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Session ordinaire de 1999-2000 - 39ème jour de séance, 93ème séance

2ÈME SÉANCE DU MARDI 14 DÉCEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

DÉCÈS D'UN DÉPUTÉ 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

SITE D'ASSEMBLAGE DE L'AIRBUS A3XX 2

CANDIDATURE DE LA TURQUIE À L'ADHÉSION À
L'UNION EUROPÉENNE 3

REVENU D'AUTONOMIE POUR LES JEUNES DE MOINS
DE 25 ANS 3

PARITARISME 4

PROJET SUCRIER EN GUYANE 5

GRANDES ÉCOLES 5

TRANSPORT DE MARCHANDISES 6

PÊCHEURS MÉDITERRANÉENS 7

SOMMET D'HELSINKI 7

NAUFRAGE DU PÉTROLIER ERIKA 8

TRANSPORT FERROVIAIRE 9

FONCTIONNEMENT DES CAISSES D'ALLOCATIONS FAMILIALES 10

CANDIDATURE DE LA TURQUIE À L'ADHÉSION À
L'UNION EUROPÉENNE 10

RATIFICATION D'ORDONNANCES RELATIVES À L'OUTRE-MER -deuxième lecture- (discussion générale commune) 11

LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 22

La séance est ouverte à quinze heures.

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DÉCÈS D'UN DÉPUTÉ

(Mmes et MM. les députés, Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent)

M. le Président - Nous avons appris avec tristesse le décès de notre collègue Roland Carraz, député de la Côte-d'Or.

Je prononcerai son éloge funèbre lors d'une prochaine séance.

En hommage à notre collègue décédé, j'invite l'Assemblée à observer une minute de silence.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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SITE D'ASSEMBLAGE DE L'AIRBUS A3XX

M. Dominique Baudis - Monsieur le Premier ministre, la réunion la semaine dernière du conseil de surveillance d'Airbus a suscité à Toulouse une certaine perplexité. En effet, si la nécessité de mettre en production un avion très gros porteur a été réaffirmée à cette occasion, notamment pour mieux résister à la concurrence de Boeing, le choix du site d'assemblage entre Hambourg et Toulouse n'est pas intervenu. Or les infrastructures doivent être prêtes au début de 2001 et l'acquisition puis l'aménagement d'une zone d'activité de plus de deux cents hectares prendra du temps. Le choix du site doit donc intervenir rapidement. A l'évidence, Toulouse présente les meilleures caractéristiques techniques et industrielles et dispose des équipes les plus qualifiées. Il est indispensable de fonder le choix sur des critères objectifs, sans en faire l'objet d'un quelconque troc, susceptible d'affaiblir le pôle aéronautique toulousain.

L'Etat étant un actionnaire majoritaire du groupe Aerospatiale Matra et un actionnaire essentiel d'Airbus, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur le choix du site d'assemblage de l'A3XX et en particulier sur les critères qui lui semblent devoir être retenus (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Le conseil de surveillance d'Airbus du 8 décembre dernier, à propos duquel vous avez dit votre perplexité, a eu des résultats positifs. La viabilité d'un projet de commercialisation d'un gros porteur y a été reconnue, afin notamment de couvrir l'ensemble de la gamme et de rendre Airbus vraiment concurrentiel vis-à-vis de Boeing et la phase de prélancement a été engagée. Il ne vous aura pas davantage échappé que le Gouvernement a, dès la loi de finances pour 2000, rendu disponibles les aides et les avances prévues pour l'A3XX. Il convient de poursuivre les études de rentabilité du projet et il faut qu'Airbus évolue en société intégrée, ce mouvement étant favorisé par les fusions qui sont d'ores et déjà intervenues.

Le choix du site d'assemblage, qui appartient aux industriels, ne saurait tarder et Toulouse a en effet de très bons atouts. J'observe cependant que les fabrications devant démarrer en 2001, nous sommes encore dans les temps pour pourvoir à l'aménagement de la zone d'activité qui sera retenue (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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CANDIDATURE DE LA TURQUIE À L'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Monsieur le Premier ministre, l'accord donné à la candidature de la Turquie à l'Union européenne pose la question de la nature de l'Europe que nous voulons construire. Si en termes de sécurité internationale, il est légitime de retenir un périmètre assez large qui favorise la protection commune, il n'en va pas de même pour l'Union politique de l'Europe qui impose un périmètre plus étroit. Ainsi, s'il est envisageable que des Etats tels que la Tunisie ou le Maroc rejoignent un jour un dispositif de sécurité garanti par l'Union européenne, l'Europe politique suppose, elle, un préalable politique. Dans le cas de la Turquie, on ne saurait faire abstraction des Arméniens (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Acceptez-vous, Monsieur le Premier ministre, que les Français, par la voix de la Représentation nationale, aient le droit de s'exprimer avant que le pouvoir exécutif n'engage notre pays ? Nous souhaitons en effet que soit organisé sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union, un débat parlementaire suivi d'un vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL et sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Depuis 1963, tous les dirigeants de l'Union européenne, qu'elle soit à Six, à Neuf, à Douze ou à Quinze, ont reconnu à la Turquie une « vocation » européenne...

M. Pierre Lellouche - C'est très bien ainsi !

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - ...et depuis lors, toutes les forces modernistes qui _uvrent au renforcement de l'Etat de droit et du respect des minorités en Turquie s'appuient sur la perspective ainsi ouverte.

Après mûre réflexion, les Quinze ont décidé que le meilleur moyen de préparer l'avenir est de dire à la Turquie « oui, nous reconnaissons votre candidature », ce qui ne signifie absolument pas que la négociation soit ouverte. La ligne de conduite constante de l'Union est à cet égard dictée par les critères de Copenhague, à savoir le respect de la démocratie, de l'Etat de droit et du droit des minorités. Que la Turquie avance dans cette voie et des négociations d'adhésion pourront être ouvertes, qui, en tout état de cause, seront soumises à ratification.

MM. Pierre Lellouche et Philippe Séguin - Très bien !

Plusieurs députés UDF - Et le débat parlementaire ?

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REVENU D'AUTONOMIE POUR LES JEUNES DE MOINS DE 25 ANS

Mme Marie-Hélène Aubert - Comme vous le savez, Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, la proportion des jeunes qui, pour survivre, ont recours aux « Restos du c_ur » ne diminue pas. Il s'agit le plus souvent de jeunes qui « galèrent », de petit boulot en petit boulot. Pour répondre à leurs difficultés, vous avez opté pour une politique volontariste d'aide à l'emploi et d'insertion, à travers les emplois-jeunes, le programme TRACE ou la couverture maladie universelle. Pour accéder à ces différents dispositifs, les jeunes doivent cependant disposer d'un minimum de ressources. Or le problème majeur auquel sont confrontés les points d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) est celui du logement et des moyens de transports de ces jeunes qui n'en disposent pas et qui ne peuvent bénéficier de l'aide de parents qui sont souvent eux-mêmes en situation de grande difficulté. Et les 18-25 ans n'ont droit à aucune allocation, à aucun revenu minimum. Nous ne souhaitons évidemment pas en faire des assistés mais, à l'inverse, les sortir de la situation d'adolescence prolongée qu'ils subissent la plupart du temps. Selon le rapport de l'INED qui a paru la semaine dernière, un tiers des jeunes de 25 ans vivent encore au domicile de leurs parents. Pour mettre fin aux situations de désespoir qu'entraîne cette précarité, le Gouvernement entend-il mettre en place rapidement un revenu d'autonomie pour les 18-25 ans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Comme vous l'avez appelé, le Gouvernement a choisi de donner la priorité à l'emploi et au retour à l'emploi pour les jeunes en difficulté. Ainsi, le taux de chômage des jeunes a chuté de 25 % en deux ans, grâce à la croissance que nous avons consolidée mais aussi sous l'effet des 210 000 emplois-jeunes -même s'ils n'aiment plus ce terme qui ne met pas suffisamment en évidence le fait qu'ils exercent de vrais métiers- et de l'accélération des procédures d'aide aux jeunes le plus en difficulté. A ce titre, nous avons posé le principe que tout jeune qui se place en situation d'insertion ou de formation a droit à une rémunération. Cela vaut pour les contrats emploi-solidarité, pour les activités offertes par des entreprises d'insertion, pour celles relevant du programme TRACE, pour la formation en alternance -qui a progressé de 15 % en deux ans ainsi que pour les stages de formation professionnelle.

La dotation du fonds d'action pour les jeunes prévu par la loi de lutte contre les exclusions, a doublé et les 250 millions prévus au titre de l'aide de l'Etat à l'entrée dans un parcours d'insertion sont loin d'être dépensés. De même, mon collègue Louis Besson a pris plusieurs mesures tendant à favoriser l'accès des jeunes au logement. Ainsi, la caution peut être prise en charge par le 1 % logement, ce qui répond à une préoccupation majeure des missions locales et des PAIO. Le succès de cette mesure est d'ores et déjà encourageant.

Grâce à la couverture maladie universelle, tout jeune en rupture avec sa famille pourra, dès l'âge de seize ans, être soigné gratuitement. Chaque pas vers l'insertion doit donner droit à une aide ou à une rémunération. Mais rien ne serait pire pour les jeunes que d'inaugurer leur vie d'adulte en touchant un chèque sans contrepartie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du RPR)

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PARITARISME

M. Jacques Godfrain - Madame le ministre de l'emploi, les textes que vous avez fait voter -non sans mal- par votre majorité, en particulier la loi sur la réduction du temps de travail, portent la marque de votre intransigeance et de votre refus de la concertation (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Le climat social est devenu détestable. Contrairement à ce qu'a déclaré François Hollande à La Dépêche du Midi, vous n'êtes pas parvenue à « réconcilier les Français avec l'avenir ». Vous dites espérer une société de la confiance et c'est à une société de la méfiance que vous aboutissez.

Au cas où, par votre faute, le paritarisme social volerait en éclat, avez-vous une stratégie de repli ? Avez-vous mesuré tous les risques que vous faites peser sur la concertation sociale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Plusieurs députés socialistes - Ernest-Antoine !

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Jean Le Garrec l'a dit au cours du débat sur les 35 heures, jamais une loi n'avait fait l'objet d'une telle concertation. Une première loi, en effet, a été votée pour lancer un appel à la négociation, appel qui, ne vous en déplaise, a été entendu, puisque des accords de branche couvrant 8 millions de salariés et 18 000 accords d'entreprise ont été signés.

C'est sur le fondement de ces accords que nous avons préparé la seconde loi sur les 35 heures, en concertation avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales.

Les discussions ont eu lieu au plus haut niveau, puisque quatre réunions ont eu lieu en présence du président ou d'un vice-président du MEDEF. Le 30 septembre et le 1er octobre, nous avons encore examiné les propositions du MEDEF et la concertation s'est poursuivie avec l'UNEDIC.

La concertation, telle est bien notre méthode. S'agissant de la couverture maladie universelle, j'ai reçu la semaine dernière les représentants de tous les acteurs concernés : mutuelles, maires, conseils généraux, CNAF.

Ce qui intéresse les Français, ce sont les résultats. Si, par notre « faute », le chômage diminue, la sécurité sociale retourne à l'équilibre et 6 millions de Français peuvent être soignés gratuitement, j'ai des raisons d'être fière d'appartenir à ce Gouvernement qui, dans la concertation, mène sa politique et fait ce qu'il dit.

On a le droit de marquer son désaccord, mais certaines organisations doivent comprendre que la démocratie exige qu'on laisse la majorité réaliser le programme sur lequel elle a été élue (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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PROJET SUCRIER EN GUYANE

M. Léon Bertrand - Monsieur le Premier ministre, « la Guyane craque » : titre L'Express.

Malgré nos succès spatiaux, la population demeure dans une situation difficile. Elle a le sentiment que le Gouvernement ne s'intéresse qu'aux vols spatiaux et au parc naturel.

Explosion démographique, immigration, insécurité, retard scolaire, chômage : les problèmes s'accumulent, mais on laisse les élus se débrouiller et leurs efforts ne sont pas encouragés.

J'en veux pour preuve le projet sucrier, dont la pertinence a été plusieurs fois démontrée et qui reste cependant bloqué, malgré le soutien des collectivités territoriales. D'un intérêt économique majeur, il aurait pour ma région un effet moteur.

Nous voulons prendre en charge nos destinées. Ce projet représente une grande espérance pour nos jeunes. Quel sort lui sera-t-il réservé ? Au moment où se prépare une loi d'orientation pour l'outre-mer, le Gouvernement doit montrer sa volonté de s'engager aussi dans le domaine économique (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Il s'agit d'un projet d'envergure, puisqu'il vise à mettre en culture 10 000 hectares pour une production annuelle de 60 000 tonnes de sucre. Les investissements, publics et privés, s'élèveraient à un total d'un milliard. Admettez donc qu'il est normal de réaliser une étude de faisabilité sérieuse portant sur le sol, la rentabilité de l'opération, ses conséquences sur l'environnement et l'intégration de la production dans l'OCM sucre au niveau européen.

Le comité de pilotage, qui se réunira demain, rassemble les élus locaux, les ministères concernés et les promoteurs du projet. Dans les contrats de plan, 5 millions ont été prévus pour prolonger la phase d'études. Si toutes les conditions sont réunies, il n'y a aucune raison d'empêcher la réalisation du projet.

La Guyane est la première région française aidée au titre des contrats de plan, avec un montant moyen de 7 700 F par habitant. Elle est en outre éligible aux fonds structurels européens. Entre 2000 et 2006, elle devrait donc disposer de moyens importants pour assurer son développement. On ne peut dire, vous le voyez, que la Guyane est oubliée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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GRANDES ÉCOLES

M. Yves Deniaud - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous venez de vous illustrer par une nouvelle attaque contre une grande école, l'Ecole Centrale en l'occurrence.

Sans attendre l'avis du conseil d'administration, que vous méprisez, vous avez lancé un appel à candidature pour le poste de directeur, comme vous l'aviez fait l'an passé pour l'Ecole normale supérieure.

