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Session ordinaire de 1999-2000 - 33ème jour de séance, 78ème séance

1ÈRE SÉANCE DU MARDI 30 NOVEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

            ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
            PAR LES MILITAIRES ÉTRANGERS 2

            ARTICLE PREMIER 16

            TITRE 17

            EXPLICATIONS DE VOTE 18

            FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 19

            RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 19

            ANNEXE ORDRE DU JOUR 19

La séance est ouverte à neuf heures.

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ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE PAR LES MILITAIRES ÉTRANGERS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Charles Cova et plusieurs de ses collègues modifiant les conditions d'acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers servant dans l'armée française.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois - Acquérir la nationalité française doit être un moment fort pour un étranger. En réformant le droit de la nationalité, vous avez rendu cette acquisition automatique pour les jeunes gens nés en France. L'opposition préférait qu'elle reste une démarche volontaire.

La naturalisation des légionnaires blessés en mission a fait l'objet d'une polémique assez vive en septembre dernier entre la Chancellerie, qui souhaitait pouvoir vérifier «le degré d'attache avec la France» du légionnaire, et les représentants de la fédération des sociétés d'anciens de la légion étrangère qui revendiquaient une acquisition automatique.

Comme l'a souligné Pierre Messmer, président d'honneur de la FSALE, dans une armée professionnelle, la Légion étrangère n'est plus une exception, mais une référence. Depuis 1940, plus de 20 000 légionnaires ont été tués au combat et plus du double blessés.

Aussi le motif de refus opposé, il y a peu de temps encore, par le Gouvernement à cette demande légitime, a-t-il été mal accueilli par les anciens de la Légion.

En 1998, la Légion étrangère se composait de 8 200 hommes, dont 350 officiers. Elle regroupait 138 nationalités, les francophones représentant 42 % de l'effectif. La même année, sur près de 9 000 candidats, 5 000 ont été acheminés à Aubagne et 900 ont été engagés. Cette forte sélection montre bien la qualité du recrutement.

183 demandes de naturalisation ont été déposées en 1995, 156 en 1996, 276 en 1997, 233 en 1998, et 161 au 1er septembre 1999. Le commandement procède à une préinstruction et vérifie notamment les capacités d'intégration des demandeurs, et leur maîtrise du français.

Une fois les dossiers transmis à la préfecture, les délais d'obtention de la nationalité française sont en moyenne de cinq mois contre deux ans en moyenne. Reste que la naturalisation peut toujours être refusée, et que les délais de traitement pourraient bien se dégrader.

D'autre part, la législation actuelle ne dispose rien en ce qui concerne le légionnaire blessé en mission.

Il s'agit là d'une question de principe, pour ne pas dire d'une dette morale, que la France doit assumer à l'égard de ceux qui ont versé leur sang pour elle.

M. Michel Hunault - Très bien !

M. le Rapporteur - C'est pourquoi nous avons déposé cette proposition. Certes, elle ne concernerait que cinq personnes par an, mais elle revêt un caractère hautement symbolique.

D'ailleurs depuis le printemps dernier, de nombreuses propositions de loi ont été déposées sur ce sujet, d'abord la mienne le 26 mai 1999, puis le 22 septembre 1999 les trois propositions de Lionnel Luca, de Claude Goasguen, de Charles Cova et l'ensemble des membres du groupe RPR. C'est celle dont nous débattons aujourd'hui, grâce à l'heureuse initiative du groupe RPR qui a demandé le 9 novembre qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour fixé par l'Assemblée nationale.

Le 16 novembre dernier, M. Gaïa et les membres du groupe socialiste déposaient, un peu après la bataille une proposition de loi visant le même objet.

Dans toutes ces propositions les points communs l'emportent très largement.

Toutes écartent l'application rétroactive de cette mesure aux 35 000 légionnaires morts pour la France ou leurs enfants, et a fortiori à tout étranger ayant servi et ayant été blessé au cours d'un engagement.

Toutes prévoient que la nationalité française est conférée par décret. Celles de l'opposition accentuent le caractère automatique de la naturalisation ; dans la proposition socialiste, la nationalité est conférée sur proposition du ministre de la défense.

Enfin, trois des propositions traitent de l'acquisition de la nationalité française par les enfants mineurs du légionnaire blessé.

S'agissant de témoigner la reconnaissance de la nation à des soldats étrangers qui ont été blessés, voire tués en défendant notre drapeau, il m'est apparu particulièrement souhaitable de parvenir à un accord transcendant les clivages politiques.

Aussi, après avoir notamment auditionné le général Coullon, président de la FSALE, et le général Grail, commandant la Légion, j'ai jugé utile de procéder par proposition du ministre de la défense. L'autorité militaire conservera ainsi une marge d'appréciation notamment sur la manière de servir de l'intéressé, avant sa blessure.

En outre, même si le recrutement des légionnaires ayant commis des crimes ou ayant trempé dans des affaires de terrorisme ou de trafic de stupéfiants est systématiquement écarté, on ne peut pas exclure totalement le recrutement d'une personne que le tribunal pénal international viendrait à déclarer complice de crime contre l'humanité. Mieux vaut donc reprendre l'idée d'une proposition du ministre de la défense.

La commission a dégagé un consensus sur ce point et procédé à quelques autres modifications mineures.

La procédure sera la suivante : le légionnaire blessé en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel pourra demander à acquérir la nationalité française sans autre condition.

Après instruction par le commandement de la Légion sur les circonstances de la blessure, le ministre de la défense proposera à son collègue des affaires sociales de conférer la nationalité française au légionnaire, cette acquisition étant de droit.

Par cette proposition, la France s'honore et récompense à sa juste valeur le prix du sang versé pour elle et en son nom. A une époque où l'on peut devenir Français sans le vouloir, et même sans le savoir, où la perte des valeurs qui ont fait notre patrie est flagrante,...

M. Michel Hunault - Très bien !

M. le Rapporteur - ...l'initiative du groupe RPR marquera que devenir Français cela peut aussi se mériter.

Au-delà de la reconnaissance du légionnaire blessé, cette mesure a valeur d'exemple pour tous, pour les candidats à la naturalisation, auxquels il est bon de rappeler qu'être Français, cela ne signifie pas que des droits, mais aussi des devoirs ; pour nos concitoyens aussi, en particulier les plus jeunes auxquels la France montre ainsi qu'elle n'est pas ingrate pourvu qu'on la serve loyalement.

Enfin, la proposition de loi honore aussi la Légion, cette institution de la deuxième chance, qui accueille des jeunes gens souvent un peu perdus et en fait des citoyens à part entière.

Je vous demande donc au nom de la commission des lois d'adopter le texte qu'elle vous soumet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La France a toujours eu dans ses armées des militaires étrangers qui ont versé leur sang pour elle. Sous les premiers Valois, les archers gênois, puis les arbalétriers lombards formèrent les premiers contingents. Sous Charles VII et Louis XI, ce furent les Ecossais ; sous François Ier, les célèbres Suisses ; sous Henri III, les Espagnols ; au XVIIIème siècle, les Allemands et les Suisses. Les Gondi, les Concini, les Broglie, les Löwendal entrèrent ainsi dans l'histoire de France après l'avoir illustrée sur les champs de bataille.

En 1791, la Révolution supprima les régiments étrangers et, par une loi du 1er août 1792, leurs éléments formèrent une Légion étrangère.

Napoléon organisa des brigades helvétiques, puis des régiments suisses, deux légions hanovriennes, quatre légions du Nord, une de la Vistule, une portugaise, des régiments espagnols. Maintenues sous la Restauration, ces troupes étrangères furent supprimées en 1830 par Louis-Philippe. Mais une loi du 9 mars 1831 rétablit la Légion étrangère pour servir hors du territoire. Elle fut envoyée en Algérie, en Afrique, en Amérique, puis en Cochinchine. Elle sert aujourd'hui sur tous les théâtres d'opérations où la France s'engage à titre militaire ou à titre humanitaire.

La Légion étrangère est l'une de nos principales unités d'élite, particulièrement aimée des Français qui le lui font savoir tous les 14 juillet lors du défilé des Champs-Elysées. Elle s'est illustrée lors de faits d'armes mémorables. Tous ceux qui connaissent un peu son histoire connaissent le fameux épisode du combat de Camerone, le 30 avril 1863. Ce jour-là, près de Puebla, au Mexique, 60 hommes tinrent tête à toute une armée pendant 11 heures. Depuis, le nom de Camerone est inscrit sur le drapeau du régiment étranger et les noms des sous-lieutenants Maudet et Vilain et du capitaine Danjou sont gravés en lettres d'or sur les murs des Invalides à Paris.

Aujourd'hui, la Légion étrangère compte 8 200 hommes, dont 350 officiers. Elle regroupe des ressortissants de 138 pays. C'est donc, comme le fait observer votre rapporteur, une école républicaine où chaque légionnaire est un frère d'arme «quelle que soit sa nationalité, sa race, ou sa religion», comme le proclame l'article 2 du code d'honneur.

Dès à présent, les légionnaires étrangers qui souhaitent acquérir la nationalité française le peuvent sans aucun obstacle juridique. En effet, le code civil dispose déjà que les étrangers qui servent dans les unités françaises bénéficient d'une procédure de naturalisation simplifiée qui les dispense de la condition de résidence de cinq ans en France prévue par le droit commun.

En outre, depuis 1997, la procédure est centralisée au commandement de la Légion étrangère d'Aubagne, ce qui accélère considérablement le traitement des dossiers. Le délai moyen est de quatre mois et demi entre le moment où le préfet transmet une demande à la sous-direction du ministère de l'emploi et de la solidarité et celui où paraît le décret au Journal officiel.

Qu'un grand quotidien du matin, et même, hélas, un ancien Premier ministre, aient laissé croire que je m'opposais à ce que les légionnaires puissent devenir Français, relève au mieux de l'ignorance, au pire de la désinformation. Non seulement je ne m'y opposais pas, mais telle était déjà la réalité du droit, 98,2 % des demandes aboutissant favorablement.

M. Charles Cova - Nous travaillons pour 1,8 %.

Mme la Garde des Sceaux - A cet égard, je tiens à rétablir la vérité sur la situation du soldat Marius Nowakowski amputé de la jambe gauche qui avait répondu au ministre de la défense qu'il ne demandait ni décoration, ni argent, mais seulement être Français. Né en 1967 en Pologne, il est entré dans la Légion en 1990 et a été blessé sur l'aéroport de Sarajevo le 11 février 1993. Hospitalisé à Paris, il a été naturalisé français par décret du 8 octobre 1993. Il y a des polémiques que l'on pourrait éviter. Mieux vaudrait saluer les actes d'héroïsme accomplis par des étrangers sous notre drapeau.

Il n'en reste pas moins que j'ai prêté une oreille particulièrement attentive à ceux qui m'ont fait observer que les militaires étrangers qui étaient blessés au service de la France, au cours d'un engagement opérationnel, devaient être traités différemment des autres étrangers qui devenaient Français par la naturalisation. Le 8 septembre dernier, M. Picheral, sénateur-maire d'Aix-en-Provence et M. Marceau Long, ancien vice-président du Conseil d'Etat, m'ont remis des propositions tendant à ouvrir une nouvelle procédure d'acquisition de la nationalité, très simple et distincte de la procédure de la naturalisation, qui serait ouverte aux légionnaires blessés au service de la France. Ils m'ont fait valoir la charge symbolique et émotionnelle de cette question, même si les légionnaires concernés sont très peu nombreux -cinq par an en moyenne de 1988 à 1999.

J'ai immédiatement fait mettre ces propositions à l'étude, en leur disant que cette demande m'apparaissait légitime. Elles ont fait l'objet de réunions associant les ministères de la justice, de la défense et de l'emploi et de la solidarité. Aujourd'hui, je suis fière de soutenir la proposition de la commission des lois, qui a repris le texte de la proposition présentée par Robert Gaïa qui travaille depuis longtemps sur ce sujet, et le groupe socialiste. Cette proposition a été déposée exactement au même moment par M. Picheral au Sénat.

M. Jean-Louis Debré - Et la proposition du RPR ?

Mme la Garde des Sceaux - Le texte qui vous est proposé s'insère au paragraphe V du code civil relatif à l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique, mais la procédure se distingue clairement de la naturalisation. Le légionnaire blessé n'aura à établir ni qu'il a sa résidence en France, ni qu'il est majeur, et son assimilation à la communauté française sera présumée dès lors qu'il aura été blessé au service de la France. Sans qu'il s'agisse d'un mécanisme de plein droit, comme le proposait initialement votre rapporteur, cette procédure pose deux conditions de fond : être engagé dans les armées françaises à la date de la demande d'acquisition de la nationalité française ; avoir été blessé en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel. La décision d'octroi de la nationalité française résulte d'un décret, pris sur proposition du ministre de la défense, en faveur de l'étranger qui en fait la demande.

En cas de décès du militaire étranger en mission ou lors d'un engagement, il est proposé d'ouvrir la même procédure à ses enfants mineurs qui, s'il n'était pas décédé, auraient pu bénéficier de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par leur père.

Ce texte me semble équilibré.

D'abord, le champ de la mesure est limité aux militaires étrangers qui servent actuellement ou qui serviront à l'avenir dans les armées françaises. Je note d'ailleurs avec satisfaction que votre rapporteur se rallie à la position que j'avais prise au Sénat lors des débats sur la réforme de la nationalité, en réponse à un amendement du groupe RPR. Personne ne souhaite une disposition rétroactive, qui permettrait de conférer la nationalité française à ceux qui n'ont plus d'attaches avec la France depuis des décennies ; telle était également la position du président de la commission des lois du Sénat.

D'autre part, la proposition de Robert Gaïa, retenue par votre commission, contrairement à la proposition initiale de votre rapporteur, introduit l'idée d'une proposition du ministre de la défense, pour répondre à la demande du légionnaire blessé. Je me réjouis que votre rapporteur ait reconnu, à la réflexion, l'intérêt d'instituer un filtre. L'autorité militaire conserve ainsi une marge d'appréciation sur la nature de la blessure, les circonstances dans lesquelles elle est intervenue et la manière de servir de l'intéressé. Cette proposition recueille l'assentiment du président de la fédération des sociétés d'anciens de la Légion étrangère.

Enfin, le fait de préciser que la blessure doit être intervenue en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel présente l'avantage d'écarter clairement les accidents sans lien avec la mission, tout en englobant aussi bien les opérations strictement militaires que celles qui relèvent du plan Vigipirate, de la sécurité civile ou du déminage.

S'agissant des enfants du légionnaire blessé ou décédé, ce texte me paraît très satisfaisant.

Une bonne solution est ainsi trouvée aux problèmes légitimes soulevés par les représentants des anciens de la Légion. Le texte proposé s'inscrit pleinement dans nos traditions républicaines, qui ont toujours su exprimer la reconnaissance concrète et légitime de la France aux militaires étrangers et notamment aux légionnaires. Verser son sang au service de la France est la marque suprême de l'adhésion aux valeurs républicaines qui fondent notre pays, à laquelle doit répondre une reconnaissance pleine et entière de la nation. C'est pourquoi je vous invite à voter le texte qui vous est soumis (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Charles Cova - Madame la Garde des Sceaux, quel art de la récupération ! Je reste admiratif devant tant de talent...

«Légionnaires, vous êtes soldats pour mourir ! Je vous envoie là où l'on meurt» : c'est en ces termes que le général de Négrier s'adressait, en 1884, à ses hommes engagés dans la Légion étrangère. Depuis sa création en 1831, la Légion a participé, il est vrai, à bien des combats qui ont fait sa gloire et forgé sa légendaire réputation. Pour l'opinion publique, l'image de la Légion, c'est la descente des Champs-Elysées, d'un pas lent et mesuré, lors du défilé du 14 juillet, ou encore les paroles d'une chanson d'Edith Piaf, mais ce sont des mots bien plus élogieux, en vérité, qui la caractérisent le mieux : courage, bravoure, esprit de sacrifice.

Composée de militaires professionnels français et étrangers, la Légion est l'héritière d'une tradition plusieurs fois séculaire. L'Ancien Régime, puis la Grande Armée napoléonienne faisaient appel à des volontaires étrangers pour combattre sous les couleurs successives du Roi, de l'Empereur, de la France. Pour ces hommes, Gênois, Suisses, Allemands, Hongrois, Italiens, Polonais, Croates, c'était un honneur que de servir, voire de mourir pour notre pays.

Les nombreux conflits auxquels elle a participé depuis 1831 n'ont pas épargné la Légion. Selon le général de Létang, un officier se distingue en servant dans la Légion parce qu'«on ne la ménage pas», et de fait, on ne l'a pas ménagée, en Algérie comme en Crimée, au Tonkin comme au Mexique, en Indochine comme en Tunisie, au Maroc comme à Madagascar, au Gabon comme au Zaïre, sans oublier les deux conflits mondiaux, Narvik et Bir-Hakeim, ni, plus récemment, la guerre du Golfe, le Rwanda et l'ex-Yougoslavie.

Mais c'est, entre toutes, la guerre du Mexique qui reste gravée dans les mémoires, et Camerone, ce nom inscrit sur tous les drapeaux de la Légion, résonne dans l'âme et le c_ur des légionnaires. C'est à Camerone, en 1863, que trois officiers et 62 légionnaires ont résisté toute une journée à 2 000 Mexicains, avant de tomber sous les assauts répétés de l'ennemi. En 1892, sur les lieux mêmes du combat fut érigé un monument portant l'inscription suivante : «Ils furent moins de soixante opposés à toute une armée. La masse les écrasa. La vie plutôt que le courage abandonna ces soldats français le 30 avril 1863». Aujourd'hui encore, chaque 30 avril, la Légion commémore Camerone, et celui qui n'a pas assisté à l'une de ces cérémonies anniversaires ne peut pas vraiment comprendre ce qu'est l'esprit Légion : celui d'hommes fidèles à leur serment et à leur mission de sacrifice. La patrie à laquelle appartiennent tous ces hommes, soudés par la devise Legio patria nostra, c'est la Légion, c'est la France.

Je me permettrai de vous conter une anecdote que je tiens d'un sous-marinier de notre Marine nationale. Intrigué lors d'une escale à Brême par la présence, chaque matin, au moment du lever des couleurs, d'un civil au garde-à-vous sur le quai, il avait interrogé l'inconnu et obtenu de lui cette émouvante réponse : «Je suis docker, mais j'ai servi quelques années dans la Légion étrangère. Le pavillon français est aussi le mien, on m'a appris à le saluer quand on le hisse, et c'est un grand honneur pour moi que d'accomplir ce geste». Est-il besoin d'en dire davantage sur l'attachement de ces hommes à notre patrie et à notre drapeau ? Un article paru en 1915 dans le Chicago Herald soulignait en ces termes l'engagement de nombreux étrangers aux côtés de la France : «Jamais l'on n'entend parler de volontaires combattant pour l'Angleterre, la Russie, l'Allemagne ou l'Autriche, ni pour aucun autre pays. Pourquoi ? Il n'y a qu'une réponse : parce que c'est la France !».

Il me semblait important de citer ces éléments pour éclairer la proposition de loi soumise à notre approbation, et dont le contenu est simple. A l'heure actuelle, la France accorde la nationalité française à des soldats étrangers ayant accompli des services militaires ou contracté un engagement volontaire dans une unité de l'armée française, mais la demande d'acquisition ne peut être effectuée qu'à l'issue de ce premier lien. Il m'a paru utile, voire indispensable, d'aller au-delà et d'accorder sans délai ni condition la nationalité française à tout légionnaire blessé au cours d'un engagement opérationnel. C'est une récompense dont ces soldats seront fiers et honorés, comme en témoigne le cas du légionnaire Nowakowski, d'origine polonaise, grièvement blessé à Sarajevo en février 1993, et qui avait dit à François Léotard, alors ministre de la défense : «Monsieur le ministre, je ne vous demande rien, ni décoration, ni argent. La seule chose que j'aimerais, c'est être Français».

En adoptant cette proposition de loi, l'Assemblée s'honorerait de rendre hommage à ces défenseurs héroïques de la nation, qui accomplissent sans états d'âme toutes les missions, quelles qu'elles soient, que la France leur confie. Pierre Messmer, qui fait partie des grands noms de la Légion, est plus fondé que quiconque à parler d'elle, non plus comme d'une exception, mais comme d'une référence dans le contexte de la professionnalisation des armées, car ses faits de gloire ne se limitent pas au combat. Les légionnaires sont aussi ces bâtisseurs, ces «constructeurs industrieux» et «fondateurs de villes» dont Lyautey a fait l'éloge, et que symbolise l'image du sapeur à la hache sur l'épaule.

Partout où elle se trouve, la Légion se met au service des populations en détresse. C'est pour protéger des populations européennes menacées par les rebelles katangais que la Légion a sauté sur Kolwezi en mai 1978 -et perdu cinq de ses hommes. J'ai personnellement connu le lieutenant-colonel Erulin, qui commandait cette opération. Ce sont encore les légionnaires du 4e REI qui sont intervenus pour porter secours aux victimes des inondations qui ont frappé le Languedoc-Roussillon il y a quelques jours. Ce sont ces hommes, d'aujourd'hui et de demain, que nous voulons récompenser en leur accordant la nationalité française.

Cette proposition de loi me tient particulièrement à c_ur, non pas seulement parce que je ne serais sans doute pas ici, dans cet hémicycle, si mon père, légionnaire lui-même, n'avait pu acquérir la nationalité française pour services rendus, mais aussi parce qu'elle est juste et procède, ainsi que l'a déclaré le Président de la République, chef des armées, d'une démarche «légitime et fondée». Je vous demande de l'adopter, par respect pour ceux que la France «envoie là où l'on meurt» (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Claude Sandrier - L'horaire accordé à chaque groupe pour présenter des propositions de loi est si réduit que chacun pourrait, devrait être tenté de choisir celles qui concernent le plus grand nombre de nos concitoyens. Aussi m'étonné-je qu'il nous soit proposé ce matin de légiférer pour quatre ou cinq personnes par an, bénéficiant déjà, qui plus est, d'une procédure particulière leur permettant d'acquérir la nationalité française dans un délai de quatre mois -mais je ne disconviens pas de l'aspect symbolique de la proposition de loi...

Celle-ci ne fait que confirmer, au passage, le caractère restrictif des lois Pasqua-Debré-Méhaignerie. Mieux, elle élargit le champ d'acquisition de la nationalité française en rendant celle-ci plus rapide, voire automatique dans certains cas. Ce n'est d'ailleurs pas ce que souhaitait l'opposition, qui pare à la difficulté, dans l'exposé des motifs de sa proposition, en soulignant que la mesure «récompense des services manifestement exemplaires sans bouleverser le régime général d'acquisition de la nationalité française», mais ces services, selon elle, ne sauraient être le fait d'autres que des militaires. Il y a pourtant dans notre pays des étrangers qui rendent de grands services à la France dans les domaines de la santé, de la recherche, de la culture, de l'éducation, du sport... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Est-elle prête à leur faciliter l'acquisition de la nationalité française ?

M. le Rapporteur - Cela n'a rien à voir ! Ils ne risquent pas leur vie !

M. Jean-Claude Sandrier - Ne serait-ce pas une façon d'inscrire cette décision dans la continuité de notre histoire et de nos valeurs républicaines ? Je pense également aux militaires originaires de nos anciennes colonies, et qui ont été privés, en 1993, du droit d'acquérir et même de conserver la nationalité française.

Notre pays s'honorerait en permettant aux «soldats de la Coloniale» de recouvrer leurs droits.

S'agissant des droits des étrangers qui ont servi la France, l'actualité fournit, hélas, une illustration des effets de la «cristallisation» des pensions, qui consiste à bloquer la valeur d'indice à la date d'indépendance des Etats concernés. A ce jour, environ 39 300 anciens combattants en sont victimes, et notamment de nombreux pensionnés marocains entassés dans des foyers à Bordeaux.

Si le groupe communiste ne conteste pas que l'on facilite l'acquisition de la nationalité française aux militaires étrangers, certaines formulations de la proposition de loi lui semblent maladroites.

Ainsi, dans le texte initial, la référence au «sang versé» pour obtenir de plein droit la nationalité française ne risque-t-elle pas de faire ressurgir une sorte de «droit du sang» qui procède d'une conception rétrograde de la nationalité ?

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Claude Sandrier - S'agissant des motifs qui ont inspiré la proposition de loi, j'observe que si l'importance de l'engagement de la Légion étrangère ne saurait être contestée, il n'est pas opportun de le présenter sous une forme susceptible de créer des incompréhensions au sein de l'armée. Toutes les unités doivent en effet être appréciées avec la même considération et ce souci vaut pour l'avenir, alors que la projection est devenue le principe stratégique fondamental de notre politique de défense telle qu'elle a été formulée en 1996 par le Président de la République.

La professionnalisation intégrale est également justifiée par la nécessité de pouvoir mobiliser dans les meilleurs délais de nouvelles unités au-delà de la Légion.

Je ne juge donc pas opportun d'introduire une distinction de valeur entre les militaires étrangers blessés dans un engagement opérationnel en fonction du corps auquel ils appartiennent.

Acquis à l'idée de faciliter l'accès à la nationalité des miliaires étrangers blessés en opération, nous prenons acte des modifications apportées par la commission des lois qui lèvent les inquiétudes que je viens d'exprimer et nous amènent à émettre un vote favorable. En effet, substituer à l'«acquisition de la nationalité française de plein droit pour le sang versé» une disposition tendant à conférer la nationalité française par décret sur proposition du ministre de la défense nous semble témoigner de la reconnaissance de la nation française aux militaires étrangers concernés, d'autant que semble acquise par le deuxième alinéa de l'article premier la possibilité pour les enfants mineurs de bénéficier de la même procédure en cas de décès de l'intéressé (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Michel Voisin - En adoptant la proposition de loi de nos collègues Charles Cova, Jean-Louis Debré, Thierry Mariani -dont le rapport est excellent-, Renaud Muselier et Didier Julia, notre Assemblée rendra un hommage vibrant à ces hommes, venus des quatre coins du monde pour se mettre au service de la République.

Quelle que soit leur nationalité d'origine, les 1 700 sous-officiers et 6 200 militaires du rang qui forment la Légion étrangère se rangent comme un seul homme derrière les idéaux et les principes républicains et, oubliant leurs engagements passés, sont prêts au sacrifice suprême. Il faut avoir vu vivre au quotidien ces hommes pour comprendre la remarquable école de citoyenneté qu'est la Légion.

Au sein de son unité le légionnaire apprend que notre République réfute les races. Il accède ainsi au principe fondateur de l'égalité. Cet homme, qui pour des raisons diverses, a gagné les rangs de la Légion, comprend ensuite bien vite que les règlements militaires, par les obligations qu'ils prescrivent, visent à faire respecter la liberté d'autrui, tout comme ils préservent sa propre liberté... Enfin, l'indispensable cohésion qui caractérise la Légion, lui permet d'appréhender un autre principe républicain, celui de la fraternité. Plus que tout autre militaire, le légionnaire, qui avant son engagement a souvent connu des fortunes diverses, peut ainsi mesurer la valeur de la devise de la République.

Il y sera d'autant plus sensible que son intégration dans la Légion constitue bien souvent pour lui une seconde chance dans la vie et l'une des missions essentielles des officiers est de le persuader de la saisir.

Les hauts faits de la Légion sont connus de tous tant elle a porté haut, fort et loin les couleurs nationales. Ce corps d'élite nous est envié de par le monde.

Pour l'avoir côtoyée sur des théâtres d'opérations extérieurs, je témoigne qu'elle est constituée d'hommes et non de «Rambo» prêts à tout, qui forcent l'admiration des populations au services desquelles ils interviennent, comme ce fut le cas en Somalie, dans la région de Baîdoa.

C'est à ces hommes dignes de respect que nous voulons exprimer la gratitude de la République. En offrant à l'étranger qui sert dans les armées françaises et qui est blessé au cours d'un engagement opérationnel, la possibilité, sur sa demande, d'obtenir de plein droit la nationalité française, notre assemblée témoigne de l'attention qu'elle porte à ceux qui sont prêts à exposer leur vie au service de la France, à ceux qui, au prix de leur sang, acceptent de servir son rayonnement.

Ces nouvelles dispositions constituent un aménagement du dispositif existant qui, au cours des trois dernières années, a permis à près de 650 légionnaires d'acquérir la nationalité française à l'issue de leur premier contrat.

En instituant un caractère quasi automatique d'acquisition de la nationalité, la nation procure une modeste mais naturelle récompense en faveur de ceux qui dans l'anonymat accomplissent des actions de bravoure. Alors que la France n'hésite pas à engager ses légionnaires dans des opérations au nom de l'interventionnisme humanitaire, il apparaît logique, qu'au nom des traditions humanitaires, elle accorde en contrepartie cette récompense minimale. Ce geste est en outre susceptible d'encourager les candidatures à l'engagement dans la Légion qu'il convient de pérenniser alors que notre armée est en cours de professionnalisation. Il permet également de ne plus faire apparaître les légionnaires comme des mercenaires, comme se plaisent trop souvent à les présenter leurs détracteurs.

Au cours des dix dernières années, 82 légionnaires ont eu à souffrir dans leur chair de leur engagement. Parmi eux, près de 65 % étaient d'origine étrangère, soit une moyenne d'environ cinq blessés par an. Il n'y a donc pas de quoi inquiéter M. le ministre de l'intérieur qui craignait que ces dispositions ne suscitent un sursaut dans les demandes de naturalisation. Enfin, Madame la ministre, je suis convaincu que la Légion étrangère constitue pour la France un atout sans équivalent. En effet, la grande diversité d'origine de ses membres, représente une richesse linguistique qui lui permet de s'affranchir des frontières et d'entrer en contact avec toutes les populations.

Ardent défenseur de la Légion, j'estime à titre personnel que ce texte aurait pu être plus ambitieux ; le groupe UDF apporte cependant tout son soutien à cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Georges Sarre - L'octroi de plein droit de la nationalité française, sur la demande de tout ressortissant étranger servant dans nos armées et blessé au cours d'un engagement opérationnel est une revendication ancienne de la fédération nationale des sociétés d'anciens de la Légion étrangère. Personne n'en conteste la légitimité, même parmi ceux qui mettent en doute le bien-fondé d'une réforme spécifique en la matière.

Du côté des partisans de la réforme, c'est la nature même des services rendus à la nation française qui est mise en avant. Cette position de principe a d'autant plus de force que la mesure proposée, s'appliquant pour l'avenir, récompense des services manifestement exemplaires, sans bouleverser le régime général d'acquisition de la nationalité française. L'observation du ministère selon laquelle la population concernée est très réduite -une vingtaine de légionnaires ayant été blessés au combat ou au cours d'opérations extérieures ces quatre dernières années- apporte un argument supplémentaire, tout en soulignant la portée symbolique de la réforme.

A côté de la naissance, du mariage ou de la résidence, il y a en effet, dans ce lien particulier avec la France qu'est le sang versé pour la défense de ses intérêts et de ses valeurs, une dimension exceptionnelle qui justifie l'accès de plein droit à la nationalité française, c'est-à-dire la participation à la souveraineté nationale en tant que citoyen.

Gardons-nous cependant de considérer cette reconnaissance comme un droit que les personnes concernées auraient sur la France. Pensons-la plutôt comme une consécration nationale, par laquelle la République se mettrait en cohérence avec elle-même. Tel est en tout cas le sens de mon adhésion à la réforme proposée.

Celle-ci fait opportunément écho à l'un des plus importants débats qui se soient tenus dans cette enceinte. Je pense au rejet, en 1954, du traité instituant la communauté européenne de défense.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Attaquer l'Europe dans ce débat ! Il est vraiment très fort.

M. Georges Sarre - «Qu'est-ce que l'armée d'un pays ?», s'interrogeait alors Edouard Herriot. «Ce n'est pas l'addition mathématique de ses conscrits, c'est un pays dressé autour de son drapeau pour la défense de ses trésors matériels et intellectuels, pour la défense de sa liberté, de son indépendance». Il ajoutait : «L'armée, c'est l'âme de la patrie, et je voudrais bien savoir où la Communauté européenne prendra la sienne».

Quarante-cinq ans plus tard, ces propos jettent une lumière crue sur ce qu'on nomme «L'Europe de la défense» et la dérive expéditionnaire croissante de nos forces armées depuis vingt ans (Murmures sur les bancs du groupe UDF).

Ainsi, la Légion étrangère, seul corps totalement professionnalisé de l'armée de terre, voit-elle d'autres corps lui disputer de plus en plus une spécialisation outre-mer qu'elle ne partageait jusqu'alors qu'avec les troupes de marine.

Cette évolution ne peut nous réjouir. Le déficit d'information et l'absence de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures devraient nous inciter ici à la plus grande réserve. Les mesures annoncées en février dernier par le ministre de la défense -information et rapport annuel au Parlement, débat lors de la présentation du collectif budgétaire- sont certes positives, mais elles le seraient encore plus si elles étaient rapidement suivies d'effet.

Nous voici en apparence éloignés du sujet qui nous occupe. Nous en sommes, en réalité, au c_ur, puisque c'est la définition même des situations dans lesquelles nos soldats pourront être légitimement appelés à verser leur sang qui est ici en jeu.

Favorable à cette proposition, je ferai cependant part de mon étonnement quand j'entends certains prôner le renforcement du lien entre nos concitoyens et leur armée alors qu'ils ont voté des deux mains la suspension du service national, mesure allant dans le sens de la déconstruction républicaine.

Mais enfin, il s'agit aujourd'hui d'autre chose, de l'acquisition de plein droit de la nationalité française pour les ressortissants étrangers servant dans nos armées et blessés au combat.

M. Claude Goasguen - Cette proposition est en effet d'actualité, Monsieur Sarre. Elle s'inscrit dans une réflexion qui ne semble pas terminée, si j'en crois la presse, sur l'acquisition de la nationalité française.

Depuis deux ans, nous avons examiné plusieurs textes importants sur ce sujet -et celui qui nous occupe en est un, au moins sur le plan des principes.

Nous avons longuement débattu du caractère automatique de l'acquisition de la nationalité, car vous avez supprimé l'acte solennel d'adhésion prévu dans la précédente législation. La majorité a ainsi fait preuve d'une grande libéralité dans l'attribution de la nationalité.

Or, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, il n'est pas prévu aujourd'hui d'acquisition automatique de la nationalité par le sang versé. La naturalisation ne sera pas «de plein droit», Monsieur Sarre. On ne nous propose que le minimum.

J'étais pour moi persuadé que servir dans la Légion donnait droit à l'acquisition de la nationalité française ; comme beaucoup de nos compatriotes, j'ai été surpris d'apprendre que ce n'est pas le cas, même pour ceux qui ont été blessés. Les dossiers s'accumulent dans des administrations dont les fonctionnaires n'ont jamais connu le feu. Un personnage qui n'est seulement qu'un ancien Premier ministre, par ailleurs officier de la Légion, a demandé un rendez-vous à Mme la Garde des Sceaux qui, débordée, n'a pas voulu le recevoir.

Mme la Garde des Sceaux - Mais c'est faux ! Renseignez-vous.

M. Claude Goasguen - Il lui a fallu s'adresser directement à l'opinion publique dans un quotidien du matin.

Puis une série de propositions ont été déposées par le groupe DL, le groupe RPR et certains apparentés du groupe RPR. Est, enfin, venue la proposition socialiste, qui se limite au plus petit dénominateur commun. Je la voterai, car c'est toujours cela d'acquis, mais on ne peut parler d'acquisition «de plein droit» de la nationalité.

On se contente en effet d'une procédure allégée de naturalisation, dont on transfère la responsabilité de la Chancellerie au ministère de la défense. J'en comprends l'intérêt militaire, mais il faudra un décret pour acquérir la nationalité française.

Par ailleurs, je m'élève contre les restrictions apportées dans le cas des descendants d'un soldat étranger tué au combat. On les a justifiées en commission par le souci d'éviter des contestations d'état civil.

Or j'ai vérifié : de telles contestations sont déjà nombreuses et il existe à ce sujet une jurisprudence très précise. La condition de résidence exigée est donc superflue. Cela d'autant plus que lorsque nous avons débattu du regroupement familial, il y a quelques mois, et exposé au ministre de l'intérieur les risques qu'entraînait son texte en matière d'état civil, il a nié le problème. Tout d'un coup, pour les enfants de légionnaires décédés, il y en a un... Comment ne pas comparer l'ouverture d'esprit que vous avez manifestée dans les lois sur l'immigration et la nationalité avec la fermeture que traduit le présent texte ? Je défendrai d'ailleurs un amendement accordant automatiquement la nationalité française aux enfants de légionnaires décédés.

Cela étant, ce texte minimaliste est une petite avancée, un début de reconnaissance de ce que la France doit à la Légion étrangère et je le voterai, en espérant que la France fera plus (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Robert Gaïa - Ce texte porte sur l'acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers blessés en mission.

Le 9 novembre dernier, le groupe RPR a décidé d'utiliser la «fenêtre» parlementaire pour inscrire à l'ordre du jour la proposition de loi de M. Cova membre de la commission de la défense.

Le groupe socialiste a également déposé une proposition de loi répondant au même objectif, mais de contenu un peu différent.

Les différentes propositions enregistrées visent toutes à créer une procédure spécifique de naturalisation pour les militaires étrangers, dans les faits pour les légionnaires ayant «versé leur sang pour la patrie» ou ayant été blessés dans le cadre d'un engagement opérationnel.

Je me félicite que la proposition de loi du groupe socialiste ait obtenu en commission le ralliement de l'opposition, même si je me souviens de l'époque où vous défendiez, Monsieur Mariani, des conceptions bien éloignées de celles exprimées aujourd'hui dans votre exposé des motifs...

M. le Rapporteur - On ne parlait pas des légionnaires !

M. Robert Gaïa - Permettez-moi d'ailleurs de vous rappeler que, dans votre proposition initiale, vous jugiez légitimes les conditions strictes et le caractère discrétionnaire de la procédure de naturalisation... Mais notre obstination à combattre vos arguments parfois choquants et souvent excessifs a finalement payé et vous démontrez aujourd'hui qu'une certaine générosité ne vous est pas tout à fait étrangère.

Cet exposé des motifs est d'ailleurs un bel hommage que vous rend le RPR, Madame la Garde des Sceaux ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, rires et protestations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Charles Cova - C'est du Marcel Pagnol !

M. Robert Gaïa - La proposition initiale du rapporteur, qui reprenait celle du groupe RPR, consistait à rendre automatique l'acquisition de la nationalité française par tout étranger blessé en servant dans l'armée française «sauf avis contraire du ministre».

L'amendement que j'ai déposé en commission au nom du groupe socialiste, précise que la décision doit résulter d'un décret pris sur proposition du ministre de la défense.

Cette dernière rédaction, qui a été adoptée en commission, présente l'avantage de mettre en valeur l'action particulière du militaire étranger, tout en offrant les garanties nécessaires, alors que votre proposition, Monsieur Mariani, ne donnait au ministre de la défense qu'un rôle de censeur et ne contribuait guère à la promotion de la Légion étrangère.

En effet, la procédure n'avait de retombées publiques que lorsque le ministre de la défense devait s'y opposer, pour des raisons d'éthique, ce qui allait à l'encontre de l'objectif poursuivi de reconnaissance de l'action des légionnaires étrangers.

C'est pour cette raison que le général Coulon, président de la fédération des sociétés d'anciens de la Légion étrangère, est favorable à la formulation retenue dans les propositions des groupes socialistes du Sénat et de l'Assemblée.

Les attaques du rapporteur contre les précautions et la recherche de garanties du Gouvernement relèvent donc de la polémique.

La présente rédaction, qui laisse à l'autorité publique sa capacité d'appréciation n'a suscité aucun désaccord chez les intéressés. Le 15 novembre dernier, dans un courrier adressé au ministre de la défense, le général Coulon notait «avec satisfaction» que le ministre de la défense était l'unique autorité gouvernementale habilitée à proposer la naturalisation des légionnaires et il voyait dans ce choix une marque de reconnaissance de la République.

Contrairement aux critiques du rapport stigmatisant le «refus du ministère de la justice de faire évoluer la législation», le Gouvernement a repris le pas si spécifique de la Légion étrangère, en mettant au point, à son rythme, un dispositif complet et efficace salué aujourd'hui par tous. Monsieur le rapporteur, avec votre soutien et celui de la représentation nationale, célébrons cette victoire !

Ce texte contribuera au renforcement du lien entre la nation et son armée, auquel tous les intervenants ont dit leur attachement.

En créant un mode spécifique d'acquisition de la nationalité pour les militaires étrangers, la nation témoigne de sa reconnaissance envers ces hommes qui défendent les intérêts du pays et qui occupent, comme le prouve l'accueil de la Légion à chaque défilé du 14 juillet, une place si particulière dans notre imaginaire collectif.

Cette démarche est légitime, comme il serait légitime que le Gouvernement se décide à rouvrir le dossier des pensions des anciens combattants étrangers.

Même si je ne suis pas, a priori, enclin à une «culture» du consensus, je me réjouis que la représentation nationale se retrouve autour des traditions républicaines d'accueil et de tolérance et exprime la reconnaissance de la France envers ceux qui l'ont servie, au péril de leur vie.

Je vous invite, chers collègues, à soutenir cette initiative qui honore la France.

Et si la devise «Legio patria nostra » demeure, puissent ces légionnaires devenus français faire leur la devise «Res publica patria nostra» (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Paul Dupré - Je voudrais témoigner de ce que peut apporter à une population la présence de la Légion étrangère sur son territoire.

Des liens anciens unissent la terre d'Aude, dont je suis l'un des élus, à la Légion.

C'est en effet dans une petite commune du piémont pyrénéen, Chalabre, qu'est né celui qui devait devenir le capitaine Danjou et qui, le 30 avril 1863, a inscrit avec les 60 légionnaires placés sous son commandement le nom de Camerone en lettres d'or sur tous les drapeaux des régiments étrangers.

Cette même terre d'Aude accueille à Castelnaudary le 4ème Régiment étranger, école de la Légion étrangère. Initialement abrité dans la caserne Lapasset, il s'est ensuite installé au quartier capitaine Danjou, à quatre kilomètres de Castelnaudary, où il dispose d'une infrastructure parfaitement adaptée à sa mission de formation de tous les engagés.

C'est là que le jeune légionnaire reçoit une instruction militaire de base, de quatre mois, avant d'être affecté dans un régiment. Le 4ème Régiment étranger, ce sont 1 300 personnes, 223 familles et 402 enfants parfaitement intégrés en Lauragais. Si ces familles et leurs enfants représentent un atout social et financier pour cette région, il ne faut pas oublier l'enrichissement humain que permet la proximité de la Légion.

Avec plus de 110 nationalités, le quatrième R.E est aussi un remarquable modèle d'intégration.

La terre lauragaise, pétrie d'histoire, l'a accueilli avec chaleur en novembre 1976. Depuis lors, des liens étroits se sont noués. Présent le 14 juillet, le 8 mai ou le 11 novembre, le 4ème RE s'implique aussi fortement dans les manifestations sportives, ou la préparation du Téléthon. Plus récemment, les Audois cruellement touchés par des intempéries dévastatrices ont apprécié son courage, son dévouement, son savoir-faire.

Sous tous les cieux, comme dans l'Aude, les légionnaires donnent le meilleur d'eux-mêmes, pour faire honneur au drapeau qui les unit, par fidélité à leur idéal et au pays qui les accueille.

Honneur et fidélité, cette devise porte aussi une formidable exigence de reconnaissance. Sachons-y répondre, dans la tradition républicaine, en adoptant ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Grasset - Les militaires étrangers servant dans l'armée française peuvent déjà acquérir notre nationalité plus facilement que les civils grâce à des dispositions du code civil qui demeurent dérogatoires. Cette proposition de loi spécifique marque notre reconnaissance envers ceux qui ont versé ou verseront leur sang au service de notre pays. Il serait vain d'en revendiquer l'initiative ou de l'assortir de sous-entendus mensongers.

Si elle est trop tardive, nous sommes tous coupables de ce retard, car ils sont 600 000 depuis 1831 à avoir coiffé le képi blanc.

Dans notre siècle, le plus meurtrier de tous les temps, souvenons-nous des tranchées de la Somme et de Verdun, des Républicains espagnols et des survivants des brigades internationales engagés dans la résistance, et des partisans arméniens de l'Affiche rouge.

Souvenons-nous de la geste héroïque commencée en avril 1863 et poursuivie de Cao Bang et de Diên Biên Phu aux Aurès et de l'Afrique aux Balkans.

Au moment où l'absence de menace pourrait faire croire à un desserrement des liens entre la nation et ses armées, il est exemplaire que les légionnaires blessés «volontaires servant la France avec honneur et fidélité» soient Français s'ils le souhaitent, Français par le sang versé.

La Légion reste leur patrie, la République française peut le devenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Cécile Helle - En favorisant l'acquisition de la nationalité par les militaires étrangers qui ont versé leur sang pour notre patrie, ces propositions de loi marquent notre reconnaissance pour le rôle qu'ils ont joué dans les guerres successives et dans les opérations où la France s'engage pour faire prévaloir le droit et la liberté.

La Légion, forte de 8 200 hommes, a largement contribué à l'histoire de notre pays. Depuis 1940, plus de 20 000 légionnaires ont été tués et le double blessés. Ils affirmaient leur volonté d'intégration. Il est légitime de leur exprimer ainsi notre reconnaissance. Quelle meilleure preuve en effet de l'appartenance à la France, à son histoire et à son destin, que de se battre pour elle ? Quelle meilleure preuve de la volonté d'appartenir à notre communauté ? Ainsi le législateur doit-il leur assurer cette reconnaissance spécifique. Pourfendant le repli sur on ne sait quelle identité originaire et une conception frileuse de notre communauté de destin, ce texte s'inscrit pleinement dans la tradition républicaine.

Je me réjouis que cette conception d'une nation vivante fasse le consensus, que soit reconnu l'apport des étrangers à l'histoire de notre pays, et que soit largement approuvée la conception d'une France d'autant plus forte qu'elle accueille des populations variées.

Reste qu'au-delà de l'engagement au feu, la vie quotidienne sur notre territoire marque aussi l'autre voie de l'accès à la nationalité dans notre histoire républicaine. Quelle meilleure preuve d'attachement à la France que de chercher jour après jour à maîtriser les subtilités de sa langue, que de participer jour après jour à son économie ?

Je pense donc que vous vous réjouirez comme moi de ce que la ministre de l'emploi se soit récemment engagée à diminuer les délais d'instruction pour l'obtention de la nationalité pour ceux qui, dans leur vie quotidienne, manifestent leur volonté d'être français.

Les uns, comme les autres, ont vocation à rejoindre notre communauté de destin. C'est le sens même de notre modèle républicain et l'essence de la cohésion nationale. Les députés socialistes voteront donc cette proposition comme ils ont voté l'an dernier le code de la nationalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme la Garde des Sceaux - Monsieur Cova, le terme de récupération me choque. Votre émotion concernant Camerone, est la mienne, celle de tous nos concitoyens, et d'autres orateurs ont su l'exprimer. Il ne peut y avoir d'appropriation par tel ou tel groupe de la reconnaissance que nous devons à la Légion étrangère pour ce qu'elle a fait pour notre pays («Très bien !» sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur Sandrier, je suis sensible à vos remarques. Les militaires ne sont pas les seuls étrangers à honorer la France. Reconnaître le sang versé n'a rien à voir avec le droit du sang. C'est reconnaître que ces hommes ont fait acte d'adhésion volontaire à la nation en mourant pour elle.

Je remercie M. Voisin de son soutien à cette proposition, comme j'ai noté celui de M. Sarre. Je suis toujours attentive aux propos de ce dernier sur l'Europe de la défense (Sourires) et je partage son souci de renforcer les liens entre la nation et l'armée.

Monsieur Goasguen, vous vous êtes engagé dans une polémique navrante. Si vous vous étiez renseigné, vous auriez su que dès juin, ayant appris les difficultés rencontrées par certains légionnaires, j'ai fixé rendez-vous à M. Picheral, ainsi qu'au général Coullon et à M. Messmer pour le 8 septembre.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir le 6 septembre, deux jours avant cette rencontre, un article dans Le Figaro, intitulé «Elisabeth Guigou déçoit la Légion» et, hélas, une interview de M. Messmer affirmant que j'opposais le mépris aux demandes des légionnaires, et employant même des termes insultants puisqu'il faisait allusion à un sentiment d'antimilitarisme latent, voire de racisme.

Devant de tels propos tenus par un ancien Premier ministre à l'égard d'un ministre de la République deux jours avant le rendez-vous, j'ai indiqué qu'il valait mieux que ce rendez-vous ait lieu avec M. Picheral et le général Coullon.

Je pense donc, Monsieur Goasguen, que vous auriez pu éviter de relancer cette mauvaise polémique que, pour ma part, j'ai tout fait pour éviter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). A la suite de cette rencontre, j'ai fait paraître un communiqué indiquant que je n'opposais aucun refus a priori à la demande légitime, et symbolique, de légionnaires d'avoir automatiquement accès à la nationalité française.

Je remercie Robert Gaïa de sa participation constructive au débat. C'est un sujet sur lequel il travaille depuis longtemps. Il a su être persuasif, puisque la commission a, pour l'essentiel, repris la proposition de loi qu'il avait déposée.

Je remercie, enfin, Jean-Paul Dupré, qui a eu lui aussi des accents très émouvants, Bernard Grasset et Cécile Helle qui, comme moi élue d'Avignon, a su exprimer la reconnaissance que toutes les femmes de ce pays peuvent éprouver à l'égard de ceux qui ont versé leur sang pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. le Rapporteur - Il faudra retenir de ce débat son climat consensuel, dans la mesure où nous poursuivons tous le même objectif. Néanmoins, il est normal que les mots «afin de vérifier le degré d'attache avec la France de ces personnes», qui figurent au Journal officiel aient inquiété. Je comprends l'indignation de Pierre Messmer, non seulement ancien Premier ministre, mais aussi ancien légionnaire, combattant à Bir Hakeim, et qui, à ce titre, peut ressentir «dans ses tripes» certains propos.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. le Rapporteur - Son passé lui donne davantage de droits qu'à nous tous à s'exprimer sur ce sujet.

Par ailleurs, il ne faut pas caricaturer le point de vue de l'opposition. Nous avons toujours dit, hors de tout esprit polémique, que la nationalité française devait se mériter. Nous avons combattu la réforme du droit de la nationalité parce qu'elle ouvrait la porte à toutes les demandes ; mais il ne faut pas faire l'amalgame entre des légionnaires qui sont prêts à risquer leur vie pour notre pays et des personnes qui sont entrées sur notre territoire sans titre. Oui, la nationalité française se mérite, et les légionnaires qui servent sous notre drapeau la méritent plus que d'autres (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Garde des Sceaux - Monsieur le rapporteur, j'apprécie votre volonté de dépassionner le débat. J'aurais aimé que cette séance donne constamment l'image d'un hémicycle rassemblé. Cependant je veux rappeler que les mots publiés au Journal officiel que vous avez cités sont extraits d'une réponse que j'ai faite à une question écrite de Georges Sarre en mars 1999 ; j'y précisais les conditions dans lesquelles s'appliquait la loi relative à la naturalisation -la seule applicable jusqu'à ce jour. On ne peut pas faire grief au Garde des Sceaux de rappeler les conditions d'application de la loi.

La polémique dont je vous parle date du 8 septembre 1999, soit quatre mois après, alors même que dès le début de l'été j'avais accordé un rendez-vous au sénateur Picheral. Je pense qu'un ancien Premier ministre de la République française est à même de faire ce type de distinction.

M. François Colcombet - Très bien !

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

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ARTICLE PREMIER

M. Renaud Muselier - Fer de lance des armées françaises, la Légion est aujourd'hui encore engagée sur les théâtres d'opérations les plus sensibles. Les étrangers qui en font partie acceptent l'idée du sacrifice suprême pour notre drapeau. Depuis la seconde guerre mondiale, 20 000 de ces soldats d'élite ont donné leur vie au combat, plus du double ont été blessés. Leur fidélité, leur abnégation, leur volonté de s'intégrer en assimilant notre langue sont des preuves tangibles de leur attachement à notre pays. Comment ne pas leur reconnaître le droit d'obtenir la nationalité française ?

On comprend les réactions suscitées durant l'été par la position du Gouvernement.

Plusieurs députés socialistes - Il faut écouter !

M. Renaud Muselier - C'est un honneur pour moi de participer à ce débat sur la proposition de loi du groupe RPR. Le texte proposé par mon collègue Thierry Mariani me semble avoir atteint l'équilibre permettant son vote à l'unanimité. Tout le monde s'accorde enfin sur l'idée d'instituer un régime d'acquisition de plein droit de la nationalité française pour les militaires étrangers blessés en mission. Je me range à l'avis du rapporteur concernant l'obligation d'une proposition du ministre de la défense.

Certes, tous les légionnaires répondant aux critères ne demanderont pas la nationalisation, mais pour quelques-uns, l'obtention de la nationalité française est vécue comme la récompense suprême. Je voterai donc cette proposition de loi afin que soit réparée l'injustice faite à ceux qui prouvent par le sang versé leur attachement à notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Claude Goasguen - Je voudrais, d'abord, rappeler que nous discutons d'un texte d'initiative parlementaire, et non gouvernementale, comme certains propos pourraient le laisser croire. En regrettant que le Gouvernement n'ait pas déposé de projet de loi, je remercie le rapporteur d'avoir défendu ce texte avec talent (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Mon amendement 4 tend à reconnaître l'acquisition automatique de la nationalité française par ces pupilles de la nation que sont les enfants mineurs de légionnaires décédés au combat.

On m'a objecté que la clause de résidence était indispensable mais le droit français est très bien pourvu en matière de «remplacement des actes de l'état civil par d'autres preuves». En outre, en matière de regroupement familial, nous sommes moins sourcilleux... Si un légionnaire d'origine sénégalaise meurt au combat, on va opposer à ses enfants restés au Sénégal la clause de résidence ; en revanche, on ouvre à un immigré sénégalais le droit au regroupement familial, sans contrôle véritable de l'état- civil... Cette inégalité est, sur le plan des principes, très contestable.

Par ailleurs, le code civil ouvre à l'enfant la possibilité de renoncer à la nationalité qui lui est donnée.

Je vous demande donc, mes chers collèges, d'adopter cet amendement, en signe de reconnaissance de la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - L'amendement 5 poursuit le même objectif. Comment, en effet, la France pourrait-elle être moins généreuse pour les enfants de légionnaires tués au combat que pour les enfants qui bénéficient du regroupement familial ?

L'amendement 5 adopté par la commission tend, après les mots «enfants mineurs», à supprimer la fin du dernier alinéa de l'article 21-14-1. La commission avait émis un avis défavorable à l'amendement 4 mais, M. Goasguen ayant modifié sa rédaction, à titre personnel je m'y rallie.

Mme la Garde des Sceaux - Ce gouvernement accueille toujours avec un grand intérêt les propositions de loi qui lui paraissent aller dans le bon sens : il l'a fait pour le Pacs (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; sourires sur les bancs du groupe socialiste) il le fait aujourd'hui pour les légionnaires, et il n'y a aucune obstruction de sa part. Quant à déposer un projet de loi, c'est une chose que nos prédécesseurs auraient pu faire entre 1993 et 1997 -tout comme la majorité de l'époque, au reste, aurait pu déposer une proposition de loi... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Au rapporteur, je réponds qu'il ne faut pas confondre les lois sur l'immigration et les lois sur la nationalité. Le Gouvernement est défavorable aux amendements qui tendent à supprimer la condition de résidence à laquelle sont soumis, aux termes de l'article 22 du code civil, les effets collectifs de l'acquisition de la nationalité sur les enfants mineurs de l'intéressé. En outre, créer une différence de régime entre les enfants selon la situation de leurs parents serait une rupture d'égalité non justifiable.

M. Claude Goasguen - La loi RESEDA n'est pas le code civil, nous le savons bien, mais elle lui est connexe et s'y réfère souvent : à son article 46, par exemple, qui prévoit explicitement le recours à des preuves dispensatoires en cas de défaillance de l'état civil. Quant à votre dernier argument, il m'a profondément choqué : la nation est-elle si chiche qu'elle ne puisse envisager d'accueillir en son sein, chaque année, un ou deux enfants mineurs de légionnaires tués au combat ? J'aurais préféré que le débat se poursuive en commission, où un accord serait sans doute intervenu sur ce point, au lieu d'être tranché si brutalement par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Robert Gaïa - Renonçons, je vous prie, aux effets de manche, et pensons à l'intérêt de l'enfant que son père, de son vivant, n'a pas choisi de faire venir en France auprès de lui, alors même qu'il en avait la possibilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste , protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Les amendements 4 et 5, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Robert Gaïa - L'amendement 2 est de précision.

M. le Rapporteur - La précision peut paraître superflue, mais je n'y vois pas d'inconvénient.

Mme la Garde des Sceaux - Le texte comportait une ambiguïté que l'amendement lève.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 2 et 3.

M. le Président - L'amendement 3 de M. Goasguen après l'article 3 tombe.

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TITRE

M. Robert Gaïa - L'amendement 1 vise à faire coïncider le titre du projet avec son contenu, mais je le retire afin de maintenir celui voulu par M. Cova, dans un souci de rassemblement de la représentation nationale.

M. Charles Cova - Merci !

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Marc Nudant - Après la réticence, la repentance ! Mme Guigou ne voulait pas de ce texte, elle l'a même écrit, et une grande partie de son intervention avait pour objet de réécrire l'histoire et de maquiller habilement sa volte-face (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est en réalité le groupe RPR qui est à l'origine de cette proposition de loi, pour laquelle les groupes de la majorité ont ensuite manifesté un intérêt soudain, et c'est pourquoi nous la voterons tout à l'heure, mais nous aurions préféré une rédaction qui n'affaiblisse pas le principe d'acquisition de plein droit de la nationalité française au nom du sang versé. Légitimes sont les droits des légionnaires, que Charles Cova a toujours défendus, mais illégitimes, en revanche, sont les méfiances de la majorité, qui ne s'est ralliée à notre proposition que contrainte et forcée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Voisin - Le groupe UDF est satisfait du débat qui vient d'avoir lieu, mais regrette que l'amendement de M.Goasguen n'ait pas été adopté, car un légionnaire qui met sa vie en jeu en s'engageant à servir notre pays le fait aussi pour sa famille. Nous voterons le texte, qu'il faudra néanmoins améliorer plus tard.

M. Claude Goasguen - Le groupe DL votera également cette proposition, incomplète, mais qui va dans le bon sens. Bernard Deflesselles, député d'Aubagne, avait fait une proposition qui tendait à l'acquisition automatique ; elle n'a pas été retenue pour l'instant, mais c'est néanmoins un début de reconnaissance de ce que la nation doit à ceux qui ont choisi de verser leur sang pour elle. Y ajouter une présomption de nationalité par le sang versé nous honorerait, et nous permettrait en outre de sortir des arcanes juridiques classiques.

L'application de ce texte, que nous allons certainement voter à l'unanimité, donne au ministre de la défense un pouvoir d'appréciation important, qui ne doit pas être considéré comme un pouvoir d'enquête a priori ni comme une capacité d'attribuer une décoration supplémentaire aux légionnaires qui ont donné leur sang. L'accès à la nationalité doit en effet marquer la reconnaissance immense que nous devons à ceux qui ne sont pas nés parmi nous, mais qui ont choisi de verser leur sang pour défendre notre patrie.

M. François Colcombet - Gauche et droite font, sur cette proposition de loi, surenchère de bonne volonté et de propositions convergentes. Je constate avec satisfaction que nous sommes aujourd'hui d'accord pour dire que l'on peut faire de bons Français avec des étrangers et je pourrais faire remarquer à M. Mariani qu'il arrive quelquefois qu'avant d'être légionnaire, on soit étranger sans papiers... Lors du vote de la loi sur les étrangers, j'avais d'ailleurs fait remarquer que les reines de France, qui toutes étaient des étrangères, avaient contribué à la constitution de la nationalité française. Je rappelle aussi que la Révolution française avait donné la nationalité à ceux qui avaient combattu pour la République et que le plus grand discours prononcé ici par Victor Hugo le fut en 1871. Après la guerre de 70, un seul étranger, Garibaldi, s'était rangé aux côtés de la France. Les Français l'avaient élu député...

Un député RPR - Il était niçois et donc Français !

M. François Colcombet - ...et le grand débat fut de savoir si Garibaldi pouvait acquérir la nationalité française pour rester député. Victor Hugo a alors lancé l'expression que nous reprenons aujourd'hui de «l'acquisition de la nationalité française par le sang versé». Or, je vous le rappelle, le Parlement de l'époque a voté contre et Victor Hugo a immédiatement démissionné.

Quant à la Légion étrangère, elle a acquis un rôle de premier plan et l'existence du pays a dépendu à certains moments de son action. Ni la paix avec l'Allemagne, ni la fin des conflits coloniaux n'ont affaibli son rôle.

Pour des raisons le plus souvent humanitaires, la France reste en effet engagée sur de nombreux fronts et c'est le légionnaire qui porte témoignage de la générosité de la nation auprès de ceux qui sont dans la misère. Accueillir au sein de la nation ceux qui ont versé leur sang représente aujourd'hui un geste naturel et bienvenu. Certes, il ne faut pas confondre le droit du sang versé avec le droit du sang, mais nos débats ont montré que chacun faisait bien la différence.

Quelques précautions s'imposent également sur la question des enfants et je dis à Monsieur Goasguen que le plus raisonnable est sans doute d'y réfléchir encore.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. François Colcombet - Le groupe socialiste votera ce texte, qui est à la fois généreux et raisonnable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs).

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté (Applaudissements).

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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 17 décembre 1999 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

La procédure d'examen simplifié a été engagée pour les deux premiers textes inscrits à l'ordre du jour du mercredi 15 décembre 1999.

La Conférence des présidents a par ailleurs décidé que la séance mensuelle réservée à un ordre du jour proposé par le groupe UDF aura lieu le mardi 8 février 2000 et se poursuivra le mardi 22 février 2000.

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RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ANNEXE
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 17 décembre 1999 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures :

        _ questions au Gouvernement ;

à 17 heures 30 et à 21 heures :

        _ explications de vote et vote par scrutin public sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, en nouvelle lecture ;

        _ nouvelle lecture du projet relatif à la réduction négociée du temps de travail.

MERCREDI 1er DÉCEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et à 21 heures et JEUDI 2 DÉCEMBRE, à 9 heures et à 15 heures :

        _ suite de la nouvelle lecture du projet relatif à la réduction négociée du temps de travail.

JEUDI 2 DÉCEMBRE à 21 heures :

        _ sous réserve de sa transmission par le Sénat, lecture définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ;

        _ suite de la nouvelle lecture du projet relatif à la réduction négociée du temps de travail.

VENDREDI 3 DÉCEMBRE à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

        _ éventuellement, lecture définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ;

        _ éventuellement, suite de la nouvelle lecture du projet relatif à la réduction négociée du temps de travail.

MARDI 7 DÉCEMBRE, à 9 heures :

        _ questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

        _ explications de vote et vote par scrutin public sur le projet relatif à la réduction négociée du temps de travail, en nouvelle lecture ;

        _ proposition de M. de Courson visant à améliorer la détection d'enfants maltraités ;

        _ texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture de la proposition portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives.

MERCREDI 8 DÉCEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures et JEUDI 9 DÉCEMBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

        _ projet de loi de finances rectificative pour 1999.

MARDI 14 DÉCEMBRE, à 9 heures :

        _ proposition relative à la création d'une prestation parentale d'assistance ;

(Ordre du jour complémentaire)

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

        _ projet portant ratification des ordonnances n° 98-522 du 24 juin 1998, n° 98-731 du 20 août 1998, n° 98-773 du 2 septembre 1998, prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer ;

        _ projet portant ratification des ordonnances n° 98-580 du 8 juillet 1998, n° 98-582 du 8 juillet 1998, n° 98-728 du 20 août 1998, n° 98-729 du 20 août 1998, n° 98-730 du 20 août 1998, n° 98-732 du 20 août 1998, n° 98-774 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer ;

ces deux textes donnant lieu à une discussion générale commune ;

        _ projet, adopté par le Sénat, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption ;

        _ projet, adopté par le Sénat, relatif au référé devant les juridictions administratives.

MERCREDI 15 DÉCEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

        _ proposition, adoptée par le Sénat, tendant à modifier l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires -ce texte donnant lieu à une procédure d'examen simplifiée ;

        _ texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet relatif à la prise en compte du recensement général de population de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales -ce texte donnant lieu à une procédure d'examen simplifiée ;

        _ proposition, adoptée par le Sénat, relative au régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des professions agricoles et forestières.

JEUDI 16 DÉCEMBRE, à 9 heures :

        _ sous réserve de son dépôt, proposition portant création de la chaîne parlementaire.

à 15 heures et à 21 heures :

et VENDREDI 17 DÉCEMBRE, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

        _ conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2000.


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