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Session ordinaire de 1999-2000 - 82ème jour de séance, 193ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 9 MAI 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

EXTRADITION DE SID AHMED REZALA 2

DROITS À LA RETRAITE DES CHÔMEURS ÉRÉMISTES 3

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN MARTINIQUE 4

SINCÉRITÉ DES COMPTES DE L'ÉTAT POUR 1999 5

INFIRMIERS-ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS 5

CHIENS DANGEREUX 6

ÉPARGNE SALARIALE 7

EURO 8

PROTECTION SOCIALE DES FRANÇAIS
À L'ÉTRANGER 8

SÉCURITÉ ROUTIÈRE 9

LIBAN 10

DÉLINQUANCE DES MINEURS 10

POLITIQUE BUDGÉTAIRE DE LA FRANCE 11

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
SUR LES ORIENTATIONS DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE
DE L'UNION EUROPÉENNE 12

La séance est ouverte à quinze heures.

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    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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EXTRADITION DE SID AHMED REZALA

M. Rudy Salles - Monsieur le Premier ministre, depuis plusieurs mois, les Français suivent avec horreur et consternation l'affaire Sid Ahmed Rezala. Ils ont été choqués par la barbarie des crimes dont est fortement suspecté cet homme de vingt ans : deux jeunes étudiantes, Isabel Peake et Emilie Bazin, une mère de famille, Corinne Caillaux, ont été tuées sauvagement. Dois-je rappeler le parcours de ce fugitif : plus d'un mois de cavale, plusieurs interpellations successives puis une arrestation in extremis au Portugal alors qu'il s'apprêtait à fuir vers le Maghreb. Autant d'événements qui ont révélé de surprenants dysfonctionnements dans la coordination de nos forces de police et dans la coopération judiciaire européenne.

Dès son arrestation au Portugal, les autorités judiciaires françaises ont déposé une demande d'extradition. Le 11 janvier, la Garde des Sceaux annonçait une extradition probable dans les quarante-huit heures. Quelques jours après, ce délai était porté à vingt jours puis à un mois.

Alors que cette demande justifiée paraissait n'être qu'une formalité, on vient d'apprendre que les autorités judiciaires portugaises pourraient décider de libérer Rezala et de lui donner le choix de son pays d'extradition au motif que le droit portugais peut refuser l'extradition d'un individu passible, dans le pays émetteur de la demande, d'une peine de trente années d'emprisonnement.

L'opinion publique française est sous le choc et que dire des sentiments qu'éprouvent en pareilles circonstances les familles des victimes ?

Quelles initiatives avez-vous prises à l'égard des autorités portugaises pour empêcher que l'inacceptable ne soit commis ?

En ce jour anniversaire de la déclaration Schuman, cette affaire montre qu'il n'y a pas trop d'Europe mais un manque de coordination entre les Etats membres. L'UDF prêche en faveur d'une Europe politique dotée de compétences élargies. Cette sinistre affaire nous apporte la démonstration qu'une justice européenne est indispensable si l'on veut éviter que de tels errements ne se reproduisent. Quiconque commet un crime dans un Etat des Quinze doit être automatiquement extradé, s'il y a lieu, pour répondre de ses actes devant la justice du pays où l'acte répréhensible a été perpétré.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Rudy Salles - Dans le cadre de la présidence française de l'Union qui débute le 1er juillet prochain et du sommet européen de Nice qui aura lieu en septembre, nous vous demandons, Monsieur le Premier ministre, que la création d'un espace judiciaire européen soit portée à l'ordre du jour de nos travaux. Avez-vous l'intention de le proposer à nos partenaires européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous venez, Monsieur le député, d'évoquer l'horreur des crimes commis contre Isabel Peake, Emilie Bazin et Corinne Caillaux et je crois que toute l'Assemblée nationale partage le sentiment que vous venez d'exprimer. S'agissant de l'extradition de Sid Ahmed Rezala, deux principes s'imposent à nous. D'abord, la suprématie du droit international : les actes des autorités françaises requérantes comme ceux des autorités requises sont régis par la convention européenne d'extradition de 1957. Ce cadre juridique s'impose à tous. Ensuite, le principe de l'indépendance des autorités judiciaires s'applique tout au long de la procédure. En l'espèce, la France a demandé au Portugal dès le 14 janvier la remise de Sid Ahmed Rezala sur le fondement de trois mandats d'arrêt, décernés par les juges d'instruction d'Amiens, de Châteauroux et de Dijon au titre des trois homicides volontaires dont il est soupçonné. La France a indiqué au Portugal que la qualification pénale d'homicide volontaire, choisie par les juges d'instruction en toute indépendance, est applicable aux faits en raison desquels Rezala est mis en cause et que l'homicide volontaire est puni en France d'une peine maximum de trente ans de prison. Ce point est essentiel puisque la Constitution portugaise n'autorise pas les peines supérieures à trente ans. Les juges d'instruction ont établi leurs réquisitions sur cette base et les autorités françaises les ont confirmées, sans déroger d'ailleurs à la convention européenne d'extradition qu'elles entendent respecter.

Le 9 mars dernier, le tribunal compétent au premier degré de Lisbonne a donné un avis favorable à l'extradition en relevant dans sa décision que toutes les assurances avaient été fournies par la France que la peine encourue par l'extradé ne serait pas supérieure à la peine maximale autorisée par la Constitution portugaise -c'est à dire trente ans- du fait des qualifications pénales retenues. La défense de Rezala a fait appel et le Tribunal suprême de justice du Portugal délibère sur cette affaire en ce moment même. Vous comprendrez donc que le moment soit mal choisi pour intervenir à nouveau, alors que les délibérations ne sont pas closes.

La diffusion des mandats d'arrêts est un processus habituel : les mandats d'arrêt ont été diffusés dès le lendemain de la saisine des juges d'instruction, « au cas où » et des vérifications sont faites régulièrement. Cette procédure a donné lieu la semaine dernière à des supputations de libération qui sont, comme chacun le voit, totalement infondées.

Je relève cependant comme vous que cet exemple doit nous inciter à approfondir l'Europe de la coopération judiciaire, afin que les criminels ne se jouent plus des frontières pour déjouer l'action répressive des Etats. Toute notre action tend à dépasser l'obstacle des frontières nationales pour construire un espace judiciaire européen qui évite les inconvénients que vous avez soulignés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF).

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DROITS À LA RETRAITE DES CHÔMEURS ÉRÉMISTES

M. Yves Cochet - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, les chômeurs en fin de droits relativement âgés peuvent bénéficier de l'allocation spécifique de solidarité s'ils ont travaillé au moins cinq ans au cours des dix dernières années, à l'allocation de chômeur âgé s'ils ont déjà cotisé pendant quarante ans et à l'ASA sous les mêmes conditions. Mais beaucoup de chômeurs, et je devrais dire de chômeuses, n'en bénéficient pas car ils ne justifient pas du nombre d'annuités requis. Il ne leur reste alors que le revenu minimum d'insertion. Cependant, à la différence d'un chômeur pris en charge par l'ASSEDIC qui acquiert des points retraite, un érémiste ne capitalise aucun droit à la retraite et ne se verra donc servir qu'une pension minime puisqu'il n'a pas cotisé.

Comptez-vous, Madame la ministre, mettre fin à cette injustice en ouvrant le droit à l'assurance vieillesse aux érémistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Notre système de retraite repose sur un principe contributif où les droits sont acquis à travers le salaire pour les salariés et par le revenu d'activité pour les autres.

Pour ce qui concerne les chômeurs, il est d'usage de considérer que le non-travail est une privation non seulement involontaire mais temporaire d'activité...

M. Pierre Lellouche - Merci de le rappeler !

Mme la Ministre - C'est la raison pour laquelle les bénéficiaires du régime de solidarité chômage voient valider leurs points pour la retraite par la solidarité nationale. Ce n'était pas le cas pour les retraites complémentaires depuis 1996 et nous avons signé il y a quelques jours avec l'AVIRC et l'ARRCO un accord qui nous permet désormais de valider l'ensemble des points retraite.

Les chômeurs relevant du régime d'assurance chômage voient leur retraite complémentaire prise en charge par l'UNEDIC et leur retraite de base par l'Etat.

C'est en se référant à cette logique contributive assise sur le travail qu'il n'a pas été prévu, lors de la création du RMI, de validation gratuite. En revanche, le RMI peut être versé jusqu'à soixante-cinq ans. Au-delà, les personnes qui ne disposent pas d'un revenu suffisant peuvent percevoir le minimum vieillesse, qui est servi aujourd'hui à 900 000 de nos concitoyens. Je rappelle en outre que le Gouvernement a valorisé de plus de 2 % le pouvoir d'achat du minimum vieillesse depuis son arrivée. Du fait de l'évolution du marché du travail, beaucoup de personnes se retrouvent au RMI parce qu'elles n'ont pas suffisamment travaillé. C'est pourquoi je me réjouis que ce sujet ait été porté à l'ordre du jour des négociations de l'UNEDIC, afin que les indemnités chômage puissent être servies à des personnes qui présentent des durées de cotisation réduites.

Mais le meilleur moyen de répondre à la question que vous avez posée, c'est, comme nous le faisons depuis bientôt trois ans, d'aider les personnes qui touchent un minimum social à retrouver du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN MARTINIQUE

M. Alfred Marie-Jeanne - Monsieur le ministre de l'agriculture, face à l'ampleur des importations de produits alimentaires, la Martinique est concernée par les exigences de précaution et de traçabilité. En 1999, la direction des services vétérinaires a répertorié une ou deux alertes sanitaires par semaine ! L'affaire de la dioxine en 1999, les problèmes de listeria début 2000, les cas fréquents de salmonellose en témoignent.

En Martinique un rapport de septembre 1998 relevait l'utilisation d'une quantité de produits phytosanitaires par hectare de terre agricole trois à quatre fois plus élevée qu'en France. Face à un bilan souvent établi -prise en compte tardive de la problématique, importations illicites, manque de structures analytiques sur place- il est souhaitable d'optimiser la vérification du respect de la réglementation, d'approfondir la législation sur la sécurité alimentaire et de créer un laboratoire d'analyse techniquement performant, afin d'effectuer un maximum de contrôles sur place et de remédier à la faiblesse des données épidémiologiques. Quelles mesures comptez-vous prendre dans l'intérêt des consommateurs martiniquais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - La sécurité sous toutes ses formes est au c_ur de l'action du Gouvernement : sécurité des biens et des personnes, sécurité sociale, et aussi sécurité alimentaire. Et nous essayons de faire que cette priorité du Gouvernement devienne aussi une priorité européenne. Il va de soi que la réglementation sanitaire nationale s'applique outre-mer comme en métropole, et nous renforçons les moyens de veiller à son application. Quant au laboratoire d'analyse que vous évoquez, j'ai indiqué à la collectivité territoriale qu'un audit permettrait de définir les investissements nécessaires. J'étudie en outre avec M. Queyranne les moyens de coordonner les activités des laboratoires pour optimiser les moyens d'analyse dans les DOM, et nous continuerons d'agir dans ce sens (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste).

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SINCÉRITÉ DES COMPTES DE L'ÉTAT POUR 1999

M. Philippe Auberger - Le Premier président de la Cour des comptes a présenté jeudi à notre commission des finances son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour 1999. Ce rapport est accablant pour le Gouvernement et sa gestion budgétaire. Je confirme non seulement les graves erreurs commises l'an dernier dans la prévision des recettes fiscales, pour au moins 30 milliards, mais aussi l'absence de maîtrise réelle des dépenses publiques, lesquelles s'accroissent de 3,9 % et non 1,6 comme le disait le Gouvernement. Qui plus est, le rapport a mis au jour différentes manipulations qui entachent les résultats affichés pour 1999. Ainsi 18 milliards de recettes non fiscales auraient dû être rattachés à cet exercice ; 9 milliards de recettes fiscales, qui auraient également dû l'être, ont été mis en attente ; en revanche on lui a rattaché par anticipation certaines dépenses... Comme l'indique le rapport dans son langage inimitable, « le traditionnel pilotage du solde budgétaire au cours des derniers jours a donné lieu à une activité très intense à la fin de janvier 2000. » Le résultat qui en ressort est donc un vrai-faux résultat...

Nous examinerons la semaine prochaine le collectif budgétaire pour 2000, que le Gouvernement a été contraint de déposer en conséquence de sa gestion calamiteuse du résultat de 1999. Que valent 50 milliards de recettes supplémentaires par rapport aux prévisions, alors que la Cour des comptes estime à 15 milliards au moins celles qui devraient encore y figurer ? Allons-nous encore débattre sur des chiffres manifestement sous-estimés ? Pourquoi le Gouvernement n'adopte-t-il pas une gestion plus rigoureuse et plus transparente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Vous venez de découvrir qu'il existe plusieurs manières de calculer l'évolution des dépenses de l'Etat ; c'est ce que rappelle la Cour des comptes, comme le rappelait il y a quelques semaines le rapport établi par M. Migaud au nom de votre commission des finances.

Ce qui compte, c'est que le Gouvernement ne modifie pas les règles de calcul entre le moment où il annonce un objectif d'évolution des dépenses, et celui où il constate la réalité de ces dépenses. En la matière, le Gouvernement ne change pas ses conventions ; il fait ce qu'il dit et dit ce qu'il fait.

La Cour des comptes conteste le fait qu'en 1999 certaines dépenses, comme le chèque de 10 milliards à l'UNEDIC, aient revêtu un caractère exceptionnel. Or qui peut soutenir qu'elles n'ont pas ce caractère ? Enfin la Cour a incité le Gouvernement à réintégrer dans le budget de l'Etat quelques dizaines de milliards de dépenses qui n'y figuraient pas, au nom de l'exercice nécessaire du contrôle parlementaire. Le Gouvernement a entendu cette démarche et réintégré ces dépenses dans le budget, au nom de la transparence. C'est peut-être cette transparence que vous critiquez aujourd'hui ; nous, nous l'assumons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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INFIRMIERS-ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Après les mouvements sociaux des personnels soignants cet hiver, puis des internes et résidents en avril, ce sont aujourd'hui les infirmiers-anesthésistes-réanimateurs qui, oubliés, se mettent en grève. Ce corps de plus de six mille personnes joue un rôle essentiel, aux côtés des médecins anesthésistes, dans les huit millions d'anesthésies opérées chaque année. Leur compétence est reconnue, étant appuyée sur cinq à six ans d'études après le baccalauréat, soit deux ans de plus que les autres élèves-infirmiers. En grève depuis une semaine, ils ont décidé, en l'absence d'audience du Gouvernement, de poursuivre leur mouvement. Il est inutile de décrire leur impatience, leur déception et leur colère face à la situation de déshérence de l'hôpital, car votre Gouvernement refuse de prendre leurs problèmes en considération.

Leurs revendications rejoignent celles des agents qui s'étaient précédemment mis en grève. Ils demandent une meilleure reconnaissance de leur profession et une grille revalorisée pour tenir compte de l'accroissement de leur charge de travail. Nous risquons de voir la qualité de l'offre de soins baisser et la sécurité assurée aux patients devenir insuffisante. Au cours de la campagne présidentielle de 1995, M. Jospin avait déclaré au président de la coordination des infirmiers-anesthésistes qu'il était justifié d'offrir à leur profession de meilleures perspectives de carrière et qu'il était temps de négocier sur la grille indiciaire. Qu'avez-vous fait ? Quand comptez-vous répondre aux infirmiers-anesthésistes et réanimateurs ? Quand prendrez-vous la mesure des problèmes qui secouent l'hôpital tout entier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je suis heureuse que l'opposition se préoccupe de l'hôpital (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je souhaiterais qu'elle le fasse aussi dans ses votes sur la loi de financement...

Les infirmiers-anesthésistes diplômés d'Etat remplissent en effet une fonction irremplaçable. Ils nous interpellent sur deux problèmes : leur statut et la reconnaissance de leurs actes tels qu'ils figurent aujourd'hui dans la nomenclature hospitalière. Sur ce second point, le décret de compétences des infirmiers est actuellement en cours de révision; nous y travaillons depuis plus d'un an, avec les représentants de toutes les catégories. Il répondra aux attentes des infirmiers-anesthésistes en valorisant les actes qui relèvent de leur compétence. Quant au statut, ils souhaitent que leur spécialité soit pleinement reconnue dans une grille indiciaire spécifique. Ils ont aujourd'hui dans la grille une position spécifique qui leur assure une bonification d'ancienneté de 36 mois, un déroulement de carrière plus rapide et 41 points de nouvelles bonifications individuelles sur une carrière ; ils gagnent en moyenne 1 000 F de plus que les infirmiers de soins généraux.

Nous avons convenu le 14 mars avec les représentants syndicaux des personnels médicaux que nous allions revoir le statut des personnels administratifs, techniques et ouvriers. Dans ce cadre nous reverrons le statut des infirmiers-anesthésistes. C'est ce que nous leur disons aujourd'hui : nous avons signé un accord global et nous avons un calendrier ; les actes vont être revalorisés dans les prochains jours, le statut dans les prochains mois. Nous poursuivons ainsi une remise à niveau de l'hôpital et de beaucoup de catégories qui n'avaient pas été traitées depuis des années (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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CHIENS DANGEREUX

M. Pierre Morange - Ce week-end, Monsieur le ministre de l'intérieur, un pittbull a sauvagement attaqué un garçonnet de quatre ans ; s'il est hors de danger, il n'en gardera pas moins les séquelles de ce drame. Or ce chien n'était ni déclaré, ni vacciné, ni stérilisé, ni muselé, comme l'exige la loi de 1999 sur les chiens dangereux. Cet accident montre l'insuffisance de cette loi. Les pittbulls sont loin d'être neutralisés, les éleveurs s'organisent, les prix flambent sur le marché noir. Comment entendez-vous éviter que ces chiens mettent en danger nos concitoyens ? N'est-ce pas là que devrait s'exercer votre concept de « police de proximité » ? Mais les moyens qui lui sont alloués sont-ils suffisants ? Comment pallier les lacunes de la loi sur les chiens dangereux, notamment face aux propriétaires délinquants qui se déclarent insolvables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Cet enfant a en effet été attaqué par un pittbull dans des conditions qui auraient pu entraîner sa mort.

Cette majorité a adopté le 6 janvier 1999 une loi relative aux animaux dangereux et errants, qui impose certaines sujétions aux propriétaires, en distinguant entre chiens d'attaque et chiens de défense. Le dispositif adopté porte sur le certificat d'identification de l'animal et celui de sa vaccination antirabique, et sur l'attestation d'assurance. Le défaut de présentation de ces documents expose à des sanctions. Le cas que vous évoquez relève à l'évidence d'un manquement à la loi. Il appartient aux collectivités locales et à la police nationale de faire en sorte que la loi s'applique. C'est à quoi nous nous attachons. Des mesures ont été prises par le ministre de l'agriculture et par celui de l'intérieur (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Avant, il n'y avait rien ! Aujourd'hui il existe un dispositif législatif et réglementaire, qu'il faut faire appliquer (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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ÉPARGNE SALARIALE

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le ministre de l'économie, vous avez transmis aux organisations syndicales un document faisant connaître vos options avant la discussion du projet relatif à l'épargne salariale. Nous vous approuvons d'associer ainsi les syndicats à la réflexion sur ce document, dont les membres de la commission des finances auraient apprécié d'être eux aussi destinataires (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La discussion porte sur l'extension des droits des salariés dans l'entreprise afin qu'ils participent aux choix déterminant le développement de leur entreprise.

Or, si j'en crois les journaux, votre document comporte un élément nouveau qui ne laisse pas de nous inquiéter. Vous évoquez en effet la possibilité d'une sortie en rente, ce qui signifie en clair réintroduire les fonds de pension d'une autre manière (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il convient donc de clarifier les termes du débat.

Nous sommes très soucieux de ne pas mélanger la question de l'épargne salariale et celle des retraites. Sur ce dernier point, nous en restons à l'engagement pris par M. Jospin de préserver le système par répartition (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV), sans nous laisser entraîner vers le système anglo-saxon, dans lequel les salariés jouent leurs retraites à la loterie, et n'ont plus que les yeux pour pleurer lorsque sonne l'heure de la retraite.

Quelles sont donc vos intentions ?

Excluez-vous clairement les fonds de pension, quel que soit le vocabulaire utilisé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je commence par la méthode. J'ai en effet adressé aux partenaires sociaux un avant-projet, pensant qu'il était bon, suivant les indications données par le Premier ministre, que les partenaires sociaux fassent connaître leur sentiment.

J'ai commencé ce matin mes consultations, qui s'achèveront la semaine prochaine. Ainsi informés des réactions des partenaires sociaux, nous élaborerons un projet de loi qui sera adressé à la commission des finances et déposé sur le Bureau de l'Assemblée, pour être discuté au début de l'automne.

Sur le fond, il ne s'agit nullement, -en dépit de ce qu'écrivent certains journaux mais d'autres que vous lisez aussi, écrivent l'inverse- d'introduire les fonds de pension. Aussi bien Mme Aubry vous présentera-t-elle bientôt un projet dont une disposition tend à abroger la loi Thomas.

Nous considérons comme légitime que les salariés, sans qu'aucune atteinte soit portée à la négociation salariale, participent à la valorisation des richesses dans l'entreprise, qu'ils ont largement contribué à créer. Il n'y a pas de raison de réserver ce type de dispositif à une seule catégorie, ni que les PME en soient exclues, et il convient aussi de respecter la liberté de choix des salariés.

Il n'est pas question d'établir des fonds de pension (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) puisque la loi Thomas prévoyait des cotisations sans limite, alors que nous comptons plafonner les contributions, n'organisait qu'une sortie en rente, alors qu'il n'y a rien de tel dans notre avant-projet et détruisait en fait les cotisations sociales.

M. Pierre Lellouche - Mais si ! C'est une capitulation !

M. le Ministre - Il s'agira donc d'une avancée pour des millions de salariés, et pour les PME de disposer de davantage de fonds en toute indépendance, sans être à la merci de décisions prises ailleurs qu'en France.

Tel est le projet qui vous sera soumis (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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EURO

M. Didier Boulaud - Alors que la situation économique des pays de la zone euro, et en particulier de la France, progresse fortement, la monnaie unique poursuit sa dérive, notamment face au dollar. Alors que dans un an et demi nos concitoyens auront dans leur porte-monnaie des espèces en euro sonnantes et trébuchantes, la confiance dans la monnaie demeure une condition indispensable de la construction européenne.

En cette journée du 9 mai consacrée à l'Europe, qu'envisagent les responsables des finances de la zone euro, récemment réunis, pour enrayer la baisse de l'euro sur les places financières ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Que le député maire de Nevers pose une question sur un sujet qui doit beaucoup à Pierre Bérégovoy ne peut pas laisser indifférent.

Lorsqu'on examine les résultats économiques de la France, surtout depuis deux ou trois ans, on ne peut pas les séparer de ce qu'a apporté la décision de créer l'euro. En permettant la stabilité monétaire et des taux d'intérêt modérés, l'euro a déjà contribué à la croissance et à la réduction du chômage.

Hier, les ministres des finances de la zone euro se sont réunis pour faire le point. L'accord entre nous ne s'est jamais manifesté aussi clairement. Tous en effet nous estimons que la situation des différents pays de l'euro est économiquement la meilleure qu'ils aient connue depuis 15 ans. Tous nous estimons que par rapport à cette situation le niveau actuel de l'euro n'est pas ce qu'il devrait être. A la question de savoir si une intervention auprès de la Banque centrale était possible, nous avons tous répondu que cet instrument est à notre disposition et que nous saurions nous en servir.

Au demeurant, il faut se garder de s'émouvoir trop vite. Le dollar vaut actuellement environ 7 F, mais nous l'avons connu à 11 F et aussi à 4 F. C'est un véritable choix économique dont il s'agit. Certains pensent qu'un bon équilibre se trouve dans un euro fort avec des taux d'intérêt très faibles ; d'autres dans un euro très faible avec des taux élevés. Nous avons tous considéré qu'il fallait un euro stable avec des taux bas. C'est cette conviction que nous avons fait passer à la Banque centrale européenne.

Je suis persuadé que dans les semaines à venir la valeur de l'euro correspondra mieux à la réalité économique de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PROTECTION SOCIALE DES FRANÇAIS À L'ÉTRANGER

M. Robert Gaïa - L'Etat doit répondre aux situations difficiles dans lesquelles peuvent se trouver nos compatriotes expatriés. Ces derniers sont parfois victimes d'une véritable paupérisation. C'est le cas de ceux vivant hors de l'espace économique européen dans des pays où il n'existe pas de couverture sociale satisfaisante, et ne disposant pas de revenus suffisants pour adhérer à la Caisse des Français de l'étranger.

Notre pays doit assurer à ses ressortissants expatriés une couverture-maladie minimum. Le Gouvernement peut-il éclairer la représentation nationale sur les mesures d'amélioration adoptées le 12 avril par le Conseil des ministres ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Aucun autre pays ne fait autant que le nôtre pour ses ressortissants établis à l'étranger, et le Gouvernement a à c_ur d'améliorer encore la protection dont ils bénéficient. La Caisse des Français de l'étranger, organisme d'assurance-maladie auquel on peut adhérer individuellement, couvre 82 000 personnes, mais quelque 25 000 autres, qui disposent de faibles revenus, n'y sont pas affiliées. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de prendre en charge, sur le budget des affaires étrangères, une partie de leurs cotisations, ainsi que le montant des frais de gestion et du déficit supplémentaires causés à la Caisse par leur affiliation. Le coût de l'ensemble de ces mesures s'élève à 95 millions de francs par an. Les consulats seront chargés d'en recenser les bénéficiaires et de procéder aux vérifications nécessaires (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

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SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Mme Brigitte Douay - Ma question s'adresse, non seulement à l'ensemble des membres du Gouvernement concernés par la sécurité routière, mais à chacun d'entre nous et de ceux que nous représentons, car la situation actuelle est le fruit d'une tolérance collective. Je pense, pour ma part, à cette jeune fille de mon département, qui s'était arrêtée à un feu rouge, et qui a péri carbonisée parce qu'un chauffard ivre, roulant à tombeau ouvert, a percuté son véhicule. Juges, policiers, gendarmes, élus locaux refusent cependant de se résigner à cette macabre routine, à ce triste record que détient notre pays, et qui procède de facteurs culturels, de comportements trop bien ancrés.

Quel bilan peut-on tirer de l'impressionnant dispositif de dissuasion mis en place ces derniers jours contre la violence routière ? Au-delà de cette mobilisation exceptionnelle, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour faire évoluer les mentalités, afin que le civisme ne s'arrête pas au moment où l'on tourne la clé de contact ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UDF)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous avez raison de souligner la mobilisation du Gouvernement tout entier sur cette question : le Premier ministre a en effet décidé de faire de la sécurité routière une grande cause nationale, et nous avons fait le point, lors d'un comité interministériel, de l'application de l'ensemble des mesures prises pour identifier et surmonter les obstacles. Grâce à l'exceptionnelle mobilisation des gendarmes et des policiers, qui ont été plus de 20 000 à surveiller les routes jour et nuit, le nombre des personnes tuées au cours du week-end qui vient de s'achever est inférieur, selon les premières estimations dont je dispose, de 15 % à celui du week-end du 1er mai et de 10 % à celui du week-end de Pâques -et la représentation nationale s'associera, je le pense, à l'hommage que je rends au policier tué en service alors qu'il effectuait un contrôle.

Nous devons poursuivre cette action, car il n'y a pas de fatalité à la violence routière, même si celle-ci s'explique, vous l'avez dit, par des facteurs culturels. Si nous devons nous employer à éradiquer dès l'école -ainsi que nous en parlions avec le ministre de l'éducation nationale- ces mauvais comportements, nous ne pouvons attendre l'aboutissement de ce travail de longue haleine, et il nous faut faire respecter les règles et sanctionner les conduites dangereuses. Notre détermination ne faiblira pas (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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LIBAN

M. Gérard Bapt - Le candidat Ehud Barak s'était engagé à évacuer avant le 7 juillet prochain la partie du Sud-Liban occupée par Israël depuis plus de vingt ans, et son gouvernement a confirmé cette échéance. Il s'agira toutefois d'un retrait unilatéral, faute d'aboutissement des négociations engagées entre Israël et la Syrie sur le Golan, négociations dont le succès aurait facilité celui des négociations avec le Liban lui-même, étant donné la dépendance de ce pays vis-à-vis de la Syrie. Des actes de guerre ont recommencé à se produire dans la plaine de la Bekaa, à Beyrouth et à Tripoli, qui risquent de relancer le cycle des provocations et des ripostes, avec son cortège de souffrances et de destructions.

Il incombe à la communauté internationale de superviser l'application de la résolution 425 des Nations unies, de sorte que le retrait annoncé se déroule aussi pacifiquement que possible. Quel a été le résultat des multiples initiatives diplomatiques prises par la France et par l'Union européenne auprès du Conseil de sécurité et des Etats de la région ? La France entend-elle renforcer sa présence, notamment dans le cadre de la FINUL, pour que la frontière israélo-libanaise soit enfin sûre et internationalement reconnue ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Depuis que M. Barak a annoncé son intention ferme de se retirer du Sud-Liban, nous nous sommes habitués à cette perspective, qui créera une situation nouvelle, conforme à la résolution 425 sur le rétablissement de la souveraineté et de l'intégrité du Liban - et cela ne vaut pas seulement pour sa partie sud. Nous aurions naturellement préféré que ce retrait s'effectue dans le cadre d'un accord entre Israël, le Liban et la Syrie, qui eût été gage d'une plus grande stabilité, mais nous ne pouvons qu'approuver une décision qui va dans le sens exigé par les Nations unies.

Les conséquences de cette nouvelle situation doivent être examinées dans le cadre du Conseil de sécurité. Le rapport que fera l'émissaire envoyé par M. Annan dans les pays de la région sera, avec les engagements pris par les autres membres permanents du Conseil, l'un des éléments au vu desquels nous déciderons de ce que nous ferons dans le cadre d'une FINUL éventuellement rénovée. Si nous devions en conclure qu'il y a pour nous une tâche à remplir, des questions d'organisation et de commandement devraient alors être réglées, mais nous n'en sommes pas là. Quoi qu'il en soit, nous ferons tout notre possible, lorsque nous aurons tous les éléments d'appréciation, pour contribuer à la sécurité collective et à une coexistence enfin pacifique dans cette région du monde (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

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DÉLINQUANCE DES MINEURS

M. Pierre Cardo - J'observerai, avant de poser ma question, qu'il est pour le moins surprenant que les décrets d'application d'un texte aussi complexe que celui instituant le PACS soient sortis en moins de deux mois, quand ceux de la loi sur les animaux dangereux ont nécessité plus d'un an ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF, exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La délinquance des mineurs ne cesse, depuis plus de vingt ans, de se développer. Elle est devenue à la fois plus fréquente, plus inquiétante, plus violente, plus récidiviste et, surtout, plus jeune, si bien que l'on peut et doit se demander si les procédures qui lui sont applicables ne mériteraient pas d'être révisées.

Ainsi, l'ordonnance de 1945 ne met en jeu la responsabilité des mineurs qu'au-delà de treize ans. Ne conviendrait-il pas d'abaisser cet âge, étant donné les faits que nous pouvons observer quotidiennement ? Ne serait-il pas également légitime, pour les mêmes raisons, de mettre en jeu plus facilement la responsabilité des parents, en prévoyant des sanctions plus réalistes que les seules qu'ils encourent actuellement : deux ans de prison et 100 000F d'amende ? Les contrats locaux de sécurité, enfin, posent une question de fond : est-ce à nous de nous adapter aux procédures judiciaires, ou à la justice de s'adapter aux réalités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. le Président - Vous pouvez choisir de faire un exposé intéressant mais il faut tout de même laisser le temps au ministre de répondre (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Ma réponse sera d'autant plus brève que vous m'avez déjà interrogée l'an dernier à peu près à la même époque, Monsieur le député, sur la réforme de l'ordonnance de 1945.

Le Gouvernement la considère comme un excellent texte, sur la base duquel il faut manifester une volonté politique nouvelle, fondée sur des moyens nouveaux pour lutter contre une délinquance juvénile de plus en plus grave et dont les auteurs sont de plus en plus jeunes.

Qu'a fait le Gouvernement ? (« Rien ! » sur plusieurs bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Sa politique s'ordonne autour de trois axes. Le premier consiste à apporter une réponse systématique, rapide et lisible à chaque acte de délinquance commis par un mineur. A cette fin, deux circulaires ont été envoyées aux parquets en 1998 et 1999 et la plupart d'entre eux traitent désormais ces affaires en temps réel.

Le deuxième axe tend à organiser une coproduction entre les services administratifs de l'Etat et ceux des collectivités locales, car la lutte contre la délinquance doit être coordonnée grâce à des projets territorialisés : c'est le sens des contrats locaux de sécurité.

Le troisième axe consiste à agir sur l'environnement des jeunes, à aider leurs parents à assumer leurs responsabilités et l'école à remplir sa mission de prévention.

Pour ce qui est des moyens, ce gouvernement a fait des efforts sans précédent. En deux ans, 250 postes ont été créés dans les services de protection judiciaire de la jeunesse, soit plus que pendant les dix années précédentes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). 1 000 postes d'éducateurs, dont 680 figurent déjà au budget 2000, seront créés d'ici à 2002. Nous avons également décidé de créer 50 centres de placement et 100 centres éducatifs renforcés. Enfin, nous avons porté de 17 à 60 -et sans doute à 100 dès l'année prochaine- le nombre des Maisons de la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

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POLITIQUE BUDGÉTAIRE DE LA FRANCE

M. Jacques Barrot - En ce cinquantième anniversaire de la construction européenne, l'affaiblissement de l'euro soulève des questions. Sans doute faut-il le relativiser, comme vous l'avez dit, Monsieur le ministre de l'économie. Il n'en traduit pas moins une méfiance des investisseurs à l'égard des marchés, de la solidité de la croissance européenne et de la capacité des gouvernements européens à adopter une démarche économique commune.

Nous nous réjouissons que vous ayez évoqué avec vos partenaires européens la nécessité de mieux coordonner les politiques économiques, mais le gouvernement français peut-il se contenter d'exhortations ? Selon la Cour des comptes, les dépenses publiques ont augmenté de 2,8 % en volume en 1999 et, avec un déficit public égal à 1,8 % du PIB, la France se situe au douzième rang des pays de l'Union européenne.

Comment la France entend-elle assumer sa part de responsabilité dans la lisibilité insuffisante des choix européens ? Comment donner des signes forts à nos partenaires autrement qu'en manifestant une volonté certaine de maîtriser nos dépenses publiques et de réduire un déficit qui ruinerait la croissance en cas de retournement de la conjoncture ?

Bref, pendant la présidence française de l'Union, le Gouvernement a-t-il l'intention de faire cesser cette exception budgétaire française ?

M. le Président - Compte tenu de l'heure, je me vois contraint d'inviter le ministre à la concision.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - J'ai déjà répondu en partie. Même si, sur certains points, les chiffres relatifs au budget de la France font apparaître telle ou telle spécificité, il existe, dans l'ensemble, une convergence des politiques économiques et budgétaires au sein de l'Union européenne. Les derniers travaux de la Commission européenne, tout comme les objectifs de politique économique, dont vous aurez connaissance d'ici à deux ou trois semaines, le montrent. Si cette convergence n'existait pas, certains pays ne manqueraient pas de nous le rappeler.

M. Pierre Méhaignerie - Ils le font !

M. le Ministre - Nous plaidons depuis un certain temps, au sein de l'Union, pour un « gouvernement économique », autrement dit pour une harmonisation plus poussée. Nous avons proposé hier plusieurs initiatives en ce sens. D'autres seront prises pendant la présidence française. Nous serions en contradiction avec nous-mêmes si nous n'appliquions pas le credo que nous demandons aux autres pays de respecter.

D'autre part, je me vois obligé de vous contredire sur certains points : on observe bien une réduction du déficit budgétaire de la France et une diminution de la part des dépenses publiques dans la richesse nationale, cependant que le Gouvernement s'emploie à assurer les tâches du service public, qui profitent à toute la nation.

Enfin, sans trahir de secret, je constate que c'est à l'égard de nos voisins autrichiens que la condamnation de la Commission de Bruxelles est la plus sévère, en leur faisant observer qu'ils ne peuvent pas se réclamer de l'Union européenne tout en proposant une politique économique et budgétaire non conforme à ses exigences.

Bien entendu, nous sommes désireux de progresser mais la France s'inscrit parfaitement dans la logique européenne, tout en défendant ses choix particuliers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

La séance, suspendue à 16 heures 10 est reprise à 16 heure 20.

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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES ORIENTATIONS
DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les orientation de la présidence française de l'Union européenne et le débat sur cette déclaration.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Au moment où notre pays se prépare à assumer la présidence de l'Union européenne, il est naturel que le Gouvernement présente au Parlement les enjeux et les lignes de force de cette présidence, ainsi que les priorités qu'il a élaborées collectivement, avant qu'elles ne soient examinées et arrêtées avec le Président de la République.

Il y a cinquante ans jour pour jour, la France prenait l'initiative de ce qui allait devenir l'Union européenne. La Déclaration Schuman -que nous commémorons aujourd'hui-, le Traité de Paris sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, puis le Traité de Rome, l'Acte unique, les Traités de Maastricht et d'Amsterdam : autant d'étapes dans la réalisation de l'idéal visionnaire d'une poignée d'hommes qui, tirant les leçons du fascisme et de la guerre, ont voulu sceller la réconciliation entre l'Allemagne et la France, établir la paix entre les nations d'Europe et bâtir, dans la prospérité, une communauté de destin.

Nous pouvons aujourd'hui mesurer l'_uvre accomplie en un demi-siècle : l'Europe est libre, en paix, unie. Elle s'est affirmée comme un modèle d'intégration sans équivalent et que bien des peuples et bien des pays nous envoient -et d'abord les treize pays qui aspirent à nous rejoindre au sein de l'Union.

De cette grande aventure collective, notre pays a été un des artisans majeurs. Il a contribué à façonner les traits de l'Europe d'aujourd'hui, sachant toujours faire avancer l'entreprise de façon pragmatique mais résolue.

Le Gouvernement que je dirige a apporté sa pierre à l'édifice. Depuis près de trois ans, il a pris une large part des décisions arrêtées en vue de rapprocher l'Europe de ses citoyens, et d'en faire un espace de croissance et de cohésion sociale.

La France va exercer la présidence à un moment historique, celui où la fin de la coupure de l'Europe va enfin se concrétiser par l'élargissement de l'Union. Mais de réelles interrogations se font jour quant au fonctionnement d'un ensemble qui comptera progressivement vingt, vingt-cinq, ou peut-être même trente membres, quant à son avenir en tant qu'organisation politique et à sa capacité à peser sur les affaires du monde. Relever le défi suppose qu'avec nos partenaires, nous redonnions à la construction européenne un sens qui paraît parfois s'estomper et que je voudrais à présent affirmer devant vous.

L'Europe est une union de nations, librement et pleinement consentie. Loin d'être la négation de la nation, elle en est le prolongement et l'approfondissement. Les affaires « européennes » ne sont plus des affaires « étrangères », ni le débat européen une donnée externe au débat national. La France existe pleinement, mais ne peut être séparée de l'Europe.

L'Europe est un modèle de civilisation : d'une civilisation fondée sur le dialogue des cultures, d'une civilisation où s'épanouissent la démocratie et la liberté -les libertés.

Elle doit être un espace de croissance -d'une croissance mise au service du plein emploi et de la cohésion sociale. Il lui faut par conséquent reconquérir une prééminence technologique, favoriser la créativité, se défendre dans la compétition mondiale, contribuer à une globalisation maîtrisée. Sur ce territoire où les luttes sociales ont fait avancer la cause de l'égalité et de la justice, la performance économique est indissociable du progrès social.

La France souhaite conduire une présidence ambitieuse et l'inscrire dans la continuité des travaux de l'Union européenne. Dans cette perspective, le Gouvernement et chacun des ministres qui le composent seront mobilisés pour assumer la responsabilité qui nous est confiée. Ce sera le cas, plus particulièrement, du ministre des affaires étrangères, qui présidera le Conseil, et du ministre délégué chargé des affaires européennes.

Trois axes guideront la présidence française : une Europe au service de la croissance et du plein emploi ; une Europe plus proche des citoyens ; une Europe plus efficace et plus forte.

Premier axe, une Europe au service de la croissance et du plein emploi. Comme nous nous y étions engagés, nous avons mis ces questions au c_ur de l'action européenne : à Amsterdam, avec la résolution sur le pacte de solidarité et de croissance ; à Luxembourg, avec la première réunion du Conseil européen consacrée à l'emploi...

Un député RPR - A Vilvoorde ?

M. le Premier ministre - ...à Cardiff, en mettant l'accent sur la réforme économique et à Cologne, enfin, avec l'idée d'un Pacte européen pour l'emploi. Depuis Vilvoorde, Monsieur le député, il y a 700 000 chômeurs de moins en France et un million d'emplois ont été créés... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Plusieurs députés RPR - Mais vous n'y êtes pour rien !

M. le Premier ministre - ...et je suis heureux que vous vous en réjouissiez !

C'est dans le même esprit que nous soutenons l'action de la présidence portugaise, dont je tiens à saluer l'excellent travail. La conjugaison de nos efforts a permis de définir un objectif stratégique : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie. Pour y parvenir, une croissance annuelle moyenne de 3 % est devenue une référence commune aux Quinze.

Dans cette perspective, nous allons travailler à la mise en _uvre des propositions concrètes adoptées à Lisbonne.

Notre première priorité sera l'adoption d'un « agenda social » car s'il faut satisfaire aux exigences de la compétition économique mondiale, nous n'entendons pas renoncer au modèle de société que nous avons construit depuis un demi-siècle. Une Europe plus forte, c'est aussi une Europe au service de la justice sociale. Je souhaite donc que le contenu de cet agenda soit ambitieux en termes de protection sociale de droit du travail, de politique de l'emploi ou de lutte contre toutes les formes de discrimination. A cette fin, nous définirons un programme de travail à l'horizon de cinq ans avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés.

Notre deuxième priorité est le renforcement du pôle économique, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque centrale européenne. Symbole de l'identité européenne, l'euro a contribué fortement à notre stratégie collective de croissance et d'emploi, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Laurent Fabius. L'euro a, jusqu'à présent, d'autant mieux joué ce rôle qu'il repose sur des fondements solides : la croissance de la zone euro s'accélère, les pressions inflationnistes sont contenues, les transactions courantes sont en excédent, le pouvoir d'achat des citoyens européens est garanti. L'euro a joué le rôle de « bouclier » qu'on attendait de lui, mettant ainsi l'Europe à l'abri des désordres monétaires internes et au-delà du rapport entre le dollar et l'euro, j'insiste sur ce rôle essentiel de la monnaie européenne, dont je rappelle qu'elle n'est pas encore la monnaie concrète, en billets et en pièces, de tous les Européens. J'ai d'ailleurs l'intuition forte qu'une part de ses difficultés actuelles tient à son manque de matérialité pour les centaines de millions d'Européens.

Au regard du fort potentiel de croissance de la zone euro, nous ne pouvons être satisfaits de l'évolution actuelle de son cours et nous devons donc renforcer le rôle de l'« euro 11 », avec le souci d'assurer une meilleure visibilité de la politique économique de la zone et de l'autorité politique qui la conduit.

Nous nous efforcerons également de faire avancer l'harmonisation fiscale. L'Europe doit aussi mettre en _uvre de nouvelles régulations économiques et pour cela hâter l'organisation de la scène financière internationale, à travers notamment l'adoption de la directive sur le blanchiment des capitaux. Nous poursuivrons la lutte contre la criminalité organisée en favorisant le rapprochement des dispositions juridiques relatives au dépistage et à la confiscation d'avoirs d'origine criminelle ou provenant de centres off-shore.

Notre troisième priorité est de placer l'Europe à la pointe de la société de l'information. Pour retrouver le plein emploi, l'Europe doit s'affirmer comme le continent de l'innovation. Nous soutiendrons la création d'entreprises innovantes grâce au capital-risque et nous encouragerons l'Internet de deuxième génération, ainsi que les contenus et les services européens. Nous nous emploierons à faire progresser l'adaptation du cadre réglementaire européen aux exigences de la société de l'information. Dans le même temps, il nous faut préserver la cohésion sociale face à la menace de « fracture numérique ». Nous progresserons vers l'objectif, prévu à Lisbonne, d'un raccordement de toutes les écoles à l'Internet d'ici la fin de 2001.

Notre quatrième priorité sera la construction d'un véritable espace européen de la connaissance, d'autant plus indispensable que c'est par l'éducation que les jeunes acquerront les valeurs indispensables à l'émergence d'une citoyenneté européen. L'Europe, forte de son système éducatif comme de sa recherche, dispose d'atouts décisifs dans la compétition économique internationale. Mais nous devons encore étoffer les échanges et il reviendra à notre présidence de lever les obstacles à la mobilité des étudiants. L'objectif pourrait être de multiplier par dix, en cinq ans, le nombre d'étudiants en mobilité.

Les priorités que je viens d'évoquer se traduiront par des programmes de travail dont la mise en _uvre dépassera le second semestre 2000. Elles amplifient la réorientation de l'Europe vers la croissance et l'emploi, que nous défendons depuis trois ans.

Deuxième axe de notre présidence, une Europe plus proche des citoyens et qui réponde à leurs préoccupations.

Au premier rang de celles-ci figurent la santé publique et la protection des consommateurs. Nous avons tous à l'esprit le dossier de la « vache folle ». Je souhaite que nous puissions jeter les fondations d'une « autorité alimentaire européenne indépendante », telle que la Commission européenne l'a préconisée sur notre suggestion dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments. La France cherchera à faire progresser également la réflexion sur le principe de précaution. Elle s'attachera à ce que des mesures concrètes soient adoptées pour renforcer l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des filières.

Une autre préoccupation majeure est l'accès de tous à des services publics de qualité. La présidence française sera donc l'occasion d'une réflexion sur l'importance des services d'intérêt général en Europe.

Dans le domaine de l'environnement, la présidence française s'efforcera, lors de la Conférence de La Haye de novembre 2000, de faire franchir à l'Europe une nouvelle étape dans la mise en _uvre du protocole de Kyoto. La conférence préparatoire qui se tiendra en juillet prochain, à Lyon, Monsieur le Premier ministre Raymond Barre, constituera à cet égard une échéance importante et je suis heureux de rappeler que la France est le premier pays européen qui a adopté un programme national de lutte contre l'effet de serre.

Pour ce qui concerne la sécurité dans les transports, je souhaite -comme je l'avais dit au lendemain du naufrage de l'Erika- que notre présidence permette l'adoption de mesures tendant à améliorer la sécurité du transport maritime. Nous viserons aussi à de réelles avancées dans l'harmonisation des temps de travail dans le transport routier.

La maîtrise de la politique d'immigration et du droit d'asile intéresse légitimement nos concitoyens, et justifie une action concertée à l'échelle européenne. Des orientations importantes ont été décidées en octobre 1999, lors du Conseil européen spécial de Tampere, en Finlande. Notre présidence engagera leur mise en _uvre, pour ce qui concerne en particulier la délivrance des titres de séjour de longue durée, l'harmonisation des conditions d'accueil et la lutte contre l'immigration irrégulière.

Nous devons aussi construire un espace judiciaire européen. La multiplication de situations dramatiques, concernant par exemple les enfants de couples binationaux divorcés, appelle l'adoption, sous notre présidence, de mesures visant justement à la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires, laquelle sera également importante pour nos entreprises. Nous devrons aussi progresser vers la création d'un réseau judiciaire européen.

Dans le domaine du sport, le second semestre 2000 sera riche en événements : je pense au Tour de France, au championnat d'Europe de football ou aux Jeux Olympiques de Sydney. Il doit être l'occasion de renforcer l'efficacité de l'action européenne contre le dopage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Une déclaration pourrait d'autre part être adoptée au Conseil européen de Nice pour affirmer, dans le droit communautaire, la spécificité et le rôle social de ce secteur.

Enfin, nous devons préparer les Français et les Européens à la mise en circulation de l'euro. Certes, le passage pratique à l'euro relève d'abord de la responsabilité des Etats et des gouvernements -et nous y veillerons pour ce qui nous concerne. Nous devons toutefois, au plan communautaire, accorder dès maintenant une attention particulière à la préparation de cette échéance. Nous devrons améliorer l'échange d'informations et la coordination entre les Etats membres pour préparer l'introduction, en janvier 2002, des billets et des pièces en euro.

Répondre aux préoccupations des citoyens de l'Europe, c'est aussi assurer leur sécurité collective à l'échelle du continent. Notre présidence sera ainsi l'occasion de confirmer la perspective historique que nous avons ouverte depuis près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense. On se souvient de l'échec, en 1954, de la Communauté européenne de défense. Mesurons le chemin parcouru. Notre pays a joué depuis quelques mois un rôle essentiel pour rendre crédible la défense européenne. Nous entendons mettre à profit notre présidence pour préparer le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense.

Grâce au rapprochement de ses forces armées, l'Europe, fidèle à son attachement à la paix et au droit international, doit pouvoir assurer sa sécurité et participer à la prévention des conflits à travers le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un jalon. Il faut aller plus loin, et nous y travaillons, semaine après semaine, en étroite coordination avec nos partenaires. Si nous y parvenons au cours du second semestre 2000, nous aurons franchi une étape décisive dans la construction d'une Europe politique.

Mais pour que nous menions à bien ces priorités, pour que nous puissions faire progresser le modèle européen, pour que l'Europe soit au service de tous ses citoyens et qu'elle soit ressentie comme telle pour tous, il est indispensable que l'Union européenne fonctionne mieux. Tel sera le troisième axe de notre présidence : nous voulons une Europe plus efficace et plus forte. L'Union a su franchir depuis quinze ans des étapes décisives : l'achèvement du marché unique, la création de l'euro. Mais elle n'a pas échappé à la critique d'être une construction souvent élitiste, tournée d'abord vers l'économie et le commerce, et négligeant, du moins jusqu'à une période récente, les questions essentielles du chômage, de la pauvreté et de l'exclusion. Par ailleurs, la question de son fonctionnement et de l'efficacité de ses mécanismes de prise de décision est posée, en particulier dans la perspective de l'élargissement.

Nos concitoyens éprouvent à l'égard de l'Europe des sentiments mêlés. D'un côté l'adhésion à l'Europe ne se dément pas, mais se renforce : de l'autre se fait jour une incompréhension croissante du fonctionnement et de certaines actions de cette Europe. Nous percevons tous cette contradiction. Les citoyens transposent logiquement au niveau européen l'exigence de transparence et d'efficacité dans l'action publique qu'ils adressent aux gouvernements nationaux. Ils veulent que la construction européen sorte de l'opacité technocratique qui lui est souvent reprochée. Ils entendent que l'Union se recentre sur leurs préoccupations, qu'ils expriment en particulier à travers leurs élus, au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Ils veulent aussi que les compétences de l'Union et celles de chacun des Etats soient mieux définies, ce qui appelle une reconnaissance plus grande du principe de subsidiarité.

M. Alain Madelin - Très bien !

M. le Premier ministre - Ils veulent surtout connaître et choisir l'avenir où les conduit la construction européenne. Ils veulent, en un mot, que l'Europe soit effectivement pilotée et contrôlée dans l'esprit et selon les règles des démocraties parlementaires.

Renforcer l'adhésion au projet européen, conforter le sentiment d'appartenance de nos concitoyens à une communauté de destin, fondée sur des valeurs partagées, régie par des principes démocratiques et conduite par des acteurs responsables devant les peuples : tel sera le cap politique de notre présidence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Une occasion nous sera donnée de consacrer cette communauté de valeurs en faisant aboutir, à la fin de l'année 2000, le projet de Charte européenne des droits fondamentaux. C'est dans les dernières semaines de notre présidence que nous pourrons savoir à quel contenu aura abouti l'instance chargée de rédiger la Charte, instance à laquelle participent le Parlement européen et les Parlements nationaux. Il sera alors plus aisé de préciser le statut juridique de ce texte. Nous ne convaincrons les citoyens d'Europe de l'intérêt de la Charte qu'en montrant qu'elle consacre avant tout une démarche politique, visant à rendre les institutions européennes plus sensibles à leurs préoccupations : liberté et justice, croissance et emploi, santé et sécurité, égalité des chances, environnement. La Charte saura alors trouver, sinon nécessairement son intégration dans les traités, du moins sa place dans la conscience politique des Européens.

Mais pour prendre corps, ces valeurs partagées doivent être portées par des institutions aussi démocratiques, légitimes et efficaces que possible. C'est pourquoi le second semestre 2000 sera un moment-clé pour la réforme des institutions de l'Union européenne.

Cette réforme est nécessaire car aujourd'hui l'Union ne fonctionne pas bien. Elle est indispensable pour qu'une Europe élargie puisse encore avancer. Je n'entrerai pas dans le détail des questions institutionnelles : c'est l'objet d'un débat que le Gouvernement poursuit assidûment avec la représentation nationale, et notamment avec votre Délégation pour l'Union européenne et votre commission des affaires étrangères. Je rappellerai cependant la nécessité de régler trois questions centrales qui ne l'ont pas été à Amsterdam. Il faut rendre à la Commission une taille et une organisation qui lui permettent d'assumer son rôle d'impulsion ; généraliser, à quelques exceptions près, le champ du vote à la majorité qualifiée, pour éviter la paralysie ; enfin rendre plus fidèle aux réalités démographiques le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union. D'autres réformes, pour ne pas relever des traités, n'en sont pas moins importantes : elles concernent, pour l'essentiel, l'organisation et les méthodes de travail de la Commission et du Conseil. Il nous faut en particulier un Conseil mieux structuré, capable de mieux coordonner les activités de l'Union, en assumant pleinement ses prérogatives par rapport à celles de la Commission et du Parlement européen.

Nous nous efforcerons donc de conduire à son terme la négociation engagée au début de l'année sous les auspices de la présidence portugaise, et qui concerne les réformes strictement indispensables au fonctionnement de l'Union. Mais nous devons aussi, pour faciliter la poursuite du processus d'intégration européenne, rendre plus souple et plus efficace un dispositif qui existe déjà dans l'Union : la coopération renforcée. Elle permet à quelques Etats de coopérer ensemble, dans tel ou tel domaine, et d'aller plus vite et plus loin dans l'union. L'Union économique et monétaire en constitue une illustration. Ainsi, certains Etats pourront progresser dans l'intégration, en laissant toujours aux autres la possibilité de les rejoindre à leur rythme. Cette perspective est essentielle, et le sera plus encore dans une Union élargie. Elle offre le moyen de poursuivre, en évitant le sempiternel débat entre modèles fédéral ou confédéral, la démarche pragmatique qui a toujours prévalu et qui était celle des Pères fondateurs, démarche seule susceptible de prendre en compte le caractère évolutif de notre famille européenne.

Je sais que des réflexions plus larges sont en cours. On se demande non seulement comment éviter la dilution ou la paralysie d'une Union très élargie, mais comment poursuivre le projet européen. Certains parlent d'une réforme profonde des institutions de l'Union, qui redéfinirait les rôles du Conseil, du Parlement ou de la Commission, voire donnerait lieu à la création d'institutions nouvelles. On évoque aussi la constitution, par une avant-garde de quelques pays, d'une fédération d'Etats nations, un noyau dur caractérisé par un surcroît d'intégration. On envisage encore l'élaboration d'une « Constitution » européenne, redéfinissant les compétences et les modes d'action entre l'Union et les Etats membres. Ces débats sont légitimes et doivent être poursuivis activement, mais avec assez de réalisme pour avoir des chances de déboucher. Voir loin, réfléchir au fonctionnement d'une Union élargie à une trentaine de membres, ne doit pas conduire à bâcler les réformes que nous devons faire aujourd'hui. Sans doute ces réformes seront-elles insuffisantes sur le long terme, mais il serait déraisonnable d'en tirer prétexte pour essayer de bouleverser l'équilibre des institutions.

L'Europe va affirmer son unité. Nous devons y être prêts. Les pays candidats ont façonné l'histoire de notre continent et veulent partager avec nous une communauté de destin. Certains parmi eux attendent particulièrement, pendant notre présidence, des décisions importantes concernant des choix clairs de méthode pour la fin des négociations...

M. Jacques Myard - On cherche encore !

M. le Premier ministre - Nous devrons répondre à ces attentes, comme je l'ai dit tout récemment à Budapest.

Or l'élargissement soulève des questions fortes. Une Union de trente membres peut-elle véritablement fonctionner ? Si oui, comment ? Un ensemble élargi peut-il se doter d'une politique économique et sociale qui soit cohérente et efficace ?

M. Pierre Lellouche - Quelles sont vos réponses à ces questions ?

M. le Premier ministre - Je ne peux vous donner que les indications arrêtées par les autorités publiques françaises. Cela ne vous a pas échappé. Nous continuerons, enrichis par ce débat et vos propositions, à nourrir cette présidence. Les questions que vous me posez s'adressent aux autorités publiques françaises, et je ne doute pas qu'elles les écouteront dans leur ensemble avec attention (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Comment veiller à ce que l'Union, en s'élargissant, ne se réduise pas à une zone de libre-échange, et demeure une véritable communauté ? Sur toutes ces questions la France doit s'exprimer d'une seule voix. Souffrez donc que je n'anticipe pas sur la façon collective dont notre pays élabore sa position pour exercer la présidence française. Sinon vous seriez fondés à m'administrer d'autres reproches. Il ne faut pas jouer sur tous les tableaux, Monsieur Lellouche. Vous le faites souvent, mais c'est aux dépens de votre cohérence de pensée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Il faut bien préparer l'Union au bouleversement sans précédent que représentera l'élargissement. C'est ce que nous avions indiqué, au moment de la signature du traité d'Amsterdam. C'est ce que l'Assemblée et le Sénat ont solennellement confirmé en autorisant la ratification de ce traité. C'est ce qui a été admis par l'ensemble de nos partenaires. Mais il faut être clair aussi sur le rythme de ces évolutions : s'il n'est pas question de retarder le processus historique de l'élargissement, il n'est pas question non plus de brûler les étapes.

Pour réussir, le processus d'élargissement doit être maîtrisé. Tel sera le sens des réunions de la Conférence européenne qui seront organisées au second semestre 2000 -et notamment de celle qui se tiendra, en décembre, à Nice, avant le Conseil européen. Ces réunions devront être l'occasion de renforcer notre dialogue avec les pays candidats. Ensemble, nous préfigurerons le cheminement politique qui conduira ces pays dans l'Union, au terme du processus de négociation.

Donner à l'Europe les moyens institutionnels de sa cohérence et de son rayonnement, lui conférer une volonté politique, contribuer à en faire un espace de croissance et de plein emploi, lui permettre de prendre toute sa place sur la scène internationale : voilà les objectifs auxquels nous voulons, au cours de notre présidence, travailler avec détermination, en étroite association avec vous.

L'Europe nous a apporté beaucoup depuis cinquante ans et reste une promesse pour la grande et vieille nation qu'est la France. Avec l'Europe, notre pays se donne des atouts pour se projeter vers le monde, pour défendre ses intérêts, pour faire vivre les valeurs qui fondent son identité.

La présidence nous offre la chance de montrer que notre pays est demeuré fidèle à sa vocation de bâtisseur d'une Europe plus unie et plus forte. Nous avons su, il y a cinquante ans, ouvrir la voie. Sachons aujourd'hui réunir la famille européenne et lui donner les moyens d'être un des acteurs majeurs du XXIe siècle, en préservant cette combinaison, unique, de souverainetés partagées et d'identités respectées qui fait l'originalité et la fécondité de l'aventure européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

M. le Président - Dans le cadre du débat défini par la Conférence des présidents, je demande à chaque orateur de respecter scrupuleusement son temps de parole.

M. Valéry Giscard d'Estaing - Je ne sais pas qui je dois remercier, du hasard ou de la finesse de la Conférence des présidents, qui a fixé au 9 mai 2000 le débat sur la contribution de la France au progrès de l'Union européenne. C'est une date particulièrement symbolique !

Le demi-siècle qui court du 9 mai 1950 au 9 mai 2000 restera dans l'histoire comme celui où les grandes puissances européennes auront mis fin aux cauchemars meurtriers qui ont ensanglanté notre continent, depuis la guerre de Trente ans jusqu'au dernier conflit mondial. Le point de départ de ce processus a été la déclaration de Robert Schuman, le 9 mai 1950, cinq ans après l'arrêt des combats (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL). Robert Schuman était un parlementaire. De 1919 à 1940, puis de 1945 à 1962, il a représenté la Moselle dans notre assemblée.

A nouveau, le hasard nous adresse un signe en inscrivant en tête des intervenants le porte-parole du groupe dans lequel Robert Schuman a siégé pendant toute sa carrière politique, et qui reste fidèle à sa grande inspiration (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Le rôle de la France est moins de présider pendant six mois le Conseil européen, tâche qui nous revient au titre d'une simple et d'ailleurs funeste rotation, que de clarifier les termes du débat européen et de définir la ligne de conduite de notre pays.

M. Pierre Lellouche - Tout à fait !

M. Valéry Giscard d'Estaing - On ne progressera pas aussi longtemps qu'on n'aura pas admis que la décision du grand élargissement de l'Europe, prise à Helsinki, a changé la nature du projet européen.

M. Jacques Myard - C'est vrai !

M. Valéry Giscard d'Estaing - Ce projet consistait à intégrer un nombre relativement restreint de pays, présentant des caractéristiques voisines, pour leur permettre d'exercer en commun des compétences définies par les traités.

Il est tout entier contenu dans la dernière phrase de la déclaration de mai 1950 : « Par la mise en commun de productions de base et l'institution d'une Haute autorité, dont les décisions lieront la France et l'Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une fédération européenne, indispensable à la préservation de la paix ».

La meilleure manière de commémorer cette déclaration, c'est de la relire !

Telle a bien été la ligne directrice de la politique suivie pendant le dernier demi-siècle, et qui a atteint plusieurs de ses objectifs : la réconciliation franco-allemande, l'éradication du risque de guerre entre les puissances européennes, la mise en place d'institutions communes, l'engagement de politiques communes, depuis le marché commun jusqu'à l'euro.

Ce fut une ligne continue en vue d'atteindre un niveau élevé d'intégration, souhaité par les uns, contesté par les autres, mais recherché en fait depuis les années 1970 jusqu'aux années 1990 par les présidents de la République et les gouvernements qui se sont succédé, une montée en puissance historique de l'Europe.

Le choix du grand élargissement a changé cet objectif.

Il ne serait pas réaliste de vouloir atteindre, à 26 ou 30 Etats, le même niveau d'intégration qu'on recherchait difficilement à 9 ou à 12, dans les traités de Rome et de Maastricht.

L'option en faveur de l'espace comporte un renoncement, au moins temporaire, à l'objectif d'intégration poussée, c'est-à-dire à la puissance.

Il faut cesser d'égarer l'opinion en lui faisant croire que nous allons continuer d'avancer dans la même direction, en nous contentant d'être plus nombreux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL), ou, pire, de lui expliquer que nous allons réussir à faire davantage à 26 que ce que nous avons été capables de faire à 9 ou à 12 ! Cela relève de la fantaisie ou de l'irresponsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

L'intégration de 26 Etats à caractéristiques économiques et sociales très éloignées, parlant vingt langues différentes, avec une population supérieure de moitié à celle des Etats-Unis d'Amérique, n'a guère de possibilité de devenir étroite dans le monde du XXIe siècle où s'affirment, parfois avec violence, les besoins d'identité et de diversité, ainsi que des revendications ethniques.

Nous devons désormais nous atteler à deux tâches différentes.

La première consiste à organiser de manière efficace et démocratique l'ensemble du continent européen, c'est-à-dire l'Union européenne élargie, en visant un niveau d'intégration plus réaliste et en le dotant d'institutions réformées (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Cette organisation de l'Europe élargie lui permettra, comme l'a dit Jacques Delors, de tirer parti de la mondialisation, tout en se protégeant des excès de celle-ci. Il nous faut, d'autre part, préserver les chances d'une union plus intime entre ceux des Etats européens qui en manifesteront la volonté politique.

Les institutions prévues pour la petite Europe des Six sont appelées à devenir celles de l'Europe élargie à 26 ou à 30. Nous avons voté, à l'initiative de la commission des affaires étrangères et avec l'accord du Gouvernement, un texte qui fixe une chronologie : d'abord le texte sur la réforme, ensuite les accords d'élargissement. Nous veillerons au respect de cet engagement. C'est l'enjeu de la conférence intergouvernementale en cours, pour laquelle on nous laisse espérer une issue favorable d'ici la fin de l'année. Acceptons-en l'augure, bien que peu de progrès aient été réalisés jusqu'ici, mais ne faisons pas -j'ai cru vous entendre, Monsieur le Premier ministre, émettre une idée voisine- de la date de conclusion l'enjeu essentiel de la négociation ! Ce n'est pas la date qui compte, c'est la qualité de la réforme. « Une conclusion hâtive, sur de mauvais compromis, serait une erreur ». Je souscris à cette déclaration du commissaire chargé de la réforme, Michel Barnier.

Or nous entendons avancer, ici ou là, des propositions de mauvais compromis. Prenons deux exemples, et d'abord celui de la composition de la Commission. La seule vraie réforme consiste à fixer le nombre des commissaires au niveau de celui des fonctions à exercer : entre douze et quinze, comme la France, l'Italie et la Belgique l'ont proposé. Quand on nous parle de vingt commissaires, c'est uniquement pour utiliser l'artifice facile consistant à dépouiller les grands Etats membres, dont la France, de leur deuxième commissaire, afin d'attribuer leurs postes aux cinq prochains candidats à l'élargissement ! C'est une réforme en trompe-l'_il, qui vise à faire croire qu'on maintient le principe d'un commissaire par Etat, tout en affaiblissant la représentativité de la commission, en dépouillant trois des grands Etats fondateurs !

M. Pierre Lellouche - Très bien !

M. Valéry Giscard d'Estaing - Que fera-t-on ensuite, quand il faudra passer de 20 à 26, et qu'il n'y aura plus de réserve cachée où aller puiser ? Nous aurons plus de commissaires qu'il n'en faut pour exercer les fonctions, et moins qu'il est nécessaire pour attribuer un commissaire par Etat !

Autrement dit, la réforme souhaitable consiste à fixer un nombre égal à celui des fonctions à exercer, et la négociation devrait porter exclusivement sur les modalités de leur nomination et de leur répartition géographique.

A défaut, mieux vaut conserver le système actuel, qui a le mérite d'être plus représentatif que celui qu'on nous propose.

Le second exemple est celui du vote à la majorité qualifiée. Si l'Union s'agrandit et se diversifie, il deviendra de plus en plus difficile d'imposer des solutions uniformes. Il suffit de penser à la fiscalité ou à la législation sociale : on voit mal comment prétendre imposer le même modèle social à la Roumanie et à la Suède ! Pour que la minorité accepte de se plier aux décisions de la majorité, il faut que celle-ci apparaisse comme massivement représentative. Or, on nous suggère de nous en tenir à la constatation d'une majorité simple de la population de l'Union.

Une majorité simple des peuples ne représente pas une majorité qualifiée. Cela signifierait que dans la moitié de l'Union, les peuples et les Parlements qui la représentent, seraient hostiles à la décision prise. Il y a peu de chances qu'ils l'acceptent sans réagir.

Je vois un petit compteur à grains rouges, qui me signifie que mon temps de parole s'écoule (Sourires). La Présidence ne peut-elle actionner le frein ? (Rires)

M. le Président - Je crains de ne pas disposer de ce pouvoir...

M. Valéry Giscard d'Estaing - En ce cas j'abrégerai mon propos.

En résumé, nous avons besoin de deux avancées : un bon accord, non un accord en trompe-l'_il, sur la réforme des institutions, et une application effective du principe de subsidiarité, dont nous avons obtenu l'inscription dans le traité de Maastricht, et qui est resté en somnolence depuis.

Nous devons aussi préserver les chances d'intégration de ceux des Etats d'Europe qui auront la volonté de bâtir une union plus intégrée, une véritable puissance européenne. Cette idée ne paraît pas être à la mode, et elle n'est plus portée par aucun des dirigeants des grands pays fondateurs, à l'exception de l'Italie. Les Européens convertis ne sont pas tous devenus des Européens convaincus !

Et pourtant, cette idée reste le seul projet fort, le seul projet à contenu historique pour l'Europe de notre temps, le seul projet qui puisse rassembler la jeunesse de l'Europe ! Comme toutes les idées fortes, celle-ci continuera à cheminer, et elle s'imposera, un jour, comme une nécessité ! Nous devons lui laisser toutes ses chances de se réaliser. A l'heure actuelle, sa meilleure chance s'appelle les coopérations renforcées.

Celles-ci constituent, dans l'état actuel de l'Union, les seules avancées possibles de l'intégration européenne.

Il faut cependant lever l'obstacle introduit par le traité d'Amsterdam, selon lequel ces coopérations doivent concerner au moins une majorité d'Etats membres. Elles rassembleront un nombre variable d'Etats, mais il est vraisemblable que l'on retrouvera un même groupe présent dans toutes ces structures. C'est de ce groupe que jaillira, le moment venu, une nouvelle initiative de création d'une puissance européenne. Le moment n'est pas encore mûr, mais la nécessité et la vision finiront par l'imposer.

Nous avons toujours été favorables à l'adoption d'une loi fondamentale, d'une véritable Constitution pour l'Europe. Pour mériter ce nom, cette Constitution devra traiter les grands enjeux de l'organisation politique de l'Europe, ceux qui ont été laissés à l'écart de la conférence intergouvernementale. S'il était vidé de cette substance, ce texte appellerait le jugement sarcastique de Paul Valéry : « le doute conduit à la forme ! ».

Je conclurai en disant un mot de la plus décisive des coopérations renforcées, celle de l'euro. Je suis soucieux pour l'euro et je vous demande, Monsieur le Premier ministre, de considérer que la présidence française doit inscrire parmi ses priorités sa consolidation. Nous avons souhaité qu'il soit indépendant ; nous n'avons pas demandé qu'il soit orphelin !

Il a été introduit au taux de 1,17 dollar, ce qui était excessif, mais il est coté aujourd'hui au taux de 0,90, ce qui est trop bas. Cette dépréciation instille dans l'économie européenne un germe d'inflation, retarde nos efforts de compétitivité, et entraîne des hausses de taux d'intérêt qui pénaliseront un jour -peut-être prochain- la croissance. Ses causes sont relativement aisées à identifier : un tiers provient de sa surévaluation initiale, que le marché était appelé à corriger ; un tiers de la prévision de l'écart à moyen terme entre le dynamisme de l'économie américaine et celui de l'économie européenne qui appellerait des réformes et des initiatives de notre part ; et pour le dernier tiers, cette faiblesse de l'euro s'explique par son isolement. L'euro est indépendant d'un gouvernement, certes, mais d'un gouvernement qui n'existe pas ! A monnaie unique, il faut un interlocuteur unique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Les tentatives faites en 1998, à l'initiative de Dominique Strauss-Kahn, pour donner de la consistance au conseil des ministres de la zone euro, n'ont guère eu de suite, et la bataille, bien oubliée, qu'ont menée les gouvernements, lors de la négociation de Maastricht, pour se réserver la compétence en matière de cours de change extérieur, paraît bien dérisoire, quand on constate leur mutisme actuel, alors que l'article 211 du traité permet au Conseil de « formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis des monnaies non communautaires ».

Une perte de valeur de l'euro d'un quart en dix-sept mois devrait appeler au moins une réflexion commune. Certains diront que le niveau de vie et la consommation restent élevés, mais les acquisitions d'entreprises européennes par les capitaux étrangers sont désormais moins chères d'un quart (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Nous avons suffisamment accusé les Etats-Unis de négligence bénigne dans la gestion du dollar, pour ne pas encourir nous-mêmes le reproche de négligence totale. Il nous faut un conseil des ministres spécialisé de la zone euro, et une enceinte parlementaire où la Banque centrale puisse débattre de la politique de l'euro et la soumettre à la nécessaire critique. Il y a là matière à une initiative essentielle de la présidence française.

L'ère de la construction européenne que nous allons traverser sera différente de celle du dernier demi-siècle. C'est inévitable, et c'est naturel. Puisse-t-elle seulement se révéler aussi bénéfique pour nos peuples !

Je souhaite que l'agrandissement de l'Union européenne ne se fasse pas au détriment de son rêve d'unité, d'identité et de puissance. Car n'oublions jamais que la puissance, lorsqu'elle est dépourvue de toute velléité impérialiste, est le meilleur garant de l'indépendance et de la paix (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Robert Hue - Outre ses dimensions institutionnelles, la présidence française du Conseil de l'Union européenne doit être l'occasion d'ouvrir un débat public et citoyen, sur l'avenir de l'Europe.

C'est, en effet, de la vie quotidienne des peuples de notre continent qu'il s'agit et de leur capacité à vivre ensemble dans un environnement sûr, pour ouvrir les voies du développement et du progrès social. Et je veux voir dans notre débat un appel adressé en ce sens aux Françaises et aux Français.

La présidence française ne résoudra pas, en six mois, des problèmes délicats dont certains, telle la réforme des institutions ou l'élargissement, exigent encore de longues négociations, plutôt que la précipitation ou le passage en force. N'entretenons pas non plus l'illusion que la France, seule, pourrait imposer ses vues à ses partenaires.

Mais elle doit affirmer l'ambition d'imprimer sa marque, au cours de la politique européenne, dégager des priorités et faire avancer, dans les domaines cruciaux, des idées et des propositions nouvelles.

Trois raisons commandent de conforter cette ambition. Tout d'abord, la présidence française va se dérouler sous le regard de l'opinion publique. Il est donc de la responsabilité de celles et ceux qui sont investis dans la vie politique et sociale, de favoriser dans le pays la discussion des enjeux européens, en relation avec les attentes sociales et les exigences démocratiques qui s'y expriment. C'est d'autant plus nécessaire que le sentiment grandit, non sans raison, que l'Europe est coupée des citoyens et de ce qui fait leur vie. L'abstention massive aux élections européennes en est un révélateur particulièrement préoccupant.

La deuxième raison tient à l'intérêt et à l'importance que l'expérience originale de la gauche plurielle en France revêt pour de nombreux Européens, et bien au-delà. Tous les efforts des communistes convergent pour que le Gouvernement engage les réformes de structures conformes aux attentes du pays. Et c'est avec la même volonté constructive que nous formulons des propositions pour que la France agisse afin que les décisions européennes correspondent aux attentes et aux exigences du mouvement social.

Enfin, cette ambition nous est imposée par les difficultés mêmes que rencontre la construction européenne, par la crise qui la frappe et qui affecte son dessein. Les doutes s'affirment publiquement. 50 ans après les discours fondateurs, 10 ans après la chute du mur de Berlin, la construction européenne poursuit sa trajectoire sans la dynamique d'un projet capable de mobiliser les peuples. La construction européenne est frappée d'inertie institutionnelle.

La montée des exigences sociales et citoyennes, la critique grandissante du libéralisme, l'impérieuse nécessité de nouer des rapports nouveaux avec les autres pays du continent, bloquent ou font craquer les cadres établis. C'est bien un élan radicalement nouveau qu'il faut à la construction de l'Europe, pour lui redonner du sens, pour relever le défi de l'élargissement, pour peser dans la mondialisation autrement qu'en faisant la course avec le modèle ultralibéral d'outre-Atlantique. Ce nouvel élan, l'Europe ne le trouvera qu'en donnant la priorité au social et en faisant de la participation démocratique le critère de la construction institutionnelle et politique.

Je ne me réjouis nullement des graves carences actuelles et, contrairement à certains propos apaisants, j'estime la situation de l'euro particulièrement préoccupante, parce que je sais trop qui paierait, à terme, les conséquences d'une croissance freinée ou enrayée par les effets de la course aux taux d'intérêt et par les pressions exercées sur les dépenses sociales et le pouvoir d'achat.

Après tant de promesses et de sacrifices demandés au nom de la monnaie unique, il est temps de rediscuter des choix de politique monétaire, ainsi que du rôle et des pouvoirs de la banque centrale. Il est temps de substituer à une politique monétaire et de crédit ultra-libérale un pacte faisant de l'investissement dans l'emploi, la formation et les dépenses sociales de réelles priorités.

A cet égard, je ne partage pas la satisfaction affichée au sommet de Lisbonne où les vieilles recettes libérales, l'ont bien souvent emporté. Toutefois, les questions du plein emploi, de la sécurité de l'emploi et de l'investissement dans la formation s'y sont imposées. Les tensions entre ces exigences du développement humain, et la pression en faveur d'une précarité généralisée et d'une baisse du coût du travail n'en sont que plus révélatrices.

La présidence française doit être l'occasion de faire entendre dans ce concert néo-libéral, une voix originale, en phase avec les attentes des opinions.

Sur la question déterminante des services et des entreprises publics, il faut opposer aux pressions dérégulatrices de la Commission leur nécessaire développement et leur modernisation. L'opinion et les salariés des secteurs concernés y seront particulièrement attentifs. Dans le débat sur les conséquences de la libération et des privatisations, une position offensive de la France sera comprise et appréciée. Il en sera de même en ce qui concerne le développement du secteur ferroviaire et routier, la sécurité maritime, la santé publique, la sécurité alimentaire ou les projets de dérégulation de La Poste.

L'occasion est également favorable pour relancer la proposition d'instituer une taxe « Tobin » sur les mouvements de capitaux.

Dans notre vision de l'Europe, social et démocratie sont inséparables. A cet égard, la méthode d'élaboration de la Charte des droits fondamentaux sera révélatrice de la volonté politique d'associer réellement les citoyens au projet européen. L'Europe étouffe sous l'accumulation des faits accomplis institutionnels, des traités et directives élaborés sans les peuples. Une telle charte ne peut donc être seulement déclarative. Elle doit affirmer des valeurs démocratiques et humanistes communes, des droits sociaux, le refus de toutes les discriminations et des inégalités. Elle n'en aura que plus de sens face aux ambitions affichées par l'extrême droite dans plusieurs pays de l'Union européenne et en Europe centrale. A ce propos, je salue la remarquable mobilisation populaire réalisée en Autriche contre la coalition honteuse conclue entre les conservateurs et le populiste Haider. La charte ne peut avoir vocation à supplanter les textes fondamentaux de la République. Comme d'autres déclarations fondatrices, elle doit avoir une force morale et politique. Elle ne sera légitime que si elle intègre les droits nouveaux auxquels aspirent les citoyennes et les citoyens d'Europe.

Transparence, démocratie, souveraineté : tels sont les principes qui doivent régir la réforme des institutions. La nécessité d'adapter les institutions à un fonctionnement à 20, 25 ou 30 Etats, notamment en étendant les votes à la majorité qualifiée, est une évidence, à deux conditions cependant : d'abord que certains domaines, comme la défense et d'autres qui touchent au c_ur de la souveraineté, ne soient pas concernés, ensuite, en permettant à tout Etat d'invoquer une clause de sauvegarde s'il juge que ses intérêts essentiels sont mis en cause. Ces conditions de principe sont aussi gages d'efficacité, parce qu'elles tiennent compte de la nature particulière de la construction européenne, et de l'indispensable articulation entre réalités nationales et union.

Une même approche, progressive et attentive aux réalités devrait animer les démarches qui conduisent à l'élargissement. Entre inconscience faussement naïve et catastrophisme paralysant, il faut trouver les voies pour construire l'Europe de l'après guerre froide. Le statu quo est explosif. Tous les rapports récents constatent la montée de la pauvreté dans les pays concernés et l'aggravation des inégalités. La mise à l'écart aussi bien que le passage en force nourrissent les frustrations et la démagogie populiste.

Le destin de l'Europe se joue dans notre capacité et notre courage à redéfinir les règles de l'élargissement, dans un esprit de dialogue entre partenaires égaux. Aux dogmes ultralibéraux des privatisations, de la réduction des dépenses sociales, du sacrifice du secteur public, il faut substituer des critères de développement, fondés sur les besoins des populations et sur leurs acquis.

La Conférence européenne offre un cadre institutionnel pour ce dialogue. La présidence française ne pourrait-elle proposer l'organisation d'un sommet réunissant les pays de L'Union européenne et les pays candidats, pour marquer l'esprit nouveau d'un élargissement maîtrisé ensemble ? Cet esprit nouveau, contestant les dogmes ultralibéraux et la domination des marchés, devrait animer la relance du dialogue euro-méditerranéen, lors du bilan de Barcelone, à l'automne où, selon moi, trois priorités s'imposeront : redéfinir les relations qui ne sauraient se réduire à une zone de libre échange ; envisager l'annulation de la dette et la redéfinition des finalités des crédits et des aides ; associer, de part et d'autre de la Méditerranée, les sociétés civiles au processus engagé à Barcelone. Je saisis cette occasion pour réaffirmer qu'il convient de faire droit à la légitime exigence de tous les étrangers vivant sur notre sol de décider -y compris par leur vote- de l'avenir de la construction européenne.

En formulant de telles propositions, le parti communiste ne fait qu'appeler à une mise en cohérence des décisions politiques avec les attentes et les espoirs qu'expriment les mouvements sociaux français et européens.

Les Français, en particulier les jeunes, pensent que l'Europe les expose aux effets de la mondialisation libérale -dont nous savons, après Seattle, après Washington, l'ampleur du rejet qu'elle suscite- au lieu de les en protéger. Beaucoup d'entre eux voient dans l'Europe le moyen de contrebalancer l'influence dominante des Etats-Unis, y compris en matière de sécurité. Mais que d'efforts il reste à accomplir ! Les Européens sont loin d'être capables de traiter par eux-mêmes de leur sécurité, dans ses dimensions politiques et militaires sans subir la pesante tutelle des Etats-Unis et de l'Otan. Il en est de même en ce qui concerne l'exigence universelle de désarmement.

Faute de décisions démocratiquement élaborées, l'Europe risque de s'enliser dans un marché sans âme, coupé des préoccupations de ses peuples.

Face aux marchés, il faut privilégier le développement humain. C'est la seule voie réaliste pour relever les défis de notre époque.

L'Europe traverse une crise dont les fondements se trouvent dans la fuite en avant néo-libérale ou social-libérale. Ceux qui voient aujourd'hui dans Tony Blair le chantre de l'avenir de l'Europe ne feront que fermer un peu plus les perspectives d'une construction européenne de progrès économique et social, de paix, de co-développement, de partage des cultures et des savoirs (Interruptions sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

Les communistes ne ménageront pas leurs efforts pour mettre au c_ur de leurs initiatives le recul des inégalités et l'intervention d'un mouvement populaire, social et civique dont la dimension européenne est un gage décisif d'efficacité pour la construction de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Cochet remplace M.  Forni au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

M. Alain Madelin - « On ne règle pas les problèmes en les mettant de côté », disait Winston Churchill. C'est pourtant ce qui a été fait au sommet d'Amsterdam et c'est l'erreur qu'il faudra réparer à Nice.

A vous entendre, Monsieur le Premier ministre, j'ai eu le sentiment que vous esquiviez l'essentiel. Cependant, merci d'avoir organisé ce débat... qui nous permettra peut-être d'enrichir votre réflexion.

On a choisi de construire la grande Europe, et on a eu raison. Au sortir de leur épreuve communiste, on a invité les nouvelles démocraties à nous rejoindre, tout en sachant que l'on ne ferait pas entrer la grande Europe dans les institutions de la petite Europe. Mais, depuis, on lanterne, on tergiverse... Alors, allons à l'essentiel !

Dix ans après la chute du Mur, un an après Helsinki, la nouvelle conférence intergouvernementale, sous présidence française est le coup d'envoi attendu pour une Europe de tous les Européens.

Il y a 50 ans, on posait la première pierre de l'Europe, parmi les ruines de la guerre, autour de la réconciliation franco-allemande. L'enjeu historique aujourd'hui, c'est celui de la réunification du continent et de la définition d'un nouveau cadre constitutionnel et institutionnel.

Bien sûr, il ne s'agit pas de réinventer l'Europe. La construction européenne est un parcours historique unique, inédit, un acquis fabuleux. Les Six, puis les Douze ont lancé avec l'abolition progressive de leurs frontières internes une formidable dynamique de liberté économique. Ils ont aussi réussi à créer une zone de paix et de liberté unique dans l'histoire, peut-être la plus belle réponse aux horreurs des deux guerres mondiales et tragédies totalitaires. La construction européenne, en particulier grâce à l'Acte unique et au Traité de Maastricht, a favorisé la concurrence et sensiblement limité le pouvoir qu'avaient les gouvernements de s'endetter et de recourir à la planche à billets. Elle a ainsi permis le progrès économique et fait reculer le dirigisme. Mais ces succès ne suffisent pas à fonder l'Europe de l'avenir -je veux dire la grande Europe.

Certes, je sais bien que les socialistes et encore moins les communistes n'avaient guère imaginé ni voulu cette Europe-là : souvenons-nous du célèbre : « Je dis non à la réunification » de Jacques Delors, au lendemain de la chute du Mur de Berlin, ou encore de François Mitterrand, affirmant à Prague que les nouvelles démocraties devraient attendre « des décennies et des décennies » pour rejoindre l'Union européenne. Sans doute cela explique-t-il que nous ayons raté le rendez-vous que nous donnait l'histoire.

M. François Loncle - Caricatural !

M. Alain Madelin - Avec la réunification de l'Europe, les Européens retrouvent non seulement leur espace géographique naturel, mais aussi les fondements mêmes de l'Europe, qui ne peut avoir de sens que par l'attachement à des valeurs partagées. C'est un libéral qui le dit : l'Europe, ce n'est pas seulement un marché, une zone de libre-échange. L'idée originelle du marché commun s'élargit aujourd'hui au monde et, si nous avons intérêt au libre-échange en Europe, nous l'avons aussi bien avec les Etats-Unis, le Canada, la Tunisie ou le Maroc, sans pour autant avoir pour projet de construire avec ces pays une nouvelle Europe !

L'Europe, ce n'est pas non plus une simple addition d'Etats, unis dans une logique de puissance. C'est avant tout une idée, un point de vue sur le monde. Et ce qui la fonde, c'est une certaine conception de l'homme, jouissant de droits inaliénables, supérieurs et opposables à tout pouvoir politique. C'est l'affirmation de la souveraineté de la personne et la croyance en la supériorité du droit.

A la dimension économique du projet européen, il nous faut donc ajouter une dimension philosophique, morale, culturelle, bref une dimension politique -ce qui suppose de définir les frontières de l'Europe, l'espace que nous avons à défendre en commun.

Or, de ce point de vue, il y a eu à Helsinki, me semble-t-il, quelque imprudence pour le gouvernement français à dire « oui » à l'entrée de la Turquie, sans débat préalable ni consultation des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

Certes, nous savons l'hypocrisie d'une telle décision : il s'agit pour beaucoup d'inscrire la Turquie sur liste d'attente et de l'y laisser longtemps, très longtemps même. Mais, ce faisant, on se trompe et on trompe les démocrates turcs.

J'ai bien entendu le ministre des affaires européennes nous dire que « l'Europe n'était pas un club chrétien ». Bien entendu, mais ni par la géographie, ni par l'histoire, ni par la culture, la Turquie n'appartient à l'Europe. Que serait une Europe avec un Parlement européen dans lequel les Turcs seraient la première nationalité représentée ? Une autre Europe, dont le Premier ministre turc a dit qu'elle avait vocation à s'étendre « plus à l'Est vers le Caucase, l'Azerbaïdjan, finalement vers l'Asie centrale puis le reste de l'Asie ». Je doute que cette conception soit celle de la majorité des Européens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR)

Certes, on ne peut qu'être sensible à l'option européenne de la Turquie. Mais à la place d'une promesse illusoire d'intégration -les Etats-Unis ont-ils proposé au Mexique de devenir le 51e Etat de l'Union ?- mieux vaudrait offrir dès aujourd'hui à ce pays un véritable statut d'association et de coopération politique et économique.

Il faut aussi définir les nouvelles institutions de cette nouvelle Europe, que nous devons penser autrement qu'au travers du modèle esquissé par ses pères fondateurs. Comme l'a bien dit le Président Giscard d'Estaing, le projet intégrationniste de la petite Europe d'hier ne peut être celui de la grande Europe de demain. Celle-ci est un ensemble hétérogène qu'on ne peut comparer à l'Allemagne ou aux Etats-Unis. Vouloir unifier toujours davantage en rabotant les différences conduirait à créer des tendances centrifuges destructrices. C'est pourquoi il nous faut imaginer l'Europe autrement que comme un Etat-nation agrandi, avec un super-gouvernement, un super-Parlement, une super-administration, de supers-impôts. L'époque n'est plus où Jacques Delors pouvait prophétiser que bientôt 80 % des lois applicables aux Français seraient décidées entre Bruxelles et Strasbourg ! Déjà, Denis de Rougemont, l'un des pères de l'idée fédérale, estimait que les diversités européennes devaient être jalousement maintenues et que de soumettre Latins, Germains, Scandinaves et Grecs aux mêmes lois ne ferait que les brimer tous. C'est pourquoi l'Europe doit limiter son action à l'essentiel, et ne pas prétendre réglementer dans le détail, à l'instar de la directive sur la chasse, la vie de chaque nation et de chaque peuple.

Délimiter et limiter les pouvoirs de l'Europe, fixer de nouveaux mécanismes de décisions, tel est l'enjeu de la Conférence intergouvernementale.

Maintenir la règle de l'unanimité à 26, 27 ou à 30, c'est, à l'évidence, condamner l'Europe à la paralysie. Je vous invite cependant, Monsieur le Premier ministre, à n'engager la France qu'avec beaucoup de prudence dans la voie de l'extension du nombre de décisions prises à la majorité qualifiée et dans l'abaissement du seuil de calcul de cette majorité.

Ne conduisez pas la France à se soumettre à des décisions prises contre son gré ! On peut imaginer par exemple qu'il se trouve un jour une majorité de pays pour décider que nous devrions renoncer à l'énergie nucléaire...

La proposition de la Commission d'une double majorité -majorité qualifiée des Etats et majorité de la population- n'est pas satisfaisante. 51 % des Européens ne peuvent prétendre dicter leur loi aux 49 % restants. S'engager dans cette voie serait prendre le risque de voir se multiplier les décisions inapplicables et de voir l'Europe rejetée par les peuples. A tout le moins, il conviendrait que la majorité de la population retenue soit aussi une majorité qualifiée, des trois cinquièmes, ou plus, comme l'a proposé le Président Giscard d'Estaing.

En tout cas, à Nice, le problème des mécanismes de décision ne doit pas être séparé de celui de la délimitation et de la limitation des pouvoirs de l'Europe, ni de celui de l'application effective du principe de subsidiarité inscrit dans le traité de Maastricht. Il ne suffit pas de dire comment les décisions seront prises, il faudra aussi définir celles qui devront être prises au niveau européen, en se prémunissant contre tout débordement. Le président Delors lui-même l'a reconnu : « Cent quatre projets de directives soumis en un an au Parlement européen, c'est trop et cela montre que la subsidiarité n'est pas respectée ».

M. Pascal Clément - En effet !

M. Alain Madelin - Ce qu'on appelle l'acquis communautaire doit être revisité à la lumière de ce même principe de subsidiarité et, comme y a invité le président Prodi, les politiques inadéquates devant être radicalement réinventées ou éliminées.

Clarifier le principe de subsidiarité et contrôler son application, voilà un objectif pour la France. Je propose à cet effet une procédure de saisine de la Cour européenne de justice, par les Etats, par toutes les instances européennes, par le comité des régions, ainsi que par les régions des Etats membres qui ont des compétences législatives, susceptibles d'être menacées par l'Europe.

Construire la grande Europe politique, c'est aussi renforcer le rôle du Conseil européen et trouver les moyens de stabiliser sa présidence. Monsieur le Premier ministre, savourez cette présidence française : elle n'est pas près de revenir. Avec le système actuel, dans une Europe à trente, il faudra attendre deux septennats -ou trois quinquennats !- à moins d'instituer une présidence-Kleenex ! On ne pourra éluder la question à Nice.

Quant à la Commission, il faudrait avoir le courage de limiter le nombre de ses membres au nombre de fonctions réelles, c'est-à-dire douze ou quinze et ce serait assurément une erreur que de construire une « commission mexicaine » de trente membres ou plus, pour faire plaisir à tout le monde. Comme l'a dit le président Giscard d'Estaing, le plus mauvais choix serait de maintenir le statu quo, soit une commission à vingt membres.

Si la grande Europe exige une démarche moins « intégrationniste » et plus respectueuse de la diversité des nations qui la composent, l'élargissement des frontières de l'Europe doit aller de pair avec la possibilité donnée aux Etats qui le souhaitent de renforcer leur coopération pour aller ensemble plus vite ou plus loin. C'est là aussi l'un des enjeux forts de Nice.

Faut-il pour autant institutionnaliser au moyen d'un « traité dans le traité » une sorte de noyau dur ou de noyau stable composé d'un petit nombre de nations souhaitant davantage d'intégration ? Cela viendra peut-être mais je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui retenir cette orientation. D'abord, parce que je ne crois pas qu'il serait opportun de diviser ainsi l'Europe en deux et, qu'au surplus, ces coopérations renforcées peuvent être à géométrie variable, même si un petit nombre d'Etats, dont la France, ont vocation à se retrouver à l'intersection de ces cercles de coopération.

Voici donc le moment venu d'engager la refonte de l'ensemble des traités par la rédaction d'un document clair et concis, présentant les principes constitutionnels sur lesquels sera désormais fondée l'Union européenne. Ce pacte refondateur doit reposer sur une classification des dispositions existantes, dans un texte d'une quarantaine d'articles. Il doit donner à l'Europe comme base constitutionnelle le respect de l'Etat de droit, des libertés fondamentales et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il doit délimiter avec précision les pouvoirs dévolus à l'Union européenne, en appliquant fermement le principe de subsidiarité et en fixant les principes essentiels de nos politiques communes comme l'architecture des institutions de la grande Europe.

J'ajoute qu'il ne peut y avoir de vraie Constitution européenne sans une Cour constitutionnelle européenne.

Alors que l'élargissement nous invite à repenser les règles de fonctionnement de la Cour de justice des communautés européennes, il conviendrait de renforcer son rôle, en vue d'en faire, à terme, une véritable Cour constitutionnelle et de lui permettre de découvrir progressivement les principes fondamentaux du droit européen, à la manière de notre Conseil constitutionnel qui, décision après décision, dégage les grands principes de notre droit.

Je suis allé à l'essentiel et je n'ai pas parlé des autres enjeux que vous avez, Monsieur le Premier ministre, égrenés dans votre intervention, dont j'avais parfois la désagréable impression qu'elle tendait à nous faire passer à côté de l'essentiel. Je n'ai pas davantage évoqué les suggestions de la majorité de cette assemblée, qui s'inscrivent une fois de plus à contretemps et qui feront sans doute sourire nos partenaires, qu'il s'agisse de l'introduction de la taxe Tobin ou de je ne sais quel programme de grands travaux...

En réalité, c'est sur notre capacité à répondre aux défis de la construction de la grande Europe que sera jugée la présidence française. Le président de notre délégation pour l'Union européenne nous invitait ce matin à une présidence « pragmatique et modeste ». Mais puisque la cohabitation permet à la France de parler d'une seule voix, je souhaite que ce soit d'une voix forte. Aussi, permettez-moi de vous inviter pour ma part à une présidence visionnaire, porteuse de cette grande Europe du XXIe siècle que j'ai évoquée, une présidence ambitieuse. C'est ce que je souhaite pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Georges Sarre - A quelques semaines de l'accession de la France à la présidence de l'Union européen, bien des interrogations se posent sur la nature et sur la viabilité de la construction européenne.

Les députés du Mouvement des citoyens, qui font passer l'emploi avant la monnaie, ne sont pas catastrophés par l'euro faible. Le principal risque serait que les autorités monétaires européennes indépendantes en rajoutent dans l'orthodoxie monétaire et étouffent la croissance, qui demeure le principal vecteur du recul du chômage.

L'obsession de la monnaie forte ne doit pas conduire au retour des « années de plomb » où se sont combinés monnaie surévaluée, taux d'intérêts assassins, déflation et rigueur salariale. Ces recettes n'effacerons pas la réalité politique : l'euro n'est pas crédible comme monnaie unique, parce qu'une monnaie unique doit être le couronnement et non le point de départ d'une identité politique unique. Et toutes les propositions fantasmagoriques qui sont faites sont autant de fuites en avant. Elles se briseront sur la réalité tant qu'il n'y aura pas en Europe un peuple, une nation, une langue. Toutes les réformes institutionnelles, un président, une constitution, sont des rêves dangereux.

Il est en revanche encore temps, Monsieur le Premier ministre, de sortir par le haut de cette contradiction en repoussant l'introduction de l'euro, pour réfléchir à une alternative plus crédible, soit une monnaie commune préservant les monnaies nationales. L'Europe se doterait ainsi d'une identité monétaire vis-à-vis de l'extérieur tout en donnant à chaque nation des marges de man_uvre à l'intérieur, et je donne rendez-vous en 2002 à tous ceux qui pourraient dédaigner cette proposition.

Malgré les théories du « post-national » et les critères de convergence, les politiques économiques divergent à nouveau au sein de la zone euro car chaque Gouvernement doit assurer le mandat que lui a confié le peuple et mener une politique conforme à ses réalités nationales. La monnaie unique veut tenter de cacher au monde cette réalité ; la monnaie commune prendrait acte du fait que l'Europe n'est pas une nation.

Le sommet de Lisbonne n'a pas eu en France un écho extraordinaire, alors qu'il marque une nouvelle étape, à bien des égards inquiétante, des progrès de la culture ultra libérale.

La France a semblé isolée et l'on peut nourrir des craintes pour l'avenir de ses services publics. Le principe de la libéralisation totale du gaz, de l'électricité, de l'eau, des services postaux et des transports figure dans les conclusions du sommet de Lisbonne, même si notre Gouvernement est parvenu à éviter que le Conseil fixe des échéances précises. Les marchés des télécommunications doivent être libéralisés dès 2001 et la concurrence des réseaux locaux d'accès doit être intensifiée avant la fin de l'année. Monsieur le Premier ministre, que vont devenir nos services publics ?

Dans le débat entre partisans de gauche du traité de Maastricht et ceux qui avaient défendu un « non de gauche » au référendum, les premiers disposaient en 1992 d'un argument recevable. Reconnaissant avec les opposants à Maastricht l'orientation trop libérale de la construction européenne, ils expliquaient cette situation par la présence d'une majorité de gouvernements de droite chez nos principaux partenaires.

L'idée de ne pas casser la dynamique européenne en ratifiant Maastricht et de tabler sur l'arrivée de gouvernements de gauche pour réorienter l'Europe a été défendue par nombre de ceux, qui comme vous, Monsieur le Premier ministre, étaient à la fois circonspects sur les mérites du traité et soucieux de poursuivre l'avancée de la construction européenne.

Aujourd'hui, la situation a changé. Les partis de gauche sont majoritairement aux affaires et on tarde à percevoir les effets bénéfiques de ce changement. Ce qui n'a pas changé en effet, c'est le contenu du traité de Maastricht, aggravé à Amsterdam. Ce qui n'a pas changé, c'est la volonté des institutions européennes de traiter tous les domaines de l'activité humaine en fonction du dogme de la libre concurrence. Nos concitoyens le perçoivent à travers nombre de dossiers, qu'il s'agisse de la marchandisation du sport -à travers l'arrêt Bosman de la Cour de justice- ou de la marchandisation de la protection sociale -à travers les directives européennes tendant à livrer les activités mutualistes aux assureurs privés.

Aux yeux des citoyens, L'Union européenne n'apparaît pas comme un outil de lutte contre la mondialisation libérale mais plus sûrement comme le cheval de Troie de cette mondialisation. Le comportement de la Commission européenne, lors des négociations préparatoires au sommet de Seattle, comme les conclusion de Lisbonne l'attestent.

L'échec de M. d'Allema en Italie, les difficultés de l'attelage SPD-Verts en Allemagne et le récent revers électoral de M. Blair doivent interroger sur le rapport de force qu'il est possible d'instaurer en Europe. La résurgence de l'extrême-droite en Autriche, sa montée en Italie, posent, au-delà d'une riposte morale, la question de la capacité de la gauche européenne à porter les intérêts de ceux, nombreux, que la mondialisation laisse de côté, comme cloués au sol. L'agenda social européen, dont ni M. Prodi, ni la présidence portugaise n'ont parlé lors de la conférence de presse finale de Lisbonne, doit être pour la France un dossier prioritaire de sa présidence.

Allons-nous vers l'Europe fédérale ? Malgré les incertitudes et les difficultés actuelles, le fédéralisme avance, mais masqué, sans débat démocratique, par simple adhésion des élites. La Charte des droits fondamentaux en offre un exemple frappant. Elle était présentée à l'origine comme un simple travail de codification à droit constant, qui ne créait pas de principe juridique nouveau. Mais l'orientation donnée par M. Herzog, au sein d'une enceinte autoproclamée « Convention », est d'une tout autre nature. On semble s'orienter vers un texte contraignant traitant des libertés fondamentales, des droits réservés aux citoyens de L'Union et des droits économiques et sociaux. Si une telle charte devait être inscrite dans le traité, cela reviendrait à créer, sans le dire, une constitution européenne. Inscrire la Charte dans le traité donnerait compétence à la Cour de justice européenne pour l'appliquer en concurrence avec la Cour européenne des droits de l'homme, d'où un désordre institutionnel. Mais ce serait surtout une atteinte décisive à la souveraineté nationale. C'est l'ordre constitutionnel qui serait mis en cause dès lors que la Cour de justice pourrait interpréter un vaste ensemble de droits et libertés, qui recoupe pour une part les « principes fondamentaux » reconnus par les lois de la République. Le Parlement national et notre Constitution seraient directement mis hors jeu. L'intégration de cette Charte au traité changerait fondamentalement la nature de la construction européenne. Une telle évolution exigerait que le peuple français se prononce par référendum.

Programmé depuis la chute du mur de Berlin, l'élargissement de L'Union européenne met également à jour les contradictions entre les intérêts nationaux. La réforme de la Commission, la pondération des voix au sein du Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée, voilà autant de questions que la présidence française devra traiter ; elles ne seront sans doute pas faciles à régler. La France doit avoir, et je pense que vous l'avez, Monsieur le Premier ministre, le souci de préserver des marges de man_uvre pour ses intérêts vitaux, comme vous avez su le faire sur le dossier de la vache folle. Elle doit aussi agir pour donner plus de poids au Conseil des ministres européens par rapport à la Commission. Une meilleure association des parlements nationaux apparaît également nécessaire pour redonner un peu de légitimité démocratique à l'Europe.

Le temps me fait défaut pour aborder tous les sujets. J'aurais souhaité dire un mot de l'Europe de la défense inféodée à l'OTAN, qui limite sa capacité à exister par elle-même. De même une initiative européenne pour l'Afrique, qui n'est pas prête pour la mondialisation libérale, serait le seul moyen de l'aider. On ne peut fermer les yeux devant ce continent oublié, sacrifié, livré à la famine, à la maladie et à la guerre.

En conclusion, Monsieur le Premier ministre, le maintien d'une croissance forte et la baisse du chômage ne peuvent faire oublier la persistance de fortes inégalités sociales. Des citoyens chaque jour plus nombreux prennent conscience des effets de la mondialisation libérale et exigent que les responsables politiques reprennent les leviers de commande. L'Europe pourrait être, en théorie, un outil pour y parvenir. Il reste beaucoup à faire pour que cet outil virtuel devienne réellement opérationnel. Puisse la présidence française y contribuer (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Forni remplace M. Cochet au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

M. Alain Juppé - La situation de l'Union européenne est, à certains égards, paradoxale. D'un côté, elle accomplit une révolution sans précédent en réalisant sa monnaie unique. De l'autre, l'impression se répand que la construction européenne est en panne. C`est dans ce contexte que la France va assumer la présidence. Sa tâche ne sera pas facile. Je forme le v_u qu'elle puisse parler, d'une seule voix, et que la nation se rassemble autour de ses dirigeants pour les aider à réussir cette présidence. C'est dans cet esprit que je m'exprime au nom du groupe du Rassemblement pour la République.

Si l'Europe donne l'impression d'être en panne, c'est, dit-on souvent, parce qu'elle n'est pas assez proche des préoccupations de nos concitoyens. Nous partageons cette opinion, et nous attendons de la présidence française des initiatives pour réduire la distance qui s'est creusée entre les institutions européennes et les Français. Mais il ne faut pas se tromper de diagnostic. A Chambéry, jeudi dernier, le Président de la République a bien défini l'enjeu : « L'Europe a une vocation propre qui n'est pas celle des Etats. Elle ne se substitue pas à eux et encore moins aux collectivités publiques les plus proches de nos concitoyens... Ne demandons surtout pas à l'Union de remédier à son éloignement en agissant à notre place. » (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Nul ne s'étonnera que les gaullistes adhèrent pleinement à cette conception de l'Europe.

Comment faire alors pour que l'Europe devienne « l'Europe de tous » et comble son déficit démocratique ? L'Union doit, selon nous, utiliser pleinement sa capacité d'influence, je dirai même sa puissance sur la scène internationale pour répondre aux inquiétudes et aux aspirations des hommes et des femmes qui la constituent. Il faut, pour citer encore le Président de la République, qu'elle ait mission « d'humaniser la mondialisation ».

Le programme de travail qu'elle doit s'assigner pour atteindre cet objectif est tout à fait concret ; j'en évoquerai quelques aspects. Il faut poursuivre la construction de l'Europe sociale au service de tous les Européens ; l'adoption d'un agenda social va dans ce sens. Nous devons d'autre part protéger nos concitoyens contre les risques de notre temps, par exemple la pollution des mers. Plus largement, l'Europe doit être à la pointe du combat pour la sauvegarde de l'environnement, y compris dans les grandes négociations internationales, Monsieur le Premier ministre, et vous en avez cité quelques unes. Elle doit définir une politique commune d'immigration et d'asile qui permette de lutter efficacement contre l'immigration clandestine et d'organiser les inévitables mouvements de population. J'ajoute que l'Union européenne ne pourra pas faire longtemps l'économie d'une réflexion sur la manière de conjurer le suicide démographique qui la menace (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Elle doit passer à la vitesse supérieure dans le combat contre les trafics de drogue, la criminalité internationale et le blanchiment de l'argent sale, en approfondissant la coopération policière et judiciaire. Il faudra d'autre part convaincre les Européens que l'Union est décidée à faire prévaloir les impératifs vitaux de sécurité sanitaire sur la libre circulation des marchandises et, dans ce but, créer « une autorité européenne indépendante de sécurité des aliments ». Un ultime exemple, car le temps me manque pour être exhaustif : il importe que l'Europe agisse pour garantir l'égalité d'accès au savoir et aux technologies nouvelles qui le véhiculent, je pense bien sûr à l'Internet ; tout comme elle doit s'engager à fond dans la promotion de la diversité culturelle et linguistique, sans laquelle l'identité et la liberté individuelle sont des mots creux.

Tous ces combats pour « humaniser la mondialisation », l'Union européenne peut les mener plus efficacement que chacun de nos Etats laissé à ses seules forces . Et c'est ainsi qu'elle se rapprochera de ses citoyens : elle leur apparaîtra comme le meilleur artisan des nouvelles régulations qui garantiront leur sécurité, non dans le repliement sur soi, ou le refus d'une globalisation qui, après tout, est en marche depuis la nuit des temps, mais dans l'ouverture au monde et à ses promesses.

Si l'Union européenne paraît en panne, c'est aussi, qu'elle manque d'une vision claire de son futur. Périodiquement, les « pères fondateurs » et leurs continuateurs ont fixé à la construction européenne un horizon, parfois lointain, mais toujours assez précis. Ce fut le marché unique, puis la monnaie unique. Et maintenant ?

Il me semble qu'un nouveau consensus pourrait se dessiner peu à peu, au moins parmi ceux qui croient que l'union fait la force, pour attendre de l'Europe qu'elle devienne politique, qu'elle s'affirme comme un acteur à part entière de la vie internationale, comme une puissance mondiale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Comment imaginer un monde multipolaire, où les puissances s'équilibrent pour garantir à leurs citoyens la paix et la diversité, si l'Union européenne n'a pas toute sa place autour de la table ?

L'Europe politique qu'est-ce ? C'est une politique étrangère commune, une sécurité extérieure commune, un projet économique et social commun . Dans tous ces domaines, la présidence française doit proposer à nos partenaires de franchir des étapes nouvelles . Je pense notamment, à la sécurité extérieure : il faut préparer le passage aux structures définitives de l'Europe de la défense et accélérer la coordination des politiques d'armement. Nous devons aussi pour cela -je le dis en passant et vous n'y verrez pas de polémique- maintenir un effort national suffisant, sans lequel nous serions disqualifiés pour nous adresser à nos partenaires. Quant au projet économique et social, nous en serions des promoteurs plus crédibles -on l'a vu à Lisbonne- si nos propres choix pouvaient être donnés en exemple...

Mais l'Europe politique, c'est aussi une organisation capable de mettre en _uvre efficacement notre projet commun. Or l'organisation actuelle est de moins en moins efficace : les relations entre le Parlement européen et la Commission dérivent de manière inquiétante ; quant au Conseil des ministres, c'est « l'organe malade » de l'Union. Un mot, à ce propos, sur la question de l'euro. Il ne faut certes pas dramatiser ses fluctuations actuelles. Il est d'ailleurs amusant d'entendre dénoncer à grands cris sa faiblesse présente par ceux-là même qui ont combattu sa création au motif que l'euro serait « fort » et que sa parité trop élevée, conjuguée avec des politiques budgétaires rigoureuses, condamnerait les économies européennes à la récession ! La prévision n'est pas encore une science exacte, en économie pas plus qu'en météorologie.

Reste qu'au-delà des facteurs économiques -fort bien analysés par le président Giscard d'Estaing- qui peuvent expliquer la faiblesse actuelle de notre monnaie -faiblesse dont les effets ne sont pas tous négatifs- on accorde généralement que l'absence d'un projet politique clair, soutenu par une volonté politique forte, est un handicap pour l'euro. Tel est le nouveau défi : il ne suffit pas de créer une monnaie unique pour susciter l'émergence d'un gouvernement économique et d'un centre de pouvoir politique. Peut-être faut-il à l'inverse un pouvoir politique pour développer une monnaie unique digne de ses ambitions mondiales.

La question de l'Europe politique prend d'autant plus d'acuité que l'élargissement de l'Union est en marche et qu'il est à la fois de notre devoir et de notre intérêt de le mener à bien. Il faut cependant en mesurer toutes les conséquences, à commencer par le risque de paralysie institutionnelle.

Le traité d'Amsterdam, qui a doté l'Union de nouveaux outils n'a pas abouti aux réformes institutionnelles nécessaires. Nous souhaitons que la présidence française voie la conclusion de la conférence intergouvernementale en cours, et une conclusion qui ne soit pas a minima : la Commission doit rester un organe collégial efficace, ce qui suppose que le nombre de ses membres soit limité ; la repondération des voix au sein du Conseil doit permettre une meilleure prise en compte des équilibres démographiques et politique de l'Union ; l'extension du champ d'application de la majorité qualifiée est souhaitable et cela va dans l'intérêt même de la France ; enfin la procédure de coopération renforcée instituée à Amsterdam doit être facilitée. Ces quatres modifications constituent le minimum vital de l'adaptation institutionnelle de l'Union aux futurs élargissements.

Cela suffira-t-il ?

En fait, le risque de dilution de la construction européenne est fondamentalement politique et tourne autour d'une question simple : les Etats-membres de l'Union ont-ils une vision claire de ce qu'ils veulent faire ensemble ? Et sont-ils décidés à s'en donner les moyens ?

Le processus d'élargissement conduit ainsi inéluctablement, à une forme de refondation de l'Union. Voici sur ce point quelques idées plus personnelles : (Sourires) il nous faut d'abord une charte constitutive qui énonce non seulement les droits des Européens mais aussi leurs devoirs, et surtout les valeurs qu'ils ont en commun. Il s'agirait de répondre à deux questions de fond : qu'est-ce que c'est que l'Europe et donc un Etat-membre de l'Union ? S'il n'existe pas de définition géographique de l'Europe, ne faut-il pas lui donner des frontières politiques et éthiques ? Qu'est-ce qu'un Européen ? La construction au cours de la première décennie du XXIe siècle, d'une citoyenneté européenne ne peut-elle pas devenir le nouveau rêve européen ?

Vient ensuite la grande interrogation institutionnelle et politique : « Qui fait quoi, dans l'Union ? » Il s'agit ici de fixer les compétences respectives de l'Union et celles des Etats-membres -ce qu'aucun traité n'a jamais fait clairement. L'exercice est difficile. Il y faudra sans doute le travail long et minutieux d'une nouvelle conférence intergouvernementale. Mais si nous ne le tentons pas, à quoi sert de continuer à parler de subsidiarité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Enfin nous devons mieux articuler entre elles les institutions de l'Union qui détiennent respectivement le pouvoir de faire des lois, la puissance exécutrice et celle de juger. Le système mis en place aux origines des Communautés européennes mérite aujourd'hui d'être rapproché de modèles plus éprouvés. Dans ce cadre, l'implication des Parlements nationaux dans le contrôle démocratique de l'Union devra être accrue.

De telles propositions sont-elles de nature à susciter l'adhésion ?

Il est certain que la France ne peut en prendre seule l'initiative. Elle doit rassembler à ses côtés les Etats, grands ou petits, qui ont toujours été les moteurs de la construction européenne. Le couple franco-allemand garde, à l'évidence, sa vocation historique d'entraînement.

Et puis, chacun devra prendre ses responsabilités. Le moment va peut-être venir où une crise refondatrice présentera moins de risques qu'une lente dilution de nos ambitions originelles. C'est aux peuples qu'il reviendra de choisir en pleine conscience.

La vraie solidarité renforcée ne peut pas être, durablement, à géométrie variable. Entre les Etats qui sont décidés à aller plus loin ensemble, elle doit être le socle constitutif de l'Europe politique du XXIe siècle.

On m'objectera que ce débat n'est pas celui du prochain semestre, mais celui des années qui suivront. Les grands Européens, dont nous commémorons aujourd'hui la déclaration de l'un des premiers d'entre eux, nous ont appris que demain s'invente aujourd'hui.

Il me semble qu'il est temps (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Gérard Fuchs - Pour les socialistes, l'Europe est d'abord un projet politique, un regroupement d'Etats qui doit pouvoir peser sur des marchés que les techniques modernes ont rendus mondiaux, et qu'il faut orienter pour la satisfaction des besoins des hommes.

L'Union européenne a pour raison d'être de faire à plusieurs ce que la France et ses voisins n'ont plus la capacité de faire seuls. Elle n'a donc de sens que si elle met ses instruments économiques au service de finalités sociales.

Europe projet politique ou simple zone de libre-échange ? Depuis quarante ans, la Communauté puis l'Union européenne hésitent. Deux événements extérieurs nous mettent aujourd'hui au pied du mur.

Le premier est le renforcement de la pression de la mondialisation financière. La libre circulation des capitaux engendre une pression à la baisse de la fiscalité les concernant. Les inégalités entre revenus du travail et revenus du capital s'accroissent. Les marges de man_uvre des Etats nationaux se réduisent. Leurs recettes fiscales sont menacées, mettant en péril leur capacité à fournir à leurs citoyens les services publics fondamentaux. Il ne suffit plus de changer de gouvernement pour changer de politique : la conviction des socialistes est qu'il faut aussi élargir au niveau européen la dimension nationale de l'action.

Le deuxième événement est la perspective pressante d'un élargissement à l'Est de l'Union européenne, qui la fera passer de 15 à peut-être 27 membres. Cet élargissement est inscrit dans la géographie, l'histoire, la culture. Budapest, Prague, Varsovie sont européennes au même titre que Madrid, Paris ou Rome. Mais l'Union européenne peut-elle rester la même à 15 et à 27 membres ? N'en déplaise à M. Madelin, l'élargissement n'est pas une fin en soi. Comment préserver ses acquis, comment renforcer sa capacité d'action sans remettre en cause ses mécanismes et ses institutions ? Pour nous, une réforme institutionnelle doit précéder l'élargissement.

Quelles doivent être les priorités de la présidence française ? Favoriser davantage la croissance et l'emploi ; accorder au social une plus grande priorité ; durcir les règles de sécurité maritime ; accélérer la constitution d'une politique commune de défense, afin d'éviter de nouvelles Bosnie et de nouveaux Kosovo. Et insistons surtout sur les deux conditions pour que ses objectifs aient quelque chance d'être atteints : une Union européenne plus efficace, une Union européenne plus démocratique.

Premièrement, il n'y a pas de sens à transférer une décision de Paris à Bruxelles si, au niveau de l'Union, il n'existe pas une capacité de décision suffisante. Sinon, paralysie pour paralysie, autant rester entre nous.

Mais alors, soyons clairs : une capacité de décision satisfaisante implique une procédure de décision à la majorité.

Ainsi, le projet de directive visant à créer des comités d'entreprise européens dans les entreprises transnationales avait été bloqué pendant dix ans par la règle de l'unanimité. Arrive le traité de Maastricht et son protocole social, qui autorise la Communauté à légiférer sur le sujet à la majorité qualifiée. En 18 mois, une nouvelle directive est adoptée et aujourd'hui les comités d'entreprise européens se multiplient.

En sens inverse, le projet tendant à instaurer, en parallèle à la libre circulation des capitaux en 1990, une taxation minimale des revenus de l'épargne, bloqué lui aussi pendant dix ans, présenté sous une nouvelle mouture il y a deux ans, demeure inabouti laissant L'Union européenne désarmée face aux paradis fiscaux et au blanchiment de l'argent sale !

A titre de preuve, essayez entre 15 amis de décider à l'unanimité du film que vous irez voir à 20 heures. Non seulement vous raterez cette séance, mais aussi celle de 22 heures.

Il existe deux façons d'obtenir la majorité : à 15, et c'est l'idéal, à moins, et ce sont les coopérations renforcées. Encore faut-il y arriver ! Or le traité d'Amsterdam requiert l'accord du Conseil européen, et dans l'unanimité, de sorte que l'objectif demeure hors d'atteinte.

L'expérience a trop souvent montré que les pays qui ne veulent pas avancer plus vite n'ont pas toujours envie non plus que les autres avancent sans eux.

On voit par là les enjeux institutionnels qui échoient à la présidence française. Sur les laissés-pour-compte d'Amsterdam, le mandat est clair : avoir la Commission la plus restreinte possible, ou du moins la plus hiérarchisée possible ; trouver une forme de repondération au Conseil qui évite un poids dominant pour les petits pays, grâce, selon moi, à un système de double majorité, qui a l'avantage d'être simple et de n'avoir pas à être renégocié à chaque élargissement ; enfin faire du vote à la majorité la règle et du vote à l'unanimité l'exception.

Le groupe socialiste souhaite un dépassement des seuls laissés-pour-compte d'Amsterdam, et demande à la présidence française de mettre au nombre de ses objectifs un accès simplifié aux coopérations renforcées.

En d'autres termes, il ne faut pas que ces coopérations puissent être bloquées par ceux qui ne veulent pas s'y associer.

La question de la décision à la majorité peut paraître abstraite, éloignée des préoccupations des Français, mais elle est essentielle, et le succès de la conférence intergouvernementale se mesurera aux résultats obtenus sur ce point. Trois scénarios sont possibles. Dans le meilleur des cas, les acquis de la CIG seraient suffisants, y compris dans le domaine fiscal, pour permettre la signature, à Nice, d'un nouveau traité. Dans une hypothèse moins favorable, mais néanmoins positive, serait obtenu le déblocage des coopérations renforcées. Enfin, on ne peut exclure le risque d'une paralysie, qui ouvrirait nécessairement une période de réévaluation globale, durant laquelle les candidats potentiels à une refondation de l'Europe autour d'un « noyau dur » politique se compteraient.

Plus efficace, l'Union doit aussi être plus démocratique, et je ne saurais aborder ce sujet sans parler, d'abord, de la composition de l'actuel gouvernement autrichien. La présence en son sein de ministres d'extrême-droite n'est pas, selon nous, un simple problème de politique intérieure autrichienne : nous sommes quinze membres d'une communauté de destin et de valeurs qui ne se réduit pas à une communauté économique, mais aspire à fonder une véritable union politique. En second lieu, cette présence ne saurait non plus être banalisée, tant l'histoire enseigne que tolérer l'ascension de mouvements racistes et xénophobes conduit nécessairement à des drames. Non, les partis d'extrême-droite ne sont pas et ne seront jamais des partis comme les autres, et afin que ce double message parvienne au peuple autrichien, nous devons maintenir le contact avec les forces démocratiques, heureusement majoritaires, de ce pays. Si d'aventure certaines des mesures prises se révélaient contre-productives, il faudrait les reconsidérer, mais sans rien céder sur le fond. Enfin, il appartient aux quatorze autres Etats membres de définir ensemble l'attitude à adopter pour que les Autrichiens se convainquent, d'une part, que c'est leur gouvernement qui est visé, et non eux-mêmes, et d'autre part que l'Union ne peut accepter tel quel ce gouvernement.

Quant aux institutions européennes elles-mêmes, si nous laissions se prolonger trop longtemps la situation actuelle, où les citoyens européens ont le sentiment de ne pouvoir peser par leur vote sur les orientations de l'Union, l'existence même de celle-ci pourrait être remise en cause. Faut-il plus de transparence ? C'est certain. Faut-il un mode d'élection du Parlement européen plus satisfaisant ? Assurément. Mais peut-être faut-il commencer par appliquer cette vieille idée de Jacques Delors, qui a le mérite de nécessiter une simple révision des pratiques, non des traités : que les formations apparentées dans les différents pays présentent non seulement un programme, mais encore un candidat commun à la présidence de la Commission. Nul doute que le taux de participation dépasserait largement les 50 % !

L'Union européenne est à la croisée des chemins : union politique, ou simple zone de libre-échange ? Lourde est la responsabilité qui pèse, à quelques semaines du 1er juillet, sur le gouvernement français, mais nous lui faisons confiance pour contribuer, avec d'autres, à rendre possible ce qui nous paraît nécessaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères - La présidence tournante de l'Union est trop brève, et c'est pourquoi il faut aller à l'essentiel, sans s'attarder à des débats sans fin, tel celui entre souveraineté et supranationalité, qui ne sont que l'alibi de l'inaction. Je souhaite exprimer quelles doivent être, pour nous, les priorités, les ambitions de la présidence française, en évoquant plus précisément l'élargissement, la charte des droits fondamentaux et la politique extérieure.

La réforme des institutions européennes est, comme l'a souligné le président Giscard d'Estaing, la condition sine qua non de tout nouvel élargissement de l'Union. C'est pourquoi la France devra mener à leur conclusion les travaux de la conférence intergouvernementale, présenter la charte européenne des droits fondamentaux, faire progresser les négociations sur l'élargissement, donner suite aux orientations du conseil de Lisbonne en matière sociale, obtenir des résultats concrets dans le domaine judiciaire et développer notre politique extérieure et de sécurité commune.

Réunifier l'Europe est un devoir historique, mais le chemin est semé d'embûches. N'entretenons pas le mythe d'un élargissement unifiant, car il y a, chez plusieurs nouveaux membres et a fortiori chez certains de ceux qui frappent à la porte, peu d'intérêt pour la dimension politique de la construction européenne. La diversité et l'hétérogénéité des sociétés est-européennes sont un défi pour notre modèle social, et nous devons donc aborder la question de l'élargissement dans une perspective géopolitique. La mondialisation appelle une régulation, dont une Europe à 27 - ou plus - peut être le laboratoire, mais le risque de dilution est grand, d'où l'intérêt de la notion d'« avant-garde européenne » formulée par Jacques Delors.

Ayant l'honneur de représenter notre assemblée à la Convention chargée de rédiger la charte des droits fondamentaux, j'appelle votre attention sur cette autre ambition de la présidence française : inclure dans le droit européen la dimension éthique de l'union, renforcer les citoyennetés nationale et européenne, rendre l'Union plus lisible par ses citoyens, mieux définir le modèle social européen, bref, produire une valeur ajoutée par rapport aux instruments juridiques existants, tels sont les objectifs d'un texte qui aura le mérite de mettre en exergue des valeurs et des principes communs, ce que l'on ne peut considérer comme superflu, ni aujourd'hui - voyez ce qui se passe en Autriche et se profile peut-être, hélas, en Italie - ni dans la perspective de l'élargissement.

La présidence française aura également à représenter l'Union sur la scène internationale et à contribuer au règlement des situations conflictuelles. Elle devra être particulièrement présente au Proche-Orient, car elle débutera au moment du retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban et verra probablement la proclamation d'un Etat palestinien, le délai imposé par les accords d'Oslo ayant été repoussé à septembre à la demande de M. Barak. Il faut que l'Union fasse pression sur les parties, celle des Etats-Unis étant appelée à se relâcher du fait des élections de novembre, pour que ce délai soit respecté, car tout retard nous éloignerait de la solution.

La PESC n'a pas, pour l'instant, pris son envol, les Quinze se contentant d'adopter sur divers problèmes des positions communes somme toute peu marquantes, mais la consultation systématique de l'ensemble des partenaires européens est très positive. La présidence française pourrait fournir l'occasion de promouvoir la fonction du Haut représentant, en lui permettant de formuler ses propositions en introduction aux délibérations du Conseil européen et de participer à la représentation extérieure de l'Union. Les Parlements, nationaux et européen, devraient en outre être associés au contrôle démocratique de la PESC.

Enfin, le rejet de la mondialisation, sous sa forme actuelle, par les pays en développement, l'irruption des ONG et de la société civile dans les négociations multilatérales, invitent l'Union européenne à mieux soutenir les revendications du Sud, à plaider pour une refonte de l'OMC et pour une meilleure prise en considération des problèmes sociaux par le FMI et la Banque mondiale. Relever ces défis suppose une vision collective, une volonté politique à toute épreuve et, par là-même, une relance de la relation franco-allemande, qui doit se transformer en laboratoire d'imagination, d'anticipation, d'expérimentation. Tirons avantage de nos différences et de nos atouts respectifs, unissons nos forces, rassemblons-nous autour de projets fédérateurs !

Les propositions que nous ferons ensemble pourraient constituer le fondement de cette « avant-garde » qui fera grandir le projet européen, et à laquelle pourront se joindre tous les pays qui le souhaiteront.

Le couple franco-allemand doit être le médiateur naturel vers l'Europe orientale, et vers les pays de la Méditerranée.

« Etrange, cruelle, belle et forte aventure que celle de ces peuples frères auxquels il aura fallu plus d'un millénaire pour se reconnaître tels qu'ils sont, pour s'admettre, pour s'unir, pour chercher l'un chez l'autre les leçons de la science, de la philosophie, de la politique, pour revenir ensemble à leur propre source ». Cette phrase forte, François Mitterrand la prononçait à Berlin le 8 mai 1995.

Cinq ans plus tard, Monsieur le Premier ministre, vous êtes en mesure avec le Chancelier Schroeder, de faire en sorte que la prédestination de l'Allemagne et de la France, en raison de leur histoire et de leur géographie, les désigne pour donner le nouveau et puissant signal de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - En ma qualité de président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'avoir accepté notre proposition d'organiser un débat sur les priorités de la présidence française de l'Union et d'avoir choisi la date symbolique du 9 mai pour le tenir.

La délégation a préparé cette échéance et formulé des propositions non pour se substituer à l'exécutif qui présidera, dans quelques semaines, le Conseil européen et les conseils des ministres de l'Union, mais pour poser des questions, suggérer des réponses, essayer de dégager un consensus.

La France toute entière sera engagée dans quelques semaines dans ce processus et je souhaite que nous poursuivions ce dialogue fructueux devant l'opinion publique pour sensibiliser nos concitoyens à l'importance de l'échéance. A cette fin, je propose que, durant toute cette période, nous ouvrions plus largement les travaux de notre délégation, en particulier à la presse, que les auditions des ministres soient publiques et qu'au cours de la présidence même, soient organisés ici-même -sans doute sous une forme différente de celle d'aujourd'hui car nos collègues sont très peu nombreux- plusieurs débats où vous-même et vos ministres viendriez faire le point sur l'avancée de ces travaux.

C'est là que la première difficulté se présente, car la présidence du Conseil -et je m'étonne qu'Alain Madelin l'ait oublié- dure à peine six mois compte tenu des congés de second semestre. Assurer une présidence consiste à rechercher les compromis nécessaires pour progresser sur les sujets en discussion. Il vous faudra donc, comme vous l'avez indiqué, Monsieur le Premier ministre, concilier ambition et modestie, nouveauté et continuité, souffle et recherche du consensus.

Par chance, nous succédons à des présidences dont chacune à sa façon a contribué utilement à la construction européenne : nos amis allemands ont à leur actif l'accord très difficile sur l'Agenda 2000 à Berlin ; nos amis finlandais ont fait progresser l'espace judiciaire européen au Conseil de Tampere et une nouvelle stratégie d'élargissement au Conseil d'Helsinki ; enfin nos amis portugais ont à leur actif le Conseil européen de Lisbonne sur la croissance et l'emploi, même si des progrès peuvent encore être accomplis en ce domaine.

Rappelons donc cette évidence : nous construisons l'Europe à quinze. Soyons ambitieux mais pas arrogants, gardons notre cap tout en sachant que des compromis seront nécessaires. Toute autre attitude serait démagogique et dangereuse pour la France et pour l'Union.

Les priorités de l'exécutif, telles que vous les avez exposées, correspondent largement aux propositions que notre délégation avait formulées, souvent à une large majorité. Je n'y reviendrai donc que pour insister sur les difficultés auxquelles nous allons nous heurter.

L'Europe, qui touche à de très -peut-être trop- nombreux aspects de la vie de nos citoyens, est en crise. L'objectif de ses pères fondateurs a été atteint : la paix règne depuis cinquante ans entre les pays de l'Union. La construction européenne a contribué, et même façonné, la croissance de leurs économies. L'euro existe. Un type de relations sociales différent du système américain tend à s'instaurer. Des pays européens d'Europe centrale, qui se sont libérés de la tutelle soviétique, souhaitent rejoindre l'Union.

Notre pays, lorsqu'il présidera l'Union, ne devra pas se montrer frileux sur ce sujet. Ce n'est certes pas sous la présidence française que se concluront les négociations avec les pays les mieux préparés à l'adhésion, mais cela ne nous dispense pas de veiller au bon déroulement du processus engagé à Helsinki, de rappeler aux pays candidats qu'ils vont entrer non dans une zone de libre-échange mais dans une union économique et politique et que, pour être utiles, les adhésions doivent être préparées par des négociations sérieuses, qu'enfin la participation à l'OTAN n'entraîne pas automatiquement celle à l'Union.

Sous sa présidence, tout en laissant la Commission faire son travail de négociation, la France doit se montrer politiquement déterminée, comme vous l'avez été à Budapest, Monsieur le Premier ministre, et attentive aux préoccupations des pays de l'Europe centrale et orientale.

Depuis Amsterdam, la France a clairement indiqué que la nécessaire réforme des institutions devait précéder tout élargissement. Il faut maintenir cette position juste, tout en précisant bien aux Etats membres de l'Union et aux pays candidats que cette réforme n'est pas, dans notre esprit, un alibi pour retarder l'élargissement.

L'Union fonctionne déjà de manière insatisfaisante à quinze. Sa réforme est donc d'autant plus nécessaire qu'elle veut accueillir de nouveaux pays. Les trois problèmes qui n'ont pu être résolus à Amsterdam -extension du champ de la majorité qualifiée, pondération des voix au sein du Conseil des ministres, nombre et répartition des commissaires- sont très délicats. Les propositions que vous avez avancées dans votre déclaration permettront de progresser peu à peu sur tous ces points, mais la France ne pourra pas, seule, régler ces questions en suspens. Elle devra rechercher des compromis et, comme l'a dit récemment Pierre Moscovici à juste titre, mieux vaut pas d'accord qu'un mauvais accord.

Nous devons également faire progresser l'idée des « coopérations renforcées » afin de permettre aux pays membres de l'Union d'approfondir de nouvelles actions communes dès lors que l'intérêt national le permet et le justifie. Cette méthode existe déjà. Le Conseil de l'euro est une coopération renforcée à onze dans le domaine monétaire. Les accords de Schengen concernent certains pays membres de l'Union mais aussi d'autres qui ne le sont pas.

Si nous voulons faire progresser la défense européenne, il faut aussi recourir à cette méthode. La seule condition que je pose à son extension est de permettre à tout pays de l'Union qui le souhaite de rejoindre ces nouvelles politiques communes quand il se sent prêt.

Cela dit, nous devons déjà réfléchir à l'après-Nice. Le premier élargissement imposera de nouvelles réflexions institutionnelles. L'architecture institutionnelle de l'Union doit être repensée pour préserver la dynamique de la construction européenne. Si la Commission a joué pendant longtemps un rôle moteur, c'est désormais au Conseil qu'il appartient d'agir. Sa réforme doit donc être notre priorité, notamment pour améliorer son mode de fonctionnement.

La France doit donc _uvrer pour la réforme institutionnelle et être vigilante sur l'élargissement, mais elle doit surtout affirmer sa volonté de consacrer les forces de l'Europe à la lutte pour la croissance et pour l'emploi. Une énergie comparable à celle qui a été déployée pendant des années pour réaliser l'euro doit l'être aujourd'hui à faire reculer le chômage partout en Europe, d'autant plus que la croissance repart.

Un tournant a été pris sous votre impulsion, Monsieur le Premier ministre, au conseil européen de Luxembourg en 1997. Celui de Lisbonne a marqué une avancée supplémentaire sur ce sujet, qui doit devenir l'obsession commune sous la présidence française. Qu'il s'agisse de l'agenda social, de l'harmonisation fiscale, nécessaire contrepoint à la libre-circulation, de la lutte contre les mouvements spéculatifs de capitaux, du recours aux capacités d'emprunt de l'Union pour financer des grands travaux d'infrastructure, ou de la nouvelle économie de l'information, la croissance et l'emploi doivent rester notre priorité absolue.

L'Union européenne doit aussi entreprendre des actions de proximité conformes aux préoccupations de nos concitoyens qui ont parfaitement compris que c'est au niveau européen que l'on peut agir efficacement contre les grandes menaces écologiques, sanitaires ou criminelles.

Notre pays devra donc contribuer à la mise en place d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice dont le principe a été décidé par le conseil européen de Tampere. Une loi pénale européenne s'impose pour lutter contre les infractions transfrontières. Il faut aussi que les décisions prises en matière civile, commerciale et pénale dans un Etat membre puissent être exécutées de plein droit dans l'un quelconque des autres Etats membres. A défaut subsisterait un vide juridique néfaste à la sécurité juridique des personnes.

La sécurité du transport maritime est également une question urgente. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l'Europe ne mène pas sur ce point une action commune efficace. La présidence française devra obtenir des progrès dans ce domaine, tout comme sur la sécurité alimentaire. La dimension de l'Europe ne doit pas non plus être négligée dans le domaine du sport. Nous ferons des propositions complémentaires sur l'exception sportive, par rapport à la libre circulation habituelle.

Dernier thème pour cette présidence française : il faut affirmer la présence de l'Union sur la scène internationale. Comptant 375 millions d'habitants et contribuant pour près de 20 % au PIB mondial, l'Union a tous les titres pour prendre une part active au dialogue entre ensembles régionaux -je pense en particulier aux pays en développement de la zone ACP, à ceux du bassin méditerranéen, du MERCOSUR et de l'ASEM. Ce sera l'occasion de trouver de nouveaux alliés en vue des prochaines conférences de l'OMC ou des discussions sur le système monétaire international. Cela suppose de relancer la dynamique créée à Helsinki et de renforcer les capacités qu'a l'Europe de faire régner la paix et la stabilité dans son environnement régional.

Mais cette présidence française n'aura atteint ses objectifs que si elle parvient à mieux faire comprendre à nos concitoyens le sens et l'utilité de la construction européenne : il faut politiser, au sens noble du terme, le débat et notre action en Europe. Celle-ci est le lieu d'affirmation de droits fondamentaux, et elle le restera, notamment grâce à la Charte en cours d'élaboration, dont je souhaite qu'elle soit aussi brève et lisible que possible. De même que, dans l'affaire de l'Autriche, ce n'est pas la position de la France qui a prévalu, mais celle des Quatorze, il faut que nous nous référions à des valeurs communes pour donner un nouveau souffle à l'Europe. En 1950, l'Europe n'était pas qu'un projet technique et économique : cinquante ans après, il faut conforter l'esprit politique qui soufflait déjà alors. Ce sera à mon sens le grand chantier qui attend la présidence française ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense - Au cours de la présidence française, la défense figurera parmi les questions prioritaires : le fait paraît désormais acquis alors qu'il y a moins de deux ans, il relevait de la virtualité, sinon de l'utopie.

Le sommet de Saint-Malo a marqué un tournant décisif, ainsi que la décision allemande de participer à une défense européenne, mais l'expérience de la guerre du Kosovo, où les Européens ont pris la mesure de leur dépendance à l'égard des Etats-Unis, a considérablement accéléré l'évolution des esprits.

Dans son rapport « l'OTAN : quel avenir ? », publié en mars 1999, la commission de la défense proposait de donner à l'Union deux possibilités d'intervention militaire, dans le cas où l'OTAN n'interviendrait pas : soit l'utilisation de moyens alliés, soit la mise en _uvre autonome de capacités propres. A l'époque, cette proposition avait reçu un bon accueil de principe, mais avait aussi suscité un grand scepticisme tant l'idée d'une capacité d'intervention militaire autonome paraissait peu réaliste. On lui préférait les décisions compliquées du Conseil atlantique de Berlin qui donnaient, sur le papier, la possibilité de recourir aux moyens de l'OTAN par le biais de l'UEO...

Aujourd'hui, les données du problème sont simplifiées. Le conseil d'Helsinki a décidé, après celui de Cologne, que l'Union disposerait de la capacité de conduire directement, avec des moyens autonomes, les missions dites de Petersberg, allant du maintien au rétablissement de la paix, y compris par des actes de guerre. Et ce conseil en a tiré les conséquences pratiques, s'agissant des moyens comme des structures de décision.

Les évolutions sont donc rapides et la France aura la tâche délicate de maintenir ce rythme et, surtout, de traduire des décisions de principe en actes concrets, sensibles puisque touchant à la souveraineté des Etats.

Il s'agira d'abord de préciser comment la force européenne annoncée à Helsinki pourra être concrètement mise en place. Si les Etats membres parviennent, au prochain conseil de Feira, à s'entendre sur les capacités et les forces du corps européen de quinze brigades, il faudra encore définir la contribution de chacun à la constitution de ce dernier, d'ici à 2003.

Il faudra précisément définir les lacunes à combler, par exemple en matière de commandement, de renseignement, de transport stratégique ou de frappes de précision. Il faudra instituer un mécanisme de suivi des décisions, et mettre en place, à titre définitif, les structures politico-militaires de décision, en dotant l'Etat-major européen d'au moins cent officiers -ce qui est à peine le quart de l'Etat-major militaire de l'OTAN, mais qui écartera la tentation de faire sous-traiter la planification stratégique par l'OTAN.

Deuxième grande question celle des relations à établir avec l'OTAN. Elle devrait être résolue dans son principe à Feira mais il est exclu, à mon sens, que l'Union établisse des relations formelles, officielles et donc contraignantes avec l'OTAN dans une période où l'Europe de la défense sera toujours en gestation. En revanche, une fois parvenue à maturité, cette politique devra évidemment pouvoir être conduite « en bonne intelligence » avec l'OTAN, pour reprendre la formule consacrée. Notre projet n'est pas, en effet, de concurrencer l'OTAN, comme de hauts responsables américains feignent de le croire, mais de répondre à des besoins de sécurité propres à l'Europe si l'OTAN n'est pas en mesure de le faire ; je pense à des situations où les Etats-Unis jugeraient que leurs intérêts ne sont pas fondamentalement en cause.

« Bonne intelligence » ne veut cependant pas dire subordination ou subsidiarité -notamment pas subordination de toute intervention européenne à un refus préalable d'agir de l'OTAN.

Les arrangements à conclure avec les pays européens membres de l'OTAN mais non membres de l'Union européenne, relèvent de la même logique. Ces pays ont droit à la consultation et à la transparence pour les questions qui touchent à leurs intérêts, mais ils ne peuvent prétendre empiéter sur l'autonomie de décision de l'Union.

Même si la présidence portugaise parvient à faire adopter des déclarations de principe favorables à l'autonomie européenne en matière de défense, il ne faut pas s'attendre à ce que les Etats-Unis renoncent à peser, dès l'origine, sur les processus de décision européenne et à défendre la prééminence de l'OTAN. Ils ont certes abandonné la doctrine des « trois D » -pas de découplage, de discrimination ni de duplication- mais ils reviennent aujourd'hui à la charge en formulant trois exigences désignées en anglais comme les « trois I » : l'Union doit améliorer -improve- les capacités de défense, c'est-à-dire, en fait, respecter les priorités de modernisation de l'OTAN, elle doit « inclure » dans ses décisions les Etats non membres de l'Union et reconnaître l'« indivisibilité » des intérêts de sécurité européens et américains.

Jusqu'à présent, ces critiques américaines n'ont pas empêché l'Europe de la défense de progresser, depuis la fin de 1998, de manière spectaculaire. Elle l'a pu grâce à une démarche essentiellement pragmatique, à un souci d'avancer sans s'embarrasser de querelles institutionnelles ou conceptuelles. Il en a été de même dans le domaine industriel. Les entreprises sont entrées dans un grand processus de regroupement et les gouvernements ont accepté l'effort d'harmonisation que cela exigeait, comme en témoignent, par exemple, l'élaboration de l'accord dit « de la LOI » et la mise en place de l'OCCAR.

L'Europe de la défense a pu ainsi accomplir de grands progrès, en s'édifiant « par le bas », mais cette démarche pragmatique montre aujourd'hui ses limites. Les questions de principe, volontairement laissées en suspens, créent des équivoques qui peuvent empêcher les progrès ultérieurs. Une clarification devient nécessaire dans au moins deux domaines. En premier lieu, les Européens doivent formuler en commun et de manière explicite leurs intérêts propres de sécurité. Ce pourrait faire l'objet d'un livre blanc, qui démontrerait par exemple que la politique commune de défense n'est pas concurrente, mais complémentaire, de celle de l'Alliance atlantique. Peut-être s'apercevra-t-on aussi, en rédigeant ce document, que les objectifs de capacités de forces arrêtés à Helsinki mériteraient d'être complétés ou adaptés. Il convenait sans doute d'annoncer dès le début le volume du futur corps européen d'intervention. Les efforts, en particulier budgétaires, qu'il nécessitera doivent être justifiés par une formulation explicite des intérêts de sécurité.

En second lieu, la mise en _uvre des décisions d'Helsinki et les engagements de forces qu'elles impliquent nécessitent une coordination étroite des programmations militaires. On peut craindre que la nôtre n'arrive un peu tôt, tandis que celle de l'Allemagne serait, elle, tardive -cependant, les conclusions de la commission Weizsaecker semblent de nature à conforter les ambitions d'Helsinki.

Une fois les intérêts de sécurité communs précisés, les programmations harmonisées, la complémentarité de l'Europe de la défense avec l'OTAN sera de fait acquise : au thème du « partage du fardeau », défendu par les Américains, se substituera celui du partage des responsabilités et des décisions. Mais cette évolution a un prix : celle d'une restructuration des politiques de défense, d'abord chez nos partenaires allemand, italien ou espagnol. Mais, même en France et en Grande-Bretagne, il faudra persévérer dans les efforts entrepris pour dépenser mieux -ce qui ne signifie pas nécessairement dépenser plus, encore que, pour l'Allemagne ou l'Italie, le niveau des dépenses d'équipements pose incontestablement problème.

Il y a eu un temps pour une approche essentiellement pragmatique. Le moment paraît venu d'une formulation claire des objectifs et des intérêts de l'Union. Un débat public devient donc indispensable. J'espère que les parlements des Etats membres sauront assumer cette responsabilité, puisqu'elle concerne la façon dont nous souhaitons garantir la sécurité de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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