Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1999-2000)

Session ordinaire de 1999-2000 - 58ème jour de séance, 137ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 29 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

VOYAGE DU PREMIER MINISTRE AU MOYEN-ORIENT 2

POSITION DE LA FRANCE AU PROCHE-ORIENT 4

PERSPECTIVES DE PAIX AU PROCHE-ORIENT 6

AMÉLIORATION DE L'EMPLOI 7

MOUVEMENTS SOCIAUX DANS L'ENSEIGNEMENT
PROFESSIONNEL 7

VOYAGE DU PREMIER MINISTRE AU MOYEN-ORIENT 8

VOLONTARIATS CIVILS
(deuxième lecture) 11

ART. 16 20

ART. 18 20

CONVENTIONS ET ACCORDS
-procédure d'examen simplifiée- 21

LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (deuxième lecture)
-procédure d'examen simplifiée- 21

ARTICLE PREMIER A 27

ARTICLE PREMIER 27

ART. 2 28

ART. 3 bis 29

ART. 4 29

ART. 4 bis 29

VALIDATION LÉGISLATIVE
-procédure d'examen simplifiée- 30

La séance est ouverte à quinze heures.

    Top Of Page

    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Top Of Page

VOYAGE DU PREMIER MINISTRE AU MOYEN-ORIENT

M. Alain Bocquet - Monsieur le Premier ministre, l'enjeu primordial au Moyen-Orient, c'est la paix, et le droit de chaque peuple à vivre dans des frontières sûres et garanties. Les parlementaires communistes ont toujours été passionnément attachés à la construction de cette paix (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) sans qu'aucun peuple soit lésé.

Nous savons tous les deuils, les souffrances qu'ont entraînés des décennies de guerre et l'insécurité qui continuent à frapper des innocents. Toute autre considération est subalterne.

Quand le Président de la République, quand le Premier ministre se rendent au Moyen-Orient, c'est d'abord la preuve que la France a plus que jamais à jouer le rôle d'un partenaire actif et écouté prenant des initiatives pour des solutions négociées, à condition de respecter l'égalité entre tous les interlocuteurs.

La France doit agir avec conviction pour un règlement durable sur la base des résolutions de l'ONU, et en particulier la résolution 425 du Conseil de sécurité qui demande à Israël de se retirer sans condition des territoires occupés au Sud-Liban.

La France doit s'employer à maintenir le comité pour les accords d'avril 1996, qu'elle préside alternativement avec les Etats-Unis.

Dans une situation complexe, caractérisée par une grande tension, des questions majeures demeurent en suspens entre Israéliens et Palestiniens. La clé est dans les mains des Israéliens, il leur appartient d'accomplir un effort, qui est urgent, pour que la paix avance. On peut se féliciter de l'annonce par Ehud Barak d'un retrait avant juillet prochain du Sud-Liban. Raison de plus pour éviter d'ici là les tensions inutiles.

Au nom de la France, vous avez proposé pour le Liban que notre pays offre une garantie en cas de retrait israélien. C'est bien.

La sécurité de tous passe par le respect de la souveraineté de chacun, avec comme objectif simultané la création d'un Etat palestinien digne de ce nom et des garanties pour tous les Etats de la région, y compris Israël.

Les sensibilités, sur le Moyen-Orient, sont exacerbées. Certaines de vos déclarations ont jeté un émoi réel, et troublé nombre de progressistes et partisans de la paix.

Cela dit, rien ne justifie les actes de violence dont vous avez été la cible, et à travers vous la France. Nous les condamnons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupes du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les communistes sont convaincus que l'enjeu est de rapprocher les protagonistes. C'est ce qui doit guider la France et l'Union européenne pour amener le processus de paix à son terme.

Toute récupération politicienne... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Claude Lefort - Qui se sent visé ?

M. Alain Bocquet - ...toute polémique franco-française va à l'encontre de la paix (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV), et affaiblirait le rôle de la France. Des éclaircissements de votre part sur votre voyage au Moyen-Orient sont très attendus par la Représentation nationale. Un débat exceptionnel ici-même sur la politique étrangère de la France serait le bienvenu. Nous vous le proposons. Comment le Gouvernement entend-il maintenant contribuer à lever les obstacles à la paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Mon voyage en Israël et dans les territoires palestiniens avait une double dimension bilatérale et une trame commune, le processus de paix (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Au plan bilatéral, j'ai rappelé avec force notre relation avec Israël, pays ami depuis toujours et avec lequel nous partageons les valeurs de la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Nous savons aussi qu'en Israël 500 000 à 700 000 personnes parlent notre langue, et sont une forme de médium de la francophonie.

Des députés RPR et des députés UDF - Et le Liban ?

M. le Premier ministre - J'y viendrai !

Israël est un pays développé, et nous avons examiné avec les ministres qui m'accompagnaient comment renforcer encore notre coopération bilatérale.

Aux Palestiniens, nous avons rappelé les engagements de la France pour améliorer les conditions de vie concrètes de leur population. Voilà un témoignage de solidarité.

Nous avons également marqué par l'annonce de grands projets, dans le domaine de l'eau, pour le développement du port de Gaza, que la France serait au côté de cette société en train de naître et de cet Etat en gestation, car il y aura un Etat palestinien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Nous avons aussi, avec des intellectuels et aussi des étudiants dans la première partie de ce qui s'est passé à Bir-Zeit, dialogué sur une question essentielle à leurs yeux : l'Etat palestinien devra être un Etat de droit et démocratique. Cette question aussi est au c_ur de la problématique du Proche-Orient (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Sur le processus de paix, j'ai discuté avec M. Barak et le président de la République d'Israël, ainsi qu'avec Yasser Arafat et les autorités palestiniennes. Je reviens avec un sentiment de préoccupation sur le processus de paix, et j'ai fait passer cette préoccupation, qui est celle de la France et des pays européens, auprès de mes interlocuteurs, en particulier israéliens. A ceux-là j'ai dit que, dans le contexte actuel, il leur revenait d'accomplir les efforts les plus grands pour relancer le processus de paix et rétablir la confiance entre les acteurs israéliens et palestiniens (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

J'ai rappelé le soutien de la France aux accords d'Oslo et de Charm-el-Cheikh, j'ai dit que les territoires devraient être restitués contre la paix, que l'arrêt de la colonisation était un préalable absolu à un climat de confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Si un accord est nécessaire entre la Syrie et Israël, c'est la relation entre les Palestiniens et Israël qui est aujourd'hui au c_ur de la problématique du Proche-Orient. Israël doit être assuré de sa sécurité. Un Etat palestinien viable, démocratique, pacifique et prospère doit naître. Je l'ai dit en Israël ainsi qu'à Ramallah et à Gaza.

Quant au Liban, et au-delà d'un mot controversé, j'ai entendu dénoncer l'enchaînement délibéré de la violence, voulu comme un obstacle aux fragiles perspectives de paix d'aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le Liban, ami et partenaire de la France, a droit à la paix et à la sécurité.

Les troupes israéliennes doivent se retirer du Liban-sud. J'ai la conviction qu'elles le feront. J'ai dit à mes interlocuteurs qu'il faudrait que ce soit à travers un accord négocié, auquel la France pourrait envisager d'apporter sa garantie. Je sais qu'en tout état de cause les Israéliens se retireront du Liban et je m'en réjouis.

Le Liban doit redevenir un pays libre dans l'unité et dans le respect par tous de son intégrité. C'est vrai aujourd'hui, cela le sera demain, quand les troupes israéliennes se seront retirées. Le Liban est peut-être aujourd'hui aux portes de la paix. Cet espoir ne reviendra pas par des actes de guerre, mais par un appui au processus de paix. C'est ce que j'ai dit en Israël et dans les territoires palestiniens (Mmes et MM les députés socialistes et quelques députés RCV se lèvent et applaudissent ; exclamations et huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Top Of Page

POSITION DE LA FRANCE AU PROCHE-ORIENT

M. Hervé de Charette - En vous interrogeant au nom du groupe UDF, je souhaite, Monsieur le Premier ministre, que vous poursuiviez l'échange que vous avez entamé avec l'Assemblée nationale et que vous me répondiez personnellement. La réalité de votre voyage au Proche-Orient est assez éloignée, c'est le moins que l'on puisse dire, du résumé idyllique que vous en avez fait (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et les images que le monde entier a pu voir à la télévision sont un spectacle dont nul ne peut se réjouir, et que chacun a d'ailleurs condamné (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Nul ne peut se réjouir, en effet, de voir la France humiliée, ni de voir tout à coup réduit en poussière le travail de nombreuses années (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est pourquoi le groupe UDF vous demande des éclaircissements, des précisions, des clarifications, que vous avez au demeurant commencé de nous apporter.

Vous avez dit à plusieurs reprises que vous aviez souhaité répondre aux interrogations, aux doutes, aux critiques qui se sont exprimées en Israël et, pourquoi pas, dans la communauté juive de France, vis-à-vis de la politique de la France au Proche-Orient. Ces interrogations, ces doutes, nous les connaissons aussi bien que vous : vous n'avez pas le monopole de la sensibilité et du c_ur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour ce qui est des intérêts d'Israël ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) La réponse de la France à ces interrogations, au cours des années écoulées jusqu'à maintenant, se résume ainsi : la sécurité d'Israël passe par la paix, et la paix passe par une attitude impartiale et équilibrée de la France, telle que l'a rappelée le  Président de la République à votre retour (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Oui, bien sûr, la France est et se veut l'amie d'Israël, et ce depuis toujours, comme vous venez de le dire. La France partage l'aspiration légitime d'Israël à la sécurité, mais aussi celle de ses voisins à la souveraineté et à la sécurité de leur propre territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Cela lui a valu, au Proche-Orient, une présence, un prestige, une autorité que le monde entier lui reconnaît.

Ma question est la suivante : après tout ce qui s'est passé, après les corrections de tir effectuées par le ministre des affaires étrangères et par vous-même, où en sommes-nous ? Pouvez-vous affirmer que la politique de la France au Proche-Orient est toujours celle qu'a définie le  Président de la République dans ses différentes interventions, notamment en Israël et au Proche-Orient ?

S'agissant, d'autre part, du fonctionnement global de l'exécutif, nous ne vous contestons nullement le droit, je dirais même le devoir, d'agir, de travailler, de vous exprimer dans le domaine de la politique internationale : tous les Premiers ministres l'ont fait, et c'est nécessaire. Mais ce dont nous avons besoin, notamment dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne, c'est l'assurance que la politique extérieure de la France s'exprimera d'une seule voix, sous l'autorité du  Président de la République qui en est l'inspirateur (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Premier ministre - Je vous répondrai sans volonté de polémique, sur l'un et sur l'autre aspect de votre question.

Pour ce qui est de la politique extérieure de la France en période de cohabitation, si nous regardons les choses depuis le début, le moins que l'on puisse dire est qu'elle pose peu de problèmes. Le  Président de la République a un rôle éminent, qu'il tient de certaines prérogatives constitutionnelles ainsi que de la tradition de la Vème République, et jamais le Gouvernement ni le Premier ministre, au cours des mille jours écoulés, n'a émis la moindre critique à son égard dans ce domaine.

Le Gouvernement, de son côté, « détermine et conduit la politique de la Nation » en vertu de l'article 20 de la Constitution, et la politique de la Nation ne se réduit pas à la politique intérieure : elle englobe également la politique extérieure, qui fait l'objet d'un dialogue constant avec le Parlement, et les nombreuses auditions des ministres des affaires étrangères et de la défense par les commissions compétentes, ainsi que les nombreuses questions posées au Gouvernement par les parlementaires dans ces domaines, attestent la part que nous prenons à son élaboration et à sa mise en _uvre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Si vous examinez, comme je vous y invite, les deux précédentes cohabitations, et en particulier celle de 1986-1988, vous vous rendrez compte qu'il n'en a pas été de même et qu'il y a eu de nombreuses mises en cause publiques, par le Premier ministre de l'époque, du  Président de la République et de ses positions (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), notamment sur les missiles mobiles et sur la « guerre des étoiles » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et je me réjouis d'ailleurs de constater aujourd'hui, à l'heure où les Etats-Unis s'efforcent de relancer cette politique dont le  Président de la République d'alors redoutait les effets déstabilisateurs pour l'équilibre de la dissuasion, que son successeur et le Gouvernement partagent la même attitude critique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Je suis convaincu, pour ma part, que ce mode de fonctionnement, sans écart, sans éclat et sans trouble, continuera jusqu'au terme de la législature, et en particulier sous la présidence française de l'Union européenne.

Reste le fond de la politique de la France au Proche-Orient, et la question n'est peut-être pas tout à fait telle que vous la posez. Oui, cette politique doit être équilibrée, car fondée à la fois sur notre amitié historique avec Israël, sur le souci de sa sécurité, et sur notre amitié avec de nombreux pays arabes, sur notre soutien aux aspirations légitimes du peuple palestinien dès lors que ses dirigeants ont choisi une stratégie de paix, sur notre attachement à l'indépendance, à l'intégrité et à la sécurité du Liban, aujourd'hui et demain. Équilibre, oui ; impartialité, sans doute, mais autour de quelles valeurs et pour quels objectifs ? Voilà la question qu'il faut se poser (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Et la réponse que nous y apportons tient en ces trois mots : la paix, la démocratie, le développement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La paix et la sécurité contre la violence, la démocratie et le pluralisme contre l'intolérance et la haine de l'autre, le développement contre les tendances autodestructrices qui existent dans cette région du monde. C'est à la lumière de ces objectifs et de ces valeurs que nous devons agir, car ce sont des valeurs qui doivent être respectées partout, car la haine et la violence ne sont pas absentes non plus d'Israël, où un Premier ministre a été assassiné par un fanatique. Être impartial ne signifie donc pas être aveugle à tous les actes dangereux pour le processus de paix, et nous devons faire preuve d'équilibre, mais non d'indulgence pour ceux qui recourent à la violence, car ce n'est pas renforcer la position de la France que d'être faible devant la violence et le fanatisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, puisque vous m'avez dit, et peut-être auriez-vous pu vous en abstenir, que la France avait été humiliée par ce qui s'est passé à Bir-Zeit (« Oui ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je vous réponds : non, la France n'a pas été humiliée (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), parce que, d'une part, je me suis comporté de façon digne face à la violence, mais aussi parce que supposer que la France a été humiliée, c'est supposer que ceux qui m'ont « caillassé » avaient raison de le faire - et je ne pense pas que telle soit votre opinion (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ne soyons pas silencieux devant la violence, d'où qu'elle vienne, car la violence est le pire ennemi de la paix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe RCV)

Top Of Page

PERSPECTIVES DE PAIX AU PROCHE-ORIENT

M. François Loncle - Au nom de tous les députés du groupe socialiste et, j'en suis persuadé, de bien d'autres, je tiens à vous exprimer notre totale solidarité après les attaques inadmissibles dont vous avez été la cible à la sortie de l'université de Bir Zeit.

Il est vrai qu'un large accord s'est fait, en France, sur la nécessité d'établir, au Proche-Orient, une paix juste et durable fondée sur la sécurité de l'Etat d'Israël et le droit des Palestiniens à disposer d'une patrie démocratique. Cette volonté d'équilibre, François Mitterrand l'avait remarquablement exprimée, dans la lignée de Pierre Mendès France. Il ne peut donc y avoir ni politique « arabe », ni politique « israélienne » ni politique « libanaise » de la France, mais une politique étrangère globale, sous le contrôle du Parlement. C'est pourquoi nous souhaitons connaître les perspectives de la reprise d'un processus de paix à présent bloqué, telles que vos différents interlocuteurs vous les ont décrites (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Il y a quelques instants, le Premier ministre a dit être rentré « préoccupé » de son voyage au Proche-Orient (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La question est d'une importance suffisante, Messieurs de l'opposition, pour que vous accordiez quelque attention à un sujet qui doit nous réunir tous. C'est qu'après le départ de M. Nétanyahou, un immense espoir est né, auquel succèdent désormais impatience et tension. On le sait, la relation entre Israël et la Syrie est fondamentale pour l'établissement d'une paix durable au Proche-Orient. C'est pourquoi le Premier ministre a exposé à M. Barak qu'étant donné le rapport des forces dans la région, il appartenait aux Israéliens de faire des propositions non seulement à propos des accords intermédiaires mais aussi pour ce qui concerne le statut final de l'Etat palestinien, qui devra être viable et démocratique. Nous faisons toute confiance à nos amis israéliens pour qu'ils prennent des initiatives en ce sens.

Pour l'instant, c'est vrai, les relations entre Israël et la Syrie en sont malheureusement revenues à ce qu'elles étaient à l'automne, avant qu'avec l'aide des Etats-Unis et de la France, une amélioration ait suscité l'espoir d'un règlement durable. Depuis lors, les deux parties se sont rétractées sur certains points. J'espère que les propos tenus par le Premier ministre contribueront au redémarrage du processus de paix. Vous le savez, des relations entre Israël et la Syrie dépendent les relations entre Israël et le Liban, pays dont la situation nous tient particulièrement à c_ur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Top Of Page

AMÉLIORATION DE L'EMPLOI

Mme Hélène Mignon - Depuis quelques semaines, la presse de ma région fait état des créations d'emplois induites par la réduction du temps de travail (Protestations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), alors même qu'un grand nombre d'entreprises n'ont pas encore signé d'accords. On apprend aussi que beaucoup de jeunes gens abandonnent leurs « emplois-jeunes » parce qu'ils sont parvenus à s'insérer dans la vie économique. Ce sont là, avec la décrue constante du chômage, des signes encourageants. Cependant, des inquiétudes demeurent et, en dépit de l'efficacité dont le Gouvernement fait preuve, la France compte un grand nombre de chômeurs et de travailleurs occupés à des emplois précaires, les femmes étant les plus touchées. Pouvez-vous nous dire, Madame la ministre de l'emploi, ce que peuvent espérer les chômeurs de longue durée ?

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - En effet, des emplois sont créés par la réduction du temps de travail dont je me réjouis qu'après avoir suscité l'ire des parlementaires de l'opposition, elle provoque aujourd'hui leur hilarité. A ce jour, 27 500 accords ont été signés, qui ont permis la création de 170 000 emplois. La presse anglo-saxonne expose elle-même que la réduction du chômage en France ne peut s'expliquer en faisant abstraction de la réduction du temps de travail, pratique à laquelle tout le monde viendra peut-être un jour...

Après avoir diminué de 40 000 en novembre et en décembre, le nombre des chômeurs a encore baissé de 18 000 en janvier. C'est un excellent chiffre pour cette période de l'année et l'on constate donc que la décrue du chômage se poursuit : sa baisse a été de 370 000 en un an, ce qui est le meilleur résultat jamais atteint dans notre pays, et de 570 000 depuis juin 1997. L'Espagne mise à part, la France est le pays où la réduction a été la plus forte, alors même que la population active ne cesse de croître.

Déjà, les 250 000 emplois-jeunes se professionnalisent. Mais le Gouvernement entend bien poursuivre sa lutte contre l'emploi précaire. C'est ainsi que, demain, avec Mme Lebranchu, je signerai avec l'union professionnelle artisanale un accord visant à pérenniser l'emploi dans ce secteur.

Déjà, le nombre des emplois précaires a diminué de 60 000, et les mesures d'accompagnement ont été prises qui ont permis le retour à la vie active de 190 000 chômeurs de longue durée.

Le Gouvernement, qui n'ignore rien des difficultés qui demeurent, poursuivra avec la même énergie et la même détermination sa lutte en faveur de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Top Of Page

MOUVEMENTS SOCIAUX DANS L'ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL

M. Yves Cochet - Dans le seul département du Val d'Oise, un mouvement de grève affecte 20 des 32 lycées professionnels. Partout, des manifestations sont prévues à la veille de la réunion, le 3 mars, du Conseil supérieur de l'éducation et, le 6 mars, du comité technique paritaire. Les professeurs s'inquiètent en effet du projet de modification de leur statut, établi par le décret du 10 novembre 1992, et du volet relatif à l'enseignement professionnel de la Charte de réforme des lycées. Ils craignent une dégradation de leurs conditions de service, la diminution de la dotation horaire globale pour leurs établissements avec, en corollaire, des suppressions de postes qui toucheraient en premier lieu les travailleurs précaires, et la remise en question du droit à la formation sur le temps de service. Plus généralement, ils redoutent qu'un rapprochement trop marqué avec le patronat ne constitue une menace pour le caractère national des diplômes professionnels.

Monsieur le ministre de l'éducation, leurs craintes sont-elles fondées ?

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - L'enseignement professionnel est, en France, de très grande qualité. Cela explique que 92 % des 80 000 bacheliers professionnels trouvent un emploi à leur sortie du lycée, et les autres au cours de l'année qui suit. Mais ce secteur d'élite doit être reconnu à sa juste valeur, et intégré mieux qu'il ne l'est dans le système éducatif national. A cette fin, une très large concertation a été menée pendant deux ans, dont le point culminant a été le colloque de Lille, auquel ont participé les représentants de tous les syndicats concernés. Une Charte de l'enseignement professionnel intégré a été définie, qui garantit que cet enseignement se fera désormais, dans tous les cas, en partenariat avec les entreprises.

Dans ce contexte, il était normal de revoir les horaires des élèves, et donc des enseignants. Ce sera chose faite à la rentrée prochaine. Les élèves qui, pour certains, subissaient un horaire hebdomadaire de 42 heures, le verront davantage étalé sur l'année. Quant aux enseignants, ils verront leur horaire hebdomadaire aligné sur celui de leurs collègues de l'enseignement général ; il passera donc de 23 à 19 heures. Les diplômes nationaux, CAP et BEP seront revus. Ainsi, tout le monde sera gagnant, et des jeunes encore plus nombreux trouveront un emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Top Of Page

VOYAGE DU PREMIER MINISTRE AU MOYEN-ORIENT

M. Pierre Lequiller - Monsieur le Premier ministre, votre voyage au Moyen-Orient s'est soldé par un immense faux-pas diplomatique, qui a abouti à l'humiliation et à l'affaiblissement de la France dans cette région. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Il est clairement apparu sur la scène internationale que par votre faute, la France ne parlait pas d'une seule vois sur un sujet sensible qui requiert pourtant la plus grande finesse. Pas d'hypocrisie : vous avez à l'évidence fait cette déclaration improvisée sans concertation avec le Président de la République et sans concertation avec le Parlement. Vous avez placé votre ministre des affaires étrangères en porte-à-faux.

Un Premier ministre doit mesurer les conséquences de ses paroles comme de ses actes. Quelles qu'aient pu être vos motivations, vous avez contribué à raviver les haines dans cette région du monde. Votre ministre des affaires étrangères a dû se livrer à des contorsions pour expliquer l'inexplicable.

Vos déclarations constituent-elles un changement de la politique française au Moyen-Orient ? Ou sont-elles simplement un coup politique ? Ce serait une faute impardonnable et incompatible avec vos responsabilités de Premier ministre.

Comment comptez-vous clarifier la position de la France et regagner la confiance des différents partenaires, au bénéfice de la paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je n'ai pas très bien compris quelle était la question (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous vous êtes livré à une présentation biaisée de ce qui s'est passé, alors que le Premier ministre a déjà répondu avec une clarté et une précision extrêmes. Peut-être êtes-vous gêné pour nous interroger (Mêmes mouvements) par le fait que votre groupe à du mal à parler d'une seule voix...

Je ne vais pas reprendre une argumentation qui est claire et nette. La France continuera dans son engagement équilibré et dynamique ; la suite le démontrera clairement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Juppé - Je voudrais, Monsieur le Premier ministre, vous interroger à nouveau sur votre voyage en Israël et dans les territoires palestiniens. Je sais que je risque de vous lasser, mais la question est d'une telle importance qu'on ne comprendrait pas que le groupe du RPR reste silencieux.

Permettez-moi d'exprimer d'abord notre vive réprobation devant les brutalités dont vous avez été la cible. Il est inacceptable qu'un Premier ministre français soit traité de la sorte (Applaudissements sur tous les bancs).

Cela dit, il faut essayer de comprendre pourquoi on en est arrivé là. On nous dit que vous avez voulu rompre avec la langue de bois et laisser parler votre c_ur, vos émotions et vos convictions les plus anciennes. Soit. Nous sommes nombreux à savoir par expérience qu'il est très difficile de résister au choc émotionnel qu'on éprouve quand on se rend à Jérusalem, à Gaza ou à Beyrouth. Tout être humain est évidemment bouleversé quand il rencontre des familles israéliennes dont des membres ont payé de leur vie la défense de leur sol. Bouleversé, je l'ai été moi-même lorsqu'il m'est arrivé de parler à des parents israéliens dont les enfants avaient été déchiquetés par les bombes d'un terrorisme injustifiable. Je l'ai été aussi quand j'ai visité en 1993-94 les faubourgs misérables de Gaza, ou quand j'ai dialogué avec des Libanais dont les familles avaient elles aussi souffert dans leur chair des bombardements israéliens. L'émotion, la compassion pour les victimes de tant d'années d'affrontements ne sauraient être unilatérales.

Tel est bien le message de la France depuis plusieurs décennies : notre pays a choisi dans le conflit israélo-arable de prendre de la hauteur plutôt que de prendre parti (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Cela n'a pas été facile. Il y a fallu du courage, de la persévérance et de la clarté. Dire à nos différents interlocuteurs les mêmes vérités, ce n'est pas de la langue de bois. A Israël, nous avons dit depuis longtemps : la France est votre amie, votre sécurité dans des frontières sûres et reconnues est pour nous une exigence absolue, et notre engagement à vos côtés pour la garantir est totale ; mais notre amitié nous autorise à vous dire qu'il n'y aura pas de paix durable au Proche-Orient si le fait palestinien n'est pas reconnu, et cette reconnaissance aboutira forcément à la création d'un Etat palestinien.

Plusieurs députés socialistes - Le Premier ministre l'a dit !

M. Alain Juppé - Il y a belle lurette que nous l'avons dit, et ce qui faisait scandale il y a quelque temps au Proche-Orient y est aujourd'hui une évidence. C'est peut-être ce qui a pu échapper à tel ou tel (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Simultanément, nous disions que la France est aussi l'amie des Arabes. Des Palestiniens, des Libanais francophones ou non francophones ; et contre vents et marées, nous avons plaidé pour un Liban dont l'indépendance et l'intégrité territoriale soient garanties, ce qui implique, Monsieur le Premier ministre, le retrait de toutes les troupes étrangères qui occupent son territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), l'armée israélienne du Liban Sud mais aussi je ne vous ai pas entendu le dire, les troupes syriennes, qui ne sauraient rester au Liban dans le cadre d'un accord global de paix (Même mouvement). La France, amie de la Syrie, de la Jordanie, de l'Egypte... : voilà ce qui nous a permis d'être entendus dans la région et d'y jouer un rôle qu'aucun autre pays européen n'y joue, comme on l'a vu en 1996, au moment où le Sud Liban était à feu et à sang et où a été constitué le groupe de surveillance dont nous assumons la coprésidence avec les Etats-Unis. Il a permis d'éviter l'escalade militaire et de diminuer le nombre de victimes civiles, qui a été divisé par quatre de 1996 à 1999.

Dans ce fragile équilibre, Monsieur le Premier ministre, vos déclarations ont semé la confusion. Est-il encore temps de réparer le dommage ? Il faudrait pour cela que vous nous disiez clairement quelle est l'interprétation qu'il faut donner à vos déclarations.

Mme Yvette Roudy - C'était clair !

M. Alain Juppé - Or depuis le début de cette séance, je n'ai pas entendu cette clarification (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Est-ce M. le ministre des affaires étrangères qui a raison lorsqu'il explique avec une patience qui m'impressionne, depuis quelques jours, que la politique française au Proche-Orient n'a pas changé ? Mais alors, il faut que ce soit vous qui le disiez, pour que nos partenaires européens, américains, arabes et israéliens s'y retrouvent et sachent que la politique de la France est toujours celle que conduit depuis 1995 le Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Henri Emmanuelli - Pas de leçon !

M. Alain Juppé - Ou bien la vérité est du côté de ceux qui constatent, pour s'en réjouir ou pour le déplorer, que vous avez changé le message de la France. Si tel est le cas, plusieurs questions se posent.

Une question institutionnelle, d'abord. Dans ce domaine de la politique étrangère, qui n'est certes pas réservé, mais qui est au minimum partagé, était-il concevable que vous preniez une telle initiative sans concertation avec le Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Une question de démocratie ensuite. Est-il acceptable que l'Assemblée nationale débatte d'un tel retournement de notre politique étrangère a posteriori, quand le mal est déjà fait ? (Mêmes mouvements)

Une question de fond, surtout. Ce changement sert-il la France et sert-il la paix ? Pour vous, il s'agit de défendre la paix, la démocratie et le développement ; mais ce discours est celui de la France depuis des décennies ! La paix : cela va de soi. La démocratie : combien de fois n'avons-nous pas souhaité la constitution d'un Etat de droit palestinien ? Le développement : les opérations du port de Gaza ont été engagées dès 1993 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je me demande si en réalité, ce changement n'est pas pour la France un bond en arrière de 45 ans, un réalignement sur les thèses d'un seul des protagonistes de la région, qui nous prive de toute crédibilité et de toute influence auprès des autres.

N'avez-vous pas fort imprudemment jeté de l'huile sur un feu qui, hélas, n'était pas éteint, porté atteinte au crédit de Yasser Arafat, radicalisé les extrémismes des deux bords, compliqué un dialogue syro-israélien en mettant tous les torts du côté de Damas ? Rien de tout cela ne devrait relever des préoccupations de politique intérieure car il y va de la parole de la France et des chances de la paix. Je ne doute pas que vous ne me répondrez pas cet après-midi et je sais par expérience que lorsqu'on commet une maladresse, il est très difficile de la rectifier à chaud (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs). Permettez-moi simplement de vous suggérer d'y réfléchir pour l'avenir (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL, dont la plupart des membres se lèvent).

M. le Premier ministre - Non, Monsieur le Premier ministre, vous ne me lassez pas. Surtout quand vous parlez d'expérience ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

Je vous répondrai, bien sûr, mais il se trouve que je me suis déjà exprimé longuement, et sur la dimension institutionnelle, et sur le fond (« Non ! » sur de nombreux bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Sur le plan institutionnel, après vous avoir rappelé comment fonctionne la cohabitation depuis juin 1997, je vous invite tous à vous reporter aux débats, aux interpellations, aux mises en cause publiques du Président François Mitterrand par le Premier ministre entre 1986 et 1988 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il s'agissait pourtant de questions de défense, relevant davantage encore des prérogatives du Président de la République que la politique étrangère.

Comme vous, Monsieur le Premier ministre, j'ai été ému en Israël, et plus encore dans les territoires occupés, à Ramallah, à Gaza, quand j'ai vu les contraintes géographiques qui pèsent sur les Palestiniens et les multiples vexations qu'ils subissent. Elles ne pourront cesser qu'avec la restitution de ces territoires.

J'ai été ému en effet. Mais je suis allé suffisamment de fois en Israël et au Proche-Orient -à Beyrouth, il y a vingt ans, j'ai rencontré Yasser Arafat à une période où nous n'étions pas nombreux à vouloir le rencontrer- pour n'avoir été en rien bouleversé. Malgré une émotion légitime, j'ai su garder mon sang-froid.

Plusieurs députés RPR - Non !

M. le Premier ministre - Je vous rejoins sur un point : comme vous, j'ai pu mesurer les attentes, l'impatience, la frustration qui existent dans les territoires palestiniens.

Ce sont nos craintes à propos du processus de paix qui ont fondé le discours que le ministre des affaires étrangères et moi-même avons tenu à M. Barak et à d'autres autorités israéliennes : « C'est à vous de faire des efforts, leur avons-nous dit ; il y a une différence entre un Etat constitué et un Etat en gestation, non reconnu. »

Inquiet pour sa sécurité, Israël veut cependant normaliser ses relations avec ses voisins, dont la Syrie : j'espère d'ailleurs que cet acteur majeur du Proche-Orient a bien l'intention de s'engager dans un processus de négociation, qui aboutira à la restitution du Golan.

Mais nous restons dans la logique défendue par Yitzhak Rabin et de Shimon Peres, quand ils ont modifié l'approche israélienne : on échange des territoires contre la paix. Israël ne peut céder des territoires, comme il doit le faire, qu'en contrepartie d'une chance raisonnable de normaliser ses relations avec ses voisins, comme cela a pu être fait il y a vingt ans avec l'Égypte ou, plus récemment, avec la Jordanie.

Notre rôle n'est pas de maintenir un équilibre comptable, mais de défendre des valeurs et de nous mettre au service de la paix.

Il faut donc être clair sur ce qui favorise la paix et sur ce qui la met en danger (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

Des négociations sont en cours. Les troupes israéliennes devront quitter et quitteront le territoire libanais en juillet. Dans ce contexte, M. Juppé a dit ce qu'aucune autorité française n'a jamais déclaré : cela montre qu'on peut toujours innover, même à l'Assemblée nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Il a été plus précis que moi et je pense que ses propos seront reçus avec intérêt dans la région (Mêmes mouvements).

Notre politique au Proche-Orient doit rester équilibrée. Elle est fondée sur la paix, la démocratie et le développement. Avancer dans ces trois directions, c'est bien servir notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 25, sous la présidence de M. Yves Cochet.

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

    Top Of Page

    VOLONTARIATS CIVILS (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux volontariats civils institués par l'article L. 111-2 du code du service national et à diverses mesures relatives à la réforme du service national.

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Abordant la phase finale de la procédure législative consacrée à ce projet, je salue, en mon nom et en celui de M. Védrine, le travail très rigoureux que votre Assemblée a accompli et l'esprit positif qui a présidé à l'élaboration de ce texte. Je remercie plus particulièrement les rapporteurs de la commission de la défense et de la commission des affaires étrangères saisie pour avis, les membres de ces commissions ainsi que la délégation aux droits des femmes.

L'objet de ce projet est d'organiser la poursuite des missions civiles accomplies actuellement tant en France qu'à l'étranger dans le cadre du service national, au service de la solidarité nationale et internationale. Pour cela, il fallait doter le volontariat civil d'un cadre approprié, adapté à la diversité des organismes d'accueil ainsi qu'au souhait de nombreux jeunes de faire une expérience sociale, humaine ou même pré-professionnelle à l'occasion d'un engagement pré-citoyen.

Vos travaux ont enrichi ce projet. M. Védrine et moi-même avons tenu compte de vos propositions. Je ne citerai que quelques-uns des aménagements parmi les plus significatifs qui ont été apportés au texte initial.

Je songe à l'ouverture du volontariat aux jeunes ressortissants de l'Union européenne, à la nécessité de veiller à un égal accès des hommes et des femmes, à l'extension des missions du volontariat civil au développement de la démocratie et des droits de l'homme. Nous avons voulu consacrer l'action de nombreuses ONG.

Le volontariat civil n'a pas d'autre ambition, vis-à-vis des associations, que de leur proposer un dispositif complétant celui de droit privé relevant du décret du 30 janvier 1995. Pour améliorer le statut du volontaire, certaines dispositions confèrent au volontariat une valeur diplômante et valorisant ses acquis, d'autres étendent la couverture sociale du volontaire à ses ayants droit ou exonèrent le volontaire d'imposition sur les indemnités versées.

Dans quelques instants, Alain Richard vous présentera une disposition nouvelle relative à l'armée de réserve, qu'il a fallu rattacher à ce projet dans l'urgence.

Enfin certains aménagements techniques concernent les DOM-TOM.

Ce texte, qui a fait l'objet d'un large accord au sein de chaque assemblée, est très attendu. Il importe que la transition entre le service national et le volontariat civil s'opère sans rupture. Après son adoption définitive, la loi entrera très rapidement en application et toute la publicité requise sera mise en _uvre pour faire connaître ce nouveau dispositif, en particulier dans les établissements scolaires.

Le ministère des affaires étrangères n'est guère habitué à porter des projets de loi. C'est avec confiance que nous soumettons celui-ci à votre deuxième lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Vauchez, rapporteur de la commission de la défense - Le Sénat, le 9 février dernier, a confirmé la grande convergence de vues entre nos deux assemblées sur ce texte : ainsi de la codification du dispositif dans le code du service national, de l'élargissement du dispositif aux jeunes nés avant 1979 et 1983 pour les jeunes femmes, ainsi qu'aux ressortissants de pays européens, des conséquences d'une interruption du contrat non voulue par le jeune volontaire, des limites géographiques du volontariat effectué en entreprise ou encore de la poursuite d'activités d'enseignement. De même le caractère attractif du volontariat a été renforcé et le statut du volontaire civil amélioré, par l'exonération fiscale des indemnités du volontariat, la délivrance d'un certificat à l'issue du volontariat, le versement de prestations complémentaires lorsque le volontaire civil est affecté hors du territoire métropolitain, l'extension de la couverture sociale aux ayants droit, la prise en compte du volontariat pour la validation des acquis professionnels.

Un seul point reste en débat : l'introduction d'une période probatoire qui permettrait de rompre, unilatéralement et sans préavis, le contrat de volontariat un mois plus tard après sa signature. Proposée par notre assemblée, cette disposition n'a pas été retenue par le Sénat, qui a suivi les arguments du Gouvernement sur le risque d'aubaine et de « tourisme administratif », qui, assurait-il, ne pouvait être réduit de façon satisfaisante par le décret. La commission de la défense s'est rangée à votre analyse. Insistons, néanmoins, sur la nécessité de rendre le volontariat civil aussi attractif que possible.

A la demande du Gouvernement, le Sénat, en deuxième lecture, a modifié en profondeur les modalités d'application du projet à la Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux TOM. En première lecture, notre assemblée avait souligné les incertitudes existant dans ce domaine, dont le secrétariat d'Etat à l'outremer n'avait pas semblé avoir pris la mesure.

La nouvelle rédaction n'est pas sans imperfections. Les responsabilités financières quant à la prise en charge de la protection sociale du volontaire n'apparaissent plus aussi clairement qu'à l'article 11. De même, la mention des régimes locaux d'accidents du travail en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française est absente. Une convention, nous dit-on fixe les conditions d'application du chapitre 2 du titre II. Mais nous serions heureux que vous leviez ces incertitudes.

Il nous est également proposé d'introduire un article relatif à la création d'un statut d'officiers sous contrat en remplacement des officiers de réserve en situation d'activité. Il s'agit d'une mesure radicalement nouvelle, sans grand rapport avec le texte initial.

Regrettons qu'elle nous soit soumise si tardivement, nous imposant des délais d'examen très brefs. Cependant, la professionnalisation en cours dans nos armées impliquant l'adaptation quasi-continue des textes relatifs à notre défense, il nous fallait légiférer sans attendre sur les ORSA, dont le recrutement est intimement lié à la conscription. Tout service dans les armées implique dorénavant un acte de volontariat. Or, dans le cadre de l'armée mixte, une part non négligeable des officiers servait sous le régime des ORSA, dont le nombre atteint environ 5 500 et représente 13 % des officiers dans l'armée de terre, 22 % dans la marine et 28 % dans l'armée de l'air.

La question est aujourd'hui de les remplacer par des officiers accomplissant les mêmes missions. A cette fin le ministère de la défense propose de créer une catégorie d'officiers sous contrat dont le statut sera calqué sur celui des ORSA, assorti de dispositions tendant à rendre plus attractif un dispositif qui devra permettre un recrutement annuel de 450 personnes. Les OSC bénéficieront des mêmes rémunérations que les autres officiers du même grade, à l'exception de certaines primes.

Enfin, la mise en _uvre du dispositif variera selon les armées concernées, le principe étant un contrat initial de quatre ans et une limite de service de 20 ans.

La commission a relevé quelques incertitudes relatives aux modalités de recrutement des aspirants. Nous souhaiterions, là encore, des précisions sur ce point.

Néanmoins, la commission n'a pas souhaité modifier le dispositif, le vrai chantier étant en réalité la refonte du statut général des militaires. Pour l'heure, la période de transition ne peut conduire qu'à l'adoption de dispositifs partiels.

La commission de la défense, tout en regrettant les conditions d'examen peu satisfaisantes de certaines dispositions ne souhaite pas retarder le processus législatif et vous propose, d'adopter le projet sans modification. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Outin - Ce projet s'impose du fait de la professionnalisation totale de nos forces armées d'ici à 2002, que nous regrettons par ailleurs. Il devrait en effet permettre de mettre en place une formule simple, capable de relayer un grand nombre des activités actuellement assurées grâce aux formes civiles du service national. Nous tenons particulièrement à la définition du volontariat civil comme un concours personnel et temporaire à des missions de service public, en France ou à l'étranger.

Ce volontariat représente une réponse à l'appétit de solidarité et d'engagement social de la jeunesse, qui pourra ainsi affirmer sa citoyenneté ou apporter sa pierre au rayonnement de la France.

Aussi convient-il de veiller strictement au respect des principes directeurs posés à l'article 2, véritable clef de voûte du dispositif, dans la mesure où s'y trouve garanti explicitement le caractère d'intérêt général des activités exercées dans le cadre du volontariat civil, quels que soient l'organisme ou la collectivité où il est accompli.

Le volontariat civil a également une dimension sociale, et cet engagement citoyen est d'autant plus louable qu'il n'est pas contraint. Une large publicité est donc indispensable, afin qu'il soit effectivement ouvert à tous et à toutes. Nous demeurons inquiets, en effet, malgré les assurances données par le Gouvernement, quant à la possibilité de recruter le nombre de jeunes nécessaire à l'accomplissement des missions actuellement assurées, car la rémunération reste faible et l'aide à la recherche d'emploi n'est toujours pas prévue en fin de contrat. Les ONG, en particulier, craignent de ne pouvoir continuer à employer les 440 coopérants qui travaillent pour elles.

Le groupe communiste votera le projet, mais suivra sa mise en _uvre avec vigilance (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Nicolas Forissier - Le projet que nous examinons, corollaire de la réforme du service national, permettra la continuation, malgré la suspension de la conscription, de la plupart des formes civiles actuelles du service national, telles que la coopération, l'aide technique, le service de sécurité civile et le service « ville », qui ont fait, au fil des ans, la preuve de leur efficacité et de leur utilité. Le groupe DL le votera, malgré les quelques réserves qu'il appelle de sa part : si l'on peut notamment s'interroger sur le bien-fondé d'un statut unique, compte tenu de l'hétérogénéité des situations, l'entrée en vigueur du dispositif ne doit plus tarder, sous peine d'entretenir le doute sur la continuité du service public. Cependant, sa réussite sera en grande partie fonction de la qualité des décrets d'application et de la célérité avec laquelle ils seront pris.

Je centrerai mon propos, en tant que rapporteur pour avis du budget du commerce extérieur, sur la nécessaire pérennisation de l'action des CSN, capitale pour l'ouverture des jeunes Français sur le monde, pour le succès de nos entreprises, notamment petites et moyennes, à l'exportation, et pour le rayonnement de notre pays. Le système en vigueur depuis 1983 a largement contribué à l'essor de notre commerce extérieur, ainsi qu'à l'insertion professionnelle des jeunes diplômés : les jeunes ont été de plus en plus nombreux à poser leur candidature - ils ont été 3690, en 1998, à être sélectionnés - et 70 % des recrutés se voient proposer une embauche par l'entreprise d'accueil au terme de leur période de service. De leur côté, les PME ont été de plus en plus nombreuses - 666 en 1998 - à recourir à cette procédure, grâce à l'assouplissement de celle-ci en 1996, aux campagnes de promotion menées par le CFME-ACTIM avec le concours des DREE et au développement de la formule du temps partagé.

D'importants progrès restent cependant à faire. Avec 1,7 million d'expatriés, la France reste en retard par rapport à ses partenaires, alors même que nombre de jeunes diplômés apparaissent disposés à effectuer une partie de leur carrière professionnelle à l'étranger. Bien qu'il existe une forte corrélation entre expatriation et performances à l'exportation, on constate que la première est surtout le fait de grandes entreprises, qui font appel, pour leurs filiales à l'étranger, à plusieurs dizaines de CSNE chaque année. La procédure et ses divers aménagements sont en effet mal connus des PME, dont les responsables ont encore très souvent une perception correspondant à la situation qui prévalait il y a quelques années. Qui plus est, la sélection des jeunes reste trop élitiste, privilégiant les diplômés des grandes écoles et les candidats appuyés par des recommandations. Enfin, le prix de revient d'un CSNE apparaît encore prohibitif à nombre de petites entreprises.

Le projet que nous examinons nous donne l'occasion, non seulement de prolonger le dispositif existant, mais encore de le rendre plus attractif, et ce d'autant plus qu'il s'inscrit dans le cadre du volontariat. Il élargit considérablement le vivier des candidats potentiels, et c'est une bonne chose, encore que nous soyons réservés sur son ouverture aux ressortissants des autres Etats de l'Union européenne : ainsi qu'il a été souligné au Sénat, le statut de volontaire civil est inséparable de la notion de service national. Si rien n'est précisé quant au niveau de qualification requis, il serait bon que celui-ci soit à la hauteur des attentes des entreprises et que la procédure soit ouverte à toutes les catégories de jeunes diplômés, que leur formation soit commerciale ou technique.

Par ailleurs, l'exonération d'impôt sur le revenu, de CSG et de CRDS, l'extension de la couverture sociale aux ayants droit, la délivrance d'un certificat d'accomplissement du volontariat, la validation des acquis professionnels ainsi obtenus, la possibilité d'étendre la mission jusqu'à 24 mois sont de nature à rendre la formule plus attractive, pour les jeunes, qu'un simple stage. Pour les PME, il conviendra de maintenir, voire d'amplifier les aides au financement et, surtout, de les faire mieux connaître. J'avais également proposé au secrétaire d'Etat au commerce extérieur d'étendre le bénéfice de la procédure aux organisations professionnelles. Cette suggestion sera-t-elle retenue ?

M. Alain Clary - Et les organisations humanitaires ?

M. Nicolas Forissier - Je ne les oublie pas, mais les entreprises sont également dignes d'intérêt, ne serait-ce qu'en tant que créatrices d'emplois.

La réussite du volontariat civil, j'y insiste, dépendra non seulement des décrets d'application, mais encore, et surtout, de la publicité qui lui sera faite auprès des jeunes et des entreprises, notamment petites et moyennes. De la mobilisation naîtra la dynamique. Le groupe DL votera le projet.

MM. Jean-Marc Chavanne et Michel Voisin - Très bien !

M. Yves Dauge - Si nous sommes attachés à ce projet, c'est parce qu'il offre aux jeunes une forme d'engagement citoyen et d'ouverture sur le monde : là est, pour nous, sa dimension politique. Ce n'est pas, à notre sens, un texte destiné avant tout aux entreprises (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) : son champ est d'abord celui de la coopération, du développement, des droits de l'homme et de la démocratie, et nous nous réjouissons que le Sénat ait accepté de l'étendre.Il fallait aussi, tenir compte de l'ouverture de notre pays à l'Europe : cela a été fait.

Il est bon, encore, d'avoir supprimé la disposition prévoyant une période probatoire, disposition qui ne s'imposait pas.

Je me satisfais enfin de la création du statut d'officier sous contrat, remplaçant l'officier de réserve en situation d'activité, bien que cette mesure n'ait pas exactement sa place dans le texte qui nous occupe.

Il est temps, à présent, de passer aux actes, et nous attendrons avec intérêt le premier rapport du Gouvernement sur le volontariat civil, lors de l'examen de la prochaine loi de finances. Dans l'intervalle, un important travail pédagogique devra avoir été fait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. François Vannson - Je tiens à souligner la qualité des débats qui ont eu lieu dans les deux assemblées lors de la discussion de ce texte, et à rappeler l'approbation générale qu'il a suscitée. L'élaboration du dernier volet de la réforme de notre défense nationale, voulue et engagée par le Président de la République aura donc été marquée par une harmonie politique inhabituelle.

La version que nous transmet aujourd'hui le Sénat comporte de nouvelles modifications. Ainsi, nos collègues sénateurs ont fort justement décidé de ne pas maintenir la disposition instaurant une période probatoire, considérant qu'elle pourrait être comprise comme une coûteuse « invitation au voyage ». Par ailleurs, le texte a été adapté aux nouvelles compétences de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie et un article additionnel a été rédigé, qui vise à permettre le recrutement d'officiers sous contrat en remplacement des officiers de réserve en situation d'activité, ce qui explique le nouvel intitulé choisi. Ces mesures vont dans le bon sens et il est temps que nous adoptions ce texte. Le volontariat civil est en effet une chance extraordinaire donnée à nos jeunes d'acquérir la première expérience professionnelle qui leur fait parfois douloureusement défaut.

Cette expérience, ils pourront l'acquérir dans les domaines de la prévention, de la sécurité et de la défense civile, en étant affectés dans les services départementaux d'incendie et de secours, prenant ainsi la suite des sapeurs-pompiers auxiliaires.

Ils pourront s'intéresser aussi à la cohésion sociale et à la solidarité, puisque des missions d'intérêt général et de soutien aux plus démunis leur seront proposées. Ils pourront encore faire bénéficier les régions de leur compétence technique.

Enfin, la coopération internationale leur sera ouverte, ce que l'auditeur de la 51ème session de l'IHEDN que je suis considère comme une nécessité. Ce texte envisage donc, outre le service rendu à la collectivité par nos jeunes, la question ô combien fondamentale de leur formation, d'une formation adaptée aux besoins.

C'est pourquoi le groupe RPR est tout à fait favorable à l'adoption d'un texte qui parachèvera le processus de modernisation et d'adaptation de notre défense nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Mme Marie-Hélène Aubert - Je rappelle l'espoir que ce texte a suscité tant chez les jeunes qu'au sein des associations qui consacrent ou souhaitent consacrer une partie de leur temps à une cause d'intérêt général, en France ou à l'étranger. De fait, quelle occasion formidable de définir un statut clair et motivant pour ceux qui voulaient s'engager dans cette démarche profondément citoyenne !

Malheureusement, le projet que nous avons examiné en première lecture s'inscrivait dans la continuité du système précédent, dont il avalisait les dérives. L'orateur du groupe Démocratie Libérale a d'ailleurs démontré toute l'ambiguïté -déjà dénoncée par le Conseil économique et social- d'un texte plus attentif aux intérêts des entreprises, et pas des plus pauvres, que porteur d'une politique novatrice en faveur de l'intérêt général.

Nous avons cependant pu amender le projet, et je me félicite que la Haute assemblée ait accepté ces modifications.

Mais ce texte aurait aussi pu nous donner l'occasion d'engager une réflexion approfondie sur le concept de défense et sur la manière dont les jeunes peuvent s'investir dans la prévention de conflits qui ont radicalement changé de nature.

Il n'en a pas été ainsi, et l'urgence a prévalu -dont acte. Notre intention n'est pas de ralentir l'adoption de ce projet peu ambitieux. Cependant, nous attendons de vous, Monsieur le ministre, des réponses précises sur ses modalités d'application et des engagements à propos des problèmes laissés en suspens.

Certes, des progrès réels ont eu lieu, au long des débats. Ainsi de l'ouverture du dispositif aux ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen, que nous avions demandée avec force, et de l'articulation avec le service volontaire européen, dont ceux qui l'exercent ont un statut bien peu satisfaisant, puisqu'ils ne disposent même pas d'un titre de résident.

Je me réjouis aussi que les deux chambres aient accepté le principe d'un volontariat en faveur de la démocratie et des droits de l'homme, et renforcé les dispositions relatives à l'égalité d'accès des jeunes filles et des jeunes garçons à ces mécanismes. Il est bon encore d'insister sur l'information dans les établissements d'enseignement, sans laquelle ce texte si discret ne sera jamais connu de ceux qu'il vise au premier chef.

Il est enfin particulièrement important que le Parlement ait à connaître, par un rapport annuel, lors de l'examen de la loi de finances, la portée réelle de la loi, dont les objectifs quantifiés demeurent plutôt flous.

Pour autant, des questions importantes demeurent. Ne pouvant plus déposer d'amendements, je vous demanderai, Monsieur le ministre, des réponses aussi précises que possible.

Pour commencer, pourquoi ce cavalier relatif aux officiers de réserve, qui transforme le texte en fourre-tout ? Je n'ai rien contre cette disposition, sinon qu'elle n'est pas à sa place et qu'elle crée une confusion dommageable, propre à décourager des jeunes gens fondés à croire qu'ils sont incités à s'engager dans une carrière militaire. Comment donc la publicité sera-t-elle faite ? Ainsi brouillé, le nouveau dispositif ne perdra-t-il pas de l'attrait ?

D'autre part, l'ouverture aux non-Français est limitée aux ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen et il s'articule avec le service volontaire européen. Mais selon quelles modalités ?

Par un amendement, j'avais demandé, en première lecture, l'élargissement des dispositions aux jeunes de nationalité étrangère ayant déposé une demande de naturalisation. Il s'agissait de favoriser l'intégration des jeunes issus de l'immigration, qui trouveraient là un moyen de participer à un projet collectif dans une France qui montrerait ainsi sa volonté de les accueillir. Or le texte ne dit rien de cela.

Enfin, combien de jeunes sont prévus dans chaque catégorie ? Je sais que celle des entreprises est extensible mais les autres ne le sont pas, faute de moyens. Remplacera-t-on seulement les services-ville et les objecteurs ? Vous m'avez dit qu'il y avait « discrimination positive » en faveur des ONG. Combien de volontaires prévoit-on pour elles en France et à l'étranger ?

Ma deuxième question s'adresse plutôt au ministre de la défense. La mise en place rapide des volontariats civils ne justifierait-elle pas une anticipation de la disparition du service national ?

Se pose enfin la question des objecteurs de conscience. Sur le plan matériel, il serait bon de préciser ce que deviennent les postes qu'ils occupaient. Sur le plan des principes, il serait utile de rappeler le droit à l'objection de conscience. La durée deux fois plus longue du service imposé aux objecteurs a été condamnée comme « créant une discrimination » en novembre dernier par le Comité des droits de l'homme de l'ONU ; or récemment, un objecteur a été condamné à un mois de prison pour avoir « déserté » après 23 mois et demi de service civil. L'objection de conscience est-elle un délit ou un droit ? Comment, dans le cadre de la suspension du service national, une information sur ce sujet pourra-t-elle se faire ?

Pour conclure, je formerai le v_u d'une grande loi sur le volontariat. Dans la loi sur les activités physiques et sportives, nous avons voté un statut pour le bénévolat ; il conviendrait de ne pas créer la confusion en multipliant les statuts particuliers. Il conviendrait aussi de toucher l'ensemble des générations : les jeunes ne sont pas les seuls à s'intéresser au service de l'intérêt général. Profitons du centenaire de la loi de 1901 pour ouvrir ce chantier. Cela répondrait à l'attente des ONG et permettrait à nos concitoyens de servir des causes, petites ou grandes.

Les Verts s'étaient abstenus sur ce texte en première lecture. J'espère, Monsieur le ministre, que vos réponses leur permettront aujourd'hui de l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Michel Voisin - Comme l'a souligné notre collègue André Vauchez dans son excellent propos introductif, ce texte se situe dans la continuité de la réforme du service national qui a fait couler beaucoup d'encre.

La chute du mur de Berlin et l'implosion de l'ex-Union soviétique nous ont-elles fait entrer dans un monde plus sûr ? Nous ne pouvons en avoir la certitude. En tout cas, la France, eu égard à ses principes humanistes, se devait de poursuivre les actions qu'elle a toujours menées à travers le monde. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de l'institution d'un régime de volontariats civils. Nous saluons le dévouement des quelque 375 000 jeunes gens qui, depuis la mise en place des services civils, ont donné une image généreuse de la France et contribué au rayonnement de notre pays. La réforme du service national nous fait obligation de légiférer pour pérenniser un système qui a prouvé son efficacité.

Le projet s'efforce de gommer l'imperfection, au regard du principe d'égalité, que constituait la diversité des formes civiles de l'ancien service national. C'est l'un de ses points forts. Quel que soit leur domaine d'action, les jeunes filles ou jeunes gens percevront une indemnité de base identique et bénéficieront d'une couverture sociale complète. Il vous appartiendra, Monsieur le ministre, de veiller à ce que ne s'instituent pas progressivement de nouvelles disparités entre les volontaires.

Le volontariat civil sera ouvert aux jeunes filles. Reste à savoir si, dans les faits, la volonté du Parlement sera respectée, dans la mesure où le projet ne contient aucune disposition instituant une parité. Peut-être cette absence manifeste-t-elle les habitudes du ministère.

Quoi qu'il en soit, ne sont aujourd'hui en discussion que les dispositions sur lesquelles le Sénat a pris une position différente de celle de l'Assemblée ou celles qui ont été introduites par le Gouvernement.

La suppression par le Sénat de la période probatoire d'un mois votée par l'Assemblée nationale au bénéfice des volontaires ne modifie pas substantiellement la portée du texte. Toutefois, je ne puis que regretter qu'ont ait invoqué un « effet d'aubaine », montrant ainsi un esprit suspicieux, dont pourraient à juste titre s'émouvoir les futurs volontaires.

Les dispositions introduites pour respecter le principe de spécialité législative dans les collectivités et territoires d'outre mer n'appelle pas de remarques particulières. Il est toutefois regrettable que nous ne puissions annexer au texte de loi une convention type.

Quant au cavalier législatif concernant l'aménagement du statut des officiers de réserve en situation d'activité, on nous dit qu'il résulte d'une situation d'urgence. Nous regrettons de ne pas disposer du temps nécessaire pour en mesurer toutes les implications. Certes la portée des mesures proposées ne devrait pas excéder deux années, mais force est de constater que le Gouvernement a découvert tardivement l'existence de ce problème. Nous ne lui jetons pourtant pas la pierre, tant la professionnalisation est une entreprise délicate.

Il reste dans le dispositif proposé certaines zones d'ombres que, je l'espère, les textes d'application dissiperont. En particulier, on perçoit mal le sort qui sera réservé aux anciens volontaires du service long, qui bénéficiaient d'abord de la position d'aspirant et étaient promus ensuite au grade de sous-lieutenant.

La réussite de la professionnalisation suppose que les armées soient capables de recruter des jeunes gens qui apportent temporairement un savoir-faire et des connaissances complémentaires de ceux des personnels de carrière.

En conclusion, je voudrais rappeler que les évolutions de nos forces armées et de la présence française dans le monde sont aussi à mettre à l'actif du Président de la République, qui a su prendre la décision de réformer notre outil de défense.

J'avais déposé après l'article 10 un amendement 1 pour réparer certains oublis de la loi de professionnalisation ; étant donné les assurances que vous m'avez données, Monsieur le ministre, je le retire. Le groupe UDF votera ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Ministre délégué - Dans les DOM-TOM, Monsieur le rapporteur, les organismes d'accueil peuvent appartenir au secteur privé, public ou parapublic. Comme en métropole, quand l'Etat est à la fois employeur et utilisateur, il assure le paiement des cotisations sociales. Si le volontaire est mis à disposition de l'organisme d'accueil par l'Etat, c'est l'organisme utilisateur qui assure le paiement.

S'agissant de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, le Sénat, à la demande du Gouvernement, a adopté une nouvelle rédaction de l'article 16. Bien que le projet intéresse une matière de la compétence de l'Etat, certaines dispositions interviennent dans des domaines réservés à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie. Il est possible de proposer aux volontaires civils venant en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française des garanties minimales sans pour autant contrevenir au partage des compétences opéré dans les lois statutaires : il suffit de le faire par voie de convention. M. Queyranne veut vous rassurer : il n'est pas question de concurrencer la main-d'_uvre locale, mais de pallier l'absence de certaines qualifications. Le ministre responsable des affectations y veillera.

Le Secrétariat d'Etat à l'outre-mer a affecté 607 volontaires civils en Nouvelle-Calédonie, 56 en Polynésie française et 13 à Wallis-et-Futuna. Vingt pour cent des volontaires de Nouvelle-Calédonie sont originaires de ce territoire.

Sur 2000 VSN relevant du ministère des affaires étrangères, on en compte 90 en ambassade, 190 dans les services de coopération et d'action culturelle, 240 dans les établissements culturels, 320 dans les ONG, 580 à des postes de scientifiques chercheurs et 600 dans des fonctions d'assistants, de techniciens ou d'experts.

A ces 2000 VSN s'ajoutent les 4 300 qui travaillent en entreprise, les 250 volontaires affectés aux postes d'expansion économique et les 350 volontaires dépendant de l'association de gestion de l'enseignement du français à l'étranger 

Tels sont les chiffres actuels. Je ne dispose pas, Madame Aubert, d'éléments me permettant d'évaluer le nombre des volontaires qui seront affectés dans le futur aux ONG.

M. Outin a regretté que la rémunération des volontaires ne soit pas aussi élevée qu'on aurait pu l'espérer. Mais leur statut ne doit pas être confondu avec celui de salarié. A l'indemnisation, qui s'élève à 3 500 F, peuvent en outre s'ajouter des frais de séjour, de transport ou de fonctionnement. Il y a certes là un risque d'inégalité entre les organismes d'accueil, mais nous tâcherons de le prévenir dans les conventions.

N'opposons pas l'humanitaire et l'entreprise. Nous verrons ce qui va se passer et le rapport parlementaire nous y aidera.

Si ce projet est bien de circonstance, puisqu'il est la conséquence de la professionnalisation des armées, il n'est pas seulement cela. Nous allons modifier le profil des volontaires, dont les motivations seront très différentes. L'humanitaire, le social, y tiendront une plus grande place qu'aujourd'hui. J'espère cependant que les entreprises et en particulier les PME, trouveront des jeunes gens capables de les aider, d'autant que la présence de ces volontaires constituera aussi un facteur de développement pour les pays concernés. Simplement, les entreprises ne seront pas aidées : elles apporteront l'intégralité du financement.

Nous n'aurons pas trop de difficulté à éviter que le recrutement soit trop élitiste, comme le craignent certains. Le plus difficile était de rendre ce statut attractif, au moment où les volontaires auront d'autres motivations qu'échapper, si j'ose dire, au service militaire.

M. Dauge a approuvé l'élargissement du champ du dispositif. J'espère que les collectivités sauront saisir l'opportunité que nous leur offrons.

Dans les décrets d'application, Madame Aubert, les ministères concernés feront en sorte de distinguer la question du volontariat civil de celle des officiers de réserve.

Quant à l'articulation du volontariat civil et du volontariat européen, elle doit faire l'objet d'une convention avec la Commission européenne. Il conviendra en effet d'organiser la coexistence de ces deux formes de volontariat afin de renforcer la citoyenneté européenne et d'atteindre leurs objectifs d'intérêt général.

Monsieur Voisin, la suppression de la période probatoire s'explique par le coût du voyage. Sans faire de procès d'intention aux postulants, ne les soumettons pas à la tentation en les autorisant à voyager et à se faire rapatrier gratuitement. Cependant, avec l'accord de l'organisme d'accueil, l'intéressé pourra toujours démissionner.

C'est une nouvelle ouverture à l'international que nous proposons aux jeunes. Cette opportunité, pour eux enrichissante, rendra aussi plus féconde la présence française à l'étranger.

L'intérêt de ce projet ne vous a d'ailleurs pas échappé, puisque tous les orateurs, sous réserve de quelques éclaircissements, ont annoncé leur intention de le voter. J'espère que mes réponse vous permettront de l'adopter à l'unanimité.

Le ministre de la défense vous donnera des indications supplémentaires à l'article 18.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet sur lesquels les deux Assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

L'article 6, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 11 et 13.

Top Of Page

ART. 16

M. René Dosière - Ancien rapporteur du projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie, je souhaite faire quelques remarques sur l'application du présent texte à ce territoire.

On peut en effet faire une double lecture de l'article 16 : soit il encourage la formation de jeunes néo-calédoniens, qu'ils soient kanaks ou d'origine européenne, soit il tend à faire venir des métropolitains pour peupler le territoire. Le Gouvernement a précisé qu'il excluait cette seconde interprétation. Je n'en doutais pas, mais cette précision me réjouit. Je souhaite en effet que la proportion des néo-calédoniens soit la plus forte possible.

Je rappelle que nous avons révisé la Constitution pour pouvoir déroger en Nouvelle-Calédonie, au principe républicain d'égalité en matière d'emploi. Ainsi, l'article 24 de la loi organique dispose que, dans le but de soutenir l'emploi local, les citoyens de Nouvelle-Calédonie et les personnes pouvant justifier d'une durée suffisante de résidence bénéficient de mesures qui tendent à leur garantir l'exercice d'un emploi salarié. La Nouvelle-Calédonie peut aussi restreindre l'accession à l'exercice d'une profession libérale à des personnes qui ne rempliraient pas les conditions de résidence requises, lesquelles seront fixées par une loi de pays. La convention prévue pour régler ces problèmes devra obligatoirement se conformer aux conditions de durée de séjour qui auront été fixées par cette loi de pays. J'ajoute que les nouveaux arrivants originaires de la métropole ne pourront participer ni aux consultations provinciales, ni au référendum, auxquels seules les personnes présentes sur le territoire en 1998 sont autorisées à prendre part.

M. le Rapporteur - Compte tenu de la réponse du ministre délégué et des précisions que M. Dosière vient d'apporter, la commission est tout à fait favorable à l'article 16.

L'article 16, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 18

M. Alain Richard, ministre de la défense - La commission de la défense a approuvé cet article. Il s'agit d'une mesure d'harmonisation qui ne pouvait intervenir que postérieurement à la loi de 1997. La création d'un nouveau statut d'officier suffisamment attrayant a exigé des négociations interministérielles qui ont eu lieu au cours de l'année 1999, soit trop tard pour que ces dispositions figurent dans la loi sur les réserves.

Cela dit, le présent texte innove fort peu. Le nouveau statut est calqué sur celui des anciens officiers de réserve en situation d'activité. Après une première phase de formation sous le statut d'engagé, ces jeunes gens, sous-officiers, acquerront la qualité d'aspirant. Puis, après une deuxième période de formation de durée variable, ils accéderont au premier grade d'officier, celui de sous-lieutenant.

La question relative aux jeunes volontaires du service long appelle les mêmes réponses. Après avoir été élèves-officiers immédiatement nommés aspirants, ils seront recrutés à l'issue de leur formation. Leur parcours sera un peu plus rapide que celui des officiers de réserve en situation d'activité.

Compte tenu des effectifs actuels, nous devrons procéder à 500 recrutements environ dès l'année 2000. C'est pourquoi il a paru judicieux d'adjoindre ces dispositions au présent projet.

M. le Rapporteur - Je souhaite obtenir une précision : devons-nous comprendre qu'un jeune engagé volontaire, au bout d'un an ou deux, pourra être détecté par ses supérieurs et suivre le parcours que vous avez décrit ?

M. le Ministre - Bien sûr !

L'article 18, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

Top Of Page

CONVENTIONS ET ACCORDS -procédure d'examen simplifiée-

L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d'examen simplifiée, de quatre projets de loi votés par le Sénat autorisant l'approbation de conventions et accords internationaux.

M. le Président - Conformément à l'article 107 de notre Règlement, je vais mettre aux voix l'article unique de chacun de ces textes.

L'article unique de la convention France-Belgique tendant à éviter les doubles impositions, mis aux voix, est adopté.

L'article unique de l'accord entre la France et la Ligue des Etats arabes, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du protocole relatif à l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, mis aux voix, est adopté.

L'article unique de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 55 est reprise à 18 heures.

Top Of Page

LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (deuxième lecture)
-procédure d'examen simplifiée-

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Gouvernement mène une politique déterminée de prévention et de répression de toutes les formes de délinquance financière, qu'il s'agisse du blanchiment de l'argent sale ou de la corruption de la vie publique, tant au niveau international et européen que dans le cadre national.

Parmi les éléments de cette politique, citons la constitution de pôles économiques et financiers, les conclusions du sommet de Tampere, qui fut le premier du genre à définir des orientations précises pour lutter contre la criminalité organisée et le blanchiment de l'argent sale, ou encore les travaux en cours aux Nations unies ou au sein du GAFI, dans lequel la France joue un rôle moteur pour faire condamner l'utilisation abusive du secret bancaire, pour poser la question de formules juridiques telles que la fiducie ou les sociétés-écrans, pour réglementer les paradis fiscaux.

Le texte d'aujourd'hui revêt une importance particulière. Face à une corruption qui s'internationalise, il est de la responsabilité des Etats démocratiques, donc de la France, d'organiser une très ferme réaction.

Le Gouvernement a ainsi voulu adapter notre droit aux engagements internationaux souscrits par la France, dans le respect de ses principes fondamentaux.

Les amendements de la commission relatifs à la définition du délit de corruption tendent à permettre de réprimer, en particulier, les versements faits à des fonctionnaires « à tout moment ». Au-delà de la simple transposition en droit interne de la convention de l'OCDE, il s'agit d'une conception nouvelle permettant au juge d'appréhender tous les éléments constitutifs de la corruption à mesure de son déroulement. Votre commission souhaite que cette volonté marque tant l'incrimination des faits se déroulant au niveau national qu'international. Je suis favorable à cette série d'amendements.

Votre commission a entendu mes arguments de première lecture en renonçant à supprimer l'expression « sans droit » dans la définition du délit de corruption sur le plan international. J'approuve qu'elle ait supprimé en revanche la disposition sénatoriale tendant à conférer à la juridiction parisienne une compétence nationale pour connaître des faits de corruption commis dans le cadre du commerce international. Dessaisir les juridictions de province, dont le Gouvernement s'attache à renforcer les moyens, serait inopportun.

Je suis également favorable au rétablissement à dix ans de la peine encourue par les personnes physiques, en cas de corruption d'un agent public étranger dans le cadre des transactions commerciales internationales. La convention de l'OCDE nous impose en effet de traiter de façon analogue la corruption internationale et celle des agents publics nationaux. Notre pays ne veut laisser planer aucun doute sur sa volonté de lutter contre la corruption à l'échelle internationale.

L'alinéa 2 de l'article 2 porte sur le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il ne s'agit pas de permettre aux entreprises françaises de s'affranchir des engagements internationaux souscrits par la France, mais de tracer une frontière claire entre ce qui est licite et illicite au sein de la vie économique. Cependant j'ai été sensible aux arguments de votre rapporteur en faveur de la suppression de cet alinéa, dont le dispositif a été critiqué par certains de nos partenaires de l'OCDE, alors même que leurs propres lois d'adaptation posent problème.

Je me prononcerai donc en faveur de la suppression, sachant qu'il appartiendra aux juridictions de faire respecter le principe de non rétroactivité.

J'approuve enfin l'amendement de la commission reprenant l'interdiction de toute déductibilité fiscale des commissions versées postérieurement à l'entrée en vigueur en France de la convention de l'OCDE. Notre future loi sera ainsi exemplaire, et j'en remercie la commission et son rapporteur, d'abord par son effet dissuasif, puisqu'elle interdira aux entreprises d'intégrer le bilan coût-avantage de la corruption dans leurs stratégies commerciales ; ensuite parce qu'elle s'appliquera avec la même rigueur à l'encontre des entreprises françaises et étrangères ; enfin parce que sa cohérence et sa clarté ne créera pas d'insécurité juridique. Elle traduira bien la volonté de la France de combattre sans relâche ce fléau qu'est la corruption (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jacky Darne, rapporteur de la commission des lois - Que l'on n'ait entendu aucune voix pour justifier la corruption ne nous étonne pas. Que la même unanimité ne se retrouve pas pour approuver le projet ne nous étonne pas non plus.

C'est que la question de la corruption peut être considérée de deux manières différentes.

D'un côté, on reconnaît que la corruption n'est pas admissible, parce qu'elle perturbe la vie économique et freine le développement, et parce que sur le plan moral elle porte atteinte aux droits de l'homme, ruine la confiance des peuples dans leurs gouvernants et met ainsi en péril la démocratie.

L'entreprise a elle aussi son point de vue. Confronté à un marché, responsable de la rentabilité de l'entreprise et de l'emploi, le chef d'entreprise, constatant les faits, dit devoir s'y plier. Si ses concurrents peuvent légalement agir différemment de lui, alors il estime être dans une situation désavantageuse. Il craint que le rappel à un comportement moral ne soit qu'un moyen pour le rendre moins compétitif.

Ce débat n'est donc pas exempt d'arrière-pensées ni de soupçons, responsables politiques comme dirigeants d'entreprises cherchant à déceler chez autrui la part d'hypocrisie cachée sous le discours vertueux. La chose n'a pas échappé à votre rapporteur, lequel n'imagine pas non plus un instant que la loi suffira à mettre fin à la corruption. La convention de l'OCDE n'a été signée que par un nombre limité de pays, la corruption passive demeure impunie hors de l'Union européenne, poursuites et peines sont loin d'être harmonisées d'un pays à l'autre, et les pays qui font fi de toute morale continueront d'user de stratagèmes pour contourner lois et conventions.

Soit. Mais tout de même, quel progrès ! Pour la première fois, des pays qui assurent ensemble l'essentiel du commerce mondial déclarent que corrompre une autorité publique, c'est-à-dire un élu ou un fonctionnaire, est un délit passible d'emprisonnement. C'est un changement considérable, qui produira ses effets jusque sur le fonctionnement interne des entreprises : imaginez, en effet, ce qui va se passer dans la tête d'un cadre d'entreprise travaillant pour une filiale située dans un pays en voie de développement, et dont la délégation de pouvoir incluait, jusqu'à présent, un permis de corrompre... A côté de cela, les modalités, les dispositions transitoires, le régime fiscal sont secondaires, même s'il nous faut, bien entendu, rechercher la plus grande efficacité.

Les amendements que je vous proposerai au nom de la commission des lois reprennent, pour l'essentiel, des dispositions que nous avions votées à l'unanimité en première lecture, et que le Sénat a modifiées. S'agissant de la définition du délit de corruption, la preuve du pacte ne doit plus être la condition préalable de toute action judiciaire. S'agissant du niveau des peines, il n'est pas admissible que la corruption d'un fonctionnaire français et celle d'un fonctionnaire étranger soient traitées différemment : que telle soit la loi aux Etats-Unis - qui devront d'ailleurs la modifier sur ce point - n'est pas une raison pour que nous les imitions et nous abstenions de respecter la convention que nous avons signée. S'agissant de la juridiction compétente, il convient d'éviter que toutes les procédures soient centralisées à Paris. Enfin, si la question de la déductibilité fiscale est moins aiguë qu'en première lecture, nous n'en devons pas moins affirmer le principe de non déductibilité.

Pour ce qui est, en revanche, du deuxième alinéa de l'article 2, la première lecture et la discussion au Sénat ont mis en lumière l'ambiguïté du texte. Puisqu'il n'est qu'une conséquence du principe de non rétroactivité de la loi pénale, il est inutile de le maintenir, et il vous sera donc proposé de le supprimer. Les entreprises auraient souhaité que les contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi soient enregistrés devant notaire afin que leur date soit certifiée, et c'est sans doute une sage précaution de leur part, mais point n'est besoin de disposition législative pour cela.

En votant ce texte, nous respecterons scrupuleusement la convention de l'OCDE, et mettrons notre pays à la pointe de la lutte contre la corruption et la criminalité financière en général. C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement poursuive, au niveau international, son action résolue dans ce domaine, et joue en particulier un rôle moteur dans le comité de suivi de la phase 2, ne serait-ce que pour couper court à toute suspicion mutuelle entre les Etats-Unis et nous : je suis persuadé de la volonté des Etats-Unis de combattre la corruption, mais je connais également leur grand sens des affaires...

Je remercie Mme la Garde des Sceaux des propos qu'elle a tenus et de l'accueil qu'elle a réservé à nos amendements, lesquels rendront le projet plus opératoire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Marie-Hélène Aubert - Cette convention, nécessaire, constitue une grande avancée du droit. La corruption est en effet un danger considérable : pour les entreprises elles-mêmes, auxquelles elle coûte de plus en plus cher, jusqu'à mettre en péril leur équilibre ; pour la démocratie et la vie politique, car l'Etat se délite lorsque la corruption règne ; pour les relations internationales enfin. Il est donc indispensable de moraliser la passation des grands contrats commerciaux. C'est une exigence de la société civile, depuis que les scandales mis au jour par les investigations de la presse lui ont fait prendre conscience de la gravité du phénomène.

Or, l'exacerbation de la concurrence dans une économie de plus en plus mondialisée incite les acteurs économiques à recourir à tous les moyens pour conquérir des marchés, en se réfugiant derrière le vieil argument : « si ce n'est pas moi, c'est l'autre », dont nous ne pouvons prendre prétexte, me semble-t-il, pour justifier le statu quo.

Avec le texte qui nous est soumis, la position de la France gagne en clarté, et je m'en félicite, car elle a souvent fluctué dans le passé, sous couvert d'un antiaméricanisme qui a bon dos. Je ne suis pas naïve au point de croire que les proclamations verbales des Etats-Unis seront forcément suivies d'effet, mais ce n'est pas parce que nos concurrents s'autorisent certaines pratiques que nous devons nous y résigner. J'avais souligné, en première lecture, combien le second alinéa de l'article 2 faisait problème, en ce qu'il laissait planer le soupçon sur notre détermination réelle. Je me réjouis donc que la commission nous propose de le supprimer. Je partage également l'avis du rapporteur sur le rôle qui incombe à la France au sein du comité de suivi.

Beaucoup reste à faire, notre rapporteur l'a souligné, et le travail de nos collègues Montebourg et Peillon montre que le chemin est jalonné d'obstacles. Cependant, ce texte constitue un grand progrès. Il convient donc, si l'on souhaite ne pas s'en tenir à un simple effet d'affichage, de débloquer les moyens financiers et humains nécessaires à son application, et à faciliter la coopération internationale. Ainsi pourra-t-on réellement poursuivre cette salubre tâche.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Jean-Antoine Leonetti - Personne ne conteste l'utilité de la lutte contre la corruption, ce fléau qui pervertit la démocratie, fausse les marchés et nourrit le crime organisé. Le texte que nous examinons est donc bienvenu -mais va-t-il assez loin, et son utilité est-elle avérée ? Si, en outre, il est efficace, ne risquons-nous pas, en l'adoptant, de soumettre nos entreprises à la concurrence d'entreprises de pays qui n'appliquent pas les mêmes règles ou qui, tout en prétendant les appliquer, comme le font les Etats-Unis, s'ingénient à les contourner par d'habiles dispositions législatives ? On le sait, la convention de l'OCDE a été ratifiée par 34 pays seulement, et l'on ne compte, au nombre des signataires, ni Israël, ni l'Afrique du Sud, ni l'Inde, ni la Chine, ni la Russie. On voit que beaucoup reste à faire !

Dans un autre domaine, on sait que les entreprises peuvent contourner les dispositions envisagées en procédant aux transactions proscrites dans des paradis fiscaux.

Au regard de ces problèmes de fond, les divergences entre le Sénat et l'Assemblée apparaissent mineures. On le sait, la difficulté principal tient au dispositif proposé à l'article 2, qui visait à concilier le principe constitutionnel de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et les termes de la convention de l'OCDE. Il s'agissait, on le sait, de protéger les entreprises françaises des foudres de la justice en précisant que les nouvelles incriminations ne s'appliquent pas aux commissions liées à des contrats signés avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le souci du Gouvernement était partagé sur tous les bancs, et il aurait donc été souhaitable de maintenir l'article en l'état. Le législateur se doit, certes, de légiférer sans cynisme, mais il n'a aucune raison de légiférer sous la pression des Etats-Unis, qui savent protéger leurs propres entreprises sans états d'âme.

Le texte constitue une étape intéressante, mais il ne prendra tout son sens que si l'ensemble des pays membres de l'OCDE le ratifient.

Cela étant, le groupe UDF ne s'opposera pas à son adoption (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. André Gerin - C'est un vrai défi que nous souhaitons relever, et ce sont l'ambition industrieuse et la grandeur de la France qui sont en jeu. Aussi, la France et l'Europe doivent se donner les moyens de combattre fermement la corruption des délinquants en col blanc et d'aider les industriels qui portent loyalement les intérêts de la France.

On ne peut tolérer que l'argent sale circule en toute impunité. C'est dire que tous ceux qui prônent l'anonymat et l'opacité privilégient une politique totalitaire qui détruit l'économie au profit de la spéculation.

Les députés communistes soutiennent la démarche du Gouvernement qui entend se donner les moyens de lutter efficacement contre la corruption internationale et ainsi, contribuer à la transparence dans les transactions commerciales internationales.

Pour ce faire, il était proposé, dans le texte initial, que l'ensemble des incriminations soient sanctionnées par des peines de dix ans d'emprisonnement et un million de francs d'amende.

Comme en première lecture, la majorité sénatoriale a réduit de moitié le peine d'emprisonnement pour les agents publics étrangers. C'est sans réserve que le groupe communiste votera les amendements de la commission visant à rétablir le texte initial.

Dans le même esprit, nous ne suivrons pas la Haute assemblée dans son désir de limiter la liste des peines applicables aux personnes morales. Le retour au texte initial, à ce sujet ne ferait d'ailleurs que respecter les dispositions de la convention.

Pour ce qui est de l'article 2, chacun dira son attachement au principe constitutionnel de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Mais chacun peut, aussi, s'interroger sur le statut des commissions versées après l'entrée en vigueur des nouvelles mais qui s'appliquent à des contrats signés antérieurement. De toute évidence, le dispositif adopté en première lecture remettait partiellement en cause le principe évoqué, et, aussi louable qu'ait été l'objectif poursuivi, la mesure risque de pénaliser les entreprises françaises soumises à la très forte concurrence américaine. Nous souhaitons donc le maintien des dispositions que vous avez judicieusement acceptées, Madame la Garde des Sceaux, lors de la discussion au Sénat.

Enfin, pour éviter que les commissions versées dans le cadre des contrats en cours soient à la fois illégales et fiscalement déductibles pendant un an, notre assemblée avait adopté un amendement tendant à supprimer le principe de déductibilité à compter de l'entrée en vigueur de la convention. Cette disposition doit être maintenue, et je m'abstiendrai donc sur ce point.

Plus largement, il conviendrait de demander la constitution, au sein de l'OCDE, d'un groupe de suivi et de rendre publiques les législations en vigueur. Toutes les exportations devraient être soumises aux mêmes règles de transparence, et le Gouvernement français devrait demander, dans le cadre de l'Union européenne l'inscription de cette question à l'ordre du jour des travaux de l'OMC.

Compte tenu de leurs observations sur les dispositions adoptées par le Sénat, les députés communistes adhèrent pleinement aux objectifs poursuivis par ce projet.

M. le Rapporteur - Très bien.

M. Michel Hunault - Je salue la détermination que manifestent le Gouvernement et l'Assemblée dans la lutte contre la corruption dans les échanges internationaux. Je tiens cependant à rappeler que si la convention sur le blanchiment d'argent sale a été ratifiée, c'est à l'instigation du gouvernement précédent. Je vous ai moi-même interrogée, Madame la Garde des Sceaux, sur la volonté de votre gouvernement de faire ratifier par la France la convention du Conseil de l'Europe relative à l'espace judiciaire européen, qui vise à faciliter la coopération entre les juges d'instruction.

M. Jean-Luc Warsmann - Madame la Garde des Sceaux a oublié.

M. Michel Hunault - La France s'est donc engagée à transposer en droit interne les dispositions de la convention de l'OCDE relative à la lutte contre la corruption d'agents publics dans les transactions commerciales internationales. Le groupe RPR s'en félicite, et votera le projet. Il faut cependant rappeler que les Etats-Unis ont joué un rôle moteur dans l'élaboration de cette convention, dont l'objet était précisément de contraindre tous les pays européens à introduire dans leur droit interne des dispositions similaires à celles qui sont applicables dans ce pays depuis 1977. Mme Albgright, à Davos, a fais un mauvais procès à la France, en l'accusant d'inertie. Dans le même temps, l'OMC a jugé que le dégrèvement accordé aux filiales de grandes sociétés américaines qui sont implantées dans les paradis fiscaux équivaut à des subventions à l'exportation, contraires aux engagements pris par les Etats-Unis...

Par ailleurs la France, quatrième exportateur du monde, doit défendre ses grands groupes industriels. Or non seulement la convention de l'OCDE n'a été signée que par 34 pays, mais ce texte ne concerne que les agents publics, ce qui limite son application dans les pays où le secteur privé est prépondérant. En outre, seule la corruption active est visée.

S'agissant des conflits à venir sur l'application de ce texte, vous avez, Madame le Garde des Sceaux, réaffirmé votre volonté de ne pas restreindre la compétence aux seules juridictions dotées d'un pôle économique ; il aurait été préférable de le faire.

En revanche, je me réjouis qu'on réaffirme la non rétroactivité de la loi pénale ; le rapporteur a un peu modifié sa façon de voir sur ce point depuis la première lecture.

Enfin, cette convention ne pourra être efficace que si les lois nationales des pays signataires sont d'une égale sévérité ; or aux Etats-Unis, l'engagement des poursuites relève d'un organe gouvernemental, le quantum des sanctions est plafonné à cinq ans d'emprisonnement et la transaction pénale existe. Ainsi, dans l'hypothèse où une entreprise française et une entreprise américaine se seraient livrées dans une opération commune à des agissements susceptibles d'entrer dans le champ d'application de la convention, les responsables français pourraient être condamnés à des peines de prison tandis que leurs homologues américains bénéficieraient d'une transaction.

Sur le principe, donc, nous approuvons ce texte ; mais je veux insister sur les contraintes qui vont peser sur nos grands groupes industriels (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jacques Floch - La France se doit de préciser le droit en matière de commerce international et de lutte contre la corruption. Tous les grands pays préconisent la liberté du commerce, mais celle-ci suppose l'existence de règles internationalement reconnues et appliquées. C'est loin d'être le cas aujourd'hui, d'autant qu'on joue sur les mots. J'ai lu par exemple dans un document que « la facilitation n'est pas la corruption »...

Notre pays doit montrer l'exemple, mais aussi protéger ses entreprises. Il ne saurait recevoir de leçons de ceux, tels les Etats-Unis, qui ont introduit dans leur législation des dispositions qui simplifient la vie de leurs entreprises. Une entreprise américaine peut ainsi inviter à ses frais des fonctionnaires étrangers si elle y trouve un avantage économique ; ou, si elle a un contrat avec une agence fédérale ayant pour mission d'assurer la sécurité des Etats-Unis, elle peut effectuer des paiements à l'étranger sans les justifier.

Si nous supprimons le deuxième alinéa et modifions le troisième de l'article 2, il nous faut réaffirmer le grand principe constitutionnel de non rétroactivité de la loi. Par ailleurs, il convient comme vous l'avez fait, Monsieur le rapporteur, de recommander aux entreprises de donner une date certaine aux contrats signés avant l'entrée en vigueur de la loi, en la faisant authentifier auprès d'un officier ministériel.

Peut-être faudrait-il aussi, Madame la Garde des sceaux, que vous précisiez dans une directive générale l'esprit dans lequel la loi doit être appliquée, afin que les entreprises n'aient pas d'incertitudes juridiques.

Un juste équilibre ayant été trouvé, nous voterons ce projet, en souhaitant qu'il soit adopté dans les meilleures conditions possibles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Dominique Bussereau - Ce projet va dans le bon sens, mais ce n'est qu'une goutte d'eau.

La possibilité d'incriminer la corruption active et passive des fonctionnaires et autres agents publics étrangers n'a qu'une valeur symbolique ; elle ne modifiera hélas en rien les pratiques, d'autant que la convention de l'OCDE ne vise que la corruption active. En outre, le trafic d'influence, infraction très proche de la corruption, n'est pas évoqué.

Le risque est que les entreprises françaises se trouvent fragilisées par rapport à leurs concurrentes, notamment américaines. En effet, les peines prévues par ce projet nous paraissent excessives ; elles nient le principe d'équivalence fonctionnelle posé par la convention de l'OCDE. Par ailleurs, s'agissant de la non déductibilité des commissions versées dans le cadre de contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la convention, nous contestons une distorsion entre la loi pénale et la loi fiscale.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe DL ne votera pas contre ce texte, mais s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme la Garde des Sceaux - Je me réjouis de la volonté unanime manifestée sur ces bancs de lutter plus efficacement contre la corruption. Le rapporteur a raison de vouloir inciter les entreprises à recourir à l'acte notarié, ainsi que de souhaiter que la France joue un rôle moteur dans le comité de suivi. Vous avez été nombreux à dénoncer la position des Etats-Unis.

Monsieur Hunault, la convention de Strasbourg relative à la lutte contre le blanchiment, signée en 1990, a été ratifiée en 1996. La question n'est plus de la transposer, mais de savoir si notre droit interne doit encore être renforcé.

Quant à la convention d'entraide pénale, ce n'est qu'un projet, en cours d'élaboration depuis cinq ans, même si je compte bien aboutir.

Il n'y a donc aucune convention qui resterait à ratifier parce que le Gouvernement aurait omis de l'inscrire à votre ordre du jour.

Si vous avez voulu montrer que les gouvernements que vous avez soutenus s'étaient intéressés eux aussi à la lutte contre la corruption, vous auriez pu souligner que ce sont eux qui ont négocié la convention qu'il vous est proposé de ratifier. Ainsi, vos critiques s'adressent aussi à ces gouvernements.

Top Of Page

ARTICLE PREMIER A

M. le Rapporteur - L'amendement 4 de la commission vise à revenir au texte adopté ici en première lecture, de manière à rétablir l'expression « à tout moment ». Il s'agit d'éviter au juge d'instruction d'avoir à prouver l'antériorité du pacte de corruption, ce qui serait difficile compte tenu de la nature occulte d'un tel pacte.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Cet amendement, ainsi que les amendements 5, 6 et 10, nous permettent d'aller au-delà de la seule transposition des engagements de la France, puisqu'il vise à modifier la définition de la corruption au niveau national comme au niveau international.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté et l'article premier A est ainsi rédigé.

Top Of Page

ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - Les amendements 5 et 6 de la commission sont de coordination.

Les amendements 5 et 6, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 7 de la commission vise à rétablir la peine de prison prévue dans le texte initial : celle-ci était de dix ans, ce qui est préférable à une peine de cinq ans, puisque nous fixerions de la sorte une durée d'emprisonnement identique, que la personne corrompue soit un fonctionnaire français ou un fonctionnaire étranger.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Les amendements 8, 9 et 10 de la commission sont de coordination.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que les amendements 9 et 10.

M. le Rapporteur - L'amendement 11 de la commission vise à rétablir le régime initial des peines prévues contre les personnes morales, qui doit être identique, en vertu du principe d'assimilation des sanctions, à celui qui s'applique sur le plan interne.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable à cet amendement qui nous évite d'avoir deux régimes de peines selon la nationalité du fonctionnaire corrompu.

L'amendement 11, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, modifié, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 2

M. Charles de Courson - Mon amendement 2 vise à clarifier les choses en précisant que les entreprises peuvent déclarer auprès du tribunal de grande instance les contrats qui ont fait l'objet de versements. Une telle déclaration, qui présenterait l'avantage d'une certaine solennité, me semble préférable à un acte devant notaire, d'autant qu'il y a toujours des brebis galeuses.

M. Jean-Antoine Leonetti - Dans les tribunaux aussi !

M. Charles de Courson - Les notaires ont d'ailleurs des instances disciplinaires et j'ai des amis notaires fort mécontents de devoir payer des sommes considérables à cause de certains confrères indélicats.

Toutes les catégories sociales ont leurs brebis galeuses. Même les députés !

M. le Rapporteur - Avis défavorable, d'autant que l'amendement de la commission, qui va venir en discussion, vise à supprimer l'alinéa que M. de Courson se propose d'amender.

Nous avons déjà eu ce débat en première lecture. Il y a trois possibilités de déclaration : devant un tribunal, aux services des impôts ou devant notaire. Mais nous devons éviter de laisser croire que nous ne sommes pas absolument déterminés à combattre la corruption. Pour ne pas adresser un mauvais signal aux entreprises, mieux vaut donc supprimer le dernier alinéa de l'article, tout en permettant aux entreprises de donner date certaine aux actes. C'est aux notaires de le faire, les entreprises devant leur fournir des documents probants.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable. En droit pénal, sauf exception rarissime, la preuve est libre. On ne peut imposer un mode unique de preuve.

M. Charles de Courson - Vous venez de le dire, on peut le faire en prévoyant des dispositions exceptionnelles, ce qui se justifie s'agissant des contrats.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Les amendements 12 et 1 sont identiques.

M. le Rapporteur - L'amendement 12 de la commission vise à supprimer le dernier alinéa de l'article. Les débats au Sénat comme les réactions de l'OCDE l'ont montré, il ne faut pas laisser mettre en doute notre détermination à lutter contre la corruption.

Le principe de non rétroactivité de la loi pénale est posé dans la Constitution. A quoi bon le réaffirmer dans la loi ?

La suppression de cet alinéa ne gênera pas les entreprises, si elles suivent nos recommandations.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Dissipons toute suspicion, d'autant que les entreprises sont en effet protégées par le principe de non rétroactivité.

M. Charles de Courson - Certains avaient suggéré qu'un délai de deux à cinq ans sépare la publication de l'entrée en vigueur de ce texte, afin de résoudre le problème des livraisons étalées dans le temps. Nombre de contrats, en effet, ne sont pas exécutés en une fois.

Qu'arivera-t-il si nous adoptons l'amendement de la commission ? Il sera très facile de contourner le dispositif en procédant à des versements échelonnés et l'amendement 12 ne permettra pas de sanctionner de tels comportements. Ne risque-t-il pas aussi d'entraîner des ruptures de contrat ?

Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux être pragmatique et, afin de préserver les intérêts de nos entreprises, fixer un délai sur la durée duquel nous pourrons discuter ? Tel est, en tout cas, l'objet de mon amendement 3.

M. le Rapporteur - Près de la moitié des pays ont déjà transposé cette convention de l'OCDE et aucun n'a introduit une telle clause. L'Allemagne, qui a procédé à la transposition dès novembre 1998, ne l'a pas fait et ses entreprises ne semblent cependant pas être confrontées à des difficultés particulières. Toutefois, si de telles difficultés surgissaient, le comité de suivi de l'OCDE pourrait donner une indication générale sur la façon de les surmonter. En attendant, mieux vaut retenir l'approche la plus commune possible à tous les signataires de la convention.

Les amendements 12 et 1, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - En conséquence, l'amendement 3 tombe.

L'article 2, amendé, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 3 bis

M. le Rapporteur - L'amendement 13 rétablit le texte que nous avions adopté en première lecture. Il s'agit d'éviter la centralisation de l'instruction de ces affaires par les tribunaux parisiens.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable. Cette suppression de la compétence nationale de la juridiction parisienne introduite par le Sénat est conforme à la politique résolue que le Gouvernement mène pour professionnaliser la lutte contre la délinquance financière et pour augmenter les moyens des juridictions spécialisées notamment en créant des pôles économiques et financiers.

L'amendement 13, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 bis est ainsi supprimé.

Top Of Page

ART. 4

M. le Rapporteur - L'amendement 14 est de coordination.

L'amendement 14, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 4 bis

M. le Rapporteur - L'amendement 15 supprime la déductibilité des pots de vin. Il s'agit bien, Monsieur Gerin, de rétablir le texte adopté en première lecture, sous réserve d'une modification rédactionnelle.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. Charles de Courson - Selon son exposé des motifs, cet amendement fait coïncider la fin de la déductibilité fiscale avec l'entrée en vigueur de la convention, pour les commissions illégales comme pour celles qui seraient légales. Comment justifier que ces deux types de commissions soient traités de la même façon ? Pourquoi refuser la déductibilité des commissions légales ?

M. le Rapporteur - Vous êtes trop fin fiscaliste pour ignorer qu'actuellement quantité de charges légales ne sont pas déductibles. C'est le cas, par exemple, de l'amortissement des voitures de plus de 120 000 F.

Bref, les commissions illégales ne sont évidemment pas déductibles et, s'agissant des commissions légales, il n'y a aucune raison pour qu'elles soient déductibles.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 bis est ainsi rédigé.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

VALIDATION LÉGISLATIVE -procédure d'examen simplifiée-

L'ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, de la proposition de loi de M. André Gerin relative à la validation législative d'un examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant des services extérieurs de l'administration pénitentiaire.

M. André Gerin, rapporteur de la commission des lois - Après avoir été alerté par des représentants de syndicats de personnel de surveillance sur les conséquences sociales et humaines qu'aurait l'annulation par les tribunaux de l'examen professionnel de 1992 pour le grade de premier surveillant, j'ai déposé, le 22 décembre 1999, une proposition de loi pour valider cet examen. Il s'agit de réparer un préjudice moral, et d'éviter des conséquences humaines disproportionnées par rapport aux faits incriminés. 181 agents sont concernés et, dans certains cas, leurs veuves.

Il n'y a rien à redire au travail de la justice qui a constaté des erreurs de forme dans l'organisation de l'examen, mais on peut, une nouvelle fois, déplorer la lenteur des procédures judiciaires puisque neuf ans se sont écoulés depuis cet examen !

Bref, le législateur doit réparer une faute de l'administration pénitentiaire, comme il l'a déjà fait récemment pour un examen de 1997 !

Je vous demande donc de valider cet examen au nom de l'intérêt général. Il serait surréaliste de refaire passer un concours à ces personnels, de procéder à des rétrogradations et de revoir les traitements ou pensions de réversion des agents décédés depuis lors. Cette validation tend donc à éviter de créer des situations aberrantes.

Cela dit, Madame la Garde des Sceaux, comment l'administration pénitentiaire peut-elle commettre de telles erreurs ? Il est indispensable de tirer les enseignements de cette affaire. Certes, un décret de 1993 a transformé les examens d'accès au grade de premier surveillant en concours pour en améliorer les modalités, mais ce n'est apparemment pas suffisant puisque les parlementaires ont du valider un examen de 1997. Sur le plan des principes, il est inadmissible que de tels faits se reproduisent. Je fais confiance à votre opiniâtreté, Madame la Garde des Sceaux, pour y remédier.

Ont-ils donné lieu à des sanctions disciplinaires ?

Au moment où une prise de conscience se fait jour à propos de la situation dans nos prisons, nous devons être justes envers les surveillants de prisons en réparant cette erreur. Nous devons les valoriser tout comme nous devons aider les détenus à se réinsérer.

Pour toutes ces raisons, je demande à l'Assemblée de voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je remercie André Gerin d'avoir pris l'initiative de cette proposition, qui traduit une vigilante attention pour les personnels pénitentiaires. Ce texte apportera à de nombreux agents l'apaisement auxquels ils aspirent après avoir craint une remise en cause de leur situation professionnelle.

Cette proposition de loi a pour objet de valider les promotions de 181 fonctionnaires au grade de premier surveillant de l'administration pénitentiaire.

Ces promotions qui prenaient effet au 1er juillet 1992 et au 1er mars 1993, faisaient suite à l'arrêté ministériel du 10 avril 1992 fixant la liste d'aptitude à l'exercice des fonctions de premier surveillant telle qu'elle avait été établie à l'issue de l'examen professionnel d'accès à ce grade organisé au titre de la session 1991-1992. Elles ont été annulées par deux jugements du tribunal administratif de Paris, confirmés en appel le 4 juin 1998. Ainsi, le déroulement de carrière des intéressés au cours des six années antérieures a été remis en cause.

Le premier motif d'annulation tenait à la désignation de certains examinateurs en dehors des membres du jury. Un arrêté ministériel du 20 janvier 1978 autorisait alors le président du jury à faire appel à d'autres examinateurs, participant aux épreuves de sélection dans les mêmes conditions que les membres du jury. Le recours à des compétences extérieures paraissait nécessaire à la bonne organisation des épreuves. Cet arrêté a naturellement été invalidé, et mes services en ont tiré toutes les conséquences.

Le second motif tenait à l'absence de mention au procès-verbal des délibérations d'une péréquation des notes, erreur purement formelle, car la péréquation a bien eu lieu.

Le concours n'a donc été entaché d'aucune fraude portant atteinte à l'égalité entre les candidats, alors que les conséquences pour les agents sont d'une gravité très disproportionnée.

181 agents sont en effet directement concernés par l'invalidation de l'examen qui leur a permis d'accéder aux fonctions de premier surveillant, certains ayant depuis pris des grades supplémentaires. D'autres ont été admis à la retraite et l'annulation de leur nomination remettrait en cause le montant de leur pension. Il faut aussi penser aux ayants droit de deux agents décédés.

En outre, la promotion des agents concernés a induit de nouveaux recrutements et des mutations en vue de combler les vacances. Ces personnels pourraient également voir leur situation remise en cause si l'administration procédait aux rétrogradations des 181 agents.

Enfin, certains des agents dont la promotion a été annulée ont siégé à la commission administrative paritaire du corps de gradés et surveillants chargée d'émettre des avis sur la carrière des membres de ce corps. Cette circonstance pourrait être la cause de contestations de la validité de ces avis, et c'est la régularité de plus de 3 000 décisions individuelles qui pourrait se trouver ainsi mise en cause. La validation législative est ici l'unique moyen de ne pas s'engager dans un processus impossible.

Je comprends les interrogations exprimées en commission, en particulier par la présidente Catherine Tasca : la validation législative a pour objet de pallier les effets d'un dysfonctionnement, qu'il eût été bien préférable d'éviter.

Mes services ont été sensibilisés à l'obligation d'éviter le renouvellement d'une telle situation.

Pour autant, peut-on faire supporter les conséquences d'une erreur, si regrettable soit-elle, à des fonctionnaires qui lui sont totalement étrangers ? Votre commission ne l'a pas voulu et je l'en remercie.

Cette validation législative est-elle juridiquement possible ? M. Gerin s'est exprimé sur ce point.

Le juge constitutionnel subordonne la constitutionnalité d'une loi de validation d'actes administratifs, d'une part, à sa justification par des nécessités d'intérêt général, d'autre part, à son caractère préventif. Or, n'est-il pas conforme aux nécessités d'intérêt général de ne pas remettre en cause 3 000 décisions individuelles ?

Il serait également incompréhensible de dire aux 181 fonctionnaires reçus à un examen il y a maintenant 8 ans qu'on va les replacer, sans aucune faute de leur part, dans leur situation antérieure.

Il serait tout aussi contraire à l'intérêt général de dire à d'autres, beaucoup plus nombreux, que leur parcours professionnel accompli depuis 1993 devrait être mis entre parenthèses.

La proposition de loi présente également un caractère préventif.

Une loi de validation ne peut, sans violer le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, remettre en cause une décision de justice passée en force de chose jugée. Or la proposition n'a nullement cet objet.

En effet, à la suite de la confirmation en appel des deux jugements du tribunal administratif de Paris, certains agents ont formé tierce opposition aux arrêts confirmatifs les concernant et qui avaient été rendus dans des instances auxquelles ils n'avaient été ni présents ni représentés.

Les arrêts n'ayant pas été signifiés à l'ensemble des agents, ceux qui n'ont pas formé tierce opposition à ce jour sont encore en droit de le faire.

De tels recours qui ont pour objet de faire rejuger l'affaire au fond ont également pour conséquence que la décision de justice contre laquelle ils sont formés ne passe en force de chose jugée vis à vis des tiers opposants qu'à compter du rejet éventuel de la tierce opposition, laquelle n'a pas été purgée à ce jour.

Voilà pourquoi j'estime justifiée en opportunité et régulière en droit la proposition de validation et je remercie M. Gerin pour son attention à l'égard des personnels de l'administration pénitentiaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau - Le rôle du Parlement a évolué. La récente péripétie de la cagnotte a mis en lumière les faibles moyens dont nous disposons pour exercer notre mission, et le peu de cas qui est fait de la Représentation nationale. Le projet de codification par ordonnance est également symbolique de notre dessaisissement.

On a donc trouvé une nouvelle tâche pour le Parlement : valider des examens professionnels ou universitaires. Tout récemment nous avons été saisis de la validation de l'examen de première année de médecine à l'université de Montpellier.

Normalement, une validation doit être motivée par un impératif d'intérêt général, notion juridiquement indéterminée.

L'annulation du concours de surveillant satisfait, nous dit-on, à cet impératif, puisque son annulation aurait des effets disproportionnés par rapport aux erreurs matérielles commises. C'est vrai. Mais on en vient ainsi à compromettre la séparation des pouvoirs et à mettre en cause la décision d'une juridiction souveraine. Ce type de proposition ne connaît pas de limite. A partir du moment, et Rousseau doit se retourner dans sa tombe, où l'on considère l'intérêt général comme l'addition d'intérêts individuels, tout est possible.

Cette validation ne doit pas fournir un prétexte pour exonérer de responsabilité et donc d'éventuelles sanctions, le directeur alors responsable de l'administration pénitentiaire et les fonctionnaires responsables de l'organisation de ce concours.

Nous sommes très partagés entre l'intérêt des personnels et les principes généraux du droit. Comme nous ne voulons pas voter contre, nous nous abstiendrons.

Mme Nicole Feidt - La validation est une démarche exceptionnelle. Comment en sommes-nous arrivés là ? Il s'agit du constat par la justice d'erreurs de l'administration, sans du reste qu'aucun principe fondamental ait été violé.

L'annulation de l'examen ne peut pas changer les états de services des agents en cause. Nous avons donc l'impérieuse mission de répondre à cette situation, dans le souci de l'intérêt général, et aussi de celui des agents, qui ne sont en rien responsables des dysfonctionnements constatés. Si nous déplorons cette mauvaise organisation, reste que 181 agents ont réussi leur examen, et qu'en l'absence de validation législative, ils pourraient être rétrogradés alors qu'ils ont une situation statutaire acquise depuis bientôt dix ans. L'annulation entraînerait la nullité des décisions prises par ces premiers surveillants depuis 1991, ce qui créerait plus de désordre que la validation elle-même. 3 000 agents de l'administration pénitentiaire seraient en outre concernés par la révision de la grille d'avancement.

Dans ces conditions, la voie législative est la seule possible, et c'est pourquoi le groupe socialiste votera la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Warsmann - Le groupe RPR votera pour le texte, qui est totalement justifié en équité, mais seulement en équité. Il ne serait pas admissible de remettre en cause la situation et la carrière d'agents après huit ans. Mais deux problèmes de fond se posent. Le premier est celui de la responsabilité des fonctionnaires qui ont commis ces fautes. Madame la Garde des Sceaux, vous n'avez pas répondu à l'interpellation portée sur ce point par la présidente de la commission et par le rapporteur. Quelles recherches en responsabilités allez-vous conduire ? Le dommage est réel pour les agents concernés, et le coût de cette erreur est également lourd pour les finances publiques en raison du travail qu'elle impose au Parlement.

Se pose également un problème général de droit.

En cette affaire, il n'y a pas eu, chacun en est convenu, d'irrégularité de fond, mais seulement une irrégularité de forme, sans conséquence sur la sincérité du concours ni sur les droits des personnes. Voilà qui doit nous interpeller, car il est assez fréquent qu'une simple erreur de forme soit cause d'un déni de droit, comme en matière fiscale, où certains contribuables se voient refuser des avantages pour lesquels ils remplissent toutes les conditions, y compris de délai, au motif qu'ils ont omis une petite formalité.

Enfin, nous devons également réfléchir aux conséquences de notre action de législateur : chaque fois que nous allons trop loin dans la précision, par exemple dans l'examen du texte sur la parité, nous multiplions les motifs d'annulation. Que n'en tirons-nous les leçons !

MM. Dominique Bussereau et Pierre Morange - Très bien !

M. Emile Blessig - Je m'émeus, comme chacun, du sort de ces 180 fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, suspendu depuis de longues années aux conséquences d'une irrégularité de forme. J'accorde à M. Warsmann que la loi doit être aussi simple que possible, mais c'est justement le métier des fonctionnaires que de l'appliquer telle qu'elle est, et prétendre que la forme ne compte pas est aller au-devant de bien des difficultés d'un autre ordre. Un vieil adage, cher aux juristes, dit que « la forme n'est rien, mais rien n'est sans forme » (Sourires). Enfin, il faut souligner que le concours incriminé date de 1992, et son annulation de 1998 ! Il y a indubitablement eu carence de la juridiction administrative.

Le groupe UDF votera, bien entendu, la proposition de loi.

La discussion générale est close.

Mme la Garde des Sceaux - Puisqu'on me demande de prendre des sanctions, je répondrai simplement que l'erreur a été rendue possible par un arrêté de janvier 1978, que le directeur de l'administration pénitentiaire de 1992 n'a fait qu'appliquer. Quant à son prédécesseur de 1978, il est mort.

M. Jean-Luc Warsmann - Je suis choqué, et je ne crois pas être le seul dans l'hémicycle, que vous écartiez ma question avec un argument de cette nature, car je n'entendais pas m'en prendre à cette personne en particulier. Je souligne, en outre, qu'une seconde erreur a été commise, qui pouvait, elle, être évitée : la non-mention, au procès-verbal, d'une péréquation. Je souhaite que vous en recherchiez les responsabilités et que vous nous teniez au courant.

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale