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Session ordinaire de 1999-2000 - 34ème jour de séance, 81ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 1er DÉCEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

BREVETABILITÉ DES LOGICIELS 2

TRIBUNAUX DE COMMERCE 2

SIDA 3

RÉVISION DES LOIS SUR LA BIOÉTHIQUE 4

CRISE DE L'AGRICULTURE BRETONNE 5

PRESTATION COMPENSATOIRE 5

RETRAITE DES FONCTIONNAIRES 6

PRESSION FISCALE 6

MOUVEMENTS SOCIAUX DANS LES
MINES DE MOSELLE 7

LUTTE CONTRE LE SIDA 8

SECTEUR DU BÂTIMENT 9

HANDICAPÉS 9

RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS
DE TRAVAIL -nouvelle lecture- (suite) 10

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 10

AVANT L'ARTICLE PREMIER A 21

ARTICLE PREMIER A 21

ARTICLE PREMIER B 23

ARTICLE PREMIER 25

FAIT PERSONNEL 27

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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BREVETABILITÉ DES LOGICIELS

M. Yves Cochet - Les 24 et 25 juin dernier s'est tenue à Paris une conférence sur la révision de la convention des brevets européens. Or, s'agissant de la brevetabilité des logiciels ni la France ni aucun de nos partenaires ne se sont exprimés.

Pourtant, dans l'OMC dont la discussion commence à Seattle, figurent les accords Trips sur la propriété intellectuelle, dont l'article 10 dispose que les logiciels sont considérés comme des _uvres de l'esprit, donc relevant du droit d'auteur. C'est pour nous une garantie.

Mais à Seattle, où il est chez lui, Microsoft commence à breveter massivement les logiciels pour étendre son empire. Quand on voit à quel point le secteur informatique se développe, on mesure le danger que ferait courir aux entreprises et aux citoyens d'Europe une brevetabilité mondiale. La France, à Seattle, va-t-elle s'opposer catégoriquement à la brevetabilité des logiciels ?

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - A la première réunion, celle de l'agenda, le problème que vous évoquez ne figure pas à l'ordre du jour. Aussi devons-nous nous montrer vigilants sur l'application des accords Trips, et aussi sur la préparation de la directive communautaire qui doit être déposée début 2000 pour fonder notre position européenne, puisque cette question viendra inévitablement dans la négociation de Seattle.

En France et dans tous les pays membres de l'organisation européenne des brevets, il n'est pas possible de breveter les techniques logicielles. En revanche nous pouvons breveter un système complexe comprenant un logiciel. Dans la mesure où les Etats-Unis et le Japon, eux, délivrent des brevets aux logiciels proprement dits, nous avons trouvé une première parade juridique : il suffit de publier l'écriture du logiciel. Au-delà, le Gouvernement a ouvert depuis le mois d'octobre une concertation avec tous les intéressés pour que lors du dépôt de la directive, la France présente une vraie position sur la logique des brevets, selon laquelle ce qui est complexe peut être breveté, mais que ce qui n'est qu'un nouveau style pour un contenu existant ne soit pas brevetable.

Fin janvier, nous devons avoir fait valoir notre position pour l'élaboration de la directive, à partir de laquelle M. Lamy pourra négocier à Seattle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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TRIBUNAUX DE COMMERCE

M. Jacques Rebillard - Madame la Garde des Sceaux, vous avez décidé un réforme de la justice commerciale en deux temps : réforme des tribunaux, qui deviendront mixtes, et modification de la carte judiciaire. Or seule la deuxième partie de cette réforme est engagée, partiellement seulement : six cours d'appel sont concernées et 34 tribunaux de commerce vont être supprimés.

Cependant le fonctionnement des tribunaux ainsi regroupés n'est pas réformé, et surtout le sort des greffiers et des personnels qui vont perdre leur situation n'est pas réglé, à 30 jours de l'échéance. Aucun décret d'accompagnement n'a encore été publié.

De ce fait, au 1er janvier 2000, ces greffiers devront cesser leur activité, et leurs collaborateurs perdront leur emploi, pour tenter une difficile reconversion professionnelle.

Quelles mesures, en particulier financières, comptez-vous prendre, et à quelle date ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La réforme des tribunaux de commerce inclut celle de la carte judiciaire. Seuls en ce siècle, Poincaré et Michel Debré ont procédé à une telle réforme, et la carte des tribunaux de commerce n'avait pas été modifiée depuis deux cents ans.

Nous devons prendre en considération la situation des greffiers, qui sont des officiers ministériels titulaires d'une charge, dont le greffe est supprimé. Ceux dont la charge disparaît seront indemnisés par leurs confrères du tribunal auquel aura été rattaché le tribunal supprimé. Dans 25 des 36 tribunaux de commerce supprimés, le greffier était titulaires de deux offices au moins. Il ne perd donc pas tout, bien au contraire. Dans quelques cas, les greffiers devront envisager une reconversion professionnelle.

Aussi, ce matin, ai-je présenté en conseil des ministres un décret destiné à permettre à ces greffiers d'accéder à des professions juridiques telles qu'avocat, avoué ou mandataire-liquidateur, dans des conditions dérogatoires.

Les personnels des greffes supprimés bénéficieront des dispositions de l'article 122-12 du code du travail, prévoyant la poursuite du contrat de travail avec le nouvel employeur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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SIDA

M. Roger Meï - Aujourd'hui se tient la journée mondiale de la lutte contre le sida. En France, le nombre des personnes infectées par le VIH s'élève à 120 000, et, avec 5 000 à 6 000 nouveaux cas par an, le rythme de développement de la maladie se réduit. De nouvelles thérapies permettent de reculer l'échéance fatale. Un sondage récent montre que 12 % des personnes interrogées pensent que l'on peut guérir définitivement. L'opinion est rassurée et nous baissons la garde, ce qui est très dangereux. Non, on ne guérit pas encore du sida. Aussi faut-il poursuivre sans relâche les campagnes de prévention.

A Paris va s'ouvrir la quatrième conférence mondiale sur le sida, présidée par le docteur Lapiana, directeur de la maison de soins palliatifs que ma commune a accueillie. Ce sera l'occasion d'un bilan et d'un appel à la solidarité.

En effet les pays les plus pauvres, en particulier ceux d'Afrique sont dans une situation catastrophique. Ils n'ont pas les moyens de faire face.

Malgré quelques accommodements, la loi du marché prédomine. Les grands groupes pharmaceutiques, avec leurs brevets garantis par l'OMC, bloquent la production et la distribution de remèdes moins chers. La loi de l'argent prévaut.

Alors que s'ouvrent les négociations de Seattle, la France ne doit-elle pas peser pour que la solidarité et l'intérêt de l'humain l'emportent sur la loi du marché ?

Il y a deux ans, à Abidjan, le Président de la République et M. Kouchner avaient suggéré la création d'un fonds de solidarité thérapeutique. Qu'en est-il aujourd'hui de cette idée généreuse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Depuis 1996, grâce aux nouvelles thérapies, la lutte contre l'épidémie a fait de grands progrès.

Mais la vigilance se relâche, et les comportements vis-à-vis de la prévention changent. Voilà qui est préoccupant.

Aussi poursuivons-nous les campagnes d'information avec la même intensité qu'auparavant. Nous disposons pour cela de moyens budgétaires conséquents.

Ces campagnes visent plus particulièrement les personnes vulnérables. La visite ce matin d'une nouvelle boutique à Colombes m'a montré l'importance du rôle des associations et des élus dans la sensibilisation de la population.

Les progrès effectués dans la connaissance de la maladie font ressortir la différence entre nos pays et ceux du Sud, et donc la nécessité d'une plus forte solidarité avec ces derniers, ainsi que nous y engagent les organisateurs de la quatrième conférence internationale sur la prise en charge extra-hospitalière de l'infection par le VIH.

S'agissant de la propriété intellectuelle des brevets, nous sommes bien conscients de la double nécessité de protéger celle-ci tout en assurant une large diffusion des médicaments dans le monde. La Communauté européenne ne remettra donc pas en cause les accords internationaux à ce sujet, bien au contraire.

Quant au fonds de solidarité thérapeutique internationale, il prouve notre capacité de mobilisation. Deux programmes sont en cours en Côte d'Ivoire et au Maroc sur la transmission du virus de la mère à l'enfant et la prise en charge médico-sociale du couple mère-enfant. D'autres programmes suivront. L'an prochain la France y consacrera 41 millions.

Sur ces sujets, la mobilisation de tous est nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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RÉVISION DES LOIS SUR LA BIOÉTHIQUE

M. Jean-François Mattei - Le temps est venu de réviser les lois de bioéthique de 1994, conformément d'ailleurs à ce qu'elles mêmes prévoyaient. Le processus est déjà bien engagé grâce aux travaux de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, du Comité d'éthique, de l'académie de médecine et, tout récemment, du Conseil d'Etat. Leurs avis nous seront précieux.

Mais sur certains points, il sera difficile de porter une appréciation car certains décrets d'application ne sont parus que fort tard, voire pas du tout. Par ailleurs, la France doit bientôt ratifier une convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine, laquelle est appelée à être complétée par différents protocoles additionnels relatifs à l'embryon.

Autant il me paraît possible, dans les prochains mois, de revoir ou de compléter certaines dispositions des lois de 1994, autant des sujets comme le recours la vie humaine débutante comme objet de recherche, voire comme matière première, méritent du recul. Je souhaite donc que le Gouvernement nous dise quelle méthode de travail et quel calendrier il envisage pour la révision de ces lois, étant entendu que l'Assemblée ne saurait débattre dans l'urgence de sujets qui exigent une délibération des consciences (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - En 1994, le législateur a prévu une révision des lois de bioéthique dans un délai de cinq ans. C'est pourquoi le Gouvernement a lancé des travaux préparatoires. Aujourd'hui, l'ensemble des réflexions préliminaires est disponible, dont le rapport du Conseil d'Etat remis il y a 48 heures.

Il reste à préparer le débat parlementaire et à le programmer dans un calendrier que vous savez chargé. Mais nous ne sommes pas en retard, car la réflexion est déjà bien engagée.

La révision est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit d'un domaine où la science avance vite et où il faut donc sans cesse repenser l'équilibre entre protection des droits fondamentaux des personnes et non entrave aux progrès de la recherche. C'est également un domaine où les interdépendances entre les pays sont fortes : il nous faut donc tenir compte de l'évolution des législations étrangères. Enfin, les cinq années écoulées nous permettent de faire la part entre les dispositions appropriées et celles qui méritent d'être complétées ou revues.

Trois chapitres sont particulièrement concernés par la révision, dans la mesure où ils posent beaucoup de questions nouvelles. D'abord, l'assistance médicale à la procréation, la question centrale étant de savoir quelle recherche autoriser sur l'embryon. Ensuite, le don et l'utilisation des produits du corps humain : il s'agit notamment de savoir si l'on peut élargir les possibilités de greffe d'organes à partir d'un donneur vivant. Enfin, la médecine prédictive : veut-on encadrer le marché des tests génétiques ? Empêcher les assureurs de pratiquer une discrimination en fonction de caractéristiques génétiques ?

Même avec l'éclairage des travaux dont j'ai parlé, la réponse à ces questions s'avère délicate. Il faut engager le débat mais ne rien précipiter car en une matière si complexe, chacun a besoin de recul (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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CRISE DE L'AGRICULTURE BRETONNE

M. Jacques Le Nay - Aujourd'hui, des milliers d'emplois sont menacés en Bretagne, en particulier dans le secteur de la volaille qui représente 50 % de la production française. Lundi dernier, encore, les dirigeants d'un groupe industriel sont venus m'annoncer leur projet de mettre fin à l'activité d'un des sites. 230 emplois sont touchés, dans ma commune de Plouay. Chaque semaine, des éleveurs viennent nous dire qu'ils sont au bord de la faillite. Ils se sentent sacrifiés et lancent un cri de détresse.

Hier matin, Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez reçu les parlementaires bretons pour évoquer cette situation dramatique, qui concerne aussi la filière porcine. A la sortie de cette réunion, nous avons tous ressenti une grande déception.

Avez-vous l'intention, Monsieur le ministre, de poursuivre une politique agricole offensive à l'exportation ? Si oui, nous vous demandons de vous battre, dans les négociations de l'OMC, pour le maintien des restitutions. Il en va de très nombreux emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Comme vous le savez puisque vous participiez à la réunion d'hier, le Gouvernement a une approche globale des problèmes de l'agriculture bretonne, ce qui ne veut pas dire que je reste les mains dans les poches pour ce qui touche à l'aviculture. Nous nous battons bien sûr pour le maintien des restitutions.

Mais l'agriculture bretonne se trouve à un tournant car le modèle hors sol, très productiviste, sur lequel elle s'est organisée trouve ses limites, qu'il s'agisse de la compétitivité à l'exportation ou des dommage causés à l'environnement. Une reconversion stratégique est donc nécessaire. Nous y travaillerons tant pour le secteur avicole que pour la filière porcine ou celle des fruits et légumes. Le dialogue entamé hier se poursuivra donc dans les mois qui viennent. Nous sommes bien conscients des enjeux en termes d'emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PRESTATION COMPENSATOIRE

M. Patrick Delnatte - Le 25 février 1998, le Sénat adoptait à l'unanimité une proposition de loi sur la prestation compensatoire qui, sans remettre en question le régime du divorce, entend remédier à certaines de ses conséquences négatives. Alors qu'un tel texte est très attendu et que vous aviez dit, Madame la Garde des Sceaux, que vous approuviez cette initiative, vous avez depuis refusé d'en saisir l'Assemblée en invoquant la nécessité d'une réforme globale du droit de la famille annoncée depuis deux ans. Mais derrière ce prétexte se cache sans doute le refus de reconnaître le bien-fondé d'une proposition de loi issue de l'opposition, car il paraît que vous comptez présenter un projet spécifiquement consacré à la prestation compensatoire.

On l'a vu pour les chèques-vacances, l'accès des Légionnaires à la nationalité française, la participation ou le droit au bail, le Gouvernement préfère perdre du temps plutôt que d'accepter un texte présenté par l'opposition, faisant primer l'intérêt partisan sur l'intérêt général.

Pourquoi avoir perdu deux ans sur ce dossier, Madame la Garde des Sceaux ? Si vraiment vous voulez régler le problème, quand inscrivrez-vous à l'ordre du jour de notre Assemblée la proposition de loi du Sénat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Garde des Sceaux - La prestation compensatoire a pour objet de préserver, en cas de divorce, la situation matérielle du conjoint. Attribuée en principe en capital, elle prend en fait de plus en plus souvent la forme d'une rente, qui est très difficilement révisable -même lorsque celui qui la verse devient chômeur- et qui est transmissible aux héritiers. Une révision de la loi est donc nécessaire.

C'est pourquoi j'avais accueilli favorablement l'initiative conjointe de deux sénateurs, MM. About et Pagès, appartenant respectivement aux groupes RPR et communiste, ce qui montre que le Sénat, lui, ne cède pas à la tentation partisane... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La lecture à l'Assemblée viendra améliorer un texte dont j'ai approuvé le principe, mais qui ne me paraît pas aller assez loin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

J'avais également indiqué que dès lors que j'avais demandé à une commission un rapport sur le droit de la famille, je souhaitais pouvoir situer la réforme de la prestation compensatoire dans un cadre plus global. Ce rapport m'ayant été remis, je souhaite que votre Assemblée puisse examiner le plus rapidement possible la proposition de loi votée au Sénat qui sera, le cas échéant, améliorée par les travaux de vos commissions.

Soyez assuré de la détermination du Gouvernement à mener à bien les réformes qui s'imposent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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RETRAITE DES FONCTIONNAIRES

M. Charles Miossec - Ma question s'adresse à M. le ministre de la fonction publique. De l'avis de tous les experts, le choc démographique qui affectera la fonction publique dès 2005 culminera en 2010. A cette date, 95 000 fonctionnaires partiront chaque année en retraite contre 50 000 actuellement. Ainsi, plus de la moitié des fonctionnaires aujourd'hui en activité seront à la retraite en 2012.

Face à cette situation sur laquelle nous n'avons cessé de vous interroger vainement, notamment dans le cadre de la discussion budgétaire, vous ne proposez rien. Le problème est pourtant crucial, non seulement pour les finances publiques mais aussi pour l'avenir des fonctionnaires eux-mêmes et de leurs retraites. Alors que le rapport Charpin pose clairement les enjeux, vous opposez un silence obstiné aux inquiétudes qu'expriment vos amis socialistes eux-mêmes. Qu'entendez-vous répondre, Monsieur le ministre, aux demandes légitimes des fonctionnaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation - Pourquoi voulez-vous « saucissonner » le problème des retraites ? Comme vous l'avez rappelé, le Premier ministre a saisi de cette question le Commissariat général du Plan et il fera connaître prochainement ses orientations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La fonction publique se prépare à un grand renouvellement de ses effectifs. A ce titre, un véritable travail de prospective a été engagé afin d'anticiper sur les besoins de qualification et de formation qui en découlent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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PRESSION FISCALE

M. Jean-Claude Guibal - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, depuis deux ans et demi, le Gouvernement gratifie la France d'une production fiscale abondante...

Lorsque vous ne créez pas de nouveaux impôts, vous alourdissez ceux qui existent déjà : doublement de la CSG sur les produits de l'épargne...

Plusieurs députés socialistes - Et la TVA ?

M. Jean-Claude Guibal - ...surtaxe de l'impôt sur les sociétés, écotaxe, contribution sociale sur les sociétés, la liste n'est pas exhaustive (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Je comprends mal vos protestations mais je perçois bien l'exaspération des Français (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Alors que la croissance reprend... (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) ...sous l'effet mécanique des répercussions de la croissance américaine, les Français s'attendaient à bénéficier d'une baisse de leurs impôts. Or, vous créez des impôts nouveaux, tels que la taxe sur les logements vacants, invention brillante que votre administration elle-même peine à maîtriser puisqu'elle adresse à ce titre des formulaires erronés aux contribuables, qui visent à la leur faire acquitter sur des parkings ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Vos services eux-mêmes ne suivent pas le train d'enfer que vous leur imposez en matière de création d'impôts nouveaux. Ma question... (« Enfin ! » sur les bancs du groupe socialiste) ...est simple : que comptez-vous faire pour aider vos services à remplir leur mission et pour démontrer aux Français que vous êtes enfin devenus sages en matière fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; « C'est nul ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - J'ai eu un peu de mal à suivre votre question... (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Il m'a cependant semblé que vous avez oublié la réforme de la taxe professionnelle... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), ...la baisse de la TVA sur le logement saluée par la très grande majorité des entreprises... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), ...ou la diminution de l'impôt sur les sociétés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

J'observe en outre que la croissance américaine était de même nature sous le gouvernement précédent et qu'elle n'avait pas l'effet « mécanique » que vous avez évoqué... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Voudriez-vous d'ailleurs nous persuader que nous ne servons à rien, alors que nous croyons, nous, à la régulation économique ? La taxe sur les logements vacants vise à une juste répartition des recettes liées à la reprise et à combattre le gel des mètres carrés alors que beaucoup de nos concitoyens n'arrivent pas à se loger. J'ajoute que le ministre de l'économie en a reporté la mise en _uvre de trois mois. Je vous rappelle enfin que le Président de la République lui-même a déclaré qu'en dehors de cette taxe il ne voyait pas quelle mesure aurait pu contribuer à la relance du marché locatif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe communiste).

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MOUVEMENTS SOCIAUX DANS LES MINES DE MOSELLE

M. Roland Metzinger - Ma question, à laquelle s'associe M. Aubron, s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. Depuis le 8 novembre dernier, les mineurs de charbon de Moselle cherchent à obtenir des négociations salariales et la compensation de la perte de la déduction fiscale de 10 % spécifique aux revenus des mineurs de fond. Depuis cette date, je me suis tenu en contact permanent avec les autorités de tutelle et j'ai été entendu, puisqu'une délégation de mineurs syndicalistes a été reçue au ministère de l'industrie dès le 14 novembre et à la direction de Charbonnages de France le 25 du même mois. La rencontre avec Charbonnages de France ayant échoué, la tension est rapidement montée au sein de la corporation minière. Ainsi, les manifestations du 30 novembre à Metz et à Forbach ont causé des dégradations extrêmement importantes. Personne ne peut cautionner de tels agissements et je suis le premier à le déplorer, mais il faut en tirer la leçon. J'ai été reçu ce matin avec M. Aubron par M. Christian Pierret. Nous sommes conscients des difficultés de la gestion de la récession charbonnière et des efforts consentis par la nation pour y remédier. Je souhaite néanmoins que le dialogue entre les partenaires sociaux de Charbonnages de France ait enfin un réel contenu et que la négociation annuelle puisse se tenir en dehors de toute pression (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - J'ai omis tout à l'heure d'excuser l'absence de M. Sautter, retenu comme chacun le sait à Seattle, et de M. Pierret, qui défend en ce moment son budget devant le Sénat.

Après notre rencontre de ce matin, M. Pierret m'a demandé de vous redire qu'il était désolé de ce qui s'est passé hier. Les mineurs ont beaucoup apporté à ce pays, ils ont eu des conditions de vie difficiles et ils sont aujourd'hui affectés par une concurrence déloyale, mais ce n'est pas par la violence ou par la destruction de biens publics qu'ils serviront leur cause. Ils ne feront au contraire que se couper d'une population solidaire. M. Pierret espère donc qu'après la réouverture des négociations, qui a eu lieu tout à l'heure à 14 heures, ils comprendront que le Gouvernement est à leurs côtés pour enfin sortir de l'impasse.

Charbonnages de France connaîtra cette année un déficit de 6 milliards. Cependant, il est vrai que les 0,3 % d'augmentation de salaire décidés la semaine dernière, ne représentent que 500 F, ce qui est peu, même ajouté aux 0,8 % déjà accordés. Cependant, M. Pierret, d'accord avec M. Sautter, s'est engagé à faire entrer dans la négociation les dispositions fiscales abandonnées, soit 1 000 à 3 000 F par mineur. Un mandat en ce sens a été confié au président du CDF.

Plus largement, M. Pierret estime que le décompte des droits à retraite doit prendre en compte les carrières mixtes, que la mobilité ne doit avoir aucun caractère contraignant et que la réflexion sur la reconversion doit être résolument engagée avec le souci d'y associer étroitement les mineurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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LUTTE CONTRE LE SIDA

M. Philippe Nauche - Ma question, qui est relative à la lutte contre le sida, prolongera celle de M. Meï.

M. Bernard Accoyer - Le Gouvernement s'est défaussé sur la CNAM !

M. Philippe Nauche - Une récente étude sur l'évolution du sida depuis 1983 fait état de 49 000 personnes séropositives au 30 juin 1998. Si le nombre de cas observés a diminué à partir de 1994, cette évolution positive s'est ralentie depuis deux ans. En même temps, la part des personnes en situation de forte précarité s'accroît parmi les malades. Des recommandations ont donc été édictées : extension de la déclaration obligatoire de la séropositivité, étude des relations entre précarité et VIH et meilleure évaluation des programmes de lutte. Quel est votre sentiment à ce sujet, Madame la secrétaire d'Etat à la santé ?

D'autre part, une étude du programme ONU-sida montre les ravages faits par l'épidémie dans les pays en développement. Le 3 décembre doit se tenir à Montpellier, à votre initiative, la première conférence ministérielle euro-méditerranéenne sur les maladies transmissibles. Cette réunion de représentants des Quinze et de douze pays méditerranéens peut contribuer à renforcer la coopération : qu'en attendez-vous ? Que fera la France pour faire reculer le fléau à l'échelle de la planète ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - La situation a en effet fortement évolué depuis 1996, avec la découverte et l'utilisation de nouvelles molécules et de nouvelles thérapies. La mortalité a diminué, de même que le nombre de cas de sida déclaré, et de plus en plus de personnes contaminées vivent quasi normalement. Cela étant, il est vrai que les comportements témoignent d'un affaiblissement du souci de prévention et, chaque année, nous enregistrons ainsi 5 000 à 6 000 nouvelles contaminations.

C'est pour mieux appréhender cette situation qu'il a été décidé de mettre rapidement en _uvre une obligation de déclaration, en concertation avec les associations de victimes du VIH et avec les associations de défense des droits de l'homme, ceci en respectant l'anonymat des personnes concernées. Quant à la relation entre sida et précarité, elle est patente aujourd'hui, même si l'on ne sait pas très bien dans quel sens elle fonctionne. Le travail réalisé par les associations nous permet de mieux appréhender le problème et de mener une action plus précise en faveur des plus vulnérables. Le Gouvernement a ainsi décidé d'amplifier les programmes de prévention en faveur des migrants, des toxicomanes, des jeunes et des femmes. Le soutien des élus ne peut que nous aider sur ce point.

Le souci de lutter contre l'inégalité devant la maladie, qui nous anime à l'échelle nationale, nous a aussi poussés à nous préoccuper de la situation des pays du Sud, en partenariat avec les autorités concernées. C'est dans cet esprit que la Conférence de Montpellier _uvrera à compter de vendredi. Les risques infectieux ne connaissent pas les frontières et il faut donc renforcer la surveillance épidémiologique et les procédures d'alerte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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SECTEUR DU BÂTIMENT

M. Maxime Bono - Une récente enquête de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris sur l'épargne des ménages a montré que la baisse de TVA encourage fortement à entreprendre des travaux de rénovation dans les logements. Lors du Salon du Bâtiment, les professionnels ont de même constaté une forte relance de la demande. Cependant, celle-ci risque de se heurter à l'insuffisance de main-d'_uvre qualifiée -certains artisans s'inquiètent déjà des possibilités qu'ils auront ou non de trouver des compagnons formés. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour permettre aux jeunes de se former et de s'orienter vers ces métiers, où ils sont assurés de trouver des débouchés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - Il est exact que le travail reprend dans ce secteur. Simplement il conviendrait que les organisations patronales veillent à combattre toute dérive des prix...

Pour remédier au manque d'employés qualifiés, Mme Aubry a signé avec l'UPA une convention afin de lancer dès janvier une campagne d'information auprès des jeunes. Avec M. Allègre et Mme Péry, nous avons revu le contenu de l'apprentissage de manière à ce que les jeunes déjà qualifiés puissent être formés en un an seulement.

Des moyens financiers, cette révision de l'apprentissage, l'ouverture de cent contrats départementaux -et de 5 000 contrats en un an, la mobilisation des services publics : le dispositif devrait être efficace si tout le monde y met du sien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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HANDICAPÉS

M. Damien Alary - Les handicapés aspirent à une vie professionnelle et sociale normale. Malheureusement, le monde du travail leur est trop souvent fermé. La semaine passée, la Ligue pour l'adaptation des personnes diminuées physiquement au travail a organisé avec les grands médias une opération visant à dégager 2 000 offres d'emplois spécifiques. De son côté, le Gouvernement a confirmé sa détermination à promouvoir l'intégration des handicapés dans la société. Que compte-t-il faire pour que ceux-ci profitent de la diminution du chômage et puissent trouver un emploi, dans le secteur public comme dans le secteur privé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Une politique de relance globale est en effet nécessaire. Mme Aubry l'a engagée avec le souci de privilégier l'accès à l'emploi direct, dans le respect de la loi du 10 juillet 1987, et de lever les obstacles structurels à l'embauche. C'est ainsi qu'un accompagnement individualisé sera proposé à 90 000 demandeurs d'emploi supplémentaires en trois ans, dans le cadre du dispositif « nouveau départ ». Nous voulons aussi assurer une meilleure complémentarité entre milieu de travail ouvert et milieu protégé.

La convention passée entre l'AGEFIPH et l'Etat pour les années 1999-2003 bénéficiera d'un supplément de crédits d'1,5 milliard sur trois ans. Elle fixe un cadre rénové pour le partenariat entre les acteurs publics de la politique de l'emploi. De nombreuses actions et réflexions ont été engagées sur ces nouvelles bases et les chiffres attestent déjà une réduction du chômage parmi les handicapés.

Il nous faut persévérer dans cette voie, notamment en mobilisant les entreprises qui doivent prendre conscience qu'elles gagneront à engager des handicapés...

M. Bernard Accoyer - Et les administrations ?

Mme la Secrétaire d'Etat - Elles participeront aussi à cet effort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Wiltzer.

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

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RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL -nouvelle lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

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MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Laurent Dominati - Pour cette dernière plaidoirie, pour cette intervention de la dernière chance, je me suis demandé, Madame la Ministre, comment espérer vous convaincre, et j'ai résolu de m'adresser à vous comme si nous n'étions pas dans un débat public, forcément polémique, mais plutôt comme si nous étions ici sans témoins -ce qui n'est d'ailleurs pas si loin de la réalité (Sourires)- et de reprendre vos propres arguments pour examiner, avec la meilleure foi possible, si vous avez raison de défendre votre projet ou si, au contraire, vous devriez, non pas le retirer, car c'est politiquement impossible, mais au moins l'assouplir, et pour cela je voudrais instiller quelque doute dans votre esprit.

Cette loi est faite avant tout, aviez-vous annoncé d'emblée, pour créer des emplois. Mais, selon nous, l'emploi n'est pas un gâteau qu'il s'agirait de répartir, c'est une matière vivante, qu'il est de notre responsabilité politique de faire croître et multiplier avant de songer à le répartir. Toutes les études historiques et les comparaisons internationales le montrent : le niveau du chômage est inversement proportionnel à la durée du travail, et plus il y a, dans une semaine, une année, une vie, d'heures travaillées, moins il y a de chômage. Nous pourrions naturellement en discuter à l'infini, et je comprends que vous restiez fidèle à la thèse inverse, mais je tenais néanmoins à vous rappeler la nôtre.

Faisons maintenant abstraction de ces considérations théoriques, pour examiner si la réduction de la durée du travail a eu des effets concrets, en France, ces deux dernières années, sur le chômage et la création d'emplois. Vous vous êtes réjouie de la baisse du chômage, et je le comprends, tout comme je trouve naturel que vous vous appuyiez sur les normes statistiques définies par l'OIT, mais les données disponibles, pour positives qu'elles soient à certains égards, sont inquiétantes à d'autres : en effet, selon le ministère du travail lui-même, selon l'UNEDIC, selon l'ANPE, le nombre des emplois précaires, sous-rémunérés, en particulier celui des emplois à temps partiel non choisi, s'est considérablement accru depuis 1996 -pour choisir, vous l'aurez noté, une référence politiquement neutre. Oui, il y a bien baisse du nombre de chômeurs, mais il y a aussi progression des emplois au rabais, et ce phénomène doit vous interpeller comme il nous interpelle - tout comme l'augmentation de 43 % du nombre des radiations prononcées par l'ANPE, augmentation qui a certainement sa justification, mais tout de même...

Plus préoccupant encore est le fait que le nombre de créations d'entreprises, malgré la croissance exceptionnelle que nous connaissons, stagne.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est un vrai problème !

M. Laurent Dominati - Merci de le reconnaître. Cette stagnation est d'autant plus inquiétante que le type de croissance dont nous bénéficions, fondé sur celle de l'économie américaine, sur celle des échanges internationaux et sur l'essor des nouvelles technologies, devrait nous inciter à engager de profondes réformes de structure.

Quelle est la part des 35 heures dans ce relatif succès -ou dans ce relatif échec, comme l'on voudra- sur le front de l'emploi ? Nulle ou presque, en vérité, aussi bien sur ce que la situation actuelle a de positif que sur ce qu'elle a d'inquiétant. J'observe d'ailleurs que vous ne reprenez pas, à l'appui de cette seconde loi, les estimations sur lesquelles vous fondiez la première, à savoir 350 000 ou 400 000 emplois créés. Vous êtes devenue plus raisonnable, même si votre optimisme reste, à notre sens exagéré, mais acceptons un instant d'envisager que 250 000 emplois pourraient être créés grâce à la réduction du temps de travail. Il convient alors de mettre en regard de ces 250 000 emplois le coût financier du dispositif : 65 milliards annoncés l'an prochain, 105 à 110 milliards à partir de 2001 -mettons 100 milliards seulement pour simplifier les calculs. Cela fait tout de même 400 000 F par emploi créé, soit nettement plus que le salaire annuel moyen, charges sociales comprises. Qui, avec une telle somme, ne pourrait créer un emploi ?

Votre loi aura-t-elle un effet social bénéfique, ce qui à soi seul pourrait la justifier, quand bien même elle ne permettrait pas de créer des emplois en nombre ? Aura-t-elle un effet redistributif ? Profitera-t-elle vraiment aux salariés, notamment aux plus modestes d'entre eux ? Un sondage réalisé par la CFDT auprès de dix mille salariés d'entreprises ayant déjà conclu un accord sur les 35 heures, révèle certes qu'ils sont en grande majorité favorables à cette réduction du temps de travail, mais aussi que 20 % d'entre eux considèrent qu'elle s'accompagnera d'un gel des salaires et 15 % à 20 % d'une baisse de ceux-ci. Peut-être ont-ils tort, c'est toutefois leur opinion au vu des accords déjà signés. Ils savent d'ores et déjà que leur salaire en pâtira alors que, comme y insistaient encore récemment Force Ouvrière et d'autres syndicats, ils souhaitent davantage une augmentation de leurs revenus que de leur temps libre, car ce qui leur manque le plus aujourd'hui, ce sont les moyens financiers.

Votre loi, qui induit mécaniquement une augmentation du coût du travail, en particulier le moins qualifié, et ce en dépit des aides et exonérations accordées, desservira les salariés les plus modestes, notamment des industries de main-d'_uvre où les salaires tout juste au-dessus du SMIC sont nombreux.

En taxant les heures supplémentaires, vous découragez les salariés qui auraient envie de travailler plus pour gagner plus puisque de toute façon le prix de leur travail ne leur reviendra pas. Je pourrais comprendre que vous renchérissiez le coût du travail pour les chefs d'entreprise si leurs salariés font plus de 35 heures, à l'instar du dispositif actuel pour le travail de nuit et le dimanche. Les salariés seraient alors libres de leur choix et seuls les employeurs seraient pénalisés. Mais tel n'est pas votre choix : vous taxez les salariés alors même qu'ils pensent, eux, contrairement à vous, qu'ils ont besoin de travailler davantage.

Cette loi, qui n'est donc pas bonne pour les salariés, permettra-t-elle de moderniser les relations sociales dans l'entreprise et de mieux aménager le temps de travail ? Oui, en partie. Ce sera le cas dans les grandes et très grandes entreprises qui pourront toujours s'en tirer, s'appuyant sur des DRH rompues à la négociation et dotées de moyens suffisants... et ayant toujours la possibilité de délocaliser leur activité si les obstacles devenaient insurmontables. Mais qu'adviendra-t-il dans les petites entreprises ? Leurs patrons restent incrédules devant votre réforme, convaincus qu'elle ne s'appliquera pas...

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous ne devons pas rencontrer les mêmes !

M. Laurent Dominati - En effet, car vous rencontrez surtout le grand patronat quand je croise, moi, des patrons de petites entreprises dans les bistrots du centre de Paris. Et ceux-ci pensent que votre loi ne sera jamais appliquée car elle est, pour eux, inapplicable dans les faits. Mon devoir est de vous mettre en garde contre le retournement d'opinion qui inévitablement suivra son entrée en vigueur. Salariés et chefs d'entreprise seront alors vraiment surpris ! J'espère que cette mise en garde...

Mme la Ministre - Dont je vous remercie !

M. Laurent Dominati - ...instillera le doute dans votre esprit.

Votre loi, qui oblige les partenaires sociaux à négocier, permettra-t-elle de relancer le dialogue social ? Outre le fait qu'elle a commencé par faire descendre dans la rue 35 000 chefs d'entreprise et qu'elle a déclenché de nombreuses grèves, notamment dans les services publics, les banques et la grande distribution, elle relance le dialogue de façon assez perverse. Il est même malhonnête d'inviter les chefs d'entreprise et les salariés à négocier en leur appuyant un pistolet sur la tempe. En effet, qu'ils parviennent ou non à un accord, la loi s'appliquera. Vous arguez des accords déjà signés pour justifier le bien-fondé de cette démarche. Mais que vaut la démonstration ? Le procédé a même quelque chose de stalinien puisque vous invitez les partenaires à choisir ce à quoi ils seront de toute façon obligés et en tirez ensuite prétexte pour dire qu'ils sont d'accord... Donc, non, votre loi ne permettra pas de renouer le dialogue social.

Qui enfin la paiera ? Vous répondez : les grandes entreprises. C'est oublier que derrière toute entreprise, il y a des hommes, ses clients, ses fournisseurs, ses sous-traitants sur lesquels se répercute nécessairement l'augmentation des coûts de production. Tous les contribuables seront taxés fumeurs, retraités, ménages car il vous faut dès 2000 trouver 65 milliards, et à terme, 165. Ces sommes considérables pourraient être mieux utilisées, notamment à alléger les impôts, ce qui induirait des créations d'emplois.

Mais compte-t-on lorsqu'on aime, m'objecterez-vous ? Notre pays est capable de supporter le coût de cette réforme et qu'importe si l'on nourrit une grande ambition pour son économie et si l'enjeu n'est autre que de mobiliser la société autour d'un projet collectif fédérateur ? Mais précisément, votre projet est-il mobilisateur ? Alors que souplesse, initiative et diversité seraient nécessaires pour répondre aux besoins de l'heure, vous introduisez encore plus de complexité, de réglementation, de contraintes, l'Etat portant son regard, autoritaire ou bienveillant, jusque dans les entreprises. En outre, vous avez menti, au moins par omission. Aucun projet de loi ne devait être déposé qui n'est fait l'objet d'une étude préalable d'impact et de financement. Or, tel n'a pas été le cas.

M. Yves Cochet - Si.

M. Laurent Dominati - Si ce n'est que le plan de financement suggéré en première lecture est désormais caduc !

J'en reviens à mon propos précédent. Votre discours est profondément démobilisateur. En bref, vous dites à nos concitoyens de faire un effort et de se montrer solidaires en acceptant de travailler moins. Imaginez quelle serait la réaction en Corée ou en Allemagne si un gouvernement tenait le même discours ! Inscrira-t-on dorénavant aux frontons de nos écoles ou sur leurs tableaux noirs ce slogan : « Surtout, enfants, travaillez moins ! » (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Ce discours démobilisateur procède d'une pensée fausse. Votre inversion des valeurs, en particulier celle du travail, vous conduit à donner de curieuses priorités à l'action gouvernementale. Dans le budget de l'Etat, la politique du « travailler moins » est inscrite pour 100 milliards. Or le budget de l'intérieur, ne dépasse pas 30 milliards, celui de la justice 26 milliards. Combien de tribunaux de toutes sortes pourrait-on financer avec plus de 100 milliards ?

Que ne pourrait-on faire pour l'Education nationale, les Affaires étrangères, avec 100 milliards ? Et pour la Culture ? Les artistes n'auraient plus de soucis à se faire !

Mme Odette Grzegrzulka - Que n'avez-vous fait tout cela plus tôt !

M. Laurent Dominati - Au total, pourquoi cette loi ? Est-elle de nature idéologique ? Si seulement c'était le cas, je pourrais vous dire chiche ! Je pense en effet que, socialistes ou libéraux, nous avons des idéaux à défendre. Mais il ne s'agit même pas de cela, puisque d'autres gouvernements socialistes y sont hostiles. La vérité est plus grave : votre loi est démagogique ! Un récent sondage de la CFDT montre que malgré les réductions de salaires et les inconvénients multiples induits par cette loi, les salariés se disent qu'une réduction du temps de travail est plutôt bonne à prendre. Je le constate quand je tiens des réunions avec des salariés, des personnes ordinaires...

Mme la Ministre - Comme vous êtes méprisant !

M. Laurent Dominati - Pas du tout ! Je parle des gens comme tout le monde, qu'on rencontre dans le métro... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Oui, cette adhésion populaire aux 35 heures existe. Les députés pourraient d'ailleurs s'en inspirer, et passer moins de temps à légiférer à tort et à travers !

Vous auriez dit, Madame la ministre, que votre loi est un bonheur politique et une catastrophe économique. Je comprends qu'un gouvernement puisse faire le choix du bonheur politique.

Mais le Parlement, l'opposition ont pour devoir de s'opposer à ce projet, même s'il est populaire. On ne peut pas conduire une nation par l'illusion et la démagogie, car la vérité finit par se faire jour. Quand les salariés et les chefs d'entreprise verront les effets de votre loi, le désespoir les saisira. Vous allez au-devant de graves désillusions. Au moins aurais-je essayé d'introduire un peu de doute dans votre superbe détermination et dans votre superbe aveuglement (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires sociales - Je vous réponds d'abord sur les créations d'emplois, pour lesquelles nous avons toujours avancé des chiffres de l'ordre de 350 000 à 400 000, d'ailleurs confirmés par le rapport du Sénat fondé sur des études menées par le cabinet Artus. Reste, c'est vrai, que le mouvement n'est qu'amorcé, et prendra du temps pour produire tous ses effets.

Voilà encore quelques années, 2,5 points de croissance étaient nécessaires pour stabiliser le chômage. Aujourd'hui il ne faut qu'un point et demi. Notre croissance devient plus riche en emplois, ce qui est essentiel.

M. Hervé Morin - Les 35 heures n'y sont pour rien !

M. le Président de la commission - Si, la réduction du temps de travail participe à ce processus.

Vous avez évoqué, Monsieur Dominati, les « emplois pauvres », comme je l'ai fait moi-même hier. Il y a là un véritable sujet d'inquiétude, dont nous aurons à reparler.

Je n'interprète pas comme vous le sondage de la CFDT. Aucun des accords conclu jusqu'à présent ne conduit à diminuer les salaires. Dans certains cas il peut exister une modération salariale étalée sur deux ou trois ans, et concernant 1 % à 2 % de la masse salariale. Cette modération provisoire permettra de passer un cap, alors que les effets des accords sur l'emploi seront visibles rapidement, et appréciés des salariés quand par exemple il s'agira d'embauches de jeunes.

Nous avons également baissé substantiellement les charges, pour les salaires jusqu'à 1,8 fois le SMIC, ce qui aura des conséquences favorables sur les embauches et sur les salaires. Vous l'avez dit, les créations d'entreprises font défaut.

M. François Goulard - Elles diminuent !

M. le Président de la commission - J'en conviens. Nous devons nous interroger sur ce phénomène, qui n'est pas nouveau. Nous devons améliorer le statut du créateur d'entreprise, et mieux accompagner ce dernier dans sa démarche. Je m'engage à faire avancer la réflexion sur ce point.

Je suis en désaccord total avec vous sur ce qu'est l'intérêt des entreprises. Celles qui ont le plus à gagner à une meilleure organisation du travail, ce ne sont pas les grands groupes, ce sont les PME. Il n'est que de connaître le nombre de conseils en ingénierie -18 000- apportés l'an dernier par l'ANAC aux chefs de ces entreprises qui n'ont pas le temps de traiter ces problèmes d'organisation.

L'audition en commission des représentants de l'Union des professions artisanales le montre : le responsable du secteur du bâtiment s'est déclaré très favorable à la réduction du temps de travail (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas vrai !

M. le Président de la commission - Faites comme moi, écoutez quand on vous parle, et pensez-en après ce que vous voulez !

Ce responsable nous a dit que la réduction du temps de travail serait une occasion de repenser l'organisation de l'entreprise, la formation et donc un bon moyen d'aller vers les jeunes.

M. Dominati nous parle des conséquences de la loi. Je le renvoie à l'étude d'impact qui est en distribution. Il se demande si « travailler moins » constitue un slogan vraiment porteur. En tout cas, « travailler mieux » en est un, et représente même la clé de l'avenir. Travailler mieux, c'est-à-dire mieux utiliser les compétences des uns et des autres, considérer le travail comme un acte créateur. En tant qu'élu d'une région où l'on connaît la valeur de l'effort, je puis vous dire que je n'ai pas besoin d'insister beaucoup sur cet aspect-là des choses pour convaincre tout un chacun de l'importance de la loi que nous allons voter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Jean Pontier - Depuis le vote en première lecture, une nouvelle solution a été trouvée dans le projet loi de financement de la sécurité sociale, pour financer les allégements de charges, ce qui n'a pas affecté l'équilibre du budget. Les principales critiques de l'opposition sur le financement des 35 heures tombent donc.

Le Sénat ayant totalement vidé le texte de son sens et la CMP n'étant pas parvenue à un accord, notre commission s'est prononcée pour le rétablissement du texte dans sa version initiale et en dehors de ceux du rapporteur, aucun amendement n'a été adopté.

Nous comprenons, Madame la ministre, que vous n'ayez pas voulu modifier un texte voté à l'unanimité par la majorité parlementaire. Mais le temps écoulé entre les deux lectures étant aussi celui de la réflexion, comme en témoignent les précisions apportées sur la notion de travail effectif, nous aimerions que vous acceptiez un assouplissement du régime des heures supplémentaires pour les très petites entreprises, car ces entreprises qui ne comptent pas plus de trois salariés auront du mal à appliquer la réduction des horaires et ne pourront pas non plus embaucher. Il leur faudra donc recourir systématiquement aux heures supplémentaires. Que prévoyez-vous pour elles, Madame la ministre ?

Entre les deux lectures, le MEDEF a poursuivi sa guérilla contre la réduction du temps de travail et a même menacé de se retirer de la gestion paritaire de l'UNEDIC et de la sécurité sociale. Il revient aujourd'hui à la charge à propos des conventions et accords signés dans le cadre de la première loi. Nous aimerions donc, Madame la ministre, que vous redisiez très clairement qu'il n'est pas question de revenir sur ces accords ou conventions.

Entre les deux lectures sont par ailleurs arrivées de bonnes nouvelles concernant la croissance et l'emploi. L'OCDE porte une appréciation positive sur la politique économique de la France et l'on a enregistré en octobre 26 000 chômeurs de moins. La loi sur la réduction du temps de travail permettra de poursuivre dans cette voie. Conjuguée à une élévation du niveau de formation, la réduction du temps de travail permettra d'introduire plus de qualité et d'innovation dans nos produits et nos services, et donc de faire face à la concurrence des pays à bas salaires. Elle nous donnera aussi l'occasion de revaloriser les métiers manuels : une diminution des horaires les rendra en effet moins pénibles. Elle créera aussi de nouvelles formes d'activités dans les services, en particulier dans les loisirs.

Il appartient aux responsables d'entreprises de savoir saisir toutes ces opportunités. C'est un changement de société que nous préparons à travers cette loi, à laquelle les députés RCV sont évidemment favorables, étant entendu que l'examen des articles sera pour eux l'occasion d'obtenir certaines précisions. Ils voteront contre le renvoi en commission.

M. François Goulard - M. Dominati s'est interrogé avec raison sur la réalité des créations d'emplois. C'est en effet la question centrale. Le Gouvernement nous en annonçait beaucoup lors de l'examen de la première loi, il en parle nettement moins à propos de la deuxième. Poussé dans ses retranchements, M. Le Garrec a cité des chiffres d'une manière qui montre que lui-même n'y croit pas. D'ailleurs, Madame la ministre, vos réticences à appliquer la réduction du temps de travail au secteur public s'expliquent clairement par le coût budgétaire qu'aurait une telle réforme. Or ce coût n'est pas moindre pour les entreprises et pour l'économie française ! La destruction d'emplois l'emportera donc sur la création d'emplois.

Et sur le plan strictement moral, il est dangereux de faire du non-travail ou du moins de travail une valeur (Exclamations sur les bancs du groupe communiste) préférable à l'effort. Vous dîtes en somme à nos compatriotes qu'en travaillant moins, ils serviront l'intérêt général.

M. Maxime Gremetz - Vous pensez aux chômeurs ?

M. François Goulard - L'autre argument en faveur du renvoi en commission, c'est que beaucoup de questions restent encore à trancher. Nous avons ainsi appris par la presse que des arbitrages internes à la majorité avaient tout récemment été rendus concernant les cadres. Cela ne devrait-il pas se faire plutôt au grand jour devant la commission compétente ? Cela n'aurait-il pas dû se faire bien avant la veille de l'examen des articles en deuxième lecture ?

Enfin, nous pensons que créer plusieurs SMIC est inadmissible. Or, quoi que vous en disiez, c'est bien ce que fait le projet de loi. Et cela constituera d'ailleurs le principal fondement de notre recours devant le Conseil constitutionnel.

Bref, pour des raisons de principe comme pour des raisons techniques, le renvoi en commission est motivé et le groupe DL votera cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Arthur Dehaine - Je suis comme M. Gremetz picard et s'il n'y a pas chez nous de métro, nous entendons tout de même que ce texte est mal ficelé, non financé et finalement inapplicable autant que créateur d'inégalités. C'est pourquoi le groupe RPR votera cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Germain Gengenwin - M. Dominati a expliqué avec beaucoup de verve les raisons qui motivent le renvoi en commission et M. Pontier a, quant à lui, posé tellement de questions qu'il a justifié le renvoi en commission... En effet, si tout n'est pas négatif... (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), ...les aspects défavorables l'emportent nettement. Vous ne nous convaincrez pas qu'il était nécessaire que la France soit seule à imposer les 35 heures alors que les autres pays préfèrent une approche incitative qui laisse toute leur liberté aux entreprises et aux partenaires sociaux.

M. Goulard a eu raison d'évoquer le secteur public et nous ne manquerons pas d'y revenir, eu égard au coût de la réduction du temps de travail pour les hôpitaux et les collectivités locales, qui motive déjà une certaine agitation.

Même en faisant abstraction des régions frontalières, les entreprises ne seront plus à égalité et comment les PME resteraient-elles compétitives dans ce nouveau contexte qui les pénalise ? Les grandes entreprises ne se sentent pas concernées par la réduction du temps de travail parce qu'elles ont déjà mis en place le travail en continu, de nuit ou le dimanche.

Mais le motif essentiel justifiant le renvoi en commission est la complexité du système que vous prétendez introduire. Le chef d'une entreprise de trente à quarante salariés devra recruter une ou deux personnes pour gérer les effets de la réduction du temps de travail, tels que les heures supplémentaires, la modulation ou le décompte du temps de travail des cadres ouvrant droit à des jours de congé supplémentaires -sous réserve qu'ils n'emportent pas de travail à domicile. Le groupe UDF votera donc le renvoi en commission et je souhaite de bonne fêtes de fin d'année aux chefs d'entreprise qui devront affronter le bogue de l'an 2000 et, le lendemain, l'application des 35 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Bernard Outin - A plusieurs reprises dans ce débat, l'opposition a accusé la majorité de ne rien comprendre aux entreprises. Pour ma part, en tant qu'ancien responsable d'une entreprise de 150 salariés, je sais de quoi je parle lorsque l'on évoque les problèmes de gestion du personnel. Cette entreprise vient d'ailleurs de passer aux 35 heures et elle s'en porte très bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

Pour autant, puisque certains problèmes restent en suspens, il convient d'engager sans plus tarder la discussion des amendements. C'est pourquoi le groupe communiste votera contre la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Yves Rome - L'opposition recherche en vain depuis deux ans des arguments susceptibles de démontrer que les 35 heures, cela ne marche pas, et n'hésite pas à cette fin à manier le paradoxe comme vient de le faire M. Dominati qui s'est posé en défenseur des travailleurs, de « ceux qui prennent le métro ». Mais je lui dis « Monsieur Dominati, revenez à la surface pour tenter de comprendre les véritables aspirations de nos concitoyens » (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Le groupe socialiste ne votera pas la motion de renvoi en commission.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme la Ministre - Je me félicite de la qualité des débats qui ont eu lieu dans le cadre de cette nouvelle lecture et je vais tenter de me hisser au même niveau que M. Le Garrec dont l'intervention a été des plus pertinentes.

La première lecture, tout en maintenant ce que Gaëtan Gorce a appelé l'équilibre dynamique entre la prise en compte des contraintes des entreprises, les aspirations des salariés et l'objectif prioritaire de création d'emplois, a apporté de nombreuses et substantielles améliorations au texte, que MM. Gremetz, Cochet, Rome et Terrier ont rappelées.

Beaucoup d'entre vous ont d'ailleurs persévéré dans cette voie d'amélioration du texte, dans un esprit constructif dont témoignent les amendements qui ont été déposés.

J'ai aussi cru percevoir un certain changement de ton sur les bancs de l'opposition qui n'avance plus ses arguments avec la même assurance qu'il y a dix-huit mois. Nous n'entendons plus dire que la réduction du temps de travail mettra à terre l'économie française ou que les salariés en seront les grands perdants ou encore qu'elle ne créera aucun emploi.

Il est vrai que les premiers résultats sont là et que les Français adhèrent à notre projet. Mme Bachelot a dit avec bon sens que le temps nous départagera.

Je voudrais vous rappeler, Monsieur Dominati, qu'il y a un an, l'opposition disait que le chiffre de 100 000 emplois ne serait pas atteint à la fin du processus de réduction du temps de travail. Or, nous en sommes déjà à 138 000, dont 85 % d'emplois créés, avant même le vote de cette seconde loi (Murmures sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

L'effet sur le chômage commence à se faire sentir car sinon, comment expliquer les 250 000 chômeurs de moins enregistrés cette année alors que la croissance, certes élevée, est moins forte qu'en 1998 ? Peut-être est-ce l'effet d'un « air particulier », d'un environnement favorable dont procèdent aussi les emplois-jeunes ?

Avec un talent d'orateur certain, vous avez, Monsieur Dominati, tenté de nous expliquer une chose et son contraire. Ainsi, les « pauvres salariés », ceux qui, pour reprendre votre expression, « prennent le métro », seraient les victimes de la réduction du temps de travail. Plusieurs sondages montrent cependant qu'ils ne s'en rendent pas compte. Heureusement, vous savez mieux que les gens eux-mêmes ce qu'ils pensent. La SOFRES et l'IFOP ont également réalisé deux enquêtes qui montrent que 86 % des chefs d'entreprise considèrent, après être passés aux 35 heures, que cette évolution a été favorable au fonctionnement de leur entreprise.

M. Laurent Dominati - Que faisaient-ils alors dans la rue ?

Mme la Ministre - Vous nous dites aussi qu'ils ont signé parce qu'ils y étaient obligés. Pourquoi alors se déclarent-ils satisfaits de la réduction du temps de travail lorsqu'on les interroge quelques mois après ? Savez-vous mieux qu'eux, Monsieur Dominati, ce qui est bon pour leur entreprise ? Vous nous dites que les commerçants et les artisans que vous rencontrez sont opposés aux 35 heures. Pourquoi alors M. Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale, qui représente près de 850 000 entreprises, déclare-t-il que cette loi, avec l'allégement des charges patronales, était attendue depuis trente ans ?

M. Laurent Dominati - Mais il est contre !

Mme la Ministre - S'agissant des salariés, votre amour du paradoxe montre toute sa mesure, car plus de 85 % d'entre eux se déclarent satisfaits lorsque il y a eu réduction du temps de travail. Mais là encore, vous leur dites « Réveillez-vous. Même si vous travaillez moins, si vous voyez plus vos enfants, si vous avez réussi à faire entrer des gens dans l'entreprise, non, ouvrez les yeux, prenez conscience que vous n'êtes pas satisfaits ! ».

Nous considérons pour notre part que les 50 000 négociateurs, du côté des entreprises comme des salariés, ont certainement la meilleure appréciation de ce qui est bon pour leur entreprise comme pour eux-mêmes et que les chômeurs qui rejoignent l'entreprise grâce aux trente-cinq heures ont encore une appréciation bien plus éloignée de la vôtre.

Selon vous, il y aurait plus de chômeurs qu'en 1996 : autre paradoxe osé lorsque, pour la première fois depuis la première crise pétrolière, une majorité de Français considère que le chômage baisse et continuera de baisser ! Mais peut-être n'ont-ils rien compris...

M. Laurent Dominati - Ce sont les chiffres !

Mme la Ministre - Ceux que vous avez pris dans un hebdomadaire sans tenter de les analyser ! Mais tous les experts pensent autrement et d'ailleurs, aucun de vos amis ne s'est livré au même jeu que vous. C'est aussi que tous les indicateurs vont dans le même sens : que ce soit celui de la catégorie 1, c'est-à-dire des chômeurs à la recherche d'un travail à temps plein, celui de la catégorie 1 + 6 que vous aviez renoncé à produire et que j'ai rétabli afin de prendre en compte les chômeurs ayant travaillé à temps partiel ou celui du BIT, tous montrent que le chômage n'avait jamais baissé en France à un rythme aussi rapide. Je vous invite également à vous reporter aux statistiques de l'OFCE, d'Eurostat ou de l'OCDE, qui prouvent que le mouvement est plus rapide que dans aucun autre pays, excepté l'Espagne (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). Mais peut-être les contesterez-vous aussi !

M. François Goulard - Les chiffres américains sont meilleurs !

Mme la Ministre - Ce n'est pas vrai et la commission l'a d'ailleurs constaté !

Cette diminution du chômage est d'autant plus importante que, dans le même temps, notre population active a crû ces deux dernières années de l'ordre de 200 000 personnes par an, alors qu'elle baisse en Allemagne et dans la plupart des pays du sud de l'Europe, et que le taux d'activité, des femmes notamment est plus élevé chez nous qu'ailleurs.

M. Hervé Morin - Mais les jeunes ?

Mme la Ministre - Ne confondez pas taux d'activité et taux de chômage !

Cela étant, je ne puis me satisfaire de cette évolution quand demeurent encore trop de chômeurs de longue durée : il n'est pas suffisant que leur nombre ne diminue que de 150 000 par an. Nous avons donc fait de la réduction de ce chômage de longue durée la priorité de nos priorités -mais vous auriez pu nous aider, Monsieur Dominati, en votant la loi contre les exclusions ! J'espère en tout cas qu'après ce que vous avez dit, vous approuverez la loi contre la précarité et les articles sur le travail à temps partiel.

Selon M. Goulard, ces bons résultats n'auraient été acquis que grâce à la croissance des pays les plus libéraux de l'OCDE, en particulier des Etats-Unis, croissance qui se serait diffusée chez nous grâce au commerce international ! Mais la croissance américaine était déjà au même niveau entre 1993 et 1997 : comment se fait-il qu'elle n'ait pas « diffusé » alors ? Est-ce parce que vous étiez au pouvoir ? (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Si, comme le gouvernement Balladur, nous avons bénéficié de la croissance internationale, nous avons dû faire face aux effets des crises asiatique et russe, pendant l'été de 1998. La croissance française s'est pourtant maintenue à un niveau élevé car nous avions pris la précaution de relancer la consommation. Nous avons donc su « accompagner » la reprise internationale, comme nous avons su préparer l'avenir en favorisant la création d'entreprises, en instituant les emplois-jeunes, en prenant en compte les nouvelles technologies... et en réduisant le temps de travail. Nous pouvons ainsi nous tenir dans un cercle vertueux et enregistrer des résultats dont d'ailleurs je me garderai de me glorifier, sachant que l'amélioration de notre situation ne peut qu'accroître l'impatience parmi ceux qui restent sur le bord de la route. Raison de plus de chercher à créer des emplois !

Les entreprises quitteraient le pays par paquets, les chefs d'entreprise seraient catastrophés, selon vous. Mais comment expliquez-vous alors que la confiance des industriels n'ait jamais été aussi forte depuis vingt ans et que nous soyons le troisième pays d'accueil pour les investissements étrangers ? (Exclamations sur les bancs du groupe DL)

Comme l'a très bien dit M. Cochet, notre croissance était « contingentée » par le chômage : dans un pays qui n'a pas confiance en l'avenir, on ne consomme pas et la croissance s'affaiblit donc. Travailler moins en gagnant autant, nous y parviendrons demain, car il y aura alors des centaines de milliers d'hommes et de femmes, qui ne participent pas aujourd'hui à la croissance nationale et qui le pourront demain.

Madame Bachelot, non seulement les 100 000 emplois que vous jugiez impossible de créer il y a un an sont maintenant là, mais il y en aura autant chaque année pendant la durée de la réduction du temps de travail : certains en escomptent au total 400 000 ou 500 000 et je ne parle même pas des chiffres cités par le patronat, trop ambitieux !

Vous ne pouvez non plus dire que l'on a dépensé beaucoup de temps et de salive à négocier et, dans le même temps, nous accuser d'avoir dynamité le dialogue social ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) Ne vous contentez pas de reprendre les thèses du MEDEF, mais analysez les accords !

M. Bernard Accoyer - Celui du bâtiment, par exemple ?

Mme la Ministre - Il est tout à fait applicable, comme celui du textile. Un seul est en dehors de l'épure. Comme de surcroît c'était volontaire, vous ne pouvez nous demander de le reconnaître !

La réalité, c'est que, grâce aux 50 000 négociateurs, 18 000 accords d'entreprise et 112 accords de branche ont été conclu ; le tiers des entreprises de plus de vingt salariés sont déjà passées ou sur le point de passer aux 35 heures -et pour certaines, qui n'avaient pas l'expérience de ces négociations, c'est comme passer sans transition du XIXe au XXIe siècle, ainsi que l'a dit Mme Saugues. La réduction du temps de travail a donc bien enrichi le dialogue social.

Mme Dumont m'a demandé, à propos de l'amendement Michelin, ce qu'il fallait entendre par « avoir engagé loyalement et sérieusement la négociation ». Cette disposition engage le juge à vérifier que les parties ont eu la volonté de rechercher un accord en s'accordant sur les informations nécessaires et à examiner si des propositions sérieuses ont été avancées du côté patronal : c'est ainsi que la jurisprudence en dispose déjà.

Sur de nombreux points, les accords ont innové pour organiser une réduction du temps de travail sur mesure. Cette seconde loi procède de ces avancées. Cela a nécessité de nombreuses consultations et M. Le Garrec a raison de dire qu'il n'y avait aucun précédent comparable. Les accords conclu nous ont d'ailleurs permis une expérimentation grandeur nature. Cela étant, je souscris aux propositions du président de la commission, qu'il s'agisse de publier un document d'information dès le vote de cette loi ou d'instituer un suivi parlementaire de son application.

A propos des grèves et autres mouvements sociaux, M. Gengenwin parle d'un réveil de l'ardeur des salariés, M. Morin d'une grogne grandissante. Je partage plutôt le sentiment de M. Rome qui y voit un hommage rendu au législateur, qui a assumé ses responsabilités sans pour autant confisquer le débat. Lorsqu'on discute, il peut arriver qu'il y ait conflit mais celui-ci peut être une chance de progresser. Mme Notat a d'ailleurs raison de dire que ces conflits doivent être ramenés à leur juste mesure : beaucoup ont éclaté dans le secteur public et les autres sont en nombre limité, eu égard à la masse des entreprises concernées par les négociations en cours.

J'en viens au respect des accords. Je mets quiconque au défi de dire de bonne foi qu'un seul accord de branche n'est pas applicable. 88 accords de branche ont été étendus, 19 sont en cours d'examen et 8 n'ont pas fait l'objet de demandes d'extension. La quasi-totalité des clauses seront d'application directe sitôt la loi votée, à l'exception de celles visant à étendre le travail du dimanche, à exclure tout le temps de formation du temps de travail ou à généraliser le forfait tous horaires pour les cadres et certains agents de maîtrise. Si c'est cela que vous souhaitez légaliser, dites-le ! Les salariés apprécieront...

M. François Goulard - Et les 1 645 heures ?

Mme la Ministre - J'en parlerai dans un instant. L'organisation syndicale dont il a été question voici un instant, et qui a signé le plus grand nombre d'accords, a souligné que ceux-ci étaient respectés à 95 %. Où est le « pied de nez inqualifiable aux négociateurs » dont parlait M. Mariani ? Non seulement la loi respecte les accords, mais encore elle prend appui, dans bien des cas, sur les acquis de la négociation. C'est elle qui va donner une base légale, jusqu'à présent inexistante, à l'extension des nouveaux horaires collectifs aux cadres, à la prise en compte partielle dans le temps libéré des actions de formation ayant pour but la progression personnelle du salarié, à la modulation individuelle des horaires, à la réduction du temps de travail sous forme de jours de congé supplémentaires dans le mois ou dans l'année.

S'agissant de la durée annuelle du travail, 7 % seulement des salariés concernés par des accords d'entreprise auront une durée annuelle supérieure à 1 600 heures, et encore le dépassement est-il, pour les cinq septièmes d'entre eux, inférieur à trois heures, c'est-à-dire que l'entreprise devra payer une à trois heures supplémentaires dans l'année !

M. François Goulard - Nous n'avons pas les mêmes chiffres !

Mme la Ministre - Quant aux accords de branche, 90 % d'entre eux ne fixent pas de durée annuelle ou fixent une durée inférieure ou égale à 1 600 heures. Dans six branches, cette durée est comprise entre 1 600 et 1 610 heures, et si, dans 13 autres, elle est supérieure à 1 645 heures, il faut déduire, dans la plupart des cas, les jours fériés reconnus par les conventions collectives ; sinon, le recours au volant d'heures supplémentaires reste possible dans la limite de 130 heures, au-delà de laquelle le repos compensateur s'appliquera - aucun syndicat n'a accepté d'y déroger. Il n'est donc pas de branche dont l'accord ne sera pas applicable au lendemain de la promulgation de la loi. La vérité, c'est que vous reprenez des slogans sans avoir analysé sérieusement la réalité ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Beaucoup d'entre vous se sont inquiétés pour les cadres, et j'ai parfois l'impression d'une certaine hypocrisie, quand j'entends dire qu'ils vont devenir « taillables et corvéables à merci » ou qu'ils seront en proie à un « stress supplémentaire » : n'est-ce pas déjà le cas d'un nombre croissant d'entre eux ? Heureusement, les orateurs de la majorité ont proposé des améliorations supplémentaires à un dispositif qu'ils ont jugé sur pièces et non en fonction de certains fantasmes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les cadres ont tout à gagner dans l'affaire : pour la première fois, une définition juridique prendra en compte la mutation de leur rôle dans l'entreprise, et s'ils se réveillent aujourd'hui, c'est parce qu'ils ont compris que la réduction du temps de travail allait leur être applicable. Pour ma part, je me réjouis de leur impatience !

Pour ce qui est du financement, j'ai du mal, une fois de plus, à comprendre ce que veut l'opposition. Mme Bachelot nous a expliqué qu'il faudrait fumer, boire et polluer plus pour travailler moins, mais je suis certaine qu'elle regrette cette boutade (Sourires). Dois-je rappeler que les taxes sur les tabacs et les alcools, que vous aviez vous-mêmes utilisées à d'autres fins et sans contrepartie pour les salariés ni pour l'emploi, n'augmentent pas, mais sont simplement transférées ? N'essayez pas de faire croire aux Français qu'ils vont être taxés pour payer les 35 heures ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Accoyer - Mais si !

Mme la Ministre - Vous ne pouvez à la fois nous répéter inlassablement que les charges sociales pèsent à l'excès sur l'activité et nous reprocher de les réduire ! Si vous me permettez de citer une fois de plus le président de l'UPA (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), n'a-t-il pas déclaré, le 22 octobre, que cette réforme répondait enfin à l'urgente nécessité de réduire le coût du travail dans les entreprises de main-d'_uvre ? Pourquoi êtes-vous subitement contre la baisse des charges que vous réclamiez hier ? Est-ce parce qu'elle profite aux salariés et pas seulement aux employeurs ? Est-ce parce qu'elle est soumise à des contreparties en matière d'emploi ? Est-ce, plus simplement, parce que nous faisons ce que vous n'avez pas été capables de faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Je répondrai, avant de conclure, à deux questions précises qui m'ont été posées. Les entreprises qui ont conclu des accords Robien, Madame Dumont, auront droit, en vertu de l'article 12, au bénéfice des allégements de charges. Quant aux personnels des fonctions publiques, je vous confirme, Messieurs Gremetz et Birsinger, qu'ils ne resteront pas à l'écart du mouvement (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste).

Le discours de l'opposition progresse, et je m'en réjouis. Le Président de la République a déclaré il y a peu que la réduction du temps de travail était une idée moderne. Peut-être considérera-t-il dans un an, au vu des résultats, que le tour que nous lui avons donné était lui aussi moderne. De même, alors que vous désapprouvez aujourd'hui notre méthode, peut-être reconnaîtrez-vous dans un an que cette réforme était nécessaire.

Mais au-delà des mots, il y a les actes. Et sur ce plan, le constat est plus triste. Comme l'a souligné, à juste titre, M. Vidalies, tout l'intérêt du texte voté par le Sénat est de montrer ce que ferait l'opposition de retour au pouvoir : retour sur la durée légale, suppression des aides incitatives et structurelles ainsi que des allégements de charges -les entreprises apprécieront !-, modulation sans contreparties ni garanties pour les salariés, disparition du SMIC, ce qui, Monsieur Dominati, devrait vous préoccuper, vous qui vous faites le défenseur des salariés les plus modestes. Je vous renvoie sur tous ces points à l'excellente intervention de Jean-Luc Mélenchon au Sénat, qui met en lumière quels sont vos projets si vous retourniez au pouvoir.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes fiers avec Jean Le Garrec, Bernard Birsinger et Yves Cochet, d'engager une réforme qui changera en profondeur la façon de travailler et la façon de vivre dans notre pays. Il s'agit bien d'un projet de société et ceux qui refuseront de s'y associer aujourd'hui seront bien obligés de le faire demain car les Français auront décidé à leur place. Et, Monsieur Dominati, il ne faut jamais penser que l'on sait mieux qu'eux ce qui est bon pour eux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Laurent Dominati - C'est précisément ce que vous faites !

M. Maxime Gremetz - Je demande une suspension de séance de quinze minutes pour réunir mon groupe.

La séance, suspendue à 18 heures, est reprise à 18 heures 20.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle les articles du projet sur lesquels les deux assemblées ne sont pas parvenues à un texte identique, dans le texte du Sénat.

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AVANT L'ARTICLE PREMIER A

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'amendement 2 corrigé tend à rétablir le titre du chapitre premier tel que l'avait adopté l'Assemblée.

Mme la Ministre - Avis favorable.

L'amendement 2 corrigé, mis aux voix, est adopté.

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ARTICLE PREMIER A

M. François Goulard - Le Sénat a introduit cet article pour appeler les syndicats d'employeurs et de salariés à se réunir dans une conférence nationale destinée à développer la négociation collective et à étendre son champ.

La place donnée à la négociation collective est bien au centre de nos discussions. Le droit du travail en France, à notre avis, détermine de façon trop précise les relations entre les partenaires sociaux lorsqu'il s'agit de l'organisation du travail. Une rencontre au plus haut niveau des employeurs et des salariés permettrait de mieux définir le champ de la négociation collective, de façon à régler davantage de problèmes par la discussion que par la réglementation. On n'empêchera pas que se manifeste de plus en plus la volonté des partenaires sociaux de se voir reconnaître un champ de négociation protégé de l'intervention du législateur.