Les grandes écoles n'appartiennent pas au passé. Il s'en crée de plus en plus, y compris hors de Paris. Il vient de s'en ouvrir une dans ma bonne ville d'Alençon. Pourquoi cette agressivité à l'encontre des grandes écoles, outils de formation de nos élites, qui font partie de notre tradition nationale ? Par ailleurs, allez-vous continuer à ne tenir aucun compte des organismes que vous consultez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Dans la République, les grandes écoles n'appartiennent pas à leurs anciens élèves ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) La loi s'applique à tous. D'ailleurs, c'est l'Ecole Centrale elle-même qui a demandé, lors de l'élaboration de la loi d'orientation, que son conseil d'administration ne propose pas un directeur mais se contente de rendre un avis. Or, sur trois candidats, deux n'ont fait l'objet d'aucun avis. J'ajoute que l'actuel directeur est en poste depuis vingt et un ans ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Nous voulons favoriser le renouvellement. Il n'est pas souhaitable de continuer à l'identique pendant encore vingt et un ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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TRANSPORT DE MARCHANDISES

M. André Lajoinie - Monsieur le ministre des transports... (« Allô ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ...l'opinion publique est favorable au développement du transport ferré de marchandises, qui présente le double avantage de rendre la route plus sûre et de préserver l'environnement.

Le Conseil des ministres européens des transports a pris plusieurs mesures, à l'initiative de la France, en faveur du fret ferroviaire. Il faut encourager la coopération entre les sociétés de chemin de fer de l'Union européenne et renforcer « l'interopérabilité », c'est-à-dire faciliter le franchissement des frontières.

Quelles mesures le Gouvernement, la SNCF et Réseau ferré de France comptent-ils prendre en ce sens pour relever ce défi, ce qui est capital pour la France, pays de transit ?

Par ailleurs, quelles seront les propositions de la France pour empêcher les entreprises de transport routier de faire une concurrence déloyale au rail ? Il importe d'_uvrer en faveur d'une harmonisation sociale par le haut et de développer le transport combiné (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous avez raison (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il nous faut relever plusieurs défis. Tout d'abord, nous devons sortir de la situation de blocage qui prévaut depuis des années et choisir clairement entre le développement ou le déclin du transport ferroviaire. Ensuite, quel que soit le mode d'exploitation choisi -qu'on aille vers la libéralisation que prônent certains ou la coopération que propose le Gouvernement- il nous incombe de garantir l'accès au trafic de transit de marchandises et la fluidité de ce trafic. Enfin, il convient de sortir de cette attitude de laisser-faire, qui a favorisé le tout routier au détriment des autres modes de transport, plus économes et moins polluants.

Lors du dernier Conseil des ministres des transports, nous avons proposé de créer un réseau ferré européen de fret, de financer les travaux nécessaires à la suppression des goulots d'étranglement, de développer l'interopérabilité.

En ce qui concerne l'harmonisation européenne dans le secteur du transport routier, contrairement à ce qui avait été dit lors des précédents conseils, la levée de l'interdiction de circulation le week-end n'est pas revenue à l'ordre du jour. C'est à mettre à l'actif de la position de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe du RPR).

Enfin, afin de lutter contre le dumping social et économique et alors que les choses traînent en la matière, nous avons insisté pour que la présidence fasse de l'harmonisation sociale par le haut, en particulier pour les temps de travail, un sujet prioritaire des prochains Conseils des ministres (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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PÊCHEURS MÉDITERRANÉENS

M. François Liberti - Le mercredi 1er décembre, les pêcheurs de Corse, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du Languedoc-Roussillon, ont barré les ports de la façade méditerranéenne afin que certains dossiers soient enfin examinés, en particulier l'inscription obligatoire au registre du commerce, découlant de la loi d'orientation pêche, et totalement inadaptée aux pêcheries méditerranéennes, ainsi que la hausse vertigineuse, de plus de 100 % depuis le mois de janvier, du carburant pêche.

Comme je l'ai déjà dit lors du débat budgétaire au nom des parlementaires communistes et partenaires, poursuivre le renouvellement de la flotte, garantir l'accès à la ressource, les métiers traditionnels, la commercialisation du bleu ou de l'anguille, traiter le dossier de la fiscalité exige un calendrier et des engagements précis

Les réponses apportées par le cabinet du ministre de l'agriculture et par la direction des pêches à la délégation des pêcheurs reçue le 3 décembre vont dans le bon sens, de même que la décision de reporter l'inscription obligatoire au registre du commerce qui a été accueillie avec satisfaction et soulagement.

Le dossier transmis par le comité de liaison méditerranéen des comités régionaux des pêches expose les risques de cette inscription dont personne, au moment du vote de la loi, n'a mesuré les conséquences sur le statut des pêches maritimes. Afin de tenir compte des spécificités de chaque façade maritime, il convient désormais de rendre cette inscription facultative. J'ai déposé une proposition de loi en ce sens.

Le Gouvernement entend-il faire en sorte que la loi pêche soit modifiée ? Quelles mesures compte-t-il prendre pour aider les pêches françaises à faire face à l'augmentation du poste carburant qui met en danger l'équilibre fragile des armements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je réponds à la place de mon collègue Jean Glavany, qui participe au Conseil agricole de Bruxelles. La hausse du prix du gazole tient à l'augmentation du prix du brut et à celle du dollar. Il faut toutefois relativiser les choses car il y a un an le prix du baril était de 10 $, soit le plus faible depuis 1973.

Vous avez toutefois raison : cette augmentation a des effets sur la pêche, en particulier sur la rémunération des marins, payés à la part. J'ajoute, pour vos collègues de l'opposition, que la fiscalité n'y est pour rien puisque le gazole pêche est exonéré de TIPP et de TVA.

Vous l'avez indiqué, M. Glavany a reçu les élus concernés. Il demeure bien sûr très vigilant.

Le Gouvernement a déjà fait beaucoup pour relancer la construction et favoriser le renouvellement de la flotte, à la suite des états généraux des pêcheurs méditerranéens qui se sont tenus en janvier 1999.

Enfin, la décision a été prise de reporter l'inscription obligatoire au registre du commerce, afin de donner plus de temps à Jean Glavany pour apprécier la situation, en concertation avec les élus et avec les professionnels (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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SOMMET D'HELSINKI

Mme Nicole Feidt - Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, réunis à Helsinki le week-end dernier, ont pris des décisions importantes pour l'avenir de l'Union européenne.

Les premières concernent le processus d'élargissement de l'Union. Désormais, tous les pays candidats sont sur un pied d'égalité, dans un cadre unique de négociation, comme l'a toujours demandé le gouvernement français. L'Union ouvrira donc des négociations en février 2000 avec six nouveaux Etats -Slovaquie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Bulgarie, Malte.

Confirmant la priorité politique que constitue ce processus d'élargissement, les Quinze ont, parallèlement, lancé la réforme préalable des institutions et défini l'agenda de la prochaine Conférence intergouvernementale, afin que l'Union soit en mesure d'accueillir les nouveaux Etats membres le plus rapidement possible.

La défense européenne a été l'autre dossier central de ce Conseil. Après une année dynamique, à laquelle la France a contribué de manière déterminante, les Quinze ont véritablement entamé la construction d'une Europe de la défense en décidant la création d'une force d'action rapide et de structures de décision et de commandement. Cet ensemble doit permettre à l'Union européenne, d'ici 2003-2005, d'assurer, de manière autonome, des actions humanitaires ainsi que des opérations de maintien et de rétablissement de la paix sur le continent européen.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, pensez-vous que les décisions prises à Helsinki permettront à l'Union européenne d'atteindre les objectifs que sont l'Europe de la défense et l'élargissement ? Dans quelle mesure la prochaine présidence française de l'Union contribuera-t-elle à asseoir les décisions d'Helsinki ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Le Conseil européen d'Helsinki a été, en effet, particulièrement important. Depuis une dizaine d'années, depuis la chute du Mur, les Européens étaient partagés entre ceux qui plaidaient pour un élargissement très rapide, par générosité et par volonté de retrouvailles européennes, et ceux qui, comme nous, voulaient maîtriser l'élargissement.

Cette controverse a donc pris fin grâce à une synthèse qui doit beaucoup aux idées françaises et au travail franco-allemand et la décision a donc été prise d'ouvrir les négociations avec tous les candidats mais de ne pas fixer de date arbitraire pour l'entrée de ces pays mais une date -2003- à laquelle l'Europe devra être prête à les accueillir. C'est une démarche rationnelle. Il faut tout faire pour que la réforme institutionnelle préalable -qui n'était pas admise par nos partenaires il y a deux ans- soit menée à bien au plus vite. Nous ferons tout pour qu'elle aboutisse sous notre présidence. La clé des discussions sur les trois sujets qui n'ont pas été réglés à Amsterdam est la répondération des voix, afin que les grands pays aient un poids plus conforme à leur importance réelle.

Dans le même temps, après les efforts franco-britanniques de Saint-Malo, après Cologne, la chimère de la défense européenne a commencé à Helsinki à devenir réalité.

Le Conseil d'Helsinki aura donc marqué les orientations stratégiques des années à venir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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NAUFRAGE DU PÉTROLIER ERIKA

Mme Jacqueline Lazard - J'associe à cette question l'ensemble des députés socialistes finistériens.

L'inquiétude est grande dans le Finistère. Après le Torrey Canion, l'Olympic Bravery, le Bohlen, l'Amoco Cadiz, le Gino et le Tanio, un navire transportant 30 000 tonnes de fioul lourd a de nouveau coulé au large de nos côtes. Les 26 membres d'équipage du pétrolier Erika ont pu être sauvés grâce à l'extraordinaire courage des sauveteurs, que je salue.

En ce qui concerne une éventuelle marée noire, le pire n'est pas encore sûr. Mais ce naufrage, qui a réveillé de sombres souvenirs, prouve que la vigilance ne doit pas faiblir. S'il est peut-être trop tôt pour établir des responsabilités, il semble toutefois que la conception du navire soit autant que les conditions climatiques à l'origine du drame. C'est une fois encore la question des pavillons de complaisance qui est posée.

Comment accepter qu'au large de nos côtes, des navires construits conformément à des normes anciennes et aujourd'hui dépassées, continuent à transporter des cargaisons dangereuses pour l'environnement ? Comment accepter que des hommes soient mis en danger, comme les membres indiens de ce navire immatriculé à Malte et dont l'armateur est italien ? Le progrès de la réglementation du transport maritime et de la formation des marins est l'un des éléments essentiels de la régulation que nous appelons de nos v_ux. Comment, au-delà des mesures immédiates que les autorités maritimes ont pu prendre pour éviter un drame humain, entendez-vous, Monsieur le ministre de l'équipement, prévenir les risques écologiques réels pour le sud de la Bretagne ? Comment entendez-vous enfin faire en sorte que le risque que de tels événements se reproduisent soit réduit au maximum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Dès le premier appel de détresse, priorité a été donnée au sauvetage de l'équipage, et je rends hommage aux sauveteurs, qui ont pu hélitreuiller 5 marins dans un premier temps, les 21 autres ensuite. Quant au risque dont vous faites état, il est réel : compte tenu de la quantité de pétrole transportée, de la hauteur des creux, de la force de la houle et de l'orientation des vents, une catastrophe écologique n'est pas à exclure, et la mise en _uvre du plan Polmar-Terre sera décidée en fonction du déplacement de la nappe.

J'ai immédiatement diligenté une enquête technique et administrative afin d'en savoir plus sur les conditions de navigation du bâtiment, bien que celui-ci ait été certifié. Une enquête judiciaire a également été lancée. Vous avez raison de dire que la rentabilité et la recherche d'économies à tout prix ne doivent pas être la règle, surtout lorsque l'on transporte des matières nocives pour l'environnement. C'est pourquoi nous avons renforcé les contrôles de sécurité et lancé, au niveau européen, un projet, d'ailleurs repris par les Etats-Unis, le Japon et Singapour, et visant à suivre en temps réel la circulation des navires à proximité des côtes (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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TRANSPORT FERROVIAIRE

M. Jean-Jacques Filleul - L'Assemblée nationale a combattu aux côtés du Gouvernement en adoptant, au printemps, une résolution contre les propositions de la Commission européenne en matière d'ouverture du transport ferroviaire à la concurrence. Nous voulons que cette ouverture profite au développement du fret ferroviaire, préférable au tout-routier du double point de vue de la sécurité et de l'environnement - et nous voyons bien, par ailleurs, les effets de la loi de la jungle dans le domaine du transport routier. Le Gouvernement défend une politique européenne régulée, et le conseil des ministres des transports de la semaine dernière a pris d'importantes décisions. Y a-t-il eu accord, à cette occasion, pour éviter les effets les plus négatifs de la directive, notamment sur le service public ferroviaire ? Quels moyens financiers l'Union européenne consacrera-t-elle, au sein de l'enveloppe globale consacrée au rail, au développement du fret ferroviaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous m'avez fait connaître, à la veille de ce conseil des ministres, en tant que membre du Conseil supérieur du service public ferroviaire, vos propositions et vos inquiétudes. Depuis le mois de juin, où les velléités de libéralisation à tout crin ont été tenues en échec, un conseil s'est tenu en octobre, et la France y a fait plusieurs propositions qui ont permis de débloquer la situation. Nous avons notamment obtenu la création d'un observatoire, l'attribution d'un label de sécurité européen, la constitution d'un réseau européen de fret ferroviaire, ainsi que la notion de « coût attractif » à défaut de celle de « coût marginal », si bien que les péages pourront être diminués sur les lignes sous-utilisées, telles que Béziers-Clermont. Quant aux goulets d'étranglement, 200 millions d'euros seront consacrés à leur suppression. Enfin, la directive sera modifiée, et nous devrions aboutir sur la question de l'interopérabilité d'ici la fin de 2001.

Ce qui est en marche, ce n'est donc pas la dérégulation, mais bien le développement du fret ferroviaire, qui est dans l'intérêt de la France et de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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FONCTIONNEMENT DES CAISSES D'ALLOCATIONS FAMILIALES

Mme Nicole Bricq - L'entrée en service du système informatique Cristal a perturbé le fonctionnement des caisses d'allocations familiales, notamment en Ile-de-France, où le poids des dossiers en souffrance est particulièrement lourd. Un plan d'urgence a été lancé, qui consiste notamment à détacher des agents venant d'autres régions et à recruter du personnel temporaire, mais il atteindra bientôt ses limites, alors même que les caisses auront à exécuter sans délai les mesures annoncées récemment en faveur des chômeurs. Quelles mesures structurelles entendez-vous prendre pour remédier aux défaillances apparues devant la montée de la demande sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Depuis plusieurs mois, les caisses d'allocations familiales connaissent des difficultés et des retards de paiement, dont je me suis préoccupée bien que leur gestion soit paritaire. On pouvait penser, au départ, qu'il s'agissait d'un problème lié à l'entrée en service de Cristal, mais celui-ci, qui permet aux agents de consacrer plus de temps aux usagers (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), fonctionne de façon satisfaisante dans les régions autres que l'Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais.

M. Yves Nicolin - Et les 35 heures ?

Mme la Ministre - J'y viens. Le plan d'urgence que j'ai proposé visait seulement à résoudre les situations les plus délicates, et c'est pourquoi j'ai suggéré à la présidente de la CNAF, qui l'a accepté, que l'IGAS établisse un diagnostic des besoins réels, afin d'anticiper les embauches que nécessitera la réduction du temps de travail. Je regrette, à ce propos, que l'UCANSS ait tardé à engager les négociations, mais je rends hommage à l'ensemble des personnels des caisses, qui se sont mobilisés afin que les primes décidées soient versées aux chômeurs avant Noël, ainsi que la présidente de la CNAF vient de me l'annoncer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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CANDIDATURE DE LA TURQUIE À L'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE

M. Pierre Lequiller - Le ministre des affaires étrangères n'a pas répondu à la question de M. Donnedieu de Vabres. Dans une démocratie digne de ce nom, le Gouvernement consulte le Parlement avant de prendre une décision comme celle qui vient d'être prise sur la candidature de la Turquie (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL), et qui engage l'avenir ainsi que notre conception même de l'Europe (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Si nous acceptons, en effet, l'adhésion d'un pays de 63 millions d'habitants, dont seule une partie marginale vit sur notre continent, au nom de quoi repousserons-nous celle de la Géorgie, de l'Ukraine ou de la Russie, déjà membres du Conseil de l'Europe ?

Mieux aurait valu renforcer le statut d'associé que d'encourager une candidature qui n'est ni souhaitable ni, pour beaucoup d'entre nous, souhaitée. Nous risquons fort, d'une part de transformer la nature de l'Europe que nous voulons et, d`autre part, de faire naître de faux espoirs qui donneront lieu à de graves désillusions. Il est incohérent de fragiliser l'Union européenne au moment même où priorité doit être donnée à l'approfondissement.

Toute adhésion nouvelle supposant l'accord unanime des Etats membres, il faudra soit réunir le Congrès du Parlement, soit recourir au référendum (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement n'a pas le droit d'engager la France dans une telle procédure sans l'accord du Parlement. Le groupe DL demande solennellement l'organisation d'un débat en séance publique, suivi d'un vote, sur les frontières de l'Union européenne. Aura-t-il lieu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe RPR et du groupe UDF)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Tous les dirigeants européens, depuis 1963, ont reconnu la vocation européenne de la Turquie, et le président de la République s'est fait depuis 1995, en France comme à l'étranger, l'avocat constant de l'acceptation de la candidature turque (Interruptions sur les bancs du groupe DL). La question est de savoir comment faire de l'aspiration de ce pays un levier de sa modernisation et de sa démocratisation.

Le débat a été public. Aucune décision n'a été prise en catimini. Rien n'est plus transparent qu'un conseil européen. Les arguments en faveur de l'une et l'autre thèses ont été pesés.

D'autre part, il ne faut pas confondre la décision d'Helsinki avec l'adhésion. Bien entendu, le jour venu, et conformément aux textes en vigueur, les parlements nationaux seront saisis des nouvelles adhésions. A Helsinki, il a été pris acte de la candidature de la Turquie et les négociations n'ont même pas commencé car ce pays est encore trop éloigné des critères de la démocratie, selon notre conception, tels qu'ils ont été définis à Copenhague. La négociation ne commencera que lorsque la Turquie se sera rapprochée de ces critères. Elle sera difficile, comme elle le sera avec les douze autres pays candidats.

Cela dit, je me réjouis du vif intérêt que vous manifestez pour cette question. Grâce aux commissions spécialisées, vous serez tenus constamment informés. Le moment venu, les décisions relatives à l'adhésion seront prises dans le respect de la Constitution et dans la plus grande transparence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Ollier.

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

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RATIFICATION D'ORDONNANCES RELATIVES À L'OUTRE-MER -deuxième lecture-
(discussion générale commune)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de trois projets de loi portant ratification d'ordonnances relatives à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.

M. le Président - La Conférence des présidents a décidé que ces trois textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - L'Assemblée nationale adoptait le 10 juin 1999 quatre projets de loi de ratification des ordonnances prises en application de la loi du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. Le Sénat les a examinés le 24 novembre 1999. L'un d'entre eux est définitivement adopté. Les trois autres ont fait l'objet d'amendements. J'ai donc l'honneur de les soumettre à nouveau à votre examen en souhaitant que vous les adoptiez définitivement.

Le Sénat a adopté plusieurs amendements rédactionnels et de cohérence, ainsi que quelques-uns de fond, approuvés par le Gouvernement. Le Sénat a également supprimé l'article 3 du projet de loi de ratification qui résultait d'un amendement déposé par votre collègue M. Buillard, rejoignant ainsi les observations formulées par votre commission des finances.

Le Sénat a aussi adopté quatre amendements du Gouvernement au projet de loi de ratification.

L'article 3 bis nouveau a pour objet d'étendre à la collectivité territoriale de Mayotte la procédure des amendes forfaitaires, ce qui permettra de réprimer rapidement les infractions au code de la route qui ne cessent d'augmenter sur l'île.

L'article 4 bis nouveau est destiné à permettre, le fonctionnement effectif de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française. En effet, l'article 207 de la loi organique du 19 mars 1999 a abrogé les articles L. 262-14 et L. 272-15 du code des juridictions financières qui prévoyaient que les mêmes magistrats puissent siéger dans les deux chambres territoriales des comptes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française.

Le Gouvernement a donc pris les mesures nécessaires pour que cette dernière puisse fonctionner : ses magistrats seront désignés dans les prochains jours et les moyens matériels de son fonctionnement sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2000. Toutefois, la charge de travail ne paraît pas justifier la présence d'un commissaire du Gouvernement à temps plein à Papeete. Une bonne utilisation des deniers publics plaide pour que le même magistrat assure ces fonctions en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Il y a déjà eu un précédent puisque le tribunal administratif de Cayenne fonctionne par exemple avec un commissaire du Gouvernement en poste à Fort-de-France .

L'article 4 ter nouveau concerne la Nouvelle-Calédonie. Il vise à modifier la loi du 3 janvier 1969 dont l'article 9-2 écartait du bénéfice du fonds intercommunal de péréquation les communes ayant reçu de l'Etat des aides à leurs programmes d'investissement. Il s'agit en réalité des contrats de ville. Or, l'article 3 de la loi du 19 mars 1999, conformément à l'accord de Nouméa, permet désormais aux communes de conclure avec l'Etat des contrats dans le domaine économique, social et culturel, ce qui est incompatible avec l'article précédent. Aussi, pour donner son plein effet au dispositif de rééquilibrage et de développement économique mis en place en 1999, est-il proposé de supprimer cette incompatibilité pour les seuls contrats conclus en application de l'article 3 de la loi du 19 mars 1999.

Enfin, le Sénat a adopté un dernier amendement du Gouvernement à l'article 2, tout en tenant compte du souhait de votre assemblée de voir augmenter le nombre de représentants de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie dans les conseils d'administration des deux universités du Pacifique, le Gouvernement a ouvert la possibilité à d'autres personnalités extérieures d'y être représentées.

Ces trois projets de loi de ratification sont particulièrement importants pour la modernisation du droit de l'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Françoise Clergeau, suppléant M. Daniel Marsin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Ce projet qui tend à ratifier trois ordonnances relatives au droit du travail et à des questions sanitaires et sociales outre-mer, prises en application de la loi d'habilitation du 6 mars 1998, a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 10 juin 1999.

Le Sénat, qui l'a examiné le 29 novembre 1999 en a modifié le texte, sans remettre en question le dispositif que nous avions adopté. Il a introduit cinq articles additionnels dont quatre résultent d'amendements de sa commission des affaires sociales et un d'un amendement du Gouvernement.

Après l'article premier, un nouvel article tend à prendre en compte le changement de statut de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est plus un territoire d'outre-mer.

Le nouvel article 3 bis remplace, par référence à l'une des ordonnances, l'expression « grossesse apparente » par celle de « grossesse médicalement attestée » dans la disposition du code du travail relative à la dispense de délai-congé. La nouvelle rédaction est à la fois plus conforme à l'état des connaissances médicales et plus protectrice de la femme enceinte.

L'article 6 précise une rédaction et l'article 7, introduit par le Gouvernement, rectifie une erreur de référence.

Enfin, l'article 8 précise que, dans les départements d'outre-mer, la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables prend en compte l'endémie de paludisme. La loi d'habilitation autorisait cette extension, mais aucune des ordonnances n'en traitait, le Gouvernement ayant estimé qu'il s'agissait d'une disposition de nature réglementaire. S'il apporte une précision peut-être superflue, cet article additionnel tend à appeler l'attention sur un problème grave de santé publique en Guyane .

Toutes les modifications apportées par le Sénat, de portée variable, ont paru à la commission des affaires culturelles pouvoir être acceptées. Suivant la proposition de son rapporteur, M. Marsin, empêché aujourd'hui, elle a adopté sans modification le texte du Sénat et je demande, en son nom, à notre Assemblée, de faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Tavernier, rapporteur de la commission des finances - Notre Assemblée est saisie aujourd'hui, en deuxième lecture, d'un projet de loi portant ratification d'ordonnances. Conformément à l'article 38 de la Constitution, le dépôt d'un projet de loi de ratification suffit à donner validité juridique aux ordonnances prise en application d'une loi d'habilitation. Le Gouvernement a toutefois tenu à ce que ce projet soit renvoyé aux commissions compétentes et soumis au vote du Parlement.

Ce texte atteste donc la volonté du Gouvernement de ne pas écarter le Parlement, provisoirement dessaisi de ses compétences constitutionnelles, de l'édiction du droit applicable outre-mer. Ce souci, assez rare pour être souligné, est amplement justifié par le caractère particulièrement large de l'habilitation et par l'importance des questions traitées. On peut également supposer que les recours déposés devant le Conseil d'Etat concernant l'une de ces ordonnances n'y sont pas étrangers.

Quatre des ordonnances dont il est question aujourd'hui ont été prises par le Gouvernement dans des champs relevant de la compétence de la commission des finances. Tout d'abord, celle du 24 juin 1998, n° 98-524, relative à l'octroi de mer entre la Guadeloupe et la Martinique.

En deuxième lieu, celle prise le même jour, n° 98-525, relative à la modernisation des codes des douanes et au contrôle des transferts financiers avec l'étranger dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Ensuite, celle du 8 juillet 1998, n° 98-581, portant actualisation et adaptation des garanties de recouvrement et de la procédure contentieuse en matière d'impôts en Polynésie française.

Enfin, celle du 2 septembre 1998, n° 98-775, relative au régime des activités financières dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le 10 juin 1999, notre assemblée a adopté en première lecture le projet de loi de ratification avec quelques amendements. Le premier était de cohérence, un deuxième dispensait de timbre les procès-verbaux des douanes, un troisième étendait à d'autres taxes le privilège réservé, dans le projet de loi, aux taxes communales perçues en Polynésie française ; un dernier, enfin, adopté malgré l'opposition de la commission des finances et du Gouvernement, transférait à l'assemblée de Polynésie française le pouvoir de déterminer le montant des amendes applicables à certaines infractions douanières.

Le Sénat a examiné le projet ainsi modifié le 24 novembre 1999 et l'a adopté après l'avoir amendé dans le sens souhaité par sa commission des finances. Il a supprimé l'article additionnel concernant l'ordonnance n° 98-525, que votre assemblée avait adopté contre l'avis de votre commission et en a adopté huit autres. Le premier, de précision, remplace, dans chacune des ordonnances, la référence aux territoires d'outre-mer par celle aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie ; un autre, relatif à l'ordonnance n° 98-581 remplace l'expression « juge de l'exécution », fonction qui n'existe pas en Polynésie française, par les mots « tribunal de première instance » ; les autres portent sur l'ordonnance n° 98-775 et visent, pour l'essentiel, à rattraper le retard du droit applicable outre-mer en le modifiant conformément aux normes métropolitaines les plus récentes.

Les articles additionnels introduits par le Sénat répondent à un appréciable souci de cohérence qui ne saurait entraîner l'opposition de notre assemblée, d'autant que le Gouvernement les a approuvés.

Je vous demande donc d'adopter le projet tel que modifié par le Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jérôme Lambert, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi n° 1968 - Sept ordonnances publiées entre juillet et septembre 1998, actualisant et adaptant le droit applicable outre-mer, ont été regroupées dans un projet de loi de ratification dont l'examen a été renvoyé à la commission des lois en juin dernier. Prises dans le cadre d'une habilitation autorisée par la loi du 6 mars 1998 , elles s'ajoutent à treize autres, regroupées dans trois projets de loi de ratification, dont les examens ont été confiés selon les thèmes aux commissions compétentes.

Était également présenté un projet de loi habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnances à l'adaptation et à l'actualisation à l'outre-mer d'une série de mesures législatives.

Adoptés le 10 juin par notre Assemblée, ces projets permettent de mesurer l'ampleur de la modernisation du droit applicable outre-mer.

