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Session ordinaire de 1999-2000 - 39ème jour de séance, 94ème séance

3ÈME SÉANCE DU MARDI 14 DÉCEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

Sommaire

LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (suite) 2

RAPPEL AU RÈGLEMENT 2

AVANT L'ARTICLE PREMIER 5

ART. 2 8

ART. 3 BIS 10

ART. 4 10

APRÈS L'ART. 4 10

ART. 5 11

RÉFÉRÉ DEVANT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES 11

ARTICLE PREMIER 21

ART. 2 22

ART. 3 22

ART. 4 23

ART. 7 24

ART. 9 25

ART. 13 25

ART. 16 26

ART. 17 26

APRÈS L'ART. 17 26

ART. 18 27

RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 27

La séance est ouverte à vingt et une heures cinq.

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    LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Luc Warsmann - Je déplore que le fonctionnement de notre Assemblée soit perturbé par le non-respect des horaires. Tout à l'heure, nous aurions sans doute pu aller jusqu'au bout de cette discussion avant de lever la séance mais je conçois que Mme la Garde des Sceaux ait des obligations. Il est toutefois regrettable que nous ayons dû l'attendre pour ouvrir la présente séance : la ponctualité ne serait-elle plus une qualité ?

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Informez-vous avant de critiquer : c'est M. Ollier, président de séance, qui a souhaité lever la précédente séance à 19 heures.

M. Jean-Luc Warsmann - Cela ne vous empêchait pas d'être là à 21 heures !

M. le Président - Je suggère que nous reprenions la discussion générale.

M. Arnaud Montebourg - Est-il nécessaire de dire que les socialistes sont à vos côtés, Madame la Garde des Sceaux, dans votre combat pour mieux réprimer une délinquance économique et financière si souvent indécelable que d'aucuns la qualifient d'astucieuse ? Nous saluons vos efforts politiques pour restaurer un appareil judiciaire trop longtemps assujetti aux intérêts de l'exécutif et vos efforts budgétaires pour redonner à la France une justice forte, après de longues années d'abandon : recrutement de magistrats, constitution de pôles de lutte contre la délinquance économique et financière, recours à des assistants spécialisés... Je rappelle que, lorsque la nouvelle majorité a été élue, ce pays ne comptait pas davantage de magistrats qu'en 1857 ! 400 ont été recrutés en deux ans et demi.

Vos efforts, vous les avez déployés aussi dans le domaine proprement juridique, en vue de moderniser les armes indispensables et, rapporteur de la mission d'information sur les obstacles à la répression de la délinquance économique et financière, je puis témoigner que les magistrats belges, suisses, allemands, italiens ou espagnols n'ont que des compliments à faire à la France pour la façon dont elle exécute leurs commissions rogatoires et répond à leurs demandes d'entraide judiciaire.

Je veux saluer, enfin, vos efforts diplomatiques : le sommet de Tampere a été l'_uvre de la France et cette volonté plusieurs fois réaffirmée est ainsi devenue celle des Quinze, enfin déterminés à démanteler les « paradis fiscaux », bancaires et surtout judiciaires. Le présent projet sera une contribution de plus à cette _uvre de désarmement multilatéral, de renonciation collective à ces instruments de conquête des marchés.

Lourdes peines, possibilité de condamner les personnes morales, accès à des juridictions internationales comme toujours dans ce genre de négociations internationales, certains craignent d'aller trop loin -c'est-à-dire plus loin que n'iront nos partenaires et concurrents ! Du côté droit de l'hémicycle, on nous accuse ainsi d'angélisme, de naïveté : nous nous priverions des moyens de conquérir des marchés tandis que les Américains préserveraient les leurs. Je ne crois pas que cette vision soit juste.

Plus à gauche, on nous taxe de complaisance : nous n'irions pas assez loin, a dit Mme Aubert. En fait, je crois que la convention et ce projet de loi de transposition évitent aussi cet écueil, même si le chemin est étroit.

Pas d'angélisme : nous connaissons fort bien la portée véritable du Foreign Corrupt Practices Act et de l'anti-Bribery Act, adoptés par les Etats-Unis en 1977 et 1998. Dans ce pays, les poursuites sont menées sous le contrôle intégral de l'Attorney general, ministre de la justice, qui décide seul de leur opportunité. A cela s'ajoute l'existence de deux filtres : il faut qu'un jury de citoyens tirés au sort autorise ces poursuites et il ne peut y avoir de Plea Bargaining, de marchandage entre l'accusateur et le défenseur. Les avocats américains soutiennent donc devant ce jury que les poursuites pourraient nuire à l'emploi -si bien que beaucoup d'entre elles ne se développent pas. La France, au contraire, a libéré le parquet de tout contrôle politique susceptible d'assurer l'impunité aux corrupteurs et aux corrompus : c'est un élément que l'OCDE devra prendre en compte lorsqu'elle évaluera notre dispositif !

Nous savons aussi que des sociétés à vocation exportatrice contournent la loi américaine en installant dans les paradis judiciaires des filiales qui « extralisent » la corruption : aucun citoyen, aucune entreprise des Etats-Unis ne sont impliqués ! Ce pays ne pourra donc nous donner la moindre leçon, il ne pourra qu'admirer notre fermeté !

La commission et son excellent rapporteur, soutenus par le groupe socialiste, ont permis de trouver un point d'équilibre, pour répondre à ceux qui nous taxent d'angélisme aussi bien qu'à ceux qui nous reprochent notre complaisance : aux termes de l'article 2 amendé, les « pots-de-vin » seront autorisés à raison des seuls contrats souscrits avant la promulgation de la présente loi, et déclarés dans un certain délai à l'administration fiscale. Les observations de nos collègues de droite, celles plus judicieuses de nos collègues de gauche, ainsi que celles de nos collègues sénateurs, auront donc été entendues.

Cette loi devrait faire l'unanimité. En ce qui les concerne, les socialistes la voteront dans l'enthousiasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Hunault - Quel exercice d'autosatisfaction ! Tout irait bien depuis votre arrivée, Madame la Garde des Sceaux -du moins à en croire M. Montebourg, mais nous ne tarderons pas à vous rappeler à la réalité telle que la vivent les justiciables !

Le groupe RPR ne peut, bien sûr, que souscrire à l'objectif visé par ce projet : le combat contre la corruption est aussi le nôtre. Cependant, ce texte nous apparaît incomplet et il posera de réels problèmes à nos entreprises exportatrices.

Comme certains d'entre vous semblent découvrir les pratiques de corruption, je crois nécessaire de rappeler que, jusqu'à une époque récente, les contrats internationaux donnaient lieu au versement de commissions, qui étaient non seulement déclarées mais aussi, généralement, garanties par la COFACE et, surtout, déductibles du résultat financier de l'entreprise.

Ce rappel de l'état du droit s'imposait avant de transposer la convention de l'OCDE dans notre droit interne.

Cela dit, le présent projet est limité puisqu'il ne concerne que les agents publics et non le secteur privé. En outre, il ne vise que la corruption active. Or de nombreux pays contournent la législation en utilisant des sociétés écrans domiciliées dans des centres offshore ou dans des paradis fiscaux. La portée de la convention de l'OCDE est limitée par le fait que la poursuite des personnes en infractions reste soumise aux règles de procédure de l'Etat signataire et que les sanctions varient beaucoup selon les États. Ainsi, aux Etats-Unis, seul l'Attorney general federal est compétent pour ordonner les poursuites.

Il faut donc veiller à éviter les distorsions de concurrence que l'application de cette convention pourrait provoquer.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. Michel Hunault - Pour ce qui est de la compétence des juridictions, le Sénat voulait l'attribuer au seul parquet de Paris, ce à quoi notre commission s'est opposée. Personnellement, je souhaite que la compétence ne soit donnée qu'aux seuls parquets dotés d'un pôle financier, afin d'éviter des disparités de traitement.

Enfin, l'application de cette convention peut se révéler dangereuse pour nos entreprises. La France est le quatrième pays exportateur du monde. Or, à ce jour, la convention n'a été signée que par trente-quatre pays. Parmi les grands absents, citons la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, la Russie...

De surcroît, les conditions de transposition du texte varient selon les pays signataires, notamment en ce qui concerne les sanctions. Le Sénat avait réduit les peines encourues à cinq ans d'emprisonnement, mais notre commission des lois a durci le texte. Pourtant, la peine d'emprisonnement encourue n'est que de un an en Norvège, de deux ans en Suède, de trois ans en Belgique, et de cinq ans en Hongrie et en Allemagne. La même remarque vaut pour les sanctions applicables aux personnes morales. Des sanctions excessives risquent de déséquilibrer les conditions dans lesquelles s'exercera désormais le commerce international.

En ce qui concerne la rétroactivité, j'espère, Madame la Garde des Sceaux, que vous tiendrez bon face aux modifications proposées par la commission. En effet, il est logique que la date d'entrée en vigueur d'une nouvelle règle juridique soit la même que la date d'adoption de l'instrument de ratification.

Sur le fond, tous les groupes de l'Assemblée approuvent ce projet. Notre devoir est de résoudre les problèmes que son application risque de soulever dans la mesure où tous les pays ne respecteront pas les règles auxquelles nos entreprises seront désormais soumises.

D'autre part, vous dites vouloir renforcer la coopération et l'entraide judiciaire entre Etats. Mais nous attendons toujours que vous inscriviez à notre ordre du jour la convention pénale internationale adoptée par le Conseil de l'Europe. Actuellement, l'espace judiciaire européen n'existe pas et la définition des infractions, crimes et délits n'est pas la même partout. Le principe de réciprocité des décisions judiciaires n'existe pas davantage.

Il faut donc légiférer et faire en sorte que les conventions qui sont ratifiées par notre assemblée le soient par tous les pays qui les ont signées dans les instances internationales.

Enfin, l'un de nos collègues nous a donné tout à l'heure des leçons de moralité. Dois-je lui rappeler que la Russie finance la guerre de Tchétchénie grâce à l'argent du FMI ?

Je saisis aussi l'occasion qui m'est offerte, Madame la Garde des Sceaux, pour vous rappeler le souhait d'un certain nombre d'entre nous : que soit organisé un débat sur la prescription des délits financiers, ainsi que vous l'aviez promis. Le temps est venu, dès lors que le code pénal devient plus sévère pour les entreprises, de remettre à plat de tels dossiers.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très bien !

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Grâce à ce projet, nous pénalisons enfin la corruption internationale dans notre droit. Notre législation sera l'une des plus sévères en ce domaine. Nous sommes l'un des premiers pays à transposer la convention de l'Union européenne, car nous prenons très au sérieux la répression de la corruption, qu'elle soit nationale ou internationale.

L'intérêt du présent projet est très clair et aucun orateur ne le conteste. Les interrogations portent surtout sur l'application de la loi dans le temps. La corruption est constituée à la fois par un pacte de corruption et par des versements. Lorsque le pacte et les versements sont antérieurs à la loi, elle ne leur est pas applicable. Lorsqu'ils lui sont postérieurs, elle s'applique à eux. La difficulté concerne donc l'hypothèse où le pacte est antérieur à l'entrée en vigueur de la loi alors que certains versements lui sont postérieurs.

Cette situation soulève deux problèmes. Le premier a trait à la définition de la corruption. Tel que défini par la loi pénale en vigueur, le délit de corruption se caractérise par un pacte nécessairement préalable à ses manifestations que sont les versements, lesquels peuvent s'étaler dans le temps. Chaque versement interrompt la prescription ainsi qu'en a décidé la Cour de cassation en 1997. Mais chacun de ces versements contribue à constituer un délit unique. Il ne faut donc pas confondre la prescription et l'incrimination du délit. On ne peut pas dire que, la Cour de cassation ayant établi une jurisprudence relative à la prescription, elle ferait de même s'agissant de l'incrimination. Le délit de corruption n'est ni un délit successif, ni un délit renouvelé. Il n'est pas souhaitable de modifier la définition des incriminations pénales dans notre droit interne ni de créer deux régimes différents pour la corruption nationale, d'une part, internationale, de l'autre.

Le deuxième problème a trait au principe constitutionnel de non-rétroactivité du droit pénal et aux principes fondamentaux du droit européen. Les entreprises et les citoyens ont droit au respect de ces principes, que la répression des infractions de corruption ne doit pas battre en brèche. Il n'est pas question que je présente des textes portant atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi. D'où l'article 2 du présent projet, qui n'a d'autre objectif que de rappeler ce principe. Il fallait lever le doute dans la mesure où cette loi aura des conséquences internationales. Cet article n'est ni laxiste, ni complaisant. Si vous le supprimez, les principes généraux du droit pénal suffiront à faire respecter le principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Toutefois, le Gouvernement a pensé que cette clarification pouvait être utile.

Quant au délai de prescription des abus de biens sociaux, Monsieur Hunault, j'ai dit à plusieurs reprises que j'étais tout à fait opposée à sa modification (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle maintenant, conformément à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

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AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Jacky Darne, rapporteur de la commission des lois - L'amendement 1 vise à permettre de poursuivre plus efficacement les délits de corruption, ceux qui existent déjà comme ceux que nous créons.

En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que le délit de corruption n'est constitué que lorsque l'offre du corrupteur est antérieure à l'acte du corrompu. Dans les jurisclasseurs du droit pénal, M. Vitu indique, pour sa part, que « l'antériorité de la sollicitation d'une rémunération par rapport à l'acte ou à l'abstention proposée par le corrompu ou acceptée par lui constitue une règle classique du droit pénal de la corruption ». Contrairement à la loi allemande ou italienne, la loi française laisse impunies les rémunérations versées a posteriori. Selon M. Vitu, il appartient à la loi, et non aux tribunaux, de corriger cette imperfection.

De même, un rapport du Service central de prévention de la corruption critique sévèrement l'exigence d'antériorité du pacte de corruption, inadaptée à une époque où fleurissent bakchichs et commissions à rallonge, qui sont à ce point devenues la règle que les contractants n'en discutent même plus. En ce cas, la preuve du pacte est bien sûr très difficile à apporter.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation fait certes preuve d'une certaine souplesse quant à l'exigence de l'antériorité du pacte, acceptant notamment de condamner « l'auteur du versement d'une commission rémunérant un acte passé lorsque cette commission prend place dans le cadre de relations continues entre le corrupteur et le corrompu et vise à favoriser l'obtention d'avantages futurs ».

Il paraît toutefois préférable de redéfinir le délit de corruption, comme nous y invitent M. Vitu et le service central de prévention, en faisant disparaître ou, à tout le moins, en atténuant fortement l'exigence d'antériorité du pacte. Pour ce faire, l'amendement 1 tend à remplacer dans les articles concernés du code pénal les mots « sans droit » par « à tout moment ». M. Vitu explique fort bien qu'en ajoutant que la sollicitation doit avoir été formulée sans droit, le législateur avait introduit une exigence supplémentaire qui pouvait se justifier pour la corruption des salariés des entreprises mais n'a aucun sens pour les personnes dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou titulaires d'un mandat électif. Pour lui, le législateur eût été mieux inspiré de ne pas ajouter cette précision.

Mme la Garde des Sceaux - La corruption est aujourd'hui définie comme le fait de « proposer sans droit des offres ou des dons pour obtenir d'un fonctionnaire un avantage ». « Sans droit » signifie que l'avantage n'est ni fondé ni justifié par aucun texte ni aucune jurisprudence en vigueur. Or certaines législations étrangères autorisent la perception d'un avantage par un fonctionnaire et considèrent qu'il n'y a pas corruption si cet avantage est permis. Et la convention OCDE n'a pas obligé les Etats concernés à modifier leur législation. Nous considérons donc qu'il n'y a pas lieu de modifier la nôtre : la mention « sans droit » nous paraît donc devoir être maintenue.

La suppression de l'exigence d'antériorité par l'adjonction des mots « à tout moment » est contraire à la conception traditionnelle française de la corruption, au demeurant reprise dans toutes les conventions récentes. Un versement indu à un fonctionnaire après accomplissement d'un acte relevant de sa fonction n'échappe pas à la répression pénale : il peut être poursuivi sous le chef d'abus de biens sociaux pour le corrupteur et de recel d'abus de biens sociaux pour le corrompu. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement 1 ainsi qu'à tous ceux allant dans le même sens.

M. Arnaud Montebourg - Le groupe socialiste soutient l'amendement 1. Nous en convenons avec le Gouvernement : la corruption d'un agent public est toujours sans droit. Aussi l'écrire explicitement peut-il paraître un pléonasme.

Il est un point qui nous paraît plus essentiel. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui exige la preuve de l'existence d'un pacte préalable entre corrupteur et corrompu constitue aujourd'hui le principal obstacle au développement de la répression d'une infraction pourtant de plus en plus répandue. Beaucoup de magistrats se reportent sur le délit d'abus de biens sociaux.

Par cet amendement, nous souhaitons les encourager à utiliser davantage les textes qui répriment le délit infamant de corruption. C'est notamment parce qu'il est très difficile, voire parfois impossible, de démontrer que des contreparties différées ont été accordées en vertu d'un pacte antérieur, que nous souhaitons élargir le délit de corruption, de manière d'ailleurs « homéopathique ».

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 2 est de coordination avec la nouvelle définition de la corruption que nous venons d'adopter.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 3 se justifie pour les mêmes raisons.

L'amendement 3, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 4 tend à rétablir la peine d'emprisonnement pour délit de corruption d'un fonctionnaire étranger prévue dans le texte initial du Gouvernement. Le Sénat l'avait ramenée de dix à cinq ans. Or, la convention OCDE exige que « l'éventail des sanctions applicables soit comparable à celui des sanctions applicables à la corruption des fonctionnaires nationaux ».

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement souhaite en effet conserver toute sa cohérence à l'échelle des peines, qui doivent être les mêmes, qu'elles s'appliquent à des faits commis en France ou à l'étranger. Nous devons également nous conformer aux obligations posées par la convention de l'OCDE.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 5 se justifie par les mêmes raisons que les amendements 2 et 3.

L'amendement 5, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 17 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. La notion de « dépositaire de l'autorité publique » figure dans la définition de la corruption d'un fonctionnaire national. Il ne s'agit nullement d'une notion nouvelle. Elle sera par ailleurs interprétée à la lumière de la convention OCDE.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable également. La corruption des agents publics étrangers ne peut pas être définie de façon différente de celle des agents nationaux. L'amendement proposé irait d'ailleurs à l'encontre de l'esprit comme de la lettre de la convention OCDE.

L'amendement 17, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 6 tend à ramener à dix ans les peines d'emprisonnement prévues en cas de corruption de magistrats étrangers.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 7 est de coordination avec la nouvelle définition de la corruption.

Mme la Garde des Sceaux - Défavorable.

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 8 vise à rétablir les sanctions prévues dans le projet initial pour les personnes morales. J'observe que les cent premières sanctions prononcées par les tribunaux à l'encontre de personnes morales ont été des peines d'amende, d'affichage, de publication ou de confiscation -il n'y a donc eu ni d'exclusion de marchés publics, ni d'interdiction d'exercer. Il est néanmoins nécessaire de prévoir un éventail de peines assez large et le parallélisme avec le régime des sanctions applicables aux cas de corruption de fonctionnaires nationaux est indispensable.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Cet amendement rétablit le projet dans sa version initiale pour les sanctions applicables aux personnes morales reconnues coupables de corruption active d'un fonctionnaire communautaire ou d'un autre Etat membre ou d'un agent public étranger dans le commerce international. Les peines, telles que rétablies par l'amendement, sont strictement calquées sur celles qui existent déjà en droit interne. Il ne saurait exister un double régime de peines applicables aux personnes morales selon que la personne corrompue exerce une fonction publique en France ou hors de France. L'équivalence des peines vaut aussi pour les personnes morales.

L'amendement 8, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 2

M. le Rapporteur - L'amendement 9 rectifié vise à maintenir cet article et à permettre son application sans ambiguïté. Les entreprises ne doivent être « protégées » que pour les commissions qui s'attachent à des contrats conclus avant la mise en application de la loi. Ainsi, afin d'éviter que le caractère légal des commissions versées au titre d'un contrat signé antérieurement à l'entrée en vigueur des conventions soit utilisé pour couvrir de nouveaux faits de corruption, cet amendement oblige les entreprises à déclarer à l'administration fiscale, dans un délai d'un an, les commissions qu'elles se sont engagées à verser. Il tend donc à assurer le respect du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale.

Mme la Garde des Sceaux - Je comprends la préoccupation du rapporteur mais je suis défavorable à cet amendement. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, l'article 2 ne vise que l'application à des situations commerciales complexes du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale. Si cet amendement était adopté, ce principe se trouverait subordonné à une déclaration administrative, ce qui en limiterait de fait l'application dans le temps. Une telle disposition pourrait être jugée inconstitutionnelle.

M. Michel Hunault - Lors de la discussion en commission, le délai de déclaration proposé était de deux ans. Je souhaite donc que le rapporteur m'explique pourquoi il a été ramené à un an alors que nous le discutons en séance publique, même si, sur le fond, je partage la position du Garde des Sceaux.

M. le Rapporteur - Aujourd'hui même, la commission réunie au titre de l'article 88 a estimé que le délai de deux ans pouvait inciter les entreprises à des comportements irréguliers.

Par ailleurs, nous avons voté l'amendement 1 avant l'article premier qui pose une nouvelle définition du délit de corruption, comme pouvant exister à tout moment. Il y a donc lieu de mettre en cohérence les différentes dispositions.

L'amendement 9 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Mme Marie-Hélène Aubert - L'amendement 15 tend à la suppression de l'alinéa 2 qui s'impose dès lors que l'amendement 1, visant à préciser que le délit de corruption peut intervenir à tout moment, a été voté. Mme la ministre a posé le problème de la définition du délit de corruption et nous avons progressivement avancé sur ce point grâce à l'amendement 1. Quant à la rétroactivité de la loi pénale, la jurisprudence de la Cour de cassation est bien établie et considère qu'il y a corruption dès lors qu'intervient un versement correspondant à un pacte de corruption. Alors, de deux choses l'une : soit il s'agit de rappeler un principe constitutionnel que nul ne conteste et il est alors inutile de le rappeler, soit l'objectif est de contourner discrètement la convention et cet alinéa jette alors inutilement un soupçon sur ce que les entreprises françaises auraient à dissimuler. Aucun des pays signataires n'a adopté une telle clause dans sa transposition en droit interne. La France s'expose donc inutilement.

Il conviendrait de s'abstenir de cette précision inutile et, plutôt, de rouvrir le débat au sein de l'OCDE et du comité de suivi pour préciser la notion de non rétroactivité de la loi pénale en matière de corruption.

M. le Rapporteur - Défavorable compte tenu du vote de l'amendement 1. Cette mention est nécessaire pour qu'il n'y ait aucun doute sur l'interprétation à donner. Comme nous avons posé une nouvelle définition du délit de corruption, il y aurait un risque pour les entreprises : tout versement postérieur à l'entrée en application de la loi, même rapporté à des contrats antérieurs, pourrait être répréhensible. Il faut permettre la bonne exécution des contrats commerciaux.

Mme la Garde des Sceaux - Défavorable.

M. Arnaud Montebourg - Mme la Garde des Sceaux a fort justement rappelé la chronologie. Soit le pacte entre le corrupteur et le corrompu, ainsi que les actes d'exécution -c'est-à-dire le versement des commissions- sont tous deux antérieurs à la promulgation de la loi qui, alors, ne s'applique pas ; soit ils sont tous deux postérieurs à sa promulgation et la loi s'applique alors dans toute sa rigueur. Et il y a le cas hybride dans lequel le pacte sera antérieur à la loi tandis que des commissions continueront d'être versées.

Il ne faut pas mettre les entreprises en situation d'insécurité juridique. On ne peut se contenter du silence de la loi. Mieux vaudrait encore interdire tout versement, y compris sur la base d'actes signés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, quitte à nous donner quelques coups de poignard dans notre propre c_ur. Entre cette solution et celle du Sénat, qui se refuse à limiter dans le temps les versements autorisés, il vous est proposé de fixer un délai d'un an pendant lequel les entreprises qui auront fait une déclaration pourront continuer à verser des commissions.

Il faut en rester au dispositif résultant de l'adoption des amendements 1 et 10.

M. Charles de Courson - Je suis partagé. L'article 2 contient-il une nouvelle interprétation du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale ?

Certains contrats peuvent courir sur vingt, trente, voire cinquante ans. C'est le cas des contrats de concession de service public. Il ne faudrait pas qu'avec l'article 2, on puisse verser des pots-de-vin pendant cinquante ans en toute impunité !

Quelles seraient les conséquences de l'adoption de l'amendement présenté par Mme Aubert ?

Mme Marie-Hélène Aubert - En s'exprimant sur l'amendement 1, notre collègue Montebourg a fait remarquer qu'il sera difficile de prouver l'antériorité du pacte de corruption. Je ne vois pas pourquoi l'argument ne vaudrait plus à propos de mon amendement.

M. Arnaud Montebourg - Parce que les entreprises feront une déclaration.

Mme Marie-Hélène Aubert - Je préfère qu'on reste dans le silence de la loi, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale étant de toute façon garanti. Il n'y a donc aucun risque à supprimer l'alinéa en cause. D'ailleurs, nos partenaires n'ont pas adopté de telles dispositions. Mieux vaudrait rouvrir le débat au sein de l'OCDE. En adoptant l'article tel qu'il est rédigé, nous jetterions le doute sur nos entreprises.

M. le Rapporteur - Le plus grand avantage du système que nous défendons, c'est la transparence. Tout autre dispositif sèmerait la confusion.

A partir de l'entrée en vigueur de la loi, on devra cesser de prévoir des versements. S'il y a un contrat antérieur à la loi, les entreprises déposeront la liste des versements qu'il leur faut encore acquitter, ce qui leur permettra de ne pas être poursuivis.

Monsieur de Courson, nous pouvons réfléchir à la fixation d'un délai et en débattre en deuxième lecture. Mais il nous faut, par des dispositions simples garantir l'application de cette loi. Si nous ne légiférons pas sur ce point, vous savez bien que les entreprises dissimuleront des pots-de-vin en les rattachant à des contrats antérieurs.

M. Arnaud Montebourg - Plus une loi est dure, plus elle risque d'être violée. Plus elle est souple, plus elle sera respectée.

Il n'est pas réaliste d'affirmer que, sur la base de pactes de corruption antérieurs à la loi, on pourra continuer à verser des commissions pendant cinquante ans...

MM. Michel Hunault et Charles de Courson - Pourquoi pas ?

M. Arnaud Montebourg - Il faut réfléchir à la suggestion de notre rapporteur à propos du délai. Pour le reste, ne rendons pas cette loi trop dure, nous aurions à le regretter.

L'amendement 15, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 10 de la commission est de conséquence.

L'amendement 10, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

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ART. 3 BIS

M. le Rapporteur - L'amendement 11 de la commission vise à supprimer cet article introduit par le Sénat, qui tend à centraliser à Paris le traitement des affaires de corruptions d'agents publics étrangers. Rien ne le justifie. Même si, en pratique, la plupart des infractions seront traitées dans la capitale, il est important de maintenir la compétence des juridictions spécialisées en matière économique et financière, d'autant plus que certaines d'entre elles ont vu leurs moyens étoffés avec la création des pôles économiques et financiers.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Il n'y a aucune raison de centraliser ces affaires, alors qu'il existe des juridictions financières spécialisées. Nous disposons en outre de quatre pôles économiques et financiers à Paris, Bastia, Marseille et Lyon et nous en aurons dix à douze d'ici un an et demi. Ces juridictions doivent conserver leurs compétences, d'autant que je les ai dotées de moyens accrus en personnel, qu'il s'agisse des magistrats, des greffiers ou des assistants de justice. J'ai aussi obtenu du ministère des finances et de la Banque de France quarante-cinq assistants spécialisés pour aider les juges d'instruction.

M. Michel Hunault - J'aimerais que mon amendement 18 soit mis en discussion commune avec celui de la commission.

Par ailleurs, quand nous parlons de juridictions financières spécialisées, parlons-nous bien de celles qui sont dotées d'un pôle économique et financier ?

M. le Président - Je ne peux mettre votre amendement en discussion commune avec un amendement de suppression.

L'amendement 11, mis aux voix, est adopté et l'article 3 bis est supprimé.

M. le Président - L'amendement 18 tombe.

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ART. 4

M. le Rapporteur - L'amendement 12 est de coordination avec la suppression de la centralisation des affaires.

L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 4, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 4

M. Michel Hunault - Si la volonté de lutter contre la corruption nous est commune, nous nous opposons sur certaines modalités, en particulier celles qui ont des conséquences sur la vie des entreprises. Tel est à l'évidence le cas du délai de prescription des délits financiers et je propose, par l'amendement 14, qu'il courre à partir de la date à laquelle ils ont été commis.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il me semble impossible de traiter ainsi, à l'occasion de la transposition de traités en droit interne, de l'importante question des délits financiers, qui sont divers. Mieux vaudrait, comme l'a proposé Mme la Garde des Sceaux, poursuivre la réflexion d'ensemble à ce propos.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable à cet amendement qui vise en fait à détruire la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de délits occultes -abus de biens sociaux et corruption- en faisant courir la prescription à compter de la découverte des faits et non du moment où ils ont été commis. Le point de départ ne serait donc plus le pacte de corruption mais le dernier versement ou la dernière réception des choses commises, ce qui repousserait le délai de trois ans.

M. Arnaud Montebourg - Comment ne pas sourire à la lecture de cet amendement ? Il est d'abord mal rédigé -qui sait ce qu'est un « délit financier » ? Mais surtout, M. Hunault voudrait mettre du sfumato dans notre procédure pénale en faisant en sorte que la plupart de ces délits ne soient plus poursuivis, puisqu'ils reposent surtout sur le recel d'abus de bien social, qui est un délit continu.

Je m'étonne que celui qui fut le rapporteur de la loi antiblanchiment de 1996 veuille désormais amnistier toutes les affaires qu'il entendait alors faire poursuivre... Vraiment, la droite reste la droite !

M. Michel Hunault - Il y a ce texte, qui suscite un certain nombre d'observations, et il y a la vie des entreprises. Il est normal qu'au moment où nous adaptons notre droit pénal pour tirer les conséquences d'une convention adoptée postérieurement à son application, le Parlement pose des questions, en particulier sur les délits financiers, qui ne se limitent pas aux abus de biens sociaux.

En tant que rapporteur de la loi sur le blanchiment et qu'intervenant sur des textes visant à l'harmonisation du droit pénal et à la constitution d'un espace juridique européen, je crois vraiment que ces sujets méritent mieux que les propos que vient de tenir M. Montebourg.

M. Arnaud Montebourg - La réponse ressemble à l'amendement...

L'amendement 14 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - En 1997, le législateur avait souhaité interdire la déductibilité des pots-de-vin mais l'application de cette mesure avait été repoussée. Par l'amendement 13, nous proposons donc qu'elle s'applique « à compter de l'entrée en vigueur de la convention sur la lutte contre la corruption ».

M. Charles de Courson - Mon amendement 20 a le même objet : empêcher la déductibilité des pots-de-vin en 2000. Il me paraît toutefois beaucoup plus simple, au 2 bis de l'article 39 du code général des impôts, au lieu de parler des « contrats conclus au cours d'exercices ouverts à compter de l'entrée en vigueur de la Convention », de considérer les « contrats conclu après » cette entrée en vigueur.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements.

M. Charles de Courson - Pourquoi ?

L'amendement 13, mis aux voix, est adopté.

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ART. 5

M. le Rapporteur - Le code général des impôts n'étant pas applicable en Nouvelle-Calédonie, l'amendement 16 précise que la disposition que nous venons d'adopter n'y est pas non plus applicable.

Mme la Garde des Sceaux - Cet amendement étant la conséquence du précédent qui a été adopté, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 16, mis aux voix, est adopté.

L'article 5, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

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RÉFÉRÉ DEVANT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet, adopté par le Sénat, relatif au référé devant les juridictions administratives.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le projet est simple dans son objet : il s'agit d'instituer pour la juridiction administrative, à l'égal du juge judiciaire, des procédures nouvelles de référé, permettant de traiter effectivement et efficacement, en urgence, les litiges mettant en cause l'administration. Si chacun s'accorde à reconnaître l'indépendance de la juridiction administrative et la qualité de ses décisions, un reproche récurrent subsiste, qui tient aux délais de jugement.

En 1998, ces délais s'élevaient à presque deux ans devant les tribunaux administratifs et à un peu plus de trois ans devant les cours administratives d'appel. Or, pour le justiciable comme pour l'état de droit, les litiges doivent être jugés dans un délai raisonnable, comme le rappelle parfois la Cour européenne des droits de l'homme.

Des réformes ont déjà été engagées pour accélérer l'instruction et le jugement des affaires. Ainsi, dans le domaine de la procédure, la loi du 8 février 1995 a institué un juge unique pour les affaires les plus simples et a prévu la faculté de rejeter par ordonnance certaines requêtes.

De nouvelles juridictions ont été créées, comme le tribunal administratif de Melun, les cours administratives d'appel de Marseille et de Douai ; d'autres vont l'être, comme le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. A cela s'ajoute l'effort accompli par les magistrats eux-mêmes dont la productivité a augmenté de 60 % en huit ans. La portée de ces efforts a toutefois été limitée par l'accroissement simultané du nombre des requêtes

C'est dans ce contexte que s'inscrit ce projet qui part du constat que font chaque jour les magistrats, les avocats, les administrations et les justiciables : les outils dont dispose le juge administratif pour traiter l'urgence sont inadaptés. Or l'opinion a le sentiment que la longueur des procédures assure l'impunité à l'administration qui bénéficierait ainsi non d'un privilège de juridiction mais du privilège du temps. Certains soutiennent même que seul le juge civil, voire le juge pénal, seraient en mesure d'apporter une réponse rapide .

Si ces reproches sont excessifs, il est vrai que dans le cadre des procédures existantes de référé, le juge administratif ne peut s'opposer ni à une décision de l'administration, ni même à une décision manifestement illégale portant atteinte à des libertés fondamentales. Les particuliers sont donc amenés dans de telles hypothèses à saisir le juge civil des référés.

Une conception extensive et erronée de la voie de fait devant ce juge devient alors un moyen pour les parties de pallier l'inadaptation des procédures.

La procédure du sursis à exécution, pourtant conçue pour répondre à l'urgence, a quant à elle perdu une grande part de son utilité en raison de l'interprétation très restrictive de deux conditions : celle qui tient à l'existence d'un préjudice difficilement réparable, le juge excluant alors le préjudice susceptible d'être réparé par le versement d'une indemnité ; et celle qui tient à l'existence d'un moyen sérieux, celui-ci étant interprété comme un moyen fondé. En outre, le juge administratif procède souvent à un examen commun du fond et du sursis, ce qui prive ce dernier de tout objet. La confusion est d'autant plus tentante que fond et sursis doivent être examinés par une formation collégiale, à l'issue d'une procédure écrite, mais la disposition du code des tribunaux administratifs qui veut que le sursis soit instruit et jugé en extrême urgence devient ainsi lettre morte.

Cette situation est d'autant plus regrettable que le sursis à exécution constitue, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une garantie essentielle des droits de la défense. C'est également un des éléments constitutifs du droit à un recours effectif, au sens où l'entendent les cours de Strasbourg et de Luxembourg.

On a tenté de remédier à cette situation en instituant des sursis automatiques dans certains domaines ou en prévoyant la suspension de décisions administratives pour une certaine durée, mais ces moyens ont été peu utilisés et ont compliqué les procédures.

Pour rompre avec cette évolution, le présent projet vise à instituer un véritable juge administratif des référés, statuant en urgence.

J'avais demandé, dès le 2 mars 1998, au vice-président du Conseil d'Etat de me faire des propositions en ce sens. Elaborées par un groupe de travail présidé par M. Labetoulle, président de la section du contentieux, elles ont servi de base à ce texte.

L'objectif est clair : le juge administratif des référés doit avoir une efficacité comparable à celle du juge civil des référés car, quelle que soit la spécificité du contentieux, toute atteinte à une liberté fondamentale doit faire l'objet d'une réponse juridictionnelle rapide.

C'est, en conséquence, une réforme d'ensemble que je vous propose, une réforme touchant à la fois aux pouvoirs de ce juge des référés et à la procédure suivie devant lui. Elle vise à donner au juge de véritables pouvoirs d'urgence, à organiser une procédure souple et rapide et à simplifier l'état du droit.

En cas d'urgence, le juge des référés pourra, au choix, prendre des mesures conservatoires, suspendre l'exécution d'une décision administrative ou prendre toute mesure nécessaire en cas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le « référé-suspension » est la première procédure ainsi instituée. Pour obtenir la suspension d'une décision, le justiciable devra seulement établir qu'il y a urgence à se prononcer et que la décision est illégale. La condition tenant à l'existence d'un préjudice difficilement réparable s'efface devant la seule condition tenant à l'urgence, laissant ainsi un large pouvoir d'appréciation au juge. Quant à la condition tenant à l'existence d'un moyen sérieux, elle est remplacée par l'idée d'un doute « sérieux » sur la légalité de la décision attaquée. Ainsi le juge pourra accorder la suspension sans procéder à une analyse au fond. Il pourra par ailleurs moduler les effets de la suspension afin de répondre au mieux à l'urgence.

La seconde procédure sera celle du « référé-injonction », limitée aux cas où il y a atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge pourra alors enjoindre à l'administration de prendre toute mesure propre à faire cesser cette atteinte. Cette procédure ne s'appliquera pas, en revanche, en cas d'atteinte à un simple droit, la procédure de référé-suspension apparaissant alors suffisante.

Le juge des référés sera un juge unique, chargé de mettre en _uvre ces trois procédures.

La procédure sera simplifiée, d'abord, dans la mesure où le juge de l'urgence aura à trier entre les requêtes, en rejetant par voie de simple ordonnance celles qui sont manifestement dénuées de toute chance de succès. Les autres feront l'objet d'une procédure contradictoire, écrite ou orale, sans l'intervention préalable d'un commissaire du Gouvernement. En outre, cette procédure ne sera pas soumise au droit de timbre.

La simplification réside aussi dans la suppression de certaines procédures spécifiques, permise par une procédure efficace de suspension des décisions administratives illégales. Disparaîtra ainsi le mécanisme de suspension provisoire régi par l'article L. 10 du code des tribunaux administratifs.

Toutefois, le Gouvernement a conservé les sursis ouverts au préfet, dans le cadre de son contrôle de légalité ainsi que les sursis qui se rattachent à l'application des dispositions relatives à la décentralisation. Il a également conservé les sursis à exécution institués par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et par la loi du 12 juillet 1983 sur la démocratisation des enquêtes publiques.

Enfin, je vous propose de compléter les articles L. 22 et L. 23 du code des tribunaux administratifs, qui régissent la procédure dite du référé précontractuel en matière de contrats et de marchés. Pour mettre fin à la pratique qui consistait à accélérer la signature du contrat dans le seul but de faire échec à l'intervention du juge, celui-ci pourra désormais, dès sa saisine, enjoindre à l'autorité compétente de différer la signature jusqu'à l'expiration de la procédure engagée devant lui.

Le Sénat a amélioré le texte sans toutefois en modifier l'économie générale. Ces amendements ont plus particulièrement porté sur les voies de recours : le projet initial ne prévoyait pas d'appel pour les trois formes de référé qu'il instituait, la seule voie de recours étant la cassation devant le Conseil d'Etat. En effet, pour le Gouvernement, la possibilité qu'avait le juge de revenir à tout moment sur les mesures qu'il avait décidées à titre conservatoire paraissait une garantie suffisante. Le Sénat a préféré organiser un appel devant le président de la section du contentieux, pour le référé-injonction, et le Gouvernement s'est rangé à ses arguments. La procédure particulière de suspension dont dispose le préfet à l'encontre des actes des collectivités locales étant déjà soumis à une procédure d'appel, il est légitime de traiter de la même façon le référé présenté par les particuliers pour protéger les mêmes libertés.

Votre commission, tout en gardant le principe de cet appel, a souhaité qu'il soit présenté devant le président de la cour administrative d'appel. Je ne m'opposerai pas à cet amendement conforme à la répartition des compétences d'appel, même s'il pose quelques problèmes sur lesquels je reviendrai.

Votre commission souhaite par ailleurs faire disparaître les sursis automatiques autres que ceux liés directement à la décentralisation. Il y a certes là un élément de complexité mais ces procédures répondent à des exigences spécifiques, notamment en matière d'environnement.

Après avoir remercié la commission et, plus particulièrement, son rapporteur qui, en sa double qualité de praticien du droit et de parlementaire, a enrichi notre réflexion, je veux, pour conclure, souligner que ce texte, sous des apparences techniques, bouleverse en fait la pratique des juridictions administratives, mais aussi celle d'administrations qui se sont parfois accommodées d'un juge administratif certes sévère et exigeant mais lent. Le succès de cette réforme dépendra largement de la capacité qu'aura la juridiction administrative de se forger une culture de l'urgence. Cette « révolution culturelle » -n'ayons pas peur des mots !- passera par l'ouverture effective du prétoire au débat oral des parties.

J'ai, pour ma part, toute confiance en cette juridiction et je le redirai demain à la Sorbonne, où nous célébrerons le bicentenaire du Conseil d'Etat. Le juge administratif doit être accessible au dialogue, rapide pour les affaires urgentes et efficace pour la défense effective des droits et libertés.

Quant à l'administration, il lui appartiendra à elle aussi de changer sa culture dès lors qu'elle ne bénéficiera plus du « privilège du temps ».

Tel est l'un des enjeux de cette réforme, mais il en est aussi un autre : si le juge administratif gagne en rapidité, nous pourrons peut-être enrayer la pénalisation croissante de notre société. On ne peut en effet remédier à tous les dysfonctionnements de celle-ci en recourant au juge pénal et ce serait une autre bonne raison de conforter le rôle dévolu aux juridictions de l'ordre administratif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Colcombet, rapporteur de la commission des lois - On reproche souvent à la justice sa lenteur : de fait, un divorce prend souvent cinq ans et une affaire mettant en jeu la responsabilité médicale autant -et ce aussi bien devant le juge administratif que devant le juge judiciaire. Pour un recours contre une autorisation d'installation classée, il faut compter deux ans devant le premier juge et de deux à trois ans devant la cour administrative d'appel : encore cinq ans au total pour obtenir une décision qui n'a plus aucun rapport avec la réalité.

La raison conduit donc à essayer d'accélérer le cours de la justice -ce qui ne doit pas signifier la suppression de tous les délais car cette accélération aussi peut alors être critiquée, les procédures pénales courtes étant bien souvent injustes.

M. Jean-Luc Warsmann - Le risque est mince en matière administrative !

M. le Rapporteur - Quand les procédures sont rapides et efficaces, elles durent tout de même un an. Pendant ce temps, la vie passe. L'établissement classé a été construit, les arbres qu'on voulait préserver sont partis en fumée, l'étranger a été expulsé sans recours.

Un Etat civilisé ne peut admettre de telles situations. Voilà pourquoi, à côté de la justice ordinaire qui va son train de sénateur (Sourires), s'est développée depuis longtemps une justice plus rapide, plus souple, plus simple, aux confins de tous les débats qui précèdent l'examen du procès au fond. Conservation des preuves, désignation d'un expert, attribution d'une provision, cessation d'une situation intolérable sont autant de mesures qui vont permettre aux parties de se maintenir la tête hors de l'eau.

Rapidité, simplicité des débats, jugement qui n'est souvent que de bon sens -loin des chefs d'_uvre juridiques parfois hermétiques des cours suprêmes- la décision de référé satisfait la demande sociale d'une justice simple et rapide. C'est ce qui explique l'extraordinaire développement du référé civil, y compris sur des contentieux sensibles tels que les expulsions de locataires de baux commerciaux ou même, en matière de presse et de protection de la vie privée, le droit à l'image. Le nombre de référés a augmenté de 24 % entre 1990 et 1998. En 1997, 17 % des affaires introduites au civil l'ont été en référé. A Paris, 15 000 décisions ont été rendues selon cette procédure en 1998, alors que 27 500 procédures étaient jugées au fond. Très souvent, la procédure s'arrête au référé, les parties transigent et de gros contentieux sont ainsi résolus au mieux des intérêts de tous.

Ainsi, lorsqu'en 1975, la Cour de cassation a admis que le juge du référé puisse allouer une provision dans les affaires de responsabilité médicale, on a constaté que les assurances payaient et que les plaignants renonçaient au procès.

La médiation civile combinée avec la procédure de référé contribue ainsi à une heureuse évolution.

Cette réussite en matière civile fait paraître modestes les résultats des procédures de référé en matière administrative. La raison qui justifie l'existence d'une juridiction administrative en France explique aussi le moindre développement du référé devant celle-ci. En effet, l'une des parties au procès est l'Etat ou une collectivité publique qui, par définition, dépend des intérêts collectifs. Mais cette situation particulière ne doit pas aboutir à méconnaître les droits des tiers, ni à en rendre l'exercice désespérant.

Le législateur a donc progressivement créé des procédures rapides de type référé, mais à l'occasion de législations très spéciales et en les encadrant strictement. Ainsi le sursis à exécution est-il pratiquement inutilisable. La demande de sursis doit accompagner une requête en annulation sur le fond et le juge ne peut accorder le sursis que si l'exécution de la décision attaquée risque d'avoir des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation. Autant dire que la décision au fond est souvent rendue avant qu'il soit statué sur le sursis à exécution ! Récemment, dans une affaire concernant la construction d'une porcherie, le sursis à exécution a été refusé au motif que si la porcherie était construite, on pourrait toujours la démolir ! Or, deux ans après, la cour administrative d'appel a annulé le permis de construire. Aujourd'hui, une nouvelle demande d'autorisation, présentée comme la régularisation d'une construction déjà faite, est examinée ! De nombreuses affaires similaires « empuantissent » la vie des gens. Faute d'un sursis à statuer, la construction est réalisée et l'opposant au projet doit encore se battre pour obtenir sa démolition ou empêcher sa régularisation.

Se fondant sur l'examen de telles affaires, une commission, présidée par M. Daniel Labetoulle, président de section du contentieux du Conseil d'Etat, a formulé des propositions qui sont reprises, pour l'essentiel, mais pas toutes, dans le présent projet. Le regroupement de quelque vingt-trois procédures de référé qu'elle avait suggéré n'a été que partiellement réalisé. Le Gouvernement a sans doute dû arbitrer entre les divers ministères dont chacun défend la spécificité du droit propre à la matière dont il a la charge.

Mais, sur les points les plus importants, les propositions de la commission Labetoulle ont été suivies.

Une première série d'articles du projet qui nous est soumis définit le référé comme une procédure permettant de prendre des mesures provisoires, facilement modifiables, qui n'ont pas l'autorité de la chose jugée mais n'en sont pas moins exécutoires. A ce propos, il serait intéressant que le décret d'application rende l'ordonnance exécutoire sur minute car une telle mesure est pour beaucoup dans le succès du référé civil.

La décision prise en référé sera rendue le plus vite possible, et selon des formes simplifiées par un juge unique qui n'est pas compétent pour connaître le principal du litige. La procédure pourra être écrite ou orale. L'intervention du commissaire du gouvernement n'est pas prévue même si elle reste sans doute possible. Une procédure de tri des requêtes est organisée. Cette phase de la procédure n'a pas à être contradictoire. Toujours dans un souci de rapidité, l'appel n'est prévu que dans quelques cas. En revanche, le pourvoi en cassation est toujours ouvert.

Sur le fond ce texte apporte trois grandes innovations. Tout d'abord, en vertu de l'article 3, le sursis à exécution est remplacé par le référé-supspension que le juge peut accorder lorsqu'il y a urgence et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Ensuite, l'article 4 institue le référé-injonction : le juge des référés qui constate une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de cette liberté. Ce référé se distingue de la voie de fait qui relève de la compétence judiciaire et qui concerne les cas dans lesquels une autorité administrative a violé des libertés fondamentales dans les situations hors de sa compétence ou de son pouvoir. Une affaire récente illustre cette différence. Un groupe de Chinois en situation irrégulière refusaient de donner leur identité. Pour les distinguer, les policiers ont apposé un numéro sur chacun d'eux. Le tribunal de Paris a estimé qu'il n'y avait pas voie de fait, le ministre ayant agi dans le cadre de sa mission qui est de faire appliquer la législation sur les étrangers. Un juge administratif saisi sur le fondement du référé-injonction aurait sans doute incité les demandeurs à avoir une autre attitude et la police à trouver un autre moyen de les identifier !

Une autre modification concerne le référé-conservatoire qui existe déjà. Le juge pourra désormais statuer si la demande lui est directement adressée, même en l'absence d'une décision administrative préalable.

Notons, enfin, la modification du régime des référés-précontractuels. Suite à une directive européenne de 1989, le juge peut intervenir pour faire respecter les règles de la concurrence et de la transparence dans les marchés publics. Il peut en particulier suspendre la passation du contrat ou en supprimer des clauses mais, en vertu d'un arrêt du Conseil d'Etat en 1995, ces mesures, ne peuvent plus être prises après la conclusion du contrat. D'où la politique consistant à signer les contrats en catastrophe dès que plane la menace d'une saisine du juge. Voilà pourquoi le présent texte tend à permettre au juge d'« enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure ».

Bref, tout est fait pour que se développe un droit plus accessible, plus rapide, plus juste. L'intervention rapide du juge est de nature à régler une grande partie des différends.

Mais tout ceci suppose d'accorder des moyens aux juges pour remplir leurs missions. Outre des créations de postes, des redéploiements s'imposent et je défendrai un amendement tendant à réduire le nombre de magistrats des cours administratives d'appel. Cinq conseillers plus un commissaire du Gouvernement cela paraît excessif pour prendre des mesures provisoires. Il faudra aussi améliorer les systèmes informatiques des greffes.

En conclusion, cette réforme marque un progrès considérable. Qu'elle soit adoptée au moment même ou le Conseil d'Etat fête son bicentenaire, montre à la fois la vitalité de cette respectable institution et la nécessité de ne pas hésiter à l'adapter aux besoins d'une démocratie moderne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Goasguen - J'admire le talent avec lequel M. Colcombet nous a expliqué que ce texte est fondamental pour l'évolution du contentieux administratif. J'observe toutefois que nombre de ses dispositions relèvent, en fait du pouvoir réglementaire. Mais les conseillers d'Etat sont si nombreux au Secrétariat du Conseil constitutionnel que toutes les mesures qui concernent le Conseil d'Etat deviennent désormais des lois...

Ce texte constitue une énième tentative d'améliorer le fonctionnement des juridictions administratives françaises. C'est une urgente nécessité, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 124 000 affaires ont été enregistrées en 1998 et le délai théorique d'élimination du stock atteint deux ans. La Cour européenne des droits de l'homme condamne d'ailleurs régulièrement notre pays pour la lenteur de sa justice administrative. Une procédure peut durer huit ans du recours préalable à l'arrêt de la cour administrative d'appel, sans d'ailleurs que la complexité de l'affaire ne le justifie. Une action en réparation engagée contre l'Etat par un requérant hémophile ayant contracté le sida à l'occasion d'une transfusion sanguine a pris quatre ans.

Cette lenteur, qui porte en soi atteinte au droit, aboutit également à une inefficacité car bien souvent le juge, intervenant trop tard, n'est plus en mesure de faire cesser une situation illégale.

Cette exception française tient à la prédominance de l'Etat dans notre pays, et sur ce point, les responsabilités sont partagées entre la droite et la gauche. Ce texte, hélas, constitue l'aveu même de nos échecs répétés. Pour améliorer véritablement le fonctionnement des juridictions administratives, il conviendrait de réformer d'abord l'Etat, aujourd'hui incapable de leur donner les moyens de remplir leur mission. Nous n'avons malheureusement jamais su qu'apporter des aménagements techniques successifs et votre texte, méritoire, n'est qu'une énième tentative de digérer un phénomène que l'Etat lui-même rend indigeste. Il représente un effort louable mais ne propose que des remèdes partiels, insuffisants pour remédier aux lenteurs déplorées.

Il eût sans doute été opportun, notamment à l'occasion du bicentenaire du Conseil d'Etat, de poser les vraies questions relatives à la justice administrative. Pour nous libérer du poids des exceptions françaises, nous pourrions utilement nous inspirer de l'exemple allemand. Dans ce pays, où la tradition juridique, comme en France, se fonde sur le droit romain écrit et non sur la common law anglo-saxon, le sursis à exécution reste l'exception quand il est de droit commun dans notre pays. Tôt ou tard, la construction européenne imposera à la France d'en venir à des normes donnant vraiment la priorité aux citoyens. Or votre texte, s'il assurera une plus grande rapidité de la justice administrative, se fonde encore sur l'idée que l'administration doit d'abord être efficace, faisant fi de la liberté de citoyens. Il s'inscrit dans la tradition étatiste en dépit de ses aspects novateurs comme la généralisation des procédures orales devant les tribunaux administratifs -qui étaient d'ailleurs la règle jusqu'au XVIIIe siècle. Les tribunaux n'apprécieront d'ailleurs pas nécessairement les plaidoiries, plus ou moins longues, des avocats.

M. Arnaud Montebourg - Les plus courtes sont les meilleures, ce qui est également vrai des interventions à la tribune (Sourires).

M. Claude Goasguen - Il me semble pourtant, Monsieur Montebourg, que vous avez coutume d'abuser du temps de parole, souvent avec talent, je le reconnais.

Ce texte est méritoire. Aussi ne voterons-nous pas contre. Mais il est insuffisant. Ne prenant pas en compte les limites des juridictions administratives il aura assez peu de résultats en droit positif. Il s'éloigne en outre des conceptions modernes du droit administratif, notamment sur le plan européen. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

M. Jean-Pierre Baeumler - Abstention positive.

M. Claude Goasguen - Tout à fait, car nous souhaitons que le référé institué par ce texte soit utilisable.

Mme Christine Lazerges - La justice administrative française souffre de deux maux : elle n'est ni assez rapide, ni assez efficace.

Les exigences des justiciables comme les impératifs de la Convention européenne des droits de l'homme rendent indispensable de réformer notre système sous peine de sanctions mais surtout de déni de justice.

Pour remédier à ces deux maux anciens, il n'existe guère que deux voies. La première est de renforcer les moyens des juridictions. Le Gouvernement s'y emploie comme en témoigne le budget de la justice administrative pour l'année 2000, en augmentation de 3,9 % pour s'établir à 842 millions. Il comporte 85 emplois supplémentaires dont 40 de magistrats, l'effort déjà engagé en 1999 avec 61 emplois dont 21 de magistrats, doit être poursuivi. Il y va de la réussite de la réforme proposée.

La deuxième voie est de développer les procédures d'urgence : c'est l'objet de ce projet. Le sursis à exécution devenu dans ce texte la « suspension » et le référé permettent d'obtenir du juge des mesures provisoires protectrices des droits dans l'attente d'un jugement au fond, dont l'utilité n'est pas remise en question. Encore faut-il que le sursis ou le référé soient eux-mêmes prononcés rapidement et avec toute la force requise, surtout quand des libertés fondamentales sont en cause. Ce sera le cas demain.

En harmonisant les différentes procédures d'urgence, le projet simplifie le droit. En allégeant la procédure, dans le respect des droits des parties, et en prévoyant que, sauf exception, les décisions rendues en urgence ne pourront être contrôlées qu'en cassation, il réduit les délais. En renforçant les pouvoirs du juge, il accroît l'efficacité du droit puisque les juridictions administratives pourront désormais adresser des injonctions à l'administration.

Ce texte est profondément novateur : pour la première fois, la procédure administrative pourra être entièrement orale ; le juge administratif pourra enjoindre à l'administration de cesser un agissement. Instituer un appel par juge unique devant les cours administratives d'appel, notamment en matière de référé-liberté, constituerait une innovation intéressante dans le cadre d'une future réforme de l'appel, sans doute inévitable étant donné l'engorgement des cours.

Après les juridictions civile et pénale, la juridiction administrative sera modernisée et améliorée, tout en gardant sa spécificité. Reste aux magistrats à faire leurs les nouvelles procédures en étant attentifs à la protection des libertés des justiciables.

Pour conclure, je soulignerai la cohérence du Gouvernement, notamment de la Garde des Sceaux, qui a mis en _uvre une réforme globale de la justice n'oubliant pas la justice administrative. Cette réforme de la justice, à laquelle je suis très attachée comme l'ensemble de la gauche et sans doute la plus large part de cet hémicycle, ne peut être qu'une car la justice, par-delà les différents ordres de juridictions, est une (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Warsmann - Ce projet de loi fait suite au travail du groupe présidé par M. Labetoulle, visant à aboutir à une efficacité comparable dans les situations d'urgence pour le juge administratif et le juge civil. Deux principes fondamentaux de notre droit public doivent pour cela être assouplis : le caractère exécutoire des décisions de l'administration et l'interdiction faite au juge administratif d'enjoindre à l'administration.

Seulement 5 700 demandes de sursis ont été adressées au juge administratif en 1998 et 456 seulement ont abouti. Ce projet de loi, qui tend à créer un référé pour obtenir la suspension de l'exécution d'une décision administrative va dans le bon sens, d'autant que pour éviter les abus, il est exigé du requérant qu'il apporte la preuve d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision qu'il incrimine.

La seconde solution technique consiste à créer un référé-injonction qui donne le pouvoir au juge des référés d'ordonner toute mesure de sauvegarde lorsqu'une liberté fondamentale est menacée par une décision ou par une carence de l'administration.

Enfin, il s'agit de modifier le régime du référé conservatoire, qui permet au juge administratif de prévenir l'aggravation d'une situation dommageable ou la prolongation d'une situation illicite.

Il s'agit là d'orientations générales positives. Sont-elles pour autant suffisantes pour améliorer le fonctionnement de la juridiction administrative ? Je ne le crois pas car cette réforme n'apporte aucun moyen supplémentaire et parce qu'elle est elle-même coûteuse.

Plusieurs orateurs ont rappelé la longueur excessive des jugements rendus par les juridictions administratives qui constitue une forme de déni de justice ; la France a d'ailleurs été plusieurs fois condamnée à ce titre par la Cour européenne des droit de l'homme.

M. Arnaud Montebourg - Trop souvent !

M. Jean-Luc Warsmann - Le bilan est accablant : le délai moyen de jugement devant un tribunal administratif est de un an et onze mois et de deux ans et onze mois devant une cour administrative d'appel ; les deux s'additionnant, le délai d'appel est de l'ordre de cinq ans ! Et la situation ne s'améliore pas puisque les derniers chiffres publiés dans le bleu budgétaire montrent qu'en 1998, 123 800 affaires nouvelles ont été présentées devant les tribunaux administratifs et que seulement 104 000 ont été jugées.

Le déni de justice atteint non seulement les requérants mais il aboutit à une insécurité juridique préjudiciable pour un certain nombre d'acteurs publics et notamment de collectivités territoriales, lorsqu'on voit par exemple la prolifération des contentieux en matière d'autorisations d'urbanisme : 2 700 mises en cause à ce titre en 1978, plus de 11 000 aujourd'hui dont bon nombre relèvent de la volonté de nuire à la mise en place de projets par des acteurs publics.

Avons-nous, au moins, les moyens de compenser le coût matériel de ce projet ? Je veux à cet égard dénoncer fermement l'étude d'impact qui nous est présentée. C'est une honte pour le Gouvernement et un déni pour le Parlement. L'indigence de cette étude ne permet aucune estimation sérieuse des moyens nécessaires. Elle ne sert donc à rien. Le Gouvernement n'a même pas pris la peine de manipuler les chiffres puisqu'il n'en publie aucun !

Je le dénonce d'autant plus que cela fait partie d'un plan d'ensemble. En effet, lorsque nous avons discuté de la loi de finances pour 2000, le Gouvernement a été contraint de reconnaître que sur l'ensemble des moyens supplémentaires affectés à la magistrature, les trois quarts relevaient des réformes mises en place -concernant les tribunaux de commerce et le juge de la détention- et que seul le quart restant était consacré à la résorption des retards et à la lutte contre la délinquance des mineurs.

M. Arnaud Montebourg - C'est toujours mieux que le quart de rien du temps de Toubon !

M. Jean-Luc Warsmann - Ainsi, si ce texte va dans le bon sens sur un certain nombre de dispositions techniques, il n'apporte aucun moyen supplémentaire et fait même craindre une dégradation des conditions de travail des juges administratifs.

Nous ne pourrons donc exprimer un vote positif, à moins que le Gouvernement présente une étude d'impact digne de ce nom et prévoie les moyens suffisants pour nous permettre de fermer ces sombres perspectives pour la justice administrative.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. Patrick Braouezec - Ce projet de loi vise à assurer un meilleur traitement des dossiers qui nécessitent une réponse urgente de la juridiction administrative en conférant au juge administratif des prérogatives comparables à celles du juge des référés civils.

Trop souvent, en effet, les juridictions administratives restent le parent pauvre de notre justice et cette appréciation, Madame la Garde des Sceaux, ne remet pas en cause l'analyse que nous faisons de vos efforts sans précédents pour rendre à la justice toute sa place dans notre société.

Force est pourtant de constater que le retard accumulé nous oblige à considérer la question des moyens comme essentielle pour mener à bien les réformes engagées. Ainsi, s'agissant du présent projet, si les moyens nécessaires ne sont pas débloqués, les améliorations procédurales envisagées risquent de se retourner contre l'objectif qu'elles s'étaient fixé. En effet, une forte -et légitime- augmentation des recours pourrait induire une multiplication des ordonnances d'irrecevabilité.

Beaucoup d'efforts restent à faire pour remédier à l'engorgement des juridictions administratives. En effet, les tribunaux administratifs doivent faire face à un afflux important de contentieux, en augmentation de 21,9 % par rapport à 1997. Alors que le nombre annuel d'affaires jugées a augmenté en huit ans de 60 %, la proportion d'affaires réglées s'est dégradée, passant de 95,9 % en 1996 à 84,5 % en 1998 ; au-delà, par l'effet de transferts de compétences successifs, le stock d'affaires en attente s'est considérablement alourdi et on estime à plus de trois ans le délai théorique de résorption.

En dépit de l'ouverture de nouvelles juridictions administratives, la situation de blocage est réelle et elle concerne notamment les procédures d'urgence.

S'il existe de nombreuses procédures d'urgence devant les juridictions administratives, le sursis à exécution, qui constitue le principal instrument de traitement de l'urgence par le juge administratif, est loin de donner satisfaction.

La présente réforme tient compte des spécificités du droit administratif -dont les décisions prises le sont au nom de l'intérêt général- et vise à améliorer les réponses aux attentes des justiciables. Instituer un juge des référés statuant en urgence devrait les faire bénéficier d'un minimum de garanties face à l'administration.

Ce projet s'inscrit dans votre logique, Madame la ministre, qui tend à améliorer la justice au quotidien, à laquelle participe le juge administratif. Il importe en effet de donner au juge administratif les moyens d'apparaître comme aussi accessible que son collègue de l'ordre judiciaire dans les situations urgentes. Trois procédures de référé sont ainsi introduites : le référé-suspension, le référé-injonction et le référé conservatoire.

L'ensemble du projet nous semble atteindre une forme d'équilibre, qu'il s'agisse de l'exonération du droit de timbre pour les requérants, du mécanisme de tri des requêtes qui se trouve tempéré par le caractère provisoire des mesures ordonnées par le juge des référés, de la possibilité offerte au juge d'enjoindre à l'administration de différer la signature d'un contrat de nature à porter préjudice à un tiers, ou de la réactualisation des procédures particulières existantes en différents domaines.

Même si des efforts importants restent à réaliser, le groupe communiste votera l'ensemble de ce projet qui s'est fixé l'objectif de répondre aux attentes de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Emile Blessig - Notre rapporteur a rappelé l'importance des procédures d'urgence devant le juge judiciaire dont atteste le succès du référé civil. Ce texte vise à étendre au juge administratif la prise en compte de l'urgence. Il n'était que temps de le faire et nous ne pouvons à cet égard que le soutenir. Il déroge cependant à deux principes importants du droit administratif : celui du caractère exécutoire de plein droit des décisions administratives et l'interdiction qui est faite au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Nous souhaitons donc approfondir deux conditions d'efficacité de cette loi : la préservation de l'intérêt des justiciables et d'un équilibre entre ses droits et l'efficacité de l'action administrative.

S'agissant de la préservation de l'intérêt des justiciables, les mesures proposées pour renforcer l'accessibilité de la juridiction administrative vont dans le bon sens. Il convient également d'instituer des délais de procédure qui prennent véritablement en compte les impératifs de l'urgence.

Il faut également introduire un double degré de juridiction pour les décisions les plus lourdes de conséquence et je pense notamment aux injonctions. Le texte doit veiller également aux garanties du contradictoire, non seulement lors de le requête initiale mais aussi lors de la modification ou de la suspension de cette dernière. Le pouvoir de tri préalable du juge des référés doit aussi de ce point de vue faire l'objet d'un examen attentif.

Pour ce qui concerne la préservation de l'équilibre entre le droit des justiciables et l'efficacité de l'action administrative, il convient de considérer que les décisions administratives ont de plus en plus d'importance et qu'un projet -même modeste- suscite inévitablement opposition et constitution d'associations susceptibles de faire feu de tout bois pour s'y opposer en utilisant la voie de l'obstruction et celle de l'épuisement des recours. Gardons aussi à l'esprit qu'il ne s'agit pas toujours d'un justiciable opprimé face à un Etat omnipotent... mais souvent d'un groupe de citoyens face à une collectivité locale ou à une structure intercommunale qui souhaite réaliser un projet modeste. Il est impératif que les délais de procédure soient brefs.

Par ailleurs, pour préserver l'équilibre entre les droits des justiciables et l'efficacité de l'action administrative, il faut aussi se poser le problème de l'abus de procédure. Des recours systématiques, formés dans le seul but de paralyser l'adversaire, sont inadmissibles, d'autant qu'ils encombrent la juridiction administrative. Le tri préalable prévu à l'article 9 constitue une première réponse et l'amende pour recours abusif en apporte une seconde.

En démocratie, tout droit a pour contrepartie la responsabilité.

Ce projet, utile, n'épuise pas le sujet du traitement de l'urgence, dont le rapporteur vient de dire qu'il devrait faire l'objet d'une codification. Il nous faut aussi un véritable juge des référés administratifs, comme au civil : ce serait un bon moyen de désengager notre juridiction administrative, dont la crédibilité dépendra de la bonne application des mesures contenues dans ce texte mais aussi des moyens que le Gouvernement lui donnera.

Sous réserve de l'adoption des amendements approuvés par la commission, le groupe UDF est prêt à voter ce texte (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant les articles du projet dans le texte du Sénat.

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ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 1 de la commission vise à compléter cet article pour préciser que le juge des référés « se prononce dans les meilleurs délais ». C'est sans doute une évidence. Cependant, la commission a souhaité l'inscrire dans la loi de manière explicite.

Je rappelle que le délai moyen de jugement est de 156 jours, autrement dit cinq mois.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. Jean-Luc Warsmann - On ne pouvait mieux donner raison à l'opposition qu'en déposant un tel amendement. Dans un débat sur le traitement de l'urgence, on veut préciser que le juge doit statuer « dans les meilleurs délais « ! Le rapporteur lui-même nous indique que le délai moyen est de cinq mois. On sait en outre que les moyens nécessaires à l'application du texte que nous examinons ne sont pas même calculés : ce projet va donc aggraver la situation.

L'opposition l'a dit : l'essentiel, c'est de donner des moyens supplémentaires à la justice administrative.

Avec un tel amendement, nous frisons le ridicule.

M. Claude Goasguen - Une telle rédaction n'a pas de portée législative. Nous sommes en train de nous substituer au Conseil d'Etat dans l'organisation de sa procédure.

Que veut dire votre ajout ? Quelles sanctions pourraient-elles donc être prises si le juge ne statuait pas « dans les meilleurs délais ? » Il ne s'agit que d'un v_u pieux.

On trouve ce genre de dispositions dans les règlements d'administration publique. Mais ne dénaturons pas la loi par de telles redondances.

M. Arnaud Montebourg - En exigeant que la délibération intervienne dans les meilleurs délais, le législateur ne fait que rappeler sa volonté expresse au juge administratif.

Michel Debré l'a dit : le Conseil d'Etat, c'est un peu l'administration qui se juge elle-même. Elle est donc juge et partie. Le législateur peut au moins demander qu'elle juge vite.

Il serait utile que le Gouvernement fixe à la juridiction administrative un délai analogue à celui qui s'impose à la juridiction judiciaire. Il n'est pas normal qu'il y ait une différence entre les deux ordres juridictionnels.

Mme la Garde des Sceaux - M. Warsmann, une fois de plus, a soulevé la question des moyens, avec une réelle impudence : en trois ans, nous avons fait tout ce qui n'a pas été fait dans les dix années précédentes.

En faveur de la juridiction administrative, nous avons créé, en 1998 et en 1999, trente-six postes de magistrats -dont quinze temporaires- et quarante postes de fonctionnaires. Pour 2000, nous avons consenti un effort encore plus important, en raison de l'augmentation du contentieux, de l'ouverture du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, de la réforme de la procédure d'urgence et de la nécessité d'améliorer l'encadrement dans les tribunaux administratifs. Aussi allons-nous créer quarante emplois de magistrats et quarante-cinq emplois dans les greffes.

La réforme de la procédure d'urgence aura son plein effet en 2001 et j'aurai les moyens d'y faire face.

M. Jean-Luc Warsmann - En 1998, il y a eu 123 800 affaires nouvelles et seulement 104 000 affaires jugées. Les créations de postes n'ont pas même permis de stabiliser le retard.

Mme la Garde des Sceaux nous affirme qu'elle disposera des moyens nécessaires en 2001. Accepte-t-elle de rendre publique la partie de l'étude d'impact qui a été censurée ?

M. le Rapporteur - L'ajout proposé n'a rien d'incantatoire. Dans le décret d'application, le Gouvernement devra préciser que les audiences ont lieu à date régulière. Je fais partie de ceux qui comptent sur le référé pour réduire le contentieux ordinaire.

Mme la Garde des Sceaux nous ayant donné des assurances sur les moyens, nous devrions être tous d'accord pour voter l'amendement 1.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 2

M. le Rapporteur - L'amendement 2 de la commission vise à préciser qui sera le juge des référés : le président ou les personnes qu'il désigne « et qui, sauf absence ou empêchement, ont une ancienneté minimale de deux ans et ont atteint au moins le grade de premier conseiller ».

En effet, seule une bonne connaissance du droit applicable permet de garantir que les conditions d'un référé sont réunies. Cette exigence d'ancienneté se justifie d'autant plus que nous renforçons les prérogatives du juge des référés.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Il faut confier ce rôle à des magistrats expérimentés, tout en conservant une certaine souplesse en cas d'absence ou d'empêchement.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 3 de la commission est rédactionnel.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 2, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 3

Mme Christine Lazerges - L'amendement 4 vise à permettre au juge administratif de prononcer la suspension des décisions administratives, que celles-ci soient positives ou négatives. La loi le permet en théorie, mais la jurisprudence du Conseil d'Etat s'y oppose.

Il existe de nombreuses hypothèses dans lesquelles la suspension devrait pouvoir concerner des décisions de refus, car aucune « liberté fondamentale » permettant d'avoir recours au « référé-liberté » de l'article 4 n'est en cause, alors même que la situation des intéressés est gravement affectée. Je pense au refus d'autoriser une personne à se présenter à un concours, avec le risque qu'elle ait dépassé la limite d'âge après le jugement.

M. le Rapporteur - La commission a adopté cet amendement.

Mme la Garde des Sceaux - Il est exact que la jurisprudence Amoros ne corresponde plus à l'état actuel du droit, après l'adoption de la loi du 2 février 1995. Mais si une injonction devait être ordonnée, ce serait dans des circonstances de droit et de fait particulières. Je préfère laisser la jurisprudence évoluer.

Je ne suis par conséquent pas favorable à cet amendement.

M. Arnaud Montebourg - Je ne souhaite pas faire preuve d'irrespect envers la jurisprudence administrative dans laquelle ont baigné mes jeunes années de droit, mais je crois qu'il faut vraiment ouvrir les portes et les fenêtres de la juridiction administrative. Le groupe socialiste soutient l'amendement de Mme Lazerges.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - Voilà dix fois depuis le début de la soirée que Mme la Garde des Sceaux est mise en minorité...

M. le Rapporteur - A côté du contentieux de l'excès de pouvoir, il existe quelques contentieux spécialisés, tels que, par exemple, celui des installations classées pour la protection de l'environnement, pour lesquels les textes ont explicitement octroyé au juge administratif un pouvoir de réformation des décisions qui lui sont soumises.

L'amendement 5 en tire les conséquences, en ne limitant pas les référés suspension aux seules requêtes tendant à l'annulation d'une décision administrative. Ce sont les affaires de porcherie que j'évoquais tout à l'heure.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Le Sénat a imparti au juge administratif un délai d'un an pour statuer sur la requête en annulation d'une décision dont le juge des référés aurait suspendu l'exécution. Sous couvert d'inciter à un jugement rapide de la requête présentée au fond, il a en fait adopté un dispositif susceptible de favoriser les actions dilatoires des requérants et d'entraîner une insécurité juridique dans la mesure où l'acte attaqué pourrait être successivement exécutoire puis suspendu. L'amendement 6 propose donc de rétablir la rédaction initiale du projet, sous réserve d'une modification permettant de prendre en compte les requêtes en réformation.

Mme la Garde des Sceaux - Cet amendement revient au texte initial du Gouvernement, je ne peux que lui être favorable.

M. Claude Goasguen - Cet amendement me semble contredire celui sur les meilleurs délais.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

L'article 3, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 4

M. le Rapporteur - Sur la notion de voie de fait, le Sénat avait légèrement modifié le texte du Gouvernement, notre commission propose à son tour une autre rédaction, montrant que cette notion reste dans le champ judiciaire mais que s'ouvre aussi un nouveau champ pour le référé administratif. Tel est l'objet de l'amendement 7.

Mme la Garde des Sceaux - Cette nouvelle rédaction est plus proche de l'esprit du texte du Gouvernement. Avis favorable.

M. Arnaud Montebourg - Cet amendement apporte une importante clarification quant à la recevabilité du recours devant le juge administratif. Pour autant, dès lors qu'un abus de pouvoir peut être constaté, nous devons affirmer notre attachement à la notion de voie de fait, qui est un acquis fondamental des jurisprudences administrative et judiciaire, et défendre la possibilité de choisir entre les deux voies.

M. Claude Goasguen - Sur le fond, je suis d'accord avec M. Montebourg, mais il me semble préférable d'éviter la confusion, d'autant que le Tribunal des conflits a déjà été saisi. A ce titre, la rédaction du Sénat a le mérite de la clarté.

M. le Rapporteur - C'est un simple problème de rédaction. Nous en sommes tous d'accord : il faut définir les territoires de chacun et éviter les chevauchements de compétence.

M. Claude Goasguen - Il y en a déjà eu...

M. le Rapporteur - Nous savons que, devant le Tribunal des conflits, un grand nombre d'actions fondées sur la voie de fait sont rejetées et qu'il y a un contentieux dormant qui ne demande qu'à trouver un champ d'expression devant le tribunal administratif. Je souhaite que la jurisprudence administrative définisse les limites et les critères.

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - Par l'amendement 19, le Gouvernement propose de rétablir un alinéa supprimé par le Sénat et d'ouvrir au représentant de l'Etat le référé-liberté à l'égard des collectivités locales et des établissements publics. Il serait en effet paradoxal que le préfet, en charge des missions d'intérêt général, ne dispose pas d'un instrument ouvert aux simples particuliers.

Le référé-liberté est très différent du référé-suspension dont bénéficie déjà le préfet ; il n'y aura donc pas double emploi.

Enfin, le Premier ministre s'étant engagé à renforcer le contrôle de légalité, il appartient bien au préfet d'exercer cette mission.

M. le Rapporteur - La commission a adopté cet amendement, sous réserve d'un sous-amendement 20 qui permet au représentant de l'Etat de présenter une demande de référé-injonction lorsque l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale est le fait d'un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public local.

Mme la Garde des Sceaux - Ce sous-amendement répare un oubli. Favorable.

M. Claude Goasguen - Je le dis comme une boutade : je comprends que l'on veuille rétablir le texte initial, mais il ne faudrait quand même pas que sous prétexte de favoriser l'expression d'une liberté, on permette au Gouvernement de renforcer son contrôle sur les collectivités territoriales et sur les organismes qui gèrent le service public.

Je m'abstiendrai sur ce sous-amendement et sur cet amendement.

Le sous-amendement 20, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 19, ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 5 et 6, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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ART. 7

M. le Rapporteur - L'amendement 8 est rédactionnel.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Je m'étais personnellement rangé à la position du Gouvernement qui n'avait pas prévu d'appel pour les nouveaux référés. La commission en a toutefois jugé autrement et a souhaité, à la suite du Sénat, que le référé-liberté ouvre la possibilité d'un appel. Mais, à la différence de la rédaction du Sénat, qui prévoyait un appel devant le Conseil d'Etat, l'amendement 9 rectifié prévoit un appel devant la cour administrative d'appel. On peut craindre que cette juridiction soit surchargée même si un amendement ultérieur propose que le jugement soit rendu par une personne seule et non par cinq magistrats.

Mme la Garde des Sceaux - La commission a donc souhaité maintenir l'appel pour le référé-injonction. Je trouve toutefois plus cohérent avec la procédure de déféré préfectoral d'en confier le jugement, comme l'a fait le Sénat, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. Cela éviterait en outre un surcroît de travail à la cour administrative d'appel, qui semble, enfin, moins apte à harmoniser la jurisprudence.

Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Emile Blessig - Cette disposition introduit une véritable novation dans les relations entre les justiciables et la juridiction administrative et tient compte de la multiplicité des organismes publics : communes, structures intercommunales, établissements publics.

L'exécution de la décision administrative étant suspendue par ce référé, il peut en résulter des retards -surtout si le recours à cette procédure devient systématique. Il m'a donc paru indispensable d'instituer un appel, d'autant que ce référé pourra aussi s'étendre à un refus ou à une absence de décision, ce qui en étend considérablement le champ d'application.

Enfin, pour faciliter l'accès à la justice, nous avons choisi pour deuxième degré de juridiction la cour administrative d'appel, plus proche du justiciable que le Conseil d'Etat.

L'amendement 9 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 7, modifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 8, mis aux voix, est adopté.

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ART. 9

M. le Rapporteur - L'amendement 10 propose une rédaction légèrement différente du début de cet article, qui autorise le président du tribunal à rejeter certaines requêtes. La commission s'est ici inspirée de ce qui se fait en matière civile : le demandeur vient devant le juge expliquer qu'il y a urgence et, au terme d'une audience qui n'a pas de caractère contradictoire, une date est fixée -à moins que la demande ne soit rejetée, auquel cas ce refus doit être motivé.

L'amendement 10, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

L'article 9 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 10 à 12, successivement mis aux voix, sont adoptés

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ART. 13

M. le Rapporteur - L'amendement 11 vise à remplacer les mots « sursis à exécution » par le mot « suspension », qui est la nouvelle appellation de la procédure.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Dans la mesure où le sursis de 48 heures porte non seulement sur les actes des communes, mais aussi sur ceux des départements et des régions, il convient de compléter les références au code des collectivités locales d'où l'amendement 12.

L'amendement 12, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

L'article 13 modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 14 et 15, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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ART. 16

Mme Christine Lazerges - L'amendement 14 a pour objet de codifier la jurisprudence administrative relative à la protection de la nature. Actuellement, le sursis à exécution ne peut être demandé qu'en cas de défaut d'étude d'impact : nous souhaitons qu'il soit également de droit lorsque cette étude est insuffisante.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement qui ne fait que reprendre une jurisprudence assimilant l'insuffisance de l'étude d'impact à une absence de ladite étude.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. Jean-Luc Warsmann - Puisse la majorité être entendue aussi par le Conseil constitutionnel ! L'étude d'impact de ce projet n'est en effet longue que de deux pages et demie et elle fait l'impasse sur le coût budgétaire de cette réforme : cela mérite censure, pour insuffisance manifeste !

L'amendement 14, mis aux voix, est adopté.

L'article 16 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 17

M. le Rapporteur - L'amendement 15 vise à supprimer cet article, le référé en cause pouvant sans dommage être intégré à ceux que nous venons d'instituer.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable : ce sursis à exécution sur recours du ministre chargé des sports s'applique aux décisions prises par les fédérations et il importe de conserver au ministre cette prérogative.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté et l'article 17 est ainsi supprimé.

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APRÈS L'ART. 17

M. le Rapporteur - L'amendement 16 rectifié précise que c'est un, et non cinq, magistrats de la cour administrative d'appel qui statuera en référé.

L'amendement 16 rectifié, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

M. Arnaud Montebourg - L'amendement 17 vise à rendre obligatoire le dialogue entre l'administration et ses agents avant que ceux-ci n'engagent une procédure contentieuse devant la juridiction administrative. Ce dialogue existe déjà dans de nombreuses matières, en matière prud'homale notamment et je ne vois aucune raison de ne pas l'organiser, s'agissant de l'avancement et de la situation personnelle des agents -j'exclus bien entendu le contentieux de la notation.

Cependant, pour éviter toute ambiguïté, je propose de remplacer, à la troisième ligne, le mot « carrière » par « situation personnelle ».

M. le Président - Ce sera donc l'amendement 17 rectifié.

M. le Rapporteur - La commission a adopté l'amendement bien dans l'esprit des réformes en préparation. Celle-ci visant à faire l'économie de procès, par exemple en recourant à la médiation. Dans le domaine sportif la chose fonctionne d'ailleurs déjà très bien.

Mme la Garde des Sceaux - C'est un excellent amendement, surtout sous sa forme rectifiée : nous avons tout intérêt à favoriser les voies non contentieuses du règlement des différends, y compris lorsque ceux-ci opposent l'Etat et ses agents. Et c'est en effet conforme à l'esprit des procédures nouvelles visant à garantir des réponses plus rapides aux usagers de l'administration et des services publics, comme du projet visant à renforcer les droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration.

Toutefois, pour prévenir tout malentendu de la part des agents ou de leurs organisations syndicales, il convient de préciser que cette disposition ne fait en rien obstacle au recours juridictionnel : la procédure précontentieuse ne sera que le moyen de régler le différend ou de cristalliser les divergences, et en aucun cas de priver les fonctionnaires d'une garantie. En outre, il me paraît nécessaire de souligner que l'amendement exclut du champ de la procédure nouvelle les mesures concernant le recrutement ou les procédures disciplinaires, pour lesquelles l'intervention du juge administratif, pour être efficace, ne saurait être différée.

En tout état de cause, les décrets prévus seront élaborés après concertation avec toutes les parties intéressées, en particulier les organisations syndicales.

M. Claude Goasguen - Cet amendement symbolique a cependant deux défauts : c'est un cavalier juridique car le contentieux disciplinaire de la fonction publique n'a rien à voir avec l'objet de ce projet, et il relève probablement du domaine réglementaire. Mais, sur le fond, il est intéressant même s'il risque de ne pas faire plaisir à tous dans la fonction publique. Je le voterai donc, d'autant plus que le Conseil constitutionnel, par une décision d'inspiration corporatiste, nous a imposé une délibération d'ordre également réglementaire, dans l'exercice de notre fonction publique. Cette disposition nous aidera à gérer des situations fort désagréables...

L'amendement 17 rectifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 18

M. le Rapporteur - L'amendement 18 rectifié tend, par coordination, à abroger un texte relatif à un référé que nous avons supprimé tout à l'heure.

Mme la Garde des Sceaux - J'y suis défavorable par coordination.

L'amendement 18 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 18 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

L'article 19, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 19 bis, 19 ter, 19 quater, 20 et 21.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

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RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il a décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2000.

Prochaine séance cet après-midi, mercredi 15 décembre, à 15 heures..

La séance est levée à 0 heure 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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