C'est pourquoi nous faisons nôtre cet article premier A.

M. Bernard Accoyer - Cet article pose la vraie question, qui est celle du rôle du dialogue social dans l'aménagement-réduction librement négocié du temps de travail dans l'entreprise. La conférence nationale proposée par le Sénat ouvre la voie de la modernité. Le rapporteur s'est opposé à l'article au motif qu'il reprendrait un argument d'une organisation patronale. L'explication est un peu courte. Il méconnaît également le rôle de la commission nationale de la négociation collective. Cette dernière, en application de l'article L. 136-2 du code du travail, doit émettre un avis sur tout projet relatif à la négociation collective. Lequel a-telle donné sur celui-ci ? Le Conseil économique et social s'est-il prononcé ? On voit à quel point le Gouvernement refuse la concertation !

M. Hervé Morin - Je dois relever une inexactitude commise tout à l'heure par Mme la ministre au sujet du taux d'activité, qui à l'entendre serait excellent. Or celui des jeunes et des plus de 50 ans est particulièrement faible. L'OCDE et l'INSEE indiquent que chez les 15-24 ans il est de 29,8 %, contre 38,8 % en Italie, 52,5 % en Allemagne et 66,3 % aux Etats-Unis.

Les chiffres de l'INSEE font également apparaître que la France a le plus faible taux d'activité des jeunes. Seule la Belgique fait pire. S'agissant du taux d'activité des 50-60 ans, la France se situe là encore à l'avant-dernier rang.

M. le Rapporteur - L'amendement 3 de la commission tend à supprimer cet article introduit par le Sénat. Nous sommes surpris qu'une organisation patronale qui commence par refuser la négociation drape son refus du projet dans un appel à la négociation collective.

Celle sur le temps de travail était atone depuis plusieurs années. Les partenaires sociaux l'ont relancée via l'accord de 1995, puis la loi de Robien est intervenue, après quoi la nouvelle majorité a offert à la négociation de nouvelles bases. Le résultat est là : 16 000 accords signés.

Nous sommes pour le développement de la négociation collective, mais encore faut-il que celle-ci soit équilibrée et complète. Or le Sénat a adopté des amendements disant qu'en cas d'échec de la négociation, le chef d'entreprise pourrait décider unilatéralement des modulations, des dérogations aux maxima horaires. Curieuse conception de la négociation collective. Ce n'est en tout cas pas la nôtre !

Mme la Ministre - Même avis.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - En supprimant cet article, nous passerions à côté d'une vraie chance de relancer la négociation collective, qui, en dépit de ce qui est écrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 -« tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective de ses conditions de travail et à la gestion de l'entreprise »- souffre d'une certaine anémie, qui est aussi celle du syndicalisme français. Réunir, comme le suggère le Sénat, une conférence nationale sur le développement de la négociation collective aurait permis d'aborder toutes les questions qui restent en suspens. Car, si l'on en croit M. Edmond Maire et Mme Nicole Notat, le dialogue sur ce projet n'a pas été poussé très loin avec les organisations syndicales.

M. Maxime Gremetz - Je partage l'opinion de Mme Bachelot sur l'anémie de la négociation collective, mais nous divergeons quant aux causes de celles-ci. C'est que pour négocier, il faut être deux à le vouloir, deux à vouloir le progrès social, à accepter des compromis, à s'engager au respect des accords. Or, à la veille du troisième millénaire, la France a enregistré 14 600 licenciements de délégués du personnel. Cela en dit long sur l'état d'esprit des employeurs.

Autre illustration de cet état d'esprit : un accord sur les 35 heures avait été signé, le 20 janvier 1998, dans le pôle « eau » de Vivendi par trois syndicats -la CGC, la CFDT et la CFTC. La CGT et d'autres syndicats, représentant au total 70 % des salariés, ont voulu faire jouer leur droit d'opposition. Cela n'a pas été possible, l'accord est passé. Pire encore, un an après sa conclusion, on constate que les engagements pris n'ont pas été tenus puisque les effectifs et les salaires baissent ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL) Et pourtant Vivendi n'a pas beaucoup de difficultés financières, Monsieur Goulard. Voulez-vous que je vous indique le montant de ses profits et de sa capitalisation ?

M. Bernard Accoyer - Vous voyez bien que les 35 heures sont une mauvaise chose !

M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas la loi qui est en cause, mais les patrons et leur politique de droit divin ! La loi sur les 35 heures donnera au contraire des droits nouveaux aux salariés, qui sauront les faire valoir face aux patrons. Et je vous garantis qu'il y aura des affrontements.

Voyez par exemple ce qui s'est passé chez Whirlpool : en 24 heures de grève, les intérimaires et les salariés ont su mettre la direction à genoux et ont obtenu des augmentations de salaires, la transformations d'emplois précaires en emplois stables et surtout le respect. Voilà à quoi les 35 heures pourront nous mener !

L'amendement 3, mis aux voix, est adopté et l'article premier A est ainsi supprimé.

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ARTICLE PREMIER B

M. François Goulard - Cet article, introduit par le Sénat, dit que les accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998 continueront à produire leurs effets jusqu'à la conclusion d'un autre accord ou, à défaut, pendant cinq ans après la promulgation du présent projet.

Mme la ministre nous assure que l'immense majorité des accords sont conformes au texte qu'elle propose. Nous pensons au contraire que bien des accords de branche sont en contradiction avec lui sur des points non négligeables, tels que le nombre annuel d'heures travaillées. Et si la loi remet en cause l'une des stipulations d'un accord, c'est tout l'équilibre de cet accord qui s'en trouvera rompu.

Il s'agit d'un problème réel car plus d'accords que vous ne le dites sont en contradiction avec le projet de loi. Or, ils ont été signés en toute bonne foi par les partenaires sociaux. Il convient donc de suivre la sagesse du Sénat qui propose une solution de bon sens.

M. Maxime Gremetz - Plutôt le conservatisme du Sénat !

Mme Odile Saugues - En première lecture, une relation a été établie entre la présentation d'un plan social et l'obligation de négocier un accord sur la réduction du temps de travail. Ces dispositions ont été supprimées par le Sénat. Il est nécessaire de préciser l'intention du législateur en revenant sur la notion de négociations sérieuses et loyales en préalable à la présentation de tout plan social.

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas l'objet. Vous vous êtes trompée d'article !

M. le Président - N'interrompez pas l'oratrice.

Mme Odile Saugues - Je voulais donner quelques précisions sur ce que pouvait être une négociation sérieuse et loyale et M. Gremetz en a donné tout à l'heure quelques illustrations. Il s'agit de donner à chacun des moyens réels de négocier en vue d'aboutir à un accord.

Doit-on pour autant interdire la présentation d'un plan social si un accord n'est pas signé ? Il s'agirait là d'une disposition dangereuse pour les organisations syndicales, car elle ferait peser sur elles une responsabilité très lourde : la présentation du plan social serait en effet conditionnée par leur signature.

D'autre part, la plupart des plans sociaux répondent à des critères d'urgence, notamment dans les PME, alors que la signature d'un accord est le fruit de longs mois de concertation. Il est donc plus opportun de maintenir les deux possibilités, c'est-à-dire la signature d'un accord ou l'ouverture de négociations sérieuses et loyales tendant à la conclusion d'un tel accord.

M. le Président - Si Mme Saugues a éventuellement anticipé sur d'autres aspects du texte, elle ne sera pas amenée à se répéter puisque vous l'aurez gardé en mémoire.

M. Bernard Accoyer - Si j'appliquais la « jurisprudence » Gremetz ou Saugues, je vous parlerais d'une proposition de loi sur la chasse ou sur la viticulture mais j'évoquerai bien l'article premier B, qui propose la validation des accords qui sont intervenus à la suite de la première loi relative à la réduction du temps de travail.

Les dispositions de l'article 14 du projet que nous avons examiné en première lecture il y a quelques semaines reviennent sur l'application des accords conclus. Ainsi, c'est l'Etat qui revient sur sa parole. Ce gouvernement est le seul qui se laisse aller à de tels dérapages !

Comme l'a excellemment démontré M. Goulard, la durée maximale du travail, et notamment le contingent d'heures supplémentaires, ont été arrêtés dans plusieurs accords. Je ne comprends pas comment il est possible de fixer un plafond très précis et de maintenir, dans le même temps, un certain nombre d'accords de branche qui excèdent très largement le contingent d'heures supplémentaires de 130 heures fixé par le Gouvernement : 175 heures dans l'accord de branche sur le textile, 180 dans la métallurgie, 182 dans les services pour l'automobile, 190 dans les services de propreté. Quel sera le sort réservé à ces accords ? Nous souhaitons pour notre part, comme le propose le Sénat, qu'ils s'appliquent pendant cinq ans.

M. le Rapporteur - L'amendement 4 de votre commission propose d'en revenir implicitement à la rédaction de l'article 14 puisqu'il propose de supprimer la disposition proposée par le Sénat car la loi ne remet pas en cause les accords de branche, à quelques exceptions près qui concernent les dispositions qui sont contraires à l'ordre public social, en particulier sur les contingents d'heures supplémentaires.

A cet égard, un protocole interprofessionnel de 1981 a distingué un contingent libre en deçà de 130 heures et un contingent soumis à l'intervention de l'inspecteur du travail. Cette règle est susceptible de dérogation par un accord de branche. En revanche, le principe du repos compensateur n'a jamais souffert d'exception. C'est le résultat d'une négociation de 1981 validée par le législateur par voie d'ordonnance en 1982. Par conséquent, les partenaires sociaux qui pourraient faire état d'une éventuelle modification de la loi en la matière en seraient pour leurs frais puisque nous ne modifions en rien ce régime qui est d'ordre public social.

En outre, emporté par son enthousiasme, le Sénat remet en cause des dispositions contractuelles qui n'auraient pas à être renégociées dans notre proposition. Tel que le Sénat a rédigé son amendement, toutes les dispositions illégales en l'état du droit -je ne parle pas de celles qui sont contraires à l'ordre public social- telles que les forfaits jours ou le décompte en jour, qui sont simplement novatrices, devraient être renégociées dans un délai de cinq ans. Que diriez-vous si nous proposions une telle disposition ? Nous validons au contraire l'ensemble de ces innovations dès lors qu'elles ne sont pas contraires à l'ordre public social. Dans l'intérêt même de la thèse que vous défendez, je vous invite à voter l'amendement 4.

Mme la Ministre - Favorable après ces excellentes explications.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ces accords, que contestent le rapporteur et le Gouvernement, résultaient d'une négociation, de l'un de ces « équilibres subtils » dont a parlé M. Accoyer et ils étaient conformes aux intérêts de l'entreprise. Puisque le Gouvernement décide de ne pas en tenir compte, les entreprises seront bien obligées de s'y plier. La position adoptée par le Sénat était bien évidemment une position de repli car s'agissant notamment des accords qui comportaient un contingent important d'heures supplémentaires, ils visaient à répondre à des difficultés pratiques. Certaines entreprises vont en effet se trouver confrontées à des difficultés d'embauche de salariés compétents et je pense notamment à celles du secteur du BTP. Il faut qu'elles aient les moyens, avec les contingents qu'elles avaient fixés, de trouver et de former la main-d'_uvre dont elles ont besoin. La période de cinq ans imaginée par le Sénat...

M. Maxime Gremetz - Par le MEDEF !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - ...permettrait à ces entreprises de faire face au séisme des trente-cinq heures (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté et l'article premier B est ainsi supprimé.

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ARTICLE PREMIER

M. Bernard Accoyer - Article fondamental de la loi, l'article premier dispose que la durée légale hebdomadaire du travail est de 35 heures à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés. Avec la sévérité et l'audace qui la caractérisent, Mme la ministre a asséné tout à l'heure plusieurs contrevérités qui me conduisent à en revenir aux faits et d'abord sur les effets de la croissance sur la baisse du chômage, dont nous nous réjouissons tous.

J'observe la conversion de Mme la ministre à la théorie selon laquelle une réduction du temps de travail généralisée crée des emplois. Je pourrais rappeler à Mme Aubry ses déclarations publiques de 1991 à la Mutualité affirmant exactement l'inverse. D'ailleurs, la gauche a toujours été opposée aux baisses de charges, prétextant qu'il y avait là des avantages offerts aux entreprises sans contrepartie. A cet égard, je rappelle l'obstruction systématique exercée par l'actuelle majorité contre la « ristourne Juppé » introduite en 1995, qui instaurait des réductions de charges sur les bas salaires jusqu'à hauteur de 1,33 SMIC. C'est d'ailleurs vous, Madame la ministre, qui avez ramené ce taux à 1,3 SMIC, au motif que les baisses de charges étaient inefficaces pour lutter contre le chômage.

Vous vous êtes donc rendue à notre opinion et nous nous en réjouissons. Cependant, comme vous avez fait état de la prétendue efficacité de votre première loi, en des termes qui nous ont d'ailleurs peinés, je veux vous rappeler ce qu'en ont dit la presse et un certain nombre de vos amis et collègues ! Les 500 entreprises volontaires du Centre des jeunes dirigeants ont avoué s'être heurtées à de considérables difficultés. M. Fabius, se démarquant du parti socialiste aux dires des journaux, s'est prononcé pour le respect des accords de branche. Quant à l'ancien ministre délégué au commerce extérieur, M. Dondoux, invité par l'ancien ministre de l'économie et des finances à faire une tournée de promotion de cette loi en province, il a, selon Le Dauphiné Libéré, déclaré qu'il n'était pas certain que les 35 heures créeraient 700 000 emplois et que les événements lui avaient ensuite donné raison !

Sauf le respect -immodéré- que je vous dois, lorsque vous soutenez que cette première loi aurait créé plus de 100 000 emplois, vous proférez un mensonge, et même plusieurs ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) En premier lieu, vous faites l'amalgame entre les emplois créés et les emplois seulement préservés -dont le nombre a été surévalué parce que les entreprises ont anticipé la loi en présentant des plans de suppressions d'emplois drastiques. Deuxièmement, comme le rapporteur l'a reconnu, ce sont les entreprises les plus dynamiques qui ont conclu des accords pour profiter de l'effet d'aubaine. Troisièmement, vous avez demandé un renfort aux entreprises publiques. Et l'énumération n'est certainement pas complète !

Les accusations d'ineptie que vous nous avez adressées exigeaient cette mise au point, qui touche à la substance même de cet article, donc de ce projet !

M. Maxime Gremetz - C'est laborieux !

M. François Goulard - Madame la ministre, vous mettez au crédit de ce gouvernement la croissance actuelle, incontestablement créatrice d'emplois, et vous avez soutenu à ce propos qu'avant 1997, la croissance américaine n'avait pas eu d'effet sur la situation européenne ou française. Mais à cela il y a une raison : c'est que, jusqu'à cette date, nous étions engagés dans la construction de l'euro, ce qui nous a contraints à réduire les déficits publics de 6 à 3 % de notre PIB et à mener, en matière de taux d'intérêt, des politiques qui contrariaient la croissance -jusqu'en 1996, nos taux d'intérêt réel étaient de 7 ou 8 points supérieurs à l'inflation ! Dès lors, il n'y a rien d'étonnant à ce que, une fois obtenus les résultats recherchés, la croissance se soit accélérée : les courbes montrent que ce fut ce qui se produisit en avril-mai 1997. Je vous prie donc de montrer un peu plus de modestie !

M. Yves Cochet - Pourquoi dissoudre, alors ?

M. François Goulard - Le droit de dissolution n'appartient pas aux parlementaires ! Surtout, il est clair que le gouvernement de l'époque n'avait pas clairement perçu cette inflexion (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) : la croissance n'est clairement apparue dans les statistiques qu'en juillet, compte tenu du décalage de quelques mois qui sépare toujours un mouvement économique et sa constatation !

M. Maxime Gremetz - Vous faites par trop confiance à vos pairs technocrates !

M. François Goulard - Nous connaissons vos antécédents mais respectez la loi de la démocratie dans cet hémicycle !

Selon vous, Madame la ministre, le Sénat aurait pour projet de revenir aux 39 heures. La réalité est tout autre...

Mme la Ministre - Cela m'a été dit !

M. François Goulard - ...Dès lors que la durée légale du travail sera abaissée à 35 heures, il sera évidemment impossible de revenir à 39 heures par une autre loi en remettant en cause les contrats de travail de droit commun. Les trois groupes de l'opposition n'ont pour projet que de faire en sorte que la convention collective règle ces questions de durée légale comme d'organisation du travail, la durée fixée par le code ne s'appliquant que si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord.

Enfin, votre baisse des charges ne compense pas le surcoût imposé aux entreprises, loin s'en faut (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre - M. Dominati a dit le contraire !

M. François Goulard - A plein régime, cette baisse sera de 120 milliards, avez-vous déclaré. Or l'augmentation du coût horaire du travail qui résultera de cette loi accroîtra la charge des entreprises de 250 milliards ! Je maintiens donc qu'il ne s'agit pas d'un allégement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. le Président - Je prierai chacun de ne pas chercher à rouvrir la discussion générale.

M. Claude Billard - Cet article premier pose le principe d'une réduction du temps de travail, à 35 heures par semaine ou à 1 600 heures par an. La définition de la durée effective du travail est donc un élément déterminant. En première lecture, s'agissant des temps de pause, de restauration et d'habillage, nous avons tenu compte des accords passés et veillé à ne pas laisser de brèche par où certains employeurs se seraient engouffrés. Nous sommes favorables au développement de la négociation mais il y a encore trop d'entreprises où la représentation du personnel n'est pas assurée.

C'est en raison de cette analyse que nous avons déposé plusieurs amendements. L' « amendement Michelin » exige la conclusion d'un accord de réduction du temps de travail avant tout plan social ou, à défaut, « l'engagement de négociations » : nous demandons la suppression de cette dernière mention qui prive la disposition de toute efficacité. En second lieu, nous proposons de mieux garantir le recours aux astreintes, notamment en imposant un avenant au contrat de travail -l'absence de négociation collective.

Par ailleurs, invoquant les contraintes sanitaires, des employeurs de l'agro-alimentaire ont demandé qu'une partie du temps d'habillage soit prise en compte dans le temps de travail effectif. La commission a suggéré des contreparties, sous forme de repos ou de supplément de rémunération : pour notre part, nous préférons ne pas modifier le texte de première lecture et accorder plutôt quelques dérogations. Le Gouvernement a refusé. S'il maintient son opposition, nous présenterons un amendement visant à étendre les contreparties aux accords de branche et d'entreprise.

M. Maxime Gremetz - Voilà qui est constructif !

M. Philippe Martin - A notre regret, la commission a fait fi des avancées proposées par nos collègues sénateurs et propose pour l'essentiel de revenir à notre texte de première lecture.

Ce principe de réduction autoritaire est mauvais pour les entreprises. Il faut privilégier une démarche volontaire, négociée, adaptée à la situation de chaque secteur et de chaque entreprise, car les incidences ne seront pas les mêmes dans les industries en sureffectif et dans les PME, où le faible nombre d'heures libérées ne permettra pas de créer des emplois.

Vous entretenez savamment la confusion, enfin, entre politique de l'emploi et financement de la sécurité sociale. Non seulement les caisses de sécurité sociale seront ponctionnées, mais les viticulteurs s'inquiètent vivement, au moment où les attaques contre le vin se multiplient, de voir une partie des droits sur les alcools servir à financer les 35 heures : c'est la porte ouverte, en effet, à de futures augmentations, car vous avez peine à garantir à votre réforme une assise financière durable. Cela aura des conséquences néfastes pour l'emploi et pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Yves Cochet - Je ferai seulement deux remarques. La première est d'ordre linguistique : je m'irrite d'entendre l'opposition parler de baisse des « charges », alors qu'il s'agit des cotisations sociales patronales, et que ces cotisations participent, au même titre que les cotisations salariales, au financement de la solidarité nationale, c'est-à-dire des retraites, de l'assurance-maladie et des allocations familiales. Le mot « charges » a en effet une connotation négative, tout comme le « coût du travail » - qui est nettement inférieur, soit dit en passant, à ce qu'il est en Allemagne, dont la situation économique n'est pourtant pas si mauvaise.

J'entends aussi l'opposition contester l'efficacité de la loi du 13 juin 1998. Or, j'ai rencontré les personnels de l'ANPE des pays de Loire, qui m'ont dit que, sur les 24 000 emplois créés dans leur région au cours des 18 derniers mois, 5 000 étaient dus aux emplois-jeunes, 6 000 à la réduction du temps de travail et 13 000 à la croissance. En d'autres termes, près de la moitié des créations d'emplois est bien due au volontarisme du Gouvernement, et c'est cela qui gêne l'opposition !

M. le Rapporteur - Très bien !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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FAIT PERSONNEL

M. Maxime Gremetz - L'article 58, alinéa 6 de notre Règlement dispose que « Toute attaque personnelle, toute interpellation de député à député, toute manifestation troublant l'ordre sont interdites ». M. Goulard n'a pas craint, tout à l'heure de parler de mes « antécédents », et il se trouve que je suis fier, moi, de mes antécédents : je suis issu d'une famille ouvrière de neuf enfants, et j'ai été licencié, étant délégué du personnel, par un ministre du travail qui n'était pas Mme Aubry, mais - c'était en 1963 - M. Grandval. Le patronat a d'ailleurs commis, ce faisant, une grave bêtise, car j'ai été élu député par la suite...

Pour en revenir au sujet, j'ai la conscience tranquille, on peut fouiller dans mes « antécédents », qui sont parfaitement clairs : je n'ai pas été au cabinet de M. Balladur...

M. François Goulard - Moi non plus !

M. Maxime Gremetz - Je ne suis pas non plus allé en prison, j'ai seulement fait 52 jours de « trou » quand j'étais à l'armée, pour avoir pris position contre la guerre d'Algérie. Je vais avoir affaire pour la première fois, le 6 décembre prochain, à un tribunal correctionnel, et ce grâce à vos amis, Monsieur Goulard, pour avoir manifesté contre l'élection de M. Baur à la tête de la région Picardie par le Front national, et j'en suis fier, croyez-moi ! C'est un commissaire de police qui a dû porter plainte, ainsi que deux volontaires désignés d'office, car on ne trouvait personne d'autre pour cela !

M. François Goulard - Je ne pensais pas vous avoir heurté, et telle n'était pas mon intention. Il se trouve simplement que vous m'avez interrompu alors que je ne le souhaitais pas, ce qui n'est pas permis par le Règlement mais n'est pas un crime pour autant, cela nous arrive d'ailleurs à tous, moi y compris, et que je vous ai dit alors, en effet, que je connaissais vos antécédents, mais je ne faisais nullement allusion à votre vie personnelle passée, que je ne connais pas : je faisais simplement allusion à votre qualité, indéniable car publique, de membre du parti communiste. Le parti communiste se signalait en effet, à une époque qui n'est pas si ancienne, mais cela n'est plus vrai aujourd'hui, par une conception de la démocratie assez différente de la nôtre (Interruptions sur les bancs du groupe communiste), et en particulier par le soutien qu'il apportait à un Etat totalitaire dont chacun se réjouit, je l'espère, qu'il ait disparu depuis. Vous me taxez fréquemment, et c'est votre droit, d'ultra-libéralisme ; souffrez que je dise que vous êtes communiste !

M. Maxime Gremetz - J'en suis fier, figurez-vous !

M. François Goulard - Il ne s'agissait nullement d'une mise en cause personnelle, et si j'ai pu vous blesser, je le regrette profondément.

Prochaine séance ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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