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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Souhaits de bienvenue aux présidents d'assemblées parlementaires d'Afrique (p. 9493).

2. Questions aux Gouvernement (p. 9493).

TAUX DE CONVERSION DE L'EURO (p. 9493)

MM. Valéry Giscard d'Estaing, Lionel Jospin, Premier ministre.

BILAN DES PRIVATISATIONS (p. 9494)

MM. Pierre Carassus, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

AIDE À DOMICILE (p. 9495)

M. Etienne Pinte, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

FISCALITÉ DES RETRAITÉS (p. 9496)

M

M. Jean-Marie Demange, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

DÉPÉNALISATION DU CANNABIS (p. 9497)

MM. Nicolas Dupont-Aignan, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

AMIANTE (p. 9497)

M. Patrick Leroy, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RETRAITE DES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS (p. 9498)

M. Maxime Gremetz, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE (p. 9499)

Mme Béatrice Marre, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

MAÎTRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ (p. 9500)

M. Pierre Hellier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

PRATICIENS HOSPITALIERS (p. 9501)

Mme Odette Trupin, M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

SIMPLIFICATIONS ADMINISTRATIVES

POUR LES PETITES ENTREPRISES (p. 9502)

M. Dominique Baert, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

3.

M odification de l'ordonnance relative aux lois de finances. - Explications de vote et vote sur une proposition de loi organique (p. 9503).

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois.

EXPLICATIONS DE VOTE (p. 9503)

MM. Nicolas Sarkozy, Daniel Feurtet, Henri Plagnol, Bernard Charles, Gilbert Gantier, Jean-Louis Idiart.

VOTE SUR L'ARTICLE UNIQUE (p. 9508)

Rejet, par scrutin, de l'article unique de la proposition de loi organique.

Suspension et reprise de la séance (p. 9508)

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

4. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 9508).

5. Modification de l'article 88-2 de la Constitution. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 9509).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 9509)

Mme Nicole Catala,

MM. Gérard Fuchs, Yves Bur, Philippe de Villiers, Jacques Myard, Julien Dray, Stéphane Alaize, Mme Béatrice Marre,

M.

Yann Galut.

Clôture de la discussion générale.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION (p. 9523)

Motion de renvoi en commission de M. Guillet ; MM. JeanJacques Guillet, René André, Mme Nicole Ameline, MM. Alain Barrau, Yves Bur, Jean-Pierre Michel, JeanClaude Lefort, le ministre. - Rejet par scrutin.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

6. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 9533).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SOUHAITS DE BIENVENUE AUX PRÉSIDENTS D'ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES D'AFRIQUE

M. le président.

Mes chers collègues, sur décision de notre bureau se tient en ce moment un colloque sur la politique africaine de la France, qui réunit au PalaisBourbon de nombreux collègues d'assemblées parlementaires d'Etats africains.

Nous avons le plaisir de recevoir dans les tribunes plus de trente présidents de ces assemblées. En votre nom à tous, je tiens à leur redire l'attachement de l'Assemblée tout entière à la coopération entre les Etats africains et la France et à leur souhaiter une très chaleureuse bienvenue.

(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance.

TAUX DE CONVERSION DE L'EURO

M. le président.

La parole est à M. le Président Valéry Giscard d'Estaing.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le président, mes chers collègues, la question que je souhaite poser à M. le Premier ministre porte sur la dernière décision à prendre avant le passage à la monnaie unique. Cette décision concerne le taux auquel le franc sera échangé contre l'euro.

L'article 109 L, paragraphe 4, du traité de Maastricht prévoit que le jour de l'entrée en vigueur de la monnaie unique, c'est-à-dire le 1er janvier 1999, peut-être le 31 décembre 1998, le Conseil statuant à l'unanimité, arrêtera le taux de conversion de chaque monnaie en euro. Je vous demande que ce taux de conversion soit simple.

Pendant trois ans, les Français vont vivre en utilisant les signes de deux systèmes monétaires, le franc et l'euro.

Il faut qu'ils puissent les comparer facilement. Aussi, ne leur compliquez pas trop la vie ! (Sourires.)

Pour des raisons techniques tout à fait compréhensibles, le règlement du Conseil du 17 juin 1997 a prévu un taux de conversion à six chiffres : un chiffre suivi de cinq décimales.

Dans le document sur le passage à l'euro, mis à la disposition des Français un peu partout, on a voulu leur p roposer un exemple. Sachant qu'un euro égale 6,58450 francs, un achat de 54 francs - pourquoi 54 francs ? C'est le prix d'un baril de lessive ou d'un poulet fumé... (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président.

Réservez vos applaudissements pour la fin, mes chers collègues ! (Sourires.)

Monsieur le Président, continuez !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Mes chers collègues, nous sommes là dans la technique financière ! (Sourires.)

Un achat de 54 francs, selon la brochure diffusée par le Gouvernement, représentera 8,20108 euros. Vous saisissez l'absurdité de cette situation, jaillie des fantasmes de la technostructure financière ! (Applaudissements et exclamations sur divers bancs.) Naturellement, ces sommes seront arrondies, mais vous n'empêcherez pas les gens de se dire que cela se fera à leur détriment.

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est un Auvergnat qui parle !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

C'est pourquoi je vous suggère de fixer ce taux de conversion à 6,50000 francs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Hage.

Il a son certificat d'études !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cela ne change rien aux relations financières entre les Français, par exemple, en ce qui concerne les salaires, les loyers ou les retraites.

Vis-à-vis de l'extérieur, nous venons d'assister à de telles secousses sur le marché des changes qu'un tel ajustement, qui représente 0,8 % de notre taux de change, ne poserait aucun problème sérieux.

Savez-vous que si, ce matin, vous aviez eu l'idée d'acheter un billet de 100 deutschemarks dans une banque, on vous aurait demandé 346 francs ? Si, cet après-midi, vous le revendiez dans la même banque, on ne vous rendrait que 322 francs, soit un écart de 7 %.

M. Georges Hage.

N'achetez pas !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Autrement dit, un ajustement de 0,8 %, ce ne serait pas cher pour simplifier la vie des Français.

Mme Odette Grzegrzulka.

Démagogie !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le Premier ministre, pour faire aimer l'euro, ou au moins le faire accepter, pensez-vous obtenir un taux de conversion


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

simple entre l'euro et le franc ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, le ministre de l'économie et des finances, expert en ces matières, et dont c'est le champ de compétences, me pardonnera de m'aventurer sur ses brisées et de répondre moi-même à la question posée par le Président Giscard d'Estaing. Il a pensé, comme moi, que ce serait un geste de courtoisie. Cela dit, je me risque là sur des terres austères, desquelles il faudra tout de même essayer de tirer des fruits suffisamment simples.

M. André Santini.

C'est merveilleux !

M. le Premier ministre.

La parité entre les monnaies des Onze a d'ores et déjà été fixée, mais le cours de l'euro en francs ne sera, comme vous l'avez indiqué, monsieur le Président, connu avec précision que le 31 décembre 1998 - en début d'après-midi, dit-on aujourd'hui - parce que l'ECU, aujourd'hui, comporte des monnaies qui flottent et introduisent, par conséquent, une variable et une incertitude qui ne pourront être levées qu'au moment de la décision de passage à l'euro.

A ujourd'hui, le cours de l'euro est proche de 6,60 francs. Il est vrai que le cours officiel qui sera connu le 31 décembre sera affiché avec cinq décimales. Je précise devant l'Assemblée nationale que cette décision est le résultat d'un règlement adopté le 17 juin 1997, après six mois de négociations difficiles et complexes, et nous l'avons quasiment trouvée en arrivant.

J'aurais préféré, comme le Président Giscard d'Estaing, que le choix puisse être totalement simple. Mais comment pouvait-il l'être à partir du moment où chaque pays devait établir une parité idéalement simple, mais techniquement impossible à fixer simplement, avec l'euro précisément ? Ce cours de conversion n'est d'ailleurs pas fait pour être retenu. Il a même, paradoxalement, vocation à être oublié. Dans l'intervalle, avec le cours qui produira cet oubli, ce qui importera, ce ne sera pas de comparer les anciens prix en francs aux nouveaux prix en euros, mais les dépenses et les prix en euros aux revenus et aux salaires en euros. Car il s'agit de mesurer son pouvoir d'achat en comparant ses recettes et ses dépenses.

Le double affichage des prix, des salaires et des factures sera effectué massivement entre 1999 et 2002. Il ne comprendra que deux chiffres après la virgule, car il n'y a ura aucune unité monétaire inférieure au centime d'euro. Mais il y aura effectivement, et c'est ce qui préoccupe le Président Giscard d'Estaing, un taux précis avec cinq décimales. Il sera notamment utilisé pour les opérations financières, ainsi que pour les comparaisons et les transferts de grosses sommes. Ces cinq décimales sont en effet indispensables pour des sommes considérables, afin que nul - opérateur, financier, entreprise, ménage - n'y perde ou n'y gagne.

Le Gouvernement s'attache, par ailleurs, à réduire les difficultés pratiques, en étroite concertation avec les associations de consommateurs, par la distribution - en cours - d'un guide d'informations pratiques à 33 millions d'exemplaires, en offrant aux populations, qui peuvent éprouver le plus de difficultés, des calculettes comprenant en mémoire - j'y insiste parce que ce sont des choses concrètes et utiles - le cours précis de conversion. Il ne sera donc pas besoin de l'entrer à chaque fois. Enfin, seront mis en place des observatoires départementaux de l'euro auxquels pourront être transmises les difficultés de chacun.

(Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il faut donc choisir entre la simplicité nécessaire et l'équité indispensable. Cela implique qu'il y ait deux modes de référence et de calcul : l'un, pour l'ensemble d es consommateurs dans les transactions courantes ; l'autre, pour les grands opérateurs économiques et financiers, pour que personne n'y perde, ni les ménages ni ces institutions économiques.

Nous nous sommes inscrits, mesdames, messieurs, dans la logique que vous nous aviez préparée.

M. Yves Fromion.

Et voilà !

M. le Premier ministre.

Mais je ne doute pas que les imple, efficace, équitable et néanmoins sophistiqué ministre des finances du Gouvernement ne fasse son profit de l'interpellation, comme toujours pertinente, du Président Giscard d'Estaing. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

BILAN DES PRIVATISATIONS

M. le président.

La parole est à M. Pierre Carassus.

M. Pierre Carassus.

Monsieur le président, mes chers collègues, je dois avouer que cet exposé magistral a renforcé mon adhésion à l'euro... (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Lionel Jospin, Premier ministre, a déclaré, dimanche, lors de la convention nationale du parti socialiste : « Privatiser n'est pas, pour mon gouvernement, l'objectif. Seul l'intérêt national nous préoccupe. »

T out authentique républicain ne peut que se reconnaître dans cette volonté qui est en nette rupture avec le tout-libéral, dévastateur pour l'emploi, de vos prédécesseurs. (Protestations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pour autant, au regard de cette louable intention, cert aines décisions gouvernementales laissent dubitatifs.

(« Ah ! » sur les mêmes bancs.)

Prenons un seul exemple, celui de France Télécom : les salariés et les usagers, je devrais dire les « clients », n'ont rien gagné à la privatisation, bien au contraire. En revanche, si l'on en croit la publicité racoleuse de la direction de cette entreprise, les actionnaires, eux, sont très bien servis.

Si l'on fait le bilan de cette privatisation, comme de toute autre, on a plutôt le sentiment que des pans entiers du service public sont abandonnés aux lois des marchés financiers, sans que les retombées positives pour notre pays et son économie apparaissent évidentes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Monsieur le ministre, ma question est donc la suivante : quel bilan au regard de l'intérêt national le Gouv ernement tire-t-il des privatisations déjà engagées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Je vais donner la parole à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Bien que la question soit vaste,...

M. Francis Delattre.

Et incompréhensible !

M. le président.

... il vous faudra répondre en deux minutes, monsieur le ministre !

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, en 1986, le gouvernement d'alors - c'est l'opposition aujourd'hui avait établi une longue liste d'entreprises à privatiser, car il considérait qu'il était mieux qu'une entreprise fût privée plutôt que publique. Des dizaines d'entreprises ont ainsi été destinées à la privatisation. On a parfois frisé le ridicule, par exemple, souvenez-vous, lorsqu'on a estimé Thomson Multimédia à un franc alors qu'il vaut aujourd'hui plusieurs milliards. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour le Gouvernement, la privatisation - à l'inverse de ce que je viens de décrire - n'est en rien un objectif. Ce n'est pas non plus un expédient budgétaire : aucune des ressources venant de la cession d'un actif public depuis dix-huit mois n'a servi à financer le budget général. A l'inverse, de 1993 à 1997, sur 160 milliards de recettes, 80 milliards de francs sont allés financer le budget général. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Protestations sur les bancs, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Yves Fromion.

Et le Crédit Lyonnais ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Où en sommes-nous ? Dans le secteur financier, des engagements visant la recapitalisation des entreprises qui allaient mal ont conduit à ce que, en contrepartie, celles-ci soient cédées. Ces engagements avaient généralement été pris avant notre arrivée au pouvoir.

Néanmoins, nous l'avons fait. De toute façon, c'était sans doute une bonne chose que de mettre fin à cette hémorragie, car le coût de ces entreprises pèse sur l'argent du contribuable.

M. Francis Delattre.

Ah ! Tout de même ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais lorsque ce n'était pas nécessaire, par exemple pour la Caisse nationale de prévoyance, bien qu'elle ait été destinée par la majorité précédente à la privatisation, nous l'avons gardée dans le secteur public.

Dans ce cas, il n'y avait pas d'engagement et, donc, il n'y avait aucune raison de le faire. Le CNP est bien dans le secteur public.

D'autres exemples ne concernent pas le secteur financier mais le secteur industriel : Thomson et Aérospatiale.

Là, c'est la volonté de mener une politique industrielle - création d'un grand pôle d'électronique de défense dans le cas de Thomson et d'un grand pôle aéronautique français puis européen dans le cas de l'Aérospatiale - qui conduit à des alliances avec des entreprises privées et peut alors faire que l'Etat perde la majorité. Mais c'est la volonté nationale, celle-là même à laquelle vous faisiez allusion, d'avoir un grand pôle européen d'aéronautique qui explique l'opération que nous conduisons sur l'Aérospatiale. Or cette volonté s'est exprimée sur tous ces bancs.

Si nous réussissons - et je le pense - à faire que l'ensemble de l'industrie aéronautique française soit regroupée dans une seule main, non seulement cette entreprise y gagnera mais aussi la souveraineté nationale.

En ce qui concerne France Télécom, c'est aujourd'hui le quatrième opérateur mondial de télécommunications.

Ce n'est pas une entreprise privatisée, monsieur le député, mais une entreprise publique détenue à plus de 62 % par l'Etat. Mais elle a besoin de s'allier avec des partenaires, notamment Deutsche Telekom, pour que, à eux deux, ces deux entreprises forment le plus grand opérateur mondial.

Cette alliance conduit évidemment à céder des parts, ainsi qu'à coter l'entreprise en bourse.

Dans cette même opération, qui se déroule en ce moment, 20 milliards de francs sont levés pour « nourrir » France Télécom et améliorer le service qu'elle rend.

Les salariés, d'ailleurs, le savent bien, qui seront, avec 3 % du capital, le deuxième actionnaire derrière l'Etat.

Au total, l'opération menée sur France Télécom, outre qu'elle permet de financer d'autres entreprises publiques je pense à Réseau Ferré de France, par exemple -, est uns uccès. Nous démontrons ainsi qu'une entreprise publique peut gagner. En vérité, la preuve en est déjà faite : sinon France Télécom placerait-elle sur le marché des titres dans les conditions que l'on sait ? Nous avons toutes les raisons, sur ces bancs, d'en être fiers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

AIDE À DOMICILE

M. le président.

La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Etienne Pinte.

Monsieur le ministre de l'économie et des finances, pour que votre réponse soit plus complète et plus honnête, vous auriez tout de même pu rappeler que Thomson Multimédia a été recapitalisé par l'Etat à hauteur de 11 milliards de francs. Le contribuable a donc été mis à contribution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Lors de la discussion en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement a été adopté, qui porte de 30 à 100 % l'exonération des charges patronales des associations d'aide à domicile.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette mesure, à condition qu'elle ne soit pas pénalisante pour d'autres personnes âgées. Or elle est financée en grande partie par une forte diminution de l'exonération des charges sociales dont bénéficient les personnes âgées de plus de soixantedix ans qui emploient une aide à domicile.

Pourquoi, madame la ministre, vous en prendre à une partie des personnes âgées qui bénéficient actuellement, d'une exonération à 100 %, alors que le maintien à domicile et le financement de la dépendance nous posent de graves problèmes et vont encore en poser dans les années à venir ? Pourquoi limiter en quelque sorte la liberté de choix de ces personnes âgées ? Une partie d'entre elles seront obligées de passer par les associations et ne pourront rest er maîtresses d'elles-mêmes, en étant elles-mêmes employeurs ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Votre réponse intéresse plus d'un million de personnes âgées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous savez que nous travaillons sur ce problème de la dépendance, comme d'ailleurs sur celui des personnes handicapées, sous un angle double : l'état de dépendance de la personne, et, à cet égard, la loi sur la PSD, en fixant une grille AGGIR et en permettant de mesurer l'état de la dépendance, nous a permis de progresser, mais aussi la dépendance financière.

Ce n'est pas parce que l'on est âgé que l'on doit être aidé par l'Etat, mais parce que l'on a des besoins liés à sa dépendance physique ou mentale ou à sa dépendance financière.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Terrasse.

Absolument !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous avons réfléchi, et Mme Guinchard-Kunstler travaillera sur ce sujet à la demande du Premier ministre, aux métiers de la dépendance dont nous avons besoin aussi bien en établissement qu'à domicile pour seconder, accompagner les personnes âgées. Nous sommes l'un des pays où les personnes âgées sont le plus placées en établissement, alors même que leur santé morale et mentale se dégrade rapidement lorsqu'elles ne sont plus autonomes et lorsqu'elles ne vivent pas chez elles. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, à la suite du rapport HespelThierry, a souhaité prendre des mesures permettant à un plus grand nombre de personnes âgées de rester à domicile et leur donnant la possibilité de bénéficier des services de véritables professionnels. Ce sont eux que l'on retrouve, en règle générale, dans les associations d'aide à domicile. Par un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale, et j'ai été heureuse de voir qu'un grand nombre d'entre vous l'ont voté, nous avons porté de 30 à 100 % l'exonération des cotisations des associations d'aide à domicile. Le coût pour la sécurité sociale est de 650 millions de francs.

J'ai indiqué tout à l'heure que nous devions tenir compte de la dépendance financière. Seules 10 % des personnes âgées de plus de soixante-dix ans qui occupent une ou plusieurs personnes à domicile les emploient plus de quinze heures par mois. Cela représente 50 % des heures travaillées. C'est pour ces personnes uniquement que nous avons supprimé l'exonération à 100 % des cotisations patronales. Ce sont celles qui ont le plus de revenus. Ceux qui touchent la PSD, une allocation de handicapés ou une allocation d'aide sociale continueront évidemment à bénéficier d'une exonération à 100 %. Par l'ensemble de ces mesures, nous répondons aux objectifs que nous nous sommes fixés : maintenir un plus grand nombre de personnes âgées à domicile, leur apporter un service de qualité et aider davantage ceux qui en ont vraiment besoin en termes de dépendance physique et mentale et en termes de dépendance financière. J'espère qu'après ces explications vous comprendrez les mesures qui ont été prises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

FISCALITÉ DES RETRAITÉS

M. le président.

La parole est à M. Jean-Marie Demange.

M. Jean-Marie Demange.

Il y a un an, monsieur le Premier ministre, vous augmentiez fortement le taux de la CSG sur les retraites, les pensions et l'épargne de nos concitoyens. Au même moment, vous avez décidé de baisser le plafond de la demi-part fiscale dont bénéficient les personnes seules ayant élevé un ou plusieurs enfants.

Trop, c'est trop ! Ces mesures, les retraités les paient aujourd'hui au prix fort.

Comme si cela ne suffisait pas, la semaine dernière, vous avez encore refusé obstinément d'arrêter la baisse du plafond de l'abattement fiscal de 10 % dont ils bénéficient au titre de l'impôt sur le revenu, alors même que l'Assemblée nationale avait voté à l'unanimité un amendement stabilisant ce plafond.

Nous comprenons, par conséquent, que les retraités soient en colère. Comme beaucoup d'autres, ils en ont assez de payer toujours plus d'impôts.

Ma question sera donc simple : quand cesserez-vous cette politique d'acharnement fiscal, en particulier sur les retraités (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République), qui ont créé de la richesse pendant leur vie active (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et contribuent encore activement aujourd'hui à faire vivre notre économie ? Et ne répondez pas une fois de plus que c'est la faute de l'ancien gouvernement ! (Applaudissements sur de nomb reux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est drôle, monsieur le député, comme, chaque fois, sans qu'on vous le demande, vous renvoyez la faute sur l'ancien gouvernement ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Votre question, honnêtement, est largement démagogique. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Lucien Degauchy.

Changez de disque ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il convient d'y répondre, mais ne croyez surtout pas que vous arriviez à faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes !

M. Christian Jacob.

C'est votre apanage ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La modification de l'abattement pour frais professionnels des retraités, ce n'est pas cette majorité, c'est la précédente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Richard Cazenave.

Et la baisse d'impôt ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Faire contribuer tout le monde à la CSG est une mesure d'équité. Que cela puisse poser des problèmes


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

particuliers à de tout petits contribuables, nous y réfléchissons. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Si vous avez assisté, ce dont je ne doute pas, aux débats parlementaires sur la loi de finances et sur la loi de financement de la sécurité sociale, vous savez que le Gouv ernement s'est engagé à maintenir le plafond à 20 000 francs en l'an 2000. Aucun des arguments que vous développez n'est donc fondé.

Ce qui compte, c'est la conception que l'on a de la justice fiscale. Pour nous, les revenus du travail et les retraites doivent être moins frappés que les revenus du capital.

M. Richard Cazenave.

Baissez les impôts comme on avait prévu de le faire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous mettons en oeuvre cette politique. Elle plaît ou elle ne plaît pas. Je suis sûr qu'elle plaît aux Français,...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Non ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... car ils considèrent qu'il vaut mieux moins imposer le travail et les retraites et imposer davantage le capital.

Chacun, dans la société, défend ce qui lui convient.

Pour cette majorité, c'est clair : c'est le travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) DÉPÉNALISATION DU CANNABIS

M. le président.

La parole est à M. Nicolas DupontAignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan.

Ma question s'adresse à

M. le Premier ministre.

Dans de nombreux quartiers de nos villes, les petits trafics de drogue se multiplient. Les services de police les combattent chaque jour, les éducateurs locaux font de la prévention. Tous reconnaissent que la plupart des toxicomanes ont commencé par consommer des drogues dites douces. A cet égard, des mesures fermes à l'égard du trafic et de la consommation du cannabis sont indispensables.

Mais comment ces acteurs de terrain peuvent-ils être efficaces et légitimes quand, au sommet, des membres de votre gouvernement militent ouvertement pour la dépénalisation du cannabis ? Que pensez-vous des déclarations de la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue, Mme Maestracci, qui, dans une interview au Figaro, le 17 novembre 1998, estimait qu'il n'était finalement pas si grave de dépénaliser le cannabis et qu'il s'agissait simplement de ne plus poursuivre pénalement les usagers, que pensez-vous de sa demande d'une évolution de la politique pénale ? Une semaine plus tard, hier, dans Le Parisien, votre secrétaire d'Etat à la santé, M. Bernard Kouchner, reconnaissait l'existence d'expériences de dépénalisation.

Pourriez-vous nous en dire plus sur de telles expériences ? Le Gouvernement autoriserait-il en certains points de notre territoire la vente libre de cannabis ? Partagez-vous la position de votre secrétaire d'Etat à la santé, qui déclare - et cela figure en gros titres dans le journal Le Parisien qu'il ne faut pas se focaliser sur le cannabis ? Acceptez-vous de voir ainsi banalisé l'usage de stupéfiants ? Sur un sujet aussi grave pour l'avenir de notre société, quelle est la position exacte du gouvernement pluriel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, pour une réponse courte.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Vous êtes attentif aux titres des articles, monsieur le député, mais puis-je vous demander de lire également le texte qui suit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je dis simplement des choses que chacun peut savoir, puisque, hier, a été publié le baromètre de la santé des jeunes de notre pays, et c'est à cette occasion que Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT, et moi-même avons été amenés à commenter deux faits.

D'abord, que cela nous réjouisse ou non, il y a autour de nous, dans les quartiers, une banalisation du cannabis.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Constater scientifiquement une réalité n'est en rien accepter la situation ou faire preuve de laxisme.

Par ailleurs, tout le monde sait aujourd'hui, tous les gens sérieux à travers le monde, pas seulement en France, qu'il faut voir le problème humain, s'intéresser à la personne et non au produit. Le cannabis ne vient jamais seul. Il y a hélas ! une gradation un peu infernale : le tabac, l'alcool et, enfin, le cannabis. Il faut donc proposer p our ces jeunes un projet qui prenne en charge l'ensemble des toxiques, légaux et illégaux.

Loin de nous, vous le savez, l'idée de faire preuve de laxisme et de dépénaliser. Il n'en est pas question ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Des expériences ont lieu, en effet, entre le parquet et l'hôpital de telle ville pour que les interpellations ne soient pas suivies d'effets pervers. Il faut au contraire en profiter pour informer les jeunes, parler à leurs familles et leur exposer les dangers de tous les toxiques. Il n'y a pas d'un côté le cannabis qui ferait peur et, de l'autre, l'alcool qui ferait partie d'une culture acceptée dans notre pays ! Ça non ! Je vous rappelle qu'il n'y a eu aucun mort par c annabis, mais 60 000 morts dues au tabac et 50 000 morts dues à l'alcool.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Nous passons aux questions du groupe communiste.

AMIANTE

M. le président.

La parole est à M. Patrick Leroy.

M. Patrick Leroy.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, je me trouvais ce matin en compagnie de mon ami Maxime Gremetz aux côtés des travailleurs de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

l'amiante qui manifestaient face à l'Assemblée nationale.

Ces travailleurs, atteints de maladies professionnelles liées à l'utilisation de cette matière, veulent sensibiliser l'opinion aux exigences de prévention et de réparation du préjudice subi.

Ils approuvent et saluent, tout comme nous, la mesure annoncée par le Gouvernement, la possibilité de bénéficier d'une préretraite dès l'âge de cinquante ans. Cependant, le problème reste complexe et la mesure est perfectible.

En premier lieu, le facteur de 1,33 mériterait d'être revu, car le salarié aura dû être exposé au moins trente ans pour bénéficier de la mesure. Dès lors, n'est-il pas envisageable de revoir ce facteur et de le relever à 1,5 par année d'exposition, comme c'est le cas en Italie et comme le suggèrent les salariés ? Les pathologies telles que les plaques pleurales et les épaississements pleuraux doivent être inscrites dans le dispositif, ce qui n'est pas prévu.

Enfin, il est souhaitable d'élargir le champ d'application. Les victimes de l'amiante qui, une fois atteintes, se retrouvent exclues du monde professionnel doivent avoir droit à une retraite à taux plein.

Pour les veuves dont le conjoint décède avant l'âge de cinquante-cinq ans, des problèmes subsistent. Nous proposons que la pension de réversion soit versée dès le décès du conjoint pour leur permettre de faire face aux aléas de la vie.

Ces premières mesures sont une étape importante vers la nécessaire reconnaissance de la maladie professionnelle.

Cependant, l'élaboration d'un statut des travailleurs de l'amiante reste d'actualité, tout comme le niveau de ressources des travailleurs qui partiront en retraite anticipée.

Sur ces différents points, les salariés concernés seront attentifs aux réponses du Gouvernement, tout comme nous.

Enfin, pouvez-vous nous dire quand sera mis en oeuvre un plan de prévention et d'élimination effective des risques de l'amiante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

S'agissant de la prévention, monsieur le député, il faut à la fois aller vite et ne pas se précipiter, car il y a peu d'experts dans notre pays qui sont aujourd'hui capables de détruire des immeubles dans des conditions maximales de sécurité. Depuis que le professeur Got a remis son rapport à Bernard Kouchner et à moi-même, en juiller dernier, nous n'avons pas perdu de temps mais nous essayons de traiter ce dossier avec le plus de pertinence possible, c'est-à-dire avec le moins de risques possible pour ceux qui travailleront au désamiantage.

Dès le mois de janvier prochain, paraîtront un certain nombre de décrets qui permettront de mieux repérer l'amiante dans les bâtiments, de prendre des dispositions destinées à éviter aux salariés de courir des risques lors des opérations de destruction ou d'aménagement. Un plan de gestion des bâtiments qui contiennent de l'amiante sera mis en oeuvre. Nous travaillons par ailleurs à un fichier national pour que chacun puisse savoir où il y a de l'amiante. L'ensemble de ces éléments nous permettront d'avancer considérablement en début d'année en matière de prévention.

Vous évoquez, par ailleurs, après avoir été, comme d'autres, aux côtés des salariés de l'amiante ce matin, les problèmes posés par les maladies professionnelles. Je voudrais d'abord vous apporter quelques précisions.

La règle du tiers ne s'applique pas aux salariés ayant d'ores et déjà déclaré une maladie professionnelle liée à l'amiante : asbestose, tumeurs pleurales, mésothélium ou cancer broncho-pulmonaire. Ils prennent leur préretraite dès maintenant à cinquante ans. C'est uniquement pour ceux qui n'ont pas déclaré de maladie que l'âge de cessation d'activité sera calculé en déduisant de l'âge légal de retraite, soixante ans, un tiers des années passées dans le secteur de l'amiante.

Faut-il aller plus loin ? Je crois très franchement que ceux qui n'ont que des taches pleurales, si j'ose dire, et qui ont heureusement toute chance de ne pas déclarer une maladie professionnelle ne doivent pas être considérés de la même manière que ceux qui ont déjà une maladie grave.

En revanche, et je vous rejoins sur ce point, nous devons être attentifs aux salariés d'autres métiers, par exemple ceux qui ont travaillé au flocage ou au calorifugeage dans les immeubles et qui ont été eux aussi en contact avec l'amiante. Nous ne sommes pas capables aujourd'hui de les définir précisément. J'ai demandé aux directions régionales du travail et de la santé, ainsi qu'aux caisses régionales d'assurance maladie, de poursuivre des études ciblées par secteur d'activité - les chantiers navals, le bâtiment par exemple - et par région, afin que nous puissions dès que possible compléter le dispositif. Croyez bien que c'est une grande priorité pour le Gouvernement.

Enfin, les veuves auront droit à la pension de réversion de droit commun, bénéficiant du droit à la pension acquise par le conjoint dans le cadre du dispositif de cessation anticipée d'activité, et auront par ailleurs droit au dispositif général que le Gouvernement vient de proposer dans la loi de financement de la sécurité sociale, soit un gain de 12 000 francs la deuxième année de la pension de réversion, et de 18 000 francs par an à partir de la troisième année.

Nous sommes au coeur du dispositif visant à régler définitivement le problème de l'amiante dans notre pays.

Nous allons continuer à avancer, avec célérité mais sans précipitation, pour assurer une totale sécurité aux salariés et à l'ensemble de nos concitoyens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

RETRAITE DES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS

M. le président.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour poser une question courte qui appellera une réponse courte.

M. Maxime Gremetz.

Monsieur le président, mes chers collègues, d'abord, je voudrais signaler, avant de poser ma question, que j'apprends avec beaucoup de satisfaction q ue M. Pinochet ne bénéficie pas de l'immunité.

(Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Christian Jacob.

Et Castro ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Maxime Gremetz.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, notre pays connaît une situation contradictoire : alors que tant d'hommes, de femmes et de jeunes aspirent à trouver un emploi, d'autres sont épuisés par des conditions de travail insupportables et un surcroît de labeur. L'aspiration à l'abaissement de l'âge de la retraite est tout à fait légitime. Or, les crédits destinés à financer les départs en retraite anticipée, tels qu'ils viennent d'être votés en première lecture, accusent une forte baisse.

Nous avons déposé il y a plusieurs mois une proposition de loi dont l'objet est de permettre notamment à toute personne ayant cotisé quarante annuités de partir en retraite, sans condition d'âge, avec une pension à taux plein. C'est une mesure de justice pour les intéressés. En outre, elle constituerait une modalité de la réduction du temps de travail et serait créatrice de milliers d'emplois.

Par ailleurs, la suppression de la condition d'âge pour pouvoir bénéficier de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, pour les salariés ayant cotisé quarante annuités va dans le même sens. Tel est l'objet, je vous le signale, de la proposition de loi que vient de déposer le groupe socialiste.

Par conséquent, madame la ministre, la volonté existe au sein de la majorité plurielle, au sein de la majorité de cette assemblée, et aucun obstacle ne s'oppose à ce que nous décidions cette mesure si attendue par le pays.

Quand le Gouvernement compte-t-il inscrire cette question à l'ordre du jour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, à laquelle je demande malheureusement d'être très brève.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, comme vous l'avez fort bien dit, partir en retraite quand on a cotisé quarante annuités, c'est d'abord une mesure de justice sociale. Mais c'est aussi, bien sûr, une mesure favorable à l'emploi puisque, en règle générale, des jeunes peuvent remplacer les personnes qui partent en retraite.

L'ARPE, qui a été mise en place par les partenaires sociaux, a permis jusqu'à présent le départ en préretraite d'environ 125 000 personnes et l'embauche de 110 000 jeunes.

De la même manière, un mécanisme a été mis en place en faveur des chômeurs ayant cotisé plus de quarante annuités.

Par ailleurs, l'Assemblée a voté à l'unanimité une proposition de loi du groupe communiste, reprise par la commission des affaires sociales, qui permet dorénavant à toute personne touchant le RMI ou bénéficiant d'une allocation de solidarité de partir en préretraite lorsqu'elle a cotisé durant quarante annuités.

Vous avez raison, monsieur le député, il faut aller plus loin, car, à l'heure actuelle, le système retenu par les partenaires sociaux n'est applicable qu'à partir de cinquantehuit ans.

Le 10 octobre dernier, le Premier ministre avait annoncé à ces mêmes partenaires sociaux que l'Etat était prêt à apporter une aide de 40 000 francs par an pour chaque départ en préretraite d'une personne ayant cotisé quarante annuités et ayant commencé à travailler très tôt, c'est-à-dire à l'âge de quatorze, quinze ou seize ans. Le MEDEF vient de nous faire savoir qu'il n'avait pas envie de recueillir l'argent de l'Etat. J'ose espérer que ce n'est pas pour renoncer à un objectif que nous reconnaissons tous comme un objectif fort et qui correspond au souhait de nos concitoyens.

Les négociations sont aujourd'hui engagées. Je ne peux que considérer la proposition de loi du groupe socialiste et celle du groupe communiste comme un engagement auprès des partenaires sociaux, pour que ceux-ci aboutissent vite et aillent loin. Si tel n'était pas le cas, le Gouvernement serait amené à prendre ses responsabilités, et la majorité qui le soutient aussi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe socialiste.

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre.

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, je ne reviendrai pas sur la question qui a été évoquée hier. En revanche, je parlerai de la politique agricole commune, car le Conseil des ministres européens de l'agriculture, qui s'est tenu lundi et mardi à Bruxelles, est, en vérité, le premier depuis longtemps à avoir été véritablement consacré à la question des négociations agricoles dans le cadre d'Agenda 2000.

Avec l'arrivée aux responsabilités de plusieurs nouveaux m inistres de l'agriculture, dont vous, monsieur le ministre, mais aussi M. Funke, membre de la majorité de gauche élue en Allemagne en septembre dernier, c'est au sein d'un conseil représentatif d'un nouvel équilibre politique qu'auront lieu les négociations sur la réforme de la PAC.

Ma question comporte deux aspects intimement liés.

Pensez-vous, monsieur le ministre, à l'issue de cette première rencontre, que la décision prise hier par le conseil de l'agriculture de respecter le calendrier arrêté, c'est-à-dire conclure les négociations pour mars 1999, sous présidence allemande, pourra véritablement être tenue ? Par ailleurs, dans la mesure où ce conseil a également déclaré avoir terminé les discussions techiques pour entrer maintenant dans la phase politique des négociations, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les lignes de force de la position française et les chances de parvenir à un accord, notamment franco-allemand, qui préserve à la fois la pérennité de la PAC et les intérêts de l'agriculture française dans le cadre difficile, selon les conclusions du Conseil, « de ressources appropriées et suffisantes pour mener à bien le processus de réforme et pour réaliser le modèle souhaité d'agriculture européenne » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Madame la députée, il est difficile de dresser en trois ou quatre minutes le bilan du Conseil de l'agriculture qui a eu lieu lundi et mardi derniers à Bruxelles. Cela dit, je l'ai déjà un peu évoqué hier à propos de la décision qui a été prise en ce qui concerne la « vache folle ». Je le répète, car cette décision est importante, la position du gouvernement français a été guidée par le principe de grande précaution ; notre abstention a été fondée sur le refus de donner carte blanche à la Commission et par notre souci de rester vigilants.

Je pourrais citer beaucoup d'autres points sur lesquels la position de la France a été suivie par une large majorité, voire par la totalité des membres du Conseil. Je


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pense à l'assouplissement des règles de restitution pour faciliter la tâche de nos exportateurs. Je pense également aux organismes génétiquement modifiés - OGM - pour lesquels la France demande avec insistance à la Commission de mettre en place une réglementation communautaire pour sortir du maquis très touffu des lois et règlements nationaux. Je pense encore à la maîtrise de la production porcine, point sur lequel la France a demandé à la Commission d'aller au-delà des mesures prises, avec le dégagement des marchés vers la Russie. Vous voyez que la France a été très écoutée et suivie pendant ce Conseil.

J'en viens à votre question sur la PAC, madame la députée.

En ce qui concerne le respect du calendrier décidé à Cardiff et qui devrait aboutir à la conclusion d'un accord au premier semestre, je vous réponds, au nom du Gouvernement, que c'est souhaitable. Est-ce possible ? Nous le verrons.

C'est souhaitable pour plusieurs raisons. Premièrement parce que les négociations sur l'OMC commenceront en l'an 2000 et que rien ne serait pire que l'aller à cette bataille commerciale en ordre dispersé. Deuxièmement parce que les pays candidats à l'élargissement nous demandent d'instaurer des règles du jeu et que nous devons répondre à leur impatience. Troisièmement parce que l'indécision qui pèse sur les règles du jeu économiques en matière de fixation des prix et des revenus a gricoles trouble les raisonnements économiques en matière agricole. J'ai déjà indiqué ici, durant le débat budgétaire, suscitant parfois l'ironie sur les bancs de l'opposition, que cette indécision expliquait fondamentalement la chute du nombre des installations de jeunes agriculteurs.

M. Christian Jacob.

Quelle démagogie !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Cela avait déjà été le cas en 1992 lors de la précédente né gociation. Et c'est le cas - mes homologues européens me l'ont confirmé - dans tous les pays d'Europe.

Donc, il faut aller vite. Mais comment faire ? Le document qui a été adopté hier par le Conseil de l'agriculture laisse le jeu ouvert, si j'ose dire. C'est un document neutre, qui prend acte de la situation, des propositions de la Commission et de l'ensemble des réactions des différents pays de l'Union, lesquels sont parvenus à un minimum d'accord sur ce qu'ils ne veulent pas.

Premièrement, pour le gouvernement français, il est hors de question que l'on ne traite que de la politique agricole commune dans cette négociation et pas du reste.

Notre position est de tout mettre sur la table à la fois en termes de dépenses et en termes de financement, ce qui veut dire parler à la fois d'une clef de financement fondée sur le PIB, du chèque britannique, des fonds structurels et des fonds de cohésion, ainsi que de la politique agricole commune. Bref, nous devons tout mettre sur la table. Car il ne serait pas acceptable que seuls les agriculteurs européens soient mis à contribution dans cette négociation de l'Agenda 2000.

M. Christian Jacob.

Ça s'appelle « noyer le poisson » !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Deuxièm ement, en ce qui concerne la politique agricole commune, le Gouvernement français considère que, si nous devons tenir compte de la contrainte budgétaire - et nous le devons non seulement parce que les Allemands le demandent d'une manière très pressante, mais aussi parce que le pacte de stabilité et de croissance nous y invite, et, surtout, parce que nous sommes tous engagés dans des politiques de réduction de nos déficits -, il nous faudra maîtriser la dépense et pratiquer un choix fondamental.

M. Richard Cazenave.

Quelle logorrhée !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Ou bien nous nous amusons, comme la Commission s'y est essayée, à faire de très belles réformes qui contentent tout le monde, et, comme en fin de compte, on ne sait pas comment financer, on en vient à la conclusion qu'il n'y a qu'une solution : le cofinancement. Or le Gouvernement français et le Président de la République refusent catégoriquement le cofinancement, car il porterait en germe la mort de la politique agricole commune.

M. Christian Jacob.

Ce sont les socialistes qui l'ont demandé !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Ou bien - et c'est la deuxième solution - nous intégrons cette contrainte financière dans la négociation et nous essayons de bâtir une politique agricole commune économe, stabilisant les dépenses, voire - pourquoi pas, nous sommes ouverts à toutes les solutions - les réduisant. Il faudra alors que nous réfléchissions ensemble aux moyens d'obt enir cette politique agricole commune rénovée et économe. Pour atteindre cet objectif, nous pouvons, par exemple, ne pas faire la réforme du règlement laitier, que personne ne considère indispensable ; pratiquer moins de baisse des prix sur les céréales et les bovins, quitte à opérer de meilleures compensations ; jouer sur le plafonnement ou la modulation - la France y est tout à fait disposée. En tout cas, il faut faire une politique agricole commune économe.

J'en finis, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés.

(« Ah ! », sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Si Mme Marre m'a posé cette question, c'est qu'elle rend aujourd'hui public un rapport sur la politique agricole commune et sur la réforme de celle-ci, rapport qui est remarquablement documenté et que je vous invite tous à lire attentivement.

(Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous reviendrons au groupe socialiste tout à l'heure.

Nous passons maintenant à une question du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

MAÎTRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ

M. le président.

La parole est à M. Pierre Hellier.

M. Pierre Hellier.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, aujourd'hui, partout en France, à l'appel de trois syndicats représentatifs, les médecins organisent une journée nationale de sensibilisation et d'information de l'opinion publique pour mettre en avant les erreurs manifestes du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les professionnels de la santé sont excédés par les changements radicaux que va connaître notre système de soins.

Vous ne pourrez pas, madame la ministre, me reprocher mes propos, qui n'ont pas varié.

Je constate avec regret que les mesures que vous préconisez vont très au-delà de ce que prévoyait le plan précédent et que, aujourd'hui, il n'y a plus la moindre place pour une maîtrise médicalisée. Bien au contraire, c'est


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une véritable maîtrise comptable que vous nous proposez, avec les reversements collectifs, les lettres clés flottantes, l'application des sanctions dès la première année, sans possibilité de rattrapage.

Par ailleurs, si la mise en place du mécanisme du médecin référent a pu, par un effet d'annonce, appâter le syndicat MG-France, seul syndicat participant aux négociations avec les caisses, il n'en demeure pas moins que ce système renforce la maîtrise comptable.

En effet, il pèse sur le médecin référent des contraintes très lourdes sur le nombre d'actes, sur les prescriptions et sur le choix du spécialiste puisque ce dernier, même non signataire de la convention, se verra opposer les mêmes contraintes que le référent. Il y aura donc, indiscutablement, atteinte au libre choix.

Vous le savez, il est toujours préférable de convaincre p lutôt que de contraindre. Or, malheureusement, madame la ministre, votre projet de loi repose sur la contrainte : il n'offre plus aux médecins la sérénité nécessaire à l'exercice d'une médecine de qualité.

Devant un patient, le médecin doit d'abord penser uniquement à le soigner, avec toutes les possibilités offertes par la science, et seulement, dans un second temps, examiner sur le plan économique les conséquences de ses décisions. Mais, pour exercer de cette manière, il faut être serein. La maîtrise médicalisée est à ce prix. Or je pense que cela ne sera plus possible.

Je souhaite donc, madame la ministre, que vous puissiez tenir compte de l'attente des médecins et de leurs patients, et, à cet égard, je vous demande de bien vouloir m'indiquer si vous entendez examiner avec la bienveillance nécessaire les propositions qui ont été faites par le Sénat pour atténuer les conséquences d'une maîtrise comptable trop stricte et adopter une véritable maîtrise médicalisée des dépenses de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, pour une réponse courte.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, trois syndicats de médecins libéraux mènent aujourd'hui une campagne d'information et de sensibilisation auprès des Français. J'ai envie, à travers vous, de m'adresser aux médecins en leur parlant simplement.

Depuis que nous sommes arrivés aux affaires, nous travaillons avec eux. Ce n'était pourtant pas chose facile, car nous les avons trouvés divisés et, même, assez irrités.

Nous avons mis en place des groupes de travail. L'un d'entre eux a proposé le système que nous soumettons aujourd'hui au Parlement.

Par ailleurs, tout comme vous, je ne crois qu'à la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire à la capacité que nous aurons, avec les caisses de sécurité sociale et le monde médical, de faire évoluer le système de santé afin que tous soient mieux soignés. Mais, dans le même temps, il faut que nous parvenions à une meilleure allocation des moyens. C'est ce que Bernard Kouchner et moi-même faisons depuis un an et demi avec les médecins qui le souhaitent afin d'accroître leur responsabilité individuelle.

Ils ont raison de le vouloir, car ce sont des acteurs majeurs du système de santé. Cette responsabilisation des médecins passe par l'informatisation, laquelle s'accroît tous les jours, par la formation médicale, par la prise en compte de la démographie médicale, mais aussi par un accroissement de la responsabilité collective, par un renforcement du poids des unions régionales des médecins, par la mise en réseau et par la mise en filière.

Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le député, que le médecin référent porte atteinte au libre choix du malade. Chaque Français peut choisir le médecin qu'il souhaite consulter, mais il verra très vite qu'il a intérêt à être suivi par un médecin qui travaille en réseau avec des médecins spécialistes et avec des établissements hospitaliers.

Nous savons également que ce n'est que par le biais de la politique conventionnelle, c'est-à-dire avec la participation des acteurs de santé, que nous ferons évoluer le système.

Je souhaite le dire très simplement - et les médecins le savent d'ailleurs très bien -, mais si, aujourd'hui, les médecins vivent, c'est parce que la sécurité sociale solvabilise les citoyens de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les médecins doivent savoir que si la sécurité sociale n'est pas pérennisée, c'est le tiers ou 40 % d'entre eux qui disparaîtront comme c'est le cas dans beaucoup de pays voisins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Les médecins doivent savoir que, sans sécurité sociale, il y aura un recalibrage des soins ! Nous avons décidé que, l'an prochain, les dépenses de santé augmenteront de 2,6 %, soit de 16 milliards. Il n'est pas possible, dans ces conditions, de parler de rationnement des soins ! Mais permettez-moi aussi de vous signaler, monsieur le député, que nous n'accepterons pas que certaines professions fassent déraper le système et encore moins qu'un syndicat explique qu'il va « faire péter le système », en dépensant au maximum.

M. Didier Boulaud.

C'est scandaleux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous, nous faisons appel à la responsabilité des médecins. Je n'accepterai pas, par exemple, que les pédiatres, qui jouent un rôle majeur dans notre pays et qui restent dans le cadre fixé pour les dépenses de santé, paient pour des professions qui n'acceptent pas de jouer le jeu de la cohésion sociale et de l'avenir de la sécurité sociale ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en revenons au groupe socialiste PRATICIENS HOSPITALIERS

M. le président.

La parole est à Mme Odette Trupin.

Mme Odette Trupin.

Monsieur le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, l'hôpital public de santé est actuellement au centre de nombreuses interrogations.

L'ensemble des professions soulignent le devenir inquiétant de la démographie médicale hospitalière. Le bilan est alarmant : nous manquons cruellement de personnels qualifiés et de spécialistes. Je pense aux chirurgiens,...

M. Jean Bardet.

Très juste !

Mme Odette Trupin.

... aux anesthésistes,...

M. Jean Bardet.

Très juste !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Mme Odette Trupin.

... aux psychiatres,...

M. Jean Bardet.

Très juste !

M me Odette Trupin.

... aux gynécologues-obstétriciens,...

M. Jean Bardet.

Très juste !

Mme Odette Trupin.

... aux radiologues,...

M. Jean Bardet.

Très juste !

Mme Odette Trupin.

... et aux pédiatres.

M. Jean Bardet.

Très juste !

Mme Odette Trupin.

De nombreux postes de praticiens hospitaliers, toutes disciplines confondues, restent vacants à l'hôpital général. Cela a été le cas en 1998. Les inter nes choisissent en effet en priorité la carrière libérale eu raison de l'absence d'attractivité des carrières hospitalières.

Un tel constat impose de remettre à plat les systèmes de formation initiale et de faire évoluer les statuts des praticiens hospitaliers, lesquels sont soumis à des conditions de travail difficiles, associées à une surcharge des contraintes et à une lourdeur des activités liées au manque d'effectifs.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez été l'un des premiers à réagir face à cette situation anormale et domm ageable pour l'avenir de l'hôpital public. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour surmonter ces difficultés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Madame la députée, votre question doit être mise en parallèle avec la question précédente.

S'agissant de la démographie médicale, nous devrions, à partir de 2003-2005, manquer cruellement de médecins dans certaines spécialités, en médecine de ville comme à l'hôpital. Or certains estiment que, en raison de l'augmentation des dépenses, nous devons limiter le nombre des médecins.

Pour ce qui concerne l'hôpital public, il manque, dans certaines spécialités et particulièrement dans les services d'urgences, des médecins.

Nous avons reçu les praticiens hospitaliers au ministère depuis le mois de juin 1997.

N ous avons attribué, pour l'année prochaine, 140 postes de praticien hospitalier. Mais les hôpitaux n'affectent pas toujours à la spécialité recommandée les postes que nous proposons.

Nous avons demandé que les directeurs des agences régionales d'hospitalisation veillent à ce que, dans les services d'urgences, les postes soient attribués dans la spécialité que nous recommandons.

On constate globalement, à l'échelle du pays, un manque de 5 % dans les postes de praticiens.

Qu'avons-nous fait ? Dès notre arrivée, nous avons, avec le professeur Nicolas, mis en place des groupes de travail concernant quatre des professions où les manques se font particulièrement sentir. Puis nous avons décidé que la filière de l'internat comporterait, dans les disciplines où cela est nécessaire - gynéco-obstétrique, anesthésie-réanimation et pédiatrie -, de nouvelles filières, que les étudiants pourront choisir.

Je n'ai pas le temps de citer les chiffres pour les années 2003-2005. Je peux cependant vous assurer qu'ils sont assez inquiétants.

Nous allons rencontrer au début du mois de décembre les praticiens hospitaliers pour leur faire connaître toutes ces mesures.

Que faire de plus ? Nous allons essayer de créer, après l'internat, des postes d'assistant dans les hôpitaux où le besoin de médecins se fait sentir. J'espère que les médecins concernés choisiront la carrière hospitalière qui, certes, doit être revalorisée.

Nous ferons des propositions en ce sens. Il sera plus facile pour ces praticiens de choisir la carrière hospitalière car nous allons alléger et moderniser les modalités du concours.

Sur le fond, défendre l'hôpital public, c'est faire en sorte que des réseaux se mettent en place et que l'intérêt du métier demeure. Or, il n'est pas possible, dans certains hôpitaux de petites villes, d'avoir toutes les spécialités. Il nous faut, en collaboration avec le personnel hospitalier et les médecins, réfléchir afin d'instaurer une complémentarité. Tout le monde ne pourra pas tout faire partout ! C'est comme cela que nous défendrons l'hôpital public - la perle de notre système de santé -, avec les élus, les syndicats et, bien entendu, les malades, que l'on oublie trop souvent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

SIMPLIFICATIONS ADMINISTRATIVES

POUR LES PETITES ENTREPRISES

M. le président.

La parole est à M. Dominique Baert.

M. Dominique Baert.

Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Madame la secrétaire d'Etat, dans notre pays 2,2 millions d'entreprises ont moins de dix salariés. Il s'agit, pour beaucoup, de commerçants ou d'artisans.

Favoriser la création de ces entreprises, faciliter leur activité, simplifier leurs démarches administratives, fiscales, statistiques et sociales sont, nous le savons, une priorité pour le Gouvernement parce qu'elles constituent un formidable gisement d'emplois.

Au mois de décembre 1997, vous aviez, madame la secrétaire d'Etat, présenté trente-sept mesures de simplification. Je reconnais que beaucoup a été fait. Mais il reste tant à faire ! La volonté du Gouvernement ne faiblit pas, et c'est tant mieux car il faut une vraie et forte volonté politique pour faire bouger les choses.

En conseil des ministres, vous avez présenté, madame la secrétaire d'Etat, de nouvelles mesures. Je vous remercie de nous dire comment elles s'intègrent dans l'action, que nous souhaitons dynamique et durable, pour le soutien au commerce, à l'artisanat, aux très petites entreprises, c'est-à-dire à la croissance et à l'emploi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Il est difficile, monsieur le député, de répondre brièvement à votre question. Peut-être les simplifications administratives devraient-elles aussi aboutir à la simplification de la parole.

(Sourires.)

Le Premier ministre vous a confié une mission sur le sujet. Il a bien orienté cette politique : il ne s'agit pas d'une annonce non suivie d'effets, mais de la mise en oeuvre d'une politique sur le long terme.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Nous avons fait le bilan des trente-sept mesures qui avaient été décidées : vingt sont appliquées, six sont actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale et les autres font l'objet d'une négociation avec les services de Mme Aubry et Mme Aubry elle-même pour que les organismes sociaux, via une convention, acceptent, en particulier pour ce qui concerne les cotisations patronales des travailleurs indépendants, de bien vouloir simplifier au maximum leurs formulaires. Nous avons bon espoir de parvenir à nos fins au mois de janvier prochain.

Parallèlement à la mise en place de la COSAC, qui remplace plusieurs organismes, chaque ministère sera tenu de fournir tous les ans un bilan annuel des simplifications réalisées, ce qui modifiera les comportements et obligera chacun au moment de prendre des mesures, à penser

«

PME », « artisanat » et « très petites entreprises ».

Les dispositions relatives à la micro-entreprise, votées par l'Assemblée en première lecture, entraîneront une simplification pour tous ceux qui veulent s'installer : la déclaration de la TVA ne fera plus l'objet que d'un formulaire, au lieu de cinq ou de dix actuellement, pour les entreprises qui réalisent moins de cinq millions de chiffre d'affaires. Je précise que 70 millions de formulaires ont été supprimés.

C'est avec les partenaires sociaux que nous devons travailler le plus. Avec Admi-France et le bouquet de services du ministère des affaires sociales sur le Net, nous mettons l'ensemble des informations à la disposition des entreprises. Mais nous devons être réalistes : la plupart de nos petites entreprises n'ont pas accès à Internet. C'est pourquoi ce sont les relations humaines et les services de proximité qui nous permettront de faire les progrès les plus importants. Nous devons prendre garde à ce que les efforts en faveur de l'accès aux nouvelles technologies n'aboutissent pas, même pour une courte durée, à l'exclusion de ceux qui ne peuvent encore y recourir.

Tel est l'esprit dans lequel nous avons travaillé. Tel est l'esprit de ce qui sera fait chaque année.

Tout cela s'inscrit dans un mouvement qui ira bien audelà de nous, monsieur le député.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

3

MODIFICATION DE L'ORDONNANCE

RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES Explications de vote et vote sur une proposition de loi organique

M. le président.

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi organique modifiant l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances (nos 1151, 1191).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public, en application de l'article 65-1 du règlement.

Voici comment nous allons procéder : je donnerai d'abord la parole à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, puis à M. Warsmann, rapporteur de la commission des lois, qui a souhaité s'exprimer, comme il en a le droit. Pour finir, je donnerai la parole à un orateur par groupe, pour cinq minutes. Nous en viendrons alors au vote.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je voudrais rappeler très brièvement pourquoi le Gouvernement demande à l'Assemblée de ne pas adopter la proposition de loi organique.

La rétroactivité des lois fiscales et la parole de l'Etat sont des sujets dont aucun parlementaire ne saurait se désintéresser. Il faut donc remercier M. Sarkozy d'avoir été à l'origine de ce texte, qui nous a permis d'engager un débat intéressant.

Cela dit, la proposition de loi me paraît inutile.

En effet, dans l'immense majorité des cas, voire dans leurs totalité, les problèmes de rétroactivité ne se posent pas. Si je prends pour exemple le projet de loi de finances qui est en cours d'examen et que l'Assemblée a adopté en première lecture, les cas de rétroactivité sont tous favorables aux contribuables. Il n'est pas nécessaire de légiférer pour interdire une situation qui n'existe pas.

La deuxième raison pour laquelle je pense que la proposition de loi ne doit pas être retenue est qu'elle serait la plupart du temps inopérante.

Ce qui a été à l'origine de l'idée de M. Sarkozy a trait à l'assurance-vie. Mais justement, ce qui s'est passé en ce domaine avec le projet de loi de finances qui vous a été présenté n'aurait pas été empêché par la proposition de loi en question si elle avait été votée antérieurement.

Au surplus, la proposition de loi ne serait pas très équitable. La seule chose qu'elle aurait empêchée, c'est que la majorité revienne sur les mesures concernant les quirats de navires. Ces mesures, qui nous ont semblé particulièrement injustes, auraient été protégées par la proposition de loi.

Enfin, il me semble que le dispositif proposé présente de nombreux dangers, dont le principal est politique.

Chacun voit bien, au-delà des intentions sans doute louables des auteurs de la proposition de loi, qu'une assemblée qui serait dans sa dernière semaine d'existence et que les sondages annonceraient comme finissante - je sais qu'en la matière il ne faut pas se fier aux sondages : tous ici en ont fait l'expérience -...

M. Alain Juppé.

N'anticipons pas ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... pourrait voter un texte qui vaudrait pour cinq ans mais que la nouvelle majorité ne pourrait modifier alors même qu'elle aurait été élue pour mener une autre politique. Il y aurait là une contradiction fondamentale avec l'objectif même qui est celui de nos élections.

Ce texte n'est pas vraiment utile. Il présente des dangers et il serait parfois contre-productif. Pour toutes ces raisons, il mérite d'être rejeté par votre assemblée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La commission des lois ne partage pas l'avis du Gouvernement.

Pour la commission, ce texte est utile. Il permettra d'éviter des scandales comme celui que nous avons connu en 1984.

Souvenez-vous : en 1973, l'Etat décide de favoriser l'accession à la propriété et prend l'engagement de faire échapper certains accédants à la propriété au paiement de la taxe sur le foncier bâti pendant vint-cinq ans.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Des personnes s'endettent pour acheter ou faire construire leur logement, elles prévoient leurs annuités de remboursement d'emprunt compte non tenu de l'impôt qu'elles pensent ne pas payer. Mais en 1984, le Gouvernement Mauroy revient sur cette disposition et réduit à quinze ans la durée de l'exonération.

M. Pierre Lellouche.

Scandaleux !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

De tels scandales ne sont pas admissibles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En second lieu, il s'agit d'un texte qui est opérant.

En effet, la commission des lois a souhaité que l'engagement solennel de protéger un avantage fiscal pour plusieurs années soit pris dans la loi de finances. Mais cette protection s'applique à tous les avantages fiscaux, qu'elle qu'en soit l'origine : elle peut s'appliquer, par exemple, à l'avantage attaché aux droits de succession pour l'assurance-vie, créé par le code des assurances. Mais rien n'empêche la loi de finances de lui conférer la protection de la proposition de loi que nous proposons à l'Assemblée d'adopter.

En troisième lieu, la proposition de loi est équitable.

On ne peut admettre que l'Etat ne s'impose pas à luimême ce qu'il demande à tout le monde. Nous avons voté des lois pour obliger le nouveau propriétaire d'une entreprise à reprendre les contrats de travail en cours, à respecter les contrats des fournisseurs et des clients. Et l'Etat, quant à lui, ne s'imposerait pas la même obligation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Bravo !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

J'ai obtenu tout à l'heure une brochure qui est diffusée dans les bureaux de poste, Entreprises françaises, que nos concitoyens peuvent se procurer aussi. Nous envoyons nos concitoyens souscrire des contrats d'assurance-vie et ils lisent des dispositions sur les avantages fiscaux. Mais s'ils ont le droit de lire, ils n'auraient pas le droit de croire parce que l'Etat pourrait revenir à tout moment sur ces avantages ? Non ! En la matière, l'Etat doit être exemplaire.

Il est vraiment archaïque de croire que les contribuables sont des sous-citoyens,...

M. Pierre Lellouche.

Bravo !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

... qu'ils n'ont aucun droit, qu'ils ne peuvent qu'écouter ce que disent, sans le croire, les hommes politiques...

M. Yves Fromion.

Pas tous !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

... et l'Assemblée nationale.

Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous p ropose, mes chers collègues, d'adopter un texte moderne, un texte qui renforce l'Etat de droit.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Nicolas Sarkozy, pour le groupe du RPR.

M. Nicolas Sarkozy.

Monsieur le président, notre débat aura eu au moins, me semble-t-il, trois mérites.

Le premier, et ce n'est pas le moindre, aura été de permettre d'éclairer l'opinion publique sur les choix de politique fiscale respectifs de l'opposition et de la majorité.

Nous, l'opposition, avons voulu montrer que nous étions pour l'évolution et la modernisation de notre fiscalité. La majorité, hélas ! semble dire, même si c'est son droit, qu'elle est pour la conservation.

Le rapporteur de la commission des lois a employé un mot très fort, l'adjectif « moderne ». Nous pensons qu'en matière fiscale la modernité, c'est le respect scrupuleux des engagements pris.

Nous considérons quant à nous qu'un Etat qui s'arroge des droits qu'il refuse aux citoyens contribuables n'est pas un Etat moderne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le débat aura eu un deuxième mérite, qui est intéressant.

Le Premier ministre, M. Jospin, se félicite souvent - et après tout, c'est son droit - de cette Europe socialiste qui serait monocolore. Alors, nous sommes en droit de poser la question : pourquoi serions-nous, de tous les contribuables européens - les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Hollandais, par exemple -, qui ne subissent pas la rétroactivité fiscale alors qu'ils subissent des gouvernements socialistes, les seuls à avoir droit à la rétroactivité fiscale et au socialisme ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Admettez que, des deux, l'un au moins est de trop ! J'ajoute, monsieur le président de l'Assemblée nationale, que nous sommes très sensibles à votre présence.

M. Jean-Pierre Brard.

Il est là plus souvent que vous !

M. Nicolas Sarkozy.

Nous y voyons un signe de courtoisie à l'endroit de l'opposition. (« C'est vrai ! » sur plusieurs des bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) De grandes voix socialistes ont tenu des propos dont j'ai eu la faiblesse de m'inspirer en rédigeant avec les présidents des trois groupes de l'opposition la proposition de loi qui est présentée.

Oui, monsieur le président de l'Assemblée nationale, en 1996, quand vous avez dénoncé la rétroactivité fiscale, dans un recours qui fera date devant le Conseil constitutionnel, vous avez eu raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Oui, monsieur le président socialiste de la commission des finances, vous qui faites autorité sur les bancs de la gauche, vous avez eu raison, dans un recours qui restera


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

célèbre dans les annales du Conseil constitutionnel, de dénoncer vous aussi, en 1997, la rétroactivité fiscale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Quant à vous, monsieur Didier Migaud, rapporteur général du budget, distingué socialiste, pour qui nous avons considération et respect (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), comme vous avez eu raison de signer non pas un recours devant le Conseil constitutionnel dénonçant la rétroactivité fiscale, mais deux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Que l'on m'explique au nom de quoi ce qui était si juste, si équitable, si sensé, si efficace il y a deux ans, il y a un an, de la part de socialistes aussi prestigieux que le président de l'Assemblée nationale, deviendrait dangereux ou inutile de la part des modestes députés de l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il y a là matière à nous éclairer.

Enfin, quelle contradiction ! Nous avons eu un bon débat. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et nous y avons été sensibles, était présent pour répondre à l'opposition. Mais comment comprendre que le premier groupe de l'Assemblée nationale, tout simplement parce qu'il s'agissait d'une proposition de l'opposition et qu'il ne fallait en aucun cas entendre nos arguments,...

M. Jacques Myard.

Ils ont peur !

M. Nicolas Sarkozy.

... qu'il a le droit de combattre, nous ait privés de sa présence ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant à vos alliés Verts, mesdames, messieurs, qu'il me soit permis d'en dire un mot.

Un député du groupe socialiste.

Ils ne sont pas là !

M. Nicolas Sarkozy.

Justement, il n'y a pas de raison que les absents ne soient pas soignés ! (Sourires.)

Quant à vos alliés Verts, disais-je, alors que je les entends si souvent - Mme Voynet ou M. Cohn-Bendit dire qu'il y a une autre façon de faire de la politique, aucun n'était présent pour entendre nos arguments. Nous n'avons eu droit qu'à la présence d'un seul député socialiste, celle du célèbre président Ayrault. Aujourd'hui, nous constatons que les coups de sifflet ont été nombreux pour appeler à voter contre une proposition dont, par ailleurs, le ministre nous dit que, de toute manière, elle ne sert à rien ! Alors, quand nous présenterons des propositions qui serviront à quelque chose, quelle sera la teneur de votre mobilisation ? Vous l'avez compris, monsieur le ministre, nous voulions prendre l'opinion publique et les contribuables à témoin. L'opposition s'est fait entendre, et il faudra décidément que vous vous y habituiez car ce ne sera pas la dernière fois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet, pour le groupe communiste.

M. Daniel Feurtet.

Le débat sur la rétroactivité des dispositions fiscales, engagé par nos collègues de l'opposition, a permis à l'Assemblée d'évoquer des questions de fond. Pour autant, il n'a pas convaincu les députés communistes...

(« Vous n'étiez pas là ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

J'étais présent, et je suis même intervenu.

Monsieur le président, pourrais-je faire observer à certains de mes collègues de l'opposition que, lorsque je suis intervenu, ils étaient pratiquement tous dans la salle des Quatre-Colonnes ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Pour autant, disais-je, le débat n'a pas convaincu les députés communistes de la pertinence de la réforme proposée.

Chaque individu a droit à la sécurité, et pas seulement juridique. Pour cette dernière, quand il vote une loi nouvelle qui en modifie une antérieure, le législateur ne s'arroge aucun droit exorbitant : il fait simplement le droit, en prenant en compte une réalité qui s'est modifiée et avec l'intention de renforcer cette sécurité légitime.

La non-rétroactivité, inconcevable en droit pénal, le sera en revanche pour donner des droits nouveaux en matière sociale. Il ne serait pas juste de priver certains salariés d'un avantage de pension selon la date où ils ont pris leur retraite. Mais ce droit à la sécurité ne peut être évoqué à tout propos. N'est-il pas étrange que ceux qui le défendent dans le domaine fiscal soient les mêmes qui jugent parfois les salariés passéistes, voire archaïques, quand ils disent leur attachement aux conquêtes sociales ? Si on poussait la logique des auteurs de la proposition de loi jusqu'au bout, ne faudrait-il pas envisager que les lois ne puissent jamais modifier l'exercice d'un droit et que, par exemple, les textes de la droite sur le trentième indivisible en cas de grève ou la remise en cause de la retraite à soixante ans soient nuls et non avenus ?

M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

M. Daniel Feurtet.

Nous refusons de contester ces dispositions par ce biais, car ce qui est en cause c'est l'exercice de la souveraineté nationale par le suffrage universel.

Faut-il citer Rousseau (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, qui écrit dans du Contrat social, au chapitre intitulé : Que la souveraineté est inaliénable : « Le souverain peut bien dire : « Je veux actuellement ce que veut un tel homme [...] » ; mais il ne peut pas dire : « Ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore », puisqu'il est absurde que la volonté se donne des chaînes pour l'avenir.

Je cite encore Rousseau : « Nos politiques, ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet : ils la divisent [...] en droits d'impôt, de justice et de guerre [...]. Ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées. »

M. Jean-Pierre Brard.

Excellent ! Ecoutez !

M. Daniel Feurtet.

Voilà pour le principe. La rétroactivité fiscale n'est pas une commodité de l'administration. Tous les gouvernements sont confrontés au difficile problème de l'équilibre des dépenses et des recettes fiscales.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Le principe de l'annualité budgétaire traduit le droit du Parlement de lever un impôt nouveau ou d'autoriser, dans l'article 1er de la loi de finances, la perception des impôts existants : cela est essentiel en démocratie. Cela n'empêche pas le Parlement de voter des autorisations de programme étalées dans le temps, des lois-programmes ou des plans d'une durée quinquennale. Et en cas d'exécution partielle ou insuffisante, des lois d'étape viendront corriger la loi initiale.

Au terme d'une législature, verrait-on un gouvernement malveillant charger la barque pour son successeur en lui imposant en héritage un passif qui ne pourrait être modifié ? Ce serait tellement contraire au bon sens qu'aucun autre pays ne l'admet. Cela n''interdit pas à la majorité et de l'opposition s'entendre pour conserver une loi intacte, mais cela relève alors d'un choix politique. D'ailleurs, la règle de cinq ans proposée par les auteurs de la proposition de loi existe déjà ou à peu près : c'est la durée d'une législature.

Les citoyens, en permanence, et notamment durant les campagnes électorales, ont à demander aux candidats ce qu'ils entendent maintenir ou changer dans le système fiscal s'ils sont élus. Ce contrôle citoyen est essentiel pour imposer le respect dont dépend la transparence des engagements comme la confiance des Français dans la parole politique.

En fin de compte, la proposition de loi recherche une réponse juridique à un problème dont la solution ne peut être que politique. Les députés communistes voteront contre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, la parole est à M. Henri Plagnol.

M. Henri Plagnol.

En quoi consiste cette proposition de loi ? Elle vise tout simplement à permettre à l'Etat de prendre un engagement clair, pour une durée limitée de cinq ans, dans le domaine fiscal vis-à-vis de tous les citoyens contribuables et à l'obliger de tenir sa parole. Il est assez curieux de voir la majorité plurielle invoquer tous les grands principes, les pères constituants, de l'entendre ressusciter Rousseau, évoquer les Lumières pour s'opposer à ce qui paraît un droit élémentaire : tout simplement le droit pour le citoyen de voir l'Etat respecter sa parole en fonction de laquelle il oriente ses choix économiques. De ce point de vue, le débat est très révélateur. En effet, on y voit cette majorité qui se dit progressiste, qui n'a à la bouche que les mots de « fracture républicaine », de « droit du citoyen », se faire l'avocat du conservatisme le plus archaïque face à une proposition de modernisation intelligente. Car on ne peut pas sérieusement prétendre que la proposition de Nicolas Sarkozy ne serait pas un progrès pour l'Etat de droit. Pour les Lumières, puisque vous aimez vous y référer, la rétroactivité, c'était le contraire de l'équité. C'était tout sim plement l'absence de sécurité juridique, sans laquelle il n'y a pas de droit, et encore moins de démocratie.

Avec cette proposition, il s'agit de restaurer l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les citoyens. Si elle était adoptée l'Etat serait désormais tenu de respecter ses engagements. Les lois de rétroactivité fiscale seraient encadrées et resteraient des lois d'exception. Cette proposition permettrait en outre de créer de la richesse et de l'emploi dans notre pays, car les investisseurs, les entreprises, les épargnants ont besoin d'un horizon juridique clair. Il doivent pouvoir effectuer leurs choix d'épargne et leurs choix stratégiques en fonction de règles inscrites dans la durée.

Nos concitoyens sont fatiguées de voir, à chaque alternance, remis en cause des pans entiers de notre fiscalité.

Ils veulent des règles claires et stables.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Et puisque votre majorité aime se donner une couleur verte, je prendrai un exemple qui vous est cher, celui de l'écologie. Comment voulez-vous inciter les entreprises et les consommateurs à faire des choix écologiques si les avantages fiscaux ne sont pas inscrits dans la durée ? Comment voulez-vous que les constructeurs automobiles choisissent les carburants les moins polluants possible si la règle du jeu fiscale est bouleversée à chaque alternance ? La proposition de Nicolas Sarkozy permettrait de réintroduire du long terme, de rendre le marché un peu moins prisonnier du court terme dans une compétition mondiale acharnée, de favoriser une fiscalité intelligente. En refusant cette optique libérale - un libéralisme intelligent...

M. Jacques Fleury.

C'est exceptionnel !

M. Henri Plagnol.

... vous vous soumettez à un marché aveugle.

Cette proposition est par ailleurs un premier pas vers une réforme pour un Etat plus modeste, c'est-à-dire un

Etat qui apprenne à dépenser moins pour pouvoir baisser les impôts. Quand vous retirez 2 milliards de francs à l'audiovisuel public, vous cherchez comment garantir aux professionnels que la parole de l'Etat sera respectée. Pourquoi l'Etat ne se donnerait-il pas aussi les moyens de respecter sa parole lorsqu'il promet aux citoyens, lourdement ponctionnés, qu'ils paieront un peu moins d'impôts ? Au lieu du toujours plus, nous vous proposons le toujours moins ! Enfin, comment rendre confiance en un Etat qui se dispenserait de respecter sa parole ? Comment demander de la vertu aux contribuables - il en faut beaucoup en France pour payer ses impôts ! - si l'Etat est le seul à s'en exonérer ?

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Henri Plagnol.

Voilà un renforcement du pacte social, à l'origine de la démocratie, cher aux idéaux de la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe Radical, Citoyen et Vert, la parole est à M. Bernard Charles.

M. Bernard Charles.

Nos collègues de l'opposition ont souhaité que l'Assemblée nationale débatte de la rétroactivité des lois fiscales alors que la question de l'exonération des droits de succession sur les contrats d'assurance vie a été de nouveau posée. Il convient de rappeler que l'ancienne majorité a souvent mis en oeuvre cette rétroactivité lorsqu'elle était au pouvoir. Mais là n'est pas la question ! Les débats l'ont montré, on a tenté de semer le doute dans l'esprit de nos concitoyens en faisant un amalgame et en essayant de faire croire que nous ferions payer plus d'impôts alors qu'avec vous il y en aurait moins.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Nous défendons tous ici la démocratie et je mets en garde mes collègues de l'opposition sur le risque qu'il y a à se laisser entraîner sur le terrain facile de la démagogie.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous avez voulu faire un coup politique.

C'est de bonne guerre ! D'autant qu'en ce moment, pour montrer que l'alliance existe, il vaut mieux montrer des conjonctions positives sur une proposition de loi que des divisions sur des textes beaucoup plus importants. Je crois pourtant que vous feriez mieux de présenter une alternative crédible plutôt que de vous rassembler pour faire ces quelques coups. D'ailleurs, si le modernisme fiscal dont nous a parlé M. Sarkozy est si nécessaire et si important à vos yeux, pourquoi ne pas avoir ouvert un tel débat lorsque vous étiez au pouvoir ? Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Nous n'avons pas eu le temps !

M. Bernard Charles.

Le temps, vous l'avez pourtant eu pour faire d'autres choses, qui ont été un peu dures pour vous ! Sur le fond, que nous propose le texte ? De limiter les avantages fiscaux à une durée de cinq ans au cours de laquelle aucune intervention du législateur ne serait alors possible. Avec un tel dispositif, comme l'a justement rappelé M. le ministre, toutes les orientations fiscales adoptées en fin de législature avec une arrière-pensée évidente sur le plan politique s'imposeraient à toute nouvelle majorité. Cela entraverait son action et constituerait une atteinte intolérable au suffrage universel.

Une telle mesure mettrait en cause l'alternance, fondement même de la démocratie. C'est pourquoi les députés du groupe RCV ne voteront pas la proposition de loi du RPR.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Gantier, je vais, d'ores et déjà, faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons nous prononcer, dans quelques instants, sur la proposition de loi limitant la rétroactivité fiscale élaborée par Nicolas Sarkozy et cosignée par les trois présidents des groupes RPR, DL et UDF.

La majorité socialiste et communiste juge cette proposition dangereuse et a refusé, vendredi dernier, tout débat sur ce sujet. A les entendre, il n'y aurait donc aucun problème. Or, il y a à peine quelques semaines, le Gouvernement lui-même et l'ensemble de la majorité ont été amenés à reculer sur le terrain de l'assurance vie. Ils n'ont pas osé soumettre à nos suffrages la mesure qui tendait à supprimer de manière rétroactive l'exonération des droits de mutation à titre gratuit sur les contrats d'assurance vie car l'ensemble de l'opposition et de nombreux contribuables s'y sont opposés.

Ce recul aurait dû inciter les groupes de la majorité à pousser leur réflexion jusqu'à limiter strictement la rétroactivité fiscale. Mais, si la gauche condamne cette proposition de loi, c'est parce qu'elle est la championne de la rétroactivité et de l'instabilité fiscale.

M. Guy Drut.

C'est vrai !

M. Gilbert Gantier.

En effet, en un an, le Gouvernement a, de manière rétroactive, diminué la réduction d'impôt pour emplois de proximité, modifié à plusieurs reprises la loi en faveur de l'investissement dans les DOM-TOM, abaissé le quotient familial, majoré de 15 % l'impôt sur les sociétés, augmenté la taxation des plusvalues, relevé la CSG, instauré une taxe générale de 2 % sur les revenus de l'épargne. Excusez du peu ! Rappelonsnous aussi qu'en 1983, le Gouvernement de Pierre Mauroy avait, toujours de manière rétroactive, supprimé l'exonération de taxe foncière dont bénéficiaient les logements neufs. Nous avions, déjà à l'époque, protesté contre ce reniement.

La France souffre d'une hyperinflation de mesures fiscales qui génèrent une instabilité juridique pénalisante pour elle. Cette insécurité est une source de découragement, d'injustice et d'incompréhension pour les Français.

Comment ceux-ci pourraient-ils avoir confiance dans un

Etat qui renie en permanence sa parole en remettant en cause des avantages fiscaux ? En outre, cette insécurité n'incite pas les investisseurs étrangers à s'implanter en France.

La proposition de Nicolas Sarkozy apporte un début de réponse en intégrant la pluriannualité au sein de notre droit fiscal. Une majorité pourra décider qu'un avantage fiscal ne pourra pas être supprimé durant les cinq premières années de son application. Cette faculté ne serait possible, selon la proposition de loi, que dans le cadre des lois de finances ; le délai protecteur de cinq ans serait renouvelable une fois.

Il n'y a rien de démagogique dans cette proposition, rien de scandaleux. De nombreux pays - Nicolas Sarkozy l'a rappelé tout à l'heure - se sont engagés dans un processus de pluriannualité et s'interdisent la rétroactivité en matière fiscale. Il ne serait pas scandaleux d'aller plus loin et de n'autoriser la rétroactivité en droit fiscal que pour les lois les plus favorables au contribuable. On pourrait au moins accepter le principe selon lequel la loi fiscale applicable à une imposition donnée est celle qui prévaut au moment du fait générateur.

Au nom du respect des contribuables, au nom du respect de l'Etat de droit et pour en finir avec les lois précaires, le groupe Démocratie libérale votera en faveur de c ette proposition, source de progrès et de justice.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Louis Idiart, dernier orateur inscrit dans les explications de vote.

M. Jean-Louis Idiart.

La proposition de loi sur la nonrétroactivité en matière fiscale présentée par les groupes de l'opposition va être soumise à notre vote sous la forme d 'un scrutin public, comme nous l'avons souhaité.

A M. Sarkozy, qui, tout à l'heure, s'est lancé dans une violente diatribe contre les socialistes, je voudrais dire qu'il faut toujours faire attention avant de donner des leçons aux autres.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Durant toute la discussion de la loi de finances, nous espérions vous accueillir en commission des finances ou ici, dans l'hémicycle, pour


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discuter de ce sujet, mais nous vous avons rarement vu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Monsieur Sarkozy, ce texte que, paraît-il, nous avons tant négligé et qui était tellement souhaité, dans votre minorité, a été débattu vendredi dernier en présence d'une vingtaine de députés de droite seulement ! Où étaient-ils, ces gens si passionnés par ce texte ? En commission des lois, le rapport a été approuvé par les deux voix des deux seuls députés de droite présents. Où était votre minorité, monsieur Sarkozy ? (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Patrick Ollier.

Et vous ?

M. Jean-Louis Idiart.

Pourquoi une proposition de loi sur la non-rétroactivité en matière fiscale et pas en matière sociale ? Vous auriez pu déposer un texte identique ou compléter celui-ci. Chacun l'a compris, ce texte est vraiment d'inspiration conservatrice. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratielibérale et Indépendants.) Son but est de flatter une démagogie constante sur l'antifiscalité.

Or, nous devons être responsables lorsque nous traitons de la relation des citoyens à l'impôt. Dénigrer l'impôt sous toutes ses formes est une attitude facile mais très dangereuse parce que toujours à l'origine des tendances populistes qui conduisent au pire pour la démocratie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

La République est née parce que le citoyen a voulu contrôler l'assiette, la collecte de l'impôt, puis son utilisation. Voilà pourquoi nous sommes élus. Voilà pourquoi nous discutons et votons la loi.

Pourquoi resteindre ce droit de notre peuple à décider ? Chaque élection est le moment privilégié où, après un grand débat, le peuple souverain se prononce et mandate ses représentants. Comment priver une nouvelle majorité élue par le peuple du droit de modifier ce que le peuple a rejeté ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

A ucune vue économique ou financière ne doit contraindre ni primer sur le libre choix démocratique.

Toute concession à ce principe devient dangereuse.

Notre rapporteur général du budget, dans son intervention de vendredi dernier, a jugé cette proposition inconstitutionnelle, inopportune et dangereuse.

Elle est inconstitutionnelle parce qu'elle restreindrait les pouvoirs fiscaux reconnus au législateur par les articles 34 et 39 à 51 de la Constitution.

Elle est inopportune. Dans votre rapport, je note :

« Comment demander aux Français de croire aux engagements politiques si l'Etat s'autorise à revenir sur la parole donnée ? » Mais, mes chers collègues, seuls les engagements pris devant le peuple et tenus confèrent du respect à la politique.

Elle est dangereuse parce qu'elle porte en elle le risque de rendre les alternances conflictuelles. Au gré des alternances mais aussi des difficultés économiques du pays ou des finances de l'Etat, les diverses majorités sont revenues sur des dispositions prises antérieurement, comme cela se fait d'ailleurs dans toutes les assemblées démocratiques.

M. Sarkozy nous appelle aujourd'hui à revenir sur une pratique qu'il a lui-même utilisée lorsqu'il était ministre du budget. Pourquoi, en ce temps-là, n'a-t-il pas fait adopter un texte similaire ? Il sait bien que cela n'est pas réaliste. Etre dans l'opposition lui donne une inspiration nouvelle mais aussi, reconnaissons-le, moins d'esprit de responsabilité.

Par ailleurs, ce texte est inutile.

Le treizième rapport du Conseil des impôts relevait que plus des deux tiers des lois rétroactives étaient favorables aux contribuables. C'est le cas de toutes celles du projet de loi de finances pour 1999, que vous n'avez pas voté.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Vous ne l'avez pas lu, alors !

M. Jean-Louis Idiart.

Votre texte relève d'une pratique incantatoire consistant à faire parler de soi en ne faisant rien avancer. Le groupe socialiste ne le votera donc pas.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Vote sur l'article unique

M. le président.

Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi organique.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

527 Nombre de suffrages exprimés .................

521 Majorité absolue .......................................

261 Pour l'adoption .........................

231 Contre .......................................

290 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Patrick Ollier.)

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

4

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre l'informant que l'ordre du jour prioritaire du mardi 1er décembre, après-midi et soir, est ainsi modifié : A quinze heures, après les questions au Gouvernement, et à vingt et une heures : explications de vote et vote sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, en nouvelle lecture ;


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explications de vote et vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution ; suite des propositions de loi relatives au pacte civil de solidarité.

5 MODIFICATION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution (nos 1072 et 1212).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, le débat que nous conduisons en ce moment a quelque chose d'un peu irréel.

Irréel d'abord parce qu'il ne nous est pas proposé de débattre au fond du traité d'Amsterdam, alors que ce dernier est le soubassement, à tout le moins la raison d'être de la révision constitutionnelle qu'il nous est demandé d'approuver.

Irréel ensuite parce que ce découplage entre révision constitutionnelle et ratification nous a jusqu'ici dispensés, les uns et les autres, d'expliquer devant le peuple de quoi il s'agit réellement.

Irréel enfin parce que le nombre de députés présents dans l'hémicycle, hier et aujourd'hui encore, sur les bancs de gauche, est inférieur à ce qu'il était au moment de notre première discussion sur le PACS, alors qu'il s'agit d'un sujet majeur pour l'avenir de notre pays.

Pourtant, la réalité est là, qui nous impose d'identifier, à un horizon tout proche, une altération supplémentaire de la souveraineté française. Ce n'est pas moi qui l'imagine, c'est le Conseil constitutionnel qui le constate...

M. Jacques Myard.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

... en des termes sans équivoque : le passage du vote à l'unanimité au vote à la majorité au sein du Conseil et à la procédure de codécision avec le Parlement européen pour le franchissement des frontières de l'Union, que ce passage soit automatique ou nécessite une décision particulière dans cinq ans, est de nature à affecter « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

Or, mes chers collègues, je ne suis pas de ceux qui jettent la souveraineté nationale aux oubliettes de l'histoire.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

Depuis que la Constitution du 3 septembre 1791 a proclamé que « la souveraineté est une, indivisible, inaliénable » - j'insiste sur ce mot, sur lequel nous reviendrons dans le débat - « et imprescriptible », et qu'elle « appartient à la nation, » trop de Français sont morts au nom de ces principes pour que nous puissions, furtivement, les passer par profits et pertes.

M. Jacques Myard.

Plutôt par pertes que profits !

Mme Nicole Catala.

Je ne dis pas cela au nom d'un antieuropéanisme primaire. Je sais que la construction européenne est indispensable à la sauvegarde de la paix et de la prospérité sur notre continent. Je sais qu'elle est, pour les pays de l'Est, trop longtemps soumis à des régimes terribles, une promesse qu'il ne faut pas décevoir.

Mais la question, aujourd'hui, est de savoir si la fuite en avant, tous azimuts, qu'est devenue la construction de l'Europe est de nature à répondre aux aspirations des peuples et aux intérêts propres de la France.

C'est avec ce double regard, cette double préoccupation, que je considère la réforme constitutionnelle qui nous est proposée. Est-elle conforme à ce que je souhaite pour l'Europe ? Est-elle conforme à ce que je souhaite pour la France ? Ma réponse est doublement négative. D'abord parce que la « communautarisation » des règles qui détermineront demain le franchissement des frontières de l'Union n'est indispensable ni à la puissance économique de l'Europe, ni à sa crédibilité politique, et que ce sont les deux objectifs majeurs, les deux raisons d'être de la construction européenne.

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

On ne voit pas quel est le « plus » que cette communautarisation apportera à nos peuples, sinon la possibilité pour les responsables de chaque pays de se défausser sur les autorités de Bruxelles des décisions les plus difficiles à prendre.

M. Philippe de Villiers.

Et voilà !

Mme Nicole Catala.

Mes chers collègues, l'accord de Schengen permettait déjà de maîtriser largement, dans un cadre intergouvernemental, les flux migratoires.

M. Jacques Myard.

Ça « marche » !...

Mme Nicole Catala.

Mais parce qu'il échappait à son emprise, la Commission l'avait condamné dans l'oeuf et elle n'a cessé, depuis sept à huit ans, d'en rechercher la communautarisation.

M. François Guillaume.

C'est vrai !

Mme Nicole Catala.

Par parenthèse, nous devrions nous efforcer d'identifier cette espèce de vertige du pouvoir qui semble avoir saisi la Commission européenne et qui comporte des conséquences importantes et fâcheuses pour nos démocraties.

En tout cas, satisfaction est donnée à la Commission avant même qu'un véritable bilan de l'accord de Schengen ait pu être établi. Rien ne paraît pouvoir arrêter le rouleau compresseur communautaire. Pourtant, si, sur tel ou tel point, on voulait aller au-delà de l'accord de Schengen, il était possible de recourir à la technique juridique classique des conventions entre Etats, d'ailleurs prévue dans le traité de Rome, et il aurait été aisé de rendre ces conventions plus rapides dans leur conclusion, dans leur procédure de ratification et dans leur mise en oeuvre.

En outre, elles auraient moins porté atteinte à l'indépendance des pays membres.


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Au lieu de cela, c'est l'extension des procédures c ommunautaires qui a été choisie - techniques complexes, bureaucratiques, opaques. Et pourtant, je le répète, aucune raison ne justifiait l'exportation de ces techniques hors du premier pilier, et surtout pas à des sujets aussi sensibles que l'immigration, l'asile et peutêtre, demain, la répartition des réfugiés sur l'ensemble du territoire de l'Union.

Peu satisfaisante du point de vue de l'Europe, cette réforme ne l'est pas non plus à mes yeux pour la France.

Celle-ci n'a pas vocation à se dissoudre dans l'Europe.

Elle devrait, par exemple, garder la possibilité d'accueillir dans des conditions particulières des ressortissants des pays francophones, auxquels nous unissent tant de liens.

Avec le traité d'Amsterdam, elle ne le pourra plus. La France doit consacrer beaucoup d'efforts à l'intégration des étrangers déjà établis sur son sol et dont votre politique, irresponsable, chers collègues de la majorité, a multiplié le nombre.

M. Stéphane Alaize.

Mais non !

Mme Nicole Catala.

Qu'en sera-t-il, demain, si nous devons accueillir des réfugiés plus nombreux ? D'autres perspectives sont préoccupantes. Ainsi, l'article 64 du futur traité prévoit qu'en cas d'afflux soudain de ressortissants des Etats tiers le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, pourra arrêter, au profit de l'Etat concerné, des mesures provisoires. Ce n'est plus l'Etat qui prendra les mesures nécessaires en cas d'afflux soudain de réfugiés ou de migration massive de population, ce sera le Conseil qui décidera pour lui à titre provisoire alors cependant que l'Etat restera responsable de l'ordre public et de la sécurité publique.

M. le président.

Madame Catala, il vous faut conclure.

Mme Nicole Catala.

Je conclus, monsieur le président.

M. Philippe de Villiers.

Pour une fois que quelqu'un dit la vérité !

Mme Nicole Catala.

Je vois là, mes chers collègues, un dessaisissement majeur des pouvoirs naturels, indispensables des autorités nationales.

Je note aussi un recul important de notre souveraineté dans le rôle dévolu demain à la Cour de justice européenne, qui sera appelée à interpréter les décisions cadres et les décisions qui vont s'imposer à notre législation pénale et vont entraîner l'harmonisation de notre législation pénale. Ainsi, des arrêts de la Cour de justice modifieront ou façonneront différemment les principes et les concepts de notre législation répressive.

Mes chers collègues, à mes yeux, tout cela n'est pas acceptable.

A cette réforme, qui ne me paraît justifiée ni par l'intérêt de l'Europe ni par l'intérêt de la France, je ne peux pas adhérer.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes rassemblés aujourd'hui pour adopter un projet de loi constitutionnelle qui nous permettra ensuite d'adopter le traité d'Amsterdam. Il ne vous étonnera donc pas que, logiquement, je commence par poser la question suivante : le traité d'Amsterdam mérite-t-il d'être adopté ? Je répondrai à cette question en examinant d'abord son texte, puis son contexte.

Le texte du traité, négocié sous la responsabilité d'Alain Juppé et de Jacques Chirac, et finalement signé par Lionel Jospin,...

M. Alain Juppé.

Qui aurait pu ne pas le signer ! Il ne l'aurait pas fait s'il l'avait jugé mauvais !

M. Gérard Fuchs.

... a donné lieu à nombre de commentaires négatifs, tenant surtout à l'écart entre l'ambition affichée par les négociateurs et le résultat finalement obtenu.

L'ambition était celle d'une véritable réforme institutionnelle, rendant l'Union européenne à la fois plus efficace dans ses décisions et capable de préserver cette efficacité à travers des élargissements successifs et programmés.

Pour l'essentiel, il s'agissait d'étendre substantiellement le champ du vote à la majorité en Conseil.

A cet égard, il faut bien reconnaître que la montagne a accouché d'une souris, voire qu'elle a purement et simplement avorté. La réforme institutionnelle indispensable a été renvoyée à des jours meilleurs, faute notamment d'une entente franco-allemande satisfaisante.

Pour autant, je plaiderai que le traité d'Amsterdam c ontient nombre d'innovations intéressantes, qui devraient être appréciées comme telles, en particulier sur les bancs de la majorité. Je mentionnerai tout d'abord, à cet égard, l'apparition d'un titre spécial consacré à l'emploi, dont la mise en oeuvre anticipée, à la demande du gouvernement de Lionel Jospin, permet enfin d'envisager que la lutte contre le chômage devienne une préoccupation centrale de l'Union. Le sommet extraordinaire de Luxembourg en décembre 1997 a lancé une dynamique qui commence à porter ses premiers fruits.

Je mentionnerai ensuite un renforcement sensible du volet social des traités. Avec l'intégration à part entière du fameux protocole social de Maastricht, imposé à l'époque par François Mitterrand, contre la volonté de Margaret Thatcher, et aujourd'hui accepté par tous grâce à la victoire de Tony Blair.

Je mentionnerai dans le même esprit la première apparition dans un traité européen en complément et en contrepoint aux règles de concurrence de la notion de services d'intérêt économique général, ce que l'on appelle chez nous le service public, et que nous considérons, à juste titre, comme un pilier essentiel d'une société qui accepte, certes, la compétition mais veut établir au mieux les conditions de l'égalité des chances.

Je mentionnerai encore un ensemble intéressant der éférences explicites à la notion de développement durable. Pour la première fois, un traité européen accepte l'idée que, quels que soient les mérites d'une économie de marché, ses mécanismes sont structurellement incapables de prendre en compte comme il convient les phénomènes dont l'impact ne se manifestera que pour les générations à venir.

Enfin, car mon but n'est pas d'être exhaustif mais convaincant, je mentionnerai le renforcement de la mise en oeuvre effective des conditions d'une liberté de circulation au sein de l'Union, dont on nous parle depuis quarante ans mais qui demeure encore largement à réaliser.

Ce sont d'ailleurs les conséquences aux frontières externes de l'Union de cette liberté de circulation interne à établir qui posent problème par rapport à notre Constitution actuelle. C'est aussi pour garantir cette liberté que le Traité d'Amsterdam mentionne l'obligation pour les Etats membres de respecter les droits de l'homme, avec même une suspension possible de l'appartenance à l'Union en


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cas de défaillance. Je n'ai toujours pas compris comment Philippe de Villiers pouvait trouver critiquable un tel mécanisme.

Curieusement donc, il apparaît à la lecture que le Traité d'Amsterdam contient fort peu de ce qui était prévu et, par contre, pas mal d'imprévus plus que positifs. Au-delà de tous les premiers commentaires, la lecture du texte me conduit donc à dire qu'il faut ratifier.

J'ai dit en introduction que je parlerai aussi du contexte, et je le ferai d'autant plus aujourd'hui que celui-ci me paraît extraordinairement porteur pour les préoccupations que je viens de mentionner. Un traité, en effet, mes chers collègues, comme une Constitution, n'est qu'un chiffon de papier s'il n'existe pas une volonté réelle de l'appliquer. Or que constatons-nous autour de nous ? Avec la victoire de Gerhard Schrder en Allemagne, ce sont aujourd'hui onze pays de l'Union européenne sur quinze qui ont à la tête de leur gouvernement un socialiste, social-démocrate ou travailliste.

M. Jacques Myard.

Cela ne changera rien !

M. Gérard Fuchs.

Les quatre plus grands pays de l'Union sont gouvernés par des coalitions de gauche. Cela ne s'était jamais vu dans le passé. Cette situation crée les conditions d'une dynamique sans précédent.

M. Jacques Myard.

Tu parles !

M. Gérard Fuchs.

L'emploi ? Même l'Allemagne considère aujourd'hui que l'on peut et que l'on doit parler de politique de l'emploi communautaire. La perspective d'une réelle coordination des politiques économiques des Quinze, avec pour objectif plus de croissance, n'est plus une complète utopie.

Le social ? Saisie d'un zèle soudain et sans précédent, la Commission de Bruxelles envisage sans plus d'effroi une nouvelle directive sur les droits des salariés et même peutêtre une directive limitant à quarante-huit heures la durée de travail des camionneurs.

M. Robert Pandraud.

Cela ne changera rien !

M. Gérard Fuchs.

La notion de service public ? Le combat est devant nous et sera rude, nous le savons. Mais ne plus avoir face à nous la majorité de gouvernements libéraux qui s'y opposaient est une opportunité qu'il nous faut absolument saisir. De même pouvons-nous espérer conjonction et conjoncture plus favorables pour discuter enfin d'une taxe sur l'énergie intelligente...

M. Jean-Louis Idiart.

Voilà une bonne résolution !

M. Gérard Fuchs.

... et d'une politique aux frontières de l'Union qui se préoccupe sincèrement du maintien d'un droit d'asile de haut niveau, ce qui malheureusement reste plus que jamais une nécessité dans les soubresauts actuels des nationalismes et des intégrismes de l'après-guerre froide.

Ne nous privons donc pas, chers collègues de la majorité d'abord, mais aussi, j'en suis sûr, d'une partie significative de l'opposition, de l'instrument que peut représenter le traité d'Amsterdam pour l'édification d'une Europe moins exclusivement soucieuse des marchandises et des capitaux et davantage préoccupée des hommes et des femmes qui la constituent.

Il faudra donc demain ratifier le traité et il nous faut, aujourd'hui, comme le propose le Gouvernement, réviser notre Constitution.

S'agissant de cette révision, je parlerai peu de l'article 88-2. Je pense qu'il nous faudra bien un jour, à l'image de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Grèce ou du Portugal, inclure dans notre Constitution l'idée forte et générale que des délégations de souveraineté peuvent être consenties à l'Union européenne pour la réalisation d'objectifs auxquels nous souscrivons et que nous ne pouvons plus atteindre seuls.

Mais on m'a expliqué que le moment de cette grande révision n'était pas venu. On m'a, hélas ! convaincu que les conditions n'en étaient pas réunies. Alors, révisons encore une fois a minima. Tant pis ! Par contre, il ne faut pas manquer l'occasion de réviser l'article 88-4 au bénéfice de notre parlement...

M. Jacques Myard.

A son détriment !

M. Gérard Fuchs.

... sans remettre en cause les fondements d'une Ve République, dont, il faut le reconnaître, la pratique de l'alternance a permis de mieux cerner certains charmes.

(Sourires.)

Etendre notre droit de voter des résolutions des seuls actes législatifs de la Communauté à tous les actes législatifs de l'Union me paraît, à cet égard, un minimum.

Offrir au Gouvernement la possibilité de nous transmettre d'autres actes significatifs de l'Union est, entre le protocole no 9 du traité d'Amsterdam et notre Constitution, une formulation de compromis, dont je salue très sincèrement l'habileté. Bravo, monsieur le rapporteur ! Mes chers collègues, dans la masse des documents européens transmis chaque année par la Commission - plus de 2 000, nous le savons -, il en est un plus significatif que les autres, qui a failli motiver de mapart le dépôt d'un amendement, c'est le programme de travail annuel de la Commission. Soumis chaque année au Conseil et au Parlement européens, discuté et approuvé par ce dernier, ce programme n'est pas en lui-même, j'en conviens, un acte de nature législative. Mais il annonce les textes législatifs à venir et son dépôt représente donc une occasion annuelle unique d'avoir à temps, au niveau des parlements nationaux, une discussion globale non au coup par coup, mais d'orientation.

Madame la garde des sceaux, je vous interroge donc : le Gouvernement peut-il s'engager à transmettre régulièrement à notre assemblée, parmi les documents dont notre rapporteur pronostique la transmission, celui que je viens d'évoquer, ce programme annuel de travail de la Commission ? Nous aurions là une occasion exceptionnelle à saisir pour diminuer un déficit de contrôle et un déficit démocratique que nous ressentons sur tous ces bancs. Nous aurions l'occasion d'une discussion annuelle globale des orientations de l'Union européenne. Cela serait positif pour notre parlement et pour nos citoyens.

Mon groupe, vous le savez, votera la révision de l'article 88-2 qui nous est aujourd'hui soumise...

M. Jacques Myard.

Ce ne sera pas sa première ânerie !

M. Gérard Fuchs.

... car nous souhaitons une entrée en vigueur rapide du traité d'Amsterdam. Monsieur Myard, l'Histoire dira qui était l'âne entre vous et moi !

M. Jacques Myard.

Prenons date, cher ami !

M. Gérard Fuchs.

Nous voterons, madame la garde des sceaux, cette révision obligatoire avec d'autant plus d'allant que vous nous aurez fait plaisir sur la révision facultative de l'article 88-4.

M. le président.

La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur.

Monsieur le président, madame la ministre, garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu'européen convaincu, je suis


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heureux que nous soyons enfin amenés à entamer la procédure qui permettra la ratification du traité d'Amsterdam.

Ce traité, signé le 2 octobre 1997, au nom de la France, par le Président de la République, Jacques Chirac, a suscité de nombreux commentaires. Le sentiment dominant était la déception liée à des progrès nettement insuffisants dans la réforme du fonctionnement institutionnel de l'Union européenne. Ces progrès restent pourtant indispensables et constituent un préalable pour réussir l'élargissement aux pays libérés du joug communiste.

Nous aurons l'occasion d'en débattre plus longuement pendant le débat sur la ratification qui suivra la révision de la Constitution.

Cette révision de la Constitution s'impose en raison de certaines dispositions du traité qui portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. A ce propos, il est intéressant de noter que le débat porte, ces derniers temps, moins sur le fond, à savoir les transferts de compétences relatifs à la libre circulation des personnes, aux politiques de visas, d'asile et d'immigration, que sur l'opportunité d'améliorer le contrôle du Parlement sur les décisions européennes.

Pour ce qui concerne les transferts de compétences nécessaires à la libre circulation des personnes et à l'harmonisation des règles d'entrée et de séjour des étrangers venant des pays tiers sur le territoire de l'Union, le traité d'Amsterdam permettra la communautarisation des règles. Cela n'a rien de choquant pour faire mieux face, ensemble, à l'évolution d'un monde de plus en plus ouvert et interdépendant. Cela vaut mieux que des législations nationales hétéroclites et plus ou moins laxistes qui n'ont permis à aucun pays européen d'apporter isolément une réponse efficace aux problèmes posés par l'immigration.

Nous considérons donc que ce sera un progrès, et non un affaiblissement de la souveraineté nationale, et nous voterons donc la modification de l'article 88-2 de notre Constitution.

Cette révision de notre loi fondamentale est aussi l'occasion de s'interroger non seulement sur les moyens d'approfondir le contrôle du Parlement sur la politique européenne, mais aussi sur la nécessité de réconcilier les citoyens avec la construction européenne par une démocratie plus active.

Comme nous y invite le protocole no 13 du traité d'Amsterdam, il paraît tout à fait souhaitable que l'information du Parlement soit améliorée. Ainsi, il serait opportun d'élargir le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution à l'ensemble des actes communautaires des deuxième et troisième piliers.

Il paraît tout aussi utile que le Parlement, au travers de sa délégation pour l'Union européenne, puisse non seulement être informé, mais aussi donner son avis sur tous les documents de consultation de la Commission : livres verts, livres blancs, communications. L'importance de tels documents, comme en atteste Agenda 2000, justifie cette évolution des droits du Parlement tout en respectant l'équilibre général de la Constitution.

Au travers du débat autour de cette révision, c'est en fait y défi de la démocratie qui est lancé, car nous savons bien qu'elle est insuffisante pour que les citoyens de l'Europe se sentent vraiment associés à la construction de la maison commune. Démocratie et subsidiarité vont de pair et devront, plus que par le passé, être au coeur des réflexions sur l'Europe du

XXIe siècle que nous voulons construire et ouvrir à nos futurs partenaires de l'Est de l'Europe.

Comment mieux associer les citoyens de cette union en marche aux choix et aux décisions qui forgeront notre avenir commun ? Où et à quel niveau doivent se décider les politiques à suivre dans les différents domaines de l'action publique ? Cette réflexion doit aussi clarifier le rôle des parlements nationaux, leur place par rapport au Parlement européen, dont le rôle se renforcera avec l'élargissement du domaine communautaire et au sein duquel les parlementaires français vont trouver des moyens d'être plus écoutés.

Aussi, l'idée progresse - je m'en réjouis - que seule une Constitution européenne permettrait d'atteindre cette clarification nécessaire au progrès de l'Union. Elle fixerait les différents niveaux de compétence en écartant les risques d'une centralisation technocratique. Elle assurerait une organisation de l'Union respectueuse du citoyen et d'une véritable démocratie.

Ce débat nous donne enfin l'occasion de clairement réaffirmer notre engagement européen.

Oui, nous sommes favorables à la mise en oeuvre d'une souveraineté partagée plutôt qu'au maintien d'une souveraineté virtuelle. Oui, nous soutenons qu'un renforcement du Parlement européen et une implication plus fortes des parlements nationaux permettront de remédier progressivement au déficit démocratique. Oui, nous pensons que les citoyens de l'Union européenne doivent être les acteurs d'une démocratie européenne plus vivante.

Il nous appartiendra, grâce à la réussite de l'euro et au travers d'une réforme plus audacieuse des institutions, de créer une véritable euro-confiance en France comme en Europe.

M. Jacques Myard.

Ce n'est pas demain la veille !

M. Yves Bur.

C'est pour ces raisons qu'avec mes coll ègues de l'UDF, je voterai ce projet de loi constitutionnelle.

M. le président.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

M. Philippe de Villiers.

Au risque de provoquer un nouveau persiflage de Mme Guigou, qui est largement sortie hier, dans son intervention sur l'exception d'irrecevabilité, du champ de la courtoisie traditionnelle qui sied à nos débats, je veux ajouter quelques mots aux propos que j'ai tenus hier.

Le débat d'hier m'a paru, comme à beaucoup d'entre nous, intéressant mais abstrait, comme si l'Europe était une bulle spéculative qui flottait loin de nous alors que se p osent des questions extraordinairement concrètes, comme l'a montré cet après-midi le dialogue surréaliste entre M. Giscard d'Estaing et M. Jospin. Je pense que les téléspectateurs qui ont regardé les questions d'actualité en auront été pour leurs frais. En fait, nous en sommes pour nos frais tous les jours, lorsque nous apprenons et que nous appliquons, à notre détriment, les décisions prises à Bruxelles.

En effet, tout le monde se plaint, à un moment ou à un autre, parce que tout le monde a l'occasion de se plaindre de la toute-puissance de la Commission.

Ainsi, on nous a annoncé aujourd'hui la décision absurde de lever l'embargo sur le boeuf britannique, alors que l'on relève deux cents cas de vache folle en GrandeBretagne tous les mois.

De même, on a appris, il y a quelques jours, la décision absurde de la Commission de Bruxelles qui a porté le coup de grâce aux chantiers navals en réclamant le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

remboursement des aides. Cela signifie qu'aucun repreneur ne se risquera plus à étudier le cas des ateliers et chantiers du Havre.

On connaît aussi le comportement absurde et irresponsable de la Commission en ce qui concerne le textile français alors que 350 000 emplois sont en cause.

M. Robert Galley.

Eh oui !

M. Philippe de Villiers.

Comportement absurde encore de la Commission qui vient de contrer une décision tout à fait légitime du Conseil d'Etat sur le maïs transgénique.

M. François Guillaume.

Scandaleux !

M. Philippe de Villiers.

Comportement absurde et irresponsable de la Commission de Bruxelle, toujours, qui interdit les cartes de réduction pour les familles nombreuses, c'est-à-dire celles qui comptent plus de trois enfants.

Tous les jours, on peut relever de telles décisions. Tous les jours, nous subissons des rappels à l'ordre, quand ce ne sont pas des astreintes et des amendes. Bientôt même, avec le nouvel article 13, couplé avec l'article 7, sera instauré un état de surveillance et de régime disciplinaire et pénal pour les Etats.

La question qu'il faut se poser est simple : quid du traité d'Amsterdam ? Le nouvel équilibre institutionnel du traité d'Amsterdam aggravant les déséquilibres actuels, quels sont les gagnants ? Quels sont les perdants ? Les premiers gagnants seront les juges de Luxembourg, puisque, chaque fois qu'intervient une nouvelle disposition, la Cour de justice en tire profit non seulement parce qu'elle arbitre, mais aussi parce qu'elle a le droit d'interpréter.

M. Jacques Myard.

C'est leur fonds de commerce !

M. Philippe de Villiers.

Le deuxième gagnant sera le Parlement européen, grâce à l'instauration du droit de codécision et à l'extension des matières pour lesquelles il sera compétent.

Le troisième gagnant sera la Commission. Je m'étonne d'ailleurs que l'on n'ait pas parlé davantage, dans cette enceinte, de ce que l'article 62 appelle les « orientations politiques », qui permettent de choisir et d'investir le président, puisque la Commission devient une sorte de gouvernement européen investi par le Parlement européen.

Les perdants sont de deux ordres : le Conseil et les parlements nationaux.

M. Jacques Myard.

Et le peuple !

M. Philippe de Villiers.

Ils n'auront que le droit de donner des avis à la COSAC ; vous l'avez dit vous-même presque avec humour, monsieur Moscovici. On ira donc voir la COSAC pour se plaindre quand quelque chose n'ira pas du côté de la Commission.

En d'autres termes, dans un domaine qui a trait à l'essentiel de la souveraineté nationale, à l'essentiel de ce que l'on appelle les libertés publiques, c'est-à-dire tout ce qui concerne le franchissement des frontières, l'immigration, la sécurité, l'asile, nous voilà démunis. Je vous annonce que, bientôt, les journalistes étrangers, en parlant de l'Assemblée nationale française, nous appelleront le conseil régional de la France, tout simplement.

M. Jacques Myard.

Bien sûr !

M. Philippe de Villiers.

En effet, nous serons devenus, à l'égal du conseil général des Hauts-de-Seine, monsieur Guillet, une assemblée dans laquelle il y aura une droite et une gauche qui discuteront, mais sur des problèmes parfaitement secondaires.

Je fais partie des gens, à droite, qui, comme d'autres, à gauche, ne le veulent pas, ne l'acceptent pas. C'est la raison pour laquelle j'ai défendu hier l'exception d'irrecevabilité.

J'ai entendu avec stupéfaction M. de Charrette, dont je regrette l'absence, aller jusqu'au bout de sa logique - bonjour la liste unique de l'Alliance ! (Sourires) - et demander une constitution européenne. S'il était là, je lui dirais très simplement que cette constitution européenne est en germe dans le traité d'Amsterdam.

En effet qu'est une constitution ? Ceux qui ont utilisé cette expression, d'ailleurs involontairement, sans doute, ne l'entendaient pas ainsi.

D'abord, une constitution est une règle supérieure à toutes les autres. Or tel est bien le cas du protocole no 7 sur la subsidiarité. Puisque, désormais, tout droit communautaire, même dérivé, sera supérieur à tout droit national, même constitutionnel.

M. François Guillaume.

Voilà !

M. Philippe de Villiers.

Ensuite une constitution vise à protéger directement les droits des citoyens. Or lisez l'article 6 : l'Europe n'est plus une association d'Etats associés ; elle se fonde directement sur les droits des citoyens, qui pourront saisir la Cour de justice de Luxembourg.

Enfin, une constitution exige l'existence d'un Etat. Or cela est presque le cas : il battra monnaie à Francfort, fera la loi à Bruxelles et rendra la justice à Luxembourg.

L'article 89 de notre Constitution est clair, monsieur le ministre. A propos de réforme de la Constitution d'ailleurs, le général de Gaulle disait qu'il y a les réformes et les réformettes. Or si les « réformettes » peuvent relever du Congrès, il n'en va pas de même en cas de véritable réforme de la Constitution. Tel est bien le cas en l'occurrence. On peut même parler de changement de constitution puisque le Conseil constitutionnel a estimé qu'on touchait aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté. Or on ne change pas de constitution comme on change de liquette ! Par conséquent, lorsqu'il y a une véritable réforme de la constitution, voire un changement de constitution, seul le peuple peut trancher.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Nous n'avons pas le droit, quoi que nous pensions par ailleurs, de détourner l'article 89 de son sens et l'esprit de nos institutions de la voie tracée par le général de Gaulle, son fondateur. Nous n'avons pas le droit d'accepter ce que nous demande le Gouvernement, c'est-à-dire un changement de constitution. Si nous le faisions, nous le ferions malgré le peuple, contre le peuple. Ce ne serait plus le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple.

M. Pierre Forgues.

Vous ne connaissez pas le peuple, monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

Nous n'avons pas le droit de nous saisir de cette question.

Nous avons un message à transmettre au Premier ministre et au Président de la République : monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, cette question ne nous regarde pas. Seul le peuple, le pouvoir constituant doit décider de jeter, oui ou non, notre Constitution à la poubelle ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Monsieur le président de l'Assemblée nationale ou de ce qu'il en reste (Murmures), madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, après l'Acte unique, et son prurit harmonisateur, après le traité de Maastricht qui a engendré son cortège de chômeurs et, en prime, l'insolence de la Banque centrale européenne, voilà Amsterdam qui se propose de transférer de nouveaux pans entiers de notre souveraineté à Bruxelles en termes technocratiques, de les communautariser au motif que le monde l'exige, au motif que le droit communautaire serait plus efficace. Ah bon ? Qu'il me soit permis de douter fortement de ces assertions non démontrées et même infondées.

Il est clair que la France n'a pas attendu la communautarisation pour coopérer en Europe. Ainsi, sur la base d'accords internationaux, la coopération entre la justice et les polices a été efficace.

Il est non moins clair que le droit communautaire est aussi passoire, aussi peu appliqué que les règles ayant p our objet des accords internationaux classiques.

L'exemple des règlements douaniers allégrement violés par les champions idéologiques de l'Europe communautaire que sont les Pays-Bas devrait vous ramener à plus de modestie, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, sur l'efficacité prétendue de l'action communautaire.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Si, pour ma part, je suis franchement hostile à ce traité, c'est parce qu'en définitive il va à l'encontre de l'Europe, qui doit être fondée sur l'union de peuples souverains, garants de la démocratie, et dans le respect de la subsidiarité.

Mme Nicole Catala.

Très bien !

M. Jacques Myard.

En réalité, le traité d'Amsterdam renforce le pouvoir de l'oligarchie technocratique européenne, incontrôlée, incontrôlable, irresponsables dont le seul objectif - je le dis solennellement - est de capter et de concentrer à son profit exclusif les pouvoirs des Etats.

Amsterdam ne construit pas l'Europe. Il va la conduire dans une impasse, en exacerbant les contradictions entre cette technocratie oligarchique et les nations européennes.

Mme Nicole Catala.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Jacques Myard.

Les peuples européens qui subissent et subiront encore davantage le diktat de cette oligarchie technocratique qui se joue avec une certaine délectation d'un Conseil changeant, inconstant, pris au piège d'intérêts divergents.

Quelques naïfs, peut-être sincères, mais qui ont abandonné l'exercice de la raison, prétendent que les nations vont exercer en commun leur souveraineté. C'est la thèse de la souveraineté partagée, la dernière trouvaille de celles et ceux qui sont fatigués d'être libres ! (Sourires.)

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Mais que signifie la « souveraineté partagée », lorsque la majorité qualifiée, manoeuvrée par cette technocratie que je dénonce, peut imposer ses décisions, ses options dans des domaines aussi essentiels que le contrôle des frontières ?

M. Arthur Dehaine.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Que signifie la « souveraineté partagée », lorsqu'un Etat peut être privé de droits qu'il détient des traités ?

M. Michel Bouvard.

C'est la souveraineté confisquée !

M. Jacques Myard.

Que signifie la « souveraineté partagée », lorsqu'il est désormais interdit à la France et aux autres Etats de remettre en cause tout acquis communautaire ? La « souveraineté partagée » a le relent de la funeste théorie brejnevienne de la « souveraineté limitée ».

M. Michel Bouvard.

C'est la « souveraineté confisquée » !

M. Jean-Jacques Guillet.

C'est le pacte de Varsovie !

M. Jacques Myard.

Ce traité tourne le dos à l'Europe des nations, et il est mauvais. Il va bien au-delà de l'Europe fédérale, car il n'existe pas de séparation claire entre ce qui serait fédéral et ce qui relèverait de la compétence des Etats. Bien au contraire, tout le système aspire en son centre les compétences des Etats pour les fusionner dans un droit communautaire totalitaire.

Ce traité va bien au-delà de l'Europe fédérale car il confie la réalité du pouvoir non au Conseil représentant les peuples et les Etats mais à la Commission et à la Cour de justice.

En définitive, notre République de France est vidée de ses compétences régaliennes. Notre pays est réduit à un cadre administratif d'exécution des décisions prises à Bruxelles. Quant au Parlement, il devient un organisme consultatif - quel progrès ! -, caricature d'une assemblée parlementaire et démocratique, un théâtre d'ombres.

Tout cela me rappelle étrangement Platon et la dégénérescence des régimes politiques. Il y a vingt-cinq siècles, ce philosophe grec prédisait déjà comment, par abandon et manque de vigilance, les peuples passent de la démocratie à l'oligarchie puis à la tyrannie. Ce processus est en route ! A nom de l'Europe, remettez à plat la construction européenne en faisant respecter le principe de subsidiarité par la création d'une chambre haute qui, préventivement, arrêtera la boulimie de cette union, et d'une cour juridictionnelle qui permettra de casser les arrêts de la Cour de justice qui violent le principe de subsidiarité ; mais aussi en redonnant la primauté au Conseil.

Vous feignez de ne pas comprendre !

M. le président.

Veuillez conclure.

M. Jacques Myard.

Je termine, monsieur le président.

Eh bien, lors des prochaines élections législatives, mes chers collègues, que répondrez-vous à vos électeurs potentiels - si vous en avez encore ! - lorsqu'ils vous questionneront ? Pourquoi laissez-vous entrer en France des marchandises fabriquées par des enfants ? « Ce n'est pas nous, c'est la Communauté. »

Pourquoi n'agissez-vous pas sur les taux monétaires pour favoriser les investissements ? « Ce n'est pas nous, c'est l'Union européenne, c'est la Banque centrale européenne ! »

M. Philippe de Villiers.

Eh oui !

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Pourquoi ne contrôlez-vous pas les flux migratoires ? « Ce n'est pas nous, ce sont les autres ? »


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Mais à quoi servez-vous donc ? A rien ! Si... A donner des avis, monsieur Nallet, qui, eux, ne servent à rien.

Vous méditerez alors ce mot fameux de Montesquieu :

« J'étais empereur, vous m'avez fait patron de galère » ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin et M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez, en préalable à mon intervention, de faire un commentaire sur l'actualité politique.

En effet, nous sommes nombreux ce soir, tant au sein de cette assemblée que dans tout le pays, à être satisfaits de la décision intervenue aujourd'hui en Angleterre. Elle indique à tous les dictateurs qu'ils risquent désormais, où qu'ils soient, d'avoir un jour des comptes à rendre à l'histoire et aux peuples du monde.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Très bien !

M. Julien Dray.

Je sais que la France a joué un rôle important pour accélérer certaines procédures. Vousmême, madame la garde des sceaux, êtes intervenue à plusieurs reprises dans cet hémicycle à ce sujet. Vous en êtes remerciée par la décision prise aujourd'hui qui est un élément de satisfaction pour tous les combattants de la liberté dans le monde.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Pierre Soisson.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Fidel Castro n'a pas intérêt à être malade !

M. Julien Dray.

Monsieur de Villiers, je m'attendais à cette remarque. Il se trouve que vous vous adressez à celui qui a été le seul à organiser, dans cette maison, une conférence pour la libération de tous les prisonniers politiques à Cuba et pour la tenue d'élections démocratiques dans ce pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

C'est parce que j'ai fait cela que je me permets aujourd'hui de formuler cette remarque concernant M. Pinochet.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur d ivers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

La précision est importante !

M. le président.

Monsieur Dray, votre temps court.

M. Julien Dray.

Monsieur le président, je ne doute pas que vous déduirez ces remarques de mon temps de parole ! Je tiens également à remercier le groupe socialiste de m'avoir autorisé à prendre la parole dans ce débat, ce qui me permet d'expliciter certains points de désaccord.

En montant à cette tribune, j'ai eu, je le confesse, un peu de nostalgie et le sentiment d'avoir rajeuni de six ans.

Je vous avoue que cela ne me déplairait pas, pour de multiples raisons. En 1992, en effet, notre assemblée a déjà voté une révision constitutionnelle pour adapter notre loi fondamentale à nos engagements européens. Il est donc tentant de dire que, puisque nous l'avons fait une fois, il n'y a aucun risque à le faire de nouveau.

En 1992, j'ai approuvé la modification constitutionnelle parce que j'estimais que la ratification du traité de Maastricht était nécessaire. Ce traité contenait déjà les f ameux critères de convergence, et l'édification de l'Union économique et monétaire se réalisait déjà - il faut le dire - sous la tutelle du libéralisme économique.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Julien Dray.

Mais la démarche qui guidait alors beaucoup d'entre nous avait une cohérence.

La mutation du capitalisme dans un nouvel âge financier transnational avait rendu trop étriqué l'espace de l'Etat-nation comme seul cadre de régulation du marché.

Afin que les politiques économiques de redistribution des richesses ne se heurtent plus systématiquement à la

« contrainte extérieure » - comme ce fut le cas pour la gauche en 1981 et en 1982 - seule l'unification des politiques du continent européen permettait d'organiser une résistance à la mondialisation libérale.

Le pari de Maastricht pouvait se résumer ainsi : conjoncturellement, la France devait accepter, jusqu'à l'unification monétaire, des contraintes en échange d'une perspective de coordination des politiques économiques et de solides avancées dans la voie d'une intégration politique démocratique.

Hélàs ! il n'en a rien été. Ce pari a échoué.

De directives en directives, de sommets en conseils Ecofin, de Dublin à Luxembourg, l'intégration économique n'a pas produit mécaniquement d'intégration politique. Au contraire. Pire même : l'Europe est aujourd'hui devenue la place forte, le Fort Knox de tous les sergents du monétarisme, de tous les généraux de la rigueur et de tous les maréchaux de la guerre contre les déficits.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Pierre Michel.

Très bien !

M. Jacques Myard.

On les pendra, ces gens-là !

M. Julien Dray.

La démonstration en est faite aujourd'hui par le traité d'Amsterdam. Le dispositif qu'il met en place est diabolique. Le traité repose sur un triptyque sans faille : vide démocratique - cela a été signalé -, pacte de stabilité budgétaire, indépendance totale des autorités monétaires.

Les deux derniers termes de ce triptyque, pacte et Banque centrale, fondent, qu'on le veuille ou non, une véritable constitution économique ou un Etat-banque.

Ils prorogent ad vitam aeternam la rigueur des critères de convergences de Maastricht.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Robert Pandraud.

C'est le vrai problème !

M. Julien Dray.

Les gouvernements et les peuples perdent ainsi définitivement la faculté de choisir leur politique économique.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Julien Dray.

Les 3 % deviennent une règle intangible...

M. Robert Pandraud.

Absolument.

M. Jacques Myard.

Un carcan !

M. Julien Dray.

... dont aucun exécutif ni aucun parlement, en dépit de la légitimité qu'ils tirent du suffrage universel direct, ne pourront s'affranchir sous peine de sanctions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Jacques Myard.

C'est fini !

M. Julien Dray.

Le fonctionnement de la Banque centrale européenne n'est pas moins rigide. J'en veux pour preuve le sort qui a été réservé aux souhaits, ou plutôt aux suppliques, d'Oskar Lafontaine, qui demandait une baisse des taux pour faire face à la crise financière venue d'Asie.

M. Michel Bouvard.

Ça a été un camouflet !

M. Julien Dray.

Le malheureux s'est heurté à une fin de non-recevoir de la Dream team du libéralisme que composent les banquiers centraux Trichet, Tietmayer et Duisenberg.

M. Michel Hunault.

Et il est resté !

M. Julien Dray.

Dépossédés de leur souveraineté monétaire et budgétaire, les Etats nations n'auront plus comme seule solution que de flexibiliser leur marché du travail et de démanteler leur système collectif de protection sociale pour réagir aux chocs économiques.

M. Jacques Myard.

Eh oui ! Cela va encore aggraver le chômage !

Mme Nicole Catala.

Il dit vrai, Julien Dray !

M. Julien Dray.

C'est ce que prévoient malheureusement les conclusions de la présidence du sommet d'Amsterdam.

M. Jacques Myard.

Ça fait mal d'entendre ça, n'est-ce pas, chers collègues du parti socialiste ?

M. Julien Dray.

Ce qui se déroule donc sous nos yeux et que l'on nous demande d'avaliser n'est ni plus ni moins que la constitution d'un vaste marché du travail jetable.

M. Jean-Jacques Guillet.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Julien Dray avec nous !

M. Jacques Myard.

Accordez-lui dix minutes de plus !

M. Julien Dray.

Ne nous y trompons pas. Le traité d'Amsterdam ne contient aucune avancée politique et cela n'est ni anecdotique, ni le résultat du hasard.

Les travaux de la conférence intergouvernementale ne se sont pas conclus par des progrès institutionnels, précisément parce que le bon fonctionnement de cette constitution économique rigide a pour corollaire le vide démocratique.

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Julien Dray.

C'est ce qu'entérine le traité. Il permet au capital de mener à bien le rêve qu'il caresse depuis tant d'années : débarrasser pleinement la sphère économique de toute intervention politique des citoyens et de toute réglementation sociale.

M. le président.

Monsieur Dray, il faut conclure.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jacques Myard.

M. Dray dit des choses importantes !

M. Philippe de Villiers.

Laissez-le parler !

M. Georges Sarre.

Oui, laissez-le parler !

M. Julien Dray.

Plus de citoyens, plus de responsables politiques, bref plus rien qui ne puisse édicter des règles proclamant la loi de l'intérêt général sur l'intérêt des plus riches et des plus fortunés.

Je sais que beaucoup sur ces bancs sont sensibles à ces arguments.

M. Michel Bouvard.

Oui.

M. Julien Dray.

Ils ont pourtant la conviction qu'il ne s'agit que d'un mauvais moment à passer et qu'il sera toujours temps de construire l'Europe sociale.

M. Georges Sarre.

Plus tard !

M. Julien Dray.

Mais cette croyance ne résiste pas à la réalité des faits. Le libéralisme ne nous a pas habitués aux miracles sociaux.

M. le président.

Monsieur Dray, je vous demande de conclure. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Georges Sarre.

Non !

M. Jacques Myard.

Il dit des choses importantes !

M. Robert Pandraud.

Pas de censure !

M. Philippe de Villiers.

Laissez-le parler !

Mme Christine Boutin.

On ne laisse pas parler les gens ici !

M. Julien Dray.

Je vais conclure, monsieur le président.

De nombreux collègues de la majorité pensent se rassurer sur les risques du traité d'Amsterdam en se disant que la gauche est aujourd'hui au pouvoir dans treize des quinze pays de l'Union.

M. Michel Bouvard.

Ils se fourvoient !

M. Julien Dray.

A ceux-là, je raconterai la petite histoire des arbres de la forêt qui, voyant entrer le bûcheron, se sont tous rassurés en disant : « Celui-ci ne peut pas nous faire de mal, car voyez le manche de sa hache : il est fait du même bois que nous. »

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Christine Boutin.

Bravo, monsieur Dray !

M. Philippe de Villiers.

Voilà un homme courageux !

M. Jacques Myard.

Et lucide !

M. le président.

La parole est à M. Stéphane Alaize.

M. Stéphane Alaize.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe aujourd'hui est d'importance : on ne modifie jamais la Constitution sans motifs sérieux. Il intervient aussi à un moment intéressant pour tous les Européens convaincus, dont je suis, du fait de l'eurogrève, de la transposition de la directive européenne sur l'électricité dans le droit français, des élections européennes, dont l'échéance se rapproche, et de la préparation du passage à l'euro.

Certes, le projet de loi constitutionnelle visant à modifier l'article 88-2 de la Constitution de 1958, qui est présenté aujourd'hui, est consécutif à une décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997, qui a estimé que certaines dispositions du traité dit d'Amsterdam portaient atteinte « aux conditions d'exercice de las ouveraineté nationale ». Cependant, même si les modestes incidences de ce traité, issues de la négociation conduite lors de la précédente législature, sont insuffisantes aux yeux du militant européen que je suis, cette situation présente le mérite de nous permettre d'organiser un débat utile à tous. On le voit aujourd'hui.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Il est donc nécessaire, me semble-t-il, de dire quelques mots dudit traité avant d'en venir à la proposition même de réforme constitutionnelle.

Le traité signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 est ler ésultat de la Conférence intergouvernementale sur l'union politique initiée en mars 1996. Cette CIG, conclue à l'occasion du quarantième anniversaire du traité de Rome, a malheureusement mis en lumière le manque d'ambition de certains gouvernements de l'époque, et en premier lieu des représentants français chargés d'en discuter le contenu. Le résultat minimal obtenu en témoigne cruellement. Elle a finalement abouti à un traité fort modeste, même s'il n'est qu'une étape dans un processus qui n'a pas terminé son long cheminement.

Le traité d'Amsterdam est très en deçà des espérances placées dans la CIG et des enjeux auxquels celle-ci était censée répondre. Qu'on en juge : le principal objectif de la CIG - la réforme des institutions communautaires n'a débouché sur aucune décision forte. Peut-être eût-il fallu, pour ce faire, être porteur d'une vraie volonté politique sur le sujet, susceptible d'obtenir l'approbation des représentants du peuple majoritaires à l'époque. Or ce n'était pas le cas. Et ce l'est encore moins aujourd'hui sur les bancs de la minorité, certains prenant d'ailleurs le risque, en contredisant le Président de la République, d'affaiblir encore une fois la France.

M. Michel Bouvard.

Non ! C'est inouï !

M. Stéphane Alaize.

Reconnaissons tout de même que le mal qui a fragilisé la France lors des négociations d'Amsterdam pourrait bien réapparaître demain si la majorité plurielle choisit une vision étriquée et opportuniste et s'oppose à un projet politique ambitieux pour l'Europe lors des prochaines échéances européennes. Car rien de ce qui fait le combat du parti communiste comme du Mouvement des citoyens n'est étranger au parti socialiste. Et si nous sommes, en Européens lucides, persuadés d'avoir raison, vous n'avez pas forcément tort de poser des questions sur certains aspects de la construction européenne.

Au fond, l'objectif est le même, seule diffère la méthode. Même à ce niveau, l'Europe - avant Amsterdam comme après - offre de vraies garanties démocratiques.

M. Michel Bouvard.

C'est Delors qui nous a menés là !

M. Stéphane Alaize.

Jusqu'à preuve du contraire, quand on dit majorité - qualifiée ou non - ne dit-on pas démocratie ? Quand on dit projet de loi, qu'il soit constitutionnel ou la transposition d'une directive, ne dit-on pas également démocratie ? Quand, encore, on accorde au Parlement européen, avec ce traité, la faculté d'investir le président de la Commission, ne parle-t-on pas toujours de démocratie ? Quand, enfin - et cela vaut pour tous les défenseurs de la souveraineté nationale - on a la garantie que c'est bien le peuple français qui élit ses représentants au Parlement européen, ne sommes-nous pas pleinement respectueux de la démocratie ? Bien sûr que si ! Certes, on peut - et on doit - vouloir plus. Mais chaque chose en son temps, et un temps pour chaque chose. Ce dont a besoin le peuple en matière d'Europe, ce n'est certainement pas de surenchère médiatique mais de pragmatisme.

M. Michel Bouvard.

Ce dont il a besoin, c'est qu'on lui donne la parole !

M. Stéphane Alaize.

Non, il n'est pas sérieux d'exiger toujours plus d'Europe devant les caméras et de nier les avancées, si modestes soient-elles, en matière européenne, que ce soit en période préélectorale ou non.

M. Michel Bouvard.

Il n'y a qu'à donner la parole au peuple au lieu de parler à sa place !

M. Stéphane Alaize.

Quant aux autres enjeux de la CIG - les deuxième et troisième piliers du traité sur l'Union européenne, la défense et surtout l'Europe sociale -, reconnaissons le manque de souffle du traité à leur égard.

Au total, c'est bien le traité qui ne répond pas, loin s'en faut, aux attentes des élus du peuple, et non le gouvernement actuel.

Reste tout de même que quelques avancées ont été obtenues, qu'il serait intellectuellement malhonnête de ne pas reconnaître.

Le traité d'Amsterdam comporte effectivement trois domaines dans lesquels les progrès sont palpables. Il s'agit du transfert de nouvelles compétences à l'Union, de l'unification du territoire européen et surtout du renforcement des institutions communautaires.

Oui, en prévoyant certaines extensions du champ des compétences communautaires, notamment en matière de définition des droits des citoyens, de règles de circulation internationale des personnes ainsi que de politique étrangère et de sécurité, le traité d'Amsterdam apporte du nouveau.

Oui, en permettant, par l'unification du territoire européen, l'abolition des contrôles de personnes aux frontières internes et le renforcement des règles de libre circulation des biens et des personnes, le traité d'Amsterdam permet une progression.

Je note au passage que certains qui se disent Européens v oudraient conserver des frontières à l'intérieur de l'Europe. Je ne comprends pas cette contradiction.

Le Parlement européen obtient une complète parité avec le Conseil des ministres dans la procédure de codécision, elle-même élargie à de nouvelles catégories. La Cour de justice des Communautés européennes y a gagné, le Conseil des ministres aussi. Et c'est une bonne chose.

M. Michel Bouvard.

La Cour de justice y a gagné ! Oui, elle pourra légiférer sur les cages à poules !

M. le président.

Monsieur Alaize, acheminez-vous vers votre conclusion, je vous prie.

M. Stéphane Alaize.

J'y viens, monsieur le président.

Le Conseil constitutionnel a souhaité que ce débat ait lieu. Nous le tenons aujourd'hui. Mais il reste encore bien du chemin à faire, car, si l'on peut légitimement regretter la mobilisation de la procédure de réforme constitutionnelle pour des avancées qui tombent sous le bon sens, autant, dès lors, tirer un bon profit du débat d'aujourd'hui en demandant un renforcement des moyens permettant à la représentation nationale de mieux contrôler l'action européenne du Gouvernement, dans l'attente d'une opportunité mieux préparée, il faut le reconnaître, que ce traité.

M. Michel Bouvard.

Ah !

M. le président.

Monsieur Alaize, je vous demande maintenant de conclure.

M. Stéphane Alaize.

Il faudra bien aussi que le Gouvernement accepte ces avancées lors de l'une des toutes prochaines réformes constitutionnelles, car nous n'aurons pas d'Europe acceptée qui ne soit comprise du peuple.

Dans l'immédiat, j'appelle l'ensemble des Européens ici présents, sur quelque banc qu'ils siègent...

M. Jean-Pierre Michel.

Ici, il n'y a que des députés français !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Stéphane Alaize.

... à voter sans état d'âme le projet de loi qui nous est proposé, pour avancer et non plus tergiverser.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Sarre.

Vous avez deux langages ! A vous entendre, il n'y a même plus de patrie !

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre.

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup ont déjà eu l'occasion de l'affirmer, le traité d'Amsterdam - dont chacun connaît les faiblesses, mais qui l'a négocié ? - comporte cependant des avancées substantielles qui vont dans le sens d'une

« Europe sociale, de progrès et de paix », comme le souhait en avait été exprimé par la majorité plurielle lors d'une déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste en date du 29 avril 1997.

C'est à ce titre que la ratification du traité d'Amsterdam et la révision de la Constitution à cet effet dont nous débattons doivent être acceptées.

Je ne vais pas reprendre tous les arguments qui ont été développés, mais je vais essayer - si c'est encore possible - de convaincre certains du bien-fondé de la ratification en prenant pour exemple une avancée peu évoquée dans cette discussion dont l'importance est cependant fondamentale pour l'équilibre de nos sociétés. Je veux parler de l'article 141 du traité d'Amsterdam, portant modification de l'article 119 du traité sur l'Union européenne, lequel a inclu dans le domaine de compétence de l'Union le respect du principe de l'égalité des chances et de traitement entre les femmes et les hommes en matière de travail et d'emploi.

Compte tenu du long chemin qu'il nous reste encore à parcourir dans ce domaine, tant au niveau national d'ailleurs - mais nous allons bientôt en parler - qu'au niveau communautaire, nous ne pouvons aujourd'hui que nous réjouir de voir cette volonté élargie, précisée et confortée par l'introduction de la procédure dite de « codécision » dans la mise en oeuvre des principes affirmés dans cet article.

Dans un premier temps, le traité d'Amsterdam procède au renforcement des mesures préexistantes relatives au principe d'égalité entre hommes et femmes.

Ainsi précise-t-il tout d'abord la notion d'égalité des rémunérations entre hommes et femmes en ajoutant la notion importante de travail « de même valeur » dans la définition des tâches devant donner lieu à rémunération identique. Auparavant, cette définition s'appliquait dans le cadre d'un « même travail ».

Les négociateurs de ce traité ont, par ailleurs, souhaité a ssurer concrètement l'égalité professionnelle entre hommes et femmes en prévoyant, le cas échéant, que le

« principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un

Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sousreprésenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ».

Il s'agit là tout simplement de la reconnaissance, par l'inscription dans le traité, du droit de la discrimination positive comme moyen d'action. Cette inscription me paraît tout à fait décisive.

M ais l'article 141 du traité d'Amsterdam ne se contente pas d'améliorer des dispositions de l'ancien article 119. Il comporte également une modification majeure, tant pour l'efficacité de sa mise en oeuvre que pour la démocratisation du mode de fonctionnement communautaire.

Je pense bien évidemment à la disposition nouvelle inscrite dans l'article 141 du traité d'Amsterdam qui permet aux institutions communautaires de légiférer dans le domaine de l'égalité entre les hommes et les femmes selon la procédure ouverte par l'article 251 du traité.

Comme chacun le sait ici, cet article décrit la procédure de codécision qui ouvre la possibilité pour le Conseil de statuer dans un certain nombre de domaines en fait, dans presque 75 % des domaines de décision de l'Union européenne - à la majorité qualifiée, et au Parlement européen de rejeter éventuellement les propositions qui lui sont soumises si elles ne lui conviennent pas.

Cette nouvelle procédure avait, rappelons-le, considérablement accru les pouvoirs du Parlement européen, et nous ne pouvons que nous réjouir de voir le traité d'Amsterdam en étendre le champ au domaine de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Cet exemple, parmi bien d'autres cités hier et cet après-midi, doit donc nous convaincre que la ratification du traité d'Amsterdam, et donc l'adoption préalable de la révision constitutionnelle qui nous est soumise, s'inscrivent dans la continuité de notre engagement européen.

Je dirai même que cette ratification s'impose à nous, car la France ne saurait rompre l'ensemble de ses engagements européens sans mettre en péril à la fois l'existence même de l'Union et son avenir propre.

L'extension des droits des citoyens qui apparaît dans un certain nombre d'articles du traité d'Amsterdam me semble être la preuve que non seulement la France ne perd rien en ratifiant le traité mais que, ce faisant, elle accroît pour elle, au niveau de ses institutions, et pour les citoyens, dans leur vie quotidienne, sa capacité d'action.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier le groupe socialiste de m'avoir permis de m'exprimer devant vous.

M. Michel Bouvard.

Ça va être intéressant !

M. Yann Galut.

En relisant la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, je me suis attardé sur l'article XVI qui stipule que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Yann Galut.

Quand près de 50 % des textes qui nous sont soumis ne sont que la transposition dans la législation interne de directives européennes, nous ne pouvons que nous inquiéter du poids, somme toute relatif, du Parlement.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Yann Galut.

L'image du parlementaire « moine copiste » des actes communautaires persiste. Les nombreuses initiatives depuis l'instauration, en 1979, des délégations pour l'Union dans chaque assemblée n'ont, au fond, rien modifié.

La révision constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui doit être l'occasion de renforcer réellement et fortement les prérogatives de notre parlement en matière d'examen des propositions d'actes communautaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Celui-ci devrait être impliqué concrètement et plus efficacement dans la construction d'une véritable union politique au niveau européen. Or les députés se trouvent dépourvus d'outils efficaces face à la prolifération du droit communautaire et à sa technicité croissante.

Le suivi des affaires européennes est aujourd'hui confié au sein des deux assemblées aux délégations pour l'Union européenne et aux commissions permanentes.

Cette situation n'est ni efficace ni pertinente.

Tout d'abord, des difficultés de coordination entre la délégation et les commissions permanentes ralentissent trop souvent l'examen des propositions d'actes communautaires.

Ensuite, il existe un réel problème de reconnaissance des travaux des délégations et d'information des parlementaires sur ces travaux.

C'est pourquoi les deux délégations devraient devenir des commissions permanentes à part entière. En les constitutionnalisant, on supprimerait mécaniquement les difficultés de coordination avec les commissions existantes. Les projets de textes communautaires seraient ainsi examinés par la commission Europe, la procédure d'examen s'en trouvant facilitée et accélérée.

Une telle modification n'est pas négligeable, nous le savons tous, pour insérer au mieux notre contrôle démoc ratique et souverain dans le processus décisionnel communautaire.

Au-delà du reforcement de l'efficacité du suivi par le Parlement des affaires de l'Union, la constitutionnalisation des délégations représenterait un symbole politique majeur, qui montrerait la place que nous souhaitons donner au suivi des affaires communautaires.

C ertes, l'extension du champ d'application de l'article 88-4 par la transmission aux assemblées des actes des deuxième et troisième piliers constitue une avancée.

Mais on se cantonne aux seules dispositions de nature législative.

J'estime qu'il faut retirer le fameux critère des « dispositions de nature législative ». Il me paraît, en effet, légitime que les assemblées puissent décider par elles-mêmes des propositions d'actes sur lesquelles elles souhaitent se prononcer par le biais d'une résolution. Même au Royaume-Uni, les chambres peuvent choisir elles-mêmes les actes sur lesquels elles statuent. En fait, c'est au Parlement de faire le tri, non au Conseil d'Etat.

Au-delà des réserves que l'on peut émettre quant à l'opportunité de confier un tel pouvoir au Conseil d'Etat, la pertinence de ce critère n'est même plus assurée. Déjà, en droit interne, la distinction entre loi et règlement n'est plus absolue. Soyons honnêtes : en droit communautaire dérivé, elle n'a plus aucun sens.

Par conséquent, l'application de ce critère, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 88-4, conduit à des situations aberrantes : des textes aux répercussions importantes dans notre droit interne ne sont pas transmis aux assemblées ; en revanche, des documents sans intérêt y sont examinés.

L'effet pervers de ce critère a été parfaitement résumé par la délégation elle-même : le « vide » côtoie le « tropplein ».

L'argument avancé par certains contre une telle modification selon lequel les assemblées risqueraient de se trouver submergées par des milliers de documents qu'elles devraient trier, n'est pas recevable. En effet, dans le cadre de la loi dite Josselin de 1990 tous les documents sont transmis à la délégation même si celle-ci ne peut se prononcer par la voie d'une résolution. Elle effectue déjà un tri.

Enfin, un suivi réel des résolutions adoptées par le Parlement est aujourd'hui impossible.

Dès 1993, la délégation souhaitait que, pour les résolutions adoptées par l'Assemblée nationale, le Gouvernement puisse lui fournir des éléments d'information permettant à notre assemblée d'apprécier dans quelle mesure ses souhaits ont été pris en compte dans la négociation communautaire et dans la décision finale.

Cette information n'est toujours pas devenue systématique. La pratique a démontré que cette information était parfois très difficile à obtenir.

Il semble donc important de créer une obligation constitutionnelle contraignant le Gouvernement, non pas à suivre les avis des assemblées, mais à les tenir informées de la façon dont ont été utilisés, dans le cadre des négociations communautaires, de tels avis.

Cette révision constitutionnelle est un préalable nécessaire à la ratification du traité d'Amsterdam, ratification à laquelle je suis opposé pour les raisons que mon collègue Julien Dray vient d'exposer à l'instant.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Il a raison !

M. Yann Galut.

Je suis opposé à ce que la France délègue des parts de sa souveraineté au profit d'organes technocratiques.

M. Pierre Forgues.

Mais quelle souveraineté ?

M. Yann Galut.

Et c'est justement ce qui est proposé au travers de cette révision. Certes, la République peut céder certaines de ses attributions à des instances supranationales.

M. le président.

Monsieur Galut, veuillez conclure.

Mme Christine Boutin.

Laissez-le parler, monsieur le

président

!

M. Michel Bouvard.

Il dit des choses importantes !

M. Jean-Claude Lefort.

C'est important, monsieur le

président

!

M. Yann Galut.

La République peut céder, disais-je, certaines de ses attributions à des instances supranationales, mais à la seule condition que celles-ci soient des institutions démocratiques. Je comprends très bien les réticences qui peuvent exister sur le rôle que pourrait jouer un Parlement européen souverain. De plus, la France n'est pas seule en Europe. Ces évolutions ne se feront pas en un seul jour. Mais, ce que je comprends moins, c'est que nous ne nous soyons pas servis de cette révision pour renforcer le contrôle démocratique de l'Europe par notre assemblée...

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Yann Galut.

... dès lors que les pouvoirs du Parlement européen sont restés, au sortir de la CIG, aussi ridicules qu'avant.

Mme Christine Boutin.

Très bien, monsieur Galut !

M. Yann Galut.

C'est la démocratie qui s'en trouve affaiblie et amoindrie.

M. le président.

Concluez, monsieur Galut.

M. Jean-Claude Lefort.

Laissez-le donc parler !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Yann Galut.

Ce que les citoyens français perdent en pouvoir de contrôle et de décision en France, ils ne le retrouveront pas en Europe en tant qu'Européens.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Jacques Myard.

C'est évident !

Mme Nicole Catala.

Ça, c'est sûr !

M. Yann Galut.

C'est ce que je conteste, et c'est pourquoi je ne pourrai voter cette modification constitutionnelle. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. Jean-Claude Lefort et M. Julien Dray.

Très bien !

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vais tâcher de répondre sans faire double emploi avec les considérations que nous avons émises, Pierre Moscovici et moi, dans notre discours introductif.

Je laisserai évidemment de côté les propos excessifs...

M. Jacques Myard.

C'est le traité qui est excessif !

Mme Nicole Catala.

C'est vous qui les jugez ainsi !

Mme la garde des sceaux.

... pour répondre aux questions légitimes qui ont été posées sur tous ces bancs à propos du traité par les orateurs qui ont refusé de céder aux facilités de la démagogie.

Mme Nicole Catala.

Oh, c'est facile !

Mme la garde des sceaux.

Pourquoi certains se sentent-ils visés ?

M. Jacques Myard.

Dans l'excès, vous êtes une experte, madame Guigou !

Mme la garde des sceaux.

Je n'ai nommé personne, madame Catala ! Premièrement, à côté, des quelques - très peu nombreuses - réactions excessives, j'ai noté, dans cette discussion générale, un consensus sur le besoin d'Europe, même si, naturellement, des divergences se sont fait jour sur : quelle Europe et comment la faire ? Presque tous les orateurs ont demandé que l'on ait de l'Europe pour la justice - M. Madelin a particulièrement i nsisté sur ce point -, pour le service public MM. Huwart, Hascoët, Billard, entre autres, et ils ontr aison ! -, pour l'immigration - M. de Charette, Mme Nicole Bricq -, pour la sécurité - MM. de Charette, Madelin, Gouzes également, d'autres certainement aussi. Enfin, Béatrice Marre vient d'évoquer, en insistant particulièrement sur cet apport du traité d'Amsterdam qu'on oublie, en effet, trop souvent, la clause antidiscriminatoire et l'affirmation de la légitimité de la discrimination positive en faveur des femmes. Ayant une petite responsabilité dans la rédaction de cette clause, j'ai éprouvé un certain plaisir à l'entendre évoquer par votre collègue.

Finalement, de toute part, on reconnaît que nous avons besoin de plus d'Europe pour faire face, dans de meilleures conditions, aux défis qui ont un caractère transnational, car on n'a pas besoin de l'Europe pour tout faire. Toutes sortes de questions peuvent très bien être traitées dans le cadre national.

Mais si tout le monde est d'accord sur l'idée qu'il faut, dans ces champs particuliers, unir nos efforts parce que l'union fait la force, que, sur plusieurs thèmes, il nous faut l'Europe, pourquoi, dès lors, ne pas essayer, à un moment donné, de réunir ces différentes pièces dans un ensemble que, précisément, on appelle l'Europe et qui peut avancer, grâce notamment à certains processus de décision, comme la majorité qualifiée, permettant de surmonter les divisions ? Deuxièmement, le rôle du Parlement a été une préoccupation très largement partagée. Je le comprends car elle est légitime. Le dernier orateur, Yann Galut, nous en a donné à l'instant une illustration.

Il nous faut, évidemment, chercher un équilibre institutionnel satisfaisant entre Parlement et Gouvernement, un équilibre qui ne dénature pas celui instauré par notre constitution. Il ne faudrait pas, M. Ligot l'a souligné à juste titre, que le Parlement n'ait plus qu'à attendre le bon vouloir du Gouvernement, pas plus qu'il ne faudrait abandonner au seul exécutif la question de l'Europe. Je crois, en effet, que l'Europe ne se fera vraiment que si les peuples sont impliqués et que, en conséquence, leurs représentants s'y intéressent et participent - au premier chef - à sa construction. Néanmoins, je le répète, il ne faut pas non plus que le Parlement se substitue à l'exécutif en négociant à sa place ou en soumettant ses actes à autorisation préalable - Gérard Gouzes a insisté sur ce point.

Nous avons tout intérêt à explorer davantage les voies du travail en commun. Pour mieux travailler ensemble et faire en sorte que l'ensemble France, exécutif et législatif, soit plus performant dans le respect des attributions de chacun, il n'est pas nécessaire que nous alourdissions inutilement la Constitution. Nous pouvons trouver d'autres voies. Pierre Moscovici, en charge de ce dossier et qui est, au premier chef, responsable de ces liens entre l'exécutif et le Parlement, y reviendra sans doute tout à l'heure pour répondre à la question de Gérard Fuchs sur ce sujet.

Troisièmement, à ceux qui souhaiteraient que, dans cinq ans, nous puissions discuter d'une nouvelle autorisation, sous différentes formes - plusieurs propositions ont été avancées -, je dirai simplement, comme M. Hascoët et M. de Charette, que, si l'Europe se construit par étapes, bien entendu, un traité, lui, ne se ratifie pas en deux temps !

Mme Nicole Catala.

Où sont donc prévues ces étapes ?

Mme la garde des sceaux.

Nous allons donc faire en sorte d'avancer, car nous avons devant nous la perspective de l'élargissement. Or, comme le traité d'Amsterdam est effectivement insuffisant,...

M. Michel Bouvard.

Il doit avoir été mal fait !

Mme la garde des sceaux.

... pour ce qui concerne les institutions, il faut prendre appui sur cette étape-ci pour pouvoir nous préparer mieux la prochaine fois à l'élargissement.

Mme Nicole Catala.

On plonge dans le vide, mais tout va bien !

Mme la garde des sceaux.

La question de la veille constitutionnelle a été notamment posée, avec une certaine insistance, par M. André - j'ai répondu à ses autres questions et j'y reviendrai au cours de l'examen des amendements. Elle soulève le problème d'un éventuel contrôle de constitutionnalité du droit dérivé.

L e Gouvernement ne peut accepter cette idée.

Qu'est-ce, en effet, que le droit dérivé ? Ce sont les directives et les règlements. Pour les directives européennes, qui ne sont pas d'application directe,...

Mme Nicole Catala.

Mais si !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Mme la garde des sceaux.

... il y a nécessairement un c ontrôle du Conseil constitutionnel, qui est déjà compétent pour contrôler les lois de transposition, le Conseil d'Etat contrôlant les décrets de transposition.

Pour les règlements, qui sont d'application directe, chaque Etat peut en contester la légalité...

M. Robert Pandraud.

Ce n'est pas du tout le problème !

Mme la garde des sceaux.

... devant la Cour de justice des communautés.

M. Michel Bouvard.

Alors, la Constitution, c'est du pipi de chat ?

M me la garde des sceaux.

Je vous ai écoutés, croyez-le, avec beaucoup d'attention.

Mme Nicole Catala.

Vous n'avez pas lu de roman, cette fois-ci ! Nous y avons été sensibles !

Mme la garde des sceaux.

Je vous demande d'écouter mes réponses, tout simplement parce que je crois que le débat le mérite et parce que je suis en train de vous donner des indications d'ordre juridique.

M. Jacques Myard.

Mais elles sont inexactes !

Mme la garde des sceaux.

Comme son nom l'indique, le droit dérivé applique les traités. La question est donc plutôt de savoir si nous avons un contrôle de constitutionnalité correct des traités. En tout cas, dans notre pays, il en est ainsi : les traités font bien l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Nous voyons bien que le contrôle de la constitutionnalité est bouclé, puisque nous avons une « cascade juridique ». Si, par malheur, chaque

Etat membre s'arrogeait le droit, à lui tout seul, de contrôler la conformité d'un acte de droit dérivé,...

Mme Nicole Catala.

C'est consternant !

Mme la garde des sceaux.

... cette pratique non seulement irait à l'encontre de la construction européenne mais aboutirait à paralyser l'Union. Mais peut-être est-ce là ce que certains veulent. (Protestations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Pas tous ! Pas tous !

M. Jacques Myard.

Vous allez dans le mur, mais ce n'est pas grave !

Mme Nicole Catala.

C'est quasiment la disparition de notre loi suprême !

Mme la garde des sceaux.

N'ayons pas peur. Ne soyons pas frileux,...

M. Jacques Myard.

Ce sont des mots, madame !

Mme la garde des sceaux.

... car la France est forte, et nous savons très bien que nous ferons d'autant mieux prévaloir nos valeurs si nous inscrivons notre action là où c'est nécessaire et seulement là, c'est-à-dire là où nous avons des défis transnationaux à relever.

Pour le reste, personne ne viendra se mêler de nos affaires.

M. Michel Bouvard.

Ah bon ?

M. Jacques Myard.

Qu'est-ce qui nous reste ?

M. Michel Bouvard.

Même la dimension des cages à poules est réglementée par Bruxelles !

Mme la garde des sceaux.

Nous n'avons pas à tout uniformiser, mais, lorsque nous avons des défis transnationaux à relever, parce que nous avons besoin d'affirmer un modèle de civilisation face à une mondialisation sauvage qui n'est aujourd'hui que la loi de la jungle (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), je vous le dis : ne soyons pas frileux par rapport à l'Europe. (« Très bien ! », et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Et soyons aveugles !

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, comme Elisabeth Guigou, je pense que ce débat aura été extrêmement utile en apportant bien des clarifications en vue de la ratification du traité d'Amsterdam, qui nous attend au-delà de cette révision. Nous aurons entendu s'exprimer des avis différents, ce qui peut se comprendre mais il faut faire une distinction entre ceux qui manifestent un refus d'Amsterdam parce qu'ils refusent l'Europe... (Protestations sur les bancs groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce fut clair, et vous vous reconnaissez ! ... et ceux au contraire - je pense aux communistes ou à des orateurs comme Julien Dray - qui refusent Amsterdam pour d'autres raisons...

M. Jacques Myard.

Pensée unique, pensée croupion ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... et souhaitent que la réorientation de la construction européenne aille plus loin.

M. Jacques Myard.

Cessez d'insulter l'opposition ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Avec ceux-ci nous pouvons travailler, avec ceux-là nous aurons plus de mal à concilier nos positions.

M. Jacques Myard.

Vous n'avez pas le monopole de l'Europe ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Nous allons ratifier le traité d'Amsterdam, on le voit clairement après ce débat. Nous le ferons sans enthousiasme sans doute...

Mme Christine Boutin.

Vous l'avouez, c'est à marche forcée !

M. Jacques Myard.

Alors, pourquoi ? ll y a d'autres possibilités ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... mais aussi sans états d'âme, pour ce que ce traité contient, et aussi en tenant compte de ce qu'il ne contient pas. J'affirme, encore une fois, que le Gouvernement est prêt à introduire dans la loi de ratification un article 2 qui affirmerait la nécessité d'une réforme institutionnelle.

M. Jean-Louis Idiart.

Très bien ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

J'en viens à la révision constitutionnelle et aux conceptions différentes de l'Europe qui se sont exprimées ici.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Trois problèmes se posent.

D'abord, celui du contrôle parlementaire. Hier soir, M. André et M. Lellouche, les orateurs du RPR, ont semblé s'étonner d'une certaine frilosité du Gouvernement par rapport au contrôle démocratique. Je leur rappelle que le présent projet de loi constitutionnelle a été adopté en Conseil des ministres, donc en présence du Président de la République...

M. Michel Bouvard.

Cela ne veut rien dire ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... à partir d'une attitude constante, qui consiste à se conformer, presque mot pour mot, aux décisions du Conseil constitutionnel.

Il était légitime que le Parlement s'empare ensuite de la question. C'est ce qu'il fait avec pragmatisme, et sans remettre en cause l'esprit de nos institutions, à travers l'amendement proposé par Henri Nallet. Gérard Fuchs a demandé que soit transmis au Parlement le programme annuel de la commission : l'amendement de Henri Nallet le permet. Au nom du Gouvernement, je m'engage à ce que ce soit fait par la suite.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René André.

Il faudra aller au-delà, monsieur le ministre ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Quant à l'idée d'un nouveau vote dans cinq ans sur la matière qui nous occupe aujourd'hui, sans faire une démonstration aussi implacable que M. de Charette, je pense, comme lui, que l'unanimité n'est pas la panacée, et que, dans ces matières, elle freine la rigueur, qui est pourtant indispensable. Les phénomènes migratoires ne supportent plus le « chacun pour soi ».

M. Jacques Myard.

Mais ça n'est plus le cas ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

C'est pour cela que nous ne devons pas considérer l'unanimité comme une tare dont il faudrait avoir peur, mais, au contraire, considérer que la majorité qualifiée peut être un progrès. Nous ne sommes pas en train de signer un chèque en blanc, mais nous ne sommes pas non plus en train de faire une dénégation.

M. René André.

Ce n'est pas le problème du deuxième vote ! Ça n'a rien à voir ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

L'amendement proposé est tout à fait contraire au traité et contradictoire avec la volonté de le ratifier.

M. Jacques Myard.

Il invente un monde qui n'existe pas ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Voilà sans doute ce qui est fondamental.

M. René André.

L'amendement n'est pas contraire au traité ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Pour répondre sur ce point à la question précise de M. de Charette, le Parlement sera, le moment venu, associé à la décision. Ce pourrait être par une résolution au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Ce serait logique, puisqu'il s'agirait d'une décision du Conseil à l'unanimité et non pas d'un accord intergouvernemental, qui, lui, exigerait une ratification.

Enfin, ma troisième et dernière remarque portera sur le référendum et sur la souveraineté. Plusieurs intervenants se sont exprimés sur cette question, Georges Hage, Claude Billard, Georges Sarre, Philippe de Villiers, dans un esprit très différent.

Je suis convaincu que le traité d'Amsterdam n'ouvre nullement la voie à la subordination de notre droit à un ordre juridique supranational.

M. Jacques Myard.

Voyons donc !

Mme Nicole Catala.

Mais si ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Nous devons en finir avec certaines conceptions frileuses qui ne supportent que le repli national !

M. Jacques Myard.

Plus je suis autruche, plus je vois loin ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

En vous écoutant, monsieur Myard - car je vous ai écouté ! -, citer Platon, je me demandais si vous n'étiez pas un peu comme ces hommes enfermés dans la caverne qui prennent les illusions de leur imagination pour la réalité de ce monde. Sortez donc de cette caverne !

M. Jacques Myard.

Vous d'abord !

Mme Nicole Catala.

Ecoutez donc Julien Dray ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je préfère me référer au maréchal Lyautey qui disait que les guerres européennes étaient des guerres civiles.

M. Jacques Myard.

Il avait raison ! Et alors ? M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Cette citation est tirée de bons ouvrages ! J'en viens au référendum. M. de Villiers a déclaré qu'on était en train de jeter la Constitution à la poubelle.

Je ne le crois pas. Pour répondre à M. Georges Sarre, je ferai référence à une déclaration de Jean-Pierre Chevènement : « Ce traité est trop nul pour être combattu. »

Mme Nicole Catala.

Ce n'est pas la meilleure façon de la défendre ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je ne partage évidemment pas ce point de vue, mais je pense, comme M. Huwart, que ce traité est trop technique pour justifier un référendum...

M. Jean-Claude Lefort.

Nous ne sommes pas des techniciens ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... contrairement à ce qui s'est passé pour celui de Maastricht.

M. Jacques Myard.

Pardi ! Le peuple est ignorant, le peuple est bête, faisons ça en technocrates ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Ce fut d'ailleurs la position du Président de la République lorsqu'il s'est exprimé au cours de la conférence de presse qui a suivi la signature du traité d'Amsterdam.

Vous avez évoqué, les uns et les autres, la souveraineté populaire. Dois-je rappeler que la souveraineté nationale,...

M. Jacques Myard.

Qu'est-ce qu'un philosophe ? Quelqu'un qui oppose son jugement à la bêtise de l'autre !

M. le président.

Monsieur Myard ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... selon l'article 3 de la Constitution, « appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

voie du référendum ». C'est cela même que nous sommes en train de faire ici en vertu de l'article 89 de la même Constitution. Nous sommes donc dans un processus totalement légitime.

Mme Christine Boutin.

Nous sommes les garants de la souveraineté ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

J'en termine en souhaitant que se développe un véritable espace public européen.

M. Madelin a voulu critiquer l'initiative de Jacques Delors. Si elle est difficile à mettre en pratique, elle n'en est pas moins intéressante, parce que, loin de proposer que la France devienne la Louisiane ou un conseil régional, comme ça a été dit ici,...

M. Jacques Myard.

C'est déjà fait ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... elle voulait battre en brèche la crainte que le peuple s'exprime sur l'Europe et que se crée un véritable espace public européen. Je souhaite que ce soit le cas lors des prochaines élections européennes.

Ma conception de l'Europe, on le comprendra, se rapproche de celle qu'ont exprimée Alain Barrau, Gérard Gouzes, Nicole Bricq, Stéphane Alaize ou Béatrice Marre.

Il s'agit d'une Europe capable de poursuivre son développement économique et social, maîtrisant son élargissement, un élargissement qui doit avoir une dimension spirituelle, comme l'a rappelé le Premier ministre, la semaine dernière, à Prague en citant Milan Kundera devant Vaclav Havel. C'est une Europe qui continue d'être fondée sur des politiques communes - tel est l'enjeu des discussions sur Agenda 2000 -...

M. Jacques Myard.

Elle ne va pas être déçue avec la PAC !

Mme Nicole Catala.

Des mots, des mots ! M. le ministre délégué chargé des affaires europ éennes.

... une Europe démocratique, une Europe citoyenne, qui, par conséquent, réforme ses institutions et envisage sa sécurité et sa défense. C'est l'un des enjeux du traité d'Amsterdam.

Est-ce que cette Europe est exactement celle du traité d'Amsterdam ? Je ne le crois pas. Je vous rappelle cependant l'article 6 du traité : « L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres. » Je crois que, sur cette base, nous pouvons

bâtir l'Europe politique et sociale que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Myard.

On la refera ! Motion de renvoi en commission

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-Jacques Guillet une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.

M. Jean-Jacques Guillet.

Voilà notre discussion générale achevée. Vous venez à l'instant, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, d'indiquer ce que vous en pensiez. Ce débat nous a paru à tous dans l'ensemble de qualité. Il a révélé, c'est vrai, des inquiétudes comme des espérances, mais il a révélé surtout une grande insatisfaction, quelles que soient les familles politiques. C'est le cas également chez vous, monsieur le ministre chargé des affaires européennes. Vous aviez d'ailleurs déjà exprimé un tel sentiment avant juin 1997, et même quelques jours après.

Cette insatisfaction est tant à l'égard du traité qui est à l'origine de ce projet de loi constitutionnelle qu'à l'égard du fonctionnement et de la finalité de l'Union européenne. Elle est de nature diverse, et contraste de façon saisissante avec la quasi-unanimité qui s'apprête à se manifester en faveur du projet.

Ce simple paradoxe justifierait à lui seul le besoin d'approfondir notre réflexion sur une affaire d'une telle importance.

Quelle en est la cause réelle ? Je la vois tout simplement, mes chers collègues, dans notre attachement commun, unanime, je pense, à la démocratie et à la République. Rappelez-vous ces mots du général de Gaulle : « Nous avons choisi la démocratie et la République. »

M. Jacques Myard.

Très bien !

M. Jean-Jacques Guillet.

Nous nous reconnaissons en la démocratie et en la République, mais nous en connaissons la fragilité, et leur sauvegarde ne nous paraît en rien un archaïsme. Il n'y a pas de querelle des Anciens et des Modernes sur ce point, j'y reviendrai en répondant à

M. de Charette.

Bien au contraire, leur sauvegarde est un devoir impérieux que nous nous fixons, devoir d'autant plus sensible que nous voyons bien, depuis des années, que leurs mécanismes sont grippés, que nous nous lamentons les uns et les autres devant la crise de la représentation et nous interrogeons régulièrement sur la place respective de nos institutions.

Cet impérieux devoir est au fond au coeur de nos débats, car nous ne pouvons écarter le fait qu'il y a un lien entre ce malaise que j'évoquais et le mode de construction et de fonctionnement de l'Union européenne qu'on nous propose aujourd'hui de confirmer et d'amplifier.

Là est la question centrale autour de laquelle j'ordonnerai mon propos et qui me conduit à présent à vous proposer de renvoyer en commission...

M. Jean-Pierre Michel.

Aux oubliettes !

M. Jean-Jacques Guillet.

... le texte qui nous est soumis.

Après de bien longues et bien curieuses tergiversations, ce projet de révision de notre constitution qu'on s'obstine à nous présenter comme anodin nous est enfin présenté.

Quelques mots supprimés, un alinéa ajouté, dans un seul article. C'est vrai, c'est peu. C'est bien le service constitutionnel minimum qu'on nous propose, tellement minimum qu'on aurait préféré ne pas nous le servir d'ailleurs. Le Conseil constitutionnel, lui-même bien embarrassé, aurait certainement voulu nous éviter un tel tracas, mais l'obstacle était d'une telle taille qu'il ne pouvait s'y soustraire.

Cet obstacle, cet objet encombrant qui barre trop souvent, décidément, la route de l'avenir radieux qu'on nous promet, n'est rien d'autre en effet que ce qui vous paraît à bien des égards archaïque, abstrait peut-être, notre souveraineté nationale, elle-même inséparable de notre démocratie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Oh ! bien sûr, depuis 1992, l'édifice est sérieusement lézardé ! Est-il légitime pour autant de le raser plutôt que de s'efforcer de le restaurer ?

M. Jacques Myard.

Il a raison !

M. Jean-Jacques Guillet.

Faut-il à tout prix achever l'oeuvre immortelle amorcée à Maastricht ou au contraire rectifier pour repartir dans la bonne voie ? Voilà la vraie question, celle qu'il serait utile de poser aux Français.

Six ans après, les beaux esprits trouvent quelque peu stérile de revenir sur le débat, hélas ! trop bref, qui eut lieu alors, mais, si nous somme réunis aujourd'hui, c'est bien justement à cause de ce débat. C'est lui qui mit en l umière le déficit démocratique dont souffraient la construction européenne et son fonctionnement, c'est lui qui révéla les dangers de la constitution d'un super-Etat technocratique.

M. Colombani, directeur du Monde, résumait assez bien le problème le 21 septembre 1992, au lendemain du référendum, dans son journal : « L'Europe telle qu'elle s'est construite pendant quarante ans, celle du despotisme éclairé, a vécu. Il va falloir lui substituer une Europe mieux prise en charge par ses propres citoyens. »

Dans le même journal, le même jour, Bruno Frappat notait : « Voilà qui illustre le grave déficit pédagogique d'une élite qui a, à l'échelon du continent, imaginé une gigantesque construction réglementaire, institutionnelle, économique, sans se soucier vraiment d'en rendre compte aux peuples. A une Europe d'experts, il faudra bien se décider à faire succéder une Europe des citoyens. »

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

Je vous ferai grâce des déclarations, nombreuses, des responsables politiques de tout bord allant dans le même sens.

C'est bien ce débat et la prise de conscience collective qui en résulta qui sont à l'origine de la conférence intergouvernementale, c'est-à-dire du processus qui aboutit, qui échoua, devrais-je dire, parce qu'il s'agit d'un port, à Amsterdam. Et c'est bien lui qui, je le répète, est à l'origine de notre séance d'aujourd'hui.

Amsterdam ne résolvant rien, bien au contraire, et les bases d'un super-Etat technocratique s'étant consolidées à l'évidence pendant les six années qui viennent de s'écouler, ce simple rapprochement fait mieux comprendre la mauvaise conscience de nos dirigeants, qui ont tellement pris leur temps pour nous soumettre le traité que la France sera, le cas échéant, et je le crains, hélas ! la dernière à le ratifier avec la Grèce, un an et demi après sa signature, selon le calendrier annoncé.

Pour Maastricht, cela avait duré six mois, référendum inclus. Un an de plus pour Amsterdam, référendum exclu.

Ce temps a-t-il été consacré à une ultime réflexion ? Nous le saurions, car celle-ci ne peut légitimement se faire hors du Parlement. A-t-il été consacré à une information de nos compatriotes ? Nullement. A aucun moment ils n'ont été informés du contenu d'un traité qui est considéré comme bien trop compliqué pour leurs petites têtes et bien trop peu lisible pour des esprits simples, monsieur le ministre.

Un si long délai est-il alors un effet pervers de la cohabitation que nous connaissons, hélas, depuis juin 1997 ? L'argument n'est guère recevable puisque c'est le gouvernement d'aujourd'hui qui a signé ce qui avait été négocié par le gouvernement d'hier. Comme le rappelait M. Alain Juppé, le Gouvernement aurait pu ne pas le faire s'il avait vraiment jugé le traité mauvais.

M. Jean-Louis Idiart.

Quelle idée vous faites-vous de la République !

M. Jean-Jacques Guillet.

Pendant sa campagne électorale, Lionel Jospin avait, il est vrai, émis de sérieuses réserves,...

Mme Nicole Catala.

Il les a oubliées !

M. Jean-Jacques Guillet.

... vous également, monsieur le ministre, comme d'ailleurs il en avait émis sur Maastricht. Rappelez-vous, mes chers collègues du parti socialiste, il avait dit « non » au « non ». C'était une forme de réserve assez particulière ! Il a suffi d'un modeste et bien hyprocrite habillage sur l'emploi pour que, à peine arrivé aux affaires, il fasse sa conversion et sacrifie à son tour à cette nouvelle religion du salut qu'est l'Europe supranationale.

Aucune véritable raison ne justifie donc ce délai mis à la ratification d'un traité qu'on nous présente comme purement technique, sinon, une fois encore, la mauvaise conscience des gouvernants, qui se sont convaincus, au fond, que l'Europe ne peut se faire qu'à l'insu des peuples, mais qui demeurent inquiets de la valeur de la légitimité qu'ils détiennent pour enlever ainsi à ceux-ci leur souveraineté en catimini.

Nous pourrons toujours tenter de placer des obstacles plus ou moins infranchissables, quelques barrages de sable, à effet immédiat ou à effet retard. Allons ! Nous savons bien qu'une fois le projet adopté, la messe sera dite. Nous savons tous bien que la mécanique qui est en marche ne s'arrête pas par des coups de semonce, voire des balles à blanc.

Le traité d'Amsterdam, s'il a un avantage, c'est bien de clarifier la situation, d'éclairer les derniers sceptiques sur la réalité de cet engrenage implacable.

Que l'on ne nous berce pas avec des déclarations hypocrites sur l'Europe des Etats, l'Europe des nations, la fidélité à la vision du général de Gaulle, pour mieux habiller la construction à marche forcée d'un super Etat supranational qu'il rejetait au nom d'un principe simple, celui des réalités que sont les peuples, que sont les nations.

Oui, une fois ratifié le traité, nous pourrons toujours contrôler, gronder, tempêter.

M. Jacques Myard.

Il faudra se soumettre !

M. Jean-Jacques Guillet.

Les mécanismes posés seront là pour nous empêcher tout retour en arrière.

M. Jacques Myard.

Le peuple se vengera !

M. Jean-Jacques Guillet.

On sait déjà ce qu'il en est du mécanisme économique.

La reconnaissance par le Parlement européen de la souveraineté, en dehors de tout contrôle démocratique, de la Banque centrale, et l'adoption du pacte de stabilité, au mépris de toute ratification par les parlements nationaux, marquent la fin de toute politique économique nationale.

M. Jacques Myard.

C'est vrai !

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jean-Jacques Guillet.

La pérennisation des critères de convergence, les sanctions à l'égard de pays qui ne les respecteraient pas, qui peuvent atteindre pour le nôtre 40 milliards de francs,...

M. Jacques Myard.

Bagatelle !

M. Jean-Jacques Guillet.

... conduisent, en cas de récession - ce qui est toujours possible, on le lisait encore dans le journal il y a quelques heures -, à un système particulièrement dévastateur, pour la gestion d'une crise éventuelle d'abord, pour la cohésion de l'Europe ensuite.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Comme le soulignait en janvier dernier avec légèreté, à sa façon primesautière, M. Alain Minc, peu suspect d'antieuropéisme,...

Mme Nicole Catala.

Ah oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

...

« quand on verra que le chômage ne baisse pas, quand on verra que la Banque centrale relève ses taux d'intérêts, le degré de contestation risque d'être plus fort qu'il ne l'a été, les gouvernements nationaux trinqueront pour des responsabilités qu'ils n'exerceront plus ». Et il ajourait avec sa lucidité coutumière : « On ira d'alternance en alternance,... »

M. Jacques Myard.

Les peuples zapperont !

M. Jean-Jacques Guillet.

... ce qui ne changera pas la face du monde.

Cette résignation à la disparition des mécanismes démocratiques au nom d'un prétendu sens de l'histoire, qui transforme l'Europe en idéologie et non plus en moyen, se manifeste encore plus nettement dans le traité d'Amsterdam, sur le plan des institutions, qu'on était censé rapprocher des citoyens.

Au lieu de stopper la dérive des institutions communautaires vers un super Etat centralisé, sans légitimité démocratique, on l'accentue.

M. Pierre Carassus.

C'est ça qui est grave !

M. Jean-Jacques Guillet.

Tout d'abord, les pouvoirs sont dessaisis de leur compétence matérielle.

Ce phénomène s'est produit presque incidemment. Au départ, personne ne doutait que la Communauté n'eût qu'une compétence d'attribution, c'est-à-dire que les prérogatives qui lui étaient conférées par les traités restaient dans la souveraineté de l'Etat. Aujourd'hui, il n'est pas rare d'entendre dans les cénacles bruxellois un langage tout à fait différent. Lorsque quelqu'un ose dire d'un sujet qu'il n'entre pas dans les compétences de la Communauté, on lui demande de le démontrer.

Nous avons assisté au développement des politiques communes, qui a motivé un rapprochement des législations dans tous les domaines.

Aujourd'hui, ce qui est compris dans la réglementation européenne est infiniment supérieur à la législation dans un Etat fédéral tel que les Etats-Unis. Les Etats fédérés américains ont une compétence législative qui est restée beaucoup plus large que celle laissée aux Etats membres de la Communauté européenne.

Dans sa décision, qui nous conduit à examiner une modification de l'article 88-2, le Conseil constitutionnel a tenté de jeter le manteau de Noé sur une partie non négligeable de la nudité du Traité.

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jean-Jacques Guillet.

D'autres sujets sont autrement plus graves que les dispositions relatives au contrôle des frontières et à l'immigration.

Le protocole sur la subsidiarité,...

M. Jacques Myard.

Protocole stalinien !

M. Jean-Jacques Guillet.

... on l'a évoqué au cours de ces débats, fait dire à celle-ci le contraire de ce que le terme signifie. La clause anti-exclusion réserve à la Commission le droit d'intervenir dans tous les domaines qu'elle jugera utile, lui confiant ainsi un droit d'ingérence permanent.

M. Jacques Myard.

La France est sous contrôle judiciaire !

M. Jean-Jacques Guillet.

Comment cette évolution pourrait-elle ne pas avoir de conséquences sur le fonctionnement de notre République ? Dans la mesure où l'on passe d'un vote à l'unanimité à un vote à la majorité, on retire évidemment aux Etatsmembres leur droit de veto, qui résulte du droit de vote à l'unanimité. Que devient alors le compromis du Luxembourg ? Vous avez tenté de nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre, mais permettez-nous d'avoir des doutes.

Par ailleurs, le Parlement se voit dessaisi d'une partie de ses pouvoirs, que les institutions européennes s'approprient. Les Etats participent en quelque mesure à l'élaboration des règlements définitifs, mais ce sont les gouvernants qui interviennent pour la conclusion de ces actes et non le Parlement.

Certes, depuis la révision constitutionnelle de 1992, et c'est heureux, l'article 88-4 prévoit une procédure d'examen préalable des projets communautaires dans la mesure où ils touchent le domaine législatif, étendant ainsi le rôle des délégations parlementaires. Mais combien de fois ne sont-elles pas amenées à constater que le pouvoir législatif que nous détenons par l'élection est contourné et bafoué ?

M. Philippe de Villiers.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

En voici un exemple parmi d'autres. Le ministère des finances avait une fois proposé une disposition fiscale que l'Assemblée nationale s'obstinait à refuser. Quelques temps après, on avait retrouvé la disposition en question dans une directive européenne sur la TVA. Le fonctionnaire du service de la législation fiscale à l'origine de cette disposition avait trouvé cet élégant moyen de la faire passer. Elle fut donc reprise dans un projet de loi dont le vote était présenté comme nécessaire puisqu'il résultait d'une directive européenne. Le tour était ainsi joué ! En vérité, si nous ne voulons pas que la souveraineté populaire soit dessaisie, il faudrait que les délégations soient sollicitées en amont pour donner des instructions au Gouvernement avant qu'il ne donne son accord pour les projets en discussion, mais nous sortirions alors du cadre de la Ve République. On voit bien, à travers, ce seul exemple l'incompatibilité entre le mécanisme des actuelles institutions européennes et le respect du vote populaire.

M. Philippe de Villiers.

Absolument !

M. Jacques Myard.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

CQFD !

M. Jean-Jacques Guillet.

Les pouvoirs nationaux sont dessaisis. Ils sont de plus subordonnés. Dans la mesure où les autorités nationales conservent un pouvoir de décision, on va limiter leur liberté de choix et de décision et les soumettre à des autorités supérieures.

Le protocole sur la subsidiarité comporte ainsi une disposition tout à fait monstrueuse.

Jusqu'à maintenant, la jurisprudence de notre Conseil constitutionnel a été très nette et s'est affirmée dans deux décisions. Si l'article 55 de la Constitution dispose que les traités régulièrement ratifiés et publiés ont une autorité supérieure à celle des lois internes, cela vaut pour la loi ordinaire mais pas pour la Constitution. Celle-ci a une force supérieure à celle des traités, ce qui apparaît dans la nature des choses.

M. Philippe de Villiers.

Bien sûr !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Jacques Guillet.

En effet, de quelle norme de droit les autorités tiennent-elles leur pouvoir d'engager la France et l'Etat dans les traités sinon de la Constitution, qui accorde le pouvoir de faire les traités ?

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jean-Jacques Guillet.

Mais la Cour de justice de la Communauté a affirmé le contraire dans un arrêt que je vais évoquer.

M. Jacques Myard.

Un arrêt scélérat !

M. Jean-Jacques Guillet.

Or, dans le protocole sur la subsidiarité, la signification d'une phrase ne laisse aucun doute. On impose aux Etats d'accepter les formules de la Cour de justice.

Dans le paragaphe 2 de ce protocole, il est écrit que l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité « ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire ».

M. Jacques Myard et M. Philippe de Villiers.

Incroyable !

M. Jean-Jacques Guillet.

Cette jurisprudence a été définie par un arrêt célèbre, bien connu des juristes, de la Cour de Luxembourg, l'arrêt Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, arrêt que nous n'avons j amais accepté. Selon la Cour, « l'invocation d'une atteinte aux droits fondamentaux ou aux principes d'une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d'un acte de la Communauté et son effet sur le territoire d'un Etat membre ».

M. Jacques Myard et M. Philippe de Villiers.

Incroyable !

M. Alain Barrau.

Cela remonte à 1970 !

M. Jean-Jacques Guillet.

Si l'on adopte cette disposition, on renonce à l'idée que la Constitution est supérieure au traité et on admet que le droit communautaire est supérieur à la Constitution nationale, ...

M. Jacques Myard.

Nous étions un peuple libre. Nous sommes devenus un peuple d'esclaves !

M. Jean-Jacques Guillet.

... droit communautaire qui ne représentera pas seulement le droit des traités mais également le droit constitutionnel dérivé contenu dans les règlements et les directives.

Mme Nicole Catala.

Que dit Mme Guigou sur ce point ?

M. Jacques Myard.

Elle est partie ! Elle ne veut pas entendre cela !

M. Michel Hunault.

Elle a peur !

M. Jean-Jacques Guillet.

En ce qui concerne le pouvoir législatif, il semble rester quelques pouvoirs aux parlements nationaux dans la mesure où les institutions européennes n'interviennent que par voie de directives.

D'après la lettre initiale du traité de Rome, les directives sont relatives aux objectifs à atteindre et laissent aux autorités législatives et réglementaires des Etats membres le choix des voies et moyens.

Mais, à présent, on élabore des directives qui entrent dans les plus infimes détails, si bien que la part de liberté qui nous est laissée est extrêmement faible.

M. Jacques Myard.

Il n'y en a plus !

M. Jean-Jacques Guillet.

Le travail législatif consiste en définitive à appeler loi ce qui était précédemment contenu dans une directive.

Cela ne permet pas de combler la fracture qui existe entre l'opinion, l'électorat et la classe politique, c'est le moins qu'on puisse dire ! Par ailleurs, cela n'a guère d'intérêt, d'autant que la Cour de justice, à son tour, s'est mise à reconnaître certains effets directs aux directives, avant même que le texte ait été traduit dans le droit interne des Etats.

Quant au pouvoir exécutif, ses marges de manoeuvre seront singulièrement réduites.

Si les décisions en matière de politique extérieure sont prises aussi par les institutions communautaires, on peut douter, étant donné la révérence de la majorité des Etats membres à l'égard des Etats-Unis, que des positions différentes de celles de ce pays puissent jamais être adoptées, la France perdant pour sa part son rôle de médiatrice éventuellement d'actrice, comme elle a eu l'occasion de le faire d'ailleurs deux fois depuis 1995 -...

M. Jean-Claude Lefort.

Avec l'AMI et avec la banane !

M. Jean-Jacques Guillet.

... qu'elle sait encore parfois exercer et que le monde attend d'elle.

M. Philippe de Villiers.

En effet !

M. Jean-Jacques Guillet.

De même, en matière d'autorité judiciaire, nous sommes face au pouvoir d'interprétation de la Cour de justice, qui astreint les autorités judiciaires suprêmes à faire de ces questions d'interprétation des questions préjudicielles devant le Conseil d'Etat et devant la Cour de cassation.

Cette jurisprudence va très loin, jusqu'à l'obligation pour les Etats membres de reconnaître à un juge quelconque dans la hiérarchie judiciaire la possibilité d'écarter une règle juridique qui ne serait pas en conformité avec la règle du droit communautaire.

M. Jacques Myard.

Nous ne servons plus à rien !

M. Jean-Jacques Guillet.

Nous devons nous rendre compte qu'une jurisprudence n'est supportable, lorsqu'elle émane de magistrats qui sont des technocrates, que dans la mesure où il existe parallèlement un législateur qui a le pouvoir de briser cette jurisprudence quand elle lui paraît inopportune.

En France, c'est possible. Chaque fois que le Conseil d'Etat rend, en matière fiscale - ce qui lui arrive souvent -, une décision qui déplaît au ministère des finances, par exemple, il est rare que l'on ne trouve pas ensuite, dans la première loi de finances qui se présente, un article qui brise la jurisprudence en question.

M. Alain Barrau.

C'est ce qu'on appelle la rétroactivité, si j'ai bien compris.

(Sourires.)

M. Jacques Myard.

Non, c'est un rétablissement !

M. Jean-Luc Warsmann.

Je peux vous expliquer, monsieur Barrau !

M. Jean-Jacques Guillet.

Au plan européen, cela n'est pas possible.

Des pouvoirs dessaisis, des pouvoirs subordonnés mais aussi, cela semble aller de soi, des pouvoirs nationaux contrôlés.

Les Etats membres vont désormais être soumis au contrôle d'autorité de l'Union européenne. Ils pourront être reconnus coupables de certaines fautes et sanctionnés.

C'est le cas, on l'a vu, pour le pacte de stabilité.

Pour sa part, l'article 7 du traité - sur lequel on a beaucoup glosé au cours de ce bref débat, qui aurait dû durer beaucoup plus longtemps - indique que, lorsqu'un


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Etat manquera à l'un des principes de l'Etat de droit, il pourra être privé des prérogatives qu'il tient du traité, tout en étant tenu d'observer les obligations qui en résultent.

Sur ce point, on veut nous rassurer. Mais comment a-t-on pu admettre une telle disposition, sous le prétexte qu'elle ne nous concernait pas ? Qui est juge des manquements aux principes de l'Etat de droit ?

M. Jacques Myard.

Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Jean-Jacques Guillet.

Comment s'apprécient-ils ? Seul l'avenir pourra nous le dire. Or nous ne légiférons pas pour un an, ni pour une législature. Nous légiférons - malheureusement, dans le cas présent - pour des décennies peut-être.

Bref, le résultat est là. Nous devions avoir des institutions rénovées et combler le déficit démocratique, et nous avons une Commission de Bruxelles renforcée,...

Mme Nicole Catala.

Hélas !

M. Jean-Jacques Guillet.

... dont le périmètre d'action s'accroît notablement, devenant ainsi le véritable exécutif, le gouvernement de l'Union européenne.

M. Jacques Myard.

C'est la dictature de la Commission !

M. Jean-Jacques Guillet.

Nous avons une Cour de just ice omni-compétente, appliquant souverainement sa jurisprudence supranationale.

M. Jacques Myard.

La Sainte Cour de justice !

M. Jean-Jacques Guillet.

Nous avons une banque centrale européenne indépendante - « souveraine », dit le Parlement européen - déterminant notre politique économique,...

M. Jacques Myard.

Ils l'ont oublié !

M. Jean-Jacques Guillet.

... et ne laissant aux Etats que la seule variable d'ajustement social,...

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

Ce discours est affligeant !

M. Jean-Jacques Guillet.

... ce que Julien Dray a eu raison de rappeler tout à l'heure.

Et l'on voudrait nous faire croire qu'il n'y a là que des aménagements techniques ! O ù peut-elle être, dans une telle configuration, l'Europe des citoyens qu'on nous avait promise ?

M. Jacques Myard.

Elle est prise en otage !

M. Jean-Jacques Guillet.

Mais, en vérité, quelle démocratie peut sortir d'un tel système qui est, par nature, a-démocratique ? A-démocratique parce que - c'est un constat tangible, incontournable - la nation européenne n'existe pas et ne peut guère sortir tout armée d'un magma de directives, de règlements et d'arrêtés. Elle est une utopie, la dernière du XXe siècle, ce dont se satisfont d'ailleurs certains, oubliant que ce siècle nous a rappelé combien tragique était le destin des utopies. Jean Monnet confia un jour à un auteur qui vient de faire paraître un livre récent, François Michelin : « L'Europe se fera et sera socialiste, parce qu'elle sera fondée sur le règlement. »

La démocratie est impensable sans la nation. Elle ne peut s'appuyer que sur les réalités nationales. Le général de Gaulle, lui, nous le rappelait. Je cite : « La démocratie, pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale. » Il faut qu'elle repose sur un sentiment d'ap-

partenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité.

La mécanique est sans retour, disais-je. A moins que, tout simplement, les nations, un moment étouffées dans le carcan technocratique qu'on leur impose, ne se réveillent. Et ce serait bien là le plus grand danger pour l'unité de l'Europe.

Face à des contraintes déjà subies mais encore mal identifiées, face à l'incapacité de s'en dégager par la voie du suffrage, croit-on que les peuples, et le peuple français en premier lieu, demeureront éternellement muets ? Les nations ne sont pas devenues des coquilles vides, contrairement à ce qu'affirmait, en septembre 1994, le très officiel mémorandum allemand, préparatoire à la Conférence intergouvernementale.

M. Alain Barrau.

C'était un mémorandum de la CDU ! Il importe de le préciser !

M. Jean-Jacques Guillet.

Si le général de Gaulle s'opposait vigoureusement à l'idée d'une Europe supran ationale, ce n'était pas au nom d'une mystique archaïque mais bien au nom des réalités, estimant que, si l'on voulait que les nations s'unissent, il ne fallait pas chercher à les intégrer « comme on intègre les marrons dans une purée de marrons ».

Mme Nicole Catala.

Eh oui ! Il avait raison !

M. Jean-Jacques Guillet.

Au soir de sa vie, dans les Mémoires d'espoir, l'un des derniers textes qu'il ait écrit, il rappelait quelle était sa conception de l'Europe :

« Pour moi, j'ai de tout temps, mais aujourd'hui plus que jamais, ressenti ce qu'ont en commun les nations qui la peuplent [...]. Il est conforme à leur nature qu'elles en viennent à former un tout, ayant, au milieu du monde, son caractère et son organisation.

« C'est en vertu de cette destination de l'Europe qu'yr égnèrent les empereurs romains, que Charlemagne, Charles Quint, Napoléon tentèrent de la rassembler, qu'Hitler prétendit lui imposer son écrasante domination.

Comment, pourtant, ne pas observer qu'aucun de ces fédérateurs n'obtint des pays soumis qu'ils renoncent à eux-mêmes ? Au contraire, l'arbitraire centralisation provoqua toujours, par choc en retour, la virulence des nationalités.

« Je crois donc qu'à présent, non plus qu'à d'autres époques, l'union de l'Europe ne saurait être la fusion des peuples, mais qu'elle peut et doit résulter de leur systématique rapprochement. »

Ailleurs, il précisait : « Je souhaite l'Europe, mais l'Europe des réalités. C'est-à-dire celle des nations, et des

Etats, qui seuls peuvent répondre des nations. »

Mme Nicole Catala.

Quel beau texte !

M. Jean-Jacques Guillet.

Il y a, il est vrai, deux façons de concevoir l'union de l'Europe : celle qui repose sur la vision du général de Gaulle, que j'appellerai la synergie, qui a donné naissance à Airbus ou à Ariane - car il faut tout de même se souvenir que c'est la coopération entre

Etats, et non l'action de la Commission de Bruxelles, qui a permis de telles réalisations - et l'autre vision, que j'appellerai le syncrétisme et qui rend inévitable le dessaisissement des Etats par une oligarchie.

Il y a aussi deux méthodes : celle qui repose sur la volonté consciente et exprimée des peuples sollicitant leur adhésion et privilégiant le politique ; l'autre, subreptice,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

se méfiant de ceux-ci, procédant par paliers économiques, pratiques prétendues techniques, comme on nous le dit aujourd'hui, pour mieux dissimuler le but final.

Ce n'est pas par hasard qu'on gomma dans le traité de Maastricht, à la demande de François Mitterrand - je crois me souvenir que Mme Guigou était ministre des affaires européennes à l'époque -, le terme « Europe fédérale ». La finalité demeurait, mais on se gardait de la manifester pour ne pas effrayer.

La France s'est-elle éloignée de la vision et de la méthode du général de Gaulle ?

M. Jean-Louis Idiart.

Oui, et elle a bien fait ! C'est même une bonne idée !

M. Jean-Jacques Guillet.

Quelles que soient les déclarations sur la poursuite de l'objectif de l'Europe des Etats, cela ne fait - hélas ! - aucun doute si l'on mesure le chemin parcouru depuis 1992.

On a fait son deuil d'une Europe politique qui entraîne le reste. Le sentiment de ne pouvoir empêcher le processus en cours, au risque de briser l'espérance européenne, s'est plus ou moins généralisé parmi nos élites politiques et économiques.

« Briser l'espérance européenne » : souvenez-vous, c'est une formule dont toute la presse parisienne faisait ses titres lorsque le général de Gaulle pratiquait la politique de la chaise vide à Bruxelles ! Qui avait raison ? Les salons parisiens ou le Général ? La capacité à dire non s'est évanouie, au point qu'on imagine mal aujourd'hui la France avoir une attitude comparable à celle qu'elle a eue en 1965 et qui aboutit au compromis du Luxembourg.

M. Jacques Myard.

Ils volent au secours de la Commission !

M. Jean-Jacques Guillet.

Rien n'empêche aujourd'hui de reprendre la méthode gaullienne. Elle est même nécessaire si l'on veut sortir de la confusion actuelle, si bien symbolisée par la juxtaposition des drapeaux dans les cérémonies les plus officielles : un chef d'Etat, une République, deux drapeaux ! Elle est nécessaire si l'on veut parvenir au but que s'est officiellement fixé la France : l'Europe des Etats.

Quand bien même il serait d'importance mineure - ce qui n'est assurément pas le cas -, il y a transfert de souveraineté dans le traité d'Amsterdam. On peut toujours parler d'un « transfert de compétences », mais cela s'appelle un « transfert de souveraineté » !

M. Philippe de Villiers.

Exactement ! Il faut appeler les choses par leur nom !

M. Jean-Jacques Guillet.

Nous ne détenons pas le droit légitime d'effectuer ce transfert sans que le peuple français, seul détenteur de la souveraineté, ait manifesté expressément sa volonté de le faire.

Jamais, d'ailleurs, dans l'histoire républicaine, un transfert de souveraineté - il n'y en a pas eu beaucoup - ne s'est accompli sans que le peuple dise son mot !

M. Philippe de Villiers.

Bien sûr !

M. Jean-Jacques Guillet.

Il est trop facile, trop commode, d'affirmer que le traité est vide et sans conséquence. Laissons donc les Français en juger librement ! Qu'ils disent oui ou qu'ils disent non. Mais qu'ils s'expriment ! En 1945, lorsqu'il s'est agi de rétablir la République et de lui donner des bases nouvelles, le général de Gaulle, contre l'avis des partis, a consulté les Français.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

Après son départ, les partis - même revigorés - liés par la loi qui avait été voté e par référendum, n'ont pu éviter par deux fois de les consulter à nouveau pour adopter la Constitution de 1946.

C'est, de même, pour restaurer la souveraineté populaire, occultée dans le régime de la IVe , que le général de Gaulle a fait adopter la Constitution de 1958 par référendum, les Français défaisant alors... - ce qui prouve qu'ils peuvent défaire ce qu'ils ont fait -...

M. Jacques Myard.

C'est la base de la démocratie : faire et défaire la loi !

M. Jean-Jacques Guillet.

... ce qu'ils avaient fait en 1946, pour se donner des institutions assurant la pérennité de la République.

A chaque fois que l'exercice ou le champ de la souveraineté nationale fut en cause, un référendum eut lieu.

Sur l'Algérie, bien sûr, par deux fois. Sur l'Europe, par deux fois également - encore que la première fois, le problème de la souveraineté n'était pas en cause -, les Français eurent à se prononcer à l'instigation de Georges Pompidou et de François Mitterrand. Ils eurent même à le faire sur les accords de Nouméa de 1988, concernant la Nouvelle-Calédonie.

M. Jacques Myard.

Mais pas sur la France !

M. Jean-Jacques Guillet.

Et l'on voudrait qu'ils soient aujourd'hui écartés du débat ! Le sujet est, paraît-il, trop technique. Monsieur le ministre, vous nous répétiez tout à l'heure que le texte du traité était trop compliqué ; celui de Maastricht ne l'était pas moins ! Et l'on ne fera croire à personne - six ans après, peut-être que les esprits sont oublieux, mais il suffit de relire les textes de l'époque que la seule question posée en 1992 portait sur l'union économique et monétaire. Nous avons parlé de beaucoup d'autres choses lors du débat sur Maastricht, de la citoyenneté par exemple, ou du fonctionnement de l'Europe. Bien au contraire, la question de l'Union économique et monétaire, de la monnaie unique, fut largement occultée, la plupart des responsables politiques - on peut reprendre leurs déclarations -...

M. Alain Barrau.

Celles de M. Séguin par exemple !

M. Jean-Jacques Guillet.

... confessant en public qu'elle demeurerait à l'état de voeu pieux.

On nous dit ensuite qu'il serait dangereux de rouvrir le débat sur l'Europe,...

M. Jacques Myard.

Ils ont peur du peuple !

M. Jean-Jacques Guillet.

... qu'on pourrait craindre une réponse à côté de la question, bref, une réponse négative.

Si la cause est juste, elle ne doit pas craindre le suffrage populaire ; ou, alors, c'est lui nier toute valeur.

Quant au débat, c'est une bien curieuse conception de la démocratie que de le refuser ; et on se souvient que le débat préalable au référendum sur Maastricht avait été particulièrement riche d'enseignements. Nous avons eu connaissance alors - d'autres avaient posé le diagnostic avant - de l'existence d'une fracture sociale dans ce pays.

Je crois me souvenir que l'élection présidentielle de 1995 n'avait pas été avare de discours sur ce thème.

M. Alain Barrau.

Quel méchant raccourci !

M. Jean-Jacques Guillet.

Quand bien même le peuple devrait dire non,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

Il a déjà dit oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

... l'Europe n'en sortirait pas pour autant brisée, la France n'en sortirait pas pour autant isolée. Au contraire, elle pourrait mieux manifester sa volonté politique d'une Europe des Etats.

On nous dit enfin, ultima ratio, que la décision de faire ou ne pas faire un référendum est du seul ressort du Président de la République. Argument bien spécieux, qui consiste à passer le mistigri : ce n'est pas nous, c'est l'autre.

Les adeptes de la lecture rapide se fondent sur l'article 89, troisième alinéa. Je rappelle que de Gaulle affirmait clairement que « le Congrès, c'est bon pour les réformettes ». Mais, cela, tout le monde le sait, tout le monde l'oublie et personne ne veut pas le savoir.

Il est de fait que l'article 89 lui-même privilégie la voie du référendum pour la révision constitutionnelle. J'ai peur de dire une lapalissade, mais le deuxième alinéa de cet article vient avant le troisième.

Mais, contrairement à ce qui est affirmé, le Président de la République n'est pas seul en cause. Rien n'aurait empêché le Gouvernement de proposer de mettre en oeuvre l'article 11 : il a été appliqué pour les révisions constitutionnelles de 1962 et de 1969 par le général de Gaulle, qui connaissait la Constitution. A moins que le Gouvernement ne fasse sienne la thèse de la "forfaiture" du général de Gaulle défendue en 1962 et que la pratique mitterrandienne des institutions ne l'ait définitivement emporté sur la lecture gaulliste.

M. Philippe de Villiers.

Très juste !

M. Jean-Jacques Guillet.

En vérité, refuser, dans un cas aussi flagrant de transfert de souveraineté, le recours au référendum, c'est admettre le retour au système des partis,...

M. Philippe de Villiers.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

... ces partis qui recherchent de conserve l'oreiller sous lequel ils pourront étouffer l'affaire avant que le peuple ne s'en aperçoive.

Pourquoi, alors, se demandera-t-on, s'être déplacé à Versailles par une belle journée d'août 1995, pour élargir le champ du référendum, si c'est pour s'apercevoir, trois ans après, qu'il est tombé en désuétude ? Il est vrai que le nombre d'articles de notre Constitution semblent, sous l'effet conjugué de notre vie politique interne et de la mécanique supranationale, devenus caducs. Nous avons, avec Charles Pasqua, dressé la liste de ces articles. Je la tiens à votre disposition, monsieur le ministre.

M. Philippe de Villiers.

Très bien ! Il faut la distribuer, monsieur Guillet !

Mme Christine Boutin.

D'autant qu'elle est très bien faite !

M. Jean-Jacques Guillet.

Je la donnerai à Mme la garde des sceaux tout à l'heure, lorsqu'elle reviendra.

M. Philippe de Villiers.

Et à M. Moscovici aussi !

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

Comme ils sont hypocrites ! Ils n'en pensent pas un mot !

M. Jean-Jacques Guillet.

Vous auriez peut-être dû aller plus loin dans la démarche de révision si vous aviez voulu adapter le droit à nos moeurs - c'est, paraît-il, à la mode et donc adapter le droit constitutionnel à nos moeurs politiques. Mais, là encore, on préfère avancer avec prudence pour ne pas dévoiler le pot aux roses.

La République, c'est le fruit de la volonté. Il n'y a pas de République, nous le savons, s'il n'y a pas de républicains. En présentant la nouvelle Constitution, le 4 septembre 1958, le général de Gaulle notait en conclusion de son discours, après avoir appelé les Français à voter oui : « Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pour peu que les responsables sachent, désormais, le vouloir. »

La France a toujours, au cours de son histoire, été confrontée à des écueils, ces rochers souvent massifs qu'on discerne pourtant mal car ils ne font qu'affleurer à la surface de l'eau. Le moindre de ces écueils n'est pas le comportement de ses élites, de leur conformisme, de leur sensibilité aux modes du moment.

Ces élites étaient - je réponds à une observation que

M. de Charette a faite hier - du côté des Modernes, qui, à la fin du

XVIIe siècle, se dénommaient eux-mêmes les

« mondains », choisissant Fontenelle, Perrault et les salons parisiens, qu'on appelait « ruelles », contre les Anciens, Racine, Boileau, Fénelon. Aujourd'hui, elles épousent volontiers le discours sur la fin de l'histoire ou la fin des nations, se refusant à voir qu'une autre Europe, qui associe le génie des peuples et ne les étouffe pas,...

M. Philippe de Villiers.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Guillet.

... qui laisse à la France sa liberté et sa capacité de délivrer un message au monde, peut être construite si nous, Français, le voulons.

M. Jacques Myard.

Ils ont oublié d'être courageux !

M. Jean-Louis Idiart.

Vous avez oublié d'être modernes !

M. Jean-Jacques Guillet.

Il y a en politique deux attitudes : l'une inspirée par la résignation, et qui est le renoncement, l'autre inspirée par l'honneur, et qui est la volonté.

Le général de Gaulle nous a rappelé, un jour de juin 1940, alors que la France avait subi le plus grand revers de son histoire, que nous pouvions trouver au fond de nous-mêmes, pour peu qu'on la cherchât, la flamme de la Résistance, mais aussi autour de nous, pour peu qu'on regardât, les raisons de l'espérance.

Mme Christine Boutin.

Exactement !

M. Jean-Jacques Guillet.

Renoncement ou volonté ? Cette alternative vieille comme notre pays gouverne, depuis qu'elle a été posée clairement à la Libération, notre vie politique. C'est celle qui est aujourd'hui présente dans nos esprits, sinon dans nos débats. J'espère que nous serons, en renvoyant ce projet de révision en commission, nombreux à accorder nos actes et nos pensées. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Mme Christine Boutin et M. Philippe de Villiers applaudissent également.)

M. le président.

Nous en arrivons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.

La parole est à M. René André, pour le groupe RPR.

M. René André.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je voudrais tout d'abord saluer le talent et la ferme conviction de notre ami Jean-Jacques Guillet.

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Compagnon !

M. René André.

Comme lui, nous sommes attachés au respect de la démocratie, aux valeurs de la République, de la nation, dans la construction européenne.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. Philippe de Villiers.

Très bien !

M. René André.

Comme lui, nous entendons que les citoyens soient plus étroitement associés à la construction de l'Europe.

Comme lui, ce ne sont pas les Etats-Unis d'Europe que nous voulons construire, mais bien l'Europe unie des

Etats, des nations. Comme lui, nous sommes souvent - trop souvent excédés par certains comportements impérialistes de la technocratie bruxelloise.

Mais si nous savons, comme lui aussi, que le gaullisme se caractérise par la possibilité, par la capacité de dire non, nous savons aussi que dire non ne fut jamais une fin en soi, et que le « non » annonce une action patiente et méthodique.

Cette action, nous l'avons engagée et nous souhaitons la mener avec vous. C'est pourquoi, pour l'heure, nous ne pourrons pas voter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Philippe de Villiers.

Il est pitoyable d'être parjure ! Et le grand discours de M. Séguin ?

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Mme Nicole Ameline.

Le groupe DL s'est déclaré favorable à l'examen et à l'approbation du texte qui nous est proposé et dont les insuffisances ne sauraient masquer l'utilité.

Nous pourrons nous associer au texte qui nous est soumis, tout en rappelant que la querelle entre les souverainistes et les fusionnistes nous paraît à bien des égards dépasser l'Assemblée nationale : la souveraineté nationale est indivisible et imprescriptible. Mais rien n'empêche les

Etats de décider souverainement du transfert de certaines prérogatives.

Pour autant, il importe, et nous espérons que le débat le permettra, d'améliorer, d'adapter davantage nos institutions nationales à cette réalité.

Il importe également de mettre en oeuvre le principe de subsidiarité - principe organisateur, comme l'a dit hier Alain Madelin.

Il faut aussi avoir la volonté d'ouvrir très vite le chantier des réformes institutionnelles qui répondront à un certain nombre de ces préoccupations.

Nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau, pour le groupe socialiste.

M. Alain Barrau.

Monsieur Guillet, quel réquisitoire contre le Président de la République !

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

Exactement !

M. Jacques Myard.

Il a signé !

M. Alain Barrau.

J'ai compris que tel était d'ailleurs l'objet de la motion de renvoi en commission : vous avez, monsieur Guillet, décalqué la déclaration de M. Philippe Séguin de 1992.

M. Philippe de Villiers.

Exactement !

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

Mais en moins bon !

M. Alain Barrau.

Mais la situation a changé : M. Séguin est maintenant président du RPR et il défend une autre position. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Comme chacun le sait, vous vous êtes fait le porteparole de M. Pasqua. C'est tout à fait votre droit.

Je suis pour qu'un débat démocratique clair s'engage dans ce pays. Il faut que toutes les opinions s'expriment.

Vous préparez, pratiquement sur les mêmes arguments que M. de Villiers, une liste pour les élections européennes. Cette liste n'a pas que des défauts : elle va sans doute prendre un certain nombre de voix au Front national...

M. Jean-Jacques Guillet.

C'est de la politique politicienne !

M. Alain Barrau.

Je pense qu'il est utile que vous puissiez exprimer votre point de vue, mais il faudrait qu'audelà de ce point de vue politique vous puissiez justifier le renvoi en commission.

Comment, alors que le débat général a eu lieu, peut-on proposer un tel renvoi ? Comment peut-on évoquer, ce faisant, l'existence de la Cour de justice européenne, qui est, à ma connaissance, dans les traités depuis le traité de Rome ? Comment peut-on - je rends hommage à votre honnêteté - critiquer sur une jurisprudence qui date de 1970 ?

M. Jacques Myard.

Et alors ? C'est dans le traité !

M. Alain Barrau.

De deux choses l'une : soit vous répétez avec moins de force, et ce n'est pas pour cela que votre voix ne sera pas entendue, des arguments du débat sur Maastricht,...

Mme Nicole Catala.

Ils sont éternels !

M. Alain Barrau.

... soit vous exposez des arguments nouveaux.

A vous entendre, je ne vois pas ce qui pourrait justifier, d'un point de vue juridique, le renvoi en commission.

De même qu'hier j'ai eu le plaisir de demander la nonprise en compte par notre assemblée de la motion d'irrecevabilité défendue par M. de Villiers, aujourd'hui, et pour les mêmes raisons, qui tiennent au génie de notre pays, à sa capacité d'impulser une politique en France, en Europe et dans le monde,...

M. Jacques Myard.

Pour ça, il y a un gouvernement !

M. Alain Barrau.

... j'invite notre assemblée à se prononcer contre votre motion.

Tous ceux qui croient dans ce génie, tous ceux qui, à l'instar de celui que vous avez beaucoup cité ce soir, ont toujours été les serviteurs de ce génie...

M. Jacques Myard.

Ils gardaient la maîtrise de leur destin !

M. Alain Barrau.

... - je veux parler du général de Gaulle -, tous ceux-là doivent avec nous repousser la motion de renvoi en commission qui, vous en conviendrez, est une pure argutie juridique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Bur, pour le groupe UDF.

M. Yves Bur.

La construction européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille. Elle a connu des phases de progrès extraordinaires et des moments de difficultés. Ces


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

difficultés ne doivent cependant pas nous décourager de poursuivre sur ce chemin, qui a été celui de la paix entre les peuples du continent.

Même si nous sommes nombreux à souligner l'insuffisance d'une démocratie active qui donnerait aux citoyens d'Europe le sentiment de participer davantage à leur devenir, je ne crois pas que le recours au référendum soit adapté : il est en contradiction avec la revalorisation du rôle du Parlement, que nous défendrons lors de la discussion des amendements.

M. Jacques Myard.

Il est mort, le Parlement !

M. Yves Bur.

Accroître la démocratie, c'est donner davantage de pouvoirs aux parlements nationaux et, à cet égard, je pense que le Gouvernement nous suivra en acceptant la modification de l'article 88-4.

Accroître la démocratie, c'est aussi accroître les pouvoirs du Parlement européen, qui est la seule institution vraiment démocratique pour faire face aux risques de la dérive technocratique. Mais la présence des parlementaires français dans cette assemblée devrait être plus efficace pour peser davantage sur les décisions qui y sont prises.

Accroître la démocratie, c'est, enfin, mieux associer les citoyens à travers un système de décisions qui doit être plus lisible et fondé sur le principe de subsidiarité.

L'heure n'est pas au repli ou à la nostalgie d'une France qui n'est plus en mesure d'imposer ses vues toute seule et de défendre de manière isolée sa souveraineté dans un monde globalisé. Nous avons au contraire la conviction que l'aventure européenne, qui a marqué du sceau de la paix cette fin de XXe siècle, sera, aussi, le grand dessein du siècle prochain.

Nous devons continuer à nous battre et nous ne devons pas accepter de laisser présenter cette Europe comme le vecteur de toutes les catastrophes toujours annoncées mais qui ne se produisent jamais.

Le groupe UDF, fidèle à son engagement européen, ne pourra pas voter la motion de renvoi.

Nous continuerons à nous battre pour cette Europe au service des hommes de notre continent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour le groupe RCV.

M. Jean-Pierre Michel.

La motion de renvoi en commission a permis à M. Guillet de dire un certain nombre de choses très intéressantes («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), et notamment de rappeler que, s'il existait encore des députés gaullistes, il n'y avait à l'évidence plus de parti gaulliste. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pierre Carassus.

Très bonne remarque !

M. Jean-Pierre Michel.

Mais il n'a pas démontré que le texte méritait d'être renvoyé en commission.

En tout cas, les députés du groupe Radical, Citoyen et Vert ne voteront pas la motion de renvoi en commission, les uns parce qu'ils voteront la modification constitutionnelle et la ratification du traité et qu'ils ne souhaitent donc pas que l'on perde du temps,...

M. Christian Jacob.

Et les autres ?

M. Jean-Pierre Michel.

... les autres, notamment les députés du Mouvement des citoyens et ceux qui les rejoindront dans leur vote, parce qu'ils pensent que, le traité mettant en oeuvre des abandons de souveraineté graves et importants, seul le peuple souverain, et pas ses représentants, monsieur le ministre, peut permettre ces abandons.

M. Michel Bouvard.

Ça, c'est vrai !

M. Jean-Pierre Michel.

Nous pensons qu'il ne faut pas perdre de temps et permettre à M. le Président de la République de convoquer, le plus rapidement possible, le peuple souverain et d'organiser le référendum indispensable. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe communiste.

M. Jean-Claude Lefort.

Dans le souci d'économiser mes forces et celles de l'ensemble de mes collègues ici présents, je ne dirai qu'une seule chose...

M. Michel Bouvard.

On n'économise pas ses forces au service de la France !

M. Jean-Claude Lefort.

Soucieux de voter très rapidement contre la modification proposée, nous voterons contre la motion de renvoi. (Rires et exclamations sur divers bancs.)

M. Jacques Myard.

Jésuite !

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'irai vite moi aussi car le débat a déjà beaucoup duré. De plus, M. Lefort est pressé et j'écoute toujours M. Lefort. Mais surtout, nous commençons à répéter, avec des arguments différents,...

M. Jacques Myard.

Mieux vaut se répéter que se contredire ! M. le ministre délégué chargé des affaires europ éennes.

... une thématique commune, notamment depuis l'intervention de M. de Villiers.

Monsieur Guillet, il me semble que vous vous obstinez à parler du traité d'Amsterdam pour ce qu'il n'est pas.

Vous ne parlez jamais de ce qu'il est.

Ce traité n'est pas la fin de la Constitution. Il ne signifie pas non plus l'extinction ou l'abandon de notre souveraineté. Il s'agit tout simplement, comme l'a montré hier Mme la garde des sceaux, de décider d'un certain nombre de transferts de compétences...

Mme Christine Boutin.

Et la souveraineté, c'est quoi ? M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... acceptés par la France dans le cadre du traité, que nous allons ultérieurement - je le crois - ratifier.

Ce traité, je le répète, complète et corrige le traité de Maastricht.

Il le corrige sur les plans économique et social, avec un chapitre consacré à l'emploi, un chapitre social et un autre relatif aux services publics. Il le corrige sur le plan des droits - droits fondamentaux, droits civiques, droits sociaux, non-discrimination.

Il le complète avec des dispositions sur la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que sur le troisième pilier, qui justifie la présente discussion.

Je vous ai, monsieur le député, écouté attentivement.

Vous avez essayé, à travers une démonstration juridique complexe, partiale, parfois confuse, dans laquelle je ne m'engagerai pas, de traduire une obsession : la nation seule peut faire le bien de la France et des Français.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Mme Christine Boutin et M. Philippe de Villiers.

Ça oui !

M. Michel Bouvard.

Les nations ensemble ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Vous remontez à la Constitution de 1958 dont, au bout du compte, vous finiriez par critiquer l'article 55, qui fonde la supériorité du droit communautaire sur le droit interne,...

M. Jacques Myard.

Non ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... car c'est toute la construction européenne depuis le traité de Rome que vous refusez. Vous l'avez refusée à chaque étape...

M. Jacques Myard.

Non ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Peut-être pas vous personnellement ! Que ce soit 1957, 1986, 1992 ou, maintenant, le traité d'Amsterdam, c'est tout cela que vous critiquez ! Vous remontez pour cela aux origines, ne craignant pas de vous c ontredire en critiquant la Constitution de la Ve République elle-même.

Non, monsieur Guillet, le traité d'Amsterdam et l'Europe ne sont pas une construction faite par les élites pour les élites. Je sais bien que les sondages ne disent pas tout, mais quand même ! Dans un sondage que j'ai tout récemment commandé...

M. Philippe de Villiers.

Qui paye commande ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... à un institut, il est apparu que 77 % des Français estiment que la construction européenne est une bonne chose, que plus de 70 % des Français estiment que la construction européenne, telle qu'elle est, est une bonne chose pour eux, à travers des avancées concrètes,...

M. Philippe de Villiers.

Vous étiez meilleur hier ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... et que plus de 70 % des Français estiment, et ils ont raison, que la construction européenne est une réponse à la mondialisation, thème que j'ai beaucoup entendu évoquer ici.

M. Michel Bouvard.

Alors, donnez-leur la parole ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il n'y a que vous et quelques-uns de vos amis qui ignorent que l'union européenne fait la force, qu'il s'agisse d'Airbus ou d'Ariane, que vous avez cités, ou encore de l'euro.

(Exclamations sur plusieurs bancs de groupe du Rassemblement pour la République.) Rassurezvous, je vais aussi parler du référendum.

Non, Amsterdam n'est pas synonyme de mise en place d'un super Etat technocratique ! Le débat n'est plus entre les fusionnistes et les souverainistes. Il ne s'agit plus d'opposer une sorte d'Etat central européen à un cartel d'Etats.

Qui peut aujourd'hui ignorer que la construction européenne est une construction originale qui mélange des éléments fédéraux, des éléments confédéraux et beau coup d'intergouvernemental ? Et je veux vous rassurer sur ce point, monsieur Guillet : depuis 1965, la France n'a pas fondamentalement changé de doctrine par rapport à l'OTAN. Nous sommes toujours membres de cette alliance, dont le général de Gaulle n'était pas sorti, et nous ne faisons toujours pas partie des organes intégrés du commandement militaire.

Je veux aussi vous rassurer sur le compromis de Luxembourg. C'est en effet une sorte de code de bonne conduite, qui doit permettre, in fine, de manifester un

« accord sur un désaccord ».

M. François Guillaume.

Inscrivez-le dans le texte ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il ne faut pas l'utiliser à tout bout de champ. Il faut le faire lorsque cela est nécessaire et qu'il apparaît indispensable d'en agiter la menace. Et la France sait aussi se faire entendre sans recourir à ces extrémités, comme elle l'a montré dans la négociation sur l'AMI.

J'en viens à la question du référendum en quelques mots. Pour ne pas me répéter, je me contenterai d'exposer deux arguments.

M. Philippe de Villiers.

Vous avez peur du peuple ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

D'abord, vous avez évoqué les référendums qui ont eu lieu depuis 1958.

M. Philippe de Villiers.

Vous avez peur du peuple ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Mais, à chaque fois, la question posée était claire et le peuple pouvait y répondre par oui ou par non.

M. Michel Bouvard.

Là, ce n'est pas clair ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

C'était encore le cas pour Maastricht. Je vous rappelle que l'argument de la technicité du traité d'Amsterdam a été avancé par le Président de la République dès la conférence de presse qui a suivi ce Conseil européen.

M. Jacques Myard.

Nous sommes au Parlement, ici ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Le Président de la République a, en effet, dit en substance que le traité était d'une très grande technicité, qu'il comportait des avancées parcellaires, partielles,...

M. Jacques Myard.

Des reculs ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... et qu'il fallait les traiter au cas par cas. Le travail parlementaire que nous effectuons ici et que nous allons continuer à effectuer est donc, me semble-t-il, tout à fait utile.

Ma seconde observation porte sur la lecture un peu curieuse que vous, héritier de la vraie foi gaulliste, faites de l'article 11 de la Constitution. C'est la première fois, me semble-t-il, qui plus est en période de cohabitation, que l'on évoque l'idée selon laquelle le référendum dépendrait d'une initiative du Gouvernement. Certes, c'est formellement inscrit dans la Constitution, mais il est totalement contraire à l'esprit de nos institutions d'imaginer qu'il reviendrait au Gouvernement, dans cette situation, de proposer un référendum au Président de la République.

M. Jacques Myard.

Faites la proposition ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je ne partage pas l'idée, émise ici ou là, selon laquelle votre discours serait un réquisitoire contre le Président de la République. Je ne veux pas le croire ! Nous devons tous ici respecter la fonction présidentielle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Catala.

Lisez l'article 11 de la Constitution !

M. Jacques Myard.

Oui, il précise que le référendum est organisé « sur proposition du Gouvernement » !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Enfin, monsieur Guillet, en vous écoutant, je me suis demandé dans quel monde vous viviez.

M. Jacques Myard.

Ici ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Et j'ai pensé au monde d'hier (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Christian Jacob.

N'en faites pas trop ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... mais un monde d'hier qui n'a ni la poésie ni la subtilité, ni même la mélancolie de celui de Stefan Zweig.

A l'heure où nous réalisons justement cette réunification de l'Europe, apprenons à ne pas nous contenter de dire non. Sachons dire oui !

M. Jacques Myard.

Vous ne réunifiez pas, vous cassez ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Disons oui à ce traité qui nous permettra d'avancer vers cet élargissement, vers la grande Europe qui nous attend. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Sur la motion de renvoi en commission, présentée par M. Jean-Jacques Guillet, je suis saisi par le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

....................................................................

M. le président.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

172 Nombre de suffrages exprimés .................

172 Majorité absolue .......................................

87 Pour l'adoption .........................

10 Contre .......................................

162 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

La suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle est renvoyée à la prochaine séance.

6

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (no 1072) modifiant l'article 88-2 de la Constitution : M. Henri Nallet, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1212) ; M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis no 1209).

Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 1185, relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux : M. Georges Sarre, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1207).

(Procédure d'examen simplifiée.)

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL de la 1re séance du mercredi 25 novembre 1998 SCRUTIN (no 143) sur l'ensemble de la proposition de loi organique modifiant l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Nombre de votants .....................................

527 Nombre de suffrages exprimés ....................

521 Majorité absolue ..........................................

261 Pour l'adoption ...................

231 Contre ..................................

290 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (250) : Contre : 229. - MM. Yvon Abiven , Maurice AdevahPoeuf , Stéphane Alaize , Damien Alary , Mme Sylvie Andrieux , MM. Léo Andy , Jean-Marie Aubron , JeanMarc Ayrault , Jean-Paul Bacquet , Dominique Baert , Jean-Pierre Baeumler , Jean-Pierre Balduyck , Jean-Pierre Balligand , Gérard Bapt , Alain Barrau , Jacques Bascou , Christian Bataille , Jean-Claude Bateux , Jean-Claude B eauchaud , Mme Yvette Benayoun-Nakache , MM. Henri Bertholet , Eric Besson , Jean-Louis Bianco , A ndré Billardon , Jean-Pierre Blazy , Serge Blisko , Patrick Bloche , Jean-Marie Bockel , Jean-Claude Bois , Daniel Boisserie , Augustin Bonrepaux , André Borel , Jean-Michel Boucheron , Jean-Claude Boulard , Didier Boulaud , Pierre Bourguignon , Christian Bourquin , Mme Danielle Bousquet , MM. Jean-Pierre Braine , P ierre Brana , Jean-Paul Bret , Mme Nicole Bricq ,

M M. François Brottes , Vincent Burroni , Marcel Cabiddu , Alain Cacheux , Jérôme Cahuzac , Alain Calmat , Jean-Christophe Cambadelis , André Capet , Thierry Carcenac , Mmes Véronique Carrion-Bastok , Odette Casanova , MM. Laurent Cathala , Bernard Cazeneuve , Jean-Paul Chanteguet , Jean-Claude Chazal , Daniel Chevallier , Didier Chouat , Alain Claeys , Mme Marie-Françoise Clergeau , MM. Jean Codognès , Pierre Cohen , F rançois Colcombet , Mme Monique Collange , MM. François Cuillandre , Jean-Claude Daniel , Jacky D arne , Camille Darsières , Michel Dasseux , Yves Dauge , Mme Martine David , MM. Bernard Davoine , Philippe Decaudin , Jean Delobel , François Deluga , Jean-Jacques Denis , Mme Monique Denise , MM. Bernard Derosier , Claude Desbons , Michel Destot , Paul Dhaille , Marc Dolez , François Dosé , René Dosière , Mme Brigitte Douay , MM. Raymond Douyère , Julien Dray , Tony Dreyfus , Pierre Ducout , Jean-Pierre Dufau , Mme Laurence Dumont , MM. Jean-Paul Dupré , Yves Durand , Jean-Paul Durieux , Philippe Duron , Jean Espilondo , Alain Fabre-Pujol , Albert Facon , JeanJacques Filleul , Jacques Fleury , Jacques Floch , Pierre Forgues , Raymond Forni , Jean-Louis Fousseret , Michel F rançaix , Christian Franqueville , Georges Frêche , Gérard Fuchs , Robert Gaïa , Yann Galut , Roland Garrigues , Jean-Yves Gateaud , Jean Gaubert , Mmes Catherine Génisson , Dominique Gillot , MM. André Godin , Gaëtan Gorce , Alain Gouriou , Gérard Gouzes , Joël G oyheneix , Bernard Grasset , Michel Grégoire , Mmes Odette Grzegrzulka , Paulette Guinchard-Kunst ler , MM. Jacques Guyard , Francis Hammel , Mme Cécile Helle , MM. Edmond Hervé , Jacques Heuclin , François Hollande , Jean-Louis Idiart , Mme Françoise Imbert , MM. Claude Jacquot , Maurice Janetti , Serge Janquin , Armand Jung , Jean-Noël Kerdraon , Jean-Pierre Kucheida , André Labarrère , Mme Conchita Lacuey , MM. Jérôme Lambert , François Lamy , PierreClaude Lanfranca , Jack Lang , Jean Launay , Mme Jacqueline Lazard , MM. Gilbert Le Bris , Jean-Yves Le Déaut , Mme Claudine Ledoux , MM. Michel Lefait , Jean Le Garrec , Jean-Marie Le Guen , Patrick Lemasle , Georges Lemoine , Bruno Le Roux , René Leroux , Mme Raymonde Le Texier , MM. Alain Le Vern ,

M ichel Liebgott , Mme Martine Lignières-Cassou ,

M M. Gérard Lindeperg , François Loncle , Bernard Madrelle , René Mangin , Jean-Pierre Marché , Daniel Marcovitch , Jean-Paul Mariot , Mme Béatrice Marre , MM. Daniel Marsin , Marius Masse , Gilbert Maurer , Louis Mermaz , Roland Metzinger , Louis Mexandeau , Jean Michel , Didier Migaud , Mme Hélène Mignon ,

M M. Gilbert Mitterrand , Yvon Montané , Gabriel Montcharmont , Arnaud Montebourg , Philippe Nauche , B ernard Nayral , Henri Nayrou , Mme Véronique Neiertz , MM. Alain Néri , Joseph Parrenin , François P atriat , Germinal Peiro , Jean-Claude Perez , Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont , Geneviève Per-r in-Gaillard , Annette Peulvast-Bergeal , Catherine Picard , MM. Paul Quilès , Gérard Revol , Mme MarieLine Reynaud , M. Patrick Rimbert , Mme Michèle Rivasi , MM. Marcel Rogemont , Bernard Roman , Yves Rome , Gilbert Roseau , Mme Yvette Roudy , MM. Jean Rouger , Michel Sainte-Marie , Mme Odile Saugues , MM. Bernard Seux , Patrick Sève , Henri Sicre , Michel Tamaya , Mmes Catherine Tasca , Christiane TaubiraD elannon , MM. Yves Tavernier , Pascal Terrasse , Gérard Terrier , Mmes Marisol Touraine , Odette Trupin , MM. Joseph Tyrode , Daniel Vachez , André Vallini , André Vauchez , Michel Vauzelle , Michel Vergnier , Alain Veyret , Alain Vidalies , Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale).

Groupe R.P.R. (137) : P our : 127. - MM. Jean-Claude Abrioux , Bernard Accoyer , Mme Michèle Alliot-Marie , MM. René André , André Angot , Philippe Auberger , Pierre Aubry , Jean Auclair , Gautier Audinot , Mmes Martine Aurillac , Roselyne Bachelot-Narquin , MM. Edouard Balladur , Jean Bardet , François Baroin , Jacques Baumel , Christian Bergelin , André Berthol , Léon Bertrand , Jean-Yves Besselat , Jean Besson , Franck Borotra , Bruno Bourg-Broc , Victor Brial , Philippe Briand , Michel Buillard , Christ ian Cabal , Gilles Carrez , Mme Nicole Catala , MM. Jean-Charles Cavaillé , Richard Cazenave , Henry Chabert , Jean-Paul Charié , Jean Charroppin , Philippe


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Chaulet , Jean-Marc Chavanne , Olivier de Chazeaux , François Cornut-Gentille , Alain Cousin , Jean-Michel Couve , Charles Cova , Henri Cuq , Jean-Louis Debré , Lucien Degauchy , Arthur Dehaine , Jean-Pierre Delalande , Patrick Delnatte , Jean-Marie Demange , Yves Deniaud , Patrick Devedjian , Eric Doligé , Guy Drut , Jean-Michel Dubernard , Marc Dumoulin , Jean-Pierre Dupont , Nicolas Dupont-Aignan , Christian Estrosi , Jean-Claude Etienne , Jean Falala , Jean-Michel Ferrand , François Fillon , Roland Francisci , Pierre Frogier , Yves Fromion , Robert Galley , René Galy-Dejean , Henri de Gastines , Jean de Gaulle , Hervé Gaymard , Michel Giraud , Louis Guédon , Jean-Claude Guibal , Lucien Guichon , François Guillaume , Jean-Jacques Guillet , Gérard Hamel , Michel Hunault , Michel Inchauspé , A lain Juppé , Jacques Kossowski , Jacques Lafleur , Robert Lamy , Pierre Lasbordes , Thierry Lazaro , Pierre L ellouche , Jean-Claude Lemoine , Arnaud Lepercq , Jacques Limouzy , Lionnel Luca , Thierry Mariani , Alain Marleix , Franck Marlin , Jean Marsaudon , Patrice Martin-Lalande , Jacques Masdeu-Arus , Gilbert Meyer , JeanClaude Mignon , Charles Miossec , Renaud Muselier , J acques Myard , Patrick Ollier , Robert Pandraud , Jacques Pélissard , Dominique Perben , Michel Péricard , Pierre Petit , Etienne Pinte , Serge Poignant , Bernard Pons , Robert Poujade , Didier Quentin , Jean-Bernard Raimond , Jean-Luc Reitzer , Nicolas Sarkozy , André Schneider , Bernard Schreiner , Philippe Séguin , Frantz Taittinger , Michel Terrot , Jean-Claude Thomas , Jean Tiberi , Georges Tron , Anicet Turinay , Jean Ueberschlag , François Vannson , Roland Vuillaume , Jean-Luc Warsmann et Mme Marie-Jo Zimmermann

Groupe U.D.F. (68) : Pour : 66. - MM. Jean-Pierre Abelin , Pierre-Christophe Baguet , Raymond Barre , Jacques Barrot , Dominique Baudis , François Bayrou , Jean-Louis Bernard , Claude Birraux , Emile Blessig , Mme Marie-Thérèse Boisseau ,

M. Jean-Louis Borloo , Mme Christine Boutin , MM. Loïc Bouvard , Jean Briane , Yves Bur , Dominique Caillaud , Hervé de Charette , Jean-François Chossy , René Couanau , Charles de Courson , Yves Coussain , Marc-Philippe Daubresse , Jean-Claude Decagny , Léonce D eprez , Renaud Donnedieu de Vabres , Philippe Douste-Blazy , Alain Ferry , Jean-Pierre Foucher , Claude G aillard , Germain Gengenwin , Valéry Giscard d'Estaing , Gérard Grignon , Hubert Grimault , Pierre Hériaud , Patrick Herr , Mmes Anne-Marie Idrac , Bernadette Isaac-Sibille , MM. Henry Jean-Baptiste , JeanJ acques Jégou , Christian Kert , Edouard Landrain , Jacques Le Nay , Jean-Antoine Leonetti , François Léotard , Maurice Leroy , Roger Lestas , Maurice Ligot , François Loos , Christian Martin , Pierre Méhaignerie , Pierre Micaux , Mme Louise Moreau , MM. Jean-Marie Morisset , Arthur Paecht , Dominique Paillé , Henri Plagnol , Jean-Luc Préel , Marc Reymann , Gilles de Robien , François Rochebloine , Rudy Salles , André Santini , François Sauvadet , Michel Voisin , Jean-Jacques Weber et Pierre-André Wiltzer

Abstentions : 2. - MM. Pierre Albertini et Bernard Bosson

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Pour : 36. - Mme Nicole Ameline , M. François d' Aubert , Mme Sylvia Bassot , MM. Jacques Blanc , Dominique Bussereau , Pierre Cardo , Antoine Carré , Pascal Clément , Franck Dhersin , Laurent Dominati , Dominique Dord , Charles Ehrmann , Nicolas Forissier , Gilbert Gantier , Claude Goasguen , François Goulard , Pierre Hellier , Michel Herbillon , Philippe Houillon , Denis Jacquat , Aimé Kerguéris , Jean-Claude Lenoir , Pierre Lequiller , Jean-François Mattei , Michel Meylan , Alain Moyne-Bressand , Yves Nicolin , Paul Patriarche , Bernard Perrut , Jean Proriol , Jean Rigaud , José Rossi , Joël Sarlot , Guy Teissier , Philippe Vasseur et Gérard Voisin

Abstentions : 2. - MM. Roland Blum et Francis Delattre

Groupe communiste (36) : Contre : 29. - MM. François Asensi , Gilbert Biessy , Claude Billard , Alain Bocquet , Patrick Braouezec , JeanPierre Brard , Patrice Carvalho , Alain Clary , Christian Cuvilliez , René Dutin , Daniel Feurtet , Mme Jacqueline Fraysse , MM. André Gerin , Maxime Gremetz , Georges Hage , Guy Hermier , Robert Hue , Mmes Muguette Jacquaint , Janine Jambu , MM. André Lajoinie , JeanClaude Lefort , Patrick Leroy , Félix Leyzour , François Liberti , Patrick Malavieille , Roger Meï , Ernest Moutoussamy , Bernard Outin et Jean Vila

Groupe Radical, Citoyen et Vert (33) : Contre : 31. - M. André Aschieri , Mmes Marie-Hélène Aubert , Huguette Bello , MM. Pierre Carassus , Roland Carraz , Bernard Charles , Yves Cochet , Michel Crépeau , Jean-Pierre Defontaine , Jacques Desallangre , Guy Hascoët , Elie Hoarau , Claude Hoarau , Robert Honde , François Huwart , Guy Lengagne , Noël Mamère , JeanMichel Marchand , Alfred Marie-Jeanne , Mme Gilberte Marin-Moskovitz , MM. Jean-Pierre Michel , Jean-Paul Nunzi , Jean Pontier , Jacques Rebillard , Jean Rigal , Georges Sarre , Gérard Saumade , Roger-Gérard Schwartzenberg , Michel Suchod , Alain Tourret et Aloyse Warhouver

Abstentions : 2. - MM. Gérard Charasse et Roger Franzoni

Non-inscrits (6).

Pour : 2. - MM. Charles Millon et Philippe de Villiers

Contre : 1. - Mme Chantal Robin-Rodrigo Mises au point au sujet du présent scrutin (Sous réserve des dispositions de l'article 68, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale) MM. Gérard Charasse et Roger Franzoni, qui étaient présents au moment du scrutin ou qui avaient délégué leur droit de vote, ont fait savoir qu'ils avaient voulu voter « contre » SCRUTIN (no 144) sur la motion de renvoi en commission, présentée par M. Guillet, du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution.

Nombre de votants .....................................

172 Nombre de suffrages exprimés ....................

172 Majorité absolue ..........................................

87 Pour l'adoption ...................

10 Contre ..................................

162 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (250) : Contre : 130 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale) Groupe R.P.R. (137) : Pour : 7. - M. Michel Bouvard , Mme Nicole Catala , MM. Robert Galley , François Guillaume , Jean-Jacques Guillet , Lionnel Luca et Jacques Myard Contre : 15 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 NOVEMBRE 1998

Non-votant : M. Patrick Ollier (président de séance) Groupe U.D.F. (68) : Pour : 2. - M. Claude Birraux et Mme Christine Boutin

Contre : 9 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Contre : 3 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (36) : Contre : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (33) : Contre : 1 membre du groupe, présent ou ayant délégué son droit de vote.

Non-inscrits (6).

Pour : 1. - M. Philippe de Villiers