Cette avancée a également été saluée par le Sénat et l'utilisation de l'article 38 de la Constitution pour y parvenir rapidement n'a pas été contestée. Examiné le 6 octobre dernier, le projet de loi d'habilitation a ainsi été adopté sans modification par les sénateurs et publié au Journal officiel du 26 octobre.

Examiné au Sénat le 24 novembre dernier, le projet de loi de ratification a été modifié par plusieurs amendements. Aucun d'eux ne remet en cause fondamentalement les dispositifs législatifs proposés par les ordonnances. L'Assemblée devrait donc pouvoir adopter sans modification le texte du Sénat.

J'en viens aux modifications apportées au cours des deux lectures à l'Assemblée et au Sénat. Dix-huit amendements ont été présentés par le rapporteur de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et adoptés ; trois articles additionnels sont issus d'amendements du Gouvernement ; un amendement a été présenté par M. Gaston Flosse, sénateur de la Polynésie.

Au total, votre commission se trouve saisie de vingt-deux articles additionnels. Les amendements présentés par la commission des lois modifient quatre des sept ordonnances présentées à la ratification. Ils ont pour objet, dans un souci de simplification, de rétablir l'alignement sur le régime de droit commun lorsque aucune spécificité ne justifie le maintien de divergences ou, à l'inverse, de mieux prendre en compte les spécificités locales, d'étendre les dispositions législatives intervenues depuis la publication des ordonnances, de supprimer des dispositions qui ont pu déjà faire l'objet d'une ratification, notamment par la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, de mieux respecter le partage entre lois organique et ordinaire en supprimant toute disposition pouvant relever de la loi organique. Enfin, plusieurs articles additionnels permettent de corriger des erreurs matérielles.

Les trois amendements présentés par le Gouvernement complètent le projet soit en insérant des dispositions supplémentaires dans les ordonnances, soit, en dehors de toute référence aux ordonnances, en modifiant des dispositions existantes.

Le premier étend à Mayotte la procédure de l'amende forfaitaire pour de nombreuses contraventions. Le deuxième modifie le code des juridictions financières afin d'aménager les fonctions de commissaire du Gouvernement dans les deux chambres territoriales des comptes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Le troisième permet, enfin, de faire bénéficier du fonds intercommunal de péréquation des communes de la Nouvelle-Calédonie ayant passé avec l'Etat des contrats de développement dans les domaines économique, social et culturel.

L'amendement, présenté par M. Gaston Flosse et adopté par le Sénat, permet de créer en Polynésie française des groupements d'intérêt public dans le domaine de la culture, de la jeunesse, de l'enseignement et de l'action sanitaire et sociale.

Le Sénat n'est revenu que sur un amendement adopté par notre assemblée. La représentation des membres du territoire de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française au sein du conseil d'administration de l'Université, introduit par un amendement de M. Buillard, a en effet fait l'objet d'un amendement du Gouvernement, qui a été adopté par les sénateurs. Les autres articles ont été adoptés sans modification. Au total seules deux ordonnances, qui concernent respectivement le délai de déclaration des naissances en Guyane et l'application de l'article 21-3 du code civil à Mayotte, n'ont pas été modifiées au cours de leur examen par les deux Chambres du Parlement.

La commission des lois ayant approuvé sans réserve ni modification le texte du Sénat, je vous invite à l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Rochebloine - Vingt ordonnances sont aujourd'hui soumises à ratification, cependant qu'une quinzaine devrait l'être dans le cadre de la nouvelle loi d'habilitation qui a été adoptée en première lecture et votée conforme par le Sénat. Il s'agit donc bien d'un projet de réforme de grande ampleur, touchant à des domaines aussi divers que le droit du travail, la santé, l'état civil, le droit pénal -et concernant aussi bien les départements que les territoires d'outre-mer, ainsi que les collectivités à statut particulier comme Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Parce qu'elle a le mérite de la rapidité, la pratique des ordonnances s'est généralisée, puisque l'utilisation de l'article 38 pour l'outre-mer représente aujourd'hui le tiers des lois d'habilitation. Or si la ratification des ordonnances n'est pas nécessaire à leur validité, sans elle celles-ci ont la valeur de simples actes administratifs. La ratification par le Parlement leur donne donc force de loi. Mais cette procédure constitue un dessaisissement du législateur au profit de l'exécutif et ne doit donc pas être pris à la légère. Or si les conseils généraux et le Parlement sont consultés lors de la procédure de ratification, leurs avis ne sont généralement pas suivis lorsqu'ils sont défavorables. En outre, les dispositions prises en vertu des ordonnances sont applicables dès leur inscription au Journal officiel, avant même leur ratification par le Parlement.

A ce sujet, nous vous remercions, Monsieur le ministre, d'avoir cependant permis que les commissions sur le fond puissent amender ces ordonnances, alors qu'auparavant seule la commission des lois était consultée.

Ce progrès est appréciable ; je souhaiterais cependant que les projets de loi prennent mieux en compte l'outre-mer, afin d'éviter de recourir aux ordonnances qui ne doivent en aucun cas constituer la règle. A cet effet, une circulaire du 15 juin 1990 relative à l'application des textes recommandait l'insertion d'une mention spécifique les rendant applicables outre-mer.

Nous serons amenés prochainement à examiner le projet de loi d'orientation sur les départements d'outre-mer. En préalable à cette discussion, je souhaite formuler plusieurs observations.

La situation économique et sociale difficile des territoires appelle une politique qui lève les handicaps qui leurs sont propres tels que l'isolement, l'étroitesse des marchés et, pour certains d'entre eux, l'absence de matières premières.

A ce titre, il est indispensable de maintenir les dispositions particulières pour réduire le coût de l'emploi . Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, le coût salarial moyen est supérieur de 27 % à celui de la France métropolitaine et de 200 % par rapport à Terre-Neuve. De plus, du fait de l'étroitesse du marché local, l'activité économique doit s'orienter en priorité vers l'exportation : il faut donc prendre en compte les coûts de transport.

Je souhaite donc vous interroger, Monsieur le ministre, sur l'arrivée à échéance au printemps 2000 de la loi Perben sur l'insertion, l'emploi et le développement économique dans les DOM et Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce texte permet de réduire les charges sociales patronales pour tous les produits transformés destinés à l'exportation. Pour les entreprises de première transformation à Saint-Pierre-et-Miquelon, sa disparition entraînerait un surcoût salarial de 22 %, quelles ne pourraient supporter.

Il est d'autant plus urgent d'élaborer des dispositifs d'aide à l'emploi dynamiques que la situation sociale reste particulièrement délicate. Ainsi, en Martinique et en Guadeloupe, le taux de chômage dépasse 30 %, les secteurs traditionnels de l'économie connaissent une crise structurelle et les relations sociales se dégradent. Vous avez récemment publié un bilan positif de la loi Perben, démontrant que les secteurs bénéficiaires des exonérations de charges ont accru leurs effectifs de 14 %, soit quatre fois plus que dans les secteurs non exonérés. Lors de la première lecture, vous avez cependant indiqué que le Gouvernement réfléchissait à un nouveau dispositif. Dans les grandes lignes du projet de loi d'orientation, vous proposez ainsi de substituer aux orientations de la loi Perben un « nouveau système d'exonération de cotisations sociales de plus grande ampleur », qui concernerait toutes les entreprises de moins de 11 salariés -qui bénéficieraient d'une exonération totale de cotisations patronales de sécurité sociale pour les salaires inférieurs ou égaux à 1,3 fois le SMIC- et certains secteurs d'activité comme le tourisme ou les entreprises dynamiques à l'exportation.

Il faut maintenir les dispositifs qui ont prouvé leur efficacité : les entreprises d'outre-mer en ont besoin. Je partage l'opinion de mon collègue Henry Jean-Baptiste, député de Mayotte, pour qui « le meilleur moyen d'encourager l'esprit d'entreprise réside dans l'utilisation cohérente des aides, l'amélioration du statut fiscal des entreprises et, enfin, la formation des hommes ».

Parallèlement, l'aide fournie par la métropole appelle de la part de ces territoires une plus grande responsabilité. Il nous faut passer d'une situation d'assistance à une conception plus dynamique et responsable du développement, afin d'encourager la créativité au niveau local. L'opération récente des défis jeunes a montré qu'il y a de nombreux projets à soutenir.

Par ailleurs, vous annoncez une « nouvelle étape dans la décentralisation ». Vous avez eu raison de consulter les élus locaux, les parlementaires, les responsables économiques et sociaux des DOM, et de sonder les opinions publiques locales. En majorité, elles sont favorables aux mesures de décentralisation et de déconcentration annoncées, mais elles ne souhaitent ni la remise en cause, ni le bouleversement du statut départemental. Nous souhaitons aussi un approfondissement des relations entre les territoires de l'outre-mer et les Etats qui les entourent.

Il nous faut une politique de l'outre-mer ambitieuse. Ces territoires, répartis sur l'ensemble des continents, constituent pour la France une chance supplémentaire de rayonnement culturel, politique et économique.

La politique de l'outre-mer doit respecter la diversité de ces pays, qui ont leurs spécificités institutionnelles, géographiques et culturelles. Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Guadeloupe ont finalement peu de choses en commun. L'outre-mer est pluriel, ce qui justifie l'adoption de règles particulières.

Le groupe UDF estime que l'Europe peut jouer un rôle essentiel en faveur de l'outre-mer. Il soutient les orientations prises dans la résolution adoptée par la majorité des pays et territoires d'outre-mer le 28 avril dernier sur l'avenir du régime d'association à la Communauté européenne : il faut prendre en compte les handicaps structurels des économies d'outre-mer ainsi que leurs particularités.

Je souhaite donc que la loi d'orientation sur l'outre-mer, dont la discussion est prévue au premier semestre 2000 nous permette d'ouvrir une réflexion sur l'avenir de l'outre-mer. En attendant, mon groupe votera ces projets de ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Pierre Goldberg - Nous voulons d'abord rappeler notre position de principe au procédé des ordonnances. Quelque justification conjoncturelle qu'on puisse lui trouver, il s'agit bien d'un désaisissement du Parlement au profit de l'exécutif.

D'ailleurs l'examen de ces projets de ratification montre bien la volonté du législateur de ne pas laisser cette procédure des ordonnances se banaliser. Les amendements adoptés par notre assemblée et par le Sénat en témoignent : le Parlement doit intervenir dans les domaines qui relèvent de son champ de compétences.

Ce rappel étant fait, il faut se féliciter au moins de ce que ces 14 ordonnances aient donné lieu à trois projets de ratification, ce qui a permis aux commissions compétentes sur le fond de procéder à un examen approfondi. De plus, s'agissant du droit applicable outre-mer, nous nous réjouissons de la consultation des assemblées des collectivités d'outre-mer : rien, ni la Constitution, ni la loi, ni le décret du 26 avril 1960, ni même la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne la prévoit.

Nous voulons croire que la prochaine loi d'orientation sur l'outre-mer procédera bien du même esprit de dialogue, d'autant que, surmontant tout clivage partisan, les présidents des conseils régionaux de Guadeloupe, de Guyane et de la Martinique ont unanimement adopté, le 1er décembre dernier, une déclaration commune en faveur de la création d'un nouveau statut de région d'outre-mer, dont l'assemblée cumulerait les compétences du conseil régional et du conseil général.

Cette initiative s'inscrit dans le contexte économique et social de ces collectivités, qui n'a cessé de se détériorer. Loin d'enrayer leur déclin, le cadre monodépartemental ne leur pas permis de surmonter leur état de dépendance. Cette déclaration commune, dite de Basse-Terre, est d'autant plus importante que la bidépartementalisation de la Réunion est envisagée, avec l'assentiment du Président de la République.

Les départements d'outre-mer ont en commun le désir de ne plus voir leur conseil régional se superposer à un conseil général unique. Cependant, donner suite à la déclaration de Basse-Terre nécessiterait une révision constitutionnelle pour créer un nouveau statut de région d'outre-mer : en effet, d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel et en application du principe d'assimilation législative posé dans les articles 72 et 73 de la Constitution, il n'est pas possible de se contenter d'une loi.

En attendant l'ouverture de ces grands chantiers, les députés communistes voteront ces projets de ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau - Mon collègue Rochebloine a employé le terme de « dessaisissement » inévitable quand il s'agit d'ordonnances, et M. Goldberg s'est interrogé à ce sujet.

Il n'en demeure pas moins que la procédure des ordonnances est classique. Elle sert souvent à réparer des oublis. Pour nous éviter ces éternelles lois de ratification, que la vigilance du secrétariat général du Gouvernement devrait suffire à faire cesser, il serait bon que le ministre en charge de l'outre-mer dispose d'un correspondant au sein de chaque ministère.

Je note aussi que certains textes sont étendus à l'outre-mer alors même qu'ils ne sont pas encore applicables en métropole, faute de décrets : je pense à la loi sur les polices municipales, très attendue par tous les maires, mais dont les textes d'application ne sont toujours pas publiés en raison de divergences entre la Chancellerie et la place Beauvau.

Je vous charge de remettre ce message à M. Chevènement, dès qu'il se sera remis de la journée d'hier.

S'agissant de l'organisation judiciaire de Mayotte, je le dis en présence de M. Henry Jean-Baptiste, nous devrons lui consacrer une réflexion d'ensemble. Que la justice soit rendue par le cadi pose tout de même certains problèmes.

N'ayant que des appréciations positives à faire sur ces textes, ce qui est triste pour un député de l'opposition, j'évoquerai plutôt votre projet de loi d'orientation, qui nous laisse insatisfait.

Même si de grandes fées se sont penchées sur la Réunion, mon groupe s'oppose à la création d'un second département dans cette île. Nous nous interrogeons sur la nécessité administrative d'une telle réforme, qui aura un coût en termes de fonctionnement. Je sais, toutefois, que l'ensemble de nos collègues réunionnais sont favorables à cette nouvelle organisation.

Par ailleurs, vous prévoyez des assemblées uniques pour certains votes seulement. Pourquoi ne pas aller au bout de votre logique, comme vous invitent à le faire les présidents des conseils régionaux de la Guyane et des Antilles ?

La question du RMI, enfin, est très délicate. Vous annoncez ce que tout le monde attend et on voit bien la portée sociale des mesures envisagées. Cependant, nous connaissons les dégâts que peut faire le RMI sur le développement des économies ultramarines. Même si vous avez imaginé un système intéressant en vue de favoriser le retour à l'emploi, il nous faudra réfléchir davantage au problème (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Léon Bertrand - Vous connaissez l'attachement profond des gaullistes à l'outre-mer.

Le groupe RPR est celui qui compte en son sein le plus grand nombre d'élus de ces départements et territoires, qui manifestent, à chaque consultation électorale, la ferme volonté de renforcer leur ancrage dans la communauté nationale.

Certes, le recours à l'article 38 de la Constitution n'est pas nouveau s'agissant de l'outre-mer. Depuis 1976, près de huit lois d'habilitation ont été votées. Cependant, aucun parlementaire ne peut accepter de délivrer un blanc-seing au Gouvernement.

En Guyane se pose en premier lieu le problème de l'état civil des populations vivant de manière traditionnelle. Beaucoup de cas restent aujourd'hui en suspens. Même si le délai de déclaration de naissance à l'officier d'état civil a été rallongé, le passé reste encore à apurer.

Comment régulariser la situation de tous ceux qui sont toujours sans état civil quand le manque d'effectif du tribunal de Cayenne empêche d'apurer le passé ? Où en est le travail engagé par cette instance judiciaire ? Pour régler ce problème une fois pour toutes, il conviendrait de frapper un grand coup !

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. Léon Bertrand - L'appréciation du groupe RPR demeure critique sur l'utilisation de la technique des ordonnances que l'efficacité ne saurait justifier à elle seule. La précipitation est souvent mauvaise conseillère... Les prérogatives du Parlement doivent être pleinement respectées. Nous serons vigilants.

Si je critique la méthode, c'est aussi parce qu'elle dénote l'absence d'une vision d'ensemble. Comme je l'avais déjà dit à cette même tribune, en décembre 1997, à propos du projet habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives nécessaires à l'actualisation du droit applicable outre-mer : « Il est urgent d'oser ! Il est urgent d'innover ! ».

Je ne conteste pas la nécessité de moderniser et de remettre à niveau un ensemble de textes souvent techniques et disparates. Mais les départements d'outre-mer sont aujourd'hui dans une situation telle qu'il est impératif d'adapter le droit à la réalité et non l'inverse. La méthode des ordonnances, par touches successives, ne saurait tenir lieu ni de politique sérieuse, ni d'ambition réelle pour l'outre-mer français.

Aussi je veux ici vous faire part de mes attentes et de mes craintes vis-à-vis de la nouvelle loi d'orientation qui devrait être présentée en conseil des ministres à la mi-mars.

Vous nous avez remis ces jours-ci un document qui cadre les principes et les orientations de votre projet, et vous nous avez invité à vous faire part de nos observations et propositions d'ici le 15 janvier 2000. J'ai été sensible à votre volonté d'associer les élus à la phase d'élaboration du projet mais je regrette que cette date butoir soit si proche. Il apparaît en effet illusoire de recueillir les avis des institutions et organisations de nos départements et de nos territoires en un délai aussi bref. Comment cerner en trois semaines, où les fêtes seront nombreuses outre-mer, les tenants et les aboutissants d'un document aussi important, dont le but est de promouvoir un pacte de développement pour une économie viable dans un cadre institutionnel stable et garanti. La concertation mérite d'être mieux organisée.

Je n'entrerai pas dans le détail des propositions notamment du projet de diviser la Réunion en deux départements, ainsi que l'a souhaité le Président de la République. Mais à ce propos, je me réjouirais fort d'un découpage similaire de la Guyane.

Puisque vous parlez d'un projet d'envergure, il ne faut pas rater cette occasion de tracer pour l'outre-mer qui confère à la France une dimension planétaire, de réelles perspectives d'avenir et de développement.

L'enjeu dépasse de loin une simple adaptation des institutions et des structures administratives. Il nous revient d'achever l'égalité sociale, de restaurer un climat de confiance qui donne à chacun des raisons d'espérer. Il s'agit de dire enfin haut et fort ce que la France attend de son outre-mer et se donner les moyens d'agir en toute sérénité.

Sortons, une fois pour toutes, des incertitudes et des ambiguïtés statutaires. Comment définir une politique cohérente et véritablement ambitieuse si le cadre dans lequel évolue l'outre-mer est sans cesse bouleversé ? Il n'y a pas de confiance sans stabilité. A cet égard, le texte que vous nous avez remis présente déjà un certain nombre de défauts.

En premier lieu, la pérennité du dispositif de défiscalisation n'est pas évoquée de manière précise. La loi Pons est prorogée jusqu'en 2002. Qu'adviendra-t-il après ?

Il n'y a pas de spécificité de l'outre-mer en général, je me réjouis que vous en ayez pris note. Mais il faut aller encore plus loin et abandonner une fois pour toutes cette absurde idée de tout globaliser : il y a une spécificité par département, une spécificité par territoire, une spécificité par collectivité. Aussi je vous redis très clairement notre attachement très fort à la loi sur les investissements défiscalisés. Ne la remettez pas sans cesse en cause, cette bonne loi ! La mission parlementaire qui s'était rendue en Martinique, Guadeloupe et Guyane il y a près de deux ans, a pu vérifier l'impact économique et social réel et incontestable de la loi Pons qui demeure un levier de développement économique essentiel.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. Léon Bertrand - Autre défaut : votre texte n'indique pas véritablement comment seront financées les réformes proposées.

Beaucoup de doutes et de craintes persistent. Je souhaite que votre loi d'orientation nous permette enfin d'obtenir une réponse claire à une question simple : que veut la France pour son outre-mer ?

Ayez davantage d'audace ! Misez sur le formidable potentiel de dynamisme que recèle l'outre-mer ! Confortez la fierté des habitants de l'outre-mer d'être des Français à part entière ! Voilà quelques principes qui doivent nous guider ; voilà aussi quelques raisons d'espérer.

Un mot, enfin, sur l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie, que les ordonnances prennent logiquement en compte puisque la Nouvelle-Calédonie bénéficie désormais d'un statut propre. Mais il faut que le discours de l'Etat, donc du Gouvernement, soit clair et ferme. Il convient de respecter la lettre et l'esprit des accords de Nouméa car la confiance restaurée se fonde sur le respect scrupuleux des engagements et de la parole donnée. Cette fermeté et cette continuité du discours de la France doit d'ailleurs être constante dans l'ensemble de l'outre-mer. On ne gagne rien à donner sans cesse des gages à ceux qui ne sont pas républicains et qui restent chez nous très largement minoritaires. Ne donnons pas trop d'importance à l'agitation de ces gens-là, inversement proportionnelle à leur représentativité et qui nuit beaucoup à l'image de l'outre-mer. Croyez plutôt, Monsieur le ministre, toutes celles et tous ceux qui forment l'écrasante majorité et qui, par ma voix, vous expriment leur confiance, leur amour et leur attachement à la France (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Henry Jean-Baptiste - Ces trois projets de lois de ratification des ordonnances, publiées et entrées en vigueur depuis plus d'un an, n'appellent pas, de ma part, de longs commentaires si ce n'est pour répondre à des objections traditionnelles autant que légitimes, sur le dessaisissement temporaire, Monsieur Goldberg, des prérogatives parlementaires par la mise en _uvre de cette procédure constitutionnelle. Il faut parfois savoir choisir entre des inconvénients.

Et pour Mayotte, dont le régime juridique révèle, encore aujourd'hui, de multiples et graves lacunes qui concernent le droit des personnes -très précisément l'état civil et la nationalité- mais aussi l'organisation des tribunaux ou des services des douanes ou de police, ou encore le droit commercial, le recours aux ordonnances de l'article 38 apparaît comme un facteur essentiel de rattrapage et de progrès de notre collectivité territoriale.

Ainsi, une trentaine d'ordonnances ont pu, au cours des récentes années, actualiser, moderniser ou compléter le droit applicable à Mayotte dans un souci d'adaptation à nos spécificités et avec la participation des parlementaires et des élus locaux mahorais. Je tiens à vous en donner acte, Monsieur le ministre, comme à vos prédécesseurs.

Dans cette longue entreprise de mise à niveau juridique de Mayotte par le recours aux ordonnances, l'on peut, à coup sûr, affirmer que « nécessité fait loi ».

Je n'en suis que plus libre pour vous faire part, Monsieur le ministre, de quelques suggestions destinées à améliorer encore l'adaptation de ces ordonnances à la situation économique et sociale de Mayotte et à faciliter la vie des familles mahoraises.

La première porte sur l'ordonnance qui accorde la possibilité d'une déclaration simplifiée de nationalité à des personnes, ayant leur résidence habituelle à Mayotte et qui y sont nées, d'un parent originaire d'un ancien territoire français d'outre-mer, Comores ou Madagascar. Il est demandé aux intéressés, outre la condition de résidence discontinue à Mayotte -de faire la preuve qu'ils présentent une possession d'état de français, sous la forme d'une inscription sur les listes électorales, depuis au moins 10 ans. Ces personnes peuvent désormais souscrire une déclaration acquisitive de la nationalité française, c'est justice. Il s'agit, en effet, le plus souvent, de familles qui ont perdu la nationalité française faute d'avoir souscrit, à la suite de l'indépendance des Comores, souvent par manque d'information, la déclaration de reconnaissance de la nationalité française, prévue par les lois des 3 juillet et 31 décembre 1975.

C'est donc pour régulariser cette situation, que l'ordonnance du 20 août 1998 a créé cette procédure quelque peu dérogatoire mais limitée dans le temps. Son application donne déjà, grâce au travail minutieux des magistrats et des services, des résultats satisfaisants : une centaine de cas ont été ainsi réglés.

Mais pour le conseil général de Mayotte, ce premier progrès en appelle d'autres : les élus mahorais vous ont fait parvenir une délibération visant à obtenir l'extension de l'ordonnance aux personnes nées hors de Mayotte, aux Comores notamment, mais de parents mahorais. La Chancellerie n'y est pas favorable à cause des risques évidents de fraudes liées à la forte émigration étrangère et clandestine à Mayotte. Mais il nous est recommandé de poursuivre le long et patient travail de modernisation et de clarification de l'état civil mahorais.

A ce propos, je rappelle qu'une autre loi d'habilitation, celle du 25 octobre 1999, a prévu trois projets d'ordonnances visant à doter -enfin !- Mayotte d'un état civil précis et fiable. Il s'agit d'organiser les services communaux d'état civil dans chacune des mairies, mais surtout de moderniser les règles de déclaration dans les mairies ou les modalités d'établissement et de transmission des noms.

Ce travail a commencé sur le terrain. Il doit se poursuivre sur des bases bien établies, c'est pourquoi j'insiste pour que ces ordonnances soient rapidement publiées et ratifiées.

Je souhaite aussi vous interroger sur le sort de l'ordonnance, depuis longtemps rédigée, annoncée et promise aux instituteurs mahorais, relative à la création à Mayotte d'un institut de formation des maîtres et à l'unification du statut du personnel enseignant. J'avais cru comprendre que cet important projet serait intégré dans cette vague d'ordonnances ; il n'en est rien et nous sommes nombreux à le regretter.

Certaines de ces ordonnances, qui sont d'une grande diversité, ont été récemment ratifiées par la loi du 9 décembre 1999 : elles concernent l'action foncière, l'activité des offices d'intervention, l'aide au logement, l'urbanisme commercial.

Quant à celles qui nous sont soumises aujourd'hui, on appréciera leur présentation « fonctionnelle » par grands objectifs : renforcement de l'expression de la citoyenneté à Mayotte, soit tout ce qui a trait à la nationalité, à la modernisation de l'état civil ou au droit électoral, et je remercie M. Rochebloine de nous avoir aidés à obtenir l'alignement des dates des cantonales sur celles de métropole ; développement économique et social, grâce à la réforme du droit commercial, au contrôle des transports vers l'étranger ainsi qu'à celui de la circulation automobile, devenue plus dangereuse qu'en métropole ; fonctionnement des services publics, enfin, et en particulier de la justice et de la police judiciaire.

Tous ces textes ont été examinés par les élus mahorais et répondent, pour l'essentiel, à leurs demandes. Je fais mienne, cependant, la suggestion émise par le sénateur Hyest, qui a fait un remarquable travail d'amendement : il faudra songer en effet à codifier l'ensemble, quelque peu foisonnant, de cette législation nouvelle, afin d'offrir aux praticiens, aux fonctionnaires, aux étudiants et aux chercheurs des instruments fiables de connaissance et d'analyse du droit applicable à Mayotte, de ses aspirations statutaires et de sa constante volonté d'affermissement dans les lois de la République. C'est dans cet esprit que je voterai les projets de loi de ratification des ordonnances prises en application de la loi d'habilitation du 6 mars 1998 (Applaudissements).

M. le Secrétaire d'Etat - Je remercie les rapporteurs et les orateurs de l'appréciation positive qu'ils portent sur le dispositif, et voudrais apporter quelques précisions.

Sur le plan de la procédure, M. Jean-Baptiste a souligné que le dessaisissement du Parlement n'était que temporaire. Il aura été, en outre, très encadré, puisque le Parlement aura pu débattre non seulement du projet de loi d'habilitation, à l'occasion duquel certains points ont d'ailleurs pu être précisés, mais encore du présent projet de loi de ratification, ce qui n'a pas toujours été la pratique institutionnelle passée. Et s'il est vrai qu'il y a des oublis et des retards à rattraper, nous prenons, comme l'a malicieusement observé M. Bussereau, de l'avance sur la métropole dans d'autres domaines, tel le régime de la police municipale en Polynésie... Sur le fond, il me paraît prématuré d'ouvrir maintenant la discussion qui aura lieu sur le projet de loi d'orientation, d'autant que la phase statutaire de consultation s'ouvre le 15 janvier.

La loi Perben sera prorogée d'un an, Monsieur Rochebloine, pourvu que soit adoptée la loi de finances pour 2000. Nous verrons ensuite comment améliorer certaines de ses dispositions au vu de l'expérience.

S'agissant de l'état civil en Guyane, sur 2013 requêtes présentées par des ressortissants français dépourvus d'actes de naissance, un peu plus de 800 ont été examinées et les autres devraient l'être dans le courant de l'an 2000, la Chancellerie ayant dépêché un fonctionnaire pour assister les magistrats du tribunal de grande instance de Cayenne. A Mayotte, la réforme de l'état civil qui sera entreprise l'an prochain permettra de reconstituer les actes détériorés ou perdus. Les trois ordonnances nécessaires devraient être publiées d'ici trois mois, et nous aviserons s'il apparaît que des cas individuels ne sont pas couverts.

Enfin, une mission conjointe du ministère de l'Education nationale et de mon secrétariat d'Etat se rendra à Mayotte pour dresser l'état des lieux, définir une politique éducative et les moyens nécessaires à sa mise en _uvre, y compris dans le domaine de la formation et du statut des maîtres.

M. le Président - Conformément à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle, dans le texte du Sénat, les articles du projet n° 1967 sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Les articles premier bis, 3 bis, 6, 7 et 8, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Conformément à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle, dans le texte du Sénat, les articles du projet n° 1969 sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Les articles premier bis et 5 à 11, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Conformément à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle, dans le texte du Sénat, les articles du projet n° 1968 sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Les articles premier bis, 2, 2 bis à 2 quater, 3 bis à 3 duodecies, 4 bis, 4 ter, 5 bis à 5 quater, 7 et 8, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 40.

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      LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La lutte contre la délinquance économique et financière est un des axes principaux de l'action du Gouvernement. Ce projet de loi s'inscrit dans cette perspective. Je salue votre rapporteur, M. Darne, qui partage cet objectif et soutient ce texte dans son excellent rapport.

La lutte contre la corruption, ce fléau qui ruine la confiance des citoyens dans la chose publique, altère la qualité du pacte social et met en péril l'Etat qui en est le garant, suppose une action déterminée. La corruption a des effets économiques désastreux. Elle freine le développement, fausse la concurrence, augmente le coût des investissements publics à proportion des commissions occultes versées pour obtenir tel ou tel marché. Elle est une des formes d'action de la criminalité organisée, comme cela se vérifie dans de nombreux pays. Ce problème revêt ainsi une dimension mondiale et la sauvegarde de l'impartialité dans l'exercice des fonctions publiques est une absolue nécessité.

Compte tenu de l'imbrication croissante des économies, la lutte contre la corruption ne peut être menée efficacement dans un cadre strictement national. Corrupteurs et corrompus savent exploiter les failles de la législation. Souvent, les actes de corruption échappent à la répression en raison des lenteurs de l'entraide judiciaire. Il convient notamment de veiller au respect systématique des principes fondamentaux d'égalité et de transparence de la concurrence entre entreprises dans le domaine du commerce international. En définitive, seule la mise en _uvre simultanée d'engagements similaires dans l'ensemble des pays concernés permettra de lutter efficacement contre la corruption. La France a soutenu et fait prévaloir ce point de vue dans les différentes instances internationales où le problème a été abordé : Union européenne, OCDE, Conseil de l'Europe et ONU. L'originalité de ce projet de loi tient donc à ce qu'il concerne aussi, dans une certaine mesure, la vie publique des pays étrangers.

Les conventions visées par ce projet de loi complètent les législations nationales qui ne prévoient pas l'incrimination des comportements visant à corrompre les agents publics d'autres Etats. Elles n'exigent toutefois pas la modification des principes juridiques fondamentaux des Etats parties.

Les conventions adoptées dans le cadre de l'Union européenne traitent de la corruption à la fois active et passive, alors que celles adoptées dans le cadre de l'OCDE se limitent à la première.

Ce projet de loi a pour objet de permettre à nos juridictions de juger les corrupteurs de fonctionnaires étrangers. En l'état actuel de notre droit, ces agissements ne sont pas punissables. Devant cette carence, qui se retrouve dans la plupart des législations étrangères, la communauté internationale a adopté des conventions dans divers cadres visant toutes à incriminer et à sanctionner « de manière effective, proportionnée et dissuasive » les actes de corruption commis à l'encontre d'agents publics étrangers.

Les traités signés dans le cadre de l'Union européenne ont fait l'objet des lois de ratification du 27 mai 1999. Ils s'inscrivent dans le droit fil des dispositions visant à mieux préserver les intérêts financiers des Communautés européennes. En effet, les fraudes aux recettes et aux dépenses entravent leur action, causent un préjudice à chacun des Etats membres, mais aussi à chaque citoyen de l'Union. Une convention et divers protocoles ont donc été adoptés tendant à renforcer la lutte contre ces fraudes. La France dispose d'un arsenal législatif suffisant pour en assurer une ferme répression : aucune adaptation de notre droit interne n'est donc nécessaire sur ce point. Les fraudes peuvent toutefois reposer sur des faits de corruption impliquant soit des fonctionnaires communautaires, soit des fonctionnaires nationaux d'autres Etats membres. Un premier protocole prévoit la répression des faits de corruption portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés ; un second vise, lui, tous les faits de corruption, qu'ils aient ou non porté atteinte à ces intérêts.

Les traités européens visant également la corruption passive, il convient que les tribunaux français puissent juger à la fois les corrupteurs et les corrompus.

Ces traités contiennent diverses mesures destinées à renforcer la coopération judiciaire entre pays de l'Union qui ne requièrent pas d'adaptation de notre droit interne et ne sont donc pas directement concernées par le présent projet de loi. Mais il va de soi que la France remplira chaque fois que nécessaire et avec la plus grande détermination les engagements qu'elle a souscrits en ce domaine.

J'en viens à la convention signée dans le cadre de l'OCDE et ratifiée elle aussi le 27 mai 1999.

Cette convention oblige à incriminer les faits de corruption active commis en vue d'obtenir un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international. Il en résulte que les juridictions françaises, à condition qu'elles soient compétentes selon le droit commun, doivent pouvoir juger les corrupteurs d'agents publics étrangers, quels que soient l'Etat ou l'organisation internationale dont ils relèvent. Elle n'exige pas en revanche que nos juridictions puissent juger les agents publics corrompus.

La convention de l'OCDE a une vocation universelle, visant la corruption commise à l'encontre des agents publics de l'ensemble des Etats du monde. C'est à ces derniers qu'incombe en premier lieu la lutte contre la corruption de leurs propres agents.

L'obligation d'incriminer la corruption passive d'un agent public étranger n'était envisageable que dans le cadre de l'Union européenne, espace homogène sur les plans politique et juridique. Elle aurait été irréaliste dans le cadre d'une convention à vocation universelle : elle aurait permis de s'immiscer indûment dans les affaires intérieures d'Etats étrangers.

Autre différence avec les traités signés dans le cadre de l'Union européenne : son champ d'application est plus limité. Les faits doivent avoir été commis « en vue d'obtenir un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international ». Cette restriction résulte en quelque sorte des compétences mêmes de l'OCDE.

Cette convention comporte d'autres mesures, concernant notamment l'incrimination du blanchiment des capitaux liés à des opérations de corruption ou à la définition de normes comptables permettant de trouver trace de ces opérations. Sur ces points, la législation française satisfait d'ores et déjà aux exigences du traité.

Quant aux dispositions concernant l'entraide et l'extradition, la France s'engage à les respecter et à en favoriser l'application. Toutefois aucune modification du droit interne n'est nécessaire à ce sujet.

Par le présent projet de loi d'adaptation, la France entend compléter son droit interne pour remplir l'ensemble des engagements contractés dans ces différents traités.

Le Gouvernement a décidé de s'en tenir strictement à leurs exigences, sans rien y ajouter ni rien y enlever.

Pour ce qui concerne le droit pénal de fond, nous avons jugé préférable de rassembler les dispositions dans un nouveau chapitre au sein du livre IV du code pénal. Dans un but pédagogique, les articles nouveaux font systématiquement référence aux traités auxquels ils se rapportent.

Les articles pris en application des conventions signées dans le cadre de l'Union européenne incriminent la corruption active et la corruption passive alors que ceux pris en application de celle signée dans le cadre de l'OCDE n'incriminent que la corruption active commise dans le commerce international.

La définition des agissements tombant sous le coup de ces articles nouveaux reprend celle des articles actuels relatifs à la corruption active et passive d'un fonctionnaire national. Seule la qualité de la personne corrompue change.

Pour les seules incriminations créées pour l'application de la convention de l'OCDE, le régime des poursuites fait l'objet d'une disposition spéciale. Si la totalité des faits a lieu à l'étranger, seul le ministère public peut engager les poursuites si ces faits lui ont été dénoncés dans les conditions légales. Il est par ailleurs libre de le faire ou de ne pas le faire. En revanche, si une partie ou la totalité des faits a lieu sur le territoire national, une partie civile peut déclencher l'action publique en déposant une plainte auprès du juge d'instruction. Nous avons décidé d'exclure cette possibilité. Une disposition spéciale réserve donc au ministère public, et à lui seul, la possibilité de poursuivre ces faits.

Elle a pour but de garantir que les conditions de poursuite seront les mêmes dans tous les pays. Or des pays membres de l'OCDE récusent le droit à une partie civile de déclencher l'action publique. Afin que la France se trouve dans une situation comparable, sur ce point, à ces pays, il a été nécessaire de limiter la possibilité, pour un plaignant, de déclencher les poursuites.

Dans le projet du Gouvernement, l'ensemble des nouvelles incriminations étaient punies des peines prévues pour les faits de corruption des fonctionnaires nationaux, à savoir dix ans d'emprisonnement et un million de francs d'amende. De même, le projet de loi calquait sur les dispositions existantes pour les faits de corruption de fonctionnaires nationaux les peines applicables aux personnes morales déclarées coupables de corruption active d'agent public étranger.

Le Sénat a adopté deux amendements. Le premier a pour objet de réduire la peine prévue à l'encontre des personnes physiques à cinq ans au lieu de dix, et le second, de limiter les peines encourues par les personnes morales à l'amende, à la confiscation, l'affichage de la décision et à leur placement sous surveillance judiciaire.

Votre commission des lois souhaite rétablir le texte dans sa version initiale, ce dont je me félicite.

Il ne saurait en effet y avoir de répression de la corruption à géométrie variable, selon l'Etat au sein duquel le corrompu exerce ses fonctions, sauf à estimer -nul ne peut le soutenir ici-, que la corruption internationale a des effets pervers moindre que la corruption nationale.

En outre, pourquoi faire une différence entre la corruption internationale dans l'Union et dans le commerce international ?

Ces amendements du Sénat méconnaissent, par ailleurs, les obligations de répressions auxquelles la France est tenue en application de l'article 3 de la convention OCDE qui prescrit que les sanctions prévues par les droits nationaux « doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives » et que leur éventail « doit être comparable à celui des sanctions applicables à la corruption des agents publics de la partie en question ».

Nous avons jugé utile de rappeler que les nouveaux articles pris pour adapter notre droit aux divers traités ne sauraient avoir de portée rétroactive. Tel est l'objet de l'article 2 du projet.

Les dispositions relatives à la procédure pénale sont de deux ordres : l'une est liée à l'application des traités, l'autre constitue une mesure de bonne administration de la justice.

La disposition prise pour l'application des traités concerne la compétence des juridictions françaises. En effet, le premier protocole et la convention relative à la lutte contre la corruption prévoient de manière spécifique dans plusieurs hypothèses l'établissement de la compétence territoriale des juridictions françaises en cas de commission de faits de corruption ou de fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés. Le principal effet pratique de ces dispositions est de supprimer dans les cas où elle aurait pu être exigée sur le fondement de l'article 113-6 du code pénal toute condition de réciprocité d'incrimination. Elles n'auront de portée réelle que lorsque les faits auront eu lieu en dehors du territoire de l'Union ; au sein de l'Union, la condition de réciprocité étant systématiquement remplie. En tout état de cause, la France déclarera, conformément à ce que permettent les traités, qu'elle n'appliquera ces règles de compétence que dans certaines conditions procédurales.

Pour ce qui concerne la disposition relative à la bonne administration de la justice, elle tend à donner compétence aux tribunaux spécialisés en matière économique et financière pour poursuivre, instruire et juger les infractions aux nouvelles dispositions pénales que je viens de présenter. Il s'agira dans la plupart des cas d'affaires complexes qui doivent pouvoir être confiées à des juridictions habituées au traitement de procédures économiques et financières. Les dispositions introduites par le Sénat tendaient à conférer une compétence nationale à la juridiction parisienne pour connaître des faits de corruption commis dans le cadre du commerce international. Je me suis opposée à l'adoption de cet amendement par souci de cohérence avec la politique menée en matière de lutte contre la délinquance financière par le Gouvernement. Comme vous le savez, celle-ci tend à professionnaliser et à renforcer les juridictions spécialisées, notamment par la mise en place de pôles économiques et financiers à Paris, à Lyon, à Marseille, à Bastia. D'autres sont en cours de constitution à Versailles, à Bordeaux et à Fort-de-France. Il me semble donc inopportun de désaisir les juridictions spécialisées de province de tels contentieux alors que la juridiction parisienne se trouvera de toute façon saisie de la plupart des dossiers, en raison de la localisation du siège social des entreprises concernées. Mon objectif étant de mettre en place dix à douze pôles financiers pour lutter contre la délinquance économique sur tout le territoire, je ne souhaite pas que l'on recentralise ces compétences.

J'ai également le souci d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans les différentes enceintes de négociation et qui consistent à se doter de moyens nouveaux contre la délinquance économique et financière, laquelle porte atteinte à la fois à nos économies et à la crédibilité de l'Etat.

Pour conclure, ce projet de loi manifeste la volonté de la France de prendre une fois encore toute sa place dans la lutte contre la corruption. Nous l'avons concrétisée par la ratification récente des traités négociés dans le cadre de l'Union européenne puis sous l'égide de l'OCDE et nous poursuivrons activement dans cette voie, non seulement en les transposant dans notre droit interne mais aussi -et cela n'avait pas été fait jusqu'ici- en mettant en place des moyens concrets de lutte contre la corruption par la voie des pôles économiques et financiers que nous avons créés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jacky Darne, rapporteur de la commission des lois - L'entrée « corruption » dans l'Encyclopedia Universalis renvoie à plus de cinq cents articles dont la liste est édifiante : on y voit défiler un grand nombre de pays de tous les continents et plusieurs noms qui appartiennent à l'histoire ancienne ou récente. La corruption ne peut donc être considérée comme un problème marginal. Elle est à l'origine de dysfonctionnements graves de la démocratie. Elle explique les coups d'Etat, les révoltes et la perte de confiance dans les institutions. Ni la corruption, ni son incrimination ne datent cependant d'aujourd'hui. Le code pénal de 1810 la punissait déjà. Y revenons-nous par un effet de la mode ou par un retour à l'ordre moral ? Deux raisons principales justifient en fait le regard neuf qui est porté sur la corruption : la première tient à l'indépendance accrue de la justice par rapport au pouvoir politique, la deuxième à la révolution économique que nous vivons en ce moment. Les entreprises mondiales sont de plus en plus importantes et interviennent sur des marchés très étendus ; les sommes en jeu sont donc considérables et la corruption devient un moyen de gestion dans des secteurs tels que l'armement, les transports ou les marchés d'infrastructures, plus encore aujourd'hui qu'hier. Le directeur sortant du FMI a par exemple déclaré que la corruption était l'un des facteurs qui expliqueraient la crise asiatique.

Face à ces évolutions, des demandes de régulation émanent de toutes parts : des entreprises, des responsables politiques, de l'opinion publique elle-même. Cette prise de conscience donne au problème une dimension mondiale et nombre d'organisations internationales s'en préoccupent.

Ce projet tend à modifier notre droit, pour le rendre conforme aux accords européens et à la convention de l'OCDE du 17 décembre 1997.

Même si nos marges de man_uvre législatives restent limitées, rien ne nous interdit de porter une appréciation sur ces accords. Si les accords européens appellent de ma part peu de commentaires, il n'en va pas de même de la convention de l'OCDE où je relève cinq difficultés principales.

La première tient au nombre de signataires : 29 Etats + 5 -riches pour la plupart. Or les fonctionnaires corrompus sont dans tous les pays. L'intégration de ce point dans les négociations de l'OMC donnerait à cette lutte une dimension plus pertinente.

La deuxième tient à la portée de la convention qui vise exclusivement la corruption active.

La troisième est liée au fait que la convention ne vise que les faits de corruption commis dans le cadre du commerce international alors que les accords européens ont une visée plus générale et peuvent notamment s'attacher à la lutte contre le détournement des aides au développement.

La quatrième difficulté est plus subjective puisqu'il s'agit de juger de la volonté effective des signataires de combattre la corruption alors que les marchés qu'obtiennent les entreprises sont sources de revenus, d'emplois, de relations politiques et militaires. Cela conduit notamment à s'interroger sur ce que veulent vraiment les Etats-Unis. En effet, s'ils ont été les premiers, en 1977, à adopter une législation contre la corruption -ce qui les a incités à réclamer l'équivalent pour les autres pays- sa mise en _uvre est restée extrêmement modeste. Dans le domaine de la lutte contre la corruption, les pays européens sont désormais en avance sur les Etats-Unis, qui doivent donc rattraper leur retard, sauf à démontrer que leurs actes et leurs discours ne sont pas en adéquation et à porter un coup très dur à un texte que les autres Etats ne respecteraient plus, arguant des conditions de la concurrence.

La cinquième difficulté tient à la possibilité de contourner ces textes. Les sociétés écrans comme les intermédiaires peuvent être multipliés. Certaines entreprises peuvent se donner une apparence de rigueur et exporter les comportements répréhensibles. Il faudrait aller plus loin dans la coopération judiciaire, pour interdire notamment la domiciliation dans un « paradis », où règnent le secret bancaire et le principe de non-coopération judiciaire.

Malgré ces difficultés, cette convention constitue une étape significative. Que les Etats dénoncent et sanctionnent la corruption, ce n'est pas rien dans la prise de conscience mondiale du problème.

J'en viens à quelques dispositions du texte sur lesquelles je reviendrai en présentant les amendements de la commission. Je précise tout d'abord qu'il est expressément fait référence dans le projet de loi au texte même des conventions. Cette référence n'a pas seulement valeur pédagogique : elle permettra de lever certaines ambiguïtés, sur la définition du fonctionnaire par exemple.

Par ailleurs, sous certaines conditions, des facilitations restent autorisées, ce qui devrait rassurer les entreprises.

Les peines prévues dans le projet initial étaient identiques à celles encourues pour corruption de fonctionnaire à l'intérieur de nos frontières : dix ans d'emprisonnement et un million de francs d'amende. Le Sénat a réduit la peine de prison à cinq ans.

La convention de l'OCDE, pourtant, impose que la corruption de fonctionnaires étrangers soit passible de peines comparables à la corruption de fonctionnaires nationaux. Comment soutenir, sans être taxé de mépris à l'égard des étrangers, que la corruption à l'extérieur est moins grave que la corruption d'un fonctionnaire français ?

Les sanctions pénales prévues à l'encontre des personnes morales ont aussi été allégées par le Sénat, qui les estime trop lourdes, considérant que certains pays ne connaissent pas la responsabilité des personnes morales et que d'autres les sanctionnent moins. C'est exact, mais une fois de plus il n'est pas possible de prévoir des sanctions différentes que celles qui répriment la corruption en France. Par ailleurs, la convention recommande aux pays qui ne connaissent pas cette responsabilité des personnes morales de l'introduire dans leur droit. Enfin, il faut constater que la mise en jeu de la responsabilité des personnes morales est faite par les tribunaux français avec beaucoup de prudence et de modération.

La question de la date d'application de la convention est plus complexe. La plupart des pays qui ont déjà transposé dans leur législation la convention OCDE n'ont rien précisé sur ce point, laissant s'appliquer les règles générales de leur droit. En France, il est nécessaire de prévoir dans la loi comment régler le problème des contrats signés avant l'entrée en vigueur du texte. Si tel n'était pas le cas, les « pots de vin » versés après l'entrée en vigueur de la loi seraient répréhensibles, même s'ils se rapportent à des contrats signés auparavant. Le délit de corruption est en effet un délit successif, commis à l'occasion de chacun des versements. A l'inverse, la formulation retenue par le Sénat me fait craindre que la loi soit souvent contournée. On pourrait facilement, en antidatant les contrats ou en signant des avenants, perpétuer des pratiques devenues illégales. Ce serait adresser un mauvais signal aux entreprises.

La question de la prescription, qui est revenue fréquemment au cours des auditions et dans les articles parus, me paraît essentielle.

Notre délai de prescription pour les délits, qui est de trois ans, est trop bref et met souvent en échec les poursuites. Tel est l'avis du service central de prévention de la corruption.

Par conséquent, les poursuites ne sont possibles qu'avec une autre qualification des faits, celle d'abus de biens sociaux, pour laquelle la prescription ne court qu'à partir du moment où les faits sont dévoilés.

Deux solutions possibles : appliquer à la corruption la règles utilisée en cas d'abus de biens sociaux ou allonger le délai de prescription, en le portant par exemple à six ans.

M. Michel Hunault - Quelle est votre préférence ?

M. le Rapporteur - Je n'ai retenu aucune de ces hypothèses.

M. Michel Hunault - Prenez vos responsabilités !

M. le Rapporteur - La corruption ne se prescrivant qu'à partir du dernier versement, et non à partir de la signature du contrat, le délai de poursuite me paraît suffisamment long. En outre, il n'est pas de bonne méthode de modifier les règles de prescription pour un seul délit. Il est en revanche indispensable de revoir cette question de manière globale.

Il faut, enfin, choisir la juridiction compétente. Le Sénat considère que les magistrats de Paris sont les plus capables de traiter ces dossiers. La jurisprudence serait plus rapidement cohérente. Mais nombreux sont ceux qui, au contraire, affirment qu'à Paris la qualité n'est pas meilleure qu'en province, où ont été créés des pôles économiques et financiers. L'instruction des affaires de corruption n'est ni plus facile, ni plus difficile qu'un certain nombre d'autres délits financiers. Il est en conséquence souhaitable de revenir à la version initiale du projet, qui accordait compétence concurrente aux tribunaux de grande instance spécialisés en matière économique et financière (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

Madame la Garde des Sceaux vous êtes engagée, nous sommes engagés ensemble, dans un beau combat, celui de la lutte contre la criminalité financière. Marquer des points dans ce combat est une nécessité, pour créer les conditions d'une saine concurrence mais aussi pour éviter que soit minée la vie démocratique. J'espère que politiques, dirigeants d'entreprises et juristes auront la même volonté, la même détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Patrick Braouezec - En ratifiant les conventions de l'OCDE et de l'Union européenne, la France s'obligeait à se donner les moyens législatifs de respecter ses engagements en matière de répression des crimes de corruption.

Nous devons aujourd'hui transposer ces conventions dans notre droit interne.

En effet, notre droit pénal actuel n'incrimine que les infractions de corruption de personnes dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou investies d'un mandat électif. Rien n'est prévu en cas de corruption d'agents publics étrangers. En outre, le principe de la territorialité de la loi pénale fait obstacle à la poursuite en France des délits perpétrés à l'étranger, sauf application de la double incrimination.

Les dégâts causés par la corruption sont considérables. Manquer de rigueur serait donc désastreux.

Selon le FMI, le coût des actes de corruption -qu'il s'agisse des sommes détournées ou des effets des distorsions de concurrence- s'élèverait à 500 milliards de dollars par an, soit 2 % du PIB mondial ou deux fois le budget de la France.

S'il est vrai que la corruption est un phénomène ancien, nous ne pouvons nous habituer à vivre avec, d'autant que l'explosion des moyens de communication a donné aux corrupteurs comme aux corrompus la possibilité de procéder à des transactions sans commune mesure avec le passé.

Chaque pays a donc tenté de se protéger contre ces dérives, en tolérant de moins en moins les comportements illicites à l'intérieur de son territoire et en rendant passibles des tribunaux ceux de ses agents publics coupables de corruption passive et, par voie de conséquence, les corrupteurs.

Cette attitude n'était pas satisfaisante, car elle ne faisait que favoriser la corruption à l'étranger. Ce sont pourtant les bases mêmes de la démocratie qui sont atteintes. La criminalité organisée occupe une place grandissante en Europe et dans le monde. Or nous ne pouvons tolérer que l'argent issu des trafics illicites, de la corruption ou de la fraude circule impunément et alimente l'économie légale.

Une certaine opacité, mais aussi un système libéral qui autorise tous les flux financiers ont facilité cette dérive.

A l'échelle internationale, des décisions ont été prises pour moraliser la situation, mais des mesures plus radicales restent nécessaires. Transparence et efficacité ont, dans ce domaine aussi, partie liée.

Permettre à la France de sanctionner des pratiques jugées répréhensibles, voire criminelles, y compris lorsqu'elles sont perpétrées hors du territoire national, contribuera à redonner à l'opinion publique, à la jeunesse, une plus grande confiance dans la démocratie et la vie politique.

La multiplication des affaires, l'implication toujours plus grande de l'argent dans la politique suscitent légitimement la méfiance. Le soupçon se généralise.

Ce projet contribuera à convaincre nos citoyens de la détermination du Gouvernement à combattre la corruption.

La France et l'Europe doivent aller plus loin en faisant une réalité de l'espace judiciaire européen.

En déposant ce projet, le Gouvernement confirme qu'il entend donner la priorité à la lutte contre la délinquance économique et financière. Un tel objectif pourrait-il ne pas recueillir l'approbation générale ?

Nous ne devons faire preuve d'aucune complaisance. Le groupe communiste ne peut accepter les modifications apportées au texte par la majorité sénatoriale, qui a réduit de moitié la peine encourue pour corruption d'agent public étranger. Il faut revenir au texte initial.

En limitant la liste des peines applicables aux personnes morales à l'amende, à la confiscation, à l'affichage de la décision et au placement sous surveillance judiciaire, la majorité sénatoriale crée un déséquilibre avec les peines prévues par notre droit interne en cas de corruption d'un fonctionnaire national par une personne morale : celle-ci risque en effet l'interdiction temporaire ou permanente de participer à des marchés publics ou d'exercer une activité commerciale.

Le sénateur Robert Bret n'a pu contenir son indignation après avoir entendu dire en commission que « la France serait perdante si elle sanctionnait trop sévèrement ces pratiques de corruption car elle serait alors défavorisée par rapport à ses concurrents ».

M. Michel Hunault - C'est la réalité.

M. Patrick Braouezec - Le contenu des conventions a répondu à nos attentes.

Votre projet, Madame la Garde des Sceaux, ne fait aucune différence de traitement entre les délits de corruption sur un fonctionnaire français ou sur un agent public étranger.

Il faut, en effet, se donner les moyens de sanctionner toute tentative de corruption. C'est pourquoi le groupe communiste votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - La corruption internationale est aujourd'hui un véritable fléau, moral, d'abord, car elle altère la démocratie, économique, ensuite, car elle empêche le développement des pays émergeants en détournant l'argent vers des secteurs non productifs, vers des projets qui ne sont pas de réelles priorités nationales. Elle fausse la concurrence, elle augmente le coût des investissements publics. Elle est, enfin, une force d'action de la criminalité organisée.

Pour lutter contre ce fléau, de multiples initiatives ont été prises, notamment par le Conseil de l'Europe, par l'Assemblée générale des Nations unies, par le Fonds monétaire international, par la Banque mondiale. Dès 1987, la Communauté européenne s'est dotée d'une unité de coordination de lutte antifraude, qui enquête sur les fraudes au budget communautaire. Toutes ces initiatives ont abouti à ce projet qui complète le code pénal et le code de procédure pénale pour permettre la pleine application par la France de conventions conclues dans le cadre de l'Union européenne et de l'OCDE et tendant à limiter les faits de corruption des agents publics et des fonctionnaires étrangers.

Cependant, si la nécessité d'agir et de légiférer n'est pas contestable, nous sommes lucides sur la véritable efficacité de ce projet.

La lutte contre la corruption dans le commerce international n'a de chance d'être efficace que si elle est menée avec la même fermeté par tout le monde.

M. Michel Hunault - Très bien !

M. Jean-Antoine Leonetti - Or les risques de distorsion de concurrence ne doivent pas être sous-estimés. La convention de l'OCDE du 17 décembre 1997 n'a été signée que par 34 Etats sur près de 200 et certains pays, qui jouent un grand rôle dans le commerce mondial, ne l'ont pas signée, tels qu'Israël, l'Afrique du Sud, la Chine, l'Inde, et surtout, la Russie où la corruption est une tradition ancienne et où l'on estime qu'elle concerne la moitié des contrats internationaux.

Par ailleurs, les pays signataires eux-mêmes en font des applications différentes. Il existe donc un risque véritable que la convention ne soit pas appliquée de manière homogène.

Le champ de votre projet est limité à la corruption publique et laisse de côté tout un pan des phénomènes de corruption qui perturbent aujourd'hui le commerce international, en particulier le problème des multiples porteurs de valise, qui gravitent souvent autour des agents publics. En outre, seule la corruption active est concernée par la convention alors que lutter efficacement contre la corruption suppose évidemment de sanctionner non seulement le corrupteur mais aussi le corrompu.

Cette convention comporte également des risques de contournement par les entreprises, notamment les plus importantes, qui auront les moyens de recourir à des sociétés écran ou de passer par des paradis fiscaux. A cet égard, il est souhaitable que la France poursuive l'action entamée dans les enceintes internationales pour lutter contre les centres financiers offshore c'est-à-dire les pays ou territoires qui offrent des services financiers, sans contrôle ni réglementation suffisants, et souvent sous couvert d'un secret bancaire très strict.

Nous approuvons certaines modifications apportées par le Sénat, notamment celle qui confie au procureur, au juge d'instruction et au tribunal correctionnel de Paris une compétence concurrente à celle de la juridiction territorialement compétente pour la poursuite et la répression de la corruption active d'agents étrangers. En effet, les infractions passent souvent par des mécanismes complexes de droit international privé et public, de droit commercial et d'arbitrage international. Il est donc nécessaire que des magistrats très spécialisés soient en charge de ces dossiers si l'on veut une répression objective et efficace.

Le Sénat a également ramené de dix à cinq ans la peine d'emprisonnement encourue. Il me semble en effet que prévoir des peines plus lourdes témoigne d'un certain mépris pour les fonctionnaires français d'autant que les transpositions de la convention qui ont déjà eu lieu, ont prévu des peines d'emprisonnement différentes et bien inférieures : un an en Norvège, 2 ans en Suède, 3 ans en Belgique, en Hongrie, en Islande, au Japon, 5 ans en Allemagne, au Canada, en Grèce, et six mois en Angleterre sauf en cas de récidive, et aux Etats-Unis, la possibilité de transactions réduisant l'efficacité de la loi.

Aux termes de l'article 2 du projet, la future loi ne sera pas rétroactive. Les faits commis à l'occasion de contrats signés antérieurement à l'entrée en vigueur de la convention ne seront donc pas concernés et les pots-de-vin que des entreprises françaises verseront à des agents publics étrangers resteront donc légaux, s'ils ont été prévus par des contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la convention...

Vous avez déclaré, à juste titre, Madame la ministre, qu'« il serait difficilement compréhensible que l'exécution de ces engagements, passés dans un temps où la loi pénale française ne punissait pas leur conclusion, rendent leurs auteurs passibles des tribunaux français ». Mais en précisant la portée de la non-rétroactivité de ces dispositions, vous limitez les possibilités d'interprétation par les juridictions et l'efficacité de la répression. Or un arrêt de la Cour de cassation du 27 octobre 1997 précise que « si le délit de corruption est une infraction instantanée consommée dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, il se renouvelle à chaque acte d'exécution dudit pacte », c'est-à-dire à chaque versement d'une commission et dans la pratique, les entreprises versent souvent des commissions au fur et à mesure des livraisons.

Notre commission des lois a adopté un amendement liant la non-application de la loi aux commissions afférentes à des contrats signés avant l'entrée en vigueur des conventions à leur déclaration auprès de l'administration fiscale, dans le but de « légaliser, pour des raisons de sécurité juridique, les commissions liées à des contrats anciens ». Nous y sommes favorables, à condition que le délai de déclaration soit ramené à un an.

L'esprit des engagements internationaux que ce texte vise à transposer en droit français ne saurait être contesté.

Si ce projet de loi est imparfait, son adoption conditionne l'application d'instruments internationaux utiles à la lutte contre la corruption. Pour aller encore plus loin, le Conseil européen de Tampere a décidé de créer Eurojust qui contribuera à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et apportera son concours aux enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée.

La corruption internationale ne doit pas être le « mal nécessaire » de la mondialisation des échanges. La France dans l'Europe doit participer à la lutte contre ce fléau. Lors de l'adoption de la loi contre le dopage, certains craignaient déjà que l'application de sanctions plus lourdes qu'ailleurs nuise à la compétitivité de nos sportifs. Mais il en va de la morale et de l'honneur de notre pays qui doit être pionnier dans la lutte pour le respect des droits de l'homme.

Votre projet, bien que sa portée soit limitée, va dans ce sens. Le groupe UDF ne s'y opposera pas.

Mme Marie-Hélène Aubert - Il était temps ! Entrée en vigueur en février dernier, la convention de l'OCDE contre la corruption des agents publics étrangers n'avait pas encore été transposée dans notre droit interne. Or la mondialisation des échanges, les fusions et concentrations d'entreprises donnant naissance à de véritables mastodontes économiques et financiers, la faiblesse de bon nombre d'Etats, rendent urgente et indispensable une politique de lutte contre la corruption coordonnée au niveau européen et international. La France touchée notamment par l'affaire Elf, qui rebondit maintenant en Allemagne, ne pouvait rester en retrait de ce mouvement salutaire. Indirectement, c'est aussi de la moralisation de la vie politique qu'il s'agit, dans les pays du Nord comme du Sud.

C'est pourquoi nous nous réjouissons d'avoir à examiner aujourd'hui ce projet. Nous devons rester fermes et clairs sur les principes, d'une part, et veiller à l'harmonisation par le haut de la convention. C'est d'ailleurs ce que cherchent à faire le Gouvernement et le rapporteur de la commission des lois.

On peut regretter que l'attitude du Sénat, inspirée de celle d'un certain nombre d'entreprises françaises, ait davantage consisté à défendre étroitement des intérêts à court terme, en faisant preuve d'indulgence vis-à-vis de pratiques critiquables, qu'à se montrer exemplaire et déterminé pour contrer un phénomène inacceptable éthiquement et dangereux pour nos démocraties.

Ainsi les sanctions prévues doivent correspondre à celles qui sont prises pour la corruption interne, même si la France est particulièrement sévère sur ce point. De même, il n'y a pas de raison de laisser au seul Tribunal de Paris, et encore moins à des juridictions spécialisées, le soin de traiter ce type d'affaires. Il faudra néanmoins, si l'on veut que cette convention ait une chance d'être appliquée, renforcer considérablement les moyens humains et financiers des services chargés de contrôler les comptes des entreprises concernées et de mener les procédures judiciaires.

Il convient également de faire progresser dans notre droit et dans le droit international la responsabilité pénale des personnes morales, régie aujourd'hui de façon assez différente d'un pays à l'autre. Cette question avait déjà été évoquée lors des discussions sur la création de la Cour criminelle internationale, au regard du rôle considérable que les personnes morales peuvent jouer dans la délinquance financière, les violations des droits de l'homme ou les catastrophes écologiques. Dans ces deux derniers domaines, les entreprises ont bien compris qu'elles devaient dorénavant prendre les devants, en adoptant par exemple des codes de bonne conduite. Mais la transparence financière des grands contrats passés à l'étranger reste à réaliser.

Enfin, le projet ne permet pas la constitution de plainte avec parties civiles, spécificité française il est vrai. Il est dommage que les victimes individus ou associations, ne puissent déclencher l'action publique. La prise de conscience et la mobilisation de la société civile font pourtant beaucoup pour que les entreprises rendent des comptes aux élus et à l'Etat, qui doivent à leur tour assumer toutes leurs responsabilités. La crainte, légitime mais exagérée, de manipulation ou de multiplication des contentieux, disparaîtrait si l'on encadrait précisément le droit des parties civiles.

Mais le problème essentiel de ce projet tient au deuxième alinéa de l'article 2 qui dispose que les nouveaux articles du code pénal incriminant la corruption d'agents publics étrangers « ne s'appliquent pas aux faits commis à l'occasion de contrats signés antérieurement à l'entrée en vigueur de la convention visée par ces articles ». Il est fort contestable, en effet, de considérer cette disposition comme une simple application du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale. Dans un arrêt du 27 octobre 1997, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « si le délit de corruption est une infraction instantanée, consommée dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, il se renouvelle à chaque acte d'exécution du dit pacte ».

M. Jean-Antoine Leonetti - Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert - Cet arrêt ne fait que confirmer un arrêt de la même chambre du 9 novembre 1995. Il s'agit donc d'une jurisprudence bien établie, qui ne met pas en cause le principe de non-rétroactivité, mais qui en précise seulement la portée en matière de corruption. Certes, la cour d'appel et la Cour de cassation examinaient alors la question sous l'angle de la prescription. Mais pourraient-elles, sous celui de la rétroactivité, définir le délit de corruption différemment ?

Cet article pourrait en outre être contesté par le comité de suivi de l'OCDE comme contrevenant à la convention. Je plaiderai pour ma part pour son abandon. Outre qu'elle est choquante sur le principe, une telle clause n'a été prévue par aucun autre pays. Il vaudrait mieux rester dans la logique de nos positions en adoptant une solution moins accommodante, qui ne manquerait pas de faire rapidement des émules, et en faisant en sorte que la même rigueur s'applique à tous. Cela permettrait un débat avec nos partenaires sur la façon dont on doit apprécier le principe de non-rétroactivité en matière de corruption. Ce serait bien préférable à l'adoption d'une position d'emblée complaisante.

Cet alinéa pourrait par ailleurs conduire à des fraudes et à des contournements de la convention, de nouveaux pots de vin pouvant être rattachés à des contrats anciens. Ainsi, une compagnie pétrolière ou une entreprise d'armement qui aurait proposé à un chef d'Etat, pour obtenir un contrat ou un permis de recherche de lui verser une certaine somme sur un compte en Suisse pendant dix ans, ne tomberait pas sous le coup de la loi. C'est aberrant !

M. Jean-Antoine Leonetti - Bon exemple...

Mme Marie-Hélène Aubert - La sagesse serait donc de supprimer l'alinéa 2 de l'article 2, en attendant une interprétation claire et commune du principe de non-rétroactivité. Il serait regrettable que l'on ne retienne de ce projet de loi, qui va indiscutablement dans le bon sens, que l'ouverture d'une brèche dans un dispositif voulu comme rigoureux, et j'espère que la discussion des amendements nous permettra de sortir la tête haute de cette question difficile sur laquelle nous n'avons plus le droit de tergiverser.

La corruption coûte cher, très cher, et c'est un calcul à bien courte vue que de la considérer comme un mal nécessaire. Il en va de la crédibilité de notre action politique et du droit que nous élaborons. Les Verts et l'ensemble du groupe RCV voteront ce projet, en espérant que seront retenues les propositions tendant à en renforcer la clarté et la rigueur, dans l'intérêt même de nos entreprises, de la classe politique et du pays tout entier (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau - Nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté affichée de lutter contre la corruption, mal endémique qui porte atteinte aux principes de la démocratie et grève le développement de nombreux pays. Le texte qui nous est proposé permet l'incrimination de la corruption, active et passive, de fonctionnaires de l'Union européenne ou de ses Etats membres, ce qui n'est pas possible en l'état actuel du droit français. Il exclut cependant, conformément au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, les faits commis dans le cadre de contrats signés avant l'entrée en vigueur des conventions visées, ce qui garantit au passage la sécurité juridique desdits contrats.

J'approuve également le fait que la mise en mouvement de l'action publique soit réservée au ministère public, sans que le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile l'entraîne automatiquement. Dans le cas contraire, en effet, les entreprises françaises seraient pénalisées par rapport à leurs concurrentes étrangères, américaines notamment.

Gardons-nous, cependant, de trop d'autosatisfaction : les acteurs, privés et publics, du commerce international sont prêts à tout pour grappiller quelques parts de marchés qui se mesurent en milliards de dollars, et il est permis de douter que les dispositions des conventions anti-corruption soient appliquées par le plus grand nombre avec la même rigueur. Celle de l'OCDE n'a d'ailleurs été signée que par 34 pays, dont la liste ne comprend ni la Russie, ni la Chine, ni l'Afrique du Sud. En outre, il existe entre les pays signataires eux-mêmes des différences de procédure importantes : aux Etats-Unis, par exemple, non seulement la mise en mouvement de l'action publique est réservée à l'Attorney général et subordonnée à l'autorisation d'un grand jury, mais encore il est possible à l'accusé de plaider coupable pour réduire sa peine et s'épargner la fâcheuse médiatisation d'un procès public.

Il en résultera des distorsions de concurrence d'autant plus préjudiciables aux entreprises françaises que les peines prévues par le projet sont disproportionnées par rapport à la pratique des autres Etats signataires. Le Sénat a donc eu raison de ramener de dix à cinq ans la peine d'emprisonnement encourue par les personnes physiques pour corruption active d'agents publics étrangers. Quant à la responsabilité pénale des personnes morales, le concept même est inconnu de la plupart des pays signataires. Enfin, il sera possible de contourner la loi en recourant à des sociétés-écrans, qu'elles soient de droit local ou établies dans des paradis fiscaux.

Pour toutes ces raisons, c'est sans enthousiasme que le groupe DL votera ce texte, dont l'impact sera sans doute limité.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 18 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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