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Session ordinaire de 2000-2001 - 32ème jour de séance, 70ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 22 NOVEMBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

          HOMMAGE À LA MÉMOIRE
          DE JACQUES CHABAN-DELMAS 2

          FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2001
          (nouvelle lecture) 6

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 10

          QUESTION PRÉALABLE 15

La séance est ouverte à quinze heures.

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HOMMAGE À LA MÉMOIRE DE JACQUES CHABAN-DELMAS

M. le Président - Madame, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues. Jacques Chaban-Delmas a vécu comme il marchait, à grandes enjambées, presque à marche forcée ; comme il fonça sur Paris, avec le Général Leclerc, pour rejoindre l'homme du 18 juin et libérer la capitale ; faisant deux choses à la fois et réussissant l'une et l'autre, reçu Inspecteur des finances en 1943 et nommé Général de brigade en 1944, alors qu'il n'avait pas encore trente ans.

C'est en réalité dans la chaleur de l'été niçois, en août 1940, que Jacques Chaban-Delmas rencontre son destin. Ce soir là, sur les ondes brouillées de la radio de Londres, il entend pour la première fois la voix du Général de Gaulle, cette voix singulière et inoubliable, dans laquelle résonne l'écho de l'espoir et de la liberté. Ce soir là, il embrasse irrévocablement l'amour de la France et de la République. Il y sera fidèle. Méditons, mesdames et messieurs, l'héroïsme du jeune et fringant soldat, major de Saint-Cyr en 1939, qui rejoint l'action clandestine et « l'armée des ombres », pour rendre à son pays l'honneur et la dignité.

Mais il n'y eut pas que l'audace, le courage et le sens du devoir de celui qui sera fait compagnon de la Libération le 7 août 1945 par le Général de Gaulle. Il faut également rendre hommage à l'intelligence et au talent, essentiels à la naissance d'un homme d'Etat. Ces qualités lui firent choisir une carrière dans la haute administration, dont il apprit à connaître les rouages et les subtilités au Secrétariat général du Ministère de l'Information. Mais, pour cet homme de la génération de la guerre, de la Libération, de la reconstruction, la « vraie vie », sa vie, était ailleurs. Pour ce grand sportif, dont l'attitude physique a toujours illustré le dynamisme et l'enthousiasme, il fallait agir, aller de l'avant, en un mot : s'engager.

Il n'y a pas d'engagement véritable sans action sur le terrain. En 1946, Jacques Chaban-Delmas fait de la Gironde sa terre d'élection et de Bordeaux son fief. Arpentant la terre bordelaise, respirant l'odeur de ses chais, il la découvre, apprend à la connaître et à l'aimer, d'une passion toute charnelle et terrienne. Entre Bordeaux et son « Duc d'Aquitaine », l'histoire d'amour durera près d'un demi-siècle. Une fidélité digne d'un record, qui flattait certainement son tempérament de sportif.

Je veux aussi, bien sûr, saluer en Jacques Chaban-Delmas le ministre passé par les plus hautes charges de l'Etat. Après-guerre, il apporta au Parti radical sa jeunesse, son charme, son énergie. Grande figure de la IVe République, il a collectionné les maroquins, passant des Transports à la Défense mais, partout, il s'est attaché à agir au nom de l'intérêt général, du service public et du bien commun. Ce fut cela, aussi, sa droiture : faire vivre les valeurs qu'il avait reçues en précieux héritage de ses camarades de la Résistance.

Dans tous ses mandats, ardent et passionné, il n'a cessé de se battre pour la grandeur de la France, pour la « certaine idée » qu'avec l'homme de Colombey, il avait aussi de notre pays. Avec lui, Jacques Chaban-Delmas connut ce déchirement intime, lorsqu'il faut mettre en balance certaines convictions et la fidélité à l'homme admiré. Il sut se confronter à lui, s'en écarter pour mieux le rejoindre, mais jamais il ne supporta qu'on puisse ne pas le respecter, ou pis, qu'on ose le trahir. C'était là son exigence et sa fidélité.

Toute sa vie, Jacques Chaban-Delmas batailla, avec panache, pour la présence du gaullisme. L'Histoire, en 1958, lui donna raison. Alors qu'on enterrait la IVe République et qu'avec la Ve naissait un nouvel espoir, il s'illustra dans une permanente défense de la politique d'un Président de la République, qu'il avait tant souhaité voir revenir au pouvoir. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer d'entretenir des liens, parfois intimes, toujours solides, avec d'anciens compagnons d'armes, devenus des adversaires politiques ; témoignant, par ses amitiés et son comportement, de sa tolérance et de sa volonté d'ouverture. L'amitié aussi résume sa vie. Ce fut certainement sa force, peut-être sa faiblesse, assurément son grand mérite.

De cette personnalité élégante et séduisante, certains ont partagé les engagements, d'autres les ont combattus. Aussi dure soit-elle, c'était ainsi qu'il concevait la lutte politique : se battre pour gagner mais savoir accepter la défaite.

Quelle vie, à plus forte raison une vie politique, n'a pas connu ses échecs, ses revers et ses déconvenues ? Aussi brillante qu'ait été celle de Jacques Chaban-Delmas, elle n'a pas échappé à la règle. Petitesses et trahisons ne lui ont pas été épargnées. Ces moments douloureux pour lui, le départ de Matignon, la défaite de 1974, point n'est besoin de s'y attarder, chacun les connaît et l'heure n'est pas, aujourd'hui, à cela. Non pas pour voiler la réalité, mais parce que la réalité de celui qui restera pour l'Histoire « Chaban », c'est le succès, « l'intensité » comme il le disait en reprenant un mot prêté à Georges Clemenceau ; mais aussi l'Ardeur dont il fit le titre d'un de ses ouvrages.

Le succès, il est évidemment parlementaire. Jacques Chaban-Delmas est, depuis 1789, celui qui aura présidé le plus longtemps l'Assemblée nationale issue du suffrage universel direct, en étant élu six fois à ce fauteuil. Il est celui qui a voulu rendre un rôle véritable au pouvoir législatif, quand l'heure était à un exécutif tout-puissant. Il est celui qui disait : « L'assentiment de la Nation à l'action gouvernementale, il faut d'abord le recevoir du Parlement ».

Sa présidence fut le fruit d'une rencontre, décisive, entre un homme et une institution. Avec d'autres, j'en ai été le témoin : il montra dans l'art de présider les débats une exigence, une autorité, parfois même une sévérité, mais aussi une chaleur et une courtoisie, qui surent lui gagner l'amitié et le respect de tous les parlementaires. « Le fauteuil du président, écrit-il dans ses Mémoires, est un tonneau de vigie d'où l'on peut se voir lever les tempêtes ». Son sens du dialogue et de l'équité surent bien souvent les prévenir, sans jamais priver les discussions des confrontations si nécessaires à la marche des idées, à l'exercice quotidien de la démocratie.

Pendant de longues années, il consacra ses efforts, son énergie, à moderniser l'Assemblée nationale et à lui donner la place qui devrait être la sienne dans notre démocratie. La création des questions d'actualité, brèves, improvisées -du moins en principe-, illustre cette volonté de rappeler au Gouvernement sa responsabilité à l'égard de la représentation nationale. Attentif aux attentes et aux aspirations de chaque député, il décida, enfin, en 1969, de leur donner les moyens d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions, en leur permettant de disposer d'un bureau personnel à Paris. Ce fut l'acquisition et la construction du n° 101 de la rue de l'Université inauguré le 2 avril 1974. En hommage à son engagement si sincère en faveur de notre Assemblée, j'ai proposé à son Bureau de donner le nom de Jacques Chaban-Delmas à ce lieu de rencontres, de travail et de réflexion.

Jacques Chaban-Delmas fut sans doute -sans oublier Edouard Herriot, mais ce rappel ne lui aurait pas déplu- notre plus grand président. Il avait pour chacun, une parole, un geste, un sourire, qui laisseront son souvenir à jamais vivant dans cette maison. Sa maison.

Mais, aussi profond qu'ait été son engagement parlementaire, on peut gager que ce qui restera durablement de Jacques Chaban-Delmas, c'est le discours qu'il prononça le 16 septembre 1969, de sa voix elle aussi singulière et inoubliable, pour demander, trois mois après sa désignation comme Premier ministre par Georges Pompidou, la confiance de cette Assemblée. Certes pas pour que le revendique un camp qui n'était pas le sien, même si on le retrouva parfois, durant la IVe République, aux côtés de Pierre Mendès France ou de François Mitterrand.

Mais ce discours qui, trente et un ans après, n'a pas subi l'usure du temps, était plus que « nouveau » comme devait être « nouvelle » la société qu'il imaginait. Il était prémonitoire. Il était, au sens noble du terme, celui d'un visionnaire.

Ce qui, à l'époque, on me permettra de le dire, heurta davantage sa majorité que l'opposition, fait maintenant partie des acquis de la République dont nous sommes tous légitimement fiers, de ces principes qu'aucun changement politique ne saurait désormais remettre en cause. Pour mettre fin à ce qu'il appelait lui-même une « société bloquée », ne proposait-il pas déjà la formation professionnelle continue, la réduction du temps de travail, la liberté de l'information, la décentralisation, la nécessaire « transparence » de l'Etat ? Déjà, il annonçait une modification de la présentation du budget afin de le rendre plus intelligible.

Cette « nouvelle société », il la voulait « plus juste », « plus solidaire », « plus humaine ». Elle fut son rêve, partagé avec enthousiasme par ceux qui l'accompagnaient dans cette démarche. Un idéal auquel, une vie durant, il ne renonça jamais. Il doit aujourd'hui rester le nôtre. Comment trouver plus belle manière d'honorer sa mémoire ? Comment rendre plus bel hommage à son souvenir ?

La conclusion de ce trop bref éloge, au regard de la personnalité d'un tel homme, c'est encore à Jacques Chaban-Delmas que je la demanderai en vous lisant ce qu'il disait, ici même, il y a quatre ans, lorsqu'il devint notre président d'honneur : « Nous avons entretenu, disait-il, les uns et les autres, quelle que soit notre appartenance politique, des relations confiantes, cordiales, familiales. Cela a été possible non seulement parce que les personnes que nous sommes étaient attentives au respect de l'autre, mais aussi parce que nous avons été réunis, regroupés, rassemblés par un idéal dans lequel nous communions et qui peut se résumer en deux mots : la France et la République ».

A l'évidence Jacques Chaban-Delmas nous manquera. Il nous manque déjà.

Devant vous, Madame, devant les enfants de notre Président aujourd'hui disparu du monde des vivants, et devant lui, devant cette flamme qui ne s'éteindra pas dans les livres d'Histoire de France, notre hémicycle s'incline avec déférence et émotion.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, Madame, par la voix de son président, l'Assemblée nationale vient de saluer pour une ultime fois celui qui, à trois reprises et pendant seize années au total, aura présidé à ses travaux. A mon tour, au nom du Gouvernement, je voudrais rendre hommage à Jacques Chaban-Delmas.

Je le connaissais peu, personnellement. Une génération nous séparait. Nous étions engagés de part et d'autre d'une ligne de partage politique. Mais Jacques Chaban-Delmas ne pouvait m'être étranger car il était familier à tous les Français. Sa trajectoire personnelle avait su d'ailleurs dépasser les clivages partisans. La fonction de Premier ministre qu'il a assumée durant trente mois m'est aujourd'hui confiée. C'est à ce titre que je voudrais saluer en lui un homme de conviction qui a marqué notre vie politique.

De Jacques Chaban-Delmas, les Français connaissaient tous le sourire. Celui d'un général de 29 ans, dont la jeunesse conquérante avait surpris, puis aussitôt séduit, le général de Gaulle, le 24 août 1944, sur un quai de la gare Montparnasse. Ce sourire éclairait un visage que la beauté a toujours animé, dans l'âge mûr et jusque dans la vieillesse. Jacques Chaban-Delmas avait du charme, de l'élégance, de l'allure.

Cette prestance n'était pas une posture. Elle n'était pas seulement un don de la nature. Elle était aussi une conquête, faite de volonté et de discipline, de travail sur soi-même et de force d'âme. Enfant fragile, Jacques Chaban-Delmas avait décidé de se forger un corps solide. Il y parvint. Sportif, il l'était dans toute la plénitude de ce mot. Le sport était pour lui une philosophie de la vie. Jacques Chaban-Delmas aimait l'effort et le dépassement de soi. Il avait le goût de la performance personnelle, le sens du collectif et la fierté de ceux qui savent faire vivre le beau jeu. Il avait chevillé au corps le respect des règles et le respect de l'autre -envisagé comme un adversaire et jamais comme un ennemi-, c'est-à-dire le respect de soi-même. C'est pourquoi il fut toujours surpris lorsque ces règles n'étaient pas respectées contre lui.

Il s'était forgé une morale pour la vie, pour sa vie, et pour la vie politique en particulier. Jusqu'au bout, Jacques Chaban-Delmas a conservé cette stature. Jusqu'au bout, il fut un combattant, face à la maladie, face à la douleur. Car Jacques Chaban-Delmas avait en lui, selon ses propres mots, un « immense appétit de vivre ».

Cette ardeur, Jacques Chaban-Delmas l'a mise au service de la France, cette France que sa mère lui avait appris à aimer avec passion. Cette France, qu'il n'accepta pas de voir humiliée, et encore moins trahie. Démobilisé après le désastre de 1940, Jacques Delmas, devenu « Lakanal » puis « Chaban », fut un résistant de la première heure. Les hautes responsabilités qui lui furent alors confiées par le général de Gaulle donnent la mesure de sa résolution. Délégué national de la coordination militaire pour l'ensemble du territoire, il prit une part importante, avec les Forces françaises de l'intérieur et la Deuxième division blindée du général Leclerc, à la Libération de Paris.

De la Résistance, où s'étaient retrouvés des Françaises et des Français de tout bord et de toute condition, il avait conservé des amitiés inébranlables. Il gardait la reconnaissance du rôle joué, dans l'ombre, par tous ceux que la vie allait ensuite séparer. Il éprouvait ainsi pour François Mitterrand une « fraternité obscure », pour reprendre sa propre expression, faite d'estime et de respect.

Compagnon de la Libération, Jacques Chaban-Delmas était indéfectiblement attaché au général de Gaulle. Il est resté, jusqu'au bout, gaulliste. A sa manière, souple et ouverte. Et c'est pour servir cet homme qu'il admirait et qu'il aimait que Jacques Chaban-Delmas est entré, pour un demi-siècle, dans la vie politique.

Député de la Gironde, maire de Bordeaux, jamais peut-être le destin d'un homme ne s'est autant confondu avec l'histoire d'une ville. Cinquante ans durant, « Chaban », c'était Bordeaux. Et Bordeaux, c'était « Chaban », au point d'y dépolitiser quelque peu les débats. Dans les rues de la ville, qu'il parcourait inlassablement, comme dans le reste de l'Aquitaine, sa silhouette était connue, reconnue et respectée. Il resta toujours un homme simple, très ponctuel, attentif aux autres, ouvert à tous.

Au sein de la République qu'il avait tant contribué à rétablir, il fut une grande figure politique. Sous la IVe République, il voulut être présent, entrant au parti radical, car il aimait faire bouger les lignes et ne se voyait pas enfermé dans un des camps d'une vie politique point encore bipolarisée. Il n'a momentanément quitté l'Assemblée nationale que pour exercer, en particulier auprès de Pierre Mendès France, des fonctions ministérielles importantes. Il soutint le retour du général de Gaulle au pouvoir et travailla à l'instauration de la Cinquième République. Elu Président de l'Assemblée nationale en 1958, il n'a quitté « le perchoir » que pour devenir, en 1969, Premier ministre, à la demande du Président Georges Pompidou.

La France connaissait alors une situation ambivalente. Prospère, la France des « Trente Glorieuses » restait, pour Jacques Chaban-Delmas, une « société bloquée ». Stable, le régime de la Cinquième République ne satisfaisait pas les attentes d'un nombre croissant de Français : attentes de libertés, de justice sociale, de modernité, d'une société plus ouverte et plus mobile. Nombreuse, la jeunesse née dans l'immédiat après-guerre voulait prendre toute sa place dans une société encore trop crispée et trop autoritaire. Elle l'avait exprimé dans le mouvement de 1968. Tout cela, Jacques Chaban-Delmas sut le percevoir. Il voulut le traduire en un projet.

Jacques Chaban-Delmas esquissa alors une vision de la France. Dans son discours du 16 septembre 1969, fidèle à ses préoccupations de dialogue, le Premier ministre qu'il était entendait dessiner les contours d'une « Nouvelle Société ». Une société plus généreuse, modernisée économiquement, sachant surmonter ses blocages et rénover ses relations sociales ; une société s'ouvrant au pluralisme de l'information ; une France aux territoires mieux équilibrés et tournée vers l'Europe ; une société qui ferait plus de place à sa jeunesse, où la culture et les loisirs deviendraient plus largement accessibles. Il sut pour cette action attirer comme collaborateurs des hommes de talent et sincères, dont certains, comme Jacques Delors, qui n'étaient pas de sa famille politique.

Jacques Chaban-Delmas, s'il en avait la volonté, n'a pu conduire longtemps de mouvement de changement. On ne lui en a pas donné les moyens. Car, sur le moment, sa vision ne fut pas partagée par ceux dont il escomptait le soutien. Il en tira les conclusions et, quelques semaines après une large confiance obtenue à l'Assemblée nationale, donna la démission qui lui fut demandée par le Président Pompidou. Son talent, son expérience et l'estime que lui portaient les Français l'amenèrent logiquement à être candidat, le candidat des gaullistes, en 1974, à la présidence de la République. Là encore, il ne put atteindre son but. Il en conçut, légitimement, de l'amertume, celle des « espérances blessées », comme il qualifiait lui-même, dans ses Mémoires pour demain, cette période de sa vie politique. Mais il le supporta dignement.

Les Français étaient très attachés à Jacques Chaban-Delmas. Pas seulement en raison de son action politique, à laquelle il fut passionnément dévoué. Mais aussi parce qu'il était un homme qui, plus encore que la politique, aimait la vie. Et la vie l'a beaucoup aimé. Jacques Chaban-Delmas était un homme heureux. Heureux parce qu'il était aimé, heureux parce qu'il aimait. Pour la dernière partie de sa vie, aux côtés de son épouse Micheline, il a vécu sereinement, patriarche entouré de sa famille recomposée, de ses enfants et petits-enfants.

Homme dressé contre la fatalité, entré jeune dans l'Histoire, Jacques Chaban-Delmas fut un grand serviteur de Bordeaux, de la République, de la Nation. Il nous a laissé un message fait de loyauté et de fidélité, de conviction et d'esprit de compromis, de modernité et de générosité. Ce message doit continuer d'inspirer les femmes et les hommes qui, au sein de cet hémicycle -qu'il aimait tant- et au-delà dans le pays, travaillent tous, dans la diversité de leurs convictions respectives, à ce que vive une France forte et juste (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

M. le Président - En signe de deuil, la séance est suspendue.

La séance, suspendue à 15heures 30 est reprise à 17 heures 10 sous la présidence de M. Lequiller.

PRÉSIDENCE de M. Pierre LEQUILLER

vice-président

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FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2001 (nouvelle lecture)

M. le Président - M. le Premier ministre m'informe que la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution à une nouvelle lecture.

En conséquence l'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de ce projet.

M. Claude Evin, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'assurance maladie et les accidents du travail - J'interviendrai essentiellement sur l'article 42 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Sur tous les autres articles ayant trait à l'assurance maladie la commission souhaite le retour au texte voté par l'Assemblée en première lecture.

S'agissant du fonds d'indemnisation, un excellent travail a été accompli avec l'association nationale des victimes de l'amiante et la fédération nationale des accidentés du travail qui ont défendu les victimes devant les juridictions. Presque toutes les dispositions qu'elles souhaitaient ont été introduites par amendement en première lecture à l'Assemblée.

Depuis lors cependant, elles s'interrogeaient sur des points dont la rédaction n'était pas suffisamment précise.

D'abord certains médias ayant parlé d'un marché de dupes, elles se demandaient si la création du fonds d'indemnisation empêcherait les victimes d'engager toute autre procédure. Je le dis clairement -et les associations elles-mêmes ont reconnu qu'il s'agissait d'une mauvaise interprétation- l'existence d'un fonds de réparation ne saurait empêcher les victimes de faire valoir tous leurs droits. Du reste, rien ne les oblige à saisir en priorité le fonds, les procédures de droit commun continuant à s'appliquer. Il n'a jamais été question de les empêcher d'engager des procédures pénales. S'agissant des procédures en réparation, le fonds doit accorder réparation intégrale du préjudice. Dès lors, une victime ne saurait engager une nouvelle procédure pour obtenir une autre réparation sur le fondement du même préjudice.

Le Sénat a retiré cette précision du texte, la jugeant inutile et les associations se sont ralliées à cette position. Tel n'est pas mon cas. Il ne me paraît pas possible de rester dans le flou, comme ce fut le cas dans la loi de 1991 qui a créé le Fonds d'indemnisation de victimes du sang contaminé. En effet, c'est précisément pour cette raison que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. C'est pourquoi il convient aujourd'hui de préciser les choses.

En cas de faute inexcusable de l'employeur, il fallait indiquer que la réparation pouvait être supérieure à ce qu'elle aurait été dans le cadre de la réparation intégrale par le fonds. La commission a donc adopté un amendement précisant que le fonds pourra offrir une nouvelle indemnisation. Je défendrai, à titre personnel, un amendement obligeant le fonds à engager une procédure dans le cas d'une faute inexcusable de l'employeur, car cela me semble important pour la prévention.

La commission des affaires culturelles a adopté à l'unanimité l'article 42, qui crée ce Fonds. Ainsi, nous avons parachevé notre travail, en bonne relation avec les associations de victimes, et facilité la réparation pour les victimes de l'amiante (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour les recettes et l'équilibre général - Je salue le travail du Sénat, qui a adopté conformes dix-huit articles -ce qui allégera cette nouvelle lecture-, y compris l'amendement sur les fermiers généraux.

M. Bernard Accoyer - Et qu'en font les fermiers généraux eux-mêmes ?

M. Alfred Recours, rapporteur - Mais je concentrerai mon propos sur les trois désaccords essentiels entre nos deux assemblées.

Le Sénat a tout d'abord refusé la réduction dégressive de CSG proposée par le Gouvernement. Il n'est pas faux de dire que la situation familiale n'a pas été prise en considération dans le calcul de cette réduction, mais ce défaut est inhérent à la CSG. Le Conseil constitutionnel a déjà donné un brevet de constitutionnalité à la CSG qui est un impôt cédulaire, ne prenant pas en compte le foyer fiscal. En outre, le mécanisme de crédit d'impôt que propose le Sénat en remplacement n'est pas plus équitable, puisqu'il ne concerne que les personnes imposables. Plutôt que de supprimer une baisse d'impôt au motif qu'elle ne serait pas applicable, l'Assemblée a préféré en faire bénéficier le plus de personnes possible.

Deuxième désaccord : le Sénat a supprimé le financement du FOREC pour 2001, au motif que ce « vampire » sucerait le sang financier de la sécurité sociale pour payer les 35 heures .

M. Bernard Accoyer - C'est vrai !

M. Alfred Recours, rapporteur - Mais le Sénat n'a supprimé que les ressources du FOREC pour 2001, non le fonds lui-même ! Ainsi, les exonérations de cotisations ne seraient pas compensées à la sécurité sociale. Bel exemple de bonne gestion financière que nous donnent là les sénateurs !

En outre, il est faux de dire que le FOREC finance les 35 heures puisqu'il reverse tout ce qu'il reçoit à la sécurité sociale : 42 % à la branche maladie, 8 % aux accidents du travail, 30 % à la branche vieillesse et 20 % à la branche famille. Sur les 85 milliards de francs du FOREC, 41 milliards sont liés à la ristourne Juppé et seulement 30 milliards destinés aux aides aux 35 heures.

M. Marcel Rogemont - Voilà un rappel fort utile à M. Accoyer...

M. Alfred Recours, rapporteur - Enfin, le Sénat a décidé de retirer 18,5 milliards en 2001 et 102 milliards à terme, en 2020, au fonds de réserve pour les retraites, car il est opposé à l'affectation à la sécurité sociale des recettes provenant de la vente des licences de téléphonie mobile de troisième génération. Le Sénat montre ainsi son peu d'empressement à défendre le système des retraites par répartition.

Enfin, le Sénat a tout simplement décidé de supprimer l'ONDAM. Mais il a oublié de minorer à due concurrence l'objectif de dépenses de la branche maladie. Il a également rendu la loi de financement inconstitutionnelle, en en ôtant une disposition que la loi organique de 1996 rend obligatoire. Plutôt que de chercher à dépenser mieux, au bénéfice de la santé des Français, les sénateurs pensent qu'il est possible de dépenser sans compter, sans maîtriser les dépenses de santé. La majorité sénatoriale refuse de débattre de l'assurance maladie dans le cadre qu'elle a elle-même fixé, elle refuse le rebasage de l'ONDAM voulu par les syndicats médicaux : 3,5 % c'est un très bon taux, qui dégage des marges de man_uvre significatives.

Nous reviendrons donc, pour l'essentiel, au texte que nous avions adopté en première lecture, sous réserve de quelques modifications (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'assurance vieillesse - Je n'ai de cesse de le répéter, la question des retraites doit être traitée sans retard, l'évolution de la démographie le commande. Le vieillissement de la population est inéluctable, l'espérance de vie augmente de 3 mois par an. L'année 2006 verra l'arrivée à la retraite des générations du baby-boom, devenu le papy-boom. De 110 000 retraités supplémentaires par an aujourd'hui, on passera alors à 250 000. Tous ceux qui partiront en retraite, en 2040 ont actuellement vingt ans. Entre 1998 et 2040, le nombre des personnes âgées de plus de 60 ans devrait augmenter de 10 millions alors que les effectifs des moins de 20 ans et des 20-40 ans diminueront chacun de plus d'1 million. En 2040, un Français sur trois aura plus de 60 ans et il y aura 7 retraités pour 10 actifs, contre 4 pour 10 actuellement. A la même époque, l'espérance de vie devrait atteindre près de 81 ans pour les hommes et 89 ans pour les femmes contre respectivement 74,2 ans et 82,5 ans aujourd'hui. Ainsi, les générations nées en 1970 pourraient tabler sur une retraite de 23 ans, soit plus du double de la durée passée en retraite par leurs aînés en 1910.

En outre, pour un nombre croissant de salariés, la fin de l'activité ne coïncide plus avec l'âge de la retraite. Devenus un outil de régulation de la main-d'_uvre, les mécanismes de cessation anticipée d'activité doivent aussi faire l'objet d'une réflexion.

J'ai déjà dit mon attachement à la retraite par répartition, mais, précisément, ne rien faire est dangereux pour ce système.

Après ces rappels indispensables, se pose la question des choix qu'une politique pour les retraites doit opérer.

Je soutiens le principe du fonds de réserve, à condition que nous ayons toutes les garanties quant à la pérennité de son abondement.

Il faut aussi déterminer, dès à présent, le champ d'action du fonds. Il ne s'applique aujourd'hui qu'aux régimes concernés par la réforme de 1993. Faudra-t-il inclure les autres régimes dans le dispositif ? Dans le cas contraire, qu'envisage-t-on pour eux ?

Il nous faut aussi des garanties sur la gestion de ce fonds : elle devra être autonome, c'est-à-dire indépendante de l'Etat et paritaire.

Autre question à trancher : celle de l'âge de départ en retraite.

M. Maxime Gremetz - Ah !

M. Denis Jacquat, rapporteur - Je persiste à penser qu'il faut une retraite à la carte, et non une retraite guillotine.

Je souhaite également que l'on n'oublie pas les problèmes importants : des veuves, de la PSD, des handicapés vieillissants et des démences séniles.

Nous avons obtenu, en première lecture, des satisfactions en ce qui concerne le bénéfice de l'assurance veuvage pour les veuves sans enfants.

Cependant, les veuves civiles méritent plus d'attention encore, car leur situation ne s'est guère améliorée. Des mesures doivent être prises pour le taux de réversion, le plafond de cumul entre un avantage propre et la réversion, l'inclusion de la majoration pour enfant dans le montant du plafond de cumul.

D'autre part, il est urgent de réformer la loi relative à la prestation spécifique dépendance. Cette réforme est annoncée très prochainement, je m'en réjouis. Cela étant, il faudra arriver à la reconnaissance d'un cinquième risque dans notre sécurité sociale. Je ne résiste pas à la tentation de redire, comme chaque année, mon accord avec l'une des phrases figurant dans la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi PSD. Le groupe socialiste écrivait alors : « La loi organise méthodiquement la discrimination territoriale au détriment des personnes âgées dépendantes ».

La situation des handicapés vieillissants appelle aussi des solutions. En effet, après avoir occupé un emploi en milieu ordinaire ou en CAT, elles ne touchent bien souvent qu'une retraite incomplète et ne trouvent pas de structures d'accueil adaptées.

De même, les démences séniles doivent être prises en charge efficacement.

Nous avons les moyens économiques de notre ambition, celle de vivre dans un pays où les retraités sont heureux. Je ne doute pas que nous y parviendrons (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la famille - Ce projet comporte des mesures attendues par les familles pour un montant total de 6 milliards. Celles-ci, en particulier concernant la garde des enfants, ont pu être financées grâce au retour à l'équilibre de la branche après plusieurs années de déficits importants. On ne peut donc parler de confiscation des excédents, comme l'ont fait certains.

Des mesures de solidarité sont prises en faveur des familles les plus en difficulté, avec la réforme des allocations logement, mais aussi des mesures novatrices comme la création du congé et de l'allocation pour enfant malade, qui a recueilli un large accord dans notre Assemblée comme au Sénat.

Des solutions sont également offertes pour la garde des jeunes enfants, adaptées à leurs besoins, et ce quels que soient leurs moyens financiers. Elles concernent tant la garde collective que la garde individuelle. C'est d'ailleurs pourquoi il est indispensable de rétablir le fonds d'investissement des crèches que le Sénat a supprimé au motif d'une complexité excessive.

La politique familiale repose sur une concertation régulière. La Conférence de la famille, désormais annuelle, en est le montant privilégié.

La question des jeunes adultes souvent encore à la charge de leurs parents a été plusieurs fois soulevée au cours de nos débats, et sur tous les bancs. Différentes propositions ont été formulées. Ce sera l'un des chantiers de l'année à venir et de la prochaine conférence de la famille.

La politique familiale est un tout. Elle est bien entendu liée à la politique des revenus, du logement, de l'éducation nationale... Elle doit tendre à une plus grande équité, une plus grande solidarité et une plus grande égalité entre les pères et les mères. Ce texte à la fois reconnaît la famille comme lieu d'amour, de solidarité, d'éducation... et propose aux familles une aide adaptée à leurs besoins (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je tiens tout d'abord à remercier les rapporteurs pour la qualité de leurs interventions.

Bien que le texte voté ici en première lecture comporte des avancées sociales importantes, le Sénat l'a modifié en profondeur en en limitant la portée et en en altérant la cohérence. S'il était retenu, le texte du Sénat n'aboutirait qu'à priver les Français des fruits de la politique menée depuis trois ans.

En supprimant l'article 2, le Sénat priverait les salariés modestes des réductions de CSG et de CRDS qui leur procureront un gain de pouvoir d'achat net dès janvier 2001. Le Sénat a préféré faire miroiter un hypothétique impôt négatif qui serait du reste très difficile à mettre en _uvre.

En supprimant les articles 9 à 12 relatifs au FOREC, le Sénat, tout à son acharnement à s'opposer à la réduction du temps de travail, a mis à bas le dispositif confortant son financement et compensant les exonérations de charges.

M. Bernard Accoyer - Cela ne relève pas d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale !

Mme la Ministre - Ainsi disparaîtraient plusieurs milliards de compensations, Monsieur Accoyer.

En supprimant l'article 44 fixant l'ONDAM au motif que celui-ci ne serait pas respecté, le Sénat n'en est pas à une contradiction près puisqu'il supprime l'instrument de régulation et de maîtrise médicalisée des dépenses. Il prive également l'assurance maladie de recettes en diminuant le taux de contribution des distributeurs en gros de médicaments.

On le voit, c'est essentiellement pour des raisons politiques que la majorité sénatoriale a souhaité modifier en profondeur le texte...

M. Yves Fromion - Procès d'intention !

Mme la Ministre - Elle l'a reconnu elle-même. Le Sénat s'est ainsi montré fidèle à la politique conduite de 1993 à 1997 où les déficits des comptes sociaux allaient de pair avec une détérioration de la prise en charge. Mais c'est bien cette politique qui a été sanctionnée.

Je remercie la majorité de l'Assemblée de son travail et l'invite à poursuivre dans la voie suivie en première lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4 du Règlement.

M. Bernard Accoyer - J'ai été déçu, Madame la ministre, par le ton polémique que vous venez d'employer. Vous avez porté un jugement inconvenant sur les travaux de la Haute assemblée, preuve de l'esprit politicien qui vous anime (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et qui ne sied pas lorsqu'on traite de protection sociale.

M. Yves Fromion - Très bien !

M. Bernard Accoyer - Au début des années 1990, la France a eu la chance de connaître une forte croissance dont les gouvernements de gauche ont gaspillé les fruits. C'est alors que les déficits des comptes sociaux ont atteint des records historiques. Il faut rétablir la vérité ! Et voilà qu'aujourd'hui, de nouveau, vous allez gaspiller les fruits de la croissance retrouvée et laisser déraper les dépenses sociales en volume.

Ce cinquième projet de la loi de financement de la sécurité sociale est détourné de sa vocation. Ses premiers articles, relatifs à la diminution de la CSG et de la CRDS, n'y ont aucunement place et relèvent, à l'évidence, d'un projet de loi de finances.

Les « tuyauteries monstrueuses » concernant le financement des 35 heures -c'est ainsi que le Sénat les a qualifiées- n'y ont pas davantage place. Sur ce point, je fais observer à M. Recours que la ristourne Juppé, c'était une réelle diminution des charges compensée par l'Etat, alors que ce Gouvernement propose, lui, de détourner des charges pour compenser le surcoût du travail induit par les 35 heures que vous avez imposées de façon autoritaire à toutes les entreprises -y compris les PME...

M. Yves Fromion - Rappel opportun !

M. Bernard Accoyer - Quant à l'ONDAM, il est fixé au petit bonheur la chance, on ne sait même pas sur quelles bases. On voit d'ailleurs le mépris dans lequel ce Gouvernement tient le Parlement quand Mme Aubry octroyait, en mars dernier, sans doute à bon escient, 17 milliards à l'hôpital public sur trois ans... soit le double des sommes que nous avions votées ici quelques semaines auparavant !

L'ONDAM n'est pas fixé en fonction d'objectifs sanitaires précis, si bien que le Parlement se trouve exclu de choix pourtant stratégiques en ce domaine.

S'agissant de la politique familiale, Mme Clergeau nous a dit qu'elle allait être renforcée, notamment grâce aux excédents de la branche famille. Or, c'est tout le contraire. Le Gouvernement demande un blanc-seing pour détourner 8 milliards de cette branche excédentaire au profit de la branche maladie, déficitaire. Voilà la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

En outre, vous faites financer par la branche maladie l'allocation de rentrée scolaire et, sublime affront aux familles nombreuses, les majorations de pensions dont bénéficient les retraités qui ont élevé trois enfants ou plus ! Mais il est vrai que votre souci est de trouver de l'argent coûte que coûte, non d'assurer la solidarité entre les générations ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Jamais le système n'a été autant en crise qu'aujourd'hui : la qualité des soins est directement menacée à l'hôpital, la liberté de choix des patients est atteinte par les fermetures de lits dans le secteur privé, le plan de soins infirmiers est rejeté par les intéressés, tandis que les médecins sont tenus pour seuls responsables de l'inévitable hausse des dépenses de soins, et rien n'a été fait, depuis quatre ans, pour former les 27 000 professionnels supplémentaires dont notre système a besoin !

M. Philippe Nauche - Vous oubliez les infirmières !

M. Bernard Accoyer - Justement : on doit fermer des lits dans les cliniques privées parce qu'elles sont attirées par le public à la suite du protocole Aubry !

L'absence de gestion des effectifs vous a déjà conduits à intégrer 7 000 à 9 000 praticiens titulaires de diplômes délivrés hors CEE, et à en autoriser 3 200 autres, cette année, à exercer en libéral. Peut-être est-il encore temps de réfléchir aux 2 000 annoncés pour 2001...

La France occupe une place peu enviable pour l'accès aux nouvelles technologies de santé : elle est tout juste devant la Turquie pour les IRM et les stimulateurs cardiaques implantables. Quant aux nouvelles molécules et aux nouveaux vaccins, les laboratoires internationaux ne veulent même plus fournir le marché français, à cause de la politique de prix que vous pratiquez ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Les programmes de recherche médicale décidés ces dernières années sont plus qu'insuffisants, et l'effort de prévention régresse, en particulier dans le domaine des vaccinations et dans celui du sida, contre lequel tout ce qui a été fait de sérieux l'a été entre 1993 et 1997, de sorte que le nombre de malades recommence à augmenter. Enfin, toute l'action de la MILDT est inspirée par l'idéologie dépénalisatrice.

Sur les retraites, la ligne de conduite du Gouvernement est très simple : ne rien faire qui puisse gêner ses intérêts politiciens. Le fonds de réserve est un mensonge, et même un mensonge d'Etat, car non seulement les 1 000 milliards annoncés ne permettront de financer que trois années de dépenses, mais encore on peut douter qu'ils soient atteints, à raison de 2 milliards de ressources pérennes chaque année -dans lesquelles je n'inclus pas, naturellement, le produit de la vente des licences de téléphonie mobile, dont nos collègues communistes ont fini par s'accommoder...

Allez-vous négocier la réduction du temps de travail dans les trois fonctions publiques avant que la réforme des retraites y soit elle-même engagée ? Si oui, nous serions définitivement fixés sur votre volonté de ne pas toucher à l'inégalité de traitement entre le public et le privé, dont, depuis huit ans, les salariés doivent cotiser deux ans et demi de plus pour toucher moins !

Les motifs d'inconstitutionnalité de ce projet sont nombreux. La baisse de la CSG et de la CRDS est une mesure fiscale, qui n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale ; elle porte atteinte, en outre, au principe d'égalité devant les charges publiques, ainsi qu'à l'universalité de la contribution à la protection sociale, et comporte par ailleurs d'inextricables difficultés d'application aux pluriactifs.

Qui plus est, un amendement du groupe communiste à l'article 36 bis, adopté pour complaire au centre de santé de Seine-Saint-Denis (Interruptions sur les bancs du groupe communiste), ainsi que le reconnaît, par son muet acquiescement, M. Gremetz (Même mouvement), vient ouvrir une brèche redoutable dans notre système de sécurité sanitaire.

M. Jean-Luc Préel - C'est vrai !

M. Bernard Accoyer - Ce qu'avait obstinément refusé Mme Aubry, Mme Guigou n'a pas hésité à le faire dès son arrivée : il fallait bien dérouler le tapis rouge devant le groupe communiste ! Un rapport de l'Inspection générale de la santé, datant de décembre 1998, juge pourtant « dangereux » de modifier en ce sens l'article 6211-5 du code de la santé publique. Il convient de retirer cette disposition.

Sont également inconstitutionnels, car contraires, par leur simple présence dans le texte alors qu'ils relèveraient d'un DMOS, à la loi organique du 27 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale : l'article 37 relatif au statut et au mode de financement des appartements thérapeutiques ; l'article 41 quater reportant la date limite de signature des conventions de tarification des établissements pour personnes âgées ; l'article 22 relatif aux cotisations ARRCO et AGIRC, dans la mesure où les régimes complémentaires ne relèvent pas du PLFSS...

M. Yves Fromion - Quel réquisitoire implacable !

M. Bernard Accoyer - ...l'article 19 A, adopté lui aussi pour faire plaisir à vos alliés communistes, car votre majorité est suspendue à leur bon vouloir... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Yves Fromion - La santé des communistes passe avant celle du peuple ! (Mêmes mouvements)

M. Bernard Accoyer - En quoi l'abrogation de la loi Thomas affecte-t-elle, je vous le demande, l'équilibre des comptes de la sécurité sociale ? Le Conseil constitutionnel appréciera.

Quelle image pensez-vous donner de la France ? Vous prétendez vouloir la moderniser, et vous faites tout le contraire. Quel pays moderne n'a pas de fonds de pension ? Et que faites-vous ? Vous les abrogez !

M. Yves Fromion - Mais vous serez obligés d'y venir.

M. Bernard Accoyer - Vous privez ainsi les salariés du secteur privé de la possibilité, consentie aux fonctionnaires, d'améliorer leur retraite, tout en faisant peser les charges considérables sur les générations futures. A quel titre ?

M. Maxime Gremetz - Axa ! Axa ! Axa !

M. Bernard Accoyer - La réponse nous la connaissons : c'est par sectarisme.

M. Maxime Gremetz - M. Accoyer n'est pas assureur, mais les assureurs sont ses amis.

M. Bernard Accoyer - Je demande s'il n'y a pas dans ces propos quelque chose qui ressemble à un fait personnel...

J'observe par ailleurs que la décision que vous avez prise de proroger de six mois l'accès à l'aide médicale gratuite signe l'échec de la mise en place de la CMU, et démontre que le dispositif voulu par votre prédécesseur ne fonctionne pas.

Rien d'étonnant à cela, puisqu'en choisissant de procéder à ce transfert de charges, vous avez privilégié la centralisation au détriment de la proximité et des solutions individualisées.

Et comment passer sous silence l'injustice faite aux frontaliers, que l'entrée en vigueur de la CMU prive du droit de s'affilier au régime de protection sociale qui leur convient le mieux ? Puis-je vous inviter à lire les commentaires sévères de la presse alsacienne sur les travaux du groupe d'experts nommés par votre prédécesseur ? Le titre de l'article est d'une grande éloquence : « Un rapport en souffrance »...

On ne règle pas les graves problèmes de la protection sociale par des mesures politiciennes à visées électoralistes. On les résout par des choix courageux, dans le respect des individus. Loin de procéder de la sorte, vous avez introduit dans votre texte des dispositions anticonstitutionnelles. C'est pourquoi j'invite l'Assemblée à voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Madame la ministre, souhaitez-vous prendre la parole ?

Mme la Ministre - Non.

M. Alfred Recours, rapporteur - La commission n'a rien à ajouter aux propos qu'elle a tenus, sur des sujets identiques, lors de la première lecture.

M. Gérard Terrier - Affirmer est une chose, Monsieur Accoyer, convaincre en est une autre. Nous avons compris que vous n'approuviez pas la politique du Gouvernement, ce qui est votre droit, mais jamais vous n'avez démontré le caractère inconstitutionnel de ce texte.

M. Yves Fromion - C'est que vous avez mal écouté.

M. Gérard Terrier - Et si c'est d'inéquité que vous vouliez parler, combien des loi par votre majorité devraient être jugées inconstitutionnelles ? Ce qui m'a frappé surtout, c'est votre marque d'objectivité, notamment lorsque vous dites que le Sénat n'a pas donné de connotation politique à son vote. Eussiez-vous participé aux travaux de la commission que vous auriez compris votre erreur ! Eussiez-vous lu le compte-rendu des débats du Sénat que vous l'auriez comprise mieux encore !

Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui des études de gynécologie médicale. Par un amendement, le Sénat vise à faire croire aux Français qu'il faut rétablir ce diplôme, alors même que c'est à vous que nous devons sa suppression. Qu'est-ce d'autre qu'une malhonnêteté politique ?

M. Bernard Accoyer - Cet argument est microscopique.

M. Gérard Terrier - Ce sont des faits, et ils vous déplaisent. Cet exemple est emblématique de la démarche suivie par le Sénat, et c'est pourquoi je l'ai choisi. Si je disposais de plus de temps, je démonterais l'un après l'autre les arguments de la Haute assemblée.

Le groupe socialiste ne votera pas cette exception d'irrecevabilité qu'elle invite l'Assemblée à rejeter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Préel - M. Accoyer a défendu avec son brio habituel une exception d'irrecevabilité que le groupe UDF se fera un plaisir de voter. Alors que le Sénat a amélioré votre texte, vous avez, Madame la ministre, critiqué son travail sans nuance, ce que je déplore.

La Haute assemblée a pourtant eu raison de supprimer le bricolage de la CSG auquel votre Gouvernement s'est livré, et dont M. Evin et Mme Notat ont dit tout le mal qu'il faut penser. Qu'en est-il donc du principe « chacun paye selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins » ?

M. Alfred Recours, rapporteur - Justement !

M. Jean-Luc Préel - Lisez donc ce qu'écrit M. Evin !

Le Sénat a eu raison, aussi, de revenir sur le FOREC, estimant à juste titre qu'il doit servir à prévenir les fléaux contre lesquels notre société s'acharne à lutter, plutôt qu'à financer les 35 heures.

Le Sénat a eu raison, encore, de refuser l'ONDAM, dont le rebasage suppose une loi rectificative. En êtes-vous d'accord ?

M. Alfred Recours, rapporteur - Non.

M. Jean-Luc Préel - Sans doute nous expliquerez-vous pourquoi. Et si l'ONDAM est fondé sur la réalité, pourquoi maintenir les sanctions collectives ? Nos collègues sénateurs suggèrent, eux, de favoriser l'esprit de responsabilité. Il n'est donc pas exact d'affirmer qu'ils ne proposent rien Et, plutôt que de les critiquer, mieux vaudrait tenir compte de leur avis.

Vous avez, Madame la ministre, reçu ce matin les directeurs des ARH. Le Parlement peut-il s'attendre à être informé, avant la presse, des critères qui fondent le calcul des enveloppes régionales ? Je vois que M. Recours approuve ma requête.

Et où en est la tarification à la pathologie ? De multiples questions demeurent pendantes, qui appellent un débat réel sur la politique de santé en France. Il n'a eu lieu ni lors de l'examen de ce projet de loi, ni lors de l'examen du budget de la santé. Il le faut, pourtant !

Quant à vos propositions sur les retraites, elles ne tardent que trop. Fort heureusement, M. Balladur et Mme Veil ont pris des mesures courageuses concernant le secteur privé, mais le problème majeur n'est pas traité, M. Charpin l'a souligné.

M. Maxime Gremetz - Ah ! M. Charpin !

M. Jean-Luc Préel - En bref, vous ne préparez pas l'avenir, et vous rejetez sans nuance les arguments du Sénat. C'est pourquoi le groupe UDF qui, je le répète, souhaite connaître les critères de calcul des enveloppes des ARH, votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - J'approuve une partie des propos qu'a tenus M. Accoyer.

M. Yves Fromion - Bravo !

M. Maxime Gremetz - Comme lui, j'appelle l'attention sur l'hôpital, et la nécessité de répondre aux besoins avec des moyens suffisants.

M. Bernard Accoyer - Très bien.

M. Maxime Gremetz - Le problème tient à ce que le Sénat a supprimé tout ce qui allait en ce sens. Curieuse manière d'améliorer les choses !

Le constat est donc le même, mais pas les solutions -c'est le moins que l'on puisse dire.

Vous prétendez que les exonérations de CSG sont inconstitutionnelles. Dans ce cas, les exonérations de cotisations patronales devraient l'être aussi. Vous n'en parlez jamais !

M. Yves Bur - Le Conseil constitutionnel s'est prononcé.

M. Maxime Gremetz - Il y a, dans ma circonscription, une entreprise dont les salariés, qui sont en majorité des femmes, travaillent de jour comme de nuit. Le groupe qui détient cette entreprise a obtenu 735 millions de fonds publics. Aujourd'hui, ces femmes qui travaillent depuis trente ans pour un salaire de misère apprennent que l'entreprise va fermer ses portes, car le groupe va chercher des fonds publics ailleurs. Qui va payer ? Les fonds publics. Et je ne parle pas du chômage partiel et des préretraites, encore financés par des fonds publics !

S'agissant des sanctions, qui les a inventées ? Souvenez-vous des ordonnances Juppé. M. Evin était favorable à ces sanctions. Nous, nous étions contre, et nous sommes toujours contre, tandis que vous, vous combattez des sanctions que vous avez inventées ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

Quant aux retraites, qu'a fait le gouvernement Balladur ? Il a relevé de 37,5 à 40 le nombre des annuités. Il a supprimé l'indexation du montant des retraites sur les salaires pour la remplacer par une indexation sur les prix, ce qui s'est traduit par une forte baisse du pouvoir d'achat. Il a modifié le mode de calcul, retenant les vingt-cinq dernières années au lieu des dix meilleures (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Vous voulez bien déterminer les besoins, mais pas prendre l'argent là où il se trouve (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) chez Mme Bettencourt, chez Dunlop, chez Procter et Gamble ! Ne venez pas nous faire la leçon. Nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mis aux voix, n'est pas adopté.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Yves Bur - Nous avons constaté en première lecture qu'il était impossible d'engager un dialogue constructif avec le Gouvernement. Le sujet justifierait pourtant un débat de fond.

L'équilibre financier dont vous revendiquez la paternité reste fragile. Il ne tient qu'à la croissance, qui a dispensé le Gouvernement d'engager les réformes structurelles indispensables. Toutes vos propositions sont soumises aux aléas de la conjoncture économique, qui se fait moins dynamique. L'OCDE vient de réviser à la baisse ses prévisions pour l'an prochain : la croissance sera de 2,7 %, alors que le Gouvernement a bâti ses hypothèses de recettes sur un taux de 3,3 %. Si ces prévisions devaient se confirmer -ce que je ne souhaite pas-, que compte faire le Gouvernement ?

Tout votre effort a consisté, en première lecture, à échafauder une construction acceptable par vos alliés et notamment par les communistes. Vous avez ainsi accepté, après l'avoir refusé à plusieurs reprises, d'abroger la loi Thomas, qui aurait permis d'ajouter un troisième étage à notre système de retraite. Par idéologie, par manque de courage, vous avez rendu un mauvais service aux Français. Vous réservez aux seuls fonctionnaires l'accès à un système de capitalisation volontaire, alors que ce système ne remet pas en cause nos régimes par répartition, que nous sommes unanimes à considérer comme des gages de la solidarité. Comment nous expliquerez-vous que ce qui est bon pour les uns serait mauvais pour les autres ? A cause de votre obstination, la France sera bientôt le seul grand pays à refuser des choix qui s'imposent à tous les responsables d'Europe. En ce moment même, vos amis socialistes allemands, faisant preuve de courage et de lucidité, complètent leur système par répartition d'un régime par capitalisation. Seraient-ils les fossoyeurs de la solidarité dans leur pays ? Ou ne devriez-vous pas plutôt vous interroger sur les raisons qui les poussent à adopter cette solution ?

Pour calmer vos alliés communistes, vous avez relevé de 100 F le plafond de ressources pour la CMU.

Mme Odette Grzegrzulka - Très bonne initiative !

M. Yves Bur - Même s'ils font mine de s'en réjouir, ils savent que cette mesure ne changera rien, puisque le minimum vieillesse revalorisé, va de nouveau passer au-dessus de ce plafond, tout comme l'allocation pour adulte handicapé.

Mme Odette Grzegrzulka - Etes-vous contre ces revalorisations ?

M. Yves Bur - Le dispositif de la CMU est incohérent. A cause de ses effets de seuil brutaux, les Français qui vivent des minima sociaux et tous ceux qui n'ont pas les moyens de se payer une assurance complémentaire ne peuvent accéder à des soins de qualité.

Nous sommes restés au milieu du gué : cette couverture maladie ne mérite pas d'être qualifiée d'universelle. L'examen des ressources va exclure du dispositif de nombreuses personnes qui étaient couvertes par les cartes santé départementales. Nous n'avons pas cessé de le répéter lors des débats sur la CMU. Malgré le relèvement de 100 F du plafond, nous avons une CMU bancale et injuste.

Le Sénat a naturellement pointé les faiblesses de ce projet de loi de financement. Tout comme nous, il estime qu'il ne faut pas revenir sur l'universalité de la CSG. L'utilisation de la CSG comme instrument d'une politique de revenu nous semble particulièrement grave. Cette contribution voulue par Michel Rocard a pour principe la participation de tous les revenus, de quelque nature qu'ils soient, au financement de la protection sociale : chacun contribue en proportion de ses revenus, chacun reçoit en fonction de ses besoins. En mettant en _uvre une réduction dégressive de la CSG pour augmenter le revenu, vous concentrez sur les classes moyennes l'ensemble des efforts sociaux auxquels tous les Français devraient participer. La CSG n'est plus une contribution sociale : elle devient le premier étage de l'impôt sur le revenu, mais son calcul ne prend pas en compte la composition du foyer fiscal, ni les cas de polyactivité. Vous ne respectez pas le principe de l'égalité des citoyens devant les charges.

Nos collègues sénateurs ont souligné l'incroyable complexité du financement de la protection sociale. Les multiples ramifications de cette tuyauterie financière ôtent toute lisibilité au financement de la protection sociale. De plus, ces financements reposent sur des hypothèses de croissance très optimistes. Ils ne sont donc pas assurés : les dépenses croissantes du FOREC pour financer les 35 heures en sont une illustration caricaturale.

En outre, les milliards valsent d'un régime à l'autre. On prive la branche famille d'excédents qui pourraient, comme le soulignent le conseil d'administration de la CNAF et l'UNAF, être employés à mener une politique plus audacieuse.

Il est regrettable que les propositions de l'opposition et du Sénat soient rejetées sans que soit engagé le débat qui reste nécessaire pour assurer la pérennité de la protection sociale.

Ce projet de loi de financement traduit l'incapacité du Gouvernement à ouvrir des perspectives d'avenir.

Obnubilés par les échéances électorales, vous menez une politique à courte vue, dans une optique purement clientéliste. En matière de retraites, les décisions prises ne visent qu'à repousser à plus tard des choix que vous savez inéluctables. Les discours sur la méthode et les effets de rhétorique n'y changeront rien.

Dans le domaine médical, le malaise gagne tous les acteurs, qu'il s'agisse des professionnels de santé, des responsables de l'assurance maladie ou des personnels hospitaliers.

Nous savons tous, quelle que soit notre appartenance politique, que le système est à bout de souffle et qu'il faut envisager une véritable refondation de la politique de santé publique en France. Nous sommes nombreux à regretter de ne pouvoir en débattre.

Le système conventionnel est dans l'impasse. En traitant par le mépris les partenaires sociaux vous risquez de les décourager, renforçant ainsi les choix étatistes pour la santé publique.

Faute de débat sur les grands objectifs, l'ONDAM reste comptable -à peine d'ailleurs car il n'y a pas adéquation entre l'offre de soins et les besoins qui sont pourtant criants. Par exemple, face au vieillissement de la population, la pénurie de soins infirmiers à domicile comme dans les hôpitaux va devenir gravissime et durer au moins trois, et plutôt cinq ans. Nous ne pouvons que regretter l'incapacité de l'Etat à anticiper les besoins en accroissant les quotas dans les écoles d'infirmières. Le plan de soins infirmier est rejeté par une grande partie de la profession. Où trouverons-nous les auxiliaires de vie qui devront se substituer aux infirmières alors que les associations d'aide à domicile font elles-mêmes face à une crise de recrutement en raison de la faiblesse des rémunérations offertes à un personnel qui mérite notre respect et davantage de considération ? J'espère, Madame la ministre, que vous prêterez une oreille attentive aux exhortations de l'UNASAD.

Les centres anticancéreux sont confrontés à l'explosion des coûts de la chimiothérapie -deux millions supplémentaires pour le seul centre Paul Strauss de Strasbourg. Peut-on priver les malades de traitements plus performants ?

Pour les soins dentaires, la situation reste sinistrée. La France est une exception en Europe et la CMU seule ne peut y mettre fin.

Le SIDA continue de progresser faute de politique active et durable de prévention. Il en va de même pour d'autres pathologies dont on sous-estime les effets.

Enfin, face au vieillissement et à la dépendance accrue qu'il engendre, on ne peut se contenter de la prise en charge sociale par les départements et par les caisses. L'assurance maladie devra fournir une contribution plus importante.

Face à ce défi, la régulation par la contrainte est un échec flagrant. Vos objectifs annuels ne sont d'ailleurs plus que des références indicatives. Il faut revenir à une politique de santé fondée sur la dynamique contractuelle et la confiance.

Les agences régionales pour l'hospitalisation ne peuvent être le seul élément d'une politique de proximité. Il faut aller plus loin dans une régionalisation de la santé qui à partir de besoins différents, permettra de mieux mobiliser les professionnels et de leur associer les malades dans des institutions de débat et de gestion qui pourraient devenir des conseils régionaux de santé.

Ce projet de loi est détourné de son objectif premier et ne permet pas un grand débat sur notre système de santé et d'assurance maladie. C'est pourquoi je vous demande d'adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Nous passons aux explications de vote.

M. Jean-Pierre Foucher - Le Sénat a qualifié ce texte d'incohérent et illisible et même parlé de « tuyauterie monstrueuse ».

M. Alain Calmat - Ce sont des farceurs.

M. Jean-Pierre Foucher - Ils ont en tout cas recensé des anomalies autour de cinq thèmes. Le FOREC est financé pour 16 milliards par six taxes au détriment des branches famille et vieillesse. La CSG perd son G en raison d'exonérations que, sur proposition du rapporteur, on va étendre encore.

M. Edouard Landrain - C'est la cotisation sociale personnalisée.

M. Jean-Pierre Foucher - Le dossier des retraites a été clos par le Premier ministre le 21 mars. L'ONDAM n'est plus qu'un arbitrage comptable. Les relations conventionnelles se sont dégradées, avec les lettres clés flottantes et les sanctions collectives.

Le Sénat a aussi fait des contre-propositions : un crédit d'impôt remboursable jusqu'à 1,8 SMIC à la place d'une diminution de la CSG ; un compte de réserve gelant les excédents de la CNAV ; une réforme des retraites ; une maîtrise plus individualisée des dépenses de santé pour les professionnels. Vous n'en avez pas tenu compte. L'UDF votera donc cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. François Goulard - Si nous pouvions penser que le texte du Sénat guidera nos travaux, cette motion serait inutile (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Mais nous connaissons votre intention de rétablir par amendements le texte du Gouvernement.

Ce projet illustre tout à fait ce que nous reprochons au Gouvernement, laisser pour l'avenir des problèmes majeurs et qui iront en s'aggravant.

Ainsi le financement des 35 heures exigera des sommes croissantes pour atteindre les cent milliards en régime de croisière. Nos entreprises ne peuvent supporter les 35 heures sans aides. Certaines l'ont pu jusqu'à présent grâce à la faiblesse de l'euro. Mais s'il se stabilise simplement, elles seront en péril. L'assurance maladie connaîtra des déficits plus graves encore en raison de la régulation. Les dépenses de santé sont maintenues mais les professionnels ne peuvent accepter les sanctions collectives. Enfin, demain l'absence de solution au problème des retraites sera considéré comme le grand échec de ce gouvernement. Pour toutes ces raisons le groupe DL votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme la Ministre - Je souhaite répondre à une question de M. Préel. Les dotations régionalisées pour les ARH vont augmenter de 3 % en moyenne, pour une augmentation de 3,3 % des dépenses hospitalières.

Nous déléguons donc déjà, ce à stade, plus qu'en 2000. Un montant moyen de 0,3 % sera délégué ultérieurement, qui correspondra aux mesures nationales spécifiques, au nombre desquelles figure une provision destinée à financer les mesures de personnel en cours de négociation.

Cette évolution des dotations régionalisées permet de financer l'ensemble des charges salariales prévues à ce jour, notamment l'application des protocoles pour le service public hospitalier signés en mars 2000. En outre, elle permet d'accompagner les priorités du Gouvernement en matière de santé publique : prévention de la transmission des maladies virales et à prions, plan cancer, plan greffes, psychiatrie. Les agences régionales de l'hospitalisation disposent ainsi d'une dotation de 2 milliards qui leur permettra de respecter ces priorités.

Comme les deux années précédentes, la politique d'allocation des ressources vise à réduire les inégalités entre régions et entre établissements. Je suis persuadée que les régions sauront chacune mener un effort comparable à celui engagé pour l'ensemble du territoire.

Les agences régionales peuvent désormais mener avec les établissements de santé un dialogue approfondi en vue de la détermination des budgets primitifs pour 2001.

M. Gérard Terrier - Le Sénat ayant substantiellement modifié le texte adopté par notre Assemblée, il nous faut revenir au texte initial, tel qu'enrichi en première lecture, par un nombre important d'amendements, que le Gouvernement a bien voulu gager.

Nous étions également convenus de revenir sur certains points, ce que nous nous apprêtons à faire, en particulier en ce qui concerne l'indemnisation des victimes de l'amiante.

Mais la qualité essentielle de ce projet est le retour à l'équilibre et même aux excédents des comptes de la sécurité sociale. C'était attendu par tous, car un déficit permanent menaçait notre système de protection, fondé sur la solidarité et auquel tous les Français sont attachés, sauf peut-être les libéraux qui rêvent d'une privatisation.

M. Laurent Dominati - C'est vous qui rêvez !

M. Gérard Terrier - Je vous renvoie aux propos de M. Dord.

Ce retour à l'équilibre se réalise sans augmentation de cotisations, et surtout sans dégradation de la qualité des soins. Le dernier rapport de l'OMS atteste que notre système de santé est le plus performant.

Ce redressement n'est pas le fruit du hasard. J'entends dire qu'il serait dû à la croissance. On ne peut en nier les effets. Mais si nous nous étions contentés de la laisser agir, le déficit serait encore aujourd'hui de 30 milliards. Le bon résultat obtenu est donc également dû aux mesures de restructuration des régimes, et à la reprise de l'emploi grâce aux emploi-jeunes, à la réduction du temps de travail, à la relance de la consommation intérieure. D'ailleurs les bons chiffres publiés ce matin montrent l'efficacité de cette politique.

Le retour durable nous impose aussi des contraintes : maintien de la qualité des soins et des prestations et baisse des prélèvements, en particulier pour les plus défavorisés. C'est ce qui a conduit à exonérer de la CRDS des chômeurs et des préretraités qui ne sont pas imposables ou dont les allocations sont inférieures au SMIC. L'extension de l'exonération de la CRDS jusqu'à 1,4 fois le SMIC, l'extension du bénéfice de l'exonération des cotisations sociales pour l'emploi d'aide à domicile, la majoration de l'allocation de présence parentale pour enfant gravement malade pour les familles monoparentales, l'effort considérable pour les haltes-garderies et les crèches sont des avancées importantes.

L'existence et l'alimentation du fonds de réserves des retraites semble déranger mes collègues de l'opposition. Je comprends qu'il leur soit amer de constater que nous réussissons là où ils ont échoué...

Ce fonds est alimenté à hauteur de 50 milliards en 2001. Je sais que les besoins pour 2020 ne sont pas à ce jour satisfaits.

M. Bernard Accoyer - C'est une litote...

M. Gérard Terrier - Ce qui importe, c'est qu'ils le soient à cette date et ils le seront, si les Français continuent à nous faire confiance. Nous disposerons de 1 000 milliards en 2020, dont 300 milliards viendront des intérêts financiers.

Il est démagogique de demander que ce fonds soit, dès aujourd'hui, pourvu de sommes que nous aurons besoin dans 10 ou 15 ans. Nous effectuons de la gestion prévisionnelle.

L'ONDAM est une autre pomme de discorde avec le Sénat. Les critiques de l'opposition sont surprenantes puisque cet outil a été créé par elle, contre notre avis. Serait-il bon quand vous l'utilisez et mauvais quand cela nous revient ?

Il est vrai que l'usage que nous en faisons est différent de celui que vous auriez voulu en faire. Sans doute faudra-t-il en corriger les défauts.

MM. Jean-Pierre Foucher et Edouard Landrain - Ah !

M. Gérard Terrier - Mais, pour l'heure, notre priorité est le retour à l'équilibre.

Pour votre part, vous vouliez en faire un usage comptable et coercitif quand nous entendons en user pour améliorer la politique de santé, son rebasage le montre.

Je sais, Madame la ministre, que vous avez engagé une concertation avec les acteurs de la santé pour parvenir à une politique contractuelle agréée par tous. Je souhaite aujourd'hui que nous nous préoccupions des effets de seuil. Il est injuste que des effets mécaniques nuisent aux mesures positives qui ont été prises. Des familles dont les revenus s'améliorent légèrement se voient privées de prestations soumises à condition de ressources alors que, parfois, leurs revenus supplémentaires sont largement inférieurs aux pertes entraînées par cette amélioration. Cela peut freiner l'amélioration des revenus de certains de nos concitoyens. Il faut donc corriger cet effet.

Vous pouvez être assurée, Madame la ministre, de notre soutien actif pour faire de ce bon projet un excellent texte que le groupe socialiste votera avec fierté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Morange - Depuis trois ans, ces débats tournent autour des thèmes de l'opacité des comptes sociaux et de l'absence d'une véritable réflexion sur la politique de santé publique. Cette année n'échappe pas à la règle et, avec près de 2 000 milliards, ce PLFSS apparaît surtout comme un outil au service de la politique économique et fiscale du Gouvernement.

De transferts croisés en changements d'affectation, les circuits de financements de la sécurité sociale deviennent de plus en plus complexes, ce qui rend difficilement lisibles les évolutions, les soldes des différentes branches et les véritables destinations des crédits.

Ainsi, les excédents de la branche famille sont détournés pour financer la branche vieillesse. Une partie des ressources de la branche vieillesse est détournée pour financer les 35 heures. Une partie de la taxe sur les conventions d'assurance est affectée à la compensation des exonérations et des baisses de CSG.

Bien malin celui qui s'y retrouve, on le voit avec le merveilleux graphique qui figure à la page 62 du rapport de M. Recours et qui retrace les flux de financement de la sécurité sociale.

Ces tours de passe-passe sont facilités par la création de nombreux fonds, dont l'utilisation reste obscure. Mais tout cela n'est-il pas destiné à masquer la fragilité du retour à l'équilibre des comptes sociaux et l'absence de réformes ?

Car l'amélioration du solde de la sécurité sociale est liée à la croissance et, surtout, à la forte hausse des prélèvements sociaux qui, de 1997 à 2000, sont passés de 20,4 % à 21,3 % du PIB.

Le rapporteur de la commission des finances du Sénat, Jacques Oudin, ne relève pas moins de 17 mesures intervenues entre 1998 et 2001 pour augmenter les prélèvements sociaux obligatoires. Plus de 100 milliards ont ainsi été prélevés en trois ans, qui masquent aujourd'hui l'incapacité du Gouvernement à maîtriser les dépenses.

Après la cagnotte fiscale, c'est la cagnotte sociale qui sert à masquer le dérapage des dépenses. Mais qu'en sera-t-il demain lorsque la génération de l'après-guerre arrivera à la retraite, que la dépendance s'alourdira, que les 35 heures seront généralisées, qu'il faudra financer les nouvelles molécules et les nouvelles techniques médicales ? Pourra-t-on indéfiniment ne compter que sur la croissance, sur l'augmentation des prélèvements et sur un nombre toujours plus restreints de contribuables ?

Le PLFSS est, d'abord, un instrument de la politique de l'emploi : on le voit avec le financement des 35 heures. Le passage obligatoire et uniforme aux 35 heures est une mesure politique prise à une époque de fort chômage et de faible croissance. On en constate aujourd'hui les méfaits : querelles quant au nombre d'emplois créés, modération salariale et tension sociale, pénurie de main-d'_uvre, casse-tête dans la fonction publique, en particulier dans les hôpitaux, nécessité d'envisager un report ou un assouplissement pour les PME.

Le Parlement ne vote pas les dépenses du FOREC qui n'apparaissent ni dans la loi de finances ni dans la projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il n'a à connaître que des recettes et, pour l'heure, doit se contenter d'un travail de tuyauterie imparfait en y affectant l'essentiel des droits sur les tabacs, la totalité des droits sur les alcools, actuellement versés au Fonds de solidarité vieillesse, ainsi que de la taxe sur les véhicules de société, une partie de la taxe sur les conventions d'assurance, le produit de la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, enfin, la TGAP dont l'extension est prévue... dans le collectif budgétaire.

La réduction du temps de travail coûtera 85 milliards en 2001, 105 en 2002. Elle mobilise dès cette année six financements différents dont aucun n'est pérenne et qu'il faudra ajuster tous les ans. Ces financements sont de surcroît incertains : le Gouvernement avait dû l'an dernier modifié en catastrophe son plan de financement avant l'examen du texte puis trouver un complément à la suite de l'annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les heures supplémentaires. Ils se trouvent enfin répartis entre la projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi de finances et le collectif budgétaire !

Le Sénat a considéré, à juste titre, que le financement de la réduction du temps de travail n'avait pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Le FOREC permet surtout au Gouvernement de financer sa politique de l'emploi en dehors du budget de l'Etat et donc de présenter celui-ci de façon avantageuse mais tronquée.

Sous couvert de vouloir redonner aux salariés les plus modestes un peu du pouvoir d'achat dont l'application des 35 heures les prive, les exonérations improvisées de CSG et de CRDS sont dangereuses, principalement pour deux raisons. D'une part elles remettent en cause un financement de la sécurité sociale, universel, proportionnel et équitablement réparti sur tous les revenus, et non ceux du seul travail. D'autre part elles risquent de se retourner contre ceux-là mêmes auxquelles elles sont censées bénéficier.

L'universalité du financement de la sécurité sociale et le principe de solidarité qui veut que chacun contribue selon ses moyens et reçoive selon ses besoins est battu en brèche.

Selon le titre d'un grand quotidien, le « pacte de solidarité entre les Français est rompu ». Notre collègue Claude Evin lui-même craint qu'en permettant à une partie des Français de ne plus payer d'assurance maladie, « on ne mette le doigt dans un engrenage où d'autres catégories pourraient demain estimer qu'elles n'ont pas à payer pour tous » et souhaite que l'on trouve d'autres mécanismes.

A partir du moment où le Gouvernement choisit de transformer un prélèvement proportionnel en prélèvement progressif du même type que l'impôt sur le revenu, on peut s'interroger sur l'avenir même de la CSG.

Le dispositif imaginé est par ailleurs injuste. Il ne prend pas en compte la composition du foyer. Il est en outre inapplicable en l'état aux pluriactifs et risque de bloquer les salaires à un niveau juste inférieur à 1,4 SMIC. En effet, le gain net mensuel sera en 2003 de 540 F pour un SMIC mais seulement de 360 F pour 1,1 SMIC et 182 F pour 1,2 SMIC.

On ne peut donc que s'élever contre un dispositif si mal conçu qui remet en cause le lien qui unit les salariés à l'assurance maladie, fragilise la CADES puisque rien n'est prévu pour compenser les exonérations de CRDS, pénalise une fois de plus les familles et ne répond pas aux besoins des salariés les plus modestes. Le Sénat a donc supprimé et a proposé un crédit d'impôt pour les revenus jusqu'à 1,8 SMIC, présenté dans la loi de finances.

J'en viens à l'immobilisme coupable du Gouvernement en matière de retraite. Il y a urgence et accumulation de rapports ne vaut pas décision. Or, le texte que nous examinons aujourd'hui se limite à entériner le règlement du litige entre l'Etat et les régimes de retraite complémentaire AGIRC et ARRCO, et à abonder un fonds de réserve qui n'a toujours pas d'existence propre et dont on ne sait à quoi il servira à terme.

Malgré la pertinence des conclusions du rapport Charpin, le Gouvernement se refuse toujours à engager les réformes nécessaires. Comment se glorifier de la création d'un conseil d'orientation des retraites chargé de la synthèse des précédents rapports et qui remettra ses conclusions... à la fin de l'année 2001, comme par hasard !

Le problème démographique se posera dès 2005 où 250 000 personnes, soit plus du double qu'aujourd'hui, partiront en retraite. Nos principaux partenaires économiques ont d'ailleurs engagé depuis plusieurs années des réformes de grande ampleur pour faire face au problème.

Alors que les retraites du secteur privé ont été courageusement réformées en 1993, rien n'a été fait pour celles du secteur public, ce qui a suscité un sentiment d'inéquité chez nos concitoyens.

L'immobilisme en ce domaine ne serait-il pas une version socialiste de l'exception française ?

Les Français n'attendent pas la création d'un nouveau conseil non plus que d'un nouveau répertoire national, ni la commande d'un énième rapport. Ils souhaitent être sûrs de disposer lors de la retraite d'un revenu de remplacement décent, correspondant à leurs cotisations. Il faut pour cela sauver la retraite par répartition et autoriser un complément de retraite par capitalisation comme cela existe déjà pour les fonctionnaires.

Même s'il atteignait 1 000 milliards en 2020, le fonds de réserve de retraites serait encore insuffisant et ne permettrait, dans le meilleur des cas, qu'un lissage sur quelques années. Encore faudrait-il que ce fonds prenne enfin forme avec des objectifs et des règles de gestion précis.

Pour l'instant, le Gouvernement se limite à l'alimenter de recettes diverses : produit de la vente des licences UMTS, excédents du FSV et de la branche vieillesse, moitié du prélèvement de 2 % sur le capital, et ce pour atteindre 55 milliards d'ici à la fin de 2001. Le conseil d'orientation des retraites s'est inquiété du fait que la seule ressource pérenne du fonds soit le prélèvement de 2 % sur le capital et que la question du placement des sommes ainsi immobilisées n'ait pas encore été tranchée.

Bricolage financier, confusion entre politique sociale, politique fiscale et politique de l'emploi, on cherche en vain dans ce texte trace d'une véritable politique de santé publique. C'est la grande absente ! Hormis la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, que nous approuvons et qui pourrait être étendu à d'autres pathologies, le volet santé du texte s'apparente plutôt à un DMOS.

En matière d'assurance maladie, le constat est amer. Le chiffrage irréaliste de l'ONDAM, de l'aveu même de la Cour des comptes, ne se traduit pas par une loi de financement rectificative qui tienne compte des dépassements. Le système conventionnel est bloqué.

On a échoué à modifier les pratiques individuelles comme à réguler les dépenses. Selon la Cour, l'extension du champ de compétence de la CNAM a « débouché à la fois sur un échec et sur une perturbation profonde des relations conventionnelles ».

Les professionnels de santé sont excédés d'être désignés comme des boucs émissaires : la réforme de l'hôpital est en panne ; les cliniques privées sont asphyxiées ; la politique du médicament est essentiellement répressive au mépris de la politique conventionnelle.

Aucune politique de santé, aucune prévention, aucune maîtrise des dépenses ne sera possible, contre les professionnels de santé.

Les mesures comptables prises cet été par la CNAM, avec la complicité du Gouvernement, sans concertation et sur les bases d'un ONDAM depuis revu à la hausse, ont été ressenties comme une véritable déclaration de guerre par l'ensemble des professionnels qui exercent, dans leur immense majorité, en conscience et avec un grand sens de leurs responsabilités.

Les sanctions collectives, qui ont fait la preuve de leur inefficacité, doivent être abandonnées. Le Sénat a d'ailleurs supprimé le système des lettres-clés flottantes et proposé une maîtrise médicalisée des dépenses, rejetant les sanctions collectives en cas de dérapage.

Les professionnels de santé ne peuvent être tenus responsables de la demande de soins de la population, laquelle ira d'ailleurs croissant : les soins seront aussi de plus en plus coûteux, avec l'arrivée de nouvelles techniques médicales, de nouvelles molécules et bientôt, de la thérapie génique. Le problème de la santé ne peut être abordé sous l'angle exclusif des dépenses.

Les professionnels de santé demeurent très mobilisés comme le montre la détermination du Centre national des professions de santé, mais aussi celle des infirmières et des kinésithérapeutes.

Je regrette l'absence d'orientations de santé publique dans ce texte. Il ne vous surprendra pas que le RPR vote contre ce mauvais texte, de surcroît dangereux.

Mme Jacqueline Fraysse - Le Sénat a profondément modifié le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001, ce qui ne surprendra personne, pas plus que le fait que nous ne puissions partager ses orientations.

Après avoir combattu l'instauration de la CSG, tout en s'arrangeant pour qu'elle passe, la droite en refuse maintenant la suppression, ainsi que celle du CRDS sur les salaires les plus bas.

Elle n'a cessé tout au long des débats de remettre en question l'application des 35 heures. Exonérer les employeurs de leurs cotisations, leur faire des cadeaux et refuser tout contrôle sur l'argent public dont ils bénéficient, oui ! Mais réduire le temps de travail des salariés et augmenter leur pouvoir d'achat n'est pas supportable pour nos collègues de droite.

Derrière des propos démagogiques à l'intention des retraités, la droite a rétabli les fonds de pensions et la loi Thomas. Elle a supprimé la prise en charge des cotisations de préretraites. L'article 22 permettait pourtant de mettre fin à un contentieux vieux de plus de quinze ans avec l'AGIRC et l'ARRCO. Elle a modifié les modalités de gestion du fonds de réserve pour les retraites, afin de l'orienter vers les marchés financiers.

En défendant les professions médicales, elle a tenté de faire oublier que les systèmes de sanctions ont été institués par le plan Juppé. Elle s'est posée en défenseur des cliniques privées, contre les hôpitaux publics, comme si ces structures s'opposaient. Dans le droit fil de son combat idéologique contre les centres de santé, elle a supprimé la possibilité, pour ces derniers, d'effectuer les prélèvements à fin d'analyses biologiques.

Elle a également supprimé le fonds d'investissement pour les crèches et tenté de minimiser la responsabilité des employeurs dans les maladies professionnelles.

Elle n'a pas hésité, enfin, à réduire les recettes prévisionnelles, pourtant déjà insuffisantes.

Pas de surprise, donc : on retrouve bien la droite du plan Juppé.

Bien entendu, notre majorité va devoir rétablir le texte, et nous la soutiendrons, mais non sans avoir réitéré les préoccupations que nous avons exprimées déjà en première lecture, car trop de besoins restent insatisfaits. Nous souhaitons notamment la revalorisation des allocations familiales et leur attribution dès le premier enfant, l'indexation des retraites sur les salaires, l'amélioration du taux de remboursement des soins, des lunettes, des prothèses, des appareils pour handicapés, l'extension de la CMU.

Nous souhaitons également une politique plus ambitieuse pour les hôpitaux, dont les personnels souffrent de conditions de travail trop pénibles, et de difficultés à accueillir correctement les patients. Il faut former davantage d'infirmières, de médecins, notamment dans les spécialités où le manque est criant.

Une disposition, introduite à la sauvette par le Sénat, inquiète vivement les victimes de l'amiante et leurs familles : elle tend en effet à interdire à toute personne bénéficiant du Fonds d'aide d'introduire une action en justice. Si l'Assemblée l'adoptait à son tour, cela ne ferait que déresponsabiliser encore plus les employeurs et les dissuader de prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Mais améliorer la prévention et les soins requiert des moyens, et c'est pourquoi nous avons déposé, comme précédemment, des amendements visant à doter la sécurité sociale d'un financement plus abondant, plus juste, plus durable et plus favorable à l'emploi. Pourquoi continuer à esquiver la discussion, ici comme dans le pays, sur une question aussi fondamentale ?

C'est dans le même esprit que nous demandons le rétablissement des élections aux conseils d'administration des organismes de protection sociale. On nous oppose tantôt le coût d'organisation, tantôt le risque d'abstention, et jeudi dernier, au Sénat, Mme Royal a même affirmé que « le choix de la démocratie sociale » avait été fait « depuis 1996 » ! Faut-il comprendre qu'elle faisait allusion aux ordonnances Juppé, qui ont non seulement supprimé l'élection des représentants des assurés sociaux, mais encore réduit la place de ces derniers ? Ce serait irresponsable, à l'heure où chacun déplore au contraire le manque de dialogue social dans notre pays. Si le pays a élu une autre majorité, c'est pour qu'elle fasse d'autres choix que M. Juppé !

Notre majorité a fait reculer le chômage et a mis en chantier des réformes audacieuses, fondées sur des valeurs de progrès, telles que la réduction du temps de travail, la CMU ou l'accès des jeunes à l'emploi. Tout nous invite à poursuivre avec d'autant plus d'ambition que la conjoncture économique s'est redressée. Nous voulons croire que le débat sur la protection sociale permettra, non seulement de rétablir ce que la droite sénatoriale a défait, mais encore d'améliorer le texte initial, afin que la sécurité sociale soit en mesure de répondre aux besoins réels du pays (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Denis Jacquat - Le relèvement du plafond de ressources ouvrant droit à la CMU a été annoncé en première lecture. Nous nous en réjouissons, mais l'effet sera de courte durée, puisque les minima sociaux et l'AAH passeront, au 1er janvier, à 3652,49 F : pour 52,49 F par mois, les allocataires vont perdre le bénéfice de la CMU. Il faut au moins aligner le plafond de celle-ci sur le montant des minima sociaux et de l'AAH, et il serait mieux encore de le porter au niveau du seuil de pauvreté, tel que l'entend l'INSEE, c'est-à-dire 3800 F. Il conviendrait, en outre, que la sortie soit dégressive, sans effet de seuil ni de couperet.

Par ailleurs, un certain nombre d'associations, dont l'UNIOPSS, demandent le report au 31 décembre 2003 de la date limite de passation des conventions tripartites relatives à la tarification des établissements pour personnes âgées, afin que ceux-ci puissent continuer d'accueillir des personnes âgées dépendantes au-delà du 27 avril prochain. Il est également nécessaire de préciser le statut desdites conventions, car la loi de 1975 n'est guère explicite, et si le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre le décret et l'arrêté du 26 avril 1999, ne s'est pas prononcé sur cette question précise, nous éviterions bien des difficultés à venir en disposant que les conventions tripartites sont un préalable indispensable au changement du mode de tarification.

La rémunération des aides à domicile doit être améliorée : elles sont actuellement payées au SMIC, et ceci pendant leurs onze premières années de travail, alors qu'elles recevaient, voici quelques années, 110 % du SMIC, et que l'on exige de plus en plus d'elles.

Enfin, je me fais l'écho des inquiétudes de M. Hellier sur la gynécologie. Il est de notre devoir de défendre cette spécialité, au moment où la contraception d'urgence et l'IVG sont d'actualité. Je vous remercie de m'avoir écouté (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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