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Session ordinaire de 2000-2001 - 85ème jour de séance, 196ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 6 JUIN 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

GRÈVE DES SURVEILLANTS DE PRISON 2

PROCHE-ORIENT 3

CHASSE 4

LUTTE CONTRE LE TABAGISME 5

INSÉCURITÉ 6

RÉTENTION DE JEUNES ENFANTS À ROISSY 6

SOLIDARITÉ SIDA 7

INSÉCURITÉ 8

RETRAITES COMPLÉMENTAIRES DE
LA FONCTION PUBLIQUE 8

NAVIRES DE COMMERCE ABANDONNÉS
DANS DES PORTS FRANÇAIS 9

DROIT EUROPÉEN DES BREVETS 10

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE 10

DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE POUR 2002 11

La séance est ouverte à quinze heures.

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SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par Son Altesse Royale la Princesse Norodom Vacheahta, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale du Royaume du Cambodge, présidente du groupe d'amitié France-Cambodge. (Mmes et MM. les députés et Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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GRÈVE DES SURVEILLANTS DE PRISON

M. Patrick Delnatte - Madame la ministre de la justice, les trois principaux syndicats de surveillants de prison ont appelé pour demain à une journée de paralysie de l'institution pénitentiaire. Le mouvement fait suite aux événements qui se sont déroulés dans de nombreux établissements. En effet, les gardiens de prison demandent aujourd'hui que soit davantage prise en compte la situation d'insécurité dans laquelle ils travaillent ; s'y ajoutent leur inquiétude sur l'application des 35 heures.

Ces professionnels exercent un métier difficile dans des conditions souvent pénibles. Régulièrement confrontés à la violence, ils peuvent parfois être exposés, comme ce fut le cas lors de la tentative d'évasion de Fresnes.

Le Gouvernement est-il disposé à entendre l'appel des surveillants pénitentiaires et à répondre à leurs attentes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Depuis les événements de Fresnes, plusieurs actions ont été menées en vue d'appeler l'attention des responsables politiques sur une situation effectivement difficile.

Lors de l'inauguration de l'ENAP, en novembre 2000, le Premier ministre a du reste annoncé un programme de réhabilitation des établissements pénitentiaires de 10 milliards. Les personnels, dont je recevrai l'ensemble des représentants la semaine prochaine, mettent l'accent sur les problèmes de sécurité et, notamment, dans les établissements les plus anciens, sur les miradors, manifestement inadaptés, comme l'a montré l'exemple tragique de Fresnes. Je tiens d'ailleurs à exprimer ma sympathie au surveillant blessé et à sa famille. Un groupe de travail interministériel se saisira très prochainement de cette question.

Les organisations syndicales font également valoir le manque d'effectifs. A ce titre, un plan de recrutement de grande ampleur a été engagé : en quatre ans, 1 575 emplois ont été créés dont 893 postes de surveillants et seul le manque de places à l'ENAP empêche d'aller plus loin.

S'agissant des 35 heures, j'ai bon espoir que la négociation en cours débouche sur un accord.

Au-delà, les personnels pénitentiaires s'inquiètent d'un état d'esprit, relayé par de nombreux ouvrages dont le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les prisons, qui tend à faire prévaloir les droits des détenus sur leurs obligations, et le bien-être des personnes incarcérés sur les droits légitimes des personnels de surveillance. Ceux-ci ne se sentent pas suffisamment reconnus et nous devons donc collectivement nous efforcer de les conforter dans leur mission. Je considère en effet que de la qualité du lien qui peut se nouer dans les prisons entre le personnel et les détenus -auxquels leurs obligations doivent être rappelées- dépendent pour une large part les chances de réinsertion de ces derniers. Les surveillants appellent également notre attention sur la gestion des longues peines qui, comme l'a relevé le rapport de la commission d'enquête parlementaire, suscite de vives tensions. Tout en préservant le droit des victimes à une juste réparation, veillons à laisser aux détenus condamnés à de longues peines quelques perspectives d'espoir afin que la situation ne devienne pas intenable dans les centres de détention qui les accueillent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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PROCHE-ORIENT

M. André Lajoinie - Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères. La situation qui prévaut actuellement au Proche-Orient est des plus préoccupantes. Plongée dans un véritable bain de sang et engagée dans une logique de guerre, la région s'embrase une nouvelle fois et à l'horreur du terrorisme aveugle répond celle d'une répression militaire mal contenue.

Il n'est que temps de sortir de la spirale infernale : _il pour _il, sang pour sang. L'épreuve de force du gouvernement israélien fragilise le camp de ceux qui ont fait le choix de la paix. L'accalmie précaire que nous constatons depuis trois jours doit être accompagnée d'actes politiques tangibles pour pouvoir déboucher sur un cessez-le-feu. La demande adressée à l'autorité palestinienne de faire cesser les exactions terroristes est légitime. Pour être juste et réaliste, elle doit cependant s'accompagner d'actes forts du gouvernement Sharon pour mettre fin à la politique de colonisation et de pression militaire sur les territoires palestiniens. Pour tarir la source du fanatisme qui arme les poseurs de bombes, il faut respecter la dignité et le droit à l'autodétermination du peuple palestinien, en ouvrant la perspective crédible d'une Palestine indépendante. L'existence et la sécurité d'Israël sont à ce prix. Le rapport Mitchell apporte des propositions concrètes pour la reprise du dialogue et peut servir de base de construction d'un règlement politique. En visite à Paris, le président Arafat a lancé un appel à un sommet international et l'idée progresse qu'il n'y aura pas d'issue au conflit en laissant les parties face à face. Un règlement politique au Proche-Orient appelle un engagement de la communauté internationale et la définition collective de mécanismes qui garantissent la paix.

Comment la France et l'Europe sont-elles résolues à s'engager pour que la région ne soit pas irrémédiablement aspirée par la spirale de la guerre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Je vous réponds, Monsieur le député, à la place de M. Védrine qui vient de partir pour Washington. Vous avez raison de souligner combien la situation du Proche-Orient est tragique. Les limites de l'horreur ont encore été franchies avec l'attentat monstrueux de vendredi dernier. Les autorités françaises ont aussitôt condamné cet acte barbare qu'aucune cause ne saurait justifier et j'exprime ici au nom du Gouvernement notre indignation devant de tels actes, notre émotion et notre sentiment de profonde compassion à l'égard des victimes et de leurs familles.

Cet attentat aurait pu être le point de départ d'un nouveau cycle de violences. Fort heureusement, tel n'a pas été le cas. Les parties ont eu le courage d'échapper à la tentation du pire. Israël s'est abstenu de représailles et l'autorité palestinienne a pris les mesures exigées par les circonstances. Mais l'accalmie reste précaire. Chacune des parties doit exercer toute son influence pour que la retenue que nous observons se transforme en un véritable cessez-le-feu. Yasser Arafat doit veiller à la stricte application des consignes qu'il a données. Israël ne doit rien faire qui puisse entraver son action et lever les nombreuses restrictions qui pèsent sur la vie des populations palestiniennes. Il n'est de l'intérêt de personne de déstabiliser le président Arafat.

Au-delà, une perspective politique telle que celle que trace le rapport Mitchell reste indispensable. Il convient de s'atteler sans délai à la mise en _uvre des recommandations qu'il formule. Dans cette phase plus que délicate, la France et l'Union européenne jouent pleinement leur rôle à travers de multiples initiatives. MM. Fischer et Solana conduisent ainsi, chacun à sa place, une action utile pour enrayer le risque d'engrenage.

Le sang n'a que trop coulé au Proche-Orient depuis huit mois et il est temps qu'une issue politique soit trouvée. Le gouvernement français entend y concourir et il s'y emploie avec la dernière énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

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CHASSE

M. Jean-François Chossy - Madame la ministre de l'environnement, vous avez voulu faire voter il y a quelques mois une loi pour « apaiser la chasse ». Tel était en tout cas le slogan du rapporteur du texte et votre propos de l'époque, cent fois répété. Vous vouliez une chasse apaisée : nous avons aujourd'hui des chasseurs agressés par la guérilla judiciaire que mènent certaines associations de protection de la nature.

Pour arracher les dernières voix qui vous manquaient pour faire adopter le texte, vous aviez promis à nos collègues de la majorité que les dates d'ouverture de la chasse au gibier d'eau pourraient être anticipées au 10 août et que celles de fermeture pourraient être reportées pour certaines espèces au-delà de la fin janvier. Si votre promesse s'est traduite par un arrêté du 8 janvier 2001 autorisant la chasse en février de certaines espèces migratoires, et par un arrêté du 13 juillet 2000 qui a fixé dans 67 départements la date d'ouverture de la chasse au gibier d'eau entre le 10 et le 31 août, par deux décisions du Conseil d'Etat, respectivement du 12 février et du 9 mai 2001, la date d'ouverture a été fixée au 1er septembre et celle de fermeture à fin janvier. Ainsi, toutes vos promesses de dérogation ont été réduites à néant par des décisions de justice que vous aviez manifestement vous-même prévues. Par rapport à la situation antérieure à la loi chasse, les périodes de chasse au gibier d'eau ont été réduites de neuf semaines. La prévision de notre collègue de Courson a donc été avérée : le « grand merdier juridique » qu'il vous promettait a bien eu lieu ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

Le Gouvernement est-il prêt, conformément à ce qu'avait proposé l'opposition et le groupe « Chasse » à soutenir un amendement fixant par voie législative les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, notamment celle du gibier d'eau ? Etes-vous disposée à demander à la Commission européenne une dérogation à la directive 79-409 comme d'autres Etats l'ont déjà fait ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. le Président - Puis-je vous faire observer, Monsieur Chossy, qu'il n'est pas nécessaire, pour se rapprocher d'un certain nombre de catégories, de se montrer vulgaire dans cet hémicycle ? (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Je trouve en effet, Monsieur le député, qu'il n'est pas gentil de votre part de rappeler qu'il peut arriver à M. de Courson d'être aussi vulgaire qu'un charretier ! (Huées sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Maxime Gremetz - Un charretier comme tout ouvrier, a droit à tout notre respect !

Mme la Ministre - Par deux fois déjà, en 1994 et 1998, les parlementaires ont souhaité inscrire dans la loi les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau. Et à de nombreuses reprises les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat on considéré que ces dates étaient incompatibles avec la directive européenne, qui s'applique directement, et qu'il revenait à la Ministre de l'environnement de fixer des dates plus respectueuses de celle-ci.

Qu'importe le flacon -loi ou arrêté- pourvu qu'on ait l'ivresse, c'est-à-dire des dates de chasse compatibles avec la directive européenne ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) Je me suis engagée, lors de la discussion du dernier projet de loi sur la chasse, à explorer les marges de man_uvre : nous l'avons fait et nous constatons qu'elles sont encore plus réduites que nous le pensions.

La renégociation de la directive est hautement improbable : à preuve, M. Saint-Josse n'a pu réunir au Parlement européen le nombre de signatures nécessaires pour obtenir son réexamen.

Cela dit -et c'est la seule piste accessible- la Commission européenne s'est toujours déclarée disposée à examiner des demandes de dérogations à la marge, pour peu qu'elles soient formulées d'une même voix par les associations de protection de l'environnement et par les chasseurs : ceci mettrait fin à l'exploitation politique du problème et à la guérilla juridique (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

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LUTTE CONTRE LE TABAGISME

M. Noël Mamère - Le Comité national contre le tabagisme est menacé de liquidation judiciaire : le tribunal de grande instance de Paris se prononcera demain, jeudi 7 juin. Il serait désastreux que disparaisse la seule association d'intérêt public habilitée à poursuivre les fabricants de tabac. Je rappelle que le tabagisme actif fait en France 60 000 morts et le tabagisme passif 3 000 morts par an. Il ne faudrait pas que le seul outil judiciaire à notre disposition fasse l'objet d'une liquidation judiciaire à cause d'une erreur matérielle commise en juin 1998 par la Cour de cassation face à l'un des plus gros fabricants de tabac, la société Reynolds Tobacco.

Comment se fait-il, Monsieur le ministre de la santé, que d'un côté vous alliez dans les écoles parler contre le tabagisme et que de l'autre vous n'accordiez à ce comité qu'une subvention de 800 000 F ? Êtes-vous prêt à faire en sorte qu'en matière de tabagisme on puisse poursuivre les personnes morales et pas seulement les personnes physiques ? Il y a 57 instances en cours, mais les présidents des sociétés attaquées ne se présentant pas, il n'y a guère de suites. Êtes-vous prêt aussi à prendre la décision d'interdire la vente de tabac aux mineurs ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV)

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - En ce qui concerne votre dernière question, les choses ne sont pas si simples. Certes, nous avons signé, ou accepté, la charte de l'OMS qui prévoit l'interdiction de la vente de cigarettes aux moins de 16 ans. Mais j'hésite à le faire pour plusieurs raisons. Beaucoup de tabacologues, notamment le professeur Tubiana, sont hostiles à une telle interdiction car ils estiment qu'elle ne ferait qu'inciter les jeunes à transgresser l'interdit, ce qui s'est passé dans plusieurs pays, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. D'ailleurs il semble que ce soient les firmes de tabac qui poussent à l'interdiction, afin de pouvoir inscrire sur les paquets de cigarettes la mention « for adults only... » (Vives exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

Plusieurs députés RPR - On est en France !

M. le Ministre délégué - ...l'expression anglaise rendant le pouvoir d'incitation d'autant plus fort.

Nous avons donc décidé, dans un premier temps, d'expérimenter cette interdiction dans une région.

Vous avez évoqué les difficultés financières que connaît le centre national de lutte contre le tabagisme. C'est effectivement le seul organisme d'Etat pouvant lutter efficacement contre le tabagisme : c'est lui, par exemple qui a créé des emplois-jeunes pour faire respecter l'interdiction de fumer dans les lieux publics, comme les aéroports.

Il a été placé sous redressement judiciaire avec un plan d'apurement du passif sur trois ans sous le contrôle d'un administrateur judiciaire. Je suis désolé, mais c'est ainsi. Le groupe Reynolds avait une créance de 600 000 F correspondant à des dommages-intérêts versés à l'association en exécution d'un arrêt de la Cour d'appel. Faute de paiement, le juge commissaire a été saisi et je ne peux intervenir dans cette affaire. Ce qui est regrettable, c'est que le chèque produit à l'audience n'ait pas été mis sous séquestre, comme le demandait le CNLT.

Un tel organisme est indispensable et je vous rappelle que l'Etat lui a alloué une subvention de 600 000 F en 1999, de 770 000 F en 2000 et de 800 000 F en 2001 ; c'est une belle somme. La ligne budgétaire pour la lutte contre le tabagisme s'élève à 2,5 millions, celle de la lutte contre l'alcoolisme à 5 millions. Nous souhaitons que cette affaire trouve une issue satisfaisante (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INSÉCURITÉ

M. Laurent Dominati - Monsieur le ministre de l'intérieur, nous ne cesserons de vous interroger sur l'insécurité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) car elle est quotidienne. L'opposition réclame un plan d'urgence pour la sécurité et pour la justice et vous ne répondez pas, ou bien vous parlez toujours de la police de proximité. Mais cette année le budget de la police a augmenté moins que celui de l'Etat, ce qui signifie que la sécurité n'est pas une priorité ; et la délinquance continue à croître.

Quant à la police de proximité, elle est inefficace, selon un rapport émanant de vos propres services : il lui donne zéro pour l'information, zéro pour la lutte contre les violences nocturnes et zéro pour la protection des policiers eux-mêmes.

Hier vous avez dit qu'il fallait lire ce rapport dans son intégralité. D'où mes questions : pourquoi avez-vous caché ce document datant d'avril ? Comptez-vous le transmettre à la représentation nationale ? Quelles conséquences allez-vous en tirer ?

On parle déjà d'une progression à deux chiffres de la délinquance pendant le premier trimestre 2001 : est-ce exact ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Je le redis au nom du Gouvernement, la lutte contre l'insécurité est bien pour nous une priorité. Vous, quand vous étiez aux affaires, vous n'aviez même pas les crédits nécessaires pour le remplacement des policiers partant en retraite, (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) ni de politique de prévention, ni de partenariat avec les acteurs locaux comme nous le pratiquons à travers les contrats locaux de sécurité. Et la délinquance a enregistré son pic absolu en 1994, alors abordons les choses avec plus d'objectivité ! (Vives interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Nous, nous avons lancé une politique de recrutement de policiers titulaires. Et nous allons poursuivre la mise en place de la police de proximité et le partenariat avec les autres acteurs de la sécurité (Huées sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Il est normal que nous fassions une évaluation en interne des politiques que nous mettons en place. Les extraits du rapport cités par la presse n'en reprenaient que certains aspects, mais moi qui suis en contact permanent avec les syndicats de policiers, je puis vous dire qu'eux aussi jugent que la mise en place d'une police de proximité est une bonne politique.

Les questions de sécurité et de délinquance, vous vous en pourléchez les babines ! (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Vous êtes irresponsables !

Plusieurs députés UDF - Quelle expression vulgaire !

M. le Président - Non, « se pourlécher les babines » n'est pas une expression vulgaire !

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RÉTENTION DE JEUNES ENFANTS À ROISSY

M. Louis Mermaz - Deux enfants de 3 et 5 ans de nationalité camerounaise viennent de passer quatre nuits en zone d'attente à l'aéroport de Roissy. Ils étaient arrivés en compagnie de leur père, un Camerounais en situation régulière, marié à une Française. Je crois savoir, Monsieur le ministre, que vous êtes intervenu et je vous en remercie. Mais je vous demande de veiller à ce que de telles situations ne puissent se reproduire.

Ces enfants ne sont vu appliquer, de manière mécanique et cruelle, la procédure classique car, à la différence de leur père, ils n'étaient pas munis de visas. Après quatre jours passés dans un hôtel de la zone d'attente, ils ont été présentés au juge délégué du TGI de Bobigny, lequel a ordonné le maintien en zone d'attente. Les deux enfants -trois et cinq ans- sont invités à ester en justice et à signer un procès-verbal ! (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste) Leur avocat a certes fait appel, mais l'appel n'est pas suspensif. Le préfet de Seine-Saint-Denis a fait savoir que les enfants seraient admis provisoirement sur le territoire et confiés à l'aide sociale à l'enfance. Mais vous pouvez imaginer le désarroi de ces enfants.

D'une façon plus générale, il faut prendre des mesures à la hauteur de l'enjeu, car de nombreux mineurs affluent en provenance de pays en proie à la guerre civile. J'ai visité le 21 mai la zone d'attente de Roissy, où j'ai vu des dizaines de personnes entassées dans une seule pièce. Chaque jour, 300 personnes se présentent, dont beaucoup sont des demandeurs d'asile. Je me félicite de l'initiative prise par M. Forni de réunir le 16 juin 577 réfugiés, mais notre pays doit adopter une politique d'ensemble digne de ses traditions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Permettez-moi de vous dire d'abord que je partage votre émotion, avant d'exposer les faits aussi sobrement que possible. Le 2 juin, la PAF a décidé de ne pas admettre sur le territoire deux jeunes enfants dont les photos étaient collées sur le passeport camerounais d'une personne adulte affirmant être leur père (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Les enfants n'ayant aucun visa, la PAF a réclamé un document attestant la filiation. L'adulte accompagnant les enfants étant marié à une Française, mais celle-ci n'étant pas la mère des enfants, ces derniers ont été placés en zone d'attente, dans des conditions adaptées à leur âge : ils ont été logés à l'hôtel avec une nurse qui est restée en permanence avec eux. Entre-temps, l'adulte accompagnant les enfants avait été hospitalisé en Seine-Saint-Denis par suite d'une crise aiguë de paludisme. C'est dans ces conditions que le juge a prononcé une prolongation de la rétention. Compte tenu des vérifications à effectuer et des incertitudes subsistant quant à la filiation des enfants, ces derniers ont été placés alors dans un foyer de l'aide sociale à l'enfance, où Mme la Défenseure des enfants a pu leur rendre visite. En l'absence de toute preuve de parenté, l'intérêt des enfants exigeait ces précautions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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SOLIDARITÉ SIDA

Mme Catherine Génisson - Il y a vingt ans, on découvrait les premiers cas de sida aux Etats-Unis. Depuis, il y a eu 22 millions de morts, et 36 millions de personnes ont été affectées par le virus. Mais il existe de grandes inégalités entre le Sud et le Nord : si la prévention et les traitements ont permis de limiter le désastre au Nord, l'épidémie a pris dans les pays du Sud des proportions gravissimes, avec des conséquences importantes pour l'équilibre démographique et social.

Lors de son récent voyage en Afrique du sud, le Premier ministre a annoncé que la France assumerait ses responsabilités. Vous-même, Monsieur le ministre de la santé, avez parlé d'une « ingérence thérapeutique ». La solidarité hospitalière internationale, bien accueillie dans notre pays, trouvera sûrement un écho très positif dans les pays qui en bénéficieront. Quelles mesures concrètes envisagez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Le secrétaire général de l'ONU a déjà créé un fonds « multifocal », en s'adressant aux Etats et aux institutions financières. Les Etats-Unis ont versé une contribution, et M. Jospin a promis que la France verserait à ce fonds 150 millions d'euros sur trois ans -soit 1 milliard de francs-, auxquels s'ajouteront 100 millions de francs chaque année de remise de dette, et cela pendant dix ans.

S'agissant de la solidarité thérapeutique, l'initiative française a déjà reçu le soutien de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, du Luxembourg et de la Suède. Il s'agit de « jumeler » des hôpitaux du Nord et des hôpitaux du Sud. Cinquante hôpitaux français ont déjà répondu, et un comité de suivi sera constitué. Ce système devrait permettre de traiter par la trithérapie de 500 à 1 000 malades par l'hôpital, et de réduire ainsi l'inégalité criante qui a coûté la vie l'an dernier à 3 millions de personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INSÉCURITÉ

Mme Françoise de Panafieu - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur...

Mme Odette Grzegrzulka - Changez de disque !

Mme Françoise de Panafieu - Personne ne se « pourlèche les babines », Monsieur le ministre ! Nous préférerions poser d'autres questions (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Mais vous avez beau faire des réponses lénifiantes quand nous vous interrogeons sur la situation de la police, le constat est bien là, accablant : solitude, sous-encadrement, insuffisance de la formation, statut peu valorisé. Depuis 24 heures, nous avons vu à la télévision des policiers en tenue manifestant leur désarroi, nous avons entendu à la radio que des jeunes du 18ème, armés de cocktails Molotov, s'en prenaient violemment aux forces de l'ordre et incendiaient des voitures. La semaine dernière, c'était la même chose dans mon arrondissement. Et toujours le même constat d'impuissance car vous ne donnez pas à la police les moyens d'agir.

Que comptez-vous faire pour répondre aux Français que cette insécurité déstabilise quand elle ne les terrorise pas ? La sécurité des Français n'est certes pas une question « traditionnelle » comme vous ironisiez la semaine dernière, et encore moins « délectable » (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Je connais bien le 18ème, vous le savez. Et je ne peux me réjouir des difficultés qui se produisent sur fond d'habitat insalubre -à qui la faute ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)-, de délinquance, de toxicomanie, d'économie parallèle, d'exclusion sociale. Tous ces phénomènes ne datent pas d'hier. Nous ne sommes pas restés inertes, et j'aurais souhaité vous voir vous associer aux plans contre la toxicomanie quand vous étiez à la mairie de Paris, ainsi qu'aux projets tendant à éradiquer l'habitat insalubre et à construire des équipements de proximité.

Les incidents récents dont vous parlez attestent que la tâche des policiers est difficile, et c'est pourquoi je veux les encourager plutôt que les critiquer ou les mettre en cause - ce que vous avez d'ailleurs eu la prudence de ne pas faire. La préfecture de police est en train de mettre en place la police de proximité à Paris, où elle sera plus nombreuse et plus présente : mille fonctionnaires de police supplémentaires pourront se consacrer à leurs tâches véritables grâce à la décision du maire de recruter du personnel pour assumer les tâches administratives. Nous entendons, en outre, poursuivre notre politique de prévention, ainsi que de réhabilitation de l'habitat dégradé, et j'aimerais que vous vous associiez à cette action au lieu de vous livrer à la critique permanente (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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RETRAITES COMPLÉMENTAIRES DE LA FONCTION PUBLIQUE

M. Jean-Pierre Balligand - La décision de la Mutuelle Retraite Fonction Publique de baisser de 16 % le complément d'épargne-retraite CREF servi à ses adhérents est présenté comme la conséquence de la transposition de la directive européenne sur les assurances, qui oblige les mutuelles à augmenter leurs provisions, d'une part, et de l'allongement de la durée de la vie, d'autre part. Il semble cependant qu'elle contrevienne au principe de non-rétroactivité des clauses contractuelles.

En 1997, un rapport sur l'épargne-retraite dans la fonction publique avait souligné que ce régime facultatif, qui associe capitalisation et répartition, est sensible, de ce fait, aux aléas démographiques, et avait annoncé des difficultés à venir pour le régime CEGOS, destiné aux personnels hospitaliers. La représentation nationale souhaiterait avoir connaissance de l'avis de la commission de contrôle des mutuelles et institutions de prévoyance sur ces régimes, ainsi que des mesures envisagées par le Gouvernement pour assurer leur pérennité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - Le Gouvernement n'est pas partie prenante dans la gestion des compléments de retraite de la fonction publique, même s'il est évidemment attentif à leur évolution. Le CREF est géré par l'Union nationale des mutuelles de fonctionnaires, indépendante des pouvoirs publics. L'Etat intervient cependant de deux façons : par le biais de la commission de contrôle, qui a demandé que soient prises de mesures de redressement conformément à la loi et aux règlements ; par la préparation du futur code de la mutualité, qui fera l'objet d'un décret dans le courant de l'été, et apportera au système la lisibilité que chacun appelle de ses v_ux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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NAVIRES DE COMMERCE ABANDONNÉS DANS DES PORTS FRANÇAIS

M. François Liberti - Plusieurs navires se trouvent abandonnés dans nos ports, avec leur équipage, par des propriétaires peu scrupuleux, et le sort de ces marins, privés de ressources et éloignés de leur foyer - pour ne pas parler des atteintes à la sécurité et à l'environnement - nous rappelle des situations d'une autre époque, en même temps qu'il nous éclaire sur les pratiques inhumaines d'un capitalisme libéral déréglementé.

A Sète, 23 marins de différentes nationalités sont ainsi bloqués depuis le 26 janvier. Ils ont engagé une action en justice afin de percevoir leurs salaires, et le tribunal d'instance vient de condamner l'armateur, mais les conditions de vie à bord se dégradent de jour en jour, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en gazole ou en produits alimentaires, et les organisations syndicales ou associations de bénévoles, tels les Amis des Marins, n'ont pas les moyens suffisants pour y pourvoir.

Le groupe de travail qui s'est réuni à l'initiative du ministre des transports préconise le lancement de la procédure de ratification de la convention de l'OIT sur le rapatriement des marins. D'autre part, le Comité interministériel de la mer a décidé, en février, que 10 millions de crédits budgétaires seraient consacrées au paiement d'avances sur salaires, mais cette décision se heurte à des lenteurs administratives. Quel est l'état d'avancement de l'un et l'autre dossier ? Plus généralement, qu'entend faire le Gouvernement pour faire cesser cette exploitation éhontée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Dans le cas que vous évoquez, l'approvisionnement en carburant est assuré, des avances sur salaires ont été versées, et le rapatriement des marins non communautaires est en train d'être pris en charge. Quant à l'approvisionnement en vivres, je veillerai à ce que les difficultés financières éventuelles soient résolues.

Votre collègue Daniel Paul m'a également signalé un cas analogue au Havre. La relève de l'équipage sera assurée aujourd'hui, et les salaires seront payés.

Vous avez raison, le comportement de certains armateurs est indigne, et s'apparente à une forme moderne d'esclavage. Le Gouvernement a _uvré, au niveau international, à l'élaboration, sous l'égide de l'OMI et de l'OIT, d'accords entre représentants des marins et des armateurs sur le recouvrement des créances en cas de décès, de blessure ou d'abandon du navire. Quant à la convention sur le rapatriement des gens de mer, elle sera soumise au Parlement avant la fin de l'année. Enfin, les aides apportées aux marins sur le budget de mon ministère s'élèvent à un million de francs depuis 1999, et j'entends y consacrer à l'avenir une ligne budgétaire encore supérieure, ainsi que créer un groupe de suivi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

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DROIT EUROPÉEN DES BREVETS

Mme Odette Trupin - La réforme du droit européen des brevets alimente nombre de controverses. L'Europe des brevets est née à Munich en 1973, en marge de l'Europe des Etats, ce qui est un atout, car elle compte aujourd'hui vingt pays membres, mais aussi une faiblesse, car elle repose sur un compromis hybride entre intégration supranationale et prérogatives de souveraineté, notamment en matière linguistique.

Trois langues sont en effet reconnues langues officielles : le français, l'anglais et l'allemand, mais chaque Etat veut imposer la traduction des brevets dans sa langue. Pour rendre le système moins onéreux, la France a proposé en juin 1999, par la voix de M. Pierret, que tout brevet demandé et établi dans l'une des trois langues officielles soit valable dans tous les pays membres sans autre formalité ni restriction. Les protestations n'ont pas tardé : ce serait favoriser, une fois de plus, les Etats-Unis. L'objection est recevable, mais il est possible de la surmonter. Une question se pose néanmoins : la France, qui est sans doute l'un des pays les plus vigilants quant à la protection de sa langue, peut-elle renoncer sans précaution à toute exigence dans ce domaine ? Quelle solution le Gouvernement envisage-t-il ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie et des finances - Ma réponse sera d'autant plus brève que votre question exposait très clairement les données du problème. Je tiens à vous rassurer : il n'est pas question de renoncer à la place du français, mais seulement de réformer un système lent, onéreux et inadapté, dans lequel les traductions peuvent prendre jusqu'à cinq ou six ans de retard. La vigilance du Gouvernement sera absolue, et j'ai chargé M. Vianès, conseiller-maître à la cour des Comptes, de me remettre un rapport pour le 19 juin, à la lumière duquel nous préciserons notre position. Mais, encore une fois, il n'y a aucune inquiétude à avoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Brunhes - Si, justement !

M. le Président - L'heure de retransmission télévisée étant écoulée, je propose au groupe RPR de remettre sa dernière question à une séance ultérieure.

M. Jean Ueberschlag - Comme toujours !

M. le Président - Non, ce n'est pas si fréquent. Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 10, sous la présidence de Mme Lazerges.

PRÉSIDENCE de Mme Christine LAZERGES

vice-présidente

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

Mme la Présidente - J'informe l'Assemblée que M. le ministre des relations avec le Parlement m'a fait savoir que le Gouvernement inscrivait à l'ordre du jour du mardi 12 juin après-midi, après le vote sur l'ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité de Nice, la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi de modernisation sociale.

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

Mme la Présidente - Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi de modernisation sociale auraient lieu le mercredi 13 juin, immédiatement après les questions au Gouvernement.

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DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE POUR 2002

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement et le débat d'orientation budgétaire pour 2002.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Notre débat d'orientation budgétaire doit être marqué par la transparence et la cohérence. Cela s'avère d'autant plus nécessaire que le contexte économique évolue et que des inquiétudes et des interrogations se font jour. Celles dont Mme Florence Parly et moi-même sommes saisis sont souvent contradictoires ; c'est pourquoi nous souhaitons l'un comme l'autre, parler vrai.

Quelle est la situation de notre économie au regard de la conjoncture internationale ? Je la résumerais ainsi : dégradation extérieure, résistance intérieure. La dégradation de la conjoncture mondiale est incontestable. Elle trouve son origine dans l'économie américaine, dont les déséquilibres avaient été maintes fois soulignés et qui connaît une chute brutale de sa croissance, passée de 5 % en 2000 à 1 % en 2001. Cet atterrissage attendu a cependant surpris par son ampleur et sa rapidité, la globalisation des marchés et la « financiarisation » des économies accélérant la transmission des chocs. La croissance japonaise, quant à elle, reste « plate ». Or, les Etats-Unis et le Japon représentent 45 % du PIB mondial. Mais la révision à la baisse des perspectives de croissance tient aussi à la hausse des prix du pétrole. L'OPEP a en effet réussi à maintenir des prix trop élevés pour assurer un bon équilibre global, de plus les marges des raffineries restent fortes et le cours externe de l'euro baisse. Il nous faut insister sur la notion d'équilibre durable entre producteurs et consommateurs autour d'un prix de 20 à 25 dollars le baril et promouvoir des politiques d'économies d'énergie et de développement des énergies renouvelables. L'Europe est, elle aussi, atteinte. L'Allemagne, notre principal partenaire, l'est nettement. Par contrecoup, la France l'est aussi puisque la demande extérieure est moins forte.

Certes, nous sommes moins touchés que d'autres, car notre économie présente une solide capacité de résistance. Deux indicateurs clés en témoignent : l'investissement des entreprises, tout d'abord, qui pourrait connaître, malgré tout, une croissance d'environ 6 % en 2001. C'est moins qu'en 2000, mais autant qu'en 1998 et en 1999. L'ajustement du premier trimestre 2001 ne devrait pas se répéter aussi brutalement. La tendance des investissements reste orientée de façon positive.

Second indicateur et second moteur de notre croissance, la consommation des ménages reste dynamique. En mai 2001, les ventes des voitures ont dépassé les 200 000 véhicules, soit 10 000 de plus qu'en mai 2000. Globalement, la demande a progressé de 1,3 % au premier trimestre, en relation avec l'évolution des salaires et la baisse des impôts. En revanche, le moral des ménages a chuté depuis le pic d'optimisme atteint en janvier 2001. Il reste cependant de 30 points supérieur à ce qu'il était en 1995. Il est vrai que les annonceurs ont réduit leurs achats dans la presse et dans les médias, indication généralement significative, mais il n'y a pas et il ne doit pas y avoir de crise de confiance.

Il faut nous garder d'une erreur d'optique : même si 2001 est moins favorable que 2000, marquée par des performances très élevées tant en termes d'activité que d'emplois, la tendance générale reste positive, dans la continuité du redressement engagé en 1997. Nos perspectives de croissance pour 2001 devraient se situer dans la fourchette basse de nos prévisions, à un taux plus proche de 2,7 % que de 3 %. Mais la France fait mieux que ses voisins : pour la quatrième année consécutive, notre performance sera supérieure à celle de l'Allemagne ; pour la première fois au premier trimestre 2001, notre activité a été plus soutenue qu'aux Pays-Bas.

La capacité de résistance de notre économie se mesure à deux autres éléments significatifs. L'inflation restera maîtrisée en 2001, mieux que chez la plupart de nos partenaires. Toutefois, le Gouvernement reste attentif à tout signe d'accélération afin d'éviter de grignoter les gains de pouvoir d'achat. Dans cet esprit, nous devons veiller à ce que les règles de la concurrence fonctionnent de façon satisfaisante dans la grande distribution et dans le secteur pétrolier. Par ailleurs, le chômage continue de diminuer, mais à un rythme moins rapide que l'année passée. Cette tendance intervient au moment même où la population active augmente fortement : plus de 200 000 entrées nouvelles sur le marché du travail en un an. C'est dire si le Gouvernement met en _uvre une politique favorable à l'emploi, qu'il est déterminé à poursuivre.

J'en viens à l'exécution du budget 2001. Nous avons annoncé une progression des dépenses de l'Etat de 0,3 % et nous sommes déterminés à tenir cet objectif. L'augmentation constatée au premier trimestre correspond essentiellement à l'avancement de certaines dépenses en capital du budget de la Défense. Elles traduisent un meilleur lissage sectoriel et non un dérapage.

M. Philippe Auberger - Euphémisme...

M. le Ministre - S'agissant des recettes, nous sommes globalement en ligne avec nos engagements. Si elles augmentent moins que dans le passé, c'est aussi la traduction de l'allégement des impôts. Ainsi, les recettes de TIPP sont moindres parce qu'il y a désormais un mécanisme de stabilisation. Et n'oublions pas que nous avons réduit le taux de TVA de 20,6 % à 19,6 %. La baisse des impôts sera encore plus manifeste quand les Français recevront leur avis d'impôt sur le revenu 2000 : ils verront alors mieux la différence entre ce qu'ils devront payer et ce qu'ils auraient dû payer avant le plan triennal du Gouvernement. La prime pour l'emploi sera versée, comme prévu, début septembre. J'avais dit, dès le mois de mars, que nous pourrions enregistrer des recettes inférieures à nos prévisions. Cet aléa sera connu avec davantage de précision en juillet. Je dirai alors, comme l'an dernier, ce qu'il en est précisément.

Le détail des orientations budgétaires pour 2002 sera rendu public en septembre, mais je veux dès à présent affirmer avec force notre choix central : nous maintiendrons le cap fixé depuis 1997, dont les trois éléments nécessaires pour développer l'emploi et la solidarité devront être jugés sur la durée de la législature : maîtrise de la dépense publique, baisse des prélèvements, réduction des déficits.

Notre progression des dépenses de l'Etat sera de 0,5 % en volume. A l'échelle de la législature, cela représente une progression au total de 1,8 % en volume, c'est-à-dire, Monsieur Auberger, l'équivalent de ce qui se faisant avant 1997 pour une seule année. Tiens, je ne suis pas interrompu ... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste) Comment dès lors parler de laxisme ? Pas davantage ne convient-il d'évoquer des coupes excessives : nous continuerons de financer nos priorités budgétaires, l'éducation, la sécurité, la justice, ainsi que l'environnement. Les budgets correspondant à ces secteurs prioritaires ont progressé de 14 % en valeur depuis 1997, grâce à des dépenses nouvelles, mais aussi à des redéploiements internes, à hauteur de 25 à 30 milliards par an. On voit là les effets d'une gestion maîtrisée et stratégique de la dépense publique, dont témoigne également la démarche de contractualisation avec les ministères.

A ceux qui voudraient dépenser plus -au lieu de dépenser mieux- à ceux qui prétendent dépenser moins tout en dépensant davantage sur plusieurs postes massifs, je souhaite rappeler qu'en préservant des fondamentaux sains, nous réunissons les conditions d'une croissance durable et créatrice d'emplois. Toute autre attitude ne donnerait que des résultats éphémères avant d'entraîner une véritable dégradation. Si les dépenses dérapaient, les taux d'intérêts augmenteraient, l'activité serait rapidement freinée et l'emploi serait pénalisé. Ce n'est pas ce que nous voulons. C'est pourquoi nous devons aussi rester vigilants sur nos dépenses sociales. La bonne tenue actuelle des comptes de la Sécurité sociale doit beaucoup à l'amélioration de la situation de l'emploi. Nous devons maîtriser nos dépenses d'assurance maladie. Nous devons aussi faire face aux besoins en emplois des services publics sans alourdir à l'excès nos dépenses d'autant qu'il nous reste à mieux équilibrer le financement des retraites.

Ces remarques de bon sens sur la maîtrise des dépenses publiques s'appliquent également aux dépenses militaires. Une forte hausse ne m'apparaît ni nécessaire pour notre sécurité ni compatible avec nos équilibres économiques, avec notre priorité à l'emploi, avec les engagements financiers de la France.

Le plan triennal 2001-2003 doit se traduire par une baisse de 120 milliards d'impôts. En 2002, le taux global des prélèvements obligatoires devrait être de l'ordre de 44,5 % contre 45,6 % en 1999. Le Gouvernement s'est engagé à alléger des impôts, l'Etat doit respecter sa parole. Pour avoir contredit les promesses de l'actuel Président sur ce point, le Gouvernement précédent avait été sanctionné par les Français. Par ailleurs, au moment où la conjoncture hésite, il faut soutenir le retour vers l'emploi, la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises. Tel est l'objectif des baisses d'impôts qui interviendront en 2002 : 8,5 milliards supplémentaires pour la prime pour l'emploi, qui contribue au retour vers l'emploi, 12 milliards pour la baisse des tranches de l'impôt sur le revenu qui soutient la consommation, 10 milliards pour la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, qui favorise la compétitivité de nos entreprises, notamment des plus petites. La poursuite de la réforme de la taxe professionnelle participe aussi de la politique de plein emploi. Augmenter les impôts alors que les ménages et les entreprises ont besoin d'oxygène serait une erreur de pilotage économique et social. Ne la commettons pas !

Le choix de réduire les déficits a été fait depuis 4 ans, avec, au total, une réduction de 100 milliards alors que la précédente majorité, tout en augmentant fortement les impôts, n'était parvenue qu'à 20 milliards. La réduction de la dette confirme notre gestion sérieuse : son poids dans le PIB devrait diminuer de près de 5 points d'ici 2000 par rapport à 1997, alors qu'elle avait explosé lors de la précédente législature. Là encore, nous faisons le choix d'une croissance juste et durable. La logique de la croissance asphyxiée, des ménages assommés, des entreprises découragées, qui a été celle de certains de nos prédécesseurs, ne sera pas la nôtre !

On entend, ici ou là, que le Gouvernement manquerait de transparence. Je crois, avec Florence Parly, démontrer le contraire. Sur l'exécution du budget 2001, nous avons transmis aux assemblées le décret d'avance ; ce qui ne s'était jamais fait. Vous recevez très régulièrement les situations budgétaires : il n'y a donc plus de débat sur la vraie ou fausse cagnotte. Le soutien apporté par le Gouvernement à la réforme de l'ordonnance de 1959 engagée dans cette Assemblée témoigne de notre volonté d'associer pleinement le Parlement aux travaux budgétaires. Cette démarche de transparence sera poursuivie.

On entend aussi que la solidarité serait insuffisante à l'égard des plus pauvres. Bien sûr, des progrès sont toujours à accomplir...

M. Jean-Pierre Brard - Beaucoup !

M. le Ministre - ...mais telle n'est pas la réalité. Notre approche est celle de la solidarité durable, elle passe par le soutien à l'emploi et au pouvoir d'achat plus que par des dépenses éphémères et non financées. Dès cet automne, les ménages les plus modestes, souvent non imposables, pourront le constater de façon tangible : beaucoup recevront un chèque au titre de la prime pour l'emploi, d'autres verront que leur impôt sur le revenu a diminué. Au début de l'année prochaine, grâce à l'excellente réforme de M. Gayssot, interviendra la seconde tranche de réforme des allocations logement. Plus globalement, la politique du Gouvernement porte ses fruits en matière de rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée. Comme le montre la partie du document consacré à l'évolution de l'économie nationale que nous avons déposé au Parlement, 80 % des fruits de la croissance sont allés au travail depuis 1997, ce qui traduit un choix clair en faveur des revenus du travail. Donc un choix de justice sociale et de solidarité active.

M. Dominique Baert - Eh oui !

M. le Ministre - Ce choix ne peut s'accompagner d'une hausse massive des déficits, à laquelle nous appelleraient volontiers certains. Le déficit public doit toujours être remboursé. Il désigne en fait une hausse d'impôt supportée par les générations futures. Tous les pays de l'Union européenne le savent, nous ne sommes pas dans une situation où un surcroît de croissance pourrait être assuré par une augmentation de la dépense publique. Loin d'une soumission à je ne sais quelle orthodoxie, l'augmentation massive des déficits, dans un pays comme le nôtre qui, malgré ses progrès, comporte encore un déficit notable, outre son absence d'effet économique positif, serait le contraire même de la solidarité durable. Facilité plus inégalités : ce serait, prétendument au nom de la justice, une manifestation de démagogie (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Une troisième critique, de sens inverse, appelle le même qualificatif : les économies réalisées, nous disent certains, seraient très insuffisantes. Je le redis avec force : oui à la maîtrise des comptes publics, non aux coupes sauvages dans les budgets des services publics, qu'il s'agisse des hôpitaux, de la police ou de l'enseignement. Or je constate parfois sur ce point une tendance à la schizophrénie : ceux-là même qui réclament ici moins de dépenses publiques multiplient, dans leurs déplacement de pré-campagne, les promesses dépensières. Peut-être est-ce l'air du temps...

Pour cette dernière année de législature, le gouvernement de Lionel Jospin entend maintenir le cap de sa politique économique. C'est la meilleure réponse que nous pouvons apporter aux aléas de la conjoncture. L'avenir de la croissance dépend de la réussite du passage à l'euro. Le Gouvernement s'emploiera avec vous à faire en sorte que l'euro concret soit aussi un euro facile. Le prochain budget vous sera présenté en euros : il devra concilier la modernité, la solidarité et le sérieux.

La conjoncture est incertaine. Le ralentissement mondial est incontestable, mais la durée de cette évolution ne peut pas encore être évaluée avec certitude. Il convient donc de faire preuve de sagesse (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR).

Les discours sur l'autonomie totale de la zone européenne par rapport aux Etats-Unis, au Japon et au reste du monde sont pour une bonne part des songes creux (« Enfin ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Globalisation plus financiarisation font que les conjonctures sont « communicantes ». Même si l'Europe a sa spécificité et si nous résistons mieux que d'autres, nous sommes concernés avec les autres et par les autres. Dans ce contexte, il est essentiel de garder le cap sur l'emploi et sur la solidarité, d'être responsables quant aux dépenses, de ne pas entrer dans je ne sais quel concours général de surenchère sous prétexte que les élections approchent, mais, au contraire, de poursuivre la modernisation solidaire de notre pays. C'est ainsi que nous servirons le mieux l'efficacité économique et la justice sociale.

C'est dans cet esprit que, ayant écouté vos propositions, nous préparerons avec Florence Parly et sous l'autorité de Lionel Jospin, la prochaine loi de finances dont nous débattrons à l'automne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Merci, Monsieur le ministre, pour votre message personnel !

M. Jean-Pierre Brard - Il était mérité ! (Sourires)

M. le Rapporteur général - Le débat d'orientation budgétaire est désormais devenu une habitude du Parlement. Pour avoir perdu les attraits de la nouveauté, il n'en demeure pas moins utile et il a cette année la particularité d'être le prélude à la discussion du dernier projet de loi de finances de la législature. L'exercice permet donc à l'opposition de dire « ce qu'il aurait fallu faire » et à la majorité de rappeler les résultats obtenus.

A lire les premiers commentaires, il semble que la proximité des échéances électorales favorise la langue de bois (« On vient de l'entendre » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je considère pour ma part que la qualité d'une action ne s'apprécie à sa capacité à surprendre ou à susciter des effets d'annonce.

La deuxième caractéristique de ce débat d'orientation tient aux incertitudes liées à l'environnement international et à leurs répercussions sur la croissance en Europe.

L'année 2000 reste l'une des meilleures des dix dernières années, avec une croissance moyenne du PIB de 3,4 % dans la zone euro, la création de 2,8 millions d'emplois et un taux de chômage ramené à 8,9 %. Si l'environnement international a été favorable, le profil de l'année 2000 n'a pas été régulier, le rythme de croissance dans le monde ayant connu une sérieuse inflexion au cours du second semestre. Ainsi la croissance aux Etats-Unis est passée de 5 % au premier semestre à 1,5 % au second, le prix du pétrole a crû de 60 % en moyenne sur l'année et les taux d'inflation ont nettement accéléré par rapport à 1999.

En conséquence, les organismes de prévision ont revu à la baisse leurs anticipations pour 2001. S'agissant de la zone euro, la Commission européenne a ramené sa prévision de 3,2 % à 2,8 %. Si la tendance générale d'une accélération de la croissance au cours de l'année 2001 et en 2002 est bien celle retenue, il est néanmoins probable que l'écart de croissance entre les Etats-Unis et l'Union européenne s'inversera en 2001, car la croissance de la zone euro devrait rester soutenue sous l'effet de plusieurs facteurs internes tels que la consommation des ménages, un pouvoir d'achat soutenu par les créations d'emplois toujours nombreuses, le taux de chômage devant revenir à 7,2 % en 2002.

Pour réaliste que soit ce scénario, l'incertitude marque tout de même les hypothèses retenues, en particulier quant à la situation américaine. Quelles en sont les répercussions pour la France ?

Relevons d'abord que dans cet environnement plus incertain, la France maintient une croissance forte. Parmi les facteurs ayant entraîné une croissance moindre qu'attendue figure le dynamisme des importations, qui reflète les difficultés éprouvées par les entreprises françaises pour satisfaire la demande et l'insuffisance structurelle de l'offre domestique de nouvelles technologies. Le ralentissement tient aussi à une légère reprise de l'inflation, liée à l'augmentation des prix de l'énergie.

Pour autant, la croissance est restée solide en raison de l'importance des exportations, de la vigueur de l'investissement et de la progression globale du pouvoir d'achat des ménages, liée à la reprise de l'emploi.

Pour les deux années à venir, la croissance française devrait être légèrement supérieure à celle du reste de la zone euro, même si tout indique un ralentissement plus fort que prévu. Le Gouvernement a donc révisé à la baisse ses prévisions : l'estimation de croissance pour 2001 a été ramenée à 2,9 % contre 3,3 % à l'automne dernier. En 2002, la croissance serait un peu plus rapide et comprise entre 2,8 % et 3,2 %. Un consensus se manifeste sur le dynamisme des facteurs internes soutenant la croissance : la progression du pouvoir d'achat des ménages liée à l'augmentation de l'emploi et aux baisses de prélèvements, une inflation modérée.

Les comptes nationaux provisoires pour le premier trimestre 2001 font également apparaître un ralentissement plus important que prévu. Le PIB a crû de 0,5 %, contre 0,8 % lors du dernier trimestre 2000 et l'acquis de croissance pour l'année s'élève à 1,6 %. Le motif le plus préoccupant de ce ralentissement tient au freinage de l'investissement des entreprises. Si cela était confirmé, une part substantielle de la demande interne pourrait être affectée. Nous n'en sommes pas là, mais reconnaissons que le dynamisme de la demande interne a fortement contribué à la capacité de résistance de la croissance française aux chocs extérieurs.

Dès lors, certains croient déjà pouvoir discerner un faisceau d'indices attestant du moindre dynamisme de la demande interne. De telles conclusions sont prématurées, mais il faut être attentifs à leurs conséquences pour la stratégie des finances publiques.

Les axes de la politique budgétaire définis dès l'automne de 1997 restent d'actualité, qu'il s'agisse d'assurer le financement des actions publiques prioritaires, de poursuivre la réduction des déficits ou de réduire le poids des prélèvements obligatoires.

La commission des finances adhère majoritairement à l'idée que les priorités du Gouvernement connaissent une traduction budgétaire immédiate autour de quatre thèmes : l'éducation, la sécurité, la justice et l'environnement. La définition de priorités peu nombreuses et durables constitue en effet un gage d'efficacité et ces dernières ne sont pas contradictoires avec la nécessaire maîtrise des dépenses. Le programme pluriannuel des finances publiques pour la période 2002-2004 retient ainsi une progression des dépenses du budget de l'Etat de 1 % en volume et la progression de l'ensemble des dépenses publiques ne devra pas, au cours de la même période, dépasser 4,5 % en volume. La lettre de cadrage budgétaire pour 2002 prévoit une augmentation des dépenses de l'Etat de 0,5 % en volume, soit une progression de 1,7 % en valeur compte tenu d'une hypothèse d'inflation hors tabac de 1,2 %. La progression moyenne des dépenses en volume depuis 1997 a été de 0,3 %.

Des marges d'efficacité de la dépense existent. Dans sa lettre de cadrage budgétaire pour 2002, le Premier ministre invite les ministres à « surmonter l'inertie habituelle de la dépense », à procéder à l'examen des crédits d'intervention et à privilégier les redéploiements afin de dégager les marges de financement de mesures nouvelles. Depuis 1997, plus de 30 milliards d'économies ont du reste été réalisés chaque année pour financer des mesures nouvelles conformes aux priorités du Gouvernement. La recherche de gains d'efficacité permettant d'améliorer les services offerts à nos concitoyens doit être permanente. A côté des redéploiements, la réforme de l'Etat -je pense notamment à la réforme de l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances dont le Sénat va débattre demain-, le recours aux nouvelles technologies et à une meilleure organisation du travail doivent contribuer à renforcer l'efficacité de la dépense. De même, le recul durable de la dette publique et de sa charge d'intérêt permet de dégager de nouvelles marges budgétaires.

La stratégie fondée sur le respect d'un objectif d'évolution des dépenses pré-établi et non d'un objectif de solde doit également être poursuivie car elle permet de « lisser » les évolutions à moyen terme et de mieux prendre en compte l'impact des dépenses publiques sur la conjoncture économique.

L'efficacité de cette stratégie est manifeste. Les priorités sont nettement marquées et le déficit des administrations publiques a été ramené de 3,5 % du PIB en 1997 -hors soulte France Télécom- à 1,3 % en 2000. Les prévisions concernant l'ensemble des administrations publiques dessinent des perspectives très comparables aux résultats de 2000 : l'Etat dégagerait un besoin de financement, les autres sous-secteurs des administrations publiques étant excédentaires.

En 2000, le déficit de l'Etat est resté pratiquement stable à 2,4 %, cependant que les administrations de sécurité sociale enregistraient un excédent de 54,6 milliards, en raison de la croissance rapide des recettes liée à la forte progression de la masse salariale. A cet égard, s'il est clair que l'allégement des charges sociales sur les entreprises ne doit pas fragiliser les finances des organismes de sécurité sociale, il n'est pas illégitime d'envisager que les modalités de compensation de ces allégements puissent prendre en compte la contribution apportée par la politique de l'emploi à l'amélioration des comptes sociaux. L'affectation nouvelle d'impôts auparavant perçus par l'Etat a également contribué au dynamisme des ressources des administrations de sécurité sociale ; pour 2001 et 2002, il est envisagé que leur capacité de financement se contracte légèrement sous l'effet du dynamisme des dépenses maladies. En 2000, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie a du reste été dépassé.

En 2000, la capacité de financement des administrations publiques locales a légèrement fléchi, puisqu'elle a été ramenée de 31,5 milliards à 24,9 milliards. Les dépenses des collectivités locales ont en effet progressé plus vite que leurs recettes, en raison des tempêtes de décembre 1999, de la progression des rémunérations et d'un investissement toujours dynamique.

Depuis 1997, les concours aux collectivités locales ont augmenté trois fois plus vite que le budget de l'Etat, contribuant à leur bonne situation financière. L'efficacité de la dépense publique doit cependant inciter à rechercher une répartition plus juste des dotations entre les collectivités et entre les territoires.

Avec le retour de la croissance et le dynamisme des rentrées fiscales, le débat s'était ouvert sur l'utilisation des recettes nouvelles -je crois que nous ne l'aurons pas cette année ! Trois orientations étaient possibles : accélérer la réduction du déficit pour désendetter l'Etat, augmenter les dépenses, réduire les impôts.

En fait, le Gouvernement a combiné ces trois orientations, en mettant l'accent sur la dernière dans la loi de finances pour 2001. Les mesures prises en 2000 et 2001 aboutissent à une réduction des impôts et des cotisations sociales représentant plus d'un point de PIB entre 1999 et 2001.

De 1997 à 2002, les baisses d'impôts décidées par l'Etat atteindront ainsi 200 milliards de francs. Elles portent sur la TVA, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, la fiscalité locale et elles concernent également ceux qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu à travers la prime pour l'emploi.

En 1999, ces baisses ont été compensées par la hausse spontanée des recettes, spécialement pour l'impôt sur les sociétés.

En 2001 et 2002, celle-ci pourrait se ralentir. Le rapport prévisible entre le taux de croissance des recettes et le taux de croissance du PIB en valeur a été ramené de 1,9 en 2000 à 1,8 en 2001 et 1,2 en 2002.

Au 3 mai dernier, l'ensemble des recettes fiscales du budget général était en baisse de 0,2 % par rapport à la même époque en 2000. Les recettes non fiscales sont, elles, en progression de 7,7 %. A la même date, le solde général d'exécution du budget de l'Etat était de moins 190,37 milliards de francs, contre moins 161,64 milliards de francs au 4 mai 2000. Le déficit est donc supérieur de 28,7 milliards de francs, sans qu'on puisse cependant en déduire une tendance pour l'ensemble de l'année 2001.

Le processus de réduction des déficits publics s'est donc poursuivi. En 2000, la dette publique a été ramenée à 57,6 % du PIB, contre 58,5 % en 1999 et 59,5 % en 1998, et elle devrait atteindre 56,9 % en 2001, 55,3 % en 2002 et 52,3 % en 2004.

La progression de l'excédent primaire est un moyen de maîtriser le poids de la dette dans le PIB et donc d'augmenter les marges de financement pour d'autres actions.

A terme, seule la maîtrise des finances publiques est capable de garantir la diminution des prélèvements obligatoires. Ils ont atteint 45,2 % du PIB en 2000, niveau conforme aux prévisions. Depuis l'année dernière, les effets des allégements fiscaux l'emportent sur la dérive spontanée du taux des prélèvements obligatoires.

La confiance des ménages apparaît comme un des piliers d'une croissance durable. Les baisses d'impôts et une politique budgétaire orientée sur des priorités sociales bien identifiées et sur l'assainissement des finances publiques contribuent à renforcer cette confiance.

La stratégie arrêtée par le Gouvernement et sa majorité porte ses fruits. La France s'est installée dans une croissance forte et moins sujette aux à-coups que celle de ses principaux partenaires. La situation de l'emploi s'est améliorée, la solidarité en faveur des plus modestes s'est accrue.

Le bilan de ces quatre dernières années est positif. Bien sûr, des améliorations sont nécessaires.

J'invite toutefois la majorité plurielle à davantage apprécier le chemin parcouru, dont la majorité peut être fière, sans être arrogante. Est-ce parce qu'il sera vraisemblablement sans surprise que le prochain projet de loi de finances sera mauvais ? La constance de nos priorités est une qualité. Le projet de budget pour 2002 devrait être d'ailleurs le plus accompli de cette législature car il financera toutes les avancées sociales votées -35 heures, emplois-jeunes, lutte contre les exclusions, CMU, etc. (Interruptions sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) et des réductions d'impôt qui concerneront tous nos concitoyens notamment les plus défavorisés d'entre eux.

Oui, il faut maintenir le cap pour consolider la croissance, l'emploi et la solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Gérard Charasse - Pour un radical de gauche qui ne sait bien châtier que ses véritables amis...

M. Pierre Méhaignerie - Ça commence bien !

M. Gérard Charasse - ...l'exercice que je vais accomplir requiert un peu de concentration car je vais devoir, Madame la ministre, vous dire un discours en forme de compliment.

En effet, si on porte un regard global sur l'économie de la France, on se rend compte que la politique menée depuis 1997 a eu une conséquence importante : elle a redonné du sens à notre économie.

Comme d'autres, j'ai mal vécu les années où, sous d'autres gouvernements, l'économie nationale n'était qu'une variable d'ajustement de l'économie mondiale, sensible à tous les chocs négatifs mais jamais aux chocs positifs.

Comme d'autres, je vis mieux cette période où notre économie est motrice, où elle amortit les variations brutales de la conjoncture mondiale. Ces quatre dernières années, qui, en France, se sont bien passées, au point qu'un de mes adversaires politiques reconnaît dans un document de campagne, qu'il ne croise plus de chômeurs, ces quatre années sont tout de même celles d'une crise financière en Asie, d'une crise financière en Amérique du Sud, d'un choc pétrolier et d'un fléchissement de la croissance américaine. Notre économie y a été sensible, mais elle n'a jamais été déstabilisée. « C'est peut-être une réponse française à la mondialisation » me disait, mercredi un collègue allemand.

Ce sens donné à l'économie n'est pas le fait du hasard. C'est peut-être dû à l'histoire personnelle de notre Premier ministre, qui a été professeur d'économie. Depuis 1997, la France s'est dotée d'une véritable politique économique, qui a donné un socle à la croissance.

Ce socle, c'est d'abord une politique offensive en matière d'emploi -réduction de TVA, prime pour l'emploi, réforme de la taxe professionnelle et des droits de mutation, etc. Nous sommes aujourd'hui revenus au niveau de chômage de 1983.

Ce socle, c'est aussi le soutien du pouvoir d'achat avec la réforme de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation et la suppression de la vignette. Le pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages, qui n'avait pas augmenté en 1996, a crû de plus de 3 % en 2001.

Ce socle, c'est enfin le soutien aux investissements avec la réforme de l'impôt sur les sociétés. En 2001, le taux d'investissement s'élèvera à 11,5 %, niveau jamais atteint depuis 1978.

Le Gouvernement a su initier, puis préserver le cercle qui lie la confiance des ménages et des entreprises, la vigueur de la demande intérieure, la croissance et l'emploi.

Cette politique a été menée sans brutalité et avec constance. Elle a fait des Français des acteurs de la politique économique, grâce à un effort de transparence sans précédent. Je veux rendre hommage au travail de Didier Migaud, qui a fait notoirement progresser ce concept.

La nouvelle présentation du budget de l'Etat en témoigne. Les notions d'efficacité socio-économique et de qualité du service sont, certes, de nature à faire grincer quelques dents, mais, utilisées à bon escient, elles sont des atouts indispensables pour une démocratie moderne.

Pour l'avenir, je voudrais appeler l'attention du Gouvernement sur deux points.

Dans son rapport, le Gouvernement confirme sa volonté de rendre la croissance riche en emplois. Les radicaux de gauche ont, à cet égard, proposé de réduire la TVA sur la restauration, secteur dans lequel l'action de l'Etat peut se traduire par une progression sensible de l'emploi. Je souhaite, Madame la ministre, que ces propositions soient discutées dans le cadre du prochain projet de loi de finances.

Second point, les parlementaires doivent pouvoir mieux exercer leur mission de contrôle. Nous appelons de nos v_ux une réforme de l'ordonnance de 1959 et de l'article 40 de la Constitution. Je n'ignore pas les progrès réalisés dans ce domaine. Pour citer un de nos illustres collègues, on est passé de « Touche pas au grisbi » à « Mélodie en sous-sol ». Nous voudrions faire le reste du chemin avant la fin de la législature.

En conclusion, les radicaux de gauche soutiennent le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques et le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - Ce débat d'orientation budgétaire est devenu rituel. Encore faudrait-il ne pas se contenter d'une incantation. Or, on nous répète depuis des années le même catéchisme : la baisse des impôts se poursuivra, les dépenses seront maîtrisées, avec une progression pour certains secteurs prioritaires...

M. le Ministre - Très bien !

M. Philippe Auberger - ...le déficit public diminuera, conformément aux engagements du pacte de stabilité.

M. le Rapporteur général - Jusqu'ici, je ne peux qu'approuver.

M. Philippe Auberger - Mais qu'en est-il dans la réalité ? D'abord la croissance française a sensiblement ralenti -mais votre document n'en dit rien.

M. le Rapporteur général - Il faut lire !

M. Philippe Auberger - Vous annoncez 2,9 % pour cette année, et 3 % pour l'an prochain, ce qui paraît exagéré. En effet le ralentissement est désormais visible dans plusieurs pays d'Europe, et le président Duisenberg attend une croissance moyenne de 2,5 % dans la zone euro. Vos prévisions sont donc peu vraisemblables.

Tous les indicateurs vont en effet dans le même sens : au lieu de 0,8 %, on n'a eu que 0,5 % de croissance au premier trimestre, l'investissement marque le pas et la consommation elle-même paraît affectée par l'annonce bruyante de certains plans sociaux. Les derniers chiffres de l'emploi sont modestes, puisque seuls 4 000 personnes ont retrouvé du travail le mois dernier. Le pouvoir d'achat des salaries ne s'accroît que faiblement du fait des accords relatifs aux 35 heures. Comment, dans ces conditions, attendre une forte croissance ? Il aurait été plus honnête de réviser les chiffres tout de suite, sans attendre la réunion de juillet des comptes de la nation.

Le taux annoncé pour 2002 -3 %- est encore moins réaliste que les 2,9 % de 2001. C'est méconnaître les effets retard et prendre ses désirs pour des réalités. Quant au discours sur le « potentiel de croissance » de notre pays, il est un peu théorique.

Je vois surtout un paradoxe : les socialistes, naguère champions d'une économie de la demande, sont passés à l'économie de l'offre : bel exemple de conversion intellectuelle ! Vous ne tenez pas assez compte, cependant, du facteur humain : le bâtiment manque de main-d'_uvre qualifiée, la réforme de la formation professionnelle est en panne, et la généralisation des 35 heures réduit encore l'offre de main-d'_uvre qualifiée. Les 3 % pour 2002 paraissent, dans ces conditions, peu crédibles.

Or, le ralentissement de la croissance aura des conséquences budgétaires, il entraînera des moins-values fiscales, pour la TVA et la TIPP notamment, et un collectif de printemps eût été préférable à ce débat impressionniste. Par ailleurs, l'objectif d'une progression de 0,3 % des dépenses publiques en 2001 ne pourra être tenu. Financera-t-on toutes les dépenses agricoles inattendues avec les gages déjà décidés ? Il manquera des financements pour le FOREC et les 35 heures. A cet égard, je répète une fois de plus qu'il faudrait parler des dépenses publiques consolidées : or, celles-ci augmentent chaque année de 1 % en volume -et je me réjouis que la Cour des comptes ait formulé à ce sujet une remarque allant tout à fait dans mon sens. Pour le FOREC, il manque 10 milliards en 2000 et 15 milliards en 2001 : comment tiendrez-vous l'objectif -pourtant modeste- d'un déficit de 187 milliards ?

Pour 2002, on annonce une baisse des impôts de 37 milliards, et l'on se vante de respecter la parole de l'Etat -c'est pourtant la moindre des choses ! Mais cela ne suffira pas à réduire les prélèvements obligatoires de 0,4 point comme vous l'assurez.

Quant à la dépense publique, les prévisions ne sauraient être tenues puisqu'il faudra 20 milliards pour le FOREC, et sans doute des financements supplémentaires pour la CMU et l'APA. A moins que vous comptiez sur les collectivités locales. Je note encore que vous n'avez pas financé le coût de la réforme de l'Etat, annoncée pourtant comme une priorité.

Avec tout ça, je ne vois pas comment vous pourriez diminuer de 20 milliards le déficit de l'Etat. Les recettes attendues de l'UMTS ne seront pas au rendez-vous, et ce qui en restera ira au Fonds des retraites en priorité -lequel pouvant inclure des obligations, mais aussi des actions de toutes origines, ressemble de plus en plus à ce fonds de pension que vous avez supprimé.

Autre lacune de taille : nulle part il n'est question de l'évolution des participations publiques. Il faudra bien, pourtant, en céder certaines pour faire face aux charges de l'EPFR ou de RFF. On pourrait, certes, mettre sur le marché une partie du capital de Gaz de France, mais le Premier ministre vient justement d'y renoncer...

M. Jean-Pierre Brard - C'est une obsession !

M. Philippe Auberger - ...ou se contenter d'une participation minoritaire dans France Télécom, à l'instar de ce qu'a accepté M. Schröder, pourtant social-démocrate.

M. Jean-Pierre Brard - C'est votre ami à vous !

M. Philippe Auberger - Quoi qu'il en soit, les participations publiques ne pourront rester en l'état.

Le document préparatoire est bien peu cohérent et bien peu convaincant. Il y a fort à parier que le budget 2002 sera un budget électoral, voire électoraliste, un budget lénifiant, voire anesthésiant. En 1992-1993, déjà, M. Bérégovoy avait grandement surestimé les recettes et sous-estimé les dépenses, et l'on peut estimer entre 50 et 70 milliards le déficit supplémentaire que trouvera, l'an prochain, la majorité sortie des urnes. Nous dénoncerons cette situation, afin que l'opinion ne soit pas trompée une deuxième fois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Vila - Il y a quelques semaines, notre Assemblée adoptait en première lecture une proposition de loi organique visant à améliorer les conditions d'exercice, par le Parlement, de ses compétences budgétaires. La distribution tardive du rapport servant de base au présent débat témoigne des progrès qui restent à faire !

Le ralentissement de l'activité a été, au premier trimestre, plus important et rapide que prévu, et la croissance pourrait tomber au-dessous de 2,5 % cette année. Selon certains analystes, nous serions entrés dans une phase de retournement de la conjoncture. L'aggravation de celle-ci en Allemagne et en Italie contredit, de fait, l'optimisme de ceux qui pensaient, il y a quelques semaines encore, que la demande intérieure serait un moteur suffisant pour que l'Europe prenne le relais des Etats-Unis. On ne saurait sous-estimer non plus le facteur interne d'affaiblissement de la croissance que constitue une politique durable de modération salariale et de création d'emplois sous-qualifiés et sous-rémunérés. Enfin, la manière aussi inattendue que précipitée dont la BCE s'est finalement résolue à baisser ses taux est symptomatique de la dégradation des perspectives économiques ; on peut craindre, en outre, que cette baisse favorise surtout les opérations sur les marchés financiers et les restructurations financières des grands groupes. Cette attitude controversée de la BCE pose, une fois de plus, la question de son statut, de son contrôle par les gouvernements et les parlements des Etats, ainsi que des critères qui fondent sa politique.

Les choix économiques et budgétaires sont décisifs pour l'avenir du pays. Il est incontestable, par exemple, que ceux effectués en juin 1997 ont accompagné et soutenu la conjoncture, ce que la droite n'avait manifestement pas su faire. Il y a trois semaines, vous affirmiez, Monsieur le Ministre, la nécessité de « prendre en compte le ralentissement de l'activité, mais sans sur-réagir », et proposiez de « maintenir la politique suivie en matière de pouvoir d'achat, de revenu, de créations d'emplois, de baisse d'impôt et de maîtrise de la dépense publique ». Nous considérons, quant à nous, que le dernier budget de la législature ne devrait pas se résumer à une simple continuation à l'identique. La dégradation de la conjoncture, les attentes sociales croissantes des Français requièrent que soit infléchi le cap de la politique budgétaire et fiscale, et modifié le contenu même de la croissance.

Si un taux de croissance de 3 %, un retour au plein emploi et un partage des richesses plus favorable aux salariés sont des objectifs partagés par toutes les composantes de la gauche plurielle, il n'en va pas de même des orientations proposées. Le ralentissement du recul du chômage nous fait plaider en faveur d'un soutien accru de la demande, par une augmentation des salaires et en premier lieu du SMIC, et d'une politique budgétaire plus active. Nous n'avons jamais caché notre hostilité au pacte de stabilité : affirmer un projet social sans desserrer les contraintes de ce pacte ni transformer la politique de la BCE est un pari impossible. Les dispositions positives contenues dans les lois de finances depuis 1997 ont d'ailleurs vu leur impact atténué notablement par la compression de la dépense à l'intérieur d'une norme arbitraire et restrictive.

Assurer le passage aux 35 heures dans la fonction publique, prendre en compte la légitime aspiration des fonctionnaires à bénéficier des fruits de la croissance, est-ce possible à moyens constants ? Si certaines réorganisations sont légitimes, la nécessaire concertation avec les intéressés a peu de chance d'aboutir si le gel des effectifs est présenté comme un dogme, au point que l'on en vient à redéployer des postes d'enseignants du Nord-Pas-de-Calais, région très défavorisée, pour répondre aux besoins de Languedoc-Roussillon, qui ne l'est pas moins. La norme de progression envisagée pour le prochain budget, soit 0,5 % en volume, est supérieure à l'objectif initialement retenu, mais reste néanmoins trop restrictive.

Les inégalités ont continué de s'aggraver ces dernières années, et les efforts pour faire reculer l'exclusion sont encore insuffisants. Ils sont contrariés, qui plus est, par le développement de l'emploi précaire au nom de la rentabilité financière. La multiplication des plans sociaux n'est pas le tribut inévitable payé à la modernisation de l'appareil productif, mais la conséquence d'une logique profondément prédatrice, qui ne pourra que s'accélérer avec le ralentissement de l'activité.

Donner à la croissance un nouveau contenu, c'est accroître les dépenses de formation, d'éducation, d'insertion, de santé, d'investissement dans les NTIC. Le rapport argue de la nécessité de ne pas faire peser sur les générations futures tout le poids de l'ajustement nécessaire, mais n'est-ce pas sacrifier l'avenir que de renoncer, au nom de la réduction des déficits, aux investissements nécessaires à la dynamisation de notre système productif ? Il est irréaliste et dangereux de prétendre bannir pour un quart de siècle toute progression de la dépense publique.

Pour nous, changer de cap, ce n'est pas faire exploser les déficits, mais d'abord améliorer l'efficacité des dépenses comme des prélèvements. Que dire, par exemple, des politiques dites de « baisse du coût du travail », qui coûtent quelque cent milliards par an et ont favorisé la multiplication des emplois précaires à temps partiel ? Pourquoi ne pas redéployer une partie significative des allégements consentis au titre des 35 heures, en les subordonnant à la création effective de nouveaux emplois, ou encore en les ciblant sur les petites et moyennes entreprises ?

La baisse des charges financières est fonction des nouveaux emplois créés et des formations correspondantes, et non du nombre de salariés existants et faiblement rémunérés, comme c'est le cas avec la ristourne dégressive. Elle est donc moins coûteuse pour le budget de l'Etat que celle des charges sociales. Cela permettrait de dégager les ressources indispensables à la construction de l'avenir des jeunes engagés dans le dispositif emplois-jeunes, ce qui requiert un effort considérable -d'ailleurs revendiqué par les intéressés- en matière de formation, adapté aux besoins de chacun, la validation des acquis et l'accompagnement des associations et des collectivités locales.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité a annoncé ce matin des mesures qui, bien qu'encourageantes, ne répondent pas vraiment aux soucis des emplois-jeunes. En effet, la pérennisation des emplois n'est pas garantie. Or, il ne s'agit pas tant d'offrir des passerelles vers d'autres emplois que de consolider ceux sur lesquels les jeunes avaient été recrutés.

Comment ne pas évoquer également le grand chantier de l'autonomie des jeunes ?

La loi de finances pour 2002 va se trouver confrontée au tarissement des ressources fiscales. Comme le rapport le soulignait, les baisses d'impôt de 1999 ont été rendues possibles par des rentrées fiscales supplémentaires, qui manqueront vraisemblablement aujourd'hui. Je n'ose imaginer les effets dévastateurs que pourrait avoir un « effet cagnotte » à rebours qui placerait le Gouvernement et la majorité devant des choix contradictoires politiquement éprouvants. Le débat sur les orientations fiscales et les baisses d'impôts reste donc bel et bien ouvert.

Le rapport évoque la légitimation de l'impôt pour justifier la réduction des prélèvements obligatoires. La perspective d'une réduction des prélèvements justifiant la diminution de la part des dépenses publiques dans le PIB ne pourrait pourtant constituer qu'une impasse pour une politique de gauche.

En effet, ce sont avant tout l'injustice, l'opacité et l'inefficacité des prélèvements que contestent nos concitoyens.

Si des avancées ont été réalisées en ce domaine les mesures adoptées sont restées trop ambivalentes.

La baisse de toutes les tranches du barème décidée l'an dernier, qui avantage les contribuables les plus favorisés, demeure inacceptable à nos yeux, comme le refus de conditionner la suppression de la surtaxe Juppé à un comportement vertueux des entreprises en matière d'emploi.

Il faut poursuivre l'allégement de la pression fiscale qui pèse sur les salariés, en rééquilibrant le poids respectif de la fiscalité directe et des taxes sur la consommation, ce qui justifie de nouvelles baisses ciblées de TVA ou l'amélioration de la disposition de l'an dernier sur le foncier bâti. Il est cependant impératif de compenser les manques à gagner par la remise en cause des avantages exorbitants dont bénéficient les revenus financiers.

L'amélioration de l'efficacité des prélèvements fiscaux et sociaux permettrait de dégager des moyens nouveaux pour inciter les entreprises à arbitrer en faveur de l'investissement réel et de l'emploi, et non des placements financiers.

Nous souhaitons donc que les propositions que nous avançons sur la taxe professionnelle soient mises en _uvre. C'est l'efficacité de cet impôt, mais aussi la pérennité des recettes des collectivités locales, qui sont en jeu.

L'essoufflement économique qui se confirme est évidemment lié au retournement de la conjoncture internationale, mais il apparaît aussi très dépendant des contradictions internes de notre croissance.

Nous devons donc promouvoir une politique budgétaire plus active, capable de dégager des marges nouvelles et d'améliorer l'efficacité de la dépense et des prélèvements fiscaux ainsi qu'une mobilisation différente du crédit.

La politique budgétaire préconisée par le rapport nous semble donc sourde aux menaces qui pèsent sur la croissance et aux attentes de la population.

Les députés communistes, sans passer sous silence leurs réserve sur cette complaisance du rapport envers l'idéologie libérale, aborderont ce débat d'orientation budgétaire dans un esprit constructif.

Cette loi de finances, la dernière de la législature, doit relever les défis et répondre aux attentes de ceux qui mettent leur espoir dans le gouvernement de la gauche plurielle.

M. François d'Aubert - Voilà l'économie américaine qui connaît un atterrissage dur -« hard landing »- qui n'aurait pas dû vous surprendre ; voilà la croissance de la zone euro affaiblie par les hausses du prix du pétrole et la baisse de l'euro. Voilà que l'investissement joue de moins en moins son rôle de locomotive de la croissance en France ; voilà que vous devez revoir à la baisse vos prévisions de croissance, et que l'exécution du budget 2001 échappe à votre maîtrise du fait de recettes fiscales en diminution et de dépenses non maîtrisées.

Tout cela était largement prévisible, et vous semblez pourtant pris de court. Votre seule explication tient au ralentissement américain et à la découverte tardive que l'autonomie de la zone euro par rapport aux Etats-Unis est un songe creux. Puis-je vous rappeler qu'il y a quelques mois, la croissance américaine n'était pas, selon vous, pour grand-chose dans la bonne tenue de l'économie française ?

Tout ce que vous proposez face à ce ralentissement, voire à ce retournement, c'est de « ne pas sur-réagir ».

Or, l'assainissement financier américain qui est encore en cours -notamment dans l'immobilier-, la médiocre conjoncture allemande, l'érosion de la confiance en France et les bombes à retardement budgétaires ne peuvent que faire douter du maintien d'une croissance forte et durable en 2001 et 2002, d'un bouclage indolore du budget 2001 et de la sincérité du budget pour 2002, année électorale en vue de laquelle le « concours général de la surenchère dépensière » est, du côté de la majorité plurielle, bel et bien ouvert.

Le plus inquiétant réside dans l'érosion de la confiance, des entrepreneurs et des ménages, qui rend peu crédible l'hypothèse d'un simple « accident » de conjoncture.

Vous aviez annoncé, Monsieur le ministre, une croissance durable parce que les fondamentaux de la croissance étaient bons. N'avez-vous pas sous-estimé l'impact du ralentissement américain sur la conjoncture française et surestimé la capacité de l'euro à nous prémunir contre l'inflation importée et les effets de la hausse du pétrole ?

Après 5 % de croissance l'année dernière, les Etats-Unis atterrissent brutalement avec 1 % seulement cette année. Outre son impact dépressif sur les exportations, ce ralentissement affecte l'Allemagne, dont le marché contribue pour un tiers à la croissance française. La croissance allemande n'atteindra pas 2 % cette année.

Vous affirmiez en septembre dernier, Monsieur le ministre, « qu'une secousse forte était en vue, mais que le climat de confiance allait être maintenu ». Il apparaît que les Français doutent bien aujourd'hui de la poursuite de la croissance.

La première défiance vient des entrepreneurs, donc de l'offre. Deux signaux négatifs illustrent cette perte de confiance. L'indicateur synthétique du climat des affaires durant les quatre premiers mois de l'année a baissé de 9,6 % par rapport au dernier trimestre 2000, et l'investissement productif n'augmente que de 0,4 %, alors qu'il avait progressé de 3,4 % au dernier trimestre 2000. Les entreprises préfèrent le déstockage aux nouveaux investissements d'équipement. Mais l'application des 35 heures dans les grands groupes mondialisés les pousse à différer leurs investissements en France et à s'orienter vers la Pologne ou la Tchéquie, où les coûts de main-d'_uvre sont cinq à sept fois plus faibles.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances - Voilà le rêve de M. d'Aubert : les salaires polonais !

M. François d'Aubert - Les chefs d'entreprise vous le confirmeront. Cela ne devrait pas vous gêner, puisque vous êtes pour l'Europe !

Fait plus grave, la crise de confiance atteint maintenant les ménages et la demande. Or, une consommation intérieure dynamique est pour vous « le socle de la croissance ». L'indicateur du moral des ménages de l'INSEE a atteint 0 en avril et -7 en mai, contre +6 en janvier. L'inquiétude grandissante liée à la décélération du chômage, aux licenciements massifs -dans la téléphonie mobile par exemple-, mais également à l'euro, qui risque de décourager la consommation pendant les trois premiers mois de sa mise en place en 2002, en sont les raisons.

L'introduction de l'euro dans la vie quotidienne, sans doute insuffisamment préparée, et concentrée sur quelques semaines, s'ajoutera d'ailleurs à l'application des 35 heures aux petites entreprises dans les premiers mois de 2002, ce qui risque d'amener des perturbations, ne serait-ce qu'inflationnistes, et de désorganiser l'offre.

Vous avez finalement dit qu'il y aurait « un ralentissement mais pas de retournement ». Les prémices d'un retournement de conjoncture apparaissent pourtant. La croissance lève le pied : elle n'a progressé que de 0,5 % au premier trimestre 2001, contre 0,8 % au dernier trimestre 2000. La baisse du chômage décélère. Le nombre de demandeurs d'emplois n'a diminué que de 2,1 % depuis janvier, contre 5,6 % un an plus tôt. L'inflation repart. Elle ne se limitera pas au chiffre prévu de 1,2 %, mais atteindra plutôt 1,8 % -elle est déjà de 3,5 % en Allemagne. Un durcissement des taux d'intérêt de la BCE est donc à craindre.

Cette conjoncture risque fort de compromettre le bouclage budgétaire de 2001.

Le taux de croissance sur lequel a été construit le budget 2001 ne sera pas atteint. La pente actuelle de la croissance pour cette année se situe plutôt entre 2 et 2,5 %, et non à 2,9 % comme prévu.

L'impact du ralentissement de la croissance sur le déficit est évident. A la fin avril, le déficit dépassait de 26 milliards le niveau atteint à la fin avril l'année dernière. Quatre mois ont suffi pour le creuser et il sera difficile de ne pas dépasser les 186 milliards de la LFI : les moins-values fiscales atteindront 15 à 20 milliards.

Pour être crédible, durable et cohérente, une baisse des impôts doit impérativement s'accompagner d'une vraie baisse de la dépense publique et de véritables redéploiements. Telle n'est pas la voie que vous avez choisie, préférant financer vos baisses d'impôts par les surplus incertains de la croissance plutôt que par une maîtrise structurelle de la dépense publique, par la réforme de l'Etat et par une clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.

Vous avez affirmé « qu'il faut garder le cap de la défense publique ».

M. Jean-Pierre Brard - Quelles dépenses voulez-vous supprimer ?

M. François d'Aubert - Pourtant, les dépenses ont progressé en quatre mois de 31 milliards par rapport aux quatre premiers mois de l'année dernière. Les redéploiements de crédits traditionnels ne seront à coup sûr pas suffisants pour respecter le cadre fixé pour les dépenses.

Vous avez comptabilisé 5 milliards au titre de l'augmentation des charges de la dette et 8 milliards pour le plan Sapin de revalorisation des rémunérations dans la fonction publique. Mais aviez-vous prévu les 7 milliards destinés à compenser la suppression de la vignette aux conseils généraux, les 11 000 nouveaux emplois dans la fonction publique, les 24 milliards que coûtera le maintien des emplois-jeunes, les 12 milliards de dépenses exceptionnelles au titre de la vache folle et de la fièvre aphteuse ? Et que dire des acrobaties financières nécessaires pour boucler le financement des 35 heures : il manque toujours 15 milliards au FOREC et vous n'avez toujours pas prévu le financement de la montée en puissance de la CMU et de l'APA.

Quelles sont désormais vos possibilités d'ajustement ?

Soit vous laissez filer les dépenses et donc le déficit, en contradiction avec Bruxelles, ce qui provoquerait une spirale infernale dette/déficit, avec en corollaire une remontée des taux d'intérêt, qui donnerait le coup de grâce au budget et à la croissance. Soit vous bloquez les dépenses, mais il n'est pas dans votre habitude de résister à la tentation dépensière en période électorale... Vous avez d'ailleurs avoué, Monsieur le ministre, « que vous tiendrez vos engagements si la croissance le permet », ce qui en dit long sur vos intentions.

Soit enfin vous renoncez aux baisses d'impôts et à la prime pour l'emploi. Mais c'est inconcevable, compte tenu du ras-le-bol fiscal des Français qui ont vu leur impôts s'alourdir de quelques 500 milliards depuis 1997. Et maintenant que vous vous êtes rallié à une politique de l'offre, il serait dommage de renoncer aux baisses d'impôts. Mais, au lieu de les amplifier, vous avez déjà annoncé que les Français devront se contenter des 38 milliards déjà programmés pour 2002.

Comment dès lors boucler le budget 2001 sans un gigantesque plan de gel de la dépense publique ? C'est plutôt un débat de réorientation budgétaire pour 2001 que nous devrions tenir aujourd'hui...

Vos perspectives budgétaires pour 2002 illustrent une contradiction entre vos tentations électoralistes et la rigidité des contraintes auxquelles vous êtes confrontés. La première contrainte est d'ordre budgétaire. Elle est liée à la disparition de vos marges de man_uvre. Faute d'avoir voulu réaliser l'assainissement structurel des finances publiques en période de vaches grasses, vous aurez un dérapage du déficit en période de vaches maigres. Vous vous targuez d'avoir réduit le déficit de 100 milliards, mais l'on sait la fragilité d'une telle réduction financée par des excédents fiscaux issus de la croissance. Ainsi, entre 1991 et 1993, l'inversion de la croissance avait creusé le déficit de 3,5 points de PIB et les successeurs de M. Bérégovoy avaient dû en supporter la charge.

Votre deuxième contrainte est la contrainte européenne de stabilité budgétaire. Dans le programme pluriannuel envoyé à Bruxelles pour la période 2001-2003, vous prévoyez une réduction du déficit de 0,3 point de PIB par an, et d'une évolution maîtrisée des dépenses de 1 % en volume sur trois ans, soit 0,3 % par an. Vous en êtes très loin.

Votre troisième contrainte est une contrainte financière à long terme : vous n'avez pas réussi à provisionner les charges considérables liées à l'endettement ou à la sauvegarde des retraites, qui viendront bientôt à échéance. Le retrait de deux compétiteurs sur quatre dans la course aux licences UMTS provoque un manque à gagner de 65 milliards. L'évaporation de cette manne rend beaucoup moins crédible la réduction de la dette et l'alimentation du fonds de réserve.

Cette logique de la cigale, qui consiste à gaspiller les fruits de la croissance sans penser à l'avenir, tel est le bilan négatif de quatre ans de politique budgétaire socialiste. Avec une croissance moyenne de 3 % pendant trois ans, on aurait pu réduire le déficit à un rythme bien plus important, tout en baissant les impôts. mais il aurait fallu pour cela réduire les dépenses. Gerhard Schröder, lui, a financé son plan fiscal par des économies budgétaires.

En dépit de toutes ces contraintes la tentation sera forte de recourir au levier de la dépense publique à la veille des élections. L'ajustement se fera soit dans l'opacité, soit en laissant filer les dépenses et le déficit. Le budget 2002 risque donc d'être celui de la fuite en avant.

Pour toutes ces raisons, le groupe DL désapprouve vos orientations budgétaires pour 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Augustin Bonrepaux - Ce débat d'orientation budgétaire est marqué par l'ombre du ralentissement de la croissance américaine. La plupart des hypothèses économiques sont conditionnées par l'ampleur et la durée de ce ralentissement. La baisse de la consommation aux Etats-Unis pèsera sur les exportations françaises, aussi bien directement que par l'intermédiaire des achats de nos principaux partenaires, affectés eux-mêmes par le ralentissement.

Mais, cette évolution montre aussi la justesse de la politique économique suivie par le Gouvernement et la majorité, puisque la croissance française portée par la demande intérieure et surtout par la consommation des ménages, devrait se maintenir à un niveau supérieur à celui de nos partenaires européens.

Cette politique a permis d'augmenter le potentiel de croissance de l'économie française, grâce à la priorité donnée à la création d'emploi, à la diffusion des nouvelles technologies et à l'amélioration des structures de production.

Le taux de chômage a retrouvé en mars 2001 le niveau de 1983 grâce à la création de 1,5 million d'emplois depuis 1997. Il a été ramené à 8,7 % en avril 2001 contre 12,6 % en 1997, ce qui assure un revenu du travail à un million de Français de plus. A cette amélioration de la situation de l'emploi s'ajoute celle du pouvoir d'achat, accentuée par la politique de baisse des prélèvements obligatoires, qui joue en particulier en faveur des bas salaires.

Cette politique est particulièrement attentive à la situation des plus modestes, avec notamment la prime pour l'emploi qui représentera 1 500 F pour une personne payée au SMIC dès ce mois de septembre, et 3 000 F en 2002. A cette prime s'ajoutent les allégements de taxe d'habitation, les possibilités de cumul RMI-salaire, l'aménagement de la décote à l'entrée dans l'impôt sur le revenu, qui facilitent le retour à l'emploi des moins qualifiés et qui créent du pouvoir d'achat.

Ce sont bien ces mesures qui permettent à notre pays de connaître encore une croissance importante, même si le taux de croissance prévu pour 2001, entre 2,7 % et 3 %, après 2,9 % en 1999 et 3,2 % en 2000, pourrait être revu légèrement à la baisse. Ce bon résultat est obtenu grâce à une consommation vigoureuse et malgré l'important déstockage pratiqué par les entreprises.

Sur cette base, il nous faut rester fidèles aux orientations suivies depuis 1997, tout d'abord en poursuivant le programme d'allégement et de réforme des impôts, essentiel pour stimuler les déterminants internes de la croissance que sont la consommation et l'investissement.

Près de 38 milliards seront consacrés en 2002 aux allégements des prélèvements obligatoires, avec 12 milliards de baisses d'impôt sur le revenu, avec la montée en puissance de la prime pour l'emploi, avec l'abaissement à 3 % du taux de la contribution Juppé sur l'impôt sur les sociétés, dont le taux global sera ramené à 33,3 % en 2003, l'effort étant encore accentué pour les petites et moyennes entreprises, avec un taux de 15 % dès 2002.

Globalement, après une baisse de 0,4 point en 2000, le taux de prélèvements obligatoires devrait diminuer de 0,7 point en 2001 et 2002, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB atteignant 44,5 % l'an prochain. Grâce à la politique menée par le Gouvernement et la majorité, le taux de prélèvements obligatoires sera ainsi inférieur de 2 points à ce qu'il aurait été si rien n'avait été entrepris depuis 1997.

Certes, dans ce contexte, il ne serait pas raisonnable de proposer de nouvelles réductions d'impôt. Mais la suppression de la vignette est restée au milieu du gué. Aller jusqu'au bout serait gage de simplification et d'économies de gestion.

M. Jean-Pierre Brard - Très bien !

M. Augustin Bonrepaux - En matière de dépenses, les mesures nouvelles correspondent aux redéploiements. Depuis 1997, 30 milliards d'économies et de redéploiements réalisés chaque année auront permis que près de 90 % de la progression du budget soit affectée aux secteurs prioritaires : éducation, emploi, lutte contre l'exclusion, justice et sécurité de proximité, environnement. Nous constatons également que la norme de progression des dépenses de l'Etat a été fixée à 0,5 % en volume soit 0,2 point de plus que dans le programme pluriannuel de stabilité et de croissance transmis à la Commission.

Ces marges de man_uvre permettront de persévérer dans notre politique de lutte contre le chômage et de réduction des inégalités. Les mesures annoncées hier par la Ministre de l'emploi et de la solidarité en faveur de la poursuite de la politique novatrice des emplois jeunes, qui a prouvé son efficacité, en sont une première illustration.

J'insiste également sur la nécessité d'accentuer les politiques ciblées de retour à l'emploi des personnes les plus en difficulté. Il nous faut désormais nous préoccuper de personnes les plus éloignées de l'emploi.

M. Jean-Pierre Brard - Parfait !

M. Augustin Bonrepaux - Cela suppose des moyens accrus et les crédits ne devraient donc pas diminuer aussi automatiquement que le laisserait penser une vision trop globale du chômage. Ainsi, le nombre de contrats emploi solidarité ne devra pas être réduit, puisque c'est précisément ce type de dispositif qui représente la meilleure chance d'accompagner les publics en difficulté dans leur retour à la vie active.

Le souci de réduire les inégalités doit aussi conduire à poursuivre la revalorisation des retraites agricoles afin d'assurer à ceux qui ont travaillé toute leur vie un revenu décent, lequel est aujourd'hui souvent inférieur au RMI !

S'agissant des collectivités locales, une annexe du rapport souligne la progression des concours de l'Etat, évalué à 7 % par an. Encore faut-il préciser qu'il ne s'agit que d'une moyenne ! Certaines collectivités voient leurs dotations progresser mais d'autres, elles, diminuent ! (« Eh oui ! » sur divers bancs) Il ne faudrait pas accroître la fracture territoriale qui existe déjà. Si l'on encourage la coopération entre les collectivités, il faut le faire dans tous les domaines et tel n'est malheureusement pas le cas cette année. Il convient de corriger cet « oubli », dont je veux bien croire qu'il n'est pas volontaire, au plus tôt.

M. Michel Bouvard - Il a raison !

M. Augustin Bonrepaux - Soyons en outre attentifs aux charges nouvelles transférées sans compensation à certaines collectivités, telles que l'allocation personnalisée d'autonomie -financée par les départements- ou la réforme des SDIS.

Pour conclure, il y a lieu de se féliciter que cette politique soit menée dans le respect des engagements européens de la France, en matière de maîtrise des dépenses, de réduction du déficit et de dette publique. Le chiffre de 0,5 % reste cohérent avec l'objectif fixé dans le cadre de l'Union : les dépenses de l'Etat augmenteront de 1 % en volume sur trois ans. Ainsi, l'objectif fixé par le Ministre d'un équilibre global des finances publiques en 2004 pourrait être atteint. En 2002, le déficit public serait ainsi ramené à 0,6 % du PIB -après 1 % cette année-, soit 2,9 points de mieux qu'en 1997 !

Le chiffre du déficit du seul budget de l'Etat reste bien sûr conditionné par la croissance économique mais il pourrait être réduit en 2002 par rapport à la loi de finances initiale pour 2001. Cela dépendra de l'environnement économique et de la nécessité de procéder à d'éventuels ajustements pour financer les priorités. Faut-il rappeler que celles-ci concourent à la croissance saine que nous connaissons aujourd'hui ?

Nous devons donc poursuivre dans la voie d'une politique économique saine et appropriée, fondée sur des priorités clairement définies. Nous pourrons ainsi apporter aux Français une amélioration immédiate et sensible de leurs conditions de vie sans hypothéquer l'avenir de notre économie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Méhaignerie - « Les entreprises et les ménages ont besoin d'oxygène » avez-vous dit tout à l'heure, Monsieur le ministre. J'ajouterai : le ministre de l'économie et des finances aussi...

M. le Ministre - Mais non, tout va bien, je vous rassure !

M. Pierre Méhaignerie - ...pour faire face à la pression dépensière de nombre de membres de sa majorité. Et vous vous êtes du reste employé tout à l'heure à corriger par votre ton très assuré l'impression de flou que nous avait laissée votre audition devant la commission des finances ; flou que nous pouvions comprendre, compte tenu des incertitudes économiques et des arbitrages du Premier ministre qui dépendent plus des humeurs des différents partis de la majorité que de l'intérêt du pays ! Nicole Notat ne relevait-elle pas elle-même dernièrement que « les jeux internes de la majorité avaient pris le pas sur les sujets traités » ?

Je m'en tiens à ce stade à deux réflexions. La première a trait au fossé qui sépare votre discours des actes du Gouvernement et à la nécessité d'adopter, pour l'avenir, un langage de vérité.

Nous retrouvons, Monsieur le ministre, dans vos différentes interventions les orientations sociales libérales de nos partenaires allemands ou britanniques. Nous pourrions dès lors y souscrire si vos « travaux pratiques » n'allaient pas en sens inverse ! Ainsi, vos recommandations ne semblent guère suivies d'effet. Vous aviez souhaité que les 35 heures soient appliquées de manière plus souple dans les PME. Vous n'avez pas été entendu. Vous avez renouvelé une mise en garde contre des « mesures pouvant déstabiliser les entreprises ». Là encore, vous n'avez pas été entendu. Vous avez parlé des risques d'une majorité « dépensophile et étatolâtre »... Gageons qu'elle saura se faire entendre lors de l'élaboration du budget ? Quant aux retraites, vous avez déclaré à très juste titre que si les gens souhaitaient continuer de travailler au-delà d'un certain âge, la possibilité devait leur en être offerte ! Autant de positions dignes du plus grand intérêt mais qui n'ont été suivies d'aucune décision !

L'intérêt du présent débat est de rechercher la vérité et de traiter les électeurs en citoyens dans la perspective des enjeux de 2002. Depuis quatre ans, vous bénéficiez d'une conjoncture favorable et il est répété à l'envi que cet état de fait est dû à l'action positive de la majorité. Mais à qui la doit-on en réalité ? Certains experts le disent : pour 60 % à un bon environnement international, pour 20 % au bon pilotage de la politique conjoncturelle par le Gouvernement et pour les 20 % restants à l'action des gouvernements Balladur et Juppé (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) qui ont assaini les finances publiques. Dois-je rappeler que le gouvernement Bérégovoy a laissé un déficit de 340 milliards en 1993 alors qu'il l'avait estimé pour la même année à 170 milliards ?

M. le Président de la commission des finances - Produisez vos experts ! Ils me semblent bien partisans.

M. Pierre Méhaignerie - Je ne manquerai pas de vous communiquer leur nom !

Alors que ces quatre années de croissance auraient dû vous inciter à entreprendre les réformes structurelles nécessaires -réforme des retraites, refonte ambitieuse de la fiscalité, amélioration de l'environnement des entreprises, modernisation de l'Etat- et à assainir nos finances publiques, le laxisme du Gouvernement nous place pour l'avenir dans une situation délicate.

Face à une diminution des recettes fiscales et à un accroissement des dépenses, comment pouvez-vous à la fois poursuivre la réduction du déficit et tenir vos engagements de baisser l'impôt ?

Votre rapport ne répond pas à la question. Il est vrai qu'il ressemble davantage cette année à un brevet d'autosatisfaction qu'à toute autre chose et qu'il est des plus instructifs de le rapprocher du rapport de la Cour des comptes.

Tout ceci est d'autant plus inquiétant qu'il subsiste de nombreuses interrogations qui seront autant de bombes à retardement : le financement des 35 heures, l'application des 35 heures dans la fonction publique -et notamment à l'hôpital- et dans les petites entreprises, le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la CMU -dont on sait déjà qu'il pèsera sur les collectivités territoriales.

Faute de réponses précises sur ces questions, il apparaît difficile d'appréhender les orientations du budget pour 2002.

Deuxième axe de réflexion, vous parlez souvent de la nécessité de soutenir les piliers de la croissance mais qu'en est-il exactement ?

Comme vous n'êtes pas tout à fait nouveau en politique, il n'est pas nécessaire de vous rappeler qu'au cours des vingt dernières années la croissance française a été en moyenne inférieure d'un demi-point à celle des pays de l'OCDE.

M. le Ministre - Pas au cours des quatre dernières années !

M. Pierre Méhaignerie - Peut-être, mais elles peuvent être conjoncturelles ! (Murmures et sourires sur les bancs du groupe socialiste) N'avons-nous pas connu, lorsque M. Rocard était aux responsabilités, deux ou trois années de croissance ?

Qu'il me soit permis de penser que les 35 heures obligatoires pour tous, l'interventionnisme de l'Etat dans les moindres domaines et l'excès de réglementation ne rendent guère le « site France » attrayant. De nombreux investisseurs étrangers les dénoncent déjà et les risques de délocalisation sont bien réels.

Le tableau de la richesse comparée par habitant des régions en Europe montre que la Bretagne et les Pays-de-Loire ont pris du retard au cours de ces vingt dernières années. Il n'en va pas de même de l'Irlande ou de la Catalogne ! De même, selon une étude parue hier dans Les Echos, la France serait passée du cinquième au treizième rang quant au PIB par habitant entre 1980 et 2000.

Mais nous ne sommes pas les seuls à penser qu'il y a pour l'avenir un affaiblissement des leviers de la croissance. Ainsi les réflexions d'anciens collaborateurs de Pierre Mauroy et de vous-même, expriment plus qu'une incertitude quant à l'avenir économique -je vous renvoie aux déclarations de MM. Weinberg, Allègre, Fauroux ou Peyrelevade (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Loin de se renforcer, les leviers de la croissance se sont donc plutôt affaiblis au cours des dernières années.

Bref, nous surveillerons attentivement, au cours des prochains mois, la sincérité du budget 2002, pour ne pas connaître une nouvelle fois l'expérience de 1992-1993, où des recettes surévaluées et des dépenses sous-évaluées avaient provoqué un déficit budgétaire aggravé de 170 milliards qu'un autre gouvernement a ensuite dû redresser (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Michel Bouvard - Le débat d'orientation budgétaire intervient à un moment où chacun se demande si la croissance soutenue que la France connaît depuis 1997 se poursuivra au même rythme ou si les répercussions du ralentissement qui s'amorce aux Etats-Unis et la chute des marchés financiers enregistrée cette année nous toucheront.

C'est la preuve, s'il en était besoin, que la croissance économique ne repose que partiellement sur les politiques nationales et que la perméabilité de nos économies à l'environnement extérieur est extrême, même s'il est vrai que la demande intérieure peut constituer un facteur pondérateur.

En disant cela, je ne fais que rappeler que la croissance dont nous avons bénéficié depuis 1997 n'est pas la résultante de la seule politique économique du Gouvernement, comme certains ont tenté de le faire croire.

Je vous donne acte, Monsieur le ministre, que vos propres analyses ont toujours été plus nuancées et j'admets ainsi que l'évolution constatée au premier trimestre de cette année, avec un PIB qui ne progresse que de 0,5 % contre 0,8 % au dernier trimestre 2000 peut être liée à des facteurs extérieurs à l'action du Gouvernement.

Dès lors que nous admettons que l'économie est commandée par des cycles que nous ne pouvons qu'infléchir, ce qui importe, c'est que l'Etat joue à plein son rôle de régulateur et qu'il sache notamment profiter des périodes de croissance pour assainir la situation des finances publiques, diminuer la dette, réduire la pression fiscale, encourager les investissements, toutes choses plus difficiles quand les recettes sont moindres.

Or, la croissance soutenue des dernières années ne s'est traduite que par une faible réduction des déficits budgétaires. La dette publique a continué de s'accroître et les prélèvements obligatoires demeurent élevés, alors que nos principaux concurrents les ont diminués, ce qui peut inciter à des délocalisations.

Le déficit budgétaire est passé de 3,3 % du PIB en 1997 à 2,4 % en 2000 et devrait être ramené à 2 % cette année. Mais en valeur absolue la réduction est passée de 41,5 milliards en 1999 à 15 milliards en 2000 et seulement 5 milliards cette année, soit une moyenne sensiblement égale à celle de la législature précédente, où les conditions étaient beaucoup plus difficiles.

La dette publique est ainsi passée de 4 855 milliards en 1997 à 5 308 milliards en 2000 et aujourd'hui chaque enfant qui naît a dans son berceau une dette de 90 000 F.

Les prélèvements obligatoires, malgré la croissance, se sont maintenus au-delà de 45 % du PIB et devraient revenir en 2001 au niveau de 1997.

La France va donc préparer le budget 2002 dans un environnement international plus difficile et avec des marges de man_uvre réduites, compte tenu de ce poids de la dette.

Cette situation doit vous inciter, Madame la ministre, à ne pas retarder l'action de réforme et à oser des réorientations. La part de la fonction publique est passée de 40,7 % -637 milliards- en 1997 à 42,5 % -710 milliards- en 2001. Sans doute allez-vous nous reprocher d'être contre les fonctionnaires, « atteints de schizophrénie », demandant moins de fonctionnaires à cette tribune et plus dans nos circonscriptions. Ne pourrions-nous dépasser ce mauvais procès pour convenir ensemble de l'urgence de réformer la fonction publique en profondeur ? Nous avons tous souhaité, à la commission des finances, avec le soutien des présidents successifs de l'Assemblée -Philippe Séguin, Laurent Fabius, aujourd'hui Raymond Forni- faire progresser la culture de contrôle et améliorer l'efficacité de la dépense publique.

Or que disent les rapports de notre mission d'évaluation et de contrôle ? N'avons-nous pas écrit que l'on pouvait moderniser la gestion de la police, n'avons-nous pas dénoncé l'archaïsme de la gestion des emplois de l'Education nationale, qualifié d'obsolète la redevance télévision, qui mobilise 1 600 fonctionnaires, critiqué la rigidité de la gestion des personnels de la justice ? Quelles suites le Gouvernement entend-il donner au rapport accablant de la Cour des comptes, qui constate elle aussi l'archaïsme de la gestion des effectifs de l'Education nationale et l'impossibilité d'un contrôle réel du Parlement ? Alors qu'un fonctionnaire sur deux partira à la retraite au cours des dix années à venir, la priorité du budget ne doit-elle pas être de faciliter les redéploiements, d'autant que le coût de ces retraites et des 35 heures va incomber à ce budget de l'Etat ?

Je souhaiterais d'ailleurs, puisque la réforme de l'ordonnance de 1959 est en cours, qu'on accepte que le rapport de la Cour des comptes donne lieu à un débat au Parlement et à une communication du Gouvernement sur les suites qu'il entend lui donner.

M. Jean-Pierre Brard et M. Jean-Jacques Jégou - Très bien !

M. Michel Bouvard - Ne faudrait-il pas s'interroger aussi sur le passage aux 35 heures dans les toutes petites entreprises, alors que le financement des allégements n'est pas assuré et représente une somme supérieure aux investissements civils de l'Etat ? Comment le Gouvernement entend-il assurer l'équilibre du FOREC après la censure de la TGAP par le Conseil constitutionnel ?

M. Jean-Pierre Brard - Il faut supprimer le Conseil constitutionnel.

M. Michel Bouvard - J'en viens à ce que certains considéreront peut-être comme une rengaine de ma part et que je qualifierai plutôt de complainte, la complainte des investissements de l'Etat : la croissance des dépenses de fonctionnement se traduit, en effet, par un niveau d'investissements civils inférieurs aux besoins. La Cour des comptes a souligné à nouveau la grande misère de la situation du patrimoine public -routes insuffisamment entretenues, ouvrages d'art défaillants, etc.- sans parler de l'entretien quasi-inexistant des berges des cours d'eau domaniaux : comment empêcher les inondations dans ces conditions ?

Outre ces investissements de maintenance du patrimoine, il y a des besoins nouveaux, notamment en matière de transports en commun. On sait que Réseau ferré de France n'a pas les moyens de financer de nouvelles grandes infrastructures -le TGV Rhin-Rhône, la liaison Lyon-Turin, etc. Le produit des licences UMTS ne devrait-il pas y être affecté ? Pourquoi l'Etat ne sollicite-t-il pas la Caisse des dépôts et consignations, qui y est prête, pour mettre en place le financement des infrastructures durables ?

Madame la ministre, vous avez dit que ce budget ne comporterait pas de surprises. Cela peut se comprendre, même s'il conviendrait de corriger certaines anomalies, comme la pluralité des taux de TVA dans la restauration. Mais il est plus que jamais nécessaire d'engager les réformes de structure pour rendre la dépense publique plus efficace et de préparer l'avenir par des investissements. Telles sont les orientations que le groupe RPR souhaite proposer, dans un souci de contribution constructive à ce débat. Il y va de l'intérêt de notre pays. On sait que dans une année préélectorale tout gouvernement hésite à engager des réformes de structures. Mais dans la situation actuelle de concurrence mondiale, toute année perdue entraînerait un recul de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - Au moment où la croissance et l'optimisme des ménages connaissent un léger tassement, le budget de l'Etat doit, plus que jamais, être un outil de politique économique au service de l'emploi et de la justice fiscale.

Or, pour la dernière loi de finances de la législature, la hausse des dépenses de l'Etat sera entièrement absorbée par les intérêts de la dette et l'augmentation, pourtant trop chiche, des salaires de la fonction publique.

M. Jean-Jacques Jégou - Démagogie !

M. Jean-Pierre Brard - On voit que vous ne faites pas vos fins de mois avec le salaire d'une femme de service d'une de vos écoles du Plessis-Trévise !

Ce budget signifie donc que toute nouvelle dépense ne peut se faire qu'au détriment d'une autre. Après avoir annoncé un plan mal ciblé de réduction d'impôts, le Gouvernement chercherait-il à tempérer de « dangereuses » velléités dépensières de ses partenaires de la majorité plurielle ?

Les baisses d'impôt ne sauraient être une fin en soi, car la dépense publique peut être vertueuse, lorsqu'elle tend à satisfaire certains besoins de la population auxquels le marché répond mal. Le maintien des services publics dans les zones rurales, leur développement dans les quartiers en difficulté, le financement d'hôpitaux bien équipés, le développement des universités et des centres de recherche, l'action contre l'exclusion sont par exemple des domaines dans lesquels les Français attendent à juste titre une plus forte intervention de l'Etat.

Plus que jamais, il nous faut être à l'écoute des plus modestes de nos concitoyens. Grâce à la politique de relance de la gauche plurielle, la courbe du chômage s'est heureusement inversée depuis 1997, mais cela ne se traduit pas, le plus souvent, par une amélioration de la feuille de paye des salariés. De ce point de vue, la « prime pour l'emploi » sera bienvenue pour les salaires modestes. Mais il convient aussi d'augmenter le SMIC et les minima sociaux : pour une fois, le Conseil constitutionnel n'y trouverait rien à redire. On pourrait aussi attribuer plus largement la prime à l'emploi.

M. Fabius a parlé de « solidarité durable », et j'apprécie son talent à renouveler, dans les gazettes, le vocabulaire politique. A vrai dire, après deux lectures attentives, j'ai cru comprendre qu'il y avait plus à retirer de ce qu'il écrit en creux que de ce qui apparaît en relief (Monsieur le ministre sourit). Mais cela serait trop long à exposer ici. En tout cas, je préfère, quant à moi, à la notion de solidarité durable celle de solidarité effective et utile. Vous avez parlé de dépenses « éphémères », mais les dépenses qui stimulent la croissance et la consommation sont utiles à la société. Et quand vous parlez de 80 % redistribués au travail, je crains que vous n'y fassiez figurer les réduction de l'IR qui profitent aux revenus les plus élevés. Mais l'emploi et le pouvoir d'achat sont les thèmes majeurs sur lesquels les électeurs nous jugeront lors des prochaines échéances, et il nous faut mobiliser encore toutes les forces contre le chômage. Le budget 2002 doit donc être pédagogique et non électoral, comme l'annonce M. Auberger qui nous voit à l'image de la droite...

M. Michel Bouvard - Nous avons fait des propositions !

M. Jean-Pierre Brard - Je vous mets à part, Monsieur Bouvard, car vous êtes un élu de droite, mais républicain (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Jacques Jégou - Que voulez-vous dire ?

M. Jean-Pierre Brard - M. Bouvard n'est pas comme vous : il lui arrive de voter avec la gauche -ce qui lui vaut parfois des ennuis ! M. Barrot, en revanche, n'a jamais voté avec la gauche (M. Barrot s'exclame).

Le budget 2002 peut être « dépensier », mais avec pertinence. J'entends déjà le courroux des dogmatiques ultra-libéraux du MEDEF, mais nos concitoyens ne seront pas dupes des profiteurs de plans sociaux. M. d'Aubert nous a donné tout à l'heure un bon exemple de pensée archaïque en oubliant que si, en 1997, quand les finances publiques n'étaient pas brillantes, la gauche plurielle n'avait pas soutenu la consommation des plus modestes et créé les emplois-jeunes, la croissance n'aurait pas repris.

M. Marc Laffineur - Elle avait déjà repris !

M. Jean-Pierre Brard - Vous savez bien que non. Je vous renvoie à la note-testament de M. Juppé. Et regardez ce qui est arrivé en Allemagne, où l'on a baissé les impôts et coupé dans les dépenses sociales : le chômage repart à la hausse ! Du reste, la droite nous dit qu'il faut baisser les impôts : mais quand on examinera les budgets un à un, elle voudra plus de postes de magistrats, de policiers, d'enseignants -et elle aura raison, mais se montrera ainsi bien inconséquente.

L'hypothèse d'une croissance de 2,7 % me semble raisonnable, car des salariés justement rétribués peuvent stimuler la croissance. Nous n'approuvons pas la baisse du taux d'IR appliqué aux tranches supérieures, et qui a offert un beau cadeau à M. Messier qui n'avait rien demandé.

Il faudrait moderniser l'ISF afin de le rendre plus équitable et de le faire payer davantage par les milliardaires -ainsi reviendrait-on peut-être à l'équivalence originelle entre l'ISF et le RMI.

L'impôt sur le revenu est progressif, et donc l'instrument de la solidarité par excellence : la réforme fiscale doit permettre d'alléger la pression sur les revenus du travail au détriment des revenus du capital. Défendre l'impôt quand il est équitable, c'est aussi faire acte de pédagogie. Le travail de la Mission d'évaluation et de contrôle nous rappelle ce principe fondamental : tout plan de baisse d'impôt mal différencié restreint d'autant les moyens donnés à la solidarité. Les réductions doivent être ciblées...

Mme la Présidente - Il faudrait conclure.

M. Jean-Pierre Brard - Je vais le faire. On pourrait ainsi diminuer la taxe sur le foncier bâti qui pèse lourdement sur les retraités et les oblige parfois à abandonner une maison chèrement acquise.

M. Michel Bouvard - J'ai déposé un amendement là-dessus.

M. Jean-Pierre Brard - Nous l'avons voté ensemble, mais pas vos collègues de droite !

Il faut aussi accroître l'effort, en 2002, pour le retour à l'emploi de ceux qui en sont le plus éloignés : un groupe de travail auquel je participe avec Eric Besson, Michel Suchod, Marie-Hélène Aubert et Chantal Robin-Rodrigo élabore un dispositif à cet effet, qui pourrait être financé sur les crédits de la formation professionnelle.

Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la fiscalité écologique -qui en est non à l'an I, mais à l'an moins I ! Il faudrait aussi en finir avec le moratoire Sarkozy pour qu'on cesse de pouvoir aménager un bateau aux frais des finances publiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Marc Laffineur - Le débat d'orientation budgétaire existe depuis 1992 dans les collectivités locales, et c'est Alain Juppé qui l'a instauré pour le budget de la France en 1996. Son objectif est simple : associer le Parlement à l'élaboration du budget, afin que les députés n'attendent pas le mois d'octobre pour découvrir un texte déjà ficelé. Bref, il s'agit d'améliorer la « transparence ».

Quand il était président de notre Assemblée, Laurent Fabius ne cessait de demander que le Parlement soit plus associé. Devenu ministre, il paraît moins résolu, et ce débat n'est pas un modèle de transparence contrairement à ce qu'il a dit tout à l'heure. Le budget de la France serait-il l'apanage de Bercy ? Les parlementaires n'auraient-ils pas le droit d'être associés à sa préparation ?

Les orientations présentées sont marquées par une grande autosatisfaction et une grande imprécision, notamment quant aux priorités retenues. Le document illustre, en fait, la paralysie du Gouvernement à l'approche des échéances électorales, prisonnier qu'il est des contradictions de sa majorité éclatée et de sa volonté de ne rien faire pour déplaire. Pendant ce temps, les Français attendent : ils attendent de savoir comment seront financées leurs retraites, comment sera assurée leur sécurité, quel avenir leur réserve le Gouvernement.

Nous avons souvent été brocardés pour notre fâcheuse habitude de réclamer des réformes structurelles en période de forte croissance, de mettre en garde contre la multiplication de dépenses nouvelles qui ne seraient plus couvertes par des recettes suffisantes si la conjoncture venait à se retourner. Et voici qu'aujourd'hui la croissance faiblit, que la récession américaine a des répercussions en Allemagne et en Europe, que vous avez d'ores et déjà révisé à la baisse vos prévisions pour 2001 -mais de façon encore bien optimiste, car les instituts de conjoncture vont jusqu'à envisager un taux de croissance de 2,3 % seulement. Or notre déficit fait déjà de nous les moins bons élèves de la classe européenne -mais le tableau des déficits, curieusement, ne figure pas dans le rapport...

Comment financerez-vous les 35 heures, alors que le dérapage dépasse 20 milliards dès cette année ? Comment financerez-vous la sortie des emplois-jeunes, la montée en puissance de la CMU ? Je crains que les ajustements nécessaires ne se fassent au détriment des investissements, de l'effort de défense, de l'entretien des routes. Aussi, quand je lis que « le budget 2002 sera le budget du mouvement », suis-je tenté de penser que le seul mouvement effectif sera celui qui tirera vers le bas les finances publiques de notre pays en aggravant encore notre déficit.

M. Jacques Barrot - Je voudrais exprimer une triple inquiétude. Pourquoi cette confusion grandissante entre finances de l'Etat et finances sociales ? N'a-t-elle pas pour effet de masquer l'absence cruelle de réformes de structure ? Ne vise-t-elle pas à permettre à l'Etat de se défausser sur la sécurité sociale de certains financements ?

Cette confusion va croissant parce que l'on a multiplié les fonds spéciaux -fonds pour la CMU, fonds de réserve des retraites, fonds pour l'aide personnalisée à l'autonomie, FOREC pour les 35 heures- et que les transferts entre fonds se sont également multipliés : il n'est que de voir comment le FSV a été progressivement vidé de sa substance. Quant aux affectations de ressources, elles sont d'une rare complexité, à tel point que le Conseil constitutionnel en a censuré certaines.

Faut-il y voir le fruit de difficiles compromis, ou bien la volonté de se tourner vers les organismes sociaux pour solliciter leur concours ? Toujours est-il que ces pratiques occultent les vrais problèmes et ne facilitent pas la pédagogie des grands choix. Ainsi, le financement de l'APA reposera aux trois quarts sur les départements, qui devront donc lever plus d'impôts, de sorte que les Français risquent d'être de plus en plus enclins à contester les modalités et même le bien-fondé de prélèvement devenus de plus en plus complexes.

Tout cela contribue, même si ce n'est pas délibéré, à dissimuler sous un excédent global la dérive de certaines dépenses, et je regrette que notre débat ait lieu la veille de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale -même s'il faut remercier le président et le rapporteur général de la commission des finances d'avoir _uvré pour que la future loi organique améliore l'articulation des documents.

S'agissant de l'assurance-maladie, les soins de ville progressaient, fin mars, de plus de 7 % en rythme annuel, et les perspectives sont de l'ordre de 5 % pour l'ensemble de l'année. D'autre part, le passage du secteur hospitalier aux 35 heures va coûter 18 à 20 milliards : je ne vois pas comment le surcoût salarial pourrait être inférieur aux 10 % constatés ailleurs. Quant aux retraites, le fonds de réserve est assuré de bien peu de recettes pérennes : la contribution de solidarité des sociétés dégage quelques excédents, mais ce ne sera bientôt plus le cas du FSV ni de la CNAV. Or c'est dès l'an prochain que les départs vont commencer à croître fortement.

Est-il raisonnable et légitime, dans ces conditions, que l'Etat se défausse sur la sécurité sociale du financement des 35 heures ? Il est vrai que les recettes de celles-ci ont notablement progressé, mais il faut rappeler qu'un point de croissance en moins, c'est -avec six mois de retard, il est vrai- près de 30 milliards de manque à gagner pour les comptes sociaux. Il faut aussi rappeler que les ressources supplémentaires apportées à la sécurité sociale par la réduction du temps de travail sont évaluées à quelque 16 milliards, alors qu'elle l'a financée à hauteur de 24 milliards l'an dernier. On peut même douter de la légalité d'un tel transfert, étant donné que la loi de 1994 impose à l'Etat de compenser les exonérations de charges. C'est d'autant plus grave que le coût des 35 heures est appelé à augmenter encore, sans que l'on sache exactement jusqu'où. Si j'ai un conseil à donner au Gouvernement, c'est de se montrer plus souple envers les PME pour les heures supplémentaires : c'est l'intérêt des entreprises elles-mêmes, de leurs salariés, mais aussi, je ne crains pas de le dire, de la sécurité sociale.

Je reconnais que certains prélèvements nouveaux ont pu, à un moment donné, soutenir la croissance, mais en les prolongeant trop longtemps, on risque de fragiliser celle-ci. Je plaide, d'autre part, pour que les prélèvements ne soient pas trop opaques, si nous voulons que nos concitoyens continuent de les accepter. Enfin, je me fais l'écho des partenaires sociaux en mettant en garde le Gouvernement contre le risque de remettre la sécurité sociale en difficulté si de grandes turbulences économiques se produisaient de nouveau (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Yves Cochet - Les Verts, Monsieur le Ministre, soutiennent globalement les orientations budgétaires du Gouvernement (« Très bien ! » et rires sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Baert - Excellente intervention !

M. Yves Cochet - Je n'ai pas fini... (Sourires) Néanmoins (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF), nous appelons l'attention du Gouvernement sur trois points préoccupants que son document semble négliger. Je ne développerai pas le dernier, qui n'est autre que l'impôt sur le revenu, car je partage en tous points l'opinion qu'a exprimée M. Brard, et n'ai rien à y ajouter.

Mon premier point pourrait s'intituler « croissance et justice ». On se félicite généralement, en effet, des bons chiffres de la croissance, mais la question qu'il faut se poser est : à qui profite-t-elle ? La réponse est en partie apportée par les consultations électorales et par les mouvements sociaux. Il semble en effet que nos concitoyens, dans leur majorité, estiment que la croissance profite surtout à une minorité déjà aisée, tandis que leur propre pouvoir d'achat progresse faiblement, voire stagne ou diminue, et que les exclus demeurent nombreux. Autrement dit, la croissance est parfois ressentie comme la croissance des inégalités ou, à tout le moins, comme une croissance inégalement répartie.

C'est pourquoi nous préférons parler de développement durable que de croissance, et préconisons d'introduire, jusque dans les comptes des entreprises, un indicateur de croissance nette, intégrant tous les effets externes -écologiques et sociaux- des activités économiques.

Le critère pertinent n'est d'ailleurs pas tant celui de l'efficacité économique ou de la croissance du PIB que celui de l'adhésion à la démocratie. En effet, si la croissance du PIB profite plus à une minorité aisée qu'à la majorité moins bien lotie, elle perd sa légitimité démocratique. La révolution conservatrice des années 80, en consacrant la lutte contre l'inflation comme le critère absolu de la réussite économique, a eu pour effet une augmentation des taux d'intérêt réels qui a déséquilibré le rapport entre les détenteurs du capital et les autres citoyens. La politique du franc fort a ainsi creusé les inégalités, car une certaine inflation peut constituer une forme de redistribution.

Entre 1981 et 1997, l'inflation a diminué, mais les taux étaient très forts. Les actionnaires ont perçu 12 % de dividendes en moyenne annuelle et ont cru que la tendance allait perdurer. Ils continuent donc, alors que les taux réels baissent, à réclamer des dividendes élevés. Une part du problème est imputable à la dévolution de l'essentiel du pouvoir de régulation économique, à l'échelle européenne, à deux agences indépendantes et néolibérales : la BCE et la DG-IV, qui régulent pour les actionnaires, et non pour la population. L'ordre des débiteurs a ainsi été remplacé par celui des créanciers : les jeunes emprunteurs modestes qui mettaient trente ans à acquérir leur logement ont fait place à des vieux qui raisonnent à court terme et veulent leurs 12 % annuels. Cette situation n'est pas tenable.

Il faut, pour y remédier, séparer l'économie de la politique ou repolitiser la monnaie. A l'Etat -ou à l'Europe- incombent la protection, la sécurité, l'éducation, la santé, la justice, l'éthique, la citoyenneté, le social, l'écologie, bref tout ce qui contribue à l'adhésion à la démocratie et à la cohésion sociale. Ces objectifs, qui relèvent du long terme, ne pourront jamais être atteints par le marché. Il nous semble donc nécessaire de remettre en cause la sanctuarisation irresponsable de la BCE et le néolibéralisme de la DG-IV. C'est pourquoi nous sommes favorables au gouvernement économique de l'Europe, au sens que je viens d'évoquer, qu'a proposé Lionel Jospin, et pour l'heure, à une augmentation du SMIC et des minima sociaux.

J'en viens à l'éco-fiscalité.

Il y a un mois, Monsieur le ministre, je vous avais interrogé sur la différence d'approche entre le ministère de l'environnement et le vôtre à propos de la fiscalité écologique, après le rejet de la pollutaxe énergie-carbone par le Conseil constitutionnel. Nous pourrions être d'accord sur trois points.

En premier lieu, une mesure budgétaire relative à l'énergie doit à la fois inciter aux économies d'énergie et à la diminution des émissions de gaz à effet de serre. En second lieu, elle doit s'inscrire dans un cadre européen, puisque la plupart de nos partenaires ont déjà institué une telle taxe. Son rendement s'élève même déjà à plusieurs dizaines de milliards de francs en Allemagne. Enfin, elle ne doit pas créer de lourdeurs bureaucratiques supplémentaires.

Selon nous, une taxe énergie-carbone est préférable à un engagement volontaire des entreprises. En effet, cette option exigerait une multiplication du nombre des fonctionnaires pour vérifier la bonne foi des déclarations annuelles des entreprises, sans pour autant éviter la tricherie. Bien que bénéfique à l'emploi, elle ne serait efficace ni du point de vue écologique, ni du point de vue économique.

Il en irait autrement d'une TGAP-énergie corrigée et améliorée. Nous sommes prêts à discuter avec vous des modifications à opérer pour que cette pollutaxe soit constitutionnelle et s'inscrive dans le cadre de la diminution générale des prélèvements obligatoires voulue par le Gouvernement. Notre idée est de taxer moins le travail et davantage la pollution.

C'est le fameux double dividende que le président Emmanuelli critique, faute peut-être d'en avoir saisi toute la pertinence. La taxation de la pollution procure un premier dividende écologique, cependant que la moindre taxation du travail dégage des moyens supplémentaires qui peuvent être affectés à des objectifs sociaux. Je suis donc, contrairement à mes collègues de droite, favorable à affecter son produit aux 35 heures, afin d'alléger les cotisations sociales sur le travail.

S'il faut revoir le format initial de la pollutaxe, qui ne s'appliquait qu'aux entreprises les plus consommatrices, nous sommes prêts à la généraliser en contrepartie d'une baisse de ses taux.

Je citerai, pour finir, l'économiste américain Paul Krugman. Il expliquait, dans le New York Times du 29 novembre 2000, que les Etats-Unis sont un gros émetteur de gaz à effet de serre parce que leurs taxes sur le pétrole sont faibles et que la manière la plus efficace de réduire leurs émissions est d'utiliser des instruments de marché incitant à brûler moins de carbone, le moyen le plus direct étant une taxe.

Ainsi, même un économiste renommé -mais peu connu pour son engagement écologiste- estime qu'une pollutaxe énergie-carbone est le moyen le plus efficace d'inciter à l'efficacité énergétique et de lutter contre la dérive de l'effet de serre. Nous le croyons aussi. J'espère que le budget 2002 reflétera ce point de vue.

M. Charles de Courson - Après quatre années de gestion des finances publiques, le dernier débat d'orientation budgétaire du gouvernement Jospin illustre la double inadaptation de sa stratégie au ralentissement de l'économie mondiale et aux choix faits par la plupart des pays développés.

Face aux incertitudes sur l'ampleur du ralentissement économique international et ses conséquences sur les finances publiques françaises, votre gestion des finances publiques a été très imprudente.

Quatre facteurs d'incertitude rendent très aléatoires les prévisions de croissance pour 2001 et 2002. La chute de la croissance américaine de 5 % en 2000 à 1,5 % en 2001 pourrait, si elle se poursuivait en 2002, provoquer une baisse de 0,7 point de la croissance française. Vous pariez sur un rebond de l'économie américaine alors que rien n'est moins sûr. L'investissement en France s'essouffle, les perspectives se dégradent mais restent positives. Que seront-elles cependant en 2002 ?

Enfin, la consommation des ménages se dégrade aussi, à en juger par les indicateurs de l'INSEE. Comme à l'accoutumée, le moral des ménages s'assombrit quelques mois après celui des chefs d'entreprise.

En outre, certaines tensions apparaissent sur le marché de l'emploi en raison de la pénurie de main-d'_uvre qualifiée.

Aussi, l'hypothèse d'une croissance de 3,3 % en 2001 a-t-elle été ramenée à 2,9 % et elle pourrait même n'atteindre que 2,5 %. Or 1 % de croissance en moins, c'est 20 milliards de recettes perdues pour l'Etat et 45 milliards pour l'ensemble des finances publiques ; il faut donc en prévoir les conséquences.

Alors que le niveau des dépenses publiques est déjà excessif, leur augmentation est sous-évaluée et vous ne pourrez tenir les engagements de votre programmation pluriannuelle. Pourtant, parmi les douze pays de la zone euro, la France est maintenant celui où le poids de la dépense publique dans le PIB est le plus élevé, avec 53,1 % contre 2000 contre 48,3 % en moyenne.

En outre, vous ne pourrez pas tenir les engagements de votre programmation pluriannuelle des finances publiques de 2002 à 2004. Vos hypothèses d'une croissance annuelle en volume de 1,5 % des dépenses publiques pour une croissance du PIB en volume de 3 % n'est pas tenable. Prévoir une croissance annuelle des dépenses d'assurance maladie de 1,8 % en volume n'est pas non plus réaliste. En 2000, la hausse a été de plus de 4 %, elle serait de plus de 5,5 % en 2001, soit plus du double de vos objectifs. Cela vous fait sourire...

M. le Ministre - Comme d'habitude, vous dites les sottises que vous voulez, moi, je souris si je veux !

M. Charles de Courson - Qui plus est, les 35 heures dans les hôpitaux et les cliniques coûteront au moins 15 milliards, soit deux points de hausse des dépenses maladie.

Vous pensez par ailleurs pouvoir limiter la progression des dépenses liées aux retraites à 1,9 % mais ce ne serait possible que si vous ne réévaluiez pas les retraites.

Espérer une hausse de 1,7 % des dépenses relatives aux collectivités locales n'apparaît pas davantage réaliste car les budgets votés devraient entraîner une augmentation de 4,8 % des dépenses de gestion, sans même tenir compte des conséquences des 35 heures et de l'APA.

Vous limitez l'augmentation des dépenses de l'Etat à 0,3 % par an entre 2002 et 2004. Cela est évidemment impossible sans réforme. Or vous vous contentez d'artifices. La présentation comptable, avec la débudgétisation des dépenses du FOREC pour 26 milliards, de la CMU pour 4 milliards, avec 19 milliards de prélèvements supplémentaires sur recettes, avec 9 milliards de plus de remboursements et de dégrèvements, avec le financement des dépenses de fonctionnement par des dotations en capital.

Vos prévisions de recettes fiscales sont quant à elles erronées : vous aurez 15 à 10 milliards de moins-values fiscales au titre de la TIPP et de la TVA. Le niveau des prélèvements obligatoires demeure très supérieur à celui de nos partenaires. Certes, le Gouvernement espère le ramener à 44,7 % en 2002, mais c'est le taux qu'il avait trouvé en 1997. En outre cette prévision ne tient pas compte du ralentissement attendu.

Enfin, le déficit public structurel ne se réduit pratiquement plus depuis 1999. Il est une fable de La Fontaine que les Français apprécient beaucoup, La cigale et la fourmi...

M. le Ministre - Il y a aussi La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le b_uf...

M. Charles de Courson - Eh bien l'hiver arrive et vous allez vous trouver fort dépourvu, comme celui qui hérita jadis de la triste gestion de Michel Rocard (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Dominique Baert - S'agissant des recettes, donc des impôts, permettez au rapporteur spécial sur les comptes spéciaux du Trésor de rappeler son leitmotiv : Delenda est redevancia (Sourires), il faut supprimer la redevance télévisuelle !

L'an dernier un autre choix a été fait et, aujourd'hui, les marges de man_uvre fiscales se sont resserrées. Sans renoncer à une divine surprise fiscale, je plaiderai du moins pour que nous poursuivions l'_uvre entreprise en augmentant le nombre des bénéficiaires de l'exonération. L'an dernier, grâce à un amendement de notre commission, nous avions exonéré les plus de 70 ans non imposables. Eh bien, allons en 2002 jusqu'aux 65 ans ! On ne ferait ainsi que corriger l'alourdissement consécutif à un décret pris en 1993 par MM. Balladur et Sarkozy mais qui ne s'est appliqué qu'en 1998 ...

Monsieur le ministre, allez aussi plus loin en faveur des jeunes ! Exonérez ceux qui habitent en résidence universitaire ! Quelle aberration en effet : si le vieux poste est le second chez les parents, pas de redevance, si le jeune l'emporte en résidence, le voilà assujetti... C'est idiot et injuste ! Pourquoi ne pas exonérer aussi de redevance tous les emplois-jeunes ? Pensons donc à tous nos compatriotes modestes, jeunes et vieux, pour lesquels l'accès aux loisirs est difficile et pour qui ce récepteur est un compagnon privilégié.

En ce qui concerne les dépenses, j'insisterai d'abord sur les besoins de la vie quotidienne. D'abord, la sécurité : un nouveau geste significatif doit être fait en vue d'un déploiement de moyens humains et d'équipements pour la police de proximité. Ensuite, l'insertion sur le marché du travail des demandeurs d'emploi en difficultés spécifiques : je plaide pour un renforcement des crédits destinés aux CES et aux CEC. Leur réduction est inacceptable. Le budget 2002 doit porter la marque d'une volonté politique sur ce point. Enfin, la politique de la ville, qui ne doit pas faiblir. Dans nos villes touchées par les crises, il faut renouveler nos quartiers, renforcer les services publics, améliorer l'habitat. La charge est lourde, et le soutien de l'Etat sera déterminant !

Outre ces priorités sectorielles, je souhaite, Monsieur le ministre, que vous soyez particulièrement attentif aux ressources de nos communes.

J'ai, à ce propos deux préoccupations majeures : pour renforcer la solidarité, la dotation de solidarité urbaine doit croître rapidement. Elle ne doit donc pas être amputée par le développement, tout à fait louable au demeurant, de l'intercommunalité. Il faut aussi être vigilant sur l'évolution de la compensation de l'exonération de la part salariale de la taxe professionnelle décidée en 1999. Le compte ne paraît pas y être, or le manque de ressources limite les actions au service de nos concitoyens. Certes, cela tient d'abord au mécanisme d'indexation de la compensation, mais aussi à l'amputation de la part salariale. Pour une communauté urbaine comme Lille, la moins-value excédera 130 millions en 2002 et 300 millions en 2003. Ce dossier devra donc être traité dans le projet de loi de finances pour 2002, afin qu'il soit vraiment un budget efficace, un budget d'action au service d'un idéal de justice et de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Hériaud - Où en sommes-nous aujourd'hui, après l'exécution du budget 2000 et les réalisations des premiers mois de l'exercice en cours ? Dans son « rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour 2000 », destiné à éclairer le débat d'orientation budgétaire, la Cour des comptes souligne notamment que la situation des finances publiques a continué de s'améliorer en 2000 mais moins rapidement que par le passé ; qu'au sein de l'Union européenne, la France a amélioré ses comptes moins vite que les autres ; que cela s'explique par un ralentissement de la croissance des rentrées fiscales résultant des baisses d'impôts, alors que des recettes non fiscales, qui ont fortement augmenté, ont été, à nouveau, reportées sur 2001 ; que « la lenteur de l'amélioration s'explique aussi par des dépenses de l'Etat qui résistent à la baisse » ; qu'il en résulte, pour l'Etat, des marges de man_uvre faibles et, par référence au « triangle d'or » du programme pluriannuel 1999-2002, une situation extrêmement fragile ; qu'il est impératif de modifier la gestion, d'adopter et d'appliquer des règles de comptabilisation plus strictes.

Cette présentation contraste quelque peu avec la vôtre, Monsieur le ministre... « Maintenir le cap », « financer les priorités du présent et préparer l'avenir », « inscrire l'ensemble des acteurs publics dans cette stratégie », voilà certes l'énoncé d'un programme qui débouche sur la prédiction d'un équilibre budgétaire en 2004 alors qu'aucun budget n'est encore établi pour 2002 et que certaines tendances de conjoncture se dégagent : croissance économique ralentie ; inflation de 1,2 % en 2001 et 2002 ; augmentation du budget général de l'Etat de 25 milliards en 2001 et de 29,1 milliards en 2002 ; réduction du déficit budgétaire de 20 milliards par an de 2001 à 2004 ; réduction de l'endettement de l'Etat pour atteindre 50 % du PIB en 2004 et 20 %... en 2025.

Un tableau de synthèse mettant en corrélation l'évolution du PIB, des prélèvements obligatoires et du budget général de l'Etat nous aurait été fort utile. Il montrerait que l'équilibre du budget ne sera pas réalisé en 2004, même avec une croissance maintenue à 3 %.

Sur cette période, les recettes nettes devraient évoluer deux fois plus vite que les dépenses nettes pour réduire le déficit de 20 milliards par an. Or c'est la voie inverse qui est empruntée en 2001.

Par ailleurs, le taux des prélèvements obligatoires diminue de 0,3 à 0,4 point de PIB alors que ce dernier augmente de 3,8 % par an. Il en résulte que les prélèvements obligatoires augmentent chaque année de plus de 100 milliards, le budget général héritant d'un quart et la protection sociale sous ses diverses formes des trois autres quarts.

Au 31 mars dernier par rapport au 31 mars 2000, à structure constante, les dépenses du budget général ont augmenté de 2,4 % et les recettes ont diminué de 4,6 %. Il y avait, entre 2000 et 2001 à fin mars, 28 milliards de déficit supplémentaires, à fin avril -nous avons eu les chiffres ce matin- il reste stable à 26 milliards.

Vos propos, Madame la ministre, se veulent rassurants mais la situation reste préoccupante car la dépense publique n'est pas réellement maîtrisée. Les présentations les plus habiles ne peuvent masquer la réalité que la consolidation des comptes fera apparaître tôt ou tard. Pour la transparence et la sincérité des comptes de l'Etat comme pour l'information claire des citoyens, le plus tôt sera le mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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