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Session ordinaire de 2000-2001 - 57ème jour de séance, 134ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 6 FÉVRIER 2001

PRÉSIDENCE de Mme Christine LAZERGES

vice-présidente

Sommaire

          PRIME POUR L'EMPLOI 2

          QUESTION PRÉALABLE 6

          ARTICLE UNIQUE 21

          EXPLICATION DE VOTE 24

          ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 7 FÉVRIER 2001 25

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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      PRIME POUR L'EMPLOI

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je suis ravi de me retrouver devant une assemblée où la qualité est si hautement représentée (Sourires). Le Gouvernement mène une politique économique en faveur de l'emploi, qui a permis la création d'un million d'emplois en trois ans. La reprise de l'activité a engendré du travail qui suscite lui-même de l'activité. Certes, les baisses d'impôts ont favorisé la consommation et la production, mais l'augmentation du pouvoir d'achat et du nombre de commandes a aussi nourri la croissance. Tout est lié : l'allégement de la fiscalité favorise l'innovation, tandis que l'économie nouvelle génère des recettes qu'il importe de bien partager et utiliser.

Ces bons résultats vont, je le crois, se prolonger en dépit du ralentissement de l'économie américaine. La situation en France étant saine, et la demande intérieure solide, la croissance devrait demeurer soutenue et permettre de poursuivre la baisse du chômage tout en maîtrisant l'inflation, si nous demeurons vigilants -et il importe particulièrement de l'être- à l'égard de nos finances publiques. La politique économique de l'emploi sera renforcée par la meilleure incitation au travail que va constituer la prime pour l'emploi, dont nous discutons aujourd'hui.

Oui, ces résultats vont se prolonger, si toutefois chacun a conscience que rien n'est gagné, que la difficulté sociale est encore plus aiguë pour ceux qui restent à l'écart de l'abondance. C'est pourquoi il faut continuer à réformer, inciter et faciliter. Tel est le rôle de l'Etat partenaire et telle est la définition de l'Etat utile. Je suis donc heureux de défendre devant le Parlement le projet de loi créant une « prime pour l'emploi ».

Lors du débat d'orientation budgétaire de mai 2000, j'avais été frappé par la convergence de vues des orateurs autour de l'idée que le choix de l'emploi était souvent freiné par les gains trop faibles que procurait le retour au travail. Dans un foyer allocataire du RMI, dont l'un des membres reprend une activité à plein temps rémunérée au SMIC, le gain réel n'est ainsi que de 4 F par heure travaillée ! Il faudrait avoir l'esprit bien placide pour ne pas se poser alors de questions sur la réalité de la justice sociale et l'intérêt véritable du renoncement à un revenu de remplacement.

Diverses solutions ont donc été proposées. Certains ont préconisé une réduction des charges sociales salariales, c'est-à-dire, in fine, des cotisations d'assurance retraite. Cette suggestion se heurtait à la nécessité de préserver l'universalité de notre système de retraite et son avenir. D'autres ont proposé une hausse du SMIC, choix généreux, mais qu'il fallait compenser par une diminution des charges patronales et qui laissait intact le problème des travailleurs rémunérés à un niveau tout juste supérieur au SMIC. La majorité avait finalement adopté dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, sur proposition du Gouvernement, une « ristourne », c'est-à-dire une suppression ou un allègement de la CSG et de la CRDS. Applicable dès janvier 2001 aux salariés et aux non-salariés, cette mesure devait bénéficier à 9 millions de Français, qui auraient vu leur revenu augmenter immédiatement. Saisi par des députés et sénateurs de l'opposition, le Conseil constitutionnel en a décidé autrement le 19 décembre 2000. Le Gouvernement a pris acte de cette décision : le contrôle constitutionnel est un fondement de notre démocratie. Mais cette censure nous a surpris, car le Conseil avait confirmé, auparavant, que le principe de l'égalité devant l'impôt n'interdisait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories de contribuables, dès lors que ce choix répondait au but fixé par le législateur et n'était pas « manifestement inapproprié ». Or, la rupture d'égalité censurée par le Conseil semblait en adéquation avec l'objectif de la reprise d'activité et du retour à l'emploi. Cependant, la décision du Conseil s'impose.

Le Gouvernement s'est donc remis au travail afin de consentir par d'autres modalités des avantages voisins. Le maintien ou le retour à l'emploi mérite en effet tous nos efforts, d'autant plus que la prime pour l'emploi s'inscrit dans un dispositif plus vaste. Dans le collectif budgétaire du printemps 2000, vous avez en effet adopté une réforme de la taxe d'habitation qui tient compte de la situation des plus faibles revenus. Dans ce même collectif, puis dans la loi de finances pour 2001, vous avez baissé l'impôt sur le revenu, ceci plus fortement pour les tranches les plus basses, et vous avez modifié le système de la décote afin d'atténuer le poids de l'impôt pour ceux qui gagnent un peu plus que l'indispensable, auxquels il est normal de laisser ce minimum. Dans la loi contre l'exclusion, vous avez accepté que le RMI et les droits qui l'accompagnent soient cumulés avec un certain niveau de revenu d'activité. Enfin, la récente réforme des allocations logement est un moyen de ne plus pénaliser les petits revenus d'activité par rapport aux minima sociaux.

C'est dans cette continuité qu'est née l'idée d'une prime pour l'emploi. Sans porter atteinte à l'universalité de la CSG, bénéficiant aux salariés comme aux indépendants, maximale au niveau du SMIC à temps plein puis dégressive jusqu'à 1,4 SMIC, elle procurera dès 2001, à près de dix millions de personnes, un supplément de rémunération du travail pour monter en puissance en 2002 et 2003, jusqu'à atteindre un versement annuel de 4 500 F pour le niveau du SMIC. Elle pourra être acquise avec un niveau de revenu plus élevé quand la personne concernée à des enfants à charge. Elle sera par ailleurs augmentée pour la même raison, de même que lorsqu'un seul conjoint travaille.

La prime constitue assurément une novation dans notre système fiscal, plus accoutumé à percevoir qu'à rendre. A-t-on voulu embrasser une théorie économique illégitime ou suspecte ? Non. Certains ont soutenu que nous inciterions les employeurs à ne pas accorder à leurs employés les salaires, voire les augmentations, qu'ils sont en droit d'attendre. J'en suis surpris. L'existence d'un SMIC, les droits des travailleurs, l'obligation de négociation sont des garanties fondamentales que cette disposition ne fera pas disparaître. Selon d'autres, cette mesure pourrait entraîner des distorsions entre salariés, un chef d'entreprise n'accordant pas d'avantage salarial au bénéficiaire de la prime. L'argument précédent vaut également ici. Quant à l'Etat, il est suffisamment soucieux des deniers publics pour veiller à ce que le travail soit rémunéré par celui qui l'utilise, et non par la collectivité. Enfin, nul, si ce n'est le bénéficiaire lui-même ne saura si l'intéressé perçoit ou non la prime pour l'emploi. Il ne s'agit donc pas d'exonérer la richesse de toute solidarité, mais de la rendre plus profitable à l'emploi.

Une proposition, un peu différente de celle du Gouvernement, avait été faite par la droite sénatoriale. Elle était moins ambitieuse, confondant en un seul compte les revenus des deux conjoints et risquant ainsi de dissuader un conjoint qui ne travaillerait pas de prendre un emploi. Ce conjoint aurait été, le plus souvent, une femme. Dans une société où l'égalité professionnelle reste à parfaire, cette proposition aurait pu la faire reculer. C'est pourquoi la prime pour l'emploi s'adresse distinctement à chaque revenu du travail dans un couple.

Je prendrai un exemple simple. Si le revenu familial du travail est égal à deux fois le SMIC, la mesure n'aura pas la même application selon que ce revenu provient des salaires des deux conjoints travaillant ou bien d'un seul. Ainsi, pour un couple dont l'un des conjoints gagne le double du SMIC et dont l'autre ne travaille pas, le niveau et la structure des rémunérations qu'il perçoit ne justifieront pas l'attribution de la prime pour l'emploi, même si le projet tient compte de sa situation puisqu'il prévoit, dans ce cas, qu'une somme forfaitaire sera allouée, une personne sur deux dans le foyer ne travaillant pas. En revanche, lorsque chaque conjoint travaille et perçoit le SMIC, l'offre de travail du couple étant plus grande, ses contraintes matérielles et financières le sont aussi, ce qui a un coût. La prime pour l'emploi doit donc aller à chacun des deux salariés du couple. C'est la logique de cette prime et de sa fonction incitative que de l'augmenter lorsque l'on va du non-travail vers le travail, du temps partiel vers le temps plein.

Ce projet de loi comportant un seul article pose les fondations pour 2001, et nous ajusterons si nécessaire pour 2002 dans le prochain projet de loi de finances. Les effets concrets seront les suivants : un smicard célibataire touchera cette année 1 500 F, l'an prochain 3 000 F et 4 500 F en 2003, cependant qu'un couple de smicards avec deux enfants percevra à cet horizon 9 400 F. Cela nous paraît juste et efficace. Je parle de fondations, parce que si le travail est depuis longtemps le socle d'une société, ce n'est pas seulement pour le revenu qu'il procure, mais aussi parce qu'il socialise les individus, leur donne une place et un statut. En agissant sur les leviers économiques du pays, nous contribuons à améliorer la donne sociale, ce qui n'est neutre ni en termes d'intégration ou de sécurité, ni pour l'aménagement du territoire, la croissance ou les finances publiques.

La politique économique de l'emploi est un tout. C'est au nom de cette priorité que je vous demande, au nom du Gouvernement, de voter ce projet de loi créant la prime pour l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Il est rare de voir l'Assemblée nationale saisie en urgence, dès le mois de janvier, d'un dispositif à caractère fiscal, s'appliquant à l'impôt sur le revenu qui sera liquidé au cours de l'année.

Le caractère inhabituel de ce calendrier résulte d'une décision du Conseil constitutionnel, laquelle s'appuie sur des arguments juridiques qui ont pu surprendre.

Parmi les hypothèses envisageables après cette décision et susceptibles tant de favoriser la lutte contre ce qu'il est convenu d'appeler les « trappes à inactivité » que de préserver l'équilibre du plan triennal de baisse des prélèvements obligatoires en faveur des ménages présenté à la fin du mois d'août dernier, le Gouvernement a choisi une solution particulièrement opportune.

D'une part, le dispositif de la prime pour l'emploi préserve la progression des revenus d'activité et du pouvoir d'achat des foyers modestes, qui avait sans doute été anticipée par les bénéficiaires de la mesure annulée. Cette progression est en effet précieuse pour soutenir la demande interne, via la consommation et la reprise de l'emploi, à un moment où l'on observe des goulets d'étranglement dans certains secteurs.

La solution retenue présente deux autres avantages : elle n'interfère pas avec la délicate question du financement des retraites ; elle ne remet pas en cause l'échelle des salaires, ce qui évite la critique relative à la création d'un contexte favorable à l'inflation.

Dans l'ensemble, le dispositif de la prime à l'emploi ne peut donc que renforcer la confiance des ménages et l'autonomie de la croissance française, ce qui est essentiel dans une période d'incertitude provoquée par le ralentissement de la croissance américaine, qui obscurcit les perspectives d'évolution des principales économies.

La prime pour l'emploi, que l'article unique du projet tend à créer constitue un dispositif spécifique de « droit à récupération fiscale », imputable sur l'impôt sur le revenu et donnant lieu à restitution pour les personnes non imposables et les foyers dont la cotisation d'impôt sur le revenu est inférieure au montant de la prime. La nature fiscale de la mesure est confirmée par son insertion dans le code général des impôts.

De même que la mesure annulée, la prime devrait faire l'objet d'une mise en _uvre progressive sur trois ans à compter de cette année, mais le présent dispositif n'a vocation à s'appliquer qu'à la seule année 2001. S'ils apparaissent comme nécessaires, des ajustements resteront donc envisageables.

Le champ de la prime est très semblable à celui de feue la ristourne de la CSG et de la CRDS. Elle concerne en effet les personnes percevant un revenu d'activité inférieur à 1,4 SMIC, soit un revenu déclaré égal à 96 016 F. Le droit au bénéfice de la prime est individuel. Dans le cas des couples dont les deux membres travaillent, ce sont ainsi deux primes qu'il est prévu d'attribuer. Seuls les revenus d'activités professionnelles sont pris en compte, ce qui exclut essentiellement les revenus de remplacement versés aux personnes privées d'emploi et les retraites.

En réponse aux observations du Conseil constitutionnel, plusieurs mécanismes tendent à prendre en considération l'ensemble des revenus du foyer et à tenir compte des charges de famille.

Ainsi, la prime n'est attribuée que sous condition de ressources : le revenu fiscal de référence doit être inférieur à 1,54 SMIC pour un célibataire et 3,08 SMIC pour un couple. Les titulaires de revenus d'activité modestes continueront donc d'en bénéficier même s'ils disposent de quelques revenus complémentaires, mais les foyers plus aisés dont l'un des membres est titulaire d'un faible revenu d'activité en seront exclus. Des majorations de plafond sont prévues pour les enfants à charge.

Une majoration forfaitaire de 500 F est également prévue en faveur des couples monoactifs, afin de rapprocher leur régime de celui applicable aux couples biactifs. Les couples mariés dont les deux membres travaillent bénéficient de la prime lorsque le revenu de référence reste inférieur à 2,8 SMIC.

La majoration de 200 F par enfant à charge prévue dans le dispositif est portée à 400 F pour le premier enfant à charge de parents isolés.

La prime ne sera pas versée aux titulaires de revenus d'activité inférieurs à 0,3 SMIC -soit un revenu déclaré de 20 575 F- et le projet fixe son montant minimun à 160 F.

Comme le montant de l'enveloppe prévue est identique à celui qui avait été retenu pour le dispositif annulé, soit 8,5 milliards, la prime est globalement moins avantageuse que la mesure annulée pour les célibataires et les foyers sans enfants ; elle est en revanche plus favorable pour les parents isolés et les couples dont un seul membre travaille lorsqu'ils ont au moins un enfant à charge.

Hors majoration, la prime doit représenter en 2001 2,2 % du revenu d'activité jusqu'au niveau du SMIC, après conversion du revenu en équivalent temps plein, puis diminuer ensuite progressivement, sous réserve du montant plancher de 160 F, avant de s'annuler pour un revenu égal à 1,4 SMIC.

Pour 2001, la prime devrait ainsi s'élever à 1 500 F par an pour une personne rémunérée au SMIC dans le cadre d'un emploi à temps plein. Par comparaison, le montant de la ristourne de CSG et de CRDS était de 2 079 F pour la première année.

Cette année, la prime devrait atteindre 750 F pour un emploi exercé à mi-temps et rémunéré au SMIC et le même montant pour un plein temps rémunéré à hauteur de 1,2 SMIC.

Ces montants devraient être doublés en 2002 et triplés en 2003.

La prime doit concerner près de 10 millions de personnes et environ 8 millions de foyers fiscaux, bénéficier dans 70 % des cas à des foyers non imposables, dépasser 1 000 F sur l'année 2001 pour 5 millions de foyers fiscaux et 2 000 F pour 600 000.

Elle concernera dans 60 % des cas des parents isolés, dans 20 % des cas des couples monoactifs et dans 20 % des cas des couples biactifs. Elle sera perçue dans près de la moitié des cas par des personnes âgées de moins de 35 ans.

Dans l'ensemble, le dispositif proposé atteint son objectif : il favorise le retour à l'emploi et le maintien de l'activité. Le montant de la prime est en effet d'autant plus élevé que le salaire horaire est modeste, et que la durée d'activité se rapproche du plein temps.

La complexité du dispositif est indéniable mais c'était inévitable dès lors que le Conseil constitutionnel a considéré que la solution la plus simple -celle d'une modulation de la CSG et de la CRDS- n'était pas juridiquement acceptable.

Néanmoins, cet élément n'est pas rédhibitoire dès lors que les incidences de la prime sont correctement anticipées par ses bénéficiaires et que la mise en place du dispositif ne se traduit que par un léger renforcement des obligations déclaratives des contribuables, puisque le montant de la prime sera calculé par l'administration fiscale sur la base de la déclaration annuelle de revenus ce qui renforcera, d'ailleurs, le caractère obligatoire de celle-ci.

En outre, le fait que le dispositif prévu ait vocation à s'appliquer à la seule année 2001 et puisse faire l'objet de modifications éventuelles pour les deux exercices suivants permettra de procéder aux ajustements nécessaires au bon fonctionnement d'un mécanisme éminemment novateur dans notre droit fiscal. Il sera du reste intéressant d'en analyser les effets.

Le dispositif proposé par le Gouvernement apparaît donc opportun et la commission des finances vous propose donc, suivant mon avis, de l'adopter sans modification (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

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QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Fançois Mattei et des membres du groupe DL une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Alain Madelin - Il faut dire merci au Conseil constitutionnel (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) sans lui nous n'aurions pas ce projet ; sans lui nous n'aurions pas ce débat ! Ce projet est, en effet, le fruit du hasard et de la nécessité.

Le hasard, c'est l'heureux concours de circonstances qui a vu une mesure clé de votre réforme fiscale, à savoir une ristourne de CSG au profit de 9 millions de titulaires de bas salaires, annulée à bon droit par le Conseil constitutionnel pour cause de rupture du principe d'égalité. La nécessité, c'est l'urgence que vous aviez à élaborer un mécanisme de substitution.

Certes, vous auriez pu suivre le chemin que beaucoup vous suggéraient à gauche, la voie de la facilité ; celle d'une augmentation artificielle du SMIC.

Vous avez hésité. Mais au terme d'un vrai psychodrame idéologique au sein de votre majorité plurielle, (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe socialiste) vous avez choisi une autre direction, à mes yeux bien meilleure, celle du crédit d'impôt.

Je mesure ce qu'un tel choix représente pour vous, qui considérez que le crédit d'impôt souffre d'un péché originel puisqu'il procède de la théorie libérale formulée dans les années 1960 par l'Ecole de Chicago (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

Cette idée a été mise en _uvre aux Etats-Unis par l'administration Reagan avec « l'Earned Income Tax Credit », en Angleterre par John Major puis, il est vrai, par Tony Blair avec le « Working Family Tax Crédit » et, tout récemment, en Belgique, pays qui nous est proche par son système social et fiscal, par le Gouvernement libéral de Guy Veroshtadt. En France, ce sont aussi les libéraux qui depuis longtemps proposent d'instaurer un impôt négatif, sous la forme d'un revenu familial garanti (Rires sur les bancs du groupe RCV).

Je gage qu'il ne vous est guère facile d'emprunter une mesure au programme de ma formation politique plutôt qu'à celui de la majorité plurielle !

Cela étant, et afin de ne pas vous décourager dans votre évolution, j'accepte volontiers l'idée que le crédit d'impôt ne soit plus une question idéologique.

Du reste, lorsque l'on appartient à un Gouvernement qui, comme le Premier ministre aime à le répéter, « dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit », il faut avoir le courage d'appeler un chat un chat, et un crédit d'impôt un crédit d'impôt, même si je comprends la pudeur embarrassée qui vous a poussé à baptiser votre dispositif « prime pour l'emploi » -à moins qu'il ne faille y voir une nouvelle habileté puisque près de 10 millions de français recevront en fin d'année un « chèque Jospin », dont vous espérez, sans doute-, qu'il sera du meilleur effet électoral !

M. Gérard Bapt - Grâce à vous !

M. Alain Madelin - Je mesure aussi tous vos efforts pour tenter d'inscrire l'impôt négatif dans le patrimoine génétique de la gauche. Je contribue bien volontiers à cette recherche en paternité en vous rappelant qu'Antonio Negri, célèbre gauchiste italien, avait, depuis sa prison, participé à la conception de l'impôt négatif et qu'avant la chute du mur de Berlin, on en trouvait même la trace chez un socialiste polonais (Sourires).

Comme vient de l'écrire plus prosaïquement votre ami Michel Rocard « la vraie gauche, elle prend les idées où elle peut ».

Mais, je le répète, j'admets volontiers que l'impôt négatif ne soit plus aujourd'hui une idée libérale partisane. En échange cependant, je vous demande de ne plus jamais céder à la caricature que vous faites trop souvent des libéraux, en leur prêtant je ne sais quelle indifférence à la question sociale.

Rien n'est plus faux et vous en apportez aujourd'hui vous-même la preuve au moment où, pour esquisser une réforme moderne de notre solidarité sociale, vous êtes contraints d'emprunter au programme de ma formation politique !

Il est vrai que le crédit d'impôt est une idée qui a fait son chemin.

Dois-je rappeler le tollé qu'avaient suscité mes propos lorsqu'il y a quelques années, j'avais dénoncé comme un désordre social le fait que les revenus de l'assistance et ceux du travail puissent, dans certains cas, devenir équivalents et cité l'exemple de deux familles vivant sur le même palier d'une HLM : « dans l'une, le père part travailler tôt le matin, rentre tard le soir pour toucher un maigre SMIC. Dans l'autre, entre le RMI et les diverses allocations, on perçoit pratiquement le même revenu sans travailler. Il y a là source d'un double découragement, celui de ceux qui travaillent et celui de ceux qui s'installent dans l'assistance..»

Depuis, de nombreux rapports sont venus conforter ce constat et l'on a fini par ouvrir les yeux sur le phénomène de « trappe à pauvreté » qui, selon l'INSEE, touche plus de 4 millions de personnes dans notre pays.

Oui, nos systèmes de protection sociale enferment trop de nos compatriotes dans de véritables trappes à inactivité.

Au niveau du salaire minimum, le coût du travail, lorsqu'il dépasse la productivité, dissuade les employeurs d'embaucher et les principales victimes en sont les plus nécessiteux : les chômeurs de longue durée et les travailleurs peu qualifiés, que l'on enferme dans l'exclusion cependant que les minima sociaux dissuadent trop souvent leurs titulaires de rechercher activement un emploi. A quoi bon travailler si c'est pour gagner à peine plus que lorsqu'on ne travaille pas ?

« En France, votre système d'aide sociale consiste à mettre les pauvres dans une bouteille et à bien visser le bouchon pour qu'ils ne s'échappent pas ».

Ce jugement sévère est celui de Muhammad Yunus, économiste du Bangladesh, connu dans le monde entier pour son action contre la pauvreté et de nombreux rapports sont venus appuyer ce constat : celui de l'OCDE qui a dénoncé les « trappes à chômage » ; celui du Plan qui dressait un sévère réquisitoire contre le caractère à la fois « illisible » et « imprévisible » de notre protection sociale, ceux du Conseil d'analyse économique, qui s'est prononcé par deux fois en faveur d'un dispositif se rapprochant de ce qu'il appelle le « système idéal de l'impôt négatif ». Ayant fait ce même constat depuis longtemps, je milite depuis longtemps aussi pour la création d'un revenu familial garanti adaptant à la réalité française, caractérisée par l'existence de huit minima sociaux et d'un salaire minimum, l'idée de l'impôt négatif.

Il ne s'agit pas pour moi de défendre le système anglo-saxon ou de recommander qu'on le copie. Ce que je propose, c'est un vrai filet de sécurité pour tous les Français : une allocation dégressive, jusqu'à un certain seuil, compléterait la feuille de paie, favorisant ainsi la reprise du travail pour celles et ceux qui sont enfermés dans l'assistance, et assurant à tout citoyen un revenu familial garanti, clairement identifié, calculé en fonction de la composition de son foyer familial. Mais une telle réforme ne peut être réalisée isolément, se surajouter à notre maquis d'aide sociale et à notre fiscalité biscornue. Elle ne peut être improvisée, bricolée, comme l'est le dispositif que vous nous proposez aujourd'hui. Elle doit s'inscrire dans un projet plus vaste de refondation fiscale et sociale. Elle suppose une remise à plat de notre système d'aide sociale, car le revenu familial garanti a vocation à se substituer, de façon plus simple et plus équitable, à nos minima sociaux. Elle implique aussi une réforme globale de l'impôt sur le revenu qui ferait de la CSG, payée par tous les Français et déjà reconnue comme un impôt par le Conseil constitutionnel la première tranche, proportionnelle, d'un impôt sur le revenu réformé, allégé, simplifié et retenu à la source. Ainsi les prestations liées à la solidarité seraient gérées par l'administration fiscale, si bien que le citoyen mesurerait exactement ce qu'il reçoit de la solidarité nationale.

La feuille de paie comporterait donc jusqu'à un certain seuil de revenu variant selon la composition de la taille de la famille, un crédit d'impôt qui s'ajouterait au salaire. Au-delà de ce seuil, un prélèvement fiscal serait directement retenu à la source sur la feuille de paie. Un tel dispositif permettrait au passage de faire apparaître le salaire complet, par la réintégration des cotisations dites patronales, qui constituent en réalité un salaire indirect, propriété des salariés. Il serait aussi l'occasion de clarifier enfin nos cotisations sociales afin de mieux distinguer ce qui relève de la solidarité nationale, et donc de l'impôt et ce qui relève de l'assurance, et donc de la cotisation.

Si l'on veut répondre mieux encore à l'exigence sociale que constitue la réintégration dans le monde du travail de ceux qui en sont encore exclus, l'on peut aussi utiliser le revenu familial garanti pour stimuler la création d'emplois pour des métiers peu qualifiés dans des secteurs à faible valeur ajoutée, essentiellement dans le domaine des services. Nous avons en effet, par rapport aux Etats-Unis, une étude du CNRS le confirme, un déficit de cinq millions d'emplois du fait du coût du travail. Quel gâchis ! Je crois que nous pourrions utilement expérimenter, par voie de conventions, un revenu familial d'activité, garanti pour un travail salarié à temps partiel ou choisi, ou pour un travail indépendant lié à un résultat, rémunéré dans le cadre d'un contrat spécifique.

Après avoir ainsi décrit tous les nombreux avantages d'un vrai système de crédit d'impôt, je voudrais vous dire que je n'ignore pas, bien sûr, les quelques effets secondaires que certains redoutent. Ne va-t-on pas, tout d'abord, encourager les employeurs à baisser les salaires ? Il me serait facile d'observer que c'est déjà le cas, avec les effets de seuil des baisses de charges sociales accumulées au fil des ans, et qui ont conduit à une « smicardisation » de la société française que j'ai, pour ma part, toujours dénoncée. En outre, l'existence d'un salaire minimum et les perspectives de retour au plein emploi sont là pour conjurer ce risque.

Le crédit d'impôt ne va-t-il pas favoriser à l'excès le travail à temps partiel ? N'oublions pas que pour les trois quarts des érémistes, le chemin vers l'emploi passe justement par le temps partiel. D'ailleurs, compte tenu du retard que nous avons en France par rapport à d'autres pays en matière de temps partiel, je ne crois pas à ce risque non plus. Qui plus est, dans un contexte de retour au plein emploi, le temps partiel s'annonce désormais moins subi que choisi.

Subventionner le travail mal payé pour le rendre plus attrayant, n'est-ce pas prendre le risque de désorganiser le marché du travail ? Ce risque existe, mais c'est celui de toutes les aides à l'emploi et de toutes les baisses artificielles de charges sociales. La sagesse veut qu'au fil du temps et du retour au plein emploi nous atténuions cette aide publique pour permettre au marché du travail, redynamisé, de fonctionner plus librement et d'offrir des perspectives de revenus qui n'aient plus besoin de soutien public.

Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : le revenu familial garanti, même s'il n'est pas exempt de tout reproche, est un système plus clair, plus lisible, plus transparent et plus juste, qui minimise les distorsions et les effets pervers par rapport au système actuel.

Après avoir ainsi esquissé les traits d'une vraie réforme, j'en viens à votre projet. Sans doute faites-vous un pas dans la bonne direction, mais vous passez à côté d'une bonne idée. Votre « prime pour l'emploi » n'est pas une réforme, mais un replâtrage imposé par l'urgence, une solution de rechange à la ristourne de CSG condamnée à juste titre par le Conseil constitutionnel pour ne point tenir compte des situations familiales.

Vous choisissez non pas la voie d'un vrai crédit d'impôts, mais celle -sans doute plus électorale- d'une prime au SMIC, quand il eût été plus judicieux de favoriser aussi, et peut-être d'abord, le retour des érémistes à l'emploi car, comme l'a noté l'un de vos économistes, Roger Godino, « un érémiste à qui l'on proposera un emploi de smicard à temps partiel aura encore intérêt à le refuser ». Faute de s'inscrire dans une vision d'ensemble, dans une refondation sociale et fiscale, votre projet passe à côté d'une vraie réforme, et ces demi-mesures ne peuvent que conduire à un vrai ratage. C'est, vous le savez, ce que pensent beaucoup de vos amis.

Je sais bien qu'il est difficile de demander aux convertis de la dernière heure de mettre en _uvre des réformes empruntées à d'autres, et qui ne sont pas portées par une conviction, une vision étayée depuis longtemps. Demander aux socialistes d'instaurer aujourd'hui un véritable impôt négatif à la française, c'est un peu comme demander à un chat d'aboyer (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), pour reprendre la formule de Milton Friedman, père de l'impôt négatif.

Alors, un peu de courage et encore un effort ! Encore un effort pour proposer à tous les Français un vrai filet de protection sociale, clair, lisible, égalitaire, permettant de sortir les exclus de la pauvreté et d'accompagner leur retour à l'emploi, ainsi que de libérer le potentiel de création d'emplois peu qualifiés.

J'espère que tous ces arguments vous auront convaincu. J'espère que vous serez sensible aussi à l'appel du Président de la République, qui vous a invité à améliorer votre projet (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). A défaut, écoutez au moins ceux qui, dans vos rangs, vous invitent à l'audace, tel Michel Rocard qui écrivait, il y a quelques jours dans Le Monde : « Pas de timidité, camarades ! »

Aussi, pour vous donner le temps de l'imagination et de l'audace et pour vous permettre de présenter une vraie réforme, proposé-je à notre assemblée de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - J'ai écouté avec attention M. Madelin. Il a fait un exposé lumineux de ses positions libérales, que nous connaissons déjà, mais nous ne pouvons accepter la lecture qu'il a faite de la proposition du Gouvernement. Celle-ci, je le dis clairement, ne nous agrée pas pleinement. Mais M. Madelin se félicitait à l'idée d'un grand débat sur ces questions. Je propose donc de repousser sa question préalable, sans quoi il n'y aura pas de débat (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Mme Nicole Bricq - Nous avons assisté à un habile détournement de procédure, et M. Madelin a usé de cette tribune pour vanter les mérites de son programme... Il a essayé de montrer que le Gouvernement avait puisé l'idée de la prime pour l'emploi dans le programme libéral. Il aura du mal à nous convaincre que la lutte contre les inégalités entre les revenus d'activité fait partie du programme libéral ! Il parle d'une conversion récente et précipitée : c'est qu'il n'a pas suivi les débats à ce sujet dans la majorité plurielle, qui ne datent pas d'hier. Vous n'avez pas dit un mot, Monsieur Madelin, de la responsabilité sociale des entreprises ou des mesures qui relèvent de la volonté publique, comme le SMIC. Et dès lors, vous n'avez pas fait preuve d'une parfaite honnêteté intellectuelle, ni de l'audace à laquelle vous nous invitez. Vous n'êtes pas allé au bout de votre raisonnement.

Le nôtre est tout différent. Nous reviendrons dans le débat sur le interactions entre les pensées keynésienne et libérale. Mais nous rejetterons votre question préalable, car nous voulons voter une mesure favorable à la croissance et au retour à l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Cochet - Supposons que le revenu familial garanti de M. Madelin soit instauré : il en résulterait immédiatement deux conséquences que nous rejetons. Tout d'abord les femmes seraient incitées à s'exclure du marché du travail : c'est donc une mesure sexiste.

M. Alain Madelin - C'est l'inverse !

M. Yves Cochet - Ensuite les salaires échapperaient à toute règle pour ne plus dépendre que de l'offre et de la demande ; dès lors, on le sait, ils auraient une fâcheuse tendance à baisser... Ce n'est pas là l'audace qu'appelle le XXIe siècle ; c'est plutôt le retour à la Grande-Bretagne des working houses, où l'exclusion était en quelque sorte héréditaire. Nous ne sommes plus à l'époque de Dickens, que j'invite M. Madelin à relire, pour son profit. Nous ne voterons pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - La « prime pour l'emploi », ainsi nommée assez improprement, va dans le bon sens, dans la mesure où elle incite à la reprise d'un emploi. Les trappes à inactivité sont un des problèmes de notre temps, et il faut aider nos concitoyens à en sortir. Mais le projet comporte deux faiblesses. Tout d'abord votre prime à l'emploi pèsera sur les salaires les plus faibles. Ensuite elle n'incitera pas vraiment un couple à avoir deux salaires : l'incitation au deuxième salaire est en effet très faible. Pour sortir de cette difficulté, il y a une seule solution : une vraie réforme fiscale d'ensemble, comme l'a dit avec raison M. Madelin. Nous en sommes loin. C'est pourquoi le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Germain Gengenwin - L'UDF votera cette question préalable. M. Madelin a dénoncé l'aspect de repêchage que revêt ce que vous appelez prime à l'emploi et qui est en réalité un crédit d'impôt. Mais vous n'osez pas l'appeler par son nom. Aux arguments de M. Madelin j'en ajouterai un : il vous faudra employer quelques centaines de fonctionnaires pour gérer ce dispositif. En ce sens c'est une vraie « prime à l'emploi »... Nous voterons la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Gilbert Gantier - Après la sanction du Conseil constitutionnel, le Gouvernement nous présente un texte préparé dans l'urgence. Nous l'avions averti, dans le débat budgétaire, que sa première disposition était contraire à la Constitution, et nous avions fait des contre-propositions, que la majorité a refusées. Ainsi le groupe DL avait proposé un abattement de charges sociales, qui avait l'avantage de ne pas créer d'effet de seuil et d'inciter vraiment à la reprise du travail : il n'a pas été retenu.

De son côté, le Sénat avait proposé un crédit d'impôt, que vous avez également refusé. Après la décision du Conseil, vous avez dû improviser une solution. Après avoir savamment entretenu une hésitation médiatique de quelques jours, entre augmentation du SMIC et crédit d'impôt, le Gouvernement s'est résigné à adopter une solution dont les origines libérales effraient encore sur certains bancs de notre assemblée.

Hélas, votre proposition n'est qu'une version un peu honteuse de l'impôt négatif. Le Gouvernement a l'art de prendre de bonnes idées pour en faire de mauvais projets. Parmi les raisons de cette conversion, la perspective de distribuer 9 milliards à quelques semaines des échéances électorales de 2002 a pu jouer un rôle, mais c'est un autre débat...

En allant puiser chez les libéraux le principe de l'impôt négatif, le Gouvernement a accouché d'un texte en demi-teinte qui ne résout pas les vrais problèmes. En effet l'intérêt de l'impôt négatif est de lutter contre les trappes à pauvreté qu'engendrent la superposition de plusieurs minima sociaux et un système fiscal complexe. La reprise du travail est découragée quand elle n'apporte qu'une faible augmentation de ressources, quand de n'est pas une baisse. On enferme ainsi certaines familles dans une culture de la dépendance. Mais à cet égard votre texte ne résout rien. La prime pour l'emploi a la logique d'un impôt négatif, mais n'en a pas la plénitude, qui exigerait la mise en place du système fiscal . Telle quelle, elle n'a qu'un effet marginal.

Il faut souligner aussi les incohérences de ce projet. Les foyers où une seule personne travaille recevront une prime inférieure à celle des foyers où deux personnes travaillent. Supposons un couple avec trois enfants où seul un conjoint travaille, avec un revenu net de 164 000 F, il n'aura droit à rien, tandis qu'un autre couple où les deux conjoints travaillent, dont l'un au SMIC, avec un revenu de 298 000 F, recevra 2 100 F en 2001. Cela dit bien le caractère improvisé de ce texte.

L'impôt négatif, sorti de l'imagination de l'Ecole de Chicago, a permis à 4 millions de ménages américains de repasser au-dessus du seuil de pauvreté. L'idée a été mise en _uvre, depuis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique. Mais il ne s'agit pas de copier en France le modèle anglo-saxon : bien plutôt d'offrir un filet social à tous les Français, de simplifier notre système d'aide sociale, de mettre fin à une culture d'assistance. Tout cela mériterait mieux qu'un replâtrage : il faudrait une véritable refonte de notre système fiscal et social.

M. Gérard Bapt - Que ne l'avez-vous fait plus tôt ?

M. Gilbert Gantier - Les libéraux ayant à c_ur de promouvoir l'ascension sociale, considèrent le crédit d'impôt comme une réforme essentielle. Mais devant cette mesurette électoraliste et de simple opportunité, ils ne peuvent que s'abstenir (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Nicole Bricq - Le Conseil constitutionnel ayant annulé la mesure relative à la CSG au motif qu'elle serait une rupture d'égalité...

M. Philippe Auberger - Caractérisée !

Mme Nicole Bricq - ...Le Gouvernement a dû faire preuve d'imagination et de célérité pour nous proposer aujourd'hui une prime à l'emploi qui touchera 10 millions d'actifs et coûtera 25 milliards à terme, soit le même montant que la mesure initialement prévue. Cette prime a donné lieu à un débat sémantique, « impôt négatif », « allocation compensatrice », « crédit d'impôt ». De quoi s'agit-il en réalité ? D'une prime à l'emploi qui sera versée aux salariés les plus modestes pour compléter leur revenu. 20 % des ménages recevront 70 % des 25 milliards disponibles, il s'agit donc bien d'une mesure redistributive, qui vise à encourager le retour au travail, sans toutefois stigmatiser les chômeurs. Si ces derniers cherchent à retrouver un travail, ce n'est pas seulement affaire de revenu, c'est aussi pour mieux s'intégrer, pour plus de dignité. Il n'empêche qu'un arbitrage financier peut conduire à arbitrer en faveur d'un revenu social de préférence à un salaire trop faible.

Certains commentateurs assurent que la prime à l'emploi se retournera contre les femmes. C'est oublier que ces dernières sont les plus pénalisées par le chômage, et que du reste certaines mesures sociales existantes ont des effets pervers à leur détriment, comme l'allocation parentale d'éducation qui les enferme bientôt dans l'inactivité.

Les libéraux souhaiteraient que cette mesure exonère les entreprises de leurs responsabilités sociales. Au contraire, elle appellera une intervention publique sur le SMIC.

Nous sommes favorables à cette disposition, qui contribuera au pouvoir d'achat, servira l'activité et la croissance. Il faut lutter contre les trappes à inactivité et à pauvreté, voter ce projet et le mettre en _uvre dès 2001 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV).

M. Philippe Auberger - En fait d'urgence, c'est de la précipitation ! Adopté en conseil des ministres le 31 janvier, examiné en commission le 1er février, ce projet arrive déjà le 6 en séance publique.

M. Augustin Bonrepaux - Il faut s'en féliciter !

M. Philippe Auberger - Ne confondez pas hâte et précipitation ! Cette célérité me paraît un peu suspecte.

D'autre part, il n'est peut-être pas indispensable de se lancer à la figure les noms de Tobin, Milton Friedman, voire Lionel Stoleru. Je ne vois pas non plus l'intérêt de citer l'exemple anglais, puisque le dispositif anglais concerne 1 million de personnes seulement contre 9 en France...

Mme Nicole Bricq - Dix !

M. Philippe Auberger - De même aux Etats-Unis, peu de gens sont concernés.

Le projet répond à une véritable nécessité, celle de favoriser la reprise de l'emploi, et notamment pour les personnes qui se trouvent un peu à la marge.

Reste qu'il comporte deux inconvénients majeurs. Il risque de contribuer à une certaine stagnation des salaires et à décourager la recherche d'un second salaire dans le ménage. Par ailleurs, il avantage les couples par rapport aux personnes seules : pour un niveau de revenu égal à un SMIC, la prime sera en effet de 1 500 F pour une personne seule et de 2 000 F pour un couple, et s'il y a un enfant, elle sera respectivement de 1 900 F et de 2 200 F. Autre inconvénient : le dispositif n'incite nullement à rechercher un deuxième salaire puisque, avec un SMIC et un demi SMIC -c'est souvent ainsi qu'est rémunéré le temps partiel exercé par les femmes, par exemple, dans les grandes surfaces-, la prime ne passera qu'à 2 250 F.

Par ailleurs, aucune possibilité d'amender le texte ne nous a véritablement été offerte puisque les remboursements sont considérés, en droit budgétaire, comme une dépense publique que l'article 40 nous interdit d'aggraver. Pour contourner cet obstacle, le président de la commission des finances a imaginé une sorte de double gage : avec le premier, on ne rembourserait pas les sommes dues dès lors que l'on modifierait le mode de calcul, avec le second la diminution des recettes serait compensée par une hausse de la taxe sur les tabacs. Bien évidemment, s'il acceptait l'amendement, le Gouvernement lèverait ce double gage...

Mme Nicole Bricq - Le président est inventif...

M. Philippe Auberger - Il m'a fallu lui demander le texte de son intervention et l'analyser quatre jours durant pour bien la comprendre et pour m'apercevoir qu'en fait, elle ne résisterait guère au Conseil constitutionnel tant elle traduit un abus caractérisé de l'application de l'article 40.

On voit bien l'intérêt électoral de la mesure proposée : le Gouvernement sait gérer le calendrier, y compris électoral ; le remboursement interviendrait en septembre prochain, à quelques mois d'échéances politiques capitales, accompagné sans doute d'une lettre explicative du Premier ministre. On pourrait même se demander s'il ne conviendrait pas d'imputer cette dépense au compte de campagne de M. Jospin...

M. Gérard Bapt - Vous êtes inventif aussi...

M. Philippe Auberger - L'administration des impôts a tout de suite évoqué le surcroît de travail et demandé des renforts pour faire face à l'application de cette mesure. Le coût d'assiette et de recouvrement de l'impôt sur le revenu est déjà plus élevé en France que dans les autres grands pays occidentaux ; faut-il l'accroître encore ? L'administration devra désormais distinguer complètement les revenus d'activités des autres et tenir compte du nombre d'heures travaillées par an.

Le Gouvernement aurait été mieux inspiré de suivre enfin, les propositions du Conseil des impôts qui préconise une fusion de la CSG, impôt proportionnel et de l'impôt sur le revenu, qui serait la partie progressive. On reviendrait ainsi à la distinction d'avant 1959. Cela permettrait de rapprocher les assiettes et d'apporter une solution immédiate au problème de la déductibilité de la CSG et de la CRDS. Cette vaste réforme devrait être combinée avec la généralisation de la retenue à la source qui permettrait de familiariser l'ensemble et d'éviter le système 500 F pour un couple par rapport à une personne seule, 200 F par enfant, 400 F par enfant dans une famille monoparentale. On déconnecterait ainsi la prime à l'emploi, intégrée dans la retenue à la source, du salaire. Son bénéfice serait immédiatement perceptible, alors qu'avec votre système le décalage fera croire à une allocation, sans lien avec le salaire.

M. Pierre Méhaignerie - C'est exact.

M. Philippe Auberger - Vous laissez donc passer l'occasion historique d'une vaste réforme de la fiscalité sur le revenu qui l'aurait rendue lisible, qui aurait incité à reprendre un emploi de façon non contestable par le Conseil constitutionnel.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - Avec cette prime à l'emploi, l'objectif du Gouvernement est d'augmenter le pouvoir d'achat après impôt des personnes qui tirent de faibles revenus de leur activité, tout en incitant au retour à l'emploi. Ce dispositif est la réponse à la décision du Conseil constitutionnel d'annuler l'article de la loi de finances 2001 qui exonérait de la CSG les salariés payés au SMIC et qui allégeait la contribution jusqu'à 1,4 fois le SMIC. Les députés communistes avaient contribué à améliorer cette mesure, initialement limitée à 1,3 SMIC, en insistant sur la nécessité d'aller jusqu'à 1,8 SMIC, objectif retenu au sommet de la gauche plurielle.

Cette mesure était loin d'être parfaite mais elle procurait dès le 1er janvier 2001 un gain de pouvoir d'achat aux plus modestes. Elle s'inscrivait dans la perspective d'une progressivité de la CSG.

Elle bénéficiait, au moins pour la CRDS, aux retraités et aux préretraités.

C'est dire notre insatisfaction devant la décision du Conseil constitutionnel d'annuler une mesure voulue par la représentation nationale et porteuse, en dépit de ses limites, de justice sociale.

Les arguments juridiques avancés par les « Sages » n'ont pas empêché cette décision d'être ressentie, à juste titre, comme une injustice, voire une provocation, par des millions de nos concitoyens.

La droite, qui ferraille inlassablement contre toute avancée de notre fiscalité vers plus de justice sociale, et qui a pris l'initiative de saisir le Conseil constitutionnel, porte ici une lourde responsabilité. Nos concitoyens devront, par sa faute, attendre encore neuf mois pour bénéficier enfin de quelques milliers de francs, précieux pour des familles qui tirent chaque mois le diable par la queue. Ce retard est aussi préjudiciable sur le plan macro-économique. La nécessaire amélioration des conditions de l'offre mériterait en effet d'être accompagnée d'un soutien de la demande, donc de la consommation populaire, puisque nous sommes entrés dans une phase de ralentissement de la croissance à la suite du retournement de la conjoncture aux Etats-Unis.

Si nous comprenons qu'il est difficile de réduire les délais de mise en _uvre du dispositif proposé, nous persistons à penser qu'un autre choix était possible.

Dès l'annonce de la décision du Conseil constitutionnel, notre groupe s'est clairement prononcé en faveur d'une augmentation rapide et équivalente du SMIC, des bas salaires et des retraites les plus faibles, accompagnée d'une augmentation des minima sociaux.

Cette solution aurait permis de concrétiser à bref délai l'engagement pris dans la cadre de la loi de finances pour 2001, de donner la priorité au pouvoir d'achat des bas salaires et des précaires, dans la perspective d'une augmentation générale des salaires, dont la part dans la valeur ajoutée n'augmente pas et de soutenir l'activité et le principe de l'emploi stable et correctement rémunéré.

Les crédits budgétaires prévus pour les baisses de CSG auraient alors pu être affectés à un fonds spécial d'allégement des charges financières des entreprises favorisant le développement de l'emploi et des qualifications.

A cette voie a été préféré un crédit d'impôt, critiqué par plusieurs organisations syndicales et qui a suscité des interrogations sur tous les bancs de la majorité plurielle. La compatibilité d'une telle disposition, défendue par les chantres du libéralisme, avec une politique économique de gauche, est en effet douteuse.

Nous partageons ces interrogations, car c'est bien l'orientation à adopter pour concrétiser et renforcer la lutte contre le chômage qui est en cause.

Comment se donner l'ambition d'un vrai plein-emploi sans intégrer la lutte contre la précarité et l'action en faveur de nouvelles garanties sociales ?

Ceci permettrait pourtant de faire progresser l'efficacité de notre système productif, la sécurité de l'emploi et la formation pour tous.

Nous ne pouvons partager à cet égard les orientations du rapport Pisani-Ferry, selon lequel le chômage devrait demeurer le régulateur fondamental de l'économie, la politique gouvernementale s'infléchir dans le sens d'une baisse du coût salarial de l'emploi, sans pour autant s'attaquer aux marchés financiers.

Cela déresponsabiliserait encore davantage les grands groupes industriels et financiers, qui devraient plutôt être incités à développer l'appareil de production et les qualifications et à donner enfin la priorité, non aux placements financiers, mais à l'investissement productif.

Or le dispositif proposé risque d'encourager les entreprises à privilégier les emplois à bas salaires et à faible qualification. Le fait que le montant de la prime à l'emploi ne figure pas sur la feuille de paie risque d'apparaître comme de peu de poids face à l'incitation contre-productive à favoriser une baisse générale des coûts salariaux.

Le crédit d'impôt vise à inciter les chômeurs pour qui l'écart entre les revenus de remplacement et le SMIC est trop faible, à accepter un emploi. Or, ce point de vue présuppose qu'on renonce désormais à augmenter de manière significative le SMIC et les bas salaires. Il s'agit pourtant là d'une exigence fondamentale de nos concitoyens qui, selon une enquête d'opinion récente, sont prêts pour 78 % d'entre eux à mener des actions pour faire valoir cette revendication légitime.

Ils savent en effet que les profits des grands groupes industriels et financiers ont explosé avec le retour de la croissance, ce qui ne les empêche nullement de continuer à licencier.

Alors que le groupe Total-Elf, par exemple, annonce un profit annuel historique de 50 milliards de francs, est-il vraiment impossible de financer une augmentation du SMIC et des minima sociaux et de promouvoir un autre partage entre les salaires et les profits ?

Si un rééquilibrage des prélèvements obligatoires s'impose, la hausse du pouvoir d'achat ne saurait cependant passer principalement par des allégements fiscaux.

Il y va de la nécessité de disposer de moyens budgétaires pour l'action publique. Nous ne pourrions ainsi que nous opposer, alors que nous avons dit notre sentiment sur l'évolution des crédits du ministère de l'emploi, à un arbitrage qui aboutirait à financer la montée en puissance de la prime pour l'emploi au détriment d'autres dispositifs, notamment de formation.

Si nous continuons à penser que l'on pouvait l'obtenir par d'autres moyens, la mesure proposée contribuera indéniablement à améliorer de manière significative les revenus d'activités, jusqu'au niveau d'1,4 fois le SMIC.

10 millions de nos concitoyens, soit environ 8 millions de contribuables, pourraient être concernés.

Dès septembre prochain, 5 millions de foyers bénéficieront d'une prime supérieure à 1 000 F, et plus de 600 000, d'une prime supérieure à 2 000 F. Le texte prévoit une montée en puissance du dispositif sur plusieurs exercices budgétaires afin de rattraper largement le manque à gagner pour certaines catégories par rapport à ce qui était prévu avec les allégements de CSG.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Maxime Gremetz - La prise en compte des foyers où une seule personne travaille et la majoration de la prime pour les familles méritent également d'être soulignées.

S'il est possible d'améliorer encore le texte en ce domaine, il peut être considéré comme logique, compte tenu de ses objectifs, qu'un couple mono-actif disposant d'un revenu équivalent à deux fois le SMIC bénéficie moins du dispositif, qu'un couple dont les deux conjoints exercent une activité rémunérée au niveau du SMIC.

Les députés communistes voteront ce texte, qui est de nature à améliorer le pouvoir d'achat de millions de nos concitoyens et qui concrétise, même tardivement, un engagement pris devant les Français.

Nous ne mettons pas en cause la bonne foi du Gouvernement lorsqu'il affirme que l'objectif de la prime pour l'emploi n'est pas de se substituer à la hausse des salaires ou à une réforme fiscale.

C'est bien de le dire, mais il faut le faire. La prime pour l'emploi que nous allons adopter doit s'accompagner d'une augmentation du SMIC, des salaires, et des retraites, qui sont exclus du champ du projet. J'ai d'ailleurs pris acte du début de réponse de Mme Guigou sur la possibilité d'avancer dès début avril dans cette voie, lors de la commission nationale de la négociation collective.

C'est une exigence grandissante. Elle est au centre des mouvements sociaux récents et s'exprime largement dans toutes les enquêtes d'opinion.

Refuser de l'entendre serait particulièrement risqué pour le Gouvernement et pour toute la majorité.

Le Gouvernement a la capacité de relever substantiellement le SMIC et les minima sociaux et il peut prendre l'initiative d'une conférence sur les salaires réunissant les partenaires sociaux (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe RCV).

M. Pierre Méhaignerie - Si l'objectif du projet est partagé sur tous nos bancs, le choix des moyens ne l'est pas. Certes chacun a le devoir d'inciter au retour au travail. Et la différence entre les revenus procurés par les prestations sociales et ceux du travail est insuffisante dans une période où l'offre de travail n'est pas satisfaite. Il faut d'autre part revaloriser le travail, fruit de l'effort personnel, d'autant plus que les comparaisons européennes ne sont pas à notre avantage. Le salaire d'un ouvrier d'Italie du nord ou d'Allemagne est de 10 à 25 % supérieur à celui de son homologue français, amputé par les taxes et cotisations sur le travail, alors que l'employeur débourse le même salaire global. Enfin, chacun ressent la nécessité de revaloriser le pouvoir d'achat au moment où il stagne du fait dès 35 heures. Les moyens choisis par le Gouvernement présentent cependant quatre inconvénients.

Le premier est d'ordre culturel car, comme l'a fort justement rappelé M. Auberger, le salarié apprécie bien plus de voir sa fiche de paie revalorisée que de bénéficier tardivement d'une prestation supplémentaire !

M. Augustin Bonrepaux - C'est bien ce que nous proposions !

M. Pierre Méhaignerie - Le deuxième tient à l'extrême complexité du dispositif, à l'évidence peu compréhensible.

Le troisième a trait au montant de la prime, qui reste relativement faible. En outre, sa diminution brutale entre 1 et 1,3 SMIC crée un effet de seuil considérable, éminemment préjudiciable pour les salariés concernés.

Du reste, aucun de vos arbitrages ne nous satisfait car il eût été infiniment préférable de soutenir l'activité en diminuant les charges plutôt que de privilégier la baisse de l'impôt sur le revenu ou la suppression de la vignette.

Songez qu'en consacrant les 40 milliards de baisses d'impôts à une diminution de 6,1 points des cotisations sociales, 7 millions de salariés rémunérés entre 1 et 1,3 SMIC auraient reçu 450 F de plus par mois, sans effet de seuil. A l'horizon 2002, la mesure aurait pu s'étendre à tous ceux dont la rémunération reste inférieure à 1,6 SMIC.

Nous continuerons de plaider pour cette solution, plus simple et plus motivante, car elle répond à l'aspiration de tous les salariés de gagner en pouvoir d'achat.

Du reste, il n'est que temps de répondre aux espérances que vous aviez vous-même suscitées en laissant entendre que la règle des 35 heures pourrait être assouplie et que les salariés pourraient opter librement entre un repos compensateur supplémentaire et le paiement effectif des heures supplémentaires.

Si l'on considère la contrainte qu'exerce sur notre économie la maîtrise du déficit public, il est patent que la revalorisation des salaires directs, tant attendue par nos concitoyens, sera très difficile à opérer. Or, la France accuse un retard certain sur ses partenaires européens en termes de pouvoir d'achat des salaires. Dès lors, la mesure que vous proposez reste largement en-deça de nos besoins structurels et elle ne répond pas aux aspirations de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Chantal Robin-Rodrigo - L'obstruction systématique de la droite visant à refuser d'améliorer la situation de près de dix millions de nos concitoyens les plus modestes nous conduit aujourd'hui à légiférer.

M. Pierre Méhaignerie - Baratin et idiotie !

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Depuis plus de trois ans, le Gouvernement de Lionel Jospin a conduit en revanche plusieurs réformes importantes pour aider les foyers à revenus modestes et les députés radicaux de gauche s'en félicitent.

S'adressant dans 7 cas sur 10 à des ménages non imposables, le présent dispositif est favorable à l'activité et il doit concourir à réaliser l'objectif -encore hypothétique- du plein emploi. Il concernera dans une large mesure les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes seules, et incitera tous ceux qui sont tentés de s'enfermer dans l'inactivité à reprendre, fût-ce à temps partiel, un emploi conciliant la vie familiale et des revenus confortés.

Bien que les sommes versées la première année restent modestes, la mise en _uvre progressive de la réforme améliorera la condition de près de 10 millions de nos concitoyens. Versée à compter du 15 septembre prochain, la prime compensera pour partie les prélèvements sociaux et les charges diverses qui pèsent sur les revenus d'activité.

Alors que depuis 1997, près de 1,5 million de personnes ont repris une activité salariée, l'embellie ne doit pas faire oublier que beaucoup d'entre eux sont encore employés sous un statut précaire.

Le retour à la croissance ne suffit donc pas, à lui seul, à faire disparaître l'exclusion et si le nombre d'allocataires du RMI a diminué, il reste un noyau dur de personnes privées d'emplois que seul un accompagnement individuel pourra ramener vers l'activité.

A ce titre, les dispositifs d'insertion par l'économique doivent être renforcés car ils sont seuls de nature à faire du droit au travail un droit pour tous ; il y a là, pour nous radicaux, une exigence de justice sociale à laquelle nous ne pouvons nous dérober.

La prime pour l'emploi qui nous est aujourd'hui présentée tient compte du revenu et des charges du foyer. Elle poursuit l'objectif de favoriser le retour ou le maintien dans l'emploi des personnes à faibles revenus.

Les radicaux voteront sans état d'âme ce projet de loi, qui permettra de redonner de la main gauche ce que le Conseil constitutionnel a pris de la main droite (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Augustin Bonrepaux - S'agissant, Monsieur Auberger, de l'application de l'article 40 de la Constitution, je tiens à apaiser toutes vos inquiétudes. La prime pour l'emploi institue bien un droit à récupération et le rapport de M. Barrot lève à ce sujet toute ambiguïté : s'agissant d'une opération de recettes, les amendements extensifs doivent être gagés pour être recevables. Cette interprétation juridiquement fondée a du reste permis à M. Auberger d'amender le texte d'une manière scrupuleusement conforme à la Constitution et ne remet nullement en cause le fait que le dispositif instaure un crédit d'impôts.

A l'occasion du débat budgétaire, nous avions adopté un dispositif de ristourne dégressive de la CSG et de la CRDS éminemment favorable aux ménages modestes puisqu'il devait se traduire par une exonération totale sous trois ans de ces contributions pour tous les salariés dont le revenu reste inférieur à 1,4 SMIC. L'objectif essentiel de la mesure, outre ses vertus redistributives évidentes, était de favoriser le retour à l'emploi en revalorisant de manière significative le salaire net.

Dès lors, nous sommes quelque peu étonnés d'entendre l'opposition dire qu'elle partage ces préoccupations...

M. Jean-Pierre Brard - Mensonge !

M. Augustin Bonrepaux - ... tout en mettant tout en _uvre, non sans hypocrisie, pour faire annuler ce que nous proposons !

M. Philippe Auberger - Nous retrouvons là votre sens habituel de la nuance !

M. Augustin Bonrepaux - Nous considérons pour notre part qu'il n'est que temps d'agir pour les moins favorisés et nous devons vous remercier, Monsieur le ministre, d'avoir proposé sans plus tarder ce dispositif de justice sociale. Sans doute n'est-il pas aussi limpide que la ristourne dégressive mais ce sont ceux-là même qui dénoncent la complexité du présent projet qui nous ont empêchés de faire aboutir le précédent. Parce qu'il n'est porteur d'aucune tension inflationniste et qu'il est favorable à l'activité nous le soutenons sans réserve ; pour autant, nous sommes favorables à une revalorisation significative du SMIC au 1er juillet.

Je conclurai par deux observations. La première, c'est qu'il est décidément plus facile de réduire les impôts des plus riches que ceux des plus pauvres : si nous avions proposé de baisser l'ISF, personne, à droite, n'aurait crié à l'injustice envers ceux qui n'ont pas de fortune, mais comme nous avons entrepris de réduire les charges des plus modestes, l'on s'est empressé de saisir le Conseil constitutionnel ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) La seconde, c'est que nous devrons réfléchir bientôt, peut-être dans le cadre d'un regroupement - différent, dans son esprit, de celui envisagé par M. Auberger - de l'impôt sur le revenu et de la CSG, à la façon de rendre celle-ci plus progressive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Très bien !

M. Yves Cochet - Le pacte pour l'emploi est une idée à moitié bonne et à moitié mauvaise.

M. Pierre Méhaignerie - Eh oui !

M. Yves Cochet - Elle est bonne dans la mesure où elle a été préférée à une augmentation du SMIC, celui-ci n'étant plus l'outil principal de la politique sociale. Force est en effet de constater, quitte à le regretter, qu'il ne fédère plus les revendications syndicales, qu'il ne joue plus son rôle de diffuseur des augmentations générales, et qu'il ne constitue même plus, ni en droit ni en fait, un véritable salaire minimum. Se contenter de le réévaluer eût été exclure tous ceux qui sont déjà exclus du salariat et, a fortiori, du travail. Aussi interprétons-nous la décision du Gouvernement comme un début de reconnaissance de la revendication, portée par des collectifs de chômeurs et d'exclus, d'un revenu de citoyenneté, qui serait distribué aux plus défavorisés de nos concitoyens, quel que soit leur statut. Y faire droit serait une avancée politique considérable.

La prime pour l'emploi est toutefois mauvaise, du moins à moitié, car elle est réservée aux ménages dont un membre au moins exerce une activité professionnelle. Les chômeurs et les exclus sont donc doublement pénalisés : d'abord parce qu'ils n'ont pas de travail, ensuite parce qu'ils se trouvent hors du champ de la seule mesure d'aide directe au revenu dont ils pourraient bénéficier. Où est la justice sociale ?

Mme Nicole Bricq - Dans l'aide au retour à l'emploi !

M. Yves Cochet - Je crois que le temps est venu de réfléchir à la dissociation du travail et du droit au revenu, en prenant acte du fait que la part des prestations sociales dans le PIB n'a cessé de progresser depuis un demi-siècle et qu'une part croissante du revenu des ménages est disjointe de toute participation directe à la production. L'idée d'un revenu universel s'appuie sur le caractère de bien collectif que revêt désormais le produit national : compte tenu des liens d'interdépendance au sein de la société, chaque citoyen peut être considéré, en effet, comme producteur direct ou indirect de richesse, qu'il travaille ou non, j'en veux pour preuve le fait que les licenciements sont jugés, par ceux-là mêmes qui y procèdent, comme indispensables à la rentabilité de l'appareil productif.

Mme Nicole Bricq - Nous refusons ce raisonnement !

M. Yves Cochet - A moitié bon, à moitié mauvais, le projet qui nous est présenté n'est qu'un premier pas vers ce que nous proposons. C'est pourquoi, à moins que notre amendement - unique - à l'article unique soit adopté, nous nous abstiendrons.

M. Gérard Bapt - Comme Madelin !

M. Yves Cochet - Mais pas pour les mêmes raisons !

Mme Nicole Bricq - Ce que vous proposez revient au même !

M. Jean-Pierre Brard - Pour ma part, je ne crois pas qu'il faille raisonner, comme le faisait la philosophie médiévale, en termes de « tiers exclu » (Sourires). Je suis pour qu'il y ait fromage « et » dessert (Mêmes mouvements), mais à condition que ce ne soit pas toujours pour les mêmes, pour les Messier et consorts...

Mes chers collègues, je suis tenté de vous appeler mes très chers collègues, car vous avez failli coûter très cher à nos concitoyens les plus modestes, et il a fallu toute la détermination de la majorité plurielle et de son gouvernement pour parer au mauvais coup que vous avez fait en déférant au Conseil constitutionnel la mesure prévue en leur faveur par la loi de financement de la sécurité sociale. On peut au demeurant s'interroger sur ceux que l'on appelle les juges constitutionnels, qui semblent de plus en plus être à l'image des membres de la Cour suprême des Etats-Unis, lesquels ne sont appelés juges que par abus de langage, car ils statuent non pas au nom de la justice, mais selon leurs partis pris, leurs inclinations, qui penchent toujours d'un même côté de l'échiquier politique...

Mais venons-en à la prime pour l'emploi. D'ici à 2003, quelque 25 milliards seront reversés à 10 millions de salariés modestes, si bien qu'un couple comptant un seul salarié, payé au SMIC, recevra 2 000 F dès cette année et 5 000 F en 2003, tandis qu'un couple de deux salariés payés au SMIC recevra 3 000 F cette année et 9 000 F en 2003. Certes, ces sommes peuvent paraître modestes aux redevables de l'ISF, mais elles ne sont pas négligeables pour ceux qui ont du mal à boucler leurs fins de mois, notamment pour les parents isolés qui représentent, avec les moins de 35 ans, quelque 60 % des futurs bénéficiaires de la prime. M. Auberger trouve que celle-ci a été décidée avec trop d'empressement, mais il est bien mesquin d'opposer cet argument à ceux qui, vivant de leur travail, sont dans le besoin, et qui verront leur revenu après impôt augmenter grâce au chèque qu'ils recevront du Trésor public dès la mi-septembre.

Cette importante mesure, qui favorisera, en outre, le retour à l'emploi, et en particulier celui des plus démunis, ainsi que le montrent diverses expériences étrangères, je l'appelais de mes v_ux depuis de longs mois, et j'ai même publié, cet été, un article à ce sujet dans Libération. Je dirai même, toute modestie mise à part, Monsieur le Ministre, que, si vous m'aviez écouté plus tôt (Sourires), nous nous serions épargné la discussion de ce soir, puisque nous n'aurions pas été retoqués par les « sages » du Palais-Royal à l'instigation de leurs amis de l'opposition de droite...

Le texte qui nous est soumis est un bon texte, que les composantes de la gauche plurielle peuvent soutenir, mais qui ne saurait dispenser le Gouvernement d'illustrer l'attention particulière qu'il porte aux bas salaires en planifiant des coups de pouce successifs au salaire minimum. Le retour de la croissance le permet, la nécessité de sa poursuite l'exige (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Gérard Saumade - Avec le développement du libre-échange et la mondialisation de l'économie, mais aussi, plus profondément et plus dangereusement, avec la révolution technologique qui a pour effet d'accroître la part du capital, au détriment de celle du travail, dans la combinaison des facteurs de production, le partage de la valeur ajoutée tend à évoluer au désavantage des salaires, lesquels subissent, en outre, une distorsion croissante entre le haut et le bas de l'échelle. La croissance économique, qui se traduit par une augmentation globale des revenus -jamais la France n'a été aussi riche- n'a pas interrompu ce processus de creusement des inégalités, même si l'on a observé cette année une certaine stabilisation. En effet la croissance actuelle va avec le maintien d'un chômage élevé, qui pèse sur le niveau des salaires, en particulier ceux des salariés peu qualifiés. Car le salaire n'est pas égal à la productivité du travail, comme l'affirme à tort M. Madelin : il ne lui est égal qu'à l'équilibre et, à l'équilibre, comme le notait Ricardo, le profit disparaît... En fait, le salaire ne se rapproche de cette productivité qu'en situation de plein-emploi. C'est pourquoi la recherche du plein-emploi est essentielle, en tout cas pour nous qui, à gauche, tenons à la justice sociale. Et ce texte va la favoriser. En effet la croissance -qui n'est pas le seul produit d'une évolution internationale, mais aussi de la politique de ce Gouvernement- n'a pas atteint les buts sociaux que nous pouvions en attendre. La prime pour l'emploi devrait aider à avancer vers le plein-emploi. Elle contribuera en effet à réduire les inégalités de revenus, à susciter le retour sur le marché du travail d'un certain nombre de chômeurs, chose importante non seulement en termes économiques, mais sur le plan de la dignité. Elle contribuera aussi à accroître les revenus les plus faibles, qui sont ceux dont le coefficient de préférence pour la consommation est le plus élevé et, par conséquent, dont l'impact sur la croissance est le plus efficace quand l'inflation est maîtrisée.

Les députés MDC et apparentés auraient certes préféré que la prime soit liée directement à la feuille de paie, pour souligner la relation de l'accroissement des revenus avec le travail réalisé.

M. Germain Gengenwin - C'est ce que nous disons !

M. Gérard Saumade - Sur le plan social, cela aurait l'avantage de montrer plus directement la participation des hauts revenus, notamment ceux du capital, que par le biais fiscal. Et cela aurait assuré une plus forte attractivité à la recherche d'un emploi. Toutefois, ne retenant que l'essentiel -l'apport aux salaires les plus faibles, la réduction des inégalités- les députés MDC et apparentés voteront ce texte sans difficultés et sans crise de conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Gérard Bapt - Après la décision inopportune du Conseil constitutionnel, le Gouvernement a réaffirmé une volonté politique claire sur deux objectifs : encourager le retour à l'emploi et améliorer le pouvoir d'achat des rémunérations les plus faibles. Dans cet esprit, vous nous proposez une prime à l'emploi qui concerne les plus faibles rémunérations parmi toutes les activités professionnelles : salariés, artisans, commerçants et agriculteurs. C'est au niveau du SMIC que la prime sera la plus élevée. Elle concernera pour 70 % des personnes non imposables à l'impôt sur le revenu. Elle sera augmentée en fonction du nombre d'enfants à charge, ou si un seul conjoint travaille. Le fait qu'elle soit traitée par l'administration fiscale évitera que l'information soit transmise à l'employeur ; ainsi tombe l'argument selon lequel cette prime jouerait contre le salarié, puisqu'elle ne sera pas connue de l'employeur. C'est une mesure de justice sociale, car l'écart s'est beaucoup creusé ces dernières années au détriment des bas salaires. C'est aussi un facteur de soutien de la demande intérieure, portant sur des consommations non inflationnistes, et donc un élément de croissance et de création d'emplois.

Ainsi l'objectif de plein emploi, qui pouvait sembler oublié, est en réalité au c_ur de la réforme.

Il s'agit d'accompagner la diminution du nombre des demandeurs d'emploi, dont nous nous réjouissons depuis trois ans, qui est portée par la croissance et par son enrichissement en emplois grâce aux politiques publiques ; l'an 2000 aura ainsi vu 600 000 créations d'emplois, après les 480 000 de 1999. Mais il reste plus de 2 millions de demandeurs d'emploi. Nous sommes loin du plein emploi ; les publics les plus éloignés de l'emploi ont toujours besoin de mesures d'insertion ; et nous vivons une situation paradoxale où certains secteurs ont de la difficulté à recruter. Il est donc opportun d'accroître l'attractivité du retour à l'emploi.

Il y a encore trop de cas où il est plus avantageux de demeurer dans l'assistance. Il faut lutter contre ces trappes à inactivité.

Sur ce point nous sommes en divergence avec M. Madelin, et je n'en suis pas étonné, mais aussi avec M. Cochet, ce qui me choque davantage. Pour nous lutter contre la pauvreté et l'exclusion passe d'abord par l'accès à l'emploi, et non par un revenu universel d'existence ou un revenu familial garanti. Des mesures en faveur du retour à l'activité existent déjà, notamment la possibilité de cumuler le RMI et un revenu d'activité pendant un certain délai.

Et n'oublions pas les mesures fiscales concernant notamment l'impôt sur le revenu, avec la décote et la baisse du taux de la première tranche. Mais, comme beaucoup de sorties du RMI se font vers l'emploi précaire, beaucoup craignent de perdre leur revenu de transfert, ou d'être contraints à des démarches longues et pénalisantes. La prime pour l'emploi, assise sur le revenu d'activité, permettra de lutter contre la pauvreté au travail et facilitera la transition vers l'emploi.

Comme la réduction de CSG qu'elle remplace, la prime pour l'emploi lie l'avantage accordé à l'activité professionnelle. Elle ne dissuade pas les femmes de reprendre un travail, comme on l'a dit, car elle est plus élevée en cas de bi-activité du couple. Elle diffère du crédit d'impôt libéral en ce qu'elle est liée à l'activité professionnelle ; par là elle est socialement juste. Elle n'est pas décalquée d'un modèle étranger, mais s'inscrit dans le projet économique et social d'une gauche à la française. Il va de soi que le groupe socialiste la votera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Plusieurs orateurs, même si ce n'était pas pour en tirer les mêmes conclusions, ont souligné la rapidité avec laquelle nous avons proposé une solution. Il est certain que nous avons voulu aller vite après la décision du Conseil constitutionnel. Mais c'est que nous souhaitions que les bénéficiaires puissent recevoir ces sommes au plus tôt. Cette rapidité, Florence Parly et moi-même, qui avons passé nos congés de Noël à travailler là-dessus, nous l'assumons totalement. Il fallait trouver vite une solution, dans l'intérêt de millions de personnes.

Plusieurs orateurs ont évoqué une complexité du dispositif, M. Gengenwin allant jusqu'à dire, avec humour, que c'était une « prime pour l'emploi »... dans la fonction publique. Je lui rappelle toutefois que les envois ne seront pas faits à la main, et que donc il n'en résulte pas de complexité supplémentaire. Enfin, M. Auberger nous prête des arrière-pensées électorales -mais si l'opposition vote ce projet, il en sera évidemment fait état, car nous avons l'habitude de dire les choses comme elles sont.

J'en viens à quelques points importants soulevés par plusieurs orateurs. M. Méhaignerie a évoqué une autre solution, qui aurait été de réduire les cotisations sociales salariales. Dès lors il n'aurait pas été nécessaire de réduire l'impôt sur le revenu et de créer la prime pour l'emploi. Nous avons effectivement eu ce débat, et si nous avons écarté cette solution, c'est après y avoir réfléchi.

Quand on parle de baisser les cotisations, on vise les cotisations-vieillesse, disons-le. Nous avons considéré que, dans la situation où se trouvent les régimes de retraite, et l'opposition nous le répète assez, il n'était pas opportun d'envoyer un tel signal.

M. Gremetz, dans une intervention très réfléchie, a soulevé un point important, et je souhaite lui expliquer pourquoi nous n'avons pas choisi la hausse du SMIC comme substitut à la baisse de la CSG. C'est que cela aurait posé quelques problèmes délicats. D'abord, nous n'aurions plus touché que 2 ou 3 millions de personnes au lieu de 8 ou 9. Ensuite, on nous suggérait de gager cette mesure sur une baisse des cotisations patronales -mais comment nous serions-nous assurés que celle-ci aurait vraiment entraîné une hausse des salaires ? En outre, ne risquait-on pas d'entrer dans une spirale très dangereuse ? Les responsables patronaux ne nous demanderaient-ils pas, lors de la prochaine hausse du SMIC, une nouvelle contrepartie, une nouvelle baisse des cotisations ? Nous pensons qu'il ne faut pas lier ces deux éléments, même si l'idée pouvait paraître séduisante sur le moment. Tout bien pesé, nous avons donc considéré que la prime pour l'emploi était la meilleure solution.

M. Maxime Gremetz - Notre proposition ne se bornait pas à hausser le SMIC, elle comportait aussi une revalorisation des minimas par branche professionnelle.

M. le Ministre - J'entends bien. Mais ne proposiez-vous pas aussi de baisser les cotisations patronales ?

M. Maxime Gremetz - Non.

M. le Ministre - Dans ce cas, il y avait d'autres problèmes.

M. Germain Gengenwin - On renchérissait encore le travail !

M. le Ministre - Un mot enfin à M. Cochet. Autant nous souhaitons améliorer périodiquement les minimas sociaux, autant il s'agit ici d'autre chose : d'une « prime pour l'emploi », corrélée avec l'activité.

M. Yves Cochet - J'avais bien compris.

M. le Ministre - Ce que vous avez dit relève d'une autre logique. Notre idée est d'encourager la reprise du travail, et il nous a semblé qu'à courir deux lièvres à la fois, on risquait de n'en attraper aucun. Nous avons donc fait un choix.

Je m'arrête là, en remerciant tous les intervenants de leur contribution. Ce dispositif sera favorable pour beaucoup de Français et de Françaises n'ayant que de petits moyens, et qui attendaient avec espoir la baisse de la CSG. Lorsque le Conseil constitutionnel a pris sa décision -qui doit être respectée-, il y a eu un reportage télévisé qui m'a beaucoup touché : on montrait une ouvrière très déçue : « Avec ces 150 F par mois, disait-elle, j'aurais pu donner un peu plus à mon petit ». Quand on entend ça, on essaie de faire le maximum pour que cette déception ne perdure pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

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ARTICLE UNIQUE

M. Yves Cochet - J'ai bien compris l'objectif du Gouvernement, qui veut une « prime pour l'emploi ». Mais avec cela, on ne va pas réduire les inégalités entre ceux qui ont un emploi, fut-il mal rémunéré, et ceux qui n'ont rien. Il y a deux ans déjà, lorsqu'il fut question d'étendre le RMI aux 18-25 ans, on nous objectait qu'il ne fallait pas offrir aux jeunes la perspective d'une société d'assistance. Mais il y a là un véritable mythe, selon lequel en préservant une grande différence entre le minimum social et le salaire le plus bas, on incite les gens à travailler. Cela reprend un vieil argument de la droite : les allocataires seraient encouragés à l'oisiveté et incités à ne pas travailler parce que la différence entre leur allocation et les premiers salaires ne serait pas suffisante. Aussi, vouloir accroître cette différence pour inciter au retour à l'emploi me paraît quelque peu réactionnaire (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Très massivement, ceux qui ne travaillent pas veulent travailler et non se vautrer dans la paresse. En dehors de la volonté de disposer de plus d'argent, il y a la reconnaissance sociale, l'estime de soi par le travail.

L'extension du RMI aux 18-25 ans leur offrirait une certaine autonomie, propice à la recherche d'un emploi, dont ils ne jouissent pas quand ils sont chez leurs parents, sans rien pour vivre. Peut-être cette mesure relève-t-elle d'une philosophie progressiste, partant de l'idée que, parce que l'on est membre de la société, on a droit à un revenu de citoyenneté décent qui permette de retrouver un emploi.

Nous proposons donc, par l'amendement 1 corrigé, que l'impôt négatif ne soit pas réservé aux seuls foyers qui ont une activité économique mais étendu à tous.

John Rawls l'a bien vu : pour faire une société de justice, il faut une discrimination positive favorable aux plus déshérités, c'est-à-dire non seulement à ceux qui ne gagnent pas beaucoup, mais aussi à ceux qui sont exclus du champ du travail.

M. le Rapporteur général - Cette proposition relève en effet d'une autre philosophie, c'est pourquoi la commission l'a repoussée.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Vous nous avez dit, Monsieur Cochet, que la mesure que nous proposions était une demie bonne mesure. Vous entendez donc maintenant en faire une vraie bonne mesure, avec un dispositif différent de celui que nous avons appelé, à dessein, prime pour l'emploi et très proche de celui que M. Madelin a défendu à l'occasion de sa question préalable. Je regrette d'ailleurs qu'après avoir usé de cette tribune en vue de rendez-vous électoraux, il ne soit plus parmi nous maintenant.

Vous nous reprochez de ne pas traiter la question des chômeurs, des retraités, des exclus. Je m'inscris en faux contre cette assertion. Nous avons fait beaucoup pour eux avec la revalorisation des pensions, avec les exonérations de CRDS, avec la revalorisation des minima et la prime de fin d'année.

En revanche, il est vrai que la politique économique du Gouvernement est entièrement tournée vers l'emploi, le nombre exceptionnel des emplois créés en 2000 en atteste. Il est donc très important que des dispositifs permettent aux plus exclus de retrouver le chemin de l'emploi. Pour cela, au-delà de cette prime pour l'emploi, le Gouvernement a prévu d'autres mesures comme l'incitation des érémistes et la réforme de l'allocation logement. Il s'agit aussi d'inciter les inactifs à reprendre une activité et ceux qui travaillent à temps partiel à augmenter leur temps de travail, donc leurs revenus. Il n'y a pas que les riches qui travaillent pour gagner de l'argent, les plus démunis ont aussi besoin d'argent...

La mesure que vous proposez ne répond pas à l'objectif que vous semblez partager avec le Gouvernement de permettre de faire revenir les plus exclus vers l'emploi, donc vers la citoyenneté.

M. Pierre Méhaignerie - Plusieurs études montrent que 80 % des bénéficiaires du RMI qui ont du mal à aller vers l'emploi faute de confiance en eux, estiment que la motivation financière n'est pas assez forte pour les y inciter. Le système que propose M. Cochet ne va donc pas dans le sens d'une restauration de leur dignité.

Pour les 18-25 ans, il ne saurait y avoir de RMI ou d'assistance s'il n'y a pas contrat de formation, d'apprentissage ou de travail. A défaut, le risque de dérive serait bien trop fort.

Mme Nicole Bricq - Je suis hostile à cet amendement dont la philosophie est étrangère au projet. Et soutenir la rédaction de celui-ci n'est en rien réactionnaire. En fait, M. Cochet affiche, sans le vouloir, un certain mépris pour les chômeurs. Or ils sont tout aussi capables que d'autres de faire un calcul économique et de voir s'ils ont intérêt à demeurer hors de l'emploi ou à travailler dans des conditions pénibles, loin de chez eux, en devant assumer les frais de garde des enfants. L'arbitrage est vite fait...

C'est bien pourquoi nous voulons faciliter leur passage au modèle de nos sociétés modernes. Cela va dans le sens de la justice sociale et du retour à l'emploi.

M. Maxime Gremetz - Je ne puis laisser dire que l'argent serait la seule motivation du retour à l'emploi ! Pour les demandeurs d'emploi, l'activité sociale, la volonté d'être utile à la société, à eux-mêmes, de retrouver leur dignité, tels sont les vrais moteurs.

N'oublions pas, par ailleurs, que 60 % des chômeurs ne sont pas indemnisés, que les 18-25 ans n'ont droit à rien. C'est pour ces derniers que nous avons proposé d'instituer une prestation autonomie qui leur conférerait une dignité et qui les aiderait à trouver un emploi. Le président Bocquet a écrit au Gouvernement à ce propos mais ce texte ne sera même pas discuté. Je le regrette vivement.

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Auberger - Comme je l'ai dit tout à l'heure, la différence entre ce que perçoit une personne seule et un couple est insuffisante. Ainsi, pour un SMIC, la prime à l'emploi sera de 1 500 F pour une personne seule et de 2 000 F pour un couple. Il ne serait pas anormal de la fixer plutôt à 2 300 F pour le second, soit 1,5 fois le montant de celle que percevra une personne seule. C'est l'objet de l'amendement 2, qui modifie également le taux, par cohérence. M. Bonrepaux n'a pas compris mon observation. Mon amendement, pour être jugé recevable par le président Emmanuelli, a dû inclure une disposition qu'il serait absurde d'appliquer. En effet, si l'on passe de 500 à 800 F pour les couples où une seule personne travaille, on supprime de ce fait le remboursement de la prime dès lors que le revenu serait insuffisant pour la couvrir. Cette disposition est absurde, notamment parce qu'elle concerne 7 millions des 9 millions de bénéficiaires de la prime. Nous devons introduire cet alinéa auquel nous sommes opposés -sinon la prime à l'emploi devient ridicule- pour que cet amendement soit recevable. Le dispositif que m'a imposé le président Emmanuelli pour que mon amendement puisse être discuté n'en est pas moins absurde. Cela dit, je pense, sur le fond, que le couple percevant un seul salaire doit être mieux traité que la personne seule.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Le dispositif proposé par le Gouvernement rapproche la situation des couples mono-actifs de celle des couples bi-actifs, prenant ainsi en compte la position exprimée par le Conseil constitutionnel sur la CSG et la CRDS. L'exercice d'une activité par le deuxième membre du couple induit d'ailleurs des charges qu'il ne faut pas négliger.

Mme la Secrétaire d'Etat - Nous avons tenté de tenir compte des considérants de la décision du Conseil constitutionnel, notamment pour ce qui concerne l'égalité devant l'impôt. Il est d'ailleurs délicat de dire jusqu'où l'on peut aller : un smicard seul paye l'impôt sur le revenu, ce qui n'est pas le cas d'un couple qui perçoit le SMIC. Vous considérez que notre dispositif n'est pas assez incitatif pour faire reprendre une activité au conjoint, ce dont je m'étonne, car cela est contradictoire avec votre amendement. On ne peut à la fois souhaiter majorer l'avantage d'un foyer où l'un des conjoints est inactif, et nous reprocher de ne pas inciter assez ce dernier à reprendre une activité. Or, lorsqu'il y a un inactif dans le couple, le montant de la prime est majoré de 250 F lorsqu'il reprend une activité à temps partiel, tandis qu'il passe de 2 000 à 3 000 F lorsque c'est une activité à temps plein qui est reprise. Il s'agit là d'un supplément substantiel.

M. Charles de Courson - L'amendement de Philippe Auberger pose un second problème, plus grave, qui est celui de l'utilisation de l'impôt sur le revenu pour inciter à la reprise d'emploi. En matière d'impôt sur le revenu, on distingue les mariés et les célibataires. Le mécanisme que vous proposez va créer une rupture d'égalité entre les couples mariés et les couples vivant en concubinage, au bénéfice des seconds. Si l'on prend l'exemple d'une famille avec deux enfants, on constate que le couple vivant en concubinage et se partageant la charge des enfants va toucher une prime très forte par rapport au couple marié. Comment le Gouvernement justifie-t-il cet écart ?

M. Maxime Gremetz - Votre intérêt est tout de même tardif !

Mme la Secrétaire d'Etat - Le dispositif du Gouvernement est beaucoup plus favorable aux couples mariés que ne l'était le crédit d'impôt du Sénat. En effet, ce dernier ne bénéficiait pas aux couples mariés, mais bénéficiait fortement aux concubins. Vous évoquez un cas d'optimisation fiscale et sociale d'un dispositif. Je ne vois pas en quoi le nôtre pénalise les couples mariés.

M. Philippe Auberger - Je ne suis pas convaincu par l'argumentation de Mme la ministre. Les 2 000 F de prime consentis à un couple percevant un SMIC sont insuffisants par rapport aux 1 500 F perçus par une personne seule. Il est prévu qu'un couple percevant un SMIC et un demi-SMIC se voie attribuer 2 250 F, 3 000 étant attribués lorsqu'il il y a deux SMIC. C'est la gradation que je conteste. Je propose, par exemple, 2 600 F au lieu de 2 250 F. Il n'y a donc pas de contradiction, mais la gradation proposée est insuffisante.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Auberger - Les enfants sont insuffisamment pris en compte, alors qu'ils représentent une charge importante. Je propose donc de porter la majoration de 200 à 400 F et de la porter de 400 à 800 F pour le premier enfant d'un parent isolé. C'est l'objet de l'amendement 3.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Le projet du Gouvernement prend en compte les observations du Conseil constitutionnel. Au demeurant, il n'a pas vocation à édifier un dispositif complet d'aide aux familles.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis. Notre dispositif tient compte des charges familiales en posant une condition de ressources et en définissant le montant de la prime. Il existe par ailleurs en France un arsenal complet de prestations familiales.

M. Charles de Courson - Je renouvelle ma question relative à l'amendement précédent. Si nous reprenons l'exemple du couple de concubins se partageant les enfants, comment justifiez-vous la différence de traitement avec le couple marié ?

L'amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - A la demande du groupe communiste, l'adoption de l'article unique du projet de loi fera l'objet d'un scrutin public.

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EXPLICATION DE VOTE

M. Charles de Courson - Le groupe UDF s'abstiendra car s'il partage l'objectif, inciter à l'activité et récompenser le travail, il ne peut souscrire à la méthode. Ni la ristourne dégressive ni l'action sur l'impôt sur le revenu ne l'emportent sur la voie que continue à prôner l'UDF et qui tend à alléger de manière sensible les cotisations sociales salariales sur les bas salaires. Seule cette mesure aurait un effet direct et décisif sur la fiche de paie, favorable par définition à la reprise de l'activité.

A la majorité de 25 voix contre 0, sur 30 votants et 25 suffrages exprimés, l'article unique du projet de loi est adopté.

Prochaine séance cet après midi, mercredi 7 février, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR

DU MERCREDI 7 FÉVRIER 2001

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion de la proposition de loi organique (n° 2540) de M. Didier MIGAUD relative aux lois de finances.

      M. Didier MIGAUD, rapporteur au nom de la commission spéciale (Rapport n° 2908).

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Eventuellement, discussion, en lecture définitive, du projet de loi sur l'épargne salariale.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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