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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

1. Loi de finances pour 1999. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6551).

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 6551)

MM. Daniel Feurtet, Yves Cochet, Laurent Dominati, Michel Bouvard, Gérard Fuchs, Alain Belviso, Mme Christine Boutin,

M.

Roland Carraz.

M. Christian Cuvilliez.

Suspension et reprise de la séance (p. 6564)

MM. Gilbert Gantier, Alain Barrau, Yves Deniaud, Jean-Pierre Brard, Pierre Hériaud, Gérard Bapt, Gilbert Meyer.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 6572).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999 Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

Mes chers collègues, je vous informe qu'à la demande de la commission des finances la séance de ce matin sera levée à douze heures trente.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, mes chers collègues, on ne peut, à mon avis, ouvrir le débat budgétaire sans prendre en compte la crise financière qui sévit de l'Asie à l'Amérique latine, en passant par la Russie. Je m'en tiendrai, au nom du groupe communiste, à cette question à mes yeux essentielle.

Licenciements massifs, faillites d'entreprises, banques ruinées : de quels traits d'ironie n'aurait-on pas accablé celui qui, voilà seulement quelques mois, se serait risqué à un si sombre tableau ? Les principales bourses battaient alors des records et les soubresauts de la crise en Asie relevaient, nous disait-on, d'une purge nécessaire.

Aujourd'hui, alors que les deux tiers de l'humanité sont touchés, rares cont ceux qui minimisent encore l'importance de la crise financière, considérée comme la plus grave depuis ce que nous appelons couramment la fin de la guerre froide. Certes, il en reste bien, y compris dans notre Assemblée, pour vouloir pousser toujours et encore les feux de la rigueur budgétaire. Mais, dans l'ensemble, chacun se rend à l'évidence et s'interroge : sommes-nous à l'aube d'une récession mondiale ? Et, dans l'affirmative, combien de temps nous reste-t-il avant que le marasme ne rattrape l'Europe ? Ces questionnements sont durement vécus par des millions de personnes à travers la planète. En même temps, ils éclairent un autre spectacle, qui prêterait volontiers à sourire s'il n'était lui-même à l'origine du naufrage. Ce spectacle est celui donné par ces éminents experts occidentaux, encouragés par nombre de dirigeants politiques, qui prêchent depuis tant d'années la libéralisation totale des marchés financiers. Or, sous la férule du réel, certains d'entre eux semblent pris aujourd'hui d'un incroyable soupçon : et si, comme le proclamait récemment le Wall Street Journal, la crise financière nous plaçait désormais

« devant le plus grand défi lancé à l'orthodoxie libérale » ? Ce n'est pas tout à fait une conversion, mais cela y ressemble. En attendant, une nouvelle inquiétude nous saisit : faut-il que la crise soit profonde, faut-il que le péril soit imminent pour que ses plus fervents adeptes doutent d'un dogme qu'ils ont mis tant d'ardeur à défendre ? Quand le capital menace le dispositif qui l'a fait naître, la pire des solutions vaut mieux que la banqueroute généralisée. C'est ainsi que nous assistons à ce qui est à peine concevable : les esprits les moins disposés évoquent euxmêmes l'idée d'un contrôle des capitaux.

En ce qui nous concerne, nous ne nous en plaindrons pas : c'est le signe d'une évolution des mentalités, déjà perceptible dans le rejet par les opinions publiques de l'accord multilatéral sur l'investissement. Quand ceux-là mêmes qui communiaient au culte songent à le réformer, c'est que la pensée unique et ses impératifs catégoriques cèdent un peu sous la pression des faits.

Encore faut-il s'entendre sur la portée des mesures et ne pas s'illusionner. S'agit-il de se contenter d'un renforcement des règles de prudence tandis que le système conserverait la même logique ? Ou bien doit-on se poser la question d'un nouvel ordre monétaire et financier mondial ? A ce propos, je trouve significatif que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, ait lancé un appel à « lever cet esprit de fatalité..., cette idée qu'il n'est pas possible d'agir ».

Les propositions françaises en faveur d'un nouveau Bretton Woods s'apprécient comme une première étape sur le chemin de cette volonté politique.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Très juste !

M. Daniel Feurtet.

Mais bien d'autres pistes restent à explorer.

Le temps presse. En effet, l'Union européenne ne saurait longtemps demeurer un îlot de tranquillité au milieu de la tourmente. En quelques mois, la prévision de croissance moyenne a perdu en France 0,3 %. Dans le même temps, sous le rapport strictement politique, les conditions n'ont jamais paru aussi favorables.

Les citoyens de l'Union, et certains viennent de le confirmer par leur vote, souhaitent que les gouvernements élus retrouvent leur prépondérance dans la lutte contre le chômage et pour une société plus juste et solidaire. Saisissons-nous de ces occasions et appuyons-nous sur cet élan ! Je ne dis pas que les réponses soient faciles à mettre en oeuvre. Je dis que notre devoir est d'essayer. L'histoire abonde de ces défis réputés impossibles et pourtant réussis. En tout cas, il n'est pas dans la vocation des commu-


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nistes de faire chorus avec ces éternels défaitistes qui proc lament, comme dans la publicité d'un célèbre constructeur, que « ça ne marchera jamais ! ».

La taxe Tobin, par exemple, qui n'est pas simplement une taxe de punition sur les transactions financières, peut fonctionner.

M. Yves Cochet.

Assurément !

M. Daniel Feurtet.

Pourquoi ne pas imaginer que l'adoption de ce péage modéré s'accompagne, pour l'ensemble des pays sans exception, d'un ticket d'entrée dans les institutions financières ? Notre époque a été capable de mettre sur pied la charte des Nations unies. Ne saurait-elle inventer un moyen comparable pour tenter d'assurer la stabilité monétaire et la paix économique ?

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Daniel Feurtet.

Le codéveloppement est aussi un des outils contre la crise financière.

Au-delà de l'indispensable démocratisation du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, des projets ambitieux de coopérations avec les pays du Sud peuvent aboutir. C'est notamment le cas dans des domaines vitaux comme l'eau ou les déchets nucléaires.

M. Jean-Pierre Brard.

Très juste !

M. Daniel Feurtet.

Avec le crédit, il est possible d'inciter les entreprises à placer moins d'argent dans la finance mais davantage en faveur d'investissements créateurs d'emplois et de richesses.

On peut examiner de nouveaux circuits de financement pour l'économie, notamment en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, et la manière de mobiliser au mieux les ressources favorables à l'emploi dans les régions. Ce pourrait être l'objet des conférences financières régionales, auxquelles les formations de la gauche plurielle se sont d'ailleurs engagées.

Faut-il redire l'importance qu'il y aurait à prendre appui sur un secteur financier public pérennisé, réorganisé et démocratisé ? Vous le savez, le groupe communiste s'oppose aux projets de privatisation d'une partie du système bancaire français. Il souhaite, pour le moins, l'ouverture d'un grand débat public, ce qui implique d'aborder le droit des salariés et le contrôle de la gestion bancaire dans la perspective que les ressources servent à l'économie réelle et non à la spéculation.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, comment tolérer plus longtemps que la croissance et l'emploi, au sein de chaque nation et à l'échelle mondiale, dépendent de l'humeur des deux cents plus puissants investisseurs mondiaux - pour l'essentiel les fonds de pension américains et japonais - motivés par un insatiable appât de gain ? On ne saurait appuyer efficacement une croissance fragile sur la demande intérieure si l'on refusait de desserrer un tant soit peu l'étreinte des marchés spéculatifs. Le noeud de la tempête financière se trouve dans cette contradiction.

C'est pourquoi les réponses à la crise passent aussi par une réorientation de la construction de l'Europe en faveur de l'emploi et de la justice sociale. Nous en sommes persuadés : la France, par son rayonnement et son histoire, a une voix originale à faire entendre dans la transformation du système bancaire international. Elle peut donc contribuer à faire grandir et aboutir cette exigence. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui un double discours.

D'un côté, l'Europe est la France paraissent de moins en moins susceptibles d'être protégées après être restées longtemps à l'abri des mécanismes de propagation des crises financières extérieures. En dépit du discours qu'a prononcé M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui se devait de tenir ce type de discours, de nombreux mécanismes plaident en faveur d'une prudence, face à un risque accru pour notre pays et l'Europe.

Premier mécanisme : la contraction des échanges mondiaux, la chute des prix des matières premières et une concurrence sauvage sur les produits manufacturés.

Le deuxième mécanisme est la conséquence du premier : de plus en plus d'entreprises ou d'institutions financières ont évidemment de plus en plus de mal à rembourser leurs dettes ou à garantir leurs placements spéculatifs, à l'instar de LTCM.

Le troisième mécanisme résulte des deux premiers : les places boursières s'affolent. On assiste tous les jours au jeu de yo-yo des marchés boursiers et à des liquidations précipitées.

De l'autre côté, on se rend compte, à la lecture du rapport économique, social et financier que le Gouvernement vient de publier, que la France est riche, que l'économie va bien, que la croissance repart cette année pour s'établir autour de 3 %, et peut-être même - nous le saurons à la fin de l'année - avec 0,1 point de plus, que les comptes extérieurs sont en excédents, que l'inflation est à son niveau le plus bas depuis trente ans, que la consommation progresse et que les investissements ont augmenté cette année de 8 %.

On entend donc un double discours et l'on a l'impression d'être soumis à une double contrainte, à ce que l'école de Palo Alto appelait un double bind

M. Jean-Pierre Brard.

A nous qui ne sommes pas très lettrés, pouvez-vous dire ce que cette expression signifie ? (Sourires.)

M. Yves Cochet.

Double contrainte. On entend d'un côté un discours assez pessimiste et qui semble réel, des pays extérieurs à l'Europe et, de l'autre, un discours plutôt optimiste. Cette double contrainte nous interpelle.

M. Jean-Pierre Brard.

Merci de ces explications, monsieur Cochet !

M. Laurent Dominati.

Il ne s'agit pas de « contraintes », mais de discours !

M. Yves Cochet.

Par ailleurs, même si quelques clignot ants économiques sont plutôt au vert en France, d'autres, comme les clignotants sociaux et environnementaux, ne le sont pas.

Deux pages seulement du rapport économique, social et financier sont consacrées à l'exclusion, alors que ce phénomène touche au moins 1,5 million de personnes qui sont soit au RMI, soit à l'ASS, sans parler de ceux qui ne perçoivent ni l'un ni l'autre. Quant au coût écologique de notre croissance, il n'en est pas dit un seul mot.

Nous croyons au développement soutenable, ce qui n'est pas la même chose que la croissance durable.


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Permettez-moi de citer la page 43 de ce fameux rapport : « Le chômage doit être réduit par une politique de croissance, une croissance durable et soutenue de la demande. »

Le ministre de l'économie et le secrétaire d'Etat au budget nous ont indiqué hier que la croissance actuelle de la France était soutenue plutôt par la demande intérieure, par la consommation ou par l'investissement que par les phénomènes d'exportation. Soit ! Mais il s'agit là d'un type de raisonnement datant des trente glorieuses, d'un raisonnement que je qualifierai, à l'intention de M. Brard, fordien, et qui fait référence au temps où tout marchait bien...

M. Jean-Pierre Brard.

Ça, c'est français ! (Sourires.)

Moi, je suis un disciple de M. Toubon pour ce qui touche à la francophonie !

M. Yves Cochet.

On pourrait aussi dire « keynésien », ce qui serait peut-être plus compréhensible.

M. le président.

Evitons les dialogues avec l'orateur qui est à la tribune et qui a seul la parole !

M. Yves Cochet.

Je reconnais que le passage aux 35 heures, que nous avons fortement soutenu, ainsi que la loi sur les emplois-jeunes et celle sur les exclusions marquent la volonté du Gouvernement de redistribuer, monsieurs Brard, les surplus ou les profits sous forme d'activité humaine. Nous soutenons fortement ce premier pas qui se traduit notamment par une augmentation du budget de la solidarité et de l'emploi. Mais nous pensons malgré tout que la logique productiviste n'est pas de nature à créer des emplois de manière durable. On en a une preuve avec le secteur agricole, dont nous avons beaucoup discuté lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, la semaine dernière. Qui contestera que le productivisme agricole a fait chuter le nombre des actifs durant les trente dernières années ? Les causes de cette chute sont suffisamment connues pour que je ne m'y attarde pas.

M. Laurent Dominati.

Et le nombre de fonctionnaires ?

M. Yves Cochet.

Je suis persuadé qu'il est possible de donner un contenu à ce que j'appelle le développement soutenable, qui n'est pas la même chose que la croissance durable. Le développement soutenable, tout en état durable, n'implique pas des sacrifices pour les plus démunis, comme c'est le cas à l'heure actuelle. C'est pourquoi je crois, sans doute comme la majorité de cette assemblée et comme le Gouvernement, aux vertus redistributives des prélèvements obligatoires.

Aussi austère soit-elle, la loi de finances est la seule loi qui s'intéresse en même temps à tous les secteurs. Même si nous n'avons pas la faculté, en tant que parlementaires, d'affecter les recettes, nous abordons l'examen du budget dans la volonté ultime de le décloisonner afin de lui donner plus de lisibilité et plus de justice.

Il convient, en premier lieu, d'accentuer les outils de la redistribution.

Comme je l'avais dit lors du débat d'orientation du mois de juin dernier, nous estimons qu'aucun adulte en France ne doit vivre avec moins de trois mille francs par mois. Cela implique un relèvement des minima sociaux, qui concerne plusieurs millions de personnes.

M. Christian Cuvilliez.

Très juste !

M. Yves Cochet.

Mais, me direz-vous, comment financer la mesure ? Je pense, avec quelques collègues de l'Assemblée qui n'appartiennent pas seulement à mon groupe, que l'on peut élargir l'assiette de l'ISF,...

M. Jean-Pierre Brard.

Très bien !

M. Yves Cochet.

... rétablir une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui a beaucoup baissé ces dernières années.

M. Jean-Pierre Brard.

Parfait !

M. Christian Cuvilliez.

Voilà de bonnes idées !

M. Yves Cochet.

On peut aussi, et je félicite l'orateur qui m'a précédé d'avoir insisté sur ce point, créer une taxe sur les transactions réalisées sur les marchés des changes,...

M. Christian Cuvilliez.

Eh oui !

M. Marc Laffineur.

C'est « Monsieur Taxes » qui parle !

M. Yves Cochet.

... une taxe Tobin.

Je voudrais répondre par avance, un peu comme M. Strauss-Kahn l'a fait hier pour certains arguments de l'opposition, à de possibles objections gouvernementales, à savoir que nous serions bien généreux, mais qu'il ne serait pas possible de procéder de la sorte en France seulement car la bourse de Paris risquerait de s'effondrer.

C'est le plus vieil argument libéral qui soit. En gros, on nous dit : « Laissez faire le marché, sinon ça n'ira pas ». On voit bien ce que cela donne de laisser faire les marchés : le yoyo dont je parlais tout à l'heure.

M. Jean-Pierre Brard.

Exactement !

M. Yves Cochet.

De plus, cet argument serait valable s'il s'appliquait à tous les impôts. Or, monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi les gros salaires, les gros capitaux ne partent-ils pas en Angleterre, alors que la fiscalité y est plus favorable qu'en France ?

M. Marc Laffineur.

Vous n'êtes jamais allé à Londres !

M. Yves Cochet.

Très peu partent. Il est absurde d'imaginer que tout l'argent spéculatif serait géré par les banques londoniennes ! En fait, la pénalisation que nous proposons, à savoir 0,05 %, uniquement pour les produits spéculatifs, pas du tout pour les commerces ou les investissements de biens réels, est tellement légère que l'on peut penser qu'une large part de l'argent purement spéculatif passera encore par les banques françaises. En fait, il s'agit du même phénomène d'inertie que pour la défiscalisation. Les transferts à l'étranger pour défiscalisation concernent de très petites sommes, alors que théoriquement elles devraient être très peu importantes.

Quant aux possibilités de fraude des banques françaises, elles sont quasiment inexistantes. Car c'est très facile de repérer des mouvements de ce genre - je pense, par exemple, aux virements dans des filiales londoniennes.

Le risque d'un effondrement des Bourses serait donc extrêmement limité. En fait, la Bourse sait malheureusement fort bien s'effondrer toute seule.

