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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Pacte civil de solidarité. - Suite de la discussion d'une proposition de loi (p. 8325).

QUESTION PRÉALABLE (p. 8325)

Question préalable de M. Rossi : MM. Jean-Claude Lenoir, le président, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, m inistre de la justice ; MM. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Patrick Delnatte, Bernard Roman, Patrick Malavieille, Alain Tourret, JeanFrançois Mattei, Maurice Leroy. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Fait personnel (p. 8353).

MM. Philippe Séguin, le président.

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 8355).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1 PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion d'une proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Le rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, no 1138, porte sur les cinq propositions de loi de : M. Jean-Pierre Michel (no 1118) ; M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs des ses collègues (no 1119) ; M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues (no 1120) ; M. Guy Hascoët et plusieurs de ses collègues (no 1121) ; M. Alain Tourret (no 1122).

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants, u ne question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

J'indique à nos collègues, mais nous verrons comment les choses évolueront, qu'il serait bon de pouvoir terminer la question préalable en fin de matinée, car notre programme est chargé.

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mes chers collègues, j'ai l'honneur, au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants, et conformément à l'article 91, alinéa 4, de notre règlement, d'opposer la question préalable au texte en discussion.

Avant d'en venir à l'introduction, je voudrais vous livrer quelques remarques liminaires. J'imagine sans mal, et même je comprends sans peine les pensées de beaucoup, qui sont ici, dans l'hémicycle, dans le Palais et en dehors du Palais...

M me Odette Grzegrzulka.

Moins vite, on ne comprend pas tout ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

... d'autant que ces pensées se sont souvent exprimées, plus hier encore qu'il y a huit jours.

D'abord, pourquoi cette question préalable ? Dans l'esprit de certains, cette initiative est bien inconvenante après que nous avons débattu, dans la nuit de mardi à mercredi, de l'exception d'irrecevabilité...

Mme Odette Grzegrzulka.

Débattu, c'est un bien grand mot !

M. Alain Barrau.

Exception qui a été repoussée !

M. Jean-Claude Lenoir.

... après que nous avons entendu notre collègue Christine Boutin.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - « Hou ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Inconvenante, pensent certains parce que nous sommes réunis - il faut le dire, assez nombreux - un samedi matin, alors que tant d'engagements nous auraient retenus dans nos circonscriptions respectives...

Mme Muguette Jacquaint.

A qui la faute ?

M. Bruno Le Roux.

Les détails !

M. Jean-Claude Lenoir.

... mais, sur ce point, je m'affranchis de toute responsabilité, c'est le Gouvernement qui l'a voulu.

Cette question préalable serait également inconvenante en raison du temps de parole qui m'est attribué.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Dix minutes ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ai entendu des informations extrêmement variées, parfois même fantaisistes, sur le temps réel que j'allais passer à cette tribune.

M. Bruno Le Roux.

C'est intéressant !

M. Jean-Claude Lenoir.

Au moment où la question m'a été posée, pour des raisons évidentes d'organisation des travaux parlementaires par les services de l'Assemblée nationale, j'étais bien en peine de déterminer le temps dont j'avais besoin...

M. Alain Calmat.

C'est inconvenant, il faut s'arrêter là !

M. Jean-Claude Lenoir.

... puisque j'ouvrais le dossier.

J'ai donc précisé, à titre purement indicatif, que ce pourrait être cinq heures. Ce pourrait être moins, voire beaucoup moins (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), ce pourrait être un peu plus.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Serge Janquin.

Mettez le turbo !

Mme Odette Grzegrzulka.

Si c'est rien, ce sera tant mieux !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je faisais allusion, il y a un instant, à des rumeurs fantaisistes. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.)


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Il en est une qui a pris corps...

Mme Yvette Roudy.

Au fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

... dans un courrier adressé aux membres du groupe socialiste (Exclamations sur les mêmes bancs) et que je vais avoir le plaisir de vous lire. J'ai le sentiment, d'ailleurs, qu'il a été lu par la plupart d'entre eux puisque, précisément, ils sont présents à l'heure où je leur parle. (Même mouvement.)

La lettre est ainsi rédigée : « Chers amis,...

M. Franck Borotra.

Ce n'est pas à nous que cela s'adresse !

M. Jean-Claude Lenoir.

... attention (Même mouvement), il est annoncé partout que la question préalable sera défendue pendant cinq heures par Jean-Claude Lenoir - Démocratie libérale.

Mme Odette Grzegrzulka.

Mauvais attaché de presse ! (Sourires.)

M. François Rochebloine.

C'est lui !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il faut, cependant, être conscient du fait que si la droite est majoritaire, l'orateur peut interrompre son discours à tout moment (Même mouvement) pour précipiter le vote sur la question préalable.

La séance débutant à neuf heures, ce vote peut intervenir dès neuf heures trente, d'où la nécessité d'être majoritaires dès le début de la séance du samedi matin. »

Mme Yvette Roudy.

Nous le sommes !

M. Franck Borotra.

Il faut relire tout, c'est intéressant !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je me permets simplement de dire, avec l'intention assez légitime de conquérir peut être la sympathie du public auquel je m'adresse,...

M. Pierre Lellouche.

Vous pouvez toujours essayer !

M. Jean-Claude Lenoir.

... que je suis en mesure de rassurer ceux qui s'inquiétaient de savoir s'il fallait voter rapidement : ce n'est pas l'hypothèse la plus probable.

(« Ah ! » sur les mêmes bancs.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Ici, ce ne sont pas les comices agricoles !

M. Jean-Claude Lenoir.

Pour autant, je maîtrise mon sujet, mais je ne maîtrise pas le temps dont j'aurai besoin pour exprimer et mes arguments et mes convictions.

La question du temps a été au centre du débat de ces derniers jours.

Mme Nicole Bricq.

On s'en doute !

M. Jean-Claude Lenoir.

Après le débat sur les questions d'irrecevabilité, fallait-il à nouveau aborder, comme cela a été fait depuis longtemps, le débat au fond ? C'était prématuré ; on savait que le week-end apporterait l'occasion de le faire alors on a parlé du temps.

Mme Odette Grzegrzulka.

Je préfère les philosophes grecs.

Mme Nicole Bricq.

Sur le temps, je préfère Proust !

M. Jean-Claude Lenoir.

Combien de temps est-il légitime d'utiliser pour s'exprimer ? Faut-il parler brièvement ? Faut-il parler longuement ?

Mme Yvette Roudy.

Il n'a rien à dire !

M. Jean-Claude Lenoir.

Dans ce grand débat, j'ai pu compter sur la contribution solidaire du groupe communiste. Il se trouve que l'un de ses membres, en l'occurrence son doyen, Robert Hage...

(Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)

Plusieurs députés du groupe communiste.

Georges !

M. Jean-Claude Lenoir.

Georges Hage, soit, je le connais moins que vous ! Georges Hage a défendu l'idée qu'un parlementaire avait le droit de s'exprimer pendant le temps qu'il voulait.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la la législation et de l'administration générale de la République.

Pour autant qu'il ait quelque chose à dire !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'en félicite M. Hage.

Je pense d'ailleurs que M. Hage, qui fait souvent référence aux Saintes Ecritures, avait à l'esprit ce passage de la Bible (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) où il est dit que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre.

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est l'heure de la messe.

M. Jean-Claude Lenoir.

Car je me souviens que M. Hage Georges, comme vos amis l'appellent, s'est tenu à cette tribune pendant de longues heures, au cours de débats qui l'intéressaient et personne ne peut le blâmer.

M. Georges Hage.

Non à la privatisation de Renault ! (Rires sur de nombreux bancs.)

M. Pierre Lellouche.

Monsieur Lenoir, vous pourriez peut-être leur parler de Renault !

M. Jean-Claude Lenoir.

Autre remarque liminaire.

Contrairement à ce que certains ont pu penser ou dire, je ne cherche pas à battre un record. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Christine Boutin (Même mouvement) s'est exprimée avec conviction et talent. Elle l'a fait dans un temps qui a été indiqué.

Je ne cherche pas ma chère Christine à faire comme vous, voire mieux que vous.

M. Bernard Roman.

Pacsez-les !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ajoute qu'une telle ambition manquerait d'ailleurs singulièrement d'élégance.

M. Franck Borotra.

Bravo !

M. Jean-Claude Lenoir.

Autre remarque liminaire : le sujet qui nous rassemble n'est pas banal et c'est bien pourquoi les passions affleurent ici et là. Il mérite un échange constructif. Je vous demande donc, mes chers collègues, d'admettre que nous sommes sincères et d'imaginer que nous pensons ce que nous disons et que nous le ressentons même profondément.

M. Kofi Yamgnane.

C'est nouveau !

M. Jean-Claude Lenoir.

En échange, je pars du principe que vous êtes d'une parfaite bonne foi, que vous êtes même généreux, surtout idéalistes...

M. Kofi Yamgnane.

Et socialistes surtout !

M. Jean-Claude Lenoir.

... et c'est la raison pour laquelle vous n'êtes pas très réalistes.

Ainsi, je m'engage dans l'argumentation à laquelle je me suis préparé avec des moyens et un objectif. Les moyens prennent la forme de bagages : ce sont les dossiers que j'ai avec moi. Les armes sont ma conviction et ma sincérité.

M. Franck Borotra.

Bravo !

M. Jean-Claude Lenoir.

Les bagages ont à cet égard une double vertu apaisante, peut-être rassurante. Rassu-r ante à la fois pour l'orateur qui s'exprime,


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éventuellement pour le public qui l'écoute dans la mesure où un dossier peut être considéré comme un sablier : c'est au fur et à mesure qu'il prend de la minceur que le temps dont j'ai besoin aura diminué.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Vous parlez déjà depuis dix minutes !

M. Jean-Claude Lenoir.

Mon introduction, mes chers collègues, s'articulera autour de deux idées : quel est le contexte du débat ? Quel est le sens de ma démarche ? Le contexte du débat. Comme tous les dossiers qui portent sur des enjeux essentiels pour notre société, ce texte soulève beaucoup de passions. C'est compréhensible et même plutôt bon signe. Nous l'avions d'ailleurs observé lors de la discussion, dans cet hémicycle, du texte sur la bioéthique à laquelle nombre de ceux qui siègent ici à gauche n'ont pas pu participer, n'étant pas encore élus. Ce débat avait été exemplaire à plus d'un titre, j'aurai l'occasion d'y revenir.

La discussion qui s'engage sur le texte inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée a commencé à se dérouler dans un climat qui n'était peut-être pas le meilleur, où l'intolérance a parfois fait son apparition.

M. Alain Barrau.

La faute à qui ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Alors, sur la gauche de cet hémicycle, on a désigné un coupable : une droite considérée comme ringarde et conservatrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Muguette Jacquaint.

Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir.

On ne saurait mieux appuyer des propos qui ont été tenus par certains des vôtres. Je pense notamment à l'un des deux rapporteurs, Jean-Pierre Michel, qui déclarait, lorsque le texte est venu en discussion le 9 octobre : « Je déplore la croisade de tous ceux qui refusent l'évolution des moeurs avec - hélas ! - la bénédiction des plus hautes autorités religieuses, qui ont une vision rétrograde. (...) Je déplore donc la croisade de tous ceux qui refusent l'évolution des moeurs, qui ont une vision rétrograde de l'homosexualité, considérée comme une pathologie. »

Le président du groupe socialiste n'a pas été en reste, il est vrai, après que Jean-François Mattei se fut exprimé à la tribune. « Il est bien difficile, disait-il, de ne pas rappeler ces combats d'arrière-garde d'hier ou d'avant-hier contre la contraception, contre l'interruption volontaire de grossesse, contre la majorité à dix-huit ans...

M. Jean-Claude Boulard.

C'est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir.

... ces combats (...) contre le PACS. (...) Mais n'oubliez pas, ajoutait-il, que ceux qui combattaient ces textes utilisaient les mêmes arguments que ceux que nous entendons aujourd'hui pour essayer de caricaturer ces projets de réformes, très importants dans notre droit. »

M. Jean-Claude Boulard.

C'est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir.

Après le vote, à l'évidence très fâché, M. Ayrault a dit, à propos de l'opposition : « Elle a démontré, une fois de plus, ce qu'elle est au fond d'ellemême, c'est-à-dire ultra-conservatrice, comme elle le fut dans le passé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) , sur la contraception, l'IVG, le droit de vote à dix-huit ans, bref sur toutes les questions de société. »

M. Jean-Claude Boulard.

Très bon orateur !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il est vrai - ce sont des circonstances atténuantes -, qu'il fallait, dans les instants qui ont suivi le vote du 9 octobre, désigner d'autres cibles...

M. Alain Barrau.

Ce sont les premières flèches !

M. Jean-Claude Lenoir.

... que la majorité plurielle et qu'il fallait détourner le tir.

Contre ces attaques, les réponses n'ont pas manqué.

Notre collègue Pierre Lellouche a tout de suite exprimé l'idée que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec vous - s'adressant à vous, mes chers collègues de la majorité plurielle - seraient soit des rétrogrades, soit des ringards.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Cela dit, vous avez savouré les propos des vôtres et négligé les propos tenus par des représentants de l'opposition. Avez-vous lu les articles...

M. Jean-Claude Boulard.

Non !

M. Jean-Claude Lenoir.

... produits par des journaux ou des hebdomadaires qui ne sont pas franchement reconnus comme étant proches de l'actuelle opposition ?

M. Michel Pajon.

On n'a pas le temps !

M. Jérôme Lambert.

Où est-elle, l'opposition ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Ainsi, ces quelques mots sous la plume de Delfeil de Ton : « Il fallait voir le président du groupe parlementaire socialiste, responsable de la farce qui venait de se jouer... »

M. Didier Boulaud.

C'est la revue de presse ?

M. Jean-Claude Lenoir.

« ... hurlant devant l'Assemblée, après sa déculottée de vendredi dernier (Protestations sur les mêmes bancs), que la droite avait l'exclusivité de l'homophobie, qu'elle avait été contre la contraception, contre l'avortement, contre la majorité à dix-huit ans. »

« La loi sur la contraception porte le nom de Neuwirth, député gaulliste, loi votée sous de Gaulle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

La loi sur l'avortement porte le nom de l'UDF Simone Veil (Applaudissements sur les mêmes bancs) et la majorité à dix-huit ans, c'est Giscard d'Estaing qui l'a voulue ! » (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Mme Nicole Bricq.

Toutes ces réformes ne sont passées que grâce aux voix de la gauche !

M. Jean-Claude Lenoir.

Delfeil de Ton ajoute : « Ce n'est pas en mentant qu'on prouve que sa loi est bonne. »

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. Franck Borotra.

Et le vote des femmes, c'est le général de Gaulle !

M. Jean-Claude Lenoir.

Certains pourraient me reprocher de choisir des extraits...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.

Non !

M. Pierre Lellouche.

Prenez tout votre temps, monsieur Lenoir, nous ne sommes pas pressés !

M. Jean-Claude Lenoir.

... pour altérer le fond de certains articles - je suis bien entendu prêt à lire l'intégralité de ces articles.


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Plusieurs députés du groupe socialiste.

Mais oui, c'est vrai, nous avons tout notre temps !

M. Jean-Claude Lenoir.

Dans L'Evénement du jeudi , Alain Etchegoyen écrit : « Quelles que soient les intentions louables de Lionel Jospin et d'Elisabeth Guigou, ils auraient tort de laisser les socialistes développer des propos scandaleux. Le discours tenu par le président du groupe socialiste, à la suite de son constat de carence, (...)

n'est pas acceptable. On ne peut à la fois donner une grande importance à la question du PACS et déserter l'Assemblée, en faire un débat de société et jeter l'anathème sur ceux qui y contribuent. » Ce jugement sévère

est tout à fait justifié.

Regardons en effet ce que l'opposition a déclaré pour mériter des jugements aussi méprisants, aussi péremptoires.

Regardons ce que déclarent aussi, au-delà de l'opposition parlementaire, tous ceux qui ont à faire valoir un point de vue qui ne va pas dans le sens du texte et à qui on voudrait dénier jusqu'au droit d'ouvrir la bouche sur le sujet, car l'opposition parlementaire n'est pas la seule à être visée.

De nombreuses voix, à l'extérieur du monde parlementaire et du monde politique, se sont élevées pour dénoncer le terrorisme de la modernité officielle. Ainsi, T ony Anatrella, psychanalyste bien connu, déclare :

« Toute critique à l'égard des éventuels projets du type PACS et de l'homosexualité se trouve très vite caricaturée, parfois derrière une censure implicite qui veut ne pas penser à ces questions autrement qu'en les justifiant sous le couvert de la modernité. »

Il ajoute : « Il est même très difficile de faire entendre sérieusement un autre point de vue dans la plupart des médias qui soutiennent ces projets, sans être taxé d'ultra, d'intégriste, de conservateur, de fanatique, d'homophobe, et sans voir cette question amalgamée avec d'autres problèmes politiques, moraux et religieux. »

Il poursuit : « Cette technique du procès d'intention consiste à discréditer leurs auteurs, à ne pas entendre, et à d éplacer les faits et les interrogations sur d'autres domaines. Ce terrorisme intellectuel brouille les discours et les informations. »

M. Pierre Lellouche et M. René André.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

Qu'ont déclaré et que déclarent la plupart de ceux que l'ont veut ainsi clouer au pilori de la ringardise ? Sans doute n'avez-vous pas lu leurs déclarations et sans doute ne les avez-vous pas entendus !

M. Bernard Roman.

On a entendu Boutin !

M. Jean-Claude Lenoir.

Car, pour beaucoup, ils disent qu'ils sont tout simplement d'accord.

Certes, il faut s'entendre sur ce dont on parle, et j'aurai l'occasion d'y revenir. Mais s'il s'agit, comme j'avais cru le comprendre, de tenir compte des évolutions de la société, d'adapter notre droit pour résoudre les difficultés auxquelles les couples non mariés sont confrontés dans la vie quotidienne, qu'ils soient homosexuels ou hété-r osexuels, globalement, nous sommes d'accord pour ouvrir le débat.

Je rappelle ce que disait Jean-François Mattei, puisque beaucoup de ceux qui sont aujourd'hui parmi nous n'étaient pas là le 9 octobre : « Le monde change autour de nous. L'évidence s'impose. En un siècle, la femme est sortie de sa dépendance pour conquérir la place qui lui revient. Ce ne sont là que quelques éléments qui soulignent la nécessité d'évoluer nous-mêmes, sauf à nous couper de la réalité et des autres. »

Un autre témoignage, qui ne suscite aucune réaction particulière, émane du Conseil permanent de la conférence des évêques de France : « L'Eglise catholique ne peut rester indifférente à ce qui faciliterait de manière juste l'existence de personnes engagées dans des situations singulières et parfois difficiles. Ces personnes doivent être accueillies et écoutées. »

L'UNAF n'a rien dit d'autre en déclarant qu'« elle n'est pas opposée à ce que des droits soient ouverts pour d'autres situations non familiales. Elle refuse purement et simplement confusion et assimilation. »

L'un des deux rapporteurs, Patrick Bloche, en est d'ailleurs convenu et souligne dans son rapport première version que l'UNAF est proche de son point de vue : « Les opposants au principe du pacte civil de solidarité les plus résolus admettent en effet, l'aménagement des textes fiscaux, sociaux ou relatifs au logement, afin, en particulier, que le partenaire survivant du couple ne voie pas sa situation matérielle trop fortement bouleversée. »

Il suffit de rappeler qui a commandé l'un des deux rapports auxquels on s'est beaucoup référé dans ce débat, le rapport Hauser, dont l'objet était de réfléchir aux conséquences financières de la séparation des couples, et qui était le premier, à ma connaissance, à traiter de cette question. Ce rapport avait été demandé à l'époque du gouvernement d'Alain Juppé. Du reste, Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a reconnu : « C'est la proposition du pacte d'intérêt commun formulée par le professeur Hauser, auquel mon prédécesseur avait commandé un rapport sur ces problèmes, ce qui montre bien que le gouvernement précédent entendait traiter la question que nous examinons. »

M. Guy Hascoët.

Formidable !

M. Jean-Claude Lenoir.

S'il s'agit, donc, comme j'avais cru le comprendre au départ, de tenir compte des évolutions de la société, d'adapter notre droit pour résoudre les difficultés auxquelles les couples non mariés sont confrontés dans la vie quotidienne, nous sommes d'accord.

J'irai même plus loin : s'il s'agit de faire en sorte que l'homosexualité ne soit plus exposée aux brimades, encore que notre pays ait fait beaucoup de chemin en ce sens depuis plusieurs années, s'il s'agit de faire que l'homosexualité soit mieux comprise, à titre personnel, oui, je suis d'accord.

M. Alain Barrau.

C'est mieux que Boutin !

M. Jean-Claude Lenoir.

Du reste, les orateurs qui se sont exprimés pour l'opposition étaient, mais vous ne les avez pas entendus, sur une ligne voisine. Jean-François Mattei l'a dit le 9 octobre : « Certaines situations dramatiques rencontrées par les couples homosexuels, mais aussi par les couples non mariés, sont apparues insupportables au cours des vingt dernières années. Ce sont notamment les conséquences liées au décès de l'un des membres du couple qui ont alimenté les campagnes de revendication d'un statut pour les homosexuels : exclusion du logement commun, dépossession de tout pouvoir de décision lors des funérailles. »

J'ajoute que le rapporteur, Jean-Pierre Michel ne s'y est pas trompé, qui a délivré au préopinant un certificat qui, somme toute, lui convient. Il a reconnu que M. Mattei avait tenu un discours assez modéré, et Mme la ministre a ajouté : « M. Mattei a dit que, vis-à-vis des homosexuels, il fallait faire preuve de tolérance. Tout en


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félicitant M. Mattei de la tolérance dont il fait preuve vis-à-vis des homosexuels, je lui dirai néanmoins qu'il serait dans la logique de ses propos d'aller un peu plus loin. » Nous irons ensemble, madame la ministre.

Christine Boutin a récemment tenu des propos que nous avons tous en mémoire...

M. Alain Barrau.

Malheureusement ! Et c'était la porteparole de l'Alliance !

M. Jean-Claude Lenoir.

... et qui vont dans le même sens.

Je ne reprendrai pas toute son intervention (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) ,...

M. Albert Facon.

C'était tellement mieux !

M. Jean-Claude Lenoir.

... me contentant d'en citer un extrait : « Mais il ne faut pas méconnaître les difficultés qui sont à l'origine de la demande du PACS. Ces difficultés, c'est d'abord l'éviction par la famille du compagnon homosexuel, qui se voit refuser le droit de visite et d'information à l'hôpital et, après le décès, le droit des uccession. C'est ensuite l'expulsion du logement commun par la famille ou le bailleur au décès d'un compagnon. C'est encore l'exclusion de certains avantages du droit du travail et de l'affiliation à la sécurité sociale avant un an de cohabitation. C'est, enfin, l'impossibilité de rédiger une déclaration commune de revenus, le refus de la reconnaissance du statut de soutien de famille pour le compagnon d'un malade du sida appelé sous les drapeaux, l'absence de statut du compagnon ou de la compagne étranger, qui ne peut bénéficier du regroupement familial. »

Ce simple rappel, chers collègues de la majorité, vous dispense de bien des quolibets à l'adresse de ma collègue Christine Boutin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

U n peu plus loin, Christine Boutin, ajoutait :

« En 1980, une réforme a porté le taux d'imposition à 60 %, rendant la tontine inattractive, et je reconnais que le droit successoral n'est pas satisfaisant pour les couples homosexuels. »

Finalement, on a presque le sentiment que tout le monde est d'accord sur le fond et, d'ailleurs, Mme la garde des sceaux l'a elle-même dit.

Pourquoi ne pas s'engager dans cette voie, puisque que nous sommes d'accord sur le fond ? A ce point de mon introduction, je ne peux passer sous silence, de façon à éviter que d'autres posent des questions auxquelles nous ne serions pas en mesure de répondre, les prises de position du président de Démocratie libérale, Alain Madelin. Etant donné que beaucoup n'ont pas lu ces déclarations, je crois utile de rappeler les extraits d'une interview qu'il a donnée il y a quelques jours au Nouvel Observateur : « Mais je n'ai, pour ma part, jamais réduit le libéralisme à l'économie. Au contraire, le libéralisme, c'est pour moi avant tout une pensée philosophique, juridique et politique qui tire les conséquences de la primauté donnée à la personne, à sa liberté et à sa responsabilité. C'est en cela que le libéralisme est d'abord un humanisme. »

M. Bernard Roman.

C'est la liberté du renard dans le poulailler !

M. Jean-Claude Lenoir.

Répondant à une question précise sur le PACS, il indique : « Là encore, je voudrais que l'on cesse d'aborder ce débat de façon caricaturale : d'un côté, il y aurait les conservateurs ringards, et de l'autre les novateurs progressistes. » Je note d'ailleurs que vous met-

tez Alain Madelin dans ce dernier camp.

Il poursuit : « Le débat démocratique mérite mieux que cette dichotomie simpliste. Pour les libéraux, chacun a la liberté et la responsabilité de poursuivre son propre bonheur, conseillé par son propre jugement. Tant que l'exercice de cette liberté se fait dans la sphère privée et ne porte pas atteinte à autrui, le caractère moral ou immoral de l'exercice de cette liberté relève de l'éthique privée et non de la philosophie politique.

« La crainte de beaucoup, et notamment de mes amis de Démocratie libérale, c'est de faire du PACS une sorte de consécration de situations qui, sur le principe, ne relèvent que de la sphère privée. Et cette crainte est d'autant plus forte que le PACS a été présenté par certaines associations et par le rapporteur du projet lui-même comme une démarche en vue d'instituer "le droit au mariage des couples homosexuels". A cet extrémisme en correspond un autre, qui ne voit ni plus ni moins dans ce projet que "la destruction de notre civilisation". »

M. Alain Barrau.

C'est Mme Boutin !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il ajoute : « Les députés de Démocratie libérale expriment deux craintes. La première, c'est que le PACS fasse concurrence au mariage en offrant, au-delà des réponses apportées aux problèmes rencontrés par les couples gays, un "statut" aux situations de concubinage. Je ne partage pas cette crainte, car le concubinage est une réalité sociale. La seconde crainte, j'y reviens, c'est que le PACS devienne une sorte de consécration d'un mariage homosexuel qui n'oserait pas dire son nom. »

Il conclut : « Dès lors que tout le monde est d'accord pour faciliter la vie des couples qui ont un projet de vie commune, y compris les couples homosexuels, cela implique nécessairement une forme de déclaration ou de constat d'une situation ou d'un contrat de vie commune.

C'est cette déclaration ou ce constat qui est absolument nécessaire pour entraîner un certain nombre d'effets juridiques. » Mais Alain Madelin pose la question de fond

:

« Comment faire pour que cette déclaration, ce constat ou ce contrat n'apparaisse pas comme une consécration d'un mode de vie ? C'est la seule vraie question. »

J'ai cru comprendre que certains de mes collègues de la majorité s'étonnaient qu'Alain Madelin ne fût pas là luimême pour lire ses propres propos. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, si, le 9 octobre, vous aviez été en nombre suffisant, répondant à une forte incitation à soutenir ce texte, nous ne serions pas là aujourd'hui et je ne serais pas à la tribune. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odile Saugues.

Pas de leçons de morale !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

C'est un regret ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Enfin, après avoir rappelé que les procès en « ringardise » trouvaient leur réponse y compris dans une presse qui n'est pas qualifiée de droite,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

je voudrais souligner que, lorsqu'il s'est agi de légiférer sur la contraception, sur l'interruption volontaire de grossesse, sur l'abaissement du droit de vote à dix-huit ans, les gouvernements de l'époque et les majorités qui les soutenaient le disaient clairement. Ils n'avançaient pas avec un faux nez, comme vous faites aujourd'hui en présentant ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Odile Saugues.

Et vous, vous êtes des faux culs !

M. Jean-Claude Lenoir.

La deuxième partie de mon introduction porte sur la démarche que j'entends suivre dans mon intervention. J'ai opposé la question préalable.

Ce n'est pas, c'est l'évidence, l'exception d'irrecevabilité.

Ce n'est pas non plus, c'est aussi l'évidence, une motion de renvoi en commission.

La question préalable a une signification dans notre règlement : si elle est adoptée, cela signifie qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

Je m'en tiendrai strictement à mon sujet. (« Enfin ! » sur les bancs du groupe socialiste), c'est-à-dire aux questions que nous devons nous poser avant d'entamer l'examen de ce texte. Il s'agit en l'occurrence de nous demander s'il y a lieu de l'examiner.

Pour recadrer ce débat, après avoir décrit le contexte dans lequel il se déroule depuis quelques jours, et pour faire en sorte qu'il ne sombre pas à nouveau dans l'ornière d'où j'ai essayé de l'extraire, je m'en tiendrai à une règle de conduite relativement simple. Je m'appuierai sur les faits, qui se sont parfois montrés têtus. Par ailleurs, je laisserai s'exprimer d'autres voix que celles de l'opposition, en donnant la parole à des universitaires, des sociologues, des juristes, des philosophes, des représentants des différents courants de pensée, des journalistes, toutes tendances confondues, mais aussi, à l'occasion, à des représentants de la majorité.

Bref, j'essaierai de donner la parole à tous ceux qu'on n'a pas beaucoup écoutés ni beaucoup entendus jusqu'à présent. J'agirai avec un objectif que j'exprime avec la plus grande sincérité : je n'ai pas l'intention d'enterrer le débat, je n'ai pas non plus l'intention de le faire durer par plaisir (Exclamations sur les mêmes bancs) ou par calcul politique.

J'ai entendu, au cours des derniers jours et des dernières semaines,...

M. Serge Janquin.

C'est un discours rempli de vide !

M. Jean-Claude Lenoir.

... que l'on accusait l'opposition, et qu'aujourd'hui l'on m'accusait (« Oh ! » sur les mêmes bancs) - employons un gros mot -, de faire de l'obstruction.

J'ai une certaine mémoire de la vie parlementaire, même si je n'ai été élu qu'en 1993, pour l'avoir fréquent ée pendant longtemps, très longtemps même. J'ai consulté, pour la rafraîchir, un document de bibliothèque qui traite du sujet pour lequel vous avez utilisé un gros mot, « l'obstruction ».

(Sourires.)

C'est un livre de droit, pas un livre politique, pas un livre polémique.

D'après cet ouvrage, l'obstruction est apparue en 1980, à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, lors de la discussion du projet de loi tendant à renforcer la liberté et la sécurité des personnes.

M. Robert Pandraud.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

Le phénomène a ensuite connu des développements importants lors de la septième législature - nous étions dans l'opposition - de 1981 à 1986, puis surtout lors de la période de cohabitation, des élections législatives de 1986 à l'élection présidentielle de 1988. Depuis cette date - c'est-à-dire pendant la période où la gauche était majoritaire - il n'a connu qu'une application véritable, à l'occasion de la discussion du statut de la Régie nationale des usines Renault.

M. Georges Hage.

Oui ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Voilà un rappel historique que je souhaitais faire sur la question de l'obstruction.

Mme Christine Boutin.

Remarque très intéressante.

M. Jean-Claude Lenoir.

Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir de la majorité.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Christophe Caresche.

Vous faites de l'obstruction, c'est bien de le reconnaître.

M. Jean-Claude Lenoir.

Mon objectif, au contraire, sera de faire en sorte que ce débat soit enfin ouvert, qu'on puisse aller au fond des choses, poser les enjeux et dire clairement ce que l'on veut, mais aussi, le cas échéant, ce dont on ne veut pas.

Je m'adresse au Gouvernement, et je le redirai tout à l'heure au ministre chargé des relations avec le Parlement, il y a tout de même quelque chose d'assez extraordinaire dans le fait que tant de parlementaires soient réunis un samedi matin sur un tel texte alors que le Gouvernement en a tant à soumettre à l'Assemblée nationale.

J'ai entre les mains la lettre que M. Vaillant a adressée au début du mois d'octobre de cette année aux présidents des groupes, de la majorité comme de l'opposition, pour énumérer tous les textes qu'il fallait envisager de discuter au cours des prochains mois.

Je voudrais simplement, mes chers collègues, vous poser une question : n'aurez-vous pas tout à l'heure le sentiment que nous aurions pu utiliser ce samedi et demain dimanche à d'autres textes désignés comme plus importants, plus urgents...

M. Rudy Salles.

Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir.

... qu'un texte sur lequel le travail reste à faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.) Quels sont les textes attendus ? Je ne citerai que les textes annoncés en première lecture : Première lecture du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage ; Première lecture du projet de loi constitutionnel portant révision de l'article 88-2 de la Constitution ;

M. Alain Barrau.

Très bien.

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi constitutionnel relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes ;

M. Alain Barrau.

Très bien.

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi relatif à la présomption d'innocence, aux droits des victimes et portant réforme de la procédure pénale.

M. Alain Barrau.

Très bien.

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi relatif à la sécurité routière ;


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Première lecture du projet de loi relatif à l'audiovisuel public ;

M. Alain Barrau.

Quel programme !

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie ;

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi d'orientation relatif à l'aménagement durable du territoire ; Première lecture du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité annoncée, entre nous soit dit, pour le mois de février, quand on sait que la loi doit être votée par les deux assemblées et promulguée au Journal officiel avant le 19 février ; Première lecture du projet de loi instaurant la couverture maladie universelle ;

M. Pierre Lellouche.

Ils s'en moquent de tout ça !

M. Jean-Claude Lenoir.

Première lecture du projet de loi relatif aux relations entre les citoyens et l'administration ; Première lecture du projet de loi relatif à l'intercommunalité.

M. Alain Barrau.

Alors, allez vite y travailler !

Mme Nicole Bricq.

Voilà une assemblée qui travaille au moins !

M. Jean-Claude Lenoir.

Alors, mes chers collègues, répondez-moi sérieusement : n'avez-vous pas le sentiment, puisque nous devions de toute façon passer ce week-end à Paris, que nous aurions pu nous saisir de l'un de ces textes, plus attendus et par vous et par les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Afin d'éclairer ceux qui m'écoutent sur la conduite de mon argumentation...

Mme Nicole Bricq.

Argumentation est un grand mot !

M. Jean-Claude Lenoir.

... je vous dirai dès à présent que je ne poserai pas une question préalable.

Mme Nicole Bricq.

Mais deux !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ai décidé - j'aurais pu en poser beaucoup - de n'en poser que quatre. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) P remière question préalable : les conditions dans lesquelles ce texte a été élaboré et s'apprête à être discuté sont-elles satisfaisantes ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Schreiner.

Pas du tout !

M. Jean-Claude Lenoir.

Deuxième question préalable : y-a-t-il opportunité de délibérer du texte qui nous a été présenté ? (« Oui ! » sur les mêmes bancs.)

Troisième question préalable : ce texte est-il amendable ? (« Non ! » sur les mêmes bancs. - Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Franck Borotra.

Ils sont pour la suppression du Parlement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Là, je vois qu'ils ont hésité avant de répondre.

Quatrième question préalable : l'adoption de la question préalable ne va-t-elle pas arranger tout le monde ? (« Si ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance. - « Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Les réponses à ces quatre questions seront apportées par l'orateur mais je note que vous avez mis plus ou moins de temps à répondre. (Sourires.)

M. Alain Barrau.

Pour la troisième question seulement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Abordons, si vous le voulez bien, la première de ces questions préalables. (Sourires.)

Je veux ici préciser, en préambule, qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de forme, c'est également une question de fond. J'ai rappelé tout à l'heure la référence que constitue le débat sur la bioéthique qui, du point de vue de l'enjeu actuel, présentait de réelles analogies avec notre sujet. A l'époque, ce débat avait suscité des prises de position souvent passionnées mais il s'était déroulé dans un climat de grande dignité. Surtout, les vraies questions avaient pu être posées et chacun avait pu y répondre, en toute connaissance de cause, en tenant compte de ses convictions intimes.

Or, dans le cas présent, la question de savoir si les conditions dans lesquelles la proposition du PACS a été élaborée et s'apprête à être discutée sont satisfaisantes , mérite d'être posée pour au moins trois raisons.

La première, les travaux préparatoires ont-ils été suffisants ?

M. Bernard Schreiner.

Non !

M. Jean-Claude Lenoir.

La deuxième, le travail parlementaire s'est-il déroulé de façon satisfaisante ?

M. Bernard Schreiner.

Non !

M. Jean-Claude Lenoir.

La troisième, les conditions dans lesquelles nous sommes amenés aujourd'hui à débattre à nouveau du PACS sont-elles acceptables ?

M. Charles de Courson.

Oh que non !

M. Jean-Claude Lenoir.

A la première question, Mme la présidente de la commission des lois répond : « Oui, bien sûr, les travaux préparatoires ont été suffisants ».

« La proposition de loi qui nous est soumise n'est pas un projet de loi déguisé. Elle n'est pas davantage une initiative hâtive et mal préparée.[...] Nous examinons un texte mûrement réfléchi. » L'opposition, madame la pré-

sidente, n'en soyez pas surprise, affirme le contraire.

Bien sûr, on peut toujours dire que son rôle est de crier au loup. Soit, si vous concevez ainsi notre rôle.

Mais, en l'espèce, l'opposition n'est pas la seule à exprimer cette opinion.

En effet, qu'a-t-on entendu et lu sur ce sujet depuis le début du débat ? Précisément, qu'il n'a pas fait l'objet de consultations préalables, les témoignages recueillis le confirment d'une façon que je qualifierai d'accablante.

Je rappelle à la majorité que Mme la ministre de la justice, garde des sceaux, a sollicité Irène Théry pour qu'elle présente au Gouvernement un rapport sur l'évolution du droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Que lit-on dans ce rapport commandé par le Gouvernement ? Que le débat sur le PACS n'a pas eu


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lieu. Et l'hebdomadaire Le Point pose la question :

« N'est-il pas étonnant qu'Irène Théry, par exemple, las eule sociologue ayant travaillé, mandatée par le Gouvernement, sur le concubinage, le partenariat civil, le mariage et l'homosexualité, n'ait été depuis plusieurs mois ni consultée par la chancellerie ni entendue par la commission des lois ? » La Fondation pour l'enfance qui, depuis sa création il y a une vingtaine d'années, s'attache à susciter, promouvoir et conseiller des actions en faveur des enfants en d anger et des familles en difficultés, a entendu Mme Théry qui s'interroge sur ce que serait la situation des enfants dont les parents auront conclu un PACS.

Pour cette raison, il lui semblait indispensable que, avant l'examen d'un texte, toutes les réflexions nécessaires soient entreprises et que les institutions ou groupements associatifs qui défendent les enfants soient consultés.

On me répondra qu'il y a eu des consultations. Permettez-moi de vous dire qu'elles ont été singulièrement sélectives.

M. Franck Borotra.

Limitées !

M. Jean-Claude Lenoir.

Parmi ceux qui n'ont pas été consultés et qui, je l'ai rappelé tout à l'heure, avaient sur ce sujet des propos modérés, le Conseil permanent de la conférence des Evêques de France a déclaré : « Qu'on le veuille ou non, ce projet détermine en partie l'avenir de notre société. Il est regrettable et inquiétant qu'il n'ait pas été précédé d'une réflexion suffisamment approfondie auprès d'experts et d'une consultation sérieuse de toutes les familles de pensée. Réflexions et consultations auraient permis, sans que l'on ait à légiférer, d'envisager des mesures pratiques tout en fixant des limites à des revendications impossibles à satisfaire. »

La Fédération protestante de France ne dit pas le contraire. Elle affiche son désappointement de voir les religions tenues à l'écart ou priées de se taire. Le pasteur Jean Tartier relève, à propos du PACS, « un grave déficit démocratique ».

D'après le rapport parlementaire de Jean-Pierre Michel, aucun évêque, aucun pasteur, aucun rabbin, aucun mufti n'a été consulté...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Heureusement !

M. Jean-Claude Lenoir.

... alors que pas moins de sept associations pour les homosexuels ont été auditionnées, bien sûr par les seuls rapporteurs.

Mme Catherine Tasca et M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis.

Les associations familiales aussi ont été reçues !

M. Jean-Claude Lenoir.

Mme la présidente de la commission des lois apporte d'ailleurs une précision sur la méthode de travail qui a été employée, une méthode un peu intime :...

M. Charles Miossec.

Clandestine même !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Depuis le début de la législature, comme Lionel Jospin et la majorité actuelle en avaient pris l'engagement - nous en reparlerons tout à l'heure -, nous avons commencé à travailler sur des propositions, qui avaient été déposées pour la première fois en 1992. Dès décembre 1997, j'ai demandé à M. JeanPierre Michel et M. Patrick Bloche d'engager un travail approfondi pour rapprocher les propositions. Grâce à leur excellent travail, j'ai pu adresser un nouveau texte à tous les groupes de notre assemblée avant l'été. Le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, a alors demandé l'inscription de ce texte à notre ordre du jour. La commission des lois l'a examiné le 23 septembre. C'est dire, ajoute Mme Tasca, combien il est difficile de prétendre que nous avons travaillé dans la précipitation. »

Quant à Jean-Pierre Michel, il indique : « Nous avons procédé à de nombreuses auditions et nous avons travaillé en étroite collaboration avec le Gouvernement, notamment le ministère de la justice. Je remercie tout particulièrement Elisabeth Guigou pour son engagement politique ancien et constant à nos côtés sur ce sujet. »

A l'évidence, mes chers collègues, vous qui avez travaillé à quelques-uns, vous n'avez pas souhaité prendre en compte les avis qui dérangeaient.

C'est ainsi que mon collègue Bernard Accoyer a pu dire en commission que la totalité des autorités religieuses et de nombreuses autorités philosophiques et scientifiques incontestables se sont opposées à la proposition de loi et près de 20 000 maires, consultés par pétition, ont d'ores et déjà refusé l'enregistrement des PACS dans les mairies, qui était prévu initialement.

Irène Théry vous a remis le rapport que vous lui avez demandé, madame la ministre de la justice, garde des sceaux. J'imagine qu'elle n'eût pas été étonnée d'être in vitée à donner son avis devant la commission ou, à défaut, devant les quelques personnes qui ont travaillé sur ce texte.

M. Pierre Lellouche.

C'était un avis important !

M. Jean-Claude Lenoir.

C'est vous qui l'avez choisie, ce n'est pas nous. Que dit-elle : « La plupart de ces objections ont été faites depuis longtemps aux promoteurs du CUS. S'ils n'ont pas voulu les entendre, c'est qu'une autre passion les animait, plus forte. »

M. Pierre Lellouche.

Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir.

Ajoutons que le ministère de la justice a commandé des rapports, mais n'a jamais cherché à effectuer de synthèse.

Enfin, point plus important et que je qualifierai de plus grave, le Conseil d'Etat n'a pas été saisi pour avis.

M. Bernard Roman.

C'est une proposition de loi !

M. Jean-Claude Lenoir.

Certains regrettent d'ailleurs que, sur un texte d'une telle importance, le Gouvernement n'ait pas plutôt choisi la solution d'un projet de loi, ce qui eût rendu automatique la consultation du Conseil d'Etat.

Mais on a trouvé à cet argument une réponse en forme de parade. Le Gouvernement a déclaré que c'était un moyen de revaloriser le rôle du Parlement.

M. Bernard Roman.

C'est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir.

Madame, messieurs les représentants du Gouvernement, si vous voulez vraiment revaloriser le Parlement, offrez-lui la possibilité d'inscrire à l'ordre du jour prioritaire des textes émanant ou de vos bancs ou des nôtres qui correspondent à l'attente des citoyens français et dont l'urgence nous paraît, aujourd'hui, plus grande que celle qui s'attache à ce texte.

M. Bernard Roman.

Et vous, offrez-lui un autre spectacle !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il faut dire que, sur cette question, le Premier ministre n'a pas exprimé dès l'origine son sentiment avec la plus grande clarté. Je lis, dans un article paru dans La Vie : « Lionel Jospin a tardé à s'engager sur le PACS, sans lever l'ambiguïté originelle : s'il est aussi convaincu qu'il le dit de l'importance de ce texte, pourquoi ne reprend-il pas en projet de loi cette proposition de loi ? Il y aurait trouvé plus d'un avantage : d'abord, celui de faire passer à la sagacité du Conseil d'Etat un texte où bien des juristes, sans se prononcer sur le fond, voient des motifs de contestation. »


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Bref, il résulte de tout ce que je viens d'indiquer que la proposition de loi a été élaborée au sein d'un cercle très fermé, dans une grande précipitation, quoique vous en ayez dit, et avec une réelle obstination. Les critiques concernant la méthode que vous avez choisi d'employer n'ont d'ailleurs pas manqué. Dans un entretien que Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, a en mémoire puisqu'elle y a participé, Evelyne Sullerot s'exprimait ainsi devant les journalistes de Libération : « Pourquoi vous êtes-vous laissé imposer ce projet dans la hâte et la confusion ? La pression du lobby homosexuel a-t-elle été si forte qu'elle n'a pas permis au Gouvernement d'engager les études préalables nécessaires ? Vous auriez pu joindre le projet du PACS au programme confié à la commission Dekeuwer-Defossez, que vous avez, fin août, chargée de moderniser le droit de la famille. Cela n'aurait retardé que de quelques mois une proposition qui n'a fait l'objet d'aucune étude sérieuse, ni sur ses fondements juridiques, ni sur ses conséquences sociales, fiscales et économiques. »

M. Pierre Lellouche et M. Franck Borotra.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il faut croire que Mme Sullerot n'a pas obtenu de vous, madame la garde des sceaux, la réponse qu'elle attendait, puisque, quelques instants plus tard, elle vous disait : « Mais vous ne m'avez pas répondu sur le point essentiel de ma question, à savoir pourquoi aucune étude juridique n'a été engagée sur le texte luimême et sur ses conséquences ? Elle s'avérait pourtant nécessaire puisque le PACS modifie le code civil. J'avoue que je n'ai toujours pas compris pourquoi tant de hâte. »

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Six ans !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ai extrait des journaux qui sont parus après le 9 octobre certaines déclarations de représentants de la majorité. Cela dit, dans un esprit de bonne camaraderie que chacun appréciera, je ne m'étendrai pas trop sur ce point. Je citerai néanmoins les propos d'un député de la Dordogne. Tous les députés de la Dordogne étant de la majorité, on ne pourra pas accuser un membre de l'opposition de les avoir tenus : « J'estime que la proposition de loi sur le PACS a été présentée avec trop de précipitation. Elle aurait mérité un débat plus approfondi. »

S'il me reste un peu de temps au terme de mon intervention (Sourires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), je n'hésiterai pas à citer d'autres déclarations - une bonne cinquantaine -, qui montrent que les députés de la majorité partagent largement les convictions que j'exprime (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lenoir.

... pour ce qui est des conditions dans lesquelles l'Assemblée nationale a travaillé.

A l'évidence, ce texte a été élaboré sans grande concertation et avec beaucoup d'amateurisme. Or, le travail parlementaire et la procédure propre à notre assemblée auraient certainement permis une réflexion plus approfondie et un meilleur travail. Qu'en a-t-il été ? J'en arrive au deuxième point de la première question préalable.

Le travail parlementaire s'est-il déroulé de manière satisfaisante ? Malheureusement, cela n'a pas été le cas.

Certes, Jean-Pierre Michel, avec beaucoup d'optimisme, s'est réjoui publiquement et bruyamment des améliorations apportées au texte. Je parle ici du PACS I, celui qui était discuté le 9 octobre. Jean-Pierre Michel a dit en effet : « Le mois de septembre a été consacré à de nombreuses auditions qui ont conduit les rapporteurs à améliorer ce texte qui, ainsi modifié, a été examiné par votre commission, le 23 septembre dernier, et doit l'être par la commission des affaires culturelles, saisie pour avis. »

Mais les commissaires n'ont pas été exactement de cet avis et, pour beaucoup, ont regretté les conditions dans lesquelles ils ont dû travailler. Mon excellent collègue Henri Plagnol a regretté qu'un texte de cette importances oit examiné dans la précipitation, sans auditions publiques, estimant que les auteurs de la proposition de loi auraient dû prendre pour modèle le débat sur la bioéthique.

Christine Boutin déclarait mardi dernier que ce débat

« aurait mérité la constitution d'une commission ad hoc , un travail au fond étalé sur plusieurs mois pour examiner en profondeur l'ensemble des problèmes. Je n'ai pas souvenir, depuis douze ans,... » - mais Christine Boutin est

jeune - « ... qu'aucune audition n'ait été possible en commission. La commission des finances n'a été saisie pour avis que dans des conditions qui empêchent évidemment de réaliser un travail au fond. » Le Conseil constitu-

tionnel aura d'ailleurs sans doute des observations à faire sur ce point le moment venu.

M. Pierre Bourguignon.

Ce que vous dites n'est pas juste !

M. Jean-Claude Lenoir.

Au terme d'un débat qui a été organisé à la sauvette, le texte a finalement été adopté par la commission des lois sans aucune modification. Trentedeux amendements ont été déposés, soit par l'opposition, soit par la majorité plurielle. Ils ont tous été rejetés.

Mme Véronique Neiertz.

C'est totalement faux !

M. Jean-Claude Lenoir.

C'est donc ce texte adopté par la commission qui a été discuté dans cet hémicycle le 9 octobre dernier.

Au fond, qu'avez-vous fait lorsque vous avez décidé d'inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour complémentaire du vendredi ? Si je cherchais un raccourci, je dirais que vous avez mis le PACS à la niche ! Ce texte aurait pourtant mérité une inscription à l'ordre du jour prioritaire. D'abord, et ce qui s'est passé le 9 octobre le démontre, il est imprudent d'inscrire un texte auquel on attache de l'importance un vendredi qui est, comme chacun le sait, la veille d'un samedi et l'avant-veille d'un dimanche.

(« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Georges Hage.

Il pleut des vérités premières ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Vous protestez aujourd'hui, mais je n'ai pas entendu, dans les jours qui précédaient le 9 octobre, un membre de la majorité se lever et dire qu'il n'était pas admissible que le Gouvernement eût inscrit ce texte un vendredi. Vous admettiez très bien qu'il soit discuté un tel jour, en comptant bien sur votre voisin pour accomplir le devoir qui vous était demandé !

M. Marc Laffineur.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

L'opposition, quant à elle, s'est émue des conditions dans lesquelles ce texte venait en discussion et c'est mon excellent collègue Pierre Lellouche qui le disait le 9 octobre : « Que l'on soit pour ou contre le PACS, tout le monde reconnaît que c'est un texte


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fondamental pour notre société. Il est dommage de devoir l'examiner à toute vitesse, entre la loi d'orientation agricole et le vote du budget. »

Philippe Séguin, l'ancien président de notre assemblée,...

M. Jacques Fleury.

Il n'est plus là !

M. Jean-Claude Lenoir.

... a lui-même noté : « La niche parlementaire n'est faite en aucun cas pour des textes aussi importants. Je ne comprends pas du tout l'attitude du Gouvernement parce que, de toutes les façons, les inconvénients, il les assumera, alors qu'il voulait dégager sa responsabilité. »

Je dirai un mot de ce « vendredi noir », cette journée du 9 octobre. Certains osent à peine réagir, suggérant que je n'en parle pas trop. Au fond, que s'est-il passé, ce jourlà ?

M. Pierre Lellouche.

Ils ne sont pas venus !

M. Jean-Claude Lenoir.

Etait-ce un simple accident arithmétique ? Je ne le crois pas. Les journaux ont raconté des choses assez délicieuses sur ce qui s'est passé, sur l'émotion qui a gagné d'abord les rangs de la majorité, devenue minoritaire, puis le Gouvernement et qui, en cascade, est venue atteindre les collaborateurs.

M. le président.

Monsieur Lenoir, cela n'a pas grandchose à voir avec la question préalable ! Je suggère donc que vous reveniez au propos principal.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Rochebloin et M. Franc Borotra.

Pas de censure !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je n'ai aucune raison de vous être désagréable. Je serai donc très bref sur ce point. Je voulais simplement vous faire observer que, devant les turbulences de la majorité et les difficultés auxquelles vous étiez confrontés, les députés de l'opposition ont fait preuve de beaucoup de retenue.

C'est une chose dont vous pouvez les créditer.

Mme Nicole Bricq.

Cela n'a rien à voir avec l'objet de la discussion !

M. Jean-Claude Lenoir.

Ces difficultés touchaient en effet des collègues avec lesquels nous entretenons de bonne relations et nous comprenions bien ce qui pouvait se passer chez vous. Pour avoir travaillé dans un groupe parlementaire ici et avoir appartenu à des cabinets ministériels, je veux exprimer ma totale solidarité avec ceux qui, au final, ont dû subir les foudres les plus agressives de ceux qui n'avaient pas pris leurs précautions.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

Conformément à votre souhait, monsieur le président, j'en arrive à la troisième raison...

M. Franck Borotra.

Déjà !

M. Jean-Claude Lenoir.

... qui me fait souhaiter que vous adoptiez la première de mes questions préalables.

Les conditions dans lesquelles nous sommes aujourd'hui amenés à débattre à nouveau du PACS sont-elles acceptables ? Il y a incontestablement une violation des textes et un détournement de procédure. J'y reviens brièvement parce que j'ai entendu Mme la Présidente de la commission des lois soutenir, il a quelques jours, une thèse qui ne manque pas de fondement, et je ne voudrais pas la laisser en l'état. Mme Tasca disait, en effet, à propos de l'intervention de Jean-François Mattei du 9 octobre :

« C'était une exception d'irrecevabilité, mais M. Mattei n'a pas utilisé beaucoup de moyens de droit pour la soutenir. » Sur ce point, - nous l'avons compris, mais vous

aussi - Christine Boutin s'est chargée de faire le nécessaire, et pour peu qu'il y ait un malentendu sur le sens que nous entendons donner aux mots, permettez-moi de rajouter quelques mots.

Vous le savez, car cela a été répété à plusieurs reprises , notre règlement intérieur prévoit, dans son article 84, alinéa 3 que : « Les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an. » Or,

le PACS I a à peine eu le temps de quitter la scène, qu'on nous propose « PACS II, le retour » !

M. Pierre Lellouche.

Le Titanic !

M. Jean-Claude Lenoir.

D'ailleurs, dès le 9 octobre, Jean-Marc Ayrault nous avait prévenus. Chacun savait à quoi s'en tenir. A un moment, on nous a parlé d'un retour rapide. Les dates des 24 et 25 octobre ont été avancées par des membres de l'Assemblée nationale, mais n'ont pas été confirmées par le Gouvernement, qui a rappelé que c'était lui qui fixait l'ordre du jour prioritaire, et il avait raison.

Cela dit, j'en reviens au fond, il s'agit dans les deux cas du même texte, exception faite de la dispostion sur les fratries - j'en reparlerai - et de quelques changements qui correspondent en fait aux amendements proposés par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales dont tout laisse à penser qu'ils auraient été inclus dans le texte venant en discussion le 9 octobre. C'est, en effet, la proposition de loi modifiée par les amendements de la commission qu'il faut prendre en compte pour juger du détournement de procédure dont vous vous êtes rendus coupables.

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Très juste !

M. Jean-Claude Lenoir.

La commission des lois, quant à elle, a été saisie à la hussarde. Non seulement le « délai de viduité », si j'ose dire, n'a pas été respecté, mais comme il y avait urgence pour vous, la commission des lois a été sommée de produire un texte dans les délais les plus courts. Il faut d'ailleurs reconnaître qu'il y avait une certaine logique dans cette démarche. En effet, puisque la copie n'avait pas été modifiée, pourquoi perdre du temps en commission ? Cela dit, je le réaffirme solennellement : il y a violation pure et simple de notre règlement intérieur et détournement de procédure ! D'ailleurs, l'exposé des motifs du « nouveau » texte fait presque figure d'aveu.

Mme Christine Boutin.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je vous le rappelle : « Mesdames, messieurs, l'Assemblée nationale ayant adopté le 9 octobre dernier une exception d'irrecevabilité, le texte issu des travaux de la commission des lois relatif au pacte civil de solidarité a été rejeté. » Premier des trois para-

graphes de l'exposé des motifs pour dire une évidence ! Deuxième paragraphe : « Il n'est pas acceptable que plusieurs millions de nos concitoyens se trouvent ainsi privés d'un cadre légal nouveau leur offrant une sécurité juridique qu'ils appellent de leurs voeux. »

« C'est pourquoi, nous déposons une nouvelle proposition de loi, différente de celle adoptée par la commission des lois, mais également de nature à donner un statut à deux personnes ayant, quel que soit leur sexe, un projet commun de vie. » Derrière les textes, la clarté s'impose

!


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Les commissaires représentant l'opposition au sein de la commission considèrent à juste titre que cet exposé des motifs porte atteinte à la dignitié et à la souveraineté de l'Assemblée nationale, puisque cette dernière avait rejeté le texte quelques jours plus tôt.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir.

Ils dénoncent, et nous avec eux, le coup de force et le non-respect du règlement intérieur. Nous demandons que le texte soit purement et simplement rejeté, pour éviter qu'il ne soit soumis à d'autres censures.

Mme Christine Boutin.

Eh oui, ce serait très sage !

M. Jean-Claude Lenoir.

Renaud Dutreil, par exemple, en commission des lois, comparant cette procédure à celle par laquelle un tribunal reviendrait sur son jugement, estimait que la majorité exprimait son mépris des citoyens en souhaitant faire passer en force un texte incohérent.

Un autre de mes amis, Philippe Houillon, a lui aussi dénoncé la violation du règlement intérieur, en constatant qu'il y avait « détournement de procédure » et en ajoutant que « le président de l'Assemblée nationale avait été saisi de cette question ». Mme la présidente de la commission des lois a répondu qu'« en acceptant le dépôt des propositions de loi, le président de l'Assemblée nationale avait déjà tranché cette question ». Je pense, pour ma part, que cette question devra, dans un proche avenir, être à nouveau examinée.

C laude Goasguen, lui-même, a déclaré que les membres des groupes de l'opposition se retireraient de la séance de la commission afin de protester.

Que dit le journal Le Monde des conditions dans lesquelles la commission a examiné ce texte ? « En moins d'une heure, jeudi 22 octobre, la commission des affaires sociales a adopté la nouvelle proposition. Seuls les élus socialistes ont voté le texte, en présence de Denis Jacquat - DL - qui n'a pas pris part au vote. »

Il est dommage, je le dis solennellement, que l'on n'ait pas mis à profit le vote intervenu le 9 octobre pour se donner le temps de reprendre complètement ce projet.

Cette pratique eût été plus respectueuse de la lettre et, surtout, de l'esprit de notre règlement. Cela aurait pu être, en outre, l'occasion de laver le PACS des critiques qui ont été émises à son égard.

A défaut, et compte tenu des conditions dans lesquelles il a vu le jour, ce texte, très logiquement, est vivement critiqué, non seulement sur le fond, mais également sur la forme, à commencer - hélas pour vous ! - par les deux personnes qui avaient été officiellement consultées à ce sujet.

M. Hauser a été sollicité, certes par Jacques Toubon, alors garde des sceaux, mais son rapport a été remis au précédent gouvernement et a été consulté par vous-même, madame la ministre, et par tous ceux qui ont travaillé ce texte. On n'a pas pu le mettre dans un tiroir ! Que dit M. Hauser ?

« Mon sentiment est qu'à l'évidence cette question ne pouvait être réglée par une proposition de loi, mais qu'elle aurait dû l'être dans le cadre d'un projet gouvernemental. Le Gouvernement a cru qu'il pouvait se défausser de la responsabilité d'un projet fâcheux sur les parlementaires, et l'on a abouti à une proposition encore plus fâcheuse !

« Ensuite, il ne suffit pas d'avoir des convictions idéologiques pour faire de bonnes lois. »

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Certes !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Nous avons avec le PACS un exemple de ce que donne une proposition faite par des groupes de pression qui ne voient que leurs intérêts boutiquiers et n'ont ni la compétence ni la largeur de vue nécessaires pour fabriquer des lois dans des domaines compliqués. Tout cela est de l'amateurisme ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Vous préférez la République des experts !

M. Jean-Claude Lenoir.

Irène Théry, madame la ministre, c'est vous qui l'avez sollicitée, c'est vous qui lui avez demandé un rapport. Que dit-elle aujourd'hui de tout cela ? A la question : « Bref, ce PACS n'est ni fait ni à faire ? » Mme Théry répond : « Je ne dirais pas cela. Le projet actuel est tout de même meilleur que les précédents. »

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Ah !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Mais je ne crois pas que l'on ait intérêt, dans un Etat de droit, à faire des compromis sur le dos du droit. »

Et à la question : « Voteriez-vous ce projet si vous étiez d éputée ? » elle répond : « Je n'aurais pas voté le PACS

1. »

M. Pierre Forgues.

Il n'est pas discuté !

M. Jacques Floch.

Et Mme Théry ne vote pas la loi !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Elle n'est pas députée !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'entends, monsieur le président, que certains, dans la majorité, regrettent que

Mme Théry ne soit pas députée.

M. Pierre Forgues.

Oui ! Elle vous remplacerait avantageusement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je vais vous avouer que je fais partie également de ceux-là.

M. le président.

Cela dépend essentiellement des électeurs et de Mme Théry. Continuez votre propos !

M. Charles Miossec.

N'intervenez pas sur le contenu des propos, monsieur le président ! Présidez, c'est tout !

M. le président.

Je sais ce que je dois faire.

M. Jean-Claude Lenoir.

Au bout du compte, le projet, je l'ai démontré, souffre d'impréparation pour cause de précipitation. Il en porte les stigmates : approximations ; incertitudes ; questions importantes et posées, qui plus est, par toutes sortes de personnalités autorisées, notamment des juristes, restées sans réponse ; points laissés dans l'ombre, et enfin confusions. De mémoire de parlementaire, et certains pourraient s'exprimer à ma place, rarement des avis aussi unanimement négatifs, pour s'en tenir au seul plan technique du droit, auront été émis à l'encontre d'un projet de texte de loi, et cela contribue sans doute pour beaucoup à expliquer ce qui va suivre.

A la première question préalable consistant à savoir si les conditions dans lesquelles ce texte a été élaboré et s'apprête à être discuté sont satisfaisantes, la réponse est donc clairement non ! J'en arrive à la deuxième question préalable. Je l'ai dit tout à l'heure et vous vous en souvenez, son intitulé est le suivant : « Y a-t-il opportunité de délibérer du texte qui nous a été présenté ? »


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

La question préalable, je le rappelle, peut avoir pour objet - je cite Didier Maus dans son cours de droit parlementaire - de « décider qu'il n'y a pas lieu de décider ».

En l'occurrence, je vois deux raisons qui peuvent légitimement nous conduire à considérer qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur le texte qui nous est proposé. Premièrement, y a-t-il lieu de délibérer sur un texte qui a déjà été rejeté pour inconstitutionnalité ? Deuxièmement, y a-t-il lieu de délibérer sur un texte qui, finalement, ne répond pas aux objectifs en vue desquels il a été élaboré ? Première question : y a-t-il lieu de délibérer sur un texte qui a déjà été rejeté pour inconstitutionnalité ? JeanFrançois Mattei s'est exprimé à ce sujet, Christine Boutin également. Je passerai donc rapidement sur ce point.

Mais je voudrais m'attarder plus particulièrement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. René André.

Oui !

M. Charles Miossec.

Il faut qu'ils comprennent !

M. Jean-Claude Lenoir.

... enfin, aussi brièvement que possible, sur les deux principaux motifs de rejet qui ont été mis en évidence par Jean-François Mattei le 9 octobre dernier : d'une part, les modalités et les conséquences de la rupture du PACS ; d'autre part, le droit des enfants.

« Le PACS, disait Jean-François Mattei, ne remplit pas les conditions du préambule de la Constitution de 1946.

Ce préambule dispose en effet que la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur d éveloppement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant et à la mère, la protection de la santé, la sécurité matérielle.

« En ne prévoyant pas suffisamment les modalités et les conséquences de la rupture, en instituant la loi du plus fort au sein du code civil, le PACS, qui est aussi destiné à des couples hétérosexuels avec d'éventuels descendants, entretient la fragilité de la famille et des enfants. Il semble donc incompatible avec le préambule de 1946. »

C'était le 9 octobre. Que nous propose-t-on aujourd'hui ? Quasiment la même chose ! Il est vrai qu'en passant d'un texte à l'autre, on a ajouté un préavis de trois mois. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, cette disposition était déjà annoncée sous la forme d'un amendement que la commission avait décidé d'approuver pendant la discussion en séance publique.

Il est vrai également que la commission des lois a adopté un autre amendement qui prévoit que la décision de rupture, au lieu d'être notifiée par lettre recommandée, le serait désormais d'une autre façon : elle serait signifiée.

M. Jean-Claude Perez.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je me permets néanmoins de revenir au texte du rapport produit par la commission pour donner ainsi l'occasion à l'ensemble des parlementaires d'en prendre connaissance :

« Votre commission des lois approuve plusieurs amendements importants. A l'article 1er , un amendement du groupe communiste précise que le PACS peut concerner des couples hétérosexuels et homosexuels. Le PACS sera déclaré au greffe du tribunal d'instance et non à la préfecture - c'est un point important.

« La condition de résidence a été précisée. »

L'Assemblée, d'autre part, lors du récent débat budgétaire, a « relevé des abattements sur les droits de donation et de succession pour les conjoints ».

Enfin, « un amendement prévoit que les couples h omosexuels qui concluent un PACS se verront reconnaître la qualité d'ayants droit d'assuré social dans des conditions prévues par le code de sécurité sociale ».

Voilà les modifications, elles ne sont pas contestables.

Mais, au fond, qu'y a-t-il de changé ? On bute là sur une vraie difficulté. Jean-Pierre Michel l'a lui-même reconnu le 9 octobre dernier. A la question qu'il pose lui-même :

« Le PACS, qu'est-ce ? », il répond : « A cet égard, je veux répondre aux arguments que vous avez développés sur la rupture, car à mon avis ils étaient tout de même un peu excessifs.

« J'ai toujours dit que je parlerais franchement. » C'est

un point qui nous rapproche. « C'est vrai que la rupture nous a posé problème.

« Dans le PACS, l'accord de volonté, au départ, n'est chapeauté par personne. Et donc, à la sortie, il faut bien penser que le simple désaccord de volonté pourra défaire le PACS. Ce n'est pas pour cette raison qu'on ne va pas protéger la personne qui ne voudra pas se "dépacser". Il y a une jurisprudence à cet égard, fondée sur l'article 1382 du code civil : eh bien, cette personne obtiendra éventuellement un dédommagement. »

Derrière ces mots, il y a un autre mot que l'on ne veut pas prononcer, un mot qui dérange : le mot « répudiation ». Alors, pour essayer de cacher le débat, on s'empresse de faire valoir qu'à tout prendre, le PACS constitue un progrès par rapport à l'union libre. C'est Patrick Bloche qui s'exprime dans ce sens : « Je souhaiterais m'arrêter un instant sur les conséquences de la fin du pacte. Beaucoup d'appréciations, frisant parfois la caricature, ont été émises, comme l'évocation, qui n'est évidemment pas acceptable, de la répudiation. La protection du plus faible, qui n'est pas forcément la femme, n'est pas assurée actuellement dans le cadre de l'union libre, puisque la fin de la communauté de vie ne fait l'objet d'aucun formalisme et n'ouvre pas automatiquement droit à indemnisation. »

Peut-être, mais alors la question que je pose est la suivante : pourquoi aller se « pacser » ? En quoi le PACS constitue-t-il une avancée ? Le PACS, en réalité, risque d'être un marché de dupes. Il risque de donner l'illusion d'un statut protecteur. N'a-t-il pas faussement l'ambition d'offrir une sécurité juridique ? Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer à l'exposé des motifs de la proposition de loi : « Il n'est pas acceptable que plusieurs millions de nos concitoyens se trouvent ainsi privés d'un cadre légal nouveau, leur offrant une sécurité juridique qu'ils appellent de leurs voeux. »

Mon collègue et ami Jean-François Mattei l'a déclaré à cette tribune, dès le 9 octobre : « Il est exact qu'aujourd'hui, les concubins évoluent dans le non-droit, notamment en cas de séparation, et le juge a dû pallier les silences de la loi. Toutefois les couples en concubinage connaissent les risques de leur liberté et savent, parce que c'est ce qui fonde le refus de leur engagement, la précarité de leur union. Au contraire, le PACS donne l'illusion d'un statut protecteur qui garantit leurs droits. Il y a tromperie car il peut accroître, au contraire, les risques de précarité et d'inégalité. »

Un professeur de droit, Laurent Leveneur, considère que ce projet institutionnalise la répudiation et que l'Etat peut ainsi prêter son concours à la création de situations injustes. Le contrat - écrit-il - « aurait des effets patrimoniaux calqués sinon sur la totalité, du moins sur une large partie des effets du mariage. La profonde différence se t rouverait essentiellement dans les conditions de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

dissolution. Bref, le sous-mariage, ce sont les droits du mariage sans les contraintes, sans la procédure de divorce.

C'est l'institutionnalisation de la répudiation, de la libre rupture. Mais comment ne pas voir qu'ici comme ailleurs, "entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime" ?

« Sans doute, la situation est-elle identique en cas de concubinage. Mais les concubins ne sont pas passés devant le maire ; ils ne se sont pas juridiquement liés l'un à l'autre : ils savent que leur vie commune s'est établie en fait sans que l'Etat y prête son concours. Une chose est de constater qu'une situation de fait, aux conséquences éventuellement injustes, existe ; une autre est, pour l'Etat, de prêter son concours à la création de situations injustes, et partant, inévitablement, de les encourager. »

Et parce que le mot répudiation dérange, on s'est alors empressé de faire valoir qu'à défaut d'accord, c'est le juge qui sera amené à régler les conséquences de la rupture.

C'est le rapporteur, Patrick Bloche, qui le dit : « Puisque l'article 9 prévoit explicitement que le juge qui est celui du contrat interviendra, en cas de rupture unilatérale, pour régler les conséquences de celle-ci, sur la base de l'article 1382 du code civil, il pourra donc décider de dommages et intérêts, en cas de rupture abusive. »

Mme la présidente de la commission des lois confirme ce point de vue. Comme on se souvient de ses propos, je ne lui infligerai pas la lecture du Journal officiel

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Dommage !

M. Jean-Claude Lenoir.

Vous voyez que, de temps en temps, j'essaye de raccourcir.

Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, entre un peu plus dans le détail et précise même que le PACS pourrait éviter les contentieux. Je lis le compte rendu analytique de son discours :

« Dans le PACS, celui qui est abandonné bénéficiera d'une protection nouvelle : il sera avisé de la volonté de son partenaire de rompre le PACS, il pourra solliciter l'attribution préférentielle du bien indivis et négocier les conditions de la rupture. C'est donc une amélioration de la situation antérieure.

« De plus, si les deux personnes ne sont pas d'accord, elles saisiront le juge. C'est ce qu'elles font aujourd'hui, mais elles ne peuvent, je le redis, disposer de droits d'attribution préférentielle sur le logement et elles doivent produire les factures d'acquisition de la télévision ou de la machine à laver pour tenter de prouver qu'elles en sont propriétaires. Or n'est-il pas juste, quand les deux personnes se séparent, qu'elles soient propriétaires par moitié des meubles acquis ? Cette règle simple évitera des procès. »

Cet argument, madame la ministre, n'arrive pourtant pas à convaincre, parce que les seules dispositions prévues précisent que les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que la rupture du PACS entraîne à leur égard. Tous ceux qui ont connu de près ou de loin des ruptures sentimentales, mais aussi des ruptures de contrat de travail ou de sous-traitance, savent que rien n'est plus difficile que d'aboutir raisonnablement à un accord entre les deux parties déchirées. En vérité, en l'absence d'un tiers, ce ne sont pas les parties qui déterminent, mais le plus fort des deux.

Le texte n'indique pas quel juge est compétent dans le cas où il faudrait le saisir. Les auteurs du texte nous ont affirmé en commission que ce sera le juge des contrats qui pourra allouer des dommages et intérêts en cas der upture abusive. Mais quelle réalité cette notion recouvre-t-elle ? Quel préjudice pour une partie ? Là encore, comment l'apprécier, sans pour autant ouvrir le droit de pension alimentaire ? Bref, les responsabilités sont très limitées et le dispositif est nettement insuffisant.

Le juge quel qu'il soit ne pourra pas faire grand chose, si ce n'est gérer les conséquences sur les biens. En fonction de quoi d'ailleurs ? Du reste, Irène Théry a posé la question dans des termes tout à fait identiques et prévoit déjà des batailles procédurières qui, à l'évidence, feront le bonheur des avocats. A la question : « Mais le juge a pourtant son mot à dire ? », voici ce que répond Mme Théry, dont l'avis a été sollicité par vous-même : « Le juge ne sera saisi qu'après la rupture unilatérale. Il ne pourra pas faire grand-chose, sauf gérer les conséquences sur les biens. Mais en fonction de quoi va-t-il trancher ? On peut imaginer les batailles procédurières que cela va créer. »

Laurent Leveneur, que je citais tout à l'heure, fait d'ailleurs valoir que le projet est muet quant aux mesures prévues pour régler les conséquences de la rupture qui propose des solutions qui rapprochent du divorce et donc incidemment, et peut-être insidieusement, du mariage.

Que dit-il ? « On nous dit qu'à défaut d'accord des cocontractants, "le juge intervient pour prononcer les mesures équitables qu'il jugera utiles". Mais quelles mesures ? Les propositions de loi sont singulièrement discrètes à ce sujet. On pourrait aussi en venir à charger celui-ci d'une pension alimentaire ; et si la répudiation devait avoir des conséquences d'une exceptionnelle dureté pour l'un des contractants, voire pour les enfants, [...] on concevrait aussi qu'un tempérament d'équité conduise à donner au juge le pouvoir de refuser de prononcer la rupture du contrat. [...] De fil en aiguille, c'est ainsi tout le droit du divorce qu'on en viendrait à réintroduire, tant il est vrai qu'il n'y a pas à côté ou au-dessous du mariage de place pour une autre institution qui viserait à organiser d'une manière juste et digne de la République les rapports de l'homme et de la femme désireux d'unir leurs vies. »

Pour nous résumer à propos des conditions de rupture : soit on ne prévoit aucune mesure pour régler les conséquences de la rupture, mais alors on n'apporte pas grand-chose par rapport à l'union libre ; soit on en prévoit, et alors on copie le mariage, et tout cela nous mène à une impasse, ce n'est que la première.

Je voudrais, en effet, revenir brièvement au second motif de rejet qui avait été soutenu le 9 octobre par JeanFrançois Mattei et qui porte sur le droit des enfants.

M. Charles Miossec.

C'est un excellent sujet !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il disait : « Je ne conteste pas que la majorité de la majorité qui va voter ce texte » - peut-on changer le Journal officiel et remplacer ces mots par "qui pourrait éventuellement voter ce texte" - « soit opposée à l'adoption d'enfants par les couples homosexuels. [...] C'est pourquoi, quand bien même ce texte, en l'état, ne se réfère pas à l'enfant, il n'évite pas cette perspective. Il me semble donc contraire au préambule de 1946 ainsi qu'à la Convention des droits de l'enfant. »

Que nous propose-t-on aujourd'hui sur la forme ? Exactement la même chose malgré les mises en garde qui ont été exprimées. Quant au fond, au-delà des questions de forme, j'aurai l'occasion, bien entendu, d'y revenir dans quelques instants.

Deuxième question que je me posais dans la deuxième question préalable : y-a-t-il lieu de délibérer sur un texte qui, finalement, ne répond pas aux objectifs en vue


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

desquels il a été élaboré ? Cette question appelle de ma part une réponse en trois temps : quel était l'objectif recherché à l'origine ? Comment peut-on l'atteindre ? Cet objectif a-t-il été atteint ? Quel était l'objectif à l'origine ? Il s'agissait, c'est très clair, de prendre en compte les évolutions des modes de vie - l'union libre, le développement du sida - et d'adapter notre droit pour apporter une solution aux difficultés et parfois aux drames auxquels les couples non mariés étaient confrontés, qu'ils fussent hétérosexuels ou homosexuels.

Jean-Pierre Michel, avec franchise, et j'emploie ce mot sans arrière-pensée - c'est en effet l'un de ceux, au sein de la majorité plurielle, qui se sera exprimé avec la plus grande sincérité sans jamais cacher quels étaient les objectifs qu'il essayait d'atteindre - nous a dit le 9 octobre : « Certes, le texte qui vous est soumis est issu d'une revendication exprimée par les associations de lutte contre l e sida et les associations homosexuelles dans les années 1990, à une époque où cette maladie faisait plus de ravages qu'aujourd'hui. »

Mme la ministre a confirmé ce point de vue historique en déclarant : « Il y a les homosexuels et les épreuves auxquelles ils ont été confrontés en cas de rupture brutale par décès qui sont à l'origine d'une nouvelle approche de la question de l'union libre. » Mme Guigou poursuivait

un peu plus loin : « Si ces questions ont été posées par les homosexuels, bien plus nombreux encore sont les couples hétérosexuels qui ont souffert d'une séparation, d'une absence de dispositions leur conférant des droits, notamment pour le logement. » Enfin, elle ajoutait

: « Elle répond en effet à un véritable besoin social. »

Pour répondre à chacune des questions qui ont été posées par ceux dont je rappelais les propos, je répondrai d'une façon très claire et très ferme : non, il n'est pas normal, lorsqu'un membre d'un couple décède que l'autre ne puisse pas obtenir même un jour de congé.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

Non, il n'est pas normal qu'il doive quitter brutalement les lieux si le bail n'est pas à son nom. Non, il n'est pas normal qu'il ne puisse percevoir du défunt rien de plus que ce qu'un étranger pourrait obtenir. Oui, bien sûr, il faut remédier à cette situation. Nous sommes nombreux, très nombreux à être d'accord là-dessus. Je l'ai dit en préambule, la question qui se pose est de savoir comment nous pouvons nous y prendre pour résoudre ce problème.

M. Jean-Luc Warsmann.

Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Comment peut-on atteindre cet objectif ? Il faut tout d'abord rappeler ce que d'aucuns ont oublié, qu'il existe déjà des dispositifs pour résoudre les problèmes rencontrés par les personnes qui mènent une vie commune en dehors du mariage. Des aménagements ont d'ailleurs été apportés par le Parlement ou admis par la jurisprudence - les promoteurs du projet en conviennent d'ailleurs. Jean-Pierre Michel le disait : « Le concubinage s'est déjà imposé au législateur qui en a tiré des conséquences juridiques dans certains domaines, y compris, mais dans une moindre mesure, pour les couples homosexuels. »

Toutefois, il faut bien convenir que ces différentes dispositions ne répondent pas - ou très imparfaitement - à tous les besoins. En outre, elles ne s'appliquent pas toujours aux homosexuels, notamment pour ce qui concerne les avancées jurisprudentielles, nous le savons, à la suite de décisions de la Cour de cassation. D'ailleurs, Mme la ministre de la justice a très bien montré la limite de ces a vancées jurisprudentielles, s'agissant notamment des homosexuels : « Ni l'article 5 de la loi de 1958, qui permet le transfert du bail au conjoint, ni la jurisprudence qui admet le transfert au concubin notoire ne lui permettaient de rester dans les lieux. »

Je reconnais, mes chers collègues, que ces avancées sont i nsuffisantes, mais elles montrent bien, puisqu'elles existent, qu'il est possible de répondre aux problèmes posés par voie d'aménagement législatif ponctuel. Il faut donc continuer sur cette voie.

Quels sont les aménagements possibles ? Sur le plan strictement technique, pour un juriste, il suffit, pour remédier à l'ensemble des difficultés rencontrées par les personnes qui vivent maritalement en dehors du mariage, de légiférer pour modifier le code civil pour ce qui relève du droit successoral, le code général des impôts pour ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les droits d'enregistrement à titre gratuit, le code de la sécurité sociale pour tout ce qui concerne la protection sociale, le code du travail pour ce qui est des congés et autorisations d'absence,...

M. Jean-Claude Lefort.

N'oubliez pas le code de la route ! (Rires sur les bancs du groupe communiste.)

M. Jean-Claude Lenoir.

... la loi du 6 juillet 1989 pour ce qui est du droit de bail, avec une extension possible aux homosexuels, les codes des différentes fonctions p ubliques pour ce qui est des rapprochements de conjoints dans la fonction publique.

M. Jean-Claude Lefort.

Arrêtez de décoder ! (Rires sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Techniquement, d'un point de vue strictement juridique, cela ne pose pas de difficultés.

Il suffit de préciser ces dispositions, éventuellement d'en prévoir d'autres. Toutefois, la question importante qui se pose est de savoir jusqu'où il est souhaitable d'aller.

M. Louis Mexandeau.

Et, pendant ce temps, le Perche est en train de crever ! Un député du groupe socialiste.

Ne lui tendons pas la perche ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Je crois, monsieur le président, que mon collègue Louis Mexandeau souhaite m'interrompre.

M. le président.

Monsieur Mexandeau, on n'interrompt pas l'orateur ! Poursuivez, monsieur Lenoir !

M. Louis Mexandeau.

Il n'y aura bientôt plus que des blaireaux et des renards !

M. le président.

Monsieur Mexandeau, il n'est question ni de Perche ni d'autre chose. Seul M. Lenoir a la parole !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je vous confirme que, si mon collègue Louis Mexandeau souhaite m'interrompre, je l'y autorise bien volontiers.

M. le président.

Mais moi, non ! Continuez donc, monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je le regrette un peu, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président.

Oui, mais c'est ainsi ! En général, c'est le président qui préside la séance ! Poursuivez !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Claude Lenoir.

Je vous confirme dans vos fonctions, monsieur le président. (Applaudissements et rires sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

Et moi, provisoirement dans les vôtres ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Mais je ne peux pas rester insensible au fait que, par deux fois, deux personnalités éminentes de cette Assemblée aient parlé du Perche, qui est ma province, mon pays.

Un député du groupe socialiste.

Ne noyez pas le poisson ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Je me souviens, monsieur le président de l'Assemblée nationale, que vous y êtes venu un jour pour conduire une réunion électorale, dans une campagne où j'étais moi-même candidat. Donc, vous connaissez bien cette région.

M. le président.

Oui, c'était le début du PACS ! (Sourires.)

M. Pierre Lellouche.

Un PACS avorté !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Que personne ne tende la perche à M. Lenoir ! (Sourires.)

M. le président.

Poursuivez, monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'eusse aimé être interrompu par M. Louis Mexandeau, particulièrement actif aujourd'hui, voire volubile !

M. Pierre Lellouche.

Non, il vient juste de se réveiller !

M. le président.

Monsieur Lenoir, vous tirez à la ligne ! Les interpellations ne sont pas possibles. Poursuivez sérieusement votre propos !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je me conforme à vos souhaits.

J'ai pris la précaution, en préparant ce débat, de lire, une à une, les professions de foi que, chers collègues de la majorité, vous avez adressées en juin dernier à vos électeurs. On y trouve les engagements électoraux que vous avez pris. Quel ne fut pas mon étonnement de constater que, pas un seul d'entre vous...

M. Bernard Roman.

C'est faux !

M. Jean-Claude Lenoir.

... dans sa profession de foi,...

M. Bernard Roman.

C'est faux !

M. Jean-Claude Lenoir.

... - et il sera facile prochainement de vérifier...

M. François Asensi.

C'est le travail des renseignements généraux !

M. Jean-Claude Lenoir.

... mes propos, puisque ces professions de foi sont rassemblées dans un recueil, le Barodet, qui n'est pas encore relié, mais qui, bientôt, sera à la bibliothèque - n'avez évoqué le sujet qui nous rassemble aujourd'hui, si nombreux un samedi matin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Lellouche.

Puisque l'on parle beaucoup de

« mémoire », voilà un utile rappel !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'ai été particulièrement édifié.

Vous avez tous parlé des 35 heures,...

M. Julien Dray.

Moi j'ai parlé du boudin !

M. Jean-Claude Lenoir.

... de la création de 700 000 emplois pour les jeunes...

M. Jean-Claude Lefort.

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !

M. Jean-Claude Lenoir.

... de l'abandon de la politique des nationalisations, des privatisations, de la baisse rapide et urgente de la TVA. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Françoise de Panafieu.

Toutes choses qu'ils n'ont pas faites !

M. Jean-Claude Lefort.

Et la fracture sociale ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Mais vous n'avez jamais évoqué le sujet qui nous réunit aujourd'hui. (Applaudissements sur les mêmes bancs. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Forgues.

Et la solidarité ?

M. Bernard Roman.

Et la liberté ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Je tiens à votre disposition ces professions de foi que, à l'évidence, vous avez un peu oubliées, mais que je rappelle à l'attention de vos électrices et de vos électeurs ! (Mêmes mouvements.)

M. Pierre Forgues.

Parlez de solidarité ! Parlez du PACS !

M. Jean-Claude Lenoir.

Sans aller regarder les professions de foi de tel ou tel - Louis Mexandeau ou un autre -, il suffit de relire le discours prononcé ici même, le 19 juin 1997, par Lionel Jospin, Premier ministre, et que nous avions écouté avec attention. Alors qu'il comprend des pages et des pages, il n'y a pas un paragraphe, pas une ligne,...

Mme Françoise de Panafieu.

Pas un mot !

M. Jean-Claude Lenoir.

... pas un mot sur ce sujet ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yann Galut.

C'est normal, c'est une initiative parlementaire ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

C'est une proposition de loi !

M. Didier Boulaud.

M. Lenoir ne sait pas ce que c'est une proposition de loi !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je dispose également des textes, que l'on appelle dans votre formation politique

« motions finales », qui ont été adoptés lors du congrès de Brest du parti socialiste en novembre 1997.

M. Julien Dray.

C'était la motion majoritaire ! Il fallait lire la motion minoritaire ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Il n'y a pas un paragraphe, pas une ligne, pas un mot sur ce sujet.

(Exclamations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Lellouche.

Il n'y avait rien non plus sur le Chemin-des-Dames !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je vous le dis, en étant très sincère et très franc (Rires sur les bancs du groupe socialiste), comme je le suis depuis le début de mon intervention,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Claude Beauchaud.

Si c'est vous qui le dites !

M. Jean-Claude Lenoir.

... j'aurais très bien compris que l'on mobilisât tous les parlementaires de la majorité et de l'opposition, tous les moyens de la République, car, au-delà de l'hémicycle, de nombreuses personnes sont contraintes de travailler aujourd'hui - pour aborder des sujets importants, ou qualifiés d'importants,...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Mais le PACS est un sujet important !

M. Jean-Claude Lenoir.

... dans vos propres déclarations. J'aurais très bien admis que l'on fût réuni pour parler des trente-cinq heures...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

On l'a fait !

M. Jean-Claude Lenoir.

... ou de la création des 700 000 emplois.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

J'aurais très bien admis que l'on fût réuni, aujourd'hui, pour discuter de la baisse de la TVA ! Mais nous sommes tous réunis, ici, pour discuter d'un texte dont vous n'aviez jamais parlé à vos électeurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Lamy.

C'est faux !

M. Bernard Roman.

Ce n'est pas vrai ! Cela fait dix ans qu'on en parle !

M. Yann Galut.

On en parle depuis 1990 !

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît ! Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le temps qui s'écoule.

Mme Françoise de Panafieu.

Autant qu'on veut !

M. le président.

Non, il y a des règles ! Monsieur Lenoir, je souhaiterais que nous puissions voter avant la fin de la matinée.

M. Jean-Claude Lenoir.

Puis-je vous demander, monsieur le président, à quelle heure vous estimez la fin de la matinée ?

M. le président.

A midi. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Excusez-moi, midi et demi. Mais comme il peut y avoir des explications de vote, cela nous amènera à une heure. (Mêmes protestations.) Cela implique, monsieur Lenoir, que vous finissiez vers douze heures trente.

M. Franck Borotra.

Censure ! On arrêtera la pendule !

M. le président.

N'ayons pas un long débat sur ce point. Je connais aussi bien que vous, sinon - et c'est normal - fonctionnellement mieux que vous, les articles du règlement. Je sais quand je pourrai estimer que l'Assemblée est informée.

Monsieur Lenoir, vous devriez donc continuer votre propos sans vous en laisser détourner.

M. Jean Le Garrec.

Exactement !

M. Franck Borotra.

On s'exprimera aussi longtemps qu'on le voudra !

M. le président.

Poursuivez, monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je n'ai aucune raison de vous être désagréable, mais, pour être franc, je ne suis pas sûr d'en avoir terminé à midi et demi.

M. Pierre Lellouche.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je précise même, pour répondre à l'argument que vous avez avancé, que je ne suis pas certain d'avoir alors répondu aux quatre questions préalables que je veux présenter. Or l'Assemblée ne pourra être complétement informée que lorsque j'aurai exposé les arguments justifiant les quatre questions clairement énoncées dès le début de mon propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

C'est justement pour vous permettre d'organiser votre propos, monsieur Lenoir, que je vous ai signalé que j'estimais que nous devrions prendre certaines dispositions vers midi et demi. Cela devrait vous permettre, si vous le souhaitez, d'avancer dans la réponse aux questions que vous voulez traiter.

M. Jean-Claude Lenoir.

Bien, je continue, monsieur le président.

Deux questions se posent.

La première est celle de savoir si l'on doit accorder, en toute chose, exactement les mêmes droits aux personnes qui vivent maritalement et aux couples mariés. A cet égard je veux d'abord rappeler que les droits accordés aux couples mariés sont la contrepartie des devoirs auxquels ils se sont engagés. Même si l'on peut en débattre, cette notion d'équilibre entre droits et devoirs est évidemment à prendre en considération. D'ailleurs, Mme la ministre de la justice a également posé le problème en indiquant :

« Une deuxième solution consisterait à poser la reconnaissance législative de la situation de fait que constitue le concubinage, quel que soit le sexe de ses membres, en lui faisant produire la plupart des effets du mariage, hors la relation de parenté. »

Deuxième question : à qui doit-on accorder ces droits ? Sur ce point, les rapports Hauser et Théry ont esquissé deux scénarios possibles.

Les hypothèses émises montrent que ces rapports ont, en principe, servi de base aux réflexions menées en vue de l'élaboration de la proposition qui nous est soumise aujourd'hui. D'ailleurs, Jean-Pierre Michel l'a très bien rappelé pendant les courts exposés qu'il a faits au nom de la commission des lois et dans son rapport écrit qui est lui-même assez bref. Il y souligne en effet :

« Deux rapports, demandés par deux gouvernements successifs, ont enrichi le débat en 1998. L'élargissement de leur sujet témoigne d'ailleurs d'une prise de conscience de la profondeur des phénomènes en cause.

« Le rapport Hauser demandé par M. Jacques Toubon, portait seulement sur les conséquences financières de la séparation des couples, alors que Mme Irène Théry a reçu de Mmes Elisabeth Guigou et Martine Aubry mission de présenter sa réflexion sur les évolutions de la famille et les conséquences à en tirer pour la politique familiale dans son ensemble. »

Je reconnais que ces deux rapports n'ont pas tout à fait le même objet : alors que le rapport Hauser porte une réflexion sur les conséquences financières de la séparation des couples, le rapport Théry a une mission plus large, celle de se pencher sur le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Cela étant, je tiens à le souligner, ils défendent l'un et l'autre la thèse d'un aménagement ponctuel à apporter, pour l'essentiel, à notre droit fiscal et social.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Sur le plan social, ils proposent d'aligner les droits dérivés du concubin sur ceux du conjoint en prévoyant, dans certains cas, un délai minimal de vie commune.

Sont ainsi visés, pour le régime d'assurance invalidité, les articles relatifs à la pension du veuf ; pour le régime de l'assurance vieillesse et de l'assurance veuvage, les articles relatifs à la majoration de pension de retraite, à la pension de réversion, à l'assurance veuvage ; pour ce qui est de l'assurance décès, l'article relatif au capital décès ; pour le régime assurance du travail, les articles relatifs à la rente viagère accident du travail. Quant aux prestations en nature de l'assurance maladie-maternité, on l'a vu, elles ont déjà été étendues aux personnes vivant maritalement avec un assuré social. Pour les prestations familiales, seule la charge d'enfant conditionne la perception des prestations.

Sur le plan fiscal, les deux rapports proposent des modalités différentes mais poursuivent les mêmes objectifs en vue d'une harmonisation avec la situation des couples mariés.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, le rapport Hauser préconise d'élargir aux concubins la notion de foyer fiscal permettant une imposition commune avec demi-part par enfant à charge jusqu'au second, et part entière à partir du troisième. Le rapport Théry, lui, n'y est pas favorable et privilégie l'imposition séparée au nom de la liberté de l'union libre. Il préconise, en revanche, une réforme d'ensemble de l'impôt sur le revenu qui permette de prendre en compte les transformations et de la vie familiale et de la vie privée.

Pour ce qui est des droits d'enregistrement, le rapport Hauser privilégie la solution qui consiste à porter l'abattement personnel de 10 000 à 150 000 francs pour les concubins, sans toucher au barème actuel. Le rapport Théry, lui, va plus loin en préconisant d'accorder aux concubins justifiant d'une certaine durée de vie commune les mêmes abattements et les mêmes barèmes qu'aux conjoints survivants. Le rapport précise aussi que l'on ne peut séparer l'accroissement des droits des concubins d'une réforme d'ensemble des droits de succession et libéralités.

S'agissant du régime des biens, les deux rapports proposent de passer des pactes sous seing privé.

Par ailleurs les deux rapports prévoient des dispositions concernant le transfert du droit de bail. Le rapport Théry, parce que sa mission était plus large, propose également des dispositions visant à harmoniser les avantages tirés de la législation du travail, les conditions d'organisation des funérailles, ainsi que les modalités relatives à l'information et aux choix thérapeutiques.

Contrairement à ce que l'on a pu lire souvent, ce qui rapproche les deux rapports est bien plus important que ce qui les sépare. En fait ils divergent essentiellement sur la question de savoir qui pourrait concrètement bénéficier des nouveaux droits.

Le rapport Théry répond à tous les concubins, sauf en ce qui concerne le régime des biens, pour lesquels les intéressés devront passer un acte sous seing privé. A cet égard, le rapport définit le concubinage « par la possession d'état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent ». Pour que les choses soient encore plus claires, Mme Théry suggère d'ailleurs d'insérer dans le code civil un article qui définirait le concubinage à partir de cette notion. Elle propose même de compléter cet article par « des indications sur les faisceaux de faits permettant d'établir la possession d'état de couple naturel ».

Je me proposais de vous donner lecture d'une page de son rapport, mais, pour montrer ma bonne volonté, monsieur le président, je passe directement la page correspondante sur le tas où j'empile mes notes déjà utilisées.

En revanche, le rapport Hauser propose de lire l'octroi des nouveaux droits à l'existence entre les personnes d'une convention passée sous seing privé qu'il appelle un

« pacte d'intérêt commun ». Il s'agit donc d'une généralisation du principe que le rapport Théry n'a retenu que pour le régime des biens. Le rapport Hauser propose ainsi d'ajouter, dans le code civil, un titre relatif au pacte d'intérêt commun, qu'il définit comme une convention par laquelle deux personnes physiques décident d'organiser tout ou partie de leur relation pécuniaire et patrimoniale en vue d'assurer et d'organiser leur communauté de vie.

Il faut convenir que les deux formules comportent des avantages et des inconvénients. Celle proposée par Irène Théry ne risque-t-elle pas d'exposer les couples naturels à devoir faire constamment la preuve de leur communauté de vie ? Et celle préconisée par Jean Hauser ne risque-telle pas de rester limitée aux personnes qui connaissent leurs droits, c'est-à-dire à une catégorie de privilégiés ? On peut en discuter.

La seconde différence d'approche entre les deux rapports concerne l'homosexualité.

Alors que le rapport Théry choisit d'en parler, le rapport Hauser ne s'y réfère pas. Cependant, dans les deux cas, la méthode choisie permet aux concubins, qu'il soient homosexuels ou hétérosexuels, de bénéficier des mêmes avantages.

Si j'ai évoqué ce qui distinguait les deux rapports commandés par deux gouvernements, le précédent et l'actuel, c'est pour mieux souligner les points essentiels qui, en revanche, les rapprochent. Ainsi l'un et l'autre, j'insiste sur ce point, se refusent à définir un statut des concubins et, par voie de conséquence, les obligations personnelles qui y seraient attachées, c'est-à-dire les engagements réciproques que les concubins seraient amenés à prendre.

Le rapport Théry, en particulier, s'il reconnaît légalement le concubinage, ne lui donne pas de statut. D'ailleurs, il s'en explique sous le titre : « Les impasses de la formalisation du concubinage ». A cet égard, Mme Théry indique que deux questions surgissent inévitablement : celle des conditions pour contracter et celle des engagements réciproques. Elle ajoute : « Dès lors qu'il s'agit de substituer à une situation de fait un contrat comme source de droit, la question se pose de définir les personnes autorisées à passer ce contrat : soit...

seuls les concubins y ont accès..., soit, à l'inverse, on étend la possibilité de contracter à toutes les personnes en ayant la capacité juridique. »

Mme Théry poursuit : « Mais alors, le couple est noyé dans un ensemble flou où se mêlent les types de liens humains les plus divers : deux amis, un frère et une soeur, deux religieuses... Outre la confusion ainsi opérée au plan symbolique, la disparition de la distinction entre un couple et un non-couple produit cet effet inévitable que le contrat ne consacre le couple de fait... que par son effacement juridique. »

M. Pierre Lellouche.

Très juste !

M. Jean-Claude Lenoir.

Pour ce qui est de la question des engagements réciproques, elle précise : « Créer un contrat entre des personnes suppose de fonder celui-ci sur d es engagements réciproques : secours et assistance,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

soutien matériel et moral, solidarité pour dette. S'engage alors, inévitablement, une double logique dont la dynamique est décrite depuis longtemps.

« Un tel contrat dénature nécessairement le concubinage, qui est d'être un engagement privé. Le paradoxe est alors, à un moment où des centaines de milliers de nos concitoyens revendiquent que leur union soit libre, de conditionner leur accès à des droits à l'abandon de cette liberté.

« Plus le contrat se veut élaboré, tant dans ses conditions que dans les droits qu'il ouvre, moins le statut ainsi créé parvient à éviter une large similitude avec le mariage.

Enregistré devant l'officier d'état civil, produisant la totalité des effets du mariage en termes de droits sociaux et fiscaux, rompu devant le juge en cas de désaccord, le contrat devient un mariage bis. »

Le refus de donner un statut au concubinage, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel, est donc le point essentiel sur lequel se retrouvent ces deux rapports, qui, il faut le rappeler, ont été commandés par deux majorités différentes.

Ce point semble avoir gêné les promoteurs du PACS, et on le comprend, puisque, avec le PACS, ils ont précisément fait le choix de donner un statut aux couples non m ariés. Difficile, néanmoins, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, de s'affranchir d'un rapport qui a été rédigé par des personnalités autorisées qu'on a mises en place soi-même. D'ailleurs, les commentaires faits à l'égard de ces rapports par le rapporteur du texte sont plutôt savoureux et, parfois même, contradictoires.

Le rapport établi au nom de la commission des lois par notre collègue Jean-Pierre Michel précise bien, en français dans le texte, que les deux rapports dont j'ai parlé proposent des améliorations sans accorder aux couples non mariés une situation de droit. Il entend donc qu'il n'y a pas de statut. Je le relis. « Le phénomène de l'union libre est déjà appréhendé, même si ce n'est que partiellement, par la loi et la jurisprudence. Deux rapports commandés par le précédent et l'actuelle garde des sceaux ont contribué à enrichir la réflexion sur la situation des couples non mariés, mais sans aller jusqu'à proposer de leur accorder un statut. »

Cela correspond bien, monsieur le rapporteur, à une lecture exacte des rapports, notamment de celui de Mme Théry. Je n'en ai donc été que plus surpris, en lisant au Journal officiel les propos que vous avez tenus le 2 octobre : « Nous avons, bien sûr, pris en compte pour ce travail les rapports que le professeur Hauser et Irène Théry ont remis à Mme la garde des sceaux. Même si ces hauts spécialistes préconisaient des solutions juridiques différentes, ils reconnaissaient qu'il fallait instituer un statut légal pour les couples non mariés. »

Permettez-moi de vous dire, monsieur le rapporteur, qu'il y a des limites à ne pas dépasser, car c'est exactement le contraire qui est écrit dans le rapport Théry.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Lellouche.

Tout à fait !

M. Michel Terrot.

C'est grave ! C'est un abus de confiance !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je trouve proprement inadmissible que le contenu d'un rapport auquel vous attachez tant d'importance, puisque vous l'avez commandé, soit ainsi dénaturé et que l'une de ses principalesr ecommandations soit non seulement effacée, mais détournée de l'objectif que le rapport voulait atteindre.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. François Goulard.

Et ils nous donnent des leçons !

M. Pierre Lellouche.

C'est de la malhonnêteté intellectuelle !

M. Yves Fromion.

Un abus de confiance.

M. Michel Terrot.

C'est bien la méthode socialiste !

M. Jean-Claude Lenoir.

Cela ne vous a d'ailleurs pas empêché, un peu plus loin, de vous faire apparaître comme en parfaite communion avec l'approche de Mme Théry.

J'ai donc le sentiment que le rapport de Mme Théry a été utilisé plus par le nom prestigieux qui lui était attaché que par son contenu lui-même.

M. Yves Fromion.

Elle a suivi.

M. Jean-Claude Lenoir.

Troisième question : l'objectif a-t-il été atteint ? J'affirme d'emblée que le PACS est une fausse bonne idée, pour apporter des solutions concrètes aux difficultés des personnes qui mènent une vie commune hors mariage, notamment aux homosexuels. Le choix arrêté au travers du PACS est donc celui d'un statut.

Or, j'ai commencé à le démontrer, le choix du PACS va à l'encontre de tous les conseils et de toutes les prises de position.

M. Yves Fromion.

Raisonnables !

M. Jean-Claude Lenoir.

Jean-François Mattei, le 9 octobre, le rappelait.

M. Patrice Martin-Lalande.

Excellement !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Il aurait donc suffi de modifier la loi de 1989, s'agissant du droit de transfert de bail », ajoutant : « Ce qu'il faut, c'est diminuer les droits de mutation spoliateurs et contraires à la liberté de choix des donateurs. » Il suggérait d'autres réformes, mais per-

sonne ne préconisait l'institution de ce statut.

Pour le conseil permanent de l'épiscopat, que j'ai très brièvement cité tout à l'heure : « Notre conviction est simple. Le droit offre suffisamment de possibilités pour régler des problèmes sociaux et économiques rencontrés par certaines personnes "qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas se marier". Il n'est pas nécessaire d'inscrire dans la loi un nouveau statut relationnel qui risque de déstructurer davantage le sens du couple et de la famille. »

M. François Rochebloine.

Parfaitement !

M. Jean-Claude Lenoir.

L'UNAF ne dit pas autre chose lorsqu'elle « considère que ne peuvent être introduites dans le droit de la famille les dispositions juridiques qui apparaîtraient nécessaires au législateur pour assurer des garanties de droit et de protection aux personnes partageant d'autres modes de vie commune ».

Pour Tony Anatrella que je citais également tout à l'heure, spécialiste en psychiatrie sociale : « Des droits à de nombreuses mesures sociales existent déjà, qui peuvent répondre aux besoins et aux nécessités de ceux qui sont dans un autre mode de vie que celui qui fait référence pour la société. Ils peuvent être éventuellement élargis avec discernement et dans la cohérence des fondements de la société, grâce à des décisions administratives sans avoir à légiférer. »


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Patrice Martin-Lalande.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Jugement d'une autre personnalité, Guy Coq, réputé pour des affinités politiques qui ne sont pas franchement à droite : « Je dirai que ces projets ne sont pas amendables. Il me semble que la contreattaque doit prendre en compte la réalité des problèmes humains des homosexuels sans pouvoir y répondre. Pour pouvoir y répondre sans passer par le CUC - ainsi l'appelait-on à l'époque. Des améliorations doivent pouvoir être apportées en matière de tontine, de transmission, de logement. »

Irène Théry elle-même dit qu'il n'est pas trop tard pour abandonner la fausse bonne idée du contrat d'union sociale. A ce propos, je commence à comprendre que, pour vous, ce ne fut pas franchement une bonne idée que de demander à Irène Théry de faire un rapport sur cette question, à voir la teneur de ses réponses...

Mme Christine Boutin.

C'est pour cela qu'elle n'a pas été consultée !

M. Patrice Martin-Lalande.

La vérité gêne toujours !

M. Jean-Claude Lenoir.

Comme le remarque à juste titre ma collègue Christine Boutin, cela explique qu'elle n'ait pas été consultée.

Une autre personnalité, au nom des notaires, dénonce le monstre juridique qu'est le PACS. Au-delà des préférences des uns et des autres, le PACS risque de ne pas répondre à la mission première qui lui était assignée. Il risque, en effet, de ne correspondre ni aux besoins des uns, ni aux attentes des autres et dès lors de laisser entiers les problèmes du concubinage que nous étions censés régler.

En fait, le PACS méconnaît profondément ce à quoi les couples hétérosexuels, vivant en union libre, sont attachés : la liberté. Sils ont choisi l'union libre, c'est justement parce qu'elle est libre. Attendaient-ils vraiment le PACS ? Sont-ils prêts à aller s'y enfermer ? Beaucoup d'opinions se sont exprimées en sens contraire.

M. Michel Terrot.

C'est un vrai réquisitoire !

M. Jean-Claude Lenoir.

Patrick Bloche est pour sa part persuadé, c'est son droit, que les couples non mariés n'att endent que le PACS. « Longtemps ignorés, pour reprendre la formule napoléonienne, ceux qui ne veulent pas se marier vont enfin pouvoir donner stabilité et sécurité à leur relation en inscrivant leur projet commun de vie dans un cadre juridique nouveau... Ils vont enfin pouvoir bénéficier de cette crédibilité sociale à laquelle i ls aspirent depuis si longtemps et que même la jurisprudence ne leur avait pas accordée. »

Mais certaines expériences menées à l'étranger - j'aurai l'occasion d'en reparler - nous offrent des enseignements : dans les pays où l'on a créé des PACS, les contractants étaient avant tout des couples homosexuels, dans très peu de cas même des couples hétérosexuels. Ce qui n'a rien d'étonnant, compte tenu de ce que je disais à l'instant.

Evelyne Sullerot, dans son entretien avec Mme la garde des sceaux, rapporté dans Le Nouvel Observateur, remarquait : « Les concubins ne demandaient rien. Ils bénéficient des droits sociaux des couples mariés et ils n'ont pas plus envie de se rendre chez le préfet que chez le maire » - ou aujourd'hui chez le juge.

M. Didier Boulaud.

Qu'est-ce qu'elle en sait ?

M. Jean-Claude Lenoir.

En revanche, ces mêmes concubins hétérosexuels rencontrent des problèmes réels liés à la présence d'enfant ; j'aimerais savoir ce que leur offre le PACS sur ce point. (« Très bien ! » et applaudissement sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. Pierre Lellouche.

Il n'est pas fait pour eux !

M. Jean-Claude Lenoir.

Et que dit sur ce point Irène Théry, que vous avez eu l'imprudence de consulter et à qui vous avez demandé un rapport ?

M. Didier Boulaud.

Qui est-ce ? La concierge ?

M. Jean-Claude Lenoir.

« Sociologiquement, la signification du concubinage contemporain est parfaitement connue. De multiples enquêtes la décrivent avec la plus grande clarté. Pour tous les hétérosexuels, c'est faire le choix d'une vie commune, éventuellement de la naissance d'enfants, tout en maintenant au sein du couple la perspective de l'union libre. »

M. Didier Boulaud.

Ah, Irène !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Non par refus de telle ou telle disposition de l'institution matrimoniale, mais par préférence pour le lien non statutaire, laissé à la seule responsabilité privée des individus qui le partagent et le construisent. Le démariage est cette situation radicalement nouvelle historiquement, où le choix de l'union l ibre ou du mariage est devenu une question de conscience personnelle. On peut faire l'hypothèse que cette attitude à l'égard du lien de couple, dont on est certain qu'elle rassemble tous ceux qui ont accès au mariage mais le refusent, est également celle d'une grande majorité des concubins homosexuels, qui eux n'ont pas accès au mariage. Or, à ces centaines de milliers de concubins par choix, le CUS - le contrat - ne propose rien moins que de cesser de l'être, de renoncer à leur union libre, à leur volonté de vivre et de vieillir ensemble sans autres droits qu'assurés par la certitude d'être aimés, sans autres devoirs que dictés par la morale des sentiments. Il fait injure à leur choix de vie, sans même qu'on semble en avoir conscience. »

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Philippe Malaurie, professeur de droit,...

M. Didier Boulaud.

Ce n'est plus Irène ?

M. Jean-Claude Lenoir.

... écrivait : « Ce statut serait contraire à la volonté des intéressés. Ce que veulent les concubins, c'est la liberté, le fait d'organiser leur union comme ils le veulent. »

C'est du reste ce que chantait naguère Georges Brassens. Mais rassurez-vous, monsieur le président, je ne chanterai pas, je me contenterai de citer. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Catherine Picard.

Brassens était un homme de gauche ! De nombreux députés du groupe socialiste.

Une chanson, une chanson !

M. le président.

Mes chers collègues, ne poussez pas

M. Lenoir. Il ne lui reste qu'une demi-heure environ, vous le savez bien. (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Sylvia Bassot.

C'est intolérable !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Franck Borotra.

Pas ça, monsieur le président ! M. Lenoir est seul capable de nous éclairer ! (Rires.)

Mme Sylvia Bassot.

Ce qui ne s'est jamais produit !

M. André Angot.

En effet ce serait du jamais vu !

M. Pierre Lellouche.

Alors pas de censure !

M. Jean-Luc Warsmann.

La censure, c'est scandaleux !

M. Franck Borotra.

Il faut qu'il puisse citer Brassens ! (Sourires.)

M. le président.

Poursuivez, monsieur Lenoir, ne perdez pas de temps !

M. Jean-Claude Lenoir.

Georges Brassens chantait...

M. Didier Boulaud.

« Quand je pense à Irène... »

M. Jean-Claude Lenoir.

« Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin.

« Laissons le champ libre à l'oiseau,

« Nous serons tous les deux priso

« Nniers sur parole.

« Au diable les maîtresses queux

« Qui attachent les coeurs aux queues

« Des casseroles. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Birsinger.

Il a aussi chanté les Trompettes de la renommée !

M. Patrick Braouezec.

Et aussi Gare au gorille !

M. Yves Fromion.

Dans Gare au gorille, il était meilleur !

M. Jean-Claude Lenoir.

Sur ce point, notre collègue Jean-Pierre Michel lui-même a un doute. « Le PACS est donc ouvert à tous les couples non mariés, dit-il, et intéresse, au premier chef, les concubins hétérosexuels, même s'ils n'ont pas jusqu'à présent, articulé de revendication collective en tant que couple, leur combat s'étant focalisé avec succès, sur les droits des enfants issus de leurs unions. »

Dès lors que l'on aura résolu leurs difficultés pratiques, verra-t-on beaucoup de sans-papiers de l'amour venir revendiquer un permis de s'aimer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Evidemment, si l'on ne peut leur apporter de solution sans leur avoir préalablement délivré un permis, le jugement peut être différent. Mais même si tel était le cas, les exemples étrangers invitent à un pronostic réservé. J'en parlerai si j'ai encore un peu de temps.

M. Patrice Martin-Lalande.

Il faut l'espérer !

M. Jean-Claude Lenoir.

Néanmoins, sait-on jamais ? Je peux me référer aux expériences étrangères et notamment à celle des Pays-Bas. Ce pays semble bien nous montrer l'évolution inévitable du PACS vers la parentalité des couples homosexuels.

Dans ce pays, un partenariat enregistré, comparable au PACS, a été créé en 1998. Selon l'office central des statistiques néerlandais, sur 2 655 partenariats enregistrés dans les six premiers mois de l'année 1998, 1 245 concernaient deux hommes, 769 deux femmes et seulement 841 des couples hétérosexuels.

M. Jacques Fleury.

Il n'y a pas de quoi en faire un fromage !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je ne porte aucun jugement, mais n'affirmez pas le contraire en assurant que le PACS est d'abord destiné à des couples hétérosexuels. Car on le voit à l'évidence : là où il existe, le PACS est d'abord signé par des couples homosexuels, qui ont bien compris qu'il s'agit là d'une forme de mariage bis.

Combien d'homosexuels seront satisfaits du PACS ? Bien sûr, là-dessus, chacun a sa réponse. Pour ma part, j'ai ici copie d'un article de journal avec photo, paru juste après la journée que l'on appelle chez vous le vendredi noir, où il est écrit : « Nous, on veut se marier. » Voilà

qui est clair et la photo est explicite.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

De telles pratiques sont-elles acceptables dans une discussion à l'Assemblée nationale ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Chez vous, certaines personnes se sont également exprimées sur ce point. Un de nos collègues que chacun connaît a fait officiellement savoir son choix, vis-à-vis de l'homosexualité. Que dit-il du texte proposé ? « Ce pacte vient constater un état de fait, reconnaître légalement que deux hommes ou deux femmes puissent s'aimer. » Et c'est bien aussi ce qui l'empêchera

de signer. André Labarrère refuse cette forme d'intrusion de l'Etat dans la vie privée. « Le véritable amour n'a pas besoin d'être codifié. »

J'ai bien d'autres témoignages que je m'apprêtais à citer mais, ayant affiché ma volonté de trouver un compromis entre mon légitime désir de vous apporter tous les éclaircissements nécessaires et votre souhait ardent de commencer à légiférer, je n'en parlerai pas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Didier Boulaud.

Parlez-nous d'Irène !

M. Jean-Claude Lenoir.

Sauf si vous insistiez ?

M. Yves Fromion.

Le secret est intolérable ! (Sourires.)

Mme Sylvia Bassot.

Nous ne voulons rien manquer !

M. Michel Terrot.

Nous devons être éclairés !

M. le président.

Un peu de silence, je vous prie.

M. Jean-Claude Lenoir.

Depuis quelques jours, j'ai compris que certaines questions avaient besoin de trouver une réponse d'un seul côté de l'hémicycle pour être vraiment validées.

Je vais devoir, à cet instant de mon argumentation, me reporter à quelques lignes écrites.

M. Didier Boulaud.

Par Irène ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Par quelqu'un dont j'ai compris qu'elle était inconnue de beaucoup à gauche de cet hémicycle.

M. Didier Boulaud.

Nous allons enfin savoir qui est Irène.

M. Jean-Claude Lenoir.

J'imagine que ces propos n'ont pour but que d'essayer de m'interrompre, de me déstabiliser ; auquel cas, vous avez peu de chances d'arriver à vos fins.

M. Didier Boulaud.

Je pense à Irène !

M. Jean-Claude Lenoir.

Si tel n'est pas le cas, si réellement vous ne connaissez pas le nom d'Irène Théry, je me demande comment vous avez fait pour préparer ce débat, quels éléments vous avez réuni pour fonder votre propre conviction.

M. Yves Fromion.

Très bien ! Il est des rappels à l'ordre utiles.

M. Jean-Claude Lenoir.

Que dit Mme Théry ? « Cette diversité est pourtant connue. Elle oppose aujourd'hui tout particulièrement deux pôles à un pôle, ceux qui


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

voient dans l'homosexualité une "identité" générant non seulement une communauté de destin, mais un mode de vie, une culture, voire une vision du monde et, à l'autre pôle, ceux pour qui rien n'est plus contraire à leur perception d'eux-mêmes et à leurs valeurs que cette assignation identitaire... En ne proposant comme forme juridique de reconnaissance du couple homosexuel que le seul CUS - devenu le PACS - réponse universelle par définition, on contraint tous les homosexuels soit à accepter l'ensemble de sa logique, soit à demeurer dans le nondroit actuel. Que deviennent dans ces hypothèses les homosexuels, fort nombreux, qui ne veulent ni d'un quasi-mariage ni des discriminations qui aujourd'hui les frappent en tant que concubins ? »

M. Pierre Lellouche.

Et qui représentent la majorité !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Paradoxalement, l'extrême hétérogénéité des projets de vivre l'homosexualité s'abol it dans ce projet. »

Le PACS ne règle même pas le problème des couples non mariés. Certes, pour ceux qui auront signé un PACS, la vie pourra apparaître plus simple. Mais si, comme on peut le croire, compte tenu des nombreuses réticences que je viens de rappeler, le PACS a finalement un impact assez limité, que deviendront les vrais couples en union libre ? Certes, ils auront choisi de ne pas se « pacser ».

Mais il faudrait savoir quel problème on veut résoudre.

Mme Muguette Jacquaint.

Changez de rythme, on s'endort !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'avais cru comprendre qu'il s'agissait de s'adapter à l'évolution des modes de vie et de réduire les inégalités. Mais au nom précisément des mêmes principes, pourquoi n'auraient-ils droit à aucun avantage ? Dans cinq ou dans dix ans, ne faudra-t-il pas inventer entre le mariage et le PACS une autre formule pour ceux qui veulent vivre en union libre ? Telle est la question que je pose et à laquelle nombre d'autorités ont entendu répondre. J'enverrai à ceux qui le souhaitent copie de ces déclarations, pour peu que leur intérêt soit toujours aussi vif.

M. Michel Terrot.

Rassurez-vous ! Nous attendons de les connaître !

M. Yves Fromion.

Eux, ce sont des liberticides !

M. Jean-Claude Lenoir.

Il est clair que ce débat est marqué d'un malentendu fondamental. L'objectif initial de cette mobilisation ne voit aucune sorte de début de réalisation à travers les propositions de loi déposées en son nom. Le problème du cadre juridique du concubinage reste entier. La démarche du contrat entre personnes est une impasse : elle donne l'impression de créer à côté du mariage une sorte d'autre mariage qui n'instituerait pas le couple en tant que tel, tout en laissant entière la question des droits des vrais concubins.

Jean-Jacques Dupeyroux...

M. Didier Boulaud.

C'est le frère d'Irène ?

M. Jean-Claude Lenoir.

... suffisament connu dans cette assemblée pour que je puisse le citer, défend le même point de vue à propos des droits de succession.

« L'émergence d'un pacte a trouvé sa cause principale dans les aberrations de notre droit successoral. Elle ne doit pas les faire oublier. Ce droit est constitué par la superposition de deux ensembles de règles indissociables : les unes relèvent du droit civil, les autres du droit fiscal.

Au plan du droit civil, une institution taboue, la réserve, dont l'origine remonte à la nuit des temps, à des époques où le nom, le titre nobiliaire, le domaine appartenaient à la famille en tant que telle ».

Plus loin, il écrit : « L'affaire s'aggrave encore avec les données fiscales. S'ils n'appartiennent pas au cercle familial le plus immédiat, s'ils sont des "tiers", donataires et légataires devront abandonner au fisc 60 %, au premier franc de ce qu'ils ont reçu, sans parler des frais notariaux ». « Alors » - c'est la question qu'il pose in fine -

« et le PACS dans tout ça ? Je ne sais ce qui sortira du bricolage hasardeux auquel il donne lieu. Si des solutions moins aberrantes au plan successoral sont adoptées en faveur des "pacsés", tant mieux pour eux ! Mais le problème restera entier pour tous les autres ».

Je voudrais apporter à cette seconde partie de mon exposé une conclusion qui sera une préfiguration de la conclusion définitive (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) : finalement, ce PACS, qui en veut vraiment et à quoi va-t-il servir ?

M. Patrice Martin-Lalande et M. Pierre Lellouche.

Bonne question !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je l'ai, me semble-t-il démontré, même si l'attention n'a pas toujours été soutenue d'un côté de l'hémicycle : pour résoudre les problèmes qui se posent, franchement, on n'a pas vraiment besoin du PACS. Et, ces problèmes-là, justement, il ne les résout pas. En revanche, il en résout d'autres qui ne se posaient pas vraiment...

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir.

... ou, en tout cas, pas dans ces termes, et, ce faisant, il va poser des tas d'autres problèmes qui, eux, ne se posaient pas. Alors, finalement, le PACS est complètement hors sujet ! Pierre Lellouche.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Si non seulement il reste inconstitutionnel, comme au premier jour mais qu'en plus, il est hors sujet, dans ce cas, à la deuxième question préalable, qui est de savoir s'il y a lieu de délibérer sur le texte qui nous est présenté, la réponse ne peut être que non, doublement non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Mon cher collègue, à ce stade de votre exposé, j'appelle votre attention sur le fait qu'il faudrait un peu accélérer.

M. Franck Borotra.

Il reste deux parties dans son intervention et vous ne savez pas quels arguments elles comportent !

M. le président.

Je trouve au contraire, monsieur Borotra, que chacun d'entre nous est bien informé du contexte et du texte.

(Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Yves Fromion.

Il y a longtemps qu'ils auraient retiré leurs propositions s'ils étaient bien informés !

M. le président.

Continuez, monsieur Lenoir.

M. Frank Borotra.

C'est un Parlement à la soviétique !

M. Jean-Claude Lenoir.

J'en arrive à la troisième question préalable et je rappelle pour ceux qui nous ont rejoints en cours de matinée, que cette question porte un titre : le texte proposé est-il amendable ! Je rappelle pour les mêmes que la quatrième question préalable sera : et si l'adoption d'une question préalable était le meilleur moyen d'arranger tout le monde ? J'ai même ajouté, et c'est la raison pour laquelle je souhaite, bien entendu, arriver au terme de mon intervention...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Mme Sylvia Bassot.

Il le faut !

M. Jean-Claude Lenoir.

... était le meilleur moyen d'assurer la cohésion de la majorité ? (Rires sur les mêmes bancs.)

Troisième question préalable : ce texte est-il amendable ? On a vu dans un premier temps que ce texte n'avait pas fait l'objet d'une concertation suffisante, qu'il était resté confiné dans un cercle très limité - quelques personnes - et que, faute d'avoir pu bénéficier d'enrichissements extérieurs, il était au bout du compte assez mal ficelé. On a vu - je fais un petit résumé toujours pour les susnommés - dans un second temps qu'en l'état où il nous est proposé aujourd'hui, ce texte ne répond pas à la mission qui était la sienne au départ, ce deuxième constat étant d'ailleurs largement la conséquence du premier.

Troisième question que nous nous posons, et qui fait l'objet de mon argumentation : des amendements sont-ils susceptibles de surmonter le double handicap de départ ? Autrement dit, peut-on faire quelque chose d'utile de ce texte grâce à des amendements ? Répondre à cette question suppose que je dresse préalablement une sorte d'état des lieux, et notamment que je regarde comment on en est arrivé là. Quelle est la génèse de cette affaire ? Je crois que tout le monde est d'accord sur ce point : le mouvement a été suscité et organisé par des associations homosexuelles. Cette proposition trouve sa source dans les difficultés que rencontraient les homosexuels.

Elle s'est développé en réaction, en particulier, au traitement discriminatoire dont ces derniers faisaient l'objet.

Mais s'il n'y avait eu que cela, et je pense l'avoir montré, de simples ajustements juridiques auraient suffi. En fait, le mouvement a évolué et la revendication s'est transformée.

Chacun le sait, le drame du sida a joué un rôle déterminant dans cette évolution. Il a notamment contribué à faire appaître le sort réservé aux homosexuels comme particulièrement injuste, et je suis de ceux qui pensent que le regard des Français a commencé à changer à leur égard.

De rejet en suspicion, il est devenu, dans beaucoup de m ilieux, tolérance, puis acceptation, acceptation de l'homosexualité. J'oserais dire qu'il y a là une évolution que l'on ne peut pas contester : prise de conscience et, pour certains, acceptation de l'amour homosexuel aussi.

Tout cela a été mis en évidence par le drame du sida. Et, au fond, on s'aperçoit que cette évolution est liée au sentiment d'urgence.

M. Jean-Claude Lefort.

Vous lassez même vos collègues !

M. Jean-Claude Lenoir.

Ensuite, il y a eu revendication, et c'est là où le mouvement a bifurqué, pour que fût reconnu le couple homosexuel.

Il est incontestable que le sida a modifié le regard des autres, mais il a eu aussi une influence sur la nature de la revendication homosexuelle, du moins pour certains d'entre eux. On est ainsi passé de revendications ponctuelles visant à la suppression de certaines discriminations à une revendication beaucoup plus globale. Si le premier mouvement avait pour objet une reconnaissance de l'homosexuel comme citoyen à part entière, le second, quant à lui, s'est clairement orienté vers la reconnaissance d u statut homosexuel, ou plus exactement vers la reconnaissance sociale du couple homosexuel, ce qui est très différent, au point d'être presque contradictoire. Mais il en est ainsi de certains paradoxes et les échanges auxquels on a assisté dans cet hémicycle, le 9 octobre dernier, ont illustré cette évolution.

Dans le but de ne pas prolonger ce débat, je ne lirai pas certaines interventions de nos collègues. Vous pourrez en prendre connaissance en lisant le compte rendu au Journal officiel

M. Yves Fromion.

C'est dommage, on risque de ne rien comprendre à votre démonstration !

M. Jean-Claude Lenoir.

Tout le débat que nous avons autour du PACS, depuis quelques semaines, prend sa source dans cette évolution de la revendication homosexuelle et surtout dans la manière dont elle a été assumée au plan politique.

Finalement, aujourd'hui, la question qui se pose, c'est : comment faire avancer la cause homosexuelle sans le dire ? Même si ses préventions envers l'homosexualité avaient entretemps diminué, l'opinion était-elle prête à aller jusqu'à accepter la reconnaissance du couple homosexuel ? Sous la pression des associations homosexuelles, c'est à cette question que les responsables politiques se sont trouvés confrontés. Faut-il aller jusqu'à dire qu'ils ont eu peur ? Faut-il aller jusqu'à dire qu'ils ont manqué de courage ? En tout cas, ce que je peux dire, aujourd'hui, c'est qu'ils n'ont pas dit la vérité. Mais peut-être se mentaient-ils à eux mêmes, peut-être, au fond, eux aussi, étaient-ils rassurés par ce qu'ils disaient ? Toujours est-il qu'ils n'ont pas voulu assumer cette revendication devant l'opinion qu'ils ne sentaient pas mûre. Alors, qu'ont-ils fait ? Ils ont noyé le poisson. Et ce fut le début d'un formidable court-bouillon dans lequel on a trouvé d'abord le CUC, puis le CUS et du CUS on est passé au CUCS, et ensuite au PIC, au PACS, PACS 1, PACS 2 ! A quel PACS en est-on ? Voilà ce que l'on retrouve dans la marmite de courtbouillon dans lequel vous voulez noyer le poisson ! (Applaudissements sur les mêmes bancs. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Fromion.

Un poisson pas frais !

M. Bernard Roman.

C'est nul !

M. Jean-Claude Lenoir.

Chez les militants, l'idée s'est imposée que pour faire reconnaître le couple homosexuel par le couple non homosexuel, il fallait être tactique, ne pas choquer, voire avancer masqué ; cette prudence tactique était centrale. Si un contrat non spécifique aux couples est apparu au départ comme la solution médiatiquement idéale, c'est qu'elle faisait avancer la cause homosexuelle sans le dire. Toute l'ambiguïté morale et politique est là : elle consiste à noyer dans l'union sociale la question du couple homosexuel, au point de la cacher dans le droit, quand elle s'affiche dans la rue. Une conception purement tactique de la politique a ici joué son rôle, et la confusion entretenue entre concubinage et quasi-mariage s'explique sans doute par le fait que l'on tente de répondre, sans le dire, au fait que les homosexuels n'ont pas accès au mariage.

Dès lors qu'il ne s'agissait plus seulement de régler les problèmes rencontrés dans la vie quotidienne par les couples, et à partir de maintenant, des couples homosexuels seuls, mais de reconnaître légalement le couple homosexuel, le débat, évidemment, changeait de nature.

Faute de l'avoir dit clairement, les promoteurs de la démarche et ceux qui les ont soutenus ont continué de faire comme si de rien n'était, comme s'il s'agissait toujours d'apporter et uniquement d'apporter des solutions à des problèmes concrets.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Michel Terrot.

C'est ça le noeud du problème !

M. Jean-Claude Lenoir.

Ils ont été amenés ainsi à livrer deux batailles : celle du statut, puis celle des fratries.

Qui dit reconnaissance dit, en effet, forcément statut.

On comprend mieux à présent l'acharnement dont les promoteurs du projet ont fait montre contre vents et marées pour pouvoir à tout prix légiférer de manière globale. Mme la présidente de la commission des lois a ainsi déclaré le 9 octobre : « Nous devons donc légiférer, mais de simples aménagements de notre droit et notamment le renforcement et l'extension du concubinage ne suffisent pas. » Un peu plus loin, Mme la ministre de la justice,

garde des sceaux, souligne : « Il faut légiférer. Beaucoup en sont convaincus, mais certains estiment qu'il fallait le faire en plusieurs fois. A ces derniers, je répète que si l'on avait choisi de légiférer par petits bouts, c'eût été diffic ile, long, sans visibilité, et de surcroît... » - je ne comprends

pas bien le mot - « ... hypocrite. Cela aurait été difficile.

Il aurait alors fallu modifier toutes sortes de textes au gré de leur inscription au calendrier parlementaire... ». Cela

ne pose pas de problème, madame la ministre, puisque nous pouvons nous réunir, y compris le samedi et le dimanche. Elle ajoutait in fine : « Le Gouvernement, en soutenant la proposition de loi, a fait le choix de la simplicité, de la rapidité, de la clarté et de la sincérité. »

Vous avez confirmé, madame la ministre, mardi dernier, dans votre discours, que vous refusiez la solution que beaucoup - la plupart - préconisaient ou recommandaient, consistant à légiférer pour résoudre ponctuellement les problèmes : « Je refuse une telle démarche. Je la refuse, d'abord parce que les textes qu'il faut réformer sont multiples... Je la refuse, ensuite, parce que cette dispersion enlèverait toute visibilité. Je la refuse, enfin et surtout, parce que c'est une démarche hypocrite ».

On comprend dès lors l'ingéniosité qui a été déployée pour justifier la démarche suivie.

A cet égard, le rapporteur Jean-Pierre Michel, une fois de plus, a le mérite de la franchise, justifiant ainsi les choix opérés : « Mais à cette approche toute juridique, il m anque une dimension symbolique pour ceux qui veulent déclarer au monde leur intention de mener leur vie ensemble ; le pacte civil de solidarité veut mettre fin à une logique d'exclusion en accordant aux couples non mariés une reconnaissance sociale. »

Mme la garde des sceaux ne dit pas autre chose : « Le mérite de ces textes est également de tendre à une véritable organisation de la vie commune et pas seulement à la gestion des biens communs. »

On comprend, dans ces conditions, pourquoi le rapport de Jean Hauser ne pouvait pas vous convenir du tout. En effet, il a rencontré une vive hostilité d'une partie de la communauté homosexuelle dans la mesure où c'était le modèle qui s'éloignait le plus du mariage. Il s'agissait d'un pacte de constatation et non de consécration. Or c'est justement la consécration que désirent les initiateurs de cette proposition de loi.

M. Yves Fromion.

Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Mme la ministre nous disait le 9 octobre : « A sa manière, le PACS contribue au maintien et au renouvellement des liens entre les personnes. Il apparaît comme une nouvelle forme de solidarité et d'entraide entre les individus. »

On comprend mieux encore pourquoi vous n'avez pas écouté les recommandations de Mme Théry.

En fait, le débat a complètement changé de nature, au point qu'aujourd'hui, le statut est passé loin devant les avantages et les droits qui lui sont attachés.

M. le président.

Monsieur Lenoir, il est midi et demi.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je pensais que vous pourriez en avoir terminé. Je vous accorde jusqu'à douze heures quarante-cinq, mais nous ne pourrons pas aller au-delà.

(Protestations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Franck Borotra.

C'est de l'intolérance !

M. Jean-Yves Besselat.

C'est eux qui l'ont voulu ce débat !

M. le président.

L'Assemblée est tout à fait éclairée et il existe des précédents en ce sens. Afin que le débat se poursuive aussi bien qu'il a commencé, j'avertis M. Lenoir de manière qu'il puisse resserrer les arguments qu'il lui reste à développer. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Yves Fromion.

C'est incontestablement une censure !

M. Pierre Lellouche.

Rappel au règlement !

M. Yves Fromion.

Vous ne pouvez pas priver la France du débat !

M. José Rossi.

Rappel au règlement !

M. le président.

Un peu de silence ! Laissez poursuivre M. Lenoir, s'il vous plaît !

M. Pierre Lellouche.

Mais c'est vous qui l'interrompez !

M. José Rossi.

Puis-je vous interrompre un instant, monsieur Lenoir ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je crois que je peux autoriser un orateur à m'interrompre et j'autorise José Rossi à le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Non, c'est tout à fait autre chose ! C'est moi qui donne la parole aux orateurs !

M. Franck Borotra.

C'est aussi vous qui la retirez !

M. le président.

Je vous ai dit qu'il était prévu d'en terminer à cette heure. Je veux bien vous accorder un quart d'heure supplémentaire, mais rien de plus, monsieur Lenoir.

M. Yves Fromion.

Il n'y a pas de quart d'heure supplémentaire. Pourquoi pas une demi-heure !

M. José Rossi.

Inacceptable !

M. Yves Fromion.

Ils refusent le débat, c'est clair !

M. Jean-Yves Besselat.

C'est scandaleux !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je voudrais vous dire, avec le plus profond respect, qu'à ma connaissance et fréquentant cette assemblée depuis longtemps, d'abord pour des raisons professionnelles, aujourd'hui pour des raisons liées à mon mandat, je ne crois pas qu'un seul président ait un jour abrégé les propos tenus par un orateur inscrit sur une question préalable.

(« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe commun iste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. -


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Un seul, non, mais deux, oui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Roman.

Philippe Séguin l'a fait fréquemment !

M. le président.

J'ai sous les yeux deux précédents qui figurent au Journal officiel.

Afin d'éviter toute discussion inutile, je vais les rappeler.

En décembre 1986, le président de séance M. Philippe Mestre a mis fin à l'intervention d'un de nos collègues, M. Fuchs. Le bureau lui a ensuite donné acte de la b onne application du règlement compte tenu du contexte.

M. Charles Cova.

Ce n'était pas sur un débat de société !

M. Michel Terrot.

Et pas sur une proposition de loi !

M. Jean-Yves Besselat.

Ce débat, ils l'ont voulu !

M. le président.

Et l'un de mes prédécesseurs, que vous connaissez, au nom de sa responsabilité, a mis fin à l'intervention de M. Hage, qui s'en souvient fort bien.

M. Michel Terrot.

Pas sur une proposition de loi !

M. le président.

C'était M. le président Philippe Séguin.

(Vifs applaudissements sur les mêmes bancs. - Vives protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale, du groupe communiste et du groupe du Rassemblement pour la République. - Plusieurs députés du groupe socialiste abaissent le pouce.)

S'il vous plaît, pas de gestes déplacés.

La parole est à M. Lenoir, dans les conditions que j'ai dites.

M. Franck Borotra.

C'est de la censure ! Un orateur ne doit pas se laisser censurer !

M. le président.

Bien évidemment, s'il ne voulait pas utiliser son temps, j'en tirerais les conséquences.

M. Franck Borotra.

La censure socialiste, non !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, vous me donnerez acte que rien dans mes propos, depuis neuf heures trente, heure de l'ouverture de la séance, n'a été fait pour que l'assemblée soit...

M. Jean-Claude Lefort.

Intéressée ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

... incitée à manifester, comme cela a été le cas il y a quelques jours, ou son impatience ou sa réprobation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale, du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je vous demande de me donner acte que je me suis attaché depuis tout à l'heure à faire en sorte qu'un climat serein - je vous donne acte également que vous y avez pris votre part, monsieur le président - s'instaure dans cette assemblée.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Si tel n'avait pas été le cas, je pourrais sinon admettre, du moins comprendre que vous me demandiez de quitter prématurément la tribune, ce que je n'ai pas l'intention de faire, pour deux raisons.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. Yves Fromion.

Sortez les baillonnettes !

M. Franck Borotra.

Ils vont peut-être essayer de vous faire sortir manu militari.

M. Jean-Claude Lenoir.

La première, c'est que le sujet qui nous rassemble en ce jour, monsieur le président,...

M. Jean-Claude Lefort.

Non, qui nous « réunit » !

M. Jean-Claude Lenoir.

... est un sujet...

M. Charles Cova.

Très grave !

M. Jean-Claude Lenoir.

... exceptionnel ! Il l'est de par la volonté du Gouvernement et de quelques membres de sa majorité plurielle. Rien ne l'obligeait à nous réunir alors que nous avions tant à faire dans nos circonscriptions, en ce samedi et même demain, dimanche ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Yves Besselat.

Absolument !

M. Jean-Claude Lefort.

Allez-y chez vous !

Mme Muguette Jacquaint.

Vous aviez l'autorisation d'aller dans votre circonscription !

M. Jean-Claude Lenoir.

Nous aurions répondu bien évidemment à son invitation, en fait à sa convocation, s'il nous avait appelés pour légiférer dans les domaines importants que j'ai rappelés précédemment. Il y aurait eu là une explication.

M. Jean-Yves Besselat.

Ils avaient d'autres priorités !

M. Jean-Claude Lenoir.

Franchement, ce texte, aucun candidat de la majorité plurielle ne l'a annoncé dans sa profession de foi... (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe communiste.)

M. Jean-Claude Lefort.

C'est hors sujet !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je peux vous donner lecture de toutes les professions de foi, je les ai toutes réunies.

(« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Le Premier ministre lui-même, depuis cette tribune, ne l'a jamais annoncé lorsqu'il a présenté la future action des on Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

L e parti majoritaire, le parti socialiste, n'a rien annoncé, lorsqu'il s'est réuni à Brest pour son dernier congrès : le parti socialiste n'a pas eu un mot, pas une phrase, pas un paragraphe sur ce sujet.

Mme Françoise de Panafieu.

Parce que c'est un sujet secondaire !

M. Jean-Claude Lenoir.

Or, sur un sujet de cette importance qui engage l'avenir de notre société,...

M. Jean-Yves Le Déaut.

Vous l'avez déjà dit !

M. Jean-Claude Lenoir.

... notre comportement eût été très différent si la majorité et le Gouvernement avaient organisé au préalable la consultation qui s'imposait (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs),...

M. Maurice Leroy.

Absolument !

M. Dominique Dord.

Mais il y a eu censure !

M. Jean-Claude Lenoir.

... comme cela s'était produit lorsque le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, avaient eu à délibérer sur la bioéthique.

Mme Françoise de Panafieu et M. Michel Terrot.

Mais bien sûr !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Claude Lenoir.

Ce que nous voulons, monsieur le président, ce n'est pas bloquer le débat, je vous en donne ma parole.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Je vous le dis avec sincérité, ce que nous voulons, c'est discuter. Commencer à discuter (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste),...

M. Jean-Claude Lefort.

Alors, allons-y !

M. Jean-Claude Lenoir.

... c'est ouvrir un débat qui n'a pas encore eu lieu pour déterminer les voies et les moyens...

M. Didier Boulaud.

Il y a la discussion générale pour cela !

M. Jean-Claude Lenoir.

... qui nous permettent de régler certains problèmes que nous connaissons.

M. Didier Boulaud.

Alors laissez commencer la discussion générale !

M. Jean-Claude Lenoir.

... mais ce que nous refusons,...

M. Jean-Claude Lefort.

C'est la discussion !

M. Jean-Claude Lenoir.

... c'est cette sorte de marche forcée...

M. Jean-Claude Lefort.

Le monologue, non !

M. Jean-Claude Lenoir.

... qu'on nous impose pour satisfaire les revendications de quelques-uns seulement (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) qui, à l'évidence, ont obtenu l'inscription de ce texte à l'ordre du jour prioritaire un samedi et un dimanche, sans que la majorité...

M. Pierre Lellouche.

C'est la minorité de la majorité d'ailleurs qui l'impose !

M. Bernard Roman.

Elle est là la majorité !

M. Jean-Claude Lenoir.

... en soit vraiment informée.

Mes chers collègues, si je ne disais pas la vérité, vous auriez été là le 9 octobre ! Nous ne serions pas là aujourd'hui.

Mme Françoise de Panafieu.

Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir.

C'est la première raison, monsieur le président, pour laquelle je n'entends pas renoncer à mon temps de parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

La seconde raison, c'est que quelle que soit l'approche, quels que soient les jugements que l'on porte sur ce qui est dit à cette tribune, je peux vous dire en toute sincérité,...

Mme Muguette Jacquaint.

C'est trop sincère pour être honnête !

M. Jean-Claude Lenoir.

... que j'ai travaillé pendant des jours et des jours cette intervention...

M. Maurice Leroy.

Très bien !

Mme Catherine Picard.

Faites un livre !

M. Jean-Claude Lenoir.

... et que je ne vois pas au nom de quoi, un travail mené avec mes amis du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du RPR et de l'UDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

n e pourrait pas faire l'objet d'une communication publique du haut de cette tribune. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Claude Lefort.

Rappel au règlement !

M. Jean-Claude Lenoir.

Maintenant, monsieur le président, puis-je être autorisé à vous faire une suggestion ? Je suis ici le porte-parole de mon groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Yves Fromion.

Ecoutez, au moins !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je vous propose de décider une suspension...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Non !

M. Dominique Dord.

Censure !

M. Jean-Claude Lenoir.

... de séance.

M. Alain Calmat.

Pourquoi ? Le charter n'est pas arrivé ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Mais je suis prêt à continuer sans interruption jusqu'où je dois aller pour donner connaissance de mon texte.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Qu'il n'y ait ni ambiguïté ni malentendu à cet égard.

Mais si nous nous arrêtons pour déjeuner, nous restaurer, prendre quelques précautions d'ordre strictement physiologique,...

M. Georges Hage.

La vessie ? A votre âge ? (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir.

... je pense que nous pourrions, pendant cette interruption, discuter des conditions et des modalités de la séance de cet après-midi...

M. Jean-Yves Le Déaut.

Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Claude Lenoir.

... s'agissant des interventions et de la discussion des articles.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

Rappel au règlement !

M. le président.

Mes chers collègues, il n'est pas coutume que nous ayons ce type de dialogue, mais puisque l'important est d'avancer, je ferai plusieurs remarques.

D'une part, comme vous le savez, car il y a des précédents en ce sens, la présidence a tout à fait la possibilité l orsqu'elle juge l'Assemblée suffisamment informée...

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. André Angot et M. Michel Terrot.

Ce n'est pas le cas !

M. le président.

... d'inviter l'orateur à conclure - ce que j'ai fait - et d'en tirer les conséquences. Voilà le point de droit, il est clair.

(Protestations sur les mêmes bancs.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Franck Borotra.

C'est à la conférence des présidents d'en décider.

M. le président.

Non, c'est au président.

Mme Françoise de Panafieu.

Il est intéressant de voir comment la démocratie libérale se situe sur ce point.

M. le président.

Deuxièmement, tous ceux qui ont suivi ce débat...

M. Didier Boulaud.

Et ils sont nombreux !

M. le président.

... savent que, l'autre jour, une de nos collègues a fait, ce qui était légitime, une intervention, qui n'a pas été totalement résumée (Rires) puisqu'elle a duré, je crois, cinq heures.

M. Jean-Claude Lefort.

Six heures ! (Sourires.)

M. le président.

M. Lenoir vient, d'ailleurs avec talent, si je peux me permettre cette observation personnelle...

Mme Françoise de Panafieu.

Avec brio ! C'était remarquable !

M. le président.

... de parler pendant trois heures, voire un peu plus. Nous attend une discussion générale qui, comme la conférence des présidents en a décidé, devrait durer quatre heures. Mais, d'après les éléments qui me sont communiqués, d'autres intervenants sont prévus, qui ajoutant chacun les minutes aux minutes, font que cela risque de se prolonger davantage. En outre, M. Devedjian soutiendra une motion de renvoi en commission, qui devrait durer une ou deux heures.

Je suis comptable de la bonne organisation de nos travaux.

Mme Françoise de Panafieu.

Ah ça oui, on le voit ! Nous siégeons tous les jours, week-end compris !

M. le président.

Dans le cadre qui nous est fourni à tous, j'observe que M. Lenoir a exposé ses arguments, au point d'ailleurs - et c'est son droit - d'en reprendre qu'il avait déjà développés.

(« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Si ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Vives protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) ... qu'il avait déjà développés tout au moins devant ceux d'entre vous qui étaient déjà là...

M. Dominique Dord.

Censeur !

M. Pierre Lellouche.

Il lui reste encore deux questions !

M. le président.

Conformément aux textes et à notre règlement, je l'invite donc à conclure.

(Mêmes mouvements.)

M. Franck Borotra.

C'est honteux ! Continuez votre discours, monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, comme il fut dit un jour dans cet hémicycle, la séance continue.

M. Louis Mexandeau.

Non, ce n'était pas dans cet hémicycle !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je voudrais vous donner lecture d'un excellent article écrit par quelqu'un que vous ne pouvez pas récuser, Robert Badinter. Il pose une question : « Ce pacte civil de solidarité est-il vraiment la meilleure solution ? »

M. Bruno Le Roux.

Ce n'est que le titre de l'article !

M. Jean-Claude Lenoir.

« Le mariage, dit-il, est une institution juridique indissociable, en son principe, de la procréation, comme le rappelle justement la sociologue Irène Théry. » Au moins, M

e Badinter connaît-il Irène Théry.

« C'est pourquoi je ne suis pas partisan d'un "mariage" entre homosexuels qui peut, de surcroît, être ressenti par beaucoup de couples mariés comme un sacrilège ou une parodie. » «

Une chose, écrit-il, est de proclamer le principe de non-discrimination entre homosexuels et hétérosexuels, autre chose est de l'inscrire à la faveur d'un PACS dans un ensemble hétéroclite de "partenaires" aux situations diverses dont aucune, contrairement à l'homosexualité, n'a jamais fait l'objet d'hostilité, voire de persécution. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Yves Nicolin.

Très bien.

M. Jean-Claude Lenoir.

En même temps que se livrait la bataille du statut, se livrait une autre bataille, plus récente celle-là, celle des fratries. On voit bien quelle logique est sous-jacente à ce raisonnement : comment s'y prendre pour camoufler au mieux le couple homosexuel sans prendre le risque de le diluer dans un modèle où il ne retrouverait plus son identité ? C'est tout le dilemme qui se cache derrière cette valsehésitation de sigles. D'innombrables versions se sont succédé. D'un PACS à l'autre, impossible de savoir le matin en se levant si celui de la veille n'avait pas entre-temps été supplanté par un autre.

Mme Muguette Jacquaint.

C'est ridicule.

M. Jean-Claude Lenoir.

Plusieurs hypothèses étaient possibles. Une première hypothèse : un statut de concubinage commun aux couples homosexuels et hétérosexuels.

Cette formule pouvait aisément s'abriter derrière le fait que les uns et les autres sont confrontés aux mêmes difficultés dans leur vie quotidienne. De ce point de vue, la démarche aurait affiché une certaine cohérence. En posant le principe de l'équivalence entre couples homosexuels et hétérosexuels, sans doute était-elle également satisfaisante aux yeux des militants de la cause homosexuelle. Elle est, dès lors, apparue comme une référence du couple moderne aux yeux de certains. C'est Patrick Bloche qui disait le 9 octobre - lui était là : « Vous l'aurez compris, mes chers collègues, c'est du couple qu'il s'agit prioritairement... » Plus loin

: « Il serait peut-être temps en 1998...

M. le président.

Veuillez conclure, s'il vous plaît.

(Protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Dominique Dord.

Inadmissible !

M. Henri Cuq.

C'est de la censure.

M. Jean-Claude Lenoir.

... de le considérer comme l'un des fondements de notre organisation sociale. »

Jean-Pierre Michel ajoute une remarque encore plus claire et qui n'a évidemment pas été relevée. Ce point est fondamental dans mon argumentation, monsieur le président. Il dit « Le couple n'est plus formé seulement d'un homme et d'une femme, mais il peut l'être aussi par deux hommes ou par deux femmes ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Mais justement parce qu'elle posait le problème de l'équivalence entre les couples homosexuels et hétérosexuels, cette formule était trop sulfureuse, et risquait de soulever trop d'interrogations auxquelles notre société n'était pas prête à être confrontée.

Certains d'ailleurs se sont exprimés d'une façon très claire contre une telle idée et la formule en était restée au stade des idées.

M. Yves Nicolin.

Très bien.

M. Jean-Claude Lenoir.

Deuxième hypothèse qui pouvait être envisagée : un statut pour toutes les formes de cohabitation qui ne seraient pas étendues aux fratries.

C'est la formule préconisée dans le PACS 1, ouverte à tous les types de cohabitation, et pas seulement aux couples : cette formule par rapport à la précédente permet bien entendu...

M. le président.

Veuillez conclure, s'il vous plaît.

M. Jean-Claude Lenoir.

... de laver le PACS de toute connotation sexuelle.

M. Jean-Claude Lenoir.

Cette formule s'en tient à la notion d'union sociale, qui permet de mettre en avant les valeurs de solidarité, d'entraide et de lutte contre l'exclusion. Elle présente surtout l'avantage d'être politiquement correcte. Et c'est à ce titre que finalement elle a été retenue.

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

C'est ce que dit notre rapporteur, dans des termes, monsieur le président, qui pourront être repris -...

M. Yves Fromion.

Très bonne analyse !

M. Jean-Claude Lenoir.

... - voyez ma bonne volonté en lisant le Journal officiel...

M. le président.

Je vous invite à conclure, et là, complètement ! (« Non ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Vraiment, monsieur le président !

Mme Sylvia Bassot.

Rendez-nous Paecht ! (Sourires.)

M. Henri Cuq.

Nous atteignons un point crucial qui mérite d'être développé.

(Exclamations sur divers bancs.)

M. Alain Calmat.

Vous êtes un provocateur !

Mme Sylvia Bassot.

Continuez, monsieur Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, j'étais extrêmement sincère en disant, avant de commencer, qu'il ne m'était pas possible d'indiquer au préalable le temps dont j'avais besoin. Je prends une certaine liberté avec les textes de référence dont je dispose sur ce pupitre.

Et il m'arrive - mais c'est le sujet qui le justifie -...

M. Alain Calmat.

Vous dérapez !

M. Jean-Claude Lenoir.

... d'être éventuellement plus long : mais peut-être est-il nécessaire d'en dire plus pour être bien compris.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Puis-je vous proposer, monsieur le président, car je suis conscient qu'au point où j'en suis j'ai dépassé, certes, la moitié de mon intervention, mais de très peu ... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

Monsieur Lenoir, en décomptant les interruptions, vous avez parlé à peu près trois heures un quart, trois heures vingt.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Sylvia Bassot.

Deux heures !

M. le président.

Ceux qui étaient là savent que nous avons commencé à neuf heures et demie.

Vous venez de nous indiquer, même si c'est avec humour, monsieur Lenoir, que vous aviez l'intention de parler un petit peu moins de six heures et demie.

J'estime que, compte tenu de tout ce que vous avez dit, qui était fort pertinent, l'Assemblée est suffisamment informée.

(« Non ! » sur les mêmes bancs) et je vous invite donc - cette fois-ci avec beaucoup de fermeté - à conclure, faute de quoi le reste de vos propos ne sera pas transcrit au Journal officiel. (Vives protestations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

C'est scandaleux !

M. Franck Borotra.

Censure !

M. Henri Plagnol.

Rappel au règlement, monsieur le président.

Ou plutôt, puis-je vous interrompre, monsieur Lenoir ?

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, un de mes collègues souhaite m'interrompre. Je l'y autorise bien volontiers.

M. Henri Plagnol.

Rappel au règlement !

M. le président.

Non ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lefort.

Ce n'est pas vous qui présidez, monsieur Lenoir !

M. Dominique Dord.

Censure !

M. Henri Plagnol.

Rappel au règlement !

M. Jean-Claude Lefort.

Vous ne connaissez pas le règlement !

M. le président.

Monsieur Lenoir, concluez. Si vous ne souhaitez pas conclure, je vous retire la parole.

(Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Dominique Dord.

Mme Guigou avait dit qu'elle ne brusquerait pas le débat ! Voilà le résultat !

M. Jean-Claude Lenoir.

Monsieur le président, je crois pouvoir dire, je le répète, que mon intervention a, depuis le début de la séance, été construite et formulée de faço n à éviter la moindre réaction sur les bancs de la majorité.

Je n'ai pas tenu un seul propos qui puisse blesser ou susciter des réactions.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Je vois d'ailleurs qu'aucun représentant de la majorité ne conteste ce que je viens de dire.

Je vous demande donc avec solennité le droit de poursuivre mon intervention (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

Radical, Citoyen et Vert), en vous précisant dès à présent que je suis prêt à prendre les dispositions nécessaires, en mon for intérieur, pour que la fin de mon intervention prenne moins de temps qu'elle n'aurait dû, compte tenu du sujet. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Patrick Braouezec.

Vous n'avez rien à dire !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je serai concret. Je pense que chacun, ici, est attaché à ce que le débat se poursuive dans les meilleures conditions.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je vous propose, si vous en êtes d'accord, de terminer dans un délai dont nous pourrons discuter avec les présidents des groupes de l'opposition (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)...

M. Didier Boulaud.

Coupez !

M. Jean-Claude Lenoir.

... pendant l'interruption de nos travaux correspondant au déjeuner.

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.

Je crois que c'est une solution raisonnable,...

M. Yves Fromion.

Honorable !

M. Jean-Claude Lenoir.

... qui permettra de poursuivre le débat dans les meilleures conditions, comme cela a d'ailleurs été le cas ce matin, ce dont je tiens à remercier mes collègues de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Monsieur Lenoir, le ton de votre intervention n'est nullement en cause. Il était parfait et il n'y a absolument rien à redire sur ce point.

Mais j'ai indiqué tout à l'heure que vous aviez déjà parlé trois heures vingt, qui s'ajoutent aux cinq heures utilisées par Mme Boutin pour défendre l'exception d'irrecevabilité. Quatre heures sont prévues pour la discussion générale et deux heures pour la motion de renvoi en commission.

Mme Sylvia Bassot.

Et alors ?

M. le président.

J'estime désormais, en vertu de l'article 54 du règlement, que l'Assemblée nationale est suffisamment informée. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Vous voulez limiter la démocratie ?

M. le président.

Je vais par conséquent clore cette intervention et donner la parole au Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Je dénonce cette décision ! Et je reste à cette tribune !

M. le président.

Un peu de calme. On ne peut, pour la bonne marche de l'Assemblée, laisser déraper les choses !

M. José Rossi.

Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement !

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député (Claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) , j'ai écouté votre discours. Il ne m'a pas semblé apporter d'éléments nouveaux. Mais votre objectif principal n'était sans doute pas de lui donner une portée conceptuelle.

Je pense qu'il est maintenant temps d'en venir au débat de fond. Je vous demande par conséquent, mesdames, messieurs les députés, de repousser la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

Mes chers collègues (Claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), au nom de la commission des lois, je vous demande de repousser la question préalable, car il y a lieu de délibérer très rapidement sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous allons maintenant passer aux explications de vote, conformément au règlement. Je rappelle que chaque orateur dispose de cinq minutes.

Pour le groupe RPR, la parole est à M. Patrick Delnatte. (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. José Rossi.

Rappel au règlement !

M. Henri Plagnol.

Rappel au règlement !

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît ! Monsieur Delnatte, vous ne souhaitez pas intervenir ?

M. Patrick Delnatte.

Monsieur le président, le groupe RPR ne veut pas d'un débat tronqué. (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. José Rossi.

Suspension ! Rappel au règlement !

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman.

Le groupe socialiste (De nouveau, claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Pour le groupe communiste, la parole est à M. Patrick Malavieille.

M. Patrick Malavieille.

Le groupe communiste (Claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) votera contre la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Pour le groupe RCV, la parole est à

M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Je dirai deux choses. (Claquements de pupitres ininterrompus sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Les propos d'Alain étaient en général convaincants et brefs. Or Alain était de Mortagne. Le groupe RCV, s'inspirant de ce grand philosophe, repoussera la motion présentée par M. Lenoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Pour le groupe Démocratie libérale, la parole est à M. Jean-François Mattei.

(Le bruit s'apaise.)

M. Jean-François Mattei.

Monsieur le président, nous aurions souhaité un débat plus serein. Il l'a été jusqu'à présent. Vous exercez maintenant une prérogative qui vous appartient.

Vous avez fait allusion à deux précédents, qui sont bien connus. L'un portait sur un sujet secondaire, l'autre a concerné M. Hage, qui avait annoncé très clairement une durée de temps de parole.

Dans ces conditions, permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que je dois à la fonction que vous exercez, que nous estimons que le débat est tronqué. Il n'a pas été c onduit correctement auparavant et vous interdisez aujourd'hui à notre orateur, qui était inscrit pour cinq heures, d'aller jusqu'au bout de son argumentation. Je ne développerai naturellement pas mon propos, car nous n'acceptons pas la façon dont vous considérez, aujourd'hui, le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Pour le groupe UDF, la parole est à

M. Maurice Leroy.

Un député du groupe socialiste.

Il est nul !

M. Maurice Leroy.

Oh, quand on voit que les députés de la majorité sont requis et commis d'office... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Monsieur le président, ce qui se passe est absolument intolérable et inadmissible. Vous bafouez tous les droits de l'opposition dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

L'un des droits de l'opposition, c'est de pouvoir exprimer ses arguments. M. Lenoir n'avait pas dépassé le temps de parole qui avait été annoncé en conférence des présidents.

M. Yves Nicolin.

Le temps de cinq heures avait été accepté !

M. Maurice Leroy.

On est en train de créer une jurisprudence dans cette assemblée et, mes chers collègues, je vous y rends attentifs, parce que ce qu'on fait aujourd'hui contre nous peut être fait demain contre vous. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Claude Lefort.

Donc vous êtes d'accord !

M. Maurice Leroy.

Ce n'est pas uniquement le Journal officiel de la République, monsieur le président, qui nous intéresse. Nous allons, nous, rester dans l'hémicycle, car nous sommes prêts à débattre, nous avons les arguments pour débattre et nous ne voulons pas participer à la mascarade qui a débuté le 9 octobre.

Et tout cela, mes chers collègues, parce que vous n'avez pas su être suffisamment nombreux en séance, parce que vous avez pensé faire un « petit coup », un tout petit coup, en profitant d'une niche parlementaire, alors que, comme l'a excellement montré Jean-François Mattei, ce sujet méritait un vrai débat, une vraie discussion au fond.

Je le répète : ce qui se passe est vraiment intolérable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Marc Laffineur.

C'est même scandaleux !

M. le président.

Je vais mettre aux voix la question préalable (« Non ! Non ! », sur les mêmes bancs) et je donnerai ensuite la parole à M. Philippe Séguin pour un fait personnel.

M. José Rossi.

Je demande la parole pour un rappel au règlement !

M. le président.

Non, pas de rappel au règlement.

Je mets donc aux voix la question préalable. (Exclamations, bruits et quelques claquements de pupitres sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

(La question préalable n'est pas adoptée.)

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations et huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Franck Borotra.

Le président censure !

M. Richard Cazenave.

Le débat durera d'autant plus longtemps !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 FAIT PERSONNEL

M. le président.

La parole est à M. Philippe Séguin.

M. Philippe Séguin.

Si l'Assemblée le permet, je souhaite intervenir sur le fondement de l'article 58, alinéa 4, de notre règlement.

En effet, monsieur le président, vous m'avez mis en cause au cours de la séance. Vous avez donné à penser à l'Assemblée nationale que j'aurais, dans le passé, lorsque j'étais son président, interrompu l'auteur d'une question préalable avant qu'il ne soit parvenu au terme de son temps de parole.

M. Gérard Fuchs.

C'est exact !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

M. Philippe Séguin.

C'est tout à fait inexact ! Et c'est par déférence envers M. le président de l'Assemblée nationale que je n'emploie pas un autre adjectif ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Un peu de silence s'il vous plaît ! Laissez parler le président Séguin.

M. Philippe Séguin.

M. Hage était inscrit pour deux heures trente minutes. Et, bien qu'il s'agisse d'un temps indicatif, je l'ai interrompu après qu'il eut dépassé ce temps de parole, le Journal officiel, que voici, en fait foi.

Deux heures trente demandées, deux heures trente de discours, je l'ai interrompu à ce moment-là : voilà la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

D'ailleurs, M. Hage, et je lui en donne acte, n'a pas protesté.

M. Jean-Claude Lefort.

Pas comme M. Lenoir !

M. Philippe Séguin.

Il m'a simplement dit qu'il pensait que le temps dont il disposait était illimité.

Alors, monsieur le président, si vous estimez être dans votre droit en interrompant M. Lenoir avant qu'il ait épuisé son temps de parole,...

M. Jean-Claude Lefort.

C'était plutôt M. Lenoir qui était épuisé !

M. Philippe Séguin.

... je pense que vous ne devez pas recourir à des arguments fallacieux pour vous justifier.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) (M. Philippe Séguin se dirige vers la sortie de l'hémicycle. - Huées sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Si le président Séguin entend ce que j'ai à dire, je rappellerai très précisément les faits, tels qu'ils figurent au Journal officiel , afin que personne ne soit induit en erreur.

Lors de la séance du 8 décembre 1995, le président de séance, qui était le président Séguin, a indiqué à M. Hag e, qui s'en souvient certainement, que notre collègue devait s'orienter vers sa conclusion. M. Hage a répondu - j'ai le procès-verbal sous les yeux : « Je croyais que mon temps était illimité. »

M. Richard Cazenave.

Il avait lui-même indiqué qu'il parlerait deux heures trente !

M. le président.

Laissez-moi aller jusqu'au bout. Le président de l'Assemblée nationale lui a dit : « Non, il ne l'est pas. C'est à la présidence qu'il appartient de faire respecter les textes constitutionnels. Le Gouvernement a la priorité pour l'ordre du jour. Je dois veiller à ce qu'en usant de ses droits l'Assemblée ne soit pas un obstacle à l'exercice des droits constitutionnels du Gouvernement. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Attendez, il faut aller jusqu'au bout.

Le président de l'Assemblée a poursuivi : « Monsieur Hage, vous avez demandé deux heures trente. »...

Mme Nicole Catala.

Et il les a eues !

M. le président.

...

« La discussion a été organisée sur cette base. Vous en êtes à 124 pages. On m'en annonce 156. Je vous demande très gentiment de bien vouloir vous orienter vers votre conclusion, que je crois d'ailleurs discerner. »

Et M. Hage de répondre : « C'est ce que je vais faire.

Cependant, puis-je objecter, en toute modestie, au président que je croyais que le temps de deux heures et demie était indicatif ? » Et M. Séguin a précisé, ce qui est parfaitement vrai : « C'est le président qui préside et qui apprécie si le temps est indicatif ou limitatif. »

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Voilà !

M. le président.

M. Hage, dont on connaît la culture, a conclu en disant : « Magister dixit. Je vais donc résumer. »

M. Jacques Pélissard,.

Mais M. Hage avait épuisé le temps qu'il avait lui-même indiqué !

M. le président.

Par ailleurs, un autre président de séance, auquel j'ai fait référence, a dit à M. Fuchs : « En vertu des dispositions de l'article 54, alinéa 6, je vous retire la parole. » Il y a eu des protestations, mais le pré-

sident de séance a mis aux voix l'exception d'irrecevabilité, le scrutin a été annoncé et le vote est intervenu.

Afin d'être parfaitement clair, dans le cas précis qui nous occupe, j'ai considéré, sur la base de l'article 54 du réglement, que M. Lenoir avait informé l'Assemblée.

(« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour

la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Nicolin.

Vous êtes partial !

M. Thierry Mariani.

Il n'a pas disposé de l'intégralité de son temps de parole !

M. le président.

Nous avons eu confirmation par M. Lenoir qu'il estimait nécessaire de parler le double du temps qu'il avait déjà utilisé, c'est-à-dire à peu près s ix heures.

M. Pierre Lellouche.

C'est son droit !

M. Jean-Claude Lenoir.

Oui, et je vais rester à cette tribune pour poursuivre mon intervention.

M. le président.

Par ailleurs, je n'oublie pas que, sur le même sujet, l'une de nos collègues est déjà intervenue cinq heures. (« Et alors ? » sur les mêmes bancs.)

Je le répète : quatre heures sont encore prévues pour la discussion générale et deux heures pour la motion de renvoi en commission. Dans ces conditions, respectant l'Assemblée nationale et son règlement (Protestations sur les mêmes bancs), j'ai pris mes responsabilités !

La séance est levée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 1998

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion des propositions de loi : de M. Jean-Pierre Michel ; de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues ; de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues ; de M. Guy Hascoët ; de M. Alain Tourret ; relatives au pacte civil de solidarité (nos 1118, 1119, 1120, 1121 et 1122) : M. Jean-Pierre Michel, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1138) ; M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 1143).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT