Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (2001-2002)

Session ordinaire de 2001-2002 - 51ème jour de séance, 121ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 22 JANVIER 2002

PRÉSIDENCE de M. Pierre LEQUILLER

vice-président

Sommaire

        MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE 2

        PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT
        LA LOI DU 15 JUIN 2000 (suite) 2

        QUESTION PRÉALABLE 2

        ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 23 JANVIER 2002 28

La séance est ouverte à vingt et une heures.

Top Of Page

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le ministre chargé des relations avec le Parlement une lettre m'informant de la décision du Gouvernement de modifier comme suit l'ordre du jour prioritaire de notre Assemblée : le mercredi 23 janvier 2002, après les questions au Gouvernement et le soir, projet de loi modifiant la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion ; suite de l'ordre du jour de la veille.

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

Top Of Page

PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT LA LOI DU 15 JUIN 2000 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000.

Top Of Page

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Les deux septennats socialistes de François Mitterrand, alors soutenu par Lionel Jospin, et les cinq années de gouvernement du même Lionel Jospin n'auront donc pas permis de définir solidement et avec le consensus populaire nécessaire les bases d'un nouveau système pénal, permettant de concilier le droit des victimes à obtenir réparation, le droit de la défense accordé à toute personne humaine et les nécessités de la manifestation de la vérité et de la protection de la société, qui sont les trois objectifs majeurs de l'institution judiciaire.

Triste bilan que le vôtre ! Au terme de ces nombreuses années d'exercice du pouvoir, à la veille de consultations électorales majeures, vous vous livrez à un exercice tardif et improvisé de lucidité partielle. Repeindre la façade sans se préoccuper des fondations et de la toiture n'a jamais permis à un édifice de durer très longtemps !

Lors de l'examen de ce qui était alors le projet de loi sur la présomption d'innocence, l'opposition - et l'UDF en particulier - n'avait pas mis en cause l'esprit du texte mais dénoncé le manque de moyens alloués à la justice, à la police et à la gendarmerie pour mettre en application les mesures proposées et les risques qui pouvaient en découler pour le bon fonctionnement de la justice.

Comme toujours, vous aviez alors poursuivi votre chemin, tête baissée et oreilles fermées. Dix-huit mois et de graves incidents plus tard, vous nous proposez à la sauvette un texte indigne de l'enjeu et de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Du reste, ce qui vous a conduit à proposer ce que M. Ayrault lui-même appelle un texte « d'ajustement », c'est moins l'esprit de la loi du 15 juin 2000 que certains comportements individuels particulièrement irresponsables.

Non contents de mettre en évidence les lacunes de la loi, ces comportements ont donné lieu ici même à nombre de commentaires de décisions de justice et le fait est suffisamment rare pour être relevé. Vous avez vous-même, Madame la ministre, explicitement mis en cause la responsabilité de magistrats et le Premier ministre a évoqué à propos de l'affaire Bonnal une « dramatique erreur d'appréciation ».

De tels commentaires ont d'ailleurs posé, une fois de plus, la question des liens entre la Chancellerie et le parquet. Au reste, si vous avez vous-même éprouvé le besoin de commenter telle ou telle décision de justice, c'est bien qu'il faut cesser de considérer ce lien comme nécessairement entaché de soupçon. Il est indispensable de maintenir le cordon ombilical entre le Gouvernement, qui tire sa légitimité du suffrage, et la justice, censée agir au nom du peuple et pour lui. Il importe, bien sûr, que ce lien soit transparent mais un tel système est conforme à notre droit, lequel prévoit que la Chancellerie est garante de la politique pénale et qu'elle fonctionne en partenariat avec le parquet - ce qui ne remet nullement en cause l'indépendance des juges.

Après avoir refusé les critiques constructives de l'opposition et des professionnels de la justice, le Gouvernement décide aujourd'hui de revenir sur une loi dont chacun avait pressenti les difficultés d'application. En effet, ne pas se préoccuper des problèmes concrets des magistrats, des policiers, des gendarmes ou des avocats et vouloir, dans un même élan, obtenir une justice rapide et efficace, c'est faire preuve au mieux de myopie et au pire d'hypocrisie !

Le groupe UDF vous avait indiqué que cette réforme restait très en deçà de ce qu'il souhaitait en matière de droits de la personne et de rééquilibrage de notre procédure pénale. D'abord, l'institution d'un juge des libertés et de la détention reste une démarche hybride ; ensuite, l'encadrement des délais d'instruction ajoute des formalités supplémentaires à une procédure déjà ingérable en raison de l'insuffisance des moyens ; enfin, les garanties entourant la garde à vue demeurent insuffisantes.

Cette réforme ne constituant qu'une première étape, le groupe UDF s'était abstenu lors du vote final du 24 mai 2000. A l'évidence, vous n'étiez pas parvenu alors à un réel équilibre entre les nécessités de l'accusation et les droits de la défense.

Depuis, vous n'avez pas senti que le climat devenait de plus en plus délétère et que l'insécurité allait grandissant. Les chiffres de la délinquance rendus publics vendredi dernier sont édifiants : les délits ont augmenté de 7,7 % en 2001, après une hausse de 5,72 % en 2000. Plus de quatre millions de faits ont été enregistrés par les services de police et de gendarmerie.

Face à cette situation dramatique, votre première réaction a été, comme toujours, de montrer du doigt une opposition qui ferait de la violence son fonds de commerce électoral et de mettre en garde vos électeurs contre ses prétendues dérives sécuritaires.

Les exigences des Français exposés à la violence, qu'ils soient de droite ou de gauche, sont pourtant légitimes. C'est sans doute pourquoi M. Dray a été intronisé grand et unique spécialiste de la sécurité dans notre pays et que lui a été commandé un rapport d'évaluation qu'il a rédigé seul, en quelques semaines.

M. Julien Dray, rapporteur de la commission des lois - Jaloux !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nullement ! Je me souviens, Monsieur Dray, que vous aviez cosigné avec M. Sarre et moi-même un amendement proposant, ce qui eût été un beau symbole pour la République, que la notification d'obtention de la nationalité française soit remise solennellement en mairie, et non adressée par courrier recommandé. Cela prouve qu'il est des sujets sur lesquels nous pouvons nous accorder et j'aurais souhaité que ce soir nous recherchions ensemble, ce qui ne signifie pas dans le consensus - car de celui-ci, il faut se méfier - les bases du système judiciaire efficace que nos concitoyens, de droite ou de gauche, appellent de leurs v_ux.

Vous avez rejeté, sans même y regarder de plus près, toutes les propositions de l'opposition en la matière.

Dès la fin de l'été dernier, je m'étais adressé au Président de notre assemblée puis, le 9 octobre 2001, j'ai déposé une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les violences urbaines. Il est en effet du devoir de la représentation nationale d'aller sur le terrain, à l'instar du travail réalisé sur les prisons, à la rencontre des Français exposés à la violence et à l'insécurité. Plus de cent parlementaires, dont les trois présidents des groupes de l'opposition, ont cosigné cette proposition, laquelle n'a même pas été inscrite à l'ordre du jour... Le calendrier électoral a été un alibi commode pour masquer la lâcheté politique. Vous avez refusé d'entendre le « ras-le-bol » des Français exposés à la violence quotidienne, qu'il s'agisse des magistrats, des policiers, des gendarmes, des travailleurs sociaux, des gardiens d'immeubles, des médecins, des infirmières, des commerçants, de tous nos concitoyens d'une manière générale.

Le 11 octobre dernier, vous avez rejeté une proposition de loi de l'opposition visant à modifier l'ordonnance de 1945 relative à la délinquance juvénile, avant même l'examen de ses articles. Y étaient proposés l'application de la procédure de comparution immédiate pour les mineurs et le développement des peines de travaux d'intérêt général.

Enfin, le 29 novembre dernier, l'opposition proposait de nouveau, lors d'une de ses fenêtres parlementaires, d'utiliser les maisons du droit et de la justice créées en 1990 par un procureur de Pontoise pour assurer une présence judiciaire de proximité efficace face à la délinquance quotidienne, et résoudre les petits litiges d'ordre civil. Nous proposions de repenser la sanction pour prévenir la récidive, de développer les mesures de réparation pénales et de renforcer le rôle ainsi que l'information des élus locaux. Initiative là encore refusée ! Notre collègue Jean Leonetti vous soumettra de nouveau la même proposition par voie d'amendement. Nul doute que vous la rejetterez avec mépris mais les Français seront bientôt juges...

Toutes les catégories socioprofessionnelles exposées à la violence, y compris dans l'exercice de leurs fonctions, sont descendues dans la rue pour dire leur colère face à l'insécurité grandissante. Tous tentent de vous alerter, mais vous ne prenez aucune mesure, alors qu'il serait pourtant urgent d'agir.

Vous reprochez à l'opposition d'alimenter la polémique sur l'insécurité...

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Tout à fait !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Elle fait pourtant de nombreuses propositions que par angélisme et peur de regarder la réalité en face, vous préférez écarter.

Tout cela explique le climat délétère de défiance envers la justice qui se développe dans l'opinion, climat que je regrette profondément.

C'est l'illustration de la méthode Jospin : ignorer la réalité quand elle dérange, la nier jusqu'à ce qu'elle vous explose au visage puis tenter de recoller les morceaux... jusqu'à ce que la réparation de fortune ne lâche de nouveau. Cette méthode est mauvaise.

Le résultat de cette politique, ou plutôt de cette absence de politique, est qu'un sentiment d'impunité, insupportable pour nos concitoyens, se développe, et encourage la récidive chez les délinquants, laquelle est plus que jamais en cause.

Trois aspects majeurs de notre système judiciaire nourrissent ce sentiment d'impunité. Tout d'abord, le taux moyen d'élucidation des affaires, lequel est tombé à 26,8 % pour l'ensemble des crimes et délits en 2000 contre 27,6 % l'année précédente. Les difficultés rencontrées lors des enquêtes et des instructions, mais surtout le manque de moyens, expliquent ces dysfonctionnements. La justice doit avoir une obligation de résultat, mais il faut lui en donner les moyens. Exigeons qu'au terme de la procédure on aboutisse à un résultat dans le respect du droit des personnes.

Le décalage grandissant entre la justice et le droit est également néfaste. Les décisions de justice qui paraissent injustes à l'opinion publique sont en nombre marginal par rapport au total des affaires traitées mais, souvent surmédiatisées, elles nourrissent un soupçon généralisé vis-à-vis de l'appareil judiciaire. Il est fréquent qu'un corps, aussi irréprochable soit-il par ailleurs, soit jugé sur son seul élément défaillant, si ce dernier est davantage mis en lumière. C'est souvent le cas avec les magistrats.

La non-application des décisions de justice nourrit aussi le sentiment d'impunité. Il ne suffit pas qu'une affaire soit élucidée, que l'auteur du délit soit jugé et reconnu coupable, il faut aussi que la peine prononcée soit appliquée. Or, par les diverses mesures d'individualisation des peines, il est fréquent qu'un condamné ne se voie pas appliquer sa peine dans son entier.

Ce constat, que je regrette de devoir faire, démontre à lui seul qu'il ne suffira pas d'apporter quelques retouches à notre politique pénale et à notre système judiciaire. Il faut impérativement retrouver un équilibre entre infraction, sanction et réinsertion, entre procédure pénale, droit des victimes et présomption d'innocence. Cela seul est à même de rendre la justice intelligible à nos concitoyens.

Permettez-moi ici de réaffirmer quelques principes et de clarifier les différentes étapes de la procédure.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nos concitoyens doivent savoir à qui incombe chacune d'entre elles.

La police judiciaire a essentiellement un rôle d'investigation : elle conduit les enquêtes de flagrance, les enquêtes préliminaires et les enquêtes sur commission rogatoire. Dès l'interpellation d'une personne, l'officier doit prévenir le procureur et l'avocat. C'est lui qui assurera la coopération de ces trois acteurs clés de notre système judiciaire.

L'avocat parce qu'il permet l'exercice du droit fondamental à la défense garanti au citoyen, est un acteur indispensable à l'équité : il facilite l'accès de la justice au citoyen et est le seul contre-pouvoir à l'accusation.

Le magistrat enfin a pour fonction d'appliquer la loi et de juger aux différentes étapes. Le procureur représente l'accusation ; le juge d'instruction mène l'enquête à charge et à décharge ; enfin, le juge du siège détermine l'innocence ou la culpabilité.

Les magistrats sont aujourd'hui montrés du doigt suite à des décisions perçues comme injustes par l'opinion publique. Se pose donc la question de la corrélation entre leur indépendance et leur responsabilité. Etre responsable pour un juge, ce serait avoir le souci que ses décisions soient reconnues comme justes. Mais la prérogative principale d'un juge n'est-elle pas de rendre la justice en son âme et conscience, en étant fidèle aux principes figurant dans son serment ?

La présomption d'innocence est intimement liée à la stricte application des dispositions législatives sur le secret de l'instruction. Or personne, en France, ne les respecte. Il y a une dissymétrie choquante entre l'accusation - dans laquelle se perdent une multitude d'acteurs de la justice qui peuvent tous violer sans risque le secret de l'instruction - et la défense, immédiatement identifiable.

II est facile d'accuser la presse de donner trop de publicité aux accusations qui pèsent sur telle ou telle personnalité. Riche ou pauvre, puissant ou faible, chaque être humain a droit au respect de la loi. Mais la presse ne fait que son travail en publiant les informations qui lui sont communiquées, et les violations du secret de l'instruction sont constantes. Lorsqu'on lit dans un quotidien des passages entiers de comptes-rendus d'audition par des juges d'instruction avant même que ces documents aient été versés au dossier, il a bien fallu qu'un membre de l'institution judiciaire ait procuré ces documents au journal.

Rien ne sert de faire voter de nouvelles lois si l'on est incapable d'appliquer celles qui sont actuellement en vigueur.

Aujourd'hui, soit on estime que le secret de l'instruction doit être respecté et on prend les mesures en ce sens, et les sanctions si nécessaire ; soit on constate qu'il ne peut être respecté et on le supprime. Pour radicale qu'elle soit, une telle mesure met tout le monde sur un pied d'égalité !

Il faut en finir avec l'hypocrisie. Or la loi du 15 juin 2000 - et le texte que vous nous proposez - reste au milieu du gué sur ce sujet comme sur la question du juge d'instruction, pourtant posée avec acuité dès que l'on parle de réforme de la justice.

Introduire un juge des libertés ne suffit pas à assurer la clarification nécessaire entre les différentes fonctions.

Faut-il supprimer le juge d'instruction comme l'a suggéré il y a peu le procureur général Jean-François Burgelin, ou faut-il le renforcer ?

En 1948, mon grand père Henri Donnedieu de Vabres, professeur de droit à la faculté de Paris et juge français au Tribunal international de Nuremberg, proposa pour la première fois de faire du juge d'instruction un juge de l'instruction, ses compétences de police judiciaire étant transmises au parquet. Plus indépendant, il serait placé hiérarchiquement au même niveau que le procureur, ce qui lui conférerait une véritable liberté de décision. II conserverait bien sûr son pouvoir de juridiction au cours de l'instruction et c'est lui qui réglerait les contentieux éventuels entre la défense et le magistrat instructeur issu du parquet.

Ainsi les cabinets d'instruction seraient moins engorgés. La séparation entre instruction et poursuite serait remplacée par une séparation plus judicieuse entre enquête et juridiction. Les investigations seraient confiées au parquet et l'équilibre défense accusation serait restructuré.

Mireille Delmas-Marty. professeur de droit à la Sorbonne et présidente de l'association de recherche pénale européenne, avait repris cette proposition.

Récemment, le syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale a relancé l'idée d'un système uniforme de type contradictoire, totalement innovant, à mi-chemin entre les traditionnelles procédures accusatoires et inquisitoires, et parfaitement en phase avec l'évolution des procédures pénales européennes. A ses yeux, « il s'agit principalement de mettre un terme à la confusion des rôles... entre les policiers, les magistrats du siège et ceux du parquet, et les avocats.... Que les policiers puissent conduire leurs enquêtes, que les procureurs accusent et contrôlent la légalité des actes judiciaires des policiers, que les avocats puissent construire des défenses utiles et pas uniquement basées sur la mise en _uvre de procédures dilatoires, et que les juges retrouvent une légitimité que leur conférerait une position d'arbitre plutôt que d'acteur de l'enquête comme aujourd'hui ».

Qui ne peut partager ce diagnostic aussi raisonnable que prospectif ?

M. René Dosière - Soit ; plus d'impunité pour personne.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Les possibilités de réformes existent, mais elles nécessitent un examen approfondi, non un effet d'annonce en fin de législature.

Enfin, veillons à donner sa juste place à chacune des étapes de la procédure pénale : l'accusation, l'enquête et le jugement.

Aujourd'hui on multiplie les garanties procédurales de toutes sortes au stade de l'enquête et de l'instruction, ce qui est certes louable, mais conduit à une judiciarisation aiguë ; chaque décision peut alors être assimilée à une pré-condamnation. Ainsi le remède est pire que le mal.

La mise en examen comme la mise en détention ont tendance à devenir des étapes d'un jugement, plus que des mesures d'instruction à charge et à décharge. C'est le contraire de l'objectif du législateur. De plus le non-lieu ou la relaxe n'effacent jamais les cicatrices de la « condamnation » médiatique prononcée au moment de l'accusation publique.

De même la collégialité, si elle diminue les risques d'erreur, donnera aux décisions une force considérable. Il faut donc se soucier de la gradation dans le formalisme et les garanties données à la défense comme à l'accusation, en gardant à l'esprit que les affirmer de façon trop solennelle peut conduire à une pré-condamnation.

Les citoyens doivent comprendre les principes fondamentaux de la justice et ont le devoir de s'impliquer dans son bon fonctionnement.

A la veille des grands débats de 2002, nous avons le devoir - comptez sur l'opposition pour le faire - de proposer un véritable Pacte républicain sur la justice et la sécurité, qui responsabilise chacun. J'avais souhaité que ce Pacte soit adopté par les citoyens eux-mêmes par référendum.

Cette responsabilisation doit porter à la fois sur la prévention et sur le principe simple que toute infraction implique une sanction.

Nous devons affirmer infatigablement, dans une société où les tentations individualistes mais aussi communautaires sont fortes, la nécessité absolue d'un ciment républicain, c'est-à-dire d'un corpus de règles qui fassent vivre ensemble et se respecter des gens de cultures et de modes de vie différents. Nous devons être intransigeants sur la nécessité d'éduquer, au sens noble du terme, chaque citoyen, et notamment les jeunes, au respect de ces quelques repères immuables.

A l'évidence, cette proposition de loi n'est pas à la hauteur des enjeux. Il est indécent de « compléter » ainsi une loi par de petits aménagements alors qu'une crise profonde appelle une réponse adaptée et réfléchie. C'est la raison pour laquelle, je vous demande de voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Nous passons aux explications de vote.

Mme Nicole Catala - Le groupe RPR votera cette motion, défendue avec conviction par M. Donnedieu de Vabres, pour marquer sa condamnation de la politique du Gouvernement face aux problèmes de sécurité. En matière pénale, il semble en effet faire deux pas en avant, souvent au nom d'une idéologie dépassée, puis trois pas en arrière, sous la pression du juge constitutionnel ou de la rue.

Souvent aussi, il fait mine de vouloir régler un sujet, pour ensuite ne plus y toucher. Ainsi, après avoir demandé en 1998 un rapport sur la délinquance des mineurs qui contenait d'ailleurs beaucoup de propositions, il n'y a donné aucune suite et s'est opposé à la discussion de la proposition de loi de M. Cuq. De même, la commission d'enquête sur les prisons a remis un rapport de qualité, le Garde des Sceaux a réuni plusieurs fois les parlementaires intéressés, mais aucun texte n'a été déposé avant la fin de la législature. C'est dommage.

Avec cette loi sur la présomption d'innocence, votre prédécesseur voulait renforcer les droits de la défense. Vous êtes obligée de remettre ces dispositions en question sous la pression des forces de l'ordre qui n'ont pas les moyens d'accomplir leur mission. Et depuis le vote de cette loi, c'est le même gouvernement qui a demandé au Parlement d'autoriser la fouille des véhicules et les contrôles d'identité par les vigiles. Là aussi, c'est un pas en avant et un pas en arrière.

Face à une violence croissante, la loi du 15 juin 2000 nécessitait d'accroître les moyens ; on ne les a jamais accordés à la police et à la justice. Elle comportait des dispositions inacceptables, je pense à l'enregistrement audiovisuel de l'audition des mineurs gardés à vue : comment procède-t-on lorsqu'ils sont huit ou dix ? Je pense à l'interdiction d'incarcérer une personne détentrice de l'autorité parentale sur un mineur de moins de dix ans : comment la police vérifie-t-elle ses dires, en trois heures comme en une ? Ces dispositions inadaptées doivent être revues. M. Dray a fait des propositions, mais la loi demeurera difficile à appliquer. Le Gouvernement a d'ailleurs entendu traiter le problème de la présomption d'innocence sans aborder la question centrale, celle du secret de l'instruction : au terme de cette législature, nous ne savons toujours pas quelle est, sur ce sujet, sa position. Je le déplore.

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Nicole Catala - Vous avez éludé les difficultés juridiques, mais non les difficultés matérielles qui vous ont rattrapées ces derniers mois. Certes, Madame la ministre, vous portez le fardeau de l'héritage de Mme Guigou, qui assume elle-même difficilement celui de Mme Aubry...

M. Jean-Pierre Blazy - Et le vôtre !

Mme Nicole Catala - Ce jeu de chaises musicales n'est pas toujours plaisant. Le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Pascal Clément - Un mot, puisque j'interviendrai dans un instant. Je m'associe aux propos de M. Donnedieu de Vabres. La France attend une politique pénale et une réforme de la procédure pénale. Les propositions issues des rangs des experts, des juristes et des magistrats montrent que la loi du 15 juin 2000 et le rafistolage proposé aujourd'hui sont loin des ambitions qu'aurait dû porter un Gouvernement. Vous n'avez pas su adapter la Justice à notre société, préférant séduire ceux qui écrivent et parlent loin des réalités quotidiennes. Une loi qui ne plaît qu'aux syndicats de gauche et à l'ordre des avocats - auquel j'appartiens - prête le flanc à la suspicion : la loi n'est pas faite pour plaire, mais pour sauvegarder l'intérêt de tous les Français. Celle du 15 juin 2000 n'a séduit que ses auteurs, comme le montre la révolte sur le terrain.

Revenons sur votre bilan. Le Président de la République, dites-vous, a refusé la réforme constitutionnelle. Heureusement, car de nombreux députés, y compris de l'opposition l'approuvaient, sous l'influence des médias. Or, nous sommes aujourd'hui convaincus qu'il appartient au Gouvernement de définir la politique pénale. Au demeurant en l'abandonnant hypocritement aux magistrats, Mme Guigou qui suivait de très près les affaires sensibles mais se targuait de ne donner aucun ordre aux procureurs n'a rien concédé.

M. René Dosière - Nous n'avons jamais envoyé d'hélicoptère !

M. Pascal Clément - Il est temps de lancer une grande réforme de la politique pénale, dans l'intérêt même des Français. Le groupe DL votera donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. François Sauvadet - Le groupe UDF votera la question préalable qui a été défendue en son nom. Renaud Donnedieu de Vabres a bien cerné l'enjeu du débat : il ne se limite pas, Monsieur Dray, à l'adaptation d'un texte, mais touche à des questions aussi essentielles que l'applicabilité des lois et leur élaboration. Un an après avoir adopté une loi, nous examinons une proposition qui la modifie. Le Gouvernement a dû envoyer en urgence un parlementaire constater les dysfonctionnements qui ont conduit les gendarmes dans la rue pour la première fois de notre histoire. Nos compatriotes refusent la généralisation de l'impunité et de l'insécurité. Nous sommes au regret de constater avec eux que la loi ne répond pas à l'objectif. Elle avait un goût d'inachevé. Ceux qui opposent les droits de l'homme à l'efficacité se trompent de combat : il s'agit de concilier les deux exigences.

Pas d'efficacité sans lisibilité pour l'opinion. Les dysfonctionnements des derniers mois nous invitent à travailler ensemble : ils ne doivent pas se reproduire. Nous ne pourrons lutter contre l'insécurité et le sentiment d'impunité sans démarche commune et sans stabilité des normes. Nous avons entendu les revendications sur le terrain. Un système qui fonctionne inspire la confiance et non la défiance. C'est malheureusement la seconde qui domine. Je sais, Monsieur le rapporteur, que vous avez travaillé sérieusement. Mais cela ne réglera pas les problèmes qui auraient dû être abordés avec confiance, résolution, ambition et en respectant ceux qui assurent notre sécurité sur le terrain. Nous voterons cette question préalable. Prenez le temps de nous écouter, Madame la Garde des Sceaux : nous avons le devoir moral de trouver ensemble des solutions. Sur ce point, vous pouvez encore progresser (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Gérard Gouzes - Le groupe socialiste ne votera pas la question préalable. J'ai été déçu de la prestation de M. Donnedieu de Vabres, que j'ai connu plus percutant. Qu'a-t-il dit ? Que la justice devait être sereine : nous sommes tous d'accord. Qu'il existait des possibilités de réforme : c'est vrai...

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Après deux septennats et cinq ans de gouvernement pour les exploiter !

M. Gérard Gouzes - Il a expliqué que des garanties procédurales étaient indispensables - nous sommes d'accord - et que les lois devaient être intelligibles pour l'opinion : c'est ce que nous essayons de faire. Il faut, a-t-il dit, être intransigeant sur l'éducation. Je suis tout à fait d'accord. Bref, M. Donnedieu de Vabres n'a fait qu'enfoncer des portes ouvertes. Je n'ai pas reconnu les propos entendus en première lecture...

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Et que pensez-vous du secret de l'instruction ?

M. Gérard Gouzes - A l'époque, M. Donnedieu de Vabres et ses amis trouvaient la loi insuffisante (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous lirons tout à l'heure le florilège des propos que vous avez tenus, et chacun jugera qui recourt à de médiocres tactiques pour discréditer une loi, une majorité, un gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Estrosi - Vous l'êtes déjà ! Vous n'avez pas besoin de nous !

M. Gérard Gouzes - Nous avons entendu les orateurs de l'opposition parler du problème des gendarmes, de la politique pénitentiaire, de tout et du reste... sauf du sujet ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Nous ne faisons, pour notre part, que pratiquer ce que chacun réclame depuis des lustres : assurer le suivi des lois, ce qui signifie, lorsque nous observons des dysfonctionnements, des imperfections, des difficultés, avoir le courage d'y remédier (Mêmes mouvements), de remettre l'ouvrage sur le métier.

Les rapports Dray et Lazerges comportent des propositions destinées à améliorer la loi qu'avait réclamée M. Chirac et que vous aviez votée en première lecture - et si vous vous êtes abstenus en seconde, c'est parce que vous trouviez que la loi ne donnait pas assez de garanties à la défense ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Le texte que nous allons adopter reste fidèle aux principes qui ont guidé la grande loi du 15 juin 2000. Tout le reste est littérature, et le groupe socialiste votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Gerin - Nous voterons, nous aussi, contre la question préalable, car nous avons le sentiment que ce qui dérange la droite, c'est l'idée même de présomption d'innocence, grand principe progressiste qui contribue à lutter contre la justice à deux vitesses. Je pourrais partager ses critiques quant aux moyens matériels de la justice, mais elles sont irrecevables de sa part, car elle n'a aucune proposition à présenter, rien d'autre qu'un discours sécuritaire et laborieux (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) qui chasse sur des terres que je ne nommerai pas. Lui rappeler qu'elle a élaboré les lois Pasqua et Debré est la meilleure réponse qu'on puisse lui faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Pascal Clément - Au soir du vote de la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes, que de congratulations pour l'adoption d'une réforme qualifiée d'historique ! Personne n'imaginait, au milieu de cette hystérie collective (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), que cette loi serait responsable d'une des plus grandes crises du monde judiciaire et du monde policier réunis. Depuis le 15 juin 2000, en effet, il ne se passe pas une semaine sans que les effets pervers de cette loi ne défrayent la chronique.

Il est vrai qu'il fallait réaffirmer le principe de la présomption d'innocence, bafoué sans cesse alors qu'il est essentiel au fonctionnement d'un système judiciaire démocratique. C'est pourquoi l'opposition, comme vous vous plaisez à le souligner de façon répétée, n'a pas voté contre cette loi - mais vous allez la forcer à voter contre le présent texte, à force de déformer le sens de notre abstention passée (Interruptions et rires sur les bancs du groupe socialiste).

Si elle n'a pas non plus voté pour, c'est parce qu'elle constituait, en dépit de ses objectifs louables, un simple rafistolage de notre procédure pénale, bien en deçà des recommandations des rapports Truche et Delmas-Marty, et que mieux vaut parfois pas de réforme du tout qu'une demi-réforme, surtout lorsque celle-ci n'est pas accompagnée des moyens nécessaires à son application - ce que nous ne cessons, depuis plusieurs mois, de dénoncer. Nous vous avons mis en garde, à chaque examen du budget de la justice, contre le risque de paralysie du monde judiciaire. Quelques créations de postes ont certes été prévues... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Arnaud Montebourg - Sept cents !

M. Pascal Clément - ...mais ils ne seront pourvus qu'au terme des trois ans requis pour la formation des magistrats. Et comment a-t-on pu croire qu'à moyens constants les tribunaux ne seraient pas engorgés, compte tenu de l'entrée en vigueur de l'appel des décisions de cours d'assises et de la judiciarisation des décisions des juges de l'application des peines ? Il ne s'agit pas de remettre en cause ces deux dispositions, qui ne font d'ailleurs pas l'objet du texte soumis à notre examen, mais cela illustre le manque de réalisme et de méthode du Gouvernement, dont la politique pénale s'apparente, passez-moi l'expression, à un jeu de yoyo, où l'on dit tout et son contraire en quelques mois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Blazy - C'est l'hôpital qui se moque de la charité !

M. Pascal Clément - J'en veux pour preuve la multiplication des circulaires contradictoires de la Chancellerie, l'une invitant à anticiper l'application de la loi sur la présomption d'innocence, l'autre faisant machine arrière pour donner des garanties à des forces de l'ordre déboussolées.

La justice a besoin, pour être sereine, de stabilité. Or, elle est aujourd'hui un bateau ivre sans capitaine. Quand la Garde des Sceaux elle-même enchaîne les volte-face, comment voulez-vous que les acteurs de la justice s'y retrouvent ? Elle déclarait il y a peu qu'il n'y avait pas lieu de réviser la loi du 15 juin 2000 pour un simple problème de méthode de travail ou de communication...

C'est si vrai qu'après cette nouvelle reculade et la mise en scène du rapport Dray, on nous demande de légiférer dans l'urgence en adoptant une proposition de loi visant - le terme est savoureux - à « compléter » la loi du 15 juin 2000. Ne nous y trompons pas : il s'agit bel et bien de la réviser !

M. le Président de la commission - Mais non !

M. Pascal Clément - Force m'est donc de poser la question : y a-t-il encore un pilote dans l'avion ? J'en doute quand j'entends Mme Lebranchu elle-même regretter qu'il n'y ait « plus personne pour défendre la justice ».

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - C'est vrai ! Et surtout pas vous !

M. Pascal Clément - Si quelqu'un doit remplir ce rôle, c'est bien vous ! Nous sommes face à une véritable démission du Gouvernement, à qui il incombe pourtant de définir la politique pénale de notre pays.

Même si cette proposition de loi était votée en première lecture, elle se limiterait, je le crains, à un simple effet d'annonce, étant donné qu'elle ne sera sans doute pas adoptée définitivement avant la fin de la législature.

M. le Président de la commission - Et pourquoi pas ?

M. Pascal Clément - Je suis heureux que vous tentiez de me démentir. Reste que je comprends les inquiétudes des syndicats de policiers, et le feuilleton sur l'application de la loi du 15 juin 2000 nous rassure d'autant moins que vous êtes incapables de tirer les leçons du passé. Vous parlez de « toilettage » pour éviter d'avouer qu'il s'agit d'un rafistolage, mais le résultat est le même : vous continuez de faire du provisoire, alors que magistrats et policiers demandent de la stabilité et de la lisibilité. Pis : en laissant pourrir la situation faute de regarder la réalité en face, vous avez rendu plus difficile l'indispensable collaboration entre eux et accru leur sentiment d'incompréhension réciproque.

Faut-il réviser la loi du 15 juin 2000 ? J'ai été tenté, dans un premier temps, de répondre oui, car hélas les faits sont là, mais cette loi pèche par dogmatisme et par manque de modestie. Surtout, elle est en complet déphasage avec les besoins d'une justice pénale efficace. La justice pénale, c'est d'abord, ne l'oublions pas, la recherche de la vérité, mais aussi la promptitude et la netteté de la réaction, sinon le sentiment d'impunité s'installe, et avec lui le sentiment d'insécurité. Toute la difficulté est de trouver l'équilibre entre liberté et sécurité, entre droits de la défense et efficacité des enquêtes. Une bonne justice requiert la conjugaison des efforts des enquêteurs, des citoyens, de l'institution judiciaire et de l'autorité publique.

La loi du 15 juin 2000, par son formalisme excessif, déséquilibre la phase policière de la justice pénale.

Mais comment vous faire confiance alors que vous refusez de voir en face l'augmentation de la délinquance ? L'ersatz de réforme que vous nous proposez pour calmer le jeu et endormir nos concitoyens n'est pas acceptable.

Aujourd'hui, les délinquants se retrouvent dans la rue à peine quelques heures après avoir été interpellés. Et je ne parle pas de la démotivation des policiers.

M. Tourret nous dit que réviser cette loi, c'est porter atteinte aux libertés individuelles. Mais la liberté d'aller et venir, d'aller travailler, d'emmener ses enfants à l'école ou de sortir le soir sans avoir peur n'en font-elles pas partie ?

On nous dit aussi qu'il serait indigne de revenir sur un texte qui visait à mettre notre législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Mais la présomption d'innocence ne doit pas constituer un obstacle à la recherche de la vérité. Or elle le devient puisqu'il est très difficile, voire impossible aux policiers de remplir dès le début de la garde à vue toutes les obligations que la loi du 15 juin 2000 leur impose, sous peine de nullité de la procédure.

La solution pourrait être de supprimer l'automaticité de la nullité, qui ne devrait résulter que d'une violation constatée des droits de la défense. Mais ce n'est pas ce que vous proposez...

De même, la loi du 15 juin 2000 a fait une mauvaise interprétation du droit au silence prévu par la CEDH. Pour la cour de Strasbourg, il signifie que l'accusé a le droit de ne pas témoigner contre lui-même. Pour qu'il ne soit pas interprété comme un aveu implicite, le juge a l'interdiction de fonder une déclaration de culpabilité sur le refus de l'accusé de déposer. La Cour européenne des droits de l'homme a même eu l'occasion de préciser que ce droit n'est pas absolu et ne peut s'interpréter comme autorisant, par exemple, un individu à refuser de se prêter à un examen médical.

Mais l'interprétation qu'en fait la loi du 15 juin 2000 revient à fragiliser l'autorité des officiers de police judiciaire et à donner de l'assurance aux délinquants. On marche sur la tête ! Je crains malheureusement que les propositions d'aujourd'hui ne permettent pas de réparer cet affront fait à l'autorité des policiers.

Autre exemple : la loi a fixé des délais butoirs dont le dépassement entraîne la remise en liberté du détenu, quel que soit son crime ou ses antécédents. La CEDH, elle, parle de délais raisonnables, déterminés au cas par cas selon des critères précis. A cette souplesse, la loi du 15 juin 2000 a préféré la rigidité.

Là encore, vos propositions ne vont pas assez loin. Il aurait fallu supprimer ces délais butoirs, qui aboutissent à mettre en liberté des criminels particulièrement dangereux, et revenir à la notion de délai raisonnable.

M. Arnaud Montebourg - On n'a pas un exemple de ce que vous affirmez !

M. Pascal Clément - Mais de quoi parlez-vous ?

M. Arnaud Montebourg - D'un exemple de criminel dangereux qui aurait été mis en liberté pour cause de dépassement de délai !

M. Pascal Clément - Vous attendez sans doute qu'il y en ait pour corriger la loi ! Nous, nous préférons prévenir que guérir !

M. le Président de la commission - Nous n'avons pas suivi M. Albertini lorsqu'il a proposé des délais plus courts...

M. Pascal Clément - Le droit pénal se doit de prévoir ce qui peut arriver.

S'agissant de la détention provisoire, le critère qui doit prévaloir est le risque d'atteinte à l'ordre public.

Certes, il faut respecter la présomption d'innocence, mais il ne me semble pas choquant, bien au contraire, de placer en détention provisoire une personne à laquelle il est reproché plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à deux ans. Il s'agit bien de sauvegarder l'ordre public et par là même les libertés individuelles de nos concitoyens.

De telles dispositions permettent d'alléger les formalités, sans pour autant toucher aux droits fondamentaux des personnes mises en cause. Là encore, vous auriez dû aller plus loin. Il est temps de dire aux délinquants que ce ne sont pas eux qui font la loi !

On ne pourra pas encore faire longtemps l'économie d'une révision de l'ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs.

M. le Président de la commission - Ah !

M. Pascal Clément - En effet il est indispensable de sanctionner les mineurs délinquants suffisamment tôt pour les dissuader de récidiver. Mais là dessus, vous faites un véritable blocage.

M. le Rapporteur - Vous n'êtes pas d'accord avec Chirac ?

M. Pascal Clément - Par ailleurs, je suis convaincu que la sanction n'est dissuasive que si elle est certaine. Il convient d'affirmer avec force que toute infraction à la loi sera punie. Les policiers ne supportent plus d'être nargués par de petits délinquants qui n'ont de respect pour rien ni pour personne.

Si la plupart des dispositions de cette proposition de loi relèvent du bon sens, il n'en demeure pas moins qu'elles sont largement insuffisantes et que la façon dont le Gouvernement a géré cette affaire est inadmissible.

Qu'il s'agisse de la mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000, des réponses ou plutôt de l'absence de réponses aux revendications des policiers, gendarmes, magistrats, avocats ou greffiers, ou de la révision de cette loi, nous n'avons vu que précipitation et impréparation. Qu'on ne compte pas sur l'opposition pour cautionner une telle attitude ! Le groupe Démocratie libérale votera donc contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. André Vallini - Le 29 octobre 1997, par la voix d'Elisabeth Guigou, le Gouvernement annonçait une grande réforme de la justice comportant trois volets.

Une justice plus simple, plus rapide et plus accessible : c'est fait, avec plusieurs lois que nous avons votées et avec surtout l'augmentation de 30 % en quatre ans du budget de la justice.

Une justice plus indépendante et plus impartiale : c'est fait, pas encore dans les textes certes, puisque le Président de la République a ajourné le Congrès de Versailles qui devait réformer le CSM, mais c'est fait dans la pratique du Gouvernement puisque la Garde des Sceaux ne donne plus d'instruction aux procureurs dans les affaires particulières.

Enfin, une justice plus respectueuse des droits de l'homme et des libertés : c'est fait avec la loi du 15 juin 2000.

Il ne saurait être question de revenir sur les avancées de cette loi : présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, meilleure information sur ses droits pour la personne placée en garde à vue, encadrement de la mise en détention provisoire, instauration du juge des libertés et de la détention, possibilité d'appel contre les arrêts rendus par les cours d'assises.

Toutefois, les praticiens ont constaté certaines difficultés d'application qu'il est normal de ne pas avoir toujours pu anticiper.

Le législateur moderne est celui qui ne se contente pas de voter une loi, qu'il croit utile et juste, mais qui se montre capable d'évaluer, sur la base de l'expérience, un texte qu'il a voté pour lui apporter le cas échéant les adaptations nécessaires. Certaines propositions du rapport Dray ont déjà trouvé place dans une circulaire. La présente proposition de loi propose donc essentiellement des adaptations à la réalité du terrain.

Du reste, je ne puis résister au plaisir de rafraîchir la mémoire de nos collègues de l'opposition. M. Devedjian a rappelé tout à l'heure que seul le Journal officiel faisait foi : je lui rappellerai donc quelques-unes de ses citations.

M. le Président de la commission - Ça va faire mal !

M. André Vallini - De même, il ne me semble pas inutile de rappeler que M. Chirac lui-même était favorable à cette réforme et qu'il se déclarait déterminé à améliorer les conditions dans lesquelles est garanti dans notre pays le respect de la présomption d'innocence.

M. Patrick Devedjian - Il a raison !

M. le Rapporteur - Mais il change souvent d'avis !

M. André Vallini - Après l'alternance de 1997, ce projet de texte a mûri et lors de la première lecture devant notre assemblée l'opposition s'est abstenue au motif qu'elle le trouvait trop frileux ! M. Houillon déplorait alors que le projet reste en retrait par rapport au droit européen cependant que M. Blessig dénonçait sa prudence pour tout ce qui a trait aux droits de la personne ! En CMP, M. Devedjian regrettait au nom du groupe RPR que la présence permanente de l'avocat lors de la garde à vue ne soit pas garantie...

M. Patrick Devedjian - Je maintiens ma position !

M. André Vallini - Qu'il s'agisse de l'information des personnes gardées à vue, du droit de se taire, des enregistrements sonores ou de la présence de l'avocat lors de la garde à vue, Mme Catala, MM. Houillon, Devedjian et Goasguen regrettaient que le texte n'aille pas plus loin dans le sens de la protection des personnes interpellées. Dois-je rappeler, Monsieur Devedjian, que vous étiez favorable à la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue même lorsque la personne retenue était soupçonnée d'avoir commis des actes de grand banditisme ? Notre collègue Alain Vidalies s'interrogeait même sur le jusqu'au-boutisme de nos collègues de l'opposition. M. Montebourg vous en expliquerait mieux que moi les raisons ! Une fois que M. Chirac a été rassuré sur son sort judiciaire, n'avons-nous pas assisté à un splendide revirement ?

M. Patrick Ollier - Scandaleux !

M. le Rapporteur - En quoi serait-il scandaleux de le rappeler ?

M. Patrick Devedjian - Et Mitterrand ?

M. André Vallini - Voilà que M. Juppé demande la suspension de la loi du 15 juin 2000 cependant que Mme Alliot-Marie la confond avec le texte sur la sécurité quotidienne !

Dans un Etat de droit, la répression de la délinquance ne peut être envisagée que dans le strict respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles. La présente proposition de loi vise à faciliter le travail des juges et des policiers...

M. Christian Estrosi - Parbleu !

M. André Vallini - ...et ne tend qu'à améliorer un texte que nous sommes fiers d'avoir voté (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - La parole est à M. Devedjian.

M. le Rapporteur - La parole est à la défense mais encore faut-il un bon avocat ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Devedjian - Parler au nom de la défense est pour moi toujours un honneur !

L'histoire est cruelle. En 1992, l'un de vos prédécesseurs, Madame la ministre, M. Michel Vauzelle considérait à cette même tribune que la réforme de la garde à vue constituait l'avancée la plus importante réalisée par notre système judiciaire depuis l'instauration du code pénal ; las, de réformes considérables en textes fondamentaux, cela fait trois fois en dix ans que nous reposons le problème de la présomption d'innocence sans parvenir à le résoudre valablement et à quelques semaines du début de l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, nous voilà déjà invités à la modifier ! Le Gouvernement est bien obligé de reconnaître que les butoirs démocratiques qu'il avait tenté de mettre en place pour mieux encadrer la détention provisoire n'ont pas fonctionné. Bel aveu de faiblesse en vérité ! De la même façon, votre programme de construction de nouvelles prisons est, vous le savez bien Madame la ministre, parfaitement irréaliste. Je le regrette d'ailleurs car je suis moi aussi favorable à l'emprisonnement individuel mais il est illusoire de continuer à prétendre que nous y arriverons dans un délai de trois ans !

Des raisons de fond vous poussent également à revenir sur la loi du 15 juin 2000. Le projet initial, présenté le 16 septembre 1998 comportait quarante articles ; la loi votée le 24 mai 2000 en comprend 142, soit plus de trois fois plus ! Il s'agit donc à l'évidence d'un texte largement improvisé au gré d'amendements successifs n'ayant fait l'objet ni des concertations ni des études préalables indispensables. La présidente de la commission des lois de l'époque - Mme Catherine Tasca - ne manquait pas du reste de déplorer la précipitation dans laquelle avait travaillé le Gouvernement.

Quant aux ministres de l'intérieur et de la défense, pourtant directement concernés, tout s'est passé sans eux ! Et cela continue avec la proposition qui nous occupe aujourd'hui !

M. le Rapporteur - Qu'en savez-vous ? Le débat ne fait que commencer !

M. Patrick Devedjian - Mme Lazerges, rapporteure de la loi du 15 juin 2000 déplorait elle-même les revirements successifs qui sont intervenus au cours des navettes sur des points essentiels. S'agissant de l'appel des décisions de la Cour d'assises, vous avez changé trois fois d'avis et encore hier matin ! Quant à l'enregistrement des mineurs, Mme Guigou préférait s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée et invitait, sur ce sujet complexe, à poursuivre la réflexion ! Est-ce ainsi qu'on légifère ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - L'enregistrement des mineurs, ça marche bien !

M. Patrick Devedjian - Avec un seul appareil d'enregistrement par commissariat ? Vous savez bien que non ! Vous reconnaissez vous-même dans votre rapport - à la page huit - que les moyens matériels n'ont pas suivi et que la tâche à accomplir reste considérable.

M. le Rapporteur - Votez pour nous si vous souhaitez que le budget de la justice continue d'augmenter !

M. Patrick Devedjian - Dont acte : le budget a augmenté de manière louable ...

M. le Rapporteur - Nous n'avons pas eu de mal à faire mieux que M. Toubon !

M. Patrick Devedjian - ...mais les crédits sont très mal consommés. A quoi bon augmenter le budget si la moitié des dotations d'équipement - qu'il s'agisse du domaine pénitentiaire ou de la police - n'est pas consommée ! Vous aviez les moyens d'acheter des gilets pare-balles mais vous n'avez pas su le faire !

M. le Rapporteur - Il faut poursuivre la réforme de l'Etat et la décentralisation de la gestion !

M. Patrick Devedjian - Il est d'usage de dire que « le diable est dans les détails ». Dans cette loi, les difficultés sont dans les détails. En négligeant les détails, vous faites de ce texte le paradis des coupables et l'enfer des innocents (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Conscients des lacunes de la loi et de son degré d'improvisation, le Gouvernement et sa majorité n'ont eu de cesse de nous en faire partager la responsabilité. Pourtant, Mme Guigou ne déclarait-elle pas le 9 février 2000 qu'il appartenait à la majorité de faire passer ses projets et que s'agissant des lois ordinaires, il n'y avait pas de co-production possible ! Pourquoi vouloir aujourd'hui nous associer à l'aboutissement d'un texte dont vous avez revendiqué haut et fort la paternité solitaire ?

M. le Rapporteur - Parce que vous l'avez voté !

M. Patrick Devedjian - Reportez-vous au décompte des voix en première lecture : 241 députés n'ont pas voté le texte !

M. le Président de la commission - C'est le vote définitif qui importe ! On ne tranche pas sur un texte en première lecture !

M. Patrick Devedjian - L'on me reproche de m'être abstenu !

M. le Président de la commission - Après avoir voté pour en CMP, quatre jours avant !

M. Patrick Devedjian - J'étais en effet favorable à certaines dispositions après que M. Badinter eut opportunément corrigé votre copie ! (Sourires sur divers bancs)

M. le Président de la commission - Vous avez voté ce texte en CMP.

M. Patrick Devedjian - J'en ai voté plusieurs dispositions mais je ne l'ai pas soutenu.

M. Arnaud Montebourg - « La commission mixte paritaire a adopté ce texte à l'unanimité », je cite le rapport, lequel fait foi.

M. Patrick Devedjian - Je comprends que la gauche soit gênée lorsque je lui rappelle qu'elle a revendiqué seule la paternité de ce texte, que l'opposition a voté contre en première lecture et s'est abstenue en dernière lecture.

M. le Rapporteur - Et en CMP ?

M. Patrick Devedjian - Monsieur Dray, l'opposition n'était pas en CMP. Ayez le courage d'assumer ce texte qui est le vôtre.

Vous avez également reproché à l'opposition de vouloir aller plus loin que vous, laissant ainsi accroire que si elle avait été entendue, les dysfonctionnements auraient été encore plus nombreux. Accusation de mauvaise foi ! En effet, nous voulions aller plus loin que vous et le souhaitons toujours d'ailleurs car vous êtes restés au milieu du gué, sans trancher entre les archaïsmes du système procédural français et la modernité du système issu de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales.

Nous voulions simplifier la procédure pénale, vous l'avez compliquée. Nous voulions qu'il soit possible de plaider coupable ou non coupable, vous l'avez refusé - encore que la Garde des Sceaux reconnaisse l'intérêt de l'idée.

La première revendication de nos concitoyens est que la justice soit rendue dans des délais plus brefs, la complexité de la procédure à laquelle vous avez abouti est telle que ceux-ci sont, inéluctablement, de plus en plus longs.

Nous voulons réhabiliter le parquet, vous l'avez abaissé chaque fois que possible, en particulier dans ce texte.

Nous croyons à une justice publique et solennelle car elle a fonction d'éducation et d'exemplarité, vous l'avez banalisée et confinée.

La seule voie possible est de substituer à la logique inquisitoriale de la procédure pénale actuelle celle découlant de la convention de Strasbourg. M. Dray a fait un effort en ce sens, nous y reviendrons, mais vous avez la plupart du temps refusé cette dernière logique. Contrairement à ce que vous prétendez aujourd'hui, la loi du 15 juin 2000 n'a pas suffi à mettre notre procédure pénale en conformité avec les exigences de la convention européenne. Nul doute que la juridiction de Strasbourg prononcera d'autres condamnations. Ainsi avez-vous refusé de reprendre l'article 5 de la convention relatif au droit à l'information de la personne gardée à vue. De même, la séparation entre l'accusation et le jugement n'est pas assurée, non plus que l'égalité des armes puisque vous avez par exemple confié au procureur de la République le soin d'informer sur le dossier.

Notre attitude était logique : nous avons approuvé tout ce qui concourait à poser les fondements d'une réforme en profondeur... laquelle reste à faire. Comme je l'avais dit dans mon explication de vote, la loi du 15 juin 2000 constitue le faire-part de décès de l'ancien système, qu'elle rend définitivement inapplicable, sans néanmoins le supprimer - il demeure là, tel un témoin géologique.

Nous ne vous proposerons pas aujourd'hui de reconstruire toute la procédure pénale, ce qui ne serait pas responsable, mais simplement de réparer dans l'urgence les dysfonctionnements les plus graves. Concernant la garde à vue, certaines des propositions de M. Dray sont intéressantes. Pour ce qui est de la détention provisoire, les problèmes ne sont pas résolus et des incohérences demeurent. Nous avons déposé plusieurs amendements à ce sujet. Il semble qu'il existe des états d'âme dans la majorité, si bien que les voix de l'opposition ne vous seront peut-être pas inutiles. Sachez que nous conditionnerons notre vote à votre attitude. Si vous acceptez les mesures réparatrices que nous proposons, nous vous aiderons, si vous les refusez, nous vous laisserons devant vos responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. André Gerin - Les députés communistes contestent cette proposition de loi qui, faute de moyens et d'évaluation sérieuse, n'apporte aucune solution aux problèmes cruciaux de notre société que sont l'insécurité, les violences urbaines et le sentiment d'insécurité de nos concitoyens. Ce texte-alibi, de circonstance, présenté sous la pression des médias car le Gouvernement a peur de passer pour laxiste, risque même d'aboutir à une justice à deux vitesses.

Remise en question du droit au silence, placement en détention provisoire des multirécidivistes, autant de propositions qui touchent à la philosophie même de la loi du 15 juin 2000. Aussi mes questions, Madame la Garde des Sceaux, sont-elles simples. Etes-vous prête à revoir entièrement, sinon à le supprimer, l'article relatif au droit au silence, non conforme aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme ? Etes-vous prête à réécrire celui concernant les multirécidivistes ? Leur placement en détention provisoire n'est en effet qu'un leurre, il faut au contraire rechercher des solutions alternatives à la prison.

Le rapport de notre collègue Julien Dray est remarquable, mettant notamment bien en évidence comment cette loi, appliquée depuis dix mois seulement, a cristallisé les problèmes et catalysé le mal-être de l'ensemble des fonctionnaires concernés. Etes-vous prête, Madame la Garde des Sceaux, à envisager l'octroi de moyens exceptionnels à la police, à la gendarmerie, à la Protection judiciaire de la jeunesse, à la justice, pour enfin résoudre les problèmes de fond ?

La police d'investigation est, à l'évidence, le maillon faible, pour ne pas dire inexistant, du dispositif. Il faut la doter des moyens nécessaires pour mettre un terme aux trafics qui pourrissent la vie des habitants de certains quartiers, tout autant qu'aux incendies de véhicules - lesquels sont un acte criminel. Des moyens sont aussi nécessaires pour construire rapidement et en grand nombre des centres d'éducation renforcée pour peines alternatives. La police de proximité doit être à même d'intervenir la nuit et le dimanche, ce qui n'est pas possible aujourd'hui, faute d'effectifs. La police scientifique et technique, mais aussi la police financière, fiscale et douanière doivent disposer de moyens supplémentaires afin de lutter contre tous les trafics. Il faut augmenter aussi le nombre de greffiers, secrétaires et autres personnels administratifs afin d'améliorer leurs conditions de travail. En un mot, un plan d'urgence s'impose et le Gouvernement a une obligation de résultat dans la lutte contre les violences urbaines et la délinquance.

L'affaiblissement de l'Etat et des institutions judiciaires a entraîné celui des pouvoirs régaliens. La démission de l'Etat a conduit à une privatisation pour partie de la sécurité.

Pour porter un coup d'arrêt décisif à la délinquance et à la violence, il faut revoir de fond en comble notre procédure pénale.

Tout d'abord, en ce qui concerne la délinquance des mineurs. Aucune infraction, de quelque nature qu'elle soit, ne doit demeurer sans réponse. Il importe de prévenir précocement et de sanctionner de manière appropriée le premier délit.

M. Jean-Antoine Leonetti - Tout à fait.

M. André Gerin - Il faut en ce domaine combiner prévention, répression et santé publique.

La réduction de la délinquance doit être un objectif national. Cela exige d'en finir avec certaines postures idéologiques. La sanction, pierre angulaire du dispositif, doit être un élément d'apprentissage de la responsabilité individuelle. Le débat sécuritaire conduit à l'impasse. Il faut donc en sortir et engager un vrai débat républicain, sans complaisance.

Le climat est aujourd'hui délétère, les violences urbaines se généralisent.

On se bat pour contrôler des territoires. Il nous faut défendre tous ceux qui, en première ligne, ont le sentiment de faire un travail de Sisyphe et d'être abandonnés.

Une loi de circonstance n'y suffit pas. Il faut y consacrer des moyens plus importants que jamais, mettre en avant l'atteinte à l'ordre public que constitue le trafic, combattre sans faiblesse des comportements dont il faut dire combien ils sont dangereux. Il faut en faire un combat national, car les principales victimes sont d'abord les jeunes eux-mêmes.

Pire encore que le sentiment d'insécurité est le sentiment d'impunité dans l'opinion.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très juste.

M. André Gerin - Pour rétablir la confiance, il est temps de réprimer, et de sanctionner, de façon graduée et pédagogique. Aujourd'hui, les petits délits ne sont pratiquement pas poursuivis, les actes graves un peu mieux seulement. Pour renforcer l'autorité de l'Etat, qui est en crise, la délinquance doit être sanctionnée pénalement.

Une grande réforme de la justice s'impose, mais cessons de nous renvoyer la balle. La loi sur la présomption d'innocence, loi progressiste, n'a pu être appliquée dans les meilleures conditions faute de moyens suffisants - c'est d'ailleurs en arguant franchement du manque de moyens que Mme Guigou a refusé à l'époque la collégialité. Aujourd'hui, cette loi sert de bouc-émissaire. Je le dis tout net, malgré les efforts considérables consentis par le Gouvernement, il faut changer d'échelle. Osons imposer des réformes qui ne plaisent pas. Construisons une véritable « chaîne pénale » cohérente, avec les moyens adéquats pour les forces de sécurité et la justice. Combattre l'insécurité et la violence, c'est aussi combattre les inégalités.

Au cours du débat, Madame la Garde des Sceaux, je souhaite que vous répondiez à propos des moyens et des engagements que prend le Gouvernement sur les questions qui, comme le souligne le remarquable rapport de Julien Dray, exigent des réponses urgentes (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Marie Bockel - Très bien.

M. Jean-Antoine Leonetti - L'enfer est pavé de bonnes intentions. La loi du 15 juin 2000 améliorait les libertés publiques, mais elle s'est vite révélée inapplicable. Au fil de bien tristes affaires, suite à divers dysfonctionnements, des délinquants étaient libérés pour des raisons de procédure, des individus dangereux passaient à travers les mailles de la justice. Celle-ci fut accusée, par les médias puis par le Premier ministre lui-même. La police, suspectée d'inefficacité, s'est sentie désavouée alors qu'elle accomplit ses missions dans des conditions difficiles. Pour l'opinion, on protégeait toujours plus les présumés coupables et toujours pas les victimes. Elle ne pouvait comprendre qu'on libère un trafiquant dangereux parce qu'il est père de famille ou contre une caution, qu'un multirécidiviste soit élargi pour dépassement de délais et laissé sous simple contrôle judiciaire.

Le nouveau manuel de procédure pénale ne correspond plus à l'idée qu'on se faisait de la justice. M. Dray explique d'ailleurs comment se faire relâcher : il faut trouver une erreur de procédure, parler une langue étrangère sans trouver d'interprète, se taire, ou plus simplement être père de famille.

M. Gérard Gouzes - Et c'était comment, avant ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Comment compliquer la marche de la justice ? En confiant un dossier à un juge qui ne le connaît pas, en envoyant les magistrats visiter les locaux plutôt que de faire leur travail quotidien. Comment paralyser la police ? Par la paperasse, les transports, les enregistrements inutiles, les fax et les coups de fil à des avocats qui ne se déplacent pas, en exigeant qu'elle coure après le chronomètre en même temps qu'elle court après les voleurs.

L'opposition n'a cessé de dire que cette réforme nécessitait des moyens accrus et imposait des lourdeurs incompatibles avec l'efficacité de la police et de la justice. Le Gouvernement s'est finalement décidé à demander un audit à M. Dray. Celui-ci a rendu rapidement sa copie - urgence électorale oblige. Avec son talent habituel, il a parlé fort, mais proposé peu. Comme souvent, le verbe a remplacé l'action.

M. le Rapporteur - Vous devez vous y connaître !

M. Jean-Antoine Leonetti - Pour l'instant je n'agis que dans un cadre municipal. Mais qui sait, dans six mois...

D'ailleurs, certaines de vos propositions ne sont pas dénuées d'intérêt, mais elles sont insuffisantes pour corriger les dérives dues au projet initial.

A propos de sa loi, Mme Guigou parlait - modestement - d'une chance pour la justice. La deuxième chance que vous lui offrez eût-elle été inutile si la justice avait eu des moyens ? Malheureusement, ces moyens vous les avez eus, mais vous ne les avez pas utilisés à bon escient. Le budget de la justice ne représente toujours que 1,5 % de celui de l'Etat, mais il est vrai qu'il a connu une augmentation notable. Or, celle-ci a été absorbée entièrement par la mise en _uvre des 35 heures, au lieu d'être utilisée pour remédier aux lenteurs de la justice et à l'impunité des délinquants.

Vous avez choisi une réforme aux titres ronflants, un effet d'annonce. Vous deviez savoir qu'elle consommerait beaucoup de crédits. Une fois de plus, vous ne vous êtes pas donné les moyens de vos ambitions.

Mais même si ces moyens avaient été disponibles, l'application de la loi se serait heurtée à bien des obstacles. D'abord, la justice avait besoin de simplification, non d'une complexité accrue ; elle avait besoin de temps, non de réformes qui s'accumulent et parfois se contredisent. En outre, l'équilibre est rompu, car cette loi est beaucoup plus favorable pour les présumés délinquants et ceux qui les défendent que pour les victimes et ceux qui les protègent. A-t-elle vraiment été faite par des citoyens pour les citoyens ou par des collègues pour leurs clients ? Enfin, à force de réformes partielles et partiales, la justice perd toute cohérence.

Certaines dispositions proposées par M. Dray facilitent le travail des policiers, mais ce sont quand même des ajustements insuffisants.

Pourtant, le « droit au silence » est revu dans un sens plus propice à la manifestation de la vérité : n'y a-t-il pas aussi un devoir de dire celle-ci ? M. Dray confessait que lorsqu'il était militant, il avait appris comment ne pas parler.

M. le Rapporteur - Les ministres de l'intérieur de l'époque étaient dangereux !

M. Jean-Antoine Leonetti - L'expérience de la gauche fait davantage de place à l'affrontement qu'à la coopération avec la police. Vous avez bien dit, Monsieur Dray, que les policiers étaient pour vous des adversaires et qu'il fallait leur opposer le silence.

M. le Rapporteur - Vos amis utilisaient la police pour réprimer les ouvriers !

M. Jean-Antoine Leonetti - La possibilité de mettre en détention provisoire des personnes ayant commis plusieurs délits passibles d'au moins deux ans de prison est étendue. Mais il y a longtemps que le vol de madeleine et sa récidive ne sont plus sanctionnés ! Insuffisantes bien que louables, ces modifications dénaturent l'esprit de la loi : avertir l'avocat avant le procureur, cela peut aussi attenter aux libertés.

Vous avez choisi la chirurgie esthétique là où la chirurgie réparatrice s'imposait. Vous faites l'impasse sur des problèmes aussi essentiels que celui des dates-butoirs - qui empêchent le juge d'instruction d'aller au terme de son enquête -, la durée de l'enquête de flagrance, la perquisition, la comparution immédiate - que nous voulons étendre aux dealers et aux mineurs de plus de 16 ans, les délais de jugement et la lutte contre l'impunité. Nous avions proposé ici un conseil de la réparation, et vous m'avez répondu, Madame la ministre, que c'était inconstitutionnel. Mais Julien Dray, lui, refuse qu'on lui oppose l'argument constitutionnel, au motif que ce n'est pas nous qui devons en décider.

Mme la Garde des Sceaux - Lui, c'est lui ! (Sourires)

M. Jean-Antoine Leonetti - Je vois que chacun joue sa partition dans la majorité plurielle. M. Dray, aujourd'hui, c'est le méchant. Cette complémentarité serait intéressante si elle ne nuisait pas aux intérêts de notre pays...

Je proposais de punir systématiquement et rapidement les petits délits. M. Gerin vient de le réclamer. Vous avez refusé, Madame la Garde des Sceaux, de légiférer alors sur ce thème, le conseil de sécurité intérieure du 8 janvier devant prendre des dispositions. Sans doute l'avez-vous oublié. Permettez-moi de vous rappeler aussi votre engagement, non tenu, de nous soumettre les décrets d'application. Nos propositions, pensiez-vous, pouvaient attendre : celle de M. Dray était plus urgente. Les petits délits quotidiens imputables à certains jeunes exigent pourtant une réponse immédiate.

Il fallait réformer la justice en profondeur afin d'assurer la sécurité des citoyens avec le concours de tous les acteurs. M. Dray se veut le porte-parole de la police, mais il ne suggère que des aménagements mineurs. Les préoccupations de la gauche sont toutes d'opportunité.

M. Montebourg avait souhaité, lors d'un précédent débat, voir percé le secret des commissariats. Vous avez entendu en commission, Monsieur Dray, les propos inqualifiables d'un député socialiste estimant qu'il faut se méfier, en démocratie, des forces de l'ordre et de la police.

M. Gérard Gouzes - Il n'est pas là pour vous répondre.

M. Jean-Antoine Leonetti - Est-ce ma faute ? Du reste, j'ai la décence de ne pas le nommer.

M. Gérard Gouzes - Il n'a pas attaqué la police, mais cité un cas.

M. Jean-Antoine Leonetti - Il a relaté longuement, avec une vulgarité et une agressivité rares, les sévices sexuels et physiques dont les policiers usaient dans les commissariats.

M. Christian Estrosi - S'est-il exprimé au nom du groupe socialiste ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Sans doute, puisque M. Gouzes en est solidaire.

M. Gérard Gouzes - Est-ce une plaisanterie ou une provocation ?

M. Jean-Antoine Leonetti - La commission des lois a-t-elle, oui ou non, entendu ces accusations proférées contre notre police ?

M. Gérard Gouzes - Il est trop facile d'en parler quand l'intéressé est absent.

M. Jean-Antoine Leonetti - Etre député exige d'observer une certaine retenue.

M. Christian Estrosi - Très bien !

M. Jean-Antoine Leonetti - Si le président n'a pas réagi, c'est que lui-même et le groupe socialiste approuvaient !

M. le Président - Poursuivez, Monsieur Leonetti.

M. le Rapporteur - Il pourra en parler à la commissaire de police d'Antibes !

M. Jean-Antoine Leonetti - J'aimerais que M. Dray ne m'interpelle pas sur la commissaire de police d'Antibes, au demeurant sympathique et efficace (Rires).

La gauche se méfie de la police. Pour elle, les défenseurs de la sécurité doivent s'opposer à ceux de la morale. Y aurait-il deux conceptions de la justice, l'une s'attachant aux libertés des coupables et l'autre à la défense des victimes ? Je serais plutôt partisan de la seconde ! Le texte qui nous est proposé ne répond pas aux principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés. Il dénature l'esprit de la loi en matière de défense des libertés individuelles sans renforcer l'efficacité de la police et de la justice. En entreprenant dans l'urgence une réforme démagogique, vous vous reniez sans vous corriger. Il est d'ailleurs probable qu'elle ne sera pas appliquée. Nous défendons une vraie modernisation de la justice.

M. le Président - Veuillez vous acheminer vers votre conclusion.

M. Jean-Antoine Leonetti - J'ai été longuement interrompu par la gauche ! Sécurité et liberté, droits de l'Homme et mission des forces de l'ordre ne sont pas incompatibles. Mais ne laissons pas perdurer ce système hybride qui hésite entre les procédures contradictoire et accusatoire. Sachons concilier la garantie des libertés individuelles et l'efficacité de la répression. « La force sans la justice, a écrit Pascal, c'est la tyrannie, mais la justice sans la force, c'est l'impuissance ».

M. Gérard Gouzes - « Qui veut faire l'ange fait la bête », a-t-il écrit aussi ! (Sourires)

M. Jean-Antoine Leonetti - Vous avez inventé l'injustice sans la force, qui est l'anarchie. Parce que vous n'êtes sensibles qu'à la pression des masses, des médias et des élections, cette loi est doublement mauvaise et le groupe UDF s'y opposera (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Blazy - La tâche qui nous incombe aujourd'hui paraît délicate : compléter une loi votée il y a à peine deux ans, dont tous les groupes politiques, notamment dans l'opposition, admettaient la pertinence. L'objectif est aujourd'hui de l'aménager sans revenir sur les principes fondamentaux qui traduisent l'engagement du Premier ministre.

Rappelons-nous que cette réforme était voulue par le Président de la République. Jacques Chirac déclarait ainsi en 1996 à propos de la présomption d'innocence : « La situation est aujourd'hui scandaleuse... Où est la dignité de l'homme, où est la liberté de l'homme ? ». Et en 1998, il se disait « déterminé à renforcer les garanties offertes au justiciable et à faire en sorte que la présomption d'innocence, valeur constitutionnelle, soit respectée », préconisant même la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue. Sans doute avait-il découvert l'existence d'une « fracture sociale » parmi les justiciables...

Nos collègues de l'opposition n'avaient pas fait, alors, d'obstruction systématique, et s'étaient abstenus au motif que le Gouvernement n'allait pas assez loin dans la restriction. Ils font volte-face aujourd'hui (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Où est, ce soir, M. Houillon, principal orateur du groupe DL à l'époque (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), qui regrettait que l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue ne concerne que le droit commun, arguait en seconde lecture de l'évolution positive du texte pour appeler à l'abstention son groupe qui avait voté contre précédemment, et qui, non content de récidiver en lecture définitive, remerciait la ministre d'avoir accepté nombre d'amendements de l'opposition ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Les aménagements qui nous sont proposés aujourd'hui concernent surtout le stade policier des procédures. Le principal consiste à modifier la définition du suspect, en retenant celle de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : quelqu'un sur qui pèsent des « raisons plausibles » de soupçonner qu'il a commis une infraction, et non plus seulement des « indices » faisant présumer sa culpabilité. Cela devrait satisfaire l'opposition, à commencer par M. Houillon, qui avait réclamé à trois reprises que notre pays adopte les normes européennes. Quant au droit au silence, sa nouvelle formulation répond aux observations des enquêteurs : il sera désormais bien précisé que le silence peut être préjudiciable au suspect. S'agissant enfin de la détention provisoire, le principe qui présidait à la loi du 15 juin 2000 est sauf, et notre but n'est pas d'accroître le nombre des placements, mais de permettre au juge de mieux arbitrer entre préservation des libertés individuelles et défense de l'ordre public.

Le rapport Dray identifie bien les difficultés d'application de la loi telle que nous l'avons votée. Pendant que nous l'examinions, les policiers redoutaient surtout une surcharge de travail susceptible de leur faire commettre des erreurs entraînant l'annulation des procédures. Aujourd'hui, leurs critiques sont bien différentes : nous avons vu, lors de la discussion des budgets 2001 et 2002, que la loi du 15 juin 2000 était devenue le symbole du désarroi d'une profession en mutation, qui peine à lutter contre une nouvelle délinquance, souvent mieux organisée et plus violente, en même temps que le catalyseur de ses reproches à l'encontre de l'institution judiciaire.

Le texte qui nous est soumis n'est nullement sécuritaire. Il vise simplement, comme tous ceux votés depuis 1997, à mieux répondre au problème de l'insécurité (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous sommes tous d'accord pour dire que la question essentielle concerne la petite et moyenne délinquance, celle des mineurs en particulier, et que la tâche des policiers, des gendarmes et des juges n'est pas facile, compte tenu de la pression des médias qui exacerbent les attentes de l'opinion.

A certains de nos collègues de la majorité, je pense en particulier à M. Tourret, je tiens à dire qu'il n'y a pas lieu d'opposer une gauche qui serait « morale » et une autre qui serait « sécuritaire ». Il s'agit seulement de faire mieux fonctionner la chaîne pénale, de répondre au malaise des policiers, des gendarmes et des juges, et de répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens, tout en préservant l'équilibre fondamental de la loi du 15 juin 2000 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je vais suspendre brièvement la séance à la demande du Gouvernement.

La séance, suspendue à 23 heures 35, est reprise à 23 heures 45.

M. Patrick Ollier - Je ne répéterai pas ce que les orateurs de l'opposition ont déjà fort bien exprimé, pas plus que je ne céderai à la facilité des lieux communs d'un discours sécuritaire. Je m'attacherai seulement à développer quelques points qui méritent toute notre attention, car l'initiative de la majorité ne constitue qu'un replâtrage préélectoral (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), qui ne remédie en aucune façon aux dysfonctionnements de notre justice.

Pour rassurer les justiciables, pour ne pas les décourager de recourir à elle, celle-ci doit réagir rapidement et visiblement. Sinon, le sentiment d'impunité s'installe et s'accompagne d'un sentiment d'insécurité.

La loi du 15 juin 2000 est censée améliorer notre justice pénale en transposant les principes de la Convention européenne des droits de l'homme. Certains prétendent qu'y toucher, ce serait toucher aux droits de l'homme. Erreur, ou mauvaise foi !

En effet, les règles de la Convention européenne ont été dénaturées.

Quand l'auteur présumé a droit, dès la première heure de garde à vue, à l'intervention rémunérée par l'Etat d'un défenseur, on est en droit de demander, au nom des principes mêmes de la Convention européenne, l'assistance immédiate et gratuite d'un avocat pour la victime de violences corporelles.

Autre exemple : notre code connaît depuis 1993 le référé-liberté qui permet à la personne mise en détention provisoire de faire réexaminer dans les trois jours la décision d'incarcération. Pourquoi ne pas créer une procédure de référé-détention qui permettrait au parquet de faire réexaminer dans les mêmes délais les mises en liberté qui lui paraîtraient incompréhensibles au regard de l'ordre public ?

Plus choquante encore : l'interdiction pour le parquet de faire appel d'un arrêt d'acquittement de la Cour d'assises. Ainsi, on ne pourrait se tromper qu'en condamnant ? L'erreur qui absout un coupable ne mériterait pas d'être corrigée ? Il est heureux que, sous la pression efficace des groupes de l'opposition, notre commission ait accepté de modifier cette disposition.

M. le Rapporteur - Vous n'étiez pas là !

M. Patrick Ollier - J'ai lu les comptes rendus !

J'en viens à la présomption d'innocence.

Pour protéger ce principe essentiel, la loi du 15 juin 2000 a imposé l'obligation, dès le début de la garde à vue, de notifier un certain nombre de droits, dont celui de se taire, imité des procédures anglo-saxonnes. Transposé dans notre code de procédure pénale, il fragilise nos officiers de police judiciaire, face à des délinquants de plus en plus sûrs d'eux.

Pourquoi, en outre, refuser d'admettre dans notre droit les présomptions de culpabilité, pourtant reconnues par la Cour européenne de Strasbourg dans un arrêt du 7 octobre 1988 ? Elles ne rendraient pas plus l'individu coupable que la présomption d'innocence ne le rend innocent.

Je terminerai par la question des délais. La Cour de Strasbourg fait preuve de pragmatisme pour apprécier si le délai est « raisonnable » au regard de divers critères. Mais nous avons préféré introduire dans notre droit des délais contraignants, dont le dépassement entraîne automatiquement la mise en liberté du délinquant ! Ce n'est pas tolérable.

Il reste donc beaucoup à faire, et notre groupe ne peut vous suivre. Il est temps que les Français, par le choix qu'ils feront dans quelques semaines, mettent un terme à ces dérives inacceptables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. François Colcombet - Les lois sont humaines, donc imparfaites, donc perfectibles. La loi sur la présomption d'innocence n'échappe pas à la règle, même si c'est une très bonne loi.

Son tort principal est sans doute de réunir en un seul texte une série de réformes, toutes indispensables mais dont chacune aurait nécessité un peu plus de temps et de moyens. La droite, pour sa part, s'était interdit d'avoir les moyens de ses ambitions puisqu'elle avait largement coupé dans les créations de postes. La gauche a eu peut-être trop confiance dans l'effet mécanique de son effort financier considérable : il faut encore un peu de temps pour former les magistrats et les policiers. Il faut aussi, dès à présent, apporter quelques modifications à ce texte.

C'est ce que nous sommes appelés à faire à partir de l'intéressant rapport de notre collègue Julien Dray, dont je salue après d'autres la vivacité et la clairvoyance, tout en considérant que sa proposition mérite quelques retouches de détail.

M. le Rapporteur - Je suis d'accord.

M. François Colcombet - Un amendement voté ce matin en commission donne satisfaction au sujet des délais pour aviser le procureur. Un autre amendement, concernant la réitération, vient d'être déposé.

Il reste que notre débat nous amène à réfléchir aux évolutions de la délinquance.

S'agissant de la délinquance financière, la gauche mais aussi la droite ont voté des textes dont l'application ne semble pas si facile, à entendre les cris d'orfraie poussés récemment quand ils ont été appliqués à des banquiers.

La délinquance ordinaire a, elle aussi, pris un tour nouveau, avec une délinquance urbaine violente qui dégénère parfois en véritable guérilla. Les premières émeutes ont eu lieu en 1979-1980 dans la banlieue lyonnaise. Les recettes appliquées par la droite n'ont pas été très efficaces, puisque la délinquance n'a fait que se développer. Répondre à la provocation par des actes qui sont eux-mêmes ressentis comme des provocations ne peut que faire monter la pression...

M. Lionnel Luca - La loi est la loi !

M. François Colcombet - Par ailleurs, limiter la répression rapide à la seule délinquance voyante des milieux modestes a un effet ravageur. En témoigne ce que disent ces jeunes de la bienveillance étonnante dont font l'objet certains délinquants distingués.

M. Lionnel Luca - Ridicule !

M. François Colcombet - En outre, ne pas accompagner la répression de mesures de réinsertion serait suicidaire. Malheureusement, beaucoup d'élus refusent l'installation de centres de réinsertion dans leur circonscription.

Il faut que la répression vise d'abord ceux qui utilisent les plus jeunes, par exemple pour faire diversion tandis qu'ils s'adonnent à une délinquance beaucoup plus dangereuse. On a même vu des avocats conseiller à des jeunes, pour faire libérer certains de leurs amis incarcérés, de provoquer des émeutes urbaines.

S'agissant des très jeunes délinquants, n'oublions pas l'effet ravageur que peut avoir une médiatisation exemplaire, voire la mise en scène d'un certain type de délinquance. A l'époque des fêtes, j'ai vu à la télévision en Nouvelle-Calédonie des images de voitures en feu à Strasbourg ; par imitation, les jeunes ont fait des barrages... Puis j'ai appris à mon retour que deux chaînes de télévision, l'une française et l'autre allemande, avaient fait du repérage préalable dans certains quartiers et demandé à des jeunes de placer les voitures dans l'axe des caméras ! Il y a peut-être certaines responsabilités à dénoncer.

La lutte contre les receleurs est également prioritaire : les antiquaires doivent être surveillés au moins autant que les voleurs de meubles, les organisateurs du trafic de drogue autant que les dealers et a fortiori que les usagers, les banquiers suspects de blanchiment autant que les délinquants ordinaires. La loi sur la présomption d'innocence offre de nombreuses protections aux délinquants les mieux défendus, moins aux délinquants de milieux plus modestes.

La réforme dont nous débattons est utile. Elle ne suffira pas à répondre à toutes nos préoccupations mais je sais, Madame la ministre, que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour que la Justice reste juste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - Affligeant !

M. Michel Hunault - La loi du 15 juin 2000 a représenté une avancée décisive. Elle a renforcé la protection de la présomption d'innocence et fait progresser le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales grâce à la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue ; à une meilleure information des personnes gardées à vue ; à l'instauration d'un juge des libertés et de la détention provisoire ; à la possibilité de faire appel des décisions de cours d'assises ; au recours plus limité à la détention provisoire - dans un pays où plus de 40 % des détenus se trouvent dans l'attente d'un jugement. Aucun de ces acquis ne doit être remis en cause.

La présente discussion est rendue difficile par le climat passionné que provoque la montée de la criminalité dans nos villes comme dans nos campagnes. Comment préserver l'apport d'un texte qui vise avant tout à mieux garantir les libertés essentielles quand la première des libertés, celle de vivre en toute sécurité, n'est pas assurée ? Tel est le défi que nous devons relever ! Souvent, dans cet hémicycle, nous avons souhaité que les lois que nous adoptons soient évaluées : notre débat répond à cette attente puisque la présente proposition résulte de l'application d'un texte qui, en un an, a révélé certaines faiblesses. Veillons cependant à ce que cette révision ne vienne pas remettre en cause l'esprit de cette loi (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) et ayons le courage de faire porter la discussion sur l'enjeu essentiel : de quels moyens l'Etat est-il disposé à se doter pour remplir ses fonctions régaliennes - sécurité, justice, défense ? Est-il légitime que nous dépensions plus pour la RTT que pour la sécurité de nos concitoyens ?

Contrairement à ce qui se dit trop souvent, la loi du 15 juin 2000 n'est pas responsable de la montée de la délinquance. Il convient de prendre en considération le découragement des gendarmes et des policiers, las de traquer les voyous qui, sitôt attrapés, sont aussitôt relâchés ! Il ne suffira pas d'aménager la loi ; il faut aussi se doter de moyens renforcés, défendre les valeurs qui nous sont chères et témoigner plus de reconnaissance aux forces de police et de gendarmerie. Je ne puis me convaincre que le toilettage de la loi du 15 juin 2000 soit la seule réponse à la multiplication des zones de non-droit et des réseaux de criminalité organisée. Et, de grâce, sortons de la logique partisane qui consiste à présenter ceux qui ont contribué à l'adoption de ce texte comme de dangereux laxistes !

Nous discuterons à l'occasion de l'examen des articles des améliorations proposées par le rapporteur mais je m'opposerai à toute mesure tendant à revenir sur l'apport essentiel de la loi du 15 juin 2000 qui est de mieux encadrer le recours à la détention provisoire.

Je déplore en outre que la présente proposition ne traite pas de l'application des peines. J'avais déposé un amendement tendant à ce que les remises de peines ne soient plus automatiques et à mieux encadrer la semi-liberté. Il est en effet indispensable de prendre en considération la dangerosité des individus avant de les faire bénéficier de telles mesures.

Notre pays a souvent ouvert la voie en matière de droits de l'homme et notre démocratie repose sur des valeurs universelles au premier rang desquelles figurent le respect de la dignité humaine et de la présomption d'innocence. Améliorons la loi du 15 juin 2000 sans leur porter atteinte et n'invoquons pas le manque de moyens pour masquer des lacunes plus essentielles. Je regrette notamment que le droit des victimes ne soit pas au c_ur de nos débats et que la prévention ne soit pas développée.

Quant aux moyens, nous attendons, Madame la ministre, un engagement ferme du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean Pontier - La seule question qui vaille est celle-ci : comment enrayer l'insécurité qui gagne chaque jour un peu de terrain ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Excellente question !

M. Jean Pontier - Le temps n'est pas aux arguments de campagne ni aux polémiques stériles. Il faut faire face aux chiffres catastrophiques de la délinquance qui seront officialisés dans les prochains jours. Que dire aux victimes des multiples agressions commises au cours des dernières quarante-huit heures? Notre société ne doit pas se laisser distancer par ceux qui ont la volonté de nuire. Elle doit réagir sans plus attendre.

Nos divergences ne portent pas sur le fond mais sur la méthode. Cependant, si je déplore l'urgence qui préside à nos travaux, je ne conteste pas la nécessité de procéder à des ajustements de la loi du 15 juin 2000. Certains mettent en avant les droits de l'Homme pour contrecarrer cette proposition de loi. Mais le premier des droits du citoyen n'est-il pas de vivre dans la tranquillité ? Les victimes sont le plus souvent des gens faibles ou, au contraire, des membres des forces de l'ordre. Que dire, que faire lorsque l'on assiste, impuissant, à la mise en coupe réglée de cités entières par quelques individus qui agissent en bandes organisées ? Que dire du quotidien de certains enseignants, de commerçants ?

Nos concitoyens attendent des réponses proportionnées mais efficaces. Le temps presse. En dix ans, la criminalité a changé de visage : elle est devenue jusqu'au-boutiste et je ne suis pas sûr que nous ayons encore les moyens de nous opposer à elle.

Alors, que faire ? Il n'est plus temps d'ergoter et de se diviser. Mobilisons-nous pour développer la prévention tout en affirmant la vertu d'une sanction appropriée.

Comme notre collègue Julien Dray, je crois que lutter contre la violence est un projet de société. Ces aménagements à la loi du 15 juin 2000 ne nous paraissent ni démagogiques ni propres à renforcer une politique sécuritaire. Ils ne constituent pas davantage un « rafistolage ». Méfions-nous des effets de tribune et des conclusions hâtives. Je n'ai pas constaté de levée de boucliers contre ce texte de la part des policiers, des gendarmes, des avocats ou des magistrats.

C'est pourquoi, contrairement à notre collègue Alain Tourret, les députés radicaux de gauche le voteront.

M. Gérard Gouzes - A ce stade d'un débat quelque peu irréel, je souhaite rappeler quelques évidences à nos collègues de l'opposition. De quoi est-il question ? Des policiers ? Des prisons ? De la lutte contre l'insécurité ? Des magistrats ? Pas du tout ! Il nous est simplement proposé de procéder à l'évaluation d'un texte voté par l'ensemble de la représentation nationale. Dois-je rappeler à mon tour qu'en première lecture, l'opposition l'avait voté et que la CMP l'avait adopté à l'unanimité ? A-t-on oublié que l'oppositions s'était abstenue au moment du vote définitif, au motif que le Gouvernement ne serait pas allé assez loin dans l'encadrement de la garde à vue ? M. Devedjian ne déclarait-il pas que les premiers regrets du groupe RPR portaient sur le refus d'autoriser l'avocat à être présent tout au long de la garde à vue ?

M. Patrick Devedjian - Je maintiens !

M. Gérard Gouzes - M. Blessig ne regrettait-il pas la « frilosité » du texte en matière de garantie des droits de la personne ?

Les mêmes refusent aujourd'hui de voter l'accessoire après avoir accepté le principal ! Et peut-on prétendre sérieusement que cette loi soit à l'origine de la montée de la délinquance ou d'un laxisme généralisé ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Personne n'a dit cela !

M. le Rapporteur - Si, M. Douste-Blazy !

M. Gérard Gouzes - Est-il besoin de rappeler que la déplorable affaire du « Chinois » est intervenue avant l'entrée en vigueur du texte puisqu'il a été libéré le 15 décembre 2000 ?

Et dois-je insister sur le fait que cette loi a été réclamée avant tout par le Président de la République qui déclarait en 1996 à propos du respect de la présomption d'innocence : « la situation est aujourd'hui scandaleuse. Où est la dignité de l'homme ? », ou, en 1998 : « je suis déterminé à renforcer les garanties offertes au justiciable et à faire en sorte que la présomption d'innocence, principe de valeur constitutionnelle, soit respectée ».

M. Patrick Devedjian - Il avait raison !

M. Gérard Gouzes - Ces prises de position sont aujourd'hui reniées (Murmures sur les bancs du groupe du RPR) par une opposition tentée par de médiocres tactiques qui ne grandissent pas la représentation nationale.

Fidèle à la parole donnée, le Gouvernement de Lionel Jospin avait proposé une réforme équilibrée de la justice qui doit s'appréhender de manière globale, en considérant à la fois la réforme de l'accès au droit de décembre 1998, la réforme de la procédure pénale tendant à renforcer la lutte contre la délinquance quotidienne de juin 1999 et la loi présomption d'innocence du 15 juin 2000.

Assurer le suivi de l'application d'une loi, en faciliter l'application après quelques mois d'expérimentation, il n'y a là rien d'extraordinaire !

La circulaire du 10 janvier 2002 est venue à point nommé pour préciser, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme nous en fait obligation, le domaine d'application de la garde à vue et son déroulement.

L'avis au procureur de la République, la notification de ses droits à la personne gardée à vue, l'intervention de l'avocat, autant de phases de l'enquête désormais précisées, conformément aux recommandations du rapport de Julien Dray, il faut s'en féliciter.

La circulaire de janvier 2002 rappelle que si les dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforcent la protection des libertés individuelles comme l'exigeait la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, elles ne doivent pas avoir pour conséquence d'affaiblir l'efficacité des investigations des enquêteurs ; que ceux-ci n'ont d'ailleurs reçu que des obligations de moyens et non de résultats concernant la mise en _uvre des droits nouveaux conférés aux personnes gardées à vue ; que l'existence d'un seul indice de culpabilité...

M. Patrick Devedjian - Vous avez supprimé cette notion.

M. Gérard Gouzes - ...- celle-ci devant être comprise comme l'existence d'une raison plausible de soupçonner la personne - permet le placement en garde à vue, dès lors que les nécessités de l'enquête ou de l'instruction le justifient. Qui contesterait ces différents points ?

Cette proposition de loi complète la loi du 15 juin 2000 et y apporte les ajustements nécessaires, ne remet pas en question ses avancées décisives en matière de droits de l'homme.

Que notre société soit devenue de plus en plus violente et irrespectueuse des libertés de chacun, qu'il manque des moyens et qu'il soit nécessaire de réformer notre système pénitentiaire, qu'une partie de notre jeunesse ait perdu le sens de la citoyenneté et cherche des repères dans un monde où triomphent le consumérisme et l'argent, que nous souhaitions tous ici plus de sécurité pour les plus faibles de nos concitoyens, rien de cela ne doit nous faire oublier que la plus profonde des injustices reste et restera la condamnation d'un seul innocent.

Voilà pourquoi je voterai sans hésitation le texte qui nous est soumis, attendu par tous les acteurs de la sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Lazerges - La loi du 15 juin 2000, qui a mis en conformité notre droit avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour européenne, garantissant l'équilibre entre respect des libertés, nécessité des poursuites et protection des victimes, restera comme l'un des grands textes de cette législature.

La commission des lois m'a chargée, en mars dernier, d'évaluer l'application de son volet justice, l'évaluation du volet police étant confiée à Julien Dray. Des observations recueillies auprès de très nombreux magistrats du siège et du parquet, et auprès des représentants des organisations syndicales et professionnelles, comme des déplacements que j'ai effectués sur le terrain, il ressort que l'immense majorité des 142 articles de cette loi ne pose aucun problème et que seuls quelques-uns doivent être retouchés. On est loin du « bogue » judiciaire prédit par certains, et le bilan est déjà très positif. On le doit à la sage perspicacité du législateur, aux moyens matériels et humains dégagés par le Gouvernement, et au sens de l'innovation des juridictions qui ont su utiliser au mieux ces moyens.

Un récent débat, très médiatique, a conduit ceux-là mêmes qui jugeaient la loi trop timide à en proposer l'abrogation... avant d'ailleurs de revenir sur cette proposition. En effet, qui nierait le bien-fondé des principes de cette loi et de dispositions comme le double regard pour le placement en détention provisoire, la possibilité de faire appel des décisions de cours d'assises, la juridictionnalisation de l'application des peines, dont tous les juges de l'application des peines se félicitent, le renforcement des droits des victimes, effectif à tous les stades de la procédure, la distinction nettement établie entre les statuts de témoin, témoin assisté, suspect, mis en examen et condamné ? Tout cela n'était au fond que justice.

Néanmoins, ce serait une erreur que de refuser de toucher à ce texte : le fétichisme n'est pas de mise en matière législative, surtout quand les personnes chargées d'appliquer la loi, policiers, gendarmes, magistrats et fonctionnaires de justice font eux-mêmes d'intéressantes suggestions.

Outre les ajustements découlant des recommandations de Julien Dray, deux autres me sont apparus nécessaires. Ainsi ai-je proposé à l'article 4 de la proposition de loi de modifier les conditions de placement en détention provisoire de parents d'enfants mineurs. L'enquête sociale prévue en ce cas par la loi de juin 2000 ne sera plus obligatoirement diligentée que si le parent concerné exerce seul l'autorité parentale. Celui-ci devra informer le juge d'instruction de sa situation dès l'interrogatoire de première comparution.

De même, à l'article 5, il est proposé de rétablir l'égalité des armes dans la procédure d'appel d'une décision rendue par une cour d'assises. Le ministère public pourra faire appel des arrêts d'acquittement lorsqu'il existe des co-accusés. Nous débattrons demain pour savoir s'il faut limiter la possibilité d'appel à ce seul cas.

Toutes ces propositions sont la marque de notre réalisme et la preuve de notre capacité d'écoute de ceux qui sont chargés d'appliquer la loi. Au fond, elles ne sont que sagesse.

Mme la Garde des Sceaux - Je tiens à remercier Christine Lazerges du travail qu'elle a accompli sur le volet justice d'une loi, dont tous les orateurs de la majorité ont souligné l'importance, même si des ajustements à la marge sont aujourd'hui nécessaires.

Tous ont demandé davantage de moyens pour la police, la gendarmerie, la justice. Ce Gouvernement a augmenté le budget de la justice de 30 % en cinq ans, effort que M. Devedjian lui-même a qualifié de « louable ». M. Gerin a plus particulièrement évoqué la délinquance des mineurs et les moyens de son traitement. Partout sur le terrain, on constate que la délinquance diminue là où une police de proximité est présente (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Lutter contre la violence, c'est aussi savoir prendre en compte la demande que les jeunes expriment au travers de cette violence. Mais il faut en effet, comme beaucoup d'entre vous l'ont dit, qu'aucun délit, en particulier le premier, ne demeure sans réponse. M. Gerin a insisté sur la nécessité de créer des places supplémentaires en CPI et CER. En effet, l'efficacité passe aussi par là : le taux de récidive, qui atteint 80 % après un placement en détention, tombe à 20 % après un passage en centre spécialisé. L'objectif pourrait être à terme de doubler les capacités d'accueil.

On a beaucoup parlé des enfants victimes, trop mal des enfants agresseurs, qui sont souvent des enfants qui souffrent : c'est en prenant en charge leur détresse que la société sera moins violente. Pour répondre à l'urgence, je vais recruter des contractuels pour la protection judiciaire de la jeunesse et le travail social. Mais l'importance des recrutements a beaucoup fait diminuer la moyenne d'âge, et des jeunes filles de 22 ans se trouvent parfois confrontées à des délinquants difficiles ; le pragmatisme conduit à recruter, par une troisième voie qui sera définie par décret, des personnes capables de renforcer les équipes.

S'agissant de la loi elle-même, je salue le courage de M. Hunault, le seul membre de l'opposition qui ait déclaré qu'il n'avait pas de regret. Je partage son analyse concernant l'application de la peine, mais je ne le suis pas lorsqu'il dit qu'on remet en semi-liberté des gens dangereux.

M. Michel Hunault - Les remises de peine sont automatiques.

Mme la Garde des Sceaux - Justement, en votant cette loi, vous avez institué la juridictionnalisation de l'application des peines. Il y a transparence, mais non automatisme. Dans la discussion du projet de loi pénitentiaire nous avons aussi beaucoup insisté pour qu'il n'y ait plus de remises automatiques.

Monsieur Devedjian, j'ai trouvé choquant que vous répétiez : « Cette loi, nous ne l'avons pas votée ». Vous-même, vous l'avez votée en CMP.

M. Patrick Devedjian - Sur les articles de la CMP.

Mme la Garde des Sceaux - Et en deuxième lecture, vous avez même dit : « Ces propositions sont présentées comme émanant de la gauche, alors qu'elles viennent de nos rangs. Peu importe, nous ne réclamons pas de droits d'auteur, seul compte l'intérêt de notre pays ». Cette satisfaction, assumez-la.

M. Patrick Devedjian - Ne tronquez pas la citation.

Mme la Garde des Sceaux - Nous avons fait un grand texte, mais aujourd'hui, devant certains mouvements de l'opinion, on cherche dans la loi des explications qui n'y sont pas.

Monsieur Leonetti, en ce qui concerne les conseils de prévention de la délinquance, laissez-nous encore trois semaines pour élaborer le décret car ce travail technique est difficile. Quant à la réparation pénale, un projet de réorganisation est en cours. La collaboration avec des associations est importante pour trouver des lieux où l'organiser, ce qui n'est pas toujours facile. On peut sûrement faire beaucoup mieux.

Sur le texte, dont vous dites qu'on ne peut l'améliorer, je vous renvoie volontiers à la récente déclaration du Président de la République devant la Cour de cassation. Après le rapport Truche, le Président avait appelé de ses v_ux la loi sur la présomption d'innocence. Le 11 janvier dernier, il déclarait que la réforme de la procédure pénale avait permis à la France de répondre aux exigences européennes en ce qui concerne la présomption d'innocence, que les difficultés de mise en _uvre sont nombreuses et que dans certains cas de nouveaux textes sont nécessaires ; puis il demandait des moyens.

Mme Lazerges a proposé d'améliorer le texte sur deux points importants touchant à l'institution judiciaire et Julien Dray, qui a examiné la situation de la police et de la gendarmerie, en a proposé d'autres.

Je pense que nous parviendrons à une belle unanimité. Le texte compte peu d'articles, mais j'examinerai les amendements avec la plus grande attention d'où qu'ils viennent. Les débats ont été riches en commission, je souhaite que nous menions ici un débat serein pour une révision sereine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, cet après midi, mercredi 23 janvier à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Louis REVAH

Top Of Page

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 23 JANVIER 2002

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 3540) modifiant la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion.

M. Bernard DEROSIER, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 3551 .)

3. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi (n° 3530) de M. Jean-Marc AYRAULT et plusieurs de ses collègues complétant la loi du 15 juin 2000.

M. Julien DRAY, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 3539.)

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


© Assemblée nationale