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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRE

SIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 10475).

VIOLENCES A

TOULOUSE (p. 10475)

Mme Hélène Mignon, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX (p. 10475)

M mes Conchita Lacuey, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RESTRUCTURATION DU GROUPE SEB (p. 10476)

Mme Martine David, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

SCOUTS D'EUROPE (p. 10477)

Mme Odette Casanova, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

DE

LINQUANCE URBAINE (p. 10478)

MM. Jean-Claude Mignon, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

BUVETTES DES CLUBS SPORTIFS (p. 10479)

MM. Jean Auclair, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL (p. 10479)

M. Olivier de Chazeaux, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX

SUR LES REVENUS DE PLACEMENT (p. 10480)

M. Jean-Jacques Weber, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

TARIFS D'ACCE S A INTERNET (p. 10481)

MM. Renaud Dutreil, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

FICHIERS DU FISC ET DE LA SE

CURITE

SOCIALE (p. 10482)

MM. François d'Aubert, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

STATUT DES CAISSES D'E PARGNE (p. 10483)

MM. Jean Vila, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

ARPE (p. 10483)

M. Jean Pontier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

INSTITUT D'ÉMISSION

DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER (p. 10484)

M

M. Alfred Marie-Jeanne, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

FRANC CFP ET EURO (p. 10484)

MM. Emile Vernaudon, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Suspension et reprise de la séance (p. 10485)

PRE

SIDENCE DE M. MICHEL PE

RICARD

2. Sectes. - Discussion d'une proposition de résolution tend ant à la création d'une commission d'enquête (p. 10485).

M. Jacques Floch, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

DISCUSSION GE NE RALE (p. 10487)

MM. Jean-Pierre Brard, Rudy Salles, Jean Pontier, Bernard Perrut, Jacques Guyard, Thierry Mariani.

Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 10494)

Amendement no 1 de M. Forni : MM. le rapporteur suppléant, le ministre, Thierry Mariani, Mme Martine David, M. Jean-Pierre Brard. - Adoption.

Adoption de l'article unique modifié de la proposition de résolution.

CONSTITUTION DE LA COMMISSION D'ENQUE TE (p. 10495)

M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 10495)

3. Egalité entre les femmes et les hommes. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 10495).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois, rapporteur.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITE (p. 10505)

Exception d'irrecevabilité de M. Julia : M. Didier Julia.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 10510).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe socialiste.

VIOLENCES À TOULOUSE

M. le président.

La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Depuis dimanche dernier, la ville de Toulouse, spécialement le quartier du Mirail, vit une situation intolérable. Intolérable, la mise à sac organisée de tout un quartier par des jeunes, fussent-ils mus par un sentiment d'injustice. Intolérable, la prise en otage des habitants du quartier par une minorité qui n'a que la violence comme moyen d'expression. Intolérable, la mort d'un jeune, fût-il un voleur de voiture, sous les balles d'un policier hors légitime défense.

A côté d'une violence menée à son paroxysme, des jeunes du lycée où Habib était scolarisé organisent en ce moment même une marche silencieuse qu'ils veulent digne et calme. Ils manifestent ainsi leur chagrin et l'inquiétude de tous. Chacun souhaite que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame, et ce le plus vite possible. Si une faute a été commise par un policier, vous saurez, monsieur le ministre, prendre les sanctions qui s'imposent pour ramener la paix dans l'un des quartiers de Toulouse en grande difficulté. Monsieur le ministre de l'intérieur, où en est-on dans la recherche de la vérité qui est la première condition d'un retour à la p aix publique à laquelle aspirent nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Madame la députée, vous avez rappelé les circonstances qui ont conduit aux i ncidents que connaît la ville de Toulouse depuis deux jours.

A l'origine, une intervention d'une brigade de police pour maîtriser des délinquants qui étaient en train de forcer une voiture a conduit à la mort d'un jeune homme dans des circonstances évoquées notamment par la presse.

Le ministère de l'intérieur a demandé à l'inspection géné rale de la police nationale - l'IGPN - de se rendre tout de suite à Toulouse pour examiner les conditions dans lesquelles est intervenue cette brigade de police. L'inspection générale de la police nationale m'a remis un rapport qui m'a conduit, hier, en milieu d'après-midi, à suspendre le brigadier responsable de cette brigade d'intervention. Il est en effet apparu à l'inspection générale de la police nationale que des prescriptions indispensables en matière d'intervention policière n'avaient pas été respectées. Parallèlement, le procureur de la République a été saisi.

Une information judiciaire a été menée et une autopsie a été pratiquée hier soir. La justice va donc suivre maintenant cette douloureuse affaire. Quelles que soient les circonstances, la mort d'un jeune homme est toujours un drame. On le sait, l'intervention de la police est difficile, en particulier quand il s'agit de maîtriser la délinquance en milieu urbain, mais cela doit se faire dans le respect des règles de l'institution policière, c'est-à-dire des règles de notre société.

Les actes de violence qui se produisent à Toulouse depuis deux jours ne sont pas admissibles. Nous devons faire respecter l'ordre, c'est-à-dire assurer la tranquillité et la paix dans les quartiers. Le sous-préfet à la ville s'est rendu ce matin auprès de la famille du jeune homme, qui a pris l'initiative d'un communiqué appelant à l'apaisement et au recueillement.

Tous ceux qui sont impliqués dans ces événements à Toulouse doivent comprendre que la violence se retourne contre eux, contre leur quartier. Quant aux forces de police engagées dans ces actions de maintien de l'ordre et qui ont eu des blessés dans leurs rangs, elles agissent dans l'esprit de l'ordre républicain. S'il y a eu des défaillances, elles seront examinées par la justice. En tout cas, le ministère de l'intérieur a pris la décision qui s'imposait, au regard des règles de la police nationale.

Dans ces circonstances très douloureuses, en pensant tout particulièrement aux familles, aux quartiers concernés, j'en appelle maintenant au calme, à la dignité, à l'apaisement. La violence ne résout rien. C'est la justice qui doit maintenant établir toute la vérité sur cette affaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert).

REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX

M. le président.

La parole est à Mme Conchita Lacuey.

Mme Conchita Lacuey.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Avec la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, notre pays a franchi un grand pas dans la prise en considération des plus démunis. L'essentiel des mesures d'application sont désormais prises. Ces dispositions s'ajoutent aux mesures adoptées pour enrichir la croissance en emplois-réduction du temps de travail,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

emplois-jeunes. Cet ensemble cohérent constitue le traitement de fond sans lequel il n'est pas de réponse durable à l'exclusion. Pour répondre aux situations qui nécessitent une prise en charge immédiate, les commissions d'action sociale d'urgence ont été mises en place. Ce sont ainsi cinq milliards de francs qui sont mobilisables pour les plus défavorisés de nos concitoyens. Au-delà de ce dispositif, le Premier ministre a annoncé ce matin une revalorisation des minima sociaux qui prendra effet rétroactivement. Cette nouvelle mesure constitue un geste fort en direction de celles et ceux dont nous comprenons la détresse. Cette revalorisation est nécessaire. Elle est attendue, tout particulièrement en cette période de fin d'année. Pouvez-vous, madame la ministre, nous préciser qui seront les bénéficiaires de cette mesure, quel montant cela représente pour les intéressés et dans quels délais ce complément sera versé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la députée, comme vous l'avez dit, notre réponse au problème du chômage est globale. C'est d'abord la priorité pour l'emploi fixée par le Premier ministre à son gouvernement qui a permis une réduction, cette année, du nombre de chômeurs de 150 000, de 12 % pour les jeunes et le vote de la loi contre les exclusions, qui entre maintenant dans les faits puisque quasiment tous les mécanismes sont en place.

Mais toutes ces politiques structurelles doivent apporter des réponses de fond, il reste à répondre aux situations d'urgence que connaissent ceux de nos concitoyens qui sont passés à travers les mailles du filet et se trouvent en situation de détresse. Je peux dire aujourd'hui, devant l'Assemblée, que les commissions d'aide sociale d'urgence sont maintenant toutes en place, même si un peu plus de la moitié seulement ont déjà distribué des aides, et que plus de cinq milliards de francs sont disponibles parmi ces fonds destinés à répondre à l'urgence provenant de l'ensemble des collectivités, des institutions et de l'Etat.

Le Premier ministre a annoncé ce matin une série de mesures complémentaires visant à faire en sorte que ceux qui touchent aujourd'hui les minima sociaux ne restent pas à l'écart de l'effort de croissance. Je vous rappelle d'ailleurs que, dès l'année dernière, le Premier ministre a décidé une revalorisation très forte de l'ASS alors qu'elle n'avait pas été augmentée de 1994 à 1997. Avec une augmentation de l'ordre de 10 %, l'ASS a ainsi rattrapé la perte de pouvoir d'achat qu'elle avait subie depuis plusieurs années.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

De la même manière, nous avons augmenté l'allocation d'insertion de 29 % et revalorisé l'allocation veuvage. Plusieurs mesures ont été prises dans la loi contre les exclusions. Le RMI peut désormais se cumuler avec l'allocation pour jeune enfant et avec les majorations pour âge des allocations familiales. Le pouvoir d'achat de l'ASS et de l'allocation d'insertion est dorénavant garanti par la loi et, depuis le 1er décembre, les minima sociaux peuvent se cumuler intégralement pendant trois mois avec un revenu et à hauteur de 50 % pendant les neuf mois suivants.

Mais le Gouvernement a souhaité aller plus loin. Le Premier ministre a annoncé ce matin que le RMI, l'ASS et l'allocation d'insertion seraient revalorisés de 3 % au 1er janvier 1999 avec un effet rétroactif au 1er janvier 1998. Les RMIstes et les bénéficiaires de l'ASS recevront donc, en même temps que le RMI et l'allocation du mois de décembre, un rattrapage assez important puisqu'il atteindra 875 francs pour une personne seule, 1 837 francs pour un couple avec deux enfants et jusqu'à 2 500 francs pour une famille avec quatre enfants. Ces sommes seront versées avant le 25 décembre aux RMIstes (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et le 26 ou le 27 décembre aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité et de l'allocation d'insertion.

M. Thierry Mariani.

Le 27 décembre, c'est un dimanche !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Et même ceux qui entreront dans ces dispositifs au mois de décembre percevront ce rattrapage, en même temps que leur RMI et leur ASS, au mois de janvier.

Le Gouvernement a ainsi souhaité montrer que l'effort de solidarité ne devait pas se limiter à un effort aux marges, mais qu'il devait prendre en compte les fruits de la croissance. C'est ce que souhaite sa majorité et je crois que c'est ce qu'attendent les Français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

RESTRUCTURATION DU GROUPE SEB

M. le président.

La parole est à Mme Martine David.

Mme Martine David.

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, nous avons appris avec consternation les menaces très préoccupantes qui pèsent sur le groupe Calor dans le Rhône, à Saint-Priest et à Villefranche-surSaône. Près de 400 emplois seraient concernés dans des secteurs dèjà très lourdement pénalisés. Naturellement, les élus locaux et nationaux sont déjà pleinement impliqués, aux côtés des organisations syndicales, afin de faire entendre les inquiétudes et les propositions des salariés.

Mais il est absolument indispensable que le groupe SEB, en concertation avec les personnels, étudie toutes les possibilités afin de favoriser la poursuite de l'activité de ce secteur et mette tout en oeuvre pour éviter le recours massif à des licenciements, qui est trop souvent la seule méthode de gestion employée pour répondre aux difficultés économiques.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous informer des démarches que le Gouvernement compte faire auprès de la direction du groupe SEB pour mieux cerner ses intentions dans un secteur il est vrai très concurrentiel ? Comment le Gouvernement entend-il accompagner efficacement l'action de tous sur le terrain ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave.

Avec les 35 heures, ça ira mieux !

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Madame la députée, SEB est en effet l'un des leaders mondiaux de l'équipement domestique ménager. L'entreprise est affectée par des restructurations qui touchent plus particulièrement, comme vous venez de le dire, le département du Rhône et la ville de Villefranche-surSaône qui va voir la fermeture de l'usine SEB employant 247 personnes. Plusieurs autres décisions affectent par ailleurs l'implantation de Saint-Priest, qui compte aujour-


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d'hui 197 salariés. Comme vous, le Gouvernement s'associe à la douleur des personnes concernées par cette nouvelle difficulté sociale qui affecte ce département et ce type d'activité.

Sachant que vous me poseriez cette question (« Ah ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), j'ai contacté la direction de l'entreprise, comme il est normal puisqu'il s'agit de répondre à une question précise sur une entreprise précise. Elle m'a alors indiqué que le groupe avait fait de très gros efforts d'exportation au cours des dernières années : 47 % de son chiffre d'affaires est ainsi réalisé dans des pays extérieurs à l'Europe, en particulier en Asie, en Russie, aux Etats-Unis et en Amérique latine. Comme la crise affecte depuis plusieurs mois plus particulièrement certains marchés importants de l'entreprise, celle-ci est confrontée à des difficultés aiguës.

M. Philippe Briand.

Les 35 heures !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La direction estime donc nécessaire de rétablir, dans certains sites de l'entreprise, une meilleure spécialisation et un plus grand centrage sur ses métiers fondamentaux.

M. Renaud Muselier.

Baratin !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Que va-t-il advenir du site de Saint-Priest spécialisé dans les petits appareils ménagers en plastique ?

M. Philippe Briand.

Et les 35 heures !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Tout d'abord, l'entreprise recherche un partenaire ou un repreneur.

Ensuite, elle a décidé de transférer dans l'Isère, à SaintJean-de-Bournay, une partie de ses productions d'objets en plastique.

M. Philippe Briand.

Et les 35 heures ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

En outre, elle s'engage, à votre demande et à celle du Gouvernement, à proposer un reclassement dans le groupe à chaque salarié du site. D'ores et déjà, 160 reclassements ont été précisé ment identifiés. Enfin, l'entreprise s'engage à ne procéder à aucun licenciement, et nous y serons, ma collègue Mme Martine Aubry et moi-même, extrêmement vigilants.

Il reste que nos efforts doivent être tournés vers la recherche de toutes les opportunités de réindustrialisation du site afin de retrouver une véritable croissance et de donner des chances de repartir à l'économie locale. Nous le ferons en liaison avec vous, madame la députée, ainsi qu'avec la direction de SEB qui ne doit pas s'exonérer de ses responsabilités. Dans cette perspective, je vous propose de vous recevoir avec les élus concernés et la direction de l'entreprise pour faire le point. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

SCOUTS D'EUROPE

M. le président.

La parole est à Mme Odette Casanova, pour une question courte.

Mme Odette Casanova.

Je voudrais attirer l'attention de Mme la ministre de la jeunesse et des sports sur certaines activités de l'Association des scouts d'Europe récemment mises en lumière, notamment par voie de presse.

La branche française de ce mouvement, créée en 1958, s'est vu accorder en 1970, par le ministère de la jeunesse et des sports, un agrément provisoire, formule qu'aucun texte ne reconnaît. Les scouts d'Europe revendiquent aujourd'hui 30 000 adhérents en France. Or depuis plus d'un an, ils sont impliqués dans une affaire qui empoisonne l'existence d'une famille varoise. Celle-ci, désireuse que ses enfants jouissent d'une bonne éducation religieuse, les avait placés aux scouts d'Europe. Un premier incident est intervenu, cette famille et quelques autres ayant attendu toute une nuit le retour d'un car d'enfants et ayant appris que ceux-ci avaient été déposés au bord d'une autoroute sans que ni les parents ni une quelconque autorité n'aient été prévenus. Plus récemment, ces enfants ont reçu des publications, certaines émanant directement du Front national et d'autres groupuscules royalistes racistes telle la SERP ou les Légionnaires du Christ. Le responsable des scouts d'Europe de Fréjus avoue avoir donné ses fichiers informatiques. Rappelons enfin que ce sont également les scouts d'Europe qui sont tenus pour responsables de l'insolation de soixante-douze enfants lors d'une messe organisée en plein soleil l'été dernier.

Au vu de l'ensemble des éléments précités et connaissant la détermination du ministère de la jeunesse et des sports, je souhaiterais connaître les dispositions qui ont d'ores et déjà été prises et celles qui le seront prochainement à l'égard des responsables de cette association et de l'association elle-même.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim, pour une réponse courte.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Madame la députée, en l'absence de Mme Buffet qui est actuellement au Québec, je vais apporter des éléments de réponse à votre question.

Vous le savez, le scoutisme compte de nombreuses composantes dont la grande majorité n'est évidemment pas en cause. Mais sous l'appellation « scoutisme » des organisations ont développé des activités parfois répréhensibles et dangereuses. Tout le monde se souvient du terrible accident intervenu cet été à Perros-Guirec.

S'agissant de l'Association des scouts d'Europe, les faits que vous avez évoqués concernent un jeune Varois de quinze ans qui a reçu à son domicile de la documentation, en particulier politique, éditée par le Front national et de la publicité pour les Légionnaires du Christ.

Le père de famille a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés et la ministre de la jeunesse et des sports pour connaître les raisons de cet envoi.

Cette dernière a convoqué pour le 23 décembre le président national des scouts d'Europe afin de lui demander des explications. Il lui sera signifié, à cette occasion, une inspection générale de son association.

Les propos tenus lors de la dernière assemblée générale des scouts d'Europe, qui s'en prennent au fonctionnement démocratique de nos institutions, sont d'ailleurs particulièrement inquiétants.

De son côté, la CNIL va mener une enquête.

Toute association qui bénéficie de l'agrément « jeunesse et éducation populaire » doit faire preuve de sa capacité à préserver son autonomie tant du point de vue politique que du point de vue financier. Il conviendra donc, après


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le rapport de l'inspection générale et en fonction des éléments qui seront portés à la connaissance de Mme la ministre de la jeunesse et des sports, de saisir éventuellement la Commission nationale d'agrément pour entendre les parties.

Madame la députée, vous avez appelé l'attention sur un détournement grave d'une activité par une association.

Nous devons faire toute la lumière. C'est la conviction de Mme Buffet.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe du Rassemblement pour la République.

DÉLINQUANCE URBAINE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Mignon.

M. Jean-Claude Mignon.

Monsieur le Premier ministre, la réponse qui a été faite tout à l'heure par votre ministre de l'intérieur à mon homonyme, Mme Hélène Mignon, ne nous satisfait pas : c'est la réponse « bateau » que vous faites régulièrement lorsqu'on aborde ces problèmes d'insécurité.

Pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous refusezvous toujours à publier les chiffres de la délinquance ? Sont-ils si mauvais que cela ? Ne sommes-nous pas capables de comprendre ce qu'ils signifient ? Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la situation se dégrade dans certaines banlieues et dans certains quartiers. Et malgré tout ce qui est fait localement, le phénomène continue. Les raisons en sont multiples.

Mais on a trop souvent tendance, comme cela a été fait tout à l'heure, un peu pour les excuser, à présenter les responsables comme des victimes de la société ! Arrêtons de les présenter comme des victimes de la société ! Ce sont de jeunes marginaux, monsieur le Premier ministre, pour reprendre une expression que vous appréciez tout particulièrement. Il faut les traiter comme tels aujourd'hui. Mettez-vous à la place des centaines, des milliers de nos concitoyens qui, au quotidien, chaque nuit, vivent dans leurs quartiers des situations absolument épouvantables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Aujourd'hui, utiliser les transports en commun est devenu périlleux, à l'exemple de ce qui s'est passé aux Mureaux il y a quelques jours : un wagon entier a été dévalisé et les voyageurs ont été molestés.

Concrètement, monsieur le Premier ministre, que pouv ez-vous faire ? Qu'avez-vous l'intention de faire ? (« Démagogue ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Certains crient plus qu'ils n'agissent ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Monsieur Mexandeau, à l'époque où vous é tiez au gouvernement, vous avez brillé par votre incompétence ! (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Monsieur le Premier ministre, vous essayez depuis quelque temps, dans l'ensemble des départements, de faire signer aux maires des contrats locaux de sécurité.

Pensez-vous sincèrement que de tels contrats sont à même de régler le problème de fond, tel qu'il se pose aujourd'hui ? (« Démagogue ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Tout a été fait.

Il faut une bonne politique de prévention. Mais il faut aussi qu'elle puisse être sanctionnée.

M. Didier Boulaud et M. Christian Bourquin.

Pyromane !

M. Jean-Claude Mignon.

Ce n'est pas d'adjoints de sécurité que nous avons besoin sur place. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous pouvez vociférer ! Les F rançais ne vous entendent pas. En revanche, ils constatent, sur le terrain, que la situation ne s'améliore pas.

Nous avons besoin, monsieur le Premier ministre, de policiers professionnels, formés pour faire face à leurs responsabilités dans les banlieues où ils doivent intervenir.

M. Christian Bourquin.

Pyromane !

M. Jean-Claude Mignon.

Ce ne sont pas les adjoints de sécurité qui, après deux mois de formation, autorisés à porter une arme, pourront se substituer aux véritables professionnels.

Monsieur le Premier ministre, avez-vous l'intention, oui ou non, de prendre les dispositions que les Français attendent de vous ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Monsieur le député, en ce qui concerne les chiffres de la délinquance, reportezvous aux débats sur le budget du ministère de l'intérieur.

Mme Martine David.

Il n'était pas là !

M. le ministre de l'intérieur par intérim.

Les chiffres du premier semestre ont été publiés.

M. Didier Boulaud.

Il ne sait pas lire !

M. le ministre de l'intérieur par intérim.

Ils figurent dans le rapport parlementaire de M. Mermaz. Ils sont donc connus de tous et nous en avons débattu.

M. Thierry Mariani.

Ils sont mauvais !

M. le ministre de l'intérieur par intérim.

Les chiffres concernant l'année 1998 seront connus au début de l'année prochaine. Nous nous sommes engagés à les publier et il n'y a aucune raison de les dissimuler.

Vous avez évoqué l'évolution des actes de délinquance et de violence urbaine. Le Gouvernement est déterminé à lutter contre tout ce qui crée l'insécurité. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), tout ce qui conduit à empêcher nos concitoyens de vivre tranquillement dans les quartiers.

Vous avez évoqué également les contrats locaux de sécurité. J'ai signé hier le cent cinquantième !

M. Thierry Mariani.

Baratin !

M. le ministre de l'intérieur par intérim.

Des élus, de toutes tendances politiques, se sont engagés dans cette voie. Au-delà des grandes déclarations sur l'insécurité, ils savent bien qu'il faut agir concrètement. La police nationale joue son rôle. Mais il faut s'attacher à tous les aspects de la politique de sécurité, qui va de la prévention à la dissuasion, à la sanction et à la réparation. C'est


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ainsi, plutôt qu'en exploitant l'événement, attitude qui contribue à nourrir l'extrémisme (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), que l'on peut lutter efficacement, sur le terrain, contre l'insécurité. Et c'est sur ce plan-là que l'action du Gouvernement sera menée ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Franck Borotra.

Il ne fait absolument rien, il parle !

BUVETTES DES CLUBS SPORTIFS

M. le président.

La parole est à M. Jean Auclair.

M. Jean Auclair.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de la jeunesse et des sports, à la suite de l'annonce de l'annulation, par le Conseil d'Etat, du décret autorisant les associations sportives à ouvrir, dix fois par an, une buvette de vente d'alcool à l'occasion des compétitions. (« A la buvette ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Un peu de silence, mes chers collègues !

M. Jean Auclair.

Ces associations sont inquiètes sur leur devenir. Le prédécesseur de Mme Buffet, M. Guy Drut, avait su répondre à la demande de nos petits clubs sportifs dans le respect des impératifs de santé et de sécurité publique. Il faut leur permettre de se procurer un minimum de recettes, car ils ont bien du mal à faire face à leurs difficultés financières. Par exemple, la consommation - modérée naturellement - de vin chaud, les aidait bien. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Avec de la cannelle !

M. Jean Auclair.

Au moment où le Gouvernement parle de dépénaliser les drogues dites douces ou même d'en autoriser la vente, les dirigeants de clubs ne comprennent plus.

J'ai également saisi le secrétaire d'Etat chargé de la santé à propos de la rumeur selon laquelle les buvettes seraient interdites lors des manifestations agricoles ; j'attends toujours la réponse.

De nombreux clubs m'ont fait part de leurs revendications. Comment vont-ils compenser la perte financière liée à l'interdiction des buvettes traditionnelles ? En leur nom, je demande au Gouvernement quelles mesures il entend prendre pour les aider de manière significative, car la réponse qui a été faite au Sénat ne nous convient pas.

Ce ne sont pas de vagues promesses dont les clubs ont besoin. Ils attendent des mesures concrètes et rapides ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, pour une réponse rapide et concrète.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le député, je vous réponds à la place de Mme la ministre de la jeunesse et des sports, qui est au Québec.

A propos du vin chaud et de l'intérêt qu'il suscite, le Gouvernement n'a déposé aucun projet de dépénalisation de quoi que ce soit.

Par ailleurs, le décret qui autorise - contrairement à la loi Evin - plusieurs fois par an la vente de boissons alcoolisées dans les buvettes a été annulé par le Conseil d'Etat. Il nous faut bien en tenir compte.

M. Jean-Luc Reitzer.

Il faut modifier la loi !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Je remarque que cette annulation résulte sans doute, en partie, de la pression exercée par la fédération hôtelière.

(Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) J'y vois, pour ma part, une pression de la concurrence.

M. Jean Auclair.

Non.

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Je vous trouve bien affirmatif, monsieur le député.

Quoi qu'il en soit, Mme la ministre vous a déjà répondu.

Premièrement, que le Fonds national de développement du sport fera des efforts pour débloquer dès cette année de l'argent sur son enveloppe régionale. Et cet effort sera poursuivi.

Deuxièmement, que la loi sur le sport qui est en préparation - des réunions interministérielles ont déjà eu lieu à ce propos - veillera à prendre en compte le manque de moyens des petites assocations. Il ne s'agit pas seulement de subventionner les grands clubs. Mais je pense, monsieur le député, qu'on pourra y parvenir tout en décourageant notre jeunesse de se livrer à la consommation d'alcool. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL

M. le président.

La parole est à M. Olivier de Chazeaux.

M. Olivier de Chazeaux.

Monsieur le Premier minisre, je voudrais revenir sur l'échec personnel que représente votre décision de reporter sine die le projet de réforme de l'audiovisuel public.

C'est un échec politique, puisque vous avez démontré ainsi que vous manquiez de clairvoyance et d'ambition concernant l'industrie de l'audiovisuel français. Un échec méthodologique aussi, puisque force est de constater que votre méthode, c'est d'abord le flou, ensuite le cafouillage et enfin le bricolage.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bourquin.

Rigolo !

M. Olivier de Chazeaux.

Par votre seule décision, monsieur le Premier ministre, vous avez réussi le double tour de force de semer le désarroi dans l'audiovisuel public et de vous ridiculiser aux yeux de l'Union européenne en oubliant la date butoir du 31 décembre 1998 pour transposer la directive « Télévision sans frontières », dont la France était pourtant à l'origine.

Ce dernier élément est d'une gravité telle qu'il vous oblige à tenter d'organiser cette transposition dans la précipitation, au détriment d'un débat national sur l'audiovisuel - que vous aviez appelé de vos voeux le 19 juin 1997 -, au détriment des intérêts audiovisuels et des télé spectateurs français.

Enfin, monsieur le Premier ministre, il est remarquable de constater que, selon votre méthode, la loi audiovisuelle française sera dorénavant proposée par le ministère des


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affaires étrangères. Exit le ministère de la culture et de la communication. De fait, celui-ci semble avoir perdu toute utilité.

Nous en sommes là parce que vous avez cru utile de faire prévaloir votre ambition présidentielle sur les intérêts de la France qui, seuls, devraient déterminer votre politique.

M. Christian Bourquin.

La question !

M. Olivier de Chazeaux.

Monsieur le Premier ministre, il est clair aujourd'hui que le mythe d'Icare vous a rattrapé.

Quand allez-vous cesser de faire du bricolage juridique sur le dos de la France et sur le dos de l'audiovisuel français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

Monsieur de Chazeaux, vous allez bien vite en besogne et vous devriez vous méfier : Icare n'est pas celui que vous pensez ! La loi concernant la réforme de l'audiovisuel public n'est pas repoussée sine die, mais reportée. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Elle n'est pas retirée.

S'agissant de la directive, je tiens à vous rassurer. Si vous l'aviez lue - mais alors vous auriez formulé votre question autrement - vous sauriez que le projet que j'ai déposé et qui a été adopté par le conseil des ministres prévoit trois sortes de dispositions.

M. Pierre Lellouche.

Le Conseil d'Etat l'a mis en pièces, madame Trautmann !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Des dispositions concernant la protection des mineurs, les critères de compétence - c'est-à-dire la détermination de la législation nationale applicable en fonction du lieu de l'établissement d'une chaîne - et les obligations réglementaires des chaînes étrangères figurent dans le projet de loi tel qu'il a été adopté, tel qu'il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée.

M. Laurent Dominati.

Mais il n'y a plus de projet de loi !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mais il manque une disposition, pour répondre complètement à la Commission européenne. Elle concerne le régime satellitaire.

Je voudrais faire une remarque. Lorsque j'ai pris mes fonctions, le projet de loi préparé par M. Douste-Blazy faisait l'impasse sur deux griefs principaux de la Commission : la protection des mineurs et les critères de compétence. J'ai, pour ma part, tenu à intégrer ces dispositions dans le projet de texte qui vous sera soumis.

(Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Du point de vue juridique, la France sera, le plus tôt possible, en concordance avec la transposition et l'application de la directive européenne.

M. Laurent Dominati.

Langue de bois !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Rappelez-vous les directives de 1989 et de 1997 et la bataille que la France a menée, avec l'appui des parlementaires français, pour que les programmes diffusés soient majoritairement des programmes nationaux. La bataille fut gagnée.

La Commission avait décidé d'intervenir et de déposer u n recours avant même le report de la loi. Par conséquent, il faut bien comprendre que les choses sont indépendantes et que, juridiquement, le Gouvernement fait acte de responsabilité en prenant des dispositions incontestables de la part de la Commission. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Monsieur de Chazeaux, à propos de l'ambition du Gouvernement, je vous signale que, pour la première fois, les décisions prises par le Gouvernement et arbitrées par le Premier ministre ont permis de garantir le financement de la baisse de la publicité tout en renforçant le service public de l'audiovisuel, dont les moyens progresseront en 1999.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Laurent Dominati.

Mais il n'y a pas de loi !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Nous sommes loin de ce que vous aviez vous-mêmes organisé : la pénurie du public, sa privatisation larvée, en bref, la casse du service public ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du g roupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous construisons et nous construisons solidement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX

SUR LES REVENUS DE PLACEMENT

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Weber.

M. Jean-Jacques Weber.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, des centaines de milliers de Français modestes viennent de recevoir un avis d'imposition leur demandant de verser 10 % de prélèvements sociaux sur le revenu de leur patrimoine et de leur épargne.

Tous les parlementaires ont reçu des lettres poignantes de personnes souvent âgées percevant seulement 3 000 à 4 000 francs de revenus mensuels. Ces revenus sont générés, le plus souvent, par un petit patrimoine de prévoyance durement constitué. Ce sont d'anciens ouvriers, des artisans, des commerçants, des agriculteurs retraités, voire d'anciens fonctionnaires qui ne comprennent pas, madame la ministre, qu'on les considère comme des riches.

Je le rappelle, 22 milliards supplémentaires de taxes, du fait de votre loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, frappent indifféremment et lourdement les épargnants.

N'est-il pas paradoxal de constater que les « bénéficiaires » de minima sociaux sont exonérés de CSG, alors que ces personnes prévoyantes, ces « fourmis vaillantes », dont le seul tort est d'avoir des revenus inférieurs aux minima sociaux, mais partiellement composés de produits de leur épargne, supportent 10 % de prélèvements ? L'année dernière, le groupe UDF vous avait solennellement avertie des dangers de cette mesure injuste et proposé une solution simple, celle consistant à exonérer des


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prélèvements sociaux - de CSG, de CRDS - les revenus de placement des ménages ou des personnes dont le revenu global serait inférieur au minimum vieillesse. Et il a redéposer, dans le projet de loi de finances pour 1999, un amendement identique.

Ma question est simple, madame la ministre. Le Gouv ernement est-il favorable à cet amendement qui concerne directement les plus modestes et les plus prévoyants de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, ayant été interrogée à plusieurs reprises à ce sujet, je me permettrai de vous faire la même réponse.

La CSG est un impôt à large assiette qui touche effect ivement tous les revenus, sauf certains placements comme l'épargne populaire. Et je suis étonnée que vous défendiez l'exonération des retraités, des commerçants et des artisans, de la CSG sur le patrimoine, alors que les salariés la paient dès le premier franc. C'est le cas, par exemple, pour une vendeuse d'hypermarché à temps partiel, même si elle touche 2 000 francs par mois. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Maurice Leroy.

Vous n'avez pas écouté la question !

M. François Rochebloine.

Il s'agit des petits retraités !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Est-ce anormal qu'en acquittant la CSG sur le patrimoine, chacun assure le financement de la protection sociale ? Vous qui êtes tellement favorables à la baisse des charges sur l'emploi et sur le travail, comment se fait-il que vous nous proposiez, dès que l'on touche au patrimoine, d'exonérer un certain nombre de catégories ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Je vous rappelle que l'on peut fort bien, dans notre pays, être non imposable et avoir néanmoins des revenus élevés,...

M. Didier Boulaud.

Pinault !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... soit du fait des réductions d'impôt, soit du fait que certains revenus des capitaux ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, mais au prélèvement libératoire. Et il n'est pas exceptionnel de voir un artisan, un commerçant ou un retraité ayant une faible retraite disposer par ailleurs d'un patrimoine très important. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. François Rochebloine.

Ce n'est pas vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Qu'il paie la CSG sur ce patrimoine ne me paraît pas choquant. Il n'y a que ceux qui ne croient pas à la justice et à la solidarité qui peuvent critiquer une telle mesure.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

TARIFS D'ACCÈS À INTERNET

M. le président.

La parole est à M. Renaud Dutreil.

M. Renaud Dutreil.

Ma question s'adresse au secrétaire d'Etat à l'industrie, qui est chargé des télécommunications.

Dimanche dernier a eu lieu une grève significative et inédite, non parce qu'elle se déroulait un dimanche, mais parce qu'elle concernait des milliers d'utilisateurs d'Internet. Ces internautes protestent contre les coûts prohibitifs, en France, de la connexion au réseau par le monopole que constitue France Télécom. Ils demandent l'institution d'un forfait mensuel permettant une connexion illimitée.

Cette grève n'a suscité de la part du Gouvernement, par la bouche de M. Strauss-Kahn, qu'une réponse évasive, dilatoire, qui ne répond pas à leur attente. Nous le regrettons.

La France accuse un retard important en matière de connexion par rapport aux pays comparables : l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis. En Suède, par exemple, un Suédois sur quatre utilise aujourd'hui ce nouveau média.

Mettre une barrière tarifaire trop élevée à l'accès à Internet présente un caractère discriminatoire, puisque seuls ceux qui bénéficient de ressources importantes peuvent se connecter.

Sans doute avons-nous une conception différente de la vôtre de l'utilisation de ces nouveaux médias. Parce que nous pensons que la modernisation est une priorité, parce que nous croyons en la liberté d'expression, parce que nous souhaitons que tous aient un égal accès à ce service, nous vous demandons, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire modifier si nécessaire, comme le laisse entendre Michel Bon, président de France Télécom, la législation en vigueur. Quelles mesures comptez-vous prendre, non dans un avenir incertain, mais rapidement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

A propos de cette grève des internautes, je veux, monsieur le député, apporter quelques précisions.

Premièrement, c'est ce gouvernement qui a commencé à rattraper très largement le retard en matière de fréquentation et d'équipement du réseau. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) En effet, le Premier ministre a décidé, dès juillet-août 1997, de mettre au point un programme pluriannuel « Société de l'information » qui engage l'Etat et qui a déjà obtenu des résultats considérables.

M. Thierry Mariani.

Il n'y a rien dedans !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Deuxièmement, le coût d'accès à Internet, en France, se situe à peu près dans la moyenne des autres pays européens.

M. Franck Borotra.

Non ! Il est bien au-dessus !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Si l'on additionne le prix de l'abonnement au fournisseur d'accès et celui des communications locales, pour six heures de communications par mois, on aboutit à un coût de 144 francs en France, soit à peu près le niveau suédois, contre 172 francs en Allemagne, 216 francs au Royaume-Uni,


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mais 100 francs seulement en Italie et 116 francs aux

Etats-Unis. Nous sommes donc à peu près dans la médiane des coûts d'accès à Internet pour une consommation de six heures par mois.

Troisièmement, le jeu des options tarifaires proposées par France Télécom est favorable aux internautes. Qu'il s'agisse du forfait local ou de l'offre primaliste Internet, les tarifs qui résultent de ces options se situent, eux, dans la fourchette basse des tarifs européens.

Quatrième précision : depuis 1998, les opérateurs du réseau câblé...

M. Thierry Mariani.

Il n'y a pas le câble partout !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... ouvrent progressivement leur réseau à Internet, en proposant un accès illimité à un coût forfaitaire. L'abonnement moyen se situe autour de 280 francs par mois. Un accès forfaitaire à haut débit sur la ligne téléphonique via la technologie ADSL va également être développé dès le début de l'année 1999.

M. Olivier de Chazeaux.

Vous avez tout faux !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Enfin, il y a quelques jours, Dominique Srauss-Kahn et moi-même avons demandé à l'Autorité de régulation des télécommunications de rechercher, en concertation avec l'ensemble des opérateurs, dont France Télécom, une solution qui soit à la fois respectueuse de la concurrence entre les différents opérateurs et beaucoup plus favorable aux internautes.

Nous obtiendrons donc rapidement des résultats dans le sens que les internautes souhaitent.

(Applaudissements sur plusieur bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

FICHIERS DU FISC ET DE LA SE

CURITE

SOCIALE

M. le président.

La parole est à M. François d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Monsieur le Premier ministre, au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants, je vous demande solennellement de renoncer à une disposition qui nous paraît contraire aux libertés individuelles fondamentales. Inscrite dans le projet de loi de finances à la suite de l'adoption d'un amendement proposé par le groupe communiste, cette disposition permettrait de constituer un fichier informatique, que l'on peut qualifier de monstrueux, grâce auquel l'administration fiscale pourrait, par recoupement avec le fichier de la sécurité sociale, suivre chacun d'entre nous à la trace dans sa vie privée, dans sa vie professionnelle et dans sa vie « financière », si je puis dire.

Ce n'est pas faire du roman que de soutenir que ce projet est, en quelque sorte, d'essence totalitaire. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) et qu'il est totalement contraire à l'idée que nous nous faisons, les uns et les autres, de la liberté individuelle.

Naturellement, ce projet s'appuie sur une belle intention, que nous partageons : lutter contre la fraude fiscale.

Mais je crois que, là, les moyens mis en oeuvre sont véritablement de nature à tuer les libertés.

Derrière ce projet se profile ce que l'on appelait il y a quelques années Big Brother. Dans un roman - mais un roman de science-fiction - tous les citoyens étaient eux aussi identifiés par un numéro, au moyen duquel le pouvoir se livrait à une véritable inquisition à leur encontre.

Je vous demande à tous de mesurer la portée de cette disposition. Il ne s'agit pas là d'une observation politicienne.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du goupe communiste.)

M. Jean-Yves Le Déaut.

Lobbyiste !

M. François d'Aubert.

Je crois vraiment que tous ceux qui sont attachés à la liberté individuelle, à la préservation de la vie privée et du secret qui doit la recouvrir, seront d'accord pour demander au Gouvernement de renoncer à ce projet inscrit dans la loi de finances. Pour ma part, monsieur le Premier ministre, je vous le demande instamment et solennellement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, l'exagération de vos propos n'est pas très convenable. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) L'utilisation d'un numéro unique est une simplification à la fois pour l'usager, quand il s'adresse au fisc, à la sécurité sociale ou à d'autres services, et pour l'administration, qui pourra ainsi mieux lutter contre la fraude.

C ela porte-t-il atteinte aux libertés publiques ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) D'abord, il est clair que l'administration ne transmettra ce numéro à personne (Rires et exclamations sur les mêmes bancs) car le dispositif est encadré.

Ensuite, des pays qui ont au moins autant que nous le souci de protéger les libertés publiques, comme les EtatsUnis, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Italie, utilisent déjà le numéro unique. A tel point que l'OCDE vient d'en recommander l'utilisation à tous les pays membres et que, demain, ceux qui ne l'ont pas encore adopté - le Royaume-Uni, la Suède et nous - le feront.

D'ailleurs, cette idée vient de loin. Concrétisée dans un amendement de M. Brard, qui vient de rédiger un rapport parlementaire sur la fraude fiscale, elle ne fait que reprendre une proposition que l'on trouvait déjà, en 1996, dans le rapport de M. de Courson et de M. Léonard, également consacré à la fraude fiscale. (« Ah ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles de Courson.

C'est exact.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je remercie M. de Courson d'avoir l'élégance de le reconnaître.

Vous voyez, monsieur d'Aubert, qu'il ne faut rien exagérer. D'ailleurs, si cet amendement était aussi mauvais que cela et s'il ne s'agissait pas d'une dispute politicienne, il n'aurait pas été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Il n'y a là aucune atteinte aux libertés publiques car, comme vous, je crois que la fraude fiscale ne fait pas partie des libertés publiques. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

STATUT DES CAISSES D'ÉPARGNE

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila.

M. Jean Vila.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, les salariés des caisses d'épargne, à l'appel de l'ensemble de leurs organisations syndicales, sont aujourd'hui en grève. Ils sont particulièrement inquiets quant aux conséquences de la réforme des caisses sur leur propre statut, sur le devenir des acquis en matière de retraites et sur l'avenir des emplois. Ils craignent que le passage d'un statut d'établissement sans but lucratif au statut coopératif, avec le renforcement des exigences de rentabilité qu'il implique, ne fragilise le réseau des caisses d'épargne en risquant de mettre en cause leurs missions d'intérêt général.

Nous partageons cette inquiétude. Certains n'affirment-ils pas qu'il s'agit d'une première étape décisive vers la privatisation ? La réforme marque la poursuite de la banalisation de notre secteur bancaire et financier et son alignement sur les exigences des marchés financiers.

Une tout autre modernisation des caisses d'épargne, renforçant leur rôle au service des collectivités locales, du financement du logement et du financement des PMEPMI pour l'emploi, est possible. Il faut entendre les salariés et tous ceux qui s'interrogent sur la pertinence de l'orientation annoncée ou la contestent.

Le débat sur l'avenir de notre secteur financier, que vous vous êtes engagé à organiser dès le début de 1999, doit être l'occasion d'examiner toutes les options alternatives. Il faut revoir le projet de loi pour qu'il prenne en compte les revendications des organisations syndicales.

Monsieur le ministre, quels engagements êtes-vous prêt à prendre afin que puissent être effectivement garantis l'emploi mais aussi le statut et les retraites des personnels des caisses d'épargne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, je vous remercie de me permettre, à l'occasion de cette journée de manifestations, de préciser devant vous, qui exprimez une inquiétude, le contenu de ce projet de loi.

Les caisses d'épargne occupent une place très spécifique et très précieuse dans notre pays, chacun le reconnaît.

Mais elles sont à un tournant de leur histoire. En effet, elles sont trop spécialisées, trop isolées dans leur activité, justement à cause d'un statut très particulier puisqu'elles appartiennent à la nation, mais ne sont ni des coopératives, ni des mutuelles, et encore moins des sociétés.

Le projet de loi qui vous sera soumis vise à donner un statut coopératif aux caisses d'épargne, notamment pour leur permettre de nouer des liens avec d'autres structures, par exemple mutualistes, et d'assurer ainsi leur développement. Pour cela, une large concertation a eu lieu. Votre collègue, M. Douyère, auteur d'un rapport qui fonde très largement ce texte, a rencontré tous les acteurs, y compris bien sûr les organisations syndicales.

Vous me dites que les salariés sont attachés aux missions d'intérêt général des caisses d'épargne. Nous aussi et ce sera même inscrit dans la loi. Pour la première fois depuis la création des caisses d'épargne, au début du

XIXe siècle, ces missions seront légalement définies et confiées aux caisses d'épargne.

Dans le même temps, le Gouvernement a affirmé qu'il refusait la banalisation du livret A, qui est une spécificité des caisses d'épargne et qui sert à financer le logement social. Il a annoncé également que le produit de la cession des parts à des coopérateurs, des Français comme vous et moi, irait abonder le fonds de retraite dont nous avons besoin pour aider notre système de répartition à surmonter les difficultés démographiques. Il s'agit bien là de missions d'intérêt général.

Vous me posez une question précise sur l'emploi et les retraites. Les engagements sont clairs.

Rien dans le texte ne concerne le système de retraites des caisses d'épargne, qui continuera à exister comme auparavant. C'est la négociation sociale au sein des caisses qui le fera évoluer. Mais, en aucune manière, la transformation des caisses d'épargne en un réseau coopératif ne le modifiera.

De même, ce texte ne prévoit rien sur l'emploi, mais ses conséquences ne peuvent être que positives car j'estime que leur nouveau statut permettra aux caisses d'épargne de nouer des alliances, de développer leurs activités dans d'autres domaines, et par là même de soutenir l'emploi.

Quant aux financements que les caisses d'épargne procurent aux entreprises mais surtout aux collectivités locales, non seulement elles doivent continuer à les assurer, comme vous le préconisez, mais elles doivent les développer.

L'objectif du projet de loi n'est pas de nuire aux caisses d'épargne. Il s'agit au contraire de leur donner un nouveau statut qui leur permette de créer des liens avec d'autres réseaux, afin qu'elles puissent faire face à une concurrence qu'elles ne peuvent affronter seules.

Je suis convaincu que le débat que nous aurons sur l'ensemble du secteur financier permettra de lever toutes les ambiguïtés, car les objectifs du projet de loi sur les caisses d'épargne rejoignent très précisément les demandes des salariés. Comme je l'ai annoncé, ce débat aura lieu au mois de janvier. Ainsi, avant même que le texte ne vienne en discussion, nous pourrons avoir une discussion plus approfondie qu'à l'occasion des questions au Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

ARPE

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, à condition de remplir certains critères, plusieurs dispositifs, au demeurant fort pertinents dans notre société de chômage, permettent de cesser, partiellement ou totalement, une activité professionnelle avant l'âge de soixante ans. Ainsi, l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, permet aux salariés âgés de prendre leur retraite si leur employeur les remplace. Pour en bénéficier, l'intéressé doit justifier de 160 trimestres validés par le régime général et être né en 1938, 1939 ou 1940. Si 172 trimestres d'assurance vieillesse peuvent être justifiés, le bénéfice de l'ARPE est accordé quel que soit l'âge du demandeur.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Ce dispositif s'adresse exclusivement aux salariés et je voudrais savoir, madame la ministre, si le Gouvernement envisage de l'étendre aux commerçants et aux artisans contraints d'arrêter leur activité. (Applaudissements sur bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je vous remercie pour votre concision, mon cher collègue.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, l'ARPE a été mise en place par les partenaires sociaux. La négociation qu'ils ont engagée reprend demain et nous pouvons tous espérer qu'elle permettra non seulement le maintien de ce dispositif, mais aussi son approfondissement afin de permettre à tous ceux qui ont commencé à travailler très tôt de partir à la retraite quel que soit leur âge.

Quant aux commerçants et aux artisans, ceux qui ont cessé leur activité après avoir exercé pendant quarante ans et qui touchent actuellement un minimum social, l'ASS ou le RMI par exemple, peuvent bénéficier de l'allocation spécifique d'attente votée l'année dernière par le Parlement unanime. Cette allocation de 1 750 francs se cumule avec les allocations de solidarité, avec un minimum de 5 000 francs. Sur les 25 000 personnes ayant déposé leur dossier, 21 000 ont déjà reçu un avis favorable. Nous ferons un bilan de ce dispositif dans quelques semaines. Je pourrai alors vous dire combien de commerçants et d'artisans en bénéficient.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

INSTITUT D'E

MISSION

DES DE PARTEMENTS D'OUTRE-MER

M. le président.

La parole est à M. Alfred MarieJeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Ma question s'adresse à M. Dominique Strauss-Khan, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

L'Institut d'émission des départements d'outre-mer deviendra filiale de la Banque de France à partir du 1er janvier 1999. La raison avancée est la mise aux normes instaurées par l'Union économique et monétaire, engendrant la refonte juridique du système bancaire.

En tout cas, cette affiliation a semé un double émoi.

D'abord chez le personnel qui, non consulté, reste légitimement inquiet quant à son prochain rattachement juridique. Ensuite, au niveau des PME et des PMI, c'est la consternation et l'interrogation. Juqu'à présent, en effet, l'Institut jouait le rôle de banque centrale.

De plus, la SOFODOM, société de gestion de fonds de garantie, elle-même filiale de l'IEDOM, risque de disparaître du même coup. Il faut savoir qu'en Martinique 90 % des entreprises ont moins de dix salariés et que 85 % de ces 90 % sont des entreprises de moins de cinq salariés.

Monsieur le ministre, comment peut-on assurerle développement des DOM si l'on remet en cause tout à la fois les mécanismes de crédit, de réescompte et de garantie sans envisager un élément de substitution efficace voire plus performant encore ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, comme vous le savez, l'IEDOM exerce dans les DOM les missions de la Banque de France. Or ces missions seront exercées à partir du 1er janvier prochain par le système européen de banque centrale. Comme il n'existait pas de lien entre l'IEDOM et le système européen de banque centrale, il fallait bien trouver un rattachement. Faire de l'IEDOM une filiale de la Banque de France permettra précisément à l'IEDOM de s'insérer dans le système européen de banque centrale.

Bien entendu, la Banque de France continuera de déléguer à l'IEDOM l'ensemble des missions qu'elle lui déléguait jusqu'à présent : mise en circulation des billets, tenue des comptes des établissements de crédits, cotation des entreprises.

De plus, l'IEDOM conservera ses missions spécifiques telle la réalisaiton d'études de conjoncture sur les DOM.

Et la représentation particulière des élus des collectivités locales à son conseil sera maintenue. Donc il n'y a rien de changé de ce point de vue-là. Ainsi, il n'y aura aucune conséquence sur l'activité de l'institut et sur l'emploi.

Par ailleurs, soyez rassuré, le rôle essentiel de la SOFODOM, société de gestion de fonds de garantie sera totalement préservé.

Enfin, en matière de refinancement et de crédit, ce qui est mis en place permettra à l'IEDOM, et donc aux départements d'outre-mer, d'accéder aux refinancements du système européen et donc aux taux faibles que nous connaissons aujourd'hui.

T out changement engendrant des inquiétudes, je comprends celles du personnel de l'IEDOM. L'intersyndicale sera d'ailleurs reçue au ministère des finances demain et l'ensemble des explications que je viens de vous fournir lui sera communiqué dans le détail. Retenez qu'il n'y a aucune crainte à avoir s'agissant tant des missions que du personnel de l'IEDOM. Le rattachement juridique mis en oeuvre vise simplement à faire participer les départements d'outre-mer à la grande aventure européenne qui s'ouvre à nous à partir du 1er janvier prochain.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

FRANC CFF ET EURO

M. le président.

La parole est à M. Emile Vernaudon.

M. Emile Vernaudon.

Iaorana, monsieur le président.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le ministre, en 2002 le franc aura cessé d'exister au profit de l'euro. Seuls les territoires d'outre-mer du Pacifique, à savoir la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna continueront à utiliser le franc. Mais quel franc ? Ce franc CFP, dit franc du Pacifique, signifie en fait « colonies françaises du Pacifique ».

Certes, la France a reçu la compétence monétaire de fixer la parité du franc Pacifique avec le franc français puis avec l'euro. Mais pourquoi maintenir ce franc colonial ? Pourquoi ne pas instituer l'euro dans les territoires d'outre-mer ? Une telle réforme, même avec un peu de retard par rapport au reste de la France, constituerait un facteur de stabilité et de confiance monétaires indispensable au développement économique de nos territoires.

Pourquoi ces mêmes territoires d'outre-mer, parties intégrantes de la République française, déjà associés à l'Europe, et dont les citoyens détiennent un passeport


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européen ne pourraient-ils pas bénéficier, eux aussi, de l'euro ? A moins que l'Etat et les autorités de Bruxelles ne considèrent aujourd'hui les territoires d'outre-mer français c omme des territoires autonomes, pré-indépendants, devant faire partie d'une zone franc à l'instar d'Etats africains.

Aussi, je demande au Gouvernement d'expliquer clairement sa position sur ce sujet capital pour nos territoires et nos populations. (Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, je suis heureux que votre question vienne juste après celle de votre collègue M. Marie-Jeanne. Cela permettra de bien mettre en évidence les différences de situation.

Dans les DOM, je l'évoquais à l'instant, l'euro circulera, ce qui nécessite le rattachement de l'institut d'émission des DOM. S'agissant du franc pacifique, qui circule en Polynésie, la situation sera différente, comme c'est d'ores et déjà le cas. Je suppose en effet que, si le franc était resté la monnaie en métropole, vous n'auriez pas envisagé de remettre en cause le franc pacifique.

S'agissant du passage à l'euro, nous avons veillé à ce qu'il ne change rien pour les territoires du Pacifique. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. Le rattachement mécanique du franc pacifique au franc se transformera en un rattachement mécanique du franc pacifique à l'euro.

Cela n'entraînera aucune modification pour ceux qui utilisent le franc pacifique, ni aucun risque en termes de parité.

Alors, peut-on envisager de faire circuler un jour l'euro dans les territoires du Pacifique ? C'est la question que vous posiez. Nous pouvons effectivement mener cette réflexion dont je note qu'elle aurait pu être engagée à propos du franc métropolitain. Pourquoi en effet celui-ci ne circule-t-il pas dans ces territoires ? Les raisons qui ont fait que, depuis de très nombreuses décennies, le franc pacifique, et non pas le franc métropolitain, est la monnaie dans le Pacifique restent valables pour l'euro. Mais je suis disposé à mener avec vous une réflexion sur ce sujet, si vous le souhaitez. Rien n'est immuable, en effet. S'il était normal, au moment du passage à l'euro, de ne rien bousculer, du côté du Pacifique, on peut engager la réflexion pour l'avenir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Michel Péricard.)

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2

SECTES Discussion d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion : de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête relative aux exigences pécuniaires, aux relations financières internationales, à la situation patrimoniale et fiscale des sectes (no 811) ; de la proposition de résolution de M. Jacques Guyard et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques (no 908).

Ces propositions ont fait l'objet d'un rapport commun (no 1039).

La parole est à M. Jacques Floch, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jacques Floch, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Forni qu'un deuil cruel vient de frapper et qui m'a demandé de le remplacer.

En ce mois de célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, notre assemblée est saisie une nouvelle fois du douloureux problème des agissements des sectes. Face à son ampleur et aux ravages causés par ces organisations aussi puissantes que diverses, nous devons nous demander s'il est possible de concilier le respect par l'Etat de la liberté d'opinion et de croyance avec les risques que présentent les abus de cette liberté tant pour l'individu que pour l'ordre public.

Sans doute faut-il légiférer avec prudence dans ces domaines, tant s'imposent les principes énoncés par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que je vous rappelle : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »

Député d'une circonscription qui a élu celui qui devait rapporter le texte sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat - j'ai nommé Aristide Briand - je ne sais que trop à quel point cette frontière entre la liberté de conscience et le respect de l'ordre public, telle qu'elle a été définie par le législateur, est le fruit d'un équilibre délicat.

A ussi je souscris pleinement à la démarche de MM. Jean-Pierre Brard et Jacques Guyard, auