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Session ordinaire de 2001-2002 - 48ème jour de séance, 113ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 15 JANVIER 2002

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

Sommaire

      BIOÉTHIQUE (suite) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 11

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 16 JANVIER 2002 32

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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BIOÉTHIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique.

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite)

M. Jean-François Mattei - J'ai évoqué cet après-midi le rôle de la médecine dans notre société et la place de la science dans le processus décisionnel. J'en viens à présent au cheminement entre conscience et responsabilité, et m'arrêterai sur les problèmes de constitutionnalité que soulève ce texte.

Nonobstant nos différences philosophiques, nous devons trouver des règles communes pour vivre ensemble. Or, les progrès de la science bouleversent nos repères sur des questions aussi essentielles que la mort, la naissance et le commencement de la vie, soumettant nos choix éthiques à de douloureuses tensions.

S'agissant de la mort, le texte aborde tout d'abord la question de l'identification post mortem avec les empreintes génétiques. En précisant que l'opposition expressément manifestée de son vivant par une personne à une identification posthume « fait obstacle à toute mise en _uvre de celle-ci après le décès de l'intéressé », il érige en norme la règle du recours aux empreintes génétiques post mortem, puisque sauf opposition expresse, on considère qu'il y a accord tacite. Le législateur est ici confronté à deux principes : respect de la volonté de la personne, mais aussi respect dû au cadavre, le respect de la sépulture et de la dépouille mortelle étant constitutif de la dignité de la personne et comptant au nombre de nos valeurs fondamentales. Hors contexte pénal, cette disposition bafoue le respect de celui qui a quitté ce monde avec ses secrets. Un homme qui n'aurait jamais eu à se prononcer sur cette éventualité de son vivant pourrait ainsi être exhumé dans le cadre d'une action en recherche de filiation, ce qui est choquant. Comment d'ailleurs traiter l'opposition de son vivant à de telles analyses posthumes alors que le refus des recherches biologiques en filiation par un homme l'expose à être déclaré père par présomption ?

Mieux vaut donc prévoir l'interdiction du recours à cette technique, sauf exception strictement définie. L'utilisation de la technique des empreintes génétiques dans ce contexte porte en effet atteinte à des droits aussi fondamentaux que le respect de la volonté et de la dignité de la personne humaine, consacrés par notre droit constitutionnel, civil et pénal. Le droit pénal sanctionne ainsi les atteintes à la personne décédée, conformément au respect dû à la dignité, à la volonté et à la mémoire de l'être humain.

Cette disposition porte aussi atteinte au principe d'égalité. Elle encouragera les incinérations au détriment des enterrements, créant une rupture d'égalité entre les demandeurs, selon que la personne décédée est incinérée ou enterrée puisque toute analyse génétique est impossible en cas d'incinération. L'incinération pourrait même devenir, l'objet de soupçons en tant que moyen de se dérober à ces recherches posthumes. Une telle source d'inégalité au-delà de la mort mériterait de faire l'objet d'un avis du Conseil constitutionnel.

Le renversement de l'autorisation de la personne - analyse des empreintes génétiques possible avec le seul accord exprès de la personne - est plus respectueux de la volonté des personnes et de la dépouille mortelle. Dans la rédaction actuelle la mort pourrait ne plus être considérée comme la fin de l'existence puisqu'à l'occasion d'une violation posthume - je dis « violation » car il n'y a pas consentement - c'est une mémoire, une histoire qui pourrait être bouleversée au regard des vivants. Nous proposerons donc une rédaction plus conforme au respect des morts.

S'agissant du prélèvement d'organes, le texte tend à élargir le cercle des donneurs aux donneurs vivants. C'est pourtant à propos de la mort qu'il faut aborder ce sujet, puisqu'il est étroitement articulé avec le prélèvement sur personnes décédées, organisé dès 1976 par une loi qui fait prévaloir le consentement présumé selon des modalités confirmées en 1994 par le présent texte. Rappelons que « le prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus... Ce refus peut désormais être signifié sur un registre national automatisé... Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille ».

Devant la pénurie de greffons disponibles, le texte prévoit qu'au-delà des exceptions admises aujourd'hui pour les apparentés au premier degré - parents, enfants, frères et s_urs, conjoints - la sphère des personnes vivantes s'étendra désormais à « toute autre personne ayant avec le receveur un lien étroit et stable de nature à garantir le respect des principes généraux ».

La notion de « lien étroit et stable » est fort ambiguë. Cette incertitude est dangereuse et source de dérives.

Première dérive : la commercialisation des organes. On imagine bien la possibilité pour une personne de se faire rémunérer de façon occulte pour accepter le don d'organes en se présentant comme une personne ayant un « lien étroit et stable » avec le receveur. Le principe de non-patrimonialité du corps humain et de ses éléments est ainsi remis en cause.

Deuxième dérive : l'emprise psychologique et affective des donneurs potentiels au sein du cercle familial élargi. L'extension du cercle des donneurs familiaux multiplie en effet les risques de pression.

Il faut donc que la loi protège les personnes contre les pressions exercées par d'autres, mais aussi contre elles-mêmes. Le principe séculaire d'indisponibilité du corps humain et de ses éléments et le principe de dignité militent en faveur d'une protection renforcée de la personne, même contre sa volonté, d'autant que les conséquences d'un prélèvement d'organes peuvent être très invalidantes, voire mortelles pour le donneur. Les statistiques actuelles indiquent des pourcentages de complications sévères ou mortelles suffisamment élevés pour mettre en doute le bien-fondé d'une extension de la pratique de dons entre vivants. Les exemples sont parfois terribles. On se demande où est passé le principe de précaution. En dehors de toutes dérives d'ordre financier, psychologique et affectif, il y a là un réel dilemme éthique entre la générosité et la responsabilité de chacun vis-à-vis de sa propre famille. Ainsi, quel choix peut faire un homme jeune, marié et père de famille s'il est le seul donneur potentiel pour un cousin ? Devra-t-il refuser, au risque de paraître égoïste et d'endosser la responsabilité du décès éventuel d'un proche, ou accepter au risque d'en faire supporter les conséquences à sa propre famille ? Seule la loi peut éviter que l'on se trouve dans une telle situation.

En outre, en se limitant à une formulation vague et imprécise, le législateur n'exerce pas pleinement sa compétence alors que la protection du respect de l'intégrité du corps humain et de son caractère non patrimonial participe du principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne. Cette disposition court donc le risque d'être censurée par le Conseil constitutionnel pour incompétence négative.

En tout état de cause, la question de la transplantation des organes entre vivants révèle l'écartèlement du droit entre deux impératifs antinomiques : d'une part, la protection de la consubstantialité de la personne et de son corps, d'autre part, l'impérieuse nécessité de dissocier les éléments du corps humain de la personne, dans l'intérêt vital d'autrui. Inévitablement, face à la pénurie d'organes à transplanter, les droits fondamentaux de la personne sont menacés par l'élargissement des catégories de donneurs vivants potentiels. Pourquoi ne pas s'orienter vers une pratique plus volontariste du prélèvement d'organes sur personne décédée ? Alors que le prélèvement devrait être effectué en l'absence d'une opposition explicite, les médecins renoncent trop souvent devant la réticence des familles, qui ne devraient pourtant être consultées que pour recueillir un témoignage et non pour obtenir une autorisation.

Renforcer les prélèvements sur personne décédée estomperait la contradiction manifeste entre, d'une part, le principe d'inviolabilité du corps humain, qui permet qu'il ne soit porté atteinte à son intégrité qu'en cas de nécessité médicale pour la personne - ainsi aux termes de l'article 16-3 du code civil, il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité « médicale » pour la personne - et, d'autre part, la possibilité de valider les transplantations d'organes sur la personne vivante dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Prélever un organe qui fonctionne au bénéfice d'autrui remet en cause un aspect essentiel de notre droit civil (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Jean-Marie Le Guen - Cela a été constitutionnellement admis en 1994...

M. Jean-François Mattei - La faute date en effet de 1994, et depuis des prélèvements ont eu lieu dans ces conditions.

Quel paradoxe ! Dans la filiation post mortem, on n'hésite pas à outrepasser l'interdit de la mort alors que c'est l'identité même de la personne qui est en cause. Et pour le prélèvement d'organes, alors qu'aucune atteinte n'est apportée au souvenir du mort et qu'il s'agit de sauver des mourants, on préfère épargner les morts pour impliquer les vivants !

Je comprends la démarche qui consiste à tout faire pour sauver un proche, mais personne ne peut évaluer les conséquences psychologiques d'un don entre vivants, pour le donneur comme pour le receveur, et les dispositions proposées nous semblent donc peu souhaitables. Nous en proposerons de plus raisonnables pour organiser l'information et interroger le sujet jeune sur un éventuel refus.

La mort est aussi bousculée par l'introduction dans le texte, par voie d'amendements du rapporteur, de la possibilité de transferts d'embryons après le décès du père.

Mme Yvette Roudy, au nom de la délégation aux droits des femmes - C'est la vie !

M. Jean-François Mattei - Il s'agit sans aucun doute d'une des questions les plus difficiles que nous ayons eues à régler en 1994. Accepter cette solution satisfait bien sûr à la priorité de la vie donnée à l'embryon et je ne peux rester insensible à cet aspect, retenu par le Comité consultatif national d'éthique, pas plus qu'à la compassion que l'on doit à la veuve.

Refuser le transfert d'embryons post mortem en invoquant les problèmes de succession me semble inacceptable.

Mme Yvette Roudy - Jusque-là, ça va...

M. Jean-François Mattei - Pourtant, nous avions opté pour le non-transfert en 1994, après une longue discussion empreinte d'émotion. Nous avions invoqué pour cela la disparition du couple, dissous par la mort, l'investissement affectif particulier sur cet enfant venu du froid...

Mme Yvette Roudy - Et la chaleur humaine ?

M. Jean-François Mattei - ...et chargé de mémoire, le travail de deuil impossible pour la veuve tant que subsiste l'espoir, un espoir fragile quand on sait le taux d'échecs après décongélation. Et puis nous avions aussi buté sur la fixation difficile des délais. Une sorte de péremption encore plus cruelle lorsque le délai ne peut être respecté, par exemple pour des raisons de santé : dépression nerveuse qui se prolonge, traitement médical incompatible avec une grossesse, déséquilibre hormonal... Nous avions aussi invoqué la situation inverse, c'est-à-dire le décès de la mère et le père veuf demandant, lui aussi, le droit de voir ses embryons appelés à la vie, au besoin par le recours à une mère porteuse en soulignant l'inégalité, certes liée à la physiologie, mais douloureusement vécue.

Mme Yvette Roudy - Ce n'est pas comparable...

M. Jean-François Mattei - Enfin, la disposition prévue par le rapporteur qui exclut la possibilité de transfert en cas de mariage de la mère semble également créer une inégalité entre les couples. La mère pourrait avoir trouvé un compagnon et ne pas se marier, à seule fin de réclamer ses embryons.

On le voit, repousser les frontières de la mort ne résout pas les problèmes, sans même parler des nombreuses dérives que nous avons évoquées en commission. Il me semble donc nécessaire de s'interroger encore sur ce point sur lequel, à titre personnel, je suis réservé. Il me paraîtrait plus sage d'informer clairement les couples sur l'impossibilité dès le début de la procédure de fécondation in vitro afin qu'il n'y ait aucun espoir déçu.

Mme Yvette Roudy - Soit !

M. Jean-François Mattei - Deuxième repère, la naissance. Nous l'avons récemment beaucoup évoqué à l'occasion de la discussion sur les handicaps congénitaux. Peu de dispositions changent en ce qui concerne le diagnostic prénatal. Ce chapitre introduit en 1994 avait été extrêmement discuté. Depuis, les centres pluridisciplinaires de disgnostic prénatal se sont mis en place, une nouvelle approche en équipe se développe, des méthodes travail se précisent, des critères de bonnes pratiques s'imposent. Il n'y a donc pas lieu de revenir sur cette démarche exemplaire.

Mais une tentation se fait jour de rechercher l'enfant normal par tous les moyens. L'échographie f_tale est chaque jour plus performante. Dans le rapport remis au ministre chargé de la santé en 1997 sur le dépistage de la trisomie 21, je m'étais heurté à la quadrature du cercle : personne ne veut d'une société eugénique, personne n'approuve la sélection des enfants à naître ; pourtant, chacun revendique pour lui-même la possibilité de s'entourer de toutes les précautions pour s'assurer que l'enfant est indemne de toute malformation ou maladie congénitales. Le diagnostic prénatal de masse par amniocentèse conduit, pour éviter la naissance d'un enfant trisomique 21, à la perte de sept enfants normaux, ce qui est insupportable ! Autrement dit, la somme des décisions individuelles de refus du handicap révèle une évolution de notre société par ailleurs collectivement récusée. Et je redoute les techniques qui s'annoncent avec les analyses génétiques par micropuces à ADN appliquées aux cellules embryonnaires et f_tales obtenues après une simple prise de sang maternelle. Ainsi le bilan génétique prénatal sera rendu possible sans risque de complication pour la grossesse.

Par ailleurs, la médecine f_tale, encore balbutiante, va changer bien des choses en autorisant le traitement des maladies du f_tus. Il ne faudrait pas que cette médecine curative arrive trop tard dans une société habituée à choisir pour ne retenir que l'enfant indemne. C'est un des enjeux majeurs.

On le voit, le repère de la naissance est, lui aussi, bousculé. Lorsque l'enfant paraît, il a parfois déjà une très longue histoire. Ce qui m'amène au troisième repère, le commencement de la vie, ...

Mme Yvette Roudy - Ah !

M. Jean-François Mattei - ...que le projet aborde sous plusieurs aspects.

Le premier est essentiel et fera sans doute l'objet d'une belle unanimité, puisqu'il s'agit d'interdire et de condamner le clonage reproductif humain.

Néanmoins, pour dépasser la seule déclaration symbolique, il faudrait aller beaucoup plus loin dans les sanctions prévues.

Il convient en effet de s'interroger sur l'incrimination possible qui pourrait relever de la notion de crime contre l'humanité consacrée en droit pénal international comme en droit français.

Cette notion exprime le primat des valeurs humaines contre tout ce qui révulse la conscience même de l'humanité. Mais en droit international, il faut qu'un fait constituant une violation des droits essentiels de la personne humaine, unanimement condamné par la communauté internationale, ait été commis de façon massive et systématique.

S'agissant de la première condition, la technique du clonage reproductif humain y répond parfaitement dans la mesure où le fait de créer un être humain identique à un autre déjà existant est unanimement condamné par la communauté internationale. La notion de crime contre l'humanité peut donc englober le clonage humain reproductif en ce qu'elle renvoie à la négation même de la dignité humaine.

S'agissant de la seconde condition, la question est plus délicate. Si le clonage est mis en _uvre, il sera d'abord le fait de quelques chercheurs isolés, sans relever d'un plan concerté au sens de l'article 211-2 du code pénal.

C'est pourquoi il nous paraît nécessaire d'identifier la notion de « crime contre l'humanité de l'homme » qui concerne une atteinte au fondement même de la dignité de la condition humaine, même au travers d'un acte isolé. Créer ainsi une nouvelle incrimination semble s'imposer face à la nouveauté du clonage reproductif humain.

Une telle incrimination entraînerait l'imprescriptibilité car les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles par nature. En cas de clonage reproductif, il faut permettre que le clone lui-même découvrant les conditions dans lesquelles il a été conçu puisse retourner contre celui qui est à l'origine de son clonage.

Mme Yvette Roudy - C'est de la fiction !

M. Jean-François Mattei - D'autre part, le crime contre l'humanité de l'homme conduit à la logique de la réclusion criminelle à perpétuité.

Enfin, il impose une démarche internationale urgente. La France pourrait ainsi proposer l'adoption d'une convention internationale élargissant le champ d'application de l'incrimination existante afin de prendre en compte « toutes les techniques biologiques susceptibles de porter atteinte à ce qui représente l'humanité de l'homme ». Il est clair que le développement des sciences de la vie appelle une législation internationale contraignante.

Le problème de la sanction du clonage reproductif humain est exemplaire de l'idée d'une certaine unité de la famille humaine. La reconnaissance d'un droit protecteur de l'humanité doté d'un ancrage international est un trait marquant du droit contemporain. Peut-être même est-ce le signe annonciateur de l'émergence d'un ordre public international, à même de conférer au droit international la force coercitive qu'il mérite enfin (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Le deuxième sujet concerne la recherche sur l'embryon. Pour moi, il n'est pas encore arrivé à maturité, et j'aurais préféré qu'il soit abordé plus tard.

En effet, il me semble vain d'évoquer à nouveau l'éventuel statut philosophique ou juridique de l'embryon. En revanche, comme le montre le récent avis de l'Académie de médecine, cet embryon prend de plus en plus le statut d'un patient potentiel. Tout simplement parce qu'il serait paradoxal, au motif de le respecter comme une personne, de le priver de l'accès aux soins.

Mme Christine Boutin - Eh oui !

M. Jean-François Mattei - Il est donc indispensable de mieux le connaître, de mieux le comprendre. C'est pourquoi je suis favorable à la recherche sur l'embryon dans des conditions très précises pour autant qu'elle bénéficie aux embryons. Simplement, la réflexion sur la médecine embryonnaire n'est pas encore suffisamment avancée.

Une commission y travaille. Elle devra préciser ce qu'est la viabilité embryonnaire, la mort embryonnaire. J'ai besoin de progresser à mon rythme pour trouver le chemin le plus juste.

Dès lors que le but n'est pas de mieux connaître l'embryon mais de l'utiliser pour développer la thérapie cellulaire, le problème est différent.

Bien sûr, la thérapie cellulaire est un concept fabuleux qui ouvre des perspectives considérables. Cette voie nouvelle permettra de guérir des maladies jusqu'alors incurables et il convient évidemment de s'y engager avec détermination. Cette recherche, qui s'inscrit dans le long terme, repose sur trois sources potentielles de cellules souches.

Les cellules obtenues après transfert nucléaire, qui présentent des risques de dérapage éthiques tels que clonage reproductif ou commercialisation du corps humain alors que la technique est loin d'être maîtrisée. Le clonage « thérapeutique » a, pour ces raisons, été heureusement retiré de l'avant-projet de loi initial.

Les cellules souches d'origine adulte, découvertes plus récemment, donnent déjà des résultats inattendus et très encourageants. Il est désormais possible, par un phénomène de « transdifférenciation », d'obtenir différents types de cellules à partir de cellules souches prélevées chez l'adulte. Cette voie ne pose aucun problème d'ordre éthique ou moral.

Les cellules embryonnaires, qui pourraient effectivement être utilisées, à brefs délais soulèvent des questions aussi nombreuses que difficiles. Faut-il céder au motif que d'autres le feraient dans un monde où les déplacements annulent les interdictions isolées ? Faut-il accepter au motif que chacun admet qu'il y aurait recours pour sauver l'un de ses proches et qu'il y aurait une certaine hypocrisie à refuser ? Faut-il au contraire fixer des règles communes traduisant notre culture et nos références, laissant à chacun la liberté de ses choix personnels en telle ou telle circonstance ?

Les précautions prises par le législateur démontrent qu'il ne considère pas l'embryon comme un simple élément du corps humain, mais bien comme une personne en devenir. Songez au désir du transfert d'embryons post mortem.

Pourtant, le législateur accepte le principe que ce même embryon soit utilisé à des fins expérimentales, voire de production de lignées à finalité thérapeutique, en excipant de l'existence d'embryons « surnuméraires ». Je crains que cette qualification porte atteinte au principe d'égalité devant la loi puisqu'ils seraient instrumentalisés.

Mme Yvette Roudy - Ce ne sont pas des personnes.

M. Jean-François Mattei - Il serait utile que le Conseil constitutionnel précise sa décision de juillet 1994.

De plus, en décidant de limiter la recherche sur les embryons surnuméraires, on va créer des besoins exprimés par les programmes de recherche. Quelles décisions imaginer lorsqu'ils auront tous été utilisés ? La tentation ne sera-t-elle pas grande de continuer à concevoir délibérément des embryons surnuméraires, comme certains pays le proposent déjà ? C'est l'étape suivante qui se profile.

M. Jacques Myard - C'est évident !

M. Jean-François Mattei - Ce qui me préoccupe davantage encore, c'est de penser que ces cellules embryonnaires pourraient être abandonnées dans quelques années pour des cellules souches d'origine adulte beaucoup mieux maîtrisées. Ainsi, on nous demande d'abandonner un repère essentiel venu du fond de notre humanité, qui est le respect de la vie débutante, au motif d'un besoin probablement temporaire pour la recherche. Que ferons-nous lorsque les chercheurs n'auront plus besoin de ces cellules embryonnaires et que l'interdit sera impossible à rétablir ?

Mme Yvette Roudy - Vous soulevez des problèmes qui ne se posent pas.

M. Jean-François Mattei - En 1994, aviez-vous imaginé le clonage reproductif ?

Mme Yvette Roudy - Non !

M. Jean-François Mattei - J'ai ma réponse ! Nous sommes ici pour prévoir.

Madame Roudy, je respecte vos convictions. Voici la mienne.

Il serait à l'honneur de la France de mettre en _uvre tous les moyens de recherche sur les cellules souches d'origine adulte afin d'être dans le wagon de tête sur ce sujet plutôt que de se glisser dans le fourgon de queue dans la recherche sur les cellules embryonnaires. En conscience, je ne crois pas être prêt à renoncer définitivement à un des principes fondateurs de notre société dans des circonstances incertaines. Qu'on le veuille ou non, l'utilisation des cellules d'embryons surnuméraires n'est pas sans conséquence sur nos repères essentiels.

Toute la difficulté vient de ce que le principe kantien, qui consiste à agir de telle sorte que l'homme soit toujours une fin et jamais un moyen, devient impossible à appliquer puisqu'en l'occurrence c'est dans le but de sauver des vies humaines qu'on se décide à en utiliser d'autres. C'est la quadrature du cercle.

Au total, dans ce débat, nul ne peut prétendre détenir la vérité. Je suis confiant : si notre histoire est émaillée de drames et de tragédies, il me semble évident que l'homme a progressé dans son humanité. Pourtant, ces pouvoirs inédits que j'évoquais sont un défi crucial, la science semblant aller beaucoup plus vite que les consciences.

Jamais l'homme ne s'est trouvé en situation d'être à la fois la fin et le moyen de son action. Avec les biotechnologies, c'est un nouvel équilibre qu'il faut trouver. Le progrès dit-on, doit être au service de l'homme et non l'homme un instrument du progrès. L'enjeu est là !

Au-delà des références philosophiques ou religieuses de chacun, on ne peut méconnaître cette part d'incertitude qui s'étend sur le début et la fin de la vie. Bien avant que de parler d'un Dieu, l'homme a révélé sa dimension métaphysique lorsqu'il a commencé à enterrer ses morts, exprimant ainsi pour le moins un doute sur le fait que la vie ne s'arrête pas définitivement avec la mort. Il reconnaissait la dimension sacrée qui fonde la dignité de l'homme.

Jamais l'homme n'a cessé de se demander quand il avait commencé et quand il finirait d'exister. C'est pourquoi il est légitime, sur des sujets de cette importance, d'être prudents, vigilants, et de ne pas compromettre l'avenir.

Nos contemporains, il faut bien l'admettre, acceptent de moins en moins que la loi pose les normes de la vie sociale, et attendent surtout d'elle qu'elle garantisse leur liberté. Je ne suis pas sûr qu'il ne faille pas, en ce domaine, veiller à notre responsabilité dans le maintien du lien social, reconnaître l'autre comme un semblable dans un système commun, être conscients que tout le monde ne pourra pas, sur la planète, accéder à toutes ces techniques fort coûteuses, et que de nouvelles possibilités créent toujours de nouvelles inégalités, de nouvelles barrières entre les personnes.

C'est pour toutes ces raisons que j'ai voulu soulever différents points susceptibles de déroger à la dignité de la personne et, partant, à notre Constitution. Les articles 3, 7, 18 et 19, en particulier, mériteront d'être déférés au Conseil constitutionnel.

Bergson disait : « L'avenir n'est pas ce qui arrivera, c'est ce que nous en ferons ». C'est pour moi le fondement de la politique. C'est notre responsabilité qui est engagée, et c'était donc la mienne que de dire ma conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Je n'ai pas l'intention de refaire la présentation technique du projet : d'autres l'ont déjà fait, excellemment. Ce texte important est fait pour les personnes malades, et j'en suis heureux. Traduisant l'ensemble des préoccupations du corps social, il sera le reflet des valeurs de notre société, et la synthèse de deux exigences parfois contradictoires : ne pas entraver la recherche et la connaissance, ne pas porter atteinte à la dignité de l'homme.

Notre débat d'aujourd'hui est celui, éternel, de l'homme face au progrès scientifique. Souvenons-nous de la première transplantation cardiaque, de l'effroi suscité par l'idée que l'on puisse vivre avec le c_ur d'un autre, avec, craignaient certains, des passions venues d'ailleurs - et il n'était pas indifférent que cela se passe en Afrique du Sud. Aujourd'hui, non seulement la question ne se pose plus, mais la technique elle-même s'est banalisée et a fait des progrès gigantesques.

Toute découverte inquiète, fut-elle porteuse de grands espoirs : ainsi, notre capacité à maîtriser une reproduction non sexuée et non aléatoire marque-t-elle la fin de l'humanité, voire l'avènement de ce que certains appellent une « post-humanité » ? Le débat sur le progrès est aussi vieux que la science elle-même, et chaque découverte bouleverse l'ordonnancement du monde, les valeurs et les croyances qui lui préexistaient. Déjà, la Grèce antique rejetait ses penseurs trop libres d'esprit. Au Ve siècle avant Jésus-Christ, le philosophe Anaxagore fut banni pour ses théories sur l'astronomie et la cosmologie, qui mettaient en cause le Panthéon, ainsi que les liens entre la religion et l'Etat. Socrate, accusé de corrompre la jeunesse, dut boire la ciguë. Plusieurs siècles après, Giordano Bruno fut brûlé vif sur ordre de l'Inquisition pour sa théorie sur l'infinité de l'univers. Tout au long de l'histoire, les libres penseurs furent ainsi chassés par les bien-pensants, avant que ceux-ci, tôt ou tard, finissent par s'apercevoir de leur erreur, et les innovations par s'imposer, qu'on le veuille ou non.

La question demeure cependant : le progrès est-il, pour l'homme, menace ou accomplissement ? C'est au siècle des Lumières que l'on a vu en lui l'allié du bonheur, que l'idée de progrès a pris la valeur thérapeutique, presque dogmatique, d'une croyance infinie en l'avenir, au point que l'on a pu parler de « religion du progrès ». C'était également une erreur, et l'on en est revenu aussi.

Si notre débat d'aujourd'hui est spécifique, c'est d'abord parce qu'il a trait à la manipulation du vivant, laquelle inquiète bien davantage, on peut le comprendre, que les progrès de l'informatique, de la physique ou de l'astronomie. Si la loi de 1994 encadrait des pratiques déjà courantes, il s'agit aujourd'hui d'encadrer a priori, de façon anticipée, des innovations émergentes, ou attendues pour les années à venir. Ainsi, par exemple, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires : la seule façon de savoir si les fameuses lignées cellulaires que l'on pourrait obtenir grâce à elles ont un réel intérêt thérapeutique est d'autoriser la recherche, sans certitude aucune quant à ses résultats. Quand le possible approche et que la recherche préfigure la thérapie, il faut la laisser progresser, et l'un des éléments qui différencient le plus notre débat de celui de 1994 est précisément la vitesse à laquelle progresse la recherche biomédicale. Interdire une technique aujourd'hui, c'est risquer de voir l'interdiction contournée demain, par une autre technique que l'on n'aura même pas imaginée.

Deuxième élément nouveau : l'exigence éthique qui émane des citoyens eux-mêmes face à ces enjeux. Ils souhaitent identifier et comprendre les questions éthiques que soulève leur propre accès aux biotechnologies, qu'il s'agisse de consentir à un prélèvement pour don, d'accepter une greffe ou de recourir à la fécondation in vitro. Le consentement de chacun doit être libre et éclairé, non seulement pour les soins courants, comme le veut le projet de loi sur les droits des malades, mais encore, et surtout, pour ces techniques nouvelles, porteuses d'espoirs immenses et de questions éthiques aussi vertigineuses que concrètes. Que signifie le désir d'enfant lorsqu'il conduit à ne plus savoir s'arrêter dans le recours aux techniques de procréation assistée ? Qu'implique le fait de vivre sa vie durant avec un organe greffé ? Que faire des résultats d'un test génétique susceptible de révéler une prédisposition à une maladie grave ? Pourquoi savoir ? Faut-il choisir de ne pas savoir ?

Quant aux questions que posent aux parents les progrès du diagnostic prénatal, nous en avons eu un aperçu avec les débats autour de l'arrêt Perruche.

Le citoyen souhaite se réapproprier le débat public ; nous devons répondre à ses demandes.

Cela illustre aussi le fait qu'aujourd'hui, les sujets médicaux sont au c_ur des débats de société. Ils occupent en fait une place trop étriquée dans les grands projets politiques. De notre capacité à prendre en charge les questions de santé et d'éthique -sans cesse mêlées- dépend la confiance de nos concitoyens.

Enfin, promulguer des lois nationales n'aura qu'une portée limitée en l'absence d'harmonisation européenne sinon mondiale. La France et l'Allemagne ont d'ailleurs proposé à l'ONU qu'une résolution ou un organisme particulier répertorie les interdits dans ce domaine qui valent dans le monde entier.

M. Jacques Myard - Il n'y a pas d'autre solution.

M. le Ministre délégué - L'autre solution, c'est que l'interdiction du clonage reproductif soit inscrit dans notre Constitution (Assentiment sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - L'interdiction de tout clonage.

M. le Ministre délégué - Aujourd'hui, en tout cas, les frontières n'existent plus guère : on achète des ovocytes en Californie, on offre une assistance médicale aux couples homosexuels en Belgique, on pratique l'euthanasie aux Pays-Bas. Mais pour harmoniser, il faut convaincre. Or nos convictions ne sont pas universelles. Il faut en particulier convaincre nos amis d'Amérique. Je l'ai dit, nous avons commencé à le faire avec le ministre de la santé d'Allemagne.

Pour conclure, il nous faut trouver l'équilibre entre le respect de nos valeurs qui nous font rejeter le clonage reproductif, et celui des malades qui attendent des solutions de la recherche sur l'embryon. On peut difficilement leur dire qu'il y aura des cultures de cellules un jour. Leur attente est dans l'immédiat, et ils nous disent que cela existe ailleurs. Sans retenir complètement cet argument, notre recherche ne peut rester à la traîne. Je suis partisan donc d'aller de l'avant et nous devrions convaincre nos amis européens, - qui le sont presque déjà- d'avoir une démarche commune dans ce domaine.

La double exigence que j'ai mentionnée - respect des valeurs et attente des malades - doit nous inspirer en ce qui concerne le clonage thérapeutique. Peut-on arguer que l'on ne sait pas si le clonage thérapeutique est nécessaire et que d'autres techniques auront peut-être des résultats plus prometteurs ? Je pense que non. Dans peu de temps, nous serons poussés à évoluer dans le sens de la recherche, qui est source d'un progrès. Il ne peut être muselé et nous pouvons seulement le différer un peu.

Entre fascination pour le progrès et inquiétude, ce qui doit nous guider, c'est avant tout le service rendu à la personne malade. D'autres questions devront être examinées, comme l'attitude envers les personnes en fin de vie. Ces questions importantes et complexes méritent des réponses réfléchies pour satisfaire à la demande du citoyen. Le débat qui se déroule aujourd'hui, comme en 1992, nous permet de faire avancer la compréhension de la biologie. Ne le ramenons pas à des idéologies. La science rattrape et dépasse toutes les idéologies (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Marie Le Guen - La Constitution a, si j'ose dire « bon dos » M. Mattei a plutôt parlé du fond des choses, sous prétexte d'une question d`irrecevabilité. Mais c'est assez habituel.

Qu'en est-il donc de l'argument ? M. Mattei nous a conseillé de prévenir les difficultés constitutionnelles en même temps qu'il tentait de les souligner dans le texte. Nous allons travailler avec sérieux, et il n'y a aucune raison de passer a priori sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

M. Jacques Myard - Chat échaudé craint l'eau froide.

M. Jean-Marie Le Guen - Bien sûr, Monsieur Myard, vous serez sûrement de ceux qui ne se priveront pas de saisir le Conseil constitutionnel, comme un certain nombre de députés qui, finalement, sont surtout réticents sur le fond.

En effet, du point de vue constitutionnel, nous avançons sur un terrain assez ferme. S'agissant des greffes par exemple, le Conseil constitutionnel a déjà répondu en 1994. Quant aux embryons surnuméraires, dans sa décision du 27 juillet 1994 sur la loi bioéthique, il a déjà estimé que le principe du respect de tout être humain n'est pas applicable à l'embryon surnuméraire, et qu'il appartenait au Parlement d'apprécier, au regard des connaissances et des techniques, dans quelles conditions la recherche sur les embryons surnuméraires peut être admise.

Ce fondement juridique étant assez consistant, nous pourrons débattre de questions tantôt techniques, tantôt éthiques, pour légiférer sans choquer ni effrayer. Reste que nous avons des conceptions différentes du progrès et des moyens de soulager une humanité souffrante qui demande à être soignée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de Mme Christine Boutin une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Christine Boutin - Mme Guigou a conclu son propos par une allusion à Christophe Colomb. Je commencerai le mien en faisant la même référence.

Les Indiens du Nouveau Monde, rencontrés en 1492 par Christophe Colomb, étaient-ils de race humaine plutôt qu'animale et donc digne d'être traités comme nos semblables ? La question peut aujourd'hui surprendre, pour ne pas dire choquer, tant la réponse nous paraît évidente. Les conquistadores avaient pourtant quelques raisons d'hésiter, certains indigènes étant anthropophages ou pratiquant des sacrifices humains. Et leur interrogation était loin d'être uniquement théorique car de la réponse dépendait une série de conséquences pratiques. Compte tenu des intérêts en jeu, comme il était tentant de dénier à l'adversaire la qualité d'être humain, en se fondant sur les anciennes théories de « l'esclave par nature » chères aux Grecs ! Selon ces derniers, l'humanité devait s'entendre par degrés, ce qui justifiait les traitements indignes réservés à ceux qui étaient réputés ne pas pouvoir se gouverner eux-mêmes.

Cinq siècles plus tard, l'humanité des Indiens d'Amérique reconnue grâce au combat mené par des hommes de conviction parmi lesquels le dominicain Bartolomoe de Las Casas, la conscience que nous avons du massacre des indigènes du Nouveau Monde nous laisse encore un sentiment de culpabilité collective. Et cette page de notre histoire montre combien, dans le feu de la découverte, aux prises avec des données inédites et loin de ses repères habituels, l'homme manque de discernement moral.

Et comment ne pas voir qu'en ce début de millénaire, nous nous sommes lancés à l'assaut, nous aussi, d'un nouveau continent que nous avons baptisé « Bioéthique » ? Comment ne pas comprendre que les conquistadores d'aujourd'hui ont troqué leurs armures contre certaines blouses blanches, leurs arquebuses contre des éprouvettes ? Comment ne pas réaliser que les indigènes de cette terre inconnue portent le nom d' « embryons » ? Tout comme pour les Indiens du XVe siècle, on leur conteste le respect dû à toute personne humaine. Ces nouveaux indigènes n'ont pas d'or mais sont riches de cellules. Et la fin justifiant toujours les moyens, l'embryon est lui aussi condamné à l'esclavage, un esclavage froid et aseptisé, dans l'attente d'être pillé dans son intégrité physique. Indiens d'Amérique, Indiens de « Bioéthique », frères de la même infortune, victimes de la même absence d'une autorité régulatrice, capable d'anticiper les passions humaines...

Mme Yvette Roudy - Alors ça !

Mme Christine Boutin - Ce devrait être à nous, parlementaires, de fixer les limites législatives de l'acceptable. Force est malheureusement de constater que nous sommes beaucoup plus souvent enclins à dire « oui » qu'à trouver le courage de dire « non ». Avons-nous à ce point peur des interdits, alors que la psychanalyse nous a démontré cent fois l'impact structurant de la norme ? Sommes-nous à ce point tributaires du monde scientifique ? Avons-nous à ce point sacrifié notre liberté d'élu sur l'autel de la nécessité utilitariste ?

Notre conscience, nous l'avons soulagée en éludant, en 1994 comme en 1975, la question fondamentale du statut de l'embryon. Dès lors, toute discussion est oiseuse. Comment pourrions-nous sereinement réviser des lois fondées sur le postulat biaisé selon lequel il est impossible, en l'état actuel de nos connaissances, d'affirmer si l'embryon humain est ou non une personne digne de respect ?

Le Comité consultatif national d'éthique a tenté, dans un avis du 22 mai 1984, de répondre à la question de la nature de l'embryon : « L'embryon ou le f_tus doivent être reconnus comme une personne humaine potentielle qui est ou a été vivante et dont le respect s'impose à tous ». L'adjectif « potentielle » gâche tout car si l'embryon est « une personne humaine potentielle », il est présumé moins humain qu'un adulte, ce qui justifie par avance le fait qu'on sacrifie l'embryon surnuméraire au profit d'un adulte atteint d'une maladie. En somme, le respect dû à l'embryon ou au f_tus s'impose à tous, sauf lorsque de son existence dépend celle d'une personne parvenue à un stade d'humanité plus évolué que le sien. Cette rhétorique de « l'humanité croissante » est le fruit d'une confusion entre les notions de personne et de personnalité. Si la personnalité progresse au cours de la vie grâce à l'expérience, au contact avec les autres et à la réflexion, la personne est, elle intangible, de même que sa dignité. Autrement dit, la personne est ou n'est pas mais ignore les différences de degré. Elle ne saurait être « potentielle ».

Et quand bien même il serait scientifiquement prouvé que l'embryon ou le f_tus ne méritent pas la qualité de personne humaine, l'anthropologie et la morale nous commanderaient de les respecter comme telle, car nous, politiques, avons le pouvoir et le devoir de limiter, au nom de principes fondamentaux qui leur sont supérieurs, certaines avancées scientifiques lorsqu'elles compromettent la dignité de notre humanité.

C'est bien de notre humanité qu'il est question aujourd'hui. En effet, lequel d'entre nous n'a pas été un embryon ? Chacun de nous est la preuve vivante que l'histoire de l'embryon, c'est la nôtre. Certes, notre personnalité a évolué dans le temps, en permettant que se développent certains talents propices à la fonction de député, mais notre personne est restée immuable. C'est pourquoi le respect qui est dû à ma personne aujourd'hui est le même que celui qui m'était dû il y a un mois, le même que celui qui m'était dû il y a un an, le même que celui qui m'était dû lors de mon enfance, le même enfin que celui qui m'était dû lors de ma vie intra-utérine. La science elle-même ne nous confirme-t-elle pas que la vie de l'être humain commence dès la fécondation ? Dès ce moment, il possède l'entièreté de son patrimoine génétique, en tout point semblable à celui de l'adulte à venir.

De plus, les découvertes les plus récentes nous permettent d'entrevoir toute la richesse de la vie intra-utérine. L'être qui se développe in utero est sensible à la voix ainsi qu'à la musique, il dort, il rêve, il peut subir des traumatismes... Nier ces observations reviendrait à nier la science, aux jugements de laquelle, par ailleurs, nous nous remettons systématiquement.

Les règles qui encadrent le traitement réservé à l'embryon sont en passe de devenir le monopole de ceux qui le manipulent, ceux-là même qui ne lui reconnaissent pas la qualité de personne humaine. Nous avons donné tout pouvoir aux scientifiques de parler avec l'autorité dévolue autrefois aux oracles. Paradoxalement, ces « spécialistes » se mettent à parler en généralistes de l'humanité alors qu'il leur manque le recul d'une vision globale qui est l'apanage du décideur politique. Comprenez bien que ce ne sont pas tant les scientifiques que je fustige que nous, hommes et femmes politiques dont la démission est à l'origine des dérives éthiques actuelles. C'est pourtant aux responsables politiques de s'assurer que le bien commun et le bien de chacun sont préservés, de mesurer les enjeux et les risques. Et ils ne sauraient dans cette fonction s'abriter derrière un Comité d'éthique. C'est à eux d'arbitrer.

Il est donc nécessaire que nous reprenions courageusement les rênes du débat bioéthique, étant entendu que les « spécialistes » dont j'ai parlé ne sauraient être à la fois juge et partie.

Notre civilisation sera jugée par les générations futures à l'aune du traitement qu'elle aura réservé au plus petit et au plus faible d'entre les siens. Il est donc vital que nous repartions de l'embryon en posant solennellement le principe juridique scientifiquement fondé et philosophiquement préférable selon lequel sa dignité est respectable en soi et de manière inconditionnelle, l'embryon étant considéré comme une personne humaine.

Ce préalable acquis, nous pouvons appréhender le contenu du projet. La recherche sur les embryons surnuméraires pose trois problèmes : l'existence même desdits embryons, leur exploitation, la justification de cette exploitation.

Force est de constater que la fécondation in vitro implique une logique de surproduction. On produit en général bien plus d'embryons qu'on ne pourra en réimplanter.

Pour maximiser les chances de réussite de la procréation médicalement assistée sans nuire à la santé de la femme, on tente d'en obtenir un maximum, dont seuls les plus « performants » seront réimplantés, les autres étant congelés. La technique de la fécondation in vitro fait ainsi de l'embryon un produit « stockable ». Elle ouvre la possibilité d'un « marché de l'embryon » ou des « dons d'embryon » pour la procréation ou la recherche, et celle d'allonger à l'infini le temps de la gestation humaine. Le bilan est affligeant : nous avons en France, selon des statistiques fluctuantes, de 30 000 à 300 000 « personnes humaines potentielles dont le respect s'impose à tous », pour reprendre la définition du Comité consultatif national d'éthique, congelées dans l'attente que l'on statue arbitrairement sur leur destin. Que faisons-nous face à ce scandale et au risque de dérives ? Rien. Il faut donc immédiatement suivre un pays comme l'Allemagne, qui interdit de prélever plus de trois ovocytes lors d'une PMA et exige la réimplantation de tous les embryons. Si nous l'avions fait, comme je l'ai proposé en 1994, nous ne serions pas aujourd'hui dans l'impasse. Pour la plupart d'entre nous, la création d'embryons aux seules fins de recherche reste injustifiable. Il est hypocrite de l'affirmer tout en prétendant tirer bénéfice du stock injustement créé. Il faut, d'autre part, protéger les embryons congelés qui ne trouvent pas de couple pour les accueillir.

Deuxième problème : l'exploitation des embryons surnuméraires. La recherche sur l'embryon, donc sa « chosification » comme matériau d'expérimentation, inacceptable en soi, soulève en outre des interrogations quant à son objet. En effet, les chercheurs ne s'intéressent pas tant à leur potentialité thérapeutique immédiate, puisqu'il est probable qu'il y ait incompatibilité entre les médicaments obtenus et les éventuels receveurs qu'à la mise à disposition d'un matériel de recherche novateur avec, surtout, l'eldorado des cellules souches embryonnaires. La recherche sur ces dernières est bien pour le moment une recherche sur embryon qui n'a rien de thérapeutique. Le rapport du groupe d'experts de l'Académie des sciences au ministre de la recherche reconnaît qu' « un long travail sera nécessaire pour mettre au point les conditions de culture des cellules souches embryonnaires avant qu'on puisse réellement en exploiter les propriétés » et que leur utilisation thérapeutique passe par cette étape de recherche fondamentale et par la résolution du problème de la compatibilité immunologique entre les cellules souches embryonnaires et le receveur. Les résultats sont donc hypothétiques. En autorisant la recherche sur l'embryon surnuméraire, nous commettrions une faute - dénier à l'embryon le respect dû à une personne humaine - en nous réfugiant hypocritement derrière une certitude douteuse.

Dernier problème. La justification de l'exploitation des embryons surnuméraires. Comble de l'ironie, alors qu'une majorité de personnalités reconnaissent l'imbroglio éthique dans lequel nous place ce stock démesuré d'embryons surnuméraires, personne n'ose proposer de solution. Tous se complaisent dans un fatalisme qui veut que, tant qu'il y aura des couples dont le seul espoir réside dans la PMA, le stock d'embryons surnuméraires croîtra.

C'est ainsi que l'on justifie les « transgressions » au respect de la vie commençante par la souffrance des personnes concernées, afin de réduire toute contestation au silence. Or les solutions préconisées comportent des risques et ne sont pas aussi « neutres » qu'on veut nous le faire croire. Nombre de femmes ne sont-elles pas blessées à vie par les répercussions psychiques d'une réduction embryonnaire présentée comme « facile » ? Derrière ces échecs, sourd la faillite de la philosophie utilisatrice d'après laquelle une action est légitime si et seulement si elle procure du plaisir ou soulage des douleurs. On entrevoit les limites d'une telle démarche, dès lors que le plaisir supposé de l'un occasionne des douleurs réelles, seraient-elles silencieuses pour un autre.

C'est encore au nom de cette philosophie utilisatrice que s'exprime Axel Kahn qui n'a pourtant rien d'un savant fou... En quoi serait-il plus respectueux vis-à-vis d'un embryon humain, s'interroge-t-il, de le détruire en le décongelant sans ménagement, plutôt que de le soumettre à une recherche de qualité dont on espère un accroissement des connaissances et des moyens de lutte contre l'infertilité ou les maladies de développement ? Si l'argument est séduisant, nous savons que l'embryon a déjà été conçu puis congelé « sans ménagement » dans des conditions industrielles. Rappelons que 30 % des embryons meurent lors de la congélation. M. Kahn et beaucoup d'autres justifient leur position par la « solidarité » entre une « vie qui n'adviendra pas » et « d'autres vies humaines dans le futur ». Non content de pousser la tartuferie jusqu'à feindre que c'est là un « honneur » que l'on fait à l'embryon, on lui confère injustement le statut de mort. La vérité est que cette « vie » n'adviendra pas parce que nous ne le lui permettrons pas : l'embryon humain est viable dès lors que sont réunies les conditions propices à sa croissance. Or l'exploitation d'un individu vivant, quel que soit son état, au profit de la collectivité est porteuse d'une dérive totalitaire que nous devons refuser quitte à frustrer le désir de faire progresser la recherche. Peut-on d'ailleurs parler d'avancée quand celle-ci s'opère au détriment de la dignité d'une seule vie ?

On me rétorquera que l'embryon en question ne fait plus l'objet d'un projet parental. Du seul point de vue juridique, la notion de « projet parental » comme critère d'humanité est extrêmement dangereuse. Elle soumet l'existence légale à la volonté d'autrui, ce qui est contraire à toute logique juridique. Du point de vue philosophique, le raisonnement selon lequel l'embryon n'a la qualité d'être que si on la lui reconnaît ne démontre rien. Du point de vue logique, enfin, où s'arrête cette notion qui requiert des frontières temporelles ? L'arbitraire qui entache la fixation de ces frontières, révèle celui de la notion de « projet parental ». Un enfant abandonné, donc sans projet parental , ne reste-t-il pas un enfant ? Le cas de ces médecins, qui ont refusé de garantir à un couple de sourds les enfants sourds qu'ils réclamaient, montre que le corps médical reprend vite le pouvoir, selon sa propre logique sur un désir parental. La notion de projet parental ne résiste donc pas à l'analyse. Avec elle, l'humanité serait réversible à merci et l'on pourrait perdre puis regagner son humanité suivant les aléas d'un désir parental naturellement versatile. Nul être humain ne peut être défini par le désir d'autrui.

Nous ne pouvons donc autoriser une quelconque recherche sur la personne de l'embryon.

Ce texte traite aussi du clonage. A l'occasion du débat de 1994 sur les lois bioéthiques, j'avais proposé, par amendement, que toute tentative de création de clone ou de chimère à partir d'êtres humains soit interdite. On m'avait alors ri au nez et opposé qu'il s'agissait là de science-fiction. Trois ans plus tard, la fiction a rattrapé la réalité avec Dolly, premier mammifère cloné. Je redéposais alors, sans plus de succès, une proposition de loi visant à interdire le clonage humain. Entre-temps a circulé une pétition émanant de scientifiques qui réclamaient un « moratoire général sur le clonage » en distinguant le clonage reproductif, objet de l'appel, et le clonage dit thérapeutique, dont on entendait obtenir l'autorisation.

L'opposition au clonage reproductif fait l'unanimité sur nos bancs, mais ce n'est pas le cas pour le clonage thérapeutique. Aussi pouvons-nous rendre grâce au Conseil d'Etat d'avoir pris position l'année dernière contre le clonage thérapeutique, sans quoi le Gouvernement l'aurait intégré au projet de loi. Je crains fort toutefois que ce calme ne précède la tempête. Je m'inquiète de voir l'exposé des motifs mentionner le « lignage cellulaire à visée thérapeutique », ou le titre premier du chapitre IV se résumer à « Interdiction du clonage reproductif ». Pourquoi ce titre n'englobe-t-il pas toute forme de clonage humain ? La rumeur confirme mes craintes : le Gouvernement succombant au chant des sirènes scientistes compterait réintroduire le clonage thérapeutique par amendement.

Les raisons de mon opposition farouche au clonage thérapeutique, en dépit des espoirs qu'il fait miroiter, sont simples. Tout clonage humain implique actuellement une expérimentation sur l'embryon pour le respect duquel j'ai déjà plaidé. Ensuite, il n'existe qu'une forme de clonage, même si certains ont tenté de travestir la vérité en proscrivant ce mot inquiétant au profit d'expressions telles que « lignage thérapeutique ». La distinction entre le clonage thérapeutique et le clonage à visée reproductive est plus que subtile : seule change la finalité. La technique est la même : le transfert de noyaux de cellules somatiques. Le clonage reproductif suppose qu'on laisse l'embryon accomplir ses divisions cellulaires pour être implanté au stade du bouton embryonnaire dans l'utérus. Le clonage thérapeutique suppose, quant à lui, de plonger le bouton embryonnaire dans des bains spécifiques afin de différencier les cellules selon l'état voulu.

Le clonage thérapeutique n'est donc rien d'autre qu'un clonage reproductif interrompu au bout de cinq ou six jours et il y a donc création d'un embryon à des fins de recherche, puis utilisation de cet embryon. J'ajoute que ce clonage ne mérite pas le qualificatif de thérapeutique, car cloner ne soigne rien. Le principe de finalité thérapeutique, règle majeure en médecine, exige qu'aucun traitement agressif ne soit tenté sur un corps si ce n'est pour lui apporter un bénéfice. Cet abus de langage ne vise qu'à rendre le clonage attractif. On a menti aux Français : tout clonage est reproductif par essence !

Par ailleurs, les risques de surenchère en matière d'expérimentations sur l'embryon humain vont faire apparaître une nouvelle forme d'exploitation, dont les victimes toutes désignées seront les femmes des pays pauvres. Déjà, on dénonce des trafics d'ovocytes, denrée rare mais indispensable lorsqu'on entend manipuler les embryons. Et, en dépit de toutes les barrières juridiques ou géographiques, à la marge de ce que nous pourrions autoriser et que je conteste, s'ouvrirait naturellement une nouvelle forme de trafic.

Toute cette discussion est faussée dès lors qu'on refuse de prendre en compte la dignité de l'embryon humain. Eh bien, il est temps ! Prenons le parti de l'embryon, même si cela implique de renoncer à certains traitements, d'ailleurs pour un temps seulement car on sait les perspectives nouvelles qu'ouvre la recherche sur les cellules souches adultes. Il ne s'agit bien évidemment pas de renoncer au progrès scientifique, qu'il ne s'agit que de maîtriser. Mais beaucoup attendent de la France le signe qu'elle rejette l'idéologie utilitariste à laquelle d'autres pays ont déjà cédé. Résistons aux pressions et donnons leur ce signe !

Les générations futures considéreront-elles qu'Orwell était un prophète, que nous sommes ceux qui ont permis la « chosification » de leur propre chair, qui ont accepté la création en chaîne d'êtres humains, qui ont sacrifié une personne au profit d'une autre, avec la bénédiction de la collectivité et du pouvoir politique ? J'espère de tout c_ur qu'ils diront au contraire que nous sommes ceux qui ont su, les premiers, regarder l'embryon avec le c_ur, qui ont compris qu'une souffrance, aussi insupportable soit-elle, ne mérite pas qu'on utilise tous les moyens pour y répondre, si cela implique qu'on y perde son âme, ceux qui, finalement, auront été assez libres pour ne pas transiger avec la réalité.

Je vous demande donc de voter cette question préalable afin que nous différions le vote de ce projet tant que nous n'aurons pas inscrit expressément dans la loi que tout embryon mérite d'être aimé et donc d'être inconditionnellement respecté (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche - Je vous ai écoutée avec attention et estime car vous avez exprimé sincèrement des convictions respectables.

Il me semble néanmoins difficile de dire que des pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui admettent l'utilisation des cellules souches embryonnaires, s'inscrivent uniquement dans une conception utilitariste. Je crois, au contraire, que les préoccupations éthiques et spirituelles y sont partagées par les citoyens et par les dirigeants.

Par ailleurs, les résultats thérapeutiques de l'utilisation des cellules souches ont commencé à apparaître : au cours de l'été dernier, des biologistes de l'université du Wisconsin ont produit des cellules sanguines qui pourraient être utilisées dans les transfusions et ceux de l'université d'Haifa des cellules de muscle cardiaque qui pourraient être injectées dans le c_ur des victimes d'infarctus. On est donc assez proche d'applications thérapeutiques qui permettront de sauver des vies qui ne pouvaient l'être jusque-là.

Le texte prévoit, me semble-t-il, un encadrement de l'utilisation des cellules d'embryons qui répond au moins en partie, à vos préoccupations. Ainsi, les membres du couple seront systématiquement consultés sur l'utilisation des cellules surnuméraires. Si leurs convictions s'y opposent, elles seront entièrement respectées.

De surcroît, nous rappelons que l'utilisation de ces cellules, dans une finalité exclusivement médicale, ne pourra être conduite qu'à défaut d'une autre méthode d'efficacité comparable, il s'agit bien sûr des cellules souches adultes. Aucune recherche ne bénéficie donc d'un a priori et nous continuerons à explorer simultanément toutes les voies.

J'ajoute que je suis entièrement d'accord avec vous : les pouvoirs publics ne sauraient laisser les experts, fussent-ils aussi compétents que le Comité national consultatif d'éthique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou le Conseil d'Etat, décider à leur place. Il nous faut, bien sûr, entendre leur avis, mais la décision appartient aux élus du suffrage universel. Il y a toutefois quelque paradoxe à refuser de s'en remettre aux autorités non élues tout en n'ayant de cesse de citer leurs avis...

Nous l'avons vu à l'occasion de nombreux autres textes, tous les députés ne partagent pas les mêmes conceptions spirituelles, morales, éthiques, et c'est heureux en démocratie. Mais nous légiférons de façon générale, pour l'ensemble de la nation, en application du principe de laïcité inscrit dans la Constitution. Il est ainsi impossible de choisir telle conception plutôt que telle autre, les choix doivent reposer sur le libre consentement des personnes concernées, en l'occurrence les membres du couple. En outre, puisqu'il ne saurait y avoir de réponse unique et rationnelle aux questions que vous posez, de tels débats nous laissent avec nos incertitudes et chacun doit s'en remettre à l'éthique qu'il juge conforme aux valeurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Avec votre sens de la formule vous avez, Madame Boutin, parlé de « continent bioéthique », « d'indigènes », d' « embryons esclaves », de « pillage », d' « eldorado » et j'avais parfois l'impression de me trouver dans un western.

Plus sérieusement, vous êtes totalement fermée à l'idée de faire progresser la recherche, donc l'humanité. Eh bien, parce que nous avons la volonté inverse, parce que nous voulons que s'ouvre un débat digne et serein, nous rejetterons cette question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Même si elle vient au plus mauvais moment, à cheval sur deux législatures, la révision des lois bioéthiques de 1994 devenait urgente. Il est grand temps que le Parlement examine comment tenir compte de l'expérience acquise et de l'évolution scientifique et médicale qui s'accélère.

Dans un domaine aussi délicat, qui touche à l'essence même de notre condition humaine, aux confins ténus de la science et de la conscience, on n'a pas le droit d'être approximatif. C'est pourtant le cas de la disposition qui interdit la recherche sur embryon mais autorise les études qui ne portent pas atteinte à son intégrité. Comment distinguer étude et recherche ? Comment savoir si l'embryon est intact, sinon en le remettant dans le ventre de sa mère ?

Les lois de 1994 présentent aussi des lacunes regrettables, sur le devenir des embryons surnuméraires, sur l'éventuel transfert des embryons congelés après le décès du père, sur la stimulation ovarienne hors fécondation in vitro, mais aussi sur l'assistance médicale à la procréation, qui n'est pas encadrée de façon suffisamment rigoureuse.

Or la science a fait des progrès spectaculaires. La technique de fécondation in vitro s'est répandue, entraînant la multiplication des embryons surnuméraires ; celle de l'ICSI supplante en partie l'insémination avec tiers donneur ; la transdifférenciation des cellules souches adultes se révèle prometteuse ; les avancées en matière de clonage, de sécurité sanitaire sont également considérables.

Même si nous légiférons avec trois ans de retard, nous manquons de recul sur plusieurs sujets tout simplement à cause de l'absence ou du retard d'un certain nombre de décrets d'application : diagnostic préimplantatoire ; accueil de l'embryon ; registre des refus, ouvert depuis trop peu de temps pour savoir si l'expression du refus équilibre le principe du consentement présumé, énoncé dans la loi Caillavet.

Il est donc nécessaire d'ajuster les lois de bioéthique en fonction de l'état actuel de nos connaissances et pour quelque temps... car beaucoup de problèmes restent devant nous, dont, pour certains, nous ignorons jusqu'à l'existence. Dans les domaines des embryons surnuméraires en déshérence et de la thérapie génique, il est même nécessaire d'aller vite.

Cependant, une nouvelle loi « à la française » s'impose-t-elle quand il existe maintenant des textes de référence internationaux ?

En 1994, nous faisions figure de pionnier. Depuis, des législations internationales sont apparues, mais sans se traduire par un système normatif très contraignant pour les droits nationaux.

Le seul traité qui intéresse directement la bioéthique est la convention d'Oviedo largement inspirée par la réglementation française, et en voie d'être complétée par des protocoles additionnels sur les transplantations d'organes, les xénogreffes ou l'embryon. Ratifiée par 5 Etats, elle n'est pas applicable en droit français car pour le moment notre pays l'a simplement signée. En revanche, la directive européenne sur les brevets a un effet direct en droit français.

Il existe surtout des textes de droit international, résolutions ou déclarations, qui ont une simple valeur déclarative, et une fonction incitative, et participent à la création d'un droit souple, évolutif, dans laquelle la France a un rôle à jouer.

Nous voilà au pied du mur, face à notre liberté, mais il me semble, avec le philosophe Levinas, que cette liberté est seconde par rapport à la responsabilité. Face à autrui, je suis convaincue que nous ne sommes pas libres d'assumer ou non notre responsabilité. En revanche, il nous appartient d'appliquer des principes éthiques, parmi lesquels le Conseil d'Etat a distingué le droit à l'information, le consentement des intéressés et l'interdiction de réaliser des profits avec des éléments et produits du corps humain.

Ces trois principes sont présents dans les dispositions relatives au droit de la personne et à l'examen génétique de ses caractéristiques, d'une part, au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, d'autre part.

Mais il n'en va pas de même en ce qui concerne la procréation et l'embryologie où, passant plus facilement outre aux principes d'information et de consentement, il ne reste, si nous n'y prenons pas garde, que l'interdiction de profit pour nous démarquer des Anglo-saxons pour qui les embryons et les f_tus ne sont que des personnes potentielles. Le médecin et le législateur deviennent alors de simples prestataires, le premier de services, le second de justifications juridiques a posteriori de l'évolution des m_urs.

Il nous faut affirmer un autre principe, celui du droit fondamental à la vie et à l'intégrité physique de tout être humain depuis sa conception jusqu'à sa mort. En effet, tous les biologistes conviennent maintenant qu'il n'y a aucune solution de continuité dans le nouveau « processus humain », dont, s'il est placé dans des conditions adéquates, le développement débouchera inéluctablement sur la naissance d'un être humain.

Ce nouveau « processus humain » doit être d'autant plus respecté qu'il est admis qu'un ensemble d'informations psycho-socio-culturelles guident, dès sa conception, le développement psychique de l'être humain. Revenir sur ce droit fondamental de l'embryon à la vie, à un développement digne, remettrait en cause le système de valeurs sur lequel repose la société.

Cette position n'est pas toujours facile à tenir, et se traduit par un certain nombre de contradictions. Il est peu cohérent pour le Conseil constitutionnel d'affirmer que la protection de la vie dès son commencement relève d'une exigence constitutionnelle et de laisser le législateur libre d'en déterminer le champ d'application. La convention bioéthique du Conseil de l'Europe qui reconnaît la dignité de l'être humain dès le début manque de logique quand elle renvoie son application au droit interne des Etats. Il y a une réelle incohérence pour un texte juridique à poser un principe, puis à en laisser l'appréciation à ses destinataires.

Cependant, le droit à la vie n'est pas absolu.

« L'idée s'est fait jour que les principes sur lesquels repose la loi actuelle n'obligent pas à une protection uniforme de l'embryon à la naissance, mais à une protection graduelle », dit le Conseil d'Etat. Cette idée conduit-elle à justifier des recherches sur l'embryon ?

L'argument de la liberté de recherche est juridiquement irrecevable, car il tend à mettre en concurrence les droits fondamentaux et les exigences de la science. Non, Monsieur Kouchner, la loi n'est pas là pour accompagner l'innovation médicale, encore moins pour courir après la science !

En revanche, la protection de la santé publique relève incontestablement du respect des droits fondamentaux. Il convient de distinguer cette exigence collective de santé publique du droit à la protection de la santé d'un individu. Le sacrifice des embryons pour des raisons de santé publique est incompatible avec la protection de la dignité qui leur est par ailleurs reconnue.

Un compromis entre cette valeur attachée au respect de l'embryon et l'intérêt de la science ou des malades étant impossible à réaliser, la loi doit poser des repères fermes et des entraves librement et démocratiquement consenties, quitte à inviter la communauté scientifique à explorer des voies nouvelles.

Celles-ci existent déjà. À l'heure actuelle, la littérature scientifique ne témoigne pas de résultats très probants concernant les cellules souches embryonnaires. Dans la recherche, on n'est jamais près du résultat. On obtient le résultat ou non. En revanche, les capacités de prolifération des cellules souches adultes apparaissent de plus en plus importantes. De plus, ces cellules peuvent être greffées sans rejet chez la même personne alors qu'on ne sait rien de l'acceptabilité à terme par un organisme vivant de cellules embryonnaires étrangères.

Enfin à ceux qui objectent qu'en refusant la manipulation des embryons, on condamne la légalisation de l'avortement, je réponds que ces deux choses n'ont rien à voir.

Le respect de tout être humain, depuis sa conception et jusqu'à sa mort, n'exclut pas des « ratés ». La part du feu, si j'ose dire, ce sont la pilule du lendemain, le stérilet, l'avortement ou la mort des embryons surnuméraires abandonnés, une part du feu dont on peut espérer qu'elle perdra du terrain.

D'un tout autre ordre est l'acceptation de réifier ces embryons. D'autant qu'à terme la pression sera sans doute irrésistible pour produire des embryons à des fins uniquement de recherche.

Mme Christine Boutin - C'est évident !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - C'est avec cette grille de lecture, après une très longue réflexion, que le groupe UDF, dans sa majorité, abordera les différents aspects de ce projet.

Certains en jugent autrement, comme Axel Kahn pour qui il n'est pas envisageable de produire des embryons en dehors d'un projet parental, mais qui demande l'utilisation pour la recherche des embryons qui ne sont pas réimplantés. Ils définissent des « critères d'humanité ». Or, si on exige certaines capacités pour être reconnu humain au début de la vie, on risque d'en exiger de même au cours de la vie et plus encore en fin de vie.

D'autres s'arrogeant le droit de fixer un seuil d'humanité s'apprêtent à expérimenter une toute nouvelle technique, sur les embryons surnuméraires mais aussi sur les embryons obtenus à partir du transfert de noyaux de cellules somatiques tout en refusant leur implantation in utero.

D'autres enfin vont vers une recherche sans limites, officiellement condamnée par tous aujourd'hui...mais qu'en sera-t-il demain ?

Que répondre à ces esprits forts ? Que la raison ne suffit pas à fonder la limite, mais que la limite permet de retrouver la raison.

Cette discussion nous donne l'occasion de nous interroger sur le sens et les fonctions sociales et symboliques du droit. Le sujet humain n'est pas indifférent aux institutions du droit. Instituer vient de « status » : se tenir debout. C'est vrai pour les sujets humains, c'est vrai pour les sociétés humaines (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Alain Calmat - Ce projet a fait l'objet d'une longue préparation, et si je ressens une certaine satisfaction qu'il vienne aujourd'hui en première lecture, je suis également frustré à l'idée que son examen ne sera pas achevé avant le terme de la législature, alors même que la formidable évolution de la science depuis 1994 rend urgente la mise à jour de notre arsenal législatif. Je m'attacherai, pour ma part, à trois aspects du texte : la création de l'Agence, le clonage thérapeutique, la sécurité sanitaire.

Notre pays va se doter d'une nouvelle structure, l'APEGH, qui permettra, surtout si les amendements de la commission sont adoptés, de mieux encadrer activités et protocoles, et surtout d'assurer une veille scientifique grâce à laquelle le Gouvernement pourra réagir avec célérité, et non plus au gré des révisions quinquennales de la loi, aux évolutions de la science - je pense en particulier à la question de l'ICSI, technique qui s'est imposée dans un vide juridique complet.

Quant à l'autorisation, sous conditions, de la recherche sur l'embryon humain, elle permettra non seulement d'améliorer les techniques de fécondation in vitro au bénéfice de l'embryon lui-même comme des couples concernés, mais encore de mieux comprendre le développement de l'embryon, avec la perspective, même si le chemin est long encore, de nouvelles thérapies susceptibles de combattre certaines maladies dégénératives, ou encore le diabète, voire le cancer. Il est vrai que nous restons, ce faisant, au milieu du gué, tant il semble inéluctable à nombre de scientifiques que le clonage thérapeutique, au demeurant déjà autorisé, sous certaines conditions, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, se pratique tôt ou tard dans notre pays, permettant ainsi d'obtenir des cellules immunologiquement compatibles avec celles du patient et des possibilités de différenciation plus importantes que celles des cellules souches adultes. Cela dit, il est d'autant moins urgent de l'autoriser que les retombées thérapeutiques concrètes ne sont pas attendues, selon les chercheurs, avant une décennie. Attendons plutôt que se dissipe le spectre du clonage reproductif à partir du nucléocyte, et élaborons un encadrement législatif très strict afin d'éviter les dérives. Je ne crois pas, pour ma part, qu'il faille le faire dans la hâte, même si je suis favorable au principe.

Je ressens, enfin, une grande satisfaction, comme rapporteur de la loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, en constatant, bien que le sujet ait été quelque peu passé sous silence, que le présent projet tient le plus grand compte des précautions sanitaires prises depuis 1998.

Dans le titre II, relatif au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, il est notamment affirmé que la recherche de la sécurité sanitaire doit couvrir toutes les étapes, du prélèvement à la greffe, y compris la préparation des éléments prélevés. Concernant l'utilisation du sang humain à des fins scientifiques, la liste des produits thérapeutiques est complétée, et le dispositif étendu aux exportations et importations destinées à la recherche. Il est également réaffirmé que les règles de sécurité sanitaire s'appliquent aux organes utilisés dans le cadre de recherches biomédicales. En outre, le produit cellulaire sera sécurisé dans tous les cas : il devra, pour être administré, être autorisé par l'AFSSAPS après évaluation des procédés de préparation par des opérateurs eux-mêmes habilités. Enfin, l'AFSSAPS sera informée des activités de conservation ou de transformation d'éléments et produits du corps humain réalisées sur le même site que des activités de même nature exercées à des fins scientifiques.

Dans le titre III, relatif aux produits de santé, l'article 13 définit très clairement les impératifs de sécurité sanitaire, au même titre que ceux requis pour les spécialités pharmaceutiques, et soumet ces préparations, de même que leur importation et leur exportation, à l'autorisation de l'AFSSAPS.

Au-delà des questions éthiques et politiques, ce projet apporte également, vous le voyez, des réponses satisfaisantes aux problèmes de sécurité sanitaire. Je le voterai, ainsi que les amendements de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Marc Laffineur - Nous entamons, une fois de plus, une discussion purement virtuelle, car après avoir repoussé deux ans durant l'examen de ce texte, vous lui ôtez toute chance d'être adopté et promulgué d'ici la fin de la législature, compte tenu des contraintes du calendrier parlementaire. Il s'agit, comme pour la loi sur l'eau, d'un simple affichage médiatique, d'un nouveau coup politique, alors que le sujet méritait mieux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Les questions que nous allons aborder se situent à la frontière du droit et de l'éthique, ce qui ne signifie pas qu'elles se situent aux confins de la mission du législateur. Depuis 1994, date de la dernière loi sur la bioéthique, la science a considérablement évolué. Les découvertes extraordinaires se sont multipliées et accélérées ces dernières années, faisant naître de nouveaux espoirs de traitement de la maladie et de la souffrance. Or, notre droit n'est plus adapté à ces nouveaux enjeux. C'est ce vide juridique qu'il nous appartient de combler aujourd'hui. Notre rôle est de concilier progrès de la science et respect du droit, de tracer le cadre des recherches et des pratiques médicales, de préserver l'équilibre entre les valeurs éthiques, l'évolution de la société et les possibilités nouvelles offertes ou promises par la science.

Le projet qui nous est présenté comporte un certain nombre d'ambiguïtés et d'imprécisions, que mon confrère Jean-François Mattei a brillamment exposées. Si la législation relative aux dons d'organes doit être revue pour faire face à la pénurie que connaît notre pays aujourd'hui, je crains que les dispositions retenues ne soient inadaptées. S'agissant des personnes décédées, on réaffirme le principe du consentement présumé, déjà posé par la loi de 1976, mais qui n'a pas jamais été mis en _uvre dans les faits, car l'on s'attache à recueillir le consentement exprès de la famille : s'il y a pénurie d'organes, ce n'est pas à cause du silence de la loi, mais à cause de son non-respect. S'agissant des donneurs vivants, en revanche, le dispositif pèche plutôt par excès d'efficacité. Le lien entre donneur et receveur doit être « étroit et stable ». Mais faute de le définir précisément, on risque d'encourager la vente d'organes.

L'article 3 permet de recourir aux empreintes génétiques post mortem, sauf si la personne a exprimé une opposition de son vivant. Or lorsqu'un homme refuse de se prêter à un test de paternité, le tribunal considère son refus comme un aveu de paternité. S'il refuse un prélèvement après sa mort, on en tirera, de son vivant, la même conclusion. En outre, cette possibilité de recourir aux empreintes génétiques post mortem est ouverte trop largement. Mieux vaudrait l'interdire, sauf exception.

Enfin, nous avons confirmé l'accouchement sous X qui permet à une femme de mettre au monde un enfant sans qu'il ait jamais connaissance de l'identité de sa mère. Pourquoi permettre la recherche de paternité alors que la femme a ainsi le choix de ne pas assumer la maternité ? D'ailleurs, le désir d'accéder à ses origines paternelles justifie-t-il qu'on banalise l'exhumation des corps, qu'on foule aux pieds le respect de la volonté de chacun, de sa dignité, ou de son repos éternel ? Enfin, il y aura rupture d'égalité entre les demandeurs selon que la personne décédée est enterrée ou incinérée.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon, il faut concilier le respect de la personne humaine potentielle et la liberté de la recherche. Il faut aussi se montrer solidaire des malades qui espèrent en la recherche. Cependant il faut distinguer la recherche qui profitera à d'autres embryons et qui se justifie pleinement - elle doit être autorisée mais encadrée - de l'utilisation des embryons comme simple matière première, qui doit être interdite.

Certes, les cellules souches embryonnaires sont particulièrement adaptées pour remplacer des cellules vieillissantes. Mais les cellules souches adultes semblent présenter les mêmes potentialités et comme leur utilisation ne pose aucun problème éthique, il faut encourager la recherche en ce sens.

En outre, on évitera ainsi tout risque d'instrumentaliser l'embryon et de passer, car la frontière est infime, au clonage thérapeutique, qui risque lui-même de dériver vers le clonage reproductif. De même, si les cellules souches embryonnaires deviennent un matériau thérapeutique, on risque de voir se développer un marché des ovules, surtout dans les pays où il existe peu de contraintes.

Pour éviter de telles dérives, il est opportun de mettre en place un encadrement évolutif qui permette de s'adapter aux progrès de la science sans avoir besoin de toujours réviser la loi. C'est dans ce but que le projet crée une nouvelle agence. Nous sommes d'accord sur le principe, mais ses missions sont mal définies et faute de garantie sur sa composition, les scientifiques pourraient y être surreprésentés, alors qu'il faut assurer un équilibre avec les politiques et les représentants de l'opinion.

Enfin, je regrette que ce texte ne comporte pas de disposition sur la brevetabilité du génome humain. Pourtant, malgré la directive européenne de 1998, l'exploitation des gènes comme matière première de biotechnologie n'est pas soumise à brevet, seuls les procédés et les produits étant brevetables.

M. Jean Launay - Très bien !

M. Marc Laffineur - Nul ne s'oppose à une révision des lois bioéthiques, mais votre texte répond imparfaitement aux nouveaux enjeux scientifiques et éthiques, sans prendre assez en compte les risques de dérive. On touche pourtant ici aux fondements mêmes de la vie humaine. Le sujet, qui aurait mérité un vrai débat, n'est pour vous que l'occasion de faire un effet d'annonce. C'est pourquoi, en l'état, je voterai contre ce texte.

M. Jean Proriol - Très bien !

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Ce projet est pour moi le texte majeur de la législature, même si, sous le gouvernement de Lionel Jospin nous avons voté nombre de lois importantes pour accompagner les évolutions de la société française.

Alors que la science progresse si rapidement, il nous faut aujourd'hui trouver un équilibre entre l'éthique et la dignité humaine, le progrès technique et l'interdiction de commercialiser les éléments du corps humain. Ayant conscience de ces évolutions qui font surgir sans cesse de nouvelles interrogations, le législateur avait prévu un nouvel examen des lois sur la bioéthique cinq ans plus tard. Elles sont effectivement dépassées sur certains points. Ainsi une nouvelle technique de procréation médicament assistée mise en _uvre dix mois après la promulgation des textes n'est pas encadrée. En 1994, nous avions bloqué toute recherche sur l'embryon. Aujourd'hui, il faut imaginer un système évolutif valable sur le long terme sans abandonner la philosophie de la loi.

Ce projet est l'aboutissement de nombreux rapports préparatoires, notamment celui présenté par M. Claeys en 2001, dont un certain nombre de recommandations ont été retenues. Le Gouvernement y manifeste sa volonté d'encadrer la recherche sur l'embryon en interdisant clairement le clonage reproductif, à la fois dans le code civil et dans le code de la santé publique. Mais soucieux de l'amélioration des soins aux malades incurables, le projet autorise les recherches sur les embryons in vitro constitués dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, mais qui ne font plus l'objet d'un projet parental, seulement si les deux membres du couple y ont expressément consenti, et dans des conditions bien encadrées par les ministres de la santé et de la recherche. La nouvelle agence, l'APEGH, rendra des avis publics sur les protocoles de recherche sur l'embryon. En commission, l'enjeu a été de lui donner un pouvoir plus large, sans qu'elle se substitue au politique, afin de la rapprocher de l'agence britannique qui fait autorité dans ce domaine.

Le projet améliore aussi les conditions de dons d'organe en rendant le recueil de consentement systématique et en assouplissant les conditions des dons. Les prélèvements sur un donneur vivant sans bénéfice direct pour lui seront soumis au consentement exprés devant magistrat. Pour les personnes décédées, la règle du consentement présumé s'appliquera ; en cas de nécessité absolue de santé publique on pourra ne pas tenir compte d'un refus. Le cercle des donneurs était limité aux proches, mais cette restriction n'est plus justifiée en raison des progrès réalisés en ce qui concerne la tolérance immunitaire.

Moyennant des conditions strictes, le projet élargit le champ des donneurs vivants à toute personne majeure et capable, ayant avec le receveur des liens étroits et stables. Un amendement adopté en commission précise que ce lien doit être « affectif », afin de prévenir tout risque de contractualisation.

Le projet précise les droits des personnes en matière d'examen génétique. Dans le cadre d'une procédure judiciaire, l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne décédée ne sera possible que si celle-ci n'y a pas fait opposition de son vivant. Nous avons précisé en commission que le consentement à des prélèvements et examens génétiques devait être exprès et écrit, la personne devant être préalablement informée de la nature et de la finalité de cet examen. Cette modification évite que des résultats d'analyses génétiques soient détournés de leur objet premier. Un autre amendement important rend obligatoire la consultation d'un proche ou d'une personne de confiance avant de réaliser un examen ou une identification génétique sur une personne malade hors d'état d'exprimer sa volonté.

Ces modifications sont dans l'esprit du projet de loi relatif aux droits des malades qui exige un consentement « éclairé », qui introduit la notion de personne de confiance et qui interdit toute discrimination du fait de la connaissance des caractéristiques génétiques d'une personne. Tout cela témoigne d'une volonté globale d'améliorer les droits des usagers du système de santé.

Nous devons avoir aussi à l'esprit la nécessité d'aller vers une plus grande harmonisation des législations. C'est pourquoi il me semble nécessaire que le Parlement puisse simultanément discuter de la révision des lois bioéthiques de 1994 et autoriser la ratification du traité d'Oviedo. Une telle concordance témoignerait de la volonté du législateur d'insérer son action dans la perspective d'un véritable droit international de la bioéthique.

Dans le même esprit, je présenterai un amendement visant à inscrire dans la loi l'interdiction de la brevetabilité du vivant. Nos concitoyens s'inquiètent en effet des risques de commercialisation du corps humain induits par la directive européenne de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

J'en viens à une question qui me tient à c_ur : le don d'organes. Compte tenu de la pénurie actuelle, certaines associations suggèrent que le consentement au don d'organes soit inscrit sur les papiers d'identité. Je présenterai un amendement en ce sens.

Il faudrait aussi sensibiliser davantage la population au don d'organes, à la fois par des débats citoyens et par de grandes campagnes nationales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Michel Dubernard - Enfin !... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Hélas ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du Gouvernement) .

« Enfin », car ce débat, nous l'attendions depuis près de trois ans. Mais le Gouvernement et la majorité ont multiplié les consultations et les rapports pour finalement déposer un projet en juillet et l'amener en séance à trois mois de la fin effective de la législature ! Le plus étonnant c'est que le rapport du Conseil d'Etat, publié dès novembre 1999, a largement inspiré ce projet !

« Hélas ! » car, après cette première lecture, il ne se passera plus rien jusqu'à l'automne. Effet d'annonce, posture préélectorale... La méthode s'applique aussi à la loi sur l'eau et à la correction de la loi sur la présomption d'innocence...

Plusieurs députés socialistes - Il ne faudrait plus examiner aucun texte ?

M. Jean-Michel Dubernard - En tout cas, si vous vouliez un débat serein, il fallait choisir une période autre que préélectorale.

À la question « faut-il légiférer ? » le groupe RPR répond oui, et il est grand temps de le faire. C'est pourquoi nous avons choisi de ne pas déposer de motion de procédure (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

N'avions-nous pas d'ailleurs prévu de revoir les lois de bioéthique dans un délai de cinq ans, soit avant le 29 juillet 1999 ? Il faut dire que des domaines comme l'assistance médicale à la procréation, la génétique prénatale et postnatale, les greffes de tissus et d'organes, les thérapies cellulaires et géniques évoluent très vite et que le développement des sciences de la vie depuis 1994 a dépassé tout ce que nous aurions pu imaginer. Qui aurait pu prévoir en 1994 la réalisation des premières greffes composites de tissus chez l'homme ? Qui aurait pu, en 1994, prédire la naissance de la brebis Dolly deux années plus tard ? Et qui aurait pu, par conséquent, songer alors à s'inquiéter des possibilités de clonage reproductif de l'être humain ?

Un an après Dolly, qui aurait pu imaginer la découverte, dans l'embryon humain, puis le f_tus, puis les tissus adultes, des cellules souches, susceptibles de fonder une nouvelle médecine régénératrice pour des maladies et des souffrances aujourd'hui réputées incurables ? Le traitement des séquelles d'infarctus du myocarde, de certains diabètes, de certaines formes de la maladie d'Alzheimer apparaissent à portée de main.

Les chercheurs ne poursuivent qu'un but : celui de sauver la vie ou d'améliorer la qualité de la vie des malades. Ce sont des êtres humains comme les autres, qui ont une morale. L'encadrement législatif et réglementaire qu'ils ont à respecter est déjà lourd, prenons garde à ne pas l'alourdir encore, au risque de démotiver nos chercheurs, qui déjà sont assez nombreux à quitter le pays.

Mais oui, il faut légiférer pour que les nécessaires avancées de la science s'inscrivent dans le respect des grands principes éthiques énoncés dans le code civil en 1994, au premier rang desquels celui de la primauté de la personne, son respect dès le commencement de sa vie, l'indisponibilité de son corps.

Oui, il nous faut légiférer parce que nous sommes les garants des droits de l'homme depuis la déclaration universelle de 1789 mais aussi parce que depuis 1994, plus que jamais nous sommes les garants des droits de la personne humaine. Il nous faut le faire avec humilité, prudence mais aussi responsabilité. Humilité, parce que les thèmes abordés sont complexes. Je rends ici hommage à toutes les instances parlementaires et non parlementaires qui nous éclairent de leurs avis et de leurs rapports.

Prudence, parce que le droit ne saurait anticiper la science. D'ailleurs, quel chercheur pourrait sérieusement prédire sa prochaine découverte ? Nous sommes donc bien conscients du caractère transitoire de certaines dispositions que nous serons amenés à prendre.

Responsabilité, enfin car il nous faut d'abord comprendre pourquoi notre procédure de réexamen de la loi n'a pas fonctionné. Pourquoi le législateur s'est-il retrouvé en situation de ne pas appliquer sa propre loi, la pire des situations dans un État de droit ?

Les retards pris dans la parution de certains décrets d'application, parfois au-delà de la date limite que nous avions fixée pour le réexamen de la loi, font, que les premières équipes autorisées aux pratiques de l'accueil d'embryons ou à celles du diagnostic préimplantatoire l'ont été plus de cinq ans après la promulgation de la loi. Le premier petit Français né à la suite d'un diagnostic préimplantatoire est venu au monde dix ans après le premier petit Britannique. Au prix de combien d'interruptions médicales de grossesses pour certaines, de quel tourisme médical pour d'autres ?

Si nous avions corrigé plus tôt les lois bioéthiques, nous aurions évité l'affaire Montand et l'affaire Perruche, pour ne citer que celles-ci.

Il appartient à l'exécutif gouvernemental de nous expliquer pourquoi il a attendu 2002 pour faire ce qui aurait légalement dû être fait en 1999 ? L'application de la loi révisée aura dans les faits été portée à dix ans, puisque dans le meilleur des cas, le présent projet ne sera adopté qu'en 2003, les décrets d'application ne paraissant qu'en 2004.

Nous allons devoir nous montrer à la fois imaginatifs et déterminés pour éviter de retomber dans pareille situation. Il y va de notre crédibilité. Pour sa part, le groupe RPR ne saurait accepter de se démettre de responsabilités qui, selon lui, incombent à la représentation nationale. Il fera donc des propositions.

Nous devons accroître notre vigilance et mieux harmoniser ce qui relève du législatif et ce qui relève de l'exécutif, dans le respect de notre Constitution.

Nous restons fidèles à l'esprit du rapport fondateur « sciences de la vie : de l'éthique au droit » commandé en 1988 à M. Braibant par le Premier ministre Jacques Chirac (Sourires sur les bancs du groupe socialiste). Gardons-nous d'enfermer les sciences de la vie dans une loi normative, laissons-les évoluer dans le cadre législatif à travers une instance forte, représentative et consultative au service du Gouvernement, mais aussi du Parlement.

Aucun débat ne doit ici être éludé, des plus médiatiques - je pense au clonage - aux moins tapageurs et qui touchent à la vie quotidienne. Je pense à tous ceux qui souffrent dans l'attente d'un don d'organe, de tissus ou de gamètes ou d'une victoire de la recherche, sans oublier les malades qui, plus loin, n'ont pas accès à toutes les thérapies.

S'agissant du sujet le plus médiatisé, le clonage, il nous faut, après Dolly et la saisine en 1997 du CCNE par le Président de la République, interdire catégoriquement le clonage reproductif...

Mme Yvette Roudy - Nous sommes d'accord.

M. Jean-Michel Dubernard - ...dans la ligne de l'action de la France et du Conseil de l'Europe et de la condamnation solennelle par l'ONU le 9 décembre 1998.

Quant au clonage thérapeutique, nous ne devons pas l'autoriser : la priorité est de mieux connaître les cellules souches. La constitution d'embryons à des fins de recherche doit être interdite : elle instrumentaliserait l'embryon humain de manière inacceptable.

Nous avons défini cette position à l'issue d'un examen minutieux du texte et de la réflexion de notre mouvement, animée par Jacques Toubon, ancien Garde des Sceaux.

Le sujet exige que chacun d'entre nous vote en conscience, mais j'expose ici les convictions de la grande majorité de notre groupe.

Nous nous garderons de tout obscurantisme comme de toute fantasmagorie : l'éthique biomédicale n'est ni la science de l'angoisse, ni celle de l'espoir.

Comme l'écrivait le professeur Jean Hamburger, la loi de l'homme s'impose de plus en plus à la loi de la nature. C'est souvent pour le progrès, parfois pour le pire, pour la barbarie niant la dignité de la vie et de la personne humaine.

La loi est donc nécessairement une conciliation évolutive, qui doit protéger la dignité sans supprimer la liberté, accroître la qualité de la vie sans bafouer la dignité.

J'essaierai de le démontrer tout au long du débat, à propos tant de l'examen des caractères génétiques, des dons et des greffes, que de l'extension des prélèvements d'organes au donneur vivant non apparenté, de l'autorisation encadrée de recherche sur les embryons surnuméraires, de l'élargissement des conditions du don de gamètes en vue d'AMP, de procréation, d'embryologie et de transfert post mortem, ou encore de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines que nous saluons comme un progrès.

Le réexamen de la loi de 1994 est, à l'évidence, un échec : la nouvelle loi sera applicable en 2004, dix ans - au lieu de cinq - après la promulgation de la première.

Le temps de la loi, celui de la science et celui des m_urs doivent impérativement être rapprochés si l'on veut préserver la légitimité de la démocratie. Le Parlement et le Gouvernement ne doivent pas être dépossédés de leur pouvoir par des autorités administratives indépendantes ou par les acteurs de la recherche et de la médecine.

Le groupe RPR propose donc une innovation institutionnelle que je qualifierais de législation continue, se substituant à la révision périodique, qui apparaissait comme un atout de notre loi et s'avère être un handicap. L'Etablissement français des greffes et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé remettraient chaque année, au cours du premier semestre, un rapport au Parlement sur l'application des dispositions de la présente loi qui les concernent. D'autre part, le rapport du haut conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines prévu à l'article 1417-3 du code de la santé publique est remis au Parlement au moment de sa publication.

Dans un délai de six mois suivant la remise des rapports, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, après avis du Comité national consultatif d'éthique, proposerait au Parlement les modifications de nature législative lui paraissant nécessaires.

Sur la base de ces propositions le Parlement pourrait, conjointement avec le Gouvernement, prendre l'initiative d'une révision de la législation existante. Sur la même base, le Gouvernement pourrait prendre, après avis du Conseil d'Etat, les décrets correspondant aux modifications proposées. Ce mécanisme assurerait l'adaptation aux progrès scientifiques dont on peut difficilement prévoir l'échéance.

Il ne pourrait malheureusement entrer en vigueur qu'après la promulgation de ce texte. Ne devrions-nous pas dès lors saisir à titre transitoire l'office parlementaire d'évaluation, afin de pouvoir trancher d'ici la fin de l'année sur les questions les plus urgentes, à mon sens celles des donneurs vivants, de la recherche sur l'embryon et de la non-commercialisation du génome humain.

Nous bouleverserions ainsi utilement un calendrier qui risque de nous piéger au détriment de la démocratie, de l'éthique et de la science. Comment pourrions-nous conduire les négociations internationales que nous avons engagées si le législateur français n'a pas pris position ? J'espère que nous saisirons cette opportunité et que ce débat, malgré les conditions dans lesquelles il intervient, nous permettra de poser les véritables questions et de leur apporter des réponses dignes du rang qu'occupent notre science et notre médecine dans le monde, des valeurs de la République et de nature à renforcer la démocratie de participation. Le groupe RPR y prendra une part active dans l'esprit d'innovation et de responsabilité seul susceptible de nous valoir la confiance des Français (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Mme Yvette Roudy - Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Bravo !

M. Roger Meï - La révision de la loi sur la bioéthique votée en 1994 était prévue pour 1999. Nous sommes en janvier 2002.

Deux ans de retard, c'est beaucoup pour une période où l'on a assisté aux premiers résultats des recherches menées sur les cellules souches embryonnaires, à la première tentative de clonage humain à finalité thérapeutique, à la naissance du premier bébé sélectionné par diagnostic pré-implantatoire, à l'obtention par une firme privée d'un droit exclusif sur le patrimoine génétique des habitants des îles Tonga et au vote de la loi mettant un terme à la jurisprudence Perruche.

Deux ans de retard, c'est beaucoup, surtout à l'approche d'élections importantes. Nous risquons de voir le débat gangrené par des préoccupations politiciennes sans commune mesure avec les enjeux philosophiques et éthiques du texte.

Voter la loi en première lecture revient d'ailleurs à renvoyer l'adoption à la prochaine Assemblée nationale. A quand le vote définitif ?

Les travaux de la commission spéciale ont été menés pour l'essentiel par nos collègues spécialistes, et nous étions peu nombreux à nous faire l'écho des interrogations de chaque citoyen.

Je pense donc que la révision de la loi de 1994 nécessitait un grand débat national auquel le train du génome ne saurait suffire. La révision des lois de bioéthique aura ainsi été une occasion manquée.

Il fallait que les citoyens s'expriment sur ces questions qui touchent à notre morale, à notre éthique, à nos croyances et à notre philosophie.

J'ai organisé ce débat dans ma ville, de manière contradictoire avec Jean-François Mattei, que je remercie. Il a mobilisé de nombreux Gardannais et d'autres débats ont réuni un public nombreux. Il existe donc une vraie demande. En matière de droits des personnes, le texte interdit la discrimination des individus en fonction de leurs caractéristiques génétiques.

Le risque le plus aigu réside en effet dans une sélection par les entreprises lors du recrutement et par les compagnies d'assurances. Si le projet de loi pare à ce risque, des moyens détournés d'obtenir ces informations subsistent.

Les enjeux économiques sont évidemment considérables.

Sous prétexte d'éviter la création de pseudo-coopératives regroupant des assurés au « bon bilan génétique » ou de défendre les employeurs contre d'hypothétiques mises en cause de la part d'employés porteurs de susceptibilités génétiques, certains proposent de lever en partie cet interdit. La loi doit éviter toute dérive.

La brevetabilité du vivant demeure d'autre part un problème non résolu. Avec la course au séquençage du génome, de nombreuses sociétés cherchent à s'approprier notre patrimoine génétique. La médecine et l'industrie pharmaceutique vont, à partir de ce patrimoine, faire des découvertes extraordinaires. Nous devons donc nous élever contre le brevetage et la marchandisation du vivant car ce sont les principes de dignité et d'humanité qui sont ici en jeu. Il faut que le patrimoine humain échappe aux lois du profit ! Il faut aussi que le patrimoine génétique du vivant - je pense en particulier aux OGM - échappe à la marchandisation des grands trusts alimentaires !

Les trusts pharmaceutiques et médicaux savent qu'après la molécule chimique qui a fait leur fortune, l'avenir appartient à la génétique, l'exploitation du génome humain, du génome des êtres vivants, végétaux et animaux. La mondialisation leur ouvre un marché extraordinairement rentable. Quelques officines, quelques chercheurs essaient de garder la main sur des découvertes faites lors du séquençage du génome, de jouer à l'apprenti sorcier avec quelques prouesses techniques. Ainsi, un médecin italien s'est déclaré prêt à tenter le clonage humain reproductif ; tel autre tire des royalties de sa découverte d'un gène.

Il faut donc que la loi sur la bioéthique exprime avec force le refus de l'appropriation du génome humain, patrimoine inaliénable de l'humanité - ce que les hommes de foi appellent le sacré - comme de l'ensemble du génome du vivant.

Parce que ces sujets sont au c_ur de la bioéthique, le groupe communiste défendra un article additionnel qui vise à interdire la brevetabilité du vivant.

Il faut distinguer ce qui relève du patrimoine et ce qui, à partir de la connaissance de tel ou tel gène, relève de l'invention et qui peut légalement être commercialisé. En la matière, certaines législations sont permissives, mais le plus grand nombre de pays ne disposent d'aucun texte en la matière. Cela doit-il nous empêcher de réaffirmer nos valeurs, de fixer un cadre à la recherche ?

La France comme l'Europe peuvent jouer un rôle important pour imposer une législation mondiale sur la non-brevetabilité du vivant et sur le caractère inaliénable du patrimoine génétique, qui devraient relever de l'ONU et d'un tribunal pénal international.

En ce qui concerne les dons et l'utilisation du corps humain, le projet garantit un plus grand respect des droits et de la dignité des personnes, tout en s'efforçant de pallier la pénurie d'organes.

Il paraît d'abord nécessaire de mieux appliquer la loi Caillavet qui présume du consentement pour les prélèvements sur les personnes décédées. Le projet étend également la possibilité du don d'organes à toute personne majeure ayant un lien étroit et stable avec le receveur.

Malgré ces avancées, le texte ne règle qu'en partie le problème du consentement éclairé en matière de dons et d'utilisation du corps humain, notamment en ce qui concerne les données génétiques des patients. Il paraît nécessaire de mieux protéger l'intérêt des donneurs.

Une étude montre, qu'après deux ans, aucun des patients concernés par un travail clinique sur la prédisposition génétique au diabète ne se rappelle avoir donné son consentement à un prélèvement d'ADN. Pire, aucun ne semble savoir que celui-ci a été effectivement prélevé, stocké et a fait l'objet d'une analyse... Il semble donc que le recueil initial du consentement, aussi soigneux soit-il, ne suffise pas.

Si, à l'instar de la loi de 1994, le projet rappelle que les prélèvements ne peuvent être réalisés sans le consentement écrit de patients dûment éclairés, en pratique, le patient a-t-il les moyens de mesurer les risques et les enjeux ? Peut-il prendre les décisions adaptées ? Est-on assuré que son autonomie, sa dignité, sa liberté sont respectées ?

Il faut informer, revoir les patients, et aussi affirmer clairement que la relation entre le patient et son médecin n'est pas une prestation de service comme une autre.

Pour les produits de santé, le texte cherche à faciliter les recherches menées dans le domaine de la thérapie génique. Il instaure une distinction entre, d'une part, les « produits de thérapie génique » - des fragments d'ADN susceptibles de remplacer ou de corriger un gène défectueux responsable de la maladie -, à vocation industrielle et commerciale, qui seront dorénavant considérés comme des médicaments et, d'autre part, les « préparations de thérapie génique », qui ressemblent fort aux précédents mais qui sont utilisés à des fins de recherche scientifique et médicale.

En matière de procréation et d'embryologie, en interdisant le clonage reproductif, en assortissant cette interdiction d'une peine de vingt ans de réclusion, le texte rappelle ce qui fonde notre dignité, l'idée que chacun d'entre nous est unique et original.

En autorisant les recherches sur l'embryon, le projet marque la fin d'un tabou. Il s'agit d'ouvrir les possibilités de recherche sur les embryons surnuméraires. La grande majorité des scientifiques considèrent aujourd'hui que le projet de médecine régénérative - dont le principe consiste à remplacer les cellules usagées par des cellules jeunes identiques - ouvert par le clonage thérapeutique reste encore à l'état de promesse lointaine.

Les travaux de la commission ont fait évoluer ma position à ce propos : je pense que nous avons le temps, que les embryons surnuméraires et les cellules souches adultes offrent un terrain de recherche suffisamment riche. Evitons donc les risques de dérive, à partir du clonage thérapeutique, vers d'autres manipulations qui nous amèneraient sur la voie de l'eugénisme.

La future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines délivrera des autorisations aux projets de recherche, mais elle aura également un rôle d'évaluation, elle rendra des avis, elle alertera le Parlement. Si sa création nous paraît une nécessité, sa composition pose problème : nous souhaitons que les non-spécialistes y soient majoritaires et qu'elle s'ouvre largement aux femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente de la délégation aux droits des femmes - Très bien !

M. Roger Meï - On peut en outre se demander si, en lui laissant le pouvoir d'évaluer et de promouvoir toutes les décisions en matière de génie génétique, le Parlement ne s'exonère pas de ses prérogatives, notamment de la décision de réviser la loi. Pour notre part, nous proposons qu'elle soit réexaminée au bout de cinq ans.

En matière de diagnostic prénatal et d'assistance médicale à la procréation, l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines jouera un rôle consultatif tandis que les pratiques seront davantage encadrées.

La nouvelle loi soumet ainsi la mise en _uvre de nouvelle technique de PMA à une évaluation préalable.

Cela semble bien préférable à ce qui a été fait avec l'ICSI, découverte par hasard en Belgique, pratiquée sans le recul nécessaire de l'expérimentation et sans aucune application du principe de précaution et pour laquelle un ministre envisage des conséquences comparables à celles de l'affaire du sang contaminé.

Le projet propose d'en laisser le suivi à la nouvelle agence APEGH. Ce serait trop facile ! Nous devons nous montrer vigilants, empêcher certains de jouer aux apprentis sorciers. L'ICSI doit être encadrée et évaluée, il y va de l'avenir et de la santé d'enfants !

Et soyons en garde contre la tentation d'aller vers l'élimination de tous ceux qui ne seraient pas conformes à la « normalité », vers un eugénisme qui a alimenté l'idéologie nazie.

Le débat qui s'ouvre nous permettra d'améliorer encore un texte équilibré, ouvert, qui pose des garde-fous, qui respecte nos valeurs démocratiques de dignité et d'humanisme et que le groupe communiste considère donc d'un _il favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Foucher - L'évolution extraordinaire de la biologie est une des révolutions les plus vertigineuses de l'histoire humaine. Elle nous laisse émerveillés mais inquiets. Si les perspectives d'un monde meilleur, où les maladies incurables seraient vaincues, sont enchanteresses, les risques de dérive nous préoccupent car les plus faibles pourraient ne plus y avoir leur place. Or, refuser la différence réduirait considérablement les capacités d'adaptation des êtres humains.

La France a été le premier pays à vouloir encadrer les progrès de la science. Prévoyants, nous avions inscrit dans le texte le principe d'une révision au bout de cinq ans. Nous savions en effet que les avancées de la science se poursuivraient. Nous voulions aussi pouvoir débattre à nouveau des choix initiaux une fois qu'ils auraient fait leurs preuves, bonnes ou mauvaises. Aujourd'hui, nous abordons enfin ces sujets à nouveau. Je regrette que ce débat vienne si tard et que le texte ne puisse être adopté avant plusieurs mois.

En tant que membre des deux commissions spéciales, j'ai mesuré combien leurs travaux sont passionnants mais également complexes et difficiles. Et les choses ne sont guère plus aisées qu'en 1994 : la technique a évolué, elle est devenue très ardue pour le non-spécialiste. Mais notre conception des droits de l'homme, notre vision de la vie et de ses aléas, de la tolérance, ont également évolué.

Nombreux sont les sujets sur lesquels nous devons désormais nous prononcer en matière de bioéthique. La commission spéciale a mené un travail approfondi. Je remercie le président et le rapporteur, grâce auxquels les auditions et nos discussions ont été fructueuses.

Parmi les points cruciaux du projet figure la recherche sur les cellules embryonnaires, qu'il est important de limiter à l'obtention d'un bénéfice pour les embryons eux-mêmes. En effet, on peut considérer l'embryon comme un patient potentiel qui doit pouvoir bénéficier de soins.

En revanche, il ne me paraît pas concevable de considérer l'embryon comme une source de matière première à propriétés curatives. La recherche ne peut concerner que les embryons surnuméraires pour lesquels il n'existe plus de projet parental. Fabriquer des embryons humains à des fins de recherche nécessiterait en outre de mettre à disposition des chercheurs des ovocytes en grand nombre, ce qui créerait un véritable marché notamment auprès des femmes des pays pauvres, ou auprès de jeunes alléchées par un revenu non négligeable. Ce n'est pas de la science-fiction : aux Etats-Unis sont déjà publiées des petites annonces vantant la possibilité de payer ses études en vendant ses ovocytes. Il est donc impératif de développer des recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires provenant du cordon ombilical du nouveau-né.

Deuxième point important, le clonage thérapeutique. L'interdiction du clonage reproductif ne semble plus en France être remis en cause. Le débat sur le clonage thérapeutique, quasiment inexistant en 1994, a été relancé en raison de la décision de certains de nos voisins comme la Grande-Bretagne, de l'autoriser. Malgré les arguments avancés, que l'on peut entendre lorsque l'on est soi-même confronté à des situations très difficiles, je suis persuadé qu'il faut l'interdire également. En effet, l'un ne va pas sans l'autre. Comme l'a souligné un grand généticien, il n'est pas raisonnable de créer avec le clonage thérapeutique les conditions objectives du clonage reproductif si l'on veut interdire ce dernier. Nombreux sont les chercheurs qui pensent que si la porte est entrouverte, ils ne résisteront pas à la tentation de la franchir, parce que c'est le propre de l'homme d'aller voir ce qu'il y a de l'autre côté du miroir... La meilleure solution est donc d'interdire tout clonage. Certains d'entre vous penseront que l'on joue à se faire peur ; mais n'oublions pas que la technique utilisée pour le clonage thérapeutique est la même que la technique présidant au clonage reproductif.

Une autre interrogation majeure concerne l'élargissement de l'éventail des donneurs d'organes. Je suis personnellement assez réservé, même si je comprends que des liens étroits et stables constituent une raison acceptable d'ouvrir plus largement le don d'organes. C'est à l'évidence le manque de donneurs qui conduit à une telle mesure. On pense ainsi respecter les deux principes éthiques de gratuité du don et de la liberté du consentement. Est-ce bien sûr ? Ne vaudrait-il pas mieux recourir plus fréquemment au prélèvement d'organes provenant de personnes décédées ?

M. Jean-Michel Dubernard - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Foucher - La loi actuelle n'est pas appliquée, la règle du consentement présumé n'étant pas respectée. En outre, le registre national des refus ne joue pas son rôle. Pourquoi alors ne pas inscrire sur la carte Sésame Vitale l'accord ou l'opposition à des prélèvements d'organes sur son cadavre ?

Enfin, je m'interroge sur l'implantation d'embryons post mortem, qui crée d'immenses difficultés psychologiques. Alors que nous venons de voter une loi permettant aux enfants nés sous X de retrouver leurs origines, serions-nous prêts à fabriquer des orphelins de père en toute connaissance de cause ? Evidemment, en sens contraire, on peut comprendre qu'un décès brutal ait compromis un projet parental très élaboré, et que la future mère souhaite réaliser ce projet seule. Dans ce cas, le fait que le père est connu supprime le doute sur l'origine de l'embryon. Il n'est pas aisé de trancher.

Je souhaite que la France, qui fut la première à légiférer sur la bioéthique, puisse s'enorgueillir de ne pas céder aux sirènes de la recherche aveugle, à l'appât des marchés multimilliardaires de la biotechnologie ou à la tentation de l'eugénisme. En légiférant une fois de plus, notre pays montre sa foi en l'homme, tout en voulant donner à sa recherche les moyens de se développer dans un projet humaniste. Je me félicite des nombreuses interrogations qui se font jour sur tous nos bancs. Cela prouve que nous réfléchissons avec l'objectif de fixer ensemble un cadre assez souple du point de vue de la science et assez rigoureux du point de vue du respect de l'homme (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. André Aschieri - Les progrès de la médecine et de la biologie, leur vulgarisation, la part de fantasmes qui s'y attache modifient la conception de l'homme. Le gène est devenu, selon Dorothy Nelkin, un « véritable objet culturel ».

Il nous appartient de légiférer là où les peurs rencontrent la raison. Car il s'agit de la maîtrise totale de l'homme sur son espèce, de la modification du schéma aléatoire créé par la nature. Quelle révolution !

Je regrette le retard apporté à la révision des lois de 1994. La science évolue chaque jour et nous devons, en tant que législateurs, nous saisir des problèmes sociaux et moraux et non pas trouver des palliatifs a posteriori. Nous ne pouvons pas laisser les multinationales et les savants fous dessiner la société humaine de demain.

Mais ce retard aura permis au Parlement de réfléchir pendant trois ans. Je tiens à saluer les travaux accomplis par le groupe d'études « application des biotechnologies en génétique et problèmes éthiques » présidé par Jean-François Mattei, et par la commission spéciale présidée par Bernard Charles et animée par Alain Claeys. Michel Houellebecq annonce dans Les Particules élémentaires « un monde libéré de ses chaînes religieuses et morales donnant naissance à une nouvelle espèce ». Il annonce la fin de l'humanité telle que nous la vivons. C'est donc un débat éminemment sociétal qui nous réunit, et non une série de dispositions techniques et juridiques.

Chose ou personne ? Le débat reste ouvert. Introduite dans le code civil par les lois de 1994, la notion de corps humain marque une révolution. Reste que les lois de 1994 n'ont pas défini le corps humain, dont le statut conditionne les nouvelles pratiques géniques. Celles-ci, à commencer par le clonage, vont provoquer de nouvelles confrontations entre humanité et droit. Le droit est une science de l'esprit, gouvernée par la raison. Ce n'est pas à la biologie de diriger le droit, mais l'inverse.

L'évolution des m_urs pose aussi la question de l'adaptation du droit à celles-ci, comme le montre la réanimation néonatale : pendant longtemps, face au nouveau-né, le médecin se résolvait à l'inévitable. Les moyens techniques permettent aujourd'hui de le surmonter.

Le débat se trouve dès lors déplacé sur le bien-fondé des soins. Stérilisation comme moyen contraceptif, procréation médicale, les limites ne sont que morales. Ce qui est possible pour un couple, l'est techniquement pour une demande monoparentale. Je ne crois pas que la loi réponde à ces questions. Juridiciariser un principe, dans le cas de la procréation médicalement assistée, par exemple, peut revenir à l'affaiblir. Ainsi, faut-il pour le clonage reproductif, fixer une interdiction spécifique ? Après avoir hésité, le Conseil d'Etat demande que le législateur interdise « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de faire se développer un embryon humain dont le génome serait identique à celui d'un autre être humain ».

Ne jouons pas les apprentis sorciers ! Si le Gouvernement a déjà tranché en interdisant le clonage reproductif, le débat reste ouvert sur le clonage thérapeutique. Supposé ouvrir de grands espoirs, il réintroduit le risque de la marchandisation du corps !

Quand les embryons aujourd'hui orphelins auront été utilisés, où les multinationales trouveront-elles matière à expérimentation ? Les embryons deviendront-ils des machines à fabriquer des cellules, au service des industries pharmaceutiques ?

Gardons en mémoire qu'entre reconnaître et guérir, il peut s'écouler un long temps. Le clonage thérapeutique n'est pas une réponse universelle. Alex Kahn a déclaré « qu'interdire d'utiliser des embryons était moralement juste et n'apparaissait pas scientifiquement préjudiciable à la recherche ». En revanche, les recherches sur les cellules souches adultes pourraient ouvrir la voie à des traitements équivalents. C'est dans cette direction qu'il faudra orienter la recherche.

Je regrette que le projet n'interdise pas les brevets sur le vivant, qui ne manqueront pas de se multiplier à la faveur des recherches sur les embryons orphelins.

Cette folle course à l'appropriation des ressources génétiques risque de priver des pans entiers de l'humanité de l'accès aux progrès médicaux. Souvenons-nous que la société américaine Myriad Genetics, leader mondial des tests de dépistage des cancers du sein et de l'ovaire, était seule propriétaire, en mai 1998, des deux gènes de prédisposition à ces cancers. Nous risquons de voir naître des procès en contrefaçon quand d'autres instituts découvriront les mêmes gènes, de voir les pays développés payer des tributs exorbitants pour faire accéder leur population à ces traitements et de voir mourir les habitants des pays les plus pauvres, comme c'est le cas, aujourd'hui en Afrique, de tous ceux qui ne peuvent s'offrir la trithérapie contre le sida.

Le vivant n'est pas une marchandise : voilà ce que la loi doit proclamer, afin que le droit prédomine sur l'intérêt financier et que ce que M. Mattei appelle « l'humanité de l'homme » ne soit pas aliéné par la loi du profit. L'exigence éthique serait incomplète, affirme le professeur Testart, sans une forme de courage éthique. C'est ce courage qu'il nous appartient d'imposer. Aussi, tout en votant ce projet, resterons-nous attentifs à la définition des limites éthiques que je viens d'évoquer.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 16 janvier, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 45.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                Louis REVAH

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ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 16 JANVIER 2002

À QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique.

    M. Alain CLAEYS, rapporteur au nom de la commission spéciale.

    (Rapport n° 3528)

    Mme Yvette ROUDY, rapporteure au nom de la délégation

    aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

    (Rapport d'information n° 3525)

À VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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