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Session ordinaire de 1999-2000 - 93ème jour de séance, 217ème séance

3ÈME SÉANCE DU MARDI 6 JUIN 2000

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

Sommaire

          FORÊT 2

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 7 JUIN 2000 18

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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            FORÊT

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation sur la forêt.

M. François Brottes, rapporteur de la commission de la production - Le moment de refonder notre politique forestière arrive enfin. Je suis heureux d'être le rapporteur d'un texte qui marque une nouvelle ambition pour la forêt et la filière du bois, honoré d'être le compagnon de route de ces forestiers dont le travail doit être mieux reconnu et de contribuer à faire comprendre l'importance d'une politique forestière qui n'est pas seulement leur affaire.

Certes, depuis les premières ordonnances de 1346, celles de Colbert en 1669, le code forestier de 1827, on a légiféré sur la forêt, et pour la dernière fois en 1985.

Mais très vite Lionel Jospin a décidé de lui consacrer un texte spécifique, après une large concertation. L'énorme travail accompli par Jean-Louis Bianco a rendu espoir à tous les acteurs du secteur. Je tiens à lui rendre un hommage tout particulier, d'autant qu'il a donné plus de crédibilité à notre groupe d'études parlementaire auquel des députés de tous bords ont contribué. Dès son entrée en fonction, Jean Glavany a lui aussi marqué son intérêt pour ce secteur qui fut trop souvent le parent pauvre du ministère de l'agriculture et de la pêche (Murmures sur les bancs du groupe du RPR).

En modernisant le fonds forestier national, en augmentant les crédits -de 45 % cette année- en prenant des mesures fiscales audacieuses, en relançant la charte bois- construction-environnement, vous avez, Monsieur le ministre, préparé cette loi d'orientation.

Tout cela a été fait avant l'ouragan, qui a détruit le travail et le patrimoine de plusieurs générations de forestiers. Il nous a rappelé combien nous restons les jouets des caprices de la nature, et que l'investissement en forêt est à risque.

Mais il a permis que le pays se mobilise, solidaire comme jamais. Les mesures prises par le Gouvernement ont été à la hauteur du défi à relever.

Dans un tel contexte, la loi d'orientation n'est que plus pertinente.

En commission le président Lajoinie et le vice-président Ducout se sont beaucoup impliqués. Avec l'aide d'une dizaine d'administrateurs nous avons procédé à une quarantaine d'auditions. La commission a retenu 200 des 450 amendements déposés et adopté le texte à une très large majorité.

Au passage, je salue la qualité des rapports entre vos services et ceux de l'Assemblée. Je sais ses administrateurs convertis désormais à la grande cause de la forêt et peut-être, pour certaines administratrices, le charme d'Yves Duteil qui nous a rendu compte du travail de son association de prévention des incendies de forêt, aura-t-il facilité le franchissement de ce « petit bout de bois » que, « prenant un enfant par la main », on emprunte pour l'emmener dans la forêt apprendre à la respecter, comme le firent les générations précédentes.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Quel talent !

M. le Rapporteur - Mais chacun a à l'esprit d'autres artistes, d'autres poètes que la forêt a inspirés.

J'aborderai trois questions qui reviendront certainement au cours du débat.

Ce projet apporte-t-il une bonne réponse face aux conséquences de la tempête ? Oui. Il complète le plan national forêt et les dispositions du collectif budgétaire par des mesures structurelles. Dès l'article premier il affirme le principe de la gestion durable des forêts, défini à la conférence d'Helsinki ; et le décline par une série de mesures qui favorisent la diversité des essences, rendant leur place aux feuillus, favorisant la régénération naturelle et la futaie jardinée.

Il affirme également que la recherche doit retrouver un rôle de premier plan, il conforte le rôle des experts forestiers, des coopératives et du conseil supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois, et restructure l'interprofession.

Ensuite, ce texte est-il animé du même souffle que le rapport Bianco ? Là encore, oui. Renforcé par nos amendements, ce sera un texte de mobilisation. Il propose des solutions pour inverser la tendance du morcellement de la propriété privée forestière, il requalifie le travail en forêt, il prend en considération les aspects hygiène, sécurité et protection sociale des durs métiers de la forêt, il crée l'interprofession, il invite à la certification, il modernise les modes de vente et d'approvisionnement pour mieux répondre aux attentes des différents marchés du bois et de ses dérivés et mieux faire reconnaître la valeur de cet éco-matériau.

Enfin, ce texte permet-il de réconcilier les attentes des gens des villes et la gestion harmonieuse et économiquement viable de l'espace rural et forestier, donc l'équilibre du territoire ? Oui, et c'est l'un de ses apports majeurs. La forêt nous donne le bois. Mais elle agit aussi sur tout l'environnement avec la lutte contre l'effet de serre, la protection contre les risques naturels, les chutes de pierres ou les avalanches, la protection et la régulation des nappes phréatiques, le maintien de la biodiversité, la préservation des paysages. Elle accueille les promeneurs, les chasseurs, les ramasseurs de champignons, les adeptes de la randonnée.

Ces fonctions multiples qu'elle assume, il faut les reconnaître, voire les rémunérer car elles sont d'intérêt général, on pourrait presque dire de service public.

Jusqu'à présent, on avait trop peu défini les responsabilités des gestionnaires et les devoirs des utilisateurs. Pour le faire, le projet instaure, de façon heureuse, les chartes de territoire forestier.

Ces chartes pluriannuelles permettront de mieux faire fonctionner la filière et d'instaurer des partenariats durables pour valoriser les fonctions non marchandes de la forêt.

Monsieur le ministre, j'espère que vous accueillerez avec bienveillance, voire enthousiasme, les contributions des parlementaires, qui souhaitent redonner vigueur à la filière afin que sa balance commerciale redevienne excédentaire, et rendre des raisons d'espérer à tous ceux qui dans la forêt privée comme au sein de l'ONF, sont quelque peu déstabilisés.

L'Assemblée, j'en suis sûr, sera à vos côtés pour montrer que même un ouragan ne nous fera pas baisser les bras. Ne l'oublions pas, la forêt concerne 27 % du territoire continental, et près d'une commune sur trois est forestière. 100 % des Français sont concernés car tous ont besoin de la forêt pour vivre. Enfin notre pays a pris des engagements internationaux qu'il doit respecter dans l'intérêt des générations futures.

Voilà trois bonnes raisons pour que nous nous efforcions d'écrire une nouvelle page de l'histoire de la forêt française, dans la sagesse et la sérénité car, chacun le sait, « au pied de son arbre on vit heureux ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Pierre Micaux - Je salue la présence de M. Bianco, dont nous avons apprécié le rapport. Je salue aussi Madame Bello, seule femme ici ce soir, et je salue la forêt de l'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

Le projet s'organise selon cinq axes : la gestion durable et la multifonctionnalité ; la gestion des territoires ; la protection des écosystèmes ; la compétitivité de la filière bois ; l'organisation des institutions et des professions de la forêt.

Regrettons que le texte ne dise absolument rien des conséquences des deux tempêtes de la fin de 1999. Les aides à l'exploitation et au stockage ne sont pas arrivées. Ce n'est pas le Gouvernement qui est défaillant, ce sont les administrations, comme le reconnaît M. Christian Pierret. Les transports subissent des tracasseries, quand ce n'est pas la SNCF qui profite de la situation pour augmenter ses tarifs de transport de grumes. Regrettons aussi que rien ne soit envisagé en cas de récidive. Il est encore temps d'y remédier.

La législation et la réglementation d'hier applicables à la forêt et au bois relevaient de sept ou huit codes et de nombreuses lois qu'il fallait débroussailler. Demain le dispositif sera plus clair, plus accessible, et mieux adapté à la réalité nouvelle. Il le fallait.

En revanche le débat ne fait que commencer sur la gestion durable, et en particulier sur les notions de reboisement naturel et de plantations. Laissons-là les nombreuses erreurs du passé : dans ma région la même forêt a été reconvertie cinq fois, en commençant par le chêne et en finissant par le douglas. Pourriez-vous hâter le dépôt du rapport de l'INRA et du CEMAGREF ?

Nous aurons besoin des pépiniéristes, qui ont été mis au pain sec : 120 millions en 1993, 60 millions cette année ! Or nous aurons besoin de nouveaux plants. Il est indispensable d'exonérer les pépiniéristes de la taxe sur le foncier non bâti.

Votre texte ne définit pas suffisamment la notion de gestion durable ni l'articulation, dans la charte de territoire forestier, entre les différentes zones.

Il est très inquiétant aussi que les moyens financiers soient renvoyés à des textes ultérieurs. On m'a même opposé les articles 92 et 96 du Règlement pour refuser l'amélioration des plans de chasse en vue de l'amélioration de la reprise des plans de reboisement. Je n'ai toujours pas compris pourquoi...

Après leurs tempêtes, les Allemands ont autoritairement triplé leurs plans de chasse. Vous, vous imposez des charges et des contraintes supplémentaires à la forêt privée, qu'il s'agisse du défrichement, du débroussaillage ou de desserte. Le Gouvernement semble considérer que la forêt privée n'a que des devoirs.

Nous vous attendons tout particulièrement sur l'amendement présenté par le rapporteur et analogue au mien, relatif au plan d'épargne forêt, dont la paternité revient à votre prédécesseur Philippe Vasseur, et qui était inscrit sur mes tablettes depuis belle lurette.

Le morcellement excessif de la forêt privée, qui compte de trois à quatre millions de propriétaires pour 10 millions d'hectares, doit conduire à étendre les plans simples de gestion. Le seuil devrait être abaissé de 25 hectares à non pas 10 hectares mais à 5 hectares. Je souligne l'intéressante création d'une bourse d'échanges forestière dans les Vosges. Les plans simples de gestion concerneront aussi bien l'ONF que les experts. En pareil domaine, une saine concurrence s'impose.

Nous apprécions que l'ONF ait gelé la vente des coupes pour cette année. Mais qu'avait-il à faire en vendant du bois à l'Inde et à la Chine ? A chacun son métier ! Vous limitez les travaux en forêt aux seules personnes diplômées ou possédant une expérience professionnelle avérée. Regrettons que les agriculteurs ne puissent pas traiter eux-mêmes leur bois de chauffage. Il est pourtant urgent de développer ce mode d'énergie qui, outre ses vertus écologiques, coûterait 25 % moins cher que l'électricité. Félicitons-nous de la possibilité de mettre en place des CTF et de l'ouverture de la forêt au public. Mais veillons à ce qu'elle ne soit pas saccagée !

S'agissant de la filière bois, n'est-il pas effarant que notre plus grosse scierie se classe au 27e rang en Europe ? Notre balance commerciale est déficitaire. Pour les sciages, les importations s'élèvent à 25 %, les exportations à 5 % seulement ! On voit combien il importe d'améliorer la productivité. Vous budgétisez le fonds forestier national. Très bien ! Mais, avec 520 millions, il est insuffisamment doté, même si, direz-vous, la hausse est de 190 millions par rapport à l'an dernier. La profession demande la création d'une provision pour investissements dans le sciage et la transformation. En attendant l'urgence créée par les tempêtes doit conduire à assouplir les conditions de transport et à aider à la réalisation d'aires de stockage. La compétitivité de la filière passe par de multiples chemins tant les ornières sont nombreuses. Il convient de garantir les approvisionnements sur la base de contrats négociés, et peut-être de reconsidérer la concentration de la distribution.

Nous reviendrons sur la question de la formation professionnelle. Il faut également rajeunir la recherche, favoriser l'innovation, réussir le passage à la société de l'information. Or l'article 35 nous laisse un peu sur notre faim.

Penser pour la forêt, mais agir pour le bois, voilà le mot d'ordre. Nous aimons la forêt, la forêt mondiale, et nous aimons la forêt française.

Je conclurai en rendant hommage à l'ancien directeur et à mes anciens professeurs de l'Ecole supérieure du bois (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Huguette Bello - Nous ne pouvons que nous réjouir de la venue en discussion de ce projet de loi d'orientation, qui vient à son heure, alors que la préservation de l'écosystème mondial et la crainte d'un changement climatique sont à l'ordre du jour, et qu'en France même les tempêtes de décembre ont durement éprouvé notre potentiel forestier. Nous souscrivons pleinement aux objectifs généraux du texte, qui doivent aussi prévaloir, selon nous, outre-mer, mais nous insistons sur la spécificité de la forêt tropicale, guyanaise et réunionnaise.

La forêt couvre le tiers de la superficie de la Réunion. C'est nettement plus qu'en métropole, mais c'est tout juste suffisant, tant pour la production de bois que pour la protection des pentes et des littoraux, d'où la nécessité d'accélérer le reboisement. Denses dans les régions basses et claires dans les zones montagneuses, formées d'espèces endémiques à croissance lente, nos forêts sont de très grande qualité, à telle enseigne que la Réunion est l'une des dix îles tropicales les mieux préservées, et l'un des 150 sites forestiers d'intérêt mondial recensés par l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Nous devons à la fois défendre cette biodiversité et répondre aux besoins en emplois, en logement, en espace d'une population en forte augmentation. Une pression considérable s'exerce en effet sur les espaces naturels, et en particulier sur les terres soumises au régime forestier, qui représentent 40 % de la superficie insulaire. L'article 24, qui renforce, outre-mer, les moyens de lutte contre les occupations illicites, est sans doute le bienvenu, mais la répression ne suffit pas : il importe de mieux valoriser un domaine qui fut délimité en 1870, à une époque où la population réunionnaise était quatre fois moins nombreuse qu'aujourd'hui, et qui comporte désormais des espaces ayant perdu toute vocation forestière. Des dispositions législatives ou réglementaires pourraient être prises pour régler cette question, comme cela a été fait en Guyane et aux Antilles.

La filière bois réunionnaise repose presque entièrement sur l'ONF et sur les entreprises artisanales de construction et d'ameublement, car les forêts privées ne représentent, à la différence de la métropole, qu'une faible partie des surfaces boisées, et ne sont, de surcroît, que peu mises en valeur. Il convient de développer la création d'entreprises en amont de la filière.

L'outre-mer peut constituer, enfin, une plate-forme de coopération régionale : la coopération forestière déjà engagée avec Madagascar, par exemple, devrait s'étendre à d'autres partenaires.

Nous regrettons, en conclusion, que l'outre-mer et ses spécificités soient quelque peu négligés. Aussi avons-nous déposé deux amendements, l'un à l'article premier, l'autre à l'article 15. Nous voulons croire que ce projet de loi d'orientation sera l'occasion de mettre à plat la politique forestière, en métropole comme outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Proriol - Pour une fois, l'arbre ne cache pas la forêt : celle-ci sort enfin de l'ombre, après des années d'oubli, au grand soulagement des hommes et des femmes de cette filière multiséculaire, et en particulier des quatre millions de propriétaires forestiers que compte notre pays. Si la tempête de décembre n'y est peut-être pas étrangère, ce projet de loi d'orientation n'est pas, ne doit pas être un texte de circonstance. A quelque chose malheur est parfois bon : le déchaînement des éléments nous a tirés de notre léthargie, de l'imagerie léguée par les contes de notre enfance, pour nous faire prendre conscience que la forêt n'était pas seulement majestueuse et menaçante, mais également fragile, et qu'il nous faut préserver, pour les générations futures, ce que Jean-Louis Bianco appelle « une chance pour la France ».

C'est dans cette perspective que s'inscrit le projet, et je m'en réjouis, en dépit de ses imperfections. Pourquoi, alors que le Gouvernement disposait à la fois du rapport Bianco, qui rejoint l'excellent rapport Jouvenel de la fin des années 1970, et du recul nécessaire, a-t-il fallu que le Rapporteur, n'écoutant que son courage, dépose à lui seul plus de 150 amendements ?

M. François Vannson - Et nous, plus de 200 !

M. Jean Proriol - Oubliés, les emplois qui devaient être créés par dizaines de milliers dans la filière ! Envolés, les financements publics, pourtant quatre fois moins abondants en France que dans les pays voisins ! Abandonnés, le plan d'épargne forestier et le statut de l'exploitant ! Passé sous silence, le manque de main-d'_uvre, et d'abord de bûcherons ! Laissés pour compte, les massifs de montagne, au moment même où se tient le Forum mondial de Chambéry ! Négligée, la question des coûts de transport et de livraison ! Marginalisée, la tempête elle-même, puisqu'aucune mesure n'est prise pour faire face un tel sinistre, et Dominique Bussereau dira, demain, l'amertume causée aux Charentais par une indemnisation faible et lacunaire, tardant en outre à venir, et par l'absence d fonds de garantie : « Assurez-vous, réassurez-vous », semble-t-on dire aux 98 % de propriétaires exclus du dispositif d'aide !

Le résultat est forcément un peu décevant : les 37 articles du texte renvoient, selon des calculs autorisés, à quelque 43 décrets, dont on ignore le contenu comme la date de parution. S'il actualise opportunément un code forestier dont certaines dispositions remontent à Colbert, s'il règle de façon satisfaisante certains problèmes comme la reconnaissance de l'activité d'expert forestier, la co-certification, ou le champ d'action et les modalités d'intervention de l'ONF, je regrette qu'il accentue à l'excès les contraintes imposées aux exploitants : par exemple en leur imposant de dégager rapidement et à leurs frais les chablis, ou en soumettant les coupes de plus de 5 hectares à autorisation préfectorale. Nous sommes loin du moratoire réglementaire préconisé par M. Bianco ! Il en est de même pour la définition des responsabilités des communes forestières en matière d'incendie.

Nous attendions un projet plus dynamique, favorisant une gestion plus participative -même si vous créez, par les chartes, des perspectives contractuelles. Nous nous attendions à une exploitation plus forte de la forêt -vous l'aviez dit vous-même devant la commission, exploiter n'est pas anti-environnemental. Nous nous attendions à ce que vous favorisiez l'utilisation de l'écomatériau bois et assouplissiez la fiscalité.

Mais la dimension écologique semble avoir pris le pas sur la dimension économique et sociale et je doute que cette loi soit à la hauteur des enjeux. Or les lois sur la forêt sont peu fréquentes...

François Brottes a été lyrique, euphorique, poète aussi. Son énergie et son savoir-faire ne sont pas en cause. Mais trouve-t-on dans ce projet une nouvelle politique forestière ? Nous en doutons, et le regrettons eu égard aux attentes suscitées par le rapport Bianco. Comment, dans ces conditions, émettre un vote positif ? Notre abstention sera conditionnée par l'adoption des nombreux amendements que nous avons déposés et donc certains ont passé avec succès l'examen en commission.

Je terminerai par une citation d'un compatriote qui réunissait, dans une toute petite commune auvergnate, Chassignolles, le Cercle des héritiers de la mémoire : « Autrefois la forêt était source de vie indispensable au milieu rural. Puis elle devint un milieu fermé. Aujourd'hui elle est gérée par les citadins et ceux-ci la transforment en parc naturel ». Ce n'est pas la seule ambition que nous avons pour notre forêt (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Claude Jacquot - Il y a un an et demi, notre collègue Jean-Louis Bianco rendait un rapport qui définissait une stratégie pour l'ensemble de la filière forêt-bois. Ce rapport suscita l'approbation quasi-unanime des propriétaires et de la profession.

Il s'ensuivit, en 1999, une réflexion approfondie à l'initiative des parlementaires, du groupe d'études présidé par votre dynamique rapporteur, qui donna lieu à des concertations décentralisées et à un colloque national. Ces rencontres ont rassemblé les différents acteurs de la filière et ont permis de nourrir le texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Les conclusions de ces travaux ont été confortées par les constats qui découlent des ouragans des 26 et 27 décembre. Cette catastrophe, à laquelle le Gouvernement a réagi par des mesures financières exceptionnelles, a souligné la nécessité de moderniser rapidement la filière forêt-bois, et d'adapter le code forestier aux exigences nouvelles.

En effet, cette tempête a révélé au grand jour l'importance de la forêt et les insuffisances structurelles de notre filière : manque d'organisation et de solidarité, difficultés de gestion liées au morcellement de la propriété forestière, rigidités inhérentes aux modes de vente, disparités des réglementations européennes, insuffisance de personnels qualifiés.

Ces difficultés s'ajoutent à d'autres handicaps chroniques -mauvaise organisation économique qui provoque un déficit de 80 % de notre balance commerciale, manque d'investissements flagrant, recherche mal coordonnée.

Votre texte apporte des solutions à la plupart de ces problèmes. Le volet « forêt » est cependant prédominant. Il conviendrait à mon sens d'accorder plus d'importance au développement de l'utilisation du bois comme matériau. C'est d'elle que dépendra, en effet, l'amélioration de l'ensemble filière.

Pour y parvenir, il nous appartient de favoriser un changement de l'image du bois chez nos concitoyens. Il n'y a pas en France de « culture » du bois comme chez nos voisins européens. Le bois matériau est trop souvent relégué au rayon du folklore, alors qu'il possède de grandes qualités, notamment pour la construction. En outre, le bois présente le quadruple avantage d'être renouvelable, recyclable, écologique dans la lutte contre l'effet de serre et énergétique, véritable alternative à l'épuisement des réserves d'énergies fossiles.

Ainsi, le bois allie les intérêts économiques aux intérêts écologiques -ce qui n'est pas toujours le cas ! ... La filière représente 500 000 emplois. Si l'on ajoute à ces aspects la multifonctionnalité de la forêt, élément essentiel au maintien des grands équilibres dans notre société, et son rôle dans l'aménagement cohérent de notre territoire, on prend conscience de la place vitale qu'elle occupera de plus en plus dans notre environnement.

Le XXIe siècle sera celui des énergies renouvelables, de la gestion durable, du retour vers les grands équilibres naturels et donc celui de la valorisation de la filière forêt-bois.

C'est pourquoi il convient de nous engager, sans tarder, dans ces évolutions essentielles, en pensant aux générations futures : elles nous jugeront sur notre capacité à prendre aujourd'hui les bonnes décisions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Charroppin - Ce projet de loi d'orientation, nous l'attendions tous.

Préparé avec un retard regrettable, il affirme s'inspirer des conclusions du rapport remis par Jean-Louis Bianco au Premier ministre en août 1998, après les travaux de notre groupe d'étude.

Je déplore le retard : en réponse à une question que j'avais posée le 27 mai 1999, vous aviez annoncé l'examen de ce projet de loi pour l'automne dernier.

Mais je regrette encore davantage que ce texte soit très en retrait des ambitions affichées par le rapport Bianco.

Nous sommes très loin d'une véritable loi d'orientation. Pourtant la France en aurait plus que jamais besoin, après la tempête de décembre dernier, qui, en deux nuits, a abattu autant d'arbres que les bûcherons en trois ans : 400 millions d'arbres à terre, 600 000 hectares rasés. Si une partie du bois abattu a pu être stocké grâce à de nouvelles techniques, d'énormes quantités gisent encore dans les forêts.

Ce projet vous donne l'occasion de définir de grandes orientations à hauteur d'enjeux colossaux. Il me semble aujourd'hui que vous la gâchez.

Pour le groupe RPR, la forêt française est un capital économique et environnemental, doublé d'un enjeu majeur d'aménagement du territoire. A mon initiative, il avait d'ailleurs organisé, le 25 mai 1999, un important colloque à l'Assemblée nationale sur ce thème.

Si j'en juge d'après la modestie des mesures proposées, vous n'avez pas su définir les grandes lignes d'un avenir pour la forêt.

Certes, vous affichez des objectifs généreux auxquels je souscris volontiers : développer une gestion durable prenant en compte la multiplicité des fonctions de la forêt, accroître la compétitivité de la filière bois-forêt, inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, renforcer la protection des écosystèmes forestiers, mieux organiser les institutions et les professions forestières.

Beau programme ! Mais que proposez-vous pour remplir ces objectifs ? Si peu, hélas ! Où sont les moyens qui rendraient crédibles vos paroles ? J'ai peine à les discerner.

Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des amendements que je défendrai, avec mon collègue François Vannson, amendements pour la plupart cosignés par notre collègue de l'UDF, Pierre Micaux.

Je me borne à souligner quelques points essentiels. Tout d'abord, ce projet fait passer au second plan la fonction socio-économique de la forêt. C'est regrettable car la forêt est un secteur économique important, qui emploie plus de 500 000 personnes en France -plus que l'industrie automobile !

La semaine dernière, notre groupe, par l'intermédiaire de Didier Quentin, vous a posé une question précise et j'avoue ne pas avoir été satisfait par la réponse évasive faite, en votre absence, par M. Hascoët.

Malgré l'argent débloqué, le plan gouvernemental pour réparer les conséquences des intempéries risque d'échouer, d'autant plus que les travaux de déblaiement sont très lents.

Ce texte ne réglant en rien le problème, je vous repose la question : quelles instructions comptez-vous enfin donner aux préfets pour combler ce retard et éviter un gâchis considérable de l'argent public ?

D'autre part, vous avez supprimé il y a deux ans la provision pour fluctuation des cours. Pourquoi ne pas lui substituer aujourd'hui une provision pour investissement ? Ce serait préparer la forêt de demain et préserver un formidable potentiel d'emplois. Une telle mesure préserverait la compétitivité de toute la filière bois face à la concurrence allemande ou nordique. Entendez-vous la prendre ?

Le projet de loi prévoit également des dispositions relatives à la qualification professionnelle requise pour les travaux d'exploitation du bois. Mais il ne traite pas de la formation professionnelle, ni, plus largement, de l'enseignement dans l'ensemble de la filière. Ce serait pourtant indispensable pour inscrire dans la durée la réflexion menée à l'occasion de ce projet qui ne mentionne même pas le nom de l'Ecole supérieure du bois ou de l'Ecole nationale du génie rural des eaux et des forêts.

Enfin, pour revenir à la tempête, nul ne nie la cause de la catastrophe, mais l'homme n'est pas sans responsabilité dans l'étendue des dégâts. La forêt jardinée qui mélange les essences et les âges résiste beaucoup mieux au vent que les futaies régulières. Si les résineux ont payé un lourd tribut aux ouragans Lothar et Martin, c'est qu'on a fait la part trop belle à la rentabilité, négligeant le potentiel des milieux. Pour prendre un exemple, l'épicéa commun a été planté massivement en raison de sa croissance rapide et de son fût particulièrement rectiligne. Mais en plaine son enracinement superficiel ne résiste pas à la pression du vent en haut d'un tronc immense.

Un ingénieur de l'Institut pour le développement forestier voyait dans l'entrée en scène des grands chablis le revers de la fameuse montée en puissance de la forêt française, et dénonçait l'arrivée massive de résineux âgés, trop hauts, trop peu ou trop tardivement éclaircis. Tirons-en les leçons et privilégions dorénavant la futaie jardinée où le mélange des âges et des espèces, donne à la forêt une structure intense et étagée qui protège le sol, comme dans nos forêts de hêtres, de sapins et d'épicéas du Jura. Ne faisons plus de coupes rases, mais un abattage continu, en fonction de l'arbre qui a plus d'importance que le peuplement. La sylviculture de demain devra intégrer la biodiversité parmi ses critères de gestion. C'est un facteur d'équilibre et de sécurité pour notre environnement, mais aussi un facteur de qualité pour la production du bois.

Pour conclure sur les leçons d'une catastrophe, je reprendrai une très bonne idée émise en commission par Robert Galley. Les tempêtes de décembre 1999 résultent de phénomènes météorologiques exceptionnels, mais il faudrait savoir si de tel phénomènes sont susceptibles de se reproduire, et à quelle échéance. Une réflexion à ce sujet devrait être conduite au plus haut niveau, par exemple par l'Académie des sciences, et aussi par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Une telle étude serait le plus utile prologue à la mise en _uvre d'une grande loi d'orientation sur la forêt.

Ces quelques réflexions critiques, Monsieur le ministre, traduisent la déception de tous les professionnels et usagers de la forêt. La loi montagne ou la loi littoral ont démontré l'utilité de prendre en compte la spécificité des espaces naturels, sur le plan de la protection environnementale comme sur celui de la pérennité des activités économiques, industrielles et touristiques. Notre forêt a besoin elle aussi d'une véritable loi-cadre plus ambitieuse, qui réponde à ses besoins spécifiques et lui permette de s'adapter à l'évolution rapide de la filière bois. Elle représente un énorme potentiel industriel et économique et un capital environnemental précieux et fragile ; nos compatriotes sont légitimement attachés à la beauté de nos forêts cathédrales.

Je citerai enfin le secrétaire général de l'association nationale des centres régionaux de la propriété forestière. Rappelant que la première version du projet, en octobre, était conforme au rapport remis par M. Bianco, après une large concertation, il déplore que le projet définitif, connu seulement en avril, soit d'une tout autre nature, imposant plus de contraintes que prévu aux propriétaires forestiers, mais sans les contreparties envisagées. Or, entre-temps, il y a eu le traumatisme de décembre. C'est, conclut-il, une provocation de la part de l'Etat, qui a cédé aux lobbies écologistes.

La France reste l'un des premiers exportateurs mondiaux de bois. Elle possède l'une des plus belles forêts du monde, que nous avons dans cet hémicycle trop peu d'occasions d'évoquer. Sachons donc ne pas rater une telle occasion, Monsieur le ministre. Soyez attentifs aux amendements de l'opposition : notre vote en dépendra (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrice Carvalho - Ce projet, sur lequel le travail a été lancé dès janvier 1999, prend un relief tout particulier après les terribles tempêtes de décembre. Celles-ci ont fait des dégâts considérables, humains aussi bien que matériels, et touché de nombreux secteurs économiques. Nombre de forêts ont été dévastées. Le spectacle désolant de tous ces arbres à terre restera dans nos mémoires, et les cicatrices resteront visibles des années. Et 550 000 emplois ont été affectés par ces caprices de la nature.

Mais, en dehors même de ces événements, ce projet était très attendu. La dernière grande loi sur la forêt date, en effet, du 4 décembre 1985, et mérite d'être dépoussiérée. Nos textes doivent être revus pour répondre aux cinq objectifs fixés dans ce projet : développer une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt ; favoriser la compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt. Nous nous félicitons de ces orientations. Mais, à nos yeux, la volonté affichée par le Gouvernement ne trouve pas pleinement sa traduction dans ce texte. Celui-ci mérite d'être amélioré sur de nombreux points, et c'est l'objet de nos amendements.

Ainsi, l'article premier définit les principes fondamentaux de la politique forestière. Mais nous regrettons qu'il ne fasse pas référence à l'ensemble de la filière bois. Sa rédaction est trop restrictive. Nous souhaitons que soit adopté l'amendement de la commission qui élargit les secteurs concernés par la politique forestière. L'aval de la filière bois, par exemple, doit retenir toute notre attention. Lors du colloque organisé par notre rapporteur qui s'est tenu le 3 mai de l'année dernière, on a justement souligné que le bois était un produit d'avenir et qu'il fallait apprendre à vendre autrement pour vendre mieux. Il ne faut pas l'oublier si nous voulons profiter des nouvelles opportunités que nous offre le bois.

La vente du bois n'est cependant pas la seule fonction de la forêt, et son caractère multifonctionnel doit être mis en valeur. Nous avons déposé d'autres amendements à l'article premier, tirant les leçons du rapport de la mission parlementaire de 1998, dont l'auteur était M. Jean-Louis Bianco. Ce rapport présente la forêt comme une formidable chance pour la France, notamment dans le combat contre le chômage. Selon lui, dans la production, les industries du bois, le tourisme vert et la protection de l'environnement, cent mille emplois peuvent être créés en quelques années, dont soixante-dix mille pour les activités forestières. Cette estimation nous semble très proche de la réalité et des besoins. Elle est confirmée par les répercussions des tempêtes. En effet, quarante mille salariés travaillent actuellement en forêt ou dans les activités qui lui sont directement liées, et sont confrontés quotidiennement à la précarité, aux bas salaires et à des conditions de travail dégradées.

C'est pourquoi nous jugeons indispensable d'inscrire dans la loi que la création d'emplois doit être un des objectifs d'une politique forestière, qui se soucie également du développement de l'industrie de transformation du bois. Aujourd'hui, nos capacités sont sous-utilisées, ou même ont été bradées : trop souvent nos bois nobles partent à l'étranger pour nous revenir sous forme de produits finis. Il faut donc développer l'ensemble de la filière, ce qui exige des investissements. La France consacre à sa forêt quatre à dix fois moins d'argent public que des pays européens comparables. Le rapport Bianco fixe donc comme objectif un investissement supplémentaire de l'Etat de l'ordre d'un milliard par an, ce qui nous laissera encore loin derrière des pays comme l'Allemagne et la Suisse. Cela requiert une amélioration de la productivité, qui implique notamment des emplois pérennes et qualifiés. Or la formation professionnelle est aujourd'hui négligée, de sorte que ce secteur manque de salariés qualifiés. Le niveau d'investissement dans la formation professionnelle reste faible, il ne dépasse pas les obligations légales.

Il importe non seulement d'inscrire ces principes dans le texte, mais de conditionner l'octroi des aides publiques à la création d'emplois. Le nouvel article L.7 du code forestier, tel qu'il est rédigé, destine ces aides aux demandeurs qui présentent des garanties ou présomptions de gestion durable et qui souscrivent un engagement de non-démembrement pendant quinze ans. Il va de soi, selon nous, que la création d'emplois doit être un critère supplémentaire de sélection des demandeurs. De même, nous souhaitons que l'établissement des chartes de territoires forestiers permette d'inciter au développement de l'emploi durable.

J'ai évoqué la formation professionnelle, ce qui me conduit à la question de la qualification professionnelle des travailleurs forestiers. Le chapitre 2 du titre II comporte des dispositions destinées à élever la qualification professionnelle. C'est indispensable, d'autant que les nouveaux embauchés sont les principales victimes des accidents du travail. Les dernière tempêtes ont mis en lumière la dangerosité du travail en forêt. Pourtant, elle est permanente, et le nombre d'accidents du travail est élevé. Les conditions de travail difficiles pèsent lourdement sur la santé des salariés, marqués très tôt dans leur intégrité physique. Sur une vie professionnelle de quarante ans, un bûcheron sur trente décède d'un accident du travail en France. Selon la Mutualité sociale agricole, le taux de fréquence et de gravité des accidents de travail est deux à trois fois plus élevé que la moyenne du secteur agricole, elle-même déjà très élevée. Il en est de même pour les maladies et l'usure professionnelles. Les maladies professionnelles touchent trois fois plus les ouvriers forestiers que la moyenne des salariés de l'agriculture. Il s'agit principalement de troubles musculo-squelettiques, de pertes auditives dues au niveau sonore des tronçonneuses et à la durée d'exposition au bruit, et de troubles respiratoires provoqués par les gaz d'échappement.

Ces statistiques sont beaucoup trop alarmantes pour ne pas être prises au sérieux. Ce texte pourrait donc être considérablement amélioré par l'insertion de dispositions améliorant les règles d'hygiène et de sécurité. Certaines d'entre elles ont été retenues en commission, et nous espérons qu'il en sera de même dans cet hémicycle.

Il est une anomalie que je ne parviens pas à m'expliquer ou, en tout cas, à justifier : en matière d'hygiène et de sécurité, les travailleurs forestiers se voient appliquer des dispositions non seulement dérogatoires mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître s'agissant de métiers aussi dangereux, moins protectrices que le droit commun du travail. L'occasion nous est enfin donnée ici de rétablir plus de justice. Cela permettra de sauver des vies, mais également de rendre à ces travailleurs leur dignité en supprimant ce qui dévalorise leur métier.

Par ailleurs, les risques encourus et la pénibilité du travail justifient qu'on améliore leur statut et il est donc indispensable que nous votions l'amendement qui prévoit la conclusion d'un accord collectif ou de branche offrant des garanties en cas de décès, d'inaptitude ou d'incapacité au travail et couvrant les risques liés à la maladie. Cet accord devra également favoriser le reclassement des salariés inaptes au travail. Afin de parfaire le dispositif, nous avons déposé un sous-amendement exigeant qu'il définisse aussi un dispositif de cessation anticipée d'activité.

Les professionnels autant que les experts insistent sur l'usure physique provoquée par l'exercice des métiers forestiers. C'est une raison supplémentaire d'accorder à tous les salariés de la forêt le bénéfice d'une retraite à 55 ans, à taux plein. Il n'est pas raisonnable en effet de croire qu'un travailleur forestier de 60 ans ne met pas sa vie en danger lorsqu'il travaille sur un chantier. Il est encore plus déraisonnable de leur refuser ce droit à une retraite anticipée alors que leur santé a été compromise par de longues années de labeur.

Le temps me manque pour exposer l'ensemble de nos amendements mais la discussion des articles nous permettra de présenter ceux que j'aurai oubliés. Par ailleurs, mon collègue Leyzour précisera notre position face à ce texte. Cependant, dès à présent, je veux affirmer que, malgré les bonnes intentions qui ont sans nul doute guidé sa rédaction, cette loi d'orientation souffre de l'absence de mesures fortes en faveur de l'emploi, du développement de la filière bois et de l'amélioration des conditions de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. François Sauvadet - Je fais mien tout ce qu'a dit M. Micaux avec compétence et avec c_ur et, comme beaucoup ici, je tiens à souligner l'importance de ce rendez-vous solennel qu'est toute loi d'orientation. Les députés de l'opposition participeront donc à ce débat dans un esprit sérieux et résolument constructif.

Nos discussions en commission ont d'ailleurs été très intéressantes et, à maintes reprises, nous avons su y oublier les clivages traditionnels. C'est ainsi que nous sommes unanimes à reconnaître l'importance de la forêt, pour l'emploi, pour l'équilibre des paysages et, plus largement, pour l'environnement et pour l'aménagement du territoire. C'est la forêt qui rend possibles certaines activités traditionnelles comme la chasse, mais aussi d'autres activités plus novatrices. C'est elle encore qui fournit des ressources à quelque 11 000 communes. D'où l'intérêt de ce texte, encore accru par les effets toujours sensibles des tempêtes qui ont dévasté l'ensemble de nos massifs forestiers, jetant à terre l'équivalent de trois ou quatre années de production. A ce propos, je note que le plan mis en _uvre pour réparer les dommages, outre qu'il a tardé, s'est révélé insuffisant, notamment en ce qui concerne les propriétaires.

D'autre part, dans ce projet, nous ne trouvons pas les instruments d'une dynamique nouvelle, susceptible de rendre courage à ceux qui désespèrent. En particulier, vous ne dites rien des indemnisations indispensables pour la remise en état des forêts, des plantations et des pépinières. Quant aux filières, elles restent à construire...

Cette loi aura le mérite d'exister mais elle se résume trop à un catalogue d'intentions. Nous apprécions la définition qui y est donnée de la forêt et tout ce qui a trait à son exploitation, à sa gestion, aux conditions de mise sur le marché mais, pour l'essentiel, ces dispositions n'ont pas de portée normative.

La principale lacune de ce texte est d'ordre économique. Or là est l'avenir de la forêt. Avec l'appui du rapporteur, l'opposition a milité en faveur du plan épargne-forêt et j'espère que le Gouvernement soutiendra cet amendement car il y va des investissements à venir, en même temps que de la remise en état de nos ressources. Plus largement, on ne pourra valoriser la forêt sans mesures fiscales. Nous redéposerons donc un amendement rendant déductibles en totalité les travaux de remise en état. Enfin, nous souhaitons des garanties sur la pérennité du fonds forestier national, maintenant budgétisé.

La valeur ajoutée étant ici un enjeu majeur, je regrette que vous ne renforciez pas suffisamment l'organisation de la filière, comme l'avait souhaité M. Bianco -je ne l'avais pas encore cité !- dans un rapport d'excellente qualité.

Puisqu'on a parlé des Vosges et de l'Auvergne, je parlerai quant à moi du Morvan : il faut, Monsieur le ministre, prendre en compte la situation des producteurs de sapins de Noël. Ils attendent qu'on reconnaisse leur spécificité. D'ailleurs, le problème est d'ordre tout à fait général : c'est la diversité de la forêt française qui fait sa richesse et, si une politique nationale s'impose, il faut aussi écouter tous les acteurs de terrain !

Il nous faudra plus que des intentions pour faire face aux défis économiques. Or, s'agissant des moyens, tout reste à faire. Nous écouterons donc attentivement ce que vous allez nous dire, en espérant que vous reviendrez à un juste équilibre entre la vocation économique et les autres vocations de la forêt (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Marie-Hélène Aubert - Il suffit d'observer une photographie aérienne de la France métropolitaine et de l'outre-mer pour constater l'importance de la forêt dans notre pays. Importante, elle l'est de longue date, aussi bien pour les besoins quotidiens de la population que pour les grands projets de l'Etat, construction de navires ou chasses royales, et sa régénération a donc fait l'objet de soins attentifs. Les résultats quantitatifs sont visibles mais, aujourd'hui il faut se donner les moyens d'objectifs qui soient aussi qualitatifs. Cette loi d'orientation est un premier pas en ce sens.

Sont en particulier positives les dispositions relatives à la valorisation de la forêt, à la reconnaissance de sa multifonctionnalité -la forêt n'est pas en effet qu'un produit à exploiter, c'est un lieu complexe, caractérisé par des usages et par des acteurs variés.

Quant à la moralisation des conditions de travail, ce ne sera pas une mince affaire mais, à notre avis, le texte ne va pas assez loin sur ce point.

Cette loi d'orientation pose surtout les principes et les conditions d'une gestion durable, ce qui nous met en conformité avec l'évolution internationale. Nous avons aussi apprécié le souci d'un travail approfondi et d'une écoute qui a permis diverses améliorations au cours de la phase préparatoire. Certains y verront l'effet des pressions écologistes : plus modestement, nous parlerons de notre contribution au débat.

Cependant, l'effort en faveur d'une gestion durable reste trop peu rigoureuse et nous ne saurions par exemple nous satisfaire d'un code de conduite. Quant à la proposition du rapporteur, visant à promouvoir une gestion en commun, elle ne résout pas le problème de fond.

D'autre part, les questions internationales ont été d'emblée exclues de la loi, ce qui empêche par exemple de proposer une utilisation plus raisonnable de certaines essences tropicales.

Les dispositions concernant la valorisation du bois comme matériau sont également insuffisantes. Nous demandons instamment que le décret qui doit imposer l'utilisation d'une certaine proportion de bois dans les constructions soit enfin publié. Quant à la valorisation du bois comme ressource énergétique, elle exige une moralisation et une rationalisation de la filière, pour sortir d'une économie parallèle qui aboutit à réserver ce type d'approvisionnement aux collectivités locales. S'inspirer du système alsacien, comme le propose Mme Voynet, serait déjà un progrès.

La loi souffre enfin de l'absence d'un chapitre consacré à la formation et à la sensibilisation aux problèmes et techniques de la forêt, indispensable pour une gestion durable de la ressource.

Comme vous le voyez, on ne saurait s'en tenir ici aux seuls aspects économiques. La forêt n'est pas qu'un élément vital de notre patrimoine naturel -le poumon de la France et de la planète- ou un ensemble considérable de ressources en énergie, en matériaux, en espaces, en biodiversité. C'est aussi un enjeu culturel !

Trop souvent, on n'y voit qu'un sanctuaire ou un stock de bois mais elle est avant tout un ensemble vivant, aux ressources multiples -et renouvelables.

Puisse ce projet accélérer une prise de conscience salutaire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Louis Bianco - Ce projet était indispensable, la tempête ne l'a rendu que plus nécessaire. Il reste certes des problèmes à régler. Qu'ils concernent l'ONF, les petits propriétaires ou les communes forestières, ils doivent plutôt l'être dans un autre cadre.

Ce texte utilement amélioré par la commission a le mérite d'être plus clair que beaucoup de textes antérieurs, de les simplifier puisqu'il supprime plus d'articles de loi qu'il n'en crée, d'affirmer clairement la vocation multifonctionnelle de la forêt.

Je remercie ceux qui ont couvert mon rapport de compliments. Certains peut-être ont vanté son excellence pour l'opposer au projet du Gouvernement. J'affirme que sur les questions qu'il traite, le projet est conforme à l'esprit de mes propositions.

Le dispositif est à compléter mais, je le répète, ce qui manque encore ne devrait pas forcément figurer dans la loi.

D'abord il est essentiel de mettre en _uvre rapidement l'article additionnel L.225-1 adopté par la commission et relatif au plan d'épargne forestier afin de favoriser l'investissement.

Il faut également mieux valoriser l'utilisation du bois comme matériau. Il faut simplifier les textes qui régissent la gestion de notre espace naturel. Cinquante ou soixante-quinze dispositifs, c'est bien trop. Dans ce domaine également, trop de règlement tue le règlement. Enfin, même si la commission a rejeté à juste titre un amendement à ce sujet car il est d'ordre réglementaire, il faut comme le demande Yves Duteil, préciser les dispositions de lutte contre l'incendie. En application de l'article L.321-6 et en fonction des mesures à élaborer par les collectivités le préfet doit arrêter des plans afin que l'on sache qui fait quoi.

La forêt ne vit pas que de textes, mais de notre passion. Si, pour ce projet, nous rendons espoir et confiance en elle, nous aurons bien travaillé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Robert Lamy - Malgré les propos de M. Bianco -sa modestie lui interdisait d'en tenir d'autres- ce projet est très en retrait sur son rapport et nous déçoit. Le peu de temps qu'on nous laisse pour en discuter montre qu'on procède au pas de charge. La montagne avait accouché d'une souris. La forêt risque de donner naissance à un cancrelat.

Il ne suffit pas de répéter rituellement le mot « durable » treize fois dans l'exposé des motifs, seize fois dans les chapitres un et deux pour relever les défis majeurs de la filière bois.

Je regrette notamment que le projet ne prenne pas assez en compte les conséquences de la tempête de décembre 1999.

Ainsi pourquoi, à l'article 4, exonérer en partie de taxe foncière les terrains boisés ayant fait l'objet d'une régénération naturelle à partir de 2001 seulement ? Il faut accorder cette exonération aussi aux propriétaires ayant fait des efforts dès 2000, comme ceux des Monts du Beaujolais qui ont eu à déplorer deux millions de m3 de chablis. Il conviendrait aussi d'élargir les modalités de compensation par l'Etat des pertes de recettes pour les collectivités locales pour l'année 2000.

Plus généralement, je demande qu'on allège les procédures car de nombreux propriétaires privés n'ont encore perçu aucune indemnisation. Bien peu des 3,5 millions de personnes qui possèdent les deux-tiers de la forêt, mais souvent moins de cinq hectares chacun, en tirent l'essentiel de leur revenu. S'ils se sentent laissés pour compte par le plan tempête, s'ils sont découragés par ce projet qui leur impose de nouvelles contraintes sans contrepartie, ils risquent d'abandonner la forêt ce qui sera lourd de conséquences pour le développement.

Inciter les propriétaires au regroupement est une bonne chose mais il faut en prendre les moyens par des incitations financières au remembrement.

Inciter vaux mieux que réglementer ; le projet ne le fait pas suffisamment.

Je regrette également qu'il ne traite pas suffisamment de la formation, alors qu'il est très difficile de trouver des conducteurs de machines à abattre, des débardeurs et des bûcherons qualifiés. Une gestion moderne, une forêt compétitive, exigent la formation de la main-d'_uvre.

Enfin le projet ne soutient pas suffisamment les entreprises éprouvées par la tempête, qui ont besoin d'investir rapidement à grande échelle. Or elles ont peu de fonds propres, des structures souvent familiale. C'est le cas notamment des scieries, indispensables à la chaîne de transformation du bois. Il serait donc opportun de leur accorder des provisions pour investissement.

Globalement, le projet n'est pas à la hauteur des espoirs suscités par le rapport Bianco, qui demandait une véritable stratégie forestière française à dix ans. Nous en sommes loin, malgré les attentes de la profession (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Félix Leyzour - Patrice Carvalho a insisté sur les questions sociales. Je parlerai de la filière bois. Le projet doit en tenir compte dans son ensemble, et nous déposerons un amendement en ce sens.

En amont, nous disposons de ressources en bois croissantes. La France ne doit pas devenir un grenier à bois de l'Europe sous la domination de monopoles étrangers à la filière, mais utiliser de façon dynamique cette matière première.

En aval, il faut mieux vendre notre bois. Il s'agit d'un produit d'avenir combinant fiabilité technologique et respect de l'environnement. Utilisons mieux cet atout. Dans ce but, nous avons déposé un amendement pour faire enfin appliquer l'article L. 21-5 de la loi sur l'air qui oblige à utiliser une quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles. Il s'agit là d'une disposition essentielle, que nous avons songé à appliquer aux constructions publiques. En effet le bois ne représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés dans le bâtiment. Il est également essentiel que la France reconnaisse les multiples rôles de la forêt, afin d'_uvrer pour son développement et sa gestion durable.

La forêt a un rôle social : elle est une source de création d'emplois. Elle a aussi une mission écologique de maintien des écosystèmes et de maîtrise des sols. Elle a une mission industrielle : fournir des matières premières de qualité pour les industries de transformation. Elle a enfin une mission récréative : permettre à la population de profiter des forêts pour ses loisirs, et donc les ouvrir et les aménager, ce qui peut se faire par voie de conventions pour les forêts privées.

La dimension environnementale n'est pas moindre.

Au total, la forêt a un caractère d'intérêt national, et la loi est précisément de portée nationale. Cependant la situation varie d'un massif forestier à l'autre, et une bonne gestion doit en tenir compte. Cette loi permettra à la forêt, nous l'espérons, de trouver une dynamique renouvelée (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Aloyse Warhouver - Six mois après la tempête, et élu du massif vosgien, je salue les efforts surhumains accomplis par tous les forestiers pour maîtriser une situation inextricable. Pour les maires des communes forestières, la catastrophe n'est pas tant écologique qu'économique. La principale difficulté se trouve dans le transport des grumes : la SNCF est débordée ; les services de la navigation ont envoyé à la casse les péniches de 350 tonnes pouvant emprunter le réseau Freycinet ; les transports routiers sont inopérants. Dans ces conditions l'ONF, dans l'est de la France, charge le bois en Allemagne, où la Bundesbahn est trop heureuse de profiter de cette aubaine.

Pendant les années 1960-1970, l'ONF privilégiait les plantations de résineux par une main-d'_uvre recrutée dans les villages de montagne. Depuis lors, l'Office laisse faire la régénération naturelle, dans laquelle les variétés lyophiles l'emportent sur les résineux.

La tempête a montré qu'aucun des deux modèles n'offre une meilleure résistance au vent. Il ne faut donc pas forcément laisser faire la nature...

Durant des décennies, les propriétaires de terrains agricoles dans les villages de montagne ont été fiscalement encouragés à boiser les parcelles de fonds de vallée. Aujourd'hui, tous ces boisements sont par terre, et il ne faut surtout pas les laisser repartir. Aidez les communes à acquérir la maîtrise foncière de ces terrains pour qu'elles les déboisent, leur entretien étant assuré par la réintroduction d'herbivores comme les daims ou les chèvres.

Le taux de TVA forestière à 5,5 % est une heureuse initiative, mais les forestiers se demandent quel taux s'applique au curage des fossés avant le reboisement, aux travaux d'enfouissement des souches par des pelles mécaniques, aux protections à poser autour des plantations... Voilà des points à clarifier.

Le projet ne reconnaît pas assez les métiers des entreprises de travaux forestiers ni leurs organisations.

La qualification professionnelle doit être renforcée. Il faut aider les jeunes entrepreneurs à s'installer, tant il y a de l'avenir pour eux.

Enfin le taux de la MSA met beaucoup de trésoreries en difficulté. La dureté des travaux forestiers, en particulier l'abattage manuel dans les massifs, devrait être reconnue par un abaissement de l'âge de la retraite.

Je voterai votre projet, en vous demandant de tenir compte de mes observations (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Joseph Parrenin - Un élu rural ne peut parler de la forêt qu'avec passion. Il importe de concilier les intérêts parfois divergents de la forêt et de la filière bois. Pendant des siècles, la forêt a subi parfois des assauts de prélèvements importants. La forêt de Chaux, qui est la troisième de France, a été durement attaquée au siècle passé pour satisfaire aux besoins des salines d'Arc-et-Senans.

Des conflits ont opposé la forêt et l'agriculture, ce qui a conduit à restreindre les boisements. Aujourd'hui l'agriculture n'a plus les mêmes exigences. Mais ce sont les intérêts d'ordre écologique qui prennent le relais.

Depuis la fin de la guerre, 45 000 hectares sont plantés chaque année, en sorte que la France est un pays bien couvert en forêts, dont la production est en forte hausse, surtout en résineux.

Faut-il souligner le rôle considérable joué par la forêt et par la filière bois dans l'aménagement du territoire et dans la vie rurale ?

Après la loi d'orientation agricole et la loi sur l'aménagement du territoire, nous pouvons considérer que le Gouvernement a bien pris en compte l'intérêt du monde rural.

Pour nos nombreuses communes forestières, la forêt tient une place considérable non seulement par les revenus qu'elle procure, mais dans la vie culturelle et sociale : promenades, cueillettes, chasse, apprentissage de la vie biologique, qualité des paysages... L'ONF joue un rôle déterminant dans la gestion des forêts de ces communes. Le projet organise la nécessaire évolution de l'Office, et favorise la modernisation de ses modes d'intervention. Je tiens à insister aussi sur l'action des CRPF et des chambres d'agriculture, qui s'est perfectionnée.

Cette loi est fortement attendue. Beaucoup de colloques l'ont précédée, non seulement à l'Assemblée nationale grâce à François Brottes, mais dans toutes les régions. Les participants, en nombre impressionnant, ont souligné les mérites du rapport de Jean-Louis Bianco. Toutes ces consultations ont permis d'aboutir à un texte équilibré qui devrait tous nous réunir pour répondre aux attentes des représentants de la filière (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Vannson - Le rapport Bianco avait fait naître, dans un contexte économique plus difficile qu'aujourd'hui, de grands espoirs dans l'ensemble de la filière, ainsi que j'avais pu m'en rendre compte en réunissant l'ensemble des professionnels de ma circonscription, mais force est de constater que le projet du Gouvernement les laisse quelque peu sur leur faim. Il obéit à de bonnes intentions, mais néglige des points aussi importants, pour la compétitivité de la filière, que la recherche, la formation ou la forêt privée. Sur le plan financier, le plan d'épargne forestier devrait s'accompagner d'un fonds commun permettant de drainer l'épargne privée, ainsi que d'un volet fiscal, très attendu par l'ensemble des professionnels. Cela dit, je ne bouderai pas le plaisir que me cause la création, dans les Vosges, d'une bourse d'échanges forestiers, et mon vote sur l'ensemble du projet dépendra en partie du sort réservé à nos quelque deux cents amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Pierre Ducout - Alors que la forêt française a accru de moitié sa superficie en moins d'un siècle et que l'ensemble de la filière connaissait une croissance vertueuse, les tornades tricentennales de décembre ont bouleversé cette dynamique, en particulier dans le sud-ouest et l'est du pays. Dans ma circonscription, où nous avions commémoré, quelques mois avant, l'incendie de 1949, qui avait fait 82 victimes et détruit 40 000 hectares en trois jours, la forêt a été de nouveau détruite à près de 100 %, et la moitié des arbres abattus ne sont toujours pas exploités au bout de six mois, malgré les aides de l'Etat et les efforts de tous. Aussi ai-je demandé à plusieurs reprises au Gouvernement de mettre en place les lignes de trésorerie nécessaires, en particulier pour la subvention au transport.

En tant que sylviculteur, maire d'une commune forestière périurbaine et membre du Conseil supérieur de la forêt, j'affirme que la problématique économique doit venir en premier : la filière bois représente en effet 30 000 emplois en Aquitaine, 500 000 au niveau national, et 100 000 de plus demain, si j'en crois Jean-Louis Bianco. En second lieu, le texte devrait s'intituler « loi d'orientation forestière » et non « loi d'orientation sur la forêt », car il n'y a pas une forêt , mais des forêts : quoi de commun entre la forêt de Fontainebleau, les forêts méditerranéennes, et la diagonale de production qui va de l'Aquitaine aux forêts de l'Est ? Enfin, le projet est en retrait par rapport au rapport Bianco ; le Gouvernement a déclaré qu'il avait vocation à être enrichi, et c'est ce que nous avons fait, notamment en adoptant, à l'initiative de notre excellent rapporteur, le plan d'épargne forestier, qui stimulera l'investissement et qui favorisera, si nous étoffons le dispositif, les regroupements fonciers et les transmissions familiales.

Les codes de bonne pratique sylvicole, destinés à garantir le développement durable de la forêt, devront être appliqués par une grande majorité de propriétaires privés, mais en tenant compte aussi de l'évolution des marchés et des produits : en deux siècles, la forêt -artificielle- des Landes de Gascogne a produit successivement, en l'espace de deux siècles, du bois de chauffage et des échalas pour les vignes, puis de la résine et des poteaux, et aujourd'hui des parquets-lambris, des palettes, de la pâte à papier et des agglomérés -pour s'orienter demain, sans doute, vers les bois reconstitués et les matériaux composites.

Les formules qui marchent bien, telles les coopératives forestières ou les interprofessions, doivent être encouragées. Pour la forêt publique, l'ONF est un outil de qualité, aux personnels d'une grande compétence et d'une grande disponibilité, qu'il faut doter des moyens nécessaires à l'accomplissement de leur triple mission : environnementale, sociale et, surtout, économique -d'où la nécessité de laisser l'Office conclure des contrats d'approvisionnement pluriannuels.

La protection contre l'incendie est une tâche particulièrement lourde. Beaucoup a été fait dans notre région, au lendemain des sinistres des années quarante. Si l'obligation de débroussailler et l'intangibilité des pistes sont justifiées, la possibilité donnée au préfet de faire dégager les chablis aux frais des propriétaires est ressentie par ces derniers comme une provocation ; nous proposerons donc de l'encadrer. Inquiet des risques d'incendie pour cet été, je crois important de permettre aux communes de se substituer aux particuliers pour le débroussaillement des zones intermédiaires entre le rural et l'urbain. Je suis favorable, par ailleurs, au rétablissement de la taxe de défrichement.

Je crois également nécessaire de rappeler le rôle du bois dans l'isolation phonique et de la forêt dans la lutte contre l'effet de serre, ainsi que l'importance de la recherche et de la formation.

Enfin, lorsque les chablis auront été suffisamment dégagés, il conviendra d'accomplir un geste de solidarité nationale envers ceux de nos sylviculteurs, point si nombreux, qui ont perdu, dans la tempête de l'hiver, le peu de ressources que leur apportait le fruit d'années de labeur. Peut-être pourrait-on même envisager la création d'un fonds de garantie ?

Je conclurai en soulignant, au lendemain de l'achèvement des travaux de la commission sur le projet relatif à la chasse, les liens entre les activités cynégétiques -et sportives en général- et la forêt, dont le présent texte confortera le triple rôle économique, écologique et social (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Michel Vergnier - A la fin de l'année dernière, quelques jours avant les intempéries, un grand quotidien titrait : « La future loi sur la forêt tentera de concilier économie et écologie ». L'article montrait l'accroissement vertigineux de certaines espèces plus rentables, en particulier le pin Douglas, mais dénonçait l'appauvrissement de la faune et de la flore. Constatant que 80 % de la surface appartenait à des propriétaires privés, dont de grands investisseurs soucieux avant tout de rentabilité, il émettait des doutes quant à la possibilité de réaliser cet équilibre économie-écologie.

La tempête a mis encore davantage en évidence la nécessité d'une loi d'orientation qui ne perde jamais de vue cet objectif et soit incitative, tout en fixant certaines limites. C'est bien l'ambition de ce texte. Il répond à la nécessité de moderniser notre législation forestière et à nos engagements internationaux en matière de gestion durable de la forêt.

Ce concept devient la base de notre politique forestière. N'en déplaise à M. Lamy, il n'est pas né de notre imagination : il a donné lieu à de nombreux débats sur la scène internationale et les principes du développement durable, puis de la gestion durable, ont été élaborés en 1992 à Rio, puis en 1993 à Helsinki. L'article premier du projet reprend la définition internationale de la gestion durable et c'est symboliquement important.

Le contenu du texte témoigne de la volonté du Gouvernement d'orienter la politique forestière vers cet objectif ambitieux, en prenant en compte à la fois les spécificités écologiques et les fonctions économiques de la forêt. Il s'agit clairement de défendre et promouvoir l'emploi forestier et sur ce point il y a beaucoup à faire. Dans mon département, où la surface boisée est passée en un siècle de 9 % à 39 % du territoire, il n'y a que dix agents forestiers.

Le rapport Bianco ouvre des pistes pour développer la filière bois et préserver l'environnement. Les méthodes mises en place privilégient la souplesse et la concertation. Les chartes de territoire forestier conditionnent l'accès aux aides publiques et aux incitations fiscales à des garanties de développement durable.

En général, dans notre pays, on n'aime pas beaucoup les contraintes et on en appelle à l'Etat pour réparer ce qu'on aurait pu éviter ou réduire.

Je suis comme vous, Monsieur le ministre, un ardent défenseur du partenariat bien compris et je fais confiance à la contractualisation. Les chartes des territoires forestiers ont d'ailleurs un air de famille avec les CTE, les contrats territoriaux d'exploitation : il s'agit de favoriser une politique de projet plutôt que de guichet.

La loi s'impose à tous. Je voudrais cependant insister sur la spécificité de certains territoires : en Creuse, 48 000 propriétaires possèdent moins de quatre hectares. Les décrets d'application ne doivent pas oublier ces petits propriétaires -il y va de l'aménagement du territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est reportée à la prochaine séance, qui aura lieu demain à 15 heures.

La séance est levée à 23 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 7 JUIN 2000

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi d'orientation sur la forêt (n° 2332).

      M. François Brottes, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges. (Rapport n° 2417).

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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