget de l'Etat et de la Sécurité sociale, tels que le Fonds de solidarité vieillesse, le CADES, le fonds pour les victimes de l'amiante, le fonds de financement des 35 heures, et j'en oublie certainement.

La multiplication des caisses et des fonds ne facilite pas le contrôle. Elle masque le dérapage des dépenses et rend impossibles les comparaisons d'une année sur l'autre. En affectant des recettes, on essaie en effet de cacher aux Français la hausse des prélèvements obligatoires.

Le Gouvernement de Lionel Jospin a créé plus de 14 nouveaux impôts ou nouvelles taxes et pris plus de 40 mesures d'augmentation des prélèvements obligatoires. Depuis juin 1997, le montant des prélèvements a ainsi augmenté de plus de 420 milliards, portant le taux des prélèvements obligatoires à 45,3 % du PIB.

M. Bernard Accoyer - Record du monde !

M. Gilbert Gantier - En ce qui concerne la Sécurité sociale stricto sensu, le Gouvernement a créé ou augmenté plus de 12 impôts ou taxes. Les prélèvements sociaux se sont ainsi accrus de plus de 240 milliards.

Ce projet de loi met en cause les principes budgétaires d'universalité et de non affectation des recettes. D'un coup de baguette magique, les impôts, les taxes et les contributions passent du code général des impôts au code de la Sécurité sociale, ou ne sont rattachés à aucun code. Ils passent d'un projet de loi de finances à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale sans même que l'on puisse s'en rendre compte.

Ainsi, la CSG est passée du stade de contribution fiscale à celui de contribution sans définition fixe. Créée par une loi de finances, elle dépend maintenant des affaires sociales. Elle ressemble désormais beaucoup à un impôt proportionnel sur le revenu qui, avec plus de 330 milliards de produits, est d'un rapport supérieur.

Avec la CSG, comme avec les droits sur les tabacs ou les droits sur les alcools, on assiste au découpage en tranches fines des impôts et des taxes. La CSG finance à la fois l'assurance maladie, les allocations familiales, le fonds de solidarité vieillesse. Avec l'article 29 du projet de loi de financement, les droits de consommation sur les tabacs manufacturés sont affectés à 85,5 % -et dans la limite des 39,5 milliards- au financement des 35 heures, une fraction égale à 7,58 % est affectée à l'assurance maladie, et 0,43 % servira à alimenter les fonds pour les victimes de l'amiante. Il faut de la persévérance pour s'y retrouver.

En matière de complexité fiscale, le Gouvernement est imbattable. Il bat tous les records avec la taxe générale sur les activités polluantes. Instituée en loi de finances pour 1999, et versée au budget général, la TGAP remplaçait cinq taxes affectées à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Un an plus tard, elle relève du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, son assiette est élargie et elle sert désormais à financer les 35 heures. Quelle instabilité et quelle hypocrisie vis-à-vis de la lutte que l'on affirme vouloir mener contre la pollution !

Avec la TGAP, il apparaît que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 sert de béquille au projet de loi sur les 35 heures. En effet, en créant un fonds de plus, les articles 2, 3 et 4 débudgétisent le financement des 35 heures. Or, en première lecture, nous avons pu constater combien le bois de la béquille était fragile. A la recherche de plus de 100 milliards pour financer les 35 heures, vous avez dû revoir votre copie à la dernière minute. Vous vous êtes aperçue que la ponction sur les organismes sociaux était inéquitable et inconstitutionnelle.

Votre marche en arrière ne vous empêche pourtant pas de persévérer dans le bricolage et dans l'erreur.

Il y a d'abord une erreur sur le nom. Le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales devrait porter le nom de «fonds de financement des 35 heures »...

M. le Rapporteur - Ce serait une appellation erronée !

M. Gilbert Gantier - ...car, dans le projet, nous ne trouvons pas la moindre réforme de cotisations patronales mais simplement un mécanisme supplémentaire d'allégement conditionné de cotisations.

En second lieu, le Gouvernement monte une superbe «usine à gaz». Nous devrions peut-être doter la salle de séance d'un rétroprojecteur pour expliquer le circuit infiniment complexe du financement des 35 heures !

Ainsi, le Gouvernement a décidé d'affecter 85,5 % des droits sur les tabacs et la contribution sociale sur les bénéfices au fonds pour les 35 heures. La contribution sociale sur les bénéfices remplace ainsi la majoration de 10 % sur les bénéfices créée par le collectif budgétaire de juillet 1997. Encore un tour de passe-passe...

A ces prélèvements, il faut ajouter la taxe sur les heures supplémentaires et l'affectation des droits sur l'alcool, qui finançaient, jusqu'à maintenant, le fonds de solidarité vieillesse qui perdra 12 milliards. Malgré tous ces tuyaux, le financement des 35 heures n'est pas assuré à hauteur de 8 milliards et le « trou » pourrait atteindre plus de 20 milliards.

Ce qui est choquant dans ce montage, c'est que le Gouvernement ment au pays et à la représentation nationale (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Il essaie de faire croire qu'à travers le mécanisme d'allégement des charges sociales il fait un cadeau aux entreprises ; or, c'est doublement faux. D'abord, elles devront supporter le choc des 35 heures qui majoreront leurs coûts d'environ 10 %. Ensuite, le Gouvernement leur fera payer ce prétendu cadeau à travers trois taxes : la contribution sociale sur les bénéfices, la taxe générale sur les activités polluantes et la taxe sur les heures supplémentaires. C'est un peu comme si, quand vous dînez chez des amis, vous apportiez une bouteille de vin, pour leur demander à la fin du repas de vous la rembourser !

Après avoir déposé votre projet de loi, vous avez renoncé à taxer directement les régimes sociaux ; mais vous persistez à les ponctionner indirectement.

En rackettant le FSV, vous le fragilisez. Sa perte de recettes est évaluée à 5,6 milliards . Or la loi de financement de la Sécurité sociale avait prévu -ce qui n'était pas sans logique- d'affecter une partie des excédents du FSV au fonds de réserve pour les retraites : cette possibilité devient purement virtuelle. En privilégiant les 35 heures, le Gouvernement a contredit sa priorité de sauvegarder les régimes de retraite par répartition. Sa politique sociale manque cruellement de cohérence.

Cette politique se caractérise également par son immobilisme, surtout sur l'épineux problème du financement des retraites. Le fonds de réserve n'est qu'un alibi. Votre politique se limite à multiplier les rapports, en reportant les décisions.

Depuis deux ans, le Gouvernement promet tous les six mois une réforme des retraites, et chaque fois cela se conclut par la commande d'un nouveau rapport. Ainsi, vous avez à votre disposition trois rapport du Conseil d'analyse économique, un rapport du Conseil économique et social, un rapport rédigé par Dominique Taddei et bien évidemment le rapport Charpin. Une chose est sûre : vous ne pouvez pas dire que vous n'être pas informés.

M. Bernard Accoyer - Il faudrait maintenant un rapport sur les rapports !

M. Gilbert Gantier - Or nous le savons tous : dans cinq à dix ans, c'est-à-dire demain, notre système de retraite devra faire face à un double choc démographique, l'arrivée des classes d'âge du baby-boom à la retraite, et l'allongement de la durée de vie. Michel Rocard écrivait dès 1990 : « dans vingt ans, le système de retraite va exploser ; il y a de quoi faire sauter les cinq ou six gouvernements qui seront amenés à s'en charger ». Mais cela ne vous fait pas peur !

La seule initiative du Gouvernement a été la création du fonds de réserve, qui devrait être doté d'environ 15 milliards d'ici 2001. Or ce ne sont pas quinze, ni même quarante milliards qui seraient nécessaires, mais 300 ou 400 : nous sommes très loin du compte. Il faut mettre en parallèle cette dotation de 15 milliards et les 5 000 milliards de dette publique accumulée...

M. Didier Boulaud - Par qui ?

M. Gilbert Gantier - Essentiellement par vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) En 1981, la dette de l'Etat égalait 20 % du PNB (Mêmes mouvements).

Votre immobilisme aura pour conséquence l'augmentation des cotisations et la baisse du pouvoir d'achat des retraités. Il traduit l'incapacité à imposer une réforme à la majorité et le refus d'assumer des décisions difficiles -ce qui est pourtant, comme l'a dit M. Charpin, l'attitude la plus dangereuse. Votre seul acte réel aura été de supprimer la loi Thomas, restée sans objet parce que vous n'en avez pas publié les décrets d'application. Quelle stupide soumission à des idéologies dépassées ! Tous les pays sauf le nôtre ont des législations favorables aux fonds de pension. Pouvez-vous avoir raison contre la terre entière ? Grâce à vous les retraités étrangers profitent du succès des entreprises françaises, pendant que les retraités français doivent se contenter de voir nos entreprises passer sous le contrôle des fonds de pension anglo-saxons... Les Français, tous les sondages le montrent, sont favorables aux fonds de pension : 78 % d'après un sondage récent, dont 88 % des 18-24 ans. Ces chiffres sont sans appel. Aucune manifestation d'ampleur ne s'est d'ailleurs opposée à l'époque, malgré le souhait de la gauche, à l'adoption de loi Thomas.

Une autre voie mérite d'être explorée : il s'agirait de mettre fin à la retraite guillotine. Le départ du jour au lendemain des salariés à 60 ans, voire à 55 ou 50 ans, est un véritable gâchis pour eux, pour la société et pour l'économie. Il faut permettre à ceux qui le souhaitent de quitter progressivement la vie professionnelle, avant ou après 60 ans. Il est faux que le départ précoce à la retraite permette de lutter contre le chômage. Les pays qui ont le plus fort taux d'activité entre 55 et 65 ans ont les taux de chômage les plus bas.

Un mot enfin sur la branche famille, qui sert de plus en plus à financer des choses qui n'ont rien à voir avec la politique familiale. Elle fournit ainsi un milliard pour le fonds de réserve des retraites, en compensation de la ponction sur le FSV qui devait le financer. La branche famille finance donc indirectement les 35 heures : un détournement de plus ! Par ailleurs, vous débudgétisez 2,5 milliards pour financer l'augmentation de l'ARS, jusqu'alors à la charge de l'Etat. Les mesures nouvelles en faveur des familles ne représentent pour leur part qu'un milliard. Une fois de plus donc, le Gouvernement s'en prend aux familles. Quand la branche famille est en déficit, il pénalise les familles ; quand elle est en excédent, il prélève l'excédent... A la faveur de ce projet, le Gouvernement abroge l'article 22 de la loi de 1994, renonçant ouvertement à relever progressivement à 22 ans l'âge limite d'ouverture du droit aux prestations familiales.

M. le Rapporteur - Fausse promesse, non financée.

M. Gilbert Gantier - Après l'adoption du Pacs, ce mauvais coup porté à la famille, vous persistez dans une politique anti-familiale manifeste (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Votre politique ne prend pas en compte l'exigence démographique, alors que notre pays n'assure pas le renouvellement des générations. Il faudrait au contraire, comme le fit en 1938 la chambre du Front populaire en adoptant le code de la famille, aider les familles à avoir le deuxième ou le troisième enfant. Or vous avez diminué l'AGED, la réduction d'impôt pour emploi de proximité et le quotient familial... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous demandons une politique familiale moderne, intégrant le fait que 80 % des femmes souhaitent travailler, et qui doit être axée sur la responsabilisation des parents, l'éducation et le renouvellement des générations. Faute d'inscrire dans ce projet des dispositions en faveur des retraites et des familles, et du fait de son détournement afin de financer les 35 heures, il faut adopter la question préalable.

J'ajoute que, sur le plan juridique, ce texte est très loin de l'esprit de l'article 34 de la Constitution, qui précise en son alinéa 19 que « les lois de financement de la Sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. ». Nous sommes très loin de cette obligation, tout comme nous sommes loin de l'esprit de l'article LO 111-3 du code de la Sécurité sociale, selon lequel « les lois de financement de la Sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale. ».

Le présent projet ne répond aucunement à ces exigences : il n'y a donc pas lieu de l'examiner (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Rapporteur - Je souhaite apporter deux précisions. La première porte sur l'équilibre financier de la Sécurité sociale, tel que l'exige maintenant la Constitution. Sur ce point il est inexact de dire comme M. Gantier que nous serions dans l'inconstitutionnalité parce que nous discuterions du financement des 35 heures, qui n'ont rien à voir avec la Sécurité sociale. En effet, nous avons voulu un régime de cotisations patronales de Sécurité sociale, lesquelles font institutionnellement partie des recettes de la Sécurité sociale. Or cette réforme nous donne des recettes supplémentaires, avec notamment les droits sur le tabac, la TGAP et la CSB. Comme la Constitution nous fait obligation d'équilibrer, nous le faisons en allégeant les charges patronales.

Vous avez raison : la Constitution nous fait obligation d'équilibrer les comptes. Mais on peut y parvenir de deux façons en agissant sur les dépenses, comme vous le suggérez, ou en atténuant les recettes compte tenu de celles qui ont déjà été obtenues. C'est cette dernière solution que nous avons retenue et nous avons réduit les charges patronales, de sorte que, pour ce qui est de l'équilibre, vous ne pouvez rien nous reprocher !

Sur les retraites, vos vues sont intéressantes mais connues depuis plusieurs années. Nous n'aurions rien fait, dites-vous. Mais nous ferons ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Accoyer - Nous avons donc raison !

M. le Rapporteur - Au début de l'an prochain, le Premier ministre fera des propositions et nous en débattrons. Ce ne seront du reste sans doute pas celles que vous attendez, mais ce seront celles qu'espèrent les Français, qui ont déjà montré ce qu'ils voulaient lorsque le Président de la République a dissous l'Assemblée... Quant à la loi Thomas, il est normal qu'une nouvelle majorité ne se sente pas obligée d'appliquer ce que la précédente avait voté. Nos concitoyens, j'en suis sûr, nous sauront gré de ne pas nous être précipités sur de fausses solutions qui ne sont que pour les plus riches d'entre eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Jean Bardet - Le groupe RPR votera bien sûr la question préalable défendue avec talent par M. Gantier. Les principaux points que celui-ci a développés nous fourniraient d'ailleurs chacun une raison suffisante d'adopter cette notion préjudiciable : pour financer des actions qui échapperont au contrôle du Parlement, vous créez des fonds sans fonds ; vous instituez des impôts nouveaux, à l'exemple d'une CSG dont l'affectation varie d'une année sur l'autre ; vous financez les 35 heures au détriment de la Sécurité sociale, en détournant la taxe sur les alcools de sa destination initiale, en taxant les entreprises, en instaurant une taxe sur les activités polluantes qui méconnaît la volonté de l'Union européenne et le principe «pollueur, payeur» et, ce qui est un comble, en imposant le travail, à travers les heures supplémentaires !

Mais il y a aussi ce que vous ne faites pas. Ainsi, pour les retraites, vous vous contentez d'ajouter les rapports aux rapports en repoussant les échéances aux calendes et, pour la famille, vous vous bornez à des promesses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

Mme Muguette Jacquaint - Nous nous opposerons à cette motion pour les mêmes raisons qu'à la précédente. Il est clair que les orientations de l'opposition ne sont pas les nôtres : elle veut faire moins -comme si elle avait oublié où l'a menée son soutien acharné au plan Juppé-, nous voulons faire plus !

M. François Goulard - Le groupe Démocratie libérale ne peut qu'approuver les propos de M. Gantier. Si un projet mérite d'ailleurs de se voir opposer la question préalable, c'est bien celui-ci, en raison de ses lacunes comme de la manière dont il contribue au financement des 35 heures. Le Gouvernement ne s'occupe ni des retraites ni des grandes problèmes de l'assurance maladie : quelles raisons aurions-nous d'examiner ce texte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Marcel Rogemont - Eh oui, Monsieur Gantier, la Sécurité sociale pèse 1 800 milliards. Il faut donc trouver 1 800 milliards de recettes pour la financer... Cette loi de financement est compliquée, dites-vous. Mais elle l'est moins que le budget de l'Etat, dont le montant est bien inférieur !

La TGAP est une incitation à ne pas polluer. Autrement dit, nous fondons une partie du financement de la Sécurité sociale sur une recette dont nous espérons qu'elle diminuera...

M. François Goulard - Et on fera comment ?

M. Marcel Rogemont - C'est que nous parions sur une gestion économe ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Il existe certes des pays où le taux d'activité des personnes d'un certain âge est très élevé. Mais vous pourriez tout aussi bien relever que le taux de chômage est plus élevé dans les pays qui comptent davantage que le nôtre de jeunes en âge de travailler. Vous devriez donc pousser plus loin l'analyse démographique.

S'agissant de la famille, qui a décidé que les allocations seraient perçues jusqu'au 19ème anniversaire de l'enfant ? Qui, aujourd'hui, porte cette limite à 20 ans ? Qui la repousse à 22 ans pour l'allocation logement ? Nous !

M. Bernard Accoyer - Vous oubliez l'AGED !

M. Marcel Rogemont - Ce projet comporte des mesures pour la famille, d'autre part. Cessez donc de ressasser l'affaire de la fiscalisation des allocations familiales : nous avons entendu les associations. Et si cela a eu des répercussions sur le quotient familial, c'est qu'il faut bien que ce que les uns ne paient pas soit payé par d'autres.

Monsieur Gantier, votre propos était bien sympathique, mais il ne justifie en rien l'adoption d'une question préalable. J'invite donc l'Assemblée à repousser cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Ce projet de loi de financement venait à point pour permettre au Gouvernement de dissimuler le mode de financement des 35 heures ! Mettre ainsi à la charge de la Sécurité sociale ce qui devrait relever du budget général pour en cacher le coût à l'opinion justifierait à soi seul le vote de la question préalable, d'autant que ce montage ne permet pas au Parlement de le prononcer sur ce texte en toute connaissance de cause.

L'abondement de ce fonds repose d'ailleurs sur des hypothèses bien hasardeuses. Savez-vous ce qu'ont dit les entreprises de la taxation des heures supplémentaires, par exemple ? Croyez-vous qu'elles vont payer deux fois ? Elles trouveront la parade et je vous défie bien de percevoir les sept milliards prévus... D'autre part, est-il normal d'imposer à la TGAP les agriculteurs, dont les semaines de travail sont de deux fois 35 heures ? Vous aurez bien du mal à présenter la mesure aux exploitants, qui n'ont aucun intérêt à mettre dans le sol un gramme de pesticide ou d'engrais de plus qu'il ne faut !

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Luc Préel - Dans sa sagesse, le Sénat a heureusement modifié ce projet, rejetant le fonds que vous voulez créer pour financer les 35 heures et récrivant l'article 17 pour substituer aux lettres-clés flottantes et aux sanctions collectives une prise en compte des pratiques individuelles dans un cadre régional.

Avec d'autres améliorations apportées par le Sénat, ce texte, dans sa forme actuelle, nous convient beaucoup mieux. Hélas, la CMP a échoué, et le rapporteur vient de proposer de revenir à la première lecture. Nous ne pouvons donc que réitérer nos critiques.

D'abord, votre projet ne prépare pas l'avenir : il ne contient rien pour les familles, rien pour les retraites, il est dangereux pour la branche santé. Surtout vous voulez, pour financer les 35 heures, créer un fonds alimenté par des recettes dont chacune devrait avoir une destination plus appropriée.

Je ne reviens pas sur votre reculade à la veille de notre premier débat. En réalité, votre tort principal est de revenir sur la loi de 1994. Elle disposait que, pour ne pas pénaliser la protection sociale, l'Etat devait compenser intégralement les exonérations qu'il décidait. Dès lors, plus besoin de fonds. Vous reniez ce principe ; vous avez tort.

Pour financer votre fonds, vous faîtes appel à la taxe sur les tabacs pour 39,5 milliards. Au lieu d'être affectée aux 35 heures, cette somme devrait l'être à la CNAM, pour soigner les victimes et développer la prévention. Le tabagisme fait en effet 60 000 victimes par an, qui seront 120 000 demain. Nous ne pouvons pas rester passifs devant ce drame. Ensuite, vous affectez au fonds 5,6 milliards de droit sur les alcools qui là encore seraient mieux utilisés pour soigner et prévenir.

Pour financer les exonérations de charges, vous créer un impôt sur les bénéfices des entreprises, qui doit rapporter 4,3 milliards en 2000, mais 12,5 milliards à terme.

Vous avez affirmé, Monsieur Rogemont, qu'elle allait baisser. Le rapporteur, au contraire, annonce qu'elle atteindra 12,5 milliards.

M. Marcel Rogemont - En année pleine !

M. Jean-Luc Préel - C'est bien ce que je dis !

Vous affectez le produit de la TGAP au financement des 35 heures, soit 3,2 milliards l'an prochain et 12,5 milliards à terme.

Son mode de calcul est si complexe que le produit le plus polluant pourrait bien ne pas être le plus taxé. Surtout, elle devrait servir à améliorer la qualité de l'environnement, et à accélérer en particulier la mise aux normes des bâtiments d'élevage. En effet cette ligne budgétaire est sous-dotée, ce qui empêche les agriculteurs de réaliser les travaux nécessaires.

M. Marcel Rogemont - Pas du tout !

M. Jean-Luc Préel - Dans les pays de la Loire, un contrat a été signé, que l'Etat refuse d'abonder !

En réalité, vous instituez un droit à polluer pour améliorer la santé. C'est un comble !

Vous avez décidé de taxer les heures supplémentaires pour 7 milliards. Les salariés ne seront donc pas payés pour les heures effectivement travaillées !

Au total, sur près de 64 milliards en 2000, la contribution de l'Etat ne dépassera pas 4,3 milliards. Et sur un coût estimé à terme à 105 milliards, il restera à trouver 20 milliards. Comment ferez-vous ? Les 35 heures ne sont pas encore financées, pas plus que ne l'est la CMU, contrairement à ce qu'a dit Mme la ministre. Les syndicats ont été satisfaits de votre reculade, mais vous pourriez bien profiter des négociations en cours avec l'UNEDIC pour leur faire payer leur résistance. Quant à la protection sociale, vous maintenez le prélèvement de 5,6 milliards répartis sur les trois branches, et affecté au FSV.

Tout cela ne nous convient pas et nous souhaitons que vous en restiez au texte du Sénat.

Vous devriez pourtant profiter de la croissance pour préparer l'avenir et entreprendre les réformes indispensables.

Or vous renoncez à toute véritable politique familiale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous voulez abroger la loi de 1994 qui prévoyait le prolongement des prestations familiales jusqu'à 22 ans. Cette loi, vous n'avez pas pu ou pas voulu l'appliquer.

Mme la Secrétaire d'Etat - Elle n'était pas financée !

M. Jean-Luc Préel - Vous êtes au pouvoir depuis deux ans et demi. Si la famille était pour vous une priorité, vous auriez pu renforcer les allocations familiales (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Si vous abrogez la loi de 1994, cela signifie que vous ne voulez pas financer les enfants à l'âge où ils coûtent le plus cher.

M. Jean-Claude Perez - C'est votre interprétation !

M. Jean-Luc Préel - Non, c'est un constat !

Vous ne faites rien pour simplifier les 25 prestations et les 15 000 références existantes, qui sont ingérables. Vous n'augmentez les prestations familiales que de 0,5 %, alors que l'inflation est de 0,9 % Il s'agit pour les familles d'une perte de pouvoir d'achat programmée ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Pour les retraites, il manquera, M. Charpin l'a confirmé, 350 milliards en 2015. Or vous ne faites rien, sinon nous proposer d'attendre que M. Jospin ait réfléchi aux conséquences électorales de ses décisions éventuelles (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Lemasle - Ça, c'est Chirac !

M. Jean-Luc Préel - L'UDF souhaite conforter la retraite par répartition en accroissant l'autonomie de la branche. Elle demande la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires, gérée paritairement. Elle réclame la mise en place effective du 3ème étage qu'est l'épargne retraite, souhaitant, comme M. Fabius, que l'épargne salariale soit investie à 50 % en actions françaises.

La situation de la branche maladie est aujourd'hui très sérieuse (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Le paritarisme est mis en cause.

M. Jean-Paul Bacquet - Par qui ?

M. Jean-Luc Préel - Nous nous dirigeons rapidement vers une étatisation, tout en étant menacés à terme d'une privatisation et donc d'une assurance maladie à plusieurs vitesses.

Beaucoup d'hôpitaux sont financièrement étranglés ; les établissements privés qui ont investi sont dans une situation délicate, plusieurs ferment chaque jour. Pour la première fois, il n'y a pas eu en 1999 d'accord conventionnel, et vous pénalisez ces établissements de 2 %.

Les professionnels libéraux sont désabusés, alors que, vous l'avez dit, aucune réforme n'est possible contre eux ni sans eux.

Des spécialités pourtant indispensables sont aujourd'hui sinistrées, et il faudra en venir à des restructurations hospitalières non pas pour des raisons de santé publique, mais par manque de spécialistes.

Les besoins d'investissements dans les établissements de santé sont indispensables pour accueillir les urgences et aussi adapter l'hébergement aux souhaits de la population, avec par exemple la chambre à un lit. Or l'Etat se désengage. Seul le fonds voté avec l'ONDAM existe réellement. Or il est modeste, et ses modes d'attribution, obscurs, font que les crédits ne sont pas intégralement consommés.

Mais dans le même temps l'Etat perçoit la TVA sur les travaux, si bien que sa subvention est globalement négative.

Un effort de l'Etat est donc indispensable.

Vous proposez de confier la gestion de l'ambulatoire à la CNAM. Mais ce ne serait qu'une délégation apparente car vous avez prévu tellement de garde-fous qu'en réalité vous gardez la main. Comme dans le même temps, vous conservez les hôpitaux et le médicament et comme vous récupérez les cliniques, nous assistons à une étatisation croissante de la branche maladie qui s'accompagne d'un renforcement des rigidités alors que tout le monde souhaiterait une fongibilité des enveloppes.

Par ailleurs, nous assistons avec la CMU à une remise en cause de la frontière entre la base et le complémentaire. Ainsi, les deux piliers de la protection sociale à la française -paritarisme et séparation entre la base et le complémentaire- sont fragilisés.

J'ajoute que la définition laborieuse du panier de soins CMU et le non remboursement de plusieurs médicaments pourtant indispensables conduisent tout droit à une médecine à plusieurs vitesses, que nous refusons.

Deuxième mesure que nous rejetons : l'introduction de sanctions collectives par le système de lettres clés flottantes. Après avoir été censuré l'an dernier par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement récidive cette année en proposant la plus perverse des sanctions collectives, puisque le praticien consciencieux sera sanctionné si ses collègues dérivent.

S'agissant de l'ONDAM, le Gouvernement annonce une augmentation de 2,5 %. En réalité, chacun constate que l'augmentation est bien supérieure à 4 %. Pourquoi cette hypocrisie ? Que vous preniez en compte le « réalisé » peut se justifier mais pour comparer et juger de la maîtrise des dépenses, nous devons garder les mêmes bases d'une année sur l'autre.

A l'UDF, nous souhaitons que l'on sorte d'une gestion purement comptable, que l'on prenne en compte les besoins de la population au niveau régional et que l'on puisse juger de l'adéquation de l'offre aux besoins.

Nous souhaitons aussi développer une réelle politique de prévention et d'éducation de la santé. L'année dernière, la généralisation du dépistage des cancers du sein, première cause de mortalité prématurée évitable des femmes, avait été annoncée. Dans combien de départements ce dépistage généralisé est-il effectif ? Nous demandons la création de l'Agence nationale de la prévention et le vote par le Parlement, conjointement à l'ONDAM, d'une enveloppé dédiée à ce domaine.

Pour toutes ces raisons, l'UDF votera contre ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Hélène Mignon - Nos débats en première lecture ont permis de définir pour 2000 une politique de la famille prenant en compte les mutations de notre société. Cette politique se fonde sur la reconnaissance du rôle des familles comme lieux de solidarité et de construction des repères pour l'enfant. Elle se fonde aussi sur la volonté de répondre à leurs besoins et de conforter la capacité des parents à assumer leurs obligations. Cette politique se doit d'être ambitieuse, de s'inscrire dans la durée et de soutenir en priorité les familles qui en ont le plus besoin. Pour la mener, le Gouvernement s'est fixé une méthode : concertation permanente et respect des engagements tenus. A ce propos, je tiens à saluer le travail effectué au sein de la mission interministérielle à la famille et à rappeler que les engagements pris l'an dernier ont été tenus.

La prochaine conférence de la famille aura à travailler sur la remise à plat de toutes les prestations dans un souci de cohérence, de simplification -ce qui facilitera le travail des CAF- et d'équité.

Les aides à l'accueil de la petite enfance constituent un autre chantier important. Alors que la contribution financière des collectivités locales aux crèches municipales ne cesse d'augmenter, la part croissante dans les effectifs d'enfants appartenant à des familles à revenus modestes, la pratique de tarifs modulés en fonction des revenus, et le caractère uniforme de l'aide de la CAF entraînent forcément des difficultés. Dans le même temps, des structures associatives ne jouent pas la solidarité mais au contraire pratiquent une sélection des enfants accueillis en fonction des revenus des parents. C'est sans nul doute un effet pervers des aides forfaitaires. Ce système encourage donc une ghettoïsation dès le plus jeune âge et une stigmatisation de certaines familles, alors que la crèche, premier lieu de socialisation, devrait être le cadre d'une mixité sociale. L'exclusion ne doit pas commencer là.

Une autre conséquence de la difficulté à boucler leurs budgets est l'impossibilité pour les crèches de garder une à deux places vacantes pour répondre à des demandes urgentes. J'espère que ce problème sera traité lors de la prochaine Conférence de la famille.

Je voudrais aussi évoquer la présence, dans les centres de détention et les maisons d'arrêt, d'enfants de moins de 18 mois qui vivent là avec leur mère incarcérée. Il faut que les structures de la petite enfance, installées sur la commune, puissent les accueillir afin qu'ils retrouvent, deux ou trois jours par semaine, des enfants de leur âge. Il faut préparer, le cas échéant, la séparation de ces enfants d'avec leur mère, penser qu'ils pourraient trouver sur place des familles d'accueil, et ainsi ne pas subir une fracture trop grande. Cela implique une volonté des responsables des crèches ou haltes-garderies. Nous ne la trouverons sans doute pas spontanément partout. Il faudrait donc envisager à la fois des financements spéciaux et des circulaires fortement incitatives envers les élus.

Je me suis un peu éloignée du PLFSS mais j'y reviens pour vous assurer, Madame la secrétaire d'Etat, du soutien du groupe socialiste tout au long de la discussion.

Un sondage réalisé par la SOFRES montre à quel point la famille est importante aux yeux de 82 % des jeunes. Cette réalité est au c_ur de l'action du Gouvernement en faveur de la famille, reconnue comme un lien irremplaçable de solidarité et d'apprentissage de la vie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Bardet - Madame le secrétaire d'Etat, nous nous connaissons depuis longtemps et nous avons notamment combattu ensemble, dans le Val d'Oise, pour le dépistage du cancer du sein. Ne voyez donc pas dans la remarque que je vais faire une attaque personnelle... Simplement, je m'étonne que Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité ne nous fasse pas l'honneur d'être présente pour un texte aux tels enjeux financiers et sociaux.

Le texte sur lequel nous devons nous prononcer est très éloigné de celui qui avait été adopté en première lecture par l'Assemblée. En effet, le Sénat a supprimé 8 articles, en a rajouté 5 et en a profondément modifié plusieurs, dont l'article 17. Je constate d'ailleurs avec plaisir que les modifications opérées par le Sénat, dans sa grande sagesse, recoupent bien souvent des amendements défendus en vain, ici même, par l'opposition. Je pense en particulier à nos amendements se rapportant aux articles sur le financement des 35 heures. Nous n'avons pas obtenu une seule fois satisfaction. Pourtant, qui peut encore penser que la réforme des 35 heures aura un effet quelconque sur le chômage ? Certainement pas, en tout cas, les salariés intéressés si j'en juge par les grèves qui éclatent de-ci de-là.

Je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons eu en première lecture pour savoir si le nouveau dispositif de financement des 35 heures constitue pour le Gouvernement une reculade ou un tour de passe-passe, car je pense qu'il a fait les deux. C'est une technique que connaissent bien les escrimeurs : faire deux pas en arrière pour mieux masquer sa riposte.

Mais le Sénat n'est pas tombé dans le piège et, comme nous, a dénoncé la tentative gouvernementale de faire croire que les organismes de Sécurité sociale ne seront pas ponctionnés pour financer les 35 heures. Car ils le seront bel et bien, via le détournement de la taxe sur les alcools, vers le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales qui se situe à la croisée des chemins de la loi de finances, de la loi sur les 35 heures et de la loi de financement de la Sécurité sociale.

Je regrette qu'en commission les articles 2 à 4 aient été réintroduits. Cela montre que le Gouvernement ne tient nul compte des suggestions qui lui sont faites, même lorsqu'elles viennent d'une assemblée aussi sérieuse et raisonnable que le Sénat. De même, la commission a rétabli hier la TGAP ainsi que la contribution sur les bénéfices des entreprises, malgré les remarques extrêmement pertinentes faites à ce sujet par le Sénat. Je n'insisterai pas mais enfin tout le monde comprend qu'une taxe sur les activités polluantes devrait servir à des activités de dépollution !

Et faut-il redire que la taxation des heures supplémentaires est à la fois injuste, puisqu'elle pénalise ceux qui travaillent plus au profit de ceux qui travaillent moins et va à l'encontre du principe selon lequel « tout travail mérite salaire », et non pérenne, puisque les heures supplémentaires sont appelées à terme à disparaître ?

Je me félicite que le Sénat ait supprimé les articles 14 et 15 qui marquent un désengagement de l'Etat sur un certain nombre de missions de santé publique. Le processus avait déjà été amorcé l'année dernière, mais il est amplifié cette année. J'espère donc que notre assemblée suivra le Sénat et laissera à la charge de l'Etat les dépenses liées aux consultations de dépistage anonyme et gratuit.

La lutte contre la toxicomanie ayant des interactions médicales, sociales et pénales, elle ne peut être coordonnée que par les services de l'Etat. Il est donc regrettable que, là encore, l'Etat se dégage de ses responsabilités. A force, le budget de la santé, qui est déjà un des plus faibles de la nation, sera bientôt réduit à une « peau de chagrin » et je me demande si, à terme, votre but n'est pas qu'il soit intégralement compris dans celui de la Sécurité sociale.

L'opposition, à l'Assemblée nationale, avait souhaité supprimer l'article 16 relatif aux centres de santé. Je le concède, cet amendement était un peu provocateur. Mais nous avions déposé un amendement de repli pour que soit fixé aux centres de santé, comme aux autres établissements, un objectif de dépenses. C'est ce qu'a fait le Sénat. Or, de nouveau, la commission a rétabli le texte initial. Vraiment, je ne comprends pas au nom de quels principes les centres de santé pourraient engager des dépenses remboursées par la Sécurité sociale sans aucun contrôle !

L'article 17, qui faisait quatorze pages et était pour le moins indigeste, avait été considérablement simplifié par le Sénat.

Sur le fond, le texte du Sénat repose sur l'idée d'une « maîtrise médicalisée » des dépenses et sur les références médicales opposables. Bien sûr, la commission a rétabli le texte adopté par l'Assemblée.

Je regrette que le Sénat ait voté conforme l'article 18, d'autant que, sur tous les rangs de l'hémicycle, des voix s'étaient fait entendre pour dire que cet article portait atteinte au secret médical. Cela n'a pas totalement échappé aux sénateurs cependant, puisqu'ils ont voté un article 19 bis pour demander que la CNAM présente annuellement au Parlement un bilan d'application de l'article 18.

J'ai l'impression de me répéter en vous disant que l'article 19, supprimé par le Sénat et rétabli par la commission, avait soulevé aussi de vives réticences sur tous les bancs de cette assemblée. Je me souviens des propos véhéments de M. Gremetz sur le sujet.

Cette énumération d'articles, supprimés par le Sénat et rétablis par la commission, est bien fastidieuse.

Mme la Secrétaire d'Etat - Oh oui !

M. Jean Bardet - On a l'impression d'un jeu de massacre, d'un comportement purement politicien. C'est le règne du sectarisme.

Ainsi, l'article 1 bis introduit par le Sénat vise à préciser le fonctionnement de la commission des comptes de la Sécurité sociale en prévoyant qu'elle soit assistée par un secrétariat général permanent, qui assure l'organisation de ses travaux ainsi que l'établissement de ses rapports. Il était en outre proposé de placer son secrétariat général sous l'autorité d'un secrétaire général, nommé pour trois ans par le ministre chargé de la Sécurité sociale, sur proposition conjointe des présidents des deux assemblées.

Un tel dispositif aurait amélioré le contrôle par le Parlement des comptes de la Sécurité sociale. Cet article a été supprimé en commission et je n'en vois pas les raisons.

Cette attitude pose le problème du fonctionnement de notre démocratie.

Bien sûr, l'Assemblée nationale a le dernier mot, mais encore faudrait-il que les propositions du Sénat, qui sont le plus souvent raisonnables, soient examinées avec un peu plus de nuance et moins de sectarisme.

Aucun des grands problèmes auxquels la France aura à faire face dans les années à venir n'est abordé dans ce projet.

La famille, cellule fondamentale de notre société, n'est pas reconnue comme telle et n'est pas aidée comme elle devrait l'être. Ce n'est pas l'aumône de l'augmentation de 0,3 % des prestations familiales qui va améliorer les conditions des familles les plus démunies.

Il en est de même pour les avantages vieillesse. Cela est d'autant plus scandaleux qu'il ne se passe pas un jour sans que les médias ne fassent état de recettes exceptionnelles liées à la reprise de l'activité économie mondiale.

Je sais que le Gouvernement est en train de se constituer son bas de laine pour les prochaines échéances électorales, mais est-ce bien sérieux ?

La réforme des retraites est toujours repoussée. Le Premier ministre annonce une concertation en 2000, mais vu les échéances électorales, gageons que ce sera après 2002 ; ce qui vous laisse d'ailleurs une chance que ce soit une autre majorité qui règle ce problème.

Madame la secrétaire d'Etat, en première lecture, vous nous avez dit que le problème des retraites était résolu grâce à l'abondement du fonds de réserve, sur lequel vous venez de faire verser 3 milliards, alors qu'il en faudrait 200 par an.

Mais le problème le plus grave est celui de la santé. Vous allez casser notre système de protection sociale.

L'article 17, que vous avez rétabli dans le texte de l'Assemblée, détruit le système conventionnel, en permettant à la CNAM d'imposer sa loi.

Certes, dès la première lecture, vous avez rétabli l'obligation de la prise en charge d'une part des cotisations sociales pour les médecins, mais cette concession tardive n'a que partiellement rassuré les syndicats médicaux.

La suppression programmée du secteur II est une décision de nature idéologique.

Les primes, que les médecins ayant signé des accords de bons soins pourraient obtenir s'ils ont respecté des objectifs quantifiés, constituent une insulte à toute notre profession.

Vous vous prétendez opposée aux alternatives de prises en charge des dépenses maladie, et pourtant c'est ce qui se passe, et vous laissez faire.

En première lecture, je vous avais posé des questions sur le coût du vaccin contre la grippe en comparaison avec le coût des arrêts de travail. Vous ne m'aviez pas répondu. Eh bien la réponse vient d'Axa, qui a annoncé le 15 octobre la généralisation du remboursement du vaccin contre la grippe et le remboursement du relenza. Voilà comment la France s'engage dans une médecine à deux vitesses.

L'hôpital public est exsangue. Il ne peut plus accomplir sa mission de service public. Dans votre vision comptable des choses, l'hôpital « est dans les clous ». Mais son rôle n'est pas d'être dans les clous, c'est de soigner les malades.

Actuellement, les médecins le peuvent encore. Demain, ils ne le pourront plus, et vous aurez, Madame, une lourde responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. François Goulard - L'absence de l`orateur inscrit pour le groupe RCV me permet de prendre la parole plus tôt. Je veux d'ailleurs remercier ce groupe pour l'intérêt soutenu qu'il a manifesté, depuis le début, pour la Sécurité sociale (Sourires).

Je regrette aussi l'absence de Mme Aubry. Nous l'avons entendue brièvement, en début de discussion, et elle s'est livrée à son exercice favori, qui consiste à caricaturer les propos de ses adversaires.

Mme la Secrétaire d'Etat - Vous étiez là pour répliquer. Elle n'est pas là pour vous répondre.

M. François Goulard - Je le déplore !

Elle a travesti la pensée de la majorité sénatoriale. Si celle-ci a supprimé de nombreux articles du projet, c'est uniquement pour manifester son désaccord avec votre politique.

S'agissant des allégements de cotisations sociales, je veux d'abord répéter qu'elles ne suffiront pas à compenser une hausse de 11,4 % du coût du travail. En outre, les distorsions de concurrence qui vont résulter des 35 heures seront dramatiques pour les entreprises.

Il est en outre anormal que des recettes de la Sécurité sociale servent à financer ces allégements de charges. C'est d'ailleurs audacieusement que Mme Aubry a voulu nous présenter ce système de financement bricolé à la hâte comme la première étape d'une grande réforme des cotisations sociales.

Nous savons très bien comment nous en sommes arrivés à ce mode de financement, qui résulte en premier lieu d'arbitrages difficiles au sein du Gouvernement. Je veux voir d'ailleurs, dans l'affectation du produit de la TGAP au financement des 35 heures, une idée malicieuse de l'ex-ministre des finances, qui a voulu mettre face à face Mmes Aubry et Voynet.

La TGAP n'a rien à voir avec la réduction du temps de travail.

Il y a eu ensuite les réserves du Conseil d'Etat et surtout les protestations des partenaires sociaux, devant lesquels l'Etat a sagement reculé, modifiant en dernière minute son plan de financement.

M. Bernard Accoyer - En apparence !

M. François Goulard - Et que dire de l'affectation au financement des 35 heures du produit des taxes sur les tabacs et les alcools ? Il s'agit d'ailleurs de prélèvements sur les ménages, ce qui contredit le discours gouvernemental.

Autre prélèvement sur les ménages : la taxe de 10 % sur les heures supplémentaires. On va demander à ceux qui travaillent le plus, et qui y sont parfois contraints, de financer les 35 heures.

M. Pascal Terrasse - Cela s'appelle la solidarité !

M. François Goulard - Telle que vous l'entendez. Mais cette taxe est choquante.

M. Pascal Terrasse - C'est le chômage qui est choquant !

M. François Goulard - J'en arrive à la majoration de l'impôt sur les bénéfices. Rien ne permet d'affirmer qu'elle frappera davantage les entreprises capitalistiques que les entreprises de main-d'_uvre, comme vous le prétendez.

La TGAP est devenue comme par miracle une taxe sur le capital. Justifiée sur le plan théorique, cette taxe devient absurde par l'usage que vous en faites. Comme l'a rappelé M. Gantier, il s'agit d'ailleurs d'une taxe baladeuse initialement affectée à l'ADEME, puis l'année dernière au budget général et enfin au financement des trente cinq heures

On nous dit que le produit de cette taxe est appelé à diminuer du fait du recul de la pollution. Mais puisqu'elle constitue une recette nécessaire au financement de la réduction du temps de travail, il est patent qu'elle ne baissera pas, quels que soient les efforts de ceux qui l'acquittent pour développer des activités moins polluantes. Telle que vous l'avez conçue la TGAP sera, à rebours de votre discours, une véritable incitation à continuer de polluer. Si Mme Voynet a compris le mécanisme de cette taxe, elle ne peut être qu'ulcérée de l'arbitrage qui a été rendu à son sujet.

Au bout du compte et contrairement aux engagements pris par la ministre en première lecture, 5, 6 milliards sont bien prélevés sur la Sécurité sociale pour financer les 35 heures.

S'agissant des retraites, le Gouvernement promet de provisionner 20 milliards d'ici la fin de l'année prochaine. Mais si l'on considère le besoin de financement des régimes de retraite dans les années 2005-2007, cette réserve représente moins d'un mois de financement compte tenu des besoins. C'est de la poudre aux yeux ! Vous ne faites pas davantage de proposition sérieuse de réforme des régimes spéciaux.

Puisque, volens nolens, vous vous préparez à ouvrir une négociation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique sur la réduction du temps de travail, nous vous suggérons d'en profiter pour discuter de l'avenir des retraites du secteur public. Commencez donc par réformer les régimes spéciaux.

Pour l'épargne retraite, il est temps d'admettre qu'elle constitue une nécessité absolue, en particulier pour les petits salaires. Les salariés les plus privilégiés ou les plus protégés n'ont en effet aucun mal à épargner pour leur retraite. Ce sont les plus faibles qui ont besoin d'une véritable politique d'incitation afin de n'être plus privés de complément de retraite. Le problème des retraites durera des décennies car les tendances démographiques de moyen terme ne font qu'accentuer les déséquilibres.

Il est urgent que la politique des retraites tienne compte du facteur démographique en favorisant une politique familiale réellement incitative à la reprise de la natalité. A ce titre, nous nous réjouissons que la Cour de cassation ait rétabli les avantages dont profitent les familles de trois enfants et plus. Il est normal qu'elles bénéficient de dispositions plus favorables en matière de retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Il faut avantager les familles de plus de deux enfants. Lorsque nous vous parlons de redistritubtion en faveur des familles, vous entendez redistribution entre niveaux de revenus. Mais vous devez comprendre qu'il existe deux types de redistribution : une redistribution légitime entre revenus faibles et élevés et une qui ne l'est pas moins entre les familles nombreuses et les autres catégories (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Le dernier grand volet de ce projet, qui est aussi celui dont vous parlez le moins, concerne l'assurance maladie. Or, rien n'est réglé, ni pour aujourd'hui, ni pour demain. Contrairement à ce qui est dit, les dépenses médicales ne sont pas maîtrisées car l'équilibre ne découle que de l'élargissement considérable de l'assiette des cotisations décidé il y a deux ans, du transfert vers la CSG et des rentrées liées à la croissance. Vous prétendez confier la responsabilité de la maîtrise des dépenses de santé à l'assurance maladie. Il n'en est rien car votre délégation à la CNAM est assortie d'une obligation de méthode. Il n'est pas inconcevable de confier la régulation à l'assurance maladie mais il ne fallait pas le faire en lui imposant la méthode de la sanction collective qu'a annulée le Conseil constitutionnel. Inacceptable l'année dernière, cette méthode ne l'est pas davantage cette année. L'assurance maladie est dans l'impasse. Il faut pour l'en sortir une autre méthode que celle d'un contrôle comptable centralisé et dépourvu de fondement rationnel.

Vous proposez ensuite de placer les cliniques et les établissements d'hospitalisation privés sur le même plan que l'hôpital public. Ce choix relève d'une certaine logique mais il n'en va pas de même de celui qui consiste à couper la médecine de ville de l'hospitalisation privée. Il n'est pas pertinent de scinder la tutelle sur l'offre de soins, avec d'un côté l'Etat, qui fait peser un véritable carcan sur l'hospitalisation à travers la méthode des budgets globaux et, de l'autre, l'assurance maladie chargée par délégation d'encadrer la médecine de ville. Cette logique est contraire à l'intérêt des patients, qui passe par une collaboration renforcée de la médecine de ville et de l'hospitalisation.

J'en viens à la couverture maladie universelle, à propos de laquelle M. Accoyer a posé hier à Mme Aubry une question pertinente sans obtenir de réponse. Sa mise en place est difficile et il apparaît clairement que les caisses primaires d'assurance maladie ne seront pas en mesure d'accueillir les futurs assurés dès les premiers jours de l'année 2000.

M. Bernard Accoyer - C'est vrai !

M. François Goulard - Or, la CMU s'est substituée à l'aide médicale des départements, qui constituait un système apprécié et à bien des égards meilleur que la CMU.

Excellemment traitée sur le plan médiatique, la CMU est déficiente en pratique sur bien des points, malgré les promesses du Gouvernement.

Enfin, votre projet n'apporte aucune réponse aux pénuries constatées dans plusieurs spécialités médicales.

En conclusion, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 n'est acceptable ni sous l'angle fiscal, ni sous l'angle financier, ni en matière de retraites, ni sur la politique familiale, ni sur l'assurance maladie parce qu'il ne remplit pas ce qui devrait être son objet premier : assurer la pérennité de la protection sociale dans notre pays. C'est un projet de court terme, qui se borne à tenter de faire durer les solutions existantes, sans préparer l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Paul Bacquet - Mon intervention portera sur l'assurance maladie. Vous avez refusé, Madame la ministre, les discours alarmistes sur ce que serait le déficit de 1999. Vous avez refusé le langage démagogique selon lequel toute politique de santé aujourd'hui serait une politique de rationnement des soins. Vous avez refusé courageusement de suivre les recommandations de M. Johanet, des propositions brutales, inadaptées, déstructurantes pour les professionnels de santé. Quels sont vos choix ? C'est le refus des inégalités régionales : l'Etat interviendra directement au niveau de l'hôpital, pour assurer la cohérence et les complémentarités. C'est la solidarité, avec la CMU, même si nous savons que sa mise en place sera difficile. C'est la maîtrise, avec une meilleure évaluation, une accréditation, une concertation, un partenariat renouvelé, et avec une bonne pratique. Sur ce point je me félicite de la suppression des RMO, et je souhaite que nous puissions aussi supprimer les CMR, qui font l'unanimité contre eux ; mais vous n'en êtes pas responsables, car ce sont d'autres qui les ont mis en place.

Vos choix, ce sont encore des priorités de santé publique, comme la cancérologie, ou la lutte contre l'alcoolisme, avec la mise en place de réseaux ; à ce sujet je me permets de formuler le souhait que soit financé celui que j'ai demandé dans ma région. Ce sont les soins palliatifs, en souhaitant qu'ils ne soient pas seulement un secteur hospitalier, mais puissent intervenir dans le secteur ambulatoire.

Vous constatez des dérives sur les transports, les prescriptions, les indemnités journalières : vous choisissez la substitution, le générique, une démarche analytique. Dans ce domaine, je souhaite que les responsabilités de chacun soient bien définies : on ne peut concevoir un contrôle médical qui ne serait qu'un élément de sanction et n'assumerait pas sa responsabilité professionnelle. Je refuse un contrôle médical confié à des potentats locaux recrutés par cooptation, qui s'en tiendrait à la sanction en refusant toute connaissance épidémiologique et toute connaissance des pratiques ; dans ce domaine, il reste beaucoup à faire et il faudra revoir la formation et le recrutement de ce service.

C'est encore la participation des professionnels avec une responsabilité partagée, grâce à des accords directs entre eux et les caisses ; mais cela requiert un respect mutuel, que n'assurent pas les CMR. Autre impératif : il faut que les directives de la CNAM soient appliquées dans les caisses primaires et qu'aucune ne reste à la traîne.

J'ai rappelé les priorités de santé publique et je pense que c'est là un point fort de votre projet. Autre objectif : la responsabilité des acteurs, que ce soient les acteurs gouvernementaux avec les hôpitaux, les caisses, les organisations professionnelles, les usagers. N'oublions pas l'objectif de maîtrise. A cet égard, je suis optimiste : le déficit est passé de 67 milliards en 1995 à 53 en 1996, 33 en 1997, 16 en 1998 et 4 en 1999 ; je suis sûr que l'excédent sera au rendez-vous en 2000.

J'entends des critiques contradictoires. On vous reproche à la fois l'étatisation et la privatisation. Ou encore ceux-là même qui ont créé le secteur 2 en 1979 vous reprochent d'instaurer une médecine à deux vitesses... C'est un vrai problème de société : la médecine doit-elle reposer sur la solidarité nationale ou sur une politique assurantielle ? Nous avons choisi la solidarité et je m'honore de soutenir ce projet, même si j'ai formulé quelques critiques (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Je ne me plaindrai pas de l'absence de Mme Aubry car je pense, Madame Gillot, que vous nous écoutez et il est agréable de vous voir nous regarder quand nous parlons... Je souhaite sonner l'alarme et mettre en garde nos collègues : ce projet va faire exploser le système conventionnel sur lequel repose depuis près de trente ans notre système médical. Il n'était certes pas parfait, mais il a incontestablement apporté une réponse efficace en termes de qualité des soins.

Ce système était fondé sur la demande de soins ; c'est bien pourquoi il y répondait. Il était surtout fondé sur une entente conventionnelle entre les caisses de Sécurité sociale et les professionnels de la santé. Mais, les dépenses augmentant, le législateur intervient, et c'est alors une vision tout autre qui prévaut, orientée -même si nous n'y sommes pas encore- vers l'étatisation.

Je montrerai par trois exemples qu'en faisant de la santé un objectif comptable nous allons vers l'étatisation. Premier exemple, les reversements d'honoraires que dans un premier temps vous vouliez imposer aux médecins ; ils ont été heureusement annulés par le Conseil constitutionnel. Deuxième exemple, les lettres-clés flottantes, utilisées si les dépenses augmentent, et qui peuvent réduire jusqu'à 20 % la valeur des actes médicaux : c'est une autre forme de sanction, collective cette fois, aussi inacceptable que la précédente, et dont nous espérons qu'elle connaîtra le même sort. Troisième exemple, tout récent : les assauts contre le secret professionnel -condition de la confiance entre patient et médecin- dans un simple but de contrôle fiscal. Sur ce point je ne veux pas laisser dire -comme l'a fait hier M. le ministre des finances- que le secret médical est déjà levé pour les médecins affiliés à des centres de gestion agréés. C'est faux : en regard de leurs recettes, ils n'inscrivent pas des noms, mais des codes, et le secret n'est pas divulgué ; je tenais à rétablir la vérité sur ce point.

Ce projet ne convient ni aux professionnels de santé ni aux caisses. Pour ce qui est des premiers, le médecin que je suis mesure combien notre système va faire disparaître tout ce qui fait la qualité de l'acte médical : la liberté d'aller trouver son médecin, la rencontre de confiance entre lui et le patient, la chaleur et l'humanité de cet échange. Ces caractéristiques pourront-elles subsister dès lors que sera imposé aux professionnels un objectif purement comptable ? Il faudra surtout ne pas dépasser l'enveloppe, le nombre permis d'actes et d'examens. Mais quel médecin digne de ce nom refusera comme trop coûteux une médication ou un examen à un malade, alors qu'il les juge indispensable ? Est-ce là donner comme vous le dites priorité à la santé ? Non, mais à la comptabilité.

Il y a plus grave. Parmi nos concitoyens, qui souffrira le plus de ce rationnement comptable ? Les plus pauvres, qui ne pourront payer la consultation dont ils auront besoin. Vous pénalisez ceux-là même à qui vous dites ouvrir le droit à la santé ! C'est ouvrir la voie vers une médecine à deux vitesses.

Ce texte, je l'ai dit, ne convient pas non plus aux caisses. M. Spaeth, président de la CNAM, l'a qualifié d'ubuesque ; il le tient pour inapplicable, en raison de la somme de travail de contrôle imposée aux quatrième, huitième et douzième mois. Il le juge d'autre part destructeur pour les liens conventionnels progressivement tissés entre les médecins et les caisses.

Qu'attendez-vous donc de ce système, et à qui convient-il ? Est-ce au nouveau type idéal de professionnel de santé que vous voulez faire naître ? A celui qui se conformera scrupuleusement à la codification et au barème comptable, qui dispensera les soins en fonction de leur coût et qui, récompense suprême, bénéficiera d'une prime quand il aura réalisé des économies sur les traitements ? Pense-t-on au malade, qui souffre et dont la confiance va être trompée ?

M. Jean Bardet - C'est scandaleux !

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Je ne souhaite à personne, et surtout pas aux plus pauvres, de connaître ce qu'ont voulu vous signifier les 20 000 professionnels qui ont défilé à Paris le 17 octobre.

Il est peut-être encore temps d'écouter ceux qui sont compétents : les médecins...

Plusieurs députés socialistes - Et les malades ?

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Bien évidemment, mais les médecins savent comment mener à bien une réforme de la santé ; ils ne sont ni sots ni fermés et savent que, dans le système actuel, on dépense trop ; mais ils ont aussi réfléchi à des propositions. Ecoutez-les et travaillez avec eux, non contre eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Pascal Terrasse - Lors de la CMP, notre rapporteur a rappelé combien il était difficile de parvenir à un accord sur un projet de cette nature, mais il a aussi indiqué que seize articles avaient été adoptés conformes par nos collègues du Sénat.

Il n'en demeure pas moins que celui-ci a profondément dénaturé le texte voté par l'Assemblée. Il a ainsi supprimé la quasi-totalité des mesures structurelles visant à pérenniser notre protection sociale, grâce à des instruments de régulation, à de bonnes pratiques médicales ou à la politique conventionnelle.

Le rôle de l'opposition est certes de s'opposer, mais elle doit aussi faire des propositions. Or de celles-ci, on ne trouve aucune dans le rapport du Sénat. Devons-nous donc revenir à la situation de 1996-1997, quitte à retrouver un déficit de 37 milliards ? Car la droite veut le déficit ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Accoyer - Nous n'avions pas la croissance sur laquelle vous pourriez, vous, vous appuyer, simplement !

M. Pascal Terrasse - Elle veut le déficit parce qu'elle entend remplacer la protection sociale conçue après la guerre par un système privatisé. Et pour cela, il faut que la protection sociale à la française aille dans le mur ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR)

La majorité plurielle veut, elle, équilibrer les comptes de la Sécurité sociale et elle constate que le Gouvernement s'est engagé dans la bonne voie et prend en compte les besoins des malades. En ce qui me concerne, je n'ai jamais entendu personne dans ma circonscription se plaindre qu'on lui avait refusé des soins... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Bardet - La CMU serait donc inutile ! C'est sans doute pourquoi elle n'est pas entrée dans les faits...

M. Pascal Terrasse - Nous permettons en effet à près de 6 millions de Français qui n'en avaient pas de disposer d'une protection sociale globale.

Les prises de position du Sénat apparaissent quelque peu incohérentes. Depuis des années, la droite va répétant que le coût du travail serait trop élevé en France et, lorsque ce gouvernement, le premier depuis longtemps, lance une réforme pour abaisser ce coût, elle la refuse.

M. Bernard Accoyer - Il n'est pas le premier : déjà, en 1995...

M. Pascal Terrasse - M. Balladur n'a fait que suivre M. Bérégovoy, qui avait pris de premières mesures en 1993. Mais M. Juppé est allé en sens contraire. Et nous, nous ne nous contentons pas d'agir sur les bas salaires ! On peut en espérer un accroissement du nombre des salariés, et donc des ressources de l'assurance maladie.

Ce gouvernement, dit aussi le Sénat, n'assume pas ses responsabilités en matière de retraites.

M. Bernard Accoyer - Le Sénat a raison !

M. Pascal Terrasse - Mais le Gouvernement n'a-t-il pas créé un fonds de réserve pour les retraites, déjà doté de 2 milliards ? Et le Sénat n'a-t-il pas voulu supprimer ce fonds, sans rien proposer d'autre ? Nous, avec 20 milliards de réserves en 2000, nous nous mettons en mesure de passer le cap !

Madame la Secrétaire d'Etat, il y a quelques mois vous avez annoncé une réforme de la prestation spécifique dépendance, la PSD, pour l'an prochain. Dans le même temps, le Gouvernement s'est engagé à réformer la tarification à compter du 1er janvier prochain. Or ces deux sujets étaient traités ensemble dans la loi de 1997. Ne serait-il pas envisageable de geler la réforme de la tarification pour six mois, afin d'apaiser les inquiétudes des professionnels et de prendre le temps d'examiner les remèdes à apporter aux dysfonctionnements signalés dans le rapport Brunetière

Par ailleurs, je ne peux que me réjouir de votre souhait de réformer les institutions sociales et médico sociales.

Pour toutes ces raisons, vous pouvez compter sur le groupe socialiste pour amender et voter votre projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Morange - Ce projet ne peut nous satisfaire ni dans sa forme, ni, surtout dans le fond. Les réunions de travail que j'ai organisées avec des professionnels de santé et des assurés sociaux, ont permis d'en dégager toutes les faiblesses -comme aussi d'élaborer des propositions.

S'agissant en première lieu de la branche santé, les objectifs sanitaires y sont trop peu précisément établis et quantifiés, si bien qu'il est impossible de définir le panier de soins et les services nécessaires, pour y adapter le budget correspondant. Nous regrettons aussi l'absence d'une véritable enveloppe consacrée à la médecine curative et préventive mais surtout, nous constatons que ce projet organise la partition entre les soins de ville, dont vous confiez la gestion à la CNAM afin de ne pas avoir à assumer l'impopularité de mesures, et le secteur hospitalier, relevant du Gouvernement et pour lequel vous n'affichez pas d'autre ambition que de l'opposer au secteur privé.

Par ailleurs, pour réguler l'évolution des honoraires, les caisses disposeront d'une enveloppe englobant l'ensemble des rémunérations des médecins de ville. Des objectifs seront définis profession par profession. En cas de dérapage, les caisses pourront agir sur la nomenclature ou sur les actes. Ce système de régulation comptable placera la profession dans un état de dépendance financière et morale qui risque de conduire à une baisse de la qualité des soins et à une médecine à deux vitesses.

Enfin, la menace de déconventionnement constitue une atteinte intolérable à la liberté de prescription et au libre choix du professionnel de santé.

En ce qui concerne la branche famille, la revalorisation inférieure à l'inflation prépare une baisse du pouvoir d'achat. De plus, l'excédent sera affecté en grande partie à d'autres bénéficiaires que les familles.

Mais le financement des retraites est le grand oublié de ce budget. Il ne suffit pas d'instaurer un fonds, encore faut-il l'alimenter ! Vous l'avez crédité de 2 milliards, vous en promettez 20 mais nous savons tous qu'il en faudra 60 dès 2005...

Ce budget n'est ni sincère ni crédible. Il n'est pas sincère parce qu'il organise la confusion entre ce qui relève de la maladie, c'est-à-dire de l'assurance, et ce qui dépend du social, de la solidarité -je pense au financement, notoirement insuffisant d'ailleurs, de la CMU et des 35 heures, par de nouvelles taxes qui ne seront pas utilisées conformément à leur objet.

Et il n'est pas crédible puisqu'il repose sur un exercice d'équilibrisme financier, comme le relevait M. Accoyer.

De surcroît, ce projet ne prend en compte ni l'allongement de la durée de la vie, ni les progrès médicaux, ni l'évolution du nombre de cotisants.

Malgré les critiques qu'il a suscitées et malgré les efforts conjoints du Sénat et de l'opposition à l'Assemblée, Mme Aubry, dont nous déplorons l'absence en ce moment, refuse une fois de plus la concertation et le consensus.

Comme l'a dit le professeur Bardet, nous attendions autre chose qu'un projet strictement comptable, mal ficelé, car la santé des Français ne peut être réduite à des calculs de rentabilité et à des tours de passe-passe budgétaires (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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