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Session ordinaire de 1999-2000 - 101ème jour de séance, 235ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 22 JUIN 2000

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

Sommaire

          ACTIVITÉS PHYSIQUES
          ET SPORTIVES (lecture définitive) 2

          MODIFICATIONS CORPORELLES
          NON RÉGLEMENTÉES 12

          ARTICLE UNIQUE 21

          GENS DU VOYAGE (lecture définitive) 22

          RÉFÉRÉ ADMINISTRATIF -CMP-
          (procédure d'examen simplifiée) 29

          POLYNÉSIE FRANÇAISE 32

          ARTICLE UNIQUE 40

          APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 40

          ORDRE DU JOUR DU MARDI 27 JUIN 2000 41

La séance est ouverte à quinze heures.

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ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES (lecture définitive)

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre demandant à l'Assemblée de statuer définitivement, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, sur le projet de loi modifiant la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. En conséquence, l'ordre du jour appelle l'examen de ce texte, en lecture définitive.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Un peu moins de trois années se sont écoulées depuis que nous nous sommes assignés l'objectif ambitieux de rénover et de moderniser le dispositif législatif relatif à l'organisation et à la promotion du sport. Le riche débat démocratique qui s'est instauré ne manquera pas de se poursuivre à l'occasion de la conception des textes d'application de la loi. La grande diversité des opinions exprimées témoigne de l'intérêt croissant de nos concitoyens qui perçoivent le sport comme un fait social important pour la santé, pour l'éducation, pour l'équilibre de chacun, mais aussi pour la cohésion sociale et pour la vie de la cité.

Le Parlement a relayé cette dynamique en améliorant nettement le projet autour de ses six orientations essentielles : soutenir et encourager l'action des associations et des bénévoles, conforter l'unité et l'indépendance du mouvement sportif, organiser un véritable service public du sport, reconnaître la diversité des pratiques sportives et en valoriser la fonction sociale, améliorer le dispositif du sport de haut niveau, contribuer au développement de l'emploi sportif. Quatorze articles ont ainsi été ajoutés et 29 des 41 articles du texte initial ont été modifiés, dans la presque totalité des cas avec l'accord du Gouvernement

Pour autant, l'adoption définitive de ce texte n'est qu'une étape. Ainsi que je m'y étais engagée, il me paraît indispensable de vous informer, dès aujourd'hui, des suites que je souhaite apporter à ces fondements législatifs.

Dans quelques jours la France exercera la présidence de l'Union européenne. Nous aurons ainsi l'occasion, après le sommet de Feira qui a reconnu la spécificité du sport, de convaincre nos partenaires de l'absolue nécessité d'avancer dans les domaines de la protection de la jeunesse et de l'indépendance du mouvement sportif.

Les mesures que vous avez adoptées en matière d'unité du mouvement sportif, d'interdiction de transactions sur les mineurs, de protection de la formation ou de contrôle de la régularité économique des compétitions pourraient servir de base à une concertation constructive avec nos partenaires.

En ce qui concerne l'application des textes votés en mars et décembre 1999 pour la loi de protection de la santé du sportif et de la lutte contre le dopage, cinq décrets et quatre arrêtés sont déjà publiés. Huit autres décrets devraient être publiés avant la fin 2000. Pour la loi sur le sport professionnel, le décret sur les subventions publiques a fait l'objet d'une procédure d'expertise complémentaire de la part de la Commission européenne. J'ai cosigné avec mon collègue de l'intérieur une circulaire permettant de gérer la période transitoire. Les cinq autres décrets sont actuellement soit transmis au Conseil d'Etat, soit soumis à la concertation avec les partenaires concernés. Ils devraient paraître avant la fin 2000.

Pour le texte dont l'examen se termine aujourd'hui, dix-neuf décrets en Conseil d'Etat et les deux décrets simples sont prévus. Notons simplement que la parution du décret relatif au conseil national des activités physiques et sportives, futur « parlement » des acteurs du sport, s'impose dans les plus brefs délais puisque tous les autres textes réglementaires devront lui être soumis pour avis. La concertation sur l'amélioration du fonctionnement démocratique des fédérations et sur leurs statuts types, doit également s'engager très rapidement après les Jeux Olympiques de Sydney, sur les bases définies à l'article 8-IV mais aussi à partir des conclusions du rapport Asensi et des travaux du CNOSF. Nul ne comprendrait qu'une amélioration du fonctionnement démocratique puisse être imposée dans l'urgence et dans la contrainte.

C'est aussi en concertation ouverte avec l'ensemble des acteurs que s'inscrit la préparation du décret d'application de l'article 32 relatif à l'exercice des métiers de l'encadrement sportif.

Afin de parvenir à un consensus entre des positions très divergentes, nous travaillons autour de la qualification liée à la protection de l'usager qui prendra en compte le niveau de pratique et la difficulté de l'environnement et qui permettra à chaque secteur professionnel d'adapter les diplômes à la demande des usagers ; l'offre de formation publique qui devra être accessible à toutes les catégories sociales ; la liste des activités exigeant un diplôme délivré par le seul ministère, qui sera limitée aux pratiques se déroulant dans un environnement impliquant des risques objectifs ; les modalités de validation des acquis, qui seront définies en concertation avec les acteurs concernés.

Pour conclure, j'adresse mes très sincères remerciements à votre commission des affaires culturelles, à son président, Jean le Garrec, et à son rapporteur, Patrick Leroy.

C'est grâce à une coopération fructueuse et confiante que nous sommes parvenus à un dispositif modernisé et, surtout, adapté aux attentes de nos concitoyens.

Il nous faut maintenant donner à ces orientations politiques une traduction concrète afin de permettre au sport de remplir la fonction humaniste, sociale et citoyenne à laquelle nous sommes attachés.

Je ne manquerai pas de vous tenir régulièrement informés de l'avancement de cet objectif ambitieux que vous avez assigné au Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Patrick Leroy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Le Sénat a adopté ce projet dans une version très différente de la nôtre, reprenant pour l'essentiel les dispositions qu'il avait adoptées en première lecture et qui avaient conduit à l'échec de la commission mixte paritaire. Il est ainsi revenu sur les mesures relatives aux agents intermédiaires, à la mise en place de règles de pratiques sportives adaptées par les fédérations non-délégataires et les associations de jeunesse et d'éducation populaire, au régime d'autorisation des manifestation sportives, à l'accès des journalistes aux enceintes sportives pendant les compétitions, à l'organisation des activités physiques dans les entreprises, à l'application du taux réduit de TVA pour l'utilisation des installations sportives, aux conventions conclues entre l'Etat et les entreprises pour l'emploi des sportifs de haut niveau, à la compétence des fédérations agréées en matière de formation, aux modalités de déduction fiscale des frais exposés par les bénévoles, à la conduite de projets collectifs par des mineurs, aux sports de nature.

La commission mixte paritaire ayant échoué, l'Assemblée nationale ne peut se prononcer que sur le dernier texte voté par elle, le 4 mai dernier. Elle doit cependant prendre en considération certains amendements adoptés par le Sénat qui sont le fruit de la réflexion engagée à l'occasion de la navette. Elle a ainsi adopté neuf de ces amendements, dont cinq présentés par le Gouvernement.

Ces amendements portent essentiellement sur l'exercice temporaire de la profession d'intermédiaire sportif par des ressortissants européens non établis sur le territoire national, les ligues sportives professionnelles, l'information des adhérents aux fédérations en matière d'assurance personnelle et sur certaines dispositions relatives aux sports de nature.

Avec ce texte, et les précédents, vous imprimez votre marque sur le sport pour une longue période. Mais rien n'est définitif.

Il sera sans doute nécessaire de compléter les dispositions relatives aux sports de nature ou d'adapter les directives européennes qui porteront peut-être un jour sur le statut et la gestion des clubs professionnels, l'organisation des championnats, les centres de formation ou encore, et c'est essentiel, sur le dopage.

Reste à appliquer la loi.

A cet égard, nous savons l'importance que vous attachez à la mise en _uvre des précédents textes, en particulier la loi du 23 mars 1999 relative à la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. Je me fais donc le porte-parole de nombre de nos collègues profondément choqués par les propos tenus sur les carences en matière de contrôles antidopage durant les compétitions cyclistes. Je vous remercie, Madame la ministre, des informations que vous nous avez apportées à ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Mme Muguette Jacquaint - Depuis la mise en place du groupe de travail préparatoire il y a un an, bien du chemin a été parcouru. Le texte que nous examinons a été enrichi par de nombreux amendements qui n'en dénaturent pas les principes. Au contraire, ses grands objectifs -reconnaissance et valorisation des associations et du bénévolat sportifs, développement et démocratisation des pratiques sportives dans leur diversité et organisation d'un véritable service public du sport sortent renforcés. Cette loi tient compte des données nouvelles que sont le sport dans les quartiers, chez les jeunes, les sports au féminin, l'explosion des sports loisirs, le développement du professionnalisme et l'arrivée massive de l'argent dans les activités sportives les plus médiatisées.

Elle permettra de réglementer sans autoritarisme mais dans une optique progressiste la pratique sportive.

Des amendements ont amélioré le texte de façon significative. L'égalité d'accès des femmes aux activités et aux responsabilités dans les instances sportives est clairement affirmée. D'autres modifications portent sur le bénévolat, le parrainage des jeunes, le rôle des représentants du personnel dans la politique sportive de l'entreprise, la validation d'expériences aux sports de nature. Associations, fédérations, parlementaires y ont contribué. En particulier la rédaction de l'article 32 a donné lieu à un dialogue constructif entre le ministère, les parlementaires et le monde sportif. Le groupe communiste a largement contribué par ses amendements à améliorer le texte.

Ce projet satisfait les aspirations de démocratisation, de modernisation et de solidarité du mouvement sportif et associatif.

Le groupe communiste émettra donc un vote favorable sans aucune réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Il aura fallu quatre reports, de longues heures de négociations et pas mal de grincements de dents pour que le ministère concrétise le dernier volet d'un travail législatif entrepris dans l'urgence. Cette réforme de la loi de 1984 était indispensable.

Avec près de 30 millions de pratiquants et près d'un million de bénévoles, l'énorme impact d'événements tels que la Coupe du monde de foot ou l'Euro 2000, le sport a une fonction éducative et sociale. Il est aussi au c_ur de la mondialisation et des préoccupations européennes.

Je me félicite du consensus réalisé sur l'article 32, concernant les moniteurs de ski et les guides de haute montagne. Par ailleurs, je regrette le retrait des dispositions relatives au sport de pleine nature, mais nous avons eu le mérite de soulever le problème.

Enfin le texte permettra de rendre le sport plus accessible aux handicapés, de mieux encadrer les mineurs, et surtout de réglementer plus strictement les activités des intermédiaires sportifs. Reste bien sûr à voir quels seront les résultats dans les faits. Ne risque-t-on pas d'assister à un détournement de la réglementation, notamment s'agissant de la libre prestation de service en Europe pour les intermédiaires sportifs ?

Cependant, malgré ces points positifs, votre texte mérite un carton jaune.

Il risque de créer de nombreuses difficultés de relations entre fédérations délégataires et fédérations affinitaires. Celles-ci pourront « édicter des règles de pratiques adaptées ». Alors qu'on tente d'harmoniser les règles au niveau européen, n'est-ce pas une source de particularismes ?

Sur le plan fiscal, la taxe de 5 % prélevée sur les droits de retransmission télévisée est confirmée. En outre, un dispositif de mutualisation sera instauré en faveur des petits clubs. Mais la solidarité sous la contrainte, ce n'est plus de la solidarité. Il aurait mieux valu réfléchir à une meilleure répartition des droits entre les différentes disciplines.

De même, le Gouvernement aurait pu consacrer une partie de ses plus-values fiscales issues de la croissance, à la baisse à 5,5 % du taux de TVA sur l'utilisation des installations sportives.

M. Edouard Landrain - Et augmenter le budget.

M. Gilbert Gantier - Enfin, le texte reste lacunaire en ce qui concerne les bénévoles, dont je salue le dévouement et la disponibilité. Quelques mesures ont été prises en leur faveur, telles que le congé individuel de formation. Nous sommes sur la bonne voie, mais encore loin d'un véritable statut.

Le principal problème est le manque de moyens. Avec 0,18 % du budget de l'Etat, ce budget est le plus faible en Europe.

M. Henri Nayrou - Quelle nouveauté !

M. Gilbert Gantier - 3,2 milliards c'est une goutte d'eau face aux besoins. Nous n'avons toujours pas de politique sportive nationale, dotée de vrais moyens.

Ce projet était attendu depuis 1998. Mais il ne sert à rien de remédier à de petits changements. Il fallait commencer par augmenter le budget. Cette loi qui se voulait ambitieuse se réduit à une petite loi apportant de petites réponses avec de petits moyens. Le groupe DL ne le votera pas.

Mme Muguette Jacquaint - Petit esprit !

M. Henri Nayrou - Je serai bref, et direct comme l'est un sportif. Vous pouvez vous honorer de faire voter un troisième texte en trois ans. En outre, la lutte contre l'EPO va pouvoir se faire dans le Tour de France sans provoquer de grève de coureurs. Le sport français est entre de bonnes mains.

Ce texte actualise la loi de 1984. Il le fallait. Le sport a plus évolué en 15 ans qu'il ne l'avait fait de Coubertin à 1984. L'article 19, en faveur des petits, corrige aussi le sport à deux vitesses. Deux articles issus de mes amendements, sont une demie victoire. L'article 34 ter concerne les bénévoles. On ne peut toujours les remercier par des poignées de main. L'article 34 ter concerne le statut des pluriactifs. Les sportifs fonctionnaires se verront enfin attribuer les avantages prévus en 1936 pour d'autres activités.

Si comme vous, l'on cherche un équilibre entre professionnalisme et pratique amateur, il faut permettre aux champions de se partager entre un travail à temps partiel et une carrière sportive.

D'autres pistes peuvent être poursuivies, car le sport est l'un des meilleurs liens sociaux.

Il restera plusieurs questions à régler : fixer définitivement les rapports entre le sport et la télévision en liaison avec Mme Tasca ; faire progresser le sport à l'école avec M. Lang ; traquer le dopage jusque dans ses derniers retranchements avec Mme Aubry et Mme Gillot ; ouvrir, avec M. Fabius, le dossier de la fiscalité sur les activités sportives. Enfin, il faudra mettre à profit la présidence française de l'Union européenne pour harmoniser la législation sportive. C'est au moins aussi nécessaire, sinon plus, qu'une harmonisation des lois sur les petits oiseaux, si vous voyez ce que je veux dire...

Bref, Madame la ministre, quand vous aurez refermé le livre de cette loi, il vous restera d'autres chapitres à écrire et c'est une chance pour le sport ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Yves Deniaud - Le sport, est un humanisme, pour reprendre l'expression du président Chaban-Delmas. Or votre projet, empreint d'une vision technocratique du sport, est éloigné de cet idéal.

Il a beaucoup déçu, non seulement parce qu'il masque mal votre méconnaissance des milieux sportifs, mais aussi parce que vous n'avez pas ouvert à cette occasion un grand débat national qui aurait permis de forger les outils du sport français du vingt et unième siècle.

Sans revenir sur certains gadgets de vote texte, je dirai un mot de l'article 32 relatif à la formation. Vous avez tenté de porter atteinte au système de formation, en particulier celui dispensé par les écoles de ski français et d'alpinisme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), le plus performant d'Europe. Grâce à la mobilisation des députés de l'opposition, des sénateurs et des professionnels de la montagne, vous êtes heureusement revenue sur votre intention première.

Mais ces péripéties ont révélé un manque de concertation avec tous ceux qui participent à l'enseignement et au développement du sport.

Votre projet a également suscité l'inquiétude des scouts d'Europe.

Quant aux associations de protection de la nature, aux chasseurs, aux pêcheurs et aux propriétaires agricoles et ruraux, ils se sont alarmés des conditions de développement des sports de nature. Ils ne peuvent être pratiqués au détriment du droit de propriété ni sans que soient étudiés les problèmes de responsabilité et d'entretien liés à leur exercice. Fort heureusement, le Sénat a supprimé les articles qui pouvaient poser un problème de constitutionnalité.

Mais nous regrettons que les mesures en faveur du bénévolat qu'il a adoptées et que nous avons soutenues, n'aient pas été retenues. Votre projet est bien pauvre sur ce point alors même que le rôle des bénévoles est essentiel.

D'autre part, vous avez rogné les pouvoirs des fédérations sportives délégataires de service public au profit des fédérations affinitaires. Cette logique, que nous n'approuvons pas, risque de poser des problèmes de sécurité en cas de non-respect par ces dernières des règles de qualification, d'encadrement et de formation édictées par les fédérations délégataires.

Quant à la mutualisation des droits de retransmission télévisée, nous en avons dénoncé les inconvénients : les gros clubs paieront, mais les petits clubs ne recevront pas grand-chose.

Etes-vous à ce point favorable à la mondialisation et à l'économie de marché que vous acceptez la délocalisation de certaines grandes manifestations dans un autre pays ?

Bref, cette mesure est inefficace et injuste. N'est-ce pas vous, Madame la ministre, qui avez redonné aux collectivités locales la possibilité de subventionner les clubs sportifs ?

Ainsi reprendrez-vous d'une main, grâce à la taxation des droits de retransmission, ce que les collectivités locales auront accordé sous forme de subventions.

J'évoquerai enfin l'obligation faite aux sportifs de participer à « des missions d'intérêt général ». Ne sont-ils pas déjà soumis à suffisamment d'obligations pour ne pas en créer de nouvelles ? Quelle est la valeur symbolique d'une participation obligatoire ? Croyez-vous qu'il faille leur en donner l'ordre pour que les sportifs prennent part à des opérations de solidarité nationale, et internationale ? Si elle n'est plus spontanée, la participation des sportifs à de telles actions perdra le caractère généreux et désintéressé qu'elle revêt aujourd'hui.

En conclusion, ce projet ne donne pas l'impulsion nécessaire, avant la présidence française de l'Union européenne, à la définition de grandes orientations qui permettraient aux sportifs français de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens.

Il faut préparer l'avenir sans pénaliser le sport professionnel tout en encourageant le développement du sport amateur.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est-à-dire ?

M. Yves Deniaud - J'ai déjà parlé des droits de retransmission télévisée. Notre pays doit agir, au sens de l'Union européenne dans l'intérêt général du sport : préservation de l'esprit olympique, lutte contre le dopage, égal accès du public aux rencontres sportives...

Nous attendions bien autre chose qu'un nouveau texte fourre-tout non dénué d'un certain esprit partisan.

C'est pourquoi le groupe RPR ne le votera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Néri - Nous déplorons tous, Madame la ministre, que votre budget ne soit pas plus important, mais je constate qu'il augmente pour la première fois depuis trois ans, alors qu'il n'avait cessé de diminuer depuis dix ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Et n'oublions pas les nombreuses lois que vous avez promulguées, en particulier sur la protection de la santé des sportifs et sur la lutte contre le dopage.

J'en viens à un problème d'actualité. M. Lang, ministre de l'éducation, a fait des propositions pour améliorer l'enseignement dans le primaire et dans le secondaire. Elles concerneront, en particulier, les langues vivantes et les activités artistiques. Il serait opportun d'y intégrer les activités physiques et sportives, conformément à l'article 2 du présent texte.

M. Edouard Landrain - M. Lang les avaient oubliées !

M. Alain Néri - Je me félicite que nous ayons introduit dans ce projet des dispositions relatives au bénévolat. Ce faisant, nous avons ouvert une porte et fait _uvre de pionniers, car le bénévolat ne concerne pas que les activités sportives. Il conviendra que vous vous mettiez en relation avec d'autres ministères, Madame la ministre, pour afficher les propositions de la majorité plurielle sur ce sujet.

De même, nous avons ouvert une porte, pour les sports de pleine nature avec l'élaboration des plans départementaux des activités de pleine nature. Il faudra pousser plus loin toute la réflexion. Dans un souci de concertation et d'apaisement, nous avons retiré les deux articles relatifs aux servitudes.

J'en viens au problème des fédérations. Dans le souci de démocratiser le sport, ce projet tend à promouvoir la parité hommes-femmes dans les associations sportives et à ouvrir plus largement la pratique du sport notamment en direction des entreprises et des handicapés. Le rapport Asensi étant devenu public, nous allons aussi pouvoir ouvrir la concertation sur les conditions d'élection des fédérations, qui doivent avoir lieu dans les six mois suivant les Jeux Olympiques. Ces élections se dérouleront ainsi dans un contexte nouveau que nous appelons tous de nos v_ux.

Vous l'avez compris, le groupe socialiste votera ce projet avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Edouard Landrain - Nous sommes aujourd'hui réunis pour la dernière cérémonie. La famille est là, au moins les proches : demi-victoires pour les uns, déception pour les autres, enterrement de leurs illusions pour beaucoup.

Le 4 mai dernier, nous vous avions dit encore une fois que ce texte n'était pas suffisamment travaillé et qu'il aurait mieux valu attendre de pouvoir adopter la grande loi sur le sport dont nous avons besoin. Au lieu de cela, nous juxtaposons des petits bouts de loi, dont on constate après coup les effets inattendus et souvent pervers.

J'avais alors dit que j'appréciais la reconnaissance des sports de nature dans la loi. Je ne soupçonnais pas encore que, sous la pression des écologistes, des propriétaires, des syndicats agricoles, peut-être même des conseils généraux, dans la crainte de bouleversements du code rural, on allait revenir sur des décisions qui avaient pourtant été prises à l'unanimité ! Il aurait fallu aborder de front les problèmes, plutôt que de laisser espérer, finalement abandonner.

L'article 40 ter est vidé de sa substance. On y parle encore de plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée et de plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature, mais on s'en tient à des v_ux pieux... J'avais pourtant cru mes collègues convaincus que l'avenir était à la pratique de ces « sports libres », si prisés par les jeunes qui souhaitent concilier grand air et compétition. On y reviendra un jour, dit-on : encore un « petit bout de loi » qui viendra s'ajouter aux autres ! Preuve est faite en tout cas que les décisions prises dans cet hémicycle n'ont qu'une valeur bien relative. Il faudra un jour une proposition de loi traitant des seuls sports de pleine nature, afin de faire cohabiter sans heurts le sport et le goût de la nature. Aujourd'hui, ces sports sont victimes du même syndrome que le projet de loi sur la chasse : la peur de mécontenter. Les élections approchent...

L'amendement 1 à l'article 7 a pour objectif d'encadrer l'exercice de l'activité d'agent sportif par un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne. Cela nous paraît évidemment indispensable : si nous n'harmonisons pas les règles à l'échelon européen, les contestations seront de plus en plus nombreuses. Mais il faudrait aller beaucoup plus loin et mieux protéger les jeunes, en s'interrogeant sur l'aspect « vitrine » des sélections nationales de jeunes et sur le rôle des parents.

Je ne reviens pas, Madame la ministre, sur l'insuffisance de votre budget, sur les difficultés de gestion du FNDS, sur la nécessité d'un taux réduit de TVA.

Je partage l'inquiétude des instances sportives nationales sur le paragraphe II de l'article 8, qui entraînera des disparités préjudiciables.

L'article 32 suscite des interrogations parmi les professeurs d'éducation physique du secteur privé, qui craignent de ne plus pouvoir encadrer aucun sport s'ils ne possèdent pas le diplôme d'Etat spécifique du sport concerné. Pouvez-vous apaiser leurs inquiétudes ?

Enfin, je ne suis pas tranquillisé par l'article 9 et les possibilités désormais offertes aux fédérations délégataires. Le rapport de M. Asensi sur la réforme des statuts des fédérations sportives, qui a été rendu public après le vote de notre assemblée, contient quelques bonnes choses mais propose un bouleversement quelque peu démagogique. Les fédérations n'ont pas été reconnues au hasard, n'ont pas obtenu les résultats qui sont les leurs par hasard... La loi de 1901, dont nous allons bientôt fêter le centième anniversaire, a montré au fil du temps ses qualités, en dépit de quelques rares défauts.

Par ailleurs, Madame la ministre, j'ai reçu beaucoup de lettres inquiètes de parents qui constatent que les rapports sur les Scouts d'Europe sont bons mais qui craignent pour l'homologation de leurs formations.

En conclusion, en regrettant un budget insuffisant qui est la source de beaucoup de nos maux -il faudrait au moins le doubler, la croissance le permet (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)-, je regrette de devoir dire qu'après m'être précédemment abstenu, je suis obligé aujourd'hui de voter contre ce projet, pour la bonne santé du sport français (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

La discussion générale est close.

Mme la Ministre - Parce que le sport est humaniste -M. Chaban-Delmas avait bien raison-, il faut le défendre et le développer, non l'utiliser.

J'ai la chance d'appartenir à un gouvernement qui dure. En trois ans, nous aurons beaucoup travaillé, pour adopter cinq textes législatifs qui vont constituer une grande réforme, pour la pratique sportive dans sa diversité. Sur les sports de pleine nature, sans doute faudra-t-il encore améliorer les dispositions que nous prenons, mais surtout pas dans le cadre d'un texte qui leur serait spécialement consacré.

Quant à l'article 32, je le répète, il ne concerne pas uniquement les moniteurs et les guides, mais tout l'encadrement des pratiques sportives, quelles qu'elles soient, et je suis fière que ces dispositions aient recueilli l'assentiment des intéressés, soucieux, comme nous le sommes tous, d'améliorer la qualité et la sécurité de l'encadrement du sport. L'important, c'est bien d'être titulaire d'un diplôme : peu importe que la fonction soit exercée dans le secteur public ou dans le secteur privé. Il est vrai qu'à une certaine époque des embauches ont eu lieu de personnel non diplômé. Il faudra, dans ce cas, valider les acquis professionnels, après que les compétences auront été vérifiées.

Le Fonds national de développement du sport, réuni ce matin, a décidé de porter à l'ordre du jour de ses travaux du 9 octobre la question des 5 % de mutualisation, et leur affectation. Cela se fera en concertation avec le mouvement sportif : ce sera un gage d'efficacité.

Sur un tout autre plan, je ne comprends pas qu'au vu de l'action que j'ai menée depuis 1997, on puisse même imaginer que je souhaite fragiliser les fédérations. J'ai tout fait, au fil des ans, pour préserver la structure fédérale, que je sais menacée par des groupes qui s'attachent à remettre en cause le monopole des fédérations pour organiser des championnats privés, avec l'unique souci de la rentabilité.

Chacun garde en mémoire les préoccupations que nous avons connues, à ce sujet, pour le basket-ball, il y a quelques années. Il faut donc donner au mouvement sportif les moyens qui lui font défaut pour se défendre et je me félicite que le Conseil de Feira ait demandé que soient prises en compte les caractéristiques du sport et son importance sociale. Voilà qui nous aidera à protéger les jeunes sportifs, dans un souci permanent de démocratie, et la concertation se poursuivra quand les jeux olympiques de Sydney auront cessé de mobiliser les esprits et les énergies.

Les craintes exprimées par M. Deniaud me paraissent infondées : jamais la France n'a été autant sollicitée pour l'organisation de manifestations sportives de grande envergure. Ainsi est-il déjà prévu que nous organiserons les championnats du monde d'athlétisme en 2003.

Enfin, il n'est pas d'associations sans bénévoles, et l'année 2001, pendant laquelle nous célébrerons le centenaire de la loi sur les associations, devrait être le prétexte à des modifications visant à simplifier l'engagement bénévole (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme la Présidente - La commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à l'adoption d'un texte commun, l'Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle.

Je vais l'appeler à statuer d'abord sur les amendements dont je suis saisie.

Ces amendements, conformément aux articles 45, alinéa 4, de la Constitution, et 114, alinéa 3, du Règlement, reprennent des amendements adoptés par le Sénat au cours de la nouvelle lecture à laquelle il a procédé.

Mme la Ministre - L'amendement 1 tend à encadrer l'exercice de l'activité d'agent sportif par un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, agissant dans le cadre de la libre prestation de service, en le subordonnant au respect de conditions de moralité.

L'amendement 1, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 6 est rédactionnel.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 7 vise à supprimer une redondance.

M. Edouard Landrain - J'observe que le Sénat qui fait souvent preuve de sagesse, n'est pas toujours suivi. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il aurait été bon de répondre aux voeux du mouvement sportif et de ne pas imposer de contraintes quand ce n'est pas nécessaire. Mieux aurait donc valu éviter de réintroduire le paragraphe 2 de cet article. Mais je conçois qu'en cette veillée funèbre, il soit difficile de changer les choses... (Mouvements divers)

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - L'amendement 2 dispose que l'interdiction faite aux fédérations agréées de déléguer tout ou partie des missions de service public concerne les sociétés commerciales et non les ligues professionnelles créées par les fédérations.

L'amendement 2, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 8 reprend un amendement rédactionnel adopté en nouvelle lecture par le Sénat et subordonne en outre à l'autorisation de l'autorité territoriale le droit, pour les fonctionnaires ou les agents de ces collectivités, de cumuler cet emploi avec l'exercice rémunéré d'une activité sportive dans une association ou dans une société mentionnée à l'article 11.

Mme la Ministre - Le Gouvernement est très favorable à cette disposition innovante et attendue.

L'amendement 8, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - L'amendement 3 est de cohérence. La loi ne prévoit pas que le CNAPS soit présidé par le ministre chargé des sports, qui le consulte. Il n'est donc pas souhaitable qu'il en aille différemment pour un comité qui sera intégré au CNAPS.

L'amendement 3, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 9 concerne l'obligation d'information des groupements sportifs en matière d'assurance personnelle et la charge de la preuve y afférente. La solution préconisée par le Sénat, qui consiste à renvoyer au droit commun, paraît opportune. La charge de la preuve incombera donc aux assureurs, ce qui permettra d'alléger les tâches administratives imposées aux groupements sportifs.

L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - L'amendement 4 tend à supprimer l'article 40 quinquies. Je souligne à nouveau l'excellent travail réalisé sur les sports de pleine nature par MM. Peiro et Landrain et par le président de votre commission, mais je rappelle que cet article a suscité une vive désapprobation en raison des servitudes qu'il crée. Vous vous en souviendrez : en première lecture, j'avais, pour cette raison, appelé l'Assemblée à la sagesse.

M. le Président de la commission - C'est vrai !

M. le Rapporteur - Avis favorable à la suppression.

M. Edouard Landrain - Voilà ce que je qualifie de capitulation en rase campagne. Mon collègue Germinal Peiro et moi-même étions heureux d'avoir fait comprendre l'importance croissante des sports de pleine nature. Des problèmes se posent, c'est vrai, mais nous ne les ignorions pas. Au moins faut-il les poser pour espérer les résoudre ! Ne pas le faire, c'est susciter de grandes déceptions. Et pourquoi des technocrates devraient-ils décider à la place de la représentation nationale, à la sagesse de laquelle on a fait appel, pour ne pas l'entendre ? C'est une raison supplémentaire de ne pas voter ce texte.

M. François Goulard et M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. le Président de la commission - Je trouve ces propos excessifs. Je sais la forte conviction de Germinal Peiro, auquel je rends hommage. Et c'est vrai qu'en première lecture, Mme la ministre a été amenée, sinon à s'opposer, du moins à nous faire remarquer les risques juridiques que comportait cette disposition et en a appelé à notre sagesse.

Les travaux qui ont suivi ont montré qu'elle soulevait des problèmes très importants, notamment la compensation des servitudes ainsi imposées. Vous savez très bien, Monsieur Landrain, que beaucoup de conseillers généraux ont manifesté une opposition très forte.

Nous avons ouvert un espace avec la création de plans départementaux relatifs aux sports de nature. La réflexion doit se poursuivre pour apporter toutes les garanties juridiques et financières nécessaires.

Ne dites pas que c'est l'abandon d'un grand espoir : c'est, au contraire, un pas vers la reconnaissance des sports de pleine nature, qui sont appelés à se développer.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - Le paragraphe 4° de l'article 40 octies pose, hélas, d'importants problèmes juridiques que m'ont signalés le Conseil d'Etat et le ministère de la justice, notamment du fait qu'il opère une distinction injustifiable entre propriétaires publics et privés. Comme nous ne pouvons, à ce stade de la procédure, dissocier ce paragraphe du reste de l'article, je suis contrainte d'en demander la suppression par l'amendement.

En ce qui concerne les plans départementaux, des sites et itinéraires pourront être instaurés par voie réglementaire.

M. Edouard Landrain - Vraiment, l'urgence n'était pas nécessaire pour cette loi ! Elle a été mal préparée.

C'est vrai que nos amendements sur les sports de pleine nature posaient quelques problèmes : nous en étions tous conscients et pourtant, en commission et en séance plénière, nous les avons votés à l'unanimité.

C'est maintenant seulement qu'on prétend découvrir ces problèmes. On aurait pu les résoudre en s'y prenant à temps. C'est un raté, disons-le.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Président de la commission - Quelques mots pour tirer le bilan des travaux menés à une semaine de la fin de la session.

C'est la première fois dans l'histoire du sport français qu'une seule législature, qui est loin d'être achevée, a permis d'adopter sept textes sur le sport, dont celui concernant la protection de la santé des sportifs.

Chacun en mesure la portée. Ces textes forment un ensemble très cohérent et je vous remercie, Madame la ministre, de la collaboration permanente que nous avons eue avec vous et vos services. Je remercie également la commission, dont les travaux ont joué un rôle très important, son rapporteur et ses administrateurs.

Après le travail législatif, vient l'application au quotidien. Nous sommes à votre disposition, Madame la ministre, pour vous y aider par l'intermédiaire des rapporteurs chargés du suivi de la loi, mais aussi en poursuivant le débat et en participant à l'effort pédagogique et politique de mise en _uvre.

M. Néri a évoqué la place du sport dans l'éducation. Nous avons longuement interrogé M. Lang à ce sujet lors de son audition d'hier.

Le rôle du sport dans la lutte contre l'exclusion est également fondamental. Madame le ministre, je vous propose de vous auditionner au cours du dernier trimestre pour tirer un bilan sur ce point.

L'enjeu économique du sport est tel -135 milliards de chiffre d'affaires- que cela entraîne des conséquences terribles sur la santé des sportifs. Des progrès sont faits pour le Tour de France. Mais nous ne sommes pas au bout des problèmes.

Enfin, pour la première fois, nous avons introduit la question du bénévolat, qui concerne 850 000 personnes, dans un texte législatif et encadré les professions d'intermédiaires.

Un grand travail législatif a donc été effectué et un point régulier aura lieu pour faire vivre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme la Ministre - La concertation qui a précédé la loi se poursuivra par l'élaboration des décrets, comme je m'y suis engagée : dès jeudi prochain nous rencontrons professionnels et éducateurs et votre commission sera également associée.

Il faudra également porter la question au niveau de l'Union européenne et nous inspirer éventuellement d'autres pays. Je suis d'accord pour tirer un premier bilan d'étape avec vous lorsque vous le souhaiterez.

Vous avez également souligné la bonne collaboration avec le ministère de l'éducation nationale. Ces deux ministères ont réappris à travailler ensemble, que ce soit sur la question des débouchés des filières sportives, sur la mise en place des contrats éducatifs locaux, ou sur le sport à l'école.

J'espère, bien entendu, que « les finances suivront ».

Je vous remercie de tout c_ur du travail effectué par votre Assemblée. Notre collaboration a été d'une grande intelligence (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

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MODIFICATIONS CORPORELLES NON RÉGLEMENTÉES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes « pratiques non réglementées de modifications corporelles » (piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers).

M. Jean Rouger, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - La commission dont M. Accoyer nous propose la création serait chargée d'enquêter sur les conditions sanitaires dans lesquelles sont effectuées différents marquages du corps, comme le piercing, le tatouage, la scarification ou l'implant de corps étrangers.

Cette proposition a été examinée par notre commission le 31 mai dernier, qui l'a acceptée, contrairement à ce que j'avais préconisé.

Mettons donc les choses à plat et ne laissons pas nos émotions prendre le pas sur notre réflexion.

Les pratiques de modifications corporelles sont multiples. Certaines sont traditionnelles, comme le tatouage, d'autres sont plus récentes, comme les implants d'objets. Certaines sont courantes, comme le piercing des oreilles, d'autres beaucoup plus marginales. Quoi qu'il en soit, un nombre croissant d'individus est concerné. En 1980, on comptait 4 boutiques de tatouage en France ; il y en avait près de 50 en 1990, il y en a aujourd'hui 300. Près d'un tiers des 11-15 ans envisagent de se faire un jour tatouer ou piercer. De plus, cela ne concerne pas seulement une population marginale : de plus en plus, on voit autour de nous des personnes « percées ». Mais il y a également ce que l'on ne voit pas. Les offres sont également diverses : dans des salons, comme celui qui va se tenir ce week-end à Paris, dans des boutiques, mais aussi dans des discothèques ou au cours d'une rave party. Enfin, ces pratiques se font parfois dans une grande émotion, ce qui réduit la vigilance.

Les risques sanitaires tiennent d'abord à l'effraction de la barrière cutanée ou des muqueuses, qui peut entraîner des complications infectieuses bactériennes ou virales. Il faut également se préoccuper du suivi de la cicatrisation ou des tentatives de revenir sur une modification corporelle.

Cela dit, si ces questions sont vraiment préoccupantes, une commission d'enquête parlementaire ne semble pas le cadre adapté pour la traiter.

Avant de se prononcer sur la nécessité d'une réglementation, il est fondamental de procéder à une évaluation scientifique du risque infectieux. Aucune étude épidémiologique systématique n'a été effectuée en France ou à l'étranger. Une commission d'enquête parlementaire n'est pas à même de la mener. Le Gouvernement a demandé au Conseil supérieur d'hygiène publique de réaliser cette étude, qui avait été promise pour fin 1999. Elle doit maintenant être rendue publique dans les plus brefs délais !

Il est également important que soit menée une campagne d'information et de sensibilisation sur les risques et sur les précautions à prendre.

Surtout, il convient que le ministère procède à une évaluation sanitaire de ces pratiques, de la compétence des opérateurs, des circonstances de la réalisation, du suivi des individus. Les risques sanitaires étant plus grands lorsque des pratiques sont effectuées par des non-professionnels, il est important de songer à réglementer ce secteur d'activité afin que ces pratiques soient effectuées dans des conditions sanitaires adéquates, par des personnes compétentes, formées, identifiables, vers qui on puisse se retourner en cas d'incident.

La commission a émis un vote favorable à la création de cette commission d'enquête. Pourtant la sensibilisation du public concerné et l'encadrement de la pratique professionnelle ne sont pas du ressort d'une commission d'enquête, mais du ministère. C'est au service public de la santé et aux instances de veille sanitaire d'agir.

La publicité faite au tatouage et au piercing a déjà un rôle pédagogique. La commission d'enquête et, surtout, une médiation intempestive pourraient avoir comme effet pervers de faire retourner à la clandestinité des pratiques qui tendent désormais à se montrer. En outre, nous observons une évolution vers plus de rigueur et de professionnalisation.

Il me semble sage d'attendre le rapport du Conseil supérieur d'hygiène publique. Dans le cadre du contrôle de l'action gouvernementale, nous pourrions envisager une mission d'information.

Nous attendons que le ministère s'engage dans une action qui renforce la transparence, que des évaluations scientifiques soient prescrites, que soient lancées des actions d'éducation sanitaire sur ces pratiques de marquage des corps humains.

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas ce qu'a dit la commission !

M. le Rapporteur - Ne cédons pas à la démagogie de l'émotion. Ce n'est pas avec une commission d'enquête que l'on avancera le plus sur ce sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés - Comme les scarifications, le piercing est très largement pratiqué sur la planète. Le piercing des lobules auriculaires, de loin le plus répandu, est depuis plusieurs siècles particulièrement prisé dans toute l'Europe.

Le piercing attire aujourd'hui de nouvelles populations, plus variées mais aussi plus socialement « conformes ». Les boutiques de piercing sont maintenant fréquentées par une clientèle de toutes conditions économique, sociale et de tous âges. Les modifications corporelles -piercing, tatouage, implants divers de corps étrangers- concernent une partie vraisemblablement non négligeable de notre jeunesse.

Les risques sanitaires étant mal identifiés, il importe d'adopter une démarche claire, objective et transparente associant évaluation des risques, concertation avec les professionnels, mesures de réduction des risques identifiés.

Parmi ceux qui réalisent ces actes, on note une grande hétérogénéité des statuts, des techniques, du niveau de réflexion sur la sécurité des clients, des pratiques commerciales. Aucune qualification, aucune condition d'exercice, ne sont aujourd'hui requises en France pour exercer l'activité de perceur. Leurs connaissances en anatomie, en physique et chimie des matériaux, en stérilisation sont d'origine autodidacte et il existe même des perceurs ambulants. Le piercing du lobule de l'oreille est aux mains des bijoutiers qui utilisent des pistolets automatiques spéciaux. Enfin, le nombre des auto-piercings est inconnu.

Si le piercing sauvage se taille une part importante du marché dans des conditions d'hygiène et de sécurité qui peuvent être préoccupantes, il émerge de véritables professionnels qui exercent dans des boutiques spécialisées et cherchent à mieux assurer la sécurité de leurs clients.

Les perceurs un tant soit peu expérimentés connaissent les avantages et les inconvénients de chaque matériau ainsi que les actes chirurgicaux réputés hypoallergéniques.

L'argent qui provoque des allergies fréquentes, est peu utilisé et une directive européenne interdit à compter du 20 janvier 2001, d'utiliser des alliages contenant plus de 0,05 % de nickel pour les bijoux utilisés dans le piercing (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

Les infections bactériennes sur piercing peuvent donner lieu à des complications parfois importantes. Mais on n'a observé dans la littérature médicale que deux cas graves, ceux d'enfants s'étant fait percer les oreilles.

En ce qui concerne les infections virales, en particulier l'hépatite C, les études épidémiologiques sont insuffisantes pour conclure, d'autant qu'il y a risque de confusion avec les effets de la toxicomanie intraveineuse. Quand les facteurs coexistent, selon les experts de l'institut de veille sanitaire, on ne peut tirer de conclusion quant à leur rôle respectif. Cela n'infirme pas le rôle potentiel de ces pratiques réalisées dans de mauvaises conditions d'hygiène, dans la transmission des virus, en particulier de l'hépatite C. On peut en dire autant pour l'hépatite B. Quant au virus du sida, aucune étude n'a permis de vérifier formellement la possibilité d'une transmission.

M. Bernard Accoyer - Si, il y a un cas bien documenté.

Mme la Secrétaire d'Etat - J'ai saisi l'année dernière le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) sur l'évaluation des risques de transmission des virus des hépatites lors de ces pratiques.

Le groupe « hépatites » de la section des maladies transmissibles du CSHPF devrait adopter un avis définitif le 30 juin prochain.

Sans préjuger de cet avis, voici les directions dans lesquelles nous comptons agir.

Dans le cadre du programme national de lutte contre l'hépatite C, mis en place en janvier 1999, nous lançons la semaine prochaine une campagne nationale à destination des professionnels et du grand public qui évoque les risques du tatouage, du piercing, et du perçage des oreilles. Il s'agit de mobiliser sans affoler et de garantir la sécurité sans juger.

En septembre, nous diffuserons une affichette et une annonce dans la presse spécialisée en tenant compte des conclusions du rapport du CSHPF.

Sur les sites Internet les plus pertinents, sera inséré un renvoi sur les pages virus de l'hépatite C du ministère et du Comité français d'éducation pour la santé. Les documents destinés aux usagers de drogues et aux professionnels seront également complétés. Enfin, en 2001, sera mise en place une information grand public, en particulier auprès des jeunes à partir d'informations scientifiques bien établies.

Il faudra sensibiliser et former les professionnels de santé à l'hôpital et en ville et faire des recommandations aux tatoueurs, comme l'a fait le Canada, notamment sur le local de travail du perceur, l'équipement et les instruments de travail utilisés.

M. Bernard Accoyer - Et leur responsabilité pénale ?

Mme la Secrétaire d'Etat - C'est en rapprochant les perceurs et les professionnels de santé que l'on pourra aboutir à des pratiques réellement plus sûres.

S'agissant de la réglementation, nous nous inspirerons également du Canada qui vient de mettre en place un agrément préalable des autorités sanitaires pour le professionnel, avec des contrôles pour s'assurer de l'application correcte des procédures dans chaque établissement. Il semble qu'un certain nombre de professionnels en France serait prêt à s'engager dans ce type de démarche.

Il faut surtout qu'elle soit acceptée, pour être contrôlée. Aux Etats-Unis des mesures très restrictives ont conduit à une recrudescence des actes clandestins et donc des complications infectieuses.

En France, grâce à la concertation, nous avons encadré l'activité des professionnels réalisant des séances de bronzage artificiel et assuré le contrôle de leur matériel.

De même j'ai engagé un travail avec le ministère de la justice et le secrétariat d'Etat à la communication pour apprécier la légalité de ces pratiques de piercing au regard du code civil et du code pénal.

Enfin nous demanderons à l'Institut de veille sanitaire d'examiner s'il est possible de réaliser une étude épidémiologique précise sur le risque infectieux, en particulier viral, que font courir ces pratiques.

Vous le voyez, on ne peut accuser le Gouvernement d'immobilisme. L'investigation est en cours. Nous sommes donc contre la création d'une commission d'enquête parlementaire sur ce thème (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Il y a quelque temps encore, parler ici de piercing et du tatouage aurait pu prêter à sourire. C'est un premier résultat pour notre commission -relayée par la presse, que je salue- : on reconnaît aujourd'hui la réalité d'un problème de santé publique.

Des centaines de milliers de personnes sont concernées. J'ai été assez déconcerté par votre façon de minimiser les risques d'infection virale que font courir ces pratiques.

Mme la Secrétaire d'Etat - Non.

M. Bernard Accoyer - ...que tous les scientifiques jugent réels. Vous avez en particulier mis en doute le risque de transmission du VIH. Selon le docteur Julien Emmanuelli épidémiologiste à l'Institut de veille sanitaire le risque de transmission du VIH est clairement établi.

Sans polémiquer, il faut faire en sorte que le ministère de la santé s'occupe de la santé. Ce problème est connu de vos services depuis six ans. C'est depuis que je les ai saisis par une question écrite que les choses bougent. Je remercie ceux qui m'y ont aidé, et au premier rang les membres de la commission des affaires sociales (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les jeunes sont particulièrement attirés. 50 % des jeunes filles de 11 à 15 ans envisageraient de recourir au piercing. Au salon du tatouage et de la décoration corporelle qui s'ouvre demain à Paris, on attend 20 000 personnes. J'espère que vos services seront représentés et que des inspecteurs de la DDASS iront y vérifier les conditions sanitaires.

Devant l'ampleur du problème, le 30 mai dernier la commission adoptait, par delà les clivages politiques, ma proposition de résolution en vue de créer une commission d'enquête.

J'ai opté pour cette procédure parce que la réponse du ministère de la santé à ma question écrite du 18 octobre 1999 a confirmé qu'il n'avait pas pris toute la mesure des problèmes posés par ce « phénomène de société ».

Mme la Secrétaire d'Etat - C'est faux ! Je le sais pour avoir moi-même répondu à votre question.

M. Bernard Accoyer - Dans votre réponse, vous envisagiez « d'émettre éventuellement des recommandations pour renforcer la sécurité sanitaire dans ce domaine ». Or nous ne pouvons nous contenter de l'éventuel ; il s'agit d'une urgence indiscutable. Comment d'ailleurs renforcer une sécurité sanitaire qui n'existe pas en ce domaine ?

Constatant cette carence des services de l'Etat, les parlementaires avaient le devoir de prendre une initiative dont je me félicite qu'elle ait quelque peu accéléré la démarche du ministère et votre propre analyse, Madame la ministre, laquelle manque encore toutefois cruellement de réalisme sur certains points essentiels.

En effet, dans les suites de ces pratiques, les médecins observent quotidiennement toute une série de complications. Vous avez privilégié celles consécutives au perçage du lobule de l'oreille, pratique similaire réalisée dans des conditions où le risque sanitaire est minime. Mais des problèmes plus graves sont nés de pratiques nouvelles, en particulier le piercing, et de l'apparition de nouvelles maladies. Je pense à l'affaire du sang contaminé.

Parmi les complications immédiates et locales, les hémorragies et blessures nerveuses sont classiques, en particulier lors des piercings sur les muqueuses.

Les complications secondaires, dont des infections locales et microbiennes extrêmement fréquentes retardant la cicatrisation et pouvant même aboutir à la fonte purulente de tout ou partie du pavillon de l'oreille ou de l'aile du nez (Mouvements divers), sans parler des complications microbiennes générales à type de septicémie et pouvant être mortelles. Les complications les plus redoutables résultent de la transmission d'agents infectieux viraux : virus de l'hépatite et même VIH, lorsque les bijoux ou outils ont été souillés par le sang.

En France, une part des 500 000 à 700 000 cas d'infections par le virus de l'hépatite est obligatoirement due à ces pratiques, sachant que certaines de ces hépatites évolueront vers la cirrhose ou même vers le cancer du foie...

M. Cochet remplace Mme Catala au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

M. Bernard Accoyer - Plus grave, ces infections virales sont elles-mêmes transmissibles par voie sexuelle. Du reste, dès 1994, le Centre national de transfusion sanguine, devenu l'Établissement français du sang, a émis un avis excluant du don les donneurs ayant subi un piercing ou un tatouage depuis moins de six mois.

Pourtant, les modifications corporelles non réglementées, contrairement aux autres pratiques à risque, n'ont donné lieu à aucune information auprès du grand public.

Outre les problèmes de santé publique, se posent des questions de responsabilité pénale. Les actes visés constituent sans équivoque des gestes médicaux ou plus précisément chirurgicaux. Le ministère, à juste titre, a multiplié ces dernières années les directives visant à assurer la sécurité sanitaire des actes de petite chirurgie, notamment bucco-dentaires.

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. Bernard Accoyer - Le piercing à outrance, l'inclusion de corps étrangers sous la peau, les scarifications et autres pratiques extrêmes posent aussi un problème de responsabilité pénale. Certaines d'entre elles s'apparentent à de véritables voies de fait, qui, si elles étaient réalisées par des professionnels de santé, les exposeraient à des sanctions judiciaires extrêmement lourdes.

La plupart du temps, on demande aux clients de signer une décharge avant la réalisation d'un piercing ou d'un tatouage. Ce document, bien que dépourvu de valeur juridique, risque toutefois de semer le doute chez les jeunes quant à leurs éventuels droits à réparation.

Et que dire de la responsabilité pénale des ambulants qui opèrent sur les foires ou sur la banquette arrière d'une voiture aux abords d'une rave party, dans des conditions d'hygiène, donc de sécurité sanitaire effrayantes ?

Face à de tels faits, pouvons-nous rester passifs, alors que de nouvelles boutiques s'ouvrent tous les jours sans réglementation ni contrôle ?

Alors que nous sommes très attentifs aux questions de sécurité sanitaire, que le Gouvernement affirme se préoccuper des droits des malades, le droit le plus fondamental n'est-il pas celui de conserver sa santé, de ne pas s'exposer à des risques connus, graves, parfois même mortels ? Comment ne pas tirer la leçon de l'histoire récente, en particulier celle de l'affaire du sang contaminé ?

Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France tarde à donner son avis, lequel sera du reste fragmentaire puisqu'il n'abordera pas la dimension juridique, sociologique ni éthique du problème. En attendant, un nombre inconnu mais indéniable de nouveaux contaminés l'auront été du fait de cette négligence.

Il est de notre responsabilité de proposer une politique pour parer aux risques auxquels sont exposés d'innombrables jeunes. Ne nous défaussons pas de nos responsabilités, nous qui sommes élus avant tout pour protéger les plus faibles.

Notre histoire sanitaire a été marquée par trop de drames pour que nous refusions aujourd'hui la transparence sur ce sujet, c'est-à-dire la création d'une commission d'enquête parlementaire. Il serait très dangereux de donner le sentiment que nous avons quelque chose à cacher. Il est essentiel d'informer les jeunes et les familles. Contrairement à ce que vous avez dit, Madame la ministre, les boutiques qui ont pignon sur rue ne sont pas une garantie.

Mme la Secrétaire d'Etat - Je n'ai pas dit cela.

M. le Président - Il vous faut absolument conclure, Monsieur Accoyer.

M. Bernard Accoyer - Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir adopter la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur ce grave sujet de santé publique (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Daniel Marcovitch - Nous sommes réunis pour examiner une proposition de résolution de M. Accoyer qui, avec son habituel sens de la nuance, nous a laissé entendre qu'une moitié de notre jeunesse serait défigurée par les pratiques qu'il dénonce. N'exagérons pas, même s'il ne faut pas non plus minimiser les risques qui existent. Et c'est un médecin qui vous parle.

Nées de pratiques ancestrales, tribales, qui peuvent être l'expression de l'appartenance à un groupe ou à une ethnie, ou bien encore un élément décoratif esthétique, les pratiques de modifications corporelles connaissent depuis une quinzaine d'années une vogue considérable auprès d'une population de plus en plus jeune, au point qu'un salon leur sera consacré ce week-end à Paris. Des revues spécialisées sont éditées.

Ces modifications corporelles se sont aussi diversifiées. Traditionnellement, le tatouage était la plus en vogue, et l'insertion d'objet étranger au corps humain était une pratique marginale. Mais, depuis le mouvement punk des années 70 et l'image renvoyée par des chanteurs comme Sid Vicious en Angleterre et ses célèbres épingles à nourrice, on assiste, depuis le début des années 90, au développement d'autres pratiques. Le piercing est la forme la plus courante de modifications corporelles où le désir esthétique l'emporte sur le caractère revendicatif ou identitaire. On compte aujourd'hui en France près de 600 perceurs.

Dès qu'il y a incision ou perforation de la barrière cutanée, un risque sanitaire existe. Nous attendons donc avec impatience la publication de l'étude confiée par le Gouvernement au Conseil supérieur d'hygiène publique sur l'évaluation des risques de transmission de virus ; il est important que la date du 30 juin que vous avez évoquée, Madame la ministre, soit respectée.

Par ailleurs, il est important que des règles de bonne pratique soient définies dans l'intérêt du public et des professionnels eux-mêmes.

Enfin, un travail d'information doit être mené à destination du public, et en particulier des jeunes. Je salue à ce sujet la campagne de communication qui est prévue sur la base de l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique.

Au moment donc, où le Gouvernement et les instances de veille sanitaire s'apprêtent à évaluer les risques, édicter des règles de bonne pratique et informer la population, la création d'une commission d'enquête ne me paraît pas opportune, contrairement aux conclusions de la commission. En effet le rôle d'une commission d'enquête est soit d'évaluer une législation, soit d'étudier un fait avéré ; or l'évaluation de la législation ne pourra se faire car celle-ci est en cours d'étude, et le fait avéré, à savoir le risque sanitaire, doit être évalué par le Conseil supérieur d'hygiène publique. Néanmoins, il est de la responsabilité des élus de connaître les enjeux et conséquences de ces pratiques en pleine expansion ; je souhaite donc que notre information soit assurée sous la forme la plus adéquate tout en votant, avec le groupe socialiste, contre cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Foucher - Le piercing, le tatouage, la scarification, les implants de corps étrangers connaissent en France un développement important depuis plusieurs années. En 1980, 4 boutiques de tatouage suffisaient à la demande ; aujourd'hui on en dénombre plus de 300.

La signification donnée à ces pratiques a évolué. Pour les cultures dites primitives, la marque dans la chair correspond à une manifestation de foi. Les sociétés traditionnelles associent les perforations à des rites de passage -adolescence, mariage, deuil, changement de statut social... Au fil des temps, diverses populations ont utilisé le piercing comme signe de reconnaissance : marins qui se paraient l'oreille d'un anneau supplémentaire à chaque passage de l'équateur, fétichistes, hippies des années 1960, punks des années 1970...

Aujourd'hui le piercing et le tatouage touchent des catégories sociales de plus en plus diverses. Les jeunes sont particulièrement attirés par ces pratiques : dans une enquête récente, auprès de 600 jeunes Français, un tiers disaient envisager de les utiliser un jour ; l'âge moyen des clients se situe entre 20 et 30 ans, mais les demandes de piercing génital sont plutôt faibles par des personnes plus âgées.

La douleur fait partie du protocole et correspond à une volonté d'acquérir un contrôle sur soi-même et sur sa vie. Les motivations avancées sont généralement l'esthétisme, l'originalité, puis l'érotisme. Les zones corporelles choisies sont, par ordre de fréquence, le nombril, le visage, les mamelons, les organes génitaux.

Ces pratiques peuvent provoquer des complications, notamment en raison d'infections bactériennes ou virales : le risque de transmission de maladies sexuellement transmissibles, du sida ou de l'hépatite, a déjà été démontré. Aucune réglementation spécifique n'existe, mais on peut se demander si ces pratiques ne sont pas contraires à la loi de décembre 1980, qui sanctionne les pratiques médicales exercées de façon illégale.

Certes, la loi punit « les actes de violence et de barbarie » ainsi que les « mauvais traitements à mineurs », mais tatouage et piercing peuvent être considérés comme des actes librement consentis pour lesquels les mineurs doivent avoir l'autorisation expresse de leurs parents. En outre, chaque client signe une décharge au perceur ou au tatoueur, engageant ainsi sa propre responsabilité.

L'absence de réglementation et le développement de ces pratiques créant un risque réel de santé publique, le groupe UDF partage l'analyse de notre collègue Bernard Accoyer sur la nécessité de créer une commission d'enquête pour étudier la réalité des conditions sanitaires et l'opportunité de légiférer sur ces questions. Les députés doivent avoir le courage de se saisir de ces questions ; l'affaire du sang contaminé devrait nous inciter à intervenir en amont. Nous avons d'ailleurs récemment, à l'occasion du vote d'une proposition de loi créant une agence de sécurité sanitaire environnementale, réaffirmé la nécessité de développer la prévention dans tous les domaines de la santé publique. La création de cette commission d'enquête rentre parfaitement dans le cadre de notre politique dont l'objectif est d'assurer le meilleur contrôle possible des risques sanitaires, compte tenu des connaissances et des moyens disponibles.

Si je partage l'avis du rapporteur sur la nécessité de disposer d'indications précises, scientifiques, j'estime que l'on ne peut pas avancer cet argument contre la création de cette commission d'enquête. D'abord, parce que sans attendre les résultats de l'étude du Conseil supérieur d'hygiène publique, nous prenons déjà des décisions liées aux risques de ces pratiques : sur recommandation de l'établissement français du sang, il a été interdit aux personnes ayant subi un piercing ou ayant effectué un tatouage au cours des six dernier mois de donner leur sang. Ensuite, parce que cette étude doit s'attacher uniquement à évaluer les dangers infectieux des pratiques non réglementées ; or l'objet de la commission d'enquête serait d'examiner les conditions de sécurité sanitaire dans lesquelles ces interventions sont réalisées.

Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution, parce que nous ne voulons pas fermer les yeux sur des pratiques qui peuvent mettre en danger la sécurité d'autrui (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Devant le développement de certaines pratiques, un équilibre doit être trouvé entre le principe fondamental de la liberté de disposer de son corps et le problème sanitaire qu'elles posent, sans qu'il s'agisse de porter sur elles un regard moralisateur.

Ce phénomène semble particulièrement concerner les jeunes, tous milieux sociaux confondus, et les incidents sanitaires que ces pratiques peuvent provoquer doivent être mesurés avec sérieux, car les risques de transmissions d'infections bactérienne ou virale sont patents.

Il nous faut donc réglementer ces pratiques pour les rendre plus sûres, et c'est un souci de prévention et d'information qui doit nous guider dans l'attente des conclusions du Conseil supérieur d'hygiène publique, dont Mme la ministre vient de confirmer qu'elles seront rendues dans quelques jours. Il ne me paraît pas judicieux de créer une commission d'enquête aussi longtemps que les données scientifiques précises font défaut, qui permettraient d'étayer ses travaux.

Il serait sage, en revanche, de lancer une campagne de sensibilisation auprès des jeunes, et de pallier ainsi, dans une modeste mesure, les insuffisances de notre politique de prévention en matière sanitaire, bien réelles en dépit de l'efficacité de notre système de santé, soulignée par l'OMS.

Bien des progrès doivent être faits pour améliorer prévention et information, dans divers domaines. On ne peut se satisfaire que la visite médicale scolaire annuelle ait pratiquement disparu ; de même, tout devra être fait pour que la visite médicale à laquelle devaient se soumettre les futurs appelés ne disparaisse pas en même temps que la conscription.

Je rappelle encore la proposition du groupe communiste visant à créer un poste d'infirmière dans chaque établissement scolaire, proposition qui devrait d'autant plus retenir l'attention du Gouvernement qu'elle traduit les v_ux du Parlement des enfants.

Il convient également de renforcer les moyens alloués aux services médicaux en milieu carcéral, où le piercing et les pratiques connexes sont largement diffusés, dans des conditions d'hygiène très relatives.

Je renouvelle donc mes réserves -sinon mon désaccord- sur le principe de la création d'une commission d'enquête dès maintenant, mais je souhaite que cette initiative parlementaire encourage le Gouvernement à lancer une campagne d'information sur les risques encourus. Je souhaite enfin que le débat reprenne lorsque les conclusions du CSHP seront connues (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Goulard - Les pratiques dont nous traitons aujourd'hui sont très largement diffusées. Les psychologues parlent de souci de différenciation là où d'autres voient, plus simplement, un phénomène de mode, sur lequel on peut porter l'appréciation que l'on veut. A titre personnel, je serais enclin à penser que le piercing n'est pas la manière la plus intéressante de manifester sa personnalité, mais cet avis est sans importance, puisque chacun est libre de disposer de son corps comme il l'entend.

Toutefois, le risque sanitaire induit par ces pratiques est reconnu. Sans m'attarder sur la fonte purulente du cartilage auriculaire, dont le Dr. Accoyer nous a entretenus avec compétence, je rappellerai le risque de contamination par le virus HIV ou celui de l'hépatite.

Or l'Etat, auquel il revient d'établir des règles en matière de santé publique et d'informer les citoyens sur les risques qu'ils encourent et sur la manière de les réduire, ne l'a pas fait. En revanche, le ministre de l'Education nationale s'intéresse curieusement au degré de pureté des drogues, au point que l'on se demande s'il compte instituer un classement AOC pour l'ecstasy ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Votre administration, Madame la ministre, a fait preuve d'inertie et de lenteur, et il vous a fallu plusieurs années avant de réagir, en saisissant, à la suite d'une question parlementaire, un comité qui ne brille pas par la rapidité de ses travaux.

La commission a accepté la création d'une commission d'enquête et, ce faisant, alerté les médias sur ce sujet grave. De ce seul fait, la proposition a joué un rôle utile. Et, comme nous n'avons aucune certitude que vos services réagiront avec plus de vivacité qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent, cette commission d'enquête doit, naturellement, être constituée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme la Secrétaire d'Etat - Je rappelle à M. Accoyer que je n'ai jamais mis en doute le risque de transmission de maladies infectieuses ou virales : j'ai parlé de la difficulté d'identifier les facteurs d'infection, notamment lorsqu'il s'agit du virus HIV.

M. Goulard a reproché au Gouvernement son inertie. Sait-il que les experts ont appelé l'attention sur ces questions il y a six ans déjà ? Pour ma part, j'ai saisi le Conseil supérieur d'hygiène publique dès mon arrivée au ministère. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que la dramatisation du propos serve l'argumentation, et je suis convaincue que des mesures brutales auraient pour effet pervers de faire entrer ces pratiques dans la clandestinité, ce qui ne résoudrait pas le problème sanitaire, au contraire.

Comme je l'ai indiqué, il faut tabler sur la transparence et l'information, à la fois pour décourager l'engouement et pour diffuser les règles d'hygiène et de sécurité.

Monsieur Foucher, si le tatouage et le piercing ne sont pas assimilables à des violences, les mutilations sexuelles sont proscrites dans notre pays et font l'objet de poursuites pénales. Je ne pense pas possible de comparer ces actes à des pratiques de petite chirurgie car cela reviendrait à considérer les tatoueurs et perceurs comme des professionnels paramédicaux. Je ne pense pas non plus qu'on puisse y voir un exercice illégal de la chirurgie.

M. Goulard y voit une liberté qui peut être reconnue à chacun, mais qui comporte des risques. Le principe de précaution auquel il a fait allusion est un principe de gestion du risque que nous mettons en place en concertation et qui repose sur la transparence, l'évaluation des risques et la définition de mesures proportionnées à ces risques et révisables à tout moment.

Je rends hommage aux propos de M. Marcovitch qui, en tant que médecin praticien, a su replacer le problème de santé publique à son juste niveau et à Mme Jacquaint, qui a rappelé l'efficacité de notre administration de la santé, que vous essayez toujours, Messieurs, de rabaisser, alors qu'elle s'est montrée à la hauteur des enjeux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - On pourrait débattre longuement sur l'histoire du tatouage et du piercing -je pense à l'anneau d'or des marins bretons. Peut-être faut-il regretter que cette coquetterie ait disparu chez les hommes -je voudrais bien voir le président de notre Assemblée arriver avec une boucle d'oreille ! On en trouve aussi des traces dans les arts premiers. Mais ce n'est pas le sujet.

Le sujet posé est celui de l'hygiène et de la sécurité sanitaires et nul n'a le droit de le traiter avec légèreté.

J'attache beaucoup d'importance au devoir d'interpellation de notre commission et nous en usons : nous posons des questions, nous prenons des initiatives, nous organisons des colloques -je pense au colloque du professeur Dubernard sur les risques du bronzage.

Les problèmes de sécurité et de prévention sanitaires et les droits des malades sont au centre de nos débats.

Incontestablement, M. Accoyer a eu le mérite de poser un problème et de traduire des préoccupations que Mme la ministre partage. J'ai moi-même écrit à Mme la ministre pour lui demander de rendre public le rapport que le Conseil supérieur d'hygiène publique doit lui remettre sur ce sujet le 30 juin prochain.

Pour autant était-il justifié que la commission, impressionnée sans doute par votre talent oratoire, Monsieur Accoyer, et par votre présentation dramatisée des problèmes approuve la création d'une commission d'enquête ? Pour ma part, je n'y suis pas favorable. C'est une structure lourde, mobilisant de nombreux députés et exigeant des délais importants. Le risque est grand qu'au bout de quelques réunions ses 30 membres ne soient plus que quelques-uns et rien ne serait pire pour l'image du Parlement et pour la cause que vous défendez.

Je vous fais donc une proposition. Le rapport du Conseil supérieur sera rendu fin juin : je m'engage à faire venir Mme la ministre devant la commission pour le commenter. Si, au vu de ce rapport et des commentaires donnés, il s'avère nécessaire de créer une mission d'information, structure souple et rapide dont vous pourriez assurer la présidence, Monsieur Accoyer, je suis prêt à le faire.

Etant donné la multiplicité des sujets abordés par notre commission, nous devons avoir une capacité d'intervention forte et rapide.

Cette proposition respecte les droits du Parlement et prend en compte la dimension du problème. Je crois qu'elle répond à votre préoccupation.

Je vous invite donc à suivre notre rapporteur et non la position de notre commission.

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ARTICLE UNIQUE

M. le Président - Je précise que sur le vote de l'article unique le groupe RPR a demandé un scrutin public (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Je voudrais répondre à Mme la ministre et à M. le président de la commission qui s'est désolidarisé de la commission mais pour tenir des propos de haute tenue. Madame la ministre, le sujet est grave et si vous avez trouvé mes propos trop forts, c'est que la réalité observée sur le terrain mérite d'attirer l'attention de l'opinion. Je regrette donc que vous ayez critiqué cet aspect de mon intervention.

Contester aux actes de petite chirurgie leur nature d'acte médical soulève de multiples questions. Si, à la suite d'un accident, il y avait des poursuites devant une juridiction, il ne fait pas de doute que porter effraction à la barrière cutanée ou muqueuse serait considéré soit comme un acte de pratique illégale de la médecine soit comme une voie de fait.

Le vrai problème, c'est l'immobilisme de notre société face à l'apparition d'un phénomène et au risque de transmission de maladies virales. C'est cela qui m'a poussé à déposer cette proposition et j'espère que le débat ainsi ouvert débouchera sur des avancées.

Comme l'a dit justement la ministre, il ne convient ni d'adopter des dispositions trop contraignantes ni d'interdire car cela favoriserait le développement de pratiques clandestines.

Je me réjouis des mesures annoncées par le Président de la commission et par la ministre : le rapport du Conseil supérieur d'hygiène publique va être publié ; avec six mois de retard, une campagne d'information va être menée, comme je l'avais demandé il y a un an, l'Institut de veille sanitaire sera saisi, j'ai rappelé les propos d'un de ses membres éminents.

M. Forni remplace M. Cochet au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

M. Bernard Accoyer - M. Le Garrec a dit des choses fort intéressantes, tout en refusant la création de la commission d'enquête, pourtant adoptée par la commission et qui aurait été légitime puisqu'il s'agit à la fois d'un problème de santé publique et d'un problème de droit pénal, avec le contentieux qui ne manquera pas de surgir.

La mission d'information ne pourra être efficace que si elle est interministérielle, comme l'avait été celle sur l'ESB. Dans ce cas, elle marquera une avancée.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

A la majorité de 28 voix contre 14 sur 42 votants et 42 suffrages exprimés, l'article unique n'est pas adopté.

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    GENS DU VOYAGE (lecture définitive)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre demandant à l'Assemblée de statuer définitivement, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, sur le projet relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion de ce projet.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Le Gouvernement, lorsqu'il a déposé ce texte, partait d'un constat simple : l'accueil des gens du voyage continue de provoquer des tensions fréquentes et parfois vives, dues pour l'essentiel à l'insuffisance du nombre de places d'accueil des itinérants, qui ne permet pas une cohabitation harmonieuse entre nomades et sédentaires. Il faut donc développer le nombre de places sur les aires d'accueil, dans une logique d'équilibre des droits et des devoirs. Pour cela, le Gouvernement a proposé de réelles avancées : concertation pour l'élaboration des schémas départementaux, soutien affirmé aux solutions intercommunales, définition de deux délais successifs communs à tous les acteurs, 18 mois pour l'adoption du schéma départemental, 2 ans ensuite pour la réalisation des aires. L'Etat consent aussi un important effort financier : 1,7 milliard de francs seront consacrés en 4 ans aux subventions à l'investissement et 300 millions à l'aide à la gestion créée par ce texte et qui sera de 10 000 F par place et par an. Enfin les moyens juridiques mis à la disposition des communes qui ont réalisé des aires seront renforcés.

Le Parlement, particulièrement l'Assemblée nationale, a enrichi le texte grâce au travail de la commission, en particulier de Mme Le Texier, sa rapporteuse.

Un travail très constructif avec le Gouvernement a débouché sur un texte qui reçoit globalement l'accord des deux assemblées, même si des points de divergence subsistent.

Le Gouvernement souhaite, comme votre assemblée, maintenir une obligation spécifique pour les communes de plus de 5 000 habitants, qui devront toutes s'impliquer, aménager une aire ou en co-financer l'aménagement. Ainsi, des réponses seront apportées même si une solution intercommunale n'est pas trouvée.

Comme le prévoit aussi le texte voté par votre assemblée, le préfet doit avoir les moyens de faire respecter les obligations fixées par la loi. Si, au terme du délai de 18 mois, le schéma n'a pas été conjointement adopté par le préfet et le président du conseil général, le préfet pourra unilatéralement le rendre applicable après publication. Si, au terme du délai de 2 ans après l'adoption du schéma, une commune n'a pas aménagé l'aire prévue, le préfet pourra procéder à l'aménagement au nom et pour le compte de cette commune.

Le bilan de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 montre que ces dispositions sont nécessaires, même si le Gouvernement souhaite que le préfet n'ait pas à les mettre en _uvre. La concertation est évidemment préférable à toute décision autoritaire, mais l'Etat doit avoir les moyens de garantir le respect de la loi.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Tout à fait !

M. le Secrétaire d'Etat - Enfin, le Sénat n'a pas repris le texte voté par votre assemblée sur la bonification de la DGF, qui favorise pourtant la solidarité entre les communes.

Le Gouvernement compte sur votre assemblée pour revenir à ces solutions efficaces. Ce texte est en effet très attendu par tous les acteurs, qui sont déjà mobilisés.

Certaines mesures comme le délai de 18 mois pour l'élaboration des schémas départementaux, entreront en vigueur dès la publication de la loi. Le Gouvernement veillera à la sortie rapide des textes d'application, il sensibilisera et mobilisera ses services, et il dégagera les moyens financiers nécessaires.

Une étape décisive va être franchie, mais beaucoup reste à faire pour que les communes, pleinement soutenues par l'Etat, accueillent enfin les gens du voyage dans des conditions dignes et apaisées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse de la commission des lois - Ce texte facilitera la vie de plusieurs centaines de milliers de citoyens en améliorant leur intégration dans un tissu national organisé pour une majorité sédentaire. Il renforcera la protection du domaine public et de la propriété privée contre les occupations illicites.

Avec notre vote en première lecture, il y a un an, commençait un long travail destiné à répondre à la demande des élus, des gens du voyage et des sédentaires. Tous les élus disaient alors combien il était du devoir des pouvoirs publics de prendre des mesures pour mieux accueillir les populations non sédentaires. Face aux tensions répétées, liées au manque de place, nous avons pris nos responsabilités en proposant un dispositif définissant les droits et les devoirs de chacun.

Depuis de nombreuses années, tous les acteurs constatent unanimement que l'insuffisance chronique d'aires d'accueil aggrave les difficultés et les oppositions entre les particuliers, les entreprises, les collectivités locales, qui voient leurs terrains illégalement occupés par des caravanes toujours plus nombreuses, et les gens du voyage qui se sentent reléguées et indésirables.

J'y insiste, la cause principale des stationnements illicites est le peu d'emplacements offerts. Chaque jour, 30 000 caravanes essaient vainement, de se garer sur 5 000 places... Nous en connaissons les conséquences : stationnements illicites, destructions coûteuses, incompréhensions réciproques, impossibilité de réprimer correctement les infractions.

Les stationnements illicites sont la plupart du temps des stationnements par défaut. Ils sont concentrés dans une même zone. Préfet, président de tribunal, commission « jouent la montre » pour ne pas avoir sans cesse à procéder à des expulsions.

Les pouvoirs publics ont tenté de résoudre la situation en 1990. Les moyens financiers ne suffisaient pas, les schémas départementaux étaient mal précisés, réaliser des emplacements n'était pas obligatoire : il ne s'en est pas créé en nombre suffisant.

En dix ans, un quart des communes ont réalisé des aires. Elles furent victimes de leur bonne volonté. Les gens du voyage y affluèrent, le stationnement illicite reprit, les communes voisines en tirèrent prétexte pour ne rien faire.

Il fallait en sortir. Des incidents parfois dramatiques rendaient urgent de légiférer.

Il y allait aussi de la cohésion régionale entre sédentaires et gens du voyage. Le Gouvernement a proposé un texte équilibré qui, pour la première fois, permet de garantir la réalisation d'aires en nombre suffisant dans une période limitée, ce qui est nécessaire pour garantir l'efficacité du dispositif.

En réalisant des aires en même temps partout où les gens du voyage ont l'habitude de circuler on évitera de créer de nouveau une situation où les communes qui appliquent la loi sont pénalisées.

Régler ce problème de stationnement est une priorité.

Comment en effet se pencher sur des modes de vie des gens du voyage sans, au préalable, assurer le droit fondamental de circuler librement et donc de pouvoir stationner ?

M. Charles Cova - Circuler, pas stationner !

Mme la Rapporteuse - Cette démarche constructive n'a plu ni à l'opposition de cette assemblée, ni à la majorité sénatoriale.

Nous voulions garantir la réalisation rapide des aires par une forte incitation financière et la possibilité pour le préfet de se substituer aux communes défaillantes ; le Sénat a privilégié une démarche certes partenariale, mais qui n'assurera pas la réalisation effective des aires.

Il a, ainsi que l'opposition à l'Assemblée, refusé le pouvoir de substitution du préfet, des délais limités pour la réalisation des schémas et des aires, laissée au bon vouloir des partenaires, tout en acceptant les aides de l'Etat et les dispositions protégeant la propriété et facilitant les expulsions.

Ce serait perpétuer la situation que j'ai décrite.

Je suis heureuse que nous ayons pu nous accorder sur la clarification des obligations que devront remplir les communes pour bénéficier des dispositions prévues à l'article 9, le rôle de l'Etat pour les grands rassemblements et l'accord sur la saisine du TGI en référé par les propriétaires de terrains à usage économique.

Mais je regrette que nous n'ayons pu nous entendre sur les moyens nécessaires pour réaliser rapidement les aires de stationnement. C'est pourtant ainsi que l'on sortira une fois pour toutes d'un discours d'exclusion et que l'on reconnaît le droit à la différence des gens du voyage.

Le rapporteur au Sénat a dénoncé la « suspicion » et la « défiance » de notre assemblée à l'égard des collectivités locales. Il n'y a ni suspicion ni défiance, simplement une impérieuse volonté de garantir l'harmonie entre toutes les composantes de la population nationale.

Ainsi, nous pouvons chercher à établir une égalité de traitement sur les aspects éducatifs -tout particulièrement- culturels, sociaux et économiques.

Jusqu'ici hormis l'amendement à la loi de 1990, le législateur n'est intervenu que pour encadrer les conditions de vie des gens du voyage par un arsenal de devoirs, de mesures parfois liberticides. La loi de 1912 qui institua le carnet anthropométrique ; la loi de 1969 l'abrogea mais définit les obligations pesant sur les personnes non sédentaires.

Ce projet équilibré et constructif établit clairement les droits et devoirs de chacun. Il met fin à la stigmatisation des gens du voyage, ce qui permet d'exiger qu'ils respectent les règles communes à tous les citoyens.

La CMP du 9 mai ayant échoué, et le Sénat ayant maintenu hier sa position, je vous propose de revenir au texte que nous avions voté le 23 mai.

Je remercie tous ceux qui m'ont aidée au long de ces douze mois de procédure législative et en particulier Daniel Vachez, responsable de ce projet pour le groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Yves Bur - Nous sommes tous d'accord sur l'objectif, faire cohabiter harmonieusement nomades et sédentaires. Mais nous ne le sommes pas sur les moyens.

Certes, il faut offrir un nombre de places de stationnement correspondant aux besoins des itinérants, et certaines mesures financières et techniques vont dans le bon sens.

Cependant, la démarche retenue est empreinte de suspicion à l'égard des élus locaux et lourde de contraintes. Nous avions espéré plus de confiance et d'incitation. Les navettes auraient permis d'aboutir à un consensus. Vous l'avez refusé.

Un procès d'intention injuste, la mise en _uvre de mesures coercitives risque de décourager les élus locaux. Pourtant, hier au Sénat, M. Masseret reconnaissait que la faiblesse des aides de l'Etat à l'investissement expliquait en partie l'échec de la loi de 1990.

Des solutions ont été proposées pour surmonter l'insuffisance de l'article 28 de cette loi. On pouvait abonder la DGF pour faire face aux investissements et à la réparation des dégradations. On pourrait donner aux maires plus de pouvoirs face aux stationnements sauvages. Les préfets ne leur apporteront pas toujours le concours de la force publique, au risque d'exacerber les réactions de la population.

Le groupe UDF ne pourra donc pas voter ce texte. Au-delà il faudra réfléchir à d'autres sujets touchant ces communautés, comme la scolarisation, les difficultés de sédentarisation de certains groupes, la meilleure connaissance des revenus et des aides perçues et de la situation fiscale des gens du voyage. Vous avez refusé de le faire sous prétexte d'éviter toute discrimination et ce refus perpétuera les situations de rejet que nous constatons actuellement.

Certes, pour garantir le droit à la dignité des gens du voyage, notre société doit faire preuve de tolérance. Mais elle doit, en contrepartie, exiger le respect de la loi. A défaut, l'acceptation des gens du voyage fera encore longtemps l'objet d'un débat passionné dont les premières victimes seront les gens du voyage eux-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

Mme Muguette Jacquaint - Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont conduit les députés communistes à approuver les dispositions de ce projet, lequel concilie la dignité et les droits des gens du voyage avec ceux des habitants et riverains des communes de passage ou de séjour.

Je ne reviendrai pas non plus sur les arguments avancés par la majorité sénatoriale et par l'opposition à l'Assemblée nationale, pour faire échouer ce projet. En limitant le débat au problème du stationnement illégal et en refusant le dispositif volontariste de réalisation d'un nombre suffisant d'aires d'accueil, les opposants au projet ne proposent aucune solution pour mettre fin aux discriminations dont les gens du voyage sont victimes.

Nous convenons que des efforts ont déjà été entrepris sur tout le territoire, mais le bilan reste insuffisant ! Il n'existe que 5 000 places de caravanes conformes aux normes alors qu'il en faudrait 30 000 !

Chacun reconnaîtra l'inefficacité de la loi de 1990. Dans ces conditions, ou bien nous nous donnons les moyens de la rendre efficace, et c'est précisément ce à quoi tend ce projet, ou bien nous nous accommodons de cette inefficacité et laissons perdurer le statu quo. C'est ce que nous propose la droite.

M. Charles Cova - Mais non, vous déformez nos propos !

Mme Muguette Jacquaint - Nous voterons ce projet qui réalise un équilibre satisfaisant entre la liberté constitutionnelle d'aller et venir, l'aspiration légitime des gens du voyage à stationner dans des conditions décentes et le souci légitime des élus locaux d'éviter les installations sauvages.

Ce projet de loi est de nature à faciliter le dialogue entre les parties concernées -collectivités locales, gens du voyage et populations- notamment sur les questions scolaires, économiques et sociales.

A ce propos, nous sollicitons des précisions sur la position du Gouvernement au sujet de la domiciliation des gens du voyage auprès d'associations. Un collectif, animé notamment par la Ligue des droits de l'homme et par l'association pour l'accueil des voyageurs, a l'intention de demander l'annulation, par le Conseil d'Etat, de la circulaire du ministère de l'intérieur qui refuse la validité de la domiciliation des gens du voyage auprès d'un organisme d'accueil. En effet, en vertu du principe d'égalité, cette domiciliation doit être autorisée pour permettre aux familles de bénéficier de leurs droits sociaux.

En conclusion, la loi que nous allons adopter est une première étape essentielle qui fera reculer les préjugés et facilitera l'insertion des gens du voyage, au bénéfice de tous.

Mme la Rapporteuse - Très bien !

M. François Goulard - Votre projet, Monsieur le ministre, est inspiré par une analyse classique du problème posé par l'accueil des gens du voyage. Je la résume en quelques mots : le stationnement anarchique des gens du voyage crée des troubles à l'ordre public, mais il a pour cause le manque de places dans les aires d'accueil. Par conséquent, créons de telles aires en nombre suffisant et nous pourrons réprimer le stationnement anarchique. Ce que vous proposez est au moins aussi contraignant pour les collectivités locales que pour les gens du voyage.

Mais je crois sincèrement que votre analyse, politiquement correcte et qui évite les sujets qui fâchent, est erronée.

Pourquoi les collectivités locales ne réalisent-elles pas suffisamment d'aires d'accueil ni d'équipements pour les gens du voyage ? Je prendrai l'exemple de ma commune de Vannes, qui vaut pour de très nombreuses autres communes. Depuis au moins vingt-cinq ans, cette commune se préoccupe réellement du problème des gens du voyage. Terrains d'accueil, scolarisation des enfants, mise à disposition de services sociaux adaptés : tout a été tenté et réalisé avec ténacité et abnégation. Mais le bilan de cette action est un immense découragement et même une profonde exaspération : exaspération des élus devant les dégradations continues, les saccages, les nuisances et l'augmentation de la délinquance ; exaspération des riverains devant la violence à leurs portes et ceci depuis des décennies. Alors, oui, les collectivités locales ont le plus grand mal à se convaincre -et surtout à convaincre leurs administrés- de la nécessité de réaliser des aires d'accueil. Les bonnes volontés sont profondément découragées et les incitations financières n'y changeront rien : si le problème était financier, il aurait été résolu depuis longtemps, d'autant que les sommes en jeu ne sont pas considérables. Ce n'est pas non plus la possibilité donnée au préfet de se substituer à la commune défaillante qui changera quoi que ce soit.

Il faut oser dire que la seule solution pour résoudre ce lancinant problème auquel nous sommes tous confrontés, c'est que l'Etat se donne les moyens de faire respecter la loi. Les collectivités locales seront alors heureuses de contribuer à résoudre les problèmes des gens du voyage, en particulier en ce qui concerne la scolarisation des enfants. En revanche, rien ne changera tant que prévaudra le sentiment d'impunité des comportements délictueux et que force restera non à la loi, mais à ceux qui l'enfreignent. Bref, c'est entre vos mains mais aussi entre les mains de vos collègues, Monsieur le ministre, ceux de la justice, de l'intérieur et de la défense pour la gendarmerie qu'est la clé du problème. Il nous appartient d'agir résolument. C'est ce que les Français attendent.

A défaut, votre loi, énième du genre, restera lettre morte. C'est, de mon point de vue, non un risque ou une probabilité, mais une quasi certitude.

M. Charles Cova et M. Yves Bur - Très bien.

M. Daniel Vachez - Après un an de discussion, nous nous apprêtons à adopter définitivement ce projet. C'est une profonde satisfaction pour tous ceux qui sont concernés par l'accueil et le stationnement des gens du voyage. Satisfaction d'autant plus grande si l'on songe au scepticisme qui régnait au début de cette législature devant l'attentisme qui prévalait depuis de trop nombreuses années. Les modifications législatives sans cesse réclamées étaient systématiquement différées.

Le Gouvernement, en particulier M. Besson, a compris qu'il était urgent d'agir pour mettre fin aux situations de blocage et de confrontation trop fréquentes dans nos communes.

Les députés socialistes n'ont pas ménagé leur soutien à ce texte tout en insistant pour qu'il réalise un équilibre satisfaisant entre droits et devoirs de chacun.

Le présent projet, tirant les conséquences d'un double diagnostic -la pénurie d'aires de stationnement et l'insuffisance des dispositions législatives en vigueur- s'articule autour de trois axes essentiels. D'abord il précise les obligations qui incombent aux collectivités locales. Dans un délai limité, chaque département doit se doter d'un schéma d'accueil des gens du voyage et chaque commune inscrite au schéma doit remplir ses obligations ; un pouvoir de substitution est donné au préfet dans l'hypothèse où ces obligations ne seraient pas respectées. Ensuite, il instaure une solidarité financière en faveur des communes qui aménagent des aires, en doublant l'aide à l'investissement et en créant une allocation forfaitaire pour les frais de fonctionnement. Enfin, il permet aux communes qui ont satisfait à leurs obligations d'obtenir plus facilement et plus rapidement un jugement d'expulsion des caravanes en stationnement irrégulier.

Nos débats ont permis d'améliorer sensiblement le texte : les obligations des communes ont été précisées afin qu'aucune ne puisse se défausser sur ses voisines et que, lorsque la situation l'exige, des communes de moins de 5 000 habitants puissent être inscrites au schéma. Nous avons également souhaité qu'un recensement des aires familiales soit annexé au schéma et que celui-ci prévoie des dispositions en matière d'accueil des itinérants travailleurs saisonniers.

L'aide majorée à l'investissement a été étendue aux quelque 5 000 places qui existent déjà mais nécessitent une mise aux normes. En outre, à notre demande, le Gouvernement a décidé sa mise en application dès l'automne dernier.

Le soutien financier de l'Etat aux communes a été renforcé par un abondement de la DGF. Les procédures en vue d'obtenir l'évacuation des caravanes qui stationnent illégalement ont été considérablement simplifiées grâce à la volonté de notre assemblée de soumettre le contentieux au seul juge civil. Enfin, l'extension de la faculté de recourir au référé heure à heure pour les propriétaires de terrains à usage professionnel permettra de répondre aux difficultés rencontrées par les chefs d'entreprises ou les agriculteurs.

Les maires disposeront donc de procédures plus simples, plus rapides et plus efficaces pour lutter contre les stationnements anarchiques. Nous sommes allés aussi loin qu'il était juridiquement possible ; j'en veux pour preuve le fait que le Sénat n'a pas apporté de modification de fond à l'article 9, sauf en s'opposant de manière peu compréhensible à l'unification du contentieux adoptée à l'unanimité par l'Assemblée.

L'enjeu de cette loi est de réaliser rapidement des aires pour répondre aux besoins des gens du voyage, ce qui réduira de façon mécanique les stationnements irréguliers. A cet égard, je remercie M. Goulard de sa franchise : il a tenu publiquement des propos qui correspondent au point de vue de certains élus locaux mais qui justifient pleinement le pouvoir de substitution du préfet. Je l'invite à voir ce qui s'est fait dans la région de Toulouse et je constate que son discours est en contradiction avec celui de M. Bur.

Il ne s'agit pas de conférer aux voyageurs de nouveaux droits, mais de leur permettre d'exercer effectivement leurs droits de citoyens français -scolarisation, accès aux soins, etc.- dont des conditions de stationnement stables et dignes constituent de toute évidence le préalable indispensable.

Le Sénat, maintenant les positions qu'il avait exprimées lors des lectures précédentes, a vidé ce projet de sa substance. Le groupe socialiste défendra tout naturellement un retour à l'équilibre, afin de disposer d'une législation cohérente et efficace. Bien sûr, nous n'allons pas résoudre tous les problèmes du jour au lendemain ; la mobilisation de tous sera indispensable : aux départements et communes d'aménager un réseau d'aires d'accueil adapté, aux gens du voyage d'accepter de se conformer aux règles de stationnement, à l'Etat de s'assurer de l'application effective de la loi. Mais par notre vote, nous allons manifester notre sens des responsabilités et exprimer notre conviction qu'un équilibre entre droits et devoirs de chacun est possible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles Cova - Lors des précédentes étapes de la procédure parlementaire, les membres du groupe RPR se sont efforcés de souligner les insuffisances de ce projet. Leurs efforts, comme ceux du Sénat, ont été vains. Bien que nous ne nous fassions guère d'illusion, il me paraît important de vous mettre en garde une dernière fois.

Comme le signalait déjà notre collègue Patrice Martin-Lalande le 23 mai dernier, ce projet, dans son état actuel, traduit une méfiance vis-à-vis des maires et des élus. En outre il se limite au problème du stationnement, alors que l'accueil des gens du voyage est une question beaucoup plus large.

Nous devons donner aux maires et aux préfets les moyens de faire appliquer la loi. Mes amendements, issus d'une proposition de loi que j'avais déposée en 1997, visaient à procéder à l'expulsion sans attendre une décision de justice ; un recours juridictionnel aurait cependant été possible, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L'unification du contentieux, décidée contre l'avis du Gouvernement, va à l'encontre de la répartition traditionnelle des compétences juridictionnelles. Elle va surtout à l'encontre du principe constitutionnel d'égalité, puisque le contentieux lié à l'occupation du domaine public sera soumis au juge judiciaire lorsqu'il concernera la présence des gens du voyage, et au juge administratif lorsqu'il s'agira de toute autre personne. Je me demande s'il n'y a pas là matière à saisir le Conseil constitutionnel.

Note deuxième regret, porte sur le sort que l'Assemblée nationale a réservé à une initiative sénatoriale visant à mieux protéger les biens des entreprises et à permettre aux maires d'intervenir directement auprès du préfet pour qu'il soit fait usage de la force publique. L'amendement du Sénat apportait une réponse concrète, à un problème qui est fréquent et aussi inacceptable que l'atteinte portée à un bien appartenant à un particulier. Mais nous ne sommes pas surpris de la position du Gouvernement et de la majorité, qui ont démontré le peu d'intérêt qu'ils portent au droit de propriété en privilégiant les droits de stationner et de circuler des gens du voyage.

Mme la Rapporteuse - Caricature !

M. Charles Cova - Il vous faudra expliquer à nos concitoyens et aux élus locaux votre choix politique. Nous vous souhaitons beaucoup de courage dans cette tâche difficile !

Vous l'aurez compris, nous serons conduits à nous prononcer contre ce projet, décevant comme une occasion définitivement manquée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Cochet remplace M. Forni au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

La discussion générale est close.

M. le Président - La CMP n'était pas parvenue à l'adoption d'un texte commun, l'Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle.

M. le Secrétaire d'Etat - Je remercie M. Vachez de son analyse, qui est strictement identique à la mienne.

Je remercie également Mme Jacquaint de ses propos. Le problème de domiciliation qu'elle a soulevé sera résolu par l'article 24 du projet de loi de modernisation sociale, sur lequel le Conseil d'Etat s'est exprimé favorablement ; l'examen de ce texte par le Parlement n'a été retardé que du fait de l'inscription du projet sur le quinquennat.

M. Bur a considéré que la suspicion et la coercition avaient été préférées à l'incitation. En réalité, l'effort financier qui a été décidé représente une incitation qui n'avait jamais eu d'équivalent.

M. Charles Cova - Ce n'est pas qu'une affaire d'argent !

M. le Secrétaire d'Etat - Nous ne parlons pas, Monsieur Goulard, d'un énième projet de loi : c'est la première fois que le Gouvernement prend une initiative sur ce sujet. L'article 28 de la loi du 31 mai 1990 résultait d'un amendement parlementaire, auquel je m'étais opposé au nom du Gouvernement, parce qu'il ne fixait pas d'obligation dans le temps et n'ouvrait pas de possibilité substitution de l'Etat.

Dans la même loi figurait un article créant les plans départementaux d'action pour le logement des démunis ; il indiquait qu'à défaut d'adoption de ces plans par les présidents de conseils généraux et les préfets dans un délai d'un an, une publication aurait lieu par arrêté ministériel. La seule existence de cette disposition explique peut-être qu'il n'y ait pas eu besoin d'une telle publication.

M. François Goulard - Ce n'est pas le même sujet !

M. le Secrétaire d'Etat - Que M. Goulard veuille bien s'en convaincre : je ne mets pas en doute la bonne volonté de la ville de Vannes. Dans la plupart des cas, si l'exaspération succède au découragement, c'est parce qu'aucun moyen n'existe pour procéder au gardiennage...

M. Charles Cova - S'agit-il de construire des camps retranchés ?

M. le Secrétaire d'Etat - ...mais la loi, pour la première fois, apporte une réponse à ce problème.

Ces questions dépendent, m'a-t-on dit, des ministères de la justice, de la défense ou de l'intérieur. Mais pensez-vous réellement qu'aucune mesure puisse être efficace si l'on en reste à 5 000 places de caravanes alors qu'il en faudrait 30 000 ? Que les collectivités locales commencent par faire leur devoir...

M. Charles Cova - Et après ?

M. le Secrétaire d'Etat - Et après, les dispositions prévues dans ce texte s'appliqueront, elles seront complétées par d'autres, que prendra le ministre de l'intérieur, je m'y engage. M. Chevènement, qui réunit tous les préfets en juillet, a souhaité que je leur présente ce texte. Soyez-en assuré : lorsque les collectivités locales se seront mises en conformité avec la loi, elles bénéficieront, si cela est nécessaire, du concours des forces de l'ordre.

Vous m'avez souhaité « bon courage », Monsieur Cova, et je vous en remercie. Mais je dois vous rappeler que si les maires qui, les premiers, ont appliqué les dispositions de la loi de 1990 n'ont pas été payés de retour, c'est qu'ils ont été très peu nombreux -c'est dans ce manque de solidarité que les inconvénients évoqués, bien réels, ont trouvé leur origine. Pensons donc aussi à eux, et souhaitons que les dispositions nouvelles soient suivies (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

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RÉFÉRÉ ADMINISTRATIF -CMP- (procédure d'examen simplifiée)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire. Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

M. François Colcombet, rapporteur de la commission des lois - C'est la concertation qui a prévalu au sein de la CMP, plutôt que le compromis, puisque, d'un côté et de l'autre, on s'est laissé convaincre. Pour l'article 3, qui concerne le référé-suspension, la rédaction du Sénat a été préférée, et celle de l'Assemblée pour l'article 4, qui traite du référé-injonction, et le dernier alinéa, ouvrant une action au préfet, a été abandonné sur la suggestion du Sénat.

Il a été décidé de ne pas modifier l'article 16 relatif aux études d'impact, pour éviter qu'une modification ne soit interprétée par les juges comme une invite à modifier une jurisprudence très satisfaisante.

Pour l'article 17 bis, qui traite des modalités de l'appel d'une décision de référé devant la cour administrative d'appel, c'est la rédaction de l'Assemblée qui a été retenue.

La codification du texte, qui posait d'épineux problèmes juridiques, a été longuement débattue. La solution choisie est la plus raisonnable, mais elle présente l'inconvénient de repousser l'application du texte au début de l'année prochaine -ce qui permettra aux magistrats de se familiariser avec la réforme qu'ils devront appliquer.

Si la concertation l'a emporté, c'est certainement que ce texte substitue un progrès apprécié de tous -au point que l'on se demande pourquoi cette heureuse réforme n'a pas eu lieu plus tôt.

La procédure est souvent aussi importante que le droit. A quoi sert-il, en effet, de proclamer de grands principes, si on ne peut les mettre en _uvre ? Or, sauf en matière pénale, la procédure est d'ordre réglementaire. Je suis de ceux qui jugent souhaitable qu'une réforme de la Constitution augmente les pouvoirs du Parlement dans ce domaine. En le faisant cette fois, nous avons heureusement innové (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Mme la Garde des Sceaux, empêchée, vous prie d'excuser son absence. Elle m'a demandé de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet relatif au référé devant les juridictions administratives qui revient dans votre Assemblée après qu'un accord, dont le Gouvernement se félicite, a été trouvé au sein de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion. Au cours des débats Mme Guigou a dit tout l'intérêt que le Gouvernement attache à ce texte qui, au-delà de son aspect technique offrira aux justiciables un juge administratif plus efficace car plus rapide, disposant des pouvoirs et des moyens procéduraux lui permettant de prendre, dans de brefs délais, les décisions que l'urgence commande.

Au nom de Mme la Garde des Sceaux, je tiens à saluer le travail minutieux et constructif auquel s'est livré le Parlement et à remercier votre commission des lois et plus particulièrement son rapporteur, M. François Colcombet, dont la double expérience de parlementaire et, dans une vie passée, de magistrat, ont été d'un apport notable.

Des amendements de portée significative ont été adoptés. L'Assemblée a ainsi contribué à enrichir le projet par de nombreux ajouts. En posant, par exemple, le principe selon lequel le juge administratif des référés devra statuer dans des délais très brefs, l'Assemblée a concouru à l'introduction d'une procédure adaptée aux spécificités du procès administratif, tout en offrant des avantages équivalents à celle du référé judiciaire à heure fixe. Votre Assemblée a, par ailleurs, perfectionné, à la suggestion de son rapporteur, la rédaction de l'article relatif aux atteintes aux libertés.

En commission mixte paritaire, vos deux assemblées, comme le souhaitait le Gouvernement, ont décidé de codifier les dispositions relatives au référé dans le code de justice administrative paru au Journal officiel du 7 mai et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2001. Elles ont aussi renuméroté la partie législative du livre V de ce code.

Il appartient maintenant au Gouvernement de prendre le décret d'application de la future loi ; sa rédaction est en cours. Entre temps, les magistrats et personnels des greffes des tribunaux administratifs devront se familiariser avec ces nouvelles procédures, afin d'exercer avec une pleine efficacité les pouvoirs qui leur sont ainsi conférés par la loi.

Enfin, je vous rappelle l'effort accompli depuis trois ans en terme de moyens donnés à la juridiction administrative. De nouvelles juridictions ont été créées ou le seront prochainement : ainsi, deux cours administratives d'appel ont été installées, l'une en septembre 1997 à Marseille, l'autre en septembre 1999 à Douai, et un nouveau tribunal administratif ouvrira ses portes à Cergy-Pontoise en septembre 2000. Pendant la même période, nous avons créé, pour l'ensemble de la juridiction administrative, 205 emplois de magistrats et de greffiers. Cet effort sera bien entendu poursuivi pour permettre, en particulier, la mise en _uvre satisfaisante de la présente réforme.

Le Sénat a adopté hier les conclusions de la commission mixte paritaire. Ce projet pourra, après votre vote aujourd'hui, devenir loi de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Perben - Le groupe RPR estime louable la finalité de la réforme proposée. Cependant, mieux aurait valu donner aux tribunaux administratifs des moyens supplémentaires suffisants que légiférer.

M. le Rapporteur - Jamais ils n'en ont eu autant !

M. Dominique Perben - De plus, il est regrettable que les services de la Chancellerie n'aient pas trouvé le temps de transmettre aux députés, depuis la première lecture, une étude d'impact digne de ce nom.

Pour ces raisons, le groupe RPR s'abstiendra.

M. Gilbert Gantier - Le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives a fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire et nous nous apprêtons à adopter définitivement un texte dont l'objectif est louable. Alors que le contentieux judiciaire et administratif s'accroît sans cesse, mettre l'accent sur les procédures d'urgence ne peut être accueilli que favorablement.

Mais une fois de plus, je dois dire ma déception quant aux modalités de cette réforme. Ce texte est un texte technique : personne ne le conteste, pas même notre rapporteur qui a lui-même admis que certaines dispositions relèvent davantage du règlement que de la loi. C'est pourquoi je suis heureux que la CMP n'ait pas versé dans le même travers. C'est le bon sens d'avoir estimé, à l'instar du Sénat, que la jurisprudence administrative qui assimile l'insuffisance de l'étude d'impact à son absence est suffisamment claire pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'inscrire dans la loi.

Je le disais, l'objectif de ce texte est louable, mais nous ne pouvons nous satisfaire de ce type de réforme qui est malheureusement assez révélatrice de la façon de procéder du Gouvernement. Vous prétendez vous attaquer aux dysfonctionnements de la juridiction administrative. C'est déjà bien de les reconnaître. Mais ce ne sont pas les aménagements techniques que vous nous proposez qui révolutionneront les juridictions administratives.

M. le Rapporteur - Il n'est pas question de révolutionner, mais de réformer.

M. Gilbert Gantier - Les procédures d'urgence ainsi mises en place ne seront, vous le savez bien, que des roues de secours insuffisantes pour remédier à l'incapacité de notre justice à traiter les affaires dans un délai raisonnable. Il paraît de surcroît bien léger d'envisager de mettre en place des procédures dont on sait qu'elles sont consommatrices d'effectifs et qu'elles supposent, pour être efficaces, une réorganisation du travail.

Or nous n'avons aucune information sur les moyens que vous comptez mettre en _uvre, comme c'est souvent le cas.

Bien que l'objectif poursuivi soit louable, nous ne pouvons voter un texte à l'aveugle. C'est la raison pour laquelle le groupe Démocratie libérale s'abstiendra.

M. le Rapporteur - Vos amis du Sénat l'ont voté !

M. Yves Bur - L'accroissement du nombre des affaires en attente et la lenteur des délais de jugement qui a d'ailleurs valu à la France d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, atteignent les limites du supportable.

Les justiciables éprouvent un sentiment d'injustice et d'arbitraire devant la longueur des procédures -y compris dans les affaires qui exigeraient un traitement rapide-, qui assure l'impunité à l'administration toute puissante.

La solution retenue est un assouplissement de deux principes fondamentaux du droit public, à savoir le caractère exécutoire des décisions administratives et l'interdiction de principe faite au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration.

De manière générale, la décision de référé répond à la demande des Français d'une justice simple et rapide, ce qui ne veut pas dire sommaire et expéditive.

Cependant, cette réforme, que nous accueillons favorablement dans son principe, ne pourra être un succès que si le Gouvernement y consacre les moyens financiers et humains nécessaires. Nous aimerions être rassurés sur le nombre de postes de magistrats et de greffiers que vous comptez créer.

Par ailleurs, il faut rester vigilant sur deux points.

Le premier porte sur la préservation d'une action administrative efficace. De plus en plus, les décisions des collectivités, même les plus modestes, font l'objet d'une opposition de véritables professionnels de l'obstruction. Le risque de recours abusifs est d'autant plus grand que la procédure se trouve allégée. Or ces recours contribuent à la paralysie de l'action administrative et à l'encombrement des juridictions administratives.

Second point, pour éviter les contentieux il est nécessaire de développer les moyens juridiques de conseil et d'expertise des collectivités. Parallèlement, nous devons stopper l'inflation des textes réglementaires et législatifs et associer davantage les élus à la définition des normes techniques nationales et communautaires.

Le groupe UDF votera ce projet tout en appelant à mener des réformes plus ambitieuses pour mieux répondre aux attentes des citoyens.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

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        POLYNÉSIE FRANÇAISE

M. le Président - L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, de trois propositions de loi organique relatives à l'élection de l'Assemblée de la Polynésie française.

La Conférence des présidents a décidé que ces trois propositions, pour lesquelles la commission des lois a conclu à l'adoption d'un texte unique, donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur de la commission des lois - Le texte que nous examinons vise à modifier les conditions d'élection des membres de l'Assemblée territoriale de Polynésie pour assurer une représentation à la fois plus démocratique, efficace et respectueuse des particularités de ce territoire.

Cet archipel, qui s'étend sur une surface égale à celle de l'Europe, connaît en effet une évolution démographique qui modifie la répartition de la population entre les îles. En outre, l'évolution statutaire en cours conduit à renforcer les compétences du territoire. Ces deux circonstances nous incitent à rechercher une meilleure représentativité à la fois démographique et géographique de l'Assemblée territoriale.

Il y a d'ailleurs consensus sur cette nécessité : des propositions de loi en ce sens ont été présentées par différents partis politiques.

Nos objectifs sont simples : rechercher la meilleure équité possible dans la représentation des populations. La jurisprudence du Conseil constitutionnel limite à 20 % l'écart avec une représentation strictement proportionnelle mais il nous a cependant semblé que la spécificité de la Polynésie justifiait des écarts un peu plus importants. Deuxième objectif, assurer une représentation propre de tous les archipels, compte tenu de leur diversité et de leur éloignement.

Il nous faut atteindre ces objectifs dans un délai assez rapide, le prochain scrutin ayant lieu en 2001. Nous devons procéder avec pragmatisme, sans transposer sur ce territoire nos oppositions de principe concernant les modes de scrutin.

Différentes voies ont été proposées. La première consistait à augmenter le nombre de sièges de la circonscription la moins bien représentée, celle des Îles du Vent. Cette solution semble difficile à retenir car pour parvenir à l'équité, il faudrait aboutir à une assemblée pléthorique -plus de 100 membres pour un total de 200 000 habitants, ce qui n'est pas raisonnable.

Autre voie proposée, établir une circonscription unique pour l'ensemble du territoire avec scrutin proportionnel. Cette solution assure l'égalité démographique mais ne garantit pas la représentation des différents archipels.

C'est pourquoi la commission a rejeté ces diverses propositions et adopté celle déposée l'an dernier par notre collègue Emile Vernaudon. Elle consiste à partir du chiffre de 41 sièges, qui paraît raisonnable, en modifiant la répartition en fonction de la population : mais comme ce calcul ne laisse plus qu'un seul siège aux île Australes et aux îles Marquises, M. Vernaudon propose de prendre deux sièges aux îles les plus peuplées pour assurer un minimum de deux conseillers à chaque archipel. Ce système aboutit à la répartition suivante 29 sièges pour les Iles du Vent, 5 pour les Iles sous le Vent, 3 pour les îles Tuamotu, 2 pour les Marquises et 2 pour les Australes.

L'écart de représentativité passe ainsi de 3,4 à 1,7, ce qui constitue un progrès significatif. En outre ce système coupe court à la polémique locale très forte suscitée par la proposition de circonscription unique. Il présente une méthode d'élaboration simple et claire. Je vous propose donc d'adopter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Le renforcement de la légitimité démocratique des assemblées locales est un objectif qui doit être poursuivi indépendamment de toute appartenance partisane.

C'est la raison qui nous conduit à examiner aujourd'hui une « proposition de loi organique destinée à améliorer l'équité des élections à l'assemblée de la Polynésie française », présentée par M. Emile Vernaudon, député de la Polynésie.

Il est souhaitable qu'une réforme de la répartition des sièges à l'Assemblée de Polynésie intervienne avant les prochaines élections, prévues en mai 2001. Il y a consensus sur ce point entre les différentes forces politiques polynésiennes. C'est pourquoi le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte. M. Caullet a présenté un rapport complet et objectif. Le Gouvernement partage son diagnostic sur le caractère insatisfaisant de la répartition actuelle des sièges à l'Assemblée de Polynésie française, qui, fixée en 1985, doit être actualisée en fonction des évolutions démographiques.

Il faut rééquilibrer la répartition des sièges au profit des Iles du Vent qui, avec près de 165 000 habitants au dernier recensement, soit près de 74 % de la population, ne disposent que de 53,6 % des sièges.

Or les règles sur la représentativité des assemblées élues répondent à deux exigences fortes : le principe d'égalité, qui impose que le suffrage de chaque électeur pèse d'un même poids dans l'expression démocratique, et un fondement démographique. Cela ne signifie pas qu'une stricte proportionnalité doive être respectée : la démocratie n'est pas la mathématique et le législateur garde une marge d'appréciation importante. Le Conseil constitutionnel a reconnu notamment, dans sa décision du 8 août 1985 sur la Nouvelle-Calédonie, la possibilité de tenir compte d'impératifs précis d'intérêt général.

On peut penser que la représentation par un nombre minimum d'élus d'archipels éloignés s'inscrirait dans cette jurisprudence, indépendamment du poids démographique réel de ces îles, car elle permettrait de prendre en compte la réalité des territoires, notamment leur éloignement de Tahiti, dans un ensemble polynésien vaste comme l'Europe.

Mais le critère de la population est toujours retenu par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d'Etat pour l'élection de députés comme des conseillers municipaux, ou pour le contrôle du découpage cantonal.

Aussi, la nécessité de procéder à un rééquilibrage de la représentation des Iles du Vent me paraît une exigence constitutionnelle, alors que se profilent les prochaines élections.

Ce diagnostic est largement partagé, comme le montre la multiplication des propositions de loi, en un peu plus d'un an. M. Vernaudon a eu le mérite de lancer le débat et c'est sa première proposition que nous examinons ce soir. Loin de penser que le nombre de ces propositions est synonyme de blocage, je suis convaincu que la volonté de trouver une solution peut déboucher sur une réforme rapide et je veux tenter d'y contribuer.

Nous pouvons envisager trois types de solutions pour assurer un meilleur équilibre dans la représentation des populations de Polynésie. La plus radicale est celle de M. Vernaudon dans sa dernière proposition, déposée début avril : la circonscription unique qui permet d'attribuer le même poids à chaque vote et qui garantit ainsi le strict respect du principe de l'égalité des citoyens devant le vote. Mais les archipels s'étendent sur un vaste territoire et ils ont leur propre personnalité. Est-il juste, dans le cadre d'un scrutin de liste dans une circonscription unique, de confier aux partis le soin de tenir compte de cette réalité dans l'élaboration de leurs listes ? On peut en outre se demander ce que le Conseil penserait d'un texte qui pourrait priver de facto les archipels de toute représentation. De plus, la rupture avec les règles en vigueur dans tous les autres territoires d'outre-mer ne manquerait pas d'être relevée : en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, à Wallis-et-Futuna comme à Saint-Pierre-et-Miquelon, plusieurs circonscriptions territoriales permettent de tenir compte de la diversité des territoires. Enfin, et ce n'est pas sans importance, le projet de circonscription unique n'a pas fait l'objet d'un large accord en Polynésie.

La seconde piste de réforme conduirait à augmenter sensiblement le nombre des membres de l'assemblée territoriale pour préserver la représentation des archipels tout en accordant une plus juste représentation aux Iles du Vent. Tel était le sens de la proposition de loi organique du sénateur Flosse qui envisageait de créer quatre sièges supplémentaires pour les Iles du Vent, les sénateurs en ayant même prévu six, ce qui donnait 59,5 % des sièges aux Iles du Vent. Cette proposition n'a pu poursuivre son chemin, la consultation de l'assemblée territoriale ne remplissant pas les exigences constitutionnelles. Dans la même logique, MM. Buillard et Perben proposent d'attribuer huit sièges supplémentaires. Cette solution est séduisante. Elle ne retire rien aux archipels, tout en permettant de progresser vers l'égalité des suffrages, les Iles du Vent ayant ainsi 61 % des sièges.

Ces propositions ne m'ont toutefois pas convaincu car nous sommes encore loin d'une représentation équitable des Iles du Vent.

En conservant le nombre actuel des sièges, soit quarante et un, il est possible d'envisager un meilleur équilibre.

En transférant sept sièges au Iles du Vent, la proposition de M. Vernaudon, que votre commission a adoptée, présente plusieurs intérêts : elle satisfait aux exigences constitutionnelles en assurant un rééquilibrage démographique avec 70 % des sièges pour les Iles du Vent ; en outre, les archipels continueraient de bénéficier d'une représentation supérieure à celle que commanderait la simple proportionnalité pour rapport à leur population et les Iles australes et les Marquises disposeraient ainsi de deux sièges.

C'est pour ces raisons que le Gouvernement est, lui aussi, favorable à ce texte qui permettra de sortir de longues années de statu quo.

A l'heure où la Polynésie s'engage dans un processus historique qui donnera aux Polynésiens les moyens d'assumer des responsabilités croissantes, il est nécessaire de renforcer la légitimité de l'assemblée territoriale tout en préservant l'équilibre politique et social du territoire. La démocratie en sortira gagnante.

Sur une telle réforme, chacun doit faire preuve d'esprit de responsabilité. Elle devra aboutir dans les meilleurs délais ; la concertation avec le Sénat devrait le permettre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Dominique Perben - Ce dossier, qui est loin d'être uniquement technique, n'a guère été abordé jusqu'ici dans un esprit consensuel. Ne nous voilons pas la face : c'est un secret de polichinelle que la proposition qui prévoyait la circonscription unique a donné lieu à des conversations entre des indépendantistes, M. Vernaudon et un éminent dirigeant du parti socialiste... Le rapporteur a beau jeu de s'étonner ensuite que cela provoque des réactions politiques !

Comment assurer une juste représentation de la population en tenant compte de l'équilibre de ce territoire dont le rapporteur a rappelé les spécificités ? La circonscription unique était une absurdité, qui présentait le risque politique considérable de déstabiliser le territoire. Tel n'était pas l'objectif de ses auteurs...

La proposition que j'ai cosignée avec M. Buillard revient exactement à la représentation équilibrée qu'avait prévue M. Lemoine -dont vous êtes assez proche, je crois, Monsieur le ministre- en 1985. La proposition de M. Vernaudon ne me paraît pas réaliste. L'argument du nombre des conseillers territoriaux ne tient pas : la communauté urbaine que je préside compte 65 membres, qui représentent 100 000 habitants et qui exercent des responsabilités bien moins importantes.

Passer de 41 à 49 n'a donc rien d'extravagant.

En outre je n'ai pas le souvenir qu'à l'occasion d'une modification des règles électorales en métropole on ait jamais réduit le nombre des élus.

M. Jacques Brunhes - Bien sûr que si ! Souvenez-vous du découpage Pasqua...

M. Dominique Perben - On a changé les limites des circonscriptions, on n'a pas réduit le nombre de députés, que M. Joxe avait précédemment augmenté de 100.

Cette maladresse sera mal perçue en Polynésie où elle suscitera des frustrations et où elle empêchera la bonne représentation de la diversité des archipels.

Cette affaire est importante, elle aurait mérité que le Gouvernement prenne ses responsabilités en déposant un projet de loi.

J'espère que la discussion avec les sénateurs permettra de parvenir à un nouveau texte plus réaliste et plus facilement applicable. Pour l'heure le groupe RPR, auquel s'associe le groupe DL, votera contre cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jacques Brunhes - Je partage l'opinon de M. Perben : il ne s'agit pas d'un texte technique, mais politique.

Je reprendrai les propos que nous tenions le 10 juin1999 sur la loi constitutionnelle. Je renouvelle à ce propos les protestations de mon groupe devant le fait qu'elle n'ait pas abouti à un congrès. Il aurait porté sur le Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi sur la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

D'un mot, à propos de la Nouvelle Calédonie, je regrette que l'on n'ait pas alors entériné l'accord fragile sur le corps électoral et le fameux tableau annexe. Il faudra bien le faire et respecter nos engagements, car nous risquerions des déboires.

Sur la Polynésie, je manifestais notre accord sur le renforcement progressif de l'autonomie à partir de 1984. Nos inquiétudes concernaient le respect des règles démocratiques eu égard à la pratique monarchique de M. Gaston Flosse. Tous les observateurs objectifs s'inquiétaient de l'exercice autocratique de pouvoirs exorbitants. S'y ajoutaient des problèmes de représentativité permettant à certains d'être élus avec trois fois moins de suffrages que d'autres. Chacun pouvait constater cette anomalie, notamment M. Perben.

M. Dominique Perben - D'où ma proposition.

M. Jacques Brunhes - Certains partis bénéficient de très faibles moyens, et le clientélisme règne. Les deux propositions de M. Vernaudon tendent à plus d'équité. Elles nous agréent.

L'une propose d'établir une circonscription unique. Le rapporteur l'écarte pour risque d'inconstitutionnalité. Mais la métropole forme une circonscription unique pour les électeurs européens sans que toutes les régions soient représentées parmi les élus. Il est de la responsabilité et de l'intérêt des partis de veiller à une juste répartition des candidats. Ce qui serait anticonstitutionnel, je le concède, c'est de réserver un quota à une partie d'archipel dans le cadre d'une circonscription unique.

Pour garantir une représentation des archipels les moins peuplés, l'autre proposition de M. Vernaudon, avec découpage en cinq circonscriptions sur la base du recensement de 1996, nous paraît équitable.

En revanche celle de MM. Perben et Buillard reprend celle du sénateur Flosse. M. Vernaudon propose de tenir compte de la démographie tout en assurant une représentation satisfaisante aux archipels les moins peuplés et une représentation suffisante aux Iles du Vent sous-représentées actuellement. Sa proposition y parvient sans augmenter le nombre de sièges, comme le proposent certains de façon suspecte.

Nous nous satisfaisons de l'urgence sur ce texte. Mais nous souhaitons que soit pris en compte le v_u de l'ensemble des partis progressistes polynésiens pour qu'aient lieu au même moment les élections municipales et les élections territoriales prévues trois mois après. Cela gommerait un peu les différences de moyens considérables au détriment des progressistes polynésiens. J'assure ces derniers de notre volonté d'assurer la décolonisation et de soutenir leur action pour construire une Polynésie souveraine où la France continuerait à exercer son influence, comme les progressistes polynésiens l'expriment dans leur mémorandum du 15 mars 2000.

Nous voterons la proposition de M. Vernaudon (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Bur - Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de prendre en compte l'évolution démographique en Polynésie française pour rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée territoriale, non sur les moyens pour y parvenir.

Au-delà de son apparence technique, cette modification comporte une dimension politique non négligeable. Il importe de ne pas bouleverser le pacte social conclu par l'ensemble des Polynésiens, alors même que ce territoire est entouré de pays en crise, ni de laisser prise à des considérations politiciennes ou électoralistes.

Depuis 1946, la répartition des sièges entre les 5 circonscriptions de l'Assemblée de la Polynésie française a été modifiée quatre fois dont la dernière en 1985 pour prendre en compte les évolutions démographiques. Les recensements de 1988 et 1996 ont révélé une forte progression démographique de la circonscription des Iles duVent.

En 1985 pour ne pas marginaliser la représentation des autres archipels, on avait fixé l'écart maximal de ratio de représentation entre les Iles du Vent et les Iles Australes inférieur à 2,5. Aujourd'hui cet écart atteint 3,4. Un réajustement est donc nécessaire.

La commission a certes écarté la proposition la plus déraisonnable de M. Vernaudon, et la circonscription unique. C'eut été marginaliser à l'excès les archipels les moins peuplés.

Le rapporteur propose de retenir la proposition de M. Vernaudon qui répartit différemment les sièges dans le cadre de l'effectif actuel de l'assemblée territoriale. Cela conduit à réduire le nombre de représentants de certaines circonscriptions. Imaginez les réactions que susciterait une telle réforme appliquée en métropole !

La commission a, en revanche, écarté la proposition consensuelle et équilibrée de MM. Buillard et Perben.

Sur un effectif porté à 49 sièges, les Iles du Vent en auraient 30 au lieu de 22 actuellement, les quatre autres circonscriptions conservant leur nombre actuel. L'écart entre l'archipel le moins peuplé et les Iles du Vent reviendrait à 2,6 comme en 1985.

Selon le rapporteur, cette solution nécessiterait de porter l'effectif à près de 100 membres pour atteindre une égalité parfaite. Telle n'est pas la demande de nos collègues ; la jurisprudence constitutionnelle n'impose en aucune façon de parvenir à une égalité parfaite.

Les évolutions démographiques à venir pourraient atténuer très rapidement la portée de cette réforme, juge également le rapporteur.

Or, le respect du principe constitutionnel d'égalité du suffrage implique : en premier lieu, la prise en considération des évolutions démographiques récentes ; en deuxième lieu, la prépondérance du critère démographique pour la répartition des sièges, sans que cette représentation doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque région ; enfin, la possibilité de pondérer cette répartition en prenant en compte, dans une mesure limitée, d'autres impératifs d'intérêt général.

A l'aune de ces critères, l'ajustement proposé par MM. Buillard et Perben, tout en tenant compte de l'évolution démographique, respecte la spécificité de la Polynésie française, marquée par une forte diversité économique et culturelle d'un archipel à l'autre.

Enfin, cette proposition a recueilli un large consensus dans ce territoire au sein de la majorité gouvernementale, comme du comité économique, social et culturel, mais aussi auprès des élus des Marquises, comme en témoigne la délibération de son assemblée du 27 mai 1999.

Améliorer la représentativité des assemblées est un souci constant. Cependant, on ne peut que s'interroger devant une réforme des règles du jeu électoral dans l'année précédant l'élection surtout lorsque cette réforme n'est soutenue que par la frange la plus extrême des responsables politiques locaux.

La majorité semble rechercher son intérêt électoral plutôt que l'intérêt du territoire concerné.

C'est pourquoi le groupe UDF défend le dispositif proposé par MM. Buillard et Perben et s'oppose à celui de M. Vernaudon (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Emile Vernaudon - Nous voici enfin réunis pour discuter des modalités d'élections des conseillers territoriaux polynésiens. Ce débat n'a été rendu possible que grâce à la proposition de loi organique que j'ai déposée le 9 mars 1999.

Il ne fallait surtout pas compter sur le Président du Gouvernement et ses amis pour remettre en cause un système électoral inégalitaire qui leur a permis de disposer jusqu'à présent, d'une majorité artificielle, grâce à la sur-représentation des archipels éloignés, largement acquis à leur cause par une politique gouvernementale clientéliste et partisane.

M. François Colcombet - Ce n'est pas faux.

M. Emile Vernaudon - En se fondant sur les derniers chiffres du recensement, la disproportion entre certaines circonscriptions de la Polynésie est saisissante : ainsi les Iles du Vent ne disposent que de 22 conseillers sur 41 alors que leur population compte 160 620 habitants sur 219 521. Quant aux quatre autres archipels qui ne représentent que le quart de la population globale, ils disposent de près de la moitié des sièges.

Cette situation, contraire à l'équité démocratique et à la morale politique, ne peut plus durer.

N'est-il pas anormal que certains conseillers territoriaux soient élus par cinq fois plus d'électeurs que d'autres ? Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 août 1985, a rappelé que le critère démographique est le critère essentiel, les données géographiques et humaines n'étant que secondaires pour le découpage et la représentation des circonscriptions électorales.

Depuis 1985, date de la dernière modification de la répartition des sièges de l'Assemblée polynésienne, l'écart de représentation est passé de 2,6 à 3,4 entre l'archipel le moins peuplé et les Iles du Vent ! Il était donc urgent de rééquilibrer cette répartition. La majorité locale ne s'y est résolue qu'à contrec_ur.

Le sénateur Flosse a d'abord déposé une proposition de loi, adoptée par la seconde chambre, dont la constitutionnalité était douteuse puisque l'Assemblée de la Polynésie n'a rendu son avis qu'après son examen par le Sénat. La commission des lois de notre assemblée ne l'a même pas examinée.

Ce fut ensuite au tour de Michel Buillard, soutenu par l'ancien ministre Dominique Perben, de déposer une proposition de loi portant à 49 le nombre des conseillers territoriaux, celui des archipels autres que les Îles du Vent restant inchangé, soit 19 conseillers. Mais elle n'a pas non plus été acceptée par notre commission, en raison des progrès insuffisants qu'apportait une telle mesure.

En fait, la proposition de loi organique que j'ai déposée cette année, instituant une circonscription unique en Polynésie, aurait permis de placer tous les conseillers territoriaux sur un pied d'égalité, chacun représentant l'ensemble de la Polynésie, après avoir été élu au scrutin de liste à un tour avec application de la proportionnelle intégrale à la plus forte moyenne sur l'ensemble du territoire. L'effectif global resterait inchangé, pour des raisons budgétaires évidentes, le nombre de 41 conseillers étant suffisant comparé à la population polynésienne. Cette proposition, qui respecte le principe : un homme, une femme, une voix, reçoit l'assentiment de l'opposition progressiste en Polynésie ainsi que de tous les Polynésiens épris de justice et de démocratie, malgré la levée de boucliers organisée par un président de gouvernement aux abois soucieux de conserver, par tous les moyens, une majorité artificielle, à son entière dévotion. La solution de la circonscription unique laissait espérer qu'un changement démocratique allait enfin se produire, car l'application de la proportionnelle intégrale assurait la défaite de la majorité locale actuelle. Cette solution avait reçu le soutien politique de toute la gauche plurielle. Elle était du reste proposée dans le Mémorandum conclu par les leaders des mouvements progressistes polynésiens, dont moi-même.

Néanmoins, le rapporteur de notre commission, après analyse et consultations, a préféré écarter cette proposition, estimant qu'elle comportait des risques sérieux d'inconstitutionnalité, car certains archipels auraient pu ne pas être représentés. Le risque était trop grave pour être couru car, en cas d'annulation par le Conseil constitutionnel, c'est le système électoral en vigueur qui s'appliquerait vraisemblablement aux élections territoriales de mai 2001.

C'est donc finalement ma première proposition, déposée en mars 1999, qui a été retenue par notre commission des lois : l'effectif global de l'Assemblée de la Polynésie resterait inchangé à 41, les Îles du Vent passant de 22 à 29 conseillers.

Hormis la circonscription unique qui a ma préférence, c'est évidemment la solution la plus juste, dans le cadre actuel d'un système de cinq circonscriptions en Polynésie. Cette réforme sera couplée à celle de la parité hommes-femmes qui verra l'entrée en force des femmes au sein de l'Assemblée de la Polynésie.

J'invite donc mes collègues à adopter ma proposition de loi destinée à améliorer l'équité des élections à l'Assemblée de la Polynésie française. Il y va de la démocratie en Polynésie !

Je remercie le Gouvernement d'avoir déclaré l'urgence sur ce texte, les élections territoriales devant avoir lieu en mai 2001. Mauruuru (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Michel Buillard - Les orateurs précédents ont longuement évoqué les circonstances qui ont provoqué le dépôt des trois propositions de loi soumises à votre examen. La radio indépendantiste de Polynésie n'a pas hésité à qualifier celles de M. Vernaudon « de propositions de loi d'opportunité, destinées à faire naître une nouvelle majorité et qui n'auront plus de raison d'être une fois appliquées ».

Notre indignation a été portée à son comble lorsqu'une dépêche de l'AFP nous a appris le soutien d'un responsable d'un parti de la majorité métropolitaine aux man_uvres des indépendantistes et de M. Vernaudon, un soutien contre nature à une coalition qui n'aurait rien de plus pressé que de demander l'indépendance de la Polynésie si elle devait un jour, pour notre malheur à tous, accéder au pouvoir.

La réaction des élus polynésiens, attachés aux valeurs républicaines et à la spécificité de la Polynésie française, ne s'est pas fait attendre. Quarante-six maires sur quarante-huit et plus de deux cents conseillers municipaux ont manifesté dans les rues de Papeete le 28 avril leur opposition résolue à la proposition de M. Vernaudon.

Le Conseil économique, social et culturel a déploré l'absence de garantie de représentation des archipels au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, qui pourrait compromettre l'intérêt général de tous les Polynésiens par ses conséquences économiques, sociales et culturelles prévisibles.

Devant la gravité de la situation, une délégation anti-circonscription unique s'est constituée. Représentative des institutions du territoire, de la société civile ainsi que de l'opposition autonomiste représentée par M. Boris Léontieff et Lucien Kimitete, elle n'a eu de cesse de dénoncer les dangers de la circonscription unique auprès de ses interlocuteurs métropolitains.

Par delà les clivages politiques, nous nous sommes unis pour défendre les valeurs républicaines et les droits fondamentaux des archipels en proclamant notre attachement à la France.

Pour comprendre les enjeux du débat, il faut tenir compte d'éléments historiques, sociaux, culturels et économiques.

Sur le plan historique, la rencontre des civilisations européenne et polynésienne a provoqué une baisse sensible de la population polynésienne. L'administration française a alors autorisé l'immigration de travailleurs pour faire face à la pénurie de main-d'_uvre.

Cette situation a atteint son paroxysme avec l'installation du Centre d'expérimentation du Pacifique en 1965. La forte demande de main d'_uvre qu'elle a suscitée a nui à la population des archipels.

Volontairement, ou involontairement, l'Etat a donc une part de responsabilité dans ce grand mouvement d'immigration qui crée des déséquilibres dans le domaine de l'habitat et qui affecte la cohésion sociale.

Après en avoir subi les inconvénients, les archipels doivent-ils encore être pénalisés dans leur représentativité ?

L'insularité, la dispersion géographique, l'éloignement -les Marquises sont, par exemple, à 1 200 km de Tahiti- renforcent les spécificités de chaque archipel. Cette situation complexe ne peut être analysée uniquement à travers la vision réductrice de certains états-majors politiques métropolitains. Par exemple, être progressiste aux Marquises ou aux Australes, c'est être respecté dans sa spécificité par le gouvernement polynésien et au sein même de la République. Notre gouvernement entend bien préserver cette spécificité et cette diversité dans un souci d'enrichissement de notre patrimoine commun.

Du point de vue économique, les différences sont également importantes.

Pour corriger les disparités liées notamment à l'installation du CEP, le territoire a mené une politique de développement, d'aménagement et de désenclavement des archipels de la Polynésie française.

Si la Polynésie est le premier producteur mondial de perles noires, elle le doit à l'archipel des Tuamotu-Gambier. Quant au tourisme, qui représente l'avenir économique du territoire et qui contribue au rayonnement de la France dans le Pacifique, il doit beaucoup aux  Iles sous le Vent. Ce bilan est à porter à l'actif de M. Flosse.

Réduire la représentation de ces archipels à l'Assemblée de la Polynésie, alors que leur population n'a fait que croître, constituerait une faute historique, à un moment déterminant du développement de la Polynésie.

Le risque d'une division du territoire de la Polynésie ne serait pas non plus à écarter. Le précédent de Mayotte est très présent à notre esprit. Est-ce cela que vous envisagez pour notre pays ? Je ne veux pas le penser. C'est pourquoi je vous demanderai de soutenir mon amendement visant à rétablir la représentation actuelle des archipels.

Daniel Vaillant a déclaré au Sénat : « Il importe de rééquilibrer la représentation des  Iles du Vent sans pénaliser celle des archipels éloignés sous prétexte qu'ils sont plus faiblement peuplés ». M. Guy Allouche a même ajouté : « La proposition de M. Vernaudon minore et sous-représente gravement les archipels des Marquises, des Tuamotu-Gambier, des Australes et des  Iles du Vent. La spécificité polynésienne commande de ne pas toucher à la représentation actuelle de ces archipels ».

Nous sommes donc bien d'accord : il faut maintenir la répartition actuelle des sièges dans les archipels pour tenir compte des particularités de la Polynésie française ; il faut augmenter le nombre de conseillers aux  Iles du Vent pour tenir compte de l'augmentation de la population ; il faut penser à l'avenir en prenant en compte les nouvelles tendances démographiques et la réussite de la politique du retour aux archipels.

Tel est l'objet de la proposition de loi déposée par M. Perben et moi-même, qui a reçu un avis très favorable de l'Assemblée de Polynésie française et du Conseil économique, social et culturel.

Tel est également l'objet de mes amendements. S'ils devaient faire l'objet d'un rejet au cours de cette séance, j'ose espérer que dans la suite de la procédure législative, chacun mesurera que cette réforme engage l'avenir de la Polynésie et qu'elle ne saurait être adoptée à la hâte en vertu de considérations politiciennes. J'ai pris acte des propos du président de la commission de lois selon lesquels des améliorations seront possibles.

L'usage républicain veut que l'on ne modifie pas un mode de scrutin moins d'un an avant les élections sans consensus. Or les populations concernées se sont résolument retrouvées autour d'une position qui transcende les clivages politiques. Il s'agit donc de savoir si l'on veut cultiver la démocratie en Polynésie ou faire le lit de la discorde et de la minorité menaçante (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

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ARTICLE UNIQUE

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9 du Règlement, l'article unique de la proposition de loi organique dans le texte de la commission.

M. Michel Buillard - Mes amendements 1 à 5 portent le nombre de représentants de 22 à 30 pour les Iles du Vent, de 5 à 8 pour les Iles sous le Vent, de 2 à 3 pour les Iles Marquises, de 2 à 3 pour les Iles Australes et de 3 à 5 pour les Iles Tuamotu et Gambier, soit au total à 49.

M. le Rapporteur - Une précision rédactionnelle tout d'abord : dans le texte qui vous est soumis, la cinquième circonscription concerne les Iles « Tuamotu et Gambier ».

La commission des lois a repoussé ces amendements pour les raisons que j'ai indiquées.

M. le Secrétaire d'Etat - Je précise à l'intention de M. Perben que le Gouvernement envisageait une révision de la loi de 1996 portant statut de la Polynésie après la révision constitutionnelle. Le Congrès n'ayant finalement pas été convoqué en janvier, il a semblé logique de faire venir en discussion les propositions de loi, un consensus existant au moins sur la nécessité de faire évoluer la représentation.

Si ces amendements améliorent un peu celle des Iles du Vent, on est encore très loin de l'équité : pour faire élire un conseiller, il faudrait 5 498 habitants aux Iles du Vent, 3 418 aux Iles sous le Vent, 3 222 aux Tuamotu-Gambier, 2 844 aux Iles Marquises et 2 270 aux Iles Australes. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à ces cinq amendements.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 2 à 5.

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

M. Michel Buillard - Mon amendement 6 est technique ; je constate que le Gouvernement a changé d'avis et m'a rejoint.

M. le Secrétaire d'Etat - L'amendement 7 du Gouvernement a pour objet de réécrire l'article 2 de la loi du 21 octobre 1952 en indiquant que les élections ont lieu à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne et que les listes doivent obtenir au moins 5 % du nombre des suffrages exprimés pour être admises à la répartition des sièges, et en réglant les cas d'égalité. Il est plus conforme que celui de M. Buillard aux textes en vigueur dans le code électoral ; sans doute M. Buillard pouvait-il s'y rallier puisqu'il a le même objet.

M. le Rapporteur - La commission des lois a été unanime pour approuver le principe de ces amendements ; je suggère de retenir celui du Gouvernement dont la rédaction est strictement conforme à celle du code électoral.

L'amendement 6 est retiré.

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Le titre est ainsi rédigé : « Proposition de loi organique destinée à améliorer l'équité des élections à l'Assemblée de la Polynésie française ».

L'ensemble de la proposition de loi organique, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance mardi 27 juin, à 10 heures.

La séance est levée à 20 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU MARDI 27 JUIN 2000

A DIX HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 2408) relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.

M. Patrick Rimbert, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges.(Rapport n° 2481)

2. Fixation de l'ordre du jour.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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