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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. JEAN GLAVANY

1. Loi d'orientation agricole. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 5833).

QUESTION PRÉALABLE (p. 5833)

Question préalable de M. José Rossi : MM. Philippe Vasseur, François Patriat, rapporteur de la commission de la production ; Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Christian Jacob, Marc Laffineur, François Sauvadet, Félix Leyzour, Michel Grégoire. - Rejet.

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5843)

MM. Joseph Parrenin, Christian Jacob, Félix Leyzour, Germain Gengenwin, Michel Suchod, Jean Proriol, Mme Béatrice Marre,

MM. Arnaud Lepercq, Jacques Le Nay, François Goulard, Mme Marie-Hélène Aubert,

MM. Germinal Peiro, Jean-Marie Morisset, Aloyse Warhouver, Marc Laffineur, Mme Martine Lignières-Cassou,

MM. Thierry Mariani, Pierre Hériaud, Jacques Rebillard, Jean-Claude Lenoir, Kofi Yamgnane, Anicet Turinay, Yves Coussain, Jean-Claude Daniel.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Désignation de candidats à un organisme extraparlementaire (p. 5872).

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 5872).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN GLAVANY,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole (nos 977, 1058).

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants u ne question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est M. Philippe Vasseur.

M. Philippe Vasseur.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, mesdames et messieurs les députés, le 14 mars 1996, le Président de l a République avait demandé au gouvernement de l'époque de préparer un projet de loi pour permettre à l'agriculture française de relever les grands défis du

XXIe siècle : compétition mondiale, occupation et valorisation du territoire, situation des personnes, préservation de l'environnement, garantie de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires. Tels étaient, parmi d'autres, les principaux objectifs d'une loi d'orientation qui devait en outre donner à la France de bons arguments pour les discussions sur la réforme de la politique agricole commune et pour les négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce.

C'est dans cette perspective et au terme d'une large concertation qu'avait été élaboré et adopté en conseil des ministres un projet de loi d'orientation qui aurait dû être examiné par l'Assemblée nationale en juin 1997.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Eh oui !

M. Philippe Vasseur.

Entre-temps, la majorité a changé, et c'est donc avec près d'une année et demie de retard que nous est soumis un nouveau projet dans un nouveau contexte.

Comme son nom l'indique, cette loi doit donner à l'agriculture française une grande orientation, et celle-ci doit se traduire évidemment par des mesures concrètes, par des mesures nouvelles.

Or quelles sont les novations importantes que la loi nous propose ? J'ai bien cherché et je n'en ai trouvé qu'une seule qui soit vraiment significative : c'est le contrat territorial d'exploitation, le fameux CTE.

Selon l'exposé des motifs, l'idée est de faire dépendre une partie des soutiens publics aux agriculteurs d'un cahier des charges touchant « tous les aspects de la vie de l'exploitation, qu'il s'agisse de la production elle-même, des conditions de cette production ou des services liés à la production agricole ».

L'intention n'est pas mauvaise, et, d'ailleurs, elle n'est pas tout à fait nouvelle, puisqu'elle répond aux mêmes préoccupations que les plans de développement durable mis en oeuvre depuis quelques années. En revanche, les modalités prévues pour appliquer une telle politique sont nouvelles. Sans entrer dans le détail, je voudrais souligner à mon tour leur caractère bureaucratique, qui risque de provoquer, même si vous vous en défendez, monsieur le ministre, une « suradministration » de notre agriculture.

Et, surtout, nulle part dans ce projet, on ne trouve de réponse claire et précise à la question pourtant fondamentale du financement des contrats territoriaux d'exploitation.

En moyenne, un exploitant qui signerait un tel contrat pourrait recevoir environ 30 000 francs par an. L'agriculteur peut considérer, à juste titre, que c'est de l'argent bon à prendre en paiement des services qu'il rend à la collectivité. De l'argent à prendre, oui, mais à qui ? Les sommes consacrées au CTE viendront-elles en supplément des crédits actuellement affectés à l'agriculture ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Bonne question !

M. Philippe Vasseur.

Si c'était le cas, on pourrait discuter sur le meilleur moyen de répartir cet argent, mais ce n'est pas le cas. Les CTE seront financés par le principe des vases communiquants. On prendra d'un côté pour donner de l'autre et, au total, il n'y aura rien de plus pour l'agriculture.

Voyons où seront prises les sommes nécessaires.

D'abord, on procédera par redéploiement des crédits nationaux, c'est-à-dire que l'on prélèvera de l'argent sur certaines politiques pour l'affecter aux contrats territoriaux d'exploitation. Mais alors il faut indiquer nettement les actions qui seront amputées au bénéfice des CTE et mesurer toutes les conséquences de cette opération. Il faut savoir que, si l'on réduit par exemple le budget des offices, on affaiblit les capacités d'intervention pour soutenir l'organisation des filières et la compétitivité des entreprises, ou encore pour agir en cas de crise. C'est un choix, mais il faut qu'il soit clairement posé.

E nsuite, les contrats territoriaux d'exploitation devraient être financés par des transferts de crédits européens. On modulerait les aides européennes - en fait on les plafonnerait - pour en affecter une partie aux CTE.

Cela paraît simple et, à première vue, cela peut même paraître intéressant. Mais à supposer que nos partenaires soient d'accord, ce qui reste à prouver, car il n'est pas certain que les Allemands, qui donnent plus qu'ils ne reçoivent pour la politique agricole commune, acceptent de payer pour les contrats territoriaux d'exploitation fran-


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çais - j'ai même cru comprendre que cela leur poserait quelques problèmes -, notre agriculture risque alors de tomber dans un piège redoutable dont le Gouvernement semble avoir sous-estimé les dangers. Ce piège, c'est celui d e la renationalisation de la politique agricole commune,...

M. François Sauvadet.

Tout à fait.

M. Philippe Vasseur.

... renationalisation dont le grand perdant serait la France.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Philippe Vasseur.

Si la modulation des aides européennes donne à chaque pays des marges de manoeuvre de sa propre initiative, des stratégies concurrentes pourront se développer dans les différents Etats membres de l'Union. La France choisira les CTE tandis que l'Espagne - pourquoi pas ? - pourra mettre les moyens correspondants sur les fruits et légumes, les Pays-Bas sur le lait, et ainsi de suite. Nos producteurs auront alors beaucoup de souci à se faire. Ainsi, en fait, on fragilise, on déstabilise la politique agricole commune au moment précisément où la France devrait se battre de toutes ses forces pour en préserver les principes et les acquis, comme l'a très fortement souligné le Président de la République vendredi dernier à Aurillac.

Et ce projet de loi d'orientation confirme l'impression de défaitisme donnée par le Gouvernement français, qui semble d'ores et déjà résigné à accepter le démantèlem ent programmé de la politique agricole commune, pis, qui l'anticipe. C'est une tendance sous-jacente à ce projet de loi d'orientation, qui correspond bien à l'esprit du Gouvernement.

Quand on dit que « chacun perçoit avec netteté en Europe notre situation de seul grand pays de l'Union à ne pas être contributeur net dans des proportions significatives au budget européen », on se range avant même le début de la négociation aux arguments de ceux qui veulent affaiblir la politique agricole commune.

M. Arnaud Lepercq.

Tout à fait !

M. Philippe Vasseur.

Or ces propos ont été prononcés le mardi 15 septembre 1998 devant le groupe socialiste à l'Assemblée nationale par M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes.

M. Arnaud Lepercq.

Absolument !

M. Philippe Vasseur.

Et M. Moscovici conclut naturellement que « le paquet Santer marquera la fin d'une singularité française, l'aide d'une Europe des années 60 où personne ne trouvait anormal que la Communauté finance la modernisation de l'agriculture française.

Autrement dit, il faudrait s'attendre à une réduction du volume global des crédits européens allant à notre agriculture. Je trouve d'ailleurs quelque peu paradoxal d'affirmer que l'Europe ne voudra plus financer la modernisation de l'agriculture française, mais qu'elle acceptera volontiers de financer les contrats territoriaux. Il y a là une contradiction qui pourrait faire sourire s'il ne s'agissait pas d'un problème aussi grave.

Ce qui est grave, c'est de donner le sentiment de capituler avant d'avoir livré bataille. Ce qui est grave, c'est de ne pas défendre avec toute la volonté qui s'impose cet outil politique fondamental qu'est la politique agricole commune. Contre le fatalisme ambiant annonçant le démantèlement de cette politique, la France doit proposer une réforme du traité de Rome afin de redéfinir les objectifs et les moyens de la PAC.

N'oublions jamais que la politique agricole commune a j oué un rôle considérable dans la construction de l'Europe. Ce rôle a été souvent sous-estimé ou mal perçu, mais il peut être encore primordial dans la construction d'une Europe élargie aux pays de l'Est et associée aux pays du sud de la Méditerranée, une Europe affirmant son originalité et son identité, une Europe développant une agriculture raisonnée, à la fois productive et respectueuse des ressources naturelles, une Europe capable de mieux gérer la dépense publique consacrée aux agriculteurs grâce à de nouveaux mécanismes de protection du revenu, une Europe, enfin, se faisant respecter comme une grande puissance en appliquant à l'intérieur de ses frontières le principe d'une juste préférence communautaire et en confirmant à l'extérieur la place qu'elle occupe et qu'elle doit occuper de plus en plus sur le marché mondial. C'est une nécessité impérieuse, complètement négligée par le projet de loi d'orientation.

Or il faut rappeler qu'en trente-cinq ans, les échanges mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires sont passés de 80 à 2 500 milliards de francs et que la part de l'Europe dans ce commerce international a progressé alors que celle des Etats-Unis a reculé, si bien que nous sommes maintenant à égalité. C'est un succès, un succès que nous devons conforter même si cela ne plaît que modérément aux Américains.

L'Europe doit donc défendre et promouvoir sa vocation exportatrice de produits agricoles et alimentaires, mais le projet de loi part d'une autre logique puisque, selon son exposé des motifs, cette vocation exportatrice serait une sorte d'épiphénomène. Il est indiqué, en effet, que « l'Europe a été amenée à jouer un rôle sur les marchés mondiaux de façon fortuite, pour gérer les excédents ».

M. Christian Jacob. Presque par hasard !

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Ce qui est vrai ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est aberrant !

M. Philippe Vasseur.

Et vous confirmez, monsieur le ministre !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Bien sûr !

M. Philippe Vasseur.

Nous avons donc une logique différente...

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

Ce n'est pas une logique, c'est une constatation !

M. Philippe Vasseur.

... et c'est bien là l'une des raisons fondamentales pour lesquelles nous nous opposons à ce projet de loi d'orientation. Je vous remercie d'apporter de l'eau au moulin de ma propre contestation.

La position du Gouvernement, c'est de renoncer à toute une partie de nos exploitations agricoles pour s'en tenir - je cite encore l'exposé des motifs - aux « produits à haute valeur ajoutée, susceptibles d'être commercialisés en Europe et dans le monde parce qu'ils peuvent faire valoir d'autres arguments que la seule compétitivité des prix qui leur est liée ».

Bien sûr qu'il faut de plus en plus et de mieux en mieux valoriser nos productions agricoles ! C'est évident, et je m'étonne même de ne pas trouver dans la loi d'orientation les moyens de cette ambition, j'y reviendrai.

Pour autant, développer les exportations de produits à


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haute valeur ajoutée n'implique nullement d'abandonner les autres. C'est pourtant ce que veut faire le Gouvernement. Et vous avez vendu la mèche, monsieur le ministre, en déclarant le 31 mars dernier à Bruxelles : « Je ne considère pas, quant à moi, que la compétitivité européenne réside dans sa capacité à vendre des matières premières à bas prix sur le marché mondial ». Mais il faut savoir vendre de tout, des produits de haut de gamme, des produits à haute valeur ajoutée, mais aussi des produits de base que nous sommes capables de fournir...

M. François Patriat, rapporteur.

A quel prix ?

M. Philippe Vasseur.

... et pour lesquels existe une demande mondiale.

La France exporte maintenant pour 230 milliards de francs de produits agricoles et alimentaires, ce qui correspond à 300 000 emplois. Ce n'est pas de la gestion d'excédents, comme il est écrit dans l'exposé des motifs du projet.

M. Christian Jacob.

C'est de la création d'emplois !

M. Philippe Vasseur.

C'est une véritable vocation que nous devons affirmer sans cesse pour l'économie et pour l'emploi.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Philippe Vasseur.

L'agriculture française ne doit pas se retirer du monde. Elle doit au contraire le conquérir, car c'est sur le marché mondial que se développe la demande alimentaire alors que celle-ci reste à peu près stable chez nous. Et comme l'a très bien dit le Président de la République vendredi dernier, ...

M. René Leroux.

Heureusement qu'il a parlé vendredi !

M. Philippe Vasseur.

...

« être moins présent sur le marché mondial, ce serait priver l'agriculture d'une partie de ses débouchés, ce serait revenir en arrière et accepter la régression. »

M. Joseph Parrenin.

C'est lui qui vous a fait votre discours ?

M. Philippe Vasseur.

A ces considérations économiques, il faut en ajouter d'autres, plus graves encore, des préoccupations humanitaires qui ne peuvent laisser personne indifférent.

Il y a encore sur notre planète 800 millions d'êtres humains qui n'ont pas de quoi manger et qui sont en état permanent de malnutrition. Il y a encore chaque année dix à douze millions d'enfants qui meurent de la faim. C'est intolérable pour nous tous. La France est un pays qui a du coeur et qui est profondément attaché aux droits de l'homme. Un pays comme le nôtre a le devoir de permettre aux peuples qui ont faim de se nourrir en les aidant à développer leurs productions locales, mais aussi, parce que c'est nécessaire, en leur apportant une aide alimentaire.

Et le Président de la République a tout à fait raison de dire que, si la France et son agriculture prenaient la lourde responsabilité de se replier sur elles-mêmes et de renoncer à leur vocation mondiale, elles commettraient une triple faute, une faute économique, une faute morale et une faute stratégique.

M. Marcel Rogemont.

Il ne voulait pas que ce soit vous qui vous occupiez de ce dossier !

M. Philippe Vasseur.

Car quels que soient le respect et l'amitié que nous éprouvons pour la plus grande puissance du globe, nous ne pouvons pas nous résoudre à laisser celle-ci exercer un leadership sans partage sur le marché mondial et devenir le gendarme alimentaire de la planète.

C'est donc avec une volonté offensive que nous devons aborder les négociations internationales, que ce soit au sein de l'Europe ou dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Nous ne pouvons pas accepter le risque de voir disparaître toute politique agricole commune à la fois par le renoncement de la France et par la soumission implicite de l'Europe aux thèses américaines de déréglementation sauvage.

Nous sommes évidemment favorables à un bon fonctionnement de l'économie de marché au niveau mondial.

Mais justement, le libéralisme équilibré tel que nous le concevons suppose des règles saines, loyales, tenant compte des réalités économiques mais aussi sociales et humaines et non l'abdication face à la conception hégémonique d'un libéralisme débridé et incontrôlé. C'est la ligne que nous devons suivre en France et en Europe pour confirmer les progrès considérables que nous avons accomplis depuis quarante ans et qui ont fait de nous un grand, un très grand pays agricole.

J'ai évoqué il y a quelques instants nos performances à l'exportation. Rappelons-nous, il y a quarante ans, la France était en situation de dépendance alimentaire. Elle ne produisait pas de quoi nourrir sa population, elle était obligée d'importer. Aujourd'hui, la France est l'un des tout premiers pays exportateurs du monde. Les agriculteurs français ont réussi un travail formidable.

Grâce à leurs efforts, à leur organisation, à l'élévation de leur niveau de formation, ils ont développé leurs productions, ils en ont amélioré sans cesse la qualité avec notamment la garantie des signes officiels comme l'appellation d'origine contrôlée et le label. Ils ont participé à l'action collective en faveur de la sécurité des aliments qui fait de notre pays une référence mondiale en la matière.

Mais, d'une certaine façon, ils ont été victimes de leur succès. Ils ont contribué à fournir aux Français une nourriture abondante et de moins en moins chère mais ils n'ont pas été payés de leur travail autant qu'ils auraient dû l'être. Quelques chiffres le démontrent.

En moins d'un demi-siècle, et je rejoins l'analyse que vous avez exposée dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, la part du budget des ménages consacrée aux dépenses alimentaires a pratiquement été divisée par 3, passant de 42 % à 15 %.

Mais les consommateurs doivent savoir que si les prix des aliments qu'ils achètent dans la distribution ont été multipliés par 5 en vingt-cinq ans, les prix payés aux producteurs, eux, n'ont été multipliés que par 2,5, soit deux fois moins. Cela signifie que la valeur ajoutée a été inégalement répartie entre les différents maillons de la chaîne alimentaire et que les agriculteurs ont été les grands perdants du partage sans que les consommateurs, d'ailleurs, en soient les principaux bénéficiaires.

Surtout, ce déséquilibre a poussé les agriculteurs à rechercher une productivité de plus en plus forte avec les risques que cela peut comporter parfois pour l'environnement et les conséquences que cela implique sur la concentration des exploitations.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges.

C'est votre bilan !


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M. Philippe Vasseur.

Il faut avant tout réfléchir à ce décalage profond dans l'évolution du partage de la valeur ajoutée. Peser sur les prix, oui, mais sur quels prix ? Ne pas répercuter la baisse des prix à la production sur le consommateur constitue bien une anomalie.

Bien des causes ont été avancées pour expliquer les risques de désertification, mais si l'évolution des prix payés aux producteurs avait été identique à celle des prix payés par les consommateurs, nous ne serions pas dans la situation que nous connaissons aujourd'hui, avec un nombre d'exploitations agricoles divisé par trois en quarante ans.

Cette situation n'est pas supportable, tout le monde en convient, pour l'équilibre de notre territoire. Elle appelle une action vigoureuse pour enrayer la tendance. C'est le sens de la charte d'installation des jeunes signée le 6 novembre 1995 et dont les premiers résultats sont encourageants.

Mais il faut évidemment poursuivre, il faut aller plus loin pour maintenir un nombe suffisant d'exploitations dans l'espace rural. Nous sommes d'accord sur l'objectif.

Là où nous divergeons, c'est sur les moyens à mettre en oeuvre pour l'atteindre.

Pour permettre à l'agriculture de jouer pleinement son rôle d'occupation et de valorisation du territoire, il faut d'abord, j'en suis convaincu, conforter son dynamisme économique. Or ce projet de loi d'orientation agricole néglige curieusement cet impératif. Il manque notamment le volet fiscal, indispensable pour améliorer les conditions d'exercice de l'activité agricole. Le Gouvernement renvoie à plus tard, mais pourquoi remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Joseph Parrenin.

Ou ce que l'on aurait pu faire hier !

M. François Patriat, rapporteur.

C'est votre bilan, monsieur Vasseur !

M. Philippe Vasseur.

A quoi bon donner à un texte le beau nom de loi d'orientation s'il n'aborde même pas la question fiscale ? Je connais la réponse, monsieur le ministre.

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Pour avoir vécu la même chose ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Vasseur.

Je connais, en effet, les réticences du ministère des finances en la matière.

M. André Angot.

Eh oui !

M. Philippe Vasseur.

Sous le précédent Gouvernement, le Président de la République avait dû intervenir per-s onnellement et catégoriquement en conseil des ministres...

M. François Patriat, rapporteur.

Entre les deux tours !

M. Philippe Vasseur.

... pour qu'un volet fiscal complémentaire soit ajouté au projet de la loi d'orientation qui s'était, lui aussi, heurté à l'opposition du ministère des finances. Les traditions de l'administration française et de Bercy ne changent pas.

M. Jean-Claude Lemoine.

En effet !

M. Philippe Vasseur.

Ce qui change, c'est la volonté politique. Le Président de la République n'est malheureusement pas écouté de votre Gouvernement comme il le mériterait.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Marcel Rogemont.

Il l'a cherché !

M. Philippe Vasseur.

Force est de constater que cette la volonté politique manque au Gouvernement actuel.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Leroux.

Il ne vous avait pas écouté non plus avant.

M. Philippe Vasseur.

Je suis heureux, mes chers collègues, de vous avoir réveillés dans votre somnolence postprandiale.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pourtant, des innovations fiscales importantes sont nécessaires pour favoriser la performance économique de l'agriculture française.

Ainsi le revenu théorique du capital investi dans l'exploitation ne doit-il plus être fiscalement et socialement taxé comme s'il s'agissait d'un revenu du travail. Un bout du chemin a été parcouru, mais il en reste encore une bonne partie. On nous dit que cela viendra. On verra.

Autre exemple : pour renforcer la chaîne alimentaire et permettre aux agriculteurs d'y tenir toute leur place, il faut les inciter à investir dans l'aval, c'est-à-dire dans la transformation et dans la commercialisation des produits, qu'il s'agisse du secteur coopératif ou du secteur privé. La création d'un plan d'épargne agricole défiscalisé pourrait considérablement faciliter le mouvement.

C es deux exemples suffisent à montrer l'énorme carence fiscale de ce projet de loi d'orientation. Mais des carences, il y en a malheureusement beaucoup d'autres : Carences dans l'organisation économique, qu'il faut renforcer pour développer la solidarité des agriculteurs entre eux et constituer des filières efficaces ; Carences pour la situation des personnes, et je ne relèverai, sur ce point, que l'absence de perspectives claires sur le difficile problème des retraites agricoles.

M. François Patriat, rapporteur.

Oh !

M. Philippe Vasseur.

Je ne dis pas que vous n'avez rien fait (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) , mais tout reste à faire quand même. (Sourires.)

Là encore, si j'ai bien compris, on verra plus tard.

M. André Lajoinie, président de la commission.

Qu'est-ce que vous avez fait ?

M. Philippe Vasseur.

Beaucoup.

M. François Patriat, rapporteur.

Ce n'est pas ce qu'on nous a dit en arrivant.

M. Philippe Vasseur.

Nous avons engagé le mouvement.

M. Joseph Parrenin.

Les retraités ne s'en souviennent pas.

M. Philippe Vasseur.

Je crois qu'ils ne se souviennent pas trop non plus de ce que vous avez fait. Il serait peutêtre temps que vous alliez sur le terrain pour remettre vos pendules à l'heure. Je constate, en tout cas, que je touche là un point sensible qui vous fait mal.

(« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Nous avions commencé - cela remonte même à mon prédécesseur - à revaloriser les retraites agricoles. Vous avez poursuivi l'action entreprise, mais il reste à régler des problèmes de fond, comme nous prévoyions de le faire dans le cadre de la loi d'orientation agricole. Là encore, vous nous dites : « On verra plus tard ». La discussion d'un projet de loi d'orientation est pourtant l'occasion de prendre un engagement fort pour répondre aux attentes légitimes des retraités, attentes que nous comprenons tous, je crois.


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Carences encore dans le domaine essentiel de l'enseignement et de la formation. Certes, dans la description des missions de l'enseignement agricole, vous affirmez la primauté des formations aux métiers de l'agriculture et de l'agro-alimentaire par rapport aux activités de service et d'aménagement. C'est d'ailleurs paradoxal dans la mesure où votre projet de loi, comme je l'ai souligné, sous-estime le rôle d'acteur économique de l'agriculteur. Mais plus grave, vous risquez d'affaiblir l'enseignement agricole dans ce qui fait son succès, c'est-à-dire dans son originalité et dans son autonomie.

Le succès de l'enseignement agricole se traduit par un taux de placement élevé de ses élèves sur le marché du travail, par la réinsertion de certains d'entre eux, par l'existence de liens forts et constants avec les professionnels.

Tout cela est possible grâce à la taille maîtrisée de l'enseignement agricole, à sa liberté de manoeuvre, à sa capacité de proposer et de mettre en oeuvre des idées nouvelles. Il en allait de votre devoir, monsieur le ministre, de cultiver cette faculté d'innovation et de garder une longueur d'avance en fixant des objectifs ambitieux. Ce n'est malheureusement pas ce que vous faites.

Vous auriez pu, par exemple, reprendre sans tarder l'initiative en proposant la fusion immédiate des deux statuts de lycée agricole, les lycées d'enseignement général et technologique et les lycées professionnels. Ce statut aurait constitué un progrès majeur dans l'évolution de l'enseignement agricole qui aurait pu, une nouvelle fois, devancer l'enseignement général.

Dans l'enseignement supérieur, vous auriez pu valoriser l'autonomie des filières, qui avait favorisé la création de réseaux entre les établissements, l'adaptation rapide et constante des enseignements aux besoins de la société et aux aspirations des jeunes, ainsi que la mobilisation des moyens humains et financiers nécessaires. Mais vous allez perdre tout cela en perdant votre autonomie, puisque vous partagerez la tutelle des grandes écoles agricoles avec l'éducation nationale.

M. André Angot.

Eh oui !

M. Philippe Vasseur.

Je crois que l'on met le doigt dans un engrenage...

M. Arnaud Lepercq.

Dangereux !

M. Philippe Vasseur.

... auquel nous avions jusqu'à présent résisté. Cela me rend perplexe, voire inquiet, pour l'avenir. Cette carence, peut-être insuffisamment remarquée, est lourde de conséquences.

Je pourrais poursuivre longtemps l'énumération des carences de ce projet de loi d'orientation. Je me contenterai de citer un dernier exemple : l'insuffisance des réponses apportées aux attentes des consommateurs. Les consommateurs veulent toujours disposer de denrées alimentaires abondantes et bon marché, mais ils sont aussi de plus en plus exigeants quant à la qualité et à la sécurité des produits. Ils veulent être mieux informés, dans une totale transparence, des garanties prises à cet égard. Le débat sur les organismes génétiquement modifiés s'avère, de ce point de vue, révélateur.

M. François Sauvadet.

Tout à fait !

M. Philippe Vasseur.

La loi d'orientation devrait renforcer les dispositifs existants, en réformant notamment la politique relative à la qualité. Nous pouvions espérer une réforme de fond, des ambitions nouvelles pour les signes de qualité, qui représentent un atout majeur pour l'agric ulture française, mais dont la multiplicité et la complexité provoquent souvent l'hésitation et la perplexité des consommateurs.

Au lieu de simplifier le système en vous appuyant davantage sur les deux signes incontestablement reconnus par tout le monde que sont l'AOC et le label - je mets le signe de l'agriculture biologique à part - vous le compliquez encore en en ajoutant un nouveau, l'IGP, l'indication géographique protégée.

Ce n'est pas anodin du tout car l'IGP est déjà un signe européen. Et là où nous ne devrions avoir qu'une protection juridique européenne de nos signes nationaux de qualité, ne se substituant en aucun cas à nos signes de qualité nationaux, nous cédons, une fois de plus, à la pression de l'Europe.

Auparavant, les choses étaient claires : pour avoir accès à la protection juridique européenne de l'IGP, il fallait être reconnu par un signe de qualité français, ce qui permettait de défendre la spécificité et l'excellence de nos produits. Désormais, il y aura confusion entre deux démarches qui devraient rester distinctes, une démarche nationale et une démarche européenne, et par conséquent confusion dans l'esprit des consommateurs.

Cette approche de la politique de qualité offre une nouvelle illustration de la façon d'aborder l'évolution de la politique agricole commune : en marchant à reculons ! Ce n'est pas la grande ambition dont l'agriculture française a besoin. L'agriculture française a besoin d'une grande ambition économique, et il ne faut pas inverser la logique qui rend légitimes les soutiens publics. Les contraintes territoriales et environnementales doivent être prises en compte, c'est évident, mais elles doivent l'être en tant que contraintes de production à intégrer et non comme des services nouveaux. D'ailleurs, cessons de dire, ou de laisser dire, que les agriculteurs ne respectent pas l'environnement ou, pire encore, qu'ils sont les plus gros pollueurs de la nation. C'est méconnaître la réalité que de globaliser ainsi.

M. Christian Jacob.

Tout à fait.

M. Arnaud Lepercq.

Ce sont eux qui fabriquent l'oxygène !

M. Philippe Vasseur.

C'est vrai que certains abus sont déplorables, condamnables, intolérables et qu'il faut les réprimer, mais les agriculteurs ont déjà beaucoup fait en matière d'environnement.

De nouveaux progrès doivent et peuvent encore être accomplis, non en retournant au passé, mais au contraire en profitant des avancées technologiques nouvelles. Ces efforts-là méritent d'être encouragés. Ils doivent l'être no n pas simplement par la signature de contrats territoriaux d'exploitation, mais à travers toute l'activité économique du secteur agricole et agro-alimentaire.

Je le répète, le projet de CTE peut être considéré dans son principe comme une bonne intention. Mais ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

M. Philippe Vasseur.

Prenons garde à ne pas transformer une bonne intention en mauvaise politique ! Prenons garde à ne pas transformer une petite idée en grande illusion puis en grande désillusion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il ne faut pas tromper les gens en leur faisant miroiter des crédits dont le financement ne serait pas assuré. C'est de la supercherie.


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Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Jean Michel.

Vous avez l'habitude !

M. Philippe Vasseur.

Il ne faut pas non plus s'imaginer qu'un soutien de ce genre suffirait à garantir l'avenir de l'agriculture française et de ses paysans.

Comme l'a dit le Président de la République, on ne peut pas laisser croire aux jeunes agriculteurs que leur avenir est d'être des jardiniers appointés par l'Etat ou des cantonniers du XXIe siècle.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Quentin.

Il a raison !

M. François Patriat, rapporteur.

Les jardiniers apprécieront.

M. Philippe Vasseur.

On peut être jardinier et respecter son métier de jardinier, on peut être agriculteur et...

M. François Patriat, rapporteur.

Ne pas aimer les jardiniers !

M. Philippe Vasseur.

... respecter le métier de jardinier.

O n peut être jardinier et respecter l'agriculteur.

Confondre les deux vous fait entrer dans une logique dont vous aurez un jour à rendre compte.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Michel.

Quand les agriculteurs auront disparu !

M. Philippe Vasseur.

Soyons clair, nous avons juridiquement tort parce que nous sommes politiquement minoritaires.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Michel.

Vos propres amis sont d'accord !

M. Philippe Vasseur.

Cela ne suffit pas pour avoir raison pour l'avenir.

Aujourd'hui, nous prenons date, nous signalons des failles, des carences et des orientations dangereuses. Nous verrons, notamment lorsque la France aura à rendre compte à ses agriculteurs des résultats qu'elle aura obtenus dans la négociation du « paquet Santer », si les craintes que nous exprimons aujourd'hui étaient ou non fondées. Je vous donne rendez-vous dans dix-huit mois ou dans deux ans.

M. André Angot.

Le ministre aura déserté avant, il sera sénateur !

M. Philippe Vasseur.

Vous constaterez alors l'erreur majeure que vous avez commise. Cela mérite mieux que des petits sourires sur les bancs de l'hémicycle, c'est l'avenir de l'agriculture et l'avenir de notre territoire qui sont en jeu aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Joseph Parrenin.

Le grand prêtre !

M. Philippe Vasseur.

L'agriculteur est d'abord un producteur.

M. André Angot.

Très juste !

M. Philippe Vasseur.

C'est par son acte de production qu'il entretient et qu'il valorise le territoire.

M. Marcel Rogemont.

Qui a dit le contraire ?

M. Philippe Vasseur.

La noblesse de son métier, sa dignité, c'est de travailler pour nourrir les femmes et les hommes en France, en Europe et dans le monde entier.

M. Jean Michel.

Et de dégager des revenus pour nourrir sa famille.

M. Philippe Vasseur.

Cette vocation économique doit être affirmée dans le respect de la plus grande diversité.

Il faut combattre la tentation de la pensée unique en matière agricole, parce qu'il n'y a pas de solution unique,...

M. Marcel Rogemont.

Heureusement que vous souriez en disant cela !

M. Philippe Vasseur.

... parce qu'il n'y a pas de modèle unique de l'exploitation et de la production agricole.

M. Joseph Parrenin.

Bien sûr !

M. Philippe Vasseur.

L'agriculture est plurielle ; elle doit, bien entendu, le rester, et nous devons lui en donner les moyens.

L'agriculture est plurielle dans la taille de ses exploitations. Pour garder une dimension humaine à notre agriculture, il faut réaffirmer que celle-ci est fondée sur des exploitations personnelles ou familiales. Cela ne veut pas dire que les grandes structures de type sociétaire doivent être systématiquement combattues, elles ont aussi leur place dans la compétition internationale.

M. André Lajoinie, président de la commission .

Vous ne les avez pas combattues !

M. Philippe Vasseur.

Mais, là encore, des règles sont nécessaires pour éviter la lutte du pot de fer contre le pot de terre et surtout pour que le jeu soit égal entre les différents types d'exploitation, que certains ne soient pas fisc alement ou juridiquement pénalisés par rapport à d'autres, comme c'est encore parfois le cas actuellement.

L'agriculture est aussi plurielle dans ses productions.

Nous ne réglerons pas le problème de toutes les productions de la même façon ; il faut avoir une approche différenciée.

M. François Patriat, rapporteur.

Très bien !

M. Philippe Vasseur.

Certaines filières participent au jeu de la concurrence sur le marché mondial et pour elles la recherche de la compétitivité est essentielle. Dans ces filières, des baisses de charges significatives sont particulièrement nécessaires, des outils de lissage et de protection du revenu - on a parlé tout à l'heure d'assurances doivent être développés et les aides peuvent prendre des formes nouvelles.

Pour d'autres filières, les conditions de production ne permettent pas d'atteindre la compétitivité des prix sur le m arché mondial. C'est une évidence que de le reconnaître. Mais ce sont pourtant des filières dont l'efficacité et l'utilité économique se justifient pour d'autres raisons, telles que l'occupation de l'espace, l'emploi, la qualité des services nouveaux, les marchés, les marchés locaux, entre autres. Dans ces filières, il faut envisager d'autres formes de soutien et d'intervention, par exemple des aides découplées au revenu.

C'est cette diversité de l'agriculture, cette diversité des enjeux, cette diversité des risques et des besoins qui ont conduit le Président de la République...

M. Marcel Rogemont.

Encore lui ?

M. Philippe Vasseur.

... à vouloir une loi d'orientation,...

M. Marcel Rogemont.

Ce sont les agriculteurs qui la veulent !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. Philippe Vasseur.

... une loi qui n'a de justification et même d'intérêt que si elle marque une volonté politique forte permettant de concilier ce que l'on oppose trop souvent dans une vision conflictuelle de la performance économique et de la valorisation du territoire.

Le Président de la République a bien insisté sur la nécessité impérieuse d'affirmer de façon indissociable la double vocation de l'agriculture française : économique et territoriale ; entrepreneuriale et humaine ; productive et sociale. Or ce projet de loi d'orientation ne répond pas à cette double ambition. Et, comme je l'ai déjà souligné, il a ffaiblit la position de la France au moment où s'engagent des négociations capitales pour l'avenir de l'agriculture, en Europe et dans le monde.

C'est pourquoi se pose effectivement la question préalable de l'opportunité de cette loi, telle qu'elle est. Et plus que d'une motion de procédure, il s'agit ici, bien entendu, de soulever un problème de fond. Il s'agit, je le répète, monsieur le ministre, de prendre date. La loi d'orientation que vous nous proposez ne donne pas à l'agriculture française les perspectives dont elle a besoin.

Je crains que nous ne nous en apercevions très vite, lors de nos tout prochains rendez-vous européens.

Pas plus qu'elle ne peut se résumer à un compte d'exploitation, la France ne peut s'abstraire des réalités économiques. La France, c'est un tout. C'est un peuple, c'est un territoire, c'est une histoire. C'est aussi la quatrième puissance économique du monde. Et c'est surtout l'affirmation de principes qui ont un rayonnement universel.

C'est au nom de tout cela que notre agriculture mérite une grande ambition.

Pour que notre agriculture demeure enracinée dans chacune de nos régions, pour que les agriculteurs restent nombreux sur l'ensemble de notre territoire, pour que la France continue de jouer un rôle majeur en Europe et dans le monde, il faut une volonté politique que nous ne trouvons pas dans le projet de loi que vous nous présentez.

Nous prenons date aujourd'hui de cette occasion perdue, en espérant que nous retrouverons rapidement d'autres occasions de donner à notre agriculture un avenir digne d'elle et de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission de la production et des échanges.

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

Monsieur Vasseur, Dieu que la politique est jolie quand on est dans l'opposition !

M. André Angot.

Vous êtes connaisseur !

M. François Patriat, rapporteur.

Non, pas du tout ! Je ne suis pas connaisseur : j'ai passé ici les neuf dixièmes de mon temps dans la majorité. Donc, vous vous trompez.

M. Jean Auclair.

En 1993, les électeurs vous ont viré ! M. François Patriat, rapporteur.

Oui, mais ils m'ont réélu depuis, car ils ont vu ce que vous leur avez fait.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Ils ont compris ! A quel jeu jouez-vous, monsieur Vasseur ? Vous avez évoqué les déclarations du Président de la République - références au demeurant très honorables et solides -, mais vous nous avez surtout parlé, surtout, de votre projet de loi.

M. Philippe Vasseur.

Pas du tout !

M. François Patriat, rapporteur.

Mais enfin, cher collègue, souvenez-vous de ce qu'était la situation il y a dixhuit mois ! Vous aviez une majorité pléthorique. Vous aviez une loi virtuelle. Vous aviez un rapporteur virtuel.

M. François Sauvadet.

Il existe encore ! (Sourires.)

M. Jean Auclair.

Prenez garde, monsieur Patriat, de ne pas devenir un député virtuel !

M. François Patriat, rapporteur.

Que s'est-il passé depuis ? Vingt-cinq mois plus tard, vous faites référence à une loi mort-née, alors qu'aujourd'hui, les agriculteurs ont en face d'eux une majorité réelle, un texte de loi efficace et réel, et un rapporteur réel aussi ! (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française - Alliance.)

Monsieur Vasseur, en vous écoutant, je me dis que vous n'aimez pas le territoire : vous aimez les lobbies. En fin de compte, c'est cela que vous avez défendu. Je vais essayer d'expliciter mon propos.

M. Philippe Vasseur.

Mon argumentation était plus sérieuse !

M. François Patriat, rapporteur.

Non, pas du tout ! Votre argumentation, brillante sur la forme, ne tient pas sur le fond.

M. Jean Michel.

Elle est nulle, sur le fond ! M. François Patriat, rapporteur.

Expliquez-moi la différence que vous faites entre le libéralisme débridé et le libéralisme équilibré ? Voilà une argutie de prétoire.

M. Arnaud Lepercq.

Pour comprendre, c'est une question d'intelligence ! M. François Patriat, rapporteur.

Le libéralisme, c'est le libéralisme ! Nous, nous sommes pour l'économie de marché.

M. Philippe Vasseur.

Nous aussi ! Je vais vous expliquer la différence en question, si vous le souhaitez ! M. François Patriat, rapporteur.

Vous auriez pu le faire avant, mais vous ne l'avez pas fait.

Vous affirmez que le CTE constitue une bureaucratisation supplémentaire de l'agriculture.

M. André Angot.

Bien sûr ! M. François Patriat, rapporteur.

Ce qui fait la différence entre les tenants du libéralisme et nous, c'est que nous, nous sommes pour la concertation et pour le contrat. Le CTE, c'est un contrat reposant sur la volonté affirmée d'une agriculture une et indivisible, et non une agriculture duale, telle que vous la défendez.

M. Christian Jacob.

L'agriculture est plurielle.

M. François Patriat, rapporteur.

Vous avez beau dire qu'elle est plurielle, vous ne nous avez pas convaincus.

Je crois que le contrat est plébiscité par les agriculteurs.

M. Christian Jacob.

Pas du tout !

M. François Patriat, rapporteur.

Soixante-treize départements le demandent. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

M. Christian Jacob.

Non ! Il s'agit de départements désignés par le Gouvernement !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. le président.

Monsieur Jacob, laissez l'orateur s'exprimer.

M. François Patriat, rapporteur.

Monsieur Jacob, je n'ai interrompu personne. Tout à l'heure, j'écouterai vos arguments. Laissez-moi terminer vite, afin d'éviter que le débat ne se prolonge inutilement.

Monsieur Vasseur, vous parlez de la capacité exportatrice de la France. Comment ferez-vous croire au député de la Bourgogne - et du bourgogne - que ce ne sont pas des produits identifiés, quantifiés, transformés, « accroc hés » au territoire qui ont permis de créer 300 000 emplois ? Grâce aux AOC, la France est le seul pays au monde où 100 000 personnes travaillent la vigne.

M. Philippe Vasseur.

Vous ne m'avez pas écouté !

M. François Patriat, rapporteur.

C'est parce que, il y a cent ans, on a inventé le territoire délimité, quantifié, et qu'on a rigidifié, qu'on a réussi à créer des emplois. Les 300 000 emplois dans l'agriculture n'ont pas été créés grâce à du blé vendu à bas prix sur le marché mondial, mais grâce à des produits agro-alimentaires transformés à haute valeur ajoutée, plébiscités par les consommateurs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Tout cela représente 230 millions de francs d'exportations.

M. Jean Auclair.

La France ne se réduit pas à la Bourgogne !

M. François Patriat, rapporteur.

Selon vous, monsieur Vasseur, il y a des carences fiscales dans ce projet. Et vous ajoutez : dans mon texte virtuel, il y avait des mesures fiscales. Mais enfin, à quel moment ont-elles été introduites ? Entre le 28 avril et le 23 mai 1996, c'est-àdire en pleine dissolution ! En fait, c'était pour bénéficier d'un avantage électoral supplémentaire !

« Mais non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean Michel.

Mais si ! Et cela n'a pas suffi !

M. François Patriat, rapporteur.

Monsieur Vasseur, l'important en politique, ce n'est pas la flatterie, ce n'est pas vouloir faire plaisir à tout le monde, c'est le courage ! Vous nous demandez de prendredate aujourd'hui. Eh bien, je dis : chiche ! Ceux qui, naguère, avaient pris date sur des échéances éventuelles peuvent aujourd'hui faire confiance à une majorité qui essaie de répondre à l'appel du territoire, aux besoins des agriculteurs, d'être courageuses, face à l'Europe et ne ne pas agir dans le sens que vous souhaitez.

Vous dites qu'il ne faut pas renationaliser la PAC ! Personne ne veut la renationaliser ! Mais accepter le paquet Santer en l'état...

M. Philippe Vasseur.

Sûrement pas !

M. François Patriat, rapporteur.

... c'est accepter l'exportation à bas prix des produits, ce que vous avez défendu tout au long de votre intervention ! C'est cela que vous défendez aujourd'hui.

M. Philippe Vasseur.

Mais non !

M. François Patriat, rapporteur.

Je crois que vous faites fausse route et nous pourrons prendre date dans un an.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert).

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Mesdames, messieurs les députés, j'ai écouté avec attention les propos de M. Philippe Vasseur. Pour un peu, j'aurais pu évoquer le principe selon lequel, en droit, nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je fais référence là à cette carence qu'il a cru déceler dans le domaine fiscal. Convenons que lui-même avait reconnu n'avoir pas réussi à faire des propositions en la matière.

M. Philippe Vasseur.

Mais si ! C'est faux !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

J'ai travaillé sur cette question avec les professionnels. Force est de constater que les idées doivent encore mûrir. Je suis d'accord avec la nécessité de mettre en place un dispositif d'assurance-récolte - M. Vasseur à évoqué cette question ; d'autres l'ont fait également.

Le ministre de l'économie et des finances examine avec la profession la fiscalité des petites entreprises. Le Gouvernement veut en effet traiter cette fiscalité à parité, et il avance dans ce sens. La loi prévoit un rendez-vous. Nous sommes engagés sur ce dossier avec détermination et nous n'agissons pas à la va-vite entre les deux tours d'une élection.

(Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) S'agissant de la question relative aux contrats territoriaux d'exploitation - et j'aurai l'occasion d'y revenir à plusieurs reprises -, le financement se fera par redéploiement des moyens publics affectés à l'agriculture.

M. Arnaud Lepercq.

Le partage de la misère !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Je suis d'ailleurs quelque peu surpris. Comment ceux qui réclament avec constance moins d'intervention de l'Etat, moins d'impôts, peuvent-ils sérieusement demander une augmentation des dépenses nationales et communautaires en faveur de l'agriculture ?

M. François Sauvadet.

Ce n'est pas ce que nous avons dit !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Quels seront les moyens utilisés demande M. Vasseur. Ce seront ceux de mon ministère, lesquels seront redéployés en faveur du financement des CTE.

Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de ne pas continuer comme avant. Il faut, parallèlement à la politique agricole, mettre en place un contrat territorial d'exploitation qui ne soit pas gadget mais qui, au contraire, donne un supplément d'âme à celle-ci. En fait, le contrat territorial d'exploitation doit accompagner ce qui est une réorientation de la politique agricole. Cela passera notamment par une meilleure répartition des aides publiques, nationales et européennes.

A propos de l'Europe, vous évoquez, monsieur Vasseur, le risque de renationalisation. A qui s'adresse cette accusation ? Vise-t-on les enveloppes d'aides directes aux éleveurs - éleveurs de viande, producteurs laitiers - que la Commission entend confier dans le paquet Santer à chaque Etat membre ? J'ai pour ma part dénoncé les risques de distortion de concurrence.

Vise-t-on les propositions tendant à instaurer le cofinancement des aides européennes ? J'en ai dénoncé publiq uement les effets potentiels dévastateurs pour la construction européenne.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

Si l'on vise les demandes de modulation des aides directes afin que les soutiens européens viennent conforter la nouvelle orientation de la politique agricole, alors il s'agit d'un procès d'intention. En effet, j'ai proposé à Bruxelles que cette modulation s'exerce non seulement dans un cadre communautaire strict pour éviter précisément les distortions de concurrence, mais aussi sur la base d'un financement européen à 100 %. Je suis un Européen convaincu et on me trouvera toujours présent pour combattre une éventuelle renationalisation dont je crains plus qu'elle ne provienne de concept ions inadaptées, et je dirai mal maîtrisées, de la subsidiarité.

Au-delà de ce débat sur la renationalisation, l'avenir de la PAC présentée par M. Philippe Vasseur est simple - et je vous avoue, mesdames et messieurs les députés, que je n'y avais pas pensé. Il faut, selon lui, interdire le marché européen aux autres pays du monde et défendre le droit de l'Europe à subventionner ses exportations sur les pays tiers ! Il faudra alors que M. Vasseur m'explique pourquoi le gouvernement dont M. Guillaume était le ministre de l'agriculture a accepté pour la première fois en 1986, à la conférence de Punta del Este, que l'agriculture soit soumise aux disciplines du GATT.

M. François Guillaume.

Je veux répondre, monsieur le

président

!

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Il faudra aussi qu'il se souvienne que c'est M. Balladur, alors Premier ministre, qui s'était engagé à réduire la préférence c ommunautaire en transformant les prélèvements variables à l'importation en droits de douane...

M. François Guillaume.

Rappel au règlement !

M. le président.

Monsieur le ministre, souhaitez-vous que M. Guillaume intervienne maintenant ou plus tard ?

M. Michel Vergnier.

Après !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Guillaume est inscrit dans le débat pour une demi-heure, voire plus, alors nous l'écouterons avec intérêt ce soir.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Les propositions de M. Balladur, disais-je, visaient à transformer les prélèvements variables à l'importation en droits de douane, qui seraient réduits de 35 % en cinq ans. C'est M. Balladur qui a accepté de réduire dans les mêmes proportions les restitutions à l'exportation pratiquées par l'Union européenne.

Puis, à Marrakech, un engagement a été pris de négocier dès l'an 2000 de nouvelles mesures de libéralisation, c'est-à-dire de nouvelles mises en cause de la politique agricole commune.

M. François Guillaume.

Mais non ! N'importe quoi !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Pour ma part, je prends le parti de la défense de la PAC, de la préservation du marché européen et de prix rémunérateurs pour nos agriculteurs. On ne peut pas prétendre en même temps ériger une muraille autour de l'Europe et réclamer des droits d'accès élargis pour nos productions.

Il me semblait indispensable de le rappeler puisque vous nous invitez souvent à faire preuve de cohérence.

J'aurai l'occasion de revenir tout au long de la soirée sur ces thèmes et notamment de vous demander, monsieur Vasseur, si, au titre de l'exportation, vous comptez l'aide humanitaire.

M. Philippe Vasseur.

Non !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

J'apprécie que vous répondiez négativement et, par conséquent, nous n'évoquerons plus cette question. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe RPR.

M. Christian Jacob.

Quelques mots pour apporter mon soutien à Philippe Vasseur.

M. Gérard Saumade.

Il en a bien besoin !

M. Christian Jacob.

Nous, nous avons l'habitude de nous serrer les coudes !

M. François Brottes.

Surtout au Sénat !

M. Christian Jacob.

Attendez un peu : nous avons deux ou trois jours devant nous et nous aurons encore l'occasion d'échanger des arguments. Ne vous excitez donc pas trop et gardez des munitions pour la suite ! J'ai été quant à moi choqué par la réponse de François Patriat, qui est plutôt quelqu'un de modéré, de raisonnable, et par le mépris qu'il a montré à l'égard de ceux qui exportent.

Il faut que tous les secteurs exportent, et pas seulement ceux qui produisent des biens de transformation. Si ces derniers sont les seuls à exporter, les agriculteurs qui pourraient exporter des produits de base perturberont peut-être d'autres secteurs. Il faut donc garder le sens de l a mesure et nous devons exporter dans tous les domaines. D'ailleurs, des milliers d'emplois sont liés aux exportations agricoles, et banaliser les exportations comme l'a fait M. Moscovici devant le groupe socialiste de l'Assemblée...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Vous n'y étiez pas !

M. Christian Jacob.

Non, mais je lis les comptes rendus !

M. François Brottes.

Mal !

M. Christian Jacob.

A mon grand désespoir, les colonnes de la presse sont ouvertes à M. Moscovici. Et lorsque je lis qu'il estime qu'il est heureux que le paquet Santer permette de mettre un terme au soutien à l'agriculture, alors que la France est l'un des tout premiers pays exportateurs, et que des milliers d'emplois sont liés à cette activité, qui permet à la balance commerciale d'enregistrer un solde positif, je m'inquiète de l'attitude du Gouvernement.

De même, on nous dit monts et merveilles du budget de l'agriculture mais je crois qu'il faut remonter très loin dans le temps pour avoir un budget en baisse de 6 % ! C'est le seul ministère qui soit traité de cette façon !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

C'est faux !

M. Christian Jacob.

Où est la priorité agricole ? Monsieur le ministre, il fallait nous le dire plus tôt : nous vous aurions soutenu pour que vous défendiez votre budget au sein du Gouvernement. Aucun budget n'a été autant amputé que celui de l'agriculture et vous nous dites qu'on va financer telle mesure, prendre aux uns pour donner aux autres. Tout cela n'est pas très raisonnable ! Je vois que M. le ministre souhaite me répondre. Pourrais-je intervenir à nouveau après lui, monsieur le président ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. le président.

Non ! Peut-être pourriez-vous conclure en indiquant le sens du vote de votre groupe, quoique j'aie cru le deviner...

M. Christian Jacob.

Je vois que vous êtes très perspicace.

M. le président.

Cela m'arrive ! (Sourires.)

M. Christian Jacob.

Nous allons voter pour la question préalable opposée par Philippe Vasseur et le groupe Démocratie libérale. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Ce matin, déjà, M. Jacob a affirmé que le budget de l'agriculture diminuait de 6 %. Je lui ai dit que ce n'était pas vrai mais je serai plus précis : le budget de l'agriculture stricto sensu augmente de 3 % et le BAPSA de 1,1 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Angot.

Seulement 1 % pour les retraites !

M. le président.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur M. le ministre nous a dit tout à l'heure que nous étions opposés à l'intervention de l'Etat dans l'agriculture. Mais la politique qui a été menée pendant des dizaines d'années par l'opposition actuelle, et qui a permis de conserver une agriculture très forte, a montré que nous étions tout à fait favorables à une telle intervention de l'Etat pour que le monde agricole puisse se développer. Le monde rural ne peut en effet continuer à vivre que si nous avons une agriculture forte, et nous avons des adversaires qui, tels les Etats-Unis, font intervenir massivement l'Etat.

Nous voterons bien entendu pour la question préalable car, comme l'a fait excellemment remarquer Philippe Vasseur, dans cette loi, il manque beaucoup de choses : d'abord, une grande ambition pour l'agriculture, ensuite, et vous l'avez reconnu, monsieur le ministre, le financement des contrats territoriaux d'exploitation, qui ne sera assuré que par redéploiement, c'est-à-dire qu'on prendra de la main droite aux agriculteurs pour leur donner de la main gauche. Il n'y a donc pas de moyens nouveaux et on note en outre un début de volonté de fonctionnarisation de l'agriculture.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance).

M. le président Pour le groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet.

Monsieur le ministre, je suis un peu surpris par la façon dont vous abordez ce débat.

Chaque fois que nous vous posons des questions, vous semblez gêné et vous bottez en touche. Parce que vous souhaitez que la France affiche une volonté exportatrice et revendique dans le monde une place correspondant à un statut de grande puissance, vous nous répondez prix bas et libéralisme...

Mme Nicole Bricq.

Je croyais que vous étiez pour le marché !

M. François Sauvadet.

... mais ce n'est pas le débat. Il s'agit simplement, au moment où nous avons un grand rendez-vous, avec cette loi d'orientation qui est un acte fondateur de ce que nous voulons pour notre agriculture, de savoir quelles réponses vous allez apporter à l'aube des grandes négociations qui auront lieu au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, de la réforme de la PAC et de ce qu'on appelle communément le paquet Santer.

Je suis surpris parce que, d'ordinaire, vous répondez un peu mieux et de façon plus précise. Est-ce parce que cette loi d'orientation vous semble ne pas répondre à la préoccupation exprimée non seulement par nous, mais par l'ensemble du pays, par ceux qui attendent des solutions ? François Patriat m'a dit : « Tu m'aimes bien mais tu n'aimes pas la loi. » J'aime bien François Patriat, qui est

mon voisin de circonscription.

(Sourires.)

On a parlé de rapporteur virtuel, de loi virtuelle, mais, monsieur le rapporteur, vous avez, aux côtés de M. le ministre, la charge de la présentation du projet de loi d'orientation.

Or l'aspect fiscal, le financement des CTE et l'organisation économique sont purement virtuels dans ce projet.

J'espère que, dans les prochains jours, nous sortirons du virtuel pour entrer dans le vif du sujet, et que nous obtiendrons des réponses, non pas pour nous-mêmes, mais parce que le pays et les agriculteurs les attendent. Je le répète après Philippe Vasseur : prenez garde à ne pas opposer les vocations entre elles. Nous nous sommes retrouvés dans ses propos et je souhaite que nous concevions ce débat comme un très grand rendez-vous, ce qui vous impose, monsieur le ministre, de donner de vraies réponses aux vraies questions. C'est la raison pour laquelle nous voterons pour la question préalable défendue par Philippe Vasseur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe communiste, la parole est à M. Félix Leyzour.

M. Félix Leyzour.

Nous ne souhaitons pas prolonger ce débat de procédure et nous développerons nos arguments dans la discussion générale.

Pour le moment, nous demandons que la question préalable soit repoussée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Michel Grégoire.

M. Michel Grégoire.

Je répondrai d'abord à M. Philippe Vasseur. Je suis surpris que ce soit lui qui oppose la question préalable, dont l'adoption équivaut, si je m'en réfère au règlement, à décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

Or il me semble que le débat qui s'engage aujourd'hui sur les retraites agricoles - peut-être souffrez-vous de n'avoir pu l'engager vous-mêmes -, et qui concerne la place des jeunes dans l'agriculture, les enjeux de l'aménagement du territoire, le problème de la qualité des produits, est d'une importance telle que lui consacrer une semaine n'est pas de trop. Je suis heureux des débats que nous avons eus ce matin et de la présentation qu'en ont faite M. le ministre et M. le rapporteur.

Je pense quant à moi que le problème de l'avenir du monde rural dans notre pays est incontournable et qu'il passe d'abord par une nouvelle orientation de la politique agricole. Celle-ci doit prendre en compte les acquis et les besoins en termes de production tant des exploitations


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agricoles que de la nation. Elle doit également permettre à ceux qui sont le plus à même de le faire, les agriculteurs, de reconquérir le territoire.

Le monde agricole a forgé notre ruralité, notre identité, il est porteur d'un savoir-faire transmis de génération en génération et il est à la pointe de la modernité par son dynamisme, qui fait de la France la deuxième nation agricole de la planète. Le monde agricole a su mener et mène encore le combat pour sa promotion sociale, pour sa survie parfois dans certains territoires, pour aider les jeunes à s'installer et les anciens à avoir une retraite digne de ce nom. Nous devons être solidaires sans exclusive ni intentions partisanes. Cette loi est conçue pour avancer en ce sens. Une répartition plus équitable des moyens et un rééquilibrage des aides doivent être des objectifs fondamentaux pour satisfaire aux exigences territoriales, car il faut bien convenir que, du fait des disparités actuelles, certaines régions agricoles crèvent à petit feu.

Il nous faut maintenir un tissu social et agricole en milieu rural parce qu'il n'y a pas d'avenir pour le monde rural sans agriculteurs.

M. Jean Michel.

Très bien !

M. Michel Grégoire.

Il faut bien entendu, pour cela, des exploitations qui produisent, car c'est leur vocation ; mais il faut aussi se dégager de la machine infernale productiviste en se préoccupant de produire mieux avec le souci de la qualité, gage de valeur ajoutée pour le produit agricole.

Il faut aussi certifier à nos concitoyens la qualité des produits qu'ils consomment. Il n'est plus possible de tolérer que des filières comme celle des fruits et légumes ou de la production porcine connaissent régulièrement les crises que l'on sait. Il est inadmissible que des abricots soient payés deux francs au producteur et qu'on les retrouve à vingt ou trente francs dans les magasins et, surtout, dans la grande distribution.

Nous récoltons là le fruit d'un libéralisme effréné qui a pu briller un temps, en créant des illusions, mais qui aujourd'hui, par ses conséquences économiques, entraîne irrémédiablement de nombreuses exploitations à leur perte.

L'agriculteur, qui est d'abord producteur, a en outre une vocation d'aménageur et d'acteur du territoire. Dans nos campagnes, beaucoup de tâches ne sont pas ou ne sont plus accomplies. Durant trente ans, nos exploitations ont été vouées exclusivement à des tâches marchandes, laissant très peu de temps aux tâches non marchandes.

L'enjeu de l'aménagement du territoire est donc incontournable ; l'ignorer serait irresponsable.

Le monde rural est un tout. C'est une terre d'accueil, de dynamisme, ouvert sur un monde viable. Il est un lieu de stimulation de l'emploi, de maintien du service public et du service marchand, car on sait ce que le secteur agricole rapporte à notre économie. Nous allons être conduits très prochainement à des négociations très difficiles pour la réforme de la PAC. Nous refusons tous, en l'état, les propositions qui sont actuellement comprises dans le paquet Santer. C'est en ce sens que le projet de loi d'orientation agricole permettra de peser sur les discussions, autorisant notre ministre de l'agriculture et de la pêche à dire : « Voilà ce que nous voulons en France et ce que nous revendiquons pour nos agriculteurs. » Il pro-

posera à nos partenaires européens un projet agricole pour l'Europe, pour enrayer le mal qui ronge nos campagnes et sacrifie nos agriculteurs sur l'autel des marchés internationaux.

Nous oeuvrons pour l'avenir des femmes et des hommes qui travaillent et qui veulent être justement rémunérés. Il est surprenant de constater que l'opposition, qui prétend cogner sur le paquet Santer, fasse de même à l'encontre d'un projet de loi dont l'objectif est précisément de freiner l'ultralibéralisme de dispositions européennes qui mettent en péril le modèle agricole français.

La loi, telle qu'elle se présente aujourd'hui, nous met en ordre de marche pour agir face à des décisions urgentes qui nous attendent pour sauver aujourd'hui et développer demain de façon pérenne notre agriculture.

Nous voterons donc contre la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

(M. Patrick Ollier remplace M. Jean Glavany au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

Nous en arrivons à la discussion générale.

Discussion générale

M. le président.

La parole est à M. Joseph Parrenin, premier orateur inscrit.

M. Joseph Parrenin.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que ce début de session sera marqué d'une pierre blanche.

Je crois également que c'est un honneur qui est fait à l'agriculture que d'ouvrir cette session par un projet de loi d'orientation agricole. J'ai pour habitude de faire de l'histoire, et il se trouve que je connais un peu l'histoire agricole, surtout depuis la guerre. Au lendemain de c elle-ci, certains l'ont rappelé, nous étions encore confrontés au rationnement, en particulier pour les denrées alimentaires. Ensuite, la fertilisation et la mécanisation ont permis d'augmenter considérablement les volumes.

La loi d'orientation agricole de 1960-1962, loi de modernisation et de restructuration foncière, a permis d'améliorer sensiblement le revenu des agriculteurs alors que celui-ci était excessivement bas.

Cette politique a connu une véritable envolée et ses conséquences se sont fait sentir dès le milieu des années soixante-dix, puisque nous avons alors commencé à connaître des problèmes d'excédents, avec des marchés mondiaux peu solvables. On a recouru alors à des artifices, le premier marché mondial engorgé étant celui du lait, avec la prime de reconversion lait-viande. Nous voyons bien aujourd'hui qu'il s'agissait de mesures à court terme ; d'autres mesures ont suivi.

Le budget de la nation et le budget communautaire ont augmenté considérablement afin de soutenir les interventions à l'exportation.

En 1984 ont été mis en place les quotas laitiers. Qui était au gouvernement ? Qui était ministre de l'agriculture ? Qu'a-t-on dit alors dans vos rangs, messieurs de l'opposition ? Les quotas laitiers, prétendait-on, monsieur Vasseur, c'était la faillite de l'agriculture !


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M. Michel Vergnier.

Il n'écoute pas !

M. Joseph Parrenin.

M. Guillaume a accusé les socialistes d'avoir abandonné l'agriculture. Mais, aujourd'hui, les agriculteurs nous disent qu'il faut maintenir les quotas laitiers, et ils le disent à vous comme à nous.

C'est bien la démonstration que seule la gauche a, dans l'histoire de l'agriculture, pris des décisions courageuses.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard.

C'est bien connu !

M. Christian Jacob.

Elle est bien bonne !

M. Joseph Parrenin.

Je prendrai un autre exemple, monsieur Jacob : qui est à l'origine du statut du fermage ?

M. Philippe Vasseur.

Et en 1604, qui a parlé de la poule au pot ?

M. Joseph Parrenin.

Je pourrais multiplier les exemples.

L'année 1992 marque un tournant important, avec la réforme de la PAC, dont les conséquences doivent être analysées. Certes, le revenu des agriculteurs s'est sensiblement amélioré et tous les agriculteurs le reconnaissent.

Hélas, cette amélioration a été très différente selon les régions et les productions. Nous avons obtenu des résultats positifs dans certaines productions. Mais ils ont été obtenus grâce à la disparition d'un grand nombre d'agriculteurs.

Je m'adresse à mon collègue Jacob.

P lusieurs députés du groupe socialiste.

Quel honneur !

M. Christian Jacob.

J'y suis très sensible !

M. Joseph Parrenin.

Il y a deux types d'agriculture.

Celle pratiquée en Seine-et-Marne, où le nombre d'installations en 1996 doit tenir sur les dix doigts des deux mains. Mais je l'invite à venir dans le département du Doubs, où, la même année, 114 installations ont eu lieu.

M. Christian Jacob.

C'est très bien !

M. Joseph Parrenin.

Pourtant, ce département est beaucoup moins fertile. Mais on voit où a conduit une certaine politique.

J'en arrive au projet de loi proprement dit. Avec les CTE, le contrôle des structures et le renforcement de la qualité, il va dans le sens de ce qui a été fait dans le département du Doubs et à l'encontre de ce qui a été fait en Seine-et-Marne. Nous voulons en effet maintenir des agriculteurs en grand nombre sur l'ensemble du territoire.

M. François Goulard.

Dans le Doubs, abstiens-toi ! (Sourires.)

M. Joseph Parrenin.

Elle est vraiment très connue !

M. Jean Michel.

Ils sont fatigués !

M. Joseph Parrenin.

Monsieur le ministre, vous nous avez demandé sur quel modèle d'agriculture nous voulions travailler. Je crois que vous avez donné la réponse dans cette loi. Ce projet, avec lequel le groupe socialiste et la majorité plurielle sont d'accord, a été élaboré avec l'ensemble des organisations agricoles, qui ont exprimé leur adhésion.

M. Jean Auclair.

Pas pour la réalisation !

M. Joseph Parrenin.

Elles ont gardé leur esprit critique et leur esprit constructif. C'est bien normal : elles remplissent leur rôle d'organisation professionnelle.

Oui, le projet de loi, grâce aux contrats territoriaux d'exploitation, donne le ton d'une agriculture avec des agriculteurs. En ce qui nous concerne, nous refusons cette agriculture sans agriculteurs qui a été évoquée tout à l'heure. D'aucuns rêvent ici, sans oser l'avouer, d'une agriculture sans agriculteurs...

M. François Sauvadet.

C'est insensé !

M. Joseph Parrenin.

Mme Lambert l'a bien compris, puisqu'elle déclare dans son rapport qu'elle souhaite avoir

« des voisins plutôt que des hectares » ! Si Mme Lambert s'exprime ainsi, c'est qu'elle sait bien où est le danger : elle sait bien - elle ne l'a pas inventé - qu'on peut faire une agriculture sans agriculteurs.

M. François Guillaume.

Ça, c'est nouveau ! Et comment fait-on ?

M. François Sauvadet.

Ça n'existe pas !

M. Jean Auclair.

Chez les socialistes, si !

M. Joseph Parrenin.

Les organisations agricoles ont justement fait le choix contraire.

Monsieur Vasseur, vous nous avez parlé de modernisation. Mais la vraie modernisation est celle qui est proposée dans le projet de loi, grâce aux contrats territoriaux d'exploitation qui prennent en compte les réalités régionales et locales et qui offrent la perspective de travailler avec des produits à forte valeur ajoutée.

Qui oserait aujourd'hui prétendre que, si les producteurs de vins de certaines régions n'avaient pas considérablement amélioré la qualité de leur produit, ils seraient encore sur leurs vignes et qu'ils participeraient à l'exportation comme ils le font ?

Mme Nicole Bricq.

Voilà un bon exemple !

M. Philippe Vasseur.

Un peu de sérieux !

M. Joseph Parrenin.

Tout le monde sait très bien que cette amélioration de la qualité a été sensible et qu'elle a permis une évolution de la balance commerciale en matière agricole. Cette évolution est d'ailleurs beaucoup plus favorable depuis quelques années pour ce qui concerne les produits transformés que les matières premières. Il vous suffit, pour vous en convaincre, d'analyser les chiffres de la dernière période.

Proposer aux agriculteurs de passer un contrat avec l'Etat, ce n'est pas faire de l'administratif : un tel contrat les réconcilie purement et simplement avec la société, car l'Etat représente la société. Et ceux-ci attendent une politique agricole qui réconcilie véritablement le monde des paysans avec le reste de la société.

M. François Patriat, rapporteur.

Très juste !

M. Joseph Parrenin.

Les contrats territoriaux que vous voulez, monsieur le ministre, nous les voulons avec vous parce qu'ils lient la politique agricole au territoire. Comment faire sans cet outil pour maintenir des agriculteurs sur l'ensemble des régions de France, y compris les plus difficiles ? Qui voudrait voir disparaître de ces zones défavorisées toute forme d'agriculture ? Personne ! Car dans ces régions-là aussi, on est capable d'avoir des produits de qualité et les paysages ont une valeur patrimoniale importante. Il n'est pas honteux pour des agriculteurs que d'être des jardiniers de l'espace. D'ailleurs, ils l'ont déjà


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été : si nous avons de beaux paysages, c'est bien parce qu'ils ont joué ce rôle.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Christian Jacob.

C'est parce qu'ils produisaient !

M. Jean Auclair.

On leur lancera des cacahuètes !

M. Joseph Parrenin.

Les contrats territoriaux prévus par le texte sont des contrats d'exploitation. Or, quand on parle d'exploitation, on ne pense pas simplement à la tâche de jardinier : on pense à celle qui consiste à produire !

M. Christian Jacob.

Cela ne ressort pas du texte !

M. Joseph Parrenin.

Au cours de notre débat, nous aurons l'occasion d'apprécier le travail réalisé en ce qui concerne la qualité des produits, notamment à travers les amendements auxquels le rapporteur a largement contribué puisqu'il est, comme d'autres de ce côté-ci de l'hémicycle, très sensible aux produits de qualité.

Je souhaite donc, au nom du groupe socialiste, apporter mon total soutien au projet de loi.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez aussi évoqué la politique des structures.

Nous aurons besoin d'une véritable politique des structures, que nous devrons renforcer si nous voulons permettre des installations à l'avenir. Le projet de loi porte à ce point une attention particulière et un certain nombre d'amendements viendront préciser les choses.

Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans apporter, et je vous prie de m'en excuser, une note personnelle.

J'ai été agriculteur dans une région de montagne. A l'âge de quatorze ans, j'ai travaillé sur l'exploitation familiale et, à vingt-trois ans, j'en ai moi-même repris une.

L'année dernière, grâce à la dissolution, j'ai dû la céde r.

M. Kofi Yamgnane.

Vous auriez dû dire : à cause ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Joseph Parrenin.

Non, je maintiens : grâce à la dissolution ! Je tiens à préciser qu'avec ma femme j'ai eu la chance d'élever quatre enfants sans changer la structure de mon exploitation. J'ai transmis la même exploitation en 1997 que celle que j'avais prise en 1964.

M. Christian Jacob.

Et vous avez l'impression d'être exceptionnel ?

M. Joseph Parrenin.

J'ai l'impression d'être exceptionnel par rapport à ce qui se passe en Seine-et-Marne, c'est sûr ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Je ne sais pas pourquoi M. Jacob me reprend car, là, il se met en faute !

M. Christian Jacob.

On croit rêver !

M. Joseph Parrenin.

Pour ma part, je ne crois pas rêver.

Un député du groupe socialiste.

C'est en Seine-etMarne que l'on rêve !

M. Joseph Parrenin.

Si je rêve, ce n'est pas pour moi : c'est pour ceux qui entreront dans l'agriculture après moi.

J'ai dit, en présence de votre directeur de cabinet, monsieur le ministre, lors d'une réunion avec l'ensemble des responsables agricoles de ma région, que, si j'avais vingt-quatre ans et que je doive choisir comme j'ai eu moi-même à le faire dans ma jeunesse, je choisirais, surtout avec un projet de loi d'orientation agricole tel que celui qui nous est soumis, d'être agriculteur. En effet, ce texte est véritablement la chance de l'agriculture de terroir sur l'ensemble du territoire.

Les agriculteurs sont un très grand nombre à avoir saisi le sens du projet de loi d'orientation agricole. Il est dommage que, de ce côté-ci de l'hémicycle, on ne l'ait pas compris. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Jacob, pour quinze minutes.

M. Christian Jacob.

Monsieur Parrenin, à vous entendre, on croit rêver ! Vous êtes en train de découvrir...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Vous ne saluez pas le président ?

M. Christian Jacob.

Voilà quelques instants, nous étions voisins dans l'hémicycle, et je l'avais donc déjà salué.

M. le président.

Monsieur Jacob, continuez votre intervention, je vous prie.

Mes chers collègues, laissez parler l'orateur.

M. Christian Jacob.

Je ne peux m'empêcher de réagir aux propos de M. Parrenin.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Vous ne saluez pas non plus le ministre ?

M. Christian Jacob.

Si vous m'interrompez, mon intervention risque de durer ! (Sourires.)

Vous avez voulu, monsieur Parrenin, comparer des chiffres d'une manière tout à fait démagogique. Vous avez de ce fait abaissé le niveau du débat.

Je vous rappelle que la Seine-et-Marne est un département où disparaissent chaque année 2 500 hectares de terre sous le bitume et le béton et que le nombre d'installations y est aussi lié au nombre d'agriculteurs.

Si le nombre des installations a augmenté dans le Doubs comme partout en France, vous n'y êtes pour rien. Vous semblez vous approprier le mérite de cette situation, mais savez-vous à qui vous la devez ? A Philippe Vasseur, qui a instauré la charte sur l'installation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Patriat, rapporteur.

C'est une plaisanterie ?

M. Christian Jacob.

Grâce à cette charte, le nombre des installations a augmenté de 25 %. Quant à vous, vous n'avez rien fait pour les installations. Mais sortons de cette discussion ! Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

M me Paulette Guinchard-Kunstler.

Ah ! Quand même !

M. Christian Jacob.

Ne vous en faites pas, il y en aura pour tout le monde ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, je voudrais que l'on fasse une petite mise au point sur le budget de l'agriculture.

Mme Nicole Bricq.

Ce n'est pas le sujet !

M. Michel Suchod.

Nous en discuterons le mois prochain !

M. Christian Jacob.

J'ai transmis, mes chers collègues, un document au ministre, qui a tout à l'heure éprouvé le besoin de me reprendre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. Marcel Rogemont.

A juste titre !

M. Christian Jacob.

Que l'on s'explique donc clairement ! D'après les documents budgétaires qui nous ont été transmis par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn, le total de crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche s'établissait, dans le projet de loi de finances pour 1998, à 35,688 milliards contre 33,547 milliards dans le projet de loi de finances pour 1999, soit une diminution de 2,141 milliards, c'est-à-dire 6 %. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le ministre des finances. Et si je vous ai fait parvenir une photocopie du document, monsieur le ministre, c'était pour être sûr que nous parlons de la même chose.

M. Jean-Claude Daniel.

Vous êtes pessimiste : on n'a pas encore voté le budget ! (Sourires.)

M. Christian Jacob.

Mais vous me ferez sans doute l'amitié de me répondre sur ce point particulier. (M. le ministre de l'agriculture et de la pêche fait un signe d'assentiment.) Nombre d'orateurs quels que soient les bancs de l'hémicycle sur lesquels ils siègent, ont replanté le décor des défis qui se présentent à notre agriculture. Ces défis sont de plusieurs ordres.

Le premier est celui de l'augmentation de la demande alimentaire, très largement évoquée. A juste titre, Philippe Vasseur y a attaché beaucoup d'importance : il faut savoir ce qu'elle représente directement pour les agriculteurs et pour tous les emplois induits, ainsi que l'économie qui en résulte. En France, un emploi sur cinq est, de près ou de loin, lié au secteur agro-alimentaire. Il faut donc, lorsque, voulant banaliser le secteur de l'exportation, on affirme que celui-ci n'est pas l'objet de notre préoccupation,...

Mme Nicole Bricq.

Personne n'a dit cela !

M. Christian Jacob.

... faire attention à toutes les conséquences d'une telle attitude.

Deuxième défi : répondre à la demande des consommateurs pour des produits plus clairement identifiés et de qualité. Cela renvoie à la question de la « traçabilité ». Je crois que personne, dans cet hémicycle, n'ira contre cette tendance. Mais sur ce point votre projet est ambigu, monsieur le ministre, car il introduit une confusion avec la pseudo-création d'un cinquième signe de qualité, les

«

IGP », indications géographiques protégées, qui vont rendre encore plus difficile l'identification par le consommateur de nos produits de qualité. Surtout, elles risquent de banaliser les produits de ceux qui ont consenti des efforts de qualité depuis longtemps, notamment dans le secteur des AOC, qu'a évoqué le rapporteur.

Troisième défi : l'agriculture doit continuer à remplir sa mission d'aménagement du territoire, ce dont nous sommes tous convaincus.

Mais expliquez-moi comment, autrement que par une activité de production, on peut faire de l'aménagement du territoire ! Si, et c'est ce que l'on croit comprendre en lisant entre les lignes consacrées au CTE, votre souci se réduit à avoir un paysan accroché à la montagne et à lui octroyer 20 000 francs par an, on ne peut que s'étonner, car ce n'est pas ainsi que l'on fait de l'aménagement du territoire. Au contraire, il faut développer, sur un territoire une économie, y fixer des emplois et faire en sorte que les gens puissent y vivre à partir d'une activité de production, et non pas compter sur telle ou telle pseudomission.

Quatrième défi : assurer le renouvellement des générations par des mesures facilitant la transmission, notamment en faveur des jeunes.

Ces quatre grandes orientations étant posées, comment peut-on répondre aux opportunités de développement et aux orientations qui auront été définies ? D'abord, il convient de redonner de la compétitivité aux entreprises agricoles, quelles que soient leur région ou leur production. Prenez n'importe quel compte d'exploitation : au-delà des dix premières années d'installation, durant lesquelles le financement pèse le plus lourdement, quelles sont les charges les plus importantes ? Ce sont les charges sociales et les charges fiscales. Ce sont celles qui pèsent sur les entreprises. Mais sur ce point, pas un mot ! Absolument rien n'est prévu, si ce n'est un énième rapport qu'on nous fournira je ne sais pas trop quand.

M. Michel Suchod.

En mars !

M. Christian Jacob.

Oui, et après ce rapport de mars, il en faudra un autre pour l'approfondir ! (Sourires.)

La faible rotation des capitaux dans le secteur agricole nous oblige à avoir une fiscalité adaptée. Sur ce sujet, non plus, absolument rien ! Il en est de même du financement des installations.

Pourtant, ce sont les mesures de financement et de transmission prises par votre prédécesseur qui ont permis d'augmenter le nombre des installations. Mais, sur ce sujet, pas un mot, non plus ! Rien non plus sur les systèmes incitatifs ! J'ai cru rêver en découvrant la proposition concernant le contrôle des structures. En 1981, quand la gauche pensait aux offices fonciers, elle n'était pas allée aussi loin ! En fait, ce que vous prévoyez n'est ni plus ni moins qu'une autorisation provisoire d'installation.

Mes chers collègues, connaissez-vous un agriculteur qui accepterait de financer une installation pour deux ans ? Moi, je n'en connais aucun. M. Parrenin, qui a une très grande connaissance de l'agriculture... Mais je m'aperçois qu'il a quitté l'hémicycle. Il est vrai que maintenant qu'il a prononcé son intervention... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Marcel Rogemont.

C'est démago !

M. Jean Michel.

Petit niveau, Jacob !

M. Christian Jacob.

Elle était facile et je ne la referai pas. (Sourires.)

Comment cela se passera-t-il sur les structures d'exploitation ? Au moment où un jeune voudra reprendre l'exploitation qu'il avait en société avec son père, vous lui direz : « Non ! On va te donner une autorisation provisoire pour deux ans et, pendant ces deux ans, on regardera s'il n'y a pas quelqu'un de plus prioritaire que toi parmi tes voisins. »

M. Arnaud Lepercq.

C'est aberrant !

M. Christian Jacob.

Vous rendez-vous compte de ce que cela veut dire ?

M. Jean Auclair.

C'est une atteinte au droit de propriété !

M. Christian Jacob.

Imaginez-vous les situations que vous créerez sur le terrain ? Deux ans ! Mais qui accepterait de s'installer pour deux ans ? Une telle mesure méconnaît complètement la réalité et des installations et de l'agriculture en général.


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Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

Et vous, qu'est-ce que vous connaissez à l'agriculture ?

M. Christian Jacob.

J'en viens au contrat territorial d'exploitation.

On nous a affirmé ce matin que 80 % des aides allaient à 20 % des agriculteurs. Mais avec le contrat territorial d'exploitation, il ne s'agit pas de cela ! Vous prenez le financement là où il se trouve : sur les opérations groupées d'aménagement foncier, sur les fonds d'installation, sur le fonds de gestion de l'espace rural, sur les offices. Or, par le biais de ces fonds, sauf erreur de ma part, une répartition harmonieuse s'opère sur l'ensemble du territoire,...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

Ça, c'est moins sûr !

M. Christian Jacob.

... et plus directement par les OGAF et les FGER dans les régions difficiles parce que ce sont elles qui, prioritairement, en ont le plus besoin. Et vous recourez à tous ces financements pour monter une mécanique infernale, le contrat territorial d'exploitation que les agriculteurs iront signer chez le préfet. Ainsi, à chaque fois qu'on voudra changer son assolement ou modifier son exploitation, on ira en demander l'autorisation au préfet. Je n'invente rien : c'est ce qui est prévu dans le texte !

M. André Angot.

Eh oui !

M. Christian Jacob.

Monsieur le ministre, pour conclure, je vous dirai que j'ai été très surpris à la lecture de votre projet de loi d'orientation, et notamment par son exposé des motifs. Vous avez pourtant, du moins chez vos amis, la réputation d'être un homme de terrain, une personne plutôt pragmatique. Mais quand on lit votre texte, on a le sentiment que vous avez laissé oeuvrer quelques personnes de votre entourage, quelques ayatollahs, dont la connaissance des terroirs de France, se limitant au boulevard périphérique parisien, ignore la profondeur de nos régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean Auclair.

Très juste !

M. Marcel Rogemont.

M. Le Pensec est un Finistérien.

Sa connaissance dépasse quand même la banlieue parisienne !

M. Christian Jacob.

Je ne parle pas du ministre, je parle de ses collaborateurs. Le ministre est peut-être mal entouré. Cela peut arriver. (Sourires et applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Marcel Rogemont.

Nous l'entourons !

M. le président.

La parole est à M. Félix Leyzour, pour vingt minutes.

M. Félix Leyzour.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, dans la discussion générale qui s'est engagée, je voudrais, d'une part, dire dans quel état d'esprit le groupe communiste aborde l'examen du projet de loi et, d'autre part, présenter un certain nombre d'observations de portée générale, que nous développerons dans la discussion des articles et des amendements.

Les dernières lois d'orientation concernant l'agriculture, datent, comme on l'a rappelé ce matin, des années 60.

Elles étaient centrées sur l'évolution des structures et le développement de la production. Il s'agissait de produire plus et de pousser à l'agrandissement des exploitations.

Cela s'est fait avec des départs massifs de la terre, p uisqu'en 1997 la France ne comptait plus que 680 000 exploitations. Cela s'est fait aussi avec une augmentation de la productivité du travail à la campagne et avec une augmentation de la production, sources d'activités de transformation. Mais ce phénomène a aussi été la cause d'inégalités et d'injustices, d'atteintes à l'environnement et d'interpellations sur le plan sanitaire, qui font que l'on est confronté aujourd'hui à des défis considérables que la société a intégrés dans son approche des problèmes agricoles et ruraux et qu'il nous faut relever, même si, pour des raisons politiques évidentes, la droite fait ici semblant de le nier. On observera d'ailleurs que les organisations syndicales et professionnelles sont, dans les fonctions qui sont les leurs, beaucoup plus nuancées, allant de l'appréciation de la démarche à l'expression de leurs exigences pour la concrétiser.

Il est donc clair que, dans les conditions qui sont celles d'aujourd'hui, c'est d'une nouvelle orientation que l'agriculture a besoin. C'est, monsieur le ministre, ce que propose votre projet de loi qui, d'ailleurs, ne peut être apprécié par son seul contenu, car il doit l'être aussi par rapport au contexte dans lequel il est présenté.

Chacun sait que l'agriculture est un secteur très lié à la politique européenne. L'Europe s'est, d'une certaine f açon, construite autour de la politique agricole commune. Tout ce qui bouge en Europe et dans les relations entre l'Europe et le monde se répercute sur l'agriculture. Or, cette discussion intervient dans le contexte de la préparation de la réforme de la PAC qui, à la différence de celle intervenue en 1992, est doublée de celle des fonds structurels. Quand on sait que la PAC reçoit 44 % du budget communautaire et que les fonds structurels en reçoivent 37 %, on comprend que les enjeux sont considérables.

Et qu'y a-t-il au coeur de cette volonté de réforme au plan européen ? Il y a la volonté d'adapter la politique de l'Union en vue de deux échéances capitales. La première, c'est l'élargissement de l'Union à dix ou onze pays candidats situés à l'est et au nord de l'Europe. La seconde, c'est l'engagement de nouvelles négociations sur l'organisation mondiale du commerce.

Ce qui apparaît clairement, c'est que la baisse des prix à la production dans l'Union, tirée par la volonté d'alignement sur les prix mondiaux qui n'ont pas de significat ion économique, est le moyen de répondre aux échéances de l'élargissement aux pays de l'Est et des négociations de l'OMC dans le sens souhaité par les Américains et tous les partisans de l'ultralibéralisme.

La baisse des prix à la production, c'est aussi la baisse du revenu des agriculteurs. Sans doute, dans le réforme de la PAC est-il envisagé, au moins à titre transitoire, une compensation à cette baisse des prix, une compensation par les primes. Comme les réformes budgétaires concernant la PAC et les fonds structurels devront se faire à fonds constants, puisque ces réformes s'inscrivent dans le plafond des ressources du budget européen fixé à 1,27 % du produit intérieur brut européen en vertu de l'obligation de stabilité budgétaire, qui paiera le coût économique, social et politique supplémentaire de l'élargissement ? Est-ce que ce ne sera pas, pour partie, l'agriculture au titre non seulement de la PAC, mais aussi des fonds structurels qui interviennent largement dans le monde rural ? La question est posée et la France, pays agricole de l'Europe par excellence, est particulièrement concernée.


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C'est dans ce contexte, dont on ne peut faire abstraction, qu'interviennent la présentation et la discussion de ce projet, contexte marqué aussi par l'aiguisement de contradictions, certains pays considérant non seulement que le budget ne doit pas augmenter, mais aussi que la part qu'ils apportent pour en assurer l'équilibre doit diminuer. Les discussions vont donc être rudes et certaines échéances seront sans doute retardées.

En fonction de tout cela, que pouvons-nous attendre de la nouvelle loi d'orientation ? Nous savons très bien que la baisse des prix à la production, en dépit de la mise en oeuvre transitoire de compensations, risque de conduire à une baisse des revenus. Une telle baisse ne pousserait-elle pas à rechercher une productivité accrue, une concentration plus forte, des rendements plus polluants, soit exactement l'inverse de ce qui est visé par le projet de loi ? Le risque existe et il ne serait pas de bonne politique de ne pas le percevoir, car nous affaiblirions ce que l'on peut attendre du projet de loi, donc de la loi elle-même.

Pour notre part, nous considérons que la loi peut servir de point d'appui afin que, dans les grande négociations qui se préparent, la France agisse d'une manière très déterminée pour réorienter les politiques européennes. Les décisions que vous avez prises ces derniers mois, monsieur le ministre, pour aborder sous un angle nouveau les problèmes de lutte contre les pollutions, de dégagement de certains marchés, de recherche d'une meilleure maîtrise des productions, de résistance au plan européen pour défendre l'agriculture française - autant de points que nous approuvons - montrent que le secteur d'activités qui nous occupe avec ce projet est un espace où la volonté politique peut faire bouger les choses. Nous souhaitons qu'il en soit ainsi et plus amplement encore avec ce projet de loi.

Premier point du texte que je veux souligner : le projet repose sur la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, c'est-à-dire sur des aspects économiques, sociaux et environnementaux. C'est donc bien une orientation qui est dessinée.

L'objectif visé, c'est une agriculture dont le mode de développement est voulu plus durable. Il s'agit non seulement de viser la qualité, mais aussi d'orienter la production vers plus de qualité. Toutes les dérives de ces dernières années appellent, dans ce sens, des réponses souhaitées par l'opinion.

Au centre du dispositif, il y a le contrat territorial d'exploitation : le CTE. Ce contrat présente un caractère incitatif dans la mesure où une partie des aides attribuées est versée en tenant compte non pas du seul volume de production, mais d'un certain nombre d'autres données, comme par exemple les contraintes environnementales, le maintien de l'emploi sur l'exploitation. Ce sont des dispositions qui vont dans le sens que nous souhaitons.

Nous avons exprimé des préoccupations en soulignant qu'il ne faut pas minimiser l'acte de produire, l'activité de production, l'activité agricole elle-même. Si les agriculteurs sont bien, comme on dit « les jardiniers de l'espace » - la formule est à la mode - ils ne se contentent pas d'entretenir la nature, ils la travaillent et la valorisent en produisant. C'est maintenant une chose entendue.

M. Marcel Rogemont et M. Gérard Saumade.

Très bien !

M. Félix Leyzour.

La production, à travers le CTE, doit rester vivante. Evidemment, quand nous disons

« production », nous n'entendons pas productivisme à tout crin, qu'il faut au contraire combattre. Nous disons : production respectueuse de l'environnement et qui soit capable de fournir des denrées saines, des produits de qualité.

Nous pensons que si l'aménagement du territoire ne dépend pas que de l'agriculture, il n'y a pas d'aménagement du territoire, pas de vie rurale sans production active servant de base aux activités de transformation.

Deuxième point : ce projet prévoit une meilleure répartition des aides européennes et nationales. Il s'agit de mettre une terme aux pratiques de ces dernières années qui faisaient que plus on était gros, plus on produisait, plus on recevait d'aides. Cette nouvelle orientation va dans le sens de ce pourquoi nous luttons de longue date.

Il arrivait qu'on nous dise qu'on n'était pas « modernes » parce qu'on s'élevait contre ces pratiques abusives, comme si le modernisme devait être synonyme d'injustices et d'inégalités ! Nous pensons que les temps nouveaux appellent transparence, démocratie, justice sociale.

M. Jean Michel.

Très bien !

M. Félix Leyzour.

Troisième point : le texte prévoit de lutter contre les concentrations excessives en contrôlant mieux les structures. Voilà aussi un objectif pour lequel nous luttons depuis des années. Pour que cela entre bien dans la vie, il faudra que les organismes qui s'expriment dans ce domaine soient bien représentatifs du pluralisme qu'est celui du monde agricole et de la diversité des acteurs des partenaires de l'agriculture.

Nous savons bien que, pour favoriser l'installation des jeunes, il est important de se pencher sur le problème du contrôle de l'attribution des terres. Mais nous savons aussi que l'un des freins actuels à l'installation des jeunes c'est l'importance des capitaux qu'il faut mobiliser. Il faut donc, avec tout le système de financement tournant autour du CTE, avoir le souci de renforcer le fonds d'installation des jeunes. A ce renforcement des fonds, il faut ajouter une extension du rôle des SAFER, qui devraient pouvoir faire de la location-vente...

M. François Patriat, rapporteur, et M. Gérard Saumade.

Très bien !

M. Félix Leyzour.

... pour alléger le poids du foncier dans les premières années de l'installation.

M. Marcel Rogemont.

Il a raison !

M. Félix Leyzour.

Quatrième point : le volet social.

Diverses dispositions sont prévues et qui vont dans le bon sens, comme la création d'un nouveau statut du conjoint.

Au plan social, se pose aussi le problème des retraites.

Ce problème concerne des centaines de milliers de personnes, dont certaines sont âgées, disposant de très faibles ressources, d'autres moins âgées, plus récemment parties à la retraite et dont les besoins ont évolué par rapport à ceux de la génération précédente. Il y a ceux qui vont partir et, à cet égard, on sait que la perspective pour eux de disposer d'un peu plus de ressources ne peut que favoriser la rétrocession des terres à des jeunes dans de meilleures conditions.

Des mesures ont été prises pour les retraites les plus faibles l'an dernier et, vous l'avez rappelé, monsieur le m inistre, un nouveau train de mesures est prévu pour 1999, dont nous débattrons dans le cadre de la discussion du projet de budget pour 1999, qui sera la première année de l'application de la présente loi. Pour aujourd'hui, nous nous en tenons à l'orientation, c'est-à-


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dire à l'objectif visé qui est d'atteindre le niveau de retraite des autres catégories, à savoir 75 % du SMIC, et au rythme de la marche pour l'atteindre.

Ce qui est mis en oeuvre depuis l'an dernier traduit un mouvement dans la bonne direction, mais il est nécessaire, monsieur le ministre, que le rythme pour atteindre l'objectif soit accéléré de façon significative dès le dé but de l'échéancier. Des engagements ont été pris. Les attentes sont grandes et amplement justifiées. Nous demandons, dès les premières années de la législature, un effort plus important. Nous demandons que le principe de cet effort soit retenu et qu'il trouve sa traduction lors de la discussion du projet de budget pour 1999.

Cinquième point : la réponse apportée pour les salariés de l'agriculture. Même si l'objectif est de défendre l'exploitation familiale, l'exploitation à « taille humaine », il n'en demeure pas moins vrai que le salariat s'est développé dans l'agriculture. Bien que l'activité en agriculture soit différente de l'activité industrielle, il ne serait pas de bonne politique d'accepter une précarisation plus grande de l'emploi. Il faut l'éviter et, en tenant compte de la spécificité des emplois en agriculture et de leur dissémination sur le territoire, nous souhaitons la création d'instances où les salariés agricoles puissent s'exprimer et faire valoir leurs droits.

Le temps qui m'est imparti ne me permet pas de passer en revue tous les autres points relatifs à l'organisation économique, aux coopérations, à l'organisation interprofessionnelle, aux questions de la formation et de l'enseignement sur lesquels nous reviendrons dans la discussion des articles.

En conclusion, je le dis au nom de mon groupe, ce projet présente des aspects positifs intéressants qui sont en phase avec les problèmes d'aujourd'hui, avec les préoccupations et les attentes dans le secteur de l'agriculture et dans la société. Nous allons, dans le jeu normal du débat parlementaire, apporter notre contribution pour l'améliorer sur divers points, mais tout dépendra ensuite de l'usage que l'on en fera. En effet, une loi ne vaut que par l'application qu'on en fait.

De toute façon, la présente loi ne réglera pas tout par elle-même. Il ne faudra pas baisser la garde, penser que, par elle-même, elle nous protégera des effets dévastateurs de la réforme de la PAC telle que prévue. Il nous faudra au contraire prendre appui sur ce qu'elle offre de possibilités pour mener le combat en faveur d'une politique européenne dont on pense de plus en plus qu'elle ne peut pas, qu'elle ne doit pas s'aligner sur la politique américaine empruntant la voie du libéralisme sans rivages.

J'ai entendu les représentants de l'opposition dire qu'ils voulaient défendre la place de l'agriculture européenne, de l'agriculture française, face aux prétentions des Américains. Je ne crois pas qu'on puisse le faire en se situant sur leur terrain, en courant après eux. C'est en leur offrant une résistance qu'on peut dégager d'autres solutions. Des choses bougent dans ce sens, dans le sens d'une résistance à cette marche vers toujours plus de libéralisme. Il nous appartient de contribuer à les faire bouger encore davantage. C'est tout le sens de notre démarche, de nos propositions pour conforter les dispositions d'un projet qui dessine une nouvelle orientation pour l'agriculture de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Germain Gengenwin, pour dix minutes.

M. Germain Gengenwin.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd'hui de nous prononcer sur un projet de loi d'orientation agricole, en somme sur une réforme censée fixer les contours de ce que doit être l'agriculture française des prochaines décennies. Mon ami François Sauvadet en a déjà analysé les lacunes, ce matin, mais nous participerons au débat d'une façon constructive.

Vous voulez une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Nous aussi. Ce qui nous différencie, c'est que votre conception conduit à remettre en cause la fonction de production et, par la même occasion, la capacité exportatrice de notre agriculture. Or, cela, nous ne le voulons pas.

L'article 1er , qui fixe les objectifs de la politique agricole est, de notre point de vue, très contestable. Nous souhaitons le voir remanié. Les travaux de la commission ont permis de l'améliorer sensiblement. J'espère que le Gouvernement se ralliera à la rédaction proposée par celle-ci. Je voudrais d'ores et déjà remercier le rapporteur, M. Patriat, de sa collaboration pour faire accepter certains amendements présentés par l'opposition.

Nous sommes à la veille d'échéances internationales majeures telles que la réforme de la PAC et la prochaine reprise des négociations concernant l'organisation mondiale du commerce, qui auront de fortes répercussions sur notre agriculture. La question qui se pose à nous aujourd'hui n'est pas « Faut-il une loi d'orientation agricole ? », mais : « Est-ce le moment opportun pour faire voter une loi d'orientation ? ». Le projet qui nous est présenté prend-il en compte les nouvelles orientations européennes du « paquet Santer » ? Visiblement non, parce que cela n'est pas possible.

En effet, dans l'article 1er du projet, qui détermine les objectifs de la politique agricole française, il n'y a aucune référence à la politique agricole commune. Or il est inconcevable de fixer les contours de l'agriculture de demain sans tenir compte du contexte européen et international. Il faut un minimum de cohérence entre la politique française et la PAC, à défaut de quoi cette loi d'orientation agricole sera obsolète avant même d'être votée. La commission a, sur notre proposition, amélioré le texte en ce sens. Là aussi, je compte sur votre soutien.

De plus, ce projet est réducteur car, dès son exposé des motifs, il nie la vocation économique de l'agriculture, donc, de ce fait, la vocation exportatrice de la France. Je vous rappelle - cela a été dit ce matin - que l'agriculture contribue à hauteur de près de 70 milliards de francs à l'excédent de la balance commerciale de la France. Sans vouloir utiliser des termes excessifs, n'avons-nous pas une certaine part de responsabilité dans l'approvisionnement alimentaire mondial ? A moins que nous ayons sciemment fait le choix d'abandonner cette mission aux seuls

Etats-Unis ! De la maîtrise de l'arme alimentaire dépend la paix dans le monde, vous le savez. Cela a un prix, mais faut-il que l'agriculture seule le paye ? Peut-être peut-on oublier une famine au Soudan, mais pouvons-nous faire fi des problèmes alimentaires dans un pays où plus personne ne contrôle l'arme alimentaire ? C'est une question importante pour l'ensemble de la communauté.

Le point le plus important de ce texte est le contrat territorial d'exploitation. Présenté comme l'innovation majeure de la LOA, ce dispositif, qui vise à inscrire l'exploitation agricole dans une démarche contractuelle et à rétribuer d'autres fonctions que la production, ne suscite pas trop l'enthousiasme dans nos régions. Les agriculteurs que j'ai consultés sont dubitatifs. Chacun d'eux essaye de trouver réponse à son problème particulier et ils consi-


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dèrent qu'il y a trop de promesses alléchantes, que cette formule est loin d'être satisfaisante. Les critiques et inquiétudes qui émanent de la base sont nombreuses et justifiées.

La vocation économique de production de l'exploitation agricole doit rester la priorité, or ce n'est pas le cas dans votre schéma. Ne parlons pas du financement : 300 millions de francs pour 12 000 contrats, c'est très modeste ! Et il ne s'agit même pas de financements nouveaux ; il s'agit d'un redéploiement des moyens, qui suppose la réduction d'autres lignes budgétaires.

La faiblesse des moyens que vous consacrez au CTE montre que vous doutez d'entrée de jeu du succès du dispositif. Vous allez me répondre qu'il n'y a aucune obligation à contracter. Certes, mais le CTE devient le passage obligé pour l'obtention des aides et des primes. Les demandes de contractualisation afflueront, et le fonds de financement sera donc davantage sollicité. Il va bien falloir, monsieur le ministre, trouver de nouvelles sources de financement. Lesquelles ? Je vous le demande.

M. Joseph Parrenin.

On va prendre aux gros !

M. François Goulard.

Ce sont les vases communicants !

M. Germain Gengenwin.

Allez-vous transférer la charge sur les régions et les départements ? Sur le terrain, les exploitants ne sont pas dupes. Tout le monde est persuadé que vous allez forcément faire participer les collectivités locales au financement de ces contrats de plan.

M. Marcel Rogemont.

Elles y participent déjà.

M. Germain Gengenwin.

Cela se fait déjà, en effet, mais - de grâce ! - laissez aux régions et aux départements la responsabilité des fonds qu'ils engagent en fonction de la diversité de leurs territoires.

D'après vos déclarations devant la commission de la production et des échanges, le fonds de financement CTE est appelé à recevoir, à l'issue de la réforme de la PAC, une partie des aides européennes versées dans le cadre des organisations communes de marché. Cela veut dire que des crédits communautaires contribueront à financer un dispositif duquel seront exclues les productions régies par d es organisations communes du marché. Ce serait complètement aberrant et des explications sont nécessaires quant à l'avenir du financement du CTE.

La mise en place des contrats est confiée au préfet après avis de la commission départementale d'orientation agricole qui, je le rappelle, est dorénavant ouverte auxr eprésentants des écologistes et des consommateurs.

L'Etat va-t-il jouer un rôle d'arbitre dans cette instance ? Que restera-t-il de la vocation économique de l'exploitation agricole et du pouvoir décisionnel des agriculteurs eux-mêmes ? Ce CTE peut devenir la meilleure ou la pire des choses. Il peut se révéler un levier politique extraordinaire ou bien un réel outil de promotion. J'espère que vos réponses en préciseront les contours et le financement.

Et puis, que reste-t-il à décider au Parlement quand chacun sait que vous avez déjà chargé les préfets de négocier les modalités du CTE ? Vous nous faites penser, monsieur Le Pensec, à ces ministres des affaires sociales qui, sous tous les gouvernements, nous avertissaient en ces termes : « Ne touchez pas à ce texte de loi, on a l'accord des partenaires sociaux ! » (Sourires.) Mais enfin, nous verrons.

J'en viens à la définition de l'activité agricole, définition large qui englobe sans limite toutes les activités accessoires. Il y a là une maladresse évidente de la part de vos services, qui ont réussi à provoquer une levée de boucliers dans l'ensemble du monde artisanal.

Avec mes collègues du groupe UDF, nous avons mis au point et fait adopter par la commission une solution équilibrée qui donne satisfaction aux deux parties. Une fois de plus, je remercie le rapporteur de l'avoir acceptée.

Notre amendement no 89 précise que le caractère accessoire des travaux réalisés avec le matériel de l'exploitation et les activités d'hébergement est apprécié au sens de l'article 75 du code général des impôts, ce qui permet de clore le contentieux que vous aviez initié.

Au titre IV relatif à la politique de la qualité, l'article 39 érige « l'indication géographique protégée » en cinquième signe de qualité. Cette disposition a fait l'objet de nombreuses critiques. A juste titre, car vous bradez ainsi la qualité et créez la confusion dans l'esprit des c onsommateurs. L'ensemble de nos interlocuteurs dénoncent avec raison les conséquences négatives de votre choix pour les consommateurs, qui ne seront plus à même de distinguer les signes de qualité des indications de provenance. Vous risquez de provoquer à terme une banalisation des produits. Nous ne pouvons pas l'accepter, et c'est pourquoi nous avons déposé un amendement à cet article.

Notre groupe a bien sûr d'autres motifs d'inquiétude, s'agissant en particulier de l'organisation économique des producteurs. Votre majorité partage notre sentiment sur ce point et elle a soutenu nos amendements en commission. J'en sais gré à notre rapporteur...

M. François Patriat, rapporteur.

Merci !

M. Germain Gengenwin.

... et j'espère, monsieur le ministre, que vous n'y ferez pas opposition. Mon ami Pierre Hériaud reviendra plus en détail sur ce point important.

S'agissant du contrôle des structures, sujet délicat, le projet de loi a prévu des simplifications. Nous sommes opposés à l'amendement de la commission tendant à durcir le contrôle. Celui-ci risque en effet de devenir inutile avec le phénomène croissant de déprise des terres agricoles dans certaines régions.

M. le président.

Il faut penser à conclure, monsieur Gengenwin.

M. Germain Gengenwin.

Je termine, monsieur le président.

Les lacunes de ce projet sont nombreuses ; je me contenterai d'en énoncer deux.

P remièrement, l'absence de volet fiscal. Une loi d'orientation dénuée de mesures fiscales ne mérite pas cette appellation. Comment peut-on prétendre préparer notre agriculture à relever les défis du prochain millénaire sans lui offrir un environnement fiscal adapté lui permettant d'assurer sa compétitivité sur les marchés ? Mais j'abrège mon propos à ce sujet, que traitera de manière plus approfondie mon ami Charles de Courson.

M. Joseph Parrenin.

Quelle calamité !

M. Germain Gengenwin.

J'espère, mon cher collègue, avoir mal entendu ! Par ailleurs, le groupe UDF proposera des amendements pour renforcer le pouvoir économique des producteurs. L'un d'eux vise à étendre la dotation pour investissement aux parts de coopératives. Je crois savoir que votre majorité demande des avancées dans le même sens puisqu'elle présente une proposition identique.


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Seconde lacune : l'absence de mesures concernant l'assiette des cotisations sociales.

Comme je le disais précédemment, une loi d'orientation censée préparer l'avenir de notre agriculture se doit de contenir les moyens permettant d'assurer la compétitivité des exploitations par un allégement des charges sociales. L'un de ces moyens consisterait à extraire le revenu du capital de l'assiette des cotisations. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Monsieur le ministre, nous allons bientôt entrer dans le vif du sujet en abordant la discussion des articles. Nous serons vigilants et exigeants. C'est en fonction de vos réponses à ses interrogations et à ses propositions que le groupe UDF déterminera sa position dans le vote final.

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod, pour dix minutes.

M. Michel Suchod.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à un an de l'ouverture des négociations de l'Organisation mondiale du commerce sur l'agriculture, le Gouvernement prend l'initiative - et il fait bien - de réorienter la politique agricole française, afin de remédier au mouvement de concentration qui affecte actuellement notre tissu rural et risque d'entraîner à nouveau la disparition de milliers d'exploitations si l'on n'y prend garde.

Pourquoi une loi d'orientation ? J'ai été très surpris de voir M. Vasseur opposer la question préalable, qui suppose qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

Si l'on considère en effet l'apport des grandes lois qui ont jalonné notre histoire, celle de 1960, sans préjudice de celles de 1980 et de 1995, et si l'on constate en même temps que notre agriculture a dégagé l'an dernier 65 milliards de francs d'excédent commercial, mais a surtout permis de maintenir dans le monde rural 680 000 chefs d'exploitation, 300 000 aides familiaux, 350 000 conjoints et près de 140 000 salariés permanents, il est évident, au contraire, qu'il y a tout lieu de délibérer.

Monsieur le ministre, votre loi était nécessaire car il faut répondre à quatre défis.

Celui du nombre d'agriculteurs et du type d'agriculture que nous souhaitons à une époque où les marchés, si l'on n'y prend garde, risquent de surdéterminer l'ensemble de la vie économique dans ce secteur.

Celui du pouvoir économique des agriculteurs dans les filières au moment où l'on constate qu'en aval de l'agriculture, le secteur de la commercialisation est très concentré. Comment les agriculteurs vont-ils pouvoir négocier leur prix dans ces conditions ? Celui de la localisation des bassins de production. La concentration de la production sur les aires les plus rentables peut entraîner un véritable bouleversement de la géographie agricole. Il a d'ailleurs déjà commencé.

Enfin le défi, auquel notre époque est très sensible, de la préservation des ressources naturelles : l'eau, les paysages, etc.

Dans un contexte marqué par des marchés agricole de plus en plus ouverts et de plus en plus concurrentiel dans une phase de mondialisation accélérée, face par ailleurs aux exigences de plus en plus fortes de la société sur le plan environnemental comme sur celui de la santé publique, les députés du Mouvement des citoyens se félicitent, monsieur le ministre, du volontarisme de votre projet de loi et des perspectives qu'il trace.

Votre principale innovation consiste à instituer la contractualisation des subventions attribuées par l'Etat, dont le versement était jusqu'alors proportionnel aux volumes produits, c'est-à-dire le plus souvent à la taille de l'exploitation. Une comparaison qui figure dans l'exposé des motifs du projet de loi comme dans le rapport de la commission fait apparaître que le revenu annuel moyen d'un agriculteur est vingt fois inférieur dans la Creuse à ce qu'il est dans l'Aube. Les contrats territoriaux d'exploitation qui seront proposés aux agriculteurs permettront de favoriser un développement plus harmonieux du territoire en privilégiant une agriculture de produits de qualité, ainsi que la multifonctionnalité des agriculteurs.

Nous nous posons cependant deux questions qui peuvent apparaître contradictoires.

La première concerne le financement des contrats.

Vous prévoyez de leur consacrer 450 millions de francs dans le budget de 1999. Certes, ces crédits ne sont pas inscrits en année pleine puisque les contrats ne pourront être conclus qu'après le vote de la loi, la parution des décrets d'application et les négociations préliminaires.

Mais que représentent 450 millions face aux 70 milliards de subventions directes ? On voit bien que les deux politiques ne sont pas dimensionnées de la même manière.

Dès lors, ne faudrait-il pas amplifier le processus dès la première année ? La seconde question peut sembler opposée à la première, mais vous me permettrez de me faire ici l'écho de la crainte exprimée la semaine dernière par M. le Président de la République lui-même : ne court-on pas le risque d'une « renationalisation partielle » de la politique agricole commune si nous faisons nous-mêmes monter en puissance les contrats territoriaux d'exploitation, alors que la réforme de la PAC entraînerait des baisses substantielles des aides directes ?

M. François Goulard.

Voilà qui est bien dit !

M. Michel Suchod.

Ne serait-ce pas un moyen de distendre la solidarité communautaire dont nous sommes les bénéficiaires ? C'est pourquoi il faudra veiller à ce que l'approvisionnement du fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation créé par l'article 3 aille au-delà de la dotation inscrite au budget. Votre idée d'y attraire des crédits communautaires me paraît excellente et il serait bon que vous la présentiez dans le cadre de la réforme de la PAC.

Pour conclure sur les CTE, je signale que la contractualisation proposée aux exploitations individuelles intéresse également divers secteurs de la coopération et de la mutualité, en particulier les caves viticoles. M. Gérard Saumade, député de l'Hérault, s'est fait l'écho de ces préoccupations, mais beaucoup d'autres collègues s'interrogent à ce sujet.

Par ailleurs, nous avons pris bonne note, monsieur le ministre, de vos idées sur la revitalisation du tissu rural et l'installation des jeunes, qui nécessitent en effet un contrôle accru des structures. Cet outil permettra de lutter contre la concentration excessive des exploitations et encouragera l'installation de nouveaux entrants. Le dispositif proposé dans le projet de loi devra cependant être amélioré pour éviter que les agriculteurs les mieux informés et les plus fortunés ne puissent maintenir fictivement des structures existantes, en détournant la loi.

La traçabilité et la lisibilité qualitative des produits sont des instruments nécessaires, pour des raisons liées à la santé publique mais aussi pour renforcer la place de l'agriculture française face à la concurrence intra et extra communautaire. On peut toutefois s'interroger sur la multiplication des sigles, qui finirait par décrédibiliser


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cette politique. La recherche d'une simplification des sigles et labels est indispensable, car rien ne serait pire que le manque de lisibilité des signes de qualité.

La nouvelle définition de l'activité agricole que vous préconisez a l'avantage de couvrir une assiette large. Elle présente le risque de voir se développer des distorsions de concurrence entre agriculteurs pluri-actifs et artisans. La notion d'activité accessoire devrait être mieux définie pour éviter que toutes les activités ne puissent bénéficier des avantages du régime agricole dès lors qu'elles seraient effectuées par un agriculteur. Mon collègue Jacques Desallangre et moi-même avons déposé des amendements afin de plafonner la partie du chiffre d'affaires dérivé de l'activité agricole susceptible de bénéficier d'un régime fiscal de faveur.

Le relèvement des retraites agricoles est une priorité pour l'ensemble de nos collègues, et pas seulement pour les députés de la Dordogne. (Sourires.)

A cet égard, la commission de la production a eu raison d'adopter un amendement indiquant qu'un des objectifs de la loi est « la revalorisation progressive et la garantie de retraites minimum aux agriculteurs en fonction de la durée de leur activité ».

Vous avez déjà consacré des crédits importants à cet effort nécessaire dans le budget de 1998, dont je rappelle qu'il était réputé si difficile à bâtir qu'il a justifié la dissolution. Je sais bien aussi qu'une nouvelle réévaluation est prévue dans le BAPSA pour l'an prochain. Cependant, le Mouvement des citoyens reste attaché à l'instauration pour les retraites agricoles d'un seuil minimum fixé à 55 % du SMIC. Nous avons déposé une proposition de loi à cet effet l'année dernière et nous aimerions que ce seuil soit atteint à la fin de la législature.

On voit bien la modestie de cet objectif si l'on se souvient que celui retenu par François Mitterrand était de 75 % du SMIC, tout comme celui que s'était fixé M. Jacques Chirac lorsqu'il était candidat à la présidence de la République, il y a seulement deux ans et demi.

Nous ne demandons que 55 %, mais nous voudrions que le Gouvernement fasse un effort supplémentaire dans ce sens. C'est possible, car il existe des marges de manoeuvre dans le BAPSA.

Il restera encore trois budgets dans la législature pour amener les plus faibles retraites, notamment celles des chefs d'exploitation et des veuves, au niveau du minimum vieillesse, ce qui permettrait d'égaliser les situations des diverses catégories de ce secteur.

M. Michel Vergnier.

Très bien !

M. Michel Suchod.

Monsieur le ministre, la réflexion que vous conduisez sera extrêmement utile à notre agriculture. Mais elle resterait vaine si nous ne menions pas avec vigueur une double bataille.

Au sein de l'Union, d'abord, pour rappeler que la PAC et son financement communautaire ont, depuis l'origine face à l'Allemagne et aujourd'hui à la Grande-Bretagne, la contrepartie de l'acceptation par la France de la baisse des tarifs douaniers sur les produits industriels. Renier aujourd'hui la PAC, ce serait renier l'accord originel.

M. François Goulard.

C'est vrai !

M. Michel Suchod.

Si on décide néanmoins de le faire, alors il faut nous dire quelles seront les contreparties.

La bataille devra être engagée à l'OMC, ensuite, pour défendre les spécificités agricoles par grandes régions de production mondiale, car l'alignement pur et simple sur le cours mondial des produits entraînerait la ruine immédiate de notre agriculture.

Mes collègues et moi-même savons que vous êtes personnellement engagé dans ces négociations difficiles. C'est une des raisons pour lesquelles nous tenons tant à ce que vous restiez à la tête de votre ministère. (Sourires. Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Christian Jacob.

Ce n'est pas assuré !

M. le président.

La parole est à M. Jean Proriol pour quinze minutes.

M. Jean Proriol.

Monsieur le ministre, votre projet, à mon sens, ne mérite pas son titre de loi d'orientation. En effet, il est communément admis que le mot orientation signifie : « action de donner une direction déterminée » avec le prolongement suivant pour une loi d'orientation :

« loi qui fixe la politique à réaliser dans un domaine en un temps plus ou moins long ». Donc, le premier article de votre texte aurait dû commencer par les mots : « La production constitue l'objectif essentiel de l'utilisation de l'espace agricole par l'homme ».

M. Jean Michel.

C'est un pléonasme !

M. Jean Proriol.

Et votre projet aurait dû hiérarchiser nettement les trois fonctions que vous assignez à notre agriculture.

Du fait de ses lacunes, de ses imprécisions, de son approche protectionniste, le projet de loi d'orientation agricole que vous avez élaboré ne répond pas aux définitions que je viens de donner. Même si nous ne mettons pas en cause votre bonne volonté personnelle, ni celles du président de notre commission et de notre rapporteur, qui a eu la grâce d'accepter plusieurs de nos amendements, nous ne comprenons pas que vous vous soyez éloignés autant du sujet, alors que le parcours était déjà jalonné de travaux et de réflexions de qualité. Ainsi, vous aviez l'exemple de la loi du 5 août 1960, inspirée par l'Auvergnat Michel Debatisse.

M. Jean Michel.

Parlons-en !

M. Christian Jacob.

Vous pourriez avoir un peu plus de respect pour M. Debatisse ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Proriol.

Nous n'allons pas régler les comptes des Auvergnats ici, monsieur Michel !

M. Jean Michel.

Il y aurait beaucoup à dire !

M. le président.

Reprenez votre propos, monsieur Proriol !

M. Jean Proriol.

Vous aviez la voie tracée dès 1961 par Edgard Pisani qui s'était appuyé sur cette loi d'orientation forte pour la négociation de la future PAC. Vouz aviez encore le projet de loi de Philippe Vasseur. Vous a viez enfin les contributions des agriculteurs qui attendent depuis fort longtemps. Mais vous avez manqué ce rendez-vous. Les professionnels eux-mêmes le disent.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Non ! Nous les avons encore entendus à midi !

M. Jean Proriol.

Nous n'avons pas dû rencontrer les mêmes ! (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Ainsi, Luc Guyau, président de la FNSEA, s'inquiète du manque de cohérence de la loi - l'Auvergne agricole du 10 septembre 1998.

M. Kofi Yamgnane.

Christine Lambert aussi !

M. Jean Proriol.

Jean-François Hervieu, président de l'APCA, parle « d'un projet qui reste à rééquilibrer » - Journal de l'APCA. Pascal Coste, président du CNJA,


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exprime ainsi ses réserves : « un bon concept ne suffit pas à faire une bonne loi » - Information agricole de juilletaoût 1998.

Venons-en maintenant au texte. Nous avons d'abord constaté des vides et des absences préoccupants. Nous avons cherché à les combler en commission de la production et des échanges, les 7 et 8 juillet derniers, mais une grande partie de nos propositions ont été renvoyées à des rapports ou à d'autres textes, plus ou moins hypothétiques et dont on ne connaît pas à ce jour la teneur.

C'est le cas notamment de la fiscalité. Sur ce point, le silence du projet est assourdissant ! La modernisation de la fiscalité des entreprises agricoles est pourtant un chantier majeur, qui ne doit pas être laissé en marge des orientations données à l'agriculture.

De même, il n'y a presque rien sur la transmission des entreprises, qui a comme conséquence directe l'accès au métier des jeunes. C'est pourtant leur génération qui représente l'avenir et doit donc figurer en bonne place dans une loi d'orientation.

Comme M. Gengenwin l'a souligné, il n'y a rien non plus sur l'harmonisation avec le contexte communautaire ou avec les obligations du commerce international que la France s'est engagée à respecter en signant les accords de Marrakech. Notre agriculture ne sortira pas grandie d'une telle conception si l'on oppose préservation des territoires et présence sur les marchés. Un minimum de cohérence est indispensable si l'on ne veut pas que la loi à peine votée ne soit caduque.

Rien non plus sur deux grandes dames de notre agriculture : la forêt et la montagne. Pourtant, la forêt fait partie intégrante de l'agriculture. Les activités forestières sont incluses dans les activités agricoles définies à l'article

L. 311-1 du code rural.

M. François Goulard.

C'est là, en effet, une grande lacune du texte !

M. Jean Prioriol.

En outre, il aurait fallu se soucier de l'articulation du code forestier existant avec ce texte, le projet de loi de modernisation forestière que vous nous avez annoncé, ou avec l'organisation commune des marchés.

Quant à la montagne, territoire sensible, le plus généralement à zone herbagère, je me contenterai de vous rapporter les propos du président de ma chambre d'agriculture, que vous avez rencontré vendredi à Cournon :

« Le paysan de montagne est l'espèce la plus menacée. »

Au passage, permettez-moi de vous poser cette question incidente : les ICHN, indemnités compensatrices de handicaps naturels, seront-elles un jour soumises à la signature d'un CTE ? Il n'y a rien non plus sur les retraites. Les gouvernements de M. Balladur et M. Juppé avaient débloqué près de 5 milliards de francs supplémentaires pour ce dossier entre 1993 et 1997.

M. Christian Jacob.

Eh oui !

M. Jean Michel.

Et qu'aviez-vous fait pendant trente ans ?

M. Jean Proriol.

Vous, vous nous proposez 1,2 milliard pour revaloriser les petites retraites agricoles. Mais audelà, quelles perspectives ? Le 8 octobre, les retraités de l'agriculture seront réunis à Bourg-en-Bresse. Allez les écouter ! Vous entendrez leurs clameurs et celles de leurs conjointes qui perçoivent moins de 1 950 francs par mois !

M. Michel Vergnier.

Ils se souviendront de ce que vous avez fait !

M. Jean Proriol.

Autant de sujets essentiels sur lesquels une vraie loi d'orientation ne saurait faire l'impasse.

Ce texte comporte cependant soixante-quatre articles.

Examinons donc quelques-uns d'entre eux. Sur les objectifs, il est certain que nous ne partageons pas la même vision de l'agriculture de demain.

M. Joseph Parrenin et

M. Michel Vergnier.

Ça, c'est sûr !

M. Jean Proriol.

Votre projet sculpte-t-il un nouveau visage à l'agriculture ? Lui donne-t-il une nouvelle structure ? Lui fixe-t-il de nouvelles ambitions ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Je ne le pense pas, mais la discussion des amendements nous permettra peut-être de nous rapprocher.

M. Michel Vergnier.

Nous, nous voulons des agriculteurs. Vous, vous voulez les voix des agriculteurs ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Proriol.

Quant au corps du texte, il m'apparaît à la fois ambigu et déséquilibré.

Le texte est ambigu. Prenons le CTE, dispositif majeur, nous avez-vous dit, du projet de loi. Est-ce une fausse bonne idée ou, comme vous l'a dit M. Gilbert Bros à Cournon, vendredi dernier, au sommet de l'élevage, la meilleure ou la pire des choses ? Le CTE pourrait constituer une mesure d'accompagnement à la restructuration. Pourquoi pas, en effet ? Mais il s'agit en fait d'un dispositif à vision statique conjugué à la mode administrative par département, sur la base d'un cahier type lancé par Paris et surtout dont on ne connaît le financement que par la rumeur : un peu de FGEF, un zeste de FIA, un peu d'OGAF, un zeste de fonds structurel, le tout saupoudré d'un peu de mesures agrienvironnementales. Adieu donc le principe du volontariat, redéploiement des aides oblige ! En outre, ce n'est pas avec 12 000 CTE par an, recevant chacun 20 000 à 30 000 francs, qu'on conduit une politique agricole. Luc Guyau n'a-t-il pas dit dès le mois de janvier à propos du CTE : « On ne va pas payer des gens pour rester là en leur disant de produire le moins possible. »

Le fait d'aller chez le préfet ne change rien à la chose.

M. Jean Michel.

Monsieur Proriol, vous confondez avec le PACS ! (Rires.)

M. Jean Proriol.

J'y arrive ! En effet, le Gouvernement Jospin sollicite beaucoup les préfets qui auront à recevoir les ressortissants du PACS et les signataires du CTE ! (Sourires.)

Autre grande trouvaille pour l'agriculture de demain, toujours en sigles et en trois lettres : l'IGP, l'indication géographique protégée. Vos motivations en faveur de ces dispositions, qui inquiètent les professionnels - agriculteurs, transformateurs, industriels, industries agroalim entaires - restent très obscures. Il convient de reconnaître qu'il serait en effet dangereux d'en faire un cinquième signe de qualité. Les grandes firmes ont leurs marques sur des produits basiques, très typés, qui les portent à l'exportation. Les labels, marques collectives certifiées, donnent des moyens, notamment aux PME.

Les AOC, qui sont en fait historiquement les premiers produits de niche, marient l'origine et la qualité. Certes, ces dernières sont soumises à un contrôle interne de la profession, mais elles sont reconnues, et c'est un véritable parcours du combattant pour les obtenir. Jugez plutôt : la succulente lentille du Puy a mis soixante ans pour obtenir ce titre de noblesse !


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M. Jean Michel.

De qualité !

M. Jean Proriol.

Merci, monsieur Michel ! (Sourires.)

Le nouveau système, plus ou moins européanisé, va introduire confusion et déroute, surtout chez les consommateurs. Et je crains que l'Europe élimine ainsi nos AOC à court ou moyen terme. Vous l'avez reconnu vousmême, monsieur le ministre, à Besse-en-Chandesse, lors de votre visite au pôle fromager AOC Massif-Central, le 2 octobre, en disant que la Commission européenne était bien muette sur les AOP laitières, futures remplaçantes des AOC.

M. Michel Vergnier.

Eh oui !

M. Jean Proriol.

Pour conclure sur les indications géographiques protégées, permettez-moi de citer l'un de vos amis, ancien ministre de surcroît, Jean-Michel Baylet, qui a déclaré avec verve : « Qu'on nous laisse manger nos fromages fermentés en paix et qu'on ne soit plus à la botte des technocrates de Bruxelles ! ».

M. Jean-Claude Lemoine.

Comme il a raison !

M. Jean Proriol.

Troisième ambiguïté, les relations avec les autres secteurs de l'artisanat et du commerce. Le rapporteur ayant accepté un certain nombre d'amendements, j'imagine, monsieur le ministre, que nous pourrons là aussi clarifier les choses.

Ce texte est également déséquilibré. Je ferai simplement observer que, dans le chapitre portant sur le statut des personnes et des entreprises, vous avez réussi le tour de force de ne pas définir les activités agricoles et de ne même pas parler d'entreprise agricole.

M. Jean Michel.

Il a parlé des hommes !

M. Jean Proriol.

Il n'y a pas non plus de précisions concernant la notion d'exploitant agricole, sauf par amendement, alors que celle-ci serait bien utile pour établir le registre de l'agriculture et appliquer la politique des structures. Pour nous, je le répète, les agriculteurs - il y en a peut-être dans les tribunes - sont d'abord des entrepreneurs.

La partie consacrée à l'organisation économique des producteurs est elle aussi notoirement insuffisante. Or, comme le martèle la FNSEA, seul le développement d'un pouvoir économique fort des agriculteurs leur permettra de maîtriser leurs accès aux marchés, de rééquilibrer les relations au sein des filières, d'éviter la déresponsabilisation en tant que chef d'exploitation.

Et je cherche toujours dans cette loi les moyens de nous battre sur la valeur ajoutée, surtout dans les rapports de force avec la grande distribution, qui se concentre toujours davantage, ou avec l'agroalimentaire, qui s'internationalise de plus en plus.

Je cherche aussi en vain des orientations en matière d'enseignement et de formation en direction des jeunes.

Le futur paysan sera à la tête - il l'est d'ailleurs déjà aujourd'hui - d'une véritable entreprise complexe qui doit utiliser à bon escient toutes les techniques modernes mises à sa disposition. « Tant vaut l'homme, tant vaut la terre », dit le dicton.

C'est donc une loi au vert bien pâle que vous proposez aux agriculteurs. La France est pourtant le pays de référence au plan communautaire et international dans le domaine agricole et alimentaire. Ses positions sont très attendues et écoutées. Or, à mon sens, vous avez adopté une attitude de défense et de repli. La double conséquence de votre position sera, d'une part, un problème d'harmonisation entre votre loi et les projets communautaires et, d'autre part, l'émergence d'une agriculture à plusieurs vitesses.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, une loi d'orientation agricole devrait avoir comme ambition et volonté, d'abord, de consolider une agriculture productrice, conquérante, exportatrice pour qu'elle garde sa première place en Europe et peut-être un peu plus loin.

M. François Patriat, rapporteur.

C'est l'objet du projet de loi !

M. Jean Proriol.

Mais une telle loi devrait également avoir pour objectif de créer et de développer des exploitations performantes et durables, d'anticiper, de diversifier et d'innover, de promouvoir les démarches de qualité, de prendre en compte l'agriculture des zones de montagne avec des productions à l'herbe et à des prix différenciés...

M. François Patriat, rapporteur.

Voilà qui est nouveau ! (Sourires.)

M. Jean Proriol.

... de préserver terroirs et paysages, et de participer à l'occupation ou à l'animation du territoire.

Nous avons proposé des amendements allant dans ce sens. Certains ont été retenus, d'autres rejetés. Le groupe Démocrate libérale et Indépendants ne peut donc en l'état, monsieur le ministre, approuver le projet de loi dit d'orientation agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre, pour dix minutes.

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été excellemment dit par notre rapporteur, François Patriat, et par mon ami Joseph Parrenin sur la pertinence de ce projet de loi dont je me félicite. En effet, je souhaite plus particulièrement centrer mon intervention sur la double articulation de notre projet de loi d'orientation agricole avec, d'une part, la réforme à venir, dès l'an prochain, de la PAC, et, d'autre part, les futures négociations de l'organisation mondiale du commerce, dont le démarrage est prévu au 1er janvier 2000.

Au regard de la réforme de la PAC tout d'abord, mon sentiment est que si plusieurs des objectifs affichés par la Commission européenne pour justifier cette réforme correspondent à des analyses auxquelles nous pouvons souscrire, les propositions de réforme qui sont censées y répondre sont largement contestables et, de fait, contestées par une majorité de pays membres de l'Union européenne.

Je crois, à l'inverse, que l'innovation centrale de ce projet de loi d'orientation agricole - le contrat territorial d'exploitation - constitue une réponse pertinente aux défis auxquels l'agriculture française et européenne doit faire face dans les années à venir.

Il faut donc évacuer ce faux débat, qui consiste à affirmer que la loi d'orientation aurait pour objet de préparer l'agriculture française à accepter avec résignation les propositions de la Commission. C'est confondre anticipation intelligente et capitulation sans condition.

Si l'on s'attache à quatre des objectifs affichés par la Commission dans son exposé des motifs, on constate à q uel point, monsieur Proriol, le contrat territorial d'exploitation y répond.

La première orientation est la volonté réaffirmée de conforter la production agricole dans sa fonction première d'activité économique, source d'un revenu agricole stable et également réparti, quels que soient les territoires,


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les productions et les exploitations. Mais les propositions de réforme des organisations communes de marché des grandes cultures, de la viande bovine et du lait, fondées sur la recherche de la compétitivité extérieure à travers la baisse généralisée des prix, ne constituent pas la réponse que nous préconisons. Orientation juste donc, mais solutions contestables.

La production est, et reste, le coeur de l'activité agricole. Mais la vocation exportatrice de la France - dont nous parlerons encore ici quelques heures, je présume ne repose pas sur une baisse généralisée des prix. Elle passe aussi par la production de produits à forte valeur ajoutée, ce qui est précisément un des objectifs majeurs, du contrat territorial d'exploitation.

Deuxième orientation : le développement rural. C'est l'une des innovations de la proposition de la Commission, par rapport notamment à la réforme de 1992. Elle est fondée sur un constat : la nécessité de compléter les organisations communes de marchés pour consolider la PAC, par la montée en puissance d'un « second pilier », prenant en compte la totalité de l'espace rural, dont l'agriculture est la principale composante.

Dans tous les pays de l'Union européenne, comme en France, force est de constater que le poids économique de l'agriculture - en pourcentage de la richesse nationale, comme en nombre d'actifs - a diminué. Certes, me direz-vous, la place de l'agriculture - surtout en France ne se réduit pas à ces simples chiffres. C'est vrai, mais on ne peut pas les ignorer. Car, parallèlement, les besoins des autres catégories de la population augmentent, en particulier au regard du chômage, qui touche aujourd'hui près de 18 millions d'Européens.

Si l'on ajoute à cela les contraintes budgétaires que chacun connaît et qui obligent à peser chaque dépense, la part qu'occupe encore la PAC dans le budget communautaire aujourd'hui - 55 % en 1997 - ne peut que susciter la réflexion. L'agriculture doit rendre compréhensible à l'ensemble des citoyens la légitimité des aides publiques qui lui sont octroyées.

M. François Patriat, rapporteur.

Très bien !

Mme Béatrice Marre.

Elle ne peut donc ni se soustraire à la nécessité d'améliorer la maîtrise de ses dépenses, ni éviter que l'on s'interroge sur leur efficacité économique.

Or la politique agricole commune est, pour l'agriculture européenne, et particulièrement pour l'agriculture française, un instrument irremplaçable que nous tenons à défendre. Si nous voulons éviter que cette politique agricole ne devienne une variable d'ajustement du budget communautaire - car il y a aussi le problème de l'élargissement et celui des contributions des Etats membres -, ce qui serait catastrophique, nous devons renforcer sa légitimité par la prise en compte de ses autres missions au sein de l'espace rural.

Ainsi que l'a rappelé aujourd'hui Mme Lambert, c'est M. Debatisse qui, en 1960, a été l'auteur de la célèbre formule : « Nous sommes fiers d'être aussi les jardiniers de la France ! » Le contrat territorial d'exploitation répond à cette préoccupation et il constituera le cadre le plus adapté pour la satisfaire.

Troisième orientation : l'emploi.

Il est en effet nécessaire de prendre en compte dans l'agriculture la grande avancée du si décrié traité d'Amsterdam. Nous aurons aussi l'occasion d'en reparler. Dans les propositions qui nous sont faites, chaque Etat membre pourra déterminer un seuil - ramené à une unité de travail - au-dessous duquel pourra être appliquée une réduction des versements des aides directes. Compte tenu de l'importance du chômage et de la dangereuse diminution de l'emploi en agriculture, chacun mesure l'importance de cette ouverture.

Quatrième orientation : l'environnement.

Les aspirations exprimées par nos concitoyens quant à la prise en compte de la préservation des ressources naturelles et à la sécurité alimentaire doivent également se traduire par des mesures concrètes. L'écoconditionnalité, introduite comme critère de modulation des aides, traduit le constat selon lequel les modalités d'intervention de la PAC ont trop souvent contribué au développement de pratiques agricoles néfastes pour l'environnement et la préservation des ressources naturelles.

La contractualisation de la répartition d'une partie des aides communautaires - en particulier celles issues de la modulation -, rendra plus transparentes aux yeux des Français les nécessaires et, répétons-le, légitimes soutiens publics à l'agriculture. Le CTE, d'abord destiné à conforter la production agricole en encourageant la création de valeur ajoutée en agriculture, donnera de surcroît un contenu lisible à la place des agriculteurs dans la gestion de l'espace rural, et répondra aux préoccupations grandissantes des Français au regard de l'environnement.

Je veux aussi évoquer le fait que c'est l'innovation constituée par le CTE qui nous met en position favorable pour aborder les négociations commerciales internationales à venir.

(Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Je ne citerai que deux aspects de ces négociations au regard desquels le projet que vous nous présentez, notamment à travers le CTE, constituera une avancée très importante : le découplage des aides et la bataille des normes.

En matière d'agriculture, aucun décideur, ni en France ni au sein de l'Union européenne, ne peut ignorer l'échéance du 1er janvier 2000, date à laquelle les négociations commerciales multilatérales reprendront. Ce futur cycle de négociations, dont l'objectif sera d'approfondir la libéralisation des échanges, devrait donc reposer sur la poursuite de la réduction des modalités d'intervention publique, considérées comme génératrices de distorsions dans les échanges internationaux.

Les négociations devraient donc porter sur un durcissement des critères d'exclusion des aides directes de ce qu'il est convenu d'appeler la mesure globale de soutien de l'agriculture, c'est-à-dire, en clair, l'exigence d'un découplage accru des aides publiques au regard de la production.

Le dispositif des contrats territoriaux d'exploitation repose sur des aides déjà en grande partie découplées, donc susceptibles d'être placées dans la boîte verte, celle des aides n'ayant pas d'effets sur le niveau de la prodution, et non dans la boîte bleue, celle des aides partiellement découplées, ni dans la boîte orange. Ces deux dernières devraient d'ailleurs constituer le point dur des futures négociations de l'OMC.

Les contrats territoriaux d'exploitation nous placeront donc dans une situation favorable dans le cadre des futures négociations de l'OMC, puisque nous aurons une étape d'avance sur le dispositif auquel les négociations devraient aboutir.

M. Christian Jacob.

Cela n'a rien à voir !


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Mme Béatrice Marre.

Monsieur Jacob, je ne pensais pas vous convaincre d'entrée de jeu, mais j'ai encore trois jours et deux nuits pour le faire !

M. Christian Jacob.

Il faudra peut-être davantage !

M me Béatrice Marre.

Toutefois, les négociations conduites dans le cadre de l'OMC ne devront pas se limiter au niveau et aux modalités du soutien à l'agriculture. En l'occurrence, il faudra être très vigilant, monsieur le ministre. L'Union européenne devra se battre pour que les négociations portent également sur la fixation de normes sanitaires et alimentaires communes de haut niveau, sans quoi l'agriculture européenne partirait perdante. On ne saurait en effet, nous, Européens, et encore plus nous, Français, accepter de brader notre modèle agricole au seul motif d'une libéralisation accrue des échanges internationaux.

La bataille des normes, par l'importance accordée à la sécurité alimentaire et à la qualité des produits, non seulement d'ailleurs dans la loi d'orientation agricole, mais aussi - nous aurons l'occasion d'y revenir - dans le budget de 1999, notamment avec la montée en puissance des crédits réservés aux services vétérinaires, constitue éga lement une avancée nous permettant, d'abord au niveau communautaire, puis au sein de l'OMC, de tenter de peser dans les négociations.

En conclusion, monsieur le ministre, il convient de se réjouir de cette loi d'orientation qui constitue une refondation de l'agriculture française.

Elle le fait non seulement par sa volonté de renforcer la production agricole dans son rôle central d'activité économique, mais aussi en incitant les agriculteurs à privilégier un accroissement de la valeur ajoutée de leurs produits, à recourir à des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement, à prendre en compte la nécessité de créer des emplois en agriculture et, enfin, à recentrer leur rôle sur une activité économique globale du milieu rural, notamment dans l'équilibre de ses territoires.

Elle le fait aussi en proposant, avec le contrat territorial d'exploitation, une alternative positive aux propositions peu acceptables de la Commission européenne.

Elle le fait enfin en assurant, par une voie moderne et fidèle à ce qu'il est convenu d'appeler la méthode Jospin, c'est-à-dire la discussion, la négociation, la contractualisation, méthode que vous avez particulièrement appliquée, monsieur le ministre, dans toute la préparation de ce projet de loi - une position de négociation solide, dans le cadre du prochain cycle de l'OMC.

Il vous restera à convaincre nos partenaires, ce qui ne sera probablement pas le plus facile. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Lepercq.

M. Arnaud Lepercq.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une loi d'orientation agricole était-elle utile ? Je réponds oui, comme l'avait solennellement déclaré, il y a deux ans, le Président de la République à l'assemblée générale de la FNSEA. Mais votre loi est-elle véritablement une loi d'orientation ? Je crois bien que la réponse est non.

M. Marcel Rogemont Ce n'est pas ce qu'a dit le Conseil économique et social !

M. Arnaud Lepercq.

D'abord car, en dehors du contrat territorial d'exploitation que vous voulez imposer à la diversité des agriculteurs et de nos régions agricoles, vous instaurez un carcan de plus. Ensuite, parce que la faiblesse des moyens financiers que vous prévoyez de dégager risquent de créer un marché de dupes ! En effet, même si les agriculteurs acceptent des contraintes supplémentaires, l'Etat, sans moyens, n'apporte pas, de son côté, une contrepartie véritablement satisfaisante.

Votre analyse est exacte, monsieur le ministre. Je ne mets pas en doute votre bonne volonté et je suis assez d'accord pour accepter l'analyse que vous avez brossée de la situation des agriculteurs dans la présentation de votre projet ce matin. Néanmoins, au-delà des mots, où sont véritablement les moyens qui permettraient à davantage de jeunes de s'installer, ce qui est indispensable, aujourd'hui plus que jamais ? Où sont les véritables mesures qui permettraient de corriger les grandes inégalités entre le revenu des éleveurs et celui des exploitations de cultures céréalières ou productrices d'oléoprotégineux ? Où sont les vraies mesures qui corrigeraient les handicaps des régions intermédiaires où les agriculteurs n'ont pas le choix de pouvoir modifier leurs productions pour bénéficier des mesures et moyens décidés à Paris où à Bruxelles ? Comment voulez-vous, monsieur le ministre, encourager l'installation des jeunes agriculteurs par la voie du fermage qui nécessite beaucoup moins de capitaux, alors que vous décidez d'éliminer, pour des raisons purement idéologiques, les bailleurs des commissions départementales d'orientation de l'agriculture bien qu'ils soient de véritables partenaires des agriculteurs ?

M. Joseph Parrenin.

Le capital parle !

M. Arnaud Lepercq.

Vous allez encore alourdir les charges financières des jeunes qui s'installent ou pousser un grand nombre de propriétaires à vendre les terres libérées en fin de bail, ce qui aura pour résultat de favoriser les agriculteurs déjà installés qui profiteront de ces occasions pour agrandir encore leurs exploitations.

Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu'un très grand nombre d'agriculteurs et d'éleveurs - je pense en particulier aux moins jeunes - ne pourront s'insérer dans votre dispositif ? N'oubliez pas que, dans certaines régions comme la mienne, 40 % des agriculteurs sont encore au forfait. Pensez-vous que ces derniers auront la possibilité de s'adapter aux contrats que vous proposez ? Ils vont se trouver encore un peu plus marginalisés, alors que le départ en préretraite ne leur est plus proposé pour leur permettre de prendre une retraite dans la dignité.

Non, monsieur le ministre, votre texte n'est pas la réponse souhaitée à la fois par le Président de la République et par le monde agricole. Aussi, est-ce avec beaucoup de réserve que nous attendons des réponses à ces inquiétudes et que nous considérons que ce rendezvous est celui des occasions manquées. (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie françaises-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Le Nay, pour dix minutes.

M. Jacques Le Nay.

Une question essentielle se pose aux agriculteurs, aux responsables agricoles de notre pays et à nous, mes chers collègues : comment préparer l'agriculture à entrer dans le XXIe siècle ? L'avenir de l'agriculture française est aujourd'hui étroitement lié aux décisions européennes et à la réforme de la PAC. Or, tel qu'il nous est présenté, le projet de loi


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apparaît, sur bien des points, aux antipodes des mesures préparées par la Commission européenne. C'est la raison pour laquelle nous attendons, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez de quelle façon vous allez surmonter les nombreuses divergences existant entre votre projet de loi et le dispositif européen du paquet Santer.

Monsieur le rapporteur, je ne prétends pas que ce texte soit incohérent en lui-même, mais je constate qu'il y a aujourd'hui incohérence entre ce projet et les propositions de la Commission européenne.

Nous avons besoin de réponses claires, de garanties sérieuses, pour assurer à la France une agriculture durable, une agriculture à taille humaine et à responsabilité personnelle, capable de résister aux importantes difficultés qui se profilent et dont les grandes lignes sont annoncées et nous font peur, à savoir le démantèlement de l'intervention européenne, la fin de la préférence communautaire et la rude concurrence des prix mondiaux aspirés vers le bas par des pays qui n'ont que faire des contraintes environnementales et sociales, contraintes que nous, Français, soucieux des règles de protection de l'environnement, nous nous imposons pour le plus grand respect de chacun.

Quant au contrat territorial d'exploitation, grande nouveauté de ce projet de loi, il démontre une volonté de contractualisation qui place le territoire au coeur des préoccupations.

L'idée de contractualisation est bonne en elle-même, mais, tel qu'il nous est présenté, le contrat territorial d'exploitation laisse apparaître, sur bien des points, des lacunes. Mais surtout il souffre terriblement d'un manque de moyens, ce qui risque d'entraîner des inégalités et d'importantes disparités dans sa mise en application. Seulement 12 000 exploitations sur les 400 000 pouvant y prétendre seront contractualisées au regard du budget alloué en 1999. A un tel rythme, il faudra plus de trente ans à l'Etat pour honorer la totalité de ces contrats.

Par ailleurs cette contractualisation ne sera acceptable qu'à condition de ne pas être entachée d'une dérive administrative lourde, tatillonne, loin des réalités du terrain. Monsieur le ministre, vous avez certes affirmé vousmême ce matin que l'administration de l'agriculture était déjà faite. Cela est sans doute vrai, mais gardons-nous de toute sur-administration ! Vous avez également affirmé que la loi voulait engager la multifonctionnalité de l'agriculture et sa diversification pour y apporter de la valeur ajoutée. Je ne puis qu'adhérer à cet objectif. En revanche, nous ne pouvons que nous opposer fermement à toute volonté de faire de nos agriculteurs des fonctionnaires de l'espace rural et des jardiniers de l'Etat.

M. François Goulard.

Très bien !

M. François Cuillandre.

Quelle caricature !

M. Jacques Le Nay.

Au-delà des questions essentielles qui se posent aujourd'hui à nous et qui seront abordées tout au long de ce débat, je veux vous interroger, monsieur le ministre, sur le volet social de notre agriculture, tout particulièrement sur la situation de nos aînés retraités de l'agriculture.

Je vous ai plusieurs fois interrogé à ce sujet, mais mon insistance est encore plus forte aujourd'hui, en raison de l'injustice criante dont sont victimes les anciens agriculteurs et leurs conjoints.

M. François Cuillandre.

A qui la faute ?

M. Jacques Le Nay.

Comment peut-on encore, dans un pays comme le nôtre, verser, à trimestre échu, des pensions de misère à des personnes qui ont travaillé durement, dans des conditions climatiques et conjoncturelles particulièrement difficiles ? Cette remarque vaut d'ailleurs pour d'autres professions tout aussi mal loties, tels les artisans et les petits commerçants, mais c'est un autre débat.

M. Félix Leyzour.

Il ne faut donc pas critiquer toutes les mesures sociales !

M. Jacques Le Nay.

Vous devez, monsieur le ministre, réparer ces injustices pour que les agriculteurs aient une retraite revalorisée qui leur permette de vivre décemment.

Vous devez leur accorder les 75 % du SMIC qu'ils réclament depuis longtemps...

M. Germinal Peiro.

Il fallait le faire !

M. Jacques Le Nay.

... et que leur ont successivement promis les présidents de la République, François Mitterrand et Jacques Chirac.

De même, monsieur le ministre, la mensualisation des retraites est une nécessité. Elle doit être généralisée.

L'effort pour y parvenir n'est pas insurmontable. Il faut profiter de la période de croissance pour effectuer les réajustements qui s'imposent.

La situation des aînés me conduit à aborder la délicatte question de l'installation des jeunes, énorme problème qui va bouleverser notre agriculture dans les années à venir.

Depuis 1962, l'installation des jeunes a toujours été l'une des priorités des différents textes agricoles qui se sont succédé. Or, nous nous rendons compte aujourd'hui que, malgré les différentes révisions de ces lois où ce problème était régulièrement mis en avant, celui-ci n'est toujours pas résolu.

La difficulté première à l'installation d'un jeune qui a pu acquérir une formation dans de bonnes conditions repose avant tout sur le volet financier de l'installation.

En effet, une fois qu'un jeune a trouvé une opportunité pour s'installer, le plus dur reste à faire. Comment, sans autofinancement personnel, sans aides des parents peut-il obtenir des financements bancaires pour acquérir à la fois un minimum de matériel, des moyens de production et des terres pour s'installer ? L'installation devient alors une opération trop risquée et hasardeuse, tant les sommes à engager sont élevées.

C'est la charge foncière qui pèse sur l'installation qui est au coeur de la difficulté, car elle oblige le jeune ayant franchi l'obstacle de l'acquisition à passer le reste de sa vie à rembourser ses achats de terres, ce qui le gêne inévitablement pour investir dans la modernisation et la mise aux normes de son outil de travail. Il nous faut dès à présent apporter de véritables solutions qui, à l'exemple du fermage, permettront à un jeune de démarrer dans de bonnes conditions.

En matière de logement locatif, nous savons faire en proposant des incitations financières fortes et significatives au propriétaire bailleur. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce dispositif en favorisant des acquisitions foncières et immobilières destinées à être louées sur du long terme à de jeunes agriculteurs ? Je conclurai mes propos en revenant à des considérations d'ordre général sur ce projet de loi d'orientation agricole, qui s'apparenteront à des interrogations.

Notre préoccupation à tous est de maintenir en France une agriculture durable s'appuyant sur un tissu de petites et moyennes exploitations. Elles sont aujourd'hui les plus


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vulnérables face à l'enjeu des prochaines années qui consistera à proposer des produits d'excellente qualité dans un cadre environnemental sain, face à une concurrence internationale impitoyable.

Nous sommes confrontés à deux visions du marché diamétralement opposées. Leur rapprochement ne pourra se faire que par une volonté farouche de l'Etat de mener une politique agricole offensive, en restant présent sur tous les marchés. Cependant, je crains que les moyens financiers proposés en accompagnement de ce projet de loi d'orientation agricole ne soient pas à la hauteur des ambitions légitimes de l'agriculture française.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour cinq minutes.

M. François Goulard.

Monsieur le ministre, les parlementaires de l'opposition abordent ce grand débat sur le p rojet de loi d'orientation agricole dans un esprit constructif et sans vous faire le moindre procès d'intention. Nous pensons, en effet, que vous êtes un défenseur sincère des intérêts de l'agriculture, même si nous ne partageons pas toutes vos conceptions et n'approuvons pas, loin s'en faut, l'ensemble de votre action. Nous sommes d'ailleurs persuadés que vous n'avez pas toujours la partie f acile dans un gouvernement dont les principaux membres n'ont pas de réelles attaches rurales, et qui comprend même de véritables adversaires de l'agriculture, du moins de celle que nous voulons. Je pense bien sûr à votre collègue de l'environnement, qui verrait bien notre agriculture revenir au Moyen-Age.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Germinal Peiro.

Procès d'intention !

M. François Goulard.

En particulier, nous avons estimé positives les discussions que vous avez conduites avec les principales organisations agricoles et l'acceptation d'un certain nombre d'amendements qu'elles demandaient.

Notre pays a la chance de compter des organisations professionnelles particulièrement responsables dans le secteur agricole, et il est utile de les écouter.

Pour autant, monsieur le ministre, élu d'un département, le Morbihan - comme mon collègue Jacques Le Nay -, où l'agriculture se distingue par son importance et par son dynamisme, je tiens à souligner combien nous partageons les inquiétudes qu'a exprimées publiquement le Président de la République la semaine dernière.

Nous sommes en effet devant un choix fondamental.

Nous voyons clairement que deux voies divergentes sont tracées devant nous et nous sommes angoissés à l'idée que l'on s'engage demain dans celle qui conduirait l'agriculture française vers son déclin.

Quelles sont ces deux voies ? Celle que nous rejetons absolument, et dont l'esquisse se lit dans certaines parties de votre projet, consiste à fonctionnariser progressivement les agriculteurs français, à abandonner l'ambition de figurer dans la compétition mondiale, à se résigner à la disparition progressive de la politique agricole commune.

M. François Patriat, rapporteur.

Incantations stériles que tout cela !

M. François Goulard.

Renonçant à voir dans l'agriculture un secteur à part entière de notre économie, on proposerait aux agriculteurs un avenir d'auxiliaires de l'aménagement de l'espace rural, de cantonniers du territoire. Ce n'est pas acceptable !

M. François Patriat, rapporteur.

C'est une caricature !

M. François Goulard.

Si c'est une caricature, mon cher collègue, il faut la dénoncer, parce que le risque est certain.

M. François Patriat, rapporteur.

Je l'ai fait ce matin.

M. François Goulard.

Ce contrat territorial d'exploitation est un outil que, pour ma part, je considère comme très pernicieux. Il change, en fait, la logique d'intervention de l'Etat dans le domaine agricole. En outre, sur le plan budgétaire, nous craignons que le financement des CTE ne se fasse au détriment des autres politiques agricoles. Nous craignons aussi, comme l'ont souligné fort justement un certain nombre d'orateurs précédents, qu'il n'introduise plus de bureaucratie dans un milieu qui, nous le savons, ne l'acceptera pas.

La mutation formidable de notre agriculture au cours des dernières décennies a transformé les paysans d'antan en chefs d'entreprise au sens plein du terme, conscients de leurs responsabilités économiques, et ne demandant qu'à les assumer. Là est l'avenir de l'agriculture française.

Des productions de qualité capables de s'imposer sur les marchés mondiaux, des productions incorporant de plus en plus de valeur ajoutée, présentant sur le plan sanitaire les plus grandes garanties, tel est l'objectif que nous devons nous assigner. N'omettons pas que nos entreprises agroalimentaires dans leur ensemble dépendent largement de productions locales répondant à ces exigences.

Je constate, en écoutant un certain nombre d'orateurs de la partie gauche de l'hémicycle, que ce sont des réalités que vous ne reconnaissez pas encore, mes chers collègues comme nous le faisons.

Voilà pour la perspective d'ensemble sur laquelle se sont exprimés longuement et avec beaucoup de compétence plusieurs de mes collègues, et en particulier Philippe Vasseur et Jean Proriol.

Je voudrais, si vous le permettez, évoquer deux points plus particuliers.

Le premier a trait à l'enseignement agricole, dont on connaît l'importance dans la réussite de notre agriculture.

L'enseignement agricole, comme l'ensemble de notre éducation nationale, comprend un secteur public et un secteur privé, et ce dernier est spécialement développé. Or il semble bien qu'il ne fasse pas l'objet de toute la sollicitude du Gouvernement. J'en veux pour preuve l'enseignement supérieur agricole privé, très mal servi cette année au point de vue budgétaire, qui demande un grand redressement, lequel ne semble malheureusement pas s'annoncer. J'indiquerai seulement que, par élève, l'enseignement supérieur agricole privé dispose d'une dotation à peine égale au tiers de celle de son homologue public.

J'apprécierais beaucoup, monsieur le ministre, que vous puissiez vous exprimer, même très brièvement, sur ce point au cours de ce débat.

M. le président.

Préparez votre conclusion, monsieur Goulard.

M. François Goulard.

L'autre sujet abordé par plusieurs orateurs est celui des retraites agricoles.

Jacques Le Nay l'a dit à l'instant, nous savons tous quelle est la situation, quelles en sont les causes. Nous croyons indispensable que le Gouvernement manifeste une intention claire d'opérer un important rattrapage en faveur des anciens exploitants, de leurs conjoints, des veuves. C'est une question de justice sociale, c'est une question de reconnaissance à l'égard des efforts accomplis par nos aînés.


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Aussi déterminant que ce texte, sera, demain, l'esprit dans lequel il sera appliqué. Aussi significative que ses dispositions, sera, demain, sa traduction budgétaire. Plus lourde de conséquences que cette loi sera, demain, la façon dont notre agriculture sera défendue à Bruxelles.

Vous nous trouverez, sur ce terrain, particulièrement vigilants. Notre vigilance sera à la mesure de notre inquiétude. (Applaudissement sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert, pour cinq minutes.

Mme Marie-Hélène Aubert. Que de chemin parcouru depuis la réforme de la PAC en 1992 et les accords du GATT, que les Verts ont combattus avec force pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles vous vous opposez aujourd'hui, monsieur le ministre, au « paquet » Santer ! A l'époque, nous étions pourtant bien peu nombreux à défendre cette nouvelle orientation, et c'est avec un plaisir non dissimulé que nous entendons un discours

« écologiquement correct » sur presque tous les bancs de cette assemblée. Nous avons au moins gagné la bataille des mots. Reste à gagner celle des faits, ce qui sera incontestablement plus rude.

Voilà donc une loi qui tombe à point nommé, au moment où se négocie une réforme de la PAC cruciale pour l'avenir de l'agriculture française et où se profilent les discussions de l'OMC.

Quel modèle agricole, en effet, voulons-nous défendre ou proposer ? Celui qui affirme sa vocation exportatrice et s'attribue pour mission de nourrir le monde ? Celui qui veut s'approprier le vivant en créant des organismes génétiquement modifiés, dont personne n'a vraiment besoin, au risque de jouer les apprentis sorciers ? Celui qui, finalement, ne trouverait pas grand-chose à redire à la viande aux hormones du moment qu'elle est étiquetée ? Ce modèle-là, c'est celui que la Commission européenne entérine peu à peu, sous la pression des puissances américaine ou australienne, des multinationales de l'agroalimentaire et de la phytopharmacie.

Ce modèle-là, nous n'en voulons pas, parce que, opaque et complexe, il associe de fait gabegie des fonds publics, concentration des exploitations et disparition de l'emploi, dégradation des ressources naturelles et de la qualité de notre alimentation.

Il est clair que, si la lutte contre le dopage s'appliquait aussi aux exportations agricoles, il n'y aurait plus grand monde en piste. Faut-il rappeler ce que coûte chaque année au budget européen le soutien à l'exportation ? Il est vrai aussi que, dans la course aux marchés, tous les pays trichent un peu, et que les chantres du libéralisme sont aussi les plus virulents à demander l'aide de la collectivité quand, par exemple, les cours s'effondrent, à la suite d'une surproduction.

M. François Patriat, rapporteur.

Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ! De 1988 à 1997, nous sommes passés de 1 017 000 à 679 800 exploitations agricoles sans parler de la disparition de milliers d'emplois induits. Que dire aussi de la dégradation des sols, des eaux, due à des traitements excessifs ? Et qui ne se désole de voir proposer à nos enfants des produits à l'origine et au goût indéfinissables, bourrés de graisse, de sucre, d'additifs et de conservateurs ? Assez ! disent nos concitoyens.

La PAC devient folle, et poursuivre dans cette voie nous conduit irrémédiablement dans le mur. C'est peu de dire qu'une remise à plat s'impose, et vous le savez bien.

Qu'une partie des aides soit ou non prise en charge par les Etats ne dispense pas de s'interroger sur leur finalité, leur mode de répartition et leur impact social et environnemental.

C'est pourquoi une loi d'orientation agricole forte, définissant des objectifs nouveaux, associant l'ensemble des intéressés, et pas seulement les agriculteurs euxmêmes, est plus que jamais nécessaire, une loi d'orientation qui parie davantage sur la créativité, les savoir-faire, l'innovation, que sur la propension de chacun à oublier ses responsabilités, quand le chèque annuel est automatique.

C'est tout le sens du contrat territorial d'exploitation qui, sans coercition, incitera et incite déjà ceux qui veulent prendre en main leur avenir et s'ouvrent aux aspirations nouvelles à mettre en oeuvre concrètement leurs projets. Reste tout de même à faire en sorte que ce CTE ne soit pas noyé dans un flou artistique qui permettrait tous les dévoiements, et à éviter que, finalement, rien ne change.

Pour cela, il faudra bien mettre de la démocratie, du pluralisme et de la transparence dans des structures traditionnelles dont on sait trop bien à l'avance ce qu'elles nous proposeront : du productivisme dont la façade aura été ravalée pour se mettre au goût du jour.

Il faudra aussi un contrat souple et pratique, mais clair et exigeant, qui n'ajoutera pas de la paperasserie à la complexité et à la bureaucratie qui caractérisent déjà la PAC, un contrat articulé avec les projets de pays et cohérent avec des démarches globales, même s'il est individualisé, un contrat, enfin, motivant, financé largement sur des critères bien précis, et plafonné de façon que l'argent n'aille pas encore une fois aux plus riches.

Par ailleurs, l'amélioration du statut des conjointes, le contrôle des structures, l'organisation et le développement des labels de qualité, la reconnaissance de l'agriculture biologique, le souci de la préservation des ressources naturelles et de gestion de l'espace rural, les efforts en faveur d'un enseignement agricole mieux adapté, tout cela va dans le bon sens, même si ces articles méritent d'être complétés ou précisés. C'est le but des amendements que nous avons déposés.

M. le président.

Il faut conclure, madame.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Je conclus, monsieur le président.

Il s'agit bien, en effet, d'effectuer un choix clair entre deux conceptions de l'agriculture qui s'opposent : l'une préoccupée essentiellement de rendements et de retours financiers, ce que certains appellent à tort la dimension économique, et l'autre appréhendant de façon globale la multifonctionnalité de l'agriculture, dans le souci de concilier rentabilité et qualité, de préserver le travail des hommes et des femmes qui vivent de et sur leurs terres, de gérer les ressources naturelles et les territoires pour les générations futures, de mieux équilibrer les rapports Nord-Sud.

C'est un leurre de croire que ces deux approches peuvent cohabiter durablement. La première constitue aujourd'hui, dans un contexte mondial néo-libéral, une tendance lourde qui, si elle n'est pas réorientée franchement, fera disparaître la seconde ou la confirmera dans la marginalité ou, pis encore, la réservera à une clientèle de gourmets aisés. Nous comptons sur votre détermination,


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monsieur le ministre, pour affirmer haut et fort votre choix et celui de la majorité qui vous soutient, à Paris comme à Bruxelles. Or nous ne sommes pas totalement rassurés sur ce point.

Quelques mots de chauvinisme pour conclure. Il est de bon ton de fustiger l'Eure-et-Loir, dont je suis élue, et son productivisme acharné, illustré souvent par une caricature de Beauceron âpre au gain, indifférent à ses semblables et à la nature qui l'entoure.

M. Christian Jacob.

Sur les bancs de gauche !

M. André Angot.

C'est vous qui le dites !

Mme Marie-Hélène Aubert.

C'est faux ! Si, en effet, nous constatons qu'il n'y a guère de générosité et d'imagination à attendre d'un certain lobby, puissant et bien organisé, bon nombre d'agriculteurs en Beauce et dans le Perche fondent beaucoup d'espoir sur cette loi d'orientation qui permettrait de soutenir leurs démarches innovantes, souvent solitaires et méconnues, et de conforter les petites et moyennes exploitations. Ne les décevons pas !

M. le président.

Madame Aubert, s'il vous plaît !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Je termine ! Comme en Bretagne, région qui vous est chère, monsieur le ministre, nous voulons en finir avec la fuite en avant vers le gigantisme et un système aberrant qui ne profite qu'à quelques-uns et fait payer très cher à la collectivité tous ses dégâts. Ça suffit ! Il y a place en France et en Europe pour une agriculture durable et de qualité, rémunérant à leur juste prix les producteurs, fournissant une alimentation naturelle et saine, qu'une biodiversité enfin reconnue peut nous donner à satiété, pour peu qu'on la protège et la respecte.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour porter cette grande ambition. Vous pouvez compter sur nous, si vous nous démontrez clairement que telle est la vôtre. Et nous n'en doutons pas.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, nous sommes là pour plusieurs jours et je vous demande de respecter vos temps de parole.

La parole est à M. Germinal Peiro, pour dix minutes.

M. Germinal Peiro.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à ce moment du débat j'aurais souhaité intervenir sur les grands axes du projet de loi d'orientation agricole dont nous débattons aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'installation des jeunes, de l'organisation économique, du volet social ou de la gestion de l'espace agricole et forestier.

Comme la plupart d'entre nous, je suis convaincu qu'il est absolument nécessaire de réorienter une politique agricole qui, depuis les années 60, a obtenu d'indiscutables succès en faisant de la France le deuxième exportateur mondial en agroalimentaire mais qui, dans la même période, a subi de sérieux revers en concentrant 80 % des aides publiques sur 20 % des agriculteurs et en faisant disparaître par centaines de milliers les exploitations agricoles de notre pays.

Le temps m'étant compté, je voudrais concentrer mon propos sur le problème des retraites des non-salariés agricoles, qui concerne deux millions de nos concitoyens.

Chacun de vous sait que les retraites agricoles sont les plus basses de tout le système social français et que bon nombre de nos aînés doivent assurer leur existence avec des retraites bien inférieures au minimum vieillesse, en dépit de la solidarité nationale qui assure 85 % du montant des retraites versées aux agriculteurs dans le cadre du budget annexe des prestations sociales agricoles.

Les raisons de cet état de fait sont connues de tous.

Elles ont deux causes principales.

La première est l'érosion démographique de la profession. Nous comptons aujourd'hui un actif en agriculture pour trois retraités. De ce point de vue, nous pouvons affirmer que les retraités agricoles sont les victimes directes d'une politique qui a vidé nos campagnes de ses paysans pendant plusieurs décennies.

La seconde est la faiblesse des contributions des agriculteurs pour l'assurance vieillesse. Chacun sait que le régime d'assurance vieillesse agricole n'a été rendu obligatoire qu'en 1952 et que les contributions, qui étaient calculées sur le revenu cadastral, étaient très faibles pour les petites exploitations familiales. Chacun sait aussi qu'il n'existe toujours pas à ce jour de régime complémentaire obligatoire en agriculture.

Peut-on en faire porter aujourd'hui la responsabilité aux retraités agricoles comme nous l'entendons quelquefois ? Non, certainement pas.

Replaçons-nous un instant dans le contexte de l'aprèsguerre. Les petites exploitations agricoles de Bretagne, d'Alsace, du Périgord, de Provence, de toute la moitié sud de la France étaient exploitées dans un cadre familial.

Elles occupaient de petites surfaces, souvent inférieures à une dizaine d'hectares. Elles vivaient presque en autarcie et ont subi cette formidable mutation qui les a fait passer d'une agriculture quasi vivrière à une agriculture productiviste. Notre société tout entière avait intérêt à l'é poque à maintenir les prix agricoles au plus bas, et personne n'avait intérêt à grever les charges des agriculteurs, même si c'était au mépris du confort de leurs vieux jours.

Aujourd'hui, le fait est là, et c'est à nous, représentants des jeunes générations, de nous montrer solidaires de nos aînés.

Nous devons bien comprendre que les conditions de vie de la grande majorité des retraités agricoles se sont profondément modifiées. L'exode rural, la décohabitation font qu'aujourd'hui la plupart des retraités vivent seuls et ne peuvent plus faire face aux dépenses de la vie courante, qui se sont considérablement accrues. Pour la très grande majorité d'entre eux également, la valeur foncière et locative de leurs biens agricoles a chuté et ils ne peuvent plus compter sur des revenus annexes pour compléter le montant de leur modeste pension.

Depuis quinze mois, monsieur le ministre, le Gouvernement s'est engagé dans un plan pluriannuel de revalorisation.

M. André Angot.

Avant aussi !

M. Germinal Peiro.

En 1998, 274 000 retraités agricoles qui recevaient les retraites les plus faibles, aides familiaux et conjoints, ont pu bénéficier d'une augmentation substantielle atteignant 500 francs par mois pour les carrières complètes. Pour 1999, les mesures inscrites dans le projet de loi de finances bénéficieront à 607 000 retraités - chefs d'exploitation, veuves, conjoints, aides familiaux. Sur deux ans, cela représente un effort financier de 2,6 milliards. Un tel effort n'a pas de précédent.

M. André Angot.

Si !

M. Christian Jacob.

Il faudra comparer les chiffres.


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M. Germinal Peiro.

Je veux dire ici, monsieur le ministre, combien votre action personnelle et celle de vos collaborateurs ont été déterminantes pour faire progresser ce dossier difficile.

En dépit de ces efforts, qui doivent être chaque année poursuivis, je considère, comme un grand nombre de mes collègues, qu'il est indispensable de prévoir dans le même temps des aménagements du fonds social vieillesse. Trois me paraissent nécessaires.

Nous devons abaisser l'âge requis pour y accéder de soixante-cinq à soixante ans.

M. Michel Vergnier.

Tout à fait !

M. Germinal Peiro.

L'âge de la retraite ayant été abaissé à soixante ans, les personnes situées entre soixante et soixante-cinq ans peuvent en effet se retrouver dans une situation de détresse : elles n'ont plus droit au RMI et elles n'ont pas encore droit au fonds social vieillesse.

Nous devons relever le plafonds du recours sur succession pour les bénéficiaires du fonds social vieillesse,...

M. Michel Vergnier.

Très bien !

M. Germinal Peiro.

... plafond qui n'a pas été relevé depuis 1982 et qui est actuellement fixé à 250 000 francs.

Vous savez que de nombreux petits retraités ne veulent pas solliciter le fonds social vieillesse pour ne pas grever leur modeste actif successoral.

Enfin, nous devons relever le montant du minimum vieillesse car, avec 3 470 francs par mois pour une personne seule, il est notoirement insuffisant et ne permet pas de vivre décemment.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire aujourd'hui sur ce dossier. Je ne doute pas un seul instant que l'ensemble des membres de notre assemblée voteront favorablement pour que le principe de la revalorisation des retraites agricoles soit inscrit dans la loi d'orientation de 1998. C'est pour nous tous un devoir allant dans le sens de la justice sociale. Il y va de la dignité de nos aînés. Il y va de l'honneur de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour cinq minutes.

M. Jean-Marie Morisset.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les fondements d'une loi d'orientation de l'agriculture se trouvent certes au niveau des intérêts des agriculteurs mais, au-delà, dans la capacité de l'agriculture à répondre aux attentes de la société.

L'agriculture doit être appréhendée en termes de performances globales : économique, territoriale, sociale et environnementale. Or, nous ne retrouvons pas dans ce projet de loi ce fondement essentiel.

Certes, ce projet marque une orientation nouvelle qui s'exprime dans la volonté de protéger les territoires sur la base de démarches contractuelles directes entre les agriculteurs et l'Etat dans le cadre des CTE. Toutefois, le projet de loi reste encore déséquilibré : il aborde plus l'agriculture en termes de statut que de métier, il réduit trop l'agriculture à une activité patrimoniale devant participer au rétablissement des déséquilibres sociaux, et il positionne mal l'agriculture face aux enjeux du XXIe siècle, l'internationalisation des commerces, les biotechnologies, la sécurité alimentaire.

M. Joseph Parrenin.

Ultralibéralisme !

M. Jean-Marie Morisset.

Vous le savez bien, monsieur le ministre, l'agriculture doit participer au développement des échanges pour créer de la richesse, préserver des emplois et installer des jeunes. Or, dans l'exposé des motifs de ce projet de loi, le Gouvernement semble considérer que l'agriculture a pour seul objectif « d'être en mesure de vendre sur le marché mondial des matières premières au même prix que ses concurrents mondiaux les plus compétitifs ». C'est ignorer que l'agriculture française est la première agriculture mondiale exportatrice de valeur ajoutée grâce à la qualité de son industrie agroalimentaire. C'est ignorer également que l'agriculture française a été capable de répondre à des marchés diversi fiés, par sa compétitivité, mais aussi par la qualité de ses produits, la valeur ajoutée et les services.

La nouvelle articulation des hommes, des produits et des territoires ne se situe pas dans une logique de répartition des aides, mais dans le maintien de l'acte de production sur l'ensemble du territoire. C'est à partir de cet objectif que doivent être articulés et hiérarchisés les diffé rents outils, la politique agricole communautaire et nationale, à savoir les prix, les aides, l'organisation structurelle des exploitations. Le CTE veut être un de ces outils pour atteindre les objectifs fixés. Or les moyens sont incertains et le contenu est mal défini.

Le CTE doit être adossé à un projet économique.

C'est à partir de cette dimension économique que doivent être déclinées les autres dimensions de l'activité agricole.

Le CTE doit également être cohérent avec les instruments de la PAC. Ces contrats ne doivent pas être une alternative à la PAC, en redistribuant les aides par exemple. On assisterait à deux modes d'organisation de l'agriculture, celui organisé par la PAC, ouverte sur les marchés mondiaux, et celui défini par la loi d'orientation, centrée autour du territoire.

Le CTE ne doit pas être un mode de relation entre les agriculteurs et l'Etat, il doit permettre avant tout à l'agriculteur de consacrer sa fonction de chef d'entreprise, et donc d'assurer son avenir. Les CTE, qui sont individuels, doivent être replacés dans le cadre d'une mise en oeuvre collective, à l'échelle du département et en cohérence avec le projet agricole départemental. Il ne faudrait pas que l'installation des jeunes agriculteurs soit assujettie à de nouveaux critères. En d'autres termes, la signature d'un CTE sera-t-elle un préalable à l'attribution des aides à l'installation ? Monsieur le ministre, vous admettrez que ce projet ne définit pas les moyens suffisants pour donner de l'ambition à notre agriculture, pour rassurer les jeunes qui préparent leur projet d'installation. Il ne s'engage pas dans la voie de la reconnaissance de l'entreprise agricole, et notamment en ce qui concerne les conditions de la transmission, la modernisation de la fiscalité agricole, la recherche de nouveaux équilibres entre les bailleurs et les preneurs.

Il est également notoirement insuffisant dans la définition du rôle de l'organisation collective des producteurs, pourtant indispensable pour préserver leur accès au marché. Il ne précise pas non plus les missions des organisations des producteurs face à la concentration des opérateurs sur les marchés et aux nouvelles exigences des consommateurs. Enfin, ce projet de loi devrait réaffirmer plus qu'il ne le fait les objectifs de la politique de qualité et d'origine.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

En conclusion, cette loi d'orientation était nécessaire, elle est souhaitée par la profession, mais, vous le savez, bien que votée à Paris, son application dépendra essentiellement des décisions de Bruxelles. Nous pouvons défendre l'idée de nous rallier à une PAC plus favorable à la qualité qu'à la productivité, et d'affecter les concours en fonction de critères qui ne soient pas simplement le volume de la production ou la taille des exploitations.

Nous comptons, monsieur le ministre, sur votre action, pour que ce schéma soit économiquement viable et concrètement applicable. L'avenir de notre agriculture et, p ar là-même, l'aménagement de notre territoire en dépend. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Aloyse Warhouver, pour cinq minutes.

M. Aloyse Warhouver.

Ce projet de loi, monsieur le ministre, arrive au bon moment : reconduire la politique actuelle serait fatal à notre territoire. Il faut refuser le paquet Santer et nous vous apportons tout notre soutien dans cette démarche.

Pourquoi sommes-nous arrivés aux limites du supportable ? D'abord à cause du système de répartition des aides, ensuite par les investissements de plus en plus lourds supportés par les agriculteurs. Six années d'application d'une telle politique font que, de l'Alsace à la Bretagne en passant par la Champagne, hors vignoble, vous trouvez les mêmes paysages : d'immenses territoires labourés, sans arbres, sans haies, avec de temps à autre un village qui se dépeuple et un problème majeur : le manque d'eau ou une eau polluée par les systèmes de fertilisation des sols.

M. Christian Jacob.

Ce n'est pas possible d'entendre de tels propos !

M. Aloyse Warhouver.

On peut considérer que les agriculteurs qui ont la maîtrise foncière des sols peuvent faire ce que bon leur semble. Mais les paysages appartiennent à la communauté nationale laquelle, en contrepartie, se doit de les protéger. Concilier ces deux exigences est indispensable.

En premier lieu, il faudra corriger les effets négatifs de la PAC de 1992. Je m'explique : le classement demandé aux agriculteurs de leurs herbages, en « temporaires » ou en « permanents », a entraîné une modification profonde des paysages et des conséquences sur l'environnement.

Bien conseillés par leurs syndicats, les agriculteurs ont saisi la « faille » de la PAC de 1992 et classé l'essentiel de leurs prairies en « temporaires » ce qui leur permet, selon les aides accordées, de reconvertir ces terres en espaces de production de colza ou de maïs, plus riches en primes, si je puis dire.

Les conséquences sur l'environnement sont la disparition des dernières zones humides et la pollution involontaire des eaux d'infiltration : des villages entiers n'ont plus d'eau potable, ou du moins d'eau avec des normes supportables.

Avec l'arrivée massive des composts et des boues u rbaines, ce phénomène s'accentuera. S'ajoutent les retombées industrielles de plus en plus néfastes : dioxine, métaux lourds, radioactivité ; nous savons que de vastes zones sont dangereusement contaminées.

M. Christian Jacob.

On peut mettre des pots catalytiques aux vaches aussi !

M. Aloyse Warhouver.

Les agriculteurs sont très conscients de la gravité de la situation. Ils lèvent leurs yeux vers le ciel et vers les élus pour que nous mettions en place des politiques de production qui leur permettent avant tout de durer dans le temps sans se remettre en question à chaque réforme.

Ils savent qu'il faut des mesures de protection de l'environnement, des paysages là où c'est encore possible et surtout là où le tourisme représente une richesse plus importante que l'agriculture. Mais ils veulent être compétitifs, créateurs d'emplois, de vrais chefs d'entreprise. Il paraît à ce propos que le mot « entreprise » est absent de votre texte. Le président de la chambre d'agriculture de ma région me l'a signalé. Aussi, je vous invite à l'introduire dans le texte de loi. Nous avons créé en son temps l'entreprise agricole à responsabilité limitée. L'exploitant aujourd'hui est un chef d'entreprise.

Une réforme des aides communautaires et nationales s'impose. Trois critères doivent être simultanément pris en compte : garantir un revenu décent à chaque personne t ravaillant sur l'exploitation, l'« unité de travailleur humain » ; prendre en compte la surface de l'exploitation, avec des plafonds pour arrêter de créer ce que les Romains appelaient les latifundia - la course au toujours plus, plus de surface, plus de machines, amènera l'agriculture à la même situation que le commerce, c'est-à-dire à la disparition de la petite et moyenne entreprise au profit des grandes surfaces ; valoriser dans chaque région les spécialités, notamment par le biais des contrats territoriaux d'exploitation dont nous attendons beaucoup.

Le projet de loi d'orientation va dans le bon sens, et je le voterai, mais il faut rendre la PAC compatible avec nos orientations et non pas le contraire.

La revalorisation des retraites des agriculteurs est également une bonne chose. Je formulerai pour terminer une remarque. Il est demandé aux agriculteurs de s'installer hors agglomération, ce que beaucoup ont entrepris pour respecter les distances imposées par les règlements sanitaires départementaux.

M. Christian Jacob.

Il y en a en effet beaucoup dans les centres-villes ! (Sourires.)

M. Aloyse Warhouver.

Laissez-moi finir, monsieur Jacob...

M. le président.

Monsieur Warhouver, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît !

M. Aloyse Warhouver.

On m'interrompt, je suis obligé de répondre, monsieur le président.

Mais à peine la viabilité est-elle réalisée que des maisons individuelles sont construites, qui viennent se raccorder aux réseaux. Les agriculteurs demandent donc que la réciprocité soit respectée et inscrite dans la loi.

En conclusion, nous allons voter une importante loi d'orientation agricole, dont je vous félicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Marc Laffineur, pour cinq minutes.

M. Marc Laffineur.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde agricole a aujourd'hui besoin de repères et d'orientation clairs pour son avenir. On peut donc se féliciter du principe d'une loi d'orientation.

L'agriculture n'est pas une simple profession. Elle joue un rôle essentiel dans l'aménagement de notre territoire.

On ne peut pas parler de maintien, de développement du


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monde rural sans une agriculture forte avec une politique d'installation de jeunes agriculteurs. N'oublions jamais que l'agriculture est la base de l'économie rurale par les emplois directs et indirects qu'elle crée. Le monde rural, en effet, repose sur son maintien.

Ce choix, la France l'a fait depuis longtemps déjà. Elle doit continuer à le faire aujourd'hui. C'est ce souci constant qui a animé les grandes politiques agricoles menées notamment par les ministres Jacques Chirac et Philippe Vasseur.

M. Joseph Parrenin.

Et Pisani !

M. Marc Laffineur.

En effet.

C'est pourquoi le Président de la République a demandé, avec la profession, une loi d'orientation agricole.

Mais l'enjeu que l'agriculture représente ne semble pas toujours bien compris par ce projet de loi. Ce texte souffre de lacunes importantes.

Dans son ensemble, il est marqué par un manque d'ambition. Il ne prépare pas l'agriculture au XXIe siècle.

De façon plus précise, plusieurs points retiennent notre attention.

En premier lieu, il existe un risque de fonctionnarisation. L'agriculture n'est pas et ne peut pas être un service public. Certes, les agriculteurs ont un rôle important dans l'entretien de l'espace rural de la France, mais ils sont avant tout des producteurs, des créateurs de richesse. Ils ont la noble mission de nourrir leurs concitoyens. Leur métier ne se résume pas à leur participation naturelle à l'aménagement du territoire et à la défense de l'environnement.

D'ailleurs, les agriculteurs n'ont pas attendu un texte législatif pour s'inquiéter des problèmes environnementaux, puisqu'ils sont les premiers concernés par ces enjeux. Ils ont été de tout temps les premiers écologistes de notre pays.

En second lieu, ce texte ne s'appuie sur aucun plan de financement adapté. Alors que le contrat territorial d'exploitation est fondé sur une idée intéressante, il semble n'être que de la poudre aux yeux, puisque aucun financement, aucun crédit nouveau n'est prévu.

M. Jean Auclair.

Très juste !

M. Marc Laffineur.

Ce contrat sera en fait financé par un redéploiement, comme vous venez de nous le préciser, monsieur le ministre. On prend ici pour donner là, sans même savoir de combien on disposera.

Le problème des retraites n'est pas, lui non plus, réglé.

Pour conclure, le Gouvernement, à mon sens, ne prend pas assez en compte la réalité « entrepreneuriale » du monde agricole. Il ne présente pas de garanties financières suffisantes pour les contrats territoriaux d'exploitation ni pour la revalorisation des retraites.

Compte tenu des perspectives tracées, je voterai contre ce projet de loi d'orientation agricole.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou, pour cinq minutes.

Mme Martine Lignières-Cassou.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas à nouveau développer les enjeux que représente le projet de loi d'orientation agricole, un certain nombre de mes collègues l'ont déjà fait, et de façon excellente, d'autres le feront après mon intervention. Je voudrais simplement souligner sa vision novatrice de l'agriculture, une agriculture ancrée dans le territoire, ce qui en fait aussi une loi d'aménagement du territoire, une agriculture qui souhaite maîtriser la production de qualité, à valeur ajoutée, u ne agriculture qui souhaite contractualiser avec la société. Contrairement à ce qui a été affirmé par certains de mes collègues, cette préoccupation répond à une demande. En effet, plus de soixante-treize départements ont sollicité la possibilité d'expérimenter les contrats territoriaux d'exploitation.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Christian Jacob.

Non, ils ont été inscrits d'office par le ministre !

Mme Martine Lignières-Cassou.

Je voudrais m'attarder sur le volet social, qui a été peu traité et qui constitue pourtant une avancée significative.

M. Thierry Mariani.

Vous avez de l'imagination !

Mme Martine Lignières-Cassou.

Je m'intéresserai plus particulièrement au nouveau statut du conjoint collaborateur. Mon collègue Gérard Gouzes y reviendra au cours du débat. Je constate que ce point a été peu souligné par les différentes organisations professionnelles notamment lors des auditions organisées par la commission de la production et des échanges. Mes collègues députés socialistes ont fait le même constat à l'occasion de rencontres que nous avons pu organiser dans nos différents départements.

Pourtant, ce nouveau statut institue la parité avec les autres catégories sociales, donne aux conjointes d'agric ulteurs des droits identiques aux autres catégories sociales, notamment la prise en charge intégrale des frais de remplacement en cas de congé de maternité ou la création d'une créance de salaire différé lors du décès d u chef d'exploitation. Cette loi répare également une injustice criante puisqu'elle permettra aux conjointes d'agriculteurs de cotiser pour la retraite proportionnelle ou de racheter des points.

Cependant, monsieur le ministre, vous l'avez souligné, ce statut est optionnel. Etant choisi et non subi, sa mise en place nécessitera une grande campagne d'information car, comme nous avons pu le constater, il n'est peut-être pas la priorité des organisations professionnelles.

Enfin, je tiens à appeler votre attention sur l'article 6 qui traite de la diversification des activités agricoles. Ces activités sont souvent portées par des femmes et fédérées sous l'enseigne « bienvenue à la ferme ». S'il est important de poser le cadre de l'exercice de ces activités, il faut aussi les conforter car elles constituent autant de niches pour les agriculteurs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani, pour cinq minutes.

M. Thierry Mariani.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, après une longue attente, le projet de loi d'orientation agricole qui nous était annoncé est enfin arrivé. Il est vrai que ce n'est pas l'une de vos priorités absolues.

(Exclamation sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez d'abord préféré vous préoccuper des sans papiers ou des 35 heures (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) plutôt que de pré-


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senter ce projet de loi. Il faut tout de même le rappeler, car l'ordre chronologique est parfois révélateur : les agriculteurs sont passés après !

M. Kofi Yamgnane.

Et les emplois-jeunes ?

M. Thierry Mariani.

Hélas, l'heure n'est pas aux grands rendez-vous et nous pouvons d'ores et déjà nous interroger sur la pertinence de ce projet de loi.

Nous pouvons d'abord nous interroger sur la pertinence de la date de présentation de celui-ci. Monsieur le ministre, quelle sera la portée de votre texte ? Pensez-vous sérieusement que, à l'approche des négociations sur l'organisation mondiale du commerce et sur la politique agricole commune, vous serez en mesure de peser avec efficacité sur le contenu de ces discussions avec une loi d'orientation agricole tout juste votée par notre Parlement ? Certes non ! Nous pouvons nous interroger ensuite sur le contenu de ce projet de loi.

Peut-on vraiment croire à l'ambition du Gouvernement de fixer les grandes orientations de notre agriculture p our les deux prochaines décennies avec un texte incomplet et qui dénature la fonction de l'agriculture ? Il est tout de même inquiétant de devoir rappeler que la fonction première de l'agriculteur est de produire pour nourrir les hommes. Pourtant, un tel rappel ne semble pas inutile tant le texte qui nous est présenté, qu'il s'agisse du contrat territorial d'exploitation ou de l'organisation économique de l'agriculture, apparaît, comme l'ont signalé mes collègues de l'opposition, des plus légers en la matière.

Si les fonctions sociales et territoriales des agriculteurs sont largement développées au nom d'un développement durable, qui a le vent en poupe, et du souci légitime de protéger l'environnement, il est grand temps de rappeler que nos agriculteurs ne sont pas des « jardiniers » ni, comme l'ont dit certains de mes collègues, de « superscantonniers » qui, faute de produire, consacreraient leur temps libre à des travaux d'intérêt général.

De même, à défaut de se voir donner les moyens de conduire un véritable projet d'entreprise, ils n'ont pas vocation à devenir les agents d'ambiance de nos campagne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Or à trop considérer nos agriculteurs de la sorte, ce projet de loi frise par moment l'indécence. (Protestations sur les mêmes bancs.)

La gestion et l'aménagement de l'espace sont certes indispensables, mais ils ne doivent pas occulter pour autant la fonction économique primordiale de l'agriculture. Mais peut-être pensez-vous ainsi masquer votre incapacité à apporter de véritables réponses économiques aux difficultés du monde agricole et à donner de réels moyens aux organisations de producteurs et aux filières ? Comment expliquer cette réelle incapacité ? D'une part, elle s'explique, quoi qu'on ait pu entendre à ce sujet, par un manque flagrant de moyens. Et comme l'a souligné M. Christian Jacob, ce n'est pas le futur budget de l'agriculture qui permettra de les renforcer.

D'autre part, elle s'explique en raison d'une vision trop administrée et encadrée de l'agriculture.

Vous présentez le contrat territorial d'exploitation comme la mesure phare de votre projet, monsieur le ministre, mais vous ne lui accordez aucun moyen. En effet, vous vous contentez de redéployer des crédits existants, sans dégager de nouveaux financements pour rendre cette mesure réellement efficace. Ce sont quelque 300 millions de francs que vous allez transférer du FGER, du FIA, des offices et de divers fonds à vocation environnementale en direction des CTE.

Ce financement va donc intervenir au détriment d'actions en faveur de l'agriculture qui existent déjà.

Dés lors, pouvez-vous nous indiquer les programmes que vous envisagez de sacrifier pour financer les CTE, d'autant qu'une lecture attentive de votre budget ne laisse pas présager une grande marge de manoeuvre ?

M. Arnaud Lepercq.

Très bonne question !

M. Thierry Mariani.

Vous voulez dynamiser l'agriculture, favoriser le renouvellement de ses effectifs, mais, dans le même temps, le fonds pour l'installation en agriculture subit une amputation de 9,4 %. Quant au financement des préretraites, qui est l'un des pendants de la politique d'installation, il enregistre pour sa part une perte sèche de 15,6 %. Au total, ce sont quelque 116 millions de francs qui sont purement et simplement supprimés ! Et que dire du niveau des aides que vous apportez à certaines régions en difficulté et qui sont pourtant une véritable locomotive pour l'emploi ! Ainsi, l'agriculture représente 24 500 emplois directs et 29 000 emplois indirects dans le département de Vaucluse, soit 31,2 % de sa population active. Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, ce sont 82 000 emplois directs et 98 500 emplois indirects qui sont générés par l'activité agricole. Pourtant, alors qu'elle subit de plein fouet la crise des fruits et légumes, et ce depuis de nombreuses années, cette région figure parmi les moins aidées des régions françaises.

Les mesures économiques susceptibles s'insuffler un nouvel élan à notre agriculture sont quant à elles réduites à la portion congrue.

Incitations fiscales, allégement des charges - indispensables aux secteurs pourvoyeurs de main-d'oeuvre -, soutien à l'investissement, encouragement à l'exportation, notamment pour la viticulture, sont autant d'aspects vitaux pour l'agriculture que votre texte passe totalement sous silence.

Les organisations économiques et les filières qui, faute de moyens et d'un statut cohérent, n'ont pas toujours l'efficacité souhaitée, ne trouvent pas non plus, hélas, dans votre projet de loi les encouragements nécessaires à leur renforcement.

Pourtant, ce n'est qu'en se regroupant en un pouvoir économique fort que les agriculteurs pourront accéder aux marchés mondiaux, obtenir des aides à la hauteur de leurs efforts, adapter leur offre aux attentes des consommateurs, détenir un vrai pouvoir de négociation et exiger des relations loyales avec la distribution, valoriser leur compétitivité et obtenir enfin leur juste part dans la répartition de la valeur ajoutée.

Mais de tout cela, nos collègues de la majorité plurielle ne veulent point trop parler. Certains d'entre eux agitent déjà l'épouvantail du Grand Capital et confondent à tort la concentration de l'offre avec la compétitivité des producteurs français, qui sont devenus plus forts sur le marché mondial, parce que plus regroupés et plus solidaires.

Toutes ces lacunes, ces craintes sont le triste résultat, mes chers collègues, d'une vision administrée, dirigiste et encadrée de l'agriculture française.

M. Joseph Parrenin.

Caricature !

M. le président.

Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur Mariani.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. Thierry Mariani.

J'en termine, monsieur le président.

A l'heure de la mondialisation, vous n'avez donc rien trouvé de mieux, monsieur le ministre, que nous proposer un mode de production fondé sur le dirigisme économique. Avez-vous la mémoire courte ? En conclusion, monsieur le ministre, je vous dirai que je considère votre texte, au mieux comme un nonévénement, qui ne trouvera que peu d'applications dans les faits,...

M. Jean-Claude Daniel.

Il mobilise pourtant les foules !

M. Kofi Yamgnane.

Et vous en parlez quand même !

M. Thierry Mariani.

... au pire comme un anachronisme qui, en éludant la fonction de production et la part de responsabilité des agriculteurs, risque de porter un préjudice grave au dynamisme de nos exploitations.

M. Christian Jacob.

Très juste !

M. Thierry Mariani.

Dans mon département, les vendanges s'achèvent, et l'année 1998 sera celle d'un grand cru pour les côtes-du-Rhône. Je ne suis pas persuadé qu'il aille de même de cette loi, et, pour cette raison, je ne la voterai pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Hériaud, pour cinq minutes.

M. Pierre Hériaud.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement va donc débattre d'une loi d'orientation agricole près de quarante ans après la loi d'orientation de 1960. Beaucoup de choses ont changé depuis ; il a fallu s'adapter et il faut prévoir d'autres adaptations.

Telles sont les lignes d'un projet qui veut concilier capacité exportatrice de l'agriculture française, aménagement du territoire et environnement ainsi que qualité des produits alimentaires. Vaste programme sans doute.

Et si une loi peut toujours poser des exigences nouvelles, les agriculteurs et les industriels de l'agroalimentaire n'ont pas toujours attendu - heureusement - des textes officiels pour faire des produits de qualité.

Nous ne pensons pas que l'agriculture française sera importante demain s'il n'y a plus d'agriculteurs. Quant aux discours sur une France sans paysans, ils émanaient davantage de ceux qui parlaient sur l'agriculture que de ceux qui travaillaient la terre. Le drame, c'est que ceux-ci deviennent moins nombreux que ceux-là.

Vous avez raison, monsieur le ministre, de parler d'une nécessaire réorientation de la politique agricole, étant donné surtout le contexte mondial.

Pour notre part, nous voudrions souligner quelques aspects de la place que devrait revêtir dans le projet de loi l'organisation économique ainsi que le rôle et la spécificité des structures coopératives dans les industries agroalimentaires françaises.

Cette importance a été démontrée dans le rapport de M. Patriat, mais il faut insister de nouveau sur la nécessaire organisation économique à laquelle contribuent les coopératives agricoles, tant par la production et la transformation que par l'exportation. Cela est d'autant plus nécessaire que, pour certains, une réorientation de l'agriculture pourrait très bien se faire sans même mentionner le besoin d'une capacité exportatrice ! C'est délirant quand, en même temps, est exprimé le souhait d'installer le plus grand nombre de jeunes en agriculture.

Il faut aussi continuer à organiser les filières de production, de transformation et de commercialisation avec les opérateurs économiques en place. Mais l'on peut craindre que, dans certaines régions condamnées à une seule agriculture trop extensive, la matière à transformer fasse défaut, créant ainsi de graves déséquilibres économiques et géographiques.

L'expérience a montré que l'existence d'outils industriels et commerciaux durablement implantés dans les territoires pérennise les bassins de production agricole, quels que soient le secteur et la zone géographique d'activité. Il est donc essentiel que, dans la durée, les producteurs soient associés, aient un droit de regard, maîtrisent et contrôlent les outils qui permettent de transformer et commercialiser leur production.

Telle est, là encore, l'une des raisons d'être et l'une des finalités de l'entreprise coopérative agricole, laquelle est doublement liée au territoire, d'une part, par ses sociétaires et l'origine de ses capitaux et, d'autre part, par la nature de ses activités et la provenance de sa matière première.

L'exercice de cette maîtrise - qui ne semble pas assez prise en compte, monsieur le ministre - peut aujourd'hui présenter certaines difficultés du fait, d'une part, de l'importance des besoins financiers nécessaires au développement de l'entreprise agricole et, d'autre part, de la fragil ité, qu'il ne faut pas masquer, de bon nombre d'entreprises coopératives en ce domaine. C'est la raison pour laquelle il semble pertinent que la loi d'orientation complète les moyens dont disposent les agriculteurs pour exercer leur maîtrise sur les outils économiques.

La loi devrait davantage inciter les agriculteurs à mobiliser collectivement des capitaux dans les outils d'aval, et en priorité dans ceux qu'ils contrôlent. De tels investissements productifs doivent pouvoir bénéficier de conditions fiscales appropriées.

Nous souhaitons une incitation à la souscription de capital dans les coopératives. Cette incitation pourrait prendre la forme de l'extension du champ de la dotation pour provision aux investissements aux parts sociales de la coopérative, lorsque celles-ci constituent la contrepartie d'un capital finançant les investissements nouveaux. C'est d'ailleurs à notre sens une simple mesure d'équité pour les producteurs qui ont fait le choix de l'investissement collectif.

Développer les outils industriels et commerciaux liés au territoire est le plus sûr moyen de contribuer à la fois à la maîtrise de l'économie agricole et rurale et de réaliser concrètement l'aménagement durable du territoire au sein de nos pays et « bassins de vie ».

Ce serait là, monsieur le ministre, l'une des orientations utiles de ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

M. le président.

La parole est à M. Jacques Rebillard, pour cinq minutes.

M. Jacques Rebillard.

J'indiquerai d'abord à

M. Mariani, qui a été excessif comme à son habitude, que l'année écoulée a été une année de concertation et que le texte de loi qui nous est présenté en est le résultat.

M. Thierry Mariani.

Je ne vois pas ce résultat !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

M. Jacques Rebillard.

Si l'actuel gouvernement avait présenté ce projet de loi trois mois après son accession au pouvoir, vous n'auriez pas manqué, monsieur Mariani, de lui reprocher de n'avoir pas procédé à la concertation nécessaire ! Monsieur le ministre, mes chers collègues, j'entamerai mon propos par cette phrase de Bernard Palissy : « Il n'est nul art au monde auquel soit requis une plus grande philosophie qu'à l'agriculture. » Cette phrase pourrait

résumer une partie des débats que nous allons avoir sur l'agriculture, car il s'agit aussi d'un débat d'idées sur la façon dont nous envisageons l'avenir de l'agriculture pour les décennies à venir.

Aujourd'hui, notre agriculture est régie par diverses équations, telle celle-ci : plus d'engrais égale plus de production égale moins d'exploitations ; ou encore : réduction des prix égale augmentation de la surface des exploitations égale accroissement de la surproduction.

La politique doit être inspirée par une vision philosophique de la société, et ce n'est pas le libéralisme auquel s'identifie faussement le terme de liberté qui nous donnera la solution. Il nous faut une véritable volonté politique pour réorienter notre agriculture d'une logique de production pour les silos et les frigos à une logique d'entreprise qui prenne en compte les désirs du consommateur et de la société.

Que nous disent les consommateurs ? Qu'ils en ont assez de manger des produits agricoles insipides, des viandes cannibalisées. Car si manger reste un acte vital, il est aussi un moment de convivialité et de plaisir.

Comment notre agriculture pourrait-elle être complice de la disparition de ce plaisir ? Ils nous disent aussi qu'ils en ont assez de payer leur eau plus cher, de traverser de mornes plaines et d'assister impuissants à la disparition du bocage. Ce sont nos racines et notre identité nationale qui disparaissent ainsi.

Maintenant que notre autosuffisance est acquise, une autre étape doit être franchie. Les agriculteurs doivent se réapproprier leur métier, sans quoi les fonctions qu'ils remplissent leur seront confisquées : la production par l'agro-industrie, l'environnement par les écologistes et l'occupation du territoire par d'autres catégories socioprofessionnelles. Il suffit de voir l'évolution de la composition des conseils municipaux ruraux pour en être persuadé.

Ce projet de loi d'orientation serait-il fait contre les agriculteurs ? Non ! Mais il a toujours subsisté une sorte de malentendu entre la gauche et le monde agricole ; il est temps de prouver à ce dernier que notre analyse de la crise agricole est pertinente et que les solutions proposées dans le projet de loi d'orientation sont de nature à lui ouvrir de nouvelles perspectives.

La principale disposition de la loi concerne le contrat territorial d'exploitation, qui consacre les fonctions de l'agriculteur : la production, la préservation du milieu, l'aménagement du territoire et l'emploi. Le CTE repose sur une conception moderne des relations de l'Etat avec les citoyens : aux réglementations, nous substituons un engagement réciproque, ou contrat, basé sur la confiance avec des objectifs à atteindre.

M. François Patriat, rapporteur.

Très bien !

M. Jacques Rebillard.

Le citoyen aura de plus en plus de mal à accepter les aides financières versées à l'agriculture ; il oubliera vite qu'il s'agissait de compenser des baisses de prix. Pour leur pérennité, les aides, les primes doivent devenir de justes rémunérations de services rendus à la société et clairement établis aux yeux de tous : productions de qualité, réduction des intrants, entretien de l'espace, création d'emplois, certification des exploitations. Sur le tableau, nous posons un cadre ; à la profession de peindre la toile.

Dans son titre II, le projet de loi définit le statut de l'exploitation agricole.

Il faut se préserver d'évolutions néfastes pour les exploitations elles-mêmes, plus particulièrement dans le secteur céréalier : certains propriétaires reprennent une exploitation et la font mettre en valeur par des entreprises dans le seul but de toucher les primes européennes, les entreprises se rémunérant avec la récolte.

Un autre aspect de ce titre a appelé l'attention des artisans, qui craignent une concurrence déloyale.

M. André Angot.

Ils ont raison !

M. Jacques Rebillard.

Connaissant bien les agriculteurs, je sais qu'ils ne se transformeront jamais en maçons ou en électriciens. Les exceptions seront rares, et les secteurs les plus concernés risquent, bien sûr, d'être ceux de l'entretien de l'environnement. A nous de faire en sorte de limiter les excès. Mais sur le fond, l'objectif reste de faire de l'agriculture une activité dynamique, dont le développement profitera aux artisans ruraux.

M. le président.

Il faut conclure, monsieur Rebillard.

M. Jacques Rebillard.

L'agriculteur thésaurise peu, il investit ses profits.

Le statut de collaborateur d'exploitation constitue une avancée certaine, réclamée depuis fort longtemps par les agricultrices.

Le contrôle des structures, tant décrié par certains, parmi lesquels le Président de la République, ne fait que reprendre largement les propositions de la profession, en particulier des jeunes agriculteurs.

En matière d'emploi salarié, la loi innove avec le TESA, dont la création pourrait être étendue à d'autres secteurs professionnels, comme celui de l'artisanat, dont nous évoquions à l'instant les réticences.

Le titre III traite de l'organisation professionnelle.

L'avenir de la profession passe par une meilleure maîtrise de ses outils de transformation et de commercialisation.

M. le président.

Monsieur Rebillard, vous avez épuisé votre temps de parole.

M. Jacques Rebillard.

Accordez-moi encore une minute, monsieur le président.

Faire face au secteur de la distribution, qui se renforce, nécessite une organisation solide de la profession. Il ne s'agit pas d'évincer le secteur privé, mais de poser le principe d'une concurrence équitable et d'un partage de la valeur ajoutée. Cette organisation devrait contribuer, à terme, à éviter les crises de surproduction comme celles que nous avons connues avec le chou-fleur ou avec le porc et être confortée par la reconnaissance des signes distinctifs de qualité contenus dans le titre IV. Cette partie de la loi donne toute sa cohérence au CTE, qui ne peut se concevoir sans une recherche plus poussée de la qualité.

Le titre V est peu développé et c'est dommage. Pourtant, des zones importantes de notre territoire sont couvertes de forêts ou de zones agricoles dignes d'être préservées, en particulier de l'urbanisation. On peut regretter que, dans un contexte nouveau, le rôle des SAFER n'ait pas été redéfini dans ce titre, mais cela fera l'objet d'un amendement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

Le titre VI s'attache...

M. le président.

Monsieur Rebillard, je vous demande vivement de conclure !

M. Jacques Rebillard.

Laissez-moi encore une minute et je termine. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Monsieur Rebillard, les minutes durent soixante secondes pour vous comme pour chacun des députés !

M. Jacques Rebillard.

Le titre VI, disais-je, s'attache à la fois à la formation et à la recherche.

L'enseignement agricole connaît un succès grandissant, comme en témoigne l'accroissement de ses effectifs. Fait pour accueillir des fils et des filles d'agriculteurs, il s'ouvre à une frange plus large de la société. Les raisons en sont ses aspects pratiques et l'arrivée de jeunes de plus en plus attirés par la vie en milieu rural. Si nous ne voulons pas les décevoir, il faut faire de l'agriculture un secteur de pointe...

M. le président.

Monsieur Rebillard, je vais devoir vous couper la parole !

M. Jacques Rebillard.

Eh bien, vous me couperez la parole.

Si nous ne voulons pas décevoir les jeunes, disais-je, il faut faire de l'agriculture un secteur de pointe, et c'est l'un des objectifs de cette loi.

L'enseignement agricole évolue. Essentiellement technique, il doit aujourd'hui s'attacher à faire appréhender aux élèves les conséquences des pratiques et des décisions de l'agriculture sur l'environnement et les sensibiliser aux aspects commerciaux...

M. le président.

Je suis désolé, monsieur Rebillard, mais je suis obligé de vous interrompre.

M. Jacques Rebillard.

Je le regrette, monsieur le président ! Vous pourriez laisser les députés s'exprimer !

M. le président.

Vous avez parlé plus de huit minutes.

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour cinq minutes.

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le ministre, nous sommes nombreux à aborder ce débat dans un esprit extrêmement constructif. Nous vous savons gré d'avoir non seulement un regard compétent sur l'agriculture française, mais également un esprit ouvert, et nous savons que, dans le contexte actuel, vous êtes un défenseur sincère de l'agriculture française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Cela dit - je rassure mes collègues situés à droite de l'hémicycle -, les bonnes intentions ne suffisent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Vous avez mené la concertation avec les représentants du monde agricole ; nous l'avons menée également avec les responsables départementaux.

Quelle impression ai-je tiré de ces nombreuses rencontres et séances de travail auxquelles nous avons participé ? D'abord, une grande déception...

M. François Patriat, rapporteur.

Nous n'avons pas vu les mêmes personnes !

M. Joseph Parrenin.

Il a vu les paysans américains !

M. Jean-Claude Lenoir.

... dans la mesure où beaucoup attendaient que le texte qui nous est proposé soit un instrument d'accompagnement de l'évolution du métier d'agriculteur.

Egalement le sentiment que des ambitions fortes étaient nées depuis longtemps, depuis des années. On disait, parlant des problèmes agricoles, qu'il fallait une loi d'orientation. On ajoutait : « Il nous faut une grande loi d'orientation agricole. »

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Nous l'avons !

M. André Angot.

C'est raté !

M. Jean-Claude Lenoir.

A cet égard, on peut marquer sa préoccupation en se demandant si l'agriculture française pourra, avec les moyens que vous lui donnez, conserver sa compétitivité, faire face à la concurrence à l'intérieur de l'Europe mais également préserver ses parts de marché dans les pays situés en dehors de l'Union européenne.

Je formulerai quelques observations, m'en tenant au temps de parole qui m'a été imparti.

Je souligne tout d'abord qu'il est un point sur lequel le projet de loi était singulièrement muet - heureusement, notre excellent collègue Jean Proriol a oeuvré pour combler cette lacune -, le statut de l'exploitant.

Il y a une différence importante entre le rôle que les agriculteurs entendent jouer et celui que vous voudriez leur faire jouer dans votre projet. Pour eux comme pour nous, l'agriculteur est un chef d'entreprise, c'est-à-dire un agent économique qui sait prendre un risque économique. Or on voit bien à travers les mots, à travers les lignes, que vous le considérez comme un fournisseur ou un prestataire de service public.

Ma deuxième observation concerne la fiscalité relative à l'installation des jeunes agriculteurs. Il faut à l'évidence que des dispositions fortes soient prises rapidement afin de permettre la transmission des exploitations, mais que ces dispositions donnent également à l'exploitant, au jeune en particulier, les moyens de faire face aux besoins en investissement, de façon à être compétitif.

Vous avez renvoyé à la fin de 1999 le dépôt d'un rapport sur cette question, façon originale de créer des emplois dans un secteur qui n'en manque pas. Je pense qu'un peu d'imagination et un peu plus de concertation permettraient d'arriver plus rapidement à un résultat.

En ce qui concerne les contrats territoriaux d'exploitation, je dirai très sommairement, sans que vous puissiez pour autant m'accuser d'être caricatural, que deux problèmes nous interpellent.

Tout d'abord, les modalités de financement des CTE sont très floues : on prend dans une poche pour mettre dans l'autre.

Les mesures pour 1999, d'un montant de 450 millions de francs, seront financées en puisant dans les crédits affectés aux l'OGAF. Mais le système ne consistera-t-il pas à transférer des crédits qui existent déjà, en utilisant des subventions qui ne sont pas acquises car elles relèvent pour une part de la politique communautaire ? Sur ce point, vous n'avez aucun engagement de nos partenaires.

Le deuxième problème concernant les contrats territoriaux d'exploitation est le risque de suradministration.

Certains de mes collègues ont dit ce qu'ils en pensaient.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ai presque terminé, monsieur le président, comme vous pouvez le constater... (Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

Monsieur le ministre, du fait de cette loi et d'une autre que nous discuterons cette semaine, les préfets vont jouer un nouveau rôle et devenir des super-notaires.

Pour aller dans le sens que vous souhaitez et pour conclure, monsieur le président (Sourires), je dirai tout d'abord que ce texte pèche par une incohérence évidente.

M. François Patriat, rapporteur.

Heureusement que vous êtes là !

M. Jean-Claude Lenoir.

Nous nous engageons sur une loi qui organise l'agriculture française pour les années à venir alors que nous ne savons pas ce qui résultera des négociations menées aussi bien au sein de l'Union européenne en ce qui concerne la PAC qu'au sein de l'Organisation mondiale du commerce ; une plus grande cohérence aurait été nécessaire.

M. Félix Leyzour.

Dans quel sens ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Nous serons très vigilants quant aux dispositions qui seront finalement adoptées sur les points suivants : l'installation des jeunes agriculteurs, le rôle que doit jouer l'agriculture pour être un instrument dynamique de notre économie, enfin, l'objectif que l'agriculteur ne soit pas demain, comme l'a redouté le Président de la République dans des termes qui ont, je crois, touché, au-delà du monde agricole, de nombreux Français, le « jardinier appointé par l'Etat » ou le « cantonnier du XXIe siècle ».

M. Joseph Parrenin.

Formule démagogique ! Elle n'aurait pas dû sortir de l'Elysée !

M. Jean-Claude Lenoir.

Nous serons vigilants pendant toute la discussion afin que les agriculteurs, qui nous font c onfiance, puissent in fine nous indiquer s'ils se reconnaissent dans le rôle que vous voulez leur faire jouer dans l'agriculture de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Merci, monsieur Lenoir, d'avoir resp ecté le temps de parole prévu dans vos notes... (Sourires.)

La parole est à M. Kofi Yamgnane, pour cinq minutes.

M. Kofi Yamgnane.

Monsieur le président, monsieur le ministre, le texte que nous examinons cette semaine vise un objectif, adapter notre agriculture au XXIe siècle, et propose une stratégie : définir une position nationale forte susceptible de s'imposer tant dans le cadre de la refonte de la politique agricole commune qu'au cours des négociations sur l'Organisation mondiale du commerce.

Mais parce que les lois d'orientation agricole sont rares - c'est l'apanage des grands ministres de la République de les proposer -, le vote de ce texte prend une dimension tout à fait particulière pour l'ensemble du secteur agricole : l'engagement dans une réforme profonde de nature à modifier totalement l'environnement naturel, culturel et sociologique de nos campagnes.

Notre modèle agricole actuel s'est structuré à la fin des années 60 autour d'un schéma productiviste élaboré en réponse à un double défi : quantitatif, du fait de l'émergence d'une société de consommation liée au baby-boom de l'après-guerre et technologique, parce que sous-tendu par le développement sans précédent de la mécanisation.

L'organisation européenne, l'instauration d'une démarche politique commune d'Etats rassemblés au sein d'une communauté économique, la mise en place de structures destinées à protéger et à encourager nos productions agricoles y ont répondu dans un premier temps.

Aujourd'hui, la limite du système semble définitivement atteinte et ce qui fut hier un modèle de réussite est de plus en plus ressenti, particulièrement en Bretagne, comme un conglomérat de procédures coûteuses peu efficaces et susceptibles d'hypothéquer l'avenir même de la profession.

Les agriculteurs se reconnaissent de moins en moins dans un système qui, de prix soutiens en primes associées aux tonnages et aux hectares, leur a imposé l'augmentation des capacités productives, les a forcés à mener une politique d'investissement toujours plus coûteuse, a forgé une mentalité exclusivement productiviste, contribuant ainsi au renchérissement du foncier et à l'isolement des producteurs par rapport aux distributeurs. (Tout à fait ! sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Dans le même temps, l'influence exclusive des marchés, la concentration des moyens de production, la politique des quotas, les mesures environnementales ont entraîné une augmentation du prix de la terre et un déficit d'image du métier, rendant plus difficile l'accès à la profession et débouchant sur la disparition du modèle familial des petites exploitations. L'exode rural et la désertification de nos campagnes s'en sont trouvés amplifiés.

Les consommateurs ne se retrouvent plus guère dans ce système. Leurs goûts ont changé, sans pour autant que les modes de production et les variétés produites s'adaptent.

Le sentiment environnemental a progressé, mettant fin au simple et strict réflexe de consommation à moindre coût.

L'aménagement du territoire est devenu une priorité pour tous.

Le besoin de sécurité alimentaire s'est fait jour, à la lumière de l'apparition périodique de catastrophes aux noms évocateurs : vache folle, peste porcine, tremblante du mouton. Le doute s'est installé dans les esprits ; la confiance vacille.

M. Christian Jacob.

Ça fait deux siècles que la tremblante existe !

M. Kofi Yamgnane.

La réponse que nous pouvons apporter à cet état de fait tient en une soixantaine d'articles structurant un projet ventilé en six titres, autour d'une innovation majeure, le contrat territorial d'exploitation, mais qui traite également du statut des exploitants et des personnes, de l'organisation économique, de l'identification de la qualité, de la gestion de l'espace agricole, de la formation et de la recherche ainsi que du développement.

En créant le CTE, le Gouvernement vise à sécuriser consommateurs et producteurs, à lutter contre les situations inégalitaires résultant de la répartition des aides, à remettre en cause la concentration des terres qui handicape les transmissions et freine une occupation rationnelle du territoire, enfin à favoriser l'adaptation de notre agriculture à l'inévitable mondialisation des cours.

Ce nouveau lien entre la société française et son agriculture doit permettre de remédier à l'opacité des soutiens publics, apporter une réponse aux besoins nouveaux concernant l'environnement et la qualité des produits, mais également tendre à une responsabilisation des agriculteurs en vue de freiner, voire d'arrêter, l'exode rural, en tendant vers plus de justice et d'équité.

La multifonctionnalité est une nécessité imposée par le contexte économique et social, par les négociations de l'Organisation mondiale du commerce, par nos prix de revient - qui risquent d'être trop élevés face à la concurrence -, par les limites établies dans le cadre de la PAC et la réduction probable des soutiens communautaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

La multifonctionnalité constitue la réponse à un système qui connaît aujourd'hui ses limites. Nous savons tous désormais que l'augmentation de la production liée à l'amélioration de la productivité n'a pas compensé la baisse régulière des prix agricoles observée pendant les deux dernières décennies. Une production performante, orientée vers le qualitatif, synonyme de débouchés et de valeur ajoutée, plutôt que vers le quantitatif, aux marges faibles, et fortement lié aux fluctuations des cours, constitue un élément de réponse aux crises de surproduction.

M. le président.

Il va falloir conclure, monsieur Yamgnane.

M. Kofi Yamgnane.

La multifonctionnalité impliquera une prise de risque importante de la part des exploitants agricoles ; en contrepartie, elle imposera un accompagnement financier par la collectivité et nécessitera l'apport d'une formation adéquate. Il ne peut s'agir uniquement de l'ouverture de quelques gîtes ruraux ou de la simple transformation de nos agriculteurs en charcutiers ou en entrepreneurs de travaux occasionnels.

L'apport des nouvelles technologies sera considérable dans les lieux physiquement les plus reculés de nos campagnes qui, une fois sur le Web, seront aussi centraux que les bureaux de La Défense.

Encourager la multifonctionnalité de l'agriculture ne peut que favoriser l'équilibre territorial et social.

Ce projet de loi doit nous permettre de modifier profondément un système qui a atteint ses limites.

Il n'y a pas de crise du porc, il n'y a pas de crise des légumes, il n'y a même pas de crise de l'agriculture, il y a une crise du système agricole tout entier, une crise structurelle que seule une action raisonnée volontaire, menée collectivement et en profondeur, peut contrecarrer.

C'est là le véritable enjeu de cette loi d'orientation.

C'est là sa raison d'être, parce qu'elle jette les fondations de la réconciliation de la ruralité et de la modernité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Anicet Turinay, pour cinq minutes.

M. Anicet Turinay.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui prend en compte certaines attentes à l'égard de l'agriculture en mettant l'accent, en plus de la fonction de production, sur ses dimensions sociales, environnementales et territoriales.

Cependant, même si cette loi montre une orientation différente des textes précédents, elle comporte encore trop de lacunes ou d'ambiguïtés pour être une véritable loi d'orientation.

Elle ne répond pas suffisamment aux attentes ni aux espoirs formulés par les agriculteurs, en particulier dans le domaine social, fiscal et économique.

C'est ainsi que le développement des formules sociétaires et de la diversification de l'agriculture nécessite de clarifier le statut des personnes, notamment en donnant une définition de l'exploitant.

L'évolution de l'agriculture suppose un environnement juridique reconnaissant l'autonomie et la pérennité des entreprises. Les agriculteurs ont besoin d'une réglementation fiscale et sociale dynamique, adaptée aux efforts d'investissement nécessités par leur constante adaptation aux marchés.

Seule l'organisation collective des producteurs peut permettre aux agriculteurs de préserver leur accès aux marchés, de mieux répartir la valeur ajoutée au sein des filières et d'éviter une déresponsabilisation croissante des chefs d'exploitation. Le pouvoir économique fait partie de la fonction de l'agriculteur et doit être reconnu.

Les établissements agricoles ont besoin d'une véritable baisse de leurs charges et d'un renforcement de leurs fonds propres, afin de produire à des coûts plus compétitifs.

Il est important de veiller à ce que les agriculteurs retraités bénéficient de pensions et de prestations comparables aux autres catégories socioprofessionnelles.

Plus particulièrement pour la Martinique et les autres départements d'outre-mer, la création d'une ADASEA - association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles - aura notamment pour objet d'apporter le concours de la profession agricole à la mise en oeuvre, au niveau départemental, des actions qui concernent directement la politique d'aménagement des structures des exploitations agricoles prévue par la loi du 8 août 1962, ou qui s'y rapportent.

Je profite de l'examen de ce projet de loi pour vous alerter, monsieur le ministre, sur la situation de l'agriculture dans les départements d'outre-mer, notamment dans mon département.

Le poids de l'agriculture dans l'économie martiniquaise ne cesse de régresser. La principale source de recettes à l'exportation, la banane, doit constamment faire face aux attaques de l'Organisation mondiale du commerce, qui fragilisent l'organisation commune du marché de cette production, laquelle représente 30 000 emplois directs et indirects aux Antilles, et remettent en cause régulièrement la pérennité de l'activité bananière à la Martinique et à la Guadeloupe. L'ouragan Georges, qui a fort heureusement é pargné les Antilles françaises, a quand même porté atteinte à 80 % de la production bananière de la Guadeloupe.

Depuis les trois dernières décennies, on constate que les surfaces plantées en canne à sucre, deuxième activité agricole de la Martinique, ont énormément régressé. La récole de canne, supérieure à 1 million de tonnes dans les années 1960, a diminué jusqu'à 181 500 tonnes en 1997, alors qu'elle était de l'ordre de 210 000 tonnes en 1995 et 1996.

Les ventes de sucre produit par la seule usine sucrière de la Martinique se sont élevées au total à 7 500 tonnes en 1997, soit une diminution de près de 14 % par rapport à l'année précédente sur le marché local. La concurrence des importations de sucre blanc limite la production de sucre roux, d'autant plus que les excédents ne peuvent être exportés que sur les marchés extérieurs, à des prix proches des prix d'intervention du marché communautaire : 4,18 francs le kilo pour un coût de production de 7,39 francs le kilo en moyenne en 1997. Dans ce contexte, le projet d'une unité pilote de production de sucre blanchi a été étudié et testé. Toutefois, il ne devrai t pas être concrétisé, compte tenu de son coût trop élevé e t de sa rentabilité insuffisante.

La conserve d'ananas de la Martinique, d'un prix structurellement trop élevé face à la production asiatique, ne survit qu'avec l'apport de l'aide du FEOGA.

Les autres productions vivrières, fruitières et florales ont connu une baisse de 15 % entre 1996 et 1997. Les exportations de fruits, légumes et fleurs ont diminué de 7 % en raison de la concurrence des pays européens, méditerranéens et ACP. Par ailleurs, nous devons faire face aujourd'hui au déficit de terres agricoles, contrairement à ce qui se passe en métropole. L'exiguïté de l'île fait qu'il y a un empiétement de plus en plus important sur les terres agricoles pour la construction de logements.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

Aussi la SAFER, compte tenu de son niveau d'activité, ne peut-elle générer les ressources suffisantes pour fonctionner normalement.

Par rapport à tous ces problèmes que je viens d'évoquer, la Martinique et les autres départements d'outremer ont besoin d'un véritable plan de restructuration de leur agriculture et du renforcement de l'incitation à l'organisation économique des agriculteurs par secteur de production.

La loi d'orientation agricole doit s'y attacher.

Enfin, les moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs visés par votre texte ne me paraissent pas suffisants par rapport à l'enjeu du secteur agricole, qui doit prendre en compte la libéralisation des échanges mondiaux et s'adapter à la relation nouvelle entre l'agriculture et la société afin de répondre aux exigences des consommateurs.

M. le président.

La parole est à M. Yves Coussain, pour cinq minutes.

M. Yves Coussain.

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est attendu par le monde agricole, qui souhaite voir ses relations avec l'ensemble de la société recadrées. Il a été voulu par le Président de la République et votre prédécesseur, Philippe Vasseur, était prêt à nous proposer son projet voilà un an et demi.

M. Kofi Yamgnane.

Mais qu'est-il donc arrivé ? (Sourires.)

M. Yves Coussain.

Aujourd'hui, ainsi que le disait C hristiane Lambert, vous avez l'opportunité, à un moment stratégique du calendrier, de nous présenter votre texte.

Mes collègues, et en particulier François Sauvadet et Germain Gengenwin, se sont largement exprimés sur l'architecture générale et la philosophie de votre projet.

Dans les cinq minutes qui me sont accordées, je me limiterai à trois sujets : le contrat territorial d'exploitation, la politique des structures et l'organisation des marchés.

S'agissant du contrat territorial d'exploitation, j'en approuve le principe. Lier les aides publiques à la contractualisation de certaines règles et de certains objectifs me paraît être une chose saine.

Mais le CTE doit avoir d'abord pour objet d'accroître la valeur ajoutée des exploitations. Il doit renforcer leur vocation de production de biens ou de services, et non la marginaliser.

Votre projet de loi remet en cause l'ordre des priorités.

Il ne souligne pas assez que l'agriculteur est d'abord un producteur.

La question centrale est le financement des contrats territoriaux d'exploitation. Les moyens actuellement ernvisagés ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. S'il me semble normal que ces financements s'opèrent par optimisation des crédits ou par redéploiements, ces derniers me paraissent tout à fait insuffisants.

Le risque est grand de décrédibiliser et de saper cette bonne idée qu'est le CTE, en ne prévoyant pas les moyens de sa mise en oeuvre.

Il est indispensable que les CTE soient un instrument de rééquilibrage des soutiens à l'agriculture. Or votre projet n'en parle pas. Les aides publiques doivent non pas accroître les disparités de revenus, mais les réduire.

Il y a une forte contradiction à vouloir, d'un côté, pour des raisons de compétitivité, s'aligner sur les prix mondiaux, et donc solliciter et faire exploser les budgets par l'augmentation des primes compensatoires, et, de l'autre, refuser la modulation des soutiens européens et le rééquilibrage des aides par le biais des CTE. Or sans apport ni modulation des fonds européens, les CTE seront des contrats vides car sans moyens.

J'en viens à la politique des structures.

L'installation des jeunes agriculteurs doit être une préoccupation majeure de votre loi d'orientation. Pour cela, deux mesures s'imposent.

Il convient, d'abord, de supprimer l'obligation pour un jeune qui s'installe en GAEC d'apporter des surfaces supp lémentaires. Cette obligation est absurde et va à l'encontre d'une bonne occupation du territoire car elle substitue les hectares aux paysans. Des amendements en ce sens vous seront soumis.

Une seconde mesure est nécessaire : la revalorisation des retraites. Une telle mesure, monsieur le ministre, réparerait une injustice criante, dénoncée par de nombreux collègues.

Il faudrait également, réactiver les préretraites afin de libérer des surfaces au profit des jeunes.

Dernier sujet que je voudrais aborder : l'organisation du marché, pour les produits bénéficiant de signes de qualité et de provenance, tels que les AOC.

Pour que ces signes soient source de valeur ajoutée, les producteurs doivent pouvoir s'organiser en groupements capables de maîtriser les quantités et de fixer les niveaux de rémunération de la production.

Actuellement, avec les ordonnances de 1986, cela est impossible, et les producteurs inorganisés se font souvent confisquer par la grande distribution les fruits de leurs efforts.

Le texte a été amélioré en commission. Il doit être encore renforcé.

Tels sont les trois points sur lesquels je souhaitais, monsieur le ministre, chers collègues, attirer votre attention.

Je terminerai par une mise en garde concernant les dérives et les abus en matière de réglementation et de contrôle. Le texte de loi que vous présentez, monsieur le ministre, risque d'en rajouter et d'accroître le climat de suradministration.

J'entends certains justifier leur excès de zèle et leur comportement tatillon, parfois vexatoire, par le fait que votre administration distribuerait la moitié des revenus.

Ce raisonnement me semble à la fois pervers et dangereux. Nos paysans sont des producteurs responsables. Ils ne sont pas des gamins qu'on punit financièrement pour une virgule oubliée dans une déclaration ni des fraudeurs en puissance mis en activité surveillée. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseA lliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Votre loi d'orientation était attendue. Elle marque certaines avancées et contient des innovations intéressantes.

Hélas ! elle m'apparaît dénuée d'une grande vision et manquer d'ambition pour le monde rural et notre agriculture.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocraite française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Daniel, pour cinq minutes.

M. Jean-Claude Daniel.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le monde agricole, une loi d'orientation est toujours un événement important qui tire les conséquences d'évolutions incontes-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

tables, et met en oeuvre les conditions de la poursuite de l'activité agricole selon des modalités renouvelées et modernisées.

Le projet de loi qui nous est soumis se positionne à un moment où la société tout entière reconnaît la multiplicité des missions, économiques, sociales et territoriales, que remplit l'agriculture, créant à la fois des richesses pour les marchés - nationaux, européens ou mondiaux et fournissant aussi des emplois et des biens matériels ou immatériels pour la société.

La future loi d'orientation répondra aux enjeux en proposant un cadre fiable et souple pour réguler les marchés, pour en conquérir de nouveaux, plus segmentés et plus complexes. Elle doit mettre en oeuvre des mesures novatrices pour favoriser l'initiative économique des acteurs de l'agriculture.

Monsieur le ministre, je ne peux que souscrire à cette déclaration de l'un des représentants émérites de la profession agricole. Elle prouve que, sur le fond, votre projet de loi, que nous faisons nôtre, est compris et qu'une large consultation a permis de faire progresser le texte. Cette loi doit affirmer une réorientation profonde de la politique agricole française pour répondre aux attentes de la société et de la grande majorité des paysans. Il est en effet urgent de renouveler le pacte social entre la société et ses agriculteurs sur d'autres objectifs que ceux qui ont guidé la politique agricole depuis les années 50. C'est ce que certains ont exprimé depuis longtemps par les mots en forme de slogan : « Produire, employer, préserver. » Vous

comprenez que cette seconde assertion d'une autre représentation du milieu agricole ne peut que conforter l'avis précédent.

Face à cet enjeu de société, dans la pluralité, la représentation agricole me semble très cohérente. C'est cette cohérence que vous devez continuer à encourager et à développer, au-delà du vote de la loi, à travers ses mesures d'application.

Je souscris à ce qu'ont dit les orateurs précédents qui ont défendu ce texte avec vous, monsieur le ministre, à propos de la meilleure répartition des aides publiques indispensables, de la limitation de l'agrandissement des exploitations agricoles, de la reconnaissance des bassins de production et de leur spécificité. Le représentant d'une zone intermédiaire que je suis sait exactement de quoi il parle. Je soutiendrai les initiatives qui seront prises en ce domaine.

Le CTE sera naturellement un vecteur contractuel important et intéressant, voire indispensable, s'appuyant naturellement sur les PDA. La nécessaire clarification de la politique de qualité et l'indispensable prise en compte du consommateur sont aussi une partie essentielle de la fonction économique et sociale de l'agriculture. L'obligation de préserver les ressources que l'agriculteur partage avec d'autres - l'eau, par exemple, ou le territoire, d'une façon plus générale - est aussi une nécessité.

L'idée que la société se construit dans son attachement aux hommes, à l'emploi et au territoire reste une idée forte. Il n'y a pas de développement de la ruralité sans attachement à l'ensemble des acteurs de ce territoire, et les artisans comme les commerçants en font partie. Vous avez su intégrer cette dimension dans votre texte de loi.

Les amendements votés en commission vont dans ce sens et je m'en félicite.

L'agriculture française, et c'est le dernier point que je voudrais évoquer, a-t-elle vocation à exporter ? Il m'a semblé que beaucoup d'entre nous rappelaient des propos du Président de la République concernant cette question.

La production agricole mondiale augmente plus vite que la population.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

C'est complètement faux !

M. Jean-Claude Daniel.

Je ne fais que citer la revue des chambres d'agriculture.

M. Christian Jacob.

Ce n'est certainement pas ce qui y est écrit !

M. Jean-Claude Daniel.

La diminution de la population agricole dans les pays industrialisés a été constante au cours des dernières années. Je souligne que l'Union européenne a vu disparaître vingt millions d'emplois agricoles durant les quarante dernières années - je dis bien : vingt millions ! Je souligne que les Etats-Unis ont, pendant la même période, vu disparaître quatre millions d'emplois. Les deux chiffres sont à rapprocher : ils sont éloquents.

Alors, limitation de l'offre ou baisse des prix ? C'est l'histoire de l'oeuf et de la poule. Il faudra bien en sortir un jour. Je pense personnellement que, plutôt que de laisser s'opérer un ajustement aveugle par les marchés, qui accélérera encore la restructuration en cours, il faudra utiliser les outils de gestion de l'offre. C'est d'ailleurs ce qui apparaît au travers du texte qui nous est soumis.

M. Christian Jacob.

Il n'y a rien à ce sujet dans le projet !

M. Jean-Claude Daniel.

Faut-il exporter ou non ? Telle est bien la question qui se pose. Les exportations de produits finis doivent être encouragées à la dimension de l'Union...

M. le président.

Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Daniel.

Monsieur le président, il me semble que les orateurs qui m'ont précédé ont bénéficié d'un temps de cinq minutes qui en valait huit. Je souhaiterais aller au bout de mon intervention dans les mêmes conditions.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je vous rappelle que je les ai interrompus.

M. Jean-Claude Daniel.

Je vais donc conclure, monsieur le président.

Je conclurai, messieurs de l'opposition, en disant, puisque vous ne voulez pas entendre le pourquoi d'une politique de l'exportation qui ne soit pas celle que vous avez préconisée, fondée sur la productivité, qu'il faudrait s'intéresser aux facteurs de compétitivité...

M. Christian Jacob.

On y a pensé avant l'arrivée des socialistes !

M. le président.

Je vous en prie, monsieur Jacob ! N'interrompez pas l'orateur !

M. Jean-Claude Daniel.

... pour une vraie stratégie à la dimenson de notre gouvernement.

Monsieur Jacob, vous avez interrompu beaucoup d'orateurs...

M. Christian Jacob.

Vous, avec plaisir !

M. Jean-Claude Daniel.

Vous pouvez respecter nos interventions et nous laisser aller jusqu'au terme du temps qui nous est imparti.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 OCTOBRE 1998

S'installer directement ou progressivement, vivre en étant reconnu comme acteur de la ruralité, participer de l'économie au service des hommes, des territoires et de l'emploi, élever ses enfants dans des conditions d'équité, se voir reconnaître, au travers de son conjoint, un vrai statut, voir améliorer sa situation dans la retraite, transmettre des savoir-faire mais aussi des biens, veiller à la qualité de ce que l'on produit s'inscrit dans la durée.

Comme on l'a entendu dans le film Le Père Noël est une ordure : « C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans faim. »

L'hypothèse de la qualité est une hypothèse qui vaut.

Il convient également de veiller à l'équilibre des productions.

Tout cela s'inscrit, disais-je, dans la durée. C'est tout cela qui attend l'agriculteur avec cette loi d'orientation agricole.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 DE

SIGNATION DE CANDIDATS À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une demande de désignation des quatre membres de l'Assemblée nationale au sein de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.

Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du règlement, M. le président a confié à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et à la commission de la production et des échanges le soin de présenter chacune deux candidats.

Les candidatures devront être remises à la présidence avant le vendredi 30 octobre 1998, à dix-huit heures.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 977, d'orientation agricole : M. François Patriat, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1058).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT