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Session ordinaire de 1999-2000 - 46ème jour de séance, 110ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 20 JANVIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

          CONGRÈS DU PARLEMENT 2

          SÉCURITÉ EN MER 2

          EXPLICATIONS DE VOTE 15

La séance est ouverte à neuf heures.

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CONGRÈS DU PARLEMENT

M. le Président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Président de la République la lettre suivante :

« Paris, le 19 janvier 2000

Monsieur le Président,

Par décret du 3 novembre 1999, j'avais soumis au Parlement réuni en Congrès deux projets de loi constitutionnelle relatifs, d'une part, au Conseil supérieur de la magistrature et, d'autre part, à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie.

Les conditions d'adoption du premier projet de loi constitutionnelle n'apparaissant pas réunies, j'ai décidé d'abroger ce décret.

Je vous adresse le décret d'abrogation avant sa publication au Journal officiel... »

Je donne lecture de ce décret :

« Le Président de la République,

« sur le rapport du Premier ministre,

« vu l'article 89 de la Constitution,

décrète :

« Art. 1er - Le décret du 3 novembre 1999 tendant à soumettre deux projets de loi constitutionnelle au Parlement réuni en Congrès est abrogé.

« Art. 2 - Le présent décret sera publié au Journal officiel de la République française.

                      Fait à Paris, le 19 janvier 2000.

                      Le Président de la République
                      Signé : Jacques CHIRAC

                      Le Premier Ministre,
                      Signé : Lionel JOSPIN. »

Acte est donné de cette communication.

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        SÉCURITÉ EN MER

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité en mer, le transport maritime des produits dangereux et polluants.

Le rapport de la commission de la production porte également sur les propositions de résolution de MM. François Goulard, Jean de Gaulle, Georges Sarre et André Aschieri.

M. René Leroux, rapporteur de la commission de la production - J'aurais souhaité aujourd'hui être dans un autre lieu, compte tenu des circonstances malheureuses.

Erika : E comme éc_urement, R comme révolte, I comme impuissance, K comme kilotonnes et A comme action.

Je tiens à vous faire part de la vive émotion de nos concitoyens du littoral qui, depuis la semaine de Noël, observent les dégâts de la marée noire.

Le naufrage du pétrolier Erika, au large du Finistère, le 12 décembre dernier, a remis dans l'actualité des images qu'on espérait ne plus revoir : plus de 21 ans après l'échouage de l'Amoco-Cadiz, nos côtes atlantiques ont été à nouveau maculées par du pétrole arrivant en vagues successives. Hommes et femmes ont lutté courageusement contre l'invasion de la marée noire.

Les dommages sont considérables sur le plan écologique : oiseaux mazoutés en grand nombre, ressources halieutiques menacées, dégradation massive du paysage et de l'écosystème.

Mais c'est toute la population qui souffre : riverains, bien sûr, mais aussi professionnels de la mer -pêcheurs, conchyliculteurs, ostréiculteurs- et du tourisme. Les élus et les associations travaillent depuis des années pour garantir des plages propres et mériter le pavillon bleu : tout cet effort est aujourd'hui compromis.

Saluons cependant le travail de nettoyage de grande ampleur effectué par l'armée et les pompiers, malgré le cruel manque de moyens techniques, et le dévouement de bénévoles venus de toute la France. Il est réconfortant de voir tous ces jeunes, et ces moins jeunes, venir spontanément travailler dans des conditions souvent difficiles.

A l'aube du XXIème siècle, on peut s'étonner qu'une tâche d'une telle ampleur -500 kilomètres de côtes polluées- doit être réalisée à l'aide de pelles et de seaux.

Les élus ont su, avec les professionnels, mobiliser les moyens humains et matériels sur le terrain et « soutenir le moral des troupes ».

Nous ne voulons pas que les générations à venir aient à subir ce genre de catastrophe, fruit d'une course démesurée au profit. Sachons en tirer des enseignements.

L'opportunité de créer une commission d'enquête est une évidence. La commission de la production a retenu la proposition de résolution soumise à votre approbation. L'enquête portera sur le transport maritime des produits dangereux et polluants, le contrôle des normes internationales concernant les navires et les cargaisons ainsi que sur les moyens d'améliorer la lutte contre les pollutions volontaires ou accidentelles. Elle permettra donc d'enquêter aussi sur les règles applicables aux produits non pétroliers, notamment les produits chimiques. Le contrôle des normes internationales soulève la question des pavillons de complaisance et celle des sociétés de classification et de certification.

Les investigations menées par la commission d'enquête porteront aussi sur « les conséquences juridiques, économiques et sociales des pollutions volontaires et accidentelles ». La commission d'enquête s'intéressera donc au régime de responsabilité, non seulement en cas d'avarie, mais aussi lors d'opérations intentionnelles de « dégazage » et étudiera les mesures de nature à responsabiliser davantage les chargeurs et les affréteurs, la recherche d'un transport au moindre coût étant souvent leur seul objectif.

Les techniques et moyens de prévention des pollutions lorsque celle-ci n'a pas encore atteint les côtes doivent être développés.

Pour éviter la répétition de catastrophes de ce type, il faut s'interroger sur la réglementation du transport maritime des produits polluants et sur son contrôle, car seule une politique de prévention plus efficace permettra d'espérer que l'on ne subira « plus jamais ça ».

Mais comme le « risque zéro » n'existe pas, il faut donc aussi disposer de tous les outils de « gestion de crise », en particulier pour le stockage et le traitement des déchets.

Je souhaite que notre champ d'investigation soit le plus vaste possible. Aucune limite ne sera assignée dans le choix de nos interlocuteurs et des questions qui leur seront posées. Nous travaillerons de façon à ce que la commission d'enquête rende son rapport définitif au plus tard en juin, afin qu'il puisse être soumis à la Commission européenne dès la mise en place de la Présidence française.

En 1978, puis en 1993, les rapports rendus sur des sujets similaires sont restés lettre morte. La commission d'enquête proposera des mesures plus fermes et dissuasives, qui devront être suivies d'effets. Nous sommes condamnés à réussir pour assurer aux générations futures un avenir meilleur.

C'est pourquoi, je vous demande d'adopter l'article unique tel que rédigé par votre commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - La création d'une commission d'enquête, à l'initiative de M. Jean-Marc Ayrault et de plusieurs députés, est une très bonne décision. Comment ne pas partager l'indignation du rapporteur, M. Leroux, et son souci de tirer tous les enseignements de cet événement pour éviter qu'il ne se reproduise ?

Il est bon que le Parlement exerce tout son rôle et contribue fortement à l'action publique. Après de telles catastrophes, une fois l'émotion passée, le risque est grand de repousser la solution des problèmes.

Pourquoi faut-il, après tant de marées noires, constater qu'un navire tel que l'Erika peut faire naufrage au large de la France et souiller plusieurs centaines de kilomètres de nos côtes ?

Pourquoi arrive-t-il encore que des navires poubelles croisent dans les eaux européennes ?

Mais ce qui perpétue l'insécurité maritime, c'est le système d'une économie dérégulée qui privilégie le transport à bas prix, au détriment de la sécurité des hommes et de l'environnement. C'est un système dont les Français ne veulent plus, parce qu'il ne respecte pas l'intérêt public et a des conséquences dramatiques sur les hommes et leur environnement.

Les Français doivent connaître l'ensemble des raisons qui ont concouru à un tel naufrage et les remèdes qui peuvent être apportés. Vous vous y emploierez dans le cadre de la commission d'enquête et je mets tous mes services à votre disposition.

Dès le jour de l'accident, j'ai diligenté une enquête administrative et technique et j'en ai rendu publiques les premières conclusions un mois après le naufrage. Dès mon arrivée au ministère, j'avais créé un bureau « enquête-accident-mer ». Ses directeurs m'ont exposé jeudi dernier leurs premières recommandations.

Certaines concernent les armateurs, les assureurs et les sociétés de classification. Nous en tiendrons compte, dans le cadre de la table ronde que je réunirai mi-février avec les acteurs du transport maritime, pour élaborer la charte la sécurité maritime.

D'autres concernent le contrôle par les affréteurs. J'ai demandé aux entreprises pétrolières ce qu'elles faisaient en ce domaine, je leur ai demandé de s'engager à ne plus affréter des navires de plus de 15 ans ou au maximum 20 ans, de renforcer les contrôles sur les structures, de ne plus affréter des navires dont les propriétaires présents et passés sont mal connus ou battant pavillon de complaisance. C'est leur crédibilité qui est en jeu.

Les pétroliers doivent donc prendre des engagements. Cela ne suffira pas à changer un système qui décourage les vertueux et récompense ceux qui mettent en danger les hommes et l'environnement.

Je poursuivrai donc, au plan national et international, l'action engagée depuis deux ans pour renforcer la réglementation et le système de contrôles, faire prendre leurs responsabilités aux acteurs et sanctionner ceux qui ne respectent pas les règles.

Après la tragique et lamentable affaire de l'Erika, l'Organisation maritime internationale s'est prononcée pour un renforcement des règles. A la Commission européenne, je demanderai que les navires à simple coque et les plus âgés soient rapidement bannis des ports européens. Dans ce cadre il est important que les armateurs de navires citernes puissent recourir au GIE fiscal pour moderniser leur flotte.

Je défendrai aussi avec vigueur l'amélioration des conditions de travail et de qualification des marins.

La réglementation existe. Trop nombreux sont ceux qui ne la respectent pas ou obtiennent des certificats de complaisance. C'est inacceptable. Récemment, après des visites à bord dans le port de Bordeaux, le Santana III a été sommé de faire un certain nombre de réparations. Il n'a pas rejoint le port qu'il avait indiqué et s'est arrêté à Brest. Après nouvelle inspection, on lui a enjoint de réparer sur place. En 1999, plus de 80 navires ont ainsi été retenus dans les ports français.

Cela ne suffit pas pour assurer un contrôle de meilleure qualité. De 1993 à 1997, on a réduit de 7 % le nombre de postes budgétaires d'inspecteurs de sécurité dans les ports. Depuis 1997, grâce à un concours exceptionnel, leur nombre a augmenté de 20 % et il aura doublé d'ici deux ans.

Les affaires maritimes utilisent, pour les contrôles ou la pose des balises des unités parfois vieilles de 70 ans ! De 1993 à 1997 les investissements de l'Etat pour la surveillance et la sécurité ont baissé de 30 %. Depuis 1997 ils ont augmenté de 70 %, pour rattraper le retard accumulé.

Mais la pollution ne connaît pas de frontières. J'ai commencé à mettre en place un système de surveillance maritime avec l'Espagne. Je proposerai son extension à tous nos partenaires européens. Il s'agit d'obliger les navires à destination des ports européens à se signaler et éventuellement à subir un contrôle dès leur entrée dans la zone d'exclusivité économique des 200 milles.

M. Yves Cochet - Soit 372 km.

M. Charles Cova - Mais le droit international, c'est 200 milles.

M. le Ministre - C'est bien pourquoi je pose le problème à l'échelon européen. D'autre part, je proposerai à l'Organisation maritime internationale que les contrôles comportent un examen plus approfondi des structures.

La banque de données EQUASIS, développée depuis 1998, devra être généralisée pour connaître les navires à risques et mieux cibler les contrôles.

Je demanderai aussi à nos partenaires de l'Union européenne d'organiser un contrôle commun des inspecteurs dans les ports et des entreprises de classification.

Cependant le droit international limite trop la responsabilité des transporteurs maritimes. Je demanderai qu'au moins leur responsabilité financière soit plus lourde, et que les pollueurs payent le coût de la sécurité et celui des dommages qu'ils occasionnent. Je demanderai aussi à nos partenaires européens de renforcer les sanctions, voire de permettre aux contrôleurs de bannir certains navires de nos ports.

Pour éviter de nouvelles catastrophes, les institutions internationales et européennes doivent se mobiliser. Votre initiative conforte nos démarches en ce sens. Le Gouvernement est donc très intéressé par la création de cette commission d'enquête et sera attentif à ses conclusions (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe UDF).

Mme Nicole Ameline - C'est parce que nous n'acceptons plus l'inacceptable que nous voulons cette commission d'enquête. Elle devra faire toute la vérité sur les causes de la catastrophe, les responsabilités, les dommages et en tirer les leçons. Dès le 17 décembre, Démocratie Libérale fut le premier groupe à demander la création d'une telle commission d'enquête sur les catastrophes maritimes et la lutte contre les pollutions marines. Son objectif est d'étudier le renforcement des règles de sécurité pour le transport, d'établir la chaîne des responsabilités et d'enquêter sur les moyens mis en cause par les autorités françaises et leur coordination. Il faut tirer rapidement les enseignements de la catastrophe sur tous les plans. Au Parlement européen, d'ailleurs, une proposition de résolution a été déposée par Mme Grossetête, au nom du groupe PPE-DE.

La commission d'enquête devra répondre de manière aussi claire et précise que possible à toute une série de questions. Quelle est la cause du naufrage ? Y a-t-il eu défaillance humaine ou du navire lui-même ? Le rapport rédigé par le Bureau enquête-accident-mer du ministère semble mettre hors de cause l'équipage, d'un navire « apparemment en bon état général mais équipé a minima » et accable les armateurs, la société chargée du contrôle du navire et le groupe Total-Fina. Il faudra se reporter aux conclusions de Veritas et de Rina, les deux dernières sociétés à avoir inspecté le navire, voir les résultats du contrôle interne effectué par les affréteurs, en l'occurrence la société Total. A chacun des stades de la procédure, quel a été le degré de fiabilité des contrôles ?

La commission d'enquête devra aussi étudier la chronologie même du naufrage. Comment les premiers signes de détresse ont-ils été traités par les autorités maritimes ? Pourquoi n'y a-t-il pas été répondu plutôt ?

Les secours apportés à l'Erika étaient-ils suffisants ? Pourquoi le suivi de la marée noire a-t-il été entouré de tant d'erreurs ? Que penser de la mise en _uvre du plan Polmar terre ?

Pour quelles raisons le gouvernement socialiste a-t-il négocié et signé en 1992 un protocole -modifiant la convention internationale de 1969- qui exonère le pétrolier affréteur de toute responsabilité financière et qui par conséquent interdit tout recours contre ce dernier ?

Nous attendons aussi des précisions sur l'attitude de Total : quand et comment la compagnie a-t-elle été prévenue ? Quel engagement moral a-t-elle pris concernant l'indemnisation ?

Pourquoi la France ne respecte-t-elle pas l'obligation minimale prévue par le Mémorandum de Paris, à savoir le contrôle d'au moins un quart des navires relâchant dans ses ports ?

Le monde du transport maritime s'est doté de nombreuses conventions internationales et les règles établies par l'OMI doivent être respectées par tous les Etats signataires. Mais les Etats-Unis sont allés plus loin en 1990 -après la catastrophe de l'Exxon Valdez- en adoptant une réglementation beaucoup plus stricte, l'Oil Pollution Act ou OPA, qui prévoit notamment la responsabilité illimitée de l'armateur voire de l'affréteur en cas d'accident avec déversement d'hydrocarbures ; l'obligation de la double coque, à partir de 2010, pour les navires accostant aux Etats-Unis ; l'obligation pour chaque navire de disposer d'un certificat de garanties financières. On voit ici qu'il n'est pas sérieux d'opposer libéralisme et sécurité (Murmures sur les bancs du groupe RCV) puisque c'est le pays le plus libéral qui soit qui adopte les règles de sécurité les plus strictes.

Il manque à la France au moins 10 inspecteurs de la navigation pour respecter les engagements qu'elle a souscrits en signant en 1982 le Mémorandum de Paris, à savoir contrôler au moins 25 % des navires faisant escale dans ses ports.

La sécurité et la prévention ont un coût, c'est certain. Mais ce coût reste inférieur à celui d'un désastre comme celui que nous venons de connaître. Et force est de constater qu'aujourd'hui les navires les plus sûrs peuvent aller aux Etats-Unis tandis que les moins sûrs se rendront de préférence dans les eaux européennes. La solution devra être trouvée à l'échelle européenne car une solution purement nationale ne serait pas pertinente. Souhaitons que la présidence française soit l'occasion d'y travailler.

Il y a tous les mois en France environ douze navires en port qui ne remplissent pas les conditions de sécurité : on les appelle les navires « sous normes ». Ils ne transportent pas toujours du pétrole mais parfois des produits chimiques. Aussi la pollution n'est-elle pas toujours visible lorsqu'une cargaison se déverse dans la mer... Il existe donc aussi des « marées transparentes », moins médiatiques mais tout aussi dangereuses que les marées noires.

M. Yves Cochet - C'est vrai.

Mme Nicole Ameline - La catastrophe de l'Erika a montré que les bénévoles, les associations et les collectivités locales avaient su se mobiliser pour faire face à la pollution. Mobilisation admirable et émouvante mais des hommes et des femmes armés de pelles ne constituent pas une réponse suffisante à un problème de cette ampleur.

Je souhaite donc que la commission d'enquête soit à la hauteur des espoirs que nous plaçons en elle et que pourront se dégager des solutions innovantes pour que soit mieux respecté notre environnement maritime (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Yves Le Drian - Il faut en finir avec le désordre maritime mondial. La catastrophe de l'Erika, après plusieurs autres, montre que les principes historiques de « liberté des mers » et de « passage inoffensif » sont devenus criminogènes. Ils ont pourtant été ratifiés solennellement il y a moins de dix ans par le Traité mettant fin à la Conférence internationale du droit de la mer. De sorte que l'on peut faire presque n'importe quoi sur mer, tandis que dans les airs, on contrôle, on régule, on oblige.

Je suis très frappé par la similitude des déclarations officielles de l'après-Amoco Cadiz et de l'après-Erika : on dénonce les lacunes de la réglementation, l'âge des navires, l'impuissance de l'OMI, le scandale des pavillons de complaisance, le laxisme des grands groupes pétroliers... Mais vingt ans après, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il y a même davantage de risques puisque le trafic ne cesse d'augmenter.

On ne peut pourtant pas dire que rien n'a été fait depuis vingt ans. L'organisation du trafic sur le rail maritime a été considérablement renforcée, des moyens de surveillance ont été mis en place, le Mémorandum de Paris, signé en 1982 à l'initiative de M. Le Pensec, a constitué une avancée significative. Tout cela a sûrement permis d'éviter des catastrophes, mais ne suffit pas. D'abord parce que les contrôles ne sont pas très bien faits, ensuite parce que la surveillance n'est pas à la hauteur du trafic, enfin parce que les normes et la réglementation restent en deçà de ce qui serait nécessaire pour une sécurité maximale.

Après cette nouvelle catastrophe, il faut frapper fort. Pendant que nous ramassions le pétrole de l'Erika sur nos plages, d'autres bateaux « sous normes » étaient interpellés : d'autres catastrophes auraient donc pu se produire, et avec des produits chimiques encore plus dangereux.

La population a fait preuve dans cette affaire d'une grande détermination et d'une belle solidarité. Mais sa colère pourrait se muer en révolte si un événement du même type survenait. J'en profite pour rappeler qu'il ne faut pas oublier que dans l'épave de l'Erika gisent 20 000 tonnes de fioul. Le danger demeure. Quand va-t-on lancer les appels d'offre pour le pompage ?

Si l'on veut que les « plus jamais ça » ne soient pas seulement un slogan, il faut agir vite et rigoureusement. Mais je ne suis pas sûr que l'OMI soit le cadre approprié pour ce faire. En effet, ses décisions favorisent les pays dotés de flottes les plus importantes. Et je ferai observer à Mme Ameline que si les Etats-Unis se montrent protectionnistes en ce qui concerne leurs côtes, ils n'agissent pas dans le même sens au sein de l'OMI. C'est au plan communautaire qu'il faut agir.

Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, plusieurs axes d'action dont les normes, les contrôles, la régulation. Pour ce qui est de la responsabilité, on pourrait utilement s'inspirer de l'OPA, déjà cité, qui permet de poursuivre l'affréteur jusqu'au bout, c'est-à-dire jusque dans la holding, y compris en prenant immédiatement des actifs de celle-ci.

Je dirai encore : l'ingérence, car il n'est pas logique que les régions périphériques, premières menacées, ne puissent intervenir pour se protéger.

Je dirai enfin : l'interdiction. Pourquoi pourrait-on interdire notre sol au b_uf aux hormones et pas nos ports aux navires poubelles ?

Faute d'une volonté politique réelle d'agir dans ces six domaines, nous risquons de nouvelles catastrophes qui nourriraient le sentiment de révolte. Le Gouvernement fait preuve de cette volonté et je suis convaincu que la commission que nous allons créer contribuera à entretenir la mobilisation indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Ministre - Très bien !

M. Charles Cova - Vingt-deux ans après le désastre de l'Amoco Cadiz, force est de constater que nous restons encore bien impuissants à lutter contre les effets ravageurs d'une marée noire et nous voyons aujourd'hui les mêmes images d'hommes et de femmes, pauvrement armés de pelles et de seaux, qui tentent tant bien que mal de juguler la pollution.

La volonté des populations côtières, celle des nombreux bénévoles, le courage et le dévouement exemplaire des militaires, des sauveteurs, des membres de la protection civile, du personnel de l'équipement et de toute les autorités de l'Etat afin de faire face et de surmonter la catastrophe, n'ont d'égale que l'ardeur mise à nettoyer le littoral. Mais ni cette mobilisation ni la solidarité de nos concitoyens ne doivent occulter les multiples carences qui sont à l'origine du naufrage de l'Erika.

Le dimanche 12 décembre 1999, à 6 heures du matin, le navire Erika, voguant sous pavillon maltais et convoyant dans ses soutes plus de 30 000 tonnes de fioul lourd chargées à la raffinerie Total Fina de Dunkerque, lance un appel de détresse au large de la pointe de Penmarc'h. Dès le mercredi 23 décembre à l'aube, les premières nappes de produits pétroliers échouent sur les côtes du Sud Finistère et du Morbihan, avant de frapper l'ensemble des côtes de la Loire-Atlantique. C'est le début d'une nouvelle marée noire qui attriste les fêtes de fin d'année. Nous avons tous à l'esprit ces images de paysages autrefois splendides et aujourd'hui souillés.

L'émoi suscité dans le pays est à la hauteur d'une catastrophe écologique gravissime, qui blesse une France qui attire chaque année de nombreux touristes, mais aussi d'une catastrophe économique qui détruit ou menace l'outil de travail de nombreux Français, d'autant que certaines côtes ont aussi été victimes des tempêtes.

On voit ainsi poindre un véritable malaise au regard des conditions de sécurité des hommes et des marchandises transportés en mer, mais aussi face à la rapidité d'action des autorités et services concernés.

Je forme le v_u très sincère que la commission d'enquête propose enfin des solutions pragmatiques aux problèmes récurrents du pavillon de complaisance et des rapports entre les groupes pétroliers et leurs armateurs.

M. Jean-Louis Debré - Très bien !

M. Charles Cova - Mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République particulièrement concernés -MM. André Angot, député du Finistère, François Fillon, député de la Sarthe et président du Conseil régional des Pays-de-la-Loire, Louis Guédon, député de la Vendée, Michel Hunault, député de Loire-Atlantique, Serge Poignant, député de Loire-Atlantique, Didier Quentin, député de Charente-Maritime-, souhaitent comme moi qu'en collaboration avec nos partenaires européens, nous mettions en place rapidement une nouvelle législation maritime de nature à sécuriser notre littoral. Je regrette que la majorité n'ait pas daigné jeter le moindre coup d'_il à la proposition de résolution de notre collègue Jean de Gaulle tendant à la création d'une commission d'enquête sur le naufrage du navire Erika et ses conséquences, afin de renforcer la sécurité des transports pétroliers et d'améliorer les moyens de lutte contre les pollutions marines.

M. Jean-Louis Debré - Très bien !

M. Charles Cova - Ce mépris dont la majorité a fait preuve à l'égard d'une bonne idée de l'opposition est misérable (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste). Fait sans précédent, le feuilleton d'hier matin mentionnait déjà explicitement à l'ordre du jour de ce jeudi la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, avant même que la commission de la production ait adopté l'une des cinq propositions issues de tous les groupes de l'Assemblée ! Voilà noir sur blanc dans un document officiel de l'Assemblée, la preuve de ce mépris sur un sujet qui appelait pourtant une approche consensuelle.

Ce coup bas avait été précédé d'une maladresse du Gouvernement, je veux évoquer sans polémique les malencontreux propos de Mme Voynet, qui ont jeté le trouble dans les rangs de ses propres militants.

M. le Rapporteur - J'étais là quand elle a fait sa déclaration, pas vous !

M. Charles Cova - J'en reviens aux premières conclusions du rapport d'enquête sur les circonstances du naufrage de l'Erika établi par le bureau d'enquête sur les accidents en mer, qui met en lumière certaines aberrations du transport maritime pétrolier. S'il met hors de cause l'équipage indien du pétrolier et son commandant, il n'en dénonce pas moins, je cite, « l'extrême opacité de la chaîne commerciale ». C'est bien contre cette opacité qu'il faut lutter.

Ce même rapport pointe les erreurs ou négligences des armateurs, des gestionnaires du navire, du bureau de certification et de la compagnie Total Fina, aux termes desquels ce bateau, structurellement déficient, a pris la mer. Notre commission d'enquête devra définir un arsenal juridique précis et contraignant.

Il nous faudra débuter notre réflexion à partir du naufrage du pétrolier Erika, pour l'élargir ensuite à la sécurité de l'ensemble du transport maritime. Je déplore à ce propos que la proposition de M. Ayrault ne fasse pas mention explicitement du naufrage, à la différence de celle de Jean de Gaulle qui, de surcroît, étendait son champ d'investigation à l'amélioration de la lutte contre les pollutions marines. On l'a vu, les procédés actuellement utilisés pour pomper les nappes de pétrole sont loin d'être performants et l'efficacité des barrages flottants et des produits dispersants est plus que douteuse. La proposition de Jean de Gaulle avait aussi le mérite d'inclure dans le champ d'enquête le scandale du dégazage en mer des navires qui profitent de la présence d'une nappe de pétrole pour cacher leurs propres rejets.

Le travail qui nous attend est considérable. Rien ne sert de critiquer l'inertie des uns, l'incompétence des autres, rien ne sert de fustiger la désuétude d'une réglementation maritime inappropriée, si on ne se donne pas les moyens de changer enfin ce qui a permis une accumulation invraisemblable de fautes. Rien ne sert de déplorer l'étendue de la catastrophe qui a meurtri notre pêche, notre conchyliculture, notre tourisme, si nous restons impuissants à juguler une âpreté au gain qui justifierait toutes les prises de risques.

Les sept recommandations formulées dans le premier rapport d'enquête devront guider nos travaux. Il conviendrait tout d'abord que l'administration maritime maltaise se dote enfin d'un corps d'inspecteurs de la sécurité des navires proportionnel à la flotte immatriculée sous ce pavillon. Les groupes pétroliers doivent ensuite être plus exigeants pour les navires qu'ils affrètent pour moins de trois ans. Le rapport recommandait fort à propos de ne jamais utiliser les navires dont la propriété n'est pas clairement établie, ni les bateaux anciens dont la propriété a changé depuis moins de deux ans. Les services internes de contrôle des compagnies pétrolières devront par ailleurs se montrer plus vigilants dans les inspections techniques des coques, des cuves et des cloisons. De même, les inspections effectuées dans les ports devront être plus minutieux. Dans les fiches d'identité des navires, devront notamment être mentionnés la situation patrimoniale, les gestionnaires et les opérateurs. Les structures de tous les navires de plus de vingt ans devraient être inspectées au moins une fois par an, aux frais de l'armateur, par une commission indépendante. Ce qui amènerait à choisir entre une remise à neuf très onéreuse et la destruction pure et simple.

Surtout, il nous faut faire triompher partout, quels que soient les obstacles et les réticences, le principe de précaution. Ce qui vaut pour la sécurité sanitaire des aliments vaut aussi pour la sécurité en mer (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Ministre - Absolument.

M. Daniel Paul - Le développement du transport maritime est lié à la répartition mondiale des lieux de production, de transformation, de commercialisation des denrées comme des produits industriels, ainsi qu'aux délocalisations d'activités vers des pays à bas coûts de main-d'_uvre.

C'est aussi ce qui explique que l'augmentation du nombre de navires, comme de leur taille, s'accompagne d'une dangerosité de plus en plus grande des produits transportés.

Sait-on ainsi que 300 000 navires transitent chaque année en Manche, que chaque jour 500 000 tonnes de pétrole brut, 35 000 tonnes de gaz, 60 000 tonnes de produits chimiques empruntent cette voie maritime, qui voit aussi passer plus de 12 millions de conteneurs ? Chaque jour, 150 navires contournent Ouessant. La position de notre pays, à l'extrême ouest de l'Europe, le met en première ligne.

Cette évolution a entraîné une totale déréglementation. On a ainsi vu apparaître des supertankers de 300 000 tonnes dans le même temps, qu'étaient maintenus en activité des navires dont la vétusté en fait de véritables dangers pour leurs équipages et pour nos côtes. On a ainsi vu apparaître des pavillons de complaisance dont l'objectif est d'offrir, à des armements animés par le seul souci de la rentabilité financière, les moyens de transporter à bas prix sans même respecter les droits de l'homme. On a ainsi vu apparaître des navires avec des équipages de nationalités, de langues, de formations, fort disparates, ce qui pose de graves problèmes de sécurité. On a ainsi vu apparaître des bateaux-poubelles, abandonnés dans des ports, des équipages non payés. Tel fut le cas, récemment au Havre, du Kifangondo, qui navigue à nouveau aujourd'hui... Il ne transporte que du sucre, mais quand même...

On a vu aussi, sous les effets du libéralisme, disparaître les flottes marchandes de nombreux pays, qui, même en difficulté, étaient clairement identifiées et utilisaient des équipages formés et qualifiés.

Car ces évolutions se font dans l'opacité la plus complète. Qui sait aujourd'hui le nom du propriétaire de l'Erika ? On peut craindre que, de société écran en société écran, on ne puisse jamais accéder au propriétaire de ce scandale flottant.

De cette situation résulte chaque année la mort d'en moyenne 600 marins ou passagers ; ces dix dernières années, un navire a coulé tous les deux jours. En Manche, en 1998, 308 navires ont connu des avaries, 283 ont commis des infractions aux règles de circulation, 47 620 ont transporté des matières dangereuses. Il est temps que le transport maritime s'effectue dans le respect des hommes, des mers, des côtes, des faunes et des flores.

M. Jean-Yves Le Drian - Très bien !

M. Daniel Paul - Les règles édictées doivent être appliquées avec beaucoup de rigueur, les insuffisances doivent être comblées. Certaines actions relèvent des autorités françaises, en particulier l'augmentation du nombre de contrôleurs, la surveillance dans la zone des 200 milles, les recommandations à adresser aux chargeurs quant au choix des armements. Mais on a appris ce matin que Total Fina est à nouveau en cause au sujet de l'errance en Méditerranée d'un pétrolier âgé de plus de 25 ans. D'autres relèvent d'autorités internationales, Organisation maritime internationale ou Union européenne.

La fermeté s'impose ; il faudrait, en particulier, des sanctions réellement dissuasives contre les armateurs et affréteurs qui ne respectent pas les normes de sécurité : actuellement, il est financièrement plus intéressant de payer l'amende pour dégazage en pleine mer que d'effectuer cette opération dans un port.

Les pavillons de complaisance doivent faire l'objet d'une attention particulière. Comment admettre qu'on profite ainsi de la misère des hommes ? Comment admettre que des pays candidats à l'Union européenne puissent mettre à disposition leur pavillon sans plus d'examen de son état ? Ne doit-on pas demander qu'un pays ayant des prétentions maritimes ait une véritable administration maritime ?

Si la Suisse peut justifier du lac Léman pour avoir une marine (Sourires), je cherche toujours comment le Luxembourg est devenu un pays maritime... Malte, Chypre, les Pays baltes, la Turquie, la Pologne doivent se conformer aux règles, mais aussi des pays déjà membres de l'Union européenne, comme la Grèce et les Pays-Bas. Et que dire de la Russie ?

Il faut plus de rigueur dans les contrôles techniques des navires. Le Gouvernement vient de décider à cet effet la création de postes d'inspecteur de navigation ; je souhaite qu'ils soient réservés à d'anciens officiers de la marine marchande.

M. Georges Sarre - Très bien !

M. Daniel Paul - Pourquoi ne pas conditionner les permis de navigation après 10 ans à une expertise complète ? Pour les pétroliers et les chimiquiers, l'âge limite ne devrait-il pas être fixé à 20 ans ?

M. Jean-Yves Le Drian - Si, bien sûr !

M. Daniel Paul - Pour les porte-conteneurs, ne devrait-on pas généraliser un dispositif de repérage électronique des conteneurs tombés à la mer ? Ce serait une occasion de développement pour une entreprise brestoise, qui en a mis un au point.

M. François Cuillandre - Très bien !

M. Daniel Paul - La liste est longue des dispositions à prendre. Les conclusions des précédentes commissions d'enquête se sont heurtées à la disparition d'une politique maritime cohérente, à l'indifférence, au manque de moyens, aux intérêts financiers et aux principes du libéralisme. Mais je crois en la possibilité de développer le transport maritime en s'appuyant sur des professionnels compétents, désireux de respecter l'homme et l'environnement. Notre pays, qui présidera l'Union européenne au deuxième semestre, peut faire avancer les choses ; les propositions qui sortiront de nos travaux devraient y contribuer. Une Amérique libérale a su, à la suite d'un naufrage qui avait pollué ses côtes, mettre en _uvre des dispositifs qu'envient beaucoup de marins, de pêcheurs et d'habitants du littoral européen.

La commission d'enquête que nous allons créer n'a pas pour vocation de refaire le travail réalisé par le bureau enquête-accidents, pas plus que d'empiéter sur les enquêtes judiciaires susceptibles de se dérouler dans les mois qui viennent -ce que le Règlement interdit.

Mais elle devra convaincre que la France et l'Europe peuvent faire au moins autant que les Etats-Unis. Je souhaite que ses travaux se déroulent au vu et au su de la presse, dans une totale transparence, et qu'elle fasse appel à la mobilisation de tous. Chacun doit prendre conscience que, si le risque zéro n'existe pas, il est possible, en privilégiant l'homme, de beaucoup limiter les risques.

M. Charles Cova - On ne parle de la mer que lorsqu'il y a des catastrophes !

M. Léonce Deprez - Monsieur le ministre, restant seul député du Pas-de-Calais à ne pas faire partie de la majorité plurielle, je suis persuadé que vous porterez une attention particulière à mes propos... Je parlerai aussi au nom de mes collègues du groupe UDF.

La catastrophe écologique qui s'est produite sur notre littoral a suscité un formidable élan de solidarité nationale. Il nous faut maintenant faire preuve de détermination pour en rechercher les causes et pour faire en sorte qu'il n'y en ait pas d'autre. Tel est bien le double objectif de la commission d'enquête que tous les groupes ont souhaité constituer.

Certains d'entre nous avaient lancé des signaux d'alarmes depuis plusieurs années, à travers des questions écrites et des propositions de loi. J'avais moi-même alerté le Gouvernement sur l'aggravation de la pollution de la Manche ; dans sa réponse du 20 septembre 1999, Mme la ministre de l'environnement m'avait déclaré que la principale difficulté était d'identifier les contrevenants. Le manque de volonté politique qui traduit ce type de réponse explique que la politique soit devenue si rebutante pour tant de Français.

La liberté économique et la volonté politique ne sont pas contradictoires, mais au contraire complémentaires. Ce sont les deux exigences de notre monde moderne.

Notre collègue Bernard Deflesselle a de même déposé une proposition de loi en septembre 1999 dans un esprit de révolte contre les pollueurs des mers. Gérard Grignon, en soulignant les dérives des pavillons de complaisance, a proposé d'instituer un registre d'immatriculation à Saint-Pierre-et-Miquelon, afin d'empêcher la disparition du pavillon français ; il a été surpris que la ministre de l'environnement évoque la question des pavillons de complaisance en citant, dans un amalgame étonnant, les Kerguelen, Saint-Pierre-et-Miquelon et Terre-Neuve. Pierre Hériaud, qui a lui aussi tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, a hier encore, aux questions d'actualité souligné l'absence scandaleuse de sanction du dégazage en pleine mer. Comment en est-on arrivé à voir l'Erika se briser comme une allumette alors qu'il avait été contrôlé une fois tous les quatre mois depuis avril 1996 ? Comment Total en arrive-t-il à affréter un vieux tanker, et faire appel à un armateur fantôme et provoquer la pollution de centaines de kilomètres de côtes ? Comment Total a-t-il pu affréter un navire construit il y a vingt-quatre ans au Japon et ayant changé sept fois de nom ? Comment se fait-il que les pavillons de complaisance regroupent aujourd'hui 60 % de la flotte mondiale ? Comment se fait-il qu'un navire sur trois et un pétrolier sur sept soient hors normes ?

La mondialisation de l'économie exige que soient édictées des règles strictes de compétition et mise en place une autorité internationale chargée de les faire respecter sur terre et sur mer. L'ONU devrait évoluer en organisation politique mondiale cherchant non plus seulement à assurer la paix dans le monde mais veillant au destin de notre planète.

La flotte pétrolière mondiale a vieilli : il faut empêcher les armateurs de conserver les navires jusqu'à l'extrême limite.

Une lutte efficace contre les pavillons de complaisance passe par une politique favorable au pavillon français et à sa compétitivité : le drame de l'Erika doit sonner le réveil d'une politique maritime de la France, éteinte depuis trop longtemps.

M. Charles Cova - Tout à fait !

M. Léonce Deprez - La France devrait prendre des mesures fiscales et sociales exemplaires afin de garantir la qualité de l'entretien des navires, la rigueur des contrôles et la conscience professionnelle des sociétés de classification.

La commission d'enquête devra formuler des propositions au Gouvernement afin d'accroître la sécurité du transport maritime et de lutter contre la concurrence déloyale des navires hors norme qu'une autorité internationale devrait désormais interdire.

Des règles fiscales et sociales applicables dans chaque pays devront être définies au niveau européen. Grâce à un allégement des charges sociales sur les salaires des navigants et à leur défiscalisation ainsi qu'à une taxation forfaitaire des navires au tonnage, les armateurs néerlandais, précurseurs de la lutte contre les pavillons de complaisance, ont accru leur flotte de 30 % en trois ans. La France se laissera-t-elle distancer ainsi par les Pays-Bas ?

Monsieur le ministre, la balle est dans votre camp mais il vous faudra agir à la fois au niveau national et au niveau européen. Le groupe UDF soutiendra toutes les mesures tendant à réguler le transport maritime et à doter la France d'une véritable politique de la mer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Georges Sarre - Plus de vingt ans après le désastre de l'Amoco Cadiz, une autre marée noire vient de frapper nos côtes et tous les Français, indignés, sont aujourd'hui solidaires des habitants du littoral souillé.

Comment un naufrage comme celui de l'Erika a-t-il pu se produire ? Quelles leçons en tirer pour l'avenir ?

Un mois après la catastrophe, trop de questions demeurent sans réponse. On ne sait toujours pas avec certitude qui est le propriétaire du navire ; les responsabilités ont été diluées ; l'information sur l'avarie qui a été fatale au navire comme sur les carences évidentes de l'inspection, n'est pas satisfaisante. Il apparaît bien que la certification donnée était de complaisance.

M. Charles Cova - De connivence.

M. Georges Sarre - En effet, et il serait intéressant que la commission d'enquête examine comment on a pu en arriver là.

Ce naufrage pose le problème, plus général, de la sécurité maritime. La spécificité et la fatalité, régulièrement invoquées par le lobby pétrolier pour justifier son incurie, ne sont pas des arguments acceptables. Si le risque zéro n'existe pour aucune forme de transport, il est possible de réduire les risques.

Alors que dans l'aviation civile il n'existe pas de pavillons de complaisance, un pétrolier en moyenne sombre chaque mois trop souvent avec son équipage. Comment justifier une telle différence de traitement ? De même, assez de la complaisance à l'égard du dumping social ! Il faut nommer par leur nom les conséquences de l'ultra-libéralisme sur le transport maritime.

Notre commission d'enquête devra dresser un inventaire des règles nationales et internationales en vigueur dans le domaine maritime et dénoncer leur inadaptation. Elle devra proposer des mesures à appliquer sans tarder comme le doublement du nombre de contrôleurs des navires dans les ports grâce au recrutement de personnels expérimentés issus de la marine marchande. Sur le plan européen, une initiative pourrait être prise pour transférer à l'affréteur la responsabilité des pollutions par hydrocarbures.

D'une manière générale, l'Etat doit réaffirmer les principes républicains de souveraineté et de sécurité qui s'appliquent naturellement aux affaires maritimes, et exercer ses prérogatives sur le plan politique dans ce domaine. C'est pour l'y aider que je vous demande de voter la création de cette commission d'enquête.

En 1962, à l'issue d'un survol de la région parisienne en hélicoptère qu'il fit avec le Préfet Delouvrier, le général de Gaulle demandait à celui-ci de « mettre de l'ordre dans ce bordel ». C'est très exactement la même tâche qui nous attend pour le transport maritime... (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe UDF)

M. François Cuillandre - Le hasard du calendrier a voulu que deux jours après le naufrage de l'Erika, les procédures judiciaires engagées par les communes bretonnes regroupées en syndicat mixte après le drame de l'Amoco Cadiz arrivent à leur terme... vingt-deux ans après la catastrophe ! Dix ans auparavant, une autre coïncidence malheureuse avait permis aux élus bretons de relever la tête face au géant Amoco : les Etats-Unis venaient de découvrir avec le naufrage de l'Exxon Valdez ce que marée noire voulait dire.

Force est de reconnaître que l'action des habitants de l'Alaska a été beaucoup plus efficace que la nôtre. Je ne soutiendrai certes pas que rien n'a été fait après la catastrophe de l'Amoco Cadiz. Elu de la pointe du Nord du Finistère, je sais que la mise en place du rail d'Ouessant, la création des CROSS et la présence de l'Abeille-Flandre ont permis d'éviter d'autres drames. Le CEDRE, dont le mode de financement a été injustement critiqué, a de même eu une action positive même s'il conviendrait maintenant de mieux articuler ses missions avec celles de l'IFREMER.

Après le naufrage de l'Exxon Valdez, les Etats-Unis ont pris une série de mesures législatives, comme l'Oil Pollution Act de 1990, et industrielles décidées par les compagnies pétrolières elles-mêmes, afin d'éviter qu'un tel drame se reproduise. Ces mesures ont malheureusement eu un effet pervers pour nous : interdits dans les ports américains, les navires hors normes refluent dans les eaux européennes, y accroissant les risques de pollution.

Notre commission d'enquête, qui pourra s'appuyer sur le rapport rédigé en 1994 par notre collègue Charles Josselin et intitulé « la sécurité maritime : un défi européen et mondial », devra travailler sans tabous mais aussi sans rechercher de trop faciles boucs émissaires. Le problème ne se résume pas aux pavillons de complaisance. L'Exxon Valdez battait pavillon américain avec un équipage américain et transportait du pétrole américain ! Notre commission devra s'attacher à formuler rapidement des propositions concrètes car il y a urgence. Hier encore, un vieux pétrolier maltais, ressemblant comme un frère à l'Erika, a trouvé refuge à Brest.

En outre, les solutions ne peuvent être seulement franco-françaises dans un secteur où règne le libéralisme le plus sauvage. Des accords internationaux sont nécessaires.

Par ailleurs, le dispositif du FIPOL, s'il permet d'éviter de longues et coûteuses procédures, organise l'irresponsabilité de fait des armateurs et encore plus des affréteurs.

Enfin, aux pollutions accidentelles s'ajoutent les pollutions volontaires avec les dégazages et les déballastages, et d'autres, encore plus sournoises, par des produits chimiques.

Le risque zéro n'existe pas dans le transport maritime. C'est d'ailleurs pour cela que le principe de précaution maximale doit prévaloir. Il nous appartient en tant que législateur d'apporter notre pierre à l'édifice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Yves Cochet - Au moment de la catastrophe écologique majeure causée par cette marée noire, nous avons été nombreux à souhaiter la constitution d'une commission d'enquête. Le rapport récemment publié à la suite de l'enquête administrative a apporté des éléments sur la chronologie du drame, mais il reste de nombreuses zones d'ombre.

Les Verts tiennent cependant à ce que cette commission d'enquête ne se limite pas aux circonstances du naufrage de l'Erika. Il est en effet clair que les causes d'une telle catastrophe résident dans l'organisation même du transport maritime, caractérisée par un laisser-faire généralisé et une logique de profit immédiat.

Pour nous qui fondons notre engagement politique sur la notion de développement durable, les choses sont claires : il faut établir toutes les responsabilités et tirer toutes les conséquences du naufrage de l'Erika. Au mépris du principe de précaution, on n'hésite pas à laisser naviguer de vieux rafiots qui sont bon marché, mais provoquent des dégâts économiques et écologiques dont le coût n'est pas chiffrable.

Pourquoi un système aussi caricaturalement dangereux se perpétue-t-il ? Parce que ceux-là même qui se prétendent libéraux appliquent toujours le même principe : privatisation des bénéfices mais collectivisation des pertes !

Face à cela nous réclamons l'application du principe pollueur-payeur. Ce n'est pas à l'Etat, aux collectivités locales et encore moins aux bénévoles de payer la réparation des dégâts, mais aux responsables de la pollution. Dans le cas de l'Erika, le groupe Total Fina ne doit pas pouvoir échapper à cette responsabilité.

Quelques mesures nous semblent incontournables et les Verts ont déposé hier une proposition de loi en ce sens. Il faut tout d'abord renforcer les contrôles de sécurité et se donner les moyens de les appliquer.

Pour tous les contrôles de sécurité, nous proposons de porter la limite des eaux territoriales à 200 milles nautiques, ce qui correspond à la zone d'exclusivité économique.

Le renforcement des contrôles doit être opéré à l'échelon européen, sinon les navires dangereux préféreront des ports étrangers, tout en continuant à longer nos côtes.

Nous proposons aussi qu'il soit créé une police des mers constituée d'un corps européen de garde-côtes.

Pour appliquer correctement le principe pollueur-payeur, il est indispensable d'étendre la responsabilité en cas de pollution à tous les acteurs et intermédiaires du transport maritime.

Nous soutenons même l'idée que la responsabilité de l'Etat dans lequel le navire est inscrit puisse être engagée lors d'une grave pollution : c'est la seule façon d'en finir avec le scandale des « pavillons de complaisance ». Il s'agit d'Etats qui servent de paradis fiscaux pour les armateurs, mais n'assument aucune des responsabilités qui devraient en découler.

En espérant qu'elle contribuera à la manifestation de la vérité, à une prise de conscience et à l'adoption de nouvelles mesures assainissant durablement le transport maritime, mes collègues Verts et moi-même voterons pour la création de cette commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Son titre est ainsi rédigé : « Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants ».

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Marc Ayrault - L'Assemblée nationale va donc créer une commission d'enquête après la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Erika.

Déjà M. Gayssot a reçu du Bureau d'enquête sur les accidents en mer un rapport qui nous effare.

A qui appartient l'Erika ? La complexité de la réponse montre les difficultés que nous aurons à affronter. On croit savoir que les propriétaires réels sont deux armateurs napolitains opérant à travers une société grecque ; la société Tevere Shipping, enregistrée à Malte, où est immatriculé le navire, n'assurait que le portage de la propriété du bateau et son agent à Lugano donnait les ordres de route... Surréaliste ! C'est pourtant la triste réalité des pavillons de complaisance.

La première tâche de notre commission sera donc de démêler les us et coutumes d'un monde très particulier qui assume 70 % du transport du fret mondial.

Les règles internationales de l'OMI sont-elles adaptées ? Les sociétés de classification et de certification des navires, comme la société italienne Kina qui contrôlait l'Erika sont-elles à la hauteur de leurs responsabilités ? Il appartiendra à la commission d'examiner ces questions et de formuler des propositions de réformes.

Mais si la commission doit étudier avec soin les conditions dans lesquelles se développe la mondialisation, il n'en reste pas moins que les Etats en restent les acteurs principaux. Sans attendre le résultat de négociations internationales nécessairement longues, notre pays doit se donner les moyens d'être plus responsable. Les Etats-Unis n'ont-ils pas pris des mesures très sévères à la suite du naufrage de l'Exxon Valdez en 1989. C'est bien d'un port français que l'Erika a appareillé pour son dernier voyage et c'est bien Total Fina France qui a vendu la cargaison sortie de la raffinerie de Dunkerque à sa filiale Total Bermudes.

Les travaux de la commission d'enquête n'empêchent pas de prendre rapidement des mesures pour contrôler les navires, établir la responsabilité de nos entreprises et empêcher les navires-poubelles de naviguer le long de nos côtes.

Il y a urgence !

Je me réjouis de la décision du Premier ministre de réunir à Nantes deux CIAT, dont l'un consacré aux problèmes du transport maritime.

Sur les 400 kilomètres de côtes entre l'île de Ré et la pointe de Penmarch, dans le Finistère, après l'accablement et le dégoût, monte une colère légitime.

Je conclurai par un souhait : celui que la commission d'enquête nous donne l'occasion de mieux connaître le monde des gens de mer, trop souvent ignoré. La France a été un grand pays maritime et peut le redevenir. Notre commission d'enquête peut être un élément décisif pour la redéfinition d'une ambition pour notre politique maritime. C'est dans cet esprit que le groupe socialiste votera cette résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'article unique de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 25 janvier 2000, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 10 heures 45.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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