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Session ordinaire de 1999-2000 - 44ème jour de séance, 106ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 18 JANVIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI 2

CATASTROPHES NATURELLES ET MARÉE NOIRE 2

CONSÉQUENCES DES TEMPÊTES
SUR LA FILIÈRE BOIS 4

CONSÉQUENCES DES OURAGANS 4

MARÉE NOIRE 5

RÉVISION CONSTITUTIONNELLE 6

TAUX DE TVA SUR LES TRAVAUX DE
RÉPARATION APRÈS L'OURAGAN 8

CONSÉQUENCES DE LA TEMPÊTE
DU 27 DÉCEMBRE EN DORDOGNE 9

MARÉE NOIRE 9

INDEMNISATION DES VICTIMES DES TEMPÊTES 10

FIN DE LA MISSION TEMPORAIRE
D'UNE DÉPUTÉE 11

ÉLECTRICITÉ (nouvelle lecture) 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 17

QUESTION PRÉALABLE 23

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI

M. Louis Mexandeau - Monsieur le ministre des affaires étrangères, le peuple chilien a choisi, décidément, le retour à la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV : « Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR).

Ancien collaborateur de Salvador Allende, dont la fin tragique, il y a 27 ans, fit entrer le Chili dans une période d'horreur, Ricardo Lagos, candidat des socialistes et des autres démocrates, vient de démontrer par sa victoire que les Chiliens veulent effacer jusqu'au souvenir de la dictature (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Je fais confiance à la démocratie chilienne pour traiter comme il convient le cas Pinochet. Si la France peut aider ce pays à fermer cette parenthèse, je suis sûr qu'elle le fera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - L'élection présidentielle chilienne a été suivie avec attention dans le monde et tout particulièrement en France, d'autant que le premier tour était serré. M. Lagos a été élu au second tour avec 51,31 % des suffrages. Il est le troisième président élu depuis le retour à la démocratie après deux démocrates chrétiens. D'abord conseiller du président Allende, il s'est battu avec courage pour le rétablissement de la démocratie. Comme le lui a déclaré le Premier ministre, qui lui a écrit et parlé au téléphone, son élection est un moment très émouvant pour tous ceux qui ont soutenu les Chiliens dans leur volonté de reconquête des droits démocratiques.

Pour relever les défis qui l'attendent, le Chili peut compter sur l'amitié et la coopération de la France.

S'agissant de l'affaire Pinochet, sur mes instructions, notre ambassadeur à Londres est intervenu de nouveau auprès du ministre britannique de l'intérieur pour lui faire connaître la position de la France quant au retour du général Pinochet au Chili. Toutes les démarches possibles ont été faites auprès du gouvernement britannique, qui prendra sa décision définitive rapidement. Je vous indique par ailleurs que le président élu a souhaité que le général Pinochet réponde de ses actes au Chili.

M. Lagos peut compter sur l'amitié de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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CATASTROPHES NATURELLES ET MARÉE NOIRE

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier ministre, notre pays est encore sous le choc de deux catastrophes : ces tempêtes qui ont frappé la France et la marée noire qui a fait suite au naufrage du pétrolier Erika.

Les catastrophes naturelles sont difficiles à éviter : on ne peut que les déplorer et réparer les dégâts, même s'il importe d'en tirer des leçons. La marée noire en revanche soulève l'indignation et même l'éc_urement. Elle ne provoque qu'une réaction : plus jamais ça !

Sans parler de la détresse des personnes touchées, ce sont nos forêts, nos rivages, notre patrimoine qui sont ravagés. Ce sont des emplois, des activités qui sont menacés.

La France et les Français se sont montrés exemplaires. La solidarité dont ont fait preuve nos concitoyens, le dévouement et l'efficacité de tous les services publics, l'engagement de tous les instants des élus locaux ne seront jamais assez salués.

Vous-même, Monsieur le Premier ministre, et les membres du Gouvernement (Murmures sur les bancs du groupe du RPR) étiez présents sur le terrain. Dès le 12 janvier, vous avez annoncé un plan de mesures à la hauteur des enjeux.

Qu'en est-il de sa mise en _uvre ? Votre réponse redonnera espoir et courage aux victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Fin décembre, notre pays a été frappé par deux catastrophes d'une exceptionnelle gravité : deux ouragans, qui ont frappé les deux tiers du territoire, et une marée noire, conséquence de la violence de la mer mais surtout d'un système qui continue de privilégier le transport à bas prix de produits polluants, au détriment de la sécurité.

Devant la représentation nationale de nouveau réunie, je veux aujourd'hui saluer la mémoire des victimes et prendre part au deuil des familles.

Je pense aussi à tous ceux qui ont souffert durement, pendant plusieurs semaines, parce qu'ils étaient privés d'électricité ou de chauffage, à ceux dont la situation a été fragilisée par la perte de leur outil de travail ou par des atteintes à leur patrimoine.

Tous les élus, une fois de plus, étaient présents sur le terrain. Je les ai rencontrés. D'autres m'ont écrit pour me dire à quel point leur commune, leur département avaient été éprouvés.

Je veux saluer aussi ce grand élan de solidarité qu'on a observé dans le pays.

Les maires et les autres élus locaux, les fonctionnaires de l'Etat, les militaires, les agents des entreprises électriques étrangères qui nous ont prêté main forte...

Plusieurs députés RPR - Les ministres en vacances !

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Les ministres comme moi-même, ont interrompu leurs vacances, comme le Président de la République est allé sur le terrain, et je ne souhaite pas insister sur le lieu de proclamation de certaines mises en cause vengeresses... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Le Gouvernement a pris des mesures d'urgence. Le 12 janvier, un plan d'ensemble a été arrêté. Il concerne aussi bien les pêcheurs que les conchyliculteurs, les propriétaires forestiers et les autres victimes économiques. Il sera mis en _uvre rapidement, pour venir en aide à ceux dont la situation est la plus précaire, et reposera sur la solidarité nationale. Au total, l'effort budgétaire sera supérieur à 4 milliards, auxquels s'ajouteront 12 milliards de prêts et les 6 milliards prévus sur dix ans pour la reconstitution de nos forêts. Ces aides devront être adaptées aux situations, qui sont diverses, elles pourront ainsi prendre la forme de dotations exceptionnelles, de prêts à taux nul ou de délais de règlement des impôts et des charges sociales.

Au plan national, le Gouvernement s'efforcera de réparer les conséquences de ces destructions et de reconstituer notre forêt.

Le Gouvernement souhaite aussi la participation de l'Union européenne. Nous saisirons donc la Commission de demandes précises dans les jours qui viennent.

Il nous faut enfin tirer des enseignements de ces catastrophes. Je recevrai les représentants des associations d'élus. Un comité interministériel de l'aménagement et de développement du territoire doit se tenir fin février à Nantes. Auparavant, j'aurai réuni à Matignon les élus de la façade atlantique.

Un comité interministériel de la mer se tiendra à Nantes le même jour que le CIADT : nous pourrons ainsi faire connaître les démarches que nous comptons faire, aux plan national, communautaire et international, pour renforcer la sécurité des transports maritimes.

Le Gouvernement, en outre, sera attentif aux propositions que formulera la commission d'enquête que votre Assemblée, je crois, va prendre l'initiative de constituer.

Une mission d'évaluation sera chargée de tirer les enseignements de ces ouragans.

Le Gouvernement continuera, pour faire face aux besoins, de prendre toutes les mesures nécessitées par les circonstances. En concertation avec les élus, il dégagera les moyens appropriés. Soyez-en certains, nous ferons face au défi de la reconstruction et que nous le ferons dans la durée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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CONSÉQUENCES DES TEMPÊTES SUR LA FILIÈRE BOIS

M. François Brottes - En abattant quelque 500 000 hectares de forêt cette tornade a causé des dégâts sans précédent.

Certaines parcelles ont été totalement anéanties. La blessure est profonde, à la fois dans le c_ur des forestiers et dans les paysages. Une course contre la montre est maintenant engagée pour qu'avant les prochaines chaleurs, les arbres à terre soient enlevés des forêts et stockés correctement. Il ne faudrait pas en effet que la filière bois, déjà bien éprouvée, subisse une chute des cours. Le bois demeure un matériau de grande qualité, aux multiples usages. Il faut l'utiliser en plus grande quantité, dans l'intérêt d'une forêt vivante et régénérée.

En pensant aux 500 000 emplois de la filière bois, aux communes forestières, aux propriétaires forestiers privés, le Gouvernement a déjà annoncé d'importantes mesures. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous donner quelques précisions sur leur mise en _uvre , (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Dans le plan gouvernemental annoncé mercredi dernier, il y a un plan national de sauvegarde de la forêt qui s'articule autour de trois volets.

Le premier est la mobilisation des ressources. Il y a en effet probablement 115 millions de mètres cubes de bois à terre et 300 millions d'arbres abattus. Il faut éviter que cette ressource dépérisse au sol. Nous disposons pour cela de seulement quelques mois.

Le deuxième est le stockage. Nous devons l'encourager afin d'éviter que cette masse de bois soit mise sur le marché et provoque des effondrements de cours. Nous aiderons donc les propriétaires à stocker et à gérer ce stock dans le temps.

Le troisième est bien sûr le reboisement. Nous devrons reconstruire la forêt et, peut-être, chercher une plus grande biodiversité.

Je confirme à la représentation nationale que, comme prévu, un projet de loi forestière sera déposé devant le Parlement au cours de ce semestre. Un tel débat s'impose en effet plus que jamais.

Je voudrais aussi dire aux forestiers et aux petits propriétaires privés de ne pas se décourager et de ne pas brader leur bois.

Je termine par un message à l'ensemble de la population : en ce moment, la forêt française est dangereuse -un accident a encore eu lieu hier- il ne faut ni aller s'y promener ni aller regarder les bûcherons travailler. Je demande aux élus de relayer ce message de prudence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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CONSÉQUENCES DES OURAGANS

M. Didier Quentin - Monsieur le Premier ministre, je souhaite moi aussi vous interroger sur les conséquences des ouragans qui ont dévasté le pays à la fin du mois de décembre et j'espère que vous aurez à c_ur de répondre en personne, comme vous l'avez fait pour le groupe socialiste.

Tout d'abord, je m'associe à l'hommage rendu aux victimes.

Dans de nombreux départements, comme la Charente-Maritime, des secteurs entiers de l'économie sont sinistrés, qu'il s'agisse de la sylviculture, de la conchyliculture, de la pêche, de l'agriculture ou de l'horticulture, sans parler de l'impact sur le tourisme.

Beaucoup de Français s'interrogent sur les moyens qui seront dégagés pour remettre en état leur bien ou leur outil de travail. Certes, vous avez annoncé le 12 janvier un plan d'aide mais je m'étonne qu'il n'ait pas fait l'objet d'une concertation approfondie avec les élus.

D'où ma première question : avez-vous, oui ou non, l'intention d'organiser un débat à l'Assemblée nationale sur les mesures déjà prises et sur celles qui restent à prendre ?

Par ailleurs, le mode d'emploi des aides annoncées et leurs critères d'attribution restent assez flous. Et la question principale demeure : comment allez-vous les financer, pensez-vous déposer rapidement un collectif budgétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je n'avais pas prévu de m'exprimer à nouveau sur le sujet, l'ayant déjà fait assez longuement, tout à l'heure, mais puisque vous m'invitez à répondre à une question de l'opposition, je suis sensible à cet appel (« Très bien ! » sur les divers bancs).

La méthode du Gouvernement a reposé sur la concertation avec les élus. Pas un seul déplacement de ses ministres, pas un seul de mes propres déplacements sur le terrain ne s'est opéré sans qu'une réunion de concertation avec les élus concernés soit organisée. Un débat à l'Assemblée ? Je n'ai pas voulu prendre une initiative, qui, venant de l'exécutif le jour de la rentrée parlementaire, aurait pu paraître discourtoise, mais je suis ouvert à toute proposition en ce sens émanant de la conférence des présidents, du président de l'Assemblée nationale (« Très bien ! » sur divers bancs).

Votre deuxième question porte sur le mode d'emploi des mesures annoncées. J'ai entendu un représentant de l'opposition qualifier de complexe le plan gouvernemental. Mais la réalité l'est aussi, complexe, extraordinairement, et il est parfois utile de s'en aviser. Cela étant, nous sommes prêts, naturellement, à donner plus d'explications. C'est ce que font déjà les ministres concernés, par exemple le ministre de l'agriculture et de la forêt au sujet du plan forêt, qui a été élaboré en tenant le plus grand compte des suggestions des professionnels et des élus des régions touchées, y compris ceux de l'opposition.

Le financement de ces mesures sera assuré par le budget de l'Etat et il s'agira de ressources de nature à répondre vraiment aux dégâts constatés. Quelles seront les traductions techniques de ces financements ? Nous choisirons les meilleures possibles en fonction du calendrier parlementaire. Pour le moment, nous sommes en mesure de dégager le début des financements nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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MARÉE NOIRE

M. Louis Guédon - Monsieur le Premier ministre, vous avez pu mesurer l'ampleur de la pollution causée par la marée noire et constater l'inquiétude des populations côtières. Leur volonté de faire face n'a d'égale que leur ardeur à nettoyer le littoral, ardeur à laquelle s'est ajoutée celle des sauveteurs, des militaires, des membres de la protection civile et des bénévoles.

Si les postes de commandement ont permis de rationaliser, sous l'autorité des préfets, le plan Polmar-terre, un certain nombre de questions restent cependant en suspens.

Je forme le v_u qu'une commission d'enquête parlementaire puisse enfin proposer des solutions pragmatiques aux problèmes du pavillon de complaisance et des rapports entre les groupes pétroliers et leurs armateurs. Je souhaite aussi qu'en collaboration avec nos partenaires européens, nous mettions au point une législation maritime de nature à sécuriser notre littoral.

D'ores et déjà, nous avons constaté l'échec du plan Polmar-mer, qui n'avait pas prévu à temps la dérive des masses de mazout. Des méthodes de dédommagement sont en place, via les assureurs, le FIPOL, le plan Polmar-terre et la responsabilité des pollueurs. Mais quand le Gouvernement annoncera-t-il la date de remboursement des frais engagés et des pertes subies ? Et pour quel montant la campagne d'information nécessaire pour restaurer l'image du littoral sera-t-elle prise en compte ? Les populations concernées attendent des réponses précises (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous l'avez souligné, la mobilisation dans les régions concernées par la marée noire a été générale et massive (Murmures sur les bancs du groupe UDF). Elle a permis une excellente coordination des moyens de l'Etat -sécurité civile, police, gendarmerie, armée, services de l'équipement-, de ceux des collectivités locales, enfin des moyens associatifs et des bénévoles. Les questions qui se posent aujourd'hui sont de deux ordres. Tout d'abord, comment réparer au mieux les dégâts ? Le préfet de la région Bretagne a été chargé de préparer un plan d'ensemble de nettoyage des plages, et 750 personnes supplémentaires vont y être affectées. Ensuite, une fois les déchets ramassés, il faudra les stocker et les éliminer dans de bonnes conditions. Nous sommes dans une phase intermédiaire : les sites les plus touchés ont été nettoyés, et les sites de stockage intermédiaires éliminés. C'est maintenant à Total de présenter les différentes hypothèses techniques pour l'élimination des déchets. Il faudra ensuite faire face à la persistance de 15 à 20 000 tonnes de fioul dans les soutes de l'Erika. C'est une question technique complexe, qui exigera encore quelques semaines de mise au point. Nous procédons à des tentatives de bouchage des fuites.

Autre question : l'indemnisation de ceux qui sont ou seront lésés par les conséquences de la marée noire. L'assurance de l'armateur peut être sollicitée à hauteur de 70 millions, et le FIPOL de 1,2 milliard. Ce dernier devrait commencer à verser des indemnisations à compter du 15 février. Mon ministère coordonne les interventions du plan Polmar-terre sur le plan budgétaire, notamment pour rémunérer d'urgence ceux qui engagent des dépenses, en particulier les collectivités locales. Nous n'avons pas l'intention de faire peser sur les contribuables le coût des interventions, et nous nous retournerons contre le FIPOL et Total. Une aide du FISAC devrait aider par ailleurs les entreprises et les artisans, si nécessaire, à attendre l'indemnisation. Enfin le CIAT de fin février annoncera un programme complet de restauration de l'attractivité des régions concernées et de redynamisation économique (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

M. Valéry Giscard d'Estaing - Excusez-moi si ma voix manque un peu de volume : c'est que je l'ai perdue dans les forêts d'Auvergne, où je suis allé, avec d'autres constater l'étendue des dégâts... La question que je pose au nom du groupe UDF s'adresse à M. le Premier ministre et concerne la date de convocation du Congrès du Parlement, le 24 janvier prochain. Vous avez engagé, Monsieur le Premier ministre, avec l'accord du Président de la République, une procédure de révision de la Constitution. Une telle révision est un acte grave, car le premier caractère de la Constitution doit être sa stabilité. Et je regrette la banalisation des réformes de la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), car c'est la troisième qu'on nous présente en douze mois.

Elle concerne cette fois-ci un aspect de la réforme de la justice, et un aspect seulement. Car cette réforme est contenue dans sept textes, dont six textes législatifs, deux seulement ayant été adoptés à ce jour. En adressant vos v_ux à la presse, Monsieur le Premier ministre, vous avez affirmé qu'à Versailles, le 24 janvier, les Français verraient qui, parmi leurs représentants, veut l'indépendance de la justice et qui en réalité ne l'accepte pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Le moins qu'on puisse dire est que, s'agissant d'une réforme constitutionnelle, cette présentation est simplificatrice (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Cet argument n'est pas acceptable pour un groupe humaniste et libéral comme le nôtre. Il est en outre dépourvu de vraisemblance, car la rédaction de l'article 65 que vous nous demandez de modifier résulte d'une initiative de votre famille politique. En 1992, en effet, le président François Mitterrand a demandé à un comité consultatif, que présidait M. Vedel, de faire des propositions pour une modification de l'article 65, et le texte aujourd'hui en vigueur en est issu. Le projet déposé en 1993 par le gouvernement de M. Bérégovoy fut repris par celui de M. Balladur ; il a reçu l'approbation des députés socialistes, et lors de sa promulgation il portait les signatures du président Mitterrand et de M. Balladur, Premier ministre.

Je contesterai au passage l'argument souvent répété selon lequel le vote législatif devrait entraîner automatiquement le vote constitutionnel. Ces deux votes sont de nature différente, sans quoi la même procédure s'appliquerait. Vous pouvez d'ailleurs vous en souvenir, car, lors de la réforme de 1993, le groupe socialiste qui s'était abstenu à l'Assemblée a voté pour au Congrès (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Monsieur le Premier ministre, la difficulté dans laquelle vous vous êtes placé (Rires sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) tient au fait que vous voulez nous faire avaler la coquille avant que le Parlement se soit prononcé sur le contenu. Il reste en effet deux lois importantes à adopter : celle qui détermine les relations entre le ministère de la justice et les procureurs, qui n'a été examinée qu'en première lecture, et celle qui fixe le nouveau statut des magistrats en s'engageant dans la voie, à mes yeux dangereuse, d'une mise en cause de leur responsabilité individuelle. La logique, le bon sens voudraient que la réforme constitutionnelle, si elle est nécessaire, vienne couronner l'édifice, et non précéder les débats (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

La situation dans laquelle on a enfermé le Parlement n'est bonne pour personne. Si le Gouvernement persiste, en effet, il court à un échec, qui serait le premier dans ce type de procédure ; et, quel que soit l'art des sophistes, un échec est toujours un échec (Rires sur les bancs du groupe socialiste). L'opposition ne saurait donner son accord à un texte constitutionnel sans être assurée du contenu qu'il abritera.

Il ne reste donc qu'une solution : rétablir l'ordre naturel des débats. L'adoption des lois sur la justice doit précéder la réforme de la Constitution. Il faut donc renvoyer le Congrès de Versailles à une date ultérieure. Vous me direz que c'est une prérogative du Président de la République. Mais puisque, dans nos institutions, le Parlement a pour seul interlocuteur le Gouvernement, c'est à vous que notre question s'adresse (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL ; rires sur les bancs du groupe socialiste) : Monsieur le Premier ministre, pensez-vous pouvoir transmettre au Président de la République le souhait de notre groupe, et sans doute de beaucoup d'autres, de voir la date du Congrès reportée après l'adoption des projets de loi sur la réforme de la justice, pour en tirer sereinement les conclusions ? (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste).

La Constitution est la charte de tous les citoyens. Une réforme de la Constitution se gagne par la persuasion ; elle ne s'arrache pas par la contrainte (Mmes et MM. les membres du groupe UDF se lèvent et applaudissent ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe DL et nombreux bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Claude Lefort - Giscard président ! (Rires sur les bancs du groupe communiste)

M. le Président - La parole est à Mme la Garde des Sceaux (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Monsieur le Président, vous vous êtes tout d'abord interrogé sur les révisions constitutionnelles (Interruptions sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL) qui ont été conduites. Il s'agit de la révision du traité d'Amsterdam -négocié par l'ancienne majorité- ; de la modification du statut de la Nouvelle-Calédonie, pour y restaurer la paix -elle l'est ; de l'institution d'une Cour pénale internationale, ardente nécessité ; de la parité, enfin, entre les hommes et les femmes dans la vie publique. Devrions-nous renoncer à ces trois importantes réformes ?

Vous vous êtes ensuite interrogé sur la signification du vote que devra formuler le Congrès le 24 janvier. Il s'agira, oui, de confirmer le vote massif de l'Assemblée mais aussi, je vous le rappelle, du Sénat à ce sujet. 697 voix se sont prononcées en faveur de cette réforme constitutionnelle -dont la vôtre, Monsieur le Président, le 23 juin 1998- et 62 voix contre.

Il s'agit bien, en effet, de renforcer l'indépendance de la magistrature, puisque les procureurs auront désormais la garantie que leurs nominations ne seront plus jamais soumises à des manipulations politiques. Cette réforme vient de loin...puisqu'elle prolonge la réforme constitutionnelle décidée en juillet 1993, en effet, engagée par François Mitterrand, conduite par MM. Balladur et Méhaignerie, et votée par la gauche, alors dans l'opposition. Cette réforme-là donnait des garanties aux magistrats du siège. Celle que le Congrès sera appelé à voter le 24 janvier a été engagée par le Président de la République, conduite par le Premier ministre, et j'ai eu l'honneur de la présenter au Parlement. J'espère que la droite, dépassant ses réflexes politiciens (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) saura la voter, comme la gauche avait voté la réforme de 1993 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Pour ce qui est du report du Congrès, vous savez très bien, Monsieur le Président, qu'il serait du ressort du Président de la République, dont le Gouvernement respecte les prérogatives (Applaudissements sur les mêmes bancs ; protestations sur la bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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TAUX DE TVA SUR LES TRAVAUX DE RÉPARATION APRÈS L'OURAGAN

M. Jean-Claude Lenoir - Depuis 1997, les prélèvements obligatoires ont augmenté de 420 milliards, quatorze taxes ou contributions ont été créées, et le taux de prélèvement a atteint la proportion historique de 45,6 %. Au cours du seul quatrième trimestre 1999, la hausse des prélèvements a été de 7,7 %, pourcentage très supérieur au taux de la croissance et, pendant la même période, le revenu disponible des ménages reculait de 0,7 %.

Dans le même temps, la tempête qui a frappé la France avait de graves conséquences pour les personnes et pour les biens. Dans ces conditions, l'Etat saura-t-il faire preuve de la solidarité nécessaire, et permettra-t-il aux victimes de cette catastrophe de financer les réparations indispensables ? Deux mesures simples et justes viennent à l'esprit, la première serait de réduire à 5,5 % le taux de TVA pour tous les travaux de réparation, ce qui éviterait que l'Etat n'engrange des recettes supplémentaires liées au malheur des victimes. La seconde serait d'étendre le champ de l'état de catastrophe naturelle aux dégâts dus à ce qui, bien davantage qu'une tempête, était un ouragan. Pourquoi, en effet, ne pas étendre à la métropole le dispositif prévu dans les DOM-TOM dans des cas similaires ?

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le Premier ministre a annoncé l'entrée en vigueur d'un dispositif très complet d'indemnisation des dégâts dus aux intempéries. Un budget très important lui est consacré, et les frais encourus par les victimes seront un peu allégés par la réduction à 5,5 % du taux de TVA appliqué aux travaux votée par la majorité de l'Assemblée. Quant aux cas particuliers, ils seront examinés par les commissions départementales. Le Gouvernement a donc fait en sorte que toutes les réparations se réalisent dans les meilleures conditions possibles.

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CONSÉQUENCES DE LA TEMPÊTE DU 27 DÉCEMBRE EN DORDOGNE

M. René Dutin - Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'être venu constater l'ampleur des dégâts causés, en Dordogne, par la terrible tempête du 27 décembre. Jeudi 13 janvier, les derniers foyers privés d'électricité étaient à nouveau alimentés et je tiens à remercier chaleureusement les agents d'EDF et à saluer le courage et l'abnégation des dizaines de milliers d'entre eux qui n'ont pas hésité à interrompre leurs congés voire leur retraite pour rétablir le courant dans les départements touchés. La preuve est ainsi faite de l'ancrage d'une véritable culture de service public dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Il faut souligner, aussi, l'esprit de solidarité qui a prévalu et reconnaître les efforts des bénévoles et des élus car il ne faut pas oublier les élus !

Se pose à présent l'épineux problème des réparations, tout particulièrement dans ce département qui a été l'un des plus éprouvés. Certains ont perdu leur logement, d'autres leur outil de travail, et l'activité de certaines entreprises est paralysée. Quant aux forêts, elles ont été dévastées. Différentes mesures ont été annoncées, qui visent à compléter l'indemnisation due par les assurances. Mais de nombreux biens n'étaient pas assurables, et la procédure dite de calamité agricole doit donc être mise en _uvre rapidement. Cependant, ce dispositif sera-t-il suffisant pour résoudre les difficultés auxquelles doivent faire face une agriculture durement touchée, une filière bois dont l'avenir est gravement menacé et une industrie touristique très compromise ?

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Quelques jours après que le Gouvernement a annoncé le dispositif qu'il mettrait en place pour faciliter les restaurations après la tempête, je me suis à mon tour rendu en Dordogne, où j'ai rencontré des responsables des secteurs agricoles et forestiers et constaté l'ampleur du travail accompli dans l'urgence. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage à l'action des militaires.

Les mesures arrêtées seront appliquées de manière déconcentrée, par les préfectures. Le Gouvernement a fourni une boîte à outils : il reviendra à chaque département de faire l'usage qui lui convient le mieux des instruments mis à sa disposition.

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MARÉE NOIRE

M. Félix Leyzour - Je tiens à exprimer la solidarité des membres du groupe communiste avec la population des secteurs sinistrés, qui lutte courageusement contre les effets de la marée noire. Député des Côtes d'Armor, je puis vous dire à quel point les Bretons du Nord se sentent, à nouveau, atteints et blessés. Il faudrait, à n'en pas douter, mettre à profit le savoir-faire acquis ; mais, étant donné la complexité de la tâche, je me garderai de toute critique facile.

Après la mobilisation, qui ne doit pas se relâcher, vient le temps du bilan et celui de l'indemnisation, à laquelle le Gouvernement s'est engagé. Encore faut-il aussi, comme le pays l'exige, que les pollueurs soient les payeurs. Et, si l'on veut éviter la répétition des marées noires, il faut s'attaquer systématiquement aux racines du mal, au transport à bas prix par de vieux navires, véritables épaves flottantes, dont le naufrage pourrait avoir des effets encore pires lorsqu'ils transportent des produits chimiques dangereux.

La France est un des pays les plus exposés, elle a donc des responsabilités particulières à prendre. Comment le Gouvernement entend-il contribuer à changer les normes, à améliorer la réglementation, à renforcer fortement les sanctions ? Comment envisage-t-il de faire reculer concrètement les pavillons de complaisance ? Comment va-t-il favoriser le remplacement des vieux navires dangereux par des pétroliers modernes, gage de sécurité et d'activité pour nos chantiers ?

Lorsque les mois auront passé et que la colère se sera apaisée, on peut être sûr que les stratèges du libéralisme et de la déréglementation chercheront à maintenir cette situation inacceptable. Pouvez-vous nous assurer de la détermination du Gouvernement à prévenir de telles catastrophes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Comment ne pas partager votre sentiment quant à la détermination qui doit être la nôtre pour que, plus jamais, une telle situation ne se reproduise ?

Vous l'avez dit, il faut changer la donne, promouvoir des normes et une réglementation internationale plus rigoureuses, faire en sorte que les navires à simple coque ne puissent plus transporter de pétrole ni de produits chimiques dangereux, renforcer les contrôles, appliquer les sanctions.

Le Premier ministre vient de le rappeler avec force, c'est le système du transport à bas prix qui est en cause, qui fait prendre des risques aux équipages et à l'environnement. Le transport à bas prix, les pavillons de complaisance sont bien la forme maritime du dumping économique et social produit par le libéralisme à tout crin. Il faut changer cela !

C'est pourquoi, dès que j'ai eu connaissance des premiers éléments de l'enquête, j'ai écrit aux compagnies pétrolières afin que soit mise en _uvre une charte de sécurité maritime. Je leur ai ainsi demandé de ne plus affréter de navires de plus de 20 ans, de renforcer les contrôles de sécurité, notamment sur les structures, de ne plus affréter de navires dont on ne connaît pas les propriétaires actuels ou passés, de ne plus affréter de navires battant pavillon de complaisance mais seulement des navires sous pavillon français ou européen (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Afin que l'on ne revienne pas aux mauvaises pratiques une fois l'émotion retombée, c'est tout de suite que des décisions doivent être prises aux niveaux français, européen et international (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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INDEMNISATION DES VICTIMES DES TEMPÊTES

M. Michel Suchod - Je veux ici remercier le Gouvernement pour son engagement sur le terrain. Les ouragans auront ainsi eu un effet pédagogique en rapprochant les Français des services publics et des grandes entreprises nationales.

Le Premier ministre a souhaité que nous nous préoccupions de la reconstruction dans la durée. Ma question aura plutôt trait à certains aspects financiers.

Je souhaite tout d'abord que l'on étudie, pour les plus sinistrés, la possibilité de reporter d'un an les remboursements d'emprunt.

Il conviendrait par ailleurs de donner des instructions aux assureurs afin que l'application des coefficients de vétusté n'empêche pas une indemnisation normale des biens détruits.

Enfin, il faudra tenir compte des pertes d'exploitation. A-t-on songé par exemple aux restaurateurs qui n'ont pu assurer le réveillon qu'ils avaient préparé ?

J'aimerais donc savoir comment le Gouvernement entend faciliter des arrangements comptables et fiscaux (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. le Président - La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au budget (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs).

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Votre question me donne l'occasion de m'exprimer pour la première fois devant vous en tant que membre du gouvernement de Lionel Jospin.

Face à l'ampleur de la catastrophe qu'ont subie nos concitoyens, le Gouvernement a pris des mesures efficaces.

Il a notamment accordé des délais de paiement des impôts et cotisations sociales aux entreprises et aux exploitants agricoles. Des avances de trésorerie seront également consenties par la Banque de développement des PME, au taux de 1,5 %. Les agriculteurs en difficulté bénéficieront également d'une restructuration de leur dette pour laquelle le Fonds d'allégement des charges engagera 200 millions, 300 millions étant par ailleurs destinés à des aides de trésorerie.

Nous avons également appelé l'attention des assureurs sur le risque d'une trop faible indemnisation des biens anciens en raison de l'application des coefficients de vétusté, et nous leur avons demandé que des solutions humaines soient trouvées. Des discussions sont en cours au sein des commissions départementales. Tous les problèmes devront recevoir la meilleure solution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 30 sous la présidence de M. Houillon.

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

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FIN DE LA MISSION TEMPORAIRE D'UNE DÉPUTÉE

M. le Président - Par lettre du 13 janvier 2000, M. le Premier ministre m'a informé que la mission temporaire précédemment confiée à Mme Nicole Bricq avait pris fin le 9 janvier 2000.

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      ÉLECTRICITÉ (nouvelle lecture)

M. le Président - Par lettre en date du 18 novembre 1999, M. le Premier ministre m'a informé que la commission mixte paritaire n'a pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Le Gouvernement demande donc à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture du texte.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'examen de ce projet en février dernier avait suscité un débat très riche et avait conduit l'Assemblée à améliorer le texte initial sur de nombreux points.

Les modifications apportées par le Sénat puis l'échec de la CMP ont mis en lumière qu'existaient des conceptions différentes de ce que doit être le système électrique français. L'Assemblée examine aujourd'hui ce texte en nouvelle lecture afin de rétablir l'équilibre auquel on était parvenu à l'issue de la première lecture.

Avant d'en venir à ce projet de loi, je souhaite revenir sur les événements de ces trois dernières semaines.

Les tempêtes ont montré combien le système électrique était à la fois essentiel et fragile face à des aléas comme des conditions climatiques extrêmes mais qui pourraient être d'autre nature, comme le bouleversement géopolitique du marché mondial de l'énergie.

Toutes tendances politiques confondues, nous devons saluer le talent, les efforts et le mérite des agents d'EDF comme des distributeurs non nationalisés. Même si le service public doit évoluer, ses valeurs demeurent très présentes dans les entreprises électriques qui ont su mobiliser leurs agents pour satisfaire les attentes légitimes du pays. Ces valeurs sont bien celles que le Gouvernement place au c_ur de ses préoccupations comme il l'a montré tout au long des débats sur la nouvelle organisation du système électrique français.

Il faudra analyser de manière approfondie les dégâts occasionnés ainsi que leurs causes afin d'éviter que de tels événements ne puissent se reproduire.

J'ai d'ores et déjà demandé à mes services d'envisager la modification des spécifications techniques de résistance mécanique au vent et à la neige des pylônes et des poteaux électriques, ainsi que celle des distances minimales d'installation par rapport aux arbres.

L'enfouissement des lignes réduit leur exposition aux intempéries et préserve les paysages, même s'il pose à son tour certaines difficultés, comme un accès plus difficile en cas de panne et une fragilité avérée en cas d'inondations. Bien qu'EDF ait déjà entrepris des efforts importants en ce domaine, le taux actuel d'enfouissement des lignes électriques demeure en France très inférieur à ce qu'il est chez nos voisins. J'ai donc demandé une réflexion sur la façon de relancer efficacement cette politique. Il faut notamment donner aux communes et à leurs groupements, maîtres d'ouvrage de l'électrification en zone rurale, les moyens de traduire dans les faits cet objectif. Début décembre 1999, soit un mois avant la tempête, j'avais veillé à ce que les ressources soient réparties de façon à favoriser la mise en souterrain des lignes dans ces zones.

La politique du Gouvernement en faveur du développement de la production décentralisée trouve déjà sa traduction dans certaines dispositions du projet. Certes, les installations décentralisées ne sont pas une panacée et ne peuvent assurer la sécurité d'alimentation à laquelle tend l'interconnexion généralisée et la mutualisation des aléas au niveau national, voire européen. Le parc de production d'EDF, notamment nucléaire, lui permet de disposer d'une électricité parmi les plus compétitives en Europe, et la meilleure garantie d'approvisionnement électrique du pays reste un réseau interconnecté alimenté par des unités de puissance importante. Cela étant, des unités de production décentralisées peuvent permettre des économies de réseaux et contribuer à la sécurité du système. Une réflexion sera engagée sur leur utilisation comme secours en cas de difficultés sur le réseau. Guy Hascoët, qui vient d'être chargé par le Premier ministre d'une mission auprès de moi, apportera des réponses pertinentes dans des délais très brefs.

J'en viens au projet lui-même. Je suis opposé à plusieurs des modifications apportées par le Sénat, comme le renforcement des pouvoirs de la commission de régulation de l'électricité dans des domaines qui relèvent de la politique énergétique, alors que celle-ci est par nature de la compétence du Gouvernement, sous le contrôle démocratique du Parlement ; la préférence donnée à un système de grossistes sans encadrement ; le relèvement des seuils de simple déclaration et d'obligation d'achat ou bien encore un début de séparation du GRT d'EDF alors que les intempéries ont démontré toute l'importance de conserver une entreprise intégrée. Je souhaite donc que cette nouvelle lecture vous permette de revenir à un texte plus équilibré. Je serai particulièrement attentif aux amendements qui iront dans ce sens.

Le projet entend conforter le service public de l'électricité qui doit allier dynamisme, équité et solidarité. Pour la première fois, un texte législatif précise les missions de ce service public, les catégories de clients auxquels il s'adresse et les opérateurs qui en ont la charge. Ce texte donne pour la première fois une valeur législative au principe de péréquation nationale des tarifs.

L'instauration d'une tarification « produit de première nécessité », décidée en première lecture à l'initiative de M. Claude Billard, ainsi que l'aide pour la fourniture d'électricité aux plus démunis et la prévention des coupures parmi cette population, permettront la mise en _uvre concrète d'un droit à l'énergie électrique.

Le projet institue des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur et de garantir le bon accomplissement de ces missions. Dans le domaine de la production, ouvert à la concurrence, ces charges seront réparties au moyen d'un « fonds des charges d'intérêt général de l'électricité ». Dans le domaine de la distribution, qui reste sous monopole, ces charges seront mutualisées entre les distributeurs par le biais du fonds de péréquation de l'électricité institué par la loi de 1946.

Le service public doit aussi être démocratisé : afin de mieux répondre aux besoins des citoyens, le projet prévoit que les instances compétentes au niveau local, en particulier les collectivités locales organisatrices de la distribution, concourent à la mise en _uvre du service public de l'électricité et veillent au bon accomplissement de ses missions.

Le projet donne également au Gouvernement les moyens de mettre en _uvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentiment le plus large, en garantissant au Parlement le rôle qui doit être le sien.

L'énergie n'étant pas un bien de consommation comme les autres, elle fait l'objet d'une politique publique forte.

La programmation pluriannuelle des investissements garantira la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité de la fourniture, à travers un développement équilibré des capacités de production.

Si ces capacités s'écartent des objectifs de la programmation, les pouvoirs publics pourront décider de ne plus accorder temporairement d'autorisations pour certains types d'installations. Une telle décision devra bien entendu être prise dans la plus grande transparence et être annoncée publiquement ; inversement, les pouvoirs publics pourront recourir à des appels d'offres si les investissements spontanés ne suffisent pas à atteindre les objectifs. La politique énergétique pourra donc, selon les besoins, être pilotée avec un « frein », les autorisations, ou un « accélérateur », les appels d'offres.

L'obligation d'achat, dont le champ a été précisé et renforcé, favorisera le développement de la production décentralisée. Ainsi pourront continuer d'être aidées des installations qui présentent un réel intérêt pour la collectivité tout en étant trop petites pour pouvoir raisonnablement rechercher des consommateurs éligibles.

Le projet vise enfin à développer le rôle des collectivités locales pour accroître la production décentralisée mais aussi pour concilier autonomie locale et principe d'égalité.

Les collectivités locales conservent leur qualité d'autorité concédante ainsi que leur mission de contrôle du service public concédé. Le projet élargit leurs possibilités d'intervention en matière de production décentralisée, à partir d'énergies renouvelables et de déchets ou en utilisant des techniques de cogénération. De plus, pour la première fois, la possibilité d'intervenir en vue de maîtriser la demande d'énergie chez les particuliers reçoit un fondement législatif clair.

Les initiatives locales doivent être libérées, dès lors qu'elles coïncident avec la politique nationale de l'énergie décidée par le Gouvernement sous le contrôle du Parlement.

Ce projet vise à garantir l'avoir industriel d'EDF en lui permettant de rester le premier électricien européen et de maintenir sa présence dans le monde entier.

EDF demeurera une entreprise publique intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. EDF sera en particulier le gestionnaire désigné du réseau de transport français.

L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé d'intervention en tant qu'établissement public, est notablement accru vis-à-vis des clients éligibles, pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales.

La demande industrielle peut, en effet, inclure des prestations qui constituent le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité. Les concurrents d'EDF pourront offrir ces prestations aux clients éligibles alors qu'EDF, en vertu de son objet légal, ne le peut pas légalement aujourd'hui. Ce projet vise donc à élargir ses marges de man_uvre.

Doter EDF des mêmes capacités que les autres producteurs à saisir les opportunités sur un marché européen en pleine mutation : voilà une grande ambition pour notre grande entreprise publique.

Faisons de l'Europe le marché domestique d'EDF. La réussite et le développement de l'entreprise publique bénéficieront au pays.

Il s'agit d'un texte équilibré, qui se traduira par une ouverture équitable et maîtrisée du marché. Il permettra aussi de conforter l'acquis d'un demi-siècle d'histoire industrielle, puisque le statut du personnel des industries électriques et gazières sera conservé et même conforté.

Cette réforme est cruciale pour l'avenir du secteur électrique français et je souhaite que le Président de la République la promulgue rapidement, pour le plus grand bien du service public, garant de la justice sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production - Je veux avant tout revenir sur les événements climatiques qui ont privé d'électricité un grand nombre de nos concitoyens au lendemain de Noël. Je salue bien bas le service public de l'électricité, EDF et ses salariés, qui ont bien mérité de la collectivité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Par leur altruisme et leur détermination, ils ont rétabli l'alimentation de tous les foyers dans les plus brefs délais. Depuis quelques jours en effet, tous les Français peuvent de nouveau utiliser le courant électrique.

On a pu voir ainsi que l'électricité, c'est la vie. EDF, ses ouvriers, techniciens, cadres, dirigeants, aidés par les électriciens des pays voisins et les distributeurs non nationalisés, ont montré que le service public conserve aujourd'hui tout son sens et que l'industrie reste, dans ce pays, une grande aventure. C'est parce que nous disposons d'un service électrique uni et cohérent que nous avons pu agir vite.

La directive européenne sur le marché de l'électricité a été signée par la France en 1996. Cet engagement, qui a valeur de traité, ne concerne cependant que 30 % du marché, puisqu'il ne vise que les gros clients, dit « éligibles ». Ne faisons donc pas dire à l'Europe ce qu'elle ne dit pas. Il n'est pas question d'une ouverture totale, encore moins d'une privatisation du service public.

Respectueuse du texte européen, notre commission entend le traduire avec prudence et mesure. La directive, dans les faits, s'applique depuis février 1999 et sa transcription en droit interne mettra fin à la procédure d'infraction engagée contre la France.

En première lecture, le 2 mars 1999, nous avions trouvé un équilibre entre les exigences communautaires et la préservation du service public. Nos collègues sénateurs, dont il faut saluer le travail, se sont trop éloignés du texte de l'assemblée. Afin de doter le secteur de l'électricité d'une législation durable, votre commission vous propose de revenir à l'esprit de la première lecture tout en retenant les ajouts du Sénat qu'elle juge pertinents et en procédant à de nouvelles améliorations du texte.

Premier point en débat : la définition du service public de l'électricité. Contrairement à ce qu'affirme le Sénat, il doit rester un service tourné vers l'ensemble des citoyens et géré selon les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. C'est un contresens et un abus que de prétendre le gérer dans le « respect des règles de concurrence ».

Ensuite, c'est se ligoter inutilement et ôter au Gouvernement ses prérogatives que de vouloir concevoir la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique dans un cadre européen. Certes, il est bon que l'exécutif échange et dialogue avec nos partenaires européens, mais en gardant sa liberté de décision dans les choix énergétiques. Des différences fortes subsistent. La France n'a pas forcément tort, les autres pays européens n'ont pas nécessairement raison.

D'autre part, la péréquation tarifaire est un élément clé de la solidarité et de l'aménagement du territoire. La rédaction du Sénat mettait en péril cette notion, à laquelle les Français sont attachés.

Les problèmes du réacteur du futur et de la cogénération sont certes importants, mais ces dossiers n'avaient pas leur place dans le débat d'aujourd'hui. Il vous est proposé de rester dans le sujet.

Enfin, en ce qui concerne le droit à l'électricité, nous avons revu le dispositif initial pour tenir compte des expériences conduites en région parisienne. Il en résultera une aide plus substantielle par bénéficiaire.

Le rôle imparti au régulateur, la commission de régulation de l'électricité, est essentiel. Si la CRÉ est un régulateur de l'accès et de l'usage des réseaux, on reste perplexe devant la « créomania » qui semble avoir saisi le Sénat : la CRÉ est en effet devenue une entité omniprésente, ultra-interventionniste, se substituant au pouvoir politique, un ministère-bis de l'énergie. Telle n'est pas la conception de votre commission.

Il faut d'ailleurs s'interroger sur cette méthode, d'origine anglo-saxonne, consistant à confier à un collège composé d'anciens élus le soin de procéder à des choix politiques qui relèvent normalement de l'exécutif et devraient traduire ceux des électeurs.

M. Franck Borotra - Vous n'arrêtez pas d'en créer, de ces instances !

M. le Rapporteur - Si le soutien à la production décentralisée a valeur d'encouragement, il doit rester mesuré, afin que notre politique énergétique demeure coordonnée. C'est pourquoi votre commission vous proposera de revoir les seuils fixés par le Sénat. S'agissant de l'obligation de rachat aux producteurs autonomes, il nous faut revenir aux 12 mégawatts adoptés en première lecture, au lieu des 20 mégawatts que nous propose le Sénat, qui a fait le choix du maximalisme.

Nous reviendrons aussi sur la contribution au fonds de service public et sur l'autorisation de nouvelles installations.

Le gestionnaire du réseau de transport est, dans le texte sénatorial, mis en place provisoirement par EDF, pour relever ensuite d'une législation à venir. Nous ne pouvions accepter cela.

L'indépendance comptable du GRT doit se concilier avec une présence fermement réaffirmée au sein d'EDF.

S'agissant de l'ouverture du marché de l'électricité, je vous propose de ne pas suivre le Sénat mais de vous en tenir strictement à la directive européenne qui ne propose rien de plus qu'une ouverture limitée aux gros clients.

Autre grand point de divergence : l'exercice du négoce, très généreusement permis par le texte du Sénat. La commission vous propose de le limiter aux besoins ponctuels de producteurs devant compléter leur offre.

Nous retiendrons cependant certaines modifications apportées par nos collègues du Palais du Luxembourg, parmi lesquelles la compensation intégrale des charges de service public, l'amélioration des dispositifs de sanction, la limitation des critères d'octroi de l'autorisation d'exploitation, l'annualisation du paiement des redevances d'occupation du domaine public. Au total, c'est une quinzaine d'articles sur cinquante-huit que la commission vous propose d'adopter conformes.

J'ai entendu des commentateurs dire que la commission mixte paritaire avait eu tort de ne pas accélérer les choses. J'espère au contraire vous avoir démontré que, sur un texte aussi essentiel, un examen supplémentaire, finalement bien contenu par le calendrier, était nécessaire. Je crois qu'on pourra dire que le Parlement a bien joué son rôle et que, malgré l'effervescence des événements, il a su porter son regard sur la longue durée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - L'actualité dramatique de ces dernières semaines éclaire d'un jour nouveau ce projet de loi.

Face aux conséquences de la tempête sur les réseaux électriques, de télécommunication et de transport, les services publics ont su se mobiliser, réagir vite et faire preuve de solidarité. Dans le même temps, une entreprise pétrolière privée a cherché à minimiser ses responsabilités dans une catastrophe écologique provoquée par le naufrage d'un bateau qu'elle avait affrété. Sa recherche de profit l'avait pourtant conduite à choisir un navire ancien, signalé à plusieurs reprises comme fortement touché par la corrosion et de propriétaire inconnu. Il a fallu que l'indignation de l'opinion publique s'exprime fortement pour que cette société consente enfin à s'engager financièrement dans la lutte contre la pollution.

Ce parallèle montre combien le service public est une notion moderne. Lors de ces événements, EDF et ses salariés ont fait la preuve qu'ils n'avaient pas besoin d'être sous la pression de la concurrence pour être pleinement au service du public. Ni la taille de l'entreprise, ni son caractère public n'ont limité sa mobilisation, au contraire, pas plus que le statut des salariés n'a été un frein à leur engagement.

M. François Goulard - Encore heureux !

M. le Président de la commission - N'en déplaise aux inconditionnels du libéralisme, ce n'est pas en dépit de ses spécificités que l'entreprise a su être efficace, mais bien grâce à elles. Dans les mêmes circonstances, une compagnie privée aurait, sous l'influence de ses actionnaires, imposé une augmentation de ses tarifs afin de reconstituer son réseau. Sa pérennité aurait pu être compromise.

Si les salariés ont travaillé si durement, s'ils ont accepté d'interrompre leur congé, si des retraités sont volontairement retournés au travail, c'est parce que les notions d'intérêt collectif et général restent d'actualité. D'ailleurs, la promptitude et l'efficacité d'EDF ont non seulement permis de réapprovisionner rapidement les foyers en électricité, mais ont aussi évité une paralysie de l'économie française et de ses PME. Ainsi, les conséquences financières des tempêtes ont été limitées.

L'intérêt d'un service public fort et la spécificité des entreprises qui en ont la charge sont ainsi apparus aux yeux de tous : 92 % des Français sont satisfaits de l'attitude d'EDF durant cette période de crise. Ils sont également une majorité à considérer que les missions remplies aujourd'hui par les services publics seraient moins bien prises en charge par des entreprises privées.

La conception de la responsabilité sociale de l'entreprise qu'a illustrée le fonctionnement du service public lors de cette période de crise doit être défendue et étendue au-delà même du secteur public.

Reste qu'il faudra tirer un bilan sérieux de ce qui s'est passé. Outre le problème de l'enfouissement du réseau, il faudra certainement s'interroger sur les moyens humains et financiers consacrés à son entretien. Avant de le reconstruire, un retour d'expérience est nécessaire. Les investissements ont-ils été suffisants ? Les normes techniques ne devraient-elles pas être réévaluées ? Ces questions et d'autres devront être examinées dans la concertation, en gardant à l'esprit que le service public est un atout pour notre pays et ne doit pas être sacrifié aux logiques commerciales sous peine de perdre son efficacité et donc sa légitimité.

C'est en veillant au respect de ces principes que la majorité de l'Assemblée avait travaillé en première lecture. Nous avons en effet voulu utiliser la liberté laissée aux Etats pour défendre et développer le service public de l'électricité. La majorité sénatoriale a fait le choix inverse, celui d'une libéralisation allant au-delà des exigences de la directive, et ses amendements ont, par touches successives, profondément dénaturé le texte voté ici. Dans ces conditions, la réussite de la commission mixte paritaire était impossible. Un compromis n'aurait pu qu'édulcorer le texte de l'Assemblée au profit de choix plus libéraux et au détriment de la protection du service public.

Mais cet échec de la recherche d'un accord n'a pas, contrairement à ce qui s'est dit, retardé l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence. En effet, depuis le 19 février dernier, les dispositions de la directive d'application immédiate sont en vigueur en France, comme dans les autres pays de l'Union. Les producteurs privés ou étrangers peuvent donc, d'ores et déjà, fournir de l'électricité aux clients les plus importants.

Les fortes pressions des milieux libéraux français et européens pour accélérer l'adoption d'un texte sont très politiques. C'est la volonté, affirmée par la majorité plurielle, de conserver EDF comme une entreprise publique et intégrée, de limiter l'ouverture du marché au minimum requis par la directive, de maintenir et d'améliorer le service public de l'électricité, qu'ils contestent. Malgré ces pressions, la commission de la production a conservé l'orientation qui fut la sienne en première lecture.

Cela étant, le fait que l'électricité ne soit pas un produit comme un autre s'accommodera mal d'une mise en concurrence croissante, au niveau européen, des producteurs. Une réorientation de la construction européenne sur ces sujets apparaît donc toujours indispensable de façon à faire prévaloir les missions de service public. Les Français ne sont sûrement pas les seuls Européens à avoir redécouvert les mérites de celui-ci et à y être attachés. Le Gouvernement devrait rechercher des convergences sur ce thème avec ses partenaires européens (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie Libérale une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. François Goulard - Je me placerai d'abord d'un point de vue juridique. Vous le savez, Monsieur le ministre, nous ne marrions pas à la légère l'anathème de l'inconstitutionnalité. Mme Aubry l'a constaté à ses dépens puisque le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 janvier, a confirmé ce que nous lui avions maintes fois répété quant à la fragilité juridique de certaines de ses constructions.

Vous courez vous aussi le risque d'être sanctionné par lui. En effet, le vice premier de ce projet de loi est de ne pas transposer loyalement la directive européenne à laquelle il se réfère, laquelle pose des règles communes au marché intérieur de l'électricité, se conformant en cela à un objectif fondamental des traités européens : la liberté de la concurrence.

Que cela vous plaise ou non, cette directive libéralise le marché intérieur de l'électricité et enjoint donc aux Etats membres de prendre toutes les mesures internes nécessaires en ce sens.

Or, non seulement vous n'avez pas satisfait à cette injonction dans les délais fixés mais en outre vous présentez un texte qui vise ouvertement à conforter le service public de l'électricité, ce qui dans votre esprit se confond avec la défense du monopole d'EDF. Peut-on admettre que le Gouvernement d'un Etat membre se conduise ainsi ? Peut-on admettre qu'il affiche, dans un domaine de compétence de l'Union européenne -l'organisation du marché intérieur- une volonté politique contraire à celle de l'Union ? Peut-on admettre qu'une loi de transposition affiche un objectif opposé à celui de la directive qu'elle prétend transposer ? Peut-on admettre que notre pays viole ce qui est plus qu'un engagement international : un engagement européen ?

La réponse de notre Constitution est claire. C'est l'article 55 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ». Cette réserve de réciprocité, du reste sans objet puisque tous nos partenaires de l'Union ont transposé la directive, ne vaut d'ailleurs pas en matière européenne, selon la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Il y a donc inconstitutionnalité à ne pas respecter un traité ; il y a inconstitutionnalité à ne pas respecter une directive dont le caractère impératif est prévu par le traité ; il y a inconstitutionnalité à faire semblant de transposer une directive européenne en tentant de s'opposer à sa mise en _uvre.

Je n'entends pas, dans le cadre de cette motion, développer, au-delà des considérations constitutionnelles, les inconvénients juridiques qui pourraient résulter d'une telle man_uvre au regard du droit européen. Mais nos partenaires européens ont une analyse qui rejoint largement la nôtre, ce qui pourrait avoir des conséquences.

Dans l'élaboration de votre projet, vous avez exploité toutes les restrictions, toutes les exceptions que la directive prévoit à titre temporaire, pour en faire la règle unique de votre loi. J'en prendrai un exemple. Votre loi est placée sous le signe obsessionnel du service public. Vous affirmez que l'électricité est un service public. Mais voyons, sur le plan du droit, comment la directive décrit le service public. C'est l'objet de son considérant numéro 13 : « considérant que, pour certains Etats membres, l'imposition d'obligation de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité de l'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l'environnement, que selon eux la libre concurrence à elle seule ne peut nécessairement garantir »...

Voilà comment la directive traite de la notion de service public. Est-il besoin de souligner toute les restrictions dont elle l'entoure ? Dois-je insister sur la différence, sur l'abîme qui sépare « l'imposition d'obligations de service public » et le maintien d'un service public monopolistique ? En limitant la concurrence au minimum obligatoire, dans la production, et en l'excluant du transport et de la distribution ; en ne séparant pas la gestion du réseau de l'opérateur monopolistique ; en soumettant toute installation à un régime d'autorisation ministérielle établi au regard d'une planification élaborée sous la dictée d'EDF ; en ne dotant pas le marché de l'électricité d'une vraie autorité de régulation ; en interdisant de facto l'activité de trading, vous ne transposez pas la directive : vous lui faites le minimum inévitable de concessions formelles.

Sur le plan juridique, votre politique est d'autant plus vulnérable que tous nos partenaires ont adopté des mesures de libéralisation autrement audacieuses, certaines avant même la directive. C'est à cette aune aussi qu'il faut juger la loyauté de votre transposition.

Je reviens brièvement sur d'autres motifs d'inconstitutionnalité, moins fondamentaux, mais bien réels. Un des plus importants est l'extension de l'objet social d'EDF par l'article 42 du projet, qui soulève au moins deux questions. La première concerne le principe de spécialité des établissements publics, dégagé par la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais inséparable de l'article 34 de la Constitution. Sans le respect de ce principe, quel sens aurait la notion de catégorie d'établissements publics, dont la définition figure dans la loi conformément à l'article 34 ? Or, en vous écartant du principe de spécialité tel qu'il est défini par le Conseil d'Etat notamment dans un avis du 7 juillet 1994, vous rendez inopérante la notion de catégorie d'établissements publics. Dans deux décisions de 1961 et 1979, le Conseil constitutionnel définit ces catégories en se référant à leur spécialité. Telle est la première question que soulève l'article 42 du projet.

La seconde concerne la libre concurrence. Par votre volonté, EDF restera, suivant les marchés, soit en position de monopole, soit en position dominante. L'égalité des conditions de concurrence, y compris pour les clients éligibles, est plus que sujette à caution. Or l'article 42 permettra à EDF de concurrencer les entreprises privées pour toutes les prestations, de toute nature, liées à l'électricité. On voit quel avantage aura EDF, comme fournisseur d'électricité et des travaux et services qui s'y rattachent, sur ses concurrents privés. Le législateur peut-il adopter des dispositions qui créent dès le départ une situation de concurrence déloyale ? Le principe d'égalité, comme le principe de la liberté de concurrence, s'opposent à ce que la loi comporte de telles dispositions. La question est d'ailleurs loin d'être théorique : avant même l'adoption de ce projet, dans des conditions qui peuvent paraître critiquables au regard de la législation en vigueur, EDF a procédé à plusieurs acquisitions d'entreprises qui lui permettent de concurrencer directement les entreprises du secteur privé, lesquelles s'en sont émues. Il y a bien infraction aux principes d'égalité et de libre concurrence. Ouvrant à la concurrence -certes timidement- la production d'électricité, vous êtes tenus de respecter ces deux principes de valeur constitutionnelle sur ce marché. Or la position très particulière que votre projet confère à EDF interdit de considérer qu'ils sont respectés.

Autre problème : l'extension à toutes les entreprises du secteur de l'électricité du statut des agents d'EDF est, pour les juristes, contestable au regard du principe d'égalité, et cela à deux points de vue. Tout d'abord les entreprises qui devront adopter ce statut auront beaucoup de mal à absorber le surcoût considérable qui en découle : c'est une sorte de droit d'entrée que vous instaurez sur le marché de la production d'électricité. Ensuite, vous donnez un statut particulier, dérogatoire du droit commun du travail, à des salariés d'entreprises privées qui n'ont pas de lien avec le service public, ce qui pose un vrai problème juridique.

Je ne reviens pas sur d'autres questions, que j'avais abordées en première lecture, concernant la protection de la liberté individuelle, et que posent les pouvoirs dévolus aux fonctionnaires habilités à exercer des contrôles. Les faiblesses de ce texte au regard de la Constitution comme du droit européen sont considérables. Elles le fragilisent, et fragilisent la position de notre pays pour l'avenir. Mais je constate aussi, sur un plan moins juridique et plus politique, une contradiction qui porte sur le concept de service public. Comment ne pas être frappé par ce paradoxe : vous affirmez avec lourdeur -sinon avec force- que l'électricité est et doit rester un service public, au moment même où vous l'ouvrez, certes faiblement, à la concurrence. Vous vous réjouissez de voir réaffirmée l'existence d'un service public de l'électricité, au moment même où, pour les clients éligibles, la fourniture d'électricité cesse d'être un service public. En doctrine, le champ du service public a des contours pour le moins flous. Il y a une définition organique du service public : c'est un service assuré par des organismes publics. Mais la définition du service public par sa nature est plus difficile, et surtout elle est évolutive.

Un rapide parallèle entre deux grands secteurs, dont les évolutions aujourd'hui sont à bien des égards comparables, le montrera : l'électricité et les télécommunications. A l'origine la production et la distribution d'électricité furent largement privées, et l'on ne parlait pas de service public . Au contraire le téléphone après le télégraphe fut d'emblée placé sous un régime administratif. Mais les raisons n'en étaient pas d'ordre économique ou social : elles tenaient à des considérations de haute ou de basse police, l'Etat ayant vu le parti qu'il pouvait tirer d'un contrôle des communications. Je passe rapidement sur l'évolution de ces deux secteurs. Après la guerre, personne ne doutait que l'électricité et le téléphone devaient relever du service public et du secteur public. Puis intervinrent les évolutions contemporaines de l'économie et des techniques, la diversification de l'offre, l'Europe, puissant levier de cohérence : tout cela nous a conduits à libéraliser les télécommunications. Les grandes proclamations sur le maintien du service public des télécommunications ont marqué les débats de naguère, comme ceux d'aujourd'hui sur l'électricité. Pourtant qui ne voit aujourd'hui quel glissement s'est opéré en quelques courtes années ? Dans l'esprit public, les télécommunications relèvent du marché. La concurrence y est vive. On se réclame d'autant moins du service public que la concurrence a permis une formidable baisse des prix, et la diversification de l'offre et des produits, y compris pour les plus modestes de nos concitoyens, est visible pour tous. Il reste naturellement des obligations de service public : elles sont légitimes et utiles, mais relativement marginales. Que vous le vouliez ou non, les télécommunications ont aujourd'hui quitté la sphère du service public pour celle de l'économie de marché, et chacun en tire avantage. Le domaine du service public n'est pas figé ; il n'est gravé ni dans la Constitution, ni même dans la loi. Je comprends qu'on éprouve la nostalgie du service public traditionnel, comme celle, qu'évoquait le général de Gaulle, de la marine à voile et des lampes à pétrole. Mais on peut toujours inscrire dans la loi de beaux principes : la continuité, l'égalité, et le principe, plus récent, d'adaptabilité.

Mais l'on sait qu'en réalité, la continuité n'est pas toujours le trait dominant du service public -demandez aux usagers de la ligne B du RER !-, que l'égalité est toute théorique -tous les lycées, tous les hôpitaux se valent-ils ?- et qu'en la matière EDF privilégie les gros consommateurs au détriment des petits. Quant à l'adaptabilité... Le service public français peut-il véritablement être cité en exemple dans ce domaine, lui qui tient compte plus lentement que la société et que l'économie des évolutions manifestes ?

Au terme de cette rapide présentation de l'exception d'irrecevabilité, ma conclusion sera que vous tentez pour certains, en conscience, pour d'autres, sans vous faire d'illusions d'aller à l'encontre d'un mouvement irréversible, et depuis longtemps engagé par la majorité de nos partenaires européens, mouvement auquel vous vous opposez en vain. La barrière juridique que vous vous efforcez d'ériger ne résistera pas, et le moment est proche où un gouvernement -peut-être de la même sensibilité politique que la vôtre- nous demandera de modifier le texte que vous nous demandez de voter aujourd'hui.

La France ne peut faire cavalier seul, et elle le peut d'autant moins qu'elle prétend, pour cela, appliquer un texte qui présente de sérieuses lacunes, tant constitutionnelles qu'au regard du droit communautaire. C'est ce qui motive la présentation, par le groupe DL, de cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La libéralisation définie ne serait, à vos yeux, pas assez large. Elle est, en effet, maîtrisée, car la directive ne prévoit rien d'autre qu'une libéralisation progressive : le texte communautaire le stipule expressément.

Vous confondez, de surcroît, production et distribution, et feignez d'ignorer que la distribution ressortit de la subsidiarité, ce qui signifie que chaque gouvernement a le loisir d'organiser la distribution de l'électricité aux clients non éligibles selon les modalités qui lui paraissent les meilleures. C'est dire, aussi, que rien, dans la directive, ne s'oppose à ce que les dispositions de la loi de 1946 soient maintenues, dans ce domaine, si elles conviennent.

Vous semblez encore nous reprocher de vouloir respecter l'esprit du service public. Sans vouloir le moins du monde vous offenser, puis-je vous dire que je ressens ce reproche comme l'hommage rendu par le vice à la vertu ? Nous cherchons, c'est vrai, à garantir la permanence du service public universel !

L'on ne peut, d'autre part, soutenir raisonnablement que le degré d'ouverture du marché que nous avons retenu constituerait une rupture d'égalité. Je vous rappelle à nouveau que nous nous en tenons fidèlement aux termes du cinquième considérant de la directive, qui prévoit que l'ouverture du marché se fera de manière progressive. Le texte communautaire impose un degré minimal d'ouverture : il est respecté. Pour le reste, l'organisation nationale conserve toute sa raison d'être.

Vous avez encore évoqué la question de la compensation de la charge que constituent les missions de service public. A ce sujet, les choses sont d'une grande simplicité : nous avons choisi un dispositif identique à celui que l'Assemblée a voté lorsqu'il s'est agi de l'extension de la desserte gazière, dispositif que la Commission européenne a validé.

Il ne peut pas davantage être soutenu que l'article 42, qui définit l'objet d'EDF, serait contraire à la Constitution, puisqu'il s'agit d'adapter les compétences de l'entreprise au nouveau cadre dans lequel elle devra exercer ses activités. Une fois encore, c'est au législateur qu'il revient de fixer et le cadre, et les missions. C'est pourquoi sont nettement distinguées les activités dirigées vers les clients éligibles et celles que l'entreprise peut poursuivre avec ses clients non éligibles. Dans le premier cas, le législateur doit prendre soin de permettre à l'opérateur public de lutter à armes égales avec ses concurrents, tant sur le plan technique que sur le plan commercial. On en revient à la notion d'offre « globale », largement débattue lors de la première lecture. Pour ce qui est des clients non éligibles, la directive autorise, on le sait, le maintien du monopole. En contrepartie, EDF ne pourra plus se livrer, pour eux, qu'à une mission de conseil rigoureusement encadrée, dans le respect de la politique de maîtrise d'énergie voulue par le Gouvernement. Il s'agira donc de favoriser les économies d'énergie, au moindre coût pour le client.

Pour autant, les intérêts des PME sont sauvegardés, puisque les interdictions qui figurent dans la loi de 1946 demeurent. C'est dire qu'EDF devra intervenir dans le strict respect du droit de la concurrence. L'observatoire de la diversification des activités d'EDF y veillera et le Gouvernement, qu'a saisi le Conseil de la concurrence à propos du litige qui oppose EDF à la société Clemssy, sera très strict sur ce point. La directive institue des règles tendant à une concurrence loyale ; elles devront être respectées.

Enfin, l'on ne peut prétendre qu'il y ait contradiction entre les dispositions de la directive et le maintien du statut du personnel des industries électriques et gazières. On peut d'ailleurs regretter que la directive n'ait prévu aucune disposition sociale particulière, mais c'est un fait. La conséquence en est que l'organisation sociale de l'entreprise publique relève des gouvernements et des parlements nationaux, en vertu du principe de subsidiarité. Il appartient donc au législateur de définir librement les dispositions sociales qui s'appliquent, et de veiller, aussi, à ce que l'égalité entre les opérateurs soit la règle. Dans ces conditions, je ne peux partager le point de vue selon lequel deux statuts du personnel différents seraient égalitaires ! Comment la concurrence ne serait-elle pas faussée si le personnel des entreprises « entrantes » est soumis à un statut moins favorable que celui des entreprises installées ? Dans ce cas, oui, la rupture d'égalité serait avérée ! C'est pourquoi le projet maintient le champ d'application du statut du personnel de l'industrie électrique et gazière, et le mécanisme de négociation existant.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous propose et vous demande de repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Alain Cacheux - Poussant à l'extrême ses thèses libérales, M. Goulard a considéré tout d'abord que la transposition n'était pas loyale. Mais, il l'a lui-même reconnu, nous ne faisons qu'appliquer les dérogations expressément prévues par la directive. On ne peut donc dire que nous ne respectons pas nos engagements internationaux. D'ailleurs, si la directive laisse de telles marges de man_uvre, c'est bien parce que les conceptions du service public varient selon les pays. Forts de notre spécificité nous avons cherché à faire valoir au niveau européen les idées de service universel et de service d'intérêt général.

M. Goulard affirme par ailleurs que les conditions de la concurrence seraient faussées par l'élargissement du principe de spécialité qui permet à EDF de faire une offre multi-énergies. Mais pourquoi donc cela serait-il réservé aux seules entreprises privées ? Tout ce qui est bon pour les entreprises privées est acceptable, tout ce qui est bon pour le secteur public est inacceptable, voilà l'égalité selon les libéraux !

Prétendre que le statut du personnel serait un obstacle à la libre concurrence est aussi un faux débat, qui masque une volonté de régression sociale, d'autant que, dans une industrie aussi capitalistique, le poids de la masse salariale n'est pas essentiel.

M. Goulard a raison de dire que le secteur public peut évoluer, qu'il peut y avoir des glissements vers le privé. Mais pourquoi oublie-t-il le mouvement inverse ? Et quand il parle de baisse de prix, il préfère choisir ses exemples dans le secteur des télécommunications...

Il a opposé un discours dogmatique figé à un texte pragmatique et adapté aux réalités françaises. Après ce que nous avons vécu ces dernières semaines, nous avons le sentiment qu'un service public de qualité, répondant aux préoccupations des Français, répond à une conception éminemment moderne et que l'entreprise publique qui l'a mise en _uvre a fait honneur au service public français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Claude Billard - Au lendemain de la terrible tempête, on aurait pu penser que M. Goulard aurait la décence de reconnaître l'efficacité et le rôle irremplaçable du service public...

M. François Goulard - Et des couvreurs...

M. Claude Billard - ...comme des hommes et des femmes qui assurent ses missions. Mais ce grand pourfendeur des entreprises publiques considère qu'il faut aller vers toujours plus de déréglementation et vers un libéralisme échevelé. Pour lui, il y a trop de service public, trop d'égalité, trop de solidarité. Il n'admet pas que la France soit le pays où la transposition de la directive électricité ne va pas intervenir selon des critères strictement libéraux. Voilà ce qui fait fulminer l'opposition libérale ! Elle ne tolère pas que soient instaurés un véritable droit à l'électricité et une tranche sociale de consommation pour les familles les plus modestes.

C'est au nom de ces avancées, que nous souhaitons voir confirmées et élargies en nouvelle lecture, que le groupe communiste votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Franck Borotra - Je me demande si vous avez écouté M. Goulard...

M. Alain Clary - Oh oui !

M. Franck Borotra - Peut-être ne l'avez-vous pas compris... Comment lui reprocher d'avoir défendu les thèses libérales quand il s'est contenté de mettre en avant des arguments juridiques ?

Il est vrai, Monsieur Billard, que la transposition opérée par le gouvernement français est la plus proche des positions communistes. Mais dans aucun autre pays d'Europe les communistes ne demeurent aussi influents que chez nous...

M. Alain Clary - Cela gênait-il le général de Gaulle ?

M. Franck Borotra - Oh, il était trop pragmatique pour envisager qu'une loi accompagne encore le développement économique et énergétique cinquante ans plus tard...

Même M. Bataille -et l'on reviendra sur le sectarisme de son rapport (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)- ne va pas aussi loin que M. Billard.

Bien sûr EDF s'est très bien conduite après la tempête, comme tous les services techniques des collectivités locales, les élus, les entreprises privées. Il n'y a pas d'un côté le service public qui s'est bien comporté et de l'autre le secteur privé qui aurait fait moins bien...

M. Alain Cacheux - Et Total Fina ?

M. Franck Borotra - Au moins, le ministre a évité cette caricature.

Je suis d'accord avec lui, par ailleurs, sur la nécessité de maîtriser la libéralisation. Mais, avec ce texte, vous ne la maîtrisez pas, vous l'étranglez, en freinant l'accès des nouveaux opérateurs au marché.

Vous confondez délibérément monopole et service public, accusant ceux qui veulent remettre en cause le premier de s'en prendre au second.

Il est vrai que le texte européen reconnaît pour la première fois les missions de service public et d'intérêt général et traite du service universel. Mais ces missions évoluent et ne sont plus les mêmes qu'il y a 50 ans. Il faut accepter d'en débattre.

Il est vrai aussi qu'il appartient au Gouvernement et au Parlement de fixer le degré d'ouverture du marché, encore faut-il que, dans cette limite, les opérateurs étrangers aient vraiment la possibilité d'y accéder et que les conditions de la concurrence avec l'opérateur public le leur permettent.

Vous avez raison, les charges de la production doivent être assumées par la totalité des opérateurs. Mais, selon la jurisprudence européenne, les charges du service public doivent être supportées par les entreprises qui disposent de droits acquis, à due concurrence de leur part de marché. Ce n'est pas ce que vous avez prévu.

Nul ne conteste le maintien du statut du personnel d'EDF-GDF ; ce que nous refusons, c'est son extension au personnel d'autres entreprises. Quand on sait que le surcoût est de 40 %, on peut se demander si vous n'allez pas ainsi pousser les entreprises à produire hors du territoire national et à importer leur électricité.

Vraiment, vos arguments ne nous ont pas convaincus et le groupe RPR votera cette exception d'irrecevabilité.

M. Claude Birraux - Comme Franck Borotra, je me demande vraiment si vous avez écouté les arguments développés par François Goulard. En réalité, le ministre comme l'orateur du groupe socialiste, dans une réponse convenue, se sont abrités derrière le service public pour éluder toutes les questions pertinentes posées par notre collègue. La France est le pays européen qui traîne le plus les pieds pour transposer cette directive quand de nombreux pays, dont les dirigeants se produisent pourtant à la même tribune de l'Internationale socialiste que les membres de ce gouvernement, l'ont transcrite en droit interne sans aucun état d'âme. N'est-ce pas curieux ?

Les principes de la directive sont pourtant clairs : indépendance des organismes de contrôle, égalité de traitement entre les opérateurs -que le projet de loi, à l'évidence, ne garantit pas dans le domaine du commerce-, réciprocité des échanges et des prises de participation... Sur ce dernier point le seul commentaire qu'a inspiré au Chancelier, socialiste, Gerhard Schröder, l'objectif d'EDF d'entrer au capital d'une entreprise électrique allemande est qu'il serait bon qu'un jour la réciproque soit possible... Et d'envisager un artifice avec une filiale d'EDF comme Electricité de Strasbourg. Autant de questions de fond auxquelles vous refusez de répondre.

Monsieur Billard, vous devriez savourer cet instant, qui peut-être ne se reproduira pas, où à vos pieds, le Gouvernement et le groupe socialiste, vous assurent qu'ils transposeront la directive sans rien en transposer et que rien ne changera jamais.

Monsieur le ministre, vous déclariez que « l'Europe doit devenir le marché d'EDF ». Mais aujourd'hui, le principal adversaire d'EDF, c'est le Gouvernement et sa majorité.

Pour toutes ces raisons, nous voterons l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. François Goulard - Je remercie le ministre du ton dont il a usé. Lui au moins s'est efforcé de répondre aux arguments juridiques que j'ai développés.

Pour le reste, la caricature et la polémique ne feront pas progresser ce débat, pourtant lourd de conséquences pour un secteur clé de l'économie nationale. Plus de sérieux serait nécessaire.

Monsieur Billard, vous me reprochez de prôner, avec la concurrence, le recul social. Mais alors que fait ce gouvernement de gauche pour France Télécom ? Voilà qui démontre que votre remarque est dénuée de tout fondement.

Monsieur Cacheux, vous dénoncez les excès du libéralisme. Argument facile ! D'ores et déjà, en Allemagne, pays aujourd'hui dirigé par un gouvernement socialiste et qui ne passe pas pour être un parangon de libéralisme, les particuliers peuvent, sans changer de compteur, choisir entre différents abonnements en fonction de leur consommation et de leurs besoins, et profitent ainsi d'une baisse des tarifs. Usons d'arguments plus sérieux : nous gagnerons du temps et nous aurons plus de chances d'améliorer ce texte.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Claude Birraux - J'indiquais ici en première lecture que si la fée électricité n'était plus aussi féerique qu'antan, c'est que l'histoire avait rendu banal le geste consistant à appuyer sur un interrupteur. Les événements de la fin de 1999 ont, hélas, démontré combien ce geste était essentiel pour le confort de nos concitoyens.

Je tiens à rendre hommage au travail exemplaire, à la conscience professionnelle et au dévouement des personnels d'EDF qui ont rétabli partout la distribution d'électricité après les tempêtes.

Si nous examinons ce texte en nouvelle lecture, ce n'est pas que la commission mixte paritaire a échoué. Elle n'en a pas eu l'occasion puisque la majorité a décidé de rejeter en bloc le travail du Sénat. C'est en lisant la presse, avant la réunion de cette commission, que nous avons appris qu'un accord avait été décrété impossible. Vous vous plaindrez ensuite du manque de considération pour le Parlement alors que c'est vous-mêmes, élus de la majorité et Gouvernement, qui entretenez sans vergogne ce mépris !

La directive devait être transposée le 19 février 1999 au plus tard. Devant le retard pris, nous étions prêts à faire des efforts considérables pour aboutir à un compromis en CMP. Mais puisque si notre pays avance moins vite que les autres, c'est, selon vous, en raison « de la profondeur du débat démocratique », eh bien, nous allons débattre.

La transposition de la directive aura des incidences capitales sur le secteur énergétique. EDF, jusqu'alors en situation de monopole, va devoir relever le défi de la concurrence sur un marché devenu européen.

L'ouverture du marché de l'électricité ne sera possible que dans la transparence et la clarté des choix. Or, ce texte, comme la méthode utilisée, ne sont que trompe-l'_il, illustration parfaite de la méthode Jospin qui consiste à donner par le discours l'illusion de choix que les actes démentent.

Monsieur le ministre, vous souligniez au Sénat le 5 octobre dernier que la France devait transposer dans les meilleures conditions et les meilleurs délais la directive de façon à respecter ses engagements internationaux et à éviter tout contentieux. J'en suis d'accord pour ma part, mais voilà qu'aujourd'hui, vous-même n'approuvez plus ce que vous disiez alors. Pour des raisons strictement politiciennes, comme le relève la CFDT, et électorales, M. Jospin est prêt à faire fi des engagements internationaux de la France, à nuire à sa crédibilité, et à brader l'avenir de ce service public.

Les réactions hostiles n'ont pas tardé. Tout d'abord, la Commission européenne, qui a l'impression que le Gouvernement se moque d'elle, a déclenché la procédure d'infraction.

EDF qui, de par sa structure et de par l'origine de ses dirigeants, n'est pourtant pas un repaire de l'opposition, a elle-même fait part publiquement de son embarras et exprimé la crainte de voir son image ternie et son développement international entravé.

La ministre hollandaise de l'économie déclarait fin novembre que la France ne serait pas autorisée à vendre de l'électricité aux clients de son pays consommant moins de 100 gw/h. Les détracteurs d'EDF en Allemagne estiment que la France fait figure de forteresse de l'étatisme comme on n'en connaît plus ni à l'Ouest ni à l'Est de l'Europe.

Peu importe pourtant au Gouvernement, pour qui les intérêts politiques de M. Jospin face à M. Hue prévalent sur l'intérêt d'EDF.

Clarté des choix et transparence sont pourtant indispensables pour définir une politique énergétique à long terme. Un claquement de doigt, un oukase ne sont pas suffisants, les Allemands en font l'amère expérience.

La politique énergétique nationale se fondera sur une programmation pluriannuelle des investissements. Mais là encore, vous n'avez pas su choisir. Vous indiquiez au Sénat qu'elle permettrait de garantir la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité des prix au travers d'un développement équilibré, conçu en amont, faisant la part qui lui est due à chaque source primaire d'énergie. Mais vous voilà obligés de donner, comme aux enfants qui ne veulent pas manger, une cuiller pour le PC, une autre pour les Verts, une autre pour le PS ! Et il n'y a pas la même chose dans chacune de ces cuillers : nucléaire et EPR pour le PC, ce qui donne la nausée aux Verts... Vous ne choisissez pas alors qu'il importerait de préparer l'avenir. Il est d'ailleurs curieux que vos alliés Verts soient friands de débats lorsqu'il s'agit de contester un choix qui n'est pas le leur et fermés à toute discussion sur leurs propres options. Ainsi réclamaient-ils à cor et à cri un débat sur Superphénix dont une fois dans la majorité, ils n'ont plus voulu.

Sur l'EPR, ils ont brillé par leur absence, alors que l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques réunissait des participants de haut niveau, français et allemands.

Quant à la loi sur la transparence dans le secteur nucléaire, elle se prépare dans la plus totale obscurité, sous l'autorité de Mme Voynet qui n'a pas vu la catastrophe de l'Érika alors que les Verts ont aperçu le fantôme de Tchernobyl en Gironde !

L'entreprise EDF a besoin d'une législation claire pour affronter le marché sans handicap et ne pas paraître suspecte. Le Sénat, voyant que la formule retenue pour le GRT présentait beaucoup d'inconvénients, a proposé de légiférer après une année d'expérience.

C'était faire preuve de sagesse et de prudence. Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas le reprocher au Sénat. Vous préférez revenir au texte initial, qui confiait la gestion du réseau à un service « indépendant » au sein d'EDF, ce qui causera des conflits d'intérêts et jettera le soupçon sur l'entreprise.

Cette formule est contraire à l'avis du Conseil de la concurrence comme au rapport du député Dumont, qui appartient pourtant à votre majorité : « Nous considérons que la meilleure solution serait que ces activités soient confiées à un gestionnaire du réseau indépendant... Ce gestionnaire pourrait prendre la forme d'un nouvel établissement public dans lequel seraient détachés les agents EDF accomplissant aujourd'hui ces tâches » écrivait notre collègue, avec qui je suis tout à fait d'accord.

Le GRT doit être pleinement indépendant, comme l'exige la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Quant à la Commission de régulation de l'électricité, vous voulez la réduire à la portion congrue. Pour asseoir son autorité, elle a besoin d'être indépendante du Gouvernement. La directive elle-même précise que cette autorité doit être indépendante des parties pour régler les litiges relatifs aux contrats, aux négociations ainsi qu'aux refus d'accès et d'achat. C'est un véritable juge de paix, à l'image de l'Autorité de régulation des télécommunications. A qui ferez-vous croire que la CRÉ, flanquée d'un commissaire du Gouvernement, alors même que ce Gouvernement assure la tutelle d'EDF, pourrait ne pas être juge et partie ?

L'extension du statut des industries électriques et gazières à toute nouvelle entreprise entrant dans la production ne saurait dissimuler la fragilité du système et son manque de transparence. On lit dans le rapport Dumont qu'en matière de statut, actuellement, EDF procède par circulaires internes applicables à l'ensemble du secteur ! La transparence et l'équité commandent de garantir le respect des engagements passés et d'ouvrir une négociation collective de branche pour faire évoluer le statut qui, vous le savez, n'est pas conforme aux lois Auroux.

La situation n'est pas plus claire en matière de retraites, puisqu'un récent rapport de la Cour des comptes révèle qu'EDF n'a pas différencié ses provisions selon qu'elles servent à financer les retraites ou à démanteler les installations nucléaires. Or, vers 2015, EDF aura du mal à financer ses retraites.

Comme le note avec justesse M. Dumont, on ne peut purement et simplement étendre aux nouveaux opérateurs le système de retraite d'EDF. Et il propose de sortir la gestion des retraites des comptes d'EDF, c'est-à-dire de créer une caisse spécifique gérée paritairement.

Une solution satisfaisante a été trouvée pour les télécommunications. Pourquoi ne pas engager maintenant le processus de modernisation, d'autant que la directive rend possibles des interventions de l'Etat visant à respecter les engagements antérieurs à sa mise en _uvre ? Vous êtes en train de rater une occasion qui ne se présentera plus.

Le silence du Gouvernement témoigne de sa vision statique des choses. Pour de petits profits électoraux, vous entrez à reculons dans le marché européen de l'électricité. Telle est la méthode Jospin. Quel décalage entre l'affichage et la réalité !

L'Europe doit devenir le marché d'EDF, vous exclamez-vous. Mais vous ne donnez pas à l'opérateur national les moyens de se lancer dans cette conquête.

Il est vrai que pour ne pas déplaire à Robert Hue, pour lui faciliter la tâche au congrès de son parti, vous vous comportez comme si l'Europe n'existait pas (Interruptions sur les bancs du groupe communiste).

Vous devriez expliquer à vos collègues que le mur de Berlin est tombé, que Staline et Brejnev sont morts, et que l'économie marxiste s'est désintégrée toute seule. Pourquoi donc restreindre le trading ? Cette mesure, contraire au principe d'équité et d'égalité des chances entre opérateurs, favorise exclusivement EDF.

Le Gouvernement s'est aussi opposé à la création de bourses de l'électricité, alors même qu'elles existent déjà et qu'EDF en est un acteur important à l'étranger !

Vos déclarations sur le mode incantatoire, comme vos exclamations sur l'apport génial de certains amendements du PC n'y changeront rien.

Votre projet ne règle rien, car le Gouvernement refuse, pour des raisons électorales, d'effectuer des choix clairs. Les dissensions de la majorité l'empêchent d'élaborer une véritable politique énergétique.

Le Gouvernement, qui prétend faire de l'Europe le marché d'EDF, refuse en fait de prendre en compte la dimension européenne de la question. Protectionniste à l'excès, il oublie que la directive repose sur le principe de la réciprocité.

Le Gouvernement, en outre, est resté muet sur ses intentions concernant la traduction de la directive Gaz alors que la Commission de régulation sera commune. Parce qu'il défend des positions rétrogrades et passéistes, parce que, faute d'effectuer des choix clairs et transparents, il s'expose à des contentieux juridiques qui lui imposeront une concurrence plus dure, je vous invite, mes chers collègues à adopter cette question préalable, dans l'intérêt même de l'entreprise EDF, à laquelle nous sommes tous attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Rapporteur - Je ne peux laisser sans réponse certains propos de notre collègue, dont j'apprécie d'habitude les analyses en matière énergétique. Je suis surpris qu'il adopte un ton si polémique, comme j'ai été surpris d'entendre M. Borotra qualifier de sectaire le rapport.

M. Franck Borotra - Ce sont les propos du rapporteur qui sont sectaires !

M. le Rapporteur - Ce rapport n'est guère que le reflet des débats en commission. L'opposition serait-elle jalouse de notre cohésion ? Qu'il y ait dans ce texte un équilibre entre les préoccupations des communistes, des Verts, du MDC et des Radicaux, il ne faut pas s'en étonner.

C'est volontairement que nous l'avons recherché.

Vous vous étonnez que le travail du Sénat ne soit pas mieux accueilli. Je répète que nous avons retenu certaines de ses suggestions, très intéressantes, même si elles ne forment pas la colonne vertébrale du dispositif. Mais l'Assemblée souhaite revenir à l'esprit de la première lecture.

S'agissant du GRT par exemple, la commission s'est opposée à ce qui aurait ressemblé à un démantèlement d'EDF et a donc trouvé une solution assurant à la fois la séparation comptable de cette instance et son intégration dans la stratégie de l'entreprise.

Quant à la CRÉ, nous pensons qu'elle n'a pas vocation à définir une politique énergétique mais simplement à garantir que l'ouverture partielle à la concurrence se passera dans de bonnes conditions.

En ce qui concerne enfin les conditions dans lesquelles la réunion de la commission mixte paritaire a été préparée, je tiens à dire que j'ai fait mon travail de rapporteur sans recevoir aucune instruction du Gouvernement. Si les conclusions que je présente rejoignent les siennes, il faut s'en réjouir comme d'une chose plutôt rassurante. C'est le contraire qui eût été étonnant. Bien évidemment, je suis allé en CMP en ayant au préalable vérifié que la majorité allait rester cohérente -dans cette mesure, vous pouvez dire que le sort de la CMP était scellé avant même qu'elle commence mais je suppose que quand vous et vous amis détenez la majorité, vous n'allez pas non plus en CMP en vous disant « on verra bien ce qui se passera ». Cette cohérence de la majorité va continuer à s'exprimer article après article. Vous voudrez sans doute y reconnaître la marque de tel ou tel. Il serait plus juste d'y voir l'expression collective de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Secrétaire d'Etat - M . Goulard a tout à l'heure fait l'éloge du système allemand, libéralisé, en oubliant simplement de préciser qu'il n'y a pas de péréquation tarifaire en Allemagne et que tous les consommateurs ne paient donc pas leur électricité au même prix. Cela diffère fondamentalement de la conception française d'égalité devant le service public, conception qu'a d'ailleurs défendue M. Borotra lorsqu'il a négocié au nom de la France la directive sur l'électricité. M. Borotra, ancien ministre de l'industrie, et M. Goulard ne sont donc pas d'accord.

Je suis choqué que M. Birraux parle, à propos de la CMP, d'un mépris du gouvernement Jospin à l'égard du Parlement. Il appartient bel et bien au Parlement de déterminer le sort qu'il entend réserver aux travaux d'une CMP. Mais il est évident qu'il lui sera difficile d'arriver à un texte commun s'il y a une trop grande distance entre l'opinion de la majorité de l'Assemblée et celle de la majorité sénatoriale.

M. Birraux a qualifié ce projet de « trompe-l'_il ». Les choses sont au contraire parfaitement claires. Ainsi, l'Assemblée savait parfaitement, le 19 février dernier, que certaines dispositions de la directive devenaient à cette date immédiatement applicables. Certaines grosses entreprises ont donc pu dès cette date s'adresser à la concurrence. Mais je ne m'inquiète pas pour EDF ; une fois le présent projet adopté, je suis certain que la qualité de ses prestations amènera les entreprises à suivre leur propre intérêt et donc à se tourner vers EDF à titre principal.

Tout est clair aussi en ce qui concerne la programmation annuelle des investissements comme en ce qui concerne notre politique énergétique. Et je vous rassure, il n'y en a bien qu'une seule, dont vous avez d'ailleurs débattu il y a environ un an. Cette politique équilibrée fait appel à la fois à l'énergie électronucléaire, aux énergies renouvelables -de plus en plus et M. Hascoët s'est d'ailleurs vu confier une mission sur ce sujet- et aux énergies fossiles -de moins en moins, conformément aux engagements pris à Kyoto. Pour plus de clarté encore, le Gouvernement présentera bientôt une loi sur la transparence en matière nucléaire.

Il a été question du rapport de M. Dumont, rapport d'excellente facture auquel je rends hommage mais dont toutes les conclusions n'ont pas pour autant été suivies par le Gouvernement, à qui il appartient de définir la politique énergétique de la nation. S'agissant du GRT par exemple, le Gouvernement n'a pas voulu aller jusqu'à l'autonomie d'un EPIC, même s'il était favorable à une certaine individualisation. Là encore, les choses sont claires.

Claire également, notre volonté commune de faire d'EDF une grande entreprise publique et intégrée, assumant ses missions de service public tout en étant présente sur les marchés internationaux. Je suis fier que l'opérateur historique qu'est EDF distribue l'électricité à Londres et qu'un autre de nos grands opérateurs distribue le gaz à Berlin. Fier aussi qu'EDF ait pris une participation décisive dans la distribution d'énergie du Bade-Wurtemberg.

Clairs enfin sont les apports de la majorité plurielle au texte retenu. Les députés communistes et ceux du Mouvement des Citoyens ont obtenu en première lecture des avancées importantes sur le droit à l'électricité et les tarifs sociaux ; le groupe socialiste sur le rôle des collectivités locales et sur le champ du service public ; les Verts sur la production décentralisée ; les radicaux de gauche sur le rôle d'EDF comme conducteur des travaux. Oui, il y a eu un travail collectif s'inscrivant dans une ligne politique, que le Gouvernement entend continuer à défendre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Pierre Ducout - Une question préalable signifie qu'il n'y a pas lieu de débattre. Or M. Birraux, qui suit de très près ces problèmes d'énergie et qui a été très présent en commission, a fait de nombreuses propositions, dont certaines ont été reprises en commission. Il faut garder cela à l'esprit, car la position de M. Birraux, un peu trop libérale pour nous, n'a pas pour autant le caractère systématique et ultralibéral de celle de M. Goulard. Je crois donc que la question préalable a été pour lui l'occasion de s'exprimer, mais que sur le fond il pense comme nous qu'il y a lieu de débattre.

Quelques observations sur certains points qu'a évoqués M. Birraux. Il n'y a de la part du Gouvernement aucun mépris du Parlement. Plusieurs d'entre nous ont participé à la CMP : nous le savons bien, les différences entre les propositions du Sénat et de l'Assemblée étaient trop grandes pour que nous puissions parvenir à un texte commun, qu'il s'agit du GRT, de la CRÉ ou de l'ouverture exagérée au trading -autant de points que nous partageons sur presque tous les bancs de cette assemblée.

Sur la question de la réciprocité : nous savons qu'EDF a perdu certains de ses marchés au seuil de cent gigawatts-heure, par exemple en Andorre. Mais nous pensons que les moyens donnés à l'entreprise lui permettront de garder un pourcentage important des clients éligibles, qui représenteront en 2003 plus de 30 % de l'électricité dans notre pays. Ils lui permettront également d'être présente sur le marché européen ; notre ambition est en effet d'en faire l'un des premiers énergéticiens européens, voire le premier. M. Birraux a évoqué la préparation du long terme, et sur ce point nous sommes d'accord, ayant participé au débat de l'an dernier dans cet hémicycle : l'apport respectif du nucléaire, du gaz et des énergies renouvelables doit nous permettre de garder une position forte.

M. Birraux a posé le problème de la transparence, et j'évoquerai à ce sujet un incident survenu dans mon département, celui de la centrale de Blaye. Il a été bien suivi par la DESIN. Il faut aller plus loin dans la transparence envers nos concitoyens et les élus, pour que nous gardions confiance dans l'entreprise de plusieurs décennies, soutenue sur tous nos bancs, qu'a été la mise en place de notre complexe nucléaire.

Notre collègue a évoqué l'avenir d'EDF. Par cette loi nous voulons lui donner toute sa place. Cela implique de refuser son démantèlement ; il est notamment indispensable de s'en tenir à une séparation comptable avec le GRT. Quant au statut du personnel d'EDF, c'est un atout, et les événements récents l'ont montré. Pour ce qui est enfin des avancées que doit permettre ce débat, le groupe socialiste entend souligner le rôle des collectivités locales ; EDF a encore quelques progrès à faire pour travailler avec elles dans la transparence.

En repoussant la question préalable, le groupe socialiste entend s'engager dans la préparation d'une bonne loi de transposition, qui devrait être opérationnelle début février, répondant ainsi aux exigences de la Commission européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe communiste).

M. Christian Cuvilliez - Nous avons beaucoup parlé aujourd'hui, lors des questions d'actualité, des terribles phénomènes des tempêtes et de la marée noire qui ont frappé nos concitoyens. Face à cela nous voyons deux attitudes. D'un côté, le président de Total Fina offre une journée de son salaire en réponse au problème de la marée noire. De l'autre, le service public d'EDF mobilise ses agents, les fait revenir de vacances, leur demande de se priver des moments de détente familiale qu'apporte la fin de l'année, obtient que ses retraités reprennent du service, pour réparer les dommages le plus rapidement possible. Vous avez là les deux pôles du monde de l'énergie. L'un représente la logique du marché, et l'on pourrait même rappeler à ce propos que Total, en intégrant Elf, a permis à M. Jaffré de partir avec quelques valises de stock-options, à comparer à la journée de salaire du président de Total. L'autre est le résultat d'une culture d'entreprise, à laquelle nous sommes attachés.

Un autre élément nous conduit à rejeter la question préalable. Le risque existe, si on laisse jouer la logique du marché, de disloquer cette unité de l'entreprise au service d'une politique décidée par les citoyens, par leurs représentants, -unité qui a fait la force d'EDF et le fera encore si on ne la détruit pas. Qui peut imaginer qu'un parc nucléaire comme le nôtre aurait pu être constitué sans ce cadre ? Or il sert aujourd'hui d'exemple dans le monde, et EDF n'a pas attendu la directive européenne pour gagner des marchés ; c'est ainsi qu'elle est le partenaire privilégié des Chinois pour la construction de centrales. Ne brisons pas cette unité et cet élan !

Des risques identiques pèsent sur la stratégie du transport d'énergie. Le GRT est un élément indispensable. La récente tempête a montré combien le maillage du territoire par le réseau a joué un rôle déterminant dans le rétablissement du courant. Qu'il faille enterrer les lignes quand c'est possible, certes ; qu'il faille améliorer le service aux habitants, sans doute. Qu'il faille garder le maillage, cela ne fait aucun doute, et cela doit continuer à s'inscrire dans une vue stratégique générale de l'établissement. Considérez a contrario les effets du modèle anglo-saxon, qui inspire souvent les libéraux de l'opposition : la privatisation des chemins de fer britanniques a diminué la sécurité, d'où de graves accidents -au point qu'aujourd'hui M. Blair envisage de revenir en arrière dans ce domaine.

M. François Goulard - Et la Norvège ?

M. Christian Cuvilliez - Enfin il est injuste de supposer qu'une combinaison politicienne est à l'origine de l'acceptation de certains de nos amendements. Elle repose sur l'idée que le succès d'EDF tient certes à son organisation, mais aussi à ses agents. Ceux-ci sont deux ou trois fois plus nombreux que dans les établissements des pays voisins. Est-ce un handicap ? Je ne le crois pas. Le statut social de ces agents, les formations dont ils bénéficient, les qualifications qu'ils obtiennent montrent l'utilité de préserver ce statut. Nous exprimons sur ce point un courant d'opinion qui réunit les agents et les usagers, les uns bénéficiant du statut, les autres de la politique tarifaire. Voilà ce qui nous sépare ; le reste est billevesées (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. François Goulard - J'enchaînerai sur la vision à peine manichéenne qu'a développée l'orateur précédent. Il a opposé le comportement de Total Fina et celui -effectivement admirable- des agents du service public. Mais lors de ces événements des salariés du secteur privé ont eux aussi été pleinement solidaires. Les couvreurs ne relèvent pas du service public ; or la plupart ont fait leur devoir (Exclamations et rires sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Dans la symétrie que campe notre collègue, un élément lui a échappé : c'est que, sur le plan juridique, on aura beaucoup de mal à mettre en cause la responsabilité de Total. Savez-vous pourquoi ? Parce qu'en 1992 la convention internationale qui régit les questions de responsabilités en cas de pollution marine a été amendée pour exonérer les affréteurs de toute responsabilité... Et savez-vous qui furent les négociateurs et les signataires pour la France ? M. Roland Dumas, ministre des affaires étrangères ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, et M. Louis Le Pensec, ministre de la mer ! Alors, Messieurs les donneurs de leçons, regardez un peu de votre côté !

Dans sa réponse à l'excellente intervention de M. Birraux, M. le ministre a vanté avec des accents enflammés les succès d'EDF sur les marchés européens et étrangers. Nous nous en réjouissons. Mais croit-il que nos partenaires accepteront longtemps qu'EDF fasse des acquisitions dans leurs pays, alors que le nôtre reste fermé à la concurrence ? Vous ne pourrez pas maintenir à la fois la fermeture en France et l'expansion à l'étranger. En outre, dans le monde actuel, les positions relatives des entreprises peuvent varier très vite. France Télécom, qui avait une position très forte, rencontre aujourd'hui des difficultés dans ses alliances internationales, et pourrait voir demain ses positions contestées si elle ne réagit pas aux nouvelles conditions du marché. De même, si EDF n'est pas mise en mesure de réagir comme ses concurrents internationaux, elle peut perdre très vite sa belle position actuelle, et cesser d'être le fleuron que vous célébrez ce soir.

M. Claude Birraux - Je dirai tout d'abord à M. Cuvilliez, qu'en présentant la question préalable, j'ai commencé par rendre l'hommage qu'ils méritaient aux agents d'EDF. Cela étant, la solidarité des électriciens européens s'est largement manifestée, qu'il s'agisse d'entreprises publiques ou privées.

M. François Goulard - Très juste !

M. Claude Birraux - Pour ce qui est de la CMP, reconnaissez qu'il est inacceptable d'apprendre, avant même qu'elle ne se tienne, par un journal du soir puis par un journal d'économie que rien n'y sera discuté ! Pourtant, bien des points de désaccord auraient pu y être réglés, puisque 70 % des amendements adoptés au Sénat l'ont été avec votre accord, Monsieur le ministre ! Je suis, pour ma part, convaincu qu'un accord aurait été possible.

Je n'ai jamais dit, d'autre part, être opposé à la transparence, bien au contraire. Au sein de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques, nous avons largement contribué à l'instaurer dans le domaine nucléaire et, pour ne rien vous cacher, je vous préfère, Monsieur Bataille, dans le rôle de rapporteur de l'OPCST plutôt que dans celui de rapporteur de ce projet !

La transparence est pour moi une exigence absolue, et c'est ce qui m'a conduit à présenter une proposition de loi visant à concilier cette exigence-là avec d'autres, tout aussi impérieuses : l'exigence d'efficacité et de compétence et l'exigence, surtout, de ne pas priver l'Etat de son rôle en matière de police et de définition de la politique énergétique. Que le Gouvernement inscrive ma proposition à l'ordre du jour de nos travaux, et je suis certain que nous parviendrons à un consensus, qui aura incidemment le mérite de simplifier quelques réunions interministérielles, actuellement un peu compliquées, semble-t-il...

Si, donc, la question préalable doit être adoptée, c'est pour obliger le Gouvernement à soumettre au Parlement un texte nouveau, plus conforme à la fois à l'esprit et à la lettre de la directive et à l'intérêt réel d'EDF, dans la ligne de l'excellent rapport Dumont.

M. Franck Borotra - Il serait bon, comme nous avons su le faire au cours de la première lecture, d'éviter le simplisme et par là-même, les oppositions irréductibles.

Un député communiste - Dites-le à M. Goulard !

M. Franck Borotra - Ce n'est pas à lui, qui formule une argumentation fouillée, que je pensais.

Il me faut revenir sur la CMP, Monsieur le ministre. Je ne compte pas vous faire de procès d'intention mais, de fait, l'Hôtel Matignon a indiqué que l'arbitrage a été rendu la veille du jour où la CMP devait se réunir.

M. le Rapporteur - Non !

M. Franck Borotra - Ecoutez ce que les journalistes ont à dire à ce sujet, et ayez le courage de reconnaître ce qui, pour ne pas être très intelligent, n'est pas non plus absolument scandaleux ! Vous aviez pourtant fait preuve d'une grande ouverture d'esprit au Sénat, Monsieur le ministre, puisque vous aviez accepté 187 amendements sur 250.

M. le Secrétaire d'Etat - Rédactionnels...

M. Franck Borotra - Et vous aviez conclu que des accords sur certaines points étaient possibles, et que le rôle de la CMP serait de les trouver... Le rapporteur sait l'amitié personnelle sinon politique que je lui porte, et je suis persuadé qu'une discussion aurait été possible, qui nous a été refusée. Ce n'est pas la conception que j'ai du système parlementaire. J'aurai, au cours du débat, l'occasion de revenir sur le contenu d'un rapport dont je déplore la rédaction car je ne vous tiens pas, Monsieur le rapporteur, pour spontanément sectaire.

Il ne s'agit pas, bien entendu, de se battre pour ou contre EDF : tout le monde est pour cette entreprise, pour laquelle je me suis battu, plus que vous tous, dans des conditions d'autant plus difficiles que vous aviez complètement embourbé ce dossier (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). La seule question qui vaille est de savoir comment préparer EDF à l'évolution inéluctable du marché français et européen de l'électricité. Tout le monde, sauf peut-être les communistes, sait qu'une évolution s'impose : une discussion doit avoir lieu, même si les conceptions sont différentes.

Seulement, le ministre l'a dit, « la politique énergétique du Gouvernement est le reflet des courants qui la constituent ». Si bien qu'elle a du mal à être cohérente, car ce sont des courants contradictoires qui la traversent ! Pourtant, il vous faudra trancher ! Vous ne pouvez continuer à « faire cadeau » de Superphénix aux Verts et les laisser contester l'usine de La Hague, qui nous est indispensable et, ce faisant, bloquer la politique nucléaire française, tout en concédant le monopole d'EDF aux communistes !

Il vous faut définir au plus vite, et en tout cas sans attendre 2002, une politique énergétique claire, forte et cohérente. Si vous y parvenez, peut-être vous soutiendrons-nous. Encore faudrait-il, pour cela, que vous parveniez à sortir de vos contradictions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Guy Hascoët - J'ai eu l'occasion, lors de la première lecture, de dire que nous envisagerions la question de manière pragmatique et non idéologique, afin de déterminer ce qui, dans le texte qui nous était présenté, pouvait orienter utilement la politique énergétique nationale. J'avais souligné aussi que la question de l'énergie étant d'une importance capitale, on ne peut laisser prévaloir la seule règle du marché. La régulation publique est nécessaire, et il revient donc à la puissance publique de définir les grandes orientations de la politique énergétique du pays, de redéfinir les missions de service public dans ce domaine et de ne pas confondre intérêts de l'entreprise EDF et intérêt général.

Nous avions également réaffirmé, avec d'autres, le droit légitime des collectivités locales à être au nombre des acteurs du développement énergétique, nous avions dit l'urgence de définir des missions nouvelles, dont la première devrait être la maîtrise de la demande, une autre de mener à bien la diversification, en dépit des retards accumulés, une autre encore d'optimiser l'utilisation des différentes ressources selon le principe « bonne énergie pour bon usage au bon endroit ». Il est aussi du devoir des pouvoirs publics d'anticiper les conséquences du réchauffement climatique. Les événements récents ne l'ont que trop montré.

Au terme de débats compliqués et riches, des amendements ont été adoptés qui ont enrichi le texte initial.

Si personne ne peut être pleinement satisfait, il me semble qu'en première lecture, le texte avait trouvé son point d'équilibre.

Comment s'étonner par ailleurs que la CMP ait échoué quand l'adoption de certains amendements au Sénat visait précisément à cela ?

Le secteur de l'énergie est appelé à beaucoup évoluer dans les années qui viennent. Pour l'heure, l'essentiel est de faire aboutir ce texte en préservant son équilibre et en permettant à l'entreprise publique d'entrer sans tarder dans une nouvelle phase de son développement. Comme en première lecture, je serai vigilant et pragmatique afin que nous aboutissions à un texte qui puisse être appliqué, qui respecte nos engagements européens tout en garantissant la spécificité française et l'avenir de notre secteur énergétique (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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