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Session ordinaire de 2001-2002 - 33ème jour de séance, 78ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 27 NOVEMBRE 2001

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

Sommaire

      CESSATION DE MANDAT ET REMPLACEMENT
      D'UN DÉPUTÉ NOMMÉ MEMBRE DU GOUVERNEMENT 2

      DÉSIGNATION D'UN CANDIDAT
      A UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE 2

      RETRAITE À TAUX PLEIN 2

      ERRATUM 20

La séance est ouverte à neuf heures.

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CESSATION DE MANDAT ET REMPLACEMENT
D'UN DÉPUTÉ NOMMÉ MEMBRE DU GOUVERNEMENT

Mme la Présidente - J'informe l'Assemblée que M. le Président a pris acte, au Journal officiel du 25 novembre 2001, de la cessation le 23 novembre 2001, à minuit, du mandat de député de M. Jacques Brunhes, nommé membre du Gouvernement par décret du 23 octobre 2001.

Par une communication de M. le ministre de l'intérieur, faite en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, M. le Président a été informé du remplacement de M. Jacques Brunhes par M. Dominique Frelaut, élu en même temps que lui à cet effet (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

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DÉSIGNATION D'UN CANDIDAT A UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

Mme la Présidente - M. le Président a reçu de M. le Premier ministre une demande de remplacement d'un membre de l'Assemblée nationale au sein de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel.

Conformément aux précédentes décisions, le soin de présenter un candidat a été confié à la commission de la production et des échanges.

La candidature devra être remise à la Présidence, avant le mercredi 5 décembre 2001, à 18 heures.

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RETRAITE À TAUX PLEIN

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de soixante ans.

M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Débattre de la question des retraites n'est pas chose nouvelle pour notre Assemblée, qu'il s'agisse, comme aujourd'hui, de l'élargissement des conditions ouvrant droit à leur bénéfice, du montant des pensions et de leur insuffisante évolution - en décalage, qui plus est, par rapport à celle des salaires - ou qu'il s'agisse des retraites complémentaires et de régimes particuliers.

Les mouvements de grève du printemps dernier ont témoigné de la détermination des salariés et des retraités à poser la question de l'avenir des retraites et à dénoncer la volonté du MEDEF, brutalement affirmée, d'en appeler à l'allongement de la durée du travail et des cotisations.

Un système de protection sociale qui n'évolue pas dans les droits qu'il affirme se voit placé dans la ligne de mire des privilégiés qui refusent des progrès de civilisation.

Le texte proposé par le groupe communiste tend à ouvrir un droit à la retraite à taux plein, avant l'âge de soixante ans, pour les salariés ayant cotisé 160 trimestres.

Cette proposition s'inscrit dans la droite ligne des préoccupations de la majorité plurielle, qu'il s'agisse de l'emploi des jeunes et de leur insertion professionnelle, de la situation du chômage, de la solidarité intergénérationnelle ou des responsabilités du patronat et de l'Etat vis-à-vis de leurs salariés.

Quels sont donc ces hommes et ces femmes qui attendent de notre débat une réelle avancée ?

Des salariés qui ont commencé à travailler très jeunes, dès l'âge de 14 ou 15 ans, dans des conditions difficiles, souvent les plus précaires, pour accomplir les tâches les plus ingrates. Peu qualifiées, ces personnes, de plus, ont touché les plus petits salaires.

Leur carrière s'est effectuée dans l'industrie ou, pour une moindre part, dans les services. Dans la métallurgie, la sidérurgie, le textile, l'habillement, l'automobile, l'agriculture, et l'agro-alimentaire, ils ont été parfois confrontés aux semaines de 48 heures, au début des années soixante.

Les exemples ne manquent pas de salariés rencontrés à l'occasion de l'élaboration de ce texte qui ont dû assumer des horaires plus contraignants encore, subir les effets du travail posté, de mauvaises conditions de logement et de transports.

Ces générations souvent déconsidérées et marginalisées aujourd'hui au sein des entreprises ont payé un lourd tribut en matière d'accidents du travail. Bien des hommes concernés, ont, en outre, subi les affres de la guerre d'Algérie.

Les crises économiques des années 1970 et 1980 les ont lourdement frappés ; l'absence ou l'insuffisance de formation professionnelle qu'on leur oppose renchérit sur ces difficultés.

En conséquence, nul ne s'étonnera que l'espérance de vie ou l'espérance de retraite traduise par des écarts catégoriels très lourds la rudesse de l'existence et du parcours professionnel de ces salariés : 14,5 ans d'espérance de retraite pour un ouvrier, 21 ans pour un cadre ; l'écart est considérable.

Plus de 800 000 de nos concitoyens, 815 000 exactement, âgés de 50 à 59 ans, totalisent ainsi 160 trimestres de cotisations à l'assurance vieillesse sans avoir atteint l'âge de 60 ans.

Pour la moitié d'entre eux environ, les dispositifs de cessation anticipée d'activité ont été mis en _uvre, notamment lors de la dégradation du contexte économique, et de l'évolution de la réglementation des préretraites.

Or, force est de constater que malgré l'empilement des procédures de cessation anticipée d'activité, la situation des travailleurs âgés demeure insatisfaisante, ainsi que le soulignent les organisations syndicales que nous avons rencontrées.

L'allocation équivalent retraite, adoptée le 6 novembre dernier par notre Assemblée sur proposition du Gouvernement est certes une mesure positive, mais elle ne résoudra pas le problème social, ne serait-ce que par le nombre insuffisant des attributaires potentiels qui ne seront qu'une centaine de milliers. A moins que tous les salariés concernés ne démissionnent pour bénéficier de cette mesure, mais que se passerait-il alors ?

Assurément, la préretraite n'est pas ce que souhaitent les travailleurs âgés, qui la ressentent comme une injustice. Ils aspirent à une retraite méritée ; c'est aussi une question de dignité pour ces salariés qui se sentent à bout de souffle, inutiles et dévalorisés.

C'est pourquoi, sans méconnaître l'intérêt économique de la proposition du Gouvernement, dont l'application contribuerait à l'action en faveur de l'emploi et l'insertion, il est de notre responsabilité d'innover même si, en commission, a été rappelé le principe, garanti par la loi, du droit à une retraite à taux plein à l'âge de 60 ans. En effet, la proposition s'inscrit dans la continuité de cette législation voulue par la gauche.

Il n'est donc pas question de la contester, comme s'y emploie le MEDEF, pour lui substituer un système pervers privilégiant le référent à la durée de cotisation - dont on connaît la propension patronale à l'allonger indéfiniment.

Cette proposition participe d'une démarche d'ensemble qui vise au retour aux 37 ans et demi de cotisations et au régime des dix meilleures années, abrogés par la réforme de 1993.

Le financement du dispositif proposé trouverait sa source dans la mise à contribution des revenus financiers provenant des titres émis en France ; les livrets d'épargne populaire, les livrets A, livrets bleus, livrets et comptes d'épargne logement seraient exonérés de cette contribution. Le coût estimé de la mesure - 25 milliards de francs - n'en fait pas une dépense insurmontable pour l'Etat, ne serait-ce qu'en comparaison avec certains engagements inscrits dans le budget de la Nation, ou de dispositions bénéficiant au patronat sans que les retombées économiques ou sociales en soient assurées.

Au-delà, ce qui est évidemment en jeu, c'est le financement de nos régimes de retraite, dont on nous annonce périodiquement la mise en faillite au nom de la capitalisation. Mais comme l'a dit en commission notre collègue Jean-Paul Durieux, « les moyens peuvent toujours être trouvés dès qu'une véritable politique est affirmée ». Le problème n'est donc pas de nature budgétaire mais politique.

En effet, l'argumentation est celle du MEDEF qui consiste à dire que toute augmentation des ressources des régimes de retraites serait insupportable pour l'économie. Il est pourtant des économistes pour suggérer l'élargissement de l'assiette de calcul des cotisations de retraite, et si l'on tenait compte des richesses créées dans l'entreprise, augmentées des produits financiers, l'on aboutirait, sans pénaliser les entreprises créatrices d'emploi, à un volume croissant de cotisations. A titre d'exemple, un prélèvement de 7 % sur les produits financiers des entreprises rapporterait quarante milliards de francs par an à l'Etat.

D'autre part, l'amélioration de la situation de l'emploi, à laquelle contribuerait l'application de cette proposition, constitue la clé du problème des retraites, qui est moins affaire de démographie que de politique sociale et d'orientation de l'économie.

C'est le constat établi par le mouvement mutualiste, mais c'est aussi celui qu'a fait le 21 mars dernier le Premier ministre, en soulignant qu'il fallait « mettre fin dans les années qui viennent à la situation qui a conduit de nombreux travailleurs à connaître une période de chômage et une cessation anticipée d'activité non souhaitée, avant de prendre leur retraite ».

En commission, l'opinion a été exprimée que la proposition serait prématurée ou tardive. Tardive de par l'adoption de l'AER, mais j'en ai dit les insuffisances. Quant à l'estimer prématurée... faut-il rappeler que ces préoccupations figuraient dès 1995 au nombre des projets défendus par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, en 1997 ? Faut-il rappeler qu'en novembre 1998, nos collègues du groupe socialiste ont, avec raison, déposé une proposition en faveur de la « cessation d'activité des salariés ayant acquis 160 trimestres de cotisation d'assurance vieillesse, en contrepartie d'embauches » ? Et n'avez-vous pas promis vous-même, Madame la ministre, lors du récent Conseil national du parti socialiste que de telles dispositions entreraient en vigueur au cours de la nouvelle législature ?

Pourquoi, alors prendre le risque de perdre du temps ? Pourquoi ne pas ouvrir sans attendre le chantier législatif ?

Nul ne peut dire aujourd'hui quelle majorité sortira des urnes au printemps prochain.

M. Germain Gengenwin - Ça, c'est vrai !

M. le Rapporteur - Ne vous réjouissez pas trop vite ! Nous sommes là !

Voter l'adoption d'un tel dispositif, en première lecture, ce serait donc se donner les moyens de l'appliquer très vite si la gauche plurielle l'emporte et dans l'hypothèse contraire, ce serait se doter d'un appui solide pour l'avenir.

On évoque la réflexion globale menée par le Conseil d'orientation des retraites. Ce travail de fond est indispensable, mais les dossiers ainsi traités ne peuvent espérer connaître un début d'évolution que dans trois ou quatre ans. D'autre part, quelles seront les mesures préconisées par le COR, dont la rumeur laisse entendre qu'il envisage des durées de cotisations portées à 170 trimestres et 42,5 ans ?

Enfin, le délai très bref courant d'ici à la fin de la présente législature ne constitue pas non plus un obstacle insurmontable. Nos concitoyens connaissent la lenteur de la procédure parlementaire, et ils n'ignorent pas que les propositions envisagées ne connaîtront qu'un commencement de mise en _uvre. Ils savent aussi que l'application de la proposition qui vous est soumise appellerait l'ouverture d'une négociation entre les partenaires sociaux pour adapter les régimes de retraite complémentaire.

Je me tourne donc vers mes collègues de la majorité dont je connais la grande sensibilité à ces questions.

« Hic Rhodus ; hic salta ». Ce proverbe latin inspiré d'Esope dit en substance : « c'est maintenant qu'il faut montrer ce dont tu es capable ».

Je souhaite que nous soyons nombreux à l'entendre, nombreux à savoir saisir l'occasion qui nous est donnée, en réparant une injustice, de combler aujourd'hui une lacune de notre droit social (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe communiste, applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. François Liberti - Comme l'a souligné mon ami Alain Bocquet, cette proposition concerne une frange de la population qui a commencé à travailler très jeune.

Compte tenu des techniques de l'époque dans ces secteurs très difficiles que sont notamment la sidérurgie, la viticulture, le bâtiment ou le textile, ces salariés, aujourd'hui âgés de 56 à 59 ans, ont mené une vie très dure, pour des salaires faibles.

Ces professions n'ont par ailleurs pas échappé aux grandes restructurations des années 1970 et 1980, avec leur cortège de licenciements, de chômage et de difficultés de reclassement dans des métiers appelant de nouvelles qualifications et de nouvelles frustrations.

C'est dire la dureté de leurs parcours professionnels et de leurs conditions de travail ; c'est dire aussi l'usure, la mauvaise protection sociale et les répercussions sur la vie familiale, notamment pour les salariés postés.

Cette proposition est donc affaire de justice sociale, et elle vient à son heure, au moment où le débat s'approfondit sur le régime des pensions et du droit à la retraite. Ainsi, le MEDEF vient de préciser sa conception de la refonte de la protection sociale : une dose de privatisation pour la branche maladie, une dose d'étatisation pour la branche famille, le démantèlement du risque maladie et accident. Et pour la branche retraite, le patronat ne fait pas dans la dentelle : « plus tard, et à la carte ! » prévient-il !

Pour notre part, nous considérons que toute décision politique est juste lorsqu'elle valorise l'être humain et l'aide à progresser.

Nous vous proposons de mettre fin à une situation injuste en adoptant une mesure fondée sur le principe de solidarité, qui préserve la notion d'âge légal de départ en retraite, fixé à soixante ans par la loi de 1983. Tout en réaffirmant la nécessité d'un financement contributif des entreprises, nous proposons une mesure qui se traduirait par des recrutements, une amélioration du pouvoir d'achat, de nouvelles cotisations et consoliderait ainsi la croissance.

On pourrait nous opposer que différents dispositifs de cessation d'activité ont déjà été mis en place. Malgré leur intérêt ils n'ont pourtant rien changé à la situation des travailleurs âgés, si ce n'est dans les régimes spécifiques.

La préretraite, l'allocation de remplacement pour l'emploi, la retraite progressive n'ont été que des mesures d'accompagnement de la crise, qui peuvent disparaître du jour au lendemain.

Entre 1982 et 1988, le taux d'activité a sensiblement baissé chez les salariés de plus de 50 ans, mais la société n'a pas su trouver de solution pour ceux qui ont été exclus du marché du travail au nom de la rentabilité. Inscrite dans la loi de finances pour 2002, l'allocation équivalent retraite est certes une avancée, mais, pour des centaines de milliers d'entre eux, elle reste inadaptée.

On sait quelle est l'espérance de vie de ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans. Les statistiques sont éloquentes. J'ai moi-même été interpellé par un groupe d'invalides ayant cotisé 42 ans alors qu'ils n'ont pas 60 ans : leur pension d'invalidité se situe entre 4 000 et 5 300 F par mois. S'ils pouvaient prendre leur retraite, leurs revenus augmenteraient.

A terme, l'incidence financière de la proposition s'amenuiserait.

Notre texte, pourtant voté en commission, a été rejeté par le Gouvernement pendant la discussion en première lecture de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, au motif que cette réforme coûterait 50 milliards de francs. Les travaux d'évaluation engagés à l'initiative du président de la commission des finances ont ramené ce chiffre à 23 milliards.

J'ajoute que le parti socialiste avait inscrit cette mesure dans son programme électoral et que toutes les composantes de la majorité ont déposé des propositions semblables à la nôtre.

Votre évaluation ne tient pas compte de ce que 60 % des intéressés ne sont plus en activité quand ils atteignent l'âge de 60 ans : beaucoup sont en préretraite, dans des dispositifs financés par les ASSEDIC ou des accords d'entreprise, et d'autres sont au chômage.

On nous dit aussi qu'une telle mesure devrait s'inscrire « dans une réforme globale des retraites ». C'est un sujet sur lequel on disserte depuis des années.

M. Bernard Accoyer - C'est vrai !

M. François Liberti - La droite et le MEDEF, quant à eux, souhaitent mettre fin à notre système de protection sociale, pour le plus grand profit des compagnies d'assurance. « Notre économie n'a plus les moyens de nos retraites », disent-ils. Ils en trouvent, pourtant, pour la spéculation boursière.

L'équilibre des caisses n'est pas menacé par le montant des pensions, mais par la dégradation du rapport des actifs au nombre des retraites. Or, en additionnant les chômeurs, les précaires et les exclus, on s'aperçoit que cinq millions de cotisants potentiels ont été désactivés. Un million de chômeurs en moins, on le sait, ce sont 80 milliards de recettes supplémentaires.

Sachant que le capital financier échappe à tout prélèvement social alors que les salariés sont ponctionnés à hauteur de 14,5 %, on voit qu'il ne manque pas de ressources pour garantir le droit à la retraite.

Nous vous proposons donc d'adopter cette mesure très attendue, qui sera vue comme une avancée concrète de la gauche plurielle. Elle doit s'inscrire dans une politique de justice qui exige aussi l'abrogation des décrets Balladur de 1993, pour revenir aux 37,5 annuités, au calcul sur la base des dix meilleures années et à l'indexation des pensions sur les salaires.

Les idées qui fondent le système français de répartition sont modernes et généreuses. Ce sont celles de la gauche, qu'il convient de prolonger.

Les problèmes liés aux retraites ne seront pas tous résolus aujourd'hui, d'autant qu'un débat national est nécessaire sur le droit de vivre dignement tout au long de sa vie. Le Conseil national des retraites y travaille, mais ce droit sera-t-il concrétisé ? Ce n'est pas sûr, comme l'a observé en commission mon collègue Gremetz, sachant que le rapport en préparation préconise d'allonger de deux ans et demi la durée de cotisation ou de repousser d'un an l'âge de départ en retraite.

La commission a décidé, à une courte majorité, de suspendre l'examen du texte et de ne pas présenter de conclusions. Si nous la suivons, notre débat cesserait avec la discussion générale. C'est tout le paradoxe de ces niches parlementaires : elles ne permettent aux groupes de manifester leur originalité que sur des textes amputés. Pourquoi, sur une question de cette importance, la représentation nationale ne serait-elle pas consultée ?

Madame la ministre, d'après une dépêche de l'AFP, vous pourriez même déclarer notre dispositif financier irrecevable en invoquant l'article 40. Nous restons ouverts à toutes les solutions. Nos articles peuvent être amendés. Encore faudrait-il qu'ils soient examinés.

Je demande, au nom du groupe communiste, un vote solennel avec scrutin public (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Ce débat a le double mérite d'aborder une question de fond et d'ouvrir le dossier des retraites, oublié par le Gouvernement.

Certes, vous avez essayé de donner le change, en multipliant les groupes d'études. Au final, quel résultat ? Une accumulation de rapports, plus ou moins indulgents. Ce n'est d'ailleurs pas fini, puisque nous attendons celui du Conseil d'orientation des retraites. En un mot, vous avez joué la montre ; aucune décision ne sera prise avant les élections. Vous l'avez d'ailleurs reconnu avec une certaine franchise...

M. Bernard Accoyer - Sans vergogne !

M. Germain Gengenwin - ...pendant l'examen en première lecture du projet de loi de financement, en déclarant ceci : « Lorsque les deux chantiers de l'âge au travail et des avantages familiaux dans les retraites auront été menés à bien, nous aurons en main tous les outils pour éclairer les choix à faire tout de suite après les échéances électorales ». On ne saurait être plus clair.

Votre seule initiative a été la création du fonds de réserve pour les retraites dont vous nous promettez qu'il sera abondé de 1 000 milliards de francs d'ici à 2020. Je veux bien reconnaître que vous avez joué de malchance. Les recettes escomptées de la vente des licences UMTS ont fondu comme neige au soleil. Dans l'urgence, vous avez dû bricoler une solution de rechange en décidant d'affecter au fonds de réserve les revenus tirés de la privatisation des Autoroutes du Sud de la France. Malheureusement, cette ressource avait déjà été affectée au développement du ferroutage.

Au final, le fonds de réserve des retraites apparaît de plus en plus pour ce qu'il est véritablement, une coquille vide.

L'immobilisme du Gouvernement constitue donc la toile de fond de nos débats.

La proposition que nous examinons n'est pas une nouveauté, puisqu'elle reprend un amendement adopté en commission lors de l'examen du projet de loi de financement. Cet épisode n'avait pas manqué de mettre le Gouvernement dans l'embarras, puisque c'est le Premier ministre lui-même, dans son discours sur l'avenir des retraites du 21 mars 2000, qui avait parlé « d'améliorer la situation de ceux qui partent à la retraite en ayant cotisé plus de 160 trimestres, parce qu'ils sont entrés tôt dans la vie active ».

Pour sortir de l'impasse, le Gouvernement a imaginé un lot de consolation pour obtenir l'abstention des communistes : à partir de l'allocation spécifique de solidarité et de l'allocation spécifique d'attente, dont il a assoupli les conditions d'attribution et relevé le niveau, il a créé une allocation équivalent retraite qui ne s'adresse qu'aux demandeurs d'emploi. Je comprends alors que dans le cadre d'une stratégie interne de positionnement au sein de la majorité plurielle, les communistes remettent le fer au feu.

Je le comprends d'autant plus que l'objectif poursuivi est largement consensuel, comme l'ont montré les débats en commission. Le refus d'attribuer une retraite à taux plein à des personnes ayant commencé à travailler dès l'âge de 16 ans, en exerçant des métiers pénibles, et qui totalisent le nombre voulu de trimestres de cotisations, apparaît particulièrement injuste. Il l'est d'autant plus que ces salariés ont souvent subi des conditions de travail pénibles, qu'ils ont été plus que d'autres victimes du chômage de longue durée et qu'ils ont rarement bénéficié des dispositifs de formation professionnelle.

Mais ce refus est également absurde : la limite de 60 ans, longtemps tenue pour un acquis social majeur, est maintenant dépassée, à la fois pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes et aspirent légitimement à une retraite également précoce, et pour ceux qui souhaitent continuer à travailler pour faire partager leur expérience, mais en sont empêchés, au détriment de notre économie et de notre société.

C'est donc vers une plus grande liberté de choix qu'il faut aller et l'UDF, relayée par de nombreux partenaires sociaux, réclame depuis longtemps un tel assouplissement, préconisant notamment le remplacement du régime d'annuités actuel par un système de points, qui laisserait à chacun sa liberté.

Malheureusement, le gouvernement actuel n'a pas mis à profit la croissance pour engager cette réforme et, aujourd'hui, il se réfugie derrière le coût de la mesure, évalué par le rapporteur à 26 milliards, pour refuser la proposition de nos collègues communistes.

Nous n'ignorons pas qu'une telle réforme est politiquement délicate, mais n'est-ce pas parce que la droite parlementaire a eu le courage de prendre, entre 1993 et 1997, un certain nombre de décisions relatives aux salariés du privé que vous avez pu repousser aussi longtemps le règlement de cette question ?

M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. Germain Gengenwin - Aujourd'hui, le temps presse : comme l'a montré la revue Futuribles, les perspectives pour 2040 risquent d'être fort sombres si nous ne faisons rien maintenant !

Attachés au système par répartition, les Français ne sont pas dupes de votre immobilisme. Ils savent qu'on leur prépare des lendemains qui déchantent et réclament des décisions responsables, telles que celles que nous avons suggérées lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Tout d'abord, il convient de revenir à l'esprit d'unification du régime général et des régimes complémentaires obligatoires, qui était au c_ur du pacte fondateur de 1945. Et il est clair que les fonctionnaires ne peuvent rester à l'écart de cette réforme, l'effort ne pouvant reposer sur les seuls salariés du privé.

Il convient également d'encourager une véritable épargne retraite, complémentaire de la répartition, en permettant à ces salariés du secteur privé de bénéficier d'un système équivalent à la PREFON.

Il faut enfin donner plus de liberté dans le choix de l'âge de départ à la retraite, grâce à une gestion intelligente des fins de carrière.

Tel est le cadre dans lequel il eût fallu poser les termes du présent débat. Ce n'est pas le cas et c'est la raison pour laquelle le groupe UDF ne pourra pas voter cette proposition de loi, à moins que la discussion des articles n'apporte des éléments nouveaux.

Toutefois, je suggérerai au Gouvernement un certain nombre de mesures, faciles à mettre en _uvre et d'un coût relativement limité. Certaines concerneraient les conjoints survivants, dont les demandes sont connues depuis longtemps. Actuellement, la pension de réversion est attribuée aux veufs ou aux veuves d'un assuré décédé depuis plus d'un an, si les intéressés ont au moins 55 ans et perçoivent des ressources inférieures à 90 938 F. Cette pension est égale à 54 % de la pension principale ou rente dont bénéficiait l'assuré décédé, sous réserve de l'application de certaines règles de cumul. Ainsi, l'article D.355-1 du code de la sécurité sociale autorise le cumul dans une limite égale à 52 % de la somme des droits propres et des droits dérivés, limite qui ne peut être inférieure à une autre égale à 73 % de la pension de vieillesse maximale servie par le régime général, soit 5 456 F par mois. En cas de dépassement, la pension de réversion est réduite d'autant. A cela s'ajoutent d'autres réductions spécifiques aux polypensionnés, en dépit de la condamnation passée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 octobre 1997.

Souvent peu compréhensibles pour les assurés, ces règles sont sources de multiples contentieux et d'inégalités de traitement d'autant plus injustifiables qu'elles concernent des retraités modestes. Leur suppression serait une mesure de justice sociale, au coût limité : environ un milliard de francs. J'ai déposé un amendement au PLFSS en ce sens et je souhaiterais que le Gouvernement se prononce à son sujet.

Mais, au total, comment ne pas éprouver de l'amertume ? Votre copie sur les retraites reste blanche ! Les victimes de votre frilosité, pour ne pas dire de votre manque de courage, en sont les retraités d'aujourd'hui mais surtout ceux de demain. La présente proposition de loi a eu le mérite d'ouvrir le débat, mais sa discussion nous laissera sur un sentiment d'inachevé. Espérons que nous pourrons bientôt y remédier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Ce débat sur les retraites nous renvoie chacun à la conception que nous avons de la vie en société, de la solidarité entre les générations et de la place que nous entendons réserver à ceux qui ont travaillé, parfois très durement, pour construire notre pays.

S'appuyant sur des rapports alarmistes et des prévisions souvent bien hasardeuses, la droite ne cesse de mettre en avant la capitalisation, seule mesure apte, selon elle, à garantir la pérennité des retraites.

M. Bernard Accoyer - Faux !

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Or, si la généralisation de ce système engraisserait les fonds de pension anglo-saxons, il n'a pas été démontré qu'elle remédierait au déséquilibre entre actifs et inactifs. En revanche, à coup sûr, le régime par répartition en serait fragilisé, et avec lui tous les mécanismes de solidarité collective qui fondent le pacte républicain français.

La droite cherche là à encourager l'individualisme, l'égoïsme, et à opposer les salariés entre eux (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ne devrait-elle pas se montrer plus prudente et se souvenir des grandes grèves de 1995, qui ont puissamment contribué à la mise à la retraite anticipée du Gouvernement Juppé ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Pour résister à ces attaques, la gauche plurielle doit se montrer ferme sur les principes tout en innovant par ses propositions. Ses combats passés ont longtemps visé à un abaissement général et continu de l'âge de la retraite, ce qui était juste tant que l'immense majorité des salariés connaissaient des conditions de travail et de vie très dures. Mais, avec l'amélioration de ces conditions, avec les progrès sanitaires et avec la diversification des formes du travail, le temps est venu d'une autre approche. Tout en conservant la limite de soixante ans comme cadre légal et en restant fidèles à la solidarité collective, nous devons cesser de regarder comme taboues les questions d'un départ anticipé ou d'un prolongement de l'activité, en fonction des aspirations et des besoins de chacun. Pourquoi interdire à ceux qui se sentent en forme de prolonger leur activité professionnelle si cette prolongation est vécue comme valorisante et socialement utile ?

Mais, à l'inverse, il doit être possible à des salariés travaillant depuis l'adolescence dans des conditions pénibles de prendre leur retraite à taux plein avant soixante ans, dès lors qu'ils auront cotisé pendant quarante ans. Je soutiens donc cette proposition de nos collègues communiste, proposition d'élémentaire justice sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur de nombreux bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Les arguments de technique parlementaire avancés à son encontre ne semblent pas recevables. Mais si cette proposition ne dépasse pas le stade de la première lecture au cours de la présente législature, son vote vaudrait engagement pour l'avenir. La gauche donnerait un signe fort à tous ceux qui ont travaillé depuis leur plus jeune âge pour construire notre pays. Si le mode de financement proposé peut être discutable, il n'en reste pas moins que nous devons envisager un élargissement de l'assiette des cotisations, afin que tous les revenus contribuent à l'effort de solidarité collective.

Le chantier des retraites sera l'un des chantiers majeurs de la future législature. La gauche devra l'aborder avec le souci de la justice sociale et de l'efficacité économique. Il est temps de montrer votre détermination en ce sens et c'est ce qui me conduira à voter ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. François Goulard - Cette proposition de nos collègues communistes est particulièrement pertinente (Rires et exclamations). Ne boudez pas votre plaisir, mais restons sérieux, car le sujet le mérite !

Tout d'abord, cette proposition de loi attire l'attention sur l'injustice flagrante de nos retraites. Il est en effet insoutenable, par exemple, que quelqu'un qui a commencé à travailler à 15 ans n'ait pas le droit de prendre sa retraite après quarante ans de travail, pendant que d'autres, qui relèvent de régimes spéciaux, bénéficient d'une retraite à taux plein à 52 ou 53 ans, en ayant cotisé beaucoup moins longtemps.

De même, l'injustice est totale au regard de la retraite par capitalisation. En effet, si comme certains le disent le système par capitalisation est une horreur absolue - ce qui serait d'ailleurs vrai s'il n'y avait pas en même temps un système par répartition -, qu'attendez-vous, Madame la ministre, pour mettre fin à ce scandale appelé PREFON ? Vous qui n'avez pas de mots assez durs pour dénoncer nos propositions en faveur de fonds de pension accessibles à tous les salariés français, jamais vous n'avez songé à supprimer ce privilège exorbitant qui permet aux salariés de la fonction publique, notamment ceux qui touchent les rémunérations les plus élevées, de se constituer une retraite par capitalisation en déduction fiscale intégrale. Je ne doute pas que votre Gouvernement va, dans les mois qui lui restent, nous proposer cette suppression !

MM. Bernard Accoyer et Germain Gengenwin - Très bien !

M. François Goulard - En second lieu, cette proposition de loi a le mérite de mettre en exergue les difficultés de financement de nos retraites. Elle montre en effet qu'il est difficile de prendre une mesure élémentaire d'équité, en raison des problèmes considérables que vont connaître nos régimes par répartition à un horizon de moins de dix ans.

D'un double point de vue, donc, cette proposition de loi est importante, et pour ma part je regrette que notre débat de ce matin n'ait pas eu lieu à l'initiative du Gouvernement.

Je ne puis que répéter ce que j'ai dit la semaine dernière, mais j'aurai le bonheur, Madame la ministre, de le faire en face de vous.

S'agissant des retraites par répartition, qui sont le socle du système, une grande réforme s'impose, autour de trois principes.

Un : la clarté.

Il est absolument nécessaire que nous sachions qui paye quoi et qui reçoit quoi. Or aujourd'hui, par le jeu de la compensation, de la surcompensation, et du fait de l'absence de transparence qui caractérise le financement de la retraite des fonctionnaires, ce n'est pas le cas. Nous appelons donc de nos v_ux la constitution d'une caisse de retraite des fonctionnaires, faisant apparaître les recettes et les dépenses.

M. Bernard Accoyer - Pourquoi le Gouvernement la refuse-t-il ?

M. François Goulard - Deux : l'équité.

Les gouvernants, quelle que soit leur couleur politique, ne pourront pas défendre encore longtemps l'idée que certains Français, parce qu'ils ont la chance d'avoir un employeur public, ont droit à un régime de retraite infiniment plus favorable.

Trois : la responsabilité.

Sur un problème aussi grave, il n'est pas possible d'être soumis à des décisions obscures et bureaucratiques. Les partenaires sociaux, qui déjà ont su prendre les mesures nécessaires pour garantir la pérennité des régimes complémentaires, doivent impérativement être associés à la réforme de nos retraites de base par répartition, réforme indispensable à leur pérennité.

Nous persistons à penser, Madame la ministre, que votre inaction totale en matière de retraites est le point le plus noir du bilan que vous allez bientôt présenter aux Français (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Alfred Recours - A entendre M. Goulard, c'est simple : les fonctionnaires, voilà l'ennemi !

M. François Goulard - Oh non !

M. Alfred Recours - Par la PREFON, par leur durée de cotisation, les fonctionnaires seraient outrageusement avantagés. Or il existe des écarts légitimes, même si des progrès sont encore possibles.

En 1936, plus de la moitié de la population était en activité à 75 ans. Pendant longtemps, l'âge légal de départ à la retraite a été de 65 ans ; ce n'est qu'en 1981 qu'il a été abaissé à 60 ans.

La proposition de notre collègue Bocquet pose le problème de ces 815 000 personnes qui totalisent 40 annuités de cotisations et qui, n'ayant pas atteint 60 ans, ne sont pas encore à la retraite, alors que bien souvent ils ont exercé des métiers pénibles. Parmi elles, 360 000 ne sont plus au travail et relèvent d'un dispositif d'aides. S'ajoutent entre 50 000 et 100 000 personnes qui ne peuvent bénéficier de ces aides parce qu'elles ne répondent pas aux conditions de ressources, du fait du salaire du conjoint. Autrement dit, plus de la moitié des 815 000 personnes dont nous parlons ne sont pas en activité.

Nous avons voté en première lecture du PLFSS et du PLF un dispositif d'allocation équivalent retraite qui, sous condition de ressources, garantit à la personne un revenu de 5 750 F par mois - équivalent du SMIC d'activité. C'est un progrès considérable. Cela dit, aujourd'hui, un salarié partant à la retraite en ayant travaillé toute sa vie au SMIC et totalisé quarante annuités peut percevoir une retraite de 4 250 F par mois, ARRCO compris. Est-il normal, avec le même nombre d'annuités, que ceux qui n'ont pas travaillé au cours de la dernière période touchent plus que ceux qui ont travaillé ? A l'évidence, ce dispositif ne règle pas tous les problèmes, mais il fournit un socle à partir duquel nous devrons avancer encore pour prendre en compte la pénibilité du travail - le rapport du COR devrait insister sur ce point -, et pour majorer ce que perçoivent ceux qui ont cotisé 40 ans et plus.

Après avoir défendu les fonds de pension, forme de privatisation des retraites, le MEDEF a récemment envisagé la privatisation de l'assurance maladie. Face à cela, ne nous y trompons pas, le COR ne fera pas de propositions alternatives, il se contentera de poser un diagnostic et d'indiquer comment les critères pourront varier. En effet, les partenaires sociaux ont souhaité qu'on laisse le plus de latitude possible à la négociation collective. Je suis toutefois convaincu qu'il ne sera nullement question d'aller vers les fonds de pension et que la question des 40 annuités reviendra sur le tapis.

Le dispositif que nous avons adopté en loi de finances concerne la moitié des salariés. Madame la ministre nous a dit que ceux qui auront cessé de travailler avant son application - on sait bien que ce sont ces salariés qui trinquent les premiers - pourront aussi en bénéficier. Pour reprendre un vocabulaire horrible : on ne traitera pas seulement les stocks, mais aussi les flux.

On a beaucoup brocardé le Fonds de réserve pour les retraites. Mais qui peut nier aujourd'hui qu'il a été effectivement créé, qu'il sera financé à hauteur de 85 milliards dès 2002 et qu'il n'y a donc aucun lieu de croire que les 1 000 milliards prévus pour 2020 ne seront pas atteints ? Et cela répond bien au souhait d'une grande majorité des Français de voir assurer la pérennité du régime par répartition, en particulier au profit de ceux qui ont travaillé dur.

Enfin, en ce qui concerne le financement de la mesure qui nous est proposée, dont le coût sera de 25 à 26 milliards, après déduction des aides existantes, la méthode proposée par le groupe communiste ne me paraît pas la bonne.

En conclusion, le groupe socialiste, qui se réjouit des progrès enregistrés tant en loi de financement qu'en loi de finances, est persuadé que l'on n'en a pas fini avec ce débat.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. Bernard Accoyer - A seulement quelques semaines de la fin de la législature, une proposition de la majorité concernant les retraites nous est enfin soumise. Que de temps perdu ! Que d'injustice ! Que d'imprévoyance et d'inconscience ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Car les chiffres sont connus : compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie et de la baisse de la mortalité, alors qu'il y avait 4 retraités pour 10 actifs en 1995, en 2040, le rapport sera de 7 pour 10 et au mieux de 6 pour 10 si la fécondité et les flux migratoires augmentent. Si rien n'est fait d'ici-là, il faudra donc soit augmenter les cotisations de 55 %, soit diminuer les retraites de moitié. Dans ces conditions, la proposition de nos collègues communistes me paraît soulever une question tout à fait pertinente.

Notre système de retraites par répartition est fondé sur la solidarité entre les générations : une part des richesses produites par les actifs est destinée à permettre à ceux qui ont travaillé et cotisé pendant la majeure partie de leur vie de conserver un niveau de vie décent.

Si ce Gouvernement avait eu le courage de tenir compte de réalités connues avant même le rapport Charpin, la question de la retraite à taux plein après 40 ans de cotisations serait aujourd'hui réglée. Mais, après ce rapport, qui reprenait le travail effectué dans le Livre blanc préparé sous le gouvernement Bérégovoy, le gouvernement Jospin a décidé de commander d'autres rapports à des auteurs plus conciliants, espérant ainsi se dérober à ses responsabilités. Nous avons eu ainsi le rapport Taddei, produit en urgence fin 1999, puis le rapport Teulade, remis le 12 janvier 2000. M. Teulade, actuel suppléant du Premier secrétaire du PS, est connu pour avoir enterré le Livre blanc avant de présider un organisme mutualiste de retraites de la fonction publique souvent cité en exemple pour ses provisions insuffisantes. La commande fut donc exécutée avec le zèle d'un vieux militant et il conclut qu'avec 3,5 % de croissance et le plein emploi pendant 40 ans, les Français pouvaient dormir tranquilles... Et ce rapport fut salué par le Gouvernement comme un exemple de travail sérieux !

Or, avec un recul de deux ans, on mesure l'énormité de la man_uvre, l'ampleur du mensonge ! Le miracle d'une telle croissance, pendant une durée aussi longue ne s'est pas produit. Les conjoncturistes annoncent pour l'année prochaine 1,5 % de croissance, le FMI parle même d'1,3 %.

Comme l'a remarqué la commission des affaires sociales du Sénat, le rapporteur Teulade a oublié que la pension moyenne augmente au même rythme que les salaires - bourde relevée également par Mme Françoise Legros, professeur à Paris-Dauphine, dans une communication prononcée devant le Conseil d'orientation des retraites. Elle a de plus dénoncé l'irréalisme total d'une hypothèse de croissance de + 3,5 % pendant quarante ans, mais aussi la non prise en compte de la hausse des salaires d'une génération à l'autre.

Les travaux du COR n'ont fait que répéter ce qui est connu de tous. La création de Conseil était d'ailleurs inspirée d'une proposition de M. Teulade.

Pendant ce temps, la France se rapproche du départ à la retraite, dès 2006, de la génération du baby-boom. Dès 2002, le nombre de départs à la retraite progressera de 71 % par rapport à 2001, Madame la ministre.

Si le gouvernement Balladur n'avait pas opéré la courageuse réforme de 1993 (« Ah !» sur les bancs du groupe communiste), la Caisse nationale d'assurance vieillesse serait aujourd'hui déficitaire. Je rappelle, Madame la ministre, que vous avez utilisé 1 milliard d'excédent de la branche vieillesse pour combler une partie du déficit de la branche maladie. Si, donc, il n'y avait pas eu la réforme de 1993, il n'y aurait pas eu dans la branche vieillesse un excédent de 19 milliards de francs, cumulé de 1998 à 2002. La branche vieillesse serait en déficit.

Le fonds de réserve de la retraite par répartition, créé pour faire illusion, n'y changera rien. Ses ressources ont été asséchées avant d'être versées par la mise à sac du fonds de solidarité vieillesse pour financer les trente-cinq heures, détournées au profit de l'allocation pour les personnes âgées dépendantes, vaporisées par la division par huit du produit de la vente des licences de téléphonie mobile.

Comme l'a rigoureusement démontré un rapport sénatorial récent, ce sont bien les trois quarts du produit attendu du fonds de réserve des retraites par répartition qui manqueront à l'échéance 2020.

Les 1 000 milliards attendus en 2020, dans l'hypothèse où ils seraient réunis, ne constitueraient qu'un maigre fonds de lissage, utilisé au mieux sur un à trois ans.

Futuribles met en doute la pérennité même de notre fonds de protection sociale.

Je m'en tiendrai néanmoins aux déclarations du COR qui, le 5 septembre 2001, mettait en garde contre « les dangers d'une crise de confiance dans le régime des retraites » qui se traduirait par un « éclatement de la solidarité ».

Madame la ministre, il y a là, en effet, de quoi regretter l'inaction ! Le 21 novembre 2001, le COR confirme ses évaluations en besoins supplémentaires de financement. Il les situe entre 4 et 6,5 points de PIB d'ici à 2040.

La consolidation des retraites en France ne peut passer que par le principe fondateur de notre solidarité, c'est-à-dire l'équité, ainsi que par un dialogue large et objectif.

Après cinq ans d'exercice des responsabilités, le gouvernement Jospin n'a toujours rien fait pour les retraites.

Au contraire. Les actuels membres du Gouvernement, qui s'étaient en effet mobilisés pour interdire la simple évaluation de la situation des régimes de la Fonction publique par la commission Le Vert en 1995, ont persisté dans cette voie, au risque de dresser les différentes catégories de Français les unes contre les autres et de les exposer, pour l'avenir, à un redoutable conflit des générations.

Ainsi, le chef du Gouvernement a refusé d'engager quelque réforme que ce soit. Il se contente de commander des rapports dont l'inutilité le dispute à la partialité.

Il est allé jusqu'à abroger, fait unique et inique, la loi sur l'épargne retraite de 1997.

Il a obstinément refusé que l'accès aux retraites supplémentaires par capitalisation, comme la Préfon, soit ouvert à tous et ne reste pas strictement réservé aux salariés et anciens salariés du secteur public.

Il est resté sourd aux inquiétudes légitimes de 85 % des Français quant à leur retraite. 92 % d'entre eux estiment pourtant que la réforme est urgente ; 77 % sont favorables à l'alignement des régimes du public et du privé, et dans le public même, 60 % l'approuvent.

Il a accepté que la différence de taux de remplacement entre le privé et le public puisse aller de 48 à 72 %.

Il a accepté que l'âge de départ à la retraite soit de 58 ans dans le public - 53,5 ans à la RATP - alors qu'il est de plus de 61 ans dans le privé.

Il se satisfait d'un mode de calcul fondé pour les salariés du privé sur les 25 dernières années alors que pour les salariés du public, il est, depuis 1948, fondé sur les six derniers mois.

Il a accepté que pour eux la durée de cotisation soit toujours de 37,5 ans alors qu'elle est désormais de 40 ans dans le secteur privé.

Il a refusé la création d'une caisse de retraite pour la fonction publique, alors que la transparence y aurait gagné.

Il s'est accommodé des différences de taux de cotisation et des différences de revenus moyens.

Il a supprimé l'ARPE dans le secteur privé en 2001 et le CFA a été reconduit dans le secteur public.

Il a accepté la réversion sans condition de ressources pour le public et sous condition de ressource pour le privé.

Au contraire, une large concertation aurait dû se faire pour rapprocher les Français dans un renouveau de solidarité. Il aurait fallu une évaluation objective de la situation, une appréciation de la pénibilité de certains métiers.

Il faudrait aller vers plus de souplesse ; les salariés doivent pouvoir choisir leur date de départ en retraite ; sans doute faut-il s'orienter vers un système à points.

Des dispositifs supplémentaires contractuels, encouragés par l'Etat, impliquant les employeurs publics et privés doivent voir le jour.

Il faut se préoccuper d'une meilleure gestion des compétences des salariés en fin de carrière, d'une meilleure gestion du temps de travail au cours de la vie.

Ces évolutions indispensables sont aux antipodes de la politique conduite par M. Jospin. Et le groupe RPR dénonce le renoncement coupable du Gouvernement.

Il considère que la proposition de loi du groupe communiste, bien qu'elle soit justifiée pour de nombreux salariés qui ont commencé à travailler très jeunes, ne peut être engagée sans une réforme équitable pour tous.

Au demeurant, s'il fallait financer cette mesure, où le Gouvernement trouverait-il l'argent ?

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Bernard Accoyer - Je termine.

Les 35 heures ont absorbé toute marge de man_uvre, ni l'APA ni la CMU ne sont durablement financées et l'assurance maladie qui a accumulé 61 milliards de francs de déficit depuis 1998 sera à nouveau dans le rouge en 2002.

Le RPR entend s'exprimer sur les articles de cette proposition de loi, mais il ne prendra pas part au vote final. Il estime qu'il n'est hélas pas possible d'accepter cette réforme trop partielle sur un problème qui concerne l'avenir de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. Jean-Pierre Brard - Judas !

M. Georges Sarre - Cette retraite « anticipée » serait une mesure de bon sens autant que de justice sociale ; elle concerne les salariés qui ont commencé à travailler très jeunes et, à ce titre, ont amplement participé au développement de notre pays.

Généralement usés par des travaux physiquement pénibles, certains sont malades, chômeurs ou tout simplement épuisés par le labeur. Il serait juste qu'ils puissent, sur demande, bénéficier de leur retraite avant l'âge légal.

De l'ACA à l'ARPE en passant par l'ASFNE, de multiples mesures ont concouru à faciliter les départs à la retraite de ces travailleurs en abaissant, de fait, l'âge légal de la cessation d'activité. La proposition qui nous est faite tend à traduire cette évolution dans la loi. Elle n'est pas nouvelle, et nous sommes nombreux à avoir demandé une telle réforme. J'avais déposé, avec mes collègues du Mouvement des Citoyens, une proposition en ce sens en février 1998. Relevons surtout - cela ne manque pas de piquant - que la retraite à taux plein avant 60 ans fera sans doute partie des propositions du parti socialiste dans la perspective des élections, si bien que ceux qui ont refusé cette réforme il y a quelques jours, battront demain la campagne en la promettant aux Français... Lors de la discussion en première lecture du PLFSS, le Gouvernement a opposé une fin de non-recevoir à cette mesure. A peine a-t-il consenti à une allocation équivalent retraite limitée aux bas revenus et aux chômeurs en fin de droits.

Il y a un mois, accepter la liquidation pure et simple de la pension coûtait trop cher ! On sait pourtant que la dépense serait sérieusement amoindrie par la suppression de toutes les mesures dont bénéficient aujourd'hui les personnes concernées et par les économies réalisées grâce aux embauches induites, tant pour la sécurité sociale que pour l'UNEDIC et l'Etat.

Aujourd'hui, la parade gouvernementale a changé, et toute mesure est exclue au motif qu'elle ne peut être séparée d'une réforme d'ensemble. Le rapport du Conseil d'orientation des retraites aura eu bon dos !

Puisque le projet existe et puisque tout le monde approuve l'objectif poursuivi, pourquoi attendre?

Je ne me résigne pas à cette situation aussi paradoxale qu'extravagante, je ne me résigne pas à l'immobilisme, et je sais que les Français n'aiment pas les faux-fuyants ni les faux-semblants (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Alain Néri - Je commencerai par rappeler notre attachement à la retraite par répartition...

M. Bernard Accoyer - Et qu'avez-vous fait pour elle ?

M. Alain Néri - ...que nous défendrons sans relâche contre les tenants des fonds de pension...

M. Bernard Accoyer - Quand ? Après les élections ?

M. Alain Néri - La proposition qui nous est soumise traduit une préoccupation qui est nôtre de longue date. Elle concerne les salariés qui ont commencé à travailler très jeunes, dans des conditions très pénibles, sans avoir bénéficié de la formation initiale à laquelle ils auraient dû avoir droit, ni de la formation continue à laquelle ils avaient aspiré. Ils sont donc victimes d'une double injustice.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Tout à fait.

M. Alain Néri - Ces travailleurs, bien souvent postés, qui ont cotisé quarante ans, doivent se voir conférer ce qui est un droit et non une faveur : le droit à prendre leur retraite avant d'avoir atteint 60 ans (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV). Qui aurait le front de leur dire qu'ils ont commencé à travailler trop jeunes ? (Mêmes mouvements) Et ceux qui ont quitté l'école à 12 ou 14 ans ne sont-ils pas aussi ceux qui ont participé le plus activement au redressement de la France après la deuxième guerre mondiale ? (Mêmes mouvements) Peut-on oublier qu'ils ont, de plus, bien souvent sacrifié une partie de leur jeunesse pendant la guerre d'Algérie ? (Mêmes mouvements)

Pour toutes ces raisons, nous sommes viscéralement attachés à ce que ces salariés puissent prendre leur retraite même s'ils n'ont pas l'âge légal.

M. Germain Gengenwin - Et comment ce dispositif sera-t-il financé ?

M. Alain Néri - Nous prenons acte de l'instauration de l'AER, mais notre objectif demeure, et les conditions d'application de ce qui n'est qu'une première étape demandent à être précisées. Ainsi, les décrets seront-ils publiés assez vite pour que cette mesure prenne effet le 1er janvier 2002 ? Et l'allocation sera-t-elle bien servie à tous les salariés privés d'emploi qui peuvent y prétendre, qu'ils aient été licenciés ou qu'épuisés par le labeur ils aient été contraints de démissionner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV)

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Je partage bien sûr l'opinion exprimée par mes collègues Liberti et Néri, et particulièrement par Mme Robin-Rodrigo, qui a souligné à juste titre que le Gouvernement devait être ferme dans les principes et innovant dans les propositions.

Je constate que tous les orateurs estiment la proposition du groupe communiste juste et nécessaire. Dans ces conditions, pourquoi ne pas la voter ? Elle s'appliquerait ainsi au plus vite et nous gagnerions, tous, à éviter la duplicité. L'AER constitue certes un premier pas, mais elle peut avoir des effets pervers si elle conduit à des démissions en grand nombre. En outre, je maintiens que le respect de la dignité des personnes commande de reconnaître le droit à la retraite après 40 années de cotisation pour les salariés âgés de moins de 60 ans. Notre collègue Alain Néri a souligné à juste titre qu'il s'agit d'ailleurs d'un droit, et ce droit doit être garanti par la loi. S'agissant du coût estimé de cette mesure, il est bien faible au regard des exonérations de charges consenties en faveur des entreprises pour compenser l'entrée en vigueur de la RTT. Chacun le sait, tout financement peut être trouvé si la volonté politique existe.

Quant à attendre les conclusions du COR ... pourquoi donc ? Pourquoi cette réticence sur les bancs de la majorité ? Pourquoi ne pas ouvrir dès maintenant ce chantier législatif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) L'objection selon laquelle la procédure ne permettrait pas que la proposition aille à son terme avant la fin de la législature me paraît très imparfaitement fondée : l'ordre du jour de nos travaux ne prévoit-il pas, avant la fin de l'année, l'examen en première lecture d'une proposition relative à la retraite complémentaire des non-salariés agricoles et de projets sur l'eau et sur la bioéthique ?

Pourquoi cet immobilisme si tout le monde est d'accord ? Mesurez-vous assez, Madame la ministre, l'espoir de bonheur que suscite cette proposition dans les foyers ouvriers auxquels elle est destinée ? Nous ne demandons que l'ouverture de ce chantier législatif. Que le Gouvernement ait le courage de cet acte politique important au lieu de s'en tenir à un ersatz qui ne répondra ni aux attentes des salariés concernés, ni à celles de la majorité plurielle (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président de la commission - Ce débat est difficile, mais j'assume parfaitement ma position (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Je veux d'abord féliciter M. Bocquet pour la qualité de son rapport et je l'engage à continuer d'enrichir ainsi les travaux de notre commission.

Je ne peux que partager son analyse. Je suis comme lui député du Nord et, sur cette question, je peux, derrière les mots, mettre des noms et voir des visages.

M. François Goulard - Il n'y a pas que le Nord !

M. le Président de la commission - En effet. M. Recours nous a parlé de l'Eure. Mais je m'adresse en ce moment à M. Bocquet. J'ai horreur de l'expression « les Trente glorieuses ». S'il est vrai que cette période ignorait le chômage, les conditions de travail y étaient impitoyables. Je me souviens du soupir de soulagement qu'ont poussé ces travailleurs qui avaient aidé à reconstruire la France quand, avec Pierre Mauroy, nous avons institué la retraite à 60 ans. « Enfin, nous dirent-ils, nous allons pouvoir souffler ». Ce fut une grande avancée.

Et pourtant, contre l'avis de certains députés socialistes, j'ai soutenu la proposition faite en commission de ne pas déposer de conclusions.

M. Maxime Gremetz - Vous ne l'avez pas soutenue, vous l'avez faite !

M. le Président de la commission - Monsieur Gremetz, je ne donne de leçons à personne et je n'ai pas davantage à en recevoir. Si j'ai défendu cette position, c'est d'abord en pensant au problème des retraites complémentaires. M. Bocquet lui-même, dans son rapport, admet que la réforme proposée « perdrait beaucoup de son intérêt si elle ne s'accompagnait pas d'une démarche similaire dans le domaine des retraites complémentaires ». A l'évidence, oui !

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Il faut bien commencer.

M. le Président de la commission - Voter cette proposition aujourd'hui, ce serait laisser croire à des travailleurs qu'ils peuvent abandonner leur travail alors qu'ils ne percevraient qu'une retraite de base de 3 050 F !

L'association des structures de financement des retraites complémentaires, créée en 1983, n'existe plus. Après le départ du MEDEF, une structure provisoire a été constituée par un texte en date du 10 février 2000, mais elle est critiquée par plusieurs organisations syndicales, dont la CGT, et ses pouvoirs doivent expirer au 31 décembre 2002. Jusqu'à cette date, les désaccords entre partenaires sociaux nous empêcheront d'avancer en matière de retraites complémentaires (Murmures sur les bancs du groupe communiste). Vous le savez !

M. Jean-Claude Lefort - N'importe quoi !

M. le Président de la commission - C'est la vérité (Protestations sur les bancs du groupe communiste). Elle est peut-être gênante, mais j'ai le devoir de la dire. J'ai examiné attentivement les textes : même s'ils évoquent le problème qui nous occupe, ils ne nous offrent pas la plus petite base de négociation.

M. Jean-Claude Lefort - Et la volonté politique ?

M. le Président de la commission - Par ailleurs, il faudra prendre en compte la pénibilité des travaux du corps et imaginer un bonus. Dans votre rapport, Monsieur Bocquet, vous citez un travailleur qui va devoir cotiser pendant quarante-quatre ans. Dans de telles situations, un bonus doit être accordé.

Connaissant les intentions du patronat, il me semble enfin dangereux de supprimer la barrière des 60 ans.

C'est conscients de toutes ces difficultés, mais convaincus qu'il fallait agir, qu'à l'initiative d'Alfred Recours et avec le soutien de Mme Guigou, nous avons créé l'allocation équivalent retraite.

M. Sarre, en disant que l'AER ne bénéficiera qu'aux chômeurs en fin de droits, commet une erreur. Or, en pareille matière, on n'a pas le droit à l'erreur (Interruptions sur les bancs du groupe communiste).

Comme M. Néri, je souhaite que le décret paraisse dès la promulgation de la loi. Cette réforme profitera à un nombre de personnes plus élevé qu'on l'a dit.

M. Maxime Gremetz - Il deviendra plus intéressant d'être au chômage que de travailler !

M. le Président de la commission - Je récuse, Monsieur le rapporteur, le mot de « duplicité ». Nous sommes autant que vous conscients de la réalité du problème et soucieux de le résoudre.

Les Français connaissent la lenteur de la procédure parlementaire, avez-vous dit, Monsieur le Rapporteur, et ils sauraient donc que certains projets votés d'ici à la fin de février ne pourraient que commencer d'être mis en _uvre. Je crois au contraire que, si nous votions ces textes, ils seraient persuadés que nous aurions réglé le problème de l'allocation de base et celui de la retraite complémentaire - alors qu'il n'en serait rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe communiste)

M. Germain Gengenwin - Il a raison !

M. le Président de la commission - Vous avez cité une très belle formule d'Esope, en la glosant : « C'est maintenant qu'il faut montrer ce dont tu es capable ! ». Je vous répondrai par une autre citation, d'un autre sage grec : « Ne laisse pas croire qu'une _uvre est achevée si tu n'es pas capable d'en assurer l'exécution » ! (Exclamations sur les bancs du groupe communiste, du groupe RCV, du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Alfred Recours - Très bien !

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Au cours d'une discussion intense, intéressante et quelquefois même émouvante, vous avez tous marqué votre souci de ces personnes qui, ayant commencé à travailler très tôt, ont cotisé pendant quarante ans à l'assurance vieillesse avant d'atteindre l'âge de 60 ans. Nous connaissons tous de ces hommes et de ces femmes, encore en activité et qui, se sentant usés par le travail, souhaiteraient prendre leur retraite en laissant leur emploi à un autre. Nous en connaissons d'autres qui, exclus du marché du travail, se sentent rejetés et inutiles, et qui aspirent à un repos en général amplement mérité. Je remercie donc toutes celles et tous ceux d'entre vous qui ont témoigné de leur préoccupation à l'égard de ces salariés, souvent avec beaucoup d'humanité. C'est en particulier le cas de M. Le Garrec, qui a en outre recensé avec courage l'ensemble des questions soulevées par cette proposition.

Comme l'a rappelé le rapporteur, ce sont plus de 800 000 personnes, nées entre 1942 et 1951, qui totaliseront à la fin de cette année 160 trimestres de cotisation d'assurance vieillesse. Pour la moitié, il s'agit de femmes, compte tenu des deux ans d'assurance supplémentaires dont elles bénéficient pour chaque enfant élevé. 400 000 ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans, 120 000 à 16 ans, 140 000 à 17 ans, 150 000 à 18 ans ou après. Sur les 120 000 d'entre elles qui, au 31 mai dernier, percevaient l'allocation de chômeur âgé, 37 % étaient des ouvriers, 35 % des employés, 17 % des techniciens ou agents de maîtrise et 11 % des cadres ; 41 % avaient travaillé dans l'industrie, 18 % dans le commerce, 11 % dans l'immobilier ou dans les services aux entreprises et 9 % dans la construction. En outre, beaucoup avaient exercé des métiers particulièrement pénibles, travaillant à la chaîne ou de nuit, et la moitié bénéficiaient d'un dispositif de cessation anticipée d'activité ou étaient au chômage.

Cette statistique étant certainement représentative de la population concernée par la proposition de loi, je comprends l'esprit dans lequel celle-ci a été élaborée. Cependant, ce texte ne résoudrait que très imparfaitement les problèmes en cause. Certes, il permettrait à ceux qui sont salariés de faire valoir leurs droits à une retraite à taux plein, mais il n'en irait pas de même pour ce qui est de la retraite complémentaire : comme l'a fait observer M. Le Garrec, en la matière, les abattements sont d'autant plus élevés qu'on part à la retraite plus jeune. Ainsi, pour une carrière complète au SMIC, un salarié partant à 59 ans ne percevrait, en sus des 5 100 F de la retraite de base, que 1 100 F, au lieu de 1 600 F. A 55 ans, cette retraite complémentaire tomberait à 700 F ! Plus tôt, elle serait nulle... Ainsi, plus on aurait commencé à travailler tôt, plus on se retrouverait pénalisé. Un homme qui travaille depuis l'âge de 14 ans et qui totalise 40 annuités à 54 ans, devrait attendre encore un an avant de pouvoir prétendre à une retraite complémentaire par ailleurs très réduite.

On ne peut donc traiter la question que vous posez sans négocier parallèlement sur celle des retraites complémentaires. Or, comme l'a relevé aussi le président de la commission, rien n'indique que les partenaires sociaux soient prêts à un accord sur le sujet : les discussions du début de l'année pour la renégociation de l'ASF et pour la création d'une association gérant le financement de l'AGIRC et de l'ARRCO ont plutôt montré le MEDEF disposé à remettre en cause la retraite à 60 ans !

M. Maxime Gremetz - N'inversons pas les données du problème !

Mme la Ministre - A ceux qui, d'autre part, attendent de la proposition qu'elle contribue à créer des emplois, j'opposerai les leçons du dispositif ARPE - allocation de remplacement pour l'emploi. Alors que chaque départ en préretraite devait être compensé par une embauche, cela n'a été vrai que dans un cas sur trois ! (Exclamations sur les bancs du groupe communiste)

Par ailleurs, pour les travailleurs ayant exercé les métiers les plus pénibles, nous avons mis au point des dispositifs de cessation anticipée d'activité qui ont en outre le mérite de responsabiliser les entreprises, en les faisant contribuer au financement de ces mesures. En effet, nous avons tant et tant de choses à financer...

Plusieurs députés UDF et RPR - Les 35 heures !

Mme la Ministre - ...qu'il ne saurait être question de laisser au seul Etat des charges qui incombent aussi aux entreprises.

Enfin, et c'est sans doute le plus important, comme l'ont rappelé MM. Le Garrec et Recours, nous avons commencé de traiter le problème des chômeurs ou inactifs totalisant 40 annuités, en instituant l'allocation équivalent retraite. A l'occasion de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale, puis de la loi de finances, vous avez adopté un amendement élaboré par le Gouvernement en étroite liaison avec votre commission, et qui garantit à ces personnes un revenu d'au moins 5 750 F par mois, pourvu que les revenus du foyer fiscal n'atteignent pas 13 000 F - compte non tenu des ressources du conjoint.

M. Bernard Accoyer - Qui paie ?

Mme la Ministre - Ces travailleurs pourront ainsi attendre dignement l'âge de la retraite.

Messieurs Recours et Néri, ce nouveau dispositif sera naturellement ouvert aux travailleurs inscrits, aujourd'hui mais aussi demain, sur les listes de demandeurs d'emploi, et ce quel que soit le motif de cette inscription.

M. le Président de la commission - Merci !

M. Alfred Recours - Très bien !

Mme la Ministre - Les personnes pourront alors obtenir la dispense de recherche d'emploi.

M. Bernard Accoyer - Pouvez-vous nous donner des précisions sur le financement ?

Mme la Ministre - Le Gouvernement est très attaché à la mise en _uvre rapide de cette mesure. Les décrets sont en préparation ; ils seront examinés par le Conseil d'Etat dès la promulgation de la loi de finances et seront publiés dès le début de l'année prochaine.

M. Gengenwin m'a interrogée sur les pensions de réversion. Je lui rappelle que leur montant minimum a été revalorisé de 1,1 % en 1998, de 2 % en 1999, de 1 % en 2000 et de 2,2 % en 2001, ce qui a permis d'assurer une progression de 2 % du pouvoir d'achat des veufs et des veuves les plus modestes. Ces revalorisations ont bénéficié à 600 000 personnes.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué le problème plus général des retraites. Le Conseil d'orientation des retraites remettra son premier rapport au Premier ministre le 6 décembre.

M. Bernard Accoyer - Il faudra acheter un grand placard à rapports !

Mme la Ministre - Sans anticiper sur ses conclusions, nous pouvons penser qu'il va mesurer les besoins de financement des régimes, souligner la nécessité de formaliser la garantie des retraites par la fixation d'objectifs de taux de remplacement, évoquer d'autres aspirations comme la mise en place de nouveaux mécanismes d'indexation des pensions ou la meilleure prise en compte des choix individuels.

J'ai déjà indiqué la position du Gouvernement lors du débat sur le PLFSS. D'ores et déjà, nous avons créé le fonds de réserve des retraites, doté de recettes pérennes.

Celles-ci sont constituées tout d'abord par les excédents de la CNAV.

M. François Goulard - Des excédents, recettes pérennes ?

Mme la Ministre - Oui, du fait des classes creuses, il y aura des excédents jusqu'en 2010.

M. François Goulard - Non !

Mme la Ministre - Ces excédents ne contribueront qu'à hauteur de 30 milliards au financement du fonds de réserve. L'essentiel proviendra, en premier lieu, des excédents du FSV, lesquels résultent d'une diminution des dépenses liée à la réduction du nombre de bénéficiaires du régime vieillesse, et d'une forte croissance des recettes constituées par la CSG ; en deuxième lieu, du prélèvement de 2 % sur le patrimoine, qui générera plus de 200 milliards d'ici à 2020 ; enfin, des produits financiers.

M. Bernard Accoyer - On est loin des 1 000 milliards !

Mme la Ministre - Pas du tout ! Nous atteignons même, selon nos prévisions, 1 200 milliards. Par prudence, je m'en tiens à 1 000 milliards.

M. François Goulard - C'est une fable !

Mme la Ministre - Le Conseil d'orientation des retraites a pu mener la concertation nécessaire pour préparer l'indispensable réforme. Immédiatement après les élections, il reviendra au Gouvernement d'organiser des négociations entre et avec les partenaires sociaux. Nous pourrons alors examiner comment ceux qui le désirent pourront travailler plus longtemps, et aussi comment ceux qui ont commencé à travailler plus tôt pourront bénéficier de leur retraite de manière anticipée, important sujet dont vous avez souhaité débattre ce matin.

La mesure qui nous est proposée représenterait 48 milliards de dépenses annuelles en retraites de base pour la CNAV, auxquels il faut ajouter 28 milliards en retraites complémentaires et 22 milliards de manque à gagner de cotisations, en faisant l'hypothèse d'un emploi remplacé pour trois départs. Le coût brut de cette proposition atteint donc près de 100 milliards annuels (Protestations sur les bancs du groupe communiste).

M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas vrai ! C'est scandaleux !

Mme la Ministre - En prenant en considération les transferts qui seraient opérés entre budget de l'emploi, allocation chômage, FSV et sécurité sociale, on peut estimer le coût net pour la collectivité à 57 milliards. En restreignant la mesure aux personnes âgées de 58 ou 59 ans, le coût net serait encore de 21 milliards. De plus, du fait de la démographie, ce coût annuel ne devrait pas baisser avant 2020.

C'est pourquoi je partage avec le Président de la commission l'idée qu'il convient de ne pas aller plus avant dans cette discussion (Exclamations sur les bancs du groupe communiste). Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution (Protestations sur les bancs du groupe communiste).

M. le Rapporteur - Scandaleux !

Mme la Présidente - Je constate que le Gouvernement oppose l'article 40 de la Constitution à la proposition de loi.

En application de l'article 92, alinéa 3, du Règlement, la procédure législative est suspendue en l'état jusqu'à la décision du bureau de la commission des finances.

Il appartiendra à M. le président de la commission des finances de le convoquer.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 40.

            Le Directeur-adjoint du service
            des comptes rendus analytiques,

            Louis REVAH

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la deuxième séance du jeudi 22 novembre 2001

à l'article 33, après l'intervention de M. Recours,

lire : M. le Ministre délégué - Défavorable. L'article 33 traduit la volonté du Gouvernement ... (le reste sans changement)


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