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Session ordinaire de 1999-2000 - 80ème jour de séance, 189ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 3 MAI 2000

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

Sommaire

          VOTE DES ÉTRANGERS (suite) 2

          MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 16

          ARTICLE UNIQUE 25

          APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 31

          EXPLICATIONS DE VOTE 31

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

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      VOTE DES ÉTRANGERS (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à compléter l'article 3 et à supprimer l'article 88-3 de la Constitution et relative au droit de vote et à l'éligibilité des résidents étrangers pour les élections aux conseils des collectivités territoriales.

M. le Président - Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion générale.

M. Christian Estrosi - C'est désormais un rituel : depuis la proposition n° 80 du candidat Mitterrand en 1981, à la veille de chaque élection, vous sortez de votre chapeau un texte proposant le vote et l'éligibilité des résidents étrangers.

Au cours des sept derniers mois, pas moins de quatre propositions sur ce thème ont été présentées par votre majorité plurielle. Vous auriez pu commencer ce siècle en perdant vos mauvaises habitudes...

En décembre dernier, le Premier ministre, plein de bonnes intentions, se refusait pourtant à « jouer » avec ce sujet, « qui n'était pas mûr dans l'opinion ».

Hélas, les vieux démons mitterrandiens sont revenus : après le retour des éléphants des deux septennats précédents dans le nouveau Gouvernement, voici le retour des mêmes méthodes cyniques. M. Jospin a levé son veto au prix de quelques marchandages peu glorieux. Pokemon politique : au lieu d'échanger des images, vous échangez des votes à l'intérieur de la gauche plurielle. Et le plus choquant, le plus méprisant pour les personnes concernées, ce sont les termes de l'échange : la peau de l'ours slovène des Pyrénées contre le vote des résidents non communautaires...

Depuis vingt ans, vous agitez sans scrupules le chiffon rouge du droit de vote pour faire le jeu de l'extrême droite, les manifestations devant l'Assemblée l'ont encore montré. Vraiment, l'extrême droite ne pouvait pas mieux choisir son agenda de communication.

Par des arguments fallacieux, vous tentez de faire croire que les idées de nation et de citoyenneté sont dépassées. Vous prétendez que, désormais, la citoyenneté est mondiale, et vous vous fondez pour cela sur l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Certes, mais le préambule ne fait naturellement pas référence au gouvernement français mais à l'ensemble des gouvernements.

Quant à l'article 3, s'il fait bien référence à la souveraineté, « qui réside dans la nation », la nation française, contrairement à ce que vous prétendez, n'est pas une entité abstraite. Elle s'est forgée au cours des siècles sur la base d'une histoire commune et d'un avenir partagé.

Vous invoquez aussi, bien sûr, la prétendue inégalité entre les ressortissants de l'Union européenne et les ressortissants non communautaires. Mais vous niez ainsi les acquis des cinquante dernières années : la construction européenne et son aboutissement, l'émergence d'une citoyenneté européenne. C'est pourtant cette évolution que nous avons consacrée dans notre Constitution.

Un ressortissant communautaire n'est pas dans la même situation juridique qu'un résident non communautaire. Vous ne pouvez avoir soutenu hier que le vote des citoyens des pays de l'Union marquait une avancée vers la construction européenne et crier aujourd'hui à l'injustice. Mais vous nous avez trop habitués à dire tout et son contraire, pour que nous puissions en rire.

Qui plus est, cette proposition me paraît une hérésie constitutionnelle.

En prétendant qu'avec la citoyenneté européenne, c'est le couple citoyen-nation qui s'effondre, vous oubliez qu'aux termes de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, le droit de vote pour les citoyens européens ne fut accordé que sous réserve de réciprocité, clause que ne comporte nullement votre texte. En outre, ce droit de vote n'a été accordé que dans le cadre du traité, non dans l'absolu. Si le traité était dénoncé, ce droit de vote, étroitement lié à l'engagement européen de notre pays, tomberait immédiatement.

Même si la proposition qui nous est soumise diffère du texte initial, sur le fond, rien n'a vraiment changé.

Notre pays est un pays unitaire. La souveraineté est une et indivisible, elle est celle de la nation, incarnée par l'Etat. Elle ne se subdivise pas et il ne peut y avoir de souveraineté locale. Ne confondez donc pas souveraineté et organisation administrative. Pour nous, le vote ne peut être dissocié de la nationalité.

Le vote des étrangers ne trouvera ni justification ni légitimité dans le principe d'égalité que vous invoquez. La volonté populaire, la souveraineté, sur laquelle se bâtit une communauté nationale, n'est ni un pur produit de la pensée, ni une construction intellectuelle. Elle se construit, elle se vérifie dans les épreuves les plus difficiles de notre histoire.

Comment imaginer que des pays, souvent très éloignés de la démocratie, puissent disposer demain, par l'intermédiaire de leurs ressortissants résidant en France, d'un puissant moyen de pression sur notre pays ? Rappelons-nous la mobilisation derrière l'Irak qu'à entraînée la guerre du Golfe, un peu partout dans le monde, parmi les ressortissants de plusieurs pays du Proche et du Moyen-Orient. Imaginons ce qui se serait passé s'ils avaient eu le droit de vote en France.

La France ne peut, ne doit subir aucune pression de l'extérieur ou de l'intérieur. Il en va de sa survie. Il en va de notre crédibilité.

Comment imaginer également qu'un criminel, privé de ses droits dans son pays d'origine, mais inconnu de nos services de police, puisse exercer une prérogative aussi fondamentale que le droit de vote ?

Cela n'a rien à voir avec le nationalisme. Notre pays a toujours été une terre d'accueil, d'ouverture. Nous devons en être fiers et tout faire pour que cette exception demeure, dans toute sa richesse. Mais il faut cesser d'établir un corollaire entre les droits sociaux, dont bénéficient les résidents, et le droit de vote.

M. Thierry Mariani - Absolument !

M. Christian Estrosi - Vous prétendez que l'opinion publique est favorable à votre proposition. Cessez donc de confondre l'opinion médiatique, qui réagit dans l'instant, par passion, et l'expression citoyenne, qui suppose un choix durable, qui ne peut s'exprimer que par le suffrage universel.

Voter, c'est exercer un droit acquis par les sacrifices, les luttes, les souffrances des hommes qui nous ont précédés dans l'histoire. C'est un droit longtemps attendu par les femmes et célébré par le vote de jeunes électeurs, au nombre desquels figurent tous ceux dont les parents, ressortissants non communautaires, sont fiers que leurs enfants nés en France aient manifesté ainsi leur volonté d'être les premiers citoyens français de leur famille.

« On n'a pas le droit de donner à manger du faux à ceux qui cherchent un enracinement », écrivait Simone Weil. Ne leur donnez donc pas de faux espoirs !

Une démarche aussi démagogique est inutile et intolérable, elle nuit à notre démocratie. C'est pourquoi le groupe RPR s'y opposera avec force (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Birsinger - Le groupe communiste est particulièrement fier d'avoir contribué à l'inscription du droit de vote des étrangers, pour la première fois, à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il reste certes bien des obstacles, mais nous approchons du but. Les députés communistes, les militants communistes dans tout le pays sont partie prenante de ce combat pour que le droit de vote soit possible dès 2001. Dès le mois d'octobre, notre groupe, en présence des acteurs de la pétition « Même sol, mêmes droits, même voix », présentait la première proposition de loi de cette législature. Certains présentent notre débat d'aujourd'hui comme symbolique. Il est plus que cela. Nous le voulons utile et efficace. L'enjeu est élevé puisqu'il s'agit de permettre à plus de deux millions de femmes et d'hommes -c'est le nombre des ressortissants étrangers non communautaires qui ont une carte de résident- de voter, c'est-à-dire d'exercer un droit politique essentiel.

M. Thierry Mariani - Et les sans-papiers, ils ne peuvent pas voter ?

M. Bernard Birsinger - J'en parlerai. Notre engagement auprès des étrangers résidant en France ne date pas d'aujourd'hui. Le droit de vote figurait dans notre programme dès 1923 (Rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Les députés communistes ont déposé une proposition de loi en ce sens en 1988. Mais auparavant il y a eu la Résistance, les guerres d'indépendance...

M. Thierry Mariani - Le soutien à Staline, le pacte germano-soviétique, le Goulag...

M. Bernard Birsinger - Il y a eu les luttes pour conquérir avec les immigrés des droits sociaux et civiques qui apparaissent aujourd'hui élémentaires, comme le droit d'être délégué du personnel, obtenu en 1972, celui d'être président d'une association 1901, membre du conseil d'administration d'un office HLM ou d'une caisse de la sécurité sociale, avancées obtenues en 1982, ou encore d'être représentants de parents d'élèves en 1985. Je veux aussi rappeler la part prise par les communistes dans les luttes pour le droit au regroupement familial ou plus récemment pour les sans-papiers. Enfin, par de multiples initiatives, nous sommes partie prenante de la dynamique nouvelle créée dans le pays autour de la présente proposition. Permettez-moi donc d'exprimer notre immense satisfaction de voir combien les choses ont bougé depuis un an, combien ces six derniers mois une dynamique s'est accélérée, jusqu'à devenir suffisamment décisive pour se concrétiser par ce débat historique. Je rends hommage à tous ces citoyens, ces militants, ces associations qui ont su faire grandir l'exigence du droit de vote des étrangers et qui auront contribué à donner à notre société la maturité et la force de mettre enfin à l'ordre du jour cette réforme de progrès.

Que de chemin parcouru depuis la constitution des collectifs « Même sol, Mêmes droits, Même voix » et leur appel aux maires de France, relayé en août dernier par mon ami Michel Beaumale, maire de Stains ! Ce n'est pas un hasard si ce mouvement est plus particulièrement sensible en Seine-Saint-Denis : sur cette terre d'accueil, nous savons l'apport de l'immigration à la vie de notre société. Dans ma ville de Bobigny, plus d'un habitant sur cinq est étranger. Mais nous construisons notre projet de ville avec tous ceux qui vivent ici : ceux qui ont participé à la construction de notre cité, comme ceux qui viennent de s'y installer ; ceux qui sont engagés dans des associations, ceux qui font vivre le commerce local, ceux qui travaillent dans nos entreprises et ceux qui n'y travaillent pas. Bref, avec tous les balbyniens, sans distinction de nationalité.

M. Rudy Salles - Cela change des bulldozers.

M. Bernard Birsinger - Nous entendons que personne ne soit étranger à sa ville, que « tous soient de sa vie ». Et il me paraît injuste qu'une partie des habitants soit exclue du droit de désigner l'assemblée communale, de la possibilité d'y être élue.

Bien entendu, cette démarche démocratique ne peut que heurter ceux qui se sont toujours opposés à l'obtention de nouveaux droits et défendent une conception ancienne de la politique. Aussi, Mesdames et Messieurs de l'opposition, je ne saurais que vous conseiller de savoir écouter, de savoir entendre. Sachez entendre notre France d'aujourd'hui. Ces jeunes qui sont nés et ont grandi ici, ne peuvent admettre que leurs parents n'aient jamais eu la possibilité de voter. Ces derniers viennent pour l'essentiel d'anciennes colonies de la France. Le droit de vote, c'est aussi une manière de guérir une mémoire blessée. Sachez entendre cette France qui gagne dès lors qu'elle sait tirer profit de son métissage. Notre pays a changé : il s'est enrichi de citoyens venus de toute la planète et qui ont contribué à son développement, à son rayonnement, à son énergie associative et citoyenne.

Sachez entendre ce qui a bougé dans notre pays. Notre société est aujourd'hui capable d'aborder les questions liées à l'immigration et aux droits des étrangers, et une majorité de nos concitoyens est aujourd'hui favorable au droit de vote des étrangers.

M. Thierry Mariani - C'est vous qui le dites !

M. Bernard Birsinger - Sachez entendre certains de vos collègues de droite, souvent maires de grandes villes, qui ont déjà pris position en faveur du droit de vote des étrangers. Écoutez Raymond Barre, Jean-Louis Borloo, Anne-Marie Idrac, Maurice Leroy, qui rappelle que le FN a implosé et qu'il n'y a « pas de risque de dérouler le tapis rouge devant lui », ou encore Gilles de Robien, qui vous invite « à ne pas marcher indéfiniment à reculons de l'histoire ». Sachez aussi entendre les propos tenus par l'un des vôtres en 1977 devenu depuis lors Président de la République, même s'il nous a habitués à des revirements spectaculaires (« Certes ! » sur les bancs du groupe communiste). Sachez entendre tout cela pour avancer sur le vrai débat, qui porte sur la conception que l'on se fait des droits humains.

M. Jean-Antoine Leonetti - Du goulag aux droits de l'homme !

M. Bernard Birsinger - Pour moi ces droits sont inhérents à la personne humaine, où qu'elle se trouve. C'est la signification de l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». Mon combat de communiste, c'est de donner vie à tous ces droits humains, à ces valeurs, énoncées universellement à certains moments particuliers de notre histoire.

Certains veulent établir un lien intangible entre nationalité et citoyenneté. Je leur rappelle au passage combien sont nombreux les obstacles législatifs et administratifs qui se dressent devant les candidats à la naturalisation. Mais je soulignerai aussi que nos valeurs nous commandent d'asseoir la citoyenneté et la liberté sur le principe de résidence. A ceux qui agitent la préférence nationale, j'oppose la préférence de citoyenneté. J'y vois non seulement l'héritage du droit du sol énoncé par la Révolution française, mais aussi le pilier d'une conception moderne de la politique. Il s'agit de conférer à chacun tous les droits inhérents à la personne humaine, là où il se trouve. L'histoire de notre République ne s'est pas écrite d'abord par des institutions : c'est d'abord un mouvement, un projet, une valeur. C'est cela qui fonde la modernité.

C'est pourquoi nous n'approuvons pas l'idée de lier le droit de vote des étrangers à la réciprocité. Nous ne pouvons attendre que la démocratie règne partout dans le monde pour permettre à tous d'être citoyen ici.

M. Thierry Mariani - Ils ont attendu longtemps, en Russie...

M. Bernard Birsinger - En retour, comme me le confiait récemment un Malien résident, participer ici aux scrutins ne serait pas sans conséquence sur la démocratie de leurs pays. Ma conception de la citoyenneté en France et en Europe n'est pas une conception fermée, comme une citadelle : c'est une conception ouverte, universelle.

Je pense donc qu'il faudra aller plus loin et envisager le droit de vote et l'éligibilité pour toutes les élections locales et pour l'élection européenne. Cela implique un grand débat sur les notions de citoyenneté et de nationalité, débat que la mondialisation rend urgent. Les marchés boursiers, les flux des capitaux, les opérations de concentration empêchent cette mondialisation de développer toutes ses potentialités. Nous devons y opposer une autre mondialisation, celle d'une planète solidaire. Il en va ainsi des questions de citoyenneté. Notre pays peut et doit participer de la dynamique vers une citoyenneté de résidence qui permette à chacun, sans distinction de nationalité, de bénéficier de tous les droits citoyens au sein de la communauté humaine dont il partage la vie pour un temps. Cela implique une conception moderne de la nation, qui s'enrichit des différences de ses membres. D'ailleurs, un récent rapport de l'ONU indique que d'ici une vingtaine d'années, nous aurons besoin de faire venir des dizaines de millions de salariés supplémentaires, ce qui n'est sûrement pas étranger aux déclarations de M. Juppé.