M. Jean-Pierre Brard.

Il ne faut pas avoir l'air de vous excuser ! Vous n'y êtes pour rien et nous non plus !

M. Yves Cochet.

Effectivement, je ne crois pas que vous soyez un placeur spéculatif, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

En tout cas, ce serait sans le savoir !

M. Yves Cochet.

J'en viens à ce que l'on appelle « la fiscalité écologique ». A cet égard, je rends d'ailleurs une nouvelle fois hommage à notre excellente collègue Nicole Bricq, pour son remarquable rapport et je me félicite qu'à l'initiative de plusieurs groupes nous abordions enfin l'an I


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de la fiscalité écologique. Je souhaite que l'on parle non pas d'« écotaxe », mais de « pollu-taxes ». En effet, quelle est notre philosophie ? Il faut évidemment taxer les pollueurs selon le principe pollueur-payeur, mais il faut, par ailleurs, récompenser la vertu écologique. C'est ce que nous essayons de faire en baissant la TIPP sur le GNV et le GPL, en procédant à une augmentation de la taxe sur la mise en décharge des déchets tout en baissant parallèlement la TVA sur le recyclage, le tri sélectif et la valorisation des déchets.

Dernier point : la taxe générale sur les activités polluantes - TGAP. Certains y verront, là aussi, une nationalisation de certaines taxes parafiscales et diront que Bercy veut tout le pouvoir. Je ne crois pas que ce soit le cas. C'est une pollu-taxe transversale d'utilité sociale et écologique dont on peut dire qu'elle est gagnantegagnante, ce qui signifie qu'elle est susceptible d'un double dividende, notion récemment inventée par quelques-uns d'entre nous. Cela veut dire que le produit de cette taxe permettra non seulement de réparer les dégâts à l'environnement causés par les pollueurs, mais en plus, de faire du social avec l'argent qui reste.

M. Laurent Dominati.

C'est formidable ! On gagne au grattage et au tirage !

M. Yves Cochet.

J'ai donc évidemment proposé de relever les minima sociaux. La TGAP d'ailleurs sera susceptible d'accueillir plus tard la taxe sur l'eau - tant les redevances que la taxe sur les pollutions. Il faut en discuter, car plusieurs scénarios sont envisageables. Une partie seulement pourrait être nationalisée, mais cela reste à discuter entre nous et avec Bercy. Je souhaite également la création d'une grande « pollu-taxe énergie-CO 2 », dont nous parlerons sans doute lors de la campagne pour les élections européennes, qui pourrait être une source considérable de profit pour nos Etats. Le double dividende à l'échelle de l'Europe serait tout à fait profitable, car ce n'est pas simplement une Europe financière et économique que nous devons construire, comme nous le faisons actuellement, mais aussi une Europe sociale, écologique et démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Laurent Dominati.

M. Laurent Dominati.

J'ai encore à l'esprit les propos de M. Yves Cochet, avec toutes ses taxes, très imaginatives, ses différents « dividendes » et ses différents moyens de dégager des profits pour l'Etat.

M. Jean-Pierre Brard.

Voulez-vous que M. Cochet recommence ?

M. Laurent Dominati.

Hélas, il recommencera l'an prochain ! Et le Gouvernement suivra même peut-être certaines de ses propositions,...

M. Yves Cochet.

Je l'espère !

M. Laurent Dominati.

... ce qui ne me réjouit pas et m'inquiète encore un peu plus que la lecture du livre magique qu'est la présentation du budget. Car il s'agit bien d'un livre magique, livre magique par son avalanche de chiffres souvent incompréhensibles...

M. Jean-Pierre Brard.

Il y a des cours !

M. Laurent Dominati.

Même des instituts et certains hauts fonctionnaires essaient de comprendre, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Ils ne sont pas tous bons, que voulez-vous !

M. Laurent Dominati.

Ils ont néanmoins du talent, car ils parviennent à faire des commentaires. Ils sont moins talentueux cependant que les ministres. En fait, ce livre magique est plus le reflet d'une politique de communication, que d'une politique économique de la part du Gouvernement qui utilise en effet des astuces classiques au service d'une très habile politique de communication. Je vais vous en donner deux exemples.

D'abord, nous avons appris que le Gouvernement, à la demande de la commission des finances, renonçait, à la rétroactivité en ce qui concerne les contrats d'assurance vie. Bravo ! Formidable ! Vous voyez, même moi je vous le dis. Mais là je dois reconnaître votre habilité, monsieur le secrétaire d'Etat. Car vous aviez en effet prévenu :

« Attention ! On va frapper ! On va être très méchants, injustes même ! Heureusement, les députés socialistes de la commission des finances sont là, eux les gentils, et ils nous ont finalement convaincus d'être un peu moins sévères, un peu moins durs. » Et tout le monde de pous-

ser un ouf de soulagement ! D'une injustice que vous supprimez, il ne reste qu'une demi-injustice et tout le monde dit : bravo, merci, quelle clémence ! Voilà une technique de communication, mais ce n'est ni une politique économique ni une politique fiscale, monsieur le secrétaire d'Etat.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

C'est une méthode démocratique !

M. Laurent Dominati.

J'évoquerai ensuite votre attitude vis-à-vis des familles. La baisse du plafond du quotient familial vous permettra en fait de récupérer ce que vous rendez aux familles avec les allocations familiales. Mais dites-moi, ne leur avez-vous pas pris 4,7 milliards l'année dernière ? Leur rendez-vous cet argent ? Vous utilisez donc toujours la même technique qui consiste à dire que vous allez taper très fort et à taper juste un peu moins fort. Mais vous tapez quand même ! Parce que l'argent que vous avez pris aux familles, vous ne leur avez pas rendu.

M. Jean-Pierre Brard.

A quelles familles ? Celle de Mme Bettencourt ?

M. Laurent Dominati.

Aux familles qui ont des enfants, monsieur Brard ! Il y en a, heureusement ! Avec votre nouveau système d'ailleurs, vous pénalisez notamment les familles qui n'ont qu'un enfant,...

M. Jean-Pierre Brard.

Les familles de bourgeois !

M. Laurent Dominati.

... non, pas les familles riches, monsieur Brard. Vous devriez sortir du

XIXe siècle !

M. Jean-Pierre Brard.

Et vous, du monde doré de la finance !

M. Laurent Dominati.

Le mur de Berlin est tombé et même vos amis communistes ont remarqué que l'économie capitaliste gouvernée depuis plus d'un siècle par les banques de Zurich apporte plus de profit que le paradis communiste dont vous avez rêvé pendant votre jeunesse et dont vous ne rêvez même plus.

La technique du Gouvernement s'apparente d'abord à celle des augures. Vous savez, les augures étaient ces mages, ces sorciers romains qui avaient une certaine autorité, comme vous, qui étaient suivis par des troupes nombreuses, voire par des processions, et qui pouvaient lire l'avenir en traçant dans le ciel un carré. Et dans ce carré, ils comptaient les oiseaux. L'avantage, c'est que selon l'endroit où ils traçaient le carré, ils comptaient plus ou moins d'oiseaux. De la même façon, en prenant certains chiffres et pas d'autres, vous pouvez annoncer dans votre


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rapport économique et financier une baisse d'impôt. Mais où est-elle, cette baisse ? Regardons plutôt la réalité et ce que vous avez prélevé sur la richesse de ce pays, sur le travail de nos concitoyens depuis votre arrivée au pouvoir, en juin 1997. Entre 1997 et 1998, vous avez eu 43 milliards de recettes fiscales nettes supplémentaires.

Entre 1998 et 1999, vous prévoyez 74 milliards de recettes supplémentaires, soit au total au minimum 117 milliards car certains de mes collègues considèrent que ce chiffre est sous-évalué. Voilà, ce sont donc plus de 100 milliards, peut-être même 120, voire plus encore, que vous avez perçu peut-être pas de façon excessive, même si, pour moi, c'est excessif, mais en supplément.

Qu'en avez-vous fait ? Combien en avez-vous rendu ? Certes, une partie de l'accroissement des recettes fiscales est due à l'amélioration de la conjoncture, mais dois-je vous rappeler que le premier texte de loi que ce gouvernement a fait voter, à savoir le MURFF, augmentait les impôts ?

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Il fallait répondre à l'urgence !

M. Jean-Pierre Brard.

Eh oui !

M. Laurent Dominati.

Apparemment, vous manquez d'argent.

Depuis 1997, monsieur le secrétaire d'Etat, les entreprises ont versé près de 60 milliards de taxes supplém entaires décidées par cette assemblée. Quant aux ménages, ils ont payé près de 16 milliards supplémentaires. Ce sont bien des mesures fiscales nouvelles votées par votre majorité qui se traduisent par une hausse de la ponction fiscale et pas simplement par des recettes supplémentaires dues à la seule croissance.

Par ailleurs, vous prétendez qu'avec ce budget la ponction fiscale va baisser. Comment pouvez-vous expliquer à longueur d'interviews que vous allez baisser les impôts alors que, selon vos propres documents, très simplifiés, la hausse de la pression fiscale sera de 4,3 % tandis que celle de la croissance, c'est-à-dire de la richesse du pays, sera de 3,8 % ? Comment pouvez-vous baisser les impôts avec une augmentation de la pression fiscale supérieure à l'augmentation de la richesse du pays ? En réalité, vous pratiquez la technique des augures, qui consiste à prendre certains chiffres et à en laisser d'autres de côté. Je pense donc que, tels les augures, M. Strauss-Kahn et vousmême ne pouvez vous rencontrer dans les couloirs de Bercy sans rire. C'est sans doute la raison de votre bonne humeur, monsieur le secrétaire d'Etat. Lorsque vous vous rencontrez, vous devez vous dire : « Qu'est-ce qu'on rigole ! Qu'est-ce qu'on réussit à leur faire croire, au peuple et à nos amis socialistes ! » Outre la technique des augures, vous utilisez celle des sorciers, ces personnages qui dansent pour faire venir la pluie et qui croient que c'est grâce à eux si elle vient. De la même façon, vous vous attribuer le mérite de la croissance. Permettez-moi d'être généreux, je vais vous l'attribuer aussi. La moyenne de la croissance dans les pays européens est de 2,9 %. Vous prévoyez 3,1 % pour la fin de l'année. Admettons, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre bénéfice soit de 0,2 %. Mais la France n'est pas un modèle de croissance isolé dans le monde, convenez-en avec moi. D'ailleurs, tous les économistes le disent,...

M. Jean-Pierre Brard.

Economistes de pacotille !

M. Laurent Dominati.

... ceux de l'INSEE, du FMI.

M. Strauss-Kahn se réfère d'ailleurs beaucoup au FMI ces temps-ci, c'est assez curieux, personnellement je n'oserai pas, je trouve cela imprudent.

Les arguments retenus pour expliquer la croissance sont les suivants : la hausse du dollar - c'est incontestable -, la diminution du prix des matières premières, la baisse des taux d'intérêt engagée depuis 1995. Mais je n'ai lu nulle part, dans aucun rapport international, que la France était un modèle de croissance isolée par rapport au reste du monde. Or vous essayez de faire croire que la croissance, c'est vous. Mieux, vous dites que votre projet de budget n'est pas bâti sur une prévision de croissance de 2,7 % car 2,7 %, ce n'est pas une prévision, c'est un objectif. Mais la croissance ne se décrète pas !

M. Jean-Louis Idiart.

Et lorsque vous êtes arrivés au pouvoir !

M. Laurent Dominati.

Oh, vous savez, en matière de croissance, vous nous aviez laissé moins 1,5 %, c'était un précédent dans l'histoire ! Alors vous êtes mal placé pour nous en parler ! Hélas, nous sommes arrivés au pouvoir dans les pires conditions qu'ait jamais connues ce pays du point de vue économique.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous n'avez pas eu de chance, c'est triste !

M. Laurent Dominati.

Si vous n'êtes pas responsable de la croissance, vous risquez en revanche d'être responsable de votre manque de prévision et de prudence, car la France n'est pas isolée. Je dirai même mieux : ce budget est très important du point de vue symbolique, car c'est le premier budget de l'euro-France. C'est le premier budget en euros et que se passera-t-il demain en Europe ? Il y aura une certaine compétition entre les Etats et ceux qui gagneront, ceux qui attireront les capitaux, monsieur Cochet, seront ceux qui auront réussi à rembourser le plus vite possible leur dette publique...

M. Yves Cochet.

C'est ce que l'on fait !

M. Laurent Dominati.

Moitié moins vite que nous !

M. Gérard Fuchs.

Non, plus vite que vous !

M. Laurent Dominati.

L'emporteront donc ceux qui auront réduit leurs dépenses publiques, leurs charges et leur pression fiscale. Voilà où iront les capitaux, les investissements, les emplois ! Et vous prenez du retard parce que vous ne procéderez pas à de telles réductions.

Un troisième terme peut caractériser votre présentation du budget, celui d'artificier. Nous avons en effet un feu d'artifice de mesures nouvelles : vous enlevez ici quelque chose, vous rajoutez ça là, vous reprenez telle mesure ici, la commission des finances s'en mêle ! C'est un véritable feu d'artifice et j'en donnerai deux exemples.

Ainsi la taxe professionnelle baisse. Mais qu'y a-t-il en face ? L'augmentation de la cotisation minimale, de la taxe de péréquation et de la taxe sur les baux commerciaux, la suppression de l'abattement pour embauche ou investissement. Bref, toute une série de mesures dispersées qui compensent, au moins en partie, votre baisse annoncée de la taxe professionnelle, sans compter ce que vous donnerez ou pas aux collectivités locales.

Par ailleurs, avec la baisse de la TVA vous prétendez faire aussi bien que les Allemands au motif que vous vous attaqueriez à l'impôt principal. Belle argumentation ! Donc, vous n'êtes pas jaloux des Allemands.

Un député du groupe socialiste.

Vous, vous l'êtes !

M. Laurent Dominati.

Je n'irai pas jusque-là car ils viennent, hélas ! de changer de gouvernement. Je le serais sans doute si le chancelier Kohl était resté et s'il avait pu appliquer son programme de réforme fiscale, qui me semblait intelligent,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Le peuple allemand en a décidé autrement !

M. Laurent Dominati.

... mais qui avait malheureusement été bloqué au Bundesrat par vos collègues sociauxdémocrates allemands. Hélas ! pour les Allemands, mais, après tout, c'est leur problème ! Vous oubliez simplement de dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette baisse ne représente que 0,7 % du produit de la TVA, soit 4 milliards. Quatre milliards, c'est à peine une erreur de comptabilité. Et vous nous expliquez que c'est ça la grande mesure qui pourra relancer la consommation ! Je veux bien admettre que vous soyez extrêmement talentueux dans vos démonstrations, mais comment pouvez-vous affirmer que vous n'êtes pas jaloux des Allemands alors qu'ils ne prévoient pas moins de 10 milliards de marks de baisse d'impôt, c'est-à-dire 35 milliards de francs, sur un certain nombre d'années, il est vrai.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Oui !

M. Laurent Dominati.

Cela dit, je suis preneur de vos annonces de baisse de TVA, monsieur le secrétaire d'Etat, et je suis sûr que tous nos collègues qui se sont engagés, dans leur campagne électorale, à baisser la TVA sont impatients de ne voir quasiment rien venir en la matière depuis presque deux ans. Nous, nous sommes favorables à la baisse de la TVA. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Fuchs.

Vous êtes merveilleux !

M. Laurent Dominati.

Vous avez protesté lorsque nous l'avons augmentée. Que ne la baissez-vous ? Vous n'opérez qu'une baisse de 4 milliards. Et vous expliquez que c'est la révolution, que c'est un effet de votre immense générosité !

M. Jean-Pierre Brard.

Et la TVA sur les restaurants, venons-y !

M. Laurent Dominati.

Je considère que c'est de la poudre aux yeux. Vous faites un feu d'artifice de mesures éparses pour masquer une augmentation de la pression fiscale.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Laurent Dominati.

Enfin, ce budget est inquiétant non pas par ses artifices, parce qu'il manque de cohérence ou de vision, mais parce qu'il y a des incertitudes internationales. Le Gouvernement a prévu avant la crise un certain budget. Mais il y a une crise. Que fait-il ? Il présente le même budget ! Avait-il prévu la crise ? Non ! Ici même, M. le ministre de l'économie et des finances nous a dit que la crise n'aurait que très peu d'effets sur la France, que nous ne sommes pas du tout concernés, ou très peu, très marginalement. Entre le moment où il n'y avait pas de crise financière et aujourd'hui, où il y a une crise, vous n'avez rien changé. Vous dites : « Nous réussirons 2,7 % de points de croissance ; d'ailleurs le FMI et l'INSEE nous donnent raison ». Mais l'INSEE prévoit 2,5 % en rythme annuel à la fin de l'année, s'il n'y a pas de bouleversement de la conjoncture internationale. Vous voyez sa prudence ! Vous devriez aussi être prudents, car votre tâche c'est justement de prévoir les coups durs, mais, prudents, vous ne l'êtes pas. Dépenser l'argent au moment d'une croissance, c'est facile. C'est même d'une facilité un peu bête, permettez-moi de vous le dire.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous parlez en expert !

M. Laurent Dominati.

Oh, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir les caisses étaient vides ! Il n'y avait même plus de caisses d'ailleurs ! Nous ne pouvions donc pas dépenser grand chose.

M. Jérôme Lambert.

Ce n'était pas comme à la mairie de Paris alors !

M. Laurent Dominati.

Et si la croissance a effectivement lieu, monsieur le secrétaire d'Etat, si la France est isolée, s'il ne s'agit que d'une crise financière et non pas d'une crise économique, si l'on réussit à atteindre l'objectif de croissance que vous fixez, que faudrait-il faire ? Il faudrait rembourser au plus tôt les déficits, combler le plus rapidement possible notre dette publique, qui est la plus élevée d'Europe. En effet, en période de courant déflationniste, on a intérêt à rembourser sa dette le plus vite possible. Or, vous ne le faites pas. Mais là où les choses deviendraient graves, c'est si la conjoncture venait à se retourner, ce qui est quand même hautement probable. A ce moment-là, que faudra-t-il faire ? Vous avez ironisé en disant que les libéraux étaient contre la dépense publique alors que, en période de récession, il faudrait pourtant bien alimenter un peu la machine.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Exactement !

M. Laurent Dominati.

Or vous ne risquez pas de me contredire : j'ai repris les propos de M. Dominique Strauss-Kahn. A moins qu'il ne s'agisse des vôtres...

M. Gérard Fuchs.

On le dit et on le pense !

M. Laurent Dominati.

Je suis d'accord avec vous, en période de récession.

En l'occurrence, si la croissance n'est pas de 2,7 % mais de 2,5 % ou de 1 %, si elle est nulle, voire négative, on n'a pas à être trop rigoureux sur la question de la contraction du déficit et du remboursement de la dette.

En période de récession, on peut donc se permettre de laisser filer les déficits. C'est à l'Etat de le faire. Mais comment le faire, par la dépense publique ou par des baisses d'impôts ?

M. Marc Laffineur.

Par des baisses d'impôts !

M. Laurent Dominati.

Quelle est la formule la plus efficace ? Regardons ce qui se passe en cas de récession déflationniste.

L es entreprises remboursent leurs dettes, voire rachètent leurs actions.

M. Jean-Pierre Brard.

Comme M. Pinault, par exemple.

M. Laurent Dominati.

Elles évitent surtout d'investir,e n investissements productifs, en salaires ou en embauches. Elles ont besoin de liquidités.

Il faut alors desserrer les contraintes et rendre plus intéressant l'investissement, c'est-à-dire la rentabilité du franc investi, la rentabilité marginale du capital. C'est à ce moment-là qu'on peut provoquer ce petit élément déclencheur qui consiste à baisser les charges et à baisser les impôts sur les sociétés.

Quant aux ménages, en cas de récession, ils gardent ce qu'ils ont.

M. Jean-Pierre Brard.

Ben voyons ! Les RMistes, en particulier...

M. Gérard Fuchs.

C'est bien connu.

(Sourires.)

M. Laurent Dominati.

Eh oui, ils gardent le peu qu'il leur reste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Jean-Pierre Brard.

Je ne vous confierai pas mon portefeuille !

M. Laurent Dominati.

Ils le font par précaution, parce qu'ils constatent que l'environnement est difficile.

Il faut alors baisser les impôts pour renforcer la consommation. C'est pourquoi je vous ai dit que nous étions favorables à une baisse de TVA.

Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, même s'il devait y avoir récession, même s'il devait y avoir augmentation du déficit public, nous préférons une baisse des impôts à une augmentation de la dépense publique. C'est d'ailleurs ce qu'on pense dans la plupart des pays européens. Comme quoi, nous ne sommes pas des libéraux isolés. En France, peut-être, par rapport à vous, mais pas dans le monde. La baisse des impôts semble donc préférable, surtout quant on sait que notre pays détient le record de dépenses publiques des grands pays industriels.

Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, voilà ce que je voulais vous dire au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Si vos objectifs de croissance sont atteints, votre budget n'est pas bon parce que vous ne baissez pas suffisamment les déficits publics et que vous n'engagez pas de réelles baisses d'impôt. Si récession il y a, il aurait fallu que vous prévoyiez de vous laisser une certaine marge de manoeuvre, non pas en augmentant la dépense publique, mais en baissant les impôts.

Or, par imprudence, vous ne le faites pas, malgré vos dires et malgré votre talent en matière de communication.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Christian Cuvilliez.

Ce n'est pas convaincant !

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'est pas la pensée unique, c'est la pensée atrophiée !

M. le président.

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues. Plusieurs orateurs ont eu - ou auront - l'occasion de s'exprimer ici même au nom du RPR, comme Gilles Carrez hier soir ou Philippe Auberger. Aussi ne m'en tiendrai-je qu'à un aspect de ce budget, celui de la fiscalité indirecte et de la TVA.

Monsieur le secrétaire d'Etat, dans votre présentation, vous avez utilisé une expression que j'aime bien, celle de

« fiscalité en faveur du mouvement et non de la rente ».

Vous avez aussi justifié les baisses ciblées de TVA.

J'aime bien cette expression, non parce que je considère que la rente, qui est aussi un produit de l'épargne et souvent un complément indispensable aux retraites, doit être taxée, mais parce que je crois qu'un budget doit être un élément de dynamisme pour l'économie et favoriser par ailleurs les équipements dont le pays a besoin.

L'évocation, dans le débat d'orientation budgétaire qui nous avait réunis au mois de juin, de hausses ciblées de TVA était de ce point de vue intéressante et j'avais plaidé pour des baisses dans des secteurs où le retour, en matière d'activité économique et d'emplois, pouvait être immédiat.

Hélas, la baisse de la TVA que vous nous proposez s'est arrêtée aux abonnements EDF, pour le grand public, ce qui est un peu maigre ; la baisse de la TVA pour des opérations de logements sociaux a été étendue aux opérations menées avec des concours financiers de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, ce qui correspondait à un voeu que j'avais exprimé ici-même il y a un an et qui m'avait amené à proposer un amendement, rejeté par vous-même ; baisse enfin de la TVA sur quelques actions à caractère environnemental, intéressante, mais limitée, comme l'a, à juste titre, fait remarquer, en commission des finances, notre collègue, Mme Bricq.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Très célèbre Mme Bricq !

M. Michel Bouvard.

Celle-ci a relevé à cette occasion que votre gouvernement ne restituait qu'une faible part moins d'un cinquième - du produit de la hausse de TVA décidée par le précédent gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, je sais que vous allez me répondre en substance : « ce n'est déjà pas si mal, je fais mieux que mes prédécesseurs, vous réclamez une baisse après avoir voté une hausse ». Aussi, je tiens dès maintenant à rappeler que cette hausse de TVA était temporaire (rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), quelle était liée à une conjoncture budgétaire difficile de baisse des recettes de l'Etat au moment où les critères de convergence pour la monnaie unique - dont chacun sait ce que je pense - nous imposaient des contraintes difficilement surmontables autrement.

Votre majorité, qui avait à l'époque combattu cette hausse de la TVA en la qualifiant d'injuste, car payée par tous les contribuables de manière identique, s'était d'ailleurs engagée à revenir dessus en cas de retour au pouvoir.

Au pouvoir, vous y êtes et vous ne revenez pas sur cette hausse. Je ne vous reproche pas de ne pas l'avoir fait en 1998, car les contraintes de la monnaie unique et des critères de convergence étaient encore trop présents. Je vous reproche en revanche d'avoir annulé la baisse de l'impôt sur le revenu engagée par votre prédécesseur, mesure qui aurait rendu non imposables plusieurs centaines de milliers de petits contribuables qui se sont vu ainsi privés de ressources supplémentaires sans commune mesure avec les quelque 130 francs par foyer que représente l'économie de TVA sur les abonnements EDF.

Je vous reproche aussi de poursuivre cette année les mauvais coups contre les familles : après avoir, en 1998, supprimé des parts d'imposition aux familles - et aux veuves de guerre - ayant élevé des enfants, vous vous apprêtez à prélever plusieurs milliards en modifiant le quotient familial sur les familles, alors que vous allez en dépenser encore plus dans le cadre de la mise en oeuvre du PACS - si vous arrivez à le faire voter...

Je tiens à vous rappeler à cet égard que le revenu disponible après impôt d'un couple marié avec enfant est inférieur à celui d'un couple marié ou en concubinage sans enfant. Si l'on se rapporte à la personne.

S'agissant de la TVA, je vous reproche d'en rester à des baisses symboliques, alors que la croissance, de retour au niveau européen, a dégagé et dégagera encore des ressources significatives.

Le groupe RPR donnera à la majorité, par plusieurs amendements, l'occasion de modifier les choses, lui offrant notamment, par un amendement de baisse générale, la possibilité de tenir ses engagements électoraux.

Il montrera ainsi sa volonté de rester fidèle à ce qui était une disposition transitoire dans l'attente d'une amélioration des recettes de l'activité économique, et donc de l'Etat.

Comme vous refuserez sans doute cette proposition, nous allons vous donner l'occasion, par plusieurs amendements, de construire un budget favorisant le mouvement, l'activité économique et la création d'emplois.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Alain Barrau.

Si c'était le cas, cela se saurait !

M. Michel Bouvard.

S'agissant de la TVA sur le bâtiment - à défaut d'une généralisation de la baisse dont l'impact sur l'activité des entreprises sur l'emploi et sur la lutte contre le travail clandestin aurait été immédiat et bien supérieur à ceux de la baisse de la déduction d'impôt pour travaux que vous nous proposez -, nous vous suggérons d'étendre la mesure de baisse de la TVA à 5,5 % aux bâtiments inscrits, classés à l'inventaire des monuments historiques, aux secteurs sauvegardés, aux sites inscrits et classés, qui constituent le patrimoine de notre pays, patrimoine qui doit être protégé et mis en valeur.

M. Laurent Dominati.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

Monsieur le ministre, nous vous p roposerons aussi de répondre favorablement à la demande des professionnels et de nombreux élus de toutes sensibilités, à commencer par le président de la commission des finances, en baissant le taux de la TVA sur la restauration.

M. Pierre Lellouche.

Très bien !

M. Laurent Dominati.

Bravo !

M. Michel Bouvard.

Je citerai le président de la commission des finances pour qui j'ai le plus grand respect et dont les suggestions sont souvent intéressantes.

Lors du débat du 9 juin 1998, à propos d'une baisse de la TVA sur la restauration, il disait : « on peut se demander s'il est équitable que la restauration traditionnelle, qui est créatrice d'emplois, soit plus taxée que la restauration rapide. Ne pourrait-on instaurer un taux intermédiaire, autour de 12 %, qui la rendrait compétitive par rapport à nos voisins italiens ou espagnols. »

M. Laurent Dominati.

Excellent !

M. Michel Bouvard.

Nous partageons entièrement ce p oint de vue. En effet, avec 800 000 actifs et 600 000 salariés, le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est le quatrième employeur privé en France. Mais le nombre des défaillances d'entreprises a été multiplié par 1,3 dans la période 1989-1997. L'application du taux de 14 %, par exemple, à l'ensemble du secteur générerait 7 000 à 13 000 emplois, de même qu'il permettrait sans doute une indéniable amélioration de la situation en matière emplois clandestins.

Nous vous proposons, enfin, une dernière baisse ciblée, favorable à un budget de mouvement, concernant la TVA sur les activités sportives...

M. Laurent Dominati.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

... dont chacun s'accorde àr econnaître l'utilité sociale. Ces activités constituent aujourd'hui un secteur créateur d'emplois, comme en témoigne l'émergence de produits liés au tourisme sportif.

On le voit bien aussi dans les quartiers défavorisés de nos grandes villes.

Un budget de mouvement, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est enfin un budget qui prend en compte le soutien à l'investissement et à la compétitivité de notre pays.

A cet égard, je veux regretter ici, comme j'aurai l'occasion de le faire lors des discussions sur les différents budgets, l'absence de mesures en faveur de l'immobilier de loisirs neuf - notamment dans les zones les plus fragiles.

Si notre pays reste la première destination touristique mondiale, il a besoin de préserver ses parts de marché dans un secteur en expansion et d'accroître sa capacité d'accueil. C'est la raison pour laquelle nous vous proposerons, par voie d'amendements, de prolonger le dispositif Périssol pour l'immobilier de loisirs dans les zones de revitalisation rurales ; il convient de soutenir le développement touristique de ces zones et de permettre, demain, que 80 % de l'activité touristique de notre pays soit concentrée sur seulement 20 % du territoire.

Nous proposerons aussi, pour accroître cette capacité d'accueil, de favoriser la réhabilitation de l'immobilier touristique privé pour remettre sur le marché des logements qui en sont sortis car ne correspondant plus aux normes de confort et aux attentes de la clientèle.

En instituant des opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisirs dans lesquels la rénovation sous condition de mise en marché donnerait lieu à récupération de TVA, ce sont plusieurs centaines de milliers de logements qui retrouveraient ainsi une fonction économique.

Cette proposition, qui est faite aujourd'hui au Gouvernement, a été présentée à l'Assemblée il y a quinze jours par l'ensemble des associations d'élus des zones touristiques. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu du travail positif accompli avec vos services et de l'ouverture d'esprit dont vous avez bien voulu faire preuve sur ce dossier, que le Gouvernement acceptera les amendements déposés sur cette question d'autant qu'ils répondent à un souci partagé par de nombreux élus, y compris dans la majorité.

Un budget de mouvement encourageant la consommation et l'investissement en réduisant l'imposition et les taxes grâce à une croissance de retour,...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous faites mon discours !

M. Michel Bouvard.

... voilà quelle est aussi notre ambition, monsieur le secrétaire d'Etat.

Nous sommes donc certains que les amendements déposés par le groupe RPR auront votre attention et votre soutien pour parfaire ce budget, comme vous l'avez souhaité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Barrau.

C'est beaucoup mieux que Carrez !

M. Pierre Forgues.

Mesuré et efficace !

M. Michel Bouvard.

Nous nous complétons !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ils sont tous les deux en première division !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quelle est aujourd'hui la première préoccupation des Français, préoccupation déterminante, essentielle, centrale ? Nous le savons tous ici, c'est évident...

M. Pierre Lellouche.

Le PACS ?

M. Gérard Fuchs.

... l'emploi.

Quelle est la priorité du budget dont nous avons entamé hier la discussion ? C'est à mes yeux également l'emploi, et je voudrais essayer, ce matin, d'en convaincre l'opposition...

M. Jean-Pierre Brard.

Mission impossible !

M. Pierre Lellouche.

Vaste programme... dirait le Général !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Gérard Fuchs.

... la conduisant, par là même, à revenir sur un certain nombre de ses critiques et à adopter une attitude plus positive.

Je ferai valoir quatre arguments.

Le premier argument est que ce projet de loi de finances pour 1999 un excellent budget pour la croissance.

Nous avons défini avec M. Dominati deux conceptions différentes de la croissance, mais les faits ayant tranché, nous devrions pouvoir nous rapprocher.

L'opposition a essayé pendant quatre ans de développer ce que j'appellerai une politique de l'offre, consistant à aider l'investissement des entreprises en espérant que cela ferait repartir la croissance.