Ces individus seront-ils tenus comme de la simple main-d'_uvre, ou nous préparerons-nous dès maintenant à leur permettre d'être pleinement citoyens ?

Notre pays a du mal à sortir d'un débat sur l'immigration comme « problème », abordé en terme de police et de sécurité. Même si les choses ont progressé avec l'arrivée de la gauche au Gouvernement, à preuve ce débat, sur de nombreuses questions nous sommes restés au milieu du gué. Je pense aux sans-papiers, au fait que les lois Pasqua et Debré ne sont pas abrogées, ou encore à l'application a minima du droit de vote des étrangers communautaires. De même, comme vient de le proposer le groupe d'études sur les discriminations, il faudra s'interroger sur le fait que les étrangers soient exclus dans notre pays de 30 % des emplois, je veux parler des 7 millions d'emplois dans les trois fonctions publiques, les services et les établissements publics. Le Gouvernement a fait une priorité du combat contre les discriminations fondées sur la couleur de la peau ou la consonance du nom. Notre débat d'aujourd'hui permettra aussi à ces questions de progresser. Faire reculer le racisme, la xénophobie nécessite un combat sans concession. Le droit de vote des étrangers nous aide pour faire reculer la haine de l'autre. Vous pouvez compter sur les communistes pour être de tous ces chantiers, comme nous avons été aux côtés des étrangers pour conquérir des droits sociaux nouveaux, qui apparaissent aujourd'hui comme élémentaires.

Ce combat pour l'égalité connaît aujourd'hui un moment essentiel. Il s'agit de permettre aux étrangers non communautaires de voter dès les prochaines élections municipales. C'est cette demande, formulée par les associations, qui est efficace, et permet de rassembler la gauche. C'est un formidable point d'appui pour aller plus loin dans le sens de la démocratie.

D'ailleurs, sur le droit de vote des étrangers, la France est en retard sur de nombreux pays de l'Union européenne : onze l'ont déjà adopté. A deux mois de la présidence française, l'occasion nous est donnée de faire un acte politique fort, qui éclaire la dimensions citoyenne que notre pays entend donner à l'Europe. Le Parlement européen a d'ailleurs balisé à deux reprises le chemin à suivre en appelant les pays membres à accorder aux résidents le droit de vote aux élections locales.

Pour revenir au débat national, le tableau est clair : les Français favorables au vote des étrangers sont passés de 32 % à 52 % en cinq ans. 73 % des jeunes y sont favorables. Il faut répondre à cette attente et faire que le droit de vote des étrangers soit effectif dès les municipales de 2001. Cela implique que le Gouvernement l'inscrive à l'ordre du jour du Sénat. Je ne méconnais pas les obstacles institutionnels. Mais la question est d'abord politique. Il n'est au pouvoir de personne, même des sénateurs les plus récalcitrants devant les avancées de la société, d'ignorer la volonté populaire et surtout la volonté de la jeunesse. Celle-ci s'est exprimée avec force ces derniers mois et certains discours à gauche ont bien évolué pour arriver au vote qu'émettra aujourd'hui la majorité plurielle rassemblée. Ce rassemblement, le groupe communiste y a contribué de manière décisive en s'adressant à tous les groupes de la majorité avant la tenue de la commission des lois afin d'aller ensemble à cette bataille. Cette volonté unitaire pourra s'exprimer le 27 mai à l'occasion d'une manifestation nationale. Ne pas semer des illusions ne veut pas dire faiblir dans nos efforts. Ne décidons pas a priori de la capacité ou non du mouvement populaire à faire bouger les choses d'ici 2001.

Je terminerai en parlant du droit de vote des femmes. Pour faire avancer cette cause, en 1935, des maires communistes, dont celui de Bobigny ont eu le courage de mettre sur leur liste des femmes qui alors ne votaient pas et n'étaient pas éligibles. Si les choses ne se concrétisaient pas d'ici les municipales de 2001, je veux ici lancer un appel, avec d'autres maires de tous les bords politiques, à copier nos aînés et à mettre sur nos listes des étrangers non communautaires.

Le combat pour le droit de vote des étrangers est un long chemin mais il nous est aujourd'hui donné d'y poser une borne historique (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Albertini - La question du droit de vote des étrangers, même limité aux élections locales, est un sujet sérieux et même grave. J'essaierai donc de le traiter en évitant deux écueils : la démagogie, qui fait appel à l'émotivité et aux sentiments ; le parti pris, celui du refus de discuter, de dialoguer en vertu de préjugés et d'idées préconçues.

Dans les différentes propositions et dans le rapport relatif à celle que nous examinons ce soir, j'ai trouvé leur argumentation généreuse expliquant que le droit de vote est un levier d'intégration, propre à améliorer la situation matérielle des étrangers. Cependant, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, je ne suis pas certain que l'intention initiale aboutisse à des conclusions fondées

Trois questions clefs doivent être posées. Je me garderai d'appliquer cette définition qu'Althusser donnait de l'idéologie : « L'idéologie, c'est quand on fait précéder les questions par les réponses ».

Premièrement, qu'est-ce que la citoyenneté ? C'est d'abord l'adhésion à certaines valeurs, la reconnaissance d'institutions et d'hommes qui les incarnent, le partage d'une histoire commune et l'adhésion à un avenir partagé collectif. Or, la France présente sur ce plan une particularité : la citoyenneté s'y est largement construite autour de l'Etat-Nation. C'est une réalité historique, sociologique, symbolique que même la construction européenne ne fera pas disparaître. La citoyenneté européenne est de complément, d'addition. Citoyenneté et nationalité ayant toujours fait bloc, il convient de ne pas donner le droit de vote, même pour les seules élections municipales, aux étrangers car cela porterait atteinte à un des principes fondateurs de la République. Le Haut conseil de l'intégration disait, en 1993, que ce serait incompatible avec notre conception de la nationalité et de la citoyenneté.

Deuxièmement, que signifie l'intégration ? Qu'implique-t-elle ? C'est un processus lent et progressif fondé sur un principe d'égalité. C'est aussi le sentiment d'appartenir à un ensemble solidaire, ce qui comporte des droits assortis de devoirs qui en sont le pendant. L'intégration n'implique automatiquement ni l'octroi du droit de vote, ni l'acquisition de la nationalité française, qui reste un choix ultime, personnel. Ce modèle français d'intégration, cité en exemple dans le monde entier dans les années 70, connaît aujourd'hui des difficultés, dues en partie à la crise économique mais aussi aux facteurs qui ont transformé l'immigration dans son origine et qui ont conduit les immigrés à être regroupés dans des territoires. Leur concentration rend la solution du problème beaucoup plus complexe. Tous les démographes et sociologues le disent : l'obstacle majeur à l'intégration ne réside pas dans les différences religieuses, mais dans la conception et la structure de la famille, dans le statut de la femme, dans la conception du mariage (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Relisez donc Michèle Tribalat ou les travaux de l'INED ! Tirez donc un bilan objectif des échecs récents. Votre approche est trop strictement juridique.

Troisièmement : que souhaitent prioritairement les étrangers qui vivent en France ? Ils viennent chez nous pour trois motifs principaux : la volonté de travailler, le regroupement familial, le désir de fuir un pays où ils rencontrent des difficultés. Les réfugiés, qui viennent chez nous pour ce troisième motif, conservent un lien très fort avec leur pays d'origine. Mais tous ont une revendication commune : être respectés en tant qu'hommes, avoir des conditions de vie décentes. Les droits de l'homme, concept universel, et le droit de vote sont deux notions différentes. Certains immigrés continuent d'exercer leurs droits de vote dans leur pays d'origine, cela est à respecter. D'autres s'intègrent. Une minorité enfin qui le souhaite boucle son parcours avec l'acquisition de la nationalité française assortie de tous les attributs politiques qui s'y attachent. En matière de naturalisation et d'acquisition de la nationalité, notre procédure est beaucoup plus libérale que celle d'autres pays : on a dénombré environ 105 000 naturalisations en 1998 et 115 000 en 1997. La présente proposition de loi constitutionnelle est à la fois systématique, car elle traite tous les étrangers de la même manière, qu'ils soient européens ou non, et réductrice, car elle ne leur accorde qu'un droit de vote limité, tronqué.

Les deux priorités pour le groupe UDF sont d'abord de renforcer le socle fragile de la démocratie. Ne jouons pas les apprentis sorciers. Ce n'est pas parce que M. Le Pen a une stratégie suicidaire que les sentiments auxquels il fait appel ont disparu. La xénophobie est un mal récurrent dans notre pays, qui a connu un antisémitisme de gauche comme de droite. Nous voulons ensuite une politique d'immigration plus sélective en amont et plus généreuse pour les étrangers qui vivent dans notre pays. Disant cela, j'ai le sentiment d'être en accord avec ce que M. Raymond Barre a déclaré sur LCI.

Voilà pourquoi le groupe UDF rejettera cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Pascal Clément - N'est-il pas étonnant d'examiner un texte virtuel, qui ne pourra être voté par le Sénat...

M. Kofi Yamgnane - Pourquoi ?

M. Pascal Clément - Nous savons d'avance que le Sénat n'en voudra pas pour des raisons fondamentales.

M. Thierry Mariani - Vous ne l'inscrirez même pas à son ordre du jour !

M. Pascal Clément - Et quand bien même, les Français n'en voudraient pas s'il leur était soumis par référendum, ce qui serait inévitable.

Bref, il s'agit de faire discuter l'Assemblée seule sur un sujet qui ne débouchera sur aucune disposition législative.

Il y a donc une raison politique qui vous pousse à agir ainsi. Si elle est politique, je la crois dangereuse. Certes, il est de bon ton, à gauche, de considérer que M. Le Pen, du fait de la division de son parti, n'a plus aucune chance d'être dangereux, mais si vous considérez qu'il est dangereux par nature, comment osez-vous lui donner la moindre chance de se redresser ? Je ne veux pas croire, naturellement, que les Verts, qui sont à l'origine de la proposition de loi et qui doivent une bonne part de leurs sièges à des triangulaires, jouent à dessein avec le feu... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Virtuel et dangereux, ce texte est, en outre, ambigu. Tous les médias disent en effet la même chose : la majorité propose de faire voter les étrangers aux élections municipales.

M. Bernard Birsinger - Eh oui !

M. Pascal Clément - Or, ce n'est pas cela, qu'il s'agisse de la proposition de loi de M. Mamère ou de la synthèse réalisée par la commission. M. Mamère veut, quant à lui, que des étrangers puissent être élus non seulement conseillers municipaux, maires ou adjoints, mais encore conseillers généraux ou régionaux. Aucun média, à ma connaissance, n'en a fait état : tout le monde fait comme si le texte était déjà amendé, réduit à la synthèse dont je parlais à l'instant, à savoir le droit de vote et d'éligibilité aux seules fonctions de conseiller municipal.

La Lettre de la citoyenneté, feuille confidentielle dont le titre révèle à lui seul la parfaite objectivité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), produit un sondage tendancieux aux termes duquel l'octroi du droit de vote aux étrangers répondrait à une demande qualifiée de « populaire » ou de « sociale ». A supposer même que tel soit le cas, imaginons, ce qui n'est guère difficile, que 5 à 10 % de la population soit, en revanche, viscéralement opposée à une telle mesure : son adoption aurait pour effet, non pas d'améliorer l'intégration des immigrés, mais au contraire de ruiner à nouveau la sérénité d'un débat dont la tournure nous a tous fait souffrir pendant quinze ans.

Enfin, ce texte n'est pas seulement virtuel, dangereux et ambigu, mais encore irréfléchi. Si l'on veut vraiment, et je supposerai que telle est bien l'intention du rapporteur, faciliter et hâter l'intégration des immigrés, il faut traiter ensemble la question de la nationalité et celle du droit de vote aux élections municipales. Claude Goasguen a rappelé, en défendant l'exception d'irrecevabilité, que les pays d'Europe qui accordent ce droit aux résidents étrangers pratiquent un droit de la nationalité tout à fait différent du nôtre. Celui-ci a fait l'objet d'un long débat, que la Constitution, par le Premier ministre de la première cohabitation, d'une commission couvrant un spectre idéologique assez large avait permis de laisser décanter, après quoi, sous la seconde cohabitation, avait été adoptée une loi à laquelle la gauche ne s'était que mollement opposée, et qui constituait, de l'avis général, un bon équilibre : le principe républicain du droit du sol demeurait, mais une manifestation de volonté était exigée pour accéder à cette nationalité enviable qu'est la nationalité française.

Or, quelle est la première chose que vous ayez faite, sitôt revenus au pouvoir ? C'est de démonter cette loi d'équilibre pour revenir à l'acquisition automatique de la nationalité.

M. Kofi Yamgnane - Heureusement !

M. Pascal Clément - Appartenant à une profession à laquelle on accède en prêtant serment, je ne trouve pas anormal que l'on doive prêter serment pour devenir Français, et c'est ce qui nous distingue. Et justement, on pourrait comprendre que ceux qui ne souhaitent pas devenir Français, mais rester Suédois, Algériens ou Kurdes tout en résidant en France, souhaitent néanmoins participer aux élections municipales dans leur pays de résidence. J'aurais même trouvé cela assez équilibré, mais vous faites fi de tout équilibre, préférant distribuer les droits les uns après les autres, avec l'illusion que cela facilitera l'intégration.

Le problème, c'est que l'intégration est, au contraire, de plus en plus difficile. Je partage évidemment la compassion que chacun a éprouvée pour la victime du tragique événement survenu récemment à Lille et pour sa famille, mais je m'élève contre ce droit de représailles que s'est arrogé, dans les jours qui ont suivi, une certaine communauté, qui a pillé, vandalisé, incendié tout un quartier sans que les autorités de la République ne réagissent ni ne semblent juger cela condamnable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Bruno Le Roux - C'est scandaleux !

M. Pascal Clément - Ce qui est scandaleux, c'est de l'avoir laissé faire ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Si je suis totalement opposé à la proposition de loi que vous soutenez, c'est parce qu'elle est la première pierre d'un édifice communautariste. Lorsque vous aurez donné, demain, le droit de vote à une communauté (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), elle ira voter sur des bases communautaristes, qu'il s'agisse des Marocains, des Turcs, des Algériens... (Mêmes mouvements)

M. Bruno Le Roux - Ce sont des fantasmes ! On le connaît, ce discours qui vise les Maghrébins et les Noirs ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - Mon cher collègue, laissez M. Clément s'exprimer !

M. Bruno Le Roux - Oui, mais qu'il arrête de dire n'importe quoi ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - L'orateur a le droit de s'exprimer comme il l'entend, et je vous demande de l'écouter, comme d'autres écoutent ce qu'il ne leur plaît pas forcément d'entendre. Si vous ne respectez pas la discipline de l'Assemblée, je serai contraint de suspendre la séance.

M. Pascal Clément - Je veux, et nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à le vouloir, épargner à notre pays les ravages du communautarisme, qui, comme l'a démontré Christian Jelen dans deux ouvrages que je ne saurais trop vous conseiller de lire, va contre l'intégration républicaine, chère à M. Chevènement - dont l'absence, ce soir, n'est sans doute pas fortuite.

Non, nous ne pouvons accepter cette proposition de loi qui, en accordant droit de vote et éligibilité aux étrangers résidant en France depuis cinq ans, ôte tout intérêt à la naturalisation.

Il faut aussi cinq ans, notons-le, pour devenir français. Dans ces conditions, où est l'encouragement à l'intégration ? Où est la preuve d'attachement à la France ? Ce que vous proposez, c'est le contraire d'aimer la France ! Parce que ce texte est imprudent, ambigu, dangereux, favorisant le communautarisme, le groupe DL ne peut pas l'accepter (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - J'y insiste, je demande à chacun de respecter son temps de parole, et de respecter les orateurs. Sinon, je serai conduit à suspendre, voire à lever la séance !

M. Lionnel Luca - Débattre d'un droit de vote des étrangers aux élections municipales un peu à la sauvette sans qu'il soit réclamé par les intéressés eux-mêmes, 20 ans après une proposition jamais mise en _uvre durant deux septennats est vraiment irréel.

D'autant plus que la majorité accouche d'un texte minimal pour ne pas gêner un gouvernement qui n'a pas osé le présenter lui-même.

Est-ce la bonne méthode pour faire évoluer les esprits et progresser la démocratie ? N'est-ce pas au contraire une provocation gratuite, comme vous y excellez depuis 1981, destinée à provoquer des réactions extrémistes, que vous vous empresserez de condamner ensuite dans un grand élan de sincérité ?

Est-il bien décent, sur un sujet aussi délicat, d'agiter le chiffon rouge, ou vert, au risque de dérader un peu plus la concorde civile ?

Avec cette proposition c'est un élément supplémentaire de l'édifice républicain que vous mettez à bas ; et il est surprenant que ce soit les héritiers soi-disant exclusifs de la Révolution qui le remettent en cause par la technique du « salami », avec successivement l'assouplissement des conditions d'acquisition de la nationalité française, la mise en place de la « discrimination positive » avec les accords de Nouméa, puis avec la loi sur la parité, la remise en cause du mariage républicain par le Pacs, l'élargissement du droit de vote aux citoyens européens dans les élections au Parlement européen et municipales, enfin aujourd'hui l'extension à tous les résidents étrangers après avoir juré qu'on n'irait pas au-delà du traité de Maastricht.

S'il a pu se produire, en de rares circonstances, que le législateur détache la citoyenneté de la nationalité, il a toujours distingué des degrés dans celle-ci. Sur 21 constitutions en deux siècles, 8 ne furent jamais appliquées, dont celle du 24 janvier 1793 à laquelle vous faites référence. C'est bien que la citoyenneté dans la République ne peut s'identifier qu'à la nationalité.

Fonder un droit de vote même limité sur des critères de pure civilité revient à vider de tout contenu l'idée de nationalité. Penser le social dans son immédiateté, détaché de toute inscription culturelle et historique, c'est nier l'existence d'une société politique distincte de la société civile.

Distinguer entre citoyennetés locale et nationale revient à abolir la notion même de citoyenneté dans sa complexité historique et politique.

Comme le montre le professeur Rosanvallon dans le Sacre du citoyen, « il n'y a pas de citoyen démocratique possible si l'étranger n'est pas pensé politiquement, dans son extériorité vis-à-vis de la cité ».

La nécessaire intégration des étrangers passe soit pas l'assimilation politique par la naturalisation, soit par l'insertion économique et sociale dans la société civile. Il n'y a pas de troisième voie. La citoyenneté comme la nationalité ne se partage pas.

Par le droit de vote, on tente de combler un déficit de civilité parce que l'on n'a pas su régler les problèmes concrets des immigrés. Cette nouvelle tranche de salami en appellera d'autres, jusqu'au droit de vote à toutes les élections.

Le Rassemblement pour la France, attaché aux valeurs républicaines, à la nationalité et à l'acquisition de la naturalisation par engagement volontaire, ne vous suivra pas sur la voie de votre misérable provocation.

Quant aux résidents étrangers, s'ils veulent s'intégrer à la nation française, ils feront comme mon père : pour avoir le droit de vote, ils demanderont la nationalité française (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Marie-Hélène Aubert - Pour une majorité de la population française, désormais, reconnaître le droit de vote pour les élections locales aux étrangers extracommunautaires est juste et va dans le sens de l'histoire, qui est celui d'un élargissement. Ainsi le droit de vote instauré en 1789 a d'abord eu un caractère censitaire. En 1848, il a été accordé à tous les citoyens masculins. En 1945 seulement il a été étendu aux femmes. L'élargir aujourd'hui aux étrangers pour les élections municipales s'inscrit ainsi dans le droit fil de deux cents ans de République. Le rapporteur a rappelé dans quelles conditions la Constitution de 1793 admettait un étranger à l'exercice des droits de citoyen français.

M. Jean-Antoine Leonetti - Elle n'a jamais été appliquée !

Mme Marie-Hélène Aubert - Ainsi cette proposition n'est pas née d'élucubrations d'écologistes empreints de cosmopolitisme et sacrifiant à l'utopie. Si elle est révolutionnaire, c'est qu'elle découle de la démarche des premiers républicains.

Aujourd'hui il s'agit aussi de développer la participation à la vie politique. Comment expliquer à un jeune Français issu de l'immigration qu'il doit voter alors que ses parents n'ont pas le droit à la parole ? Accorder le droit de vote aux étrangers, et donc aussi aux femmes étrangères, participe du processus d'intégration et d'émancipation voulu par le Gouvernement et en particulier par Martine Aubry. C'est aujourd'hui qu'il faut le faire, et pas demain, n'en déplaise à ceux qui s'opposent encore une fois, avec des arguments mille fois ressassés, à toute modernisation de notre vie politique. Cessez de prendre les immigrés en otages dans des luttes partisanes ! Au nom de leur rôle dans la reconstruction de notre pays, accorder le droit de vote à tous les étrangers résidents est un devoir autant qu'un droit. Les responsables politiques doivent écouter les inquiétudes de leurs concitoyens, mais peuvent aussi faire progresser des idées neuves. Pierre Mendès France était un précurseur quand en 1936, à Louviers, il avait fait élire des conseillères municipales.

M. Gérard Hamel - Cela n'a rien à voir !

Mme Marie-Hélène Aubert - C'est la même démarche.

Les étrangers extra-communautaires dénoncent une inégalité avec les étrangers communautaires. Ainsi un Autrichien résident depuis un an peut voter aux élections municipales, alors qu'un ouvrier marocain installé depuis plus de trente ans dans le même village, où il a fait sa vie, n'a aucun droit de regard sur le destin de sa cité. Le droit que nous proposons ne vaudra pas seulement pour les étrangers provenant des anciennes colonies, mais aussi pour les Suisses, les Hongrois, les Turcs...

Même si je me suis réjouie du droit de vote accordé le 8 octobre 1997, nous étions parmi les derniers en Europe à accepter réellement l'existence d'une citoyenneté communautaire pourtant instituée dès 1992 par le traité de Maastricht.

D'autres Etats-membres nous ont montré la voie en accordant le droit de vote aux étrangers pour les élections locales : Pays-Bas, Irlande, Danemark, Suède. Je ne sache pas que leur équilibre en ait été bouleversé.

Contre l'exclusion sociale, nous proposons aussi l'insertion politique. Contre la passivité, nous proposons la citoyenneté participative, qui fait de vous un être reconnu. Le droit de vote n'est certes pas le seul moyen d'être citoyen, mais il est tellement symbolique ! Imaginez-vous les sentiments de qui regarde la retransmission par toutes les chaînes d'une élection dont il a été exclu ? Comment appartenir à une communauté de destin lorsque le plus élémentaire des droits, et à ce titre négligé de plus en plus par les nationaux, demeure inaccessible ? Malgré cela les étrangers, surtout issus de l'immigration, réclament ce droit. Y a-t-il plus belle preuve de citoyenneté ?

Enfin, de plus en plus de jeunes expriment leur attachement à des valeurs universelles et se sentent solidaires de leurs voisins du bout du monde qu'ils rencontrent par les voyages ou sur Internet. Le monde se rétrécit et ces évolutions doivent nous conduire à reconsidérer nos visions de la nation ou de l'Etat. La citoyenneté n'est pas censée être éternellement liée à la nationalité. Il est temps que notre Assemblée retrouve son rôle de précurseur et il n'est pas écrit d'avance, comme se plaisent à le répandre ceux qui veulent l'enterrer, que ce texte n'ira pas à son terme. Si un référendum est nécessaire, nous y sommes prêts mais sur un plan plus général, les institutions de la Ve République montrent une fois encore leurs limites et il devient urgent de fonder un régime plus adapté aux exigences de notre temps, une VIe République qui bâtisse une démocratie plus participative, plus ouverte et plus généreuse à l'égard notamment de nos voisins de l'Est et du Sud (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Rudy Salles - Si ce débat est récurrent à gauche, c'est un chantage au vote de la loi sur la chasse qui nous vaut la discussion de ce texte.

Je suis favorable au droit de vote aux élections municipales pour les citoyens de l'Union européenne et cette mesure est aujourd'hui effective. Les Européens ne sont en effet plus des étrangers entre eux (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Ils participent à la réalisation d'un projet commun et ils partagent des valeurs telles que le respect des droits de l'homme et la reconnaissance de la démocratie.

En revanche, répondre « oui » à votre proposition consisterait à créer un statut de demi-citoyen. En effet, l'étranger pourrait voter à certaines élections et pas à d'autres. Selon le vote intervenu en commission des lois, seul serait reconnu le vote pour les élections municipales. Or, le fonctionnement de notre démocratie manque déjà de clarté et il n'est pas opportun de le rendre plus complexe encore.

Par ailleurs, je suis convaincu que cette proposition risque de susciter des réactions xénophobes dont nous ne voulons en aucun cas. C'est d'ailleurs à cause de propositions de ce type, qui figuraient déjà dans les « 110 propositions » de 1981 que François Mitterrand a permis le développement du Front national dans notre pays, ce qui a bien servi les intérêts politiciens de la gauche jusqu'aux dernières élections.

Pour une meilleure intégration des étrangers vivant sur notre sol, je pense qu'il y a mieux à faire. Ainsi, je propose que la reconnaissance de la vie associative par les municipalités soit rendue institutionnelle par la création de « Conseils des associations ». Pour les associations représentant les étrangers vivant dans la commune, une telle évolution marquerait la reconnaissance officielle des autorités municipales. Rien n'empêcherait en outre d'étendre ce système aux collectivités départementales et régionales.

Par ailleurs, je reste convaincu que la meilleure intégration se fait par la naturalisation. Lors de la discussion du projet de loi sur la nationalité, le groupe UDF avait souhaité que la naturalisation donne lieu à un acte beaucoup plus solennel et ne se matérialise plus seulement par l'envoi d'un document, reçu entre deux factures.

Malheureusement, vous n'en avez pas voulu. Vous préférez, sur un sujet pourtant sensible, céder aux effets de mode alors que sont en jeu les intérêts de l'homme et de la société. L'intérêt de l'homme, c'est d'être un citoyen au plein sens du terme et celui de la société est d'être organisée par des règles claires que tous acceptent.

Plutôt que d'ouvrir ce débat vous feriez mieux d'engager une réflexion sur la citoyenneté car nombre de nationaux français ont une culture citoyenne de plus en plus approximative, ce qui n'est pas sans incidences sur notre vie démocratique. On se rendrait ainsi compte rapidement que le vote des étrangers aux élections municipales n'est qu'une question incidente.

Un journaliste me disait récemment que dans le cadre de la mondialisation, les relations entre les citoyens du monde faisaient évoluer les choses et qu'il fallait élargir l'exercice de nos droits à d'autres. Je lui répondis alors qu'il ne fallait pas brusquer les événements, car cela risquait d'entraîner des mouvements xénophobes. Quant à savoir si cette position était intangible, imaginait-on, il y a cinquante ans, que les Allemands voteraient un jour en France ?

S'il n'est pas exclu que notre « espace citoyen » évolue encore, il faut se garder de céder à la tentation de la politique fiction, car toute révision en la matière semble hasardeuse (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Cécile Helle - Depuis hier matin, le débat sur le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales a franchi les portes de notre Assemblée et je souhaite pour ma part l'aborder sous l'angle plus large de la lutte contre les discriminations. Le 18 mars dernier, des « Assises de la Citoyenneté » étaient organisées à Paris et 1 200 jeunes se réunissaient, en présence de nombreux ministres, pour témoigner des diverses formes que prend aujourd'hui le racisme et de la frustration de nombre d'entre eux face aux mises à l'écart systématiques dont ils sont victimes.

Enfin, la majorité d'entre eux souhaitent participer activement aux affaires de la cité et il y a tout lieu de s'en réjouir, d'autant qu'au regard du mutisme qui a longtemps prévalu à ce sujet au sein de la classe politique, force est de constater que la lutte contre les discriminations est restée pendant longtemps un sujet tabou.

M. Michel Hunault - Ce n'est pas le sujet !

Mme Cécile Helle - Le fait que les jeunes qui sont victimes de discriminations soient français ne change rien et montre justement que celles-ci constituent des stigmatisations au faciès particulièrement condamnables.

N'y a-t-il pas également quelque chose de paradoxal à refuser depuis toujours la référence au concept de « minorités visibles » tout en admettant que certaines règles qui régissent notre société diffèrent selon que l'on est français d'origine étrangère, étranger communautaire ou étranger non communautaire ?

Enfin, n'est-il pas hypocrite de vanter l'engagement associatif dans nos quartiers tout en refusant à ceux qui s'y investissent l'un des droits fondamentaux de l'exercice de la citoyenneté ? Le résident, qui peut être étranger, a vocation à sortir du statut d'oublié de la politique municipale.

On voit bien dès lors comment ce débat participe à la restauration du principe d'égalité pour les étrangers vivant depuis de longues années sur notre sol, mais aussi pour leurs enfants qui sont le plus souvent français. Il paraît en effet bien illusoire de demander à ces derniers de participer activement à la construction d'un mieux vivre ensemble, sans reconnaître à leurs parents la plénitude de leurs droits politiques.

Si les conditions politiques actuelles semblent peu favorables, je reste convaincue que le vote de cette loi permettra aux étrangers résidant depuis de nombreuses années sur notre territoire de passer d'une citoyenneté de fait à une citoyenneté de droit. Il renforcera la ferme volonté du Gouvernement de lutter politiquement, efficacement et durablement contre les discriminations raciales. Enfin, il permettra, dans ce débat accepté aujourd'hui par une majorité de nos concitoyens, de mettre la droite française, peu encline au modernisme, devant ses responsabilités (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Kofi Yamgnane - Marie-Hélène Aubert vient de citer l'article 4 de la Constitution de 1793.

MM. Claude Goasguen et Thierry Mariani - Jamais appliquée !

M. Kofi Yamgnane - Deux cents ans plus tard, ce débat revient.

M. Claude Goasguen - Attention, ça finit mal...

M. Kofi Yamgnane - La société française, dans laquelle une personne sur quatre est étrangère ou d'ascendance étrangère, est aujourd'hui prête à renforcer la solidarité politique de tous les habitants de la France, à mettre fin à cette inégalité qui, depuis la ratification du traité de Maastricht, crée trois catégories de citoyens dans notre pays : ceux qui ont droit au chapitre sur tout, ceux qui ont seulement le droit de voter aux élections locales et européennes, et les « sans-voix ».

Ces étrangers qui n'ont pas encore le droit de vote dans les scrutins locaux sont, en très grande majorité, des travailleurs immigrés, dont plus de 70 % sont en France depuis plus de dix ans. Venus, pour la plupart de l'ancien empire colonial français, ils ont fortement contribué à la grande croissance des années soixante, dans les mines, les usines sidérurgiques, les usines d'automobiles, sur les chantiers d'HLM ou d'autoroutes. Ils ont enrichi et dynamisé la société par leur travail, leurs impôts, leurs enfants. Sans eux nous serions à peine 40 millions aujourd'hui. Leurs enfants devenus français, de l'ouvrier à l'ingénieur, de l'aide soignante au médecin, sont une chance pour la France.

MM. Michel Hunault et Lionnel Luca - Tout à fait !

M. Kofi Yamgnane - Ils brillent aussi dans la création artistique ou littéraire et dans les exploits sportifs. Refuser le droit de vote aux étrangers, c'est dénier le droit de citoyenneté aux parents de Zidane et de combien d'autres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Michel Hunault - Mais non !

M. Kofi Yamgnane - Refuser le droit de vote aux étrangers, c'est accepter que meurent une deuxième fois Manoukian et ses cofusillés. (Mêmes mouvements ; protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Thierry Mariani - On est au théâtre !

M. Kofi Yamgnane - C'est au regard de ces injustices que le parti socialiste, mon parti, a inscrit depuis 1978 ce projet dans tous ces programmes électoraux.

M. Gérard Hamel - Pourquoi ne l'avez-vous pas appliqué avant ?

M. Kofi Yamgnane - Il est temps de mettre nos actes en conformité avec nos engagements, dans ce domaine là aussi !

Mes chers collègues de droite, rejeter ce texte, sous le prétexte commode, que le Sénat ne le voterait pas ou que le Président de la République n'organiserait pas un référendum, c'est présumer injurieusement de l'incapacité d'évolution de l'un et de l'autre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Ce n'est pas en nous mettant la tête dans le sable que nous réglerons les problèmes de violence dans nos banlieues... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Il est juste et nécessaire d'exorciser les peurs qui tétanisent les élus, alors que l'opinion publique française évolue plutôt favorablement sur ce sujet. Les culpabilités dont nous souffrons en permanence, ne proviennent-elles pas de notre incapacité à affronter notre histoire et nos blessures collectives ? Pourquoi refusons-nous d'ouvrir les dossiers de Vichy, de l'Indochine, des colonisations françaises, de la guerre d'Algérie ? Pourquoi la France aurait-elle peur de son passé et de son peuple ? Aurait-elle honte d'elle-même ?

M. Thierry Mariani - Ça n'a rien à voir !

M. Kofi Yamgnane - Pour ma part, je souhaite qu'un débat public ait lieu dans le pays, et quelle meilleure occasion qu'un référendum ?

Quant aux partisans de la fuite en avant qui veulent le report de ce vote, ils manquent de courage politique et ils prennent le risque grave de se discréditer pour longtemps ! Vingt ans de promesse, ça suffit !

M. Claude Goasguen - Vous parlez aux socialistes...

M. Kofi Yamgnane - En France, la cohésion sociale n'est fondée ni sur le mythe du sang, ni sur la juxtaposition de communautés ethniques mais sur le libre consentement de ses membres aux valeurs de la République. L'adhésion des étrangers au pacte républicain, à travers leur participation aux scrutins municipaux, ne peut que renforcer leur intégration et celle de leurs enfants. Comme l'a dit Stéphane Parrain, « Il faut arrêter de demander aux jeunes des banlieues de respecter les lois de la République si l'on interdit à leurs parents de voter » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Gérard Hamel - De tels propos incitent à ne pas respecter la loi, c'est scandaleux !

M. Kofi Yamgnane - Dans certaines banlieues, on compte plus de 60 % de majeurs étrangers qui ne votent pas. Le plus souvent c'est par la violence que les jeunes crient leurs frustrations et leur colère face à des décisions dans lesquelles leurs parents n'ont aucune part.

Beaucoup de maires mettent l'accent sur l'implication volontaire des immigrés, qui font vivre ainsi l'association d'alphabétisation, le club sportif, la section du planning familial ou la troupe de théâtre... Dans certaines villes les résidents étrangers sont élus dans les unions de quartier ou représentants des secteurs dans les commissions extra-municipales. A Mons-en-Baroeul, en mai 1985 déjà, un Algérien, un Marocain et un Laotien furent élus au conseil municipal, sans droit de vote, avec une participation de plus de 86 % des inscrits. C'est à cette époque que Charles Pasqua traitait François Mitterrand de « provocateur »,...

M. Christian Estrosi - Il avait raison !

M. Kofi Yamgnane - ...parce qu'il s'était déclaré favorable au vote des immigrés dans les élections locales. On sait ce que pense le même Pasqua depuis la finale de la Coupe du monde de football...

Il est temps aujourd'hui de ne plus se contenter de permettre aux étrangers de donner de simples avis sur l'organisation communale et les aménagements de leur quartier. Nous devons passer de la consultation pour avis à une véritable démocratie politique. Il faut que chacun puisse faire entendre sa voix dans les assemblées élues.

Après l'école, le travail, le logement, donner le droit de vote aux étrangers aux élections locales, c'est le meilleur moyen de lutter contre la tentation de marginalisation et la logique du ghetto, par une pédagogie de la responsabilité et de la solidarité, avec des droits et des devoirs égaux pour tous. Le droit de vote est une main tendue, un levier puissant d'intégration.

En réformant la Constitution, nous rejoindrons certains pays européens. Au moment où la croissance économique repart, où le chômage baisse, une concurrence exacerbée pour attirer les travailleurs étrangers est possible. Beaucoup d'Etats devront rajeunir leur population pour payer les retraites et ralentir l'augmentation des coûts de main d'_uvre. Le mouvement a commencé chez certains de nos voisins.

C'est en nous montrant justes et ouverts vis-à-vis de ceux qui sont nos hôtes depuis plusieurs années que nous pourrons lutter contre le nomadisme moderne, encouragé par la mondialisation, et attirer de nouveaux concours précieux pour notre rayonnement. Cessons d'être un aimant pour toute la misère du monde ; soyons plutôt un véritable partenaire de co-développement.

Nous légitimerons ainsi les coopérations ébauchées depuis plusieurs années entre certaines communes ou régions françaises et des pays de départ, comme le Mali ou le Sénégal ; nous reconnaîtrons le rôle des associations qui _uvrent en ce sens.

Aujourd'hui, nous aurons un débat fructueux parce qu'intelligent, sur un sujet important de société. Pour nous, femmes et hommes soucieux du bien-être de l'humanité, j'espère qu'il donnera des résultats à la hauteur de nos ambitions, illustrant ainsi la maxime de Gambetta : « la véritable égalité, ce n'est pas de constater des égaux, mais d'en faire ».

Pourquoi les enfants des sans-voix éprouvent-ils parfois le besoin de crier deux fois plus fort ? Il y a là matière à réparation, finissons-en donc avec les sans-voix ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Marc Reymann -Après une campagne d'agitation efficacement médiatisée, personne n'est dupe de la volonté de la gauche de récupérer les voix des résidents étrangers.

Puisque, aux termes de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », il n'y aurait aucune raison de refuser aux étrangers le droit de vote, gage de leur intégration.

J'ai été adjoint au maire de Strasbourg, chargé des résidents étrangers. J'ai eu l'occasion de recevoir chaque jour les représentants des différentes communautés, qui ne réclamaient jamais le droit de vote mais souhaitaient souvent que l'on accélère les procédures de naturalisation. Pour moi, c'est bien l'acquisition de la nationalité qui est l'étape essentielle de l'intégration dans la République, c'est elle qui donne le droit de vote. En 1998, 124 000 étrangers ont acquis la nationalité française, soit 6 % de plus qu'en 1997.

Quelles étaient les autres demandes ? L'obtention de visas pour nos amis algériens qui désirent retrouver leur famille ; la recherche de locaux pour la vie associative ; l'utilisation des terrains de sport, la location de salles pour l'alphabétisation ou pour témoigner de l'originalité des différentes cultures. A ce titre, l'exposition Strasbourg, ville en couleurs, fut un beau succès et se déroula sans incident. La demande de logements sociaux était aussi forte.

Et quel est aujourd'hui le problème le plus difficile à résoudre ?

M. Laurent Cathala - La tête de liste... (Rires)

M. Marc Reymann - La construction d'une mosquée, pour laquelle les rivalités des ressortissants des pays à forte population musulmane rendent tout arbitrage difficile. Voilà une difficulté que le droit de vote pourrait même exacerber.

Autre préoccupation nouvelle des résidents étrangers, suite à l'embellie économique : le manque de main d'_uvre qualifiée lorsque, devenu chef d'entreprise, le résident veut faire venir la main d'_uvre de son pays d'origine. C'est surtout le cas de nos amis turcs. Ils ne peuvent trouver de personnel français, parti travailler en Allemagne. Que leur dire ?

Voilà quelques problèmes quotidiens concrets de nos résidents étrangers : nous sommes loin de ce débat constitutionnel et un peu politicien. Ceux qui fréquentent les communautés étrangères savent qu'il serait dangereux de politiser leur statut. Vous demandez pour nos hôtes des droits qui ne font pas partie de leurs priorités. Dois-je rappeler que de nombreux scrutins leur sont ouverts : dans l'entreprise, aux prud'hommes, à la sécurité sociale, dans les HLM, à l'école ? Les Français musulmans ont leur droit de vote : leur intégration et celle de leurs enfants n'est pas assurée pour autant, si l'on considère le taux de chômage de cette population, liée au manque de formation.

Alors que l'extrême-droite recule, votre texte est un chiffon rouge. Il ne tient pas compte des difficultés réelles des populations étrangères. Aidons-les par une communication adaptée : j'avais mis au point à Strasbourg un guide en huit langues donnant les adresses indispensables. Rendons-les conscients de la nécessité de respecter les lois de la République, mais n'imaginons pas que le droit de vote réglera leurs problèmes.

Et si on parlait de réciprocité ? Dans quel pays hors d'Europe les Français votent-ils aux élections locales ? Voilà une question qui mérite réponse, si nous voulons que la Déclaration des droits de l'homme ne soit pas seulement à usage interne (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La discussion générale est close.

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MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Antoine Leonetti - Je défendrai cette motion avec sérénité et réflexion. Je prendrai le temps nécessaire pour vous convaincre. L'objectif n'est pas de faire traîner les débats, et je m'inscris en faux contre ce qu'a dit M. Le Roux, et contre les réactions qui ont accueilli l'annonce de cette motion. C'est d'ailleurs là un mauvais procès d'un parlementaire à un autre : toute majorité devient un jour minorité, et utilise alors son droit au débat démocratique, notamment par les motions. D'ailleurs la majorité actuelle n'a guère permis à mon groupe de s'exprimer sereinement lors des fenêtres parlementaires. Votre empressement à voter vite une loi qui pourrait paraître importante est donc déplacé. Enfin cette « obstruction » que vous dénoncez aura au moins permis à la majorité de révéler ses contradictions. Naguère en effet le Premier ministre se déclarait tout à fait hostile à une initiative parlementaire en ce sens, estimant qu'il s'agirait d'espoir sans lendemain et de promesses non tenables. Le Gouvernement a donc cédé aux Verts et accepté de reprendre la proposition n° 80 de François Mitterrand en 1981.

L'opposition aurait pu être tentée de rejeter en bloc le texte et l'idée comme inopportune. Nous pensons cependant que le retour en commission pourrait rendre au débat la sérénité qu'il mérite et permettre d'aboutir à des propositions plus conformes à l'intérêt de la France, de la construction européenne et des résidents étrangers, ainsi qu'à notre tradition de respect des droits de l'homme. Nous avons souvent ironisé sur le temps qu'il vous aura fallu, de 1981 à aujourd'hui, pour aboutir à un texte, de toute façon mort-né. François Mitterrand, il est vrai, disait qu'il faut laisser du temps au temps. Mais avez-vous utilisé ces vingt ans pour réfléchir, consulter, débattre ? Vous avez préféré les petites phrases vite oubliées. Ainsi, en août 1981, le ministre des relations extérieures annonçait à Alger : « Le Gouvernement songe très sérieusement à donner le droit de vote aux immigrés pour les municipales ». Le songe aura duré vingt ans. En 1985, après les municipales de 1983, François Mitterrand réitère sa proposition, et Georges Marchais dénonce « le caractère politicien de la déclaration du chef de l'Etat ». Quinze ans auront au moins permis au parti communiste de modifier sa position sur ce point. En 1988, à quelques jours de l'élection présidentielle, le Président Mitterrand renouvelle sa proposition et déclare, répliquant à Jacques Chirac qui y était opposé : « Mes positions sont un des moyens que j'ai offert, non pas innocemment, au RPR et au Front national de se retrouver frères jumeaux ». En ce temps-là, la gauche avait la franchise de son cynisme. Dès lors, pourquoi réfléchir et débattre puisque ce qu'on veut est seulement agiter et faire réagir ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF)

La démarche d'aujourd'hui en est-elle moins politicienne parce que ce sont les Verts qui ont agité les premiers ce chiffon rouge ? Peut-être. Si le Gouvernement reprend l'idée, n'est-ce pas parce qu'il sait qu'il ne s'agit que d'un débat de principe sans conséquences pratiques ? Sans doute. Aura-t-il suffi d'un sondage, selon lequel une majorité de Français serait favorable au vote des étrangers, pour qu'à moins d'un an des municipales, sans autre réflexion, le sujet soit remis sur le tapis vert de la politique ? Bref, en dehors de petites phrases politiciennes, ce sujet n'a pas été traité avec le respect que mérite une proposition qui, symboliquement et pratiquement, modifie profondément les fondements législatifs de la nation et de la citoyenneté. Ce texte est entré à l'Assemblée par la petite fenêtre parlementaire des Verts. Il a suffi d'une matinée en commission des lois pour que l'affaire soit entendue, et que la majorité plurielle parvienne à fusionner quatre textes en un seul. Il n'a guère fallu plus de temps pour qu'au terme de la séance impartie à la fenêtre parlementaire, le Gouvernement reprenne le texte à son compte. Si ce sujet, comme vous le dites, est fondamental pour la démocratie, pourquoi avoir choisi, comme les conjurés d'Hernani, des voies si étroites pour des buts si nobles ? Je crains que la noblesse ne soit que de forme, et le but peu modeste. Prouvez-nous que ce n'est pas le cas en revenant en commission, pour réfléchir ensemble à la place des étrangers dans notre pays, à la définition de la citoyenneté, à la place de la nation, à la construction de l'Europe.

En effet, la première réflexion que nous aurions dû avoir en commission est celle-ci : qu'est-ce qu'être citoyen ? Aujourd'hui tout est « citoyen » : l'entreprise, la loi, la police, l'école, la culture, la lettre, que sais-je, si bien que l'adjectif ayant remplacé le nom, le mot a remplacé l'idée. L'origine grecque et romaine de la nation associait déjà droits et devoirs d'un peuple ; le droit de s'exprimer et de voter était alors étroitement lié au devoir de défendre la cité contre ses ennemis. Pour nous, être citoyens, c'est être membres d'une communauté forgée par l'histoire des générations qui, sur un territoire, ont bâti un socle de valeurs et une volonté de destins. Le futur est bien sûr plus important que le passé, et chacun peut venir enrichir la cité. La force de la France est dans sa capacité de faire que les générations soient assimilées, que les Français de demain soient plus nombreux grâce à l'apport des populations étrangères.

L'héritage et le sol sont d'ailleurs dans notre loi les éléments d'accès à la nationalité, en sus de l'adhésion volontaire.

Cette définition de la citoyenneté permet de comprendre que citoyenneté et nationalité aient toujours été liées dans notre histoire depuis la Révolution, si ce n'est avant. Le Robert définit d'ailleurs la citoyenneté « zèle du citoyen pour sa patrie ». Et même Saint Just associait à la citoyenneté, valeur universelle, le rôle particulier de la nation, lorsqu'il déclarait que c'est la France qui donne la liberté au monde. Depuis la France n'a cessé d'affirmer son message universel, sans pour autant dissoudre l'identité de sa voix dans une citoyenneté universelle. L'association de la citoyenneté et de la nationalité résulte aussi de la défense du territoire national et des valeurs démocratiques, par les armes si nécessaire.

C'est probablement là qu'est la divergence de fond entre la droite et la gauche. Nous avons une conception républicaine de la citoyenneté liée à la nationalité, issue de la période révolutionnaire. Vous avez une conception de « nouvelle citoyenneté » plus large, plus mondialiste qui nie l'héritage et les valeurs au profit d'une citoyenneté de passage, utilitariste, de résidence, qui pourrait s'apparenter à une citoyenneté de consommateurs, susceptibles d'être consultés par Internet.

Je passe sur l'argument du paiement de l'impôt. Si celui qui paie l'impôt local doit voter, comme l'a dit M. Mamère avant de se rétracter, faut-il a contrario ôter le droit de vote à ceux qui n'en paient pas ?

Adopter cette loi nous conduirait à une crise de citoyenneté et d'identité, car la citoyenneté nationale, à l'opposé du nationalisme basé sur un repli ethnique, tend à une universalité des valeurs et une communauté de destin basée sur ces valeurs.

Je ne méconnais pas le fait que la citoyenneté ne s'exprime pas seulement par le droit de vote. On nous répète que, dès 1793, sous certaines conditions -avoir un enfant, soutenir un vieillard, être propriétaire- les étrangers pouvaient voter. On pourrait citer aussi l'exemple de Garibaldi. Bref, pendant de courtes périodes, généralement après une guerre ou une révolution, cette idée a traversé l'esprit de la République, mais ni les révolutionnaires, ni les modernes ne l'ont inscrite dans notre droit.

Vous avez habilement tenté, Madame la Garde des Sceaux, de déconnecter le citoyen du national. Evitant de toucher à l'article 3 de la Constitution, relatif à la souveraineté nationale, vous avez préféré inscrire cette proposition au Titre XII « Des collectivités territoriales ». Selon vous, toutes les élections ne participent pas au même degré de la souveraineté nationale. C'est admettre qu'il existe une relation entre souveraineté nationale et élections locales. Dans la pratique, citoyenneté et souveraineté sont devenues indissociables. Les soldats de Valmy incarnèrent pour l'éternité la défense de la patrie des citoyens.

Reste l'argument de la brèche ouverte par le traité de Maastricht, qui a accordé le droit de vote aux étrangers ressortissants de l'Union. Vous avez dit à ce propos, Madame la ministre, et nous nous rejoignons sur ce point, qu'on ne pouvait parler de rupture d'égalité entre les étrangers selon qu'ils sont ou non ressortissants communautaires. En effet, il est des cas où les nations, par leurs convergences de vues, par leur histoire commune, créent un concept plus large, celui de citoyenneté européenne. En outre, le traité de Maastricht a été conçu entre des Etats souverains et sous réserve de réciprocité. La citoyenneté européenne qu'il consacre complète la citoyenneté nationale mais ne la remplace pas. Cette proposition de loi porterait un mauvais coup au processus par lequel on s'efforce, depuis cinquante ans, de construire une Europe politique. Et, surtout, sa définition repose sur la nation puisque son article 8-1 dispose : « il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen toute personne ayant la nationalité d'un état membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». La présente proposition porterait un mauvais coup au processus entamé il y a 50 ans, pour construire une Europe politique.

Si nous voulons construire l'Europe, il est indispensable que les étrangers européens, parce qu'ils sont des citoyens européens, aient davantage de droits politiques que les autres.

Cette loi gommerait la notion d'appartenance des peuples européens à un destin commun. Après son vote, nos concitoyens se demanderont immanquablement : que reste-t-il de la France ? Que reste-t-il de l'Europe ?

Bref, la commission devra non seulement étudier les conséquences de l'éventuelle dissociation entre la citoyenneté et la nation, mais aussi envisager une redéfinition de la construction européenne fondée sur une autre idée que celle de la citoyenneté, puisque ce droit appartiendrait désormais à tout citoyen du monde.

Selon nous, être citoyen ne se résume pas à être là. C'est avoir un passé commun et vouloir un futur partagé.

Les étrangers réclament-ils ce droit ? Un collectif le souhaite, mais la majorité des intéressés ne le demande pas réellement. Les commissions ne devraient-elles pas consulter les 2 ou 3 millions d'étrangers résidant sur notre sol, dont on ne connaît du reste qu'approximativement le nombre, le lieu de résidence et l'origine ? Tout au plus savons-nous qu'ils se concentrent dans les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et qu'ils viennent essentiellement du Maghreb. Le Haut Conseil à l'intégration dénonce lui-même l'insuffisance des données sur les flux migratoires et sur les étrangers présents sur notre sol.

Le gouvernement algérien, constitué de personnalités qui ont souhaité l'indépendance de leur pays, a-t-il réclamé ce droit pour ses ressortissants ? Le roi du Maroc, pour sa part, avait demandé en 1985 aux Marocains vivant en France de rester en marge de la vie publique française. Que se passerait-il si, après le vote de cette loi, un chef d'Etat adoptait la même attitude à l'égard de ses ressortissants installés en France, dont il se considère toujours le chef ?

Bref, vous voulez accorder un droit que ni les étrangers, ni les Etats étrangers ne réclament. Vous donnez à boire à des gens qui ont faim.

Lorsqu'on voit le peu d'empressement mis par les étrangers communautaires à s'inscrire sur les listes électorales, on mesure le chemin à parcourir pour construire une Europe des citoyens. Il est donc logique de penser que les étrangers non européens ne feront pas massivement la démarche de voter si elle n'est fondée ni sur la volonté des Etats, ni sur celle des peuples.

Enfin, les droits des étrangers sont-ils respectés en France ?

Selon les défenseurs de la proposition, ils le seraient mieux si le droit de vote leur était accordé. Cet argument sous-entend que certains maires auraient des comportements électoralistes ! En outre, les étrangers jouissent théoriquement de tous les droits civiques -droit syndical, droit d'association, droit d'expression- et fondamentaux, hormis du droit politique de voter. Nombre d'entre eux jouissent même en France de droits et de libertés supérieurs à ceux dont ils bénéficient sur leur territoire national.

Cela dit, si des atteintes à ces droits existent, il faut les réprimer. Peut-être faudrait-il créer une commission d'enquête parlementaire qui alimenterait la réflexion des commissions chargées d'élaborer des propositions de loi.

Le Haut comité à l'intégration écrit dans son rapport de 1993 : « le modèle français d'intégration auquel le Haut conseil a marqué son attachement serait sérieusement menacé du fait de la discordance entre l'égalité des droits qu'il proclame et les inégalités de fait qu'il laisserait subsister ». Cette analyse laisse entendre qu'accorder le droit de vote aux étrangers ne satisferait probablement pas leurs revendications. Serait-ce un facteur d'intégration comme le soutiennent les défenseurs de cette proposition ? La naturalisation n'est-elle pas le plus sûr moyen d'intégration à la société française ? Certains pays, qui lient la nationalité au droit du sang, ont développé une forme de sous-citoyenneté en accordant le droit de vote aux étrangers qui ne peuvent accéder à la nationalité de ces pays. Tel n'est pas le cas de la France où l'acquisition de la nationalité française est possible pour les étrangers, à condition qu'ils la souhaitent. Mais faut-il leur donner la citoyenneté sans qu'ils la veuillent, comme vous avez fait des enfants d'étrangers nés sur notre sol des Français sans le savoir ni le vouloir ?

Paradoxalement, accorder un droit de vote aux étrangers sans qu'ils aient fait un effort d'intégration peut développer un vote identitaire et enfermer les étrangers dans un particularisme proche du communautarisme, étranger à la tradition républicaine de la France. Du reste, les difficultés d'intégration des jeunes Français nés de parents étrangers et qui ont le droit de vote prouvent que ce droit n'est une condition ni nécessaire, ni suffisante pour l'intégration. Les droits sociaux, un habitat décent, le respect de la personne, le travail, l'école surtout, sont des facteurs d'intégration bien plus forts

Du reste, de nombreux Français ne votent pas alors qu'ils sont bien intégrés dans la société française. Les abstentionnistes ne sont pas obligatoirement des exclus.

Faut-il donc revoir les conditions d'accès à la nationalité française ? Peut-être. On connaît mal les obstacles auxquels se heurtent ceux qui souhaitent partager avec la France un avenir de valeurs démocratiques. En commission, M. Tourret a employé un argument pour le moins surprenant : « Surtout, empêchons ces gens de devenir français car ça les empêcherait de rentrer chez eux » ! Faut-il vérifier que les étrangers en situation régulière bénéficient réellement des droits que leur donne la loi ? Certainement. Le racisme et la xénophobie peuvent être source de discriminations qui n'honorent pas notre pays.

Voilà les thèmes que la commission n'a pas pu ou pas voulu aborder. Les fantasmes sont plus faits pour être rêvés que pour être vécus, et c'est là l'hypocrisie d'un texte dont les auteurs savent, comme le Gouvernement, qu'il ne passera pas la barrière du Sénat. Ainsi la gauche pourra-t-elle, comme sur le cumul des mandats, fustiger le conservatisme de la Haute Assemblée, tout en continuant à cumuler les mandats et à ne pas faire voter les étrangers extra-communautaires. En parler souvent, y penser peu, ne l'appliquer jamais : telle est sa devise.

Un sujet, qui peut à la fois susciter des espoirs déçus et réveiller de vieux démons ne peut être traité sereinement que dans une période éloignée de toute consultation électorale, après un travail en commission approfondi dont il ressortira comme une évidence que le meilleur moyen, pour les étrangers, de partager le destin, les valeurs, les droits et les devoirs du peuple français est de devenir Français. Comme l'écrit le Haut conseil de l'intégration, autorité indépendante créée par François Mitterrand, « sans suffire à assurer l'intégration, l'acquisition de la nationalité française est un moyen d'y contribuer », et c'est pourquoi, d'ailleurs, cette instance « recommande qu'on s'en tienne pour l'essentiel à cette conception traditionnelle et libérale de la citoyenneté », laquelle « se confond constitutionnellement avec la nationalité française, même pour les élections locales », l'examen de la question du droit de vote à ces élections n'étant, qui plus est, « pas de nature à faire avancer réellement le dossier de l'intégration des populations immigrées ».

L'étranger a trop apporté à notre pays et suscite trop de passions pour faire l'objet d'enjeux politiciens et de débats avortés (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Le droit de vote n'est pas le début de l'intégration, mais son aboutissement. Ne substituons pas ce que la Garde des Sceaux a appelé une « citoyenneté locale participative », et qui n'est en fait qu'une sous-citoyenneté, à cette communauté de destins et de valeurs qui a fait notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Noël Mamère, rapporteur de la commission des lois - Je ne puis, comme rapporteur, que m'opposer à la motion de renvoi, car la commission a beaucoup travaillé, et ses conclusions sont le fruit d'un compromis qui devrait recueillir l'approbation unanime de la gauche plurielle. J'ai en revanche le sentiment, en écoutant les représentants de la droite, qu'elle a une France de retard (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : la société a évolué, et le débat ne se déroule plus sous l'ombre portée d'un Front national désormais divisé et affaibli.

M. Christian Estrosi - Cela vous ennuie !

M. Julien Dray - Au contraire ! Et c'est grâce à nous !

M. le Rapporteur - Tout le monde, à droite, ne partage d'ailleurs pas forcément le point de vue de ceux qui se sont succédé à la tribune, et M. de Robien dira sans doute, tout à l'heure, que le vote des étrangers aux élections locales est nécessaire à l'intégration et à la cohésion sociale (Mouvements divers).

Notre argument essentiel, quant à nous, n'est pas de faire du droit de vote la contrepartie de la force de travail et des impôts que l'on exige des immigrés, mais de contester la rupture d'égalité que constitue l'application a minima du traité de Maastricht. Certains nous ont objecté que nous devrions plutôt élargir les procédures de naturalisation ; l'argument est singulier, car les mêmes taxaient la gauche de laxisme quand elle voulait ouvrir davantage l'accès à la nationalité !

M. Estrosi, dans une grande envolée lyrique, en a appelé à la souveraineté « une et indivisible », mais je ne sache pas qu'il ait poussé des cris d'orfraie lorsque les gouvernements qu'il soutenait ont encouragé une intégration européenne qui entame chaque jour un peu plus cette souveraineté, ni qu'il se lamente du poids pris par les fonds de pension et les sociétés transnationales... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Clément, qui est reparti après avoir fait un tour de piste (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), devrait lire plus attentivement les publications qu'il cite. La lettre de la citoyenneté, qui n'est ni tendancieuse ni confidentielle, a fait réaliser par l'institut CSA - le même qui sonde la popularité des dirigeants politiques - une enquête d'opinion très sérieuse, dont il ressort que 52 % des Français sont favorables au vote des étrangers aux élections locales (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les choses ont beaucoup changé en cinq ans. Ne campez pas sur vos archaïsmes, ne faites pas de la politique hors-sol ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Au lieu de vous regarder le nombril, regardez plutôt la société ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Serge Blisko - Le long discours de M. Leonetti ne m'a pas convaincu. Nationalité et citoyenneté ne sont pas superposables : on peut avoir la nationalité sans jouir effectivement de tous ses droits de citoyen, et on peut, inversement, participer pleinement à la vie collective, voter aux élections scolaires, prud'homales, sociales, c'est-à-dire exercer une citoyenneté de fait, mais ne pas avoir le droit de voter aux élections politiques. Ce que nous voulons, c'est que ceux qui sont dans ce cas puissent voter aux élections municipales, car on oublie trop souvent que, si les quartiers où ils vivent concentrent les problèmes - de transport, de bruit, d'intégration scolaire, de discrimination -, c'est parce qu'ils n'arrivent pas à se faire entendre, faute, précisément, d'avoir le droit de vote. Lorsqu'ils l'auront, je suis sûr que nous saurons les écouter avec une plus grande empathie...

Vingt ans se sont écoulés, a-t-il été rappelé ironiquement, depuis les 110 propositions de 1980. Mais la droite se rappelle-t-elle qu'elle a elle-même manipulé, avant cette date, les élections municipales, en inscrivant en masse les Français de l'étranger dans des villes avec lesquelles ils n'avaient aucun lien, mais où elle-même était menacée par le suffrage universel, c'est-à-dire, en l'occurrence, par la gauche ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Estrosi - Cela n'a rien à voir ! C'étaient des Français !

M. Serge Blisko - En 1981, ces manipulations ont heureusement pris fin. Alors aujourd'hui, ne donnez pas de leçons de morale ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Il existe aujourd'hui une rupture d'égalité entre les citoyens français, les citoyens communautaires et les autres étrangers. Nous devons avancer rapidement sur cette question et donc voter contre le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Georges Sarre - Faut-il suivre M. Leonetti ?

Voix UDF - DL - RPR - Oui !

M. Georges Sarre - A l'évidence, non ! Pourquoi ? Parce que personne ici ne découvre le dossier. En effet, le vote des étrangers aux élections municipales figurait dans le Programme commun de gouvernement et dans les cent-dix propositions de François Mitterrand. La question a donc été étudiée de façon précise. Si la proposition n'a pas été suivie d'effet, c'est que l'opinion publique n'était pas mûre.

Aujourd'hui, les choses ont changé. La prise de conscience s'est accélérée, un référendum a eu lieu sur le traité de Maastricht, qui disposait que les étrangers ressortissants de l'Union européenne pourraient participer aux élections municipales et européennes.

Dans ces conditions est-il concevable, est-il acceptable que les étrangers communautaires puissent voter aux municipales en 2001, alors que tous les autres vivant également en France ne le pourraient pas ? Cette discrimination est injustifiable.

Je n'étais pas favorable au traité de Maastricht et je considère que citoyenneté et nationalité sont liées. Mais après Maastricht il faut que les autres étrangers bénéficient aussi du droit de vote.

M. Jean-Antoine Leonetti - J'ai du mal à suivre votre raisonnement.

M. Georges Sarre - J'ai éprouvé le même sentiment en vous écoutant.

Le groupe RCV unanime votera contre le renvoi en commission et pour la proposition défendue par M. Mamère (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Claude Goasguen - M. Sarre n'a pas tenu les mêmes propos que M. Jean-Pierre Michel, qui a vivement attaqué en commission la proposition de M. Mamère. Vous le voyez, les nuances n'existent pas seulement à droite.

Renvoyer le texte en commission est indispensable. En effet les groupes, dont émanent directement les propositions, ne disposent pas des moyens logistiques de procéder à des études d'impact ; ils ne peuvent pas, et c'est dommage, recourir aux services du Conseil d'Etat. Je regrette d'autant plus que le ministre de l'intérieur n'ait pas daigné venir devant nous. Non que je mette en cause votre ferveur à défendre le texte, Madame la ministre, mais votre collègue de l'intérieur est chargé de la tutelle des étrangers en France, et en outre la proposition a été déplacée au titre XII de la Constitution, relatif aux collectivités locales. Ainsi deux fois concerné, le ministre de l'intérieur, qui était là cet après-midi, n'a pas trouvé une minute pour nous exposer les conséquences de l'application de ce texte, s'il était voté. Sa personne est hors de cause, car le sujet dont nous débattons peut le gêner. Mais il est extravagant de ne pas venir devant le souverain pour exposer la question sur laquelle on est compétent. Vous ne pouvez pas refuser que le ministre de l'intérieur vienne devant la commission des lois, ce qu'il n'a pas fait, alors que d'autres sont venus qui étaient moins qualifiés. Ce seul motif conduit à voter le renvoi en commission.

M. Arnaud Montebourg - Ce sont des arguties !

M. Claude Goasguen - C'est du droit ! Alors que vous expliquez pourquoi d'un côté, votre proposition n'a pas pu s'appliquer durant vingt ans, vous affirmez que, tout d'un coup, un puissant courant populaire l'impose. Vous excipez d'une pétition comptant entre 6 000 et 20 000 signatures, pour 3 millions de personnes concernées, et d'un sondage réalisé pour La lettre du citoyen faisant apparaître 52 % d'opinions favorables. Et ce serait tout le peuple qui se lève ! De qui vous moquez-vous ? Y croyez-vous vous-mêmes ? Nous sommes prêts pour un débat philosophique à la Sorbonne, mais n'encombrez pas l'Assemblée avec une question qui n'est pas mûre (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Thierry Mariani - Le groupe RPR soutient la motion de renvoi. En effet, nous avons appris ce soir une grande nouvelle : cette proposition était attendue depuis 1923 par le parti communiste, depuis 1981 par le parti socialiste. Si vous attendez depuis 77 ans ou depuis 19 ans, nous pouvons bien prendre un mois ou deux pour travailler sérieusement sur le texte. Celui-ci n'a été discuté en commission que durant deux heures, et le rapporteur a procédé à des auditions auxquelles l'opposition n'a pas été conviée. Des auditions particulières, en somme, bien particulières même : le secrétaire général et la présidente pour Paris du MRAP, les représentants du collectif « un résident, une voix », le secrétaire général de la fédération Léo-Lagrange, le représentant du collectif « Même sol, mêmes droits, même voix », le président de la ligue des droits de l'homme, le représentant de La lettre de la citoyenneté et M. Patrick Weil (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). De qui se moque-t-on ? Face à de telles méthodes, le renvoi en commission s'impose.

Le Haut conseil à l'intégration, organisme que vous avez contribué à mettre en place, a déclaré : la citoyenneté se confond constitutionnellement avec la nationalité. Comment mieux dire ? Telle est bien notre conception de la nation française.

Enfin, nous sommes en présence d'une manipulation qui consiste à tirer une généralité d'un sondage discutable publié dans une lettre confidentielle. Et qui relaie votre proposition sinon les courroies de transmission historiques des partis communiste et socialiste que sont le MRAP et la fédération Léo Lagrange ? (« Scandaleux ! Honteux ! » sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

Je préfère pour ma part me référer aux déclarations du roi Hassan II...

M. le Rapporteur - C'est scandaleux ! (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Thierry Mariani - ...reçu ici en grande pompe par notre ancien Président (Mêmes mouvements).

En matière d'aide à l'intégration des populations étrangères, le droit de vote ne résoudra rien. Dois-je rappeler, comme le fait M. Weil dans son excellent ouvrage, qu'au Danemark, il faut maîtriser la langue pour accéder à la nationalité, qu'en Suède, il ne faut avoir été passible d'aucune condamnation et qu'en Finlande, une simple amende suspend le processus de naturalisation ? Dans notre pays, la nationalisation reste la voie royale de l'intégration.

Je me réjouis que le Gouvernement ait trouvé le moyen d'inscrire ce texte à l'ordre du jour prioritaire de notre Assemblée et je gage qu'il fera montre de la même volonté pour que soit enfin reconnu le génocide arménien...

M. Kofi Yamgnane - C'est le Sénat qui bloque ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Claude Billard - Le groupe communiste est bien entendu défavorable au renvoi en commission car les étrangers attendent déjà depuis trop longtemps et il n'y a pas lieu de différer encore le vote de ce texte par des motions de procédure inutiles.

Notre combat s'inscrit dans la lutte pour l'égalité des droits dans le respect des différences. De nombreux orateurs ont invoqué des arguments d'ordre juridique pour tenter de corseter notre société dans ses vieux habits. Nous souhaitons à l'inverse promouvoir les libertés individuelles, dans le cadre d'une citoyenneté partagée. Il est temps d'aller au bout de cette réforme, attendue par la majorité d'entre nous et par certains de nos collègues de l'opposition. Nous avons assez entendu de propos indignes lors de nos débats pour les subir à nouveau. Il est urgent d'établir des droits là où n'existent aujourd'hui que des interdits (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Rudy Salles - (Huées sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). Je conçois aisément que vous n'ayez pas plaisir à m'écouter car je sais bien que vous avez du mal à laisser s'exprimer des opinions qui ne sont pas les vôtres. Je ne reviens pas sur les propos mensongers de M. Blisko tendant à accuser l'opposition de manipulation en matière du vote des Français de l'étranger.

C'est vous qui manipulez les esprits et nous n'avons pas à regretter d'avoir assoupli en 1993 les textes sur le droit de vote par procuration.

M. Sarre nous a expliqué que l'opinion publique avait changé...

M. Kofi Yamgnane - C'est vrai !

M. Rudy Salles - Mais nous ne devons pas rencontrer les mêmes Français car je puis vous assurer qu'ils m'ont fait passer, le week-end dernier un tout autre message. S'agissant du vote des étrangers communautaires, il est exact que le fait que nous partagions les mêmes valeurs facilite les choses. Mais il existe aussi entre nous des règles de réciprocité qui ne sont pas envisageables avec les pays du reste du monde.

Quant à l'intervention de M. Billard, qui rapporte le souci du groupe communiste de respecter les différences et les libertés individuelles, elle prête plutôt à sourire de la part d'une formation qui a cautionné le goulag pendant soixante-dix ans ! (Bruit sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

J'ai apprécié le ton modéré et l'humanisme dont était empreinte l'intervention de M. Leonetti, autant de qualités qui vous sont étrangères. Or, vous n'avez toujours pas le monopole du c_ur, ni celui de la compréhension d'autrui. Si vous laissiez se dérouler une discussion sereine, vous vous apercevriez que ces qualités sont partagées sur tous les bancs de notre assemblée.

Nous voterons la motion de renvoi en commission, en dépit de toutes vos vociférations (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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ARTICLE UNIQUE

M. le Président - J'appelle, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

M. Robert Gaïa - Dans l'inconscient collectif, la fusion des notions de nationalité et de citoyenneté était un obstacle à toute évolution du droit de vote des étrangers en France. Cet obstacle a été levé par la modification de la Constitution qui permet aux ressortissants de l'Union européenne d'être électeurs et éligibles aux élections municipales.

Par cette révision constitutionnelle, nous avons découplé citoyenneté et nationalité. En ne modifiant pas l'article 3 de la Constitution et en ajoutant un article au titre XII, relatif aux collectivités territoriales, ce n'est pas le lien entre nationalité et souveraineté qui a été remis en cause, mais bien le lien entre nationalité-souveraineté d'une part et citoyenneté d'autre part qui a été rompu.

Les ressortissants de l'Union européenne sont désormais électeurs et éligibles aux élections municipales et l'article unique de cette proposition étend ces dispositions à tous les étrangers. De grâce, que certains n'agitent pas les vieux poncifs de l'extrême droite au risque de légitimer les discours de refus, de peur, de haine de l'autre que MM. Le Pen et Mégret profèrent encore devant un public heureusement de plus en plus clairsemé.

A ceux qui nous accusent d'ouvrir un débat archaïque et dangereux, je réponds que sont archaïques et dangereux ceux qui ont créé un nouveau parti pour recycler les membres perdus du Front national, ceux qui disent partager avec ces derniers les mêmes valeurs, ceux qui soutiennent leur leader au Parlement européen, ainsi que ceux qui se montrent complaisants à l'égard de ce nouveau parti.

M. Lionnel Luca - Lamentable !

M. Robert Gaïa - Oui, des étrangers voteront et seront éligibles et élus aux municipales en 2001, le débat est derrière nous.

M. Thierry Mariani - C'est impossible, vous le savez.

M. Robert Gaïa - Dans cet article, il s'agit simplement de permettre aux étrangers qui vivent, travaillent, paient leurs impôts, envoient leurs enfants à l'école dans nos communes, de participer à la vie de leur cité comme le font les étrangers dans presque toute l'Union européenne.

Et, si la majorité plurielle se retrouve sur ce texte, des parlementaires de l'opposition comme Raymond Barre, Gilles de Robien, Dominique Paillé, Jean-Louis Borloo, Maurice Leroy se disent favorables à cette réforme. Ils ont raison. Et ce ne sont ni l'opportunisme ni la démagogie qui les guident, mais la raison et le pragmatisme.

Comme eux, je crois qu'il faut consacrer nos énergies à faire avancer le droit à la ressemblance dans le respect des différences.

C'est cette pédagogie de la participation, du vivre ensemble, de la démocratie locale, de la politique de proximité, de l'apprentissage de la responsabilité, bref de la citoyenneté que nous voulons faire vivre dans ce texte.

Car, lorsqu'il s'agit de gérer le quotidien de la cité, va-t-on encore longtemps considérer qu'il existe des citoyens de seconde zone, alors que l'enjeu est de rassembler, de faire participer l'ensemble de la population à la vie et au développement de la commune ?

Ces étrangers sont citoyens dans l'entreprise et peuvent être délégués du personnel et membres des comités d'entreprise ; ils sont citoyens en matière syndicale et peuvent être délégués, responsables syndicaux, participer aux élections prud'homales ; ils sont citoyens dans la vie sociale et peuvent administrer les caisses de sécurité sociale ; ils sont citoyens dans le domaine scolaire et peuvent être élus aux conseils d'établissements ; ils peuvent aussi être administrateurs des offices d'HLM. Et ils ne pourraient pas participer à la gestion de leur cité ? Là aussi ils sont citoyens. Ils seraient citoyens pour tout, sauf lorsqu'il s'agit de faire des choix pour leur ville.

Comme l'écrivaient Olivier Duhamel et Aline Boumediène Thiery dans un journal du soir « la citoyenneté doit redevenir le point central du contrat social, une notion rationnelle des droits et des devoirs précis et s'expurger de la charge identitaire qu'elle véhiculait ».

C'est ce que nous faisons dans cet article, en rétablissant un équilibre entre étrangers membres et non membres de l'Union européenne. Car ne trouvez-vous pas choquant qu'un Portugais ou un Autrichien résidant en France depuis six ou sept mois puisse être électeur et éligible aux élections municipales et qu'un Chilien ou un Algérien vivant depuis plus de vingt ans dans une ville ne puisse s'y exprimer ?

Comment par ailleurs demander à ces centaines de milliers de jeunes Français issus de l'immigration d'avoir un comportement civique alors qu'ils n'ont jamais vu leurs parents participer aux choix pour leur ville ?

Refuser ce droit de vote c'est refuser une véritable intégration se nourrissant de la participation à la vie de la commune ; c'est continuer à entretenir cette vision fusionnelle de la nationalité et de la citoyenneté alors que l'Europe, la décentralisation, la politique de la ville nous conduisent aujourd'hui à fonder la citoyenneté sur la résidence et non plus sur la nationalité.

En votant cet article nous aurons fait _uvre utile, nous aurons aidé nos communes, nos maires à lutter contre le communautarisme, nous aurons traduit dans la loi une réalité qui s'impose à nous tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Maurice Adevah-Poeuf - Il est bien difficile d'exposer un point de vue personnel dans un débat qui cristallise les oppositions de groupes. Je m'efforcerai néanmoins d'exprimer non une nuance mais un profond désaccord sur ce texte.

Pour moi, citoyenneté et nationalité sont indissociables (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) et non adossées l'une à l'autre. Je n'accepte pas que l'on remette cela en cause !

Pour autant, je ne fais pas miens les procès d'intentions que l'on fait aux auteurs de cette proposition qui n'est pas une opération partisane, opportuniste, électoraliste, mais qui exprime une vraie générosité, de vraies convictions.

Je ne reviens pas sur l'amalgame entre droit de vote des ressortissants des Etats membres de l'Union et droit de vote des non communautaires ; chacun sait que le contenu juridique est complètement différent. Cela prouve aussi que la République n'est pas autarcique mais ouverte, capable de déléguer une souveraineté partielle, de créer une citoyenneté nouvelle car l'Europe n'est pas seulement un lieu de marchandages, elle exprime la volonté des peuples de créer un espace de progrès, de prospérité et de démocratie. D'ailleurs, entre la construction européenne et la destruction de l'ex-Yougoslavie, qui ici ferait le mauvais choix ?

Il n'est pas honnête, par ailleurs, de comparer les droits de vote dans les différents Etats de l'Union sans comparer aussi les droits de la nationalité.

Voilà 35 ans que je participe à tous les combats contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme ; que je milite pour l'intégration. Mais c'est la première fois que je vois un texte qui s'adresse à d'autres que ses bénéficiaires puisque le seul véritable argument en sa faveur est que les enfants d'étrangers ne voteraient pas si leurs parents n'avaient pas le droit de vote. Mais ces enfants sont des citoyens français et leurs parents n'ont pas de problème d'intégration.

M. Thierry Mariani - Absolument !

M. Maurice Adevah-Poeuf - Et c'est bien avec ces enfants, qui ont le droit de vote, que nous rencontrons les plus grandes difficultés. Je ne suis pas sûr que cette manière de régler le problème soit la bonne.

Je constate même que les étrangers réclament moins ce texte qu'ils le redoutent car ils craignent que l'on remette ainsi l'immigration au centre du débat politique (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR).

On ne peut dire qu'il s'agit d'étendre les droits déjà reconnus aux étrangers dans l'entreprise ou dans la société car on ne peut confondre démocratie sociale et démocratie politique. Et, si l'on a cité à l'envi l'article 4 de la Constitution de 1793, nul n'a fait référence à l'article 5, qui lie bien nationalité française et droit de vote, puisque ce dernier est enlevé en cas de naturalisation dans un autre pays.

Je suis humaniste, socialiste, par conviction, républicain par nature. Eh bien, ma nature républicaine m'incite à ne pas voter ce texte, même si les amendements de mon groupe en ont réduit la portée. Cette proposition disjoint citoyenneté et nationalité, aussi je ne m'absenterai pas au moment du scrutin, je voterai résolument contre (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Annette Peulvast-Bergeal - Cet article ne sera peut-être pas appliqué aussi rapidement que certains l'espèrent, mais cette discussion est loin d'être inutile car elle fait avancer la démocratie et est attendue par une partie de nos concitoyens. En effet, l'opinion publique semble approuver la politique de main tendue vers les sans-voix et il nous appartient, à nous élus de la nation, de prendre en compte cette évolution.

Ma circonscription compte la plus grande ZUP de France, le Val-Fourré dont plus de 70 % des 24 000 habitants sont étrangers. Aussi, je souhaite vous faire part de mon expérience sur le terrain.

J'ai été interpellée par des jeunes et des moins jeunes -des « sages »- sur ces notions indissociables que sont le vote, l'intégration, la nationalité, l'immigration, la citoyenneté, l'éligibilité. Comme vous je me suis interrogée, car ce sont des notions sensibles, difficiles à appréhender globalement. Aujourd'hui, à mes yeux, une telle loi mériterait d'exister. Je suis convaincue qu'elle donnerait plus de force et de cohérence à nos efforts pour l'intégration et l'exercice de la citoyenneté, une citoyenneté qui ne se limiterait pas à la vie associative, professionnelle, syndicale, mais qui serait aussi politique. Voter, c'est détenir une part de responsabilité envers le bien commun, ce qui implique des droits et des devoirs -des devoirs d'autant mieux partagés que les droits sont reconnus. Pour vivre dans la cité il faut être reconnu ; pour être reconnu il faut être entendu.

L'éligibilité proposée est certes limitée, mais devrait permettre d'améliorer la démocratie locale, en impliquant les populations étrangères dans les débats qui les concernent. Il est donc juste et nécessaire de les faire passer du statut de spectateurs à celui d'acteurs. En outre, quand on parcourt les grands ensembles, on perçoit des sentiments de méfiance, d'indifférence, voire d'hostilité envers la cité et le monde politique. Notre démarche peut réduire ces sentiments néfastes. Mettre en place une vraie démocratie participative locale est nécessaire pour faire vivre ces quartiers de façon plus harmonieuse. Les limites que prévoit la proposition permettent de distinguer finement souveraineté, nationalité et citoyenneté.

Ce texte n'est ni une provocation, ni une manipulation. Il faut le considérer comme un pas vers plus de citoyenneté, un nouvel élément de lutte contre le racisme et la xénophobie rampants, une nouvelle étape pour faire avancer le débat de la démocratie. Comme le disait Albert Camus, la démocratie n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité, qui doit être entendue et reconnue ; la République n'a pas à en avoir peur. J'ai beaucoup entendu parler de M. Le Pen et du Front national. Je vous le dis : s'il y a quelqu'un ici qui défend cette proposition et qui ne souhaite vraiment pas, ce faisant, apporter de l'eau au moulin du Front national, c'est bien moi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Thierry Mariani - Et pourtant...

M. Michel Destot - Je suis député d'une ville qui s'est illustrée dans la défense de liberté et, dans les maquis de l'Oisans ou du Vercors, on ne demandait pas sa carte d'identité au résistant italien, espagnol, russe ou polonais qui luttait contre l'occupant nazi. Dans toutes les communes qui ont sur leur territoire des résidents de l'Union européenne, le droit de vote et l'éligibilité aux assemblées locales ont été une avancée importante. Mais elle n'a pas permis de prendre en compte toute la population dans sa diversité. A Grenoble, ville cosmopolite qui compte plus de quarante communautés étrangères, il est apparu que les quelque huit mille résidents étrangers n'étaient pas assez pris en compte, malgré la tradition de la ville en matière de participation démocratique. Nous venons donc de nous doter d'un conseil consultatif des résidents étrangers, dont les membres sont désignés par les associations. Il est chargé d'organiser la participation des résidents à la vie de la cité, et d'émettre des avis sur la politique municipale. C'est une avancée importante, à la mesure de ce que peut faire une collectivité locale dans le cadre actuel.

Mais elle est insuffisante et il faut aller plus loin. La vraie participation démocratique, c'est le vote et l'éligibilité, car c'est un levier pour l'intégration, grâce à une participation réelle aux décisions qui concernent la vie quotidienne. Les étrangers ont déjà le droit de vote dans de nombreux domaines relevant du droit social. Quelle logique y a-t-il à les écarter de la gestion des communes ? Commençons par les communes, même si à terme la même logique devra s'appliquer aux départements et aux régions. L'absence de droit de vote des étrangers non communautaires est un manque cruel pour notre démocratie. Et nous n'avons plus aujourd'hui d'excuses. Il est temps de montrer à nos partenaires internationaux que, loin de fuir ou de nier la mondialisation, la France la prend en compte, en mettant l'être humain, et non l'argent, au c_ur du développement économique. Au-delà du sentiment d'équité qui anime les auteurs de la proposition, il y va aussi de l'intérêt économique et social de notre pays, qui ne peut se passer de l'intégration réussie de ces populations étrangères. Dans la période de croissance que nous connaissons, à l'heure d'Internet, elles sont une chance pour la France, n'en déplaise à MM. Le Pen et Mégret. Nos concitoyens le comprennent aujourd'hui plus qu'hier. Par conséquent, passons aux actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Gilles de Robien - Avec mon collègue Jean-Louis Borloo, nous nous sommes interrogés pour dégager les lignes de force de ce débat, et nous avons défini trois groupes d'arguments. Le premier concerne l'opportunité de discuter un tel texte ; le second, les idées de nationalité, de souveraineté et de droit de vote ; le troisième porte sur l'inspiration dont peut relever cette proposition.

Qu'en est-il de l'opportunité du texte ? Est-ce le moment ? Personnellement je le crois. Nous sommes parmi les tout derniers en Europe à accorder le droit de vote aux étrangers ; nous avons le triste privilège de partager cette position retardataire avec l'Autriche. Est-ce la bonne méthode ? Cela, Monsieur Mamère, je ne le crois pas. Traiter d'un sujet qui touche à la démocratie aurait exigé un débat en amont et la recherche d'un consensus entre les groupes. Peut-être était-il impossible ; mais qu'une formation utilise sa « fenêtre » pour imposer aux autres de débattre à une date donnée, ce n'était pas la meilleure façon d'obtenir l'accord le plus large. Quand il s'agit de la démocratie, il faut chercher le consensus plutôt que l'affrontement. J'ajoute que le troc Mamère-Patriat est d'un bien mauvais goût.

Pour ce qui concerne, en second lieu, les liens entre nationalité, souveraineté et droit de vote, beaucoup a été dit. Faut-il lier le droit de vote municipal à l'acquisition de la nationalité ? Évidemment non : les résidents européens, qui n'ont pas la nationalité française, ont le droit de vote municipal. Ne compliquons donc pas les choses. On objectera que les Européens ont une culture commune. C'est peut-être vrai, mais ils se sont souvent tapé dessus. En outre, l'Europe va s'élargir à des pays culturellement fort éloignés de nous : et les ressortissants de pays qui ont une histoire commune avec la France, dont les représentants siégeaient ici même il y a cinquante ans, seraient exclus de ce droit ?

Le vote municipal des résidents étrangers est-il une atteinte à la souveraineté nationale ? Évidemment non. La souveraineté est confiée au Gouvernement et au Parlement, non aux municipalités. Il n'y a pas une once de souveraineté nationale dans la gestion municipale. Dire le contraire serait dire que le vote municipal des résidents européens serait une atteinte à la souveraineté nationale !

A défaut d'attenter à sa souveraineté, le vote de résidents étrangers risque-t-il d'affaiblir la nation qui l'octroie ? Évidemment non. Ici les libéraux, attachés à l'expérimentation, sont comblés : ils peuvent observer la situation de plus de dix pays proches qui ont établi ce droit. La Grande-Bretagne n'en paraît pas affaiblie, non plus que l'Irlande, la Suède et les autres. La France se serait-elle lancée dans la construction européenne avec des pays affaiblis ou en perte de souveraineté ? C'eût été une erreur impardonnable.

Le droit du sol qui prévaut chez nous doit-il conduire notre pays à être plus réticent envers le droit de vote municipal des résidents étrangers ? Certes le droit du sol doit encourager les résidents à acquérir la nationalité. Mais lier droit de vote municipal et naturalisation, c'est ouvrir largement les voies de cette dernière : je ne suis pas sûr que ceux qui lient les deux cherchent à encourager les naturalisations -ou alors il faut le dire. Ne vaut-il pas mieux permettre à ceux qui résident un certain temps dans une commune française, participent à sa vie économique et sociale, de donner leur avis sur les orientations de cette vie communale à laquelle ils participent ? Réservons l'obligation de nationalité aux scrutins nationaux.

Enfin le droit de vote municipal des résidents étrangers provient-il d'une conception mondialiste de la société ? Et quand cela serait ? Les Européens et les décentralisateurs ne sauraient s'en offusquer. Nous devrions prêter plus d'attention à la régulation de la mondialisation de l'économie, de l'information, des échanges qu'à la participation élective, c'est-à-dire démocratique, dans nos communes, de ceux qui y vivent durablement. Le droit de vote municipal des résidents étrangers est une réponse adaptée -que Tocqueville n'aurait pas reniée- à la conception marxiste de la lutte des classes. La participation au destin communal, le débat démocratique et le droit de vote sont des réponses aux communautarismes qui cloisonnent notre société et exacerbent les antagonismes. C'est enfin un moyen partiel mais pertinent d'intégration, propre à combattre tant les nationalismes les plus mesquins que les internationalismes les plus sectaires. C'est tout simplement ajouter une pierre à l'édifice démocratique communal (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Lionnel Luca - Je veux répondre à la provocation gratuite et délibérée de M. Gaïa. Elu à Toulon, il craint de ne pas tirer le bénéfice d'une stratégie qui consistait à favoriser l'extrême-droite pour se débarrasser d'une certaine droite dans un premier temps, puis à récupérer le pouvoir dans un second temps.

Il est un peu fort qu'il nous donne des leçons et qu'il accuse un nouveau parti de recyclage de mouvements extrémistes, alors que le président de ce parti, M. Pasqua, a d'autres références que certains d'entre vous, pour ce qui est de la résistance à l'extrémisme !

Ce procès d'intention est d'autant plus scandaleux qu'il émane d'un parti qui a fait du recyclage de l'extrême-gauche, laquelle peuple ses rangs, dans l'administration, parmi les élus et même au Gouvernement ! Alors, un peu de décence. Vous nous montrez du doigt, mais si nous sommes la blanchisserie, vous êtes la laverie industrielle !

De plus, non contents de nous donner des leçons de morale, vous vous érigez en procureurs jusqu'à nous interdire de parler pour défendre nos convictions, comme vous l'avez fait tout à l'heure avec M. Clément. Quelle image de démocratie et de tolérance, alors que nous sommes très minoritaires dans cet hémicycle. Cessez vos procès d'intention, sinon vous finirez par débattre entre vous et la France deviendra une petite dictature bananière semblable à celles que vous dénoncez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Philippe de Villiers - Je veux réagir à l'intervention malheureuse de M. Gaïa, qu'il regrette sans doute...

M. Robert Gaïa - Je persiste et signe !

M. le Président - Evitez de polémiquer entre députés.

M. Philippe de Villiers - Ce que vous avez dit est très grave et cette proposition de loi est une provocation.

Je tiens à rafraîchir la mémoire de la gauche. Le premier parti qui a souhaité introduire le droit de vote des étrangers en France fut le parti communiste avec Doriot. On sait ce qu'il est advenu de Doriot pendant la guerre. Alors, de grâce, ne nous donnez pas de leçons de morale !

M. le Rapporteur - Je ne crois pas outrepasser mon rôle en saluant, au nom des députés de la majorité plurielle membres de la commission des lois, le courage de M. Borloo et de M. de Robien qui ont dit ce qu'ils allaient faire et fait ce qu'ils avaient dit, face à une droite qui a cherché à retarder le débat par des artifices de procédure.

Si les députés Verts ont déposé une proposition de loi qui concerne toutes les élections locales, c'est parce qu'ils pensent comme vous, Monsieur de Robien, que l'exercice du pouvoir de maire, de conseiller général ou régional n'a rien à voir avec la souveraineté. Selon nous, des étrangers, qu'ils soient ou non ressortissants communautaires, peuvent être électeurs et éligibles dans les élections municipales, cantonales et régionales. Vous n'avez pas tort d'avoir raison trop tôt (Sourires) par rapport à vos amis de l'opposition et la société, qui a déjà choisi, vous donnera raison.

Le moment est bien choisi parce que la France est installée dans une croissance durable. Les Français qui retrouvent un emploi ne voient plus les immigrés comme des ennemis qu'ils soupçonnent de vouloir prendre leur travail.

Il est bien choisi aussi parce que l'extrême-droite est durablement affaiblie : les mots qu'elle emploie et les menaces qu'elle brandit n'effraient plus la société.

S'agissant des conditions auxquelles la commission a procédé, il n'est pas de tradition que le rapporteur auditionne en présence d'autres députés ni de faire figurer les auditions des cabinets ministériels dans les rapports. Cela dit, le cabinet du ministre de l'intérieur a été entendu ce qui a permis au ministre lui-même de faire valoir son opinion sur cette question par la voix de ses représentants puisque, et je le regrette en tant que député Vert nous avons finalement inscrit cette proposition au titre XII de la Constitution, si bien que nous avons désormais trois catégories de citoyens : les Français de souche et d'origine ; les étrangers communautaires -article 88-3- et les étrangers non communautaires. Cela fait beaucoup.

M. Christian Estrosi - Compte tenu des provocations répétées dont l'opposition a fait l'objet de la part de la majorité, je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

M. le Président - Elle est de droit.

La séance, suspendue le jeudi 4 mai à 0 heure 55 est reprise à 1 heure.

M. Claude Goasguen - Il est choquant d'entendre dire, surtout dans une assemblée largement composée d'élus locaux (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), que les maires ne participeraient pas de la souveraineté nationale et ne seraient, pour reprendre le propos tenu par M. Tourret en commission, que des « poseurs de tuyaux ». C'est oublier que les maires sont des officiers de police judiciaire, et qu'ils tiennent ce pouvoir du peuple, c'est-à-dire de la nation : eux ne l'oublient pas, lorsqu'ils mettent leur écharpe tricolore !

Il est abusif, par ailleurs, de considérer que ce qui se fait ailleurs est forcément plus moderne que ce qui se fait en France. Nous n'avons nullement à rougir, par rapport à nos voisins, des possibilités d'intégration que nous offrons aux étrangers qui vivent sur notre sol. Essayez donc de devenir Suédois ou Finlandais : on vous proposera, tout au plus, une « citoyenneté » conçue pour mieux vous refuser la nationalité ! Et si vous allez à Londres, vous y verrez les rapports qu'entretient la communauté indienne avec la communauté pakistanaise... Pourquoi avons-nous inventé, en 1789, la souveraineté nationale ? C'est parce qu'avant, la France n'existait pas (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) et qu'on votait différemment selon la région où on habitait : les Bretons ne votaient pas comme les Normands, lesquels ne votaient pas comme les Picards, et c'est pour cela que la nation française a été fondée sur l'unicité du droit de vote (Mêmes mouvements) Relisez votre Malet-Isaac, cela vous épargnera de dire des bêtises !

Vous êtes en train de défaire, avec les meilleures intentions du monde pour la plupart d'entre vous, une intégration qui n'est certes pas parfaite, mais dans laquelle vous allez instiller des germes de différenciation entre les communautés. Il est heureux que les Français, par l'intermédiaire du Sénat et de l'opposition, vous en empêchent, et c'est la raison de notre amendement 1, qui tend à supprimer l'article unique.

M. le Rapporteur - La commission a émis, naturellement, un avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis.

M. Thierry Mariani - Je m'étonne du climat qui règne ce soir : dès que l'opposition prend la parole, c'est le tollé général à gauche ! Elle n'a pourtant utilisé qu'une petite moitié des quatre heures et demie qu'eussent pu durer, au total, les trois motions de procédure, et n'a déposé qu'un seul amendement, fait exceptionnel qui mérite quelques explications. Il n'était pas question d'engager une bataille de procédure, de discuter le point de savoir si l'on pouvait voter aux municipales, aux cantonales, aux régionales, au bout de six mois, deux ans, cinq ans : pour nous, la citoyenneté est indissociable de la nationalité.

Je suis de ceux qui n'ont pas voté le traité de Maastricht, et je ne le regrette pas, car nous mettons un doigt de plus dans un engrenage dangereux : après le vote des ressortissants communautaires vient celui des non-communautaires, après les municipales viendront les cantonales et, inéluctablement, les législatives, au motif qu'il ne saurait y avoir d'inégalité dans l'accès au suffrage. Je conclurai en rappelant la question posée par Philippe Séguin dans le Figaro : qu'est-ce qui, hormis le droit de vote, différencie, en France, un citoyen français d'un citoyen étranger ? J'attends toujours la réponse.

M. Jean-Louis Borloo - Claude Goasguen ne m'en voudra pas, je l'espère, si je vote contre son amendement et pour la proposition de loi. Nous avions été saisis, voici quatre ans, d'une belle idée : la nationalité française se mérite et doit être demandée. Nous avions, en conséquence, repoussé son acquisition à l'âge de dix-huit ans. Je crois, aujourd'hui, que c'était une erreur, car l'intégration a besoin de mains tendues. Disant cela, je pense aux Italiens, aux Tunisiens de ma ville, qui sont autant de fenêtres ouvertes, indispensables à son équilibre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Gilles de Robien - Très bien !

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

M. Bruno Le Roux - Etant donné que le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales n'est plus réservé aux citoyens de l'Union européenne, l'amendement 2 supprime le mot « seuls » dans la première phrase de l'article 88-3.

L'amendement 2, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Bruno Le Roux - Cette proposition de loi, dont l'importance justifie le long débat auquel elle a donné lieu, figurait depuis longtemps dans le programme du parti socialiste, et nous sommes satisfaits du pas qui vient d'être franchi. Il s'agit, pour toute une génération de militants, d'une revendication fondatrice, car la jeunesse de notre pays a du mal à comprendre que les résidents étrangers restent exclus du droit de vote aux élections municipales. En adoptant le texte qui lui est soumis, l'Assemblée adresse un signal fort à ceux qui vont maintenant prendre en charge l'indispensable travail d'explication citoyenne.

Enfin nous rencontrons tous des gens qui ne sont pas français et ne souhaitent pas le devenir, mais qui aiment passionnément leur ville, qui aiment passionnément la France. Ceux-là, il faut prendre en compte leurs perspectives et leurs espérances. C'est pourquoi nous voterons la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Claude Goasguen - Deux conceptions de l'intégration s'opposent. Pour vous, la simple résidence suffit. Pour nous, l'intégration passe aussi par un acte volontaire d'appartenance à une communauté nationale. J'étais opposé à la révision du code de la nationalité proposée par Mme Guigou, et je suis contre la proposition présentée aujourd'hui pour la même raison. De plus, je ne sens pas se manifester dans le pays un mouvement très fort en sa faveur. Je sens plutôt monter une certaine interrogation. Ce qu'il faut, c'est intégrer, toujours plus intégrer pour le bonheur commun.

Le groupe DL votera sans hésiter contre ce mauvais texte (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Christian Estrosi - La ville, la cité, le village, voilà les éléments constitutifs d'appartenance à la nation et de la citoyenneté. Pour nous tous qui parcourons nos circonscriptions, y a-t-il symbole plus fort que de se retrouver sur la place du village encadrée par la mairie et l'école, avec au milieu le monument aux morts ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Un député socialiste - Et l'église ?

M. Christian Estrosi - L'église aussi, car tous ces édifices font partie de notre culture.

L'amertume et l'aigreur que vous ressentez au fond de vous à voir décliner un allié objectif sur la scène politique vous ont conduits, à l'issue d'un médiocre marchandage, à inscrire à notre ordre du jour un texte mettant en cause les valeurs de la France. Sachant pertinemment qu'il ne serait pas appliqué, vous avez joué à faire semblant en bafouant nos principes républicains, selon lesquels la citoyenneté et la nationalité sont indissociables. Depuis quelques années, la gauche galvaude l'expression citoyenne. Il est impossible de comparer le droit de vote pour les ressortissants de l'Union européenne à celui des étrangers non-communautaires.

Il existe un vrai traité comportant une véritable réciprocité, qui ne figure nulle part dans votre texte. De plus, le droit de vote pour les étrangers offrira à certaines dictatures le moyen de mettre en cause notre indépendance nationale en pesant sur le choix de leurs ressortissants. D'un côté se trouveront les électeurs français, qui devront présenter un casier judiciaire vierge et jouir de tous leurs droits civiques, de l'autre certains électeurs étrangers dont vous ne pourrez pas vérifier s'ils ne sont pas des terroristes ou des criminels (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Le groupe socialiste est allé jusqu'à affirmer que mieux valait le vote d'un étranger que celui d'un Français de l'étranger.

Parce que la souveraineté est une et indivisible, parce qu'il n'existe pas de souveraineté locale, le vote ne peut pas être dissocié de la nationalité. Le groupe RPR ne votera jamais en faveur du droit de vote pour les étrangers non-communautaires (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Antoine Leonetti - Ne s'est-on pas fait plaisir et peur, d'un côté et de l'autre, à peu de frais ? En fait, nous avons discuté pour rien, et il y a un certain courage à rester ici jusqu'à une heure pareille pour rien. Ce n'est pas l'opposition qui en a ainsi décidé. Ce sont les Verts, la majorité et le Gouvernement qui ont voulu aller jusqu'au bout de leur transaction.

Reste qu'à un certain moment nous avons eu l'impression qu'en 2001 les étrangers pourraient effectivement voter. Ils seront déçus. Vous leur avez fait penser qu'avec ce petit bulletin de vote ils deviendraient des citoyens à part entière. Or, pour entrer dans une discothèque ou accéder à un emploi, la difficulté, pour eux, restera la même.

Quant à nous qui sommes maires, que dirons-nous à ceux qui en sont encore à lire des noms sur les monuments aux morts, pour qui la souveraineté française est au-dessus de tout ? A ceux-là nous disons qu'il ne faut pas être Français et nationaliste, mais qu'ils sont Français et républicains, ce qui est une façon de lutter contre la xénophobie. Aux jeunes Beurs issus de l'immigration maghrébine, nous disons qu'ils sont des Français à part entière. Aux personnes chez qui la dernière guerre a laissé des traces, qui considèrent encore les Italiens ou les Allemands comme des ennemis potentiels, nous disons que nous construisons avec l'Europe un univers plus large, une communauté de paix capable de faire respecter le droit à l'extérieur, qu'il existe une citoyenneté européenne. Là encore c'est un moyen de lutter contre la xénophobie.

Mais le jour où votre proposition serait votée, que dirai-je aux xénophobes tentés par le nationalisme, aux jeunes Beurs qui veulent s'intégrer ?

Voulons-nous d'un monde où l'on peut devenir citoyen au nom d'un mondialisme communautaire ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; « N'importe quoi » ! sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Il ne suffit pas de travailler à un endroit pour devenir partie prenante de la destinée d'une nation. Il ne suffit pas de faire un passage sur un territoire pour en devenir un citoyen.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UDF s'opposera au vote de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Bernard Birsinger - En accordant le droit de vote aux étrangers aux élections locales, notre pays adressera un signal fort d'égalité au reste du monde et nos villes, dont le futur doit se construire dans le respect des valeurs de la République, auront tout à y gagner. Il y a là un bon moyen de faire reculer le racisme et le Front national dans ses diverses composantes.

Lors de la victoire de l'équipe de France à l'occasion de la Coupe du monde de football de 1998, notre jeunesse a exprimé sa conception de la nation et elle nous invite à accepter que l'immigré revendique sa place dans la République. Je n'hésite pas à faire un lien entre le recul de l'extrême-droite et la progression dans notre société de l'idée qu'il faut accorder le droit de vote aux étrangers (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Depuis cinq ans, nous assistons en effet à une progression continue de la proportion de l'opinion qui y est favorable et je considère que cette évolution constitue un puissant facteur de lutte contre le racisme, en France comme en Europe. Si nous voulons une République plus citoyenne et une Europe tournée vers l'extérieur qui accepte de reconnaître une citoyenneté de résidence, il faut favoriser une mondialisation de solidarité et de partage. A la libre circulation des capitaux, nous opposons la liberté des individus là où ils se trouvent. Et il ne s'agit pas de remettre en cause nos institutions mais au contraire d'affirmer les valeurs de la République. Notre vote sera aussi un encouragement pour tous ceux qui défendent de longue date cette cause et même s'il est difficile de prévoir quand ce droit sera effectif -du fait notamment du barrage que dressera devant lui le Sénat- les députés communistes ont l'impression de franchir ce soir une étape décisive. Il nous reste à faire grandir ce mouvement pour battre la droite et nous ne ménagerons pas notre peine pour y parvenir. Nous comptons aussi sur la détermination du Gouvernement pour que ce texte vienne rapidement en discussion au Sénat. Le groupe communiste votera ce texte avec lucidité sur ses chances d'être appliqué rapidement mais il a le sentiment qu'un grand pas est accompli ce soir (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Marie-Hélène Aubert - Les Verts sont fiers d'avoir présenté ce texte à notre Assemblée dans le cadre de l'étroite « niche » parlementaire dont ils disposent.

Je dois vous dire ma stupéfaction d'avoir entendu M. Leonetti défendre l'idée qu'un vote de notre Assemblée était dépourvu de toute signification. Nous considérons pour notre part qu'il est lourd de conséquences et qu'il constitue la première étape d'un long cheminement. Cette proposition peut redonner espoir aux étrangers et à leurs enfants qui continuent de subir le racisme au quotidien et les discriminations. L'accès au droit de vote est un élément essentiel et nous sommes fiers d'avoir contribué à la tenue d'un débat qui aborde la question de l'immigration sans l'associer à l'insécurité et aux autres fantasmes qui ont généralement cours à son sujet.

Contrairement à ce que pensent certains, cette belle idée fera son chemin, à l'instar de la parité que nul ne défendait naguère et qui a gagné les esprits en l'espace de cinq ans. Cela doit nous inciter à inscrire sans délai cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire du Sénat.

Je suis particulièrement heureuse, également, d'avoir donné un prolongement au combat des associations qui militent depuis longtemps en faveur du droit de vote des étrangers. Le vote de ce texte apporte une contribution essentielle à la modernisation de notre vie politique et nous sommes extrêmement fiers d'en être les initiateurs (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance ce jeudi 4 mai à 9 heures 45.

La séance est levée à 1 heure 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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