M. Laurent Dominati.

Si seulement on l'avait fait !

M. Gérard Fuchs.

Nous avons fait depuis un an et demi exactement le contraire, c'est-à-dire que nous avons essayé de relancer la consommation et, particulièrement, celle des moins favorisés en pensant que c'est cela qui ferait repartir la croissance. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Vous avez eu de la chance pendant un an, mais maintenant, c'est terminé !

M. Gérard Fuchs.

Je crois que l'expérience a permis de trancher, mes chers collègues.

Contrairement à ce que vous dites - et quand vous êtes de bonne foi, dans les couloirs, vous le reconnaissez -, nous sommes pour quelque chose dans le retour de la croissance.

M. Laurent Dominati.

Mais non !

M. Gérard Fuchs.

Le problème, en matière de croissance et de consommation, c'est un peu celui que l'on rencontre avec un âne : on ne fait pas boire, monsieur Dominati, un âne qui n'a pas soif ! Et on ne fait pas non plus investir une entreprise qui n'a pas un carnet de commandes bien rempli.

Nous sommes en train de vérifier l'inverse. Nous relançons la consommation...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Très bien !

M. Gérard Fuchs.

... notamment par des baisses de TVA qui, à l'issue des amendements déposés par la commission des finances, les nôtres, seront beaucoup plus substantielles que vous ne semblez le croire.

Nous relançons toute une série d'autres mesures d'incitation à la consommation : allocations de rentrée scolaire, par exemple, je ne vais pas en reprendre la liste, que vous connaissez bien.

Je crois que c'est positif. C'est cela la politique qui nous permet aujourd'hui d'avoir une croissance, comme le disait Dominique Strauss-Kahn hier, supérieure à celles de nos partenaires européens (« On verra ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

alors que c'était l'inverse lorsque vous étiez aux affaires.

Pour relancer la croissance, nous avons décidé une hausse, légère, de 1 % en valeur réelle, du budget de l'Etat. J'ai été heureux, monsieur Dominati, de vous entendre dire que dans certains cas, au moins, ce pouvait être de bonne politique. Je crois que nous sommes exactement dans un de ces cas.

Cette hausse de 1 % sur 2,7 % signifie que la dépense publique, par rapport au PIB, va diminuer et qu'un certain nombre d'actions d'incitation directe en faveur de l'emploi pourront être conduites. Tout cela me semble satisfaisant.

Ce budget est donc favorable à la croissance. C'est le premier argument de ma démonstration. Je ne doute pas qu'il ait retenu votre attention.

Mon deuxième argument, au-delà de ces aspects macroéconomiques, c'est que le budget prévoit justement des stimulants directs en faveur de l'emploi. Ce sont les emplois jeunes. L'année prochaine, nous y affecterons près de 14 milliards de francs, soit exactement le montant correspondant au 1 % supplémentaire de dépenses réelles du budget.

Rien que pour cela, ce 1 % supplémentaire mérite d'être réalisé. Car ces emplois-jeunes, mes chers collègues, vous vous en êtes beaucoup moqués au début (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Laurent Dominati.

Et même je continuerai ! C'est bidon !

M. Gérard Fuchs.

Or nous constatons, monsieur Dominati, non seulement qu'ils se mettent en place, mais qu'ils concernent de plus en plus de jeunes sans qualification, ce qui est très positif pour eux.

M. Pierre Lellouche.

Regardez ce qui se passe, ils n'en veulent même pas !

M. Gérard Fuchs.

De plus en plus d'emplois trouvent les conditions de leur pérennisation. C'était votre inquiétude. Elle était légitime. Je la partageais pour une part.

M. Yves Tavernier.

N'en faites pas trop !

M. Gérard Fuchs.

Je crois que la réalité, là encore, apporte de premiers éléments de réponse.

M. Christian Cabal.

Avec des emplois publics, il n'y a rien de plus facile !

M. Gérard Fuchs.

Ce ne sont pas des emplois publics, vous le savez bien !

M. Christian Cabal.

Mais si !

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Fuchs, et continuez votre discours !

M. Gérard Fuchs.

Autre mesure, les trente-cinq heures.

J'ai la chance d'avoir dans ma circonscription une entreprise de plus de mille salariés qui a signé un accord sur les trente-cinq heures. Elle l'a fait sur la base du maintien d'une petite augmentation salariale, avec une réorganisation du travail - fort heureusement nous avons été entendus sur ce point - et les 6 % de création d'emplois requis pour la distribution des primes prévues dans la loi Aubry.

Cette entreprise va donc créer soixante emplois supplémentaires. Et je vous assure que lorsque j'ai vu le visage des chômeurs auxquels on a annoncé qu'ils allaient être embauchés dans cette entreprise, je me suis dit que nous avions voté une bonne loi. J'espère vraiment qu'au-delà des réticences du patronat tant au niveau des fédérations professionnelles qu'au niveau central, de nombreaux dirigeants d'entreprise seront capables de faire simplement leur métier (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Pierre Lellouche.

Vous n'avez jamais vu une entreprise !

M. Laurent Dominati.

C'est un discours de fonctionnaire !

Mme Christine Boutin.

Les patrons vont apprécier, monsieur Fuchs !

M. Gérard Fuchs.

... c'est-à-dire sortir une règle à calcul pour vérifier ce qu'ils ont à gagner et à perdre à appliquer la loi Aubry. (Mêmes mouvements.)

Troisième argument, ce budget comporte une mesure fiscale extrêmement importante et incitative, je veux parler de la baisse de la taxe professionnelle.

Chers collègues, je voudrais vous demander un petit peu plus, je ne dirai pas « de bonne foi », cela va vous fâcher, mais d'attention sur ce sujet. Nous procédons à une baisse intelligente de la taxe professionnelle.

M. Jean-Pierre Brard.

Ça se discute ! Il faut faire l'inventaire !

M. Gérard Fuchs.

En créant un plafond qui remonte progressivement, nous obtenons, en effet, le résultat suivant : 68 % des entreprises, et essentiellement les petites et moyennes, vont voir disparaître, dès la première année, la part salariale de leur taxe professionnelle. Pour certaines d'entre elles, y compris dans le secteur de la restauration dont vous vous préoccupez, comme nous, à juste titre, cela va représenter une baisse d'impôt significative.

J'en suis convaincu, mais nous en reparlerons dans un an, puisque le président de la commission des finances a demandé au Gouvernement la possibilité d'élaborer un rapport d'évaluation sur les effets de la réforme. En tout cas, telle qu'elle est conçue, c'est-à-dire prioritairement en direction des petites et moyennes entreprises, et d'abord en direction des entreprises dont la base salaires est importante, je suis sûr qu'elle aura des effets sur l'emploi.

M. Michel Bouvard.

Même Mme Aubry aurait préféré autre chose !

M. Gérard Fuchs.

Certes, le rôle de l'opposition est d'être critique. Mais les choses se passeront comme pour les emplois-jeunes, comme pour les 35 heures. Et quand on fera les comptes, vous verrez qu'ils seront bons.

M. Pierre Lellouche.

A ce moment-là, vous aurez perdu et nous paierons !

M. Gérard Fuchs.

Si nous ne faisons pas les mêmes bêtises que vous, nous sommes là pour longtemps, monsieur Lellouche !

M. Michel Bouvard.

Voilà une phrase historique !

M. Laurent Dominati.

Le problème, c'est que vous faites les mêmes bêtises que nous !

M. Gérard Fuchs.

Personne n'est à l'abri des bêtises, c'est vrai. Nous serons lucides.

Quatrième argument, la recherche d'une croissance durable. Reconnaissez, chers collègues de l'opposition, que le déficit s'établit à 2,3 % du PIB, soit une diminution de 0,7 %, ce dont vous avez été incapables !

M. Laurent Dominati.

Ah si, on a fait plus et mieux !

M. Gérard Fuchs.

Non. Vous n'avez pas dépassé 0,6 %.

En tout cas, cette réduction va nous permettre de réinstaurer ce que l'on appelle l'équilibre primaire du budget. En 1999, pour la première fois depuis longtemps, la charge de la dette ne va plus augmenter que de manière dérisoire, de l'ordre de 2 milliards de francs. Et en l'an 2000, si nous poursuivons sur la même trajectoire, nous assisterons à une baisse du ratio dette sur le PIB qui va nous redonner les marges de manoeuvre que nous souhaitons tous et notamment la possibilité d'avoir une croissance durable pour notre pays.

Durable, cette croissance le sera aussi technologiquement. Nous aidons à l'innovation et à la recherche à travers toute une série de propositions.

Durable, elle le sera écologiquement : baisse de la TVA sur les ordures ménagères, incitation aux voitures propres, fiscalité sur le gazole - monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie d'avoir repris les propositions de la mission automobile -, instauration d'une taxe générale sur les activités polluantes.

Oui, ce budget se donne les moyens d'assurer une croissance de 2,7 % en 1999, et surtout une croissance qui se maintiendra dans les années suivantes.

Je conclurai donc par là où j'ai commencé. Quelle est aujourd'hui la première préoccupation des Français ? C'est l'emploi. Quelle est la première priorité du budget qui est proposé votre vote ? C'est l'emploi. Je vous invite donc tous, et sur tous les bancs, à voter en faveur du projet de loi de finances qui vous est proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Barrau.

Très bien argumenté !

M. Pierre Lellouche.

Ce n'est pas au CNRS qu'on a fabriqué des emplois, monsieur Fuchs !

M. le président.

La parole est M. Alain Belviso.

M. Alain Belviso.

Monsieur le président, monsieur le secretaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention portera sur le lien entre la croissance, la consommation et la mise en mouvement d'éléments novateurs portant les germes d'une réforme démocratique de la fiscalité.

En préalable, mais des orateurs précédents l'ont souligné, le débat budgétaire se doit de prendre en compte la dégradation possible et rapide de la conjoncture et las ituation de notre environnement international qui peuvent compromettre les hypothèses de croissance sur lesquelles est bâtie la loi de finances.

M. Laurent Dominati.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

C'est la sagesse !

M. Alain Belviso.

Je n'y reviendrai donc pas.

Dès lors, nous nous interrogeons sur le parti pris de consacrer quelque 40 % des marges budgétaires à la réduction des déficits, et cela alors même que la demande intérieure est désormais le moteur de la croissance. On prétend ainsi restaurer les marges de manoeuvre en cas de retournement conjoncturel, mais comment ne pas relever les limites d'une telle action ? Cela ne revient-il pas à attendre passivement la récession pour tenter, ensuite, de relancer la croissance quand elle n'est plus là ? N'est-il pas temps d'instaurer une nouvelle manière de traiter le déficit et l'endettement en mettant l'accent sur le soutien à la croissance afin que celle-ci soit forte d'un autre contenu en emplois et génératrice de recettes pour les comptes publics et sociaux ? Il convient de mobiliser tous les instruments de la politique économique dans cette perspective de justice sociale et d'efficacité.

Pour notre part, nous nous prononçons pour une politique budgétaire orientée vers une relance beaucoup plus massive et active des dépenses utiles qui répondent à l'urgence des besoins sociaux. Dans ce sens, nous pensons qu'il convient de faire beaucoup plus pour soutenir la


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consommation des ménages et la demande intérieure, pour favoriser la croissance réelle et l'emploi, et, en même temps, pénaliser la spéculation.

Pour soutenir la consommation, il est nécessaire d'afficher une volonté plus forte d'augmentation du SMIC et des salaires et de revalorisation des minima sociaux.

Dans le même esprit, il faut aller beaucoup plus loin dans la voie d'une baisse ciblée de la TVA. Nous pensons que celle-ci doit être réduite sur les produits alimentaires et de première nécessité, même si cela implique, pour le Gouvernement, de prendre l'initiative d'exiger une révision de la directive européenne TVA, et cela sans que l'on puisse nous opposer l'argument d'une euro-incompatibilité pour la France. On sait, en effet, que, de son côté, la Grande-Bretagne dispose de produits de première nécessité à taux zéro. Nos concitoyens ne comprendraient pas qu'un gouvernement qui se prononce pour une réorientation sociale de l'Europe ne fasse rien en ce domaine, alors que la TVA est un impôt injuste, qui pèse davantage sur les foyers modestes.

Rappelons qu'une étude du syndicat autonome des impôts, publiée en 1995, montre qu'un salarié payé au SMIC consacre 8 % de son revenu à la TVA, alors qu'un consommateur percevant 100 000 francs par mois n'en consacrera que 4,8 %. Baisser la TVA sur un certain volume de consommation de gaz, d'électricité et d'eau améliorerait le pouvoir d'achat des familles modestes et donc contribuerait à lutter contre l'exclusion en favorisant l'accès à des services indispensables à la vie quotidienne.

Réduire la TVA sur l'utilisation des installations sportives reviendrait également à soutenir un secteur dont l'utilité sociale n'est plus à démontrer, et donnerait aussi l'assurance de la création nette de milliers d'emplois.

Nous pourrions encore aller dans le sens d'un soutien plus actif au secteur associatif. Celui-ci est déjà fortement créateur d'emplois. Amorcer une baisse de la taxe sur les salaires ne pourrait qu'accélérer ce mouvement. En effet, la taxe sur les salaires représente une part non négligeable du budget des associations et pèse souvent beaucoup plus que la taxe professionnelle des entreprises du secteur concurrentiel qui vont bénéficier, elles, de la suppression progressive de la part salaires dans la taxe professionnelle.

A cet égard, il nous apparaît que l'intégration des actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle est la c ondition d'une réforme progressiste efficace pour l'emploi. C'est favoriser des choix de gestion des entreprises plus favorables à la croissance réelle qu'à la croissance financière, et donner les moyens aux collectivités locales de répondre aux besoins sociaux.

Nous avons également préconisé la transformation de l'ISF, dont la vocation initiale est redistributive, en un instrument d'incitation à l'utilisation efficace des patrimoines au moyen d'une intégration modulable des biens professionnels dans son assiette. C'est d'autant plus nécessaire que les mouvements boursiers peuvent compromettre en 1999 les rentrées fiscales attendues.

M. Michel Bouvard.

M. Belviso multiplie les impôts comme les bulletins de vote ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Alain Belviso.

C'est ce même souci de favoriser l'investissement et l'emploi efficace qui nous amène à proposer une nouvelle modalité des aides publiques aux 35 heures.

Vous le voyez, c'est un esprit constructif, qui nous anime. Il tient compte des avancées sensibles contenues dans le projet de loi de finances. Mais nous devons aller plus loin. C'est pourquoi nous présenterons des amendements significatifs, que notre majorité s'honorerait de prendre en compte. Ils marquent notre volonté permanente et réaffirmée de toujours mieux répondre à l'attente et aux espoirs des Français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à son arrivée au Gouvernement, M. Jospin nous a fait part de son grand désir de réforme. Dans sa déclaration de politique générale en juin 1997, il a annoncé, sans aucune concertation avec les représentants familiaux, sa volonté de mettre sous condition de ressources les allocations familiales...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une obsession !

Mme Christine Boutin.

... remettant de ce fait en cause le principe d'universalité de la politique familiale.

Mais la confrontation à la réalité s'est vite imposée.

C'est ainsi que pour rétablir le dialogue avec les partenaires familiaux et rectifier une erreur grossière, le Gouvernement a dû revenir sur cette mise sous condition de ressources. Mais cette volte-face a entraîné un manque à gagner de 4 milliards de francs.

Le projet de loi de finances prévoit donc de baisser le plafond du quotient familial de 16 380 à 11 000 francs.

Or le mécanisme du quotient familial n'a rien à voir avec la politique familiale. Il relève de la politique fiscale. Il permet de prendre en compte le niveau de vie de chaque foyer fiscal. Son objectif n'est pas d'apporter un soutien aux familles ou de leur donner un traitement de faveur.

M. Pierre Forgues.

C'est la Bible qui le dit ?

Mme Christine Boutin.

Il est fondé sur l'égalité de traitement entre une part fiscale d'un foyer célibataire, une part fiscale d'un foyer sans enfant et une part fiscale d'un foyer avec enfant. Le quotient familial a pour fonction non pas d'être un outil de redistribution entre familles riches et pauvres...

M. Jean-Pierre Brard.

Il y aura toujours des riches, ma pauvre dame !

Mme Christine Boutin.

... mais de garantir l'équité de l'imposition en fonction de la capacité contributive de chaque foyer.

M. Michel Bouvard.

Exactement !

Mme Christine Boutin.

Par personne donnée, même imposition. C'est simple et c'est français. Mais à même revenu, vous voulez mettre par terre ce dispositif ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Alors que le plafonnement fausse déjà le mécanisme du quotient familial, vous voulez aujourd'hui le fausser davantage en abaissant encore ce plafond.

M. Jean-Pierre Brard.

Il n'y a plus de caviar à Rambouillet ?

Mme Christine Boutin.

Le système du quotient familial est propre à notre pays. J'y suis personnellement assez attachée dans la mesure où il tient compte de la réalité de la composition des familles. Cela fait des lustres que l'on parle de la réforme de notre système fiscal. Mais il faut en débattre.

M. Pierre Forgues.

Et on le fait !


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Mme Christine Boutin.

Ce que vous nous proposez aujourd'hui, c'est un nouveau coup porté aux familles.

Vous n'hésitez pas à nous proposer un PACS qui coûtera au moins 5 milliards de francs et destabilisera les familles auxquelles vous reprenez, par le biais de l'abaissement du plafond du quotient familial, 4,8 milliards.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

Mme Christine Boutin.

Le choix du Gouvernement est clair : ce n'est pas celui des familles...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Quelles familles ?

Mme Christine Boutin.

... bien qu'il les invoque à chaque occasion et qu'il sollicite leur responsabilité à chaque passage télévisé. A chacun son choix de société.

La différence idéologique entre la politique de gauche et la politique de droite me paraît limpide et démunie de toute ambiguïté : la gauche déteste l'institution familiale traditionnelle et crée les conditions de son instabilité pour mieux la façonner à sa convenance.

M. Pierre Forgues.

C'est faux !

M. Jean-Louis Idiart.

C'est inadmissible ! C'est du racisme !

Mme Béatrice Marre.

On déteste simplement l'image ringarde que vous donnez de la famille, madame Boutin !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous faites des familles votre fonds de commerce.

M. le président.

Mes chers collègues, laissez Mme Boutin s'exprimer, s'il vous plaît !

M. Jean-Louis Idiart.

On ne va pas se laisser insulter, monsieur le président !

Mme Christine Boutin.

Ecoutez-moi, je vais vous faire une proposition.

Mme Nicole Bricq.

Vous êtes hors sujet !

Mme Christine Boutin.

Ah bon ? La modification du quotient familial figure-t-elle dans le projet de loi de finances, madame Bricq ? Oui ! Je suis donc parfaitement dans le débat.

M. Pierre Forgues.

Et les familles pauvres ?

M. Jean-Pierre Brard.

C'est dans le nouveau catéchisme !

Mme Christine Boutin.

Si le Gouvernement n'ose pas engager une réforme fiscale d'envergure dans le domaine de l'impôt sur le revenu, il en est de même en matière de transmission du patrimoine. Cela fait longtemps qu'une réforme des droits de succession est demandée. Dans le cadre du PACS, on a voulu nous proposer des modifications du système successoral sans en revoir l'ensemble.

J'ai déposé avec mes collègues, et en particulier ceux du groupe « Oser la famille », un amendement tendant à abaisser le tarif applicable pour les droits de mutation entre non-parents et entre frères et soeurs, et préservant le dispositif en vigueur relatif à la transmission entre époux, qui pourrait d'ailleurs, lui aussi, être amélioré.

M. Pierre Forgues.

Que dit la Bible sur la richesse ?

Mme Christine Boutin.

Monsieur Brard...

M. Jean-Pierre Brard.

Mais je n'ai rien dit ! (Rires.)

Mme Christine Boutin.

M. Hage nous a lu vendredi dernier des versets du Cantique des cantiques.

Je n'ai donc pas de leçon à recevoir !

Mme Béatrice Marre.

Vous, vous avez brandi la Bible !

M. le président.

Monsieur Brard, s'il vous plaît ! Vous aurez l'occasion de vous exprimer tout à l'heure pendant cinq minutes.

M. Jean-Pierre Brard.

Mais je n'ai rien dit, monsieur le

président

!

Mme Christine Boutin.

Nous avons déposé un amendement qui répond aux difficultés que peuvent rencontrer certains de nos concitoyens. Le taux en vigueur pour les non-parents est excessif. Cette intervention injustifiée de l'Etat rend difficile et très onéreuse la transmission du patrimoine, en des temps où tous les moyens doivent être utilisés pour réduire la précarité.

Notre amendement vise à combler un vide juridique pour les frères et soeurs, qui se retrouvent seuls en fin de vie, ou les personnes, homosexuelles, hétérosexuelles ou sans relation sexuelle, qui veulent se faire une donation dans des conditions fiscales réalistes. Je ne doute pas que vous soutiendrez cet amendement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Roland Carraz.

M. Roland Carraz.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Gouvernement aborde la discussion budgétaire dans des conditions économiques internationales plus difficiles que l'an dernier, tout le monde en est d'accord. La croissance française, qui reste forte, pourrait être ébranlée par un effondrement du dollar ou des marchés financiers sur fond de crise internationale. On peut légitimement se poser la question.

Pour autant, nous, parlementaires du Mouvement des citoyens, nous ne partageons pas les arguments de l'opposition, et nous nous réjouissons de la volonté maintenue du Gouvernement au service d'une ambition de croissance de 2,7 %, à laquelle il faut se tenir. Nous pensons en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, que vos prévisions sont réalistes. Vous avez apprécié avec équilibre l'impact de la crise asiatique sur l'économie française, la demande intérieure, qui reste très forte, le pouvoir d'achat, qui reste à un niveau élevé, et les investissements industriels, qui restent bons.

Nous pourrions nous inquiéter davantage de la baisse du dollar, des mouvements erratiques des monnaies. Mais au Mouvement des citoyens, nous sommes beaucoup plus préoccupés par ce que nous pourrions appeler la « dictature des bigoudis » (sourires), par référence à ces vieilles dames américaines, portant souvent des cheveux multicolores et des bigoudis volumineux, qui dirigent les fonds d e pension. Elles symbolisent la toute-puissance et l'emprise excessive de ces fonds sur le système financier international.

Mme Nicole Bricq.

Il n'y a pas que des dames !

M. Roland Carraz.

Et je ne peux que vous encourager, monsieur le secrétaire d'Etat, à conduire une lutte résolue...

M. Michel Bouvard.

Contre les bigoudis ! (Sourires.)

M. Roland Carraz.

... contre cette forme de dictature moderne. Je crois en effet qu'il faut désormais agir au plan mondial pour réformer le système financier international.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !


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M. Roland Carraz.

Ce système des fonds de pensions est absurde et dangereux, et il pénalise les salariés euxmêmes. Il faut agir également pour réformer le système monétaire international.

Pour autant, vous avez tiré les leçons de cet environnement et choisi la prudence. Vous avez raison de ne pas vous avancer afin d'être prêt à affronter l'hypothèse d'un accident conjoncturel et de conserver les marges disponibles pour adapter votre action en fonction de la situation économique. C'est pourquoi les choix que vous avez opérés sont équilibrés : baisse modérée du déficit budgétaire, baisse modérée de la dette publique, augmentation modérée des dépenses de l'Etat. Nous ne les contestons pas.

Néanmoins, le Mouvement des citoyens se demande si le Gouvernement n'aurait pas pu se servir mieux, plus fortement, de l'outil budgétaire comme d'une arme au service de l'emploi. S'est-il donné tous les moyens de stimuler la croissance intérieure afin de nous préserver des aléas économiques internationaux ? S'est-il donné tous les moyens d'assurer une plus grande justice sociale ? Pour essayer de répondre à ces questions, je vais aborder les différents moyens mis à votre disposition dans un budget : la fiscalité, la dépense publique sans, bien évidemment, oublier les aspects européens.

En ce qui concerne la fiscalité, nous sommes favorables à des évolutions sur la TVA.

M. Michel Bouvard.

Ah !

M. Roland Carraz.

Nous avons même déposé des amendements proposant la baisse de la TVA sur certains produits et nous soutiendrons, dans le débat, les amendements qui iront dans ce sens.

M. Michel Bouvard.

Très bien, !

M. Roland Carraz.

Le Gouvernement a fait des ouvertures sur les travaux à domicile. Nous souhaitons, pour notre part, que certains produits culturels, tels que les livres ou les CD, ainsi que des produits alimentaires ou domestiques de première nécessité, fassent l'objet de discussions utiles entre nous.

Nous pensons également qu'il règne dans le grand secteur de la restauration une inégalité de traitement tellement criante qu'il est indispensable d'aborder le sujet.

M. Michel Bouvard.

Très bien ! L'argument opposé par le Gouvernement ne tient pas !

M. Roland Carraz.

La baisse de la TVA est un engagement électoral de la majorité. Tout milite pour une réduction de cet impôt. En la matière, nous déplorons surtout le poids de la souveraineté de Bruxelles.

M. Michel Bouvard.

Parfaitement !

M. Roland Carraz.

Nous sommes cependant certains que la discussion permettra une évolution positive.

Nous sommes également favorables - sur ce sujet, je serai sans doute en désaccord avec vous, monsieur Bouvard - à un durcissement de l'impôt de solidarité sur les grosses fortunes par un accroissement de ses taux.

M. Jean-Pierre Brard.

Très bien !

M. Roland Carraz.

Nous souhaitons aussi que l'impôt sur le revenu soit plus redistributif car il est, dans son principe, le plus juste qu'on puisse imaginer. En effet, sa progressivité permet une réelle redistribution. Nous réclamons donc du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, plus d'audace encore dans cette direction. Il s'agit pour nous, non de diminuer la part de l'impôt sur le revenu dans les recettes de l'Etat, d'autant que nous estimons qu'elle est proportionnellement trop faible, mais de rendre cet impôt plus juste et de rétablir le lien entre le citoyen et l'Etat par le biais de sa contribution, conformément à l'esprit originel de la fiscalité.

M. Michel Bouvard.

Pour faire fuir les contribuables à l'étranger !

M. Roland Carraz.

Il faut donc à la fois mieux redistribuer et davantage responsabiliser.

Dans cet esprit, nous estimons que le plafonnement des avantages liés au quotient familial est une bonne décision. Toutefois, nous regrettons qu'en dépit de ce plafonnement, les familles modestes continueront d'être défavorisées. C'est pourquoi le Mouvement des citoyens soutient l'idée d'un abattement d'impôt forfaitaire par enfant fixé à 11 000 francs, la conception de la famille qu'il défend étant fondée sur la justice.

Je veux également formuler quelques observations sur la taxe professionnelle.

A cet égard, nous constatons un déséquilibre entre le geste très fort accompli par le Gouvernement en direction des entreprises et celui qu'il fait en faveur des ménages.

Nous nous posons d'ailleurs la question de savoir s'il aura un effet réel sur l'emploi. Le Mouvement des citoyens s'interroge à ce sujet, mais nous ne demandons qu'à être convaincus.

Nous aurions cependant préféré que la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires ait désormais pour base la valeur ajoutée de l'entreprise. Les 60 milliards de francs ainsi dégagés auraient pu être mis au service du soutien à la demande intérieure qui nous semble devoir être la priorité des priorités.

Vous disposez, bien évidemment, du moyen des dépenses publiques pour soutenir la croissance. En la matière vous avez choisi de limiter la progression des dépenses de l'Etat à 1 %. Nous aurions préféré un taux plus élevé et nous ne considérons pas que la réduction du déficit au niveau où vous l'avez fixé soit un impératif absolu.

Certes nous voyons avec satisfaction certains budgets bénéficier d'augmentations significatives - la ville, l'environnement, la justice, l'emploi, la solidarité -, mais nous aurions souhaité mieux pour d'autres pour lesquels nous nous exprimerons dans le cours de la discussion, en particulier dans les domaines de l'éducation et de la sécurité.

Pour terminer, je parlerai un peu de l'Europe.

Dans ce domaine les parlementaires du MDC partagent totalement la volonté du Premier ministre de soutenir fortement la croissance en Europe. L'arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates en Allemagne devrait faciliter de façon déterminante la mise en oeuvre d'une nouvelle politique économique et monétaire européenne. Nous vous demandons donc d'agir pour assurer une meilleure coordination des politiques budgétaires nationales en faveur de la croissance et de l'emploi.

Nous insistons sur la nécessité de sortir du pacte de stabilité et de mettre en oeuvre rapidement ce que l'on appelle le gouvernement économique européen afin de permettre un retour en force du politique dans la construction européenne et l'affirmation de la primauté du pouvoir politique sur les autorités monétaires. A cet égard, nous nous sommes particulièrement réjouis des déclarations de M. Lafontaine, en forme de rappel à l'ordre adressé à M. Tietmeyer, en faveur d'une baisse des taux.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Roland Carraz.

Nous approuvons aussi la proposition française de lancer un emprunt européen pour financer de grands travaux. Nous aimerions d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez la position actuelle du Gouvernement sur cette question parce qu'il semble que, hier, à Bruxelles, le Premier ministre ait été un peu en retrait par rapport à ses déclarations antérieures.

Plus que jamais la France et son gouvernement doivent trouver, hors des sentiers rebattus du libéralisme et des contraintes monétaristes, les voies d'une croissance forte, seule véritable créatrice de richesse et d'emploi. Les parlementaires du MDC souhaitent que le Parlement puisse modifier substantiellement ce projet de budget pour en faire un levier puissant au service de la croissance, de la consommation des ménages et de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour une réunion de groupe.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures est reprise à onze heures vingt-cinq.)

M. le président.

La séance est reprise.

Reprise de la discussion

M. le président.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Gantier, pour quinze minutes.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances que nous présente le Gouvernement est mal préparé, mal orienté, inadapté.

C'est un budget mal préparé, car élaboré dans la précipitation afin de museler une majorité plurielle ombrageuse,...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Oh !

M. Jean-Louis Idiart et M. Pierre Forgues.

Ne prenez pas vos désirs pour des réalités, monsieur Gantier.

M. Gilbert Gantier.

... afin de mettre un terme aux surenchères des communistes et des Verts. Le Gouvernement avait arrêté le cadre du budget dès le mois de juin ; il a annoncé en plein coeur de l'été le montant des dépenses et des mesures fiscales prévues. Mais, mes chers collègues, cette précipitation a un prix : l'inadaptation du budget à une situation économique qui a entre-temps considérablement évolué.

Elaboré durant le printemps, alors que la reprise économique prenait du corps, ce projet de budget apparaît aujourd'hui déconnecté des réalités. La multiplication des crises financières, les risques de déflation lui ont tout à coup donné un coup de vieux avant même qu'il ne soit adopté.

Dans l'euphorie du printemps, le Gouvernement avait tablé sur une croissance de 2,7 %, sur le maintien à un haut niveau de la consommation, sur une forte augmentation de l'investissement. Au mois de juin, ce scéna-r io pouvait paraître optimiste ; aujourd'hui, on se demande s'il n'est pas carrément surréaliste.

Tous les instituts de conjoncture ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance. Pour les conjoncturistes, elle ne devrait pas dépasser 2,4 %. En effet, comment imaginer que la crise asiatique, la crise en Russie et dans les pays d'Europe centrale, la crise en Amérique latine, le ralentissement de l'économie britannique seront sans aucun effet sur l'économie française ? Comment imaginer que les crises françaises à répétition n'auront aucune incidence sur les entreprises et sur les consommateurs ? La France n'est pas une île et ne peut pas vivre en autarcie.

Les menaces déflationnistes sont fortes, les risques de contagion de la crise sont élevés, mais, par refus de vous déjuger, vous avez décidé de conserver un taux surévalué de croissance pour 1999 afin de pouvoir conserver une augmentation des charges publiques qui apparaît de plus en plus injustifiée.

Certes, comme vous, je souhaite que le taux de croissance atteigne 2,7 %, voire qu'il le dépasse. Mais la prudence, le souci de bonne gestion et le respect des grands équilibres auraient dû vous conduire à rebâtir un budget sur la base d'un taux de croissance plus crédible aujourd'hui.

En raison de votre obstination et de votre inconséquence, l'exécution du budget pour 1999 va donc, malheureusement pour vous, se révéler un exercice difficile.

M. Alain Barrau.

Ça ressemble à vos arguments de l'an dernier.

M. Gilbert Gantier.

L'année 1999 risque de ce fait de nous rappeler le mauvais souvenir de 1993. En 1992, mes chers collègues, alors que la plupart des instituts de conjoncture prévoyaient une récession, le gouvernement socialiste n'avait pas craint, au contraire, de prévoir, pour 1993, un taux de croissance de 2,6 %. Vous le trouverez au Journal officiel.

Mme Nicole Bricq.

Comparaison n'est pas raison !

M. Gilbert Gantier.

Finalement, que s'est-il passé ? Le PIB a diminué de 1,3 %. Il en résulta un dérapage budgétaire de plus de 200 milliards de francs. Il faut se rappeler qu'en quelques mois le déficit de l'Etat est ainsi passé d'une petite centaine de milliards de francs à plus de 340 milliards. Et n'oubliez pas que si la France possède une dette publique de 4 000 milliards de francs, cela trouve largement son origine dans l'insouciance qui caractérisa la gestion des finances publiques entre 1991 - année où la reprise s'estompait un peu - et 1993.

Il a fallu à l'ancienne majorité du courage...,

M. Alain Barrau.

Pour voter l'augmentation de la TVA !

M. Gilbert Gantier.

... pour réduire de moitié le déficit public, que les gouvernements socialistes avaient laissé et qui est ainsi passé de 6 % environ du PIB en 1993 à environ 3 % en 1997, alors que la croissance économique restait faible en France comme d'ailleurs à l'étranger.

Si aujourd'hui la reprise vacille, où en serons-nous à la fin de l'année prochaine ? Le déficit atteindra-t-il 300 ou 350 milliards de francs et connaîtrons-nous un nouvel emballement de la dette publique ? Tout cela serait fort regrettable.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Le risque de dérapage est d'autant plus élevé que votre projet de budget est mal orienté. Vous avez, par facilité, par souci d'apaisement politique vis-à-vis de votre majorité plurielle, choisi de laisser filer les dépenses de l'Etat, de gaspiller ainsi les fruits d'une croissance, une croissance qui, je le répète, et je n'en suis pas heureux, dans notre pays, pour des raisons structurelles bien connues, ne dure malheureusement jamais très longtemps.

Contrairement à nos partenaires, vous n'avez pas utilisé les plus-values fiscales générées par cette croissance pour réduire drastiquement le déficit et diminuer les impôts.

Avec la loi de finances pour 1998, comme avec le projet de loi de finances pour 1999, les dépenses de l'Etat augmenteront donc plus vite que l'inflation, à peu près un point de plus. Cette augmentation est le résultat de l'accumulation de mesures dangereuses pour notre pays : les trente-cinq heures, qui coûteront aux contribuables quelque 9 milliards de francs l'année prochaine, les emplois-jeunes, qui absorberont plus de 8 milliards. Au total, plus de 55 milliards de francs de mesures nouvelles prévues en 1999.

En contrepartie, nous dites-vous, vous diminuez le déficit de 20 milliards de francs, ce qui permettra au mieux de ne pas dépasser 2,7 % du PIB. La France qui s'est qualifiée au dernier rang pour l'euro conservera donc, si ces prévisions optimistes sont réalisées, ce rang peu glorieux l'année prochaine.

Mes chers collègues, les périodes de croissance servent, chez les bons gestionnaires, à réduire les déficits et à entreprendre des réformes de structure. Hélas ! Je dois bien constater que vous avez préféré jouer la cigale.

M. Gilbert Meyer.

Très juste !

M. Gilbert Gantier.

De ce fait, les Français n'ont tiré aucun profit de la croissance de ces derniers mois. Vous avez augmenté les impôts en 1997, vous les avez augmentés en 1998 et vous les augmentez en 1999.

M. Pierre Forgues.

A force de le dire, il y croit !

M. Gilbert Gantier.

Certes, vous annoncez régulièrement de petites baisses pour maquiller les hausses d'impôts.

M. Alain Barrau.

Il l'a déjà répété toute la soirée !

M. Gilbert Meyer.

Avec raison !

M. Gilbert Gantier.

Mais vos mesures d'allègement sont homéopathiques et les augmentations, malheureusement, sont certaines.

Pour 1999, vous diminuez de façon tout à fait minime le taux de la TVA sur quelques produits limités. Et encore je ne prends pas en compte l'effet volume qui gommera sans doute une partie de vos micro-mesures.

M. Pierre Forgues.

Vous avez voté l'augmentation de la TVA !

M. le président.

Je vous en prie, monsieur Forgues.

M. Gilbert Gantier.

Mon cher collègue, si vous voulez nous indiquer des faits, demandez au président l'autorisation de m'interrompre. Mais ne grommelez pas ainsi des choses sans intérêt, que vous ne justifiez par aucune vérité !

M. le président.

Seul M. Gantier a la parole.

M. Gilbert Gantier.

Nous assistons à un alourdissement de l'impôt sur le revenu avec la diminution du plafond du quotient familial. J'ai bien entendu, le ministre : vous justifiez cette mesure par le rétablissement pour toutes les familles des allocations familiales.

Mais cette suppression, c'est vous qui l'aviez décidée pour les familles que vous jugiez aisées. En outre, le quotient et les allocations sont de nature bien différente. Ce sont 400 000 familles, des familles moyennes, qui vont se trouver pénalisées par votre politique. Il s'agit notamment des familles avec un seul enfant qui ne touchent pas d'allocations. Pourtant, la venue du premier enfant constitue pour de nombreuses familles une lourde charge. Et je sais de quoi je parle - ce sont des souvenirs anciens, malheureusement pour moi.

De plus, votre mesure pénalise des personnes seules, des veuves ou des veufs qui élèvent un enfant.

M. Jean-Louis Idiart.

Ce sera corrigé !

M. Gilbert Gantier.

Au mois de juillet, vous vous êtes félicités d'avoir réglé le problème récurrent de la taxe professionnelle. La suppression de la part salariale de la taxe professionnelle vous permet un effet d'affichage. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, est-ce que ce n'est pas un cadeau en trompe-l'oeil ? En effet, elle s'accompagne d'une kyrielle d'augmentations de taxes et de cotisations.

M. Alain Barrau.

Huit sont supprimées !

M. Gilbert Gantier.

Ainsi, le projet de loi de finances prévoit l'augmentation de la cotisation minimale et de la taxe de péréquation, la suppression de la réduction pour impôt et investissement, la modification du calcul du plafonnement de la taxe professionnelle, qui désavantage les entreprises, le relèvement de la taxe sur les bureaux. J'en passe et des meilleures ! Toutes ces augmentations ont la même caractéristique : leur montée en puissance est plus rapide que la diminution de la taxe professionnelle. Le Gouvernement reprend donc largement d'une main ce qu'il a parcimonieusement donné de l'autre.

Par ailleurs, la suppression de la part salariale risque d'aboutir à augmenter la pression fiscale qui pèse sur l'investissement, autre branche, je le rappelle, de la taxe professionnelle. Or sans investissement, il n'y a pas, vous le savez, création d'emplois.

L'augmentation des barèmes et l'élargissement de la base de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France qui alourdira à terme les prélèvements des entreprises de 1,2 milliard constituent une mesure très dangereuse, qui provoquera des délocalisations à l'intérieur même du territoire français mais aussi vers l'étranger proche, la Belgique ou l'Allemagne par exemple. En surtaxant les entrepôts en Ile-de-France, le Gouvernement incite les entreprises à les installer à l'extérieur de cette région, voire à l'étranger.

Cette bien étrange mesure aboutira en outre à accroître les transports de camions sur moyenne distance, au détriment de la protection de l'environnement ; elle remettra en cause le rôle de nos aéroports parisiens comme place internationale, comme place européenne, avec comme conséquence la suppression de centaines d'emplois.

En taxant si fortement les entreprises parisiennes, le Gouvernement démontrera le bien-fondé de la courbe de Laffer : la matière taxable disparaît au fur et à mesure que la taxation augmente.

Au nom du symbole que représente l'ISF, le Gouvernement a décidé de présenter une série de mesures contraignantes qui visent à alourdir la pression fiscale de ce qu'il nomme les contribuables privilégiés. Mais cette catégorie est en voie de disparition à force de pratiquer le matraquage fiscal. Le Gouvernement l'a compris en essayant de limiter les expatriations fiscales, mais maintenant on s'attaque à l'activité économique elle-même en visant les entrepôts.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Le Gouvernement fait donc fausse route. S'il souhaitait augmenter les recettes fiscales de l'Etat, il ne devrait pas inciter les contribuables qualifiés d'aisés à partir, mais au contraire les encourager à s'installer en France, à y dépenser de l'argent et à créer indirectement de l'emploi.

M. François Sauvadet.

Très bien !

M. Gilbert Gantier.

C'est peut-être triste pour certains, mais plus il y a de riches dans un pays, plus les recettes fiscales augmentent, plus il y a de créations d'emploi.

Nos voisins l'ont bien compris, qui d'ailleurs bénéficient de nos délocalisations.

Malheureusement, le Gouvernement a une vision malthusienne de l'économie. Il privilégie le partage de la pauvreté au détriment de la création de richesse.

Le projet de budget pour 1999 prépare mal la France à l'euro qui deviendra à partir du 1er janvier prochain la monnaie des onze pays qualifiés. Aucune baisse tangible d'impôt n'est engagée au moment où l'Allemagne socialedémocrate suit l'exemple déjà donné par les travaillistes anglais de réduction des impôts et des charges publiques.

Chez nous, l'écart entre les deux taux de TVA n'est pas réduit, ce que la croissance aurait dû permettre de faire, ce qui pénalise de nombreux secteurs d'activité.

L'impôt sur le revenu demeure toujours aussi complexe et anti-économique et la famille apparaît comme le parent pauvre de votre politique. Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau.

M. Alain Barrau.

Les prévisions pour 1998, dont la droite nous disait qu'elles ne seraient pas atteintes, ont été dépassées : 3,1 % de croissance. Néanmoins restons modestes, comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, quand vous avez présenté le projet de budget pour 1999, puisqu'il y a une crise internationale. Bien que nous nous en soyons en partie protégés grâce à la construction européenne et à l'euro, soyons prudents.

Dans ce projet de budget, que je soutiens, je ne retiendrai qu'un point qui sera l'objet de mon intervention. Il s'agit de l'amendement que le rapporteur général du budget et la majorité de la commission des finances ont pré-s enté pour généraliser la baisse de la TVA dans l'ensemble du secteur de l'entretien des logements.

M. Gérard Bapt.

C'est capital !

M. Alain Barrau.

Ce n'est pas acquis d'avance, mais c'est un enjeu essentiel de notre politique économique.

La droite le reconnaît elle-même, l'augmentation de la TVA réalisée sous le gouvernement Juppé a été une erreur politique - on l'a vu - mais aussi une grave erreur économique pour nos entreprises et notre économie. Il faut donc, par tous moyens, essayer de la diminuer. Si j'en crois certaines interventions de collègues de droite, nous pourrions trouver là un terrain d'entente.

Depuis deux ans déjà, ont été opérées des baisses ciblées qui représentent près de dix milliards de francs.

C'est un premier pas important. J'espère qu'il sera encore encouragé cette année.

Mais nous vous proposons un dispositif qui va plus loin encore puisqu'il remet en cause cette contrainte, souvent invoquée quand on refuse d'agir de façon volontariste, de la règle communautaire. Combien de fois n'a-t-on entendu : « Discutons avec nos partenaires de cette question » ? Grâce à la France, la construction européenne a connu des évolutions après le sommet de Luxembourg. Elle n'est plus simplement un marché unique et une zone monétaire. Elle n'est plus simplement une monnaie unique.

Elle doit être un acteur d'une politique de croissance, dont un des moyens est la baisse de la TVA.

Après le sommet de Luxembourg, sur lequel nous nous sommes battus au sein du Conseil des ministres de l'Union, nous avons obtenu les "plans nationaux pour l'emploi". Déjà partiellement examinés à Cardiff, ils le seront, pour la prochaine période, à Vienne dans quelques mois. La Commission elle-même a présenté des propositions, dans le cadre de ces lignes directrices, de baisse de TVA dans le secteur du logement.

Saisissons la balle au bond ! Montrons la détermination de notre gouvernement, appuyé par l'ensemble de la représentation nationale et par certains au sein du Parlement européen, pour faire sauter ce verrou. Ce sera utile non seulement pour nous économiquement mais aussi pour l'image que la gauche plurielle veut donner de la France : le pays qui veut réorienter la construction européenne vers une lutte plus efficace contre le chômage.

Des emprunts européens finançant de grands travaux iraient dans le même sens. Jacques Delors le suggérait, il y a plusieurs années dans son « Livre blanc ». Mais jusqu'à présent il n'y a pas eu de volonté politique suffisamment forte au sein du Conseil des ministres pour le concrétiser.

Nous l'avons tous constaté, le Premier ministre, lors d'une récente intervention télévisée, a insisté sur l'inté rêt d'aller dans cette direction en 1998-1999 : il ne s'agit plus seulement de se référer au « Livre blanc » mais de prévoir des mesures de financement : qui finance quoi et comment ? Quels emprunts pour quels grands travaux ? Par conséquent, il convient de se servir de l'Europe pour aller vers des baisses de TVA ciblées dans un certain nombre de secteurs porteurs d'emplois, dont le logement, et pour bénéficier d'emprunts permettant de financer des travaux lourds que nous ne pourrions financer à l'échelon national.

Voila une manière de réorienter la construction européenne vers cet objectif central qu'est la lutte contre le chômage, et pour mener, après la réalisation de la monnaie unique, une politique d'emplois.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Deniaud.

M. Yves Deniaud.

Hier après-midi, M. Strauss-Kahn nous donnant, comme il a coutume de le faire, avec retenue et modestie, une leçon d'économie, a tenu un raisonnement nouveau, en tout cas unique en Europe, pour justifier la poursuite de la hausse excessive des dépenses publiques. Il nous a expliqué qu'en période de bonne croissance il ne fallait pas trop réduire les déficits, car cela risquait de compromettre la durée de ladite croissance.

J'avoue ma perplexité : si on ne profite pas des périodes où les rentrées sont plus élevées pour se rapprocher de l'équilibre, à quel moment le fera-t-on ? J'admettrais que l'on augmente la dépense si nous étions dans la situation que connaissent les Etats-Unis en 1998, qui ne sera d'ailleurs peut-être plus la même l'année prochaine, ou encore dans celle de l'Irlande, c'està-dire avec la possibilité d'utiliser un excédent budgétaire soit pour diminuer le stock de la dette, soit pour accélérer une croissance donnant des signes de ralentissement, mais nous en sommes bien loin. Nous sommes les derniers de la classe de l'euro pour ce qui est du montant du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

déficit, et surtout nous allons encore accroître le volume de la dette en emprutant plus que nous n'allons rembourser.

Nous sommes tout près, dites-vous, d'atteindre la stabilisation de la dette publique. Effectivement, si j'ai bien lu vos documents, il manque 0,2 point de PIB pour y parvenir dès 1999, soit 17 milliards. Il eût été plus que symbolique d'atteindre cette stabilisation dès l'année prochaine. En fait, les meilleures théories, assénées par les plus doctes professeurs, n'enlèveront rien de sa vérité au bon sens populaire selon lequel quand on est endetté depuis longtemps, que l'on traîne sa dette comme un boulet, et qu'on bénéficie d'une rentrée d'argent un peu inespérée, il faut se dépêcher de rembourser tout ce qu'on peut, pour éviter d'être étranglé le jour où un nouveau revers de fortune vous frappe.

Nous persistons à penser que c'est ce que la France aurait dû faire en 1999. Au lieu de prévoir 16 milliards de baisse d'impôts - baisse hypothétique, comme l'a excellemment démontré Gilles Carrez hier soir -, 20 milliards de déficit et 37 à 40 milliards de francs de dépenses nouvelles, il eût été préférable de réduire le déficit de 40 milliards, et ainsi de donner le signal fort de la stabilisation de la dette, de diminuer les impôts de 30 milliards, afin de redonner de l'argent aux Français pour qu'ils consomment, et de consacrer quelques milliards à l'augmentation de la dépense publique d'investissement, la seule vraiment positive sur le plan économique. J'y reviendrai.

Le prédécesseur de M. Strauss-Kahn avait été le premier à organiser le débat d'orentation budgétaire, comme celui que nous avons eu au printemps. Dans les documents qu'il nous remettait à cette occasion, figurait une représentation du budget de l'Etat semblable à celles qu'utilisent les collectivités locales, laquelle faisait ressortir le volume total des sommes empruntées par l'Etat pour rembourser le capital et les intérêts de la dette ainsi même qu'une partie des dépenses de fonctionnement. Il pourrait être intéressant que de tels documents nous soient à nouveau fournis. En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais que vous nous donniez publiquement le chiffre du volume total d'emprunt que l'Etat devra effectuer en 1999 par rapport aux années précédentes. Ce serait « parlant » pour tous les Français, puisque les informations habituellement divulguées ne mentionnent que la charge en intérêts de la dette - c'est la seule à figurer dans le budget de l'Etat.

Si j'insiste, comme tous mes collègues de l'opposition, sur la réduction des déficits, c'est que l'histoire économique récente de notre pays, comparée à celle de nos voisins et partenaires immédiats, montre à l'évidence que c'est parce que nous n'avons pas suffisamment assaini notre situation dans les périodes fastes - durant les années 1988, 1989 et 1990, par exemple - que nous avons plus lourdement chuté que les autres en matière de croissance et d'emploi quand la conjoncture s'est retournée. Comme cela s'est déjà produit, cela peut se reproduire. D'ailleurs, nous constatons tous que de vilains nuages s'amoncellent. Et j'ai le regret de dire que ce n'est pas en insultant l'opposition, en l'accusant de parier sur l'échec de la France, comme M. Strauss-Kahn l'a fait hier, qu'on chassera ces nuages.

Il est difficile de ne pas augmenter les dépenses publiques, mais cela a déjà été fait. De plus, avec une inflation à 0,7 % par an, l'exercice est plus simple à faire admettre. Vous n'en avez pas eu la volonté. Vous augmentez les dépenses publiques, vous les augmentez beaucoup : elles progressent de 2,3 %, soit trois fois au moins le montant de l'inflation de 1998, et probablement trois fois celle de 1999. J'ajoute que les dépenses que vous augmentez sont celles de fonctionnement, c'est-à-dire celles qui reviennent tous les ans et qui sont les plus compliquées à remettre en cause.

E n revanche, les dépenses d'investissement civil baissent encore. Avec 72 milliards de francs, elles ne représentent plus que 4,5 % du budget d'ensemble de la nation.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Alors, il faut dépenser plus ?

M. Yves Deniaud.

Oui, il faut dépenser plus, mais pour l'investissement !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est ce que nous faisons !

M. Yves Deniaud.

Il faut maîtriser les dépenses de fonctionnement et faire un effort pour l'investissement.

C'est la théorie d'un économiste de gauche : Keynes. On peut le considérer vieillot ou ringard, mais ses théories ont fait leurs preuves quand elles ont été appliquées à une époque difficile pour l'ensemble du monde.

Les dépenses d'investissement civil ne représentent plus que 4,5 % du budget, c'est hélas dérisoire. L'Etat n'équipe plus la France. Il est à noter que l'an dernier, pour la première fois, les dépenses d'investissement des collectivités locales ont été, avec 188 milliards de francs, supérieures aux dépenses d'investissement de l'Etat, civiles et militaires confondues.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est la majorité précédente qui est à l'origine de cette baisse !

M. Yves Deniaud.

Je le reconnais.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Merci de le reconnaître ! Cette honnêteté vous honore !

M. Yves Deniaud.

Je signale qu'il s'agit d'une constante malheureuse de la politique budgétaire française.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Nous essayons de la corriger !

M. Yves Deniaud.

Certes, mais vous n'en prenez malheureusement pas le chemin, puisque, avec un montant de 72 milliards, les dépenses d'investissement civil de l'Etat sont en baisse, certes légère, mais en baisse tout de même de 0,3 % par rapport à l'an dernier.

L'Etat n'équipe plus la France. Il devient de plus en plus, aux yeux des Français, une machine à enseigner plus ou moins bien - et, en ce moment, apparemment plutôt mal que bien -, mais surtout une machine à réglementer, à contrôler, à inspecter, sans compenser cette attitude par un élan positif en faveur de la construction, de l'amélioration du cadre de vie, des infrastructures et de la fonctionnalité du pays, partie qui est la plus visible et la plus appréciée de l'action publique.

L'Etat n'honore pas sa signature. Les contrats de Plan auront duré six ans au lieu de cinq. Je reconnais volontiers, là aussi, que c'est le Gouvernement Juppé qui l'a décidé. Les investissements routiers ne seront financés qu'à 81 %, les investissements portuaires qu'à 55 % - on n'est pas prêt de rattraper Rotterdam -, et ce l'année où l'on va négocier les nouveaux contrats de Plan. Cela va certainement donner confiance aux collectivités partenaires et cosignataires, et tout simplement aux Français, dans la parole de l'Etat quant aux engagements qui seront pris dans ces nouveaux contrats de Plan.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

En 1993, le gouvernement de l'époque avait, dans un collectif budgétaire, tenu la parole de l'Etat et soldé les contrats de Plan, alors qu'un déficit prévisionnel de 165 milliards et réel de 345 aurait constitué, reconnaissez-le, une bonne excuse pour ne pas le faire.

Je ne crois pas et je ne souhaite pas que nous connaissions en 1999 la même effroyable récession qu'en 1993, malgré les mauvais présages qui s'annoncent. En tout cas, le projet de budget pour 1999 ne saisit pas l'occasion qui se présente pour faire un progrès significatif dans la voie de l'assainissement financier du pays. L'activité économique et l'emploi en souffriront, d'autant qu'une baisse de la croissance paraît inéluctable. C'est dommage pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances comporte, entre autres, un article 36 relatif aux fonds des caisses d'épargne, sans que le devenir de cette institution ait fait l'objet d'un débat parlementaire, pourtant annoncé depuis plusieurs mois maintenant.

Il est incontestable que la modernisation du système financier français est une nécessité, de même d'ailleurs que sa démocratisation et l'amélioration de sa transparence, comme nous l'a démontré l'exemple du Crédit lyonnais, que les contribuables - et pour cause - ne sont pas près d'oublier. Ce n'est malheureusement pas de cela qu'il s'agit avec cet article 36, et nous aurons l'occasion, dans la discussion des articles, de dire le mal que nous en pensons.

Plus globalement, nous constatons que le Gouvernement semble avoir choisi la technique impressionniste pour restructurer profondément notre système financier, pratiquant par petites touches successives sans nous donner à voir, et moins encore à discuter, l'esquisse générale que des expériences malheureuses nous permettent cependant de deviner.

La situation de notre système bancaire et financier mérite pourtant beaucoup mieux que cela, car il n'est pas apte à accompagner durablement une dynamique de croissance comme on peut le souhaiter, et comme vous l'anticipez, monsieur le secrétaire d'Etat, pour l'an prochain. Une concurrence forcenée empêche les solidarités indispensables, favorise le dumping sur les crédits et la lutte pour conquérir des parts de marché au détriment des autres banques ou institutions financières. Comme le disait une personnalité éminente appartenant à ce milieu, nous allons tous dans le mur avec la conviction que, les autres y arrivant avant nous, nous nous sauverons.

La montée du culte voué aux critères de rentabilité, la globalisation financière et la place nouvelle du marché étouffent la dynamique du crédit. Pour sortir de cet engrenage, il faut se poser la question des solidarités financières à construire, propres à répondre aux nouvelles exigences du développement, cela tant dans l'espace national que dans l'espace européen, sans perdre de vue que celui qui a la maîtrise des structures détermine l'usage des ressources.

La France avait historiquement un secteur financier public important et qui tenait un rôle correspondant à sa taille. Aujourd'hui, il se réduit comme peau de chagrin et la mixité perd son indispensable équilibre, même s'il convient de redéfinir cette dernière.

Pourtant, comme l'a souligné le Premier ministre, dans la tourmente financière, c'est vers la puissance publique que se tournent les acteurs économiques, particulièrement les plus déconfits. Il y a donc une place pour un pôle public financier avec une finalité qui soit aussi sociale, notamment dans les domaines du logement, du développement territorial, du financement des petites et moyennes entreprises, de la gestion de la prévoyance et de l'épargne populaire.

Ce secteur financier public ne peut évidemment avoir pour seul critère de gestion la recherche de la plus forte rentabilité à court terme. Sinon comment justifier, par exemple, la continuelle recherche d'un financement pour le TGV-Est ? Le secteur financier public doit être organisé sous forme de partenariat stable et à long terme dans les structures de financement, avec des liens aussi bien à l'échelon national qu'à l'échelon européen.

Bien entendu, ce dispositif doit assurer une complémentarité des secteurs publics et privés dont nous ne nions ni l'existence ni la nécessité, notamment pour permettre l'émergence d'un prêteur en dernier ressort assurant une mutualisation des risques, particulièrement utile dans la période que nous traversons.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais appeler votre attention - dire d'une façon solennelle serait exagéré, car je sais l'obtenir sans difficulté du fait que vous vous intéressez à tous les sujets qui sont évoqués dans ce lieu - sur la nécessité d'un débat. Pour l'heure, ce débat nous a été refusé. Certes, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous a fait des réponses lénifiantes devant les caméras de télévision en nous faisant savoir que, bien entendu, il est d'accord pour débattre - c'est vrai que c'est un homme qui a la conversation agréable et qu'il s'engage à venir le faire devant la commission des finances. Mais, même si c'est un lieu tout à fait précieux pour la confrontation, la commission des finances présente l'inconvénient d'être un endroit où les débats sont discrets et n'engagent ni la représentation nationale ni le Gouvernement.

C'est pourquoi nous demandons instamment, monsieur le secrétaire d'Etat, que, avant même que la réforme des caisses d'épargne ne vienne en discussion - puisque c'est le seul sujet dont nous aurons, semble-t-il, véritablement à débattre, les autres étant réglés dans le silence et le confort douillet des cabinets ministériels, avec vue sur Notre-Dame d'un côté...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Et sur Montreuil !

M. Jean-Pierre Brard.

... et sur Montreuil de l'autre -, un débat ait lieu ici même sur la restructuration du secteur bancaire et financier. Nous sommes convaincus qu'on ne peut régler de tels problèmes à la petite semaine, comme c'est le cas, mais qu'il nous faut réfléchir ensemble sur les finalités pour déterminer les modalités qu'il convient d'appliquer aux différents éléments de ce secteur. Pour l'instant, cela n'a pas été fait.

Il n'est pas possible de s'en sortir lorsque le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie réduit le problème du Crédit lyonnais, et de ses démêlés avec M. Karel van Miert, à un problème concernant les modalités de la privatisation, sans réfléchir au rôle que peuvent jouer ces établissements bancaires et financiers dans la mise en oeuvre d'une politique pour l'emploi et pour l'aménagement du territoire. Une telle politique doit se faire dans le cadre de coopérations tant nationales - sinon chacun des partenaires bancaires court individuellement au suicide pour les raisons que j'ai évoquées précédemment qu'européennes, le nouvel espace européen ne pouvant


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

être abandonné au marché unique tel qu'il a été conçu jusqu'à présent, tant il est vrai que les motivations de ceux qui le font vivre sont dictées par les taux de rentabilité plutôt que par la volonté de lutter contre le chômage.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Hériaud.

M. Pierre Hériaud.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 1999 est présenté comme ayant un triple objectif : conforter durablement la croissance et l'emploi, approfondir la solidarité et alléger les prélèvements.

Dans les intentions, c'est un beau projet, mais, malheureusement, il risque fort, pour un certain nombre de raisons, de ne pas « tenir » les objectifs annoncés.

D'abord, il convient de considérer la marge de manoeuvre qui a servi de base à des affectations de trois ordres : l'accroissement de la dépense publique pour 16 milliards, l'allégement de la fiscalité pour 16 milliards et la réduction du déficit budgétaire pour 21 milliards.

A ces 53 milliards, qui constituent la seule marge de manoeuvre réelle, s'ajoutent des éléments de rebudgétisation ayant leurs contreparties en dépenses et donc neutres. Il s'agit d'un montant de 23,5 milliards de francs dont plus de 60 % concernent la contribution aux charges de pension de La Poste.

Tel quel, le budget prévoit un déficit de 236,5 milliards soit 2,68 % du PIB lequel s'établit à 8 821 milliards.

Dans le contexte économique et financier général qui emporte un environnement chahuté, il n'est pas du tout certain que les prévisions de croissance établies à 2,7 % puissent être atteintes. N'oublions pas qu'un point de croissance représente une incidence de l'ordre de 15 milliards pour le budget de l'Etat.

L'effort de réduction du déficit budgétaire - 21 milliards - pourrait donc être stoppé net, alors qu'il constitue ou devrait constituer la priorité du Gouvernement dans le budget pour 1999 qui, pour la première fois, permet de dégager un solde primaire de 0,7 milliard.

Alors, une question se pose : le projet de loi est-il adapté à la situation économique actuelle ? A notre avis, la réponse est non, car rien n'a changé dans les prévisions de croissance, d'inflation, de cours du dollar, malgré la crise asiatique et ses extensions.

Quelle sera réellement l'évolution des prix ? Sera-t-elle de 1,3 % supérieure ou inférieure ? Nul ne le sait.

Quel sera réellement le volume de la croissance ? Chacun l'ignore.

Quel sera le cours du dollar ? Personne ne peut le dire.

Or, si nous passions à une variation de croissance d'un point en moins, le déficit des finances publiques augmenterait mécaniquement de 0,5 point, c'est-à-dire passerait de 2,3 % prévus à 2,8 %, soit à un niveau supérieur à celui de 1998.

M. Jean-Jacques Weber.

Exactement !

M. Pierre Hériaud.

Votre projet de loi de finances, monsieur le secrétaire d'Etat, est un véritable tango financier avec des pas en avant et des pas en arrière, les réductions d'impôts étant compensées par des taxations nouvelles.

Plus grave pour la qualité du débat démocratique, les corrections apportées chemin faisant, préalablement à cette discussion dans l'hémicycle, le sont moins par l'acceptation d'amendements parlementaires que par des négociations de couloirs, auxquelles M. Brard a fait allusion, négociations caractérisées par une totale allégeance au ministre.

M. Christian Cuvilliez.

Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Pierre Hériaud.

C'est, par exemple, la presse qui nous informe, ce matin même, du nouveau contenu de l'article 24, alors que la commission des finances se réunira dans moins d'une demi-heure pour en discuter.

M. Jean-Jacques Weber.

C'est vrai !

M. Christian Cuvilliez.

Il ne faut pas se laisser influencer par les journalistes !

M. Jean-Pierre Brard.

Où avez-vous lu cela, monsieur Hériaud ? Dans l'Humanité ? (Rires.)

M. Pierre Hériaud.

En définitive, ce projet de budget intègre les éléments chiffrés résultant des promesses faites au fil de l'eau par le Gouvernement, mais il ne marque pas la volonté de rupture avec le « toujours plus » de la croissance des dépenses publiques.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais appeler votre attention sur le financement du dispositif des emploisjeunes. Par rapport à l'objectif d'une première tranche de 350 000 emplois, qui doit, ou devrait être suivie d'une deuxième tranche de même importance, où en sommesnous ? L'examen du budget spécial et les réponses apportées à nos questions nous indiquent qu'au 30 septembre 1998 il y aurait 89 000 emplois-jeunes en place - chiffres quelque peu différents de ceux qui ont été avancés ici hier - et qu'on en escompte 150 000 au 31 décembre 1998 et 250 000 au 31 décembre 1999.

Or, que contient le budget pour 1999 à cet égard ? Une dotation de 13,9 milliards. Certes, elle est en augmentation par rapport aux 5,7 ou 5,8 milliards de 1998, mais si nous sommes bien à 150 000 emplois-jeunes au 31 décembre 1998, le report en année pleine de ces 150 000 emplois, dont chacun coûte 92 000 francs, aboutit à un total de 13,8 milliards. Autant dire que, pour 1999, nous ne pouvons plus avoir aucun emploijeune, et que nous ne passerons pas de 150 000 à 250 000.

M. Jean-Jacques Weber.

Très intéressant !

M. Pierre Hériaud.

Il y a donc tromperie de ce point de vue.

La croissance de l'emploi n'est possible que grâce aux entreprises qui créent de la valeur ajoutée et l'utilisent en rémunération du travail et en investissement.

Leur compétitivité et leur capacité d'emploi exigent un abaissement des charges sociales sur les salaires les moins élevés, tout le monde semble s'accorder sur ce point. Les mesures proposées dans l'article 29 du présent projet de loi sont bonnes mais partielles, alors qu'une remise à plat complète de la taxe professionnelle serait nécessaire.

Si la compensation prévue pour 1999 est une bonne chose, qu'en sera-t-il pour les années suivantes, avec l'indexation sur la DGF ? J'ai bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, vos comparaisons entre l'évolution de 10,5 % des salaires et celle d'un peu plus de 12 % des bases de la DGF. Mais ça, c'est le passé. Nous sommes pour l'instant sur une pente de 4,3 % pour les salaires et d'un peu moins de 2,5 % pour l'évolution des bases de la DGF.

La gestion des collectivités locales et leur stratégie de développement ne peuvent s'accommoder d'autant d'imprécisions, d'une part, et d'un surcroît de dépendance visà-vis de l'Etat, d'autre part.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Les collectivités locales sont globalement bien gérées.

Elles investissent chaque année davantage que ne le fait l'Etat et leur capacité nette de financement a été nécessaire pour satisfaire, avec 0,2 %, aux critères de Maastricht.

Enfin, l'épargne des Français ne doit pas être rebutée par la fiscalité des placements proposés et, dans ce domaine, la parole de l'Etat doit être absolument respectée.

En conclusion, le triple objectif affirmé - croissance et emploi, solidarité et allégement des prélèvements - n'est pas porté par un souffle puissant et ce budget est, somme toute, banal, sans inflexion majeure, dans une période qui offrait pourtant quelques possibilités.

La France va demeurer dans le peloton de tête des pays ayant les plus forts prélèvements obligatoires et la réduction la plus faible du déficit. Mécaniquement, l'endettement va continuer de s'accroître.

Tout cela, c'est la réalité des faits, qui ne pardonne pas longtemps d'annoncer plus que l'on est capable de faire.

Nous ne pouvons que souhaiter que le débat permette d'améliorer sensiblement ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les dépenses du budget général progresseront donc de 1 % en volume en 1999, soit 37 milliards de francs en tenant compte de l'inflation. Cette évolution maîtrisée est un bon compromis entre les deux impératifs à prendre en compte : la réduction du déficit et de la dette, qui a obéré les marges de manoeuvre du budget de l'Etat et les possibilités de réduction du taux des prélèvements obligatoires ; le financement des priorités de l'action du Gouvernement et de sa majorité, c'est-à-dire des actions qui traduisent la volonté politique qui s'est exprimée dans notre pays à l'occasion des élections législatives, je veux parler des emplois-jeunes, de la lutte contre les exclusions et de l'enrichissement du contenu de la croissance en emplois.

Le budget prolonge donc l'action de rééquilibrage des prélèvements sur le travail et sur le capital, ainsi que l'action de solidarité en faveur des ménages les plus modestes. Il vise à consolider la consommation intérieure et l'investissement des entreprises, devenus dans un contexte économique mondial dégradé le ressort de la croissance.

A cet égard, les dernières prévisions de l'INSEE, qui évaluent la croissance à 3 % pour 1998, sont rassurantes en ce qui concerne l'exécution du budget de cette année, mais elles indiquent une certaine décélération sur le dernier trimestre qui nous incite à nous interroger sur la prévision de croissance de 2,7 % pour 1999. Mais le débat entre experts ainsi que la tendance indiquée par l'INSEE suggèrent un niveau de croissance proche, bien que souvent un peu en deçà de votre estimation.

Il ressort surtout de ces débats que le taux de croissance que nous pourrons connaître en 1999 dépendra de deux facteurs. Le premier tient à l'environnement monétaire international, et surtout à la dépréciation du dollar.

Je suis l'élu d'une région où le secteur aéronautique tient une telle place que les variations des cours du dollar se répercutent en quelques mois sur le niveau de l'emploi local. Et si nous nous félicitons tous que le passage à l'euro ait protégé l'Europe de fluctuations monétaires internes, constatons objectivement que l'Europe y a perdu sur le marché des changes : le taux de change du franc et du mark, monnaies pivot de l'euro, s'est apprécié de 7 % en douze mois en moyenne, et beaucoup plus par rapport au dollar.

En vue de neutraliser cette réévaluation, de quels moyens disposez-vous pour abaisser significativement les taux d'intérêt courts et favoriser une remontée du dollar ? L'Europe politique a-t-elle une volonté et une capacité, à l'égard de l'Europe monétaire, des banques centrales et de la future Banque centrale européenne ? Car, si l'on veut que le bénéfice des efforts consentis pour le passage à l'euro se poursuive et s'amplifie à partir du 1er janvier, cela dépend largement de l'attitude de la Banque centrale européenne. Face au dollar, la BCE adoptera-t-elle une attitude pragmatique, conforme aux nécessités de la croissance et de l'emploi, ou une attitude dogmatique en faveur d'un super euro, pénalisant nos activités économiques et nos exportations ? Les déclarations de M. Duisenberg, dont a fait part hier soir l'AFP, déclarant non avenu le souhait de baisse des taux exprimé par certaines voix au sein des gouvernements français et allemand, laissent mal augurer de l'avenir.

M. Julien Dray.

C'est vrai !

M. Gérard Bapt.

Je crains qu'après M. Trichet nous n'ayons bientôt M. Duisenberg.

Le traité de Maastricht donne compétence au Gouvernement en matière monétaire et de taux de change.

L'Europe, social-démocrate pour l'essentiel, est désormais placée au pied du mur.

Le premier facteur d'incertitude quant au niveau de la croissance en 1999 est donc de nature monétaire et européenne.

Le second est d'une tout autre nature : il s'agit de la confiance interne, de la confiance des chefs d'entreprise quant à l'emploi et à l'investissement.

Après avoir stagné à la baisse en 1997, l'investissement des entreprises devrait connaître un redémarrage soutenu, avec une augmentation de 5 % à 7 % en 1998, mais qui ne comblerait pas le retard à l'investissement observé au cours des années précédentes. Néanmoins, il est important de considérer que, dans le même temps, la productivité du capital utilisé a crû depuis 1993 grâce à l'allongement de la durée d'utilisation des équipements. Cette donnée montre clairement qu'il y a du « grain à moudre » dans les négociations sociales sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.

De nombreux éléments confortent la prévision d'une reprise durable et soutenue de l'investissement, et toutes les enquêtes vont en ce sens : dynamisme de l'activité, taux d'autofinancement des entreprises élevé, taux d'intérêt bas, remontée du taux d'utilisation des capacités de production.

A cet égard, la mesure concernant la « base salariale de la taxe professionnelle » que vous proposez apparaît avant tout comme un signe d'appel fort à la confiance et au dynamisme des chefs d'entreprise, même si, dans les années qui viennent, l'effort budgétaire qu'elle implique nécessitera une évaluation précise, qui vous est réclamée par voie d'amendement par M. le rapporteur général et par le groupe socialiste.

Dans le secteur industriel, le secteur du bâtiment et des travaux publics revêt une importance particulière, puisqu'il est fortement affecté depuis plusieurs années.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Les mesures concernant le crédit d'impôt sur les travaux réalisés au domicile, que nous vous proposons d'élargir, nous semblent très importantes.

La demande intérieure, qui tire désormais la croissance, dépend quant à elle, avant tout, de la confiance des ménages. Celle-ci a bénéficié de l'amélioration de la situation de l'emploi ainsi que de celle du pouvoir d'achat et s'est traduite par le meilleur niveau de consommation des ménages constaté depuis dix ans.

Les mesures ciblées de baisse de TVA que propose le groupe socialiste ont pour but de conforter la consommation des ménages à un haut niveau en 1999.

Je dois enfin, sur le chapitre de la TVA, vous redire l'attente qui est la mienne, et que j'avais déjà exprimée lors du débat d'orientation budgétaire, concernant le champ des activités de service au domicile. Restreint à ce seul champ, le secteur des services de proximité emploie plus de 400 000 personnes en équivalent temps plein, soit un doublement depuis 1992 ! Les prestations correspondantes, qui sont fournies essentiellement par des associations, sont ouvertes à la concurrence des entreprises depuis 1996. Celles-ci n'y occupent qu'une part très marginale, les distorsions de concurrence empêchant une structuration du secteur, en particulier le taux de TVA à 20,6 %, qui n'est pas supporté par les associations ou ménages employeurs.

L'application d'un taux réduit de TVA, peu coûteux pour le budget en raison du faible nombre des prestations au domicile actuellement fournies par les entreprises, réduirait cette distorsion, conformément d'ailleurs à ce qui est un objectif du plan français d'action pour l'emploi, et serait susceptible d'amplifier le mouvement de création d'emplois dans ce secteur, ainsi que de professionnaliser l'offre des services de proximité.

Je conclurai sur une question d'actualité touchant à l'emploi, et qui concerne le coût du travail.

Cette question a été récemment mise au premier plan de l'actualité, à la fois par le rapport Malinvaud et par la proposition de suppression de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle qui constitue l'article 29 du projet de loi de finances.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez indiqué hier soir que la réforme de la taxe professionnelle aurait un fort effet sur l'emploi parce qu'elle bénéficiera principalement aux PMI et aux industries de main-d'oeuvre.

Le budget du travail et de l'emploi inscrit par ailleurs 43 milliards de francs au titre de la ristourne unique dégressive sur les bas salaires, c'est-à-dire que nous y consacrons 4 milliards de francs de plus qu'en 1998. Cet effort budgétaire démontre qu'un consensus s'est désormais établi autour de l'intérêt de l'abaissement du coût salarial pour le travail peu qualifié, lequel génère les salaires les plus bas. Il s'agit notamment du secteur des services.

Faut-il accentuer significativement cet effet au cours des prochaines années ? Et sous quelle forme ? Faut-il poursuivre sur la voie des allégements de charges patronales pris en charge par le budget, ou bien faut-il compenser en opérant un transfert sur les salaires les plus élevés, dans la mesure où le transfert de tout ou partie des cotisations patronales sur la valeur ajoutée apparaît complexe et risqué ? A ces questions, le Gouvernement devra répondre au cours des prochains mois, et l'Assemblée, sur tous les bancs, participera à ce débat.

Mais deux choses doivent être réaffirmées avec force.

D'abord, globalement, la France est en position médiane au regard du coût moyen de la main-d'oeuvre dans l'industrie manufacturière, et le coût en Allemagne, notre principal partenaire, est significativement plus élevé.

Ce constat doit conduire à repousser d'emblée la revendication par l'UIMM d'un allégement sous forme d'une franchise concernant l'ensemble de l'échelle des salaires.

En second lieu, la compétitivité des pays industriels les plus développés ne dépend pas que du coût de la main d'oeuvre, mais aussi de la qualité des produits, de leur adaptation aux besoins, qui sont de la compétence de l'entreprise, de ses dirigeants et du niveau de qualification de ses salariés.

La compétitivité dépend aussi de l'innovation. Or notre pays souffre du paradoxe d'un décalage entre un haut niveau de la recherche et une position technologique comparativement moins bonne. A la quatrième place pour la recherche, la France ne se situe qu'au neuvième rang en matière de dépôt de brevets. Notre pays souffre d'une difficulté à traduire la découverte scientifique en termes industriels et économiques. Il est frappant de constater que la majeure partie des débats publics tourne toujours autour de la question des charges sociales, et que les questions de l'innovation, de la création d'activités innovantes, du capital-risque sont trop souvent esquivées, alors qu'elles sont un élément fondamental de la compétitivité des économies avancées. En prenant en compte les propositions du rapport Guillaume à cet égard, le Gouvernement a pris en compte, au-delà de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, les exigences de la solidarité et du soutien à la croissance, défis d'avenir majeur pour notre pays.

Voilà pourquoi le groupe socialiste soutient votre politique économique et sociale, tout en vous proposant un certain nombre d'amendements visant à améliorer l'efficacité de ce bon budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Meyer.

M. Gilbert Meyer.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la conjoncture économique de la France est actuellement plutôt favorable. La croissance entrevue va se confirmer très certainement d'ici à la fin de l'année. Pour l'année prochaine, le taux de croissance devrait encore se situer, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, aux environs de 2,7 %. N otre croissance était tirée par les exportations.

Aujourd'hui, elle l'est par la consommation des ménages et les investissements des entreprises. Nous récoltons le fruit des efforts faits par les gouvernements précédents.

Ces efforts ainsi que les mesures courageuses prises entre 1994 et 1997 vous ont aidés à obtenir ces résultats.

Il aurait fallu les exploiter pour accélérer l'embellie constatée. Nos concitoyens attendaient un signe fort.

Malheureusement, celui-ci n'est pas arrivé. Le projet de budget se contente de petits aménagements alors qu'il aurait fallu une véritable réforme que la croissance, précisément, aurait autorisée.

Notre pays est asphyxié par sa fiscalité, on l'a rappelé à plusieurs reprises. Celle-ci s'alourdit d'année en année.

Les Français sont toujours davantage mis à contribution.

La situation économique s'améliore. Ils devraient donc voir leurs impôts diminuer. Ce n'est pas le cas, loin de là.

Le contexte étant devenu plus favorable, la loi de finances pour 1999 aurait pu constituer une base pour engager le pays sur la voie des allégements fiscaux. Au


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

lieu de cela, nous constatons un saupoudrage de mesures insignifiantes et un alourdissement du train de vie de la maison France.

La suppression de la taxe professionnelle sur les salaires est annoncée comme le point d'orgue fiscal de ce budget.

En réalité, les autres ajustements envisagés neutraliseront cette modification de la base imposable. Il s'agit là aussi d'une déviation des ressources au profit de l'Etat, et je ne parlerai pas de la vive inquiétude des collectivités locales à ce sujet.

Au chapitre des mesures en faveur de la justice sociale, on note le relèvement du taux d'imposition de l'ISF, la pénalisation de l'assurance vie et la limitation de l'avoir fiscal pour les placements des entreprises.

Où est la justice fiscale dont vous nous parlez, monsieur le secrétaire d'Etat ? La France est déjà, au sein de l'Europe, le pays le plus imposé. Le seul résultat que nous pouvons attendre de telles dispositions c'est une fuite des capitaux privés vers des pays où la fiscalité est moins contraignante.

Mais, au-delà de cet aspect, l'épargne des Français, notamment l'assurance vie, n'a-t-elle déjà été assez malmenée ? Il faut savoir s'arrêter.

La loi de finances pour 1996 avait supprimé la réduction d'impôt attachée aux versements dits « libres ».

L'assurance vie a ensuite été assujettie à des cotisations supplémentaires. Vous prévoyez une avancée, mais respectez déjà les engagements pris par l'Etat.

En 1998, l'exonération fiscale dont bénéficiaient les contrats au-delà de huit ans a été annulée et les revenus ont été taxés. Plus récemment, d'importantes restrictions ont encore été décidées, comme celle concernant l'avantage fiscal.

On voudrait maintenant, sous couvert de moralisation, aller plus loin encore, et en quelque sorte spolier les épargnants qui ont économisé pendant des années pour se constituer un complément de retraite indispensable. Cette proposition est inacceptable, elle suscite une contestation de tous les élus comme de ceux qui épargnent.

Elle est d'autant plus inacceptable qu'elle s'appliquerait aux contrats en cours. Elle montre aussi avec quelle facilité l'Etat peut revenir sur sa parole. On ne s'étonnera plus, dès lors, que les Français fassent de moins en moins confiance à ceux qui les gouvernent.

Avec ce projet de budget, nous sommes loin des promesses électorales de juin 1997. Les Français auraient mérité d'être soulagés grâce à un meilleur emploi des recettes résultant de la croissance. La diminution de la ponction fiscale aurait dû constituer une priorité pour que tous nos concitoyens vivent mieux. (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111) : M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (rapport no 1111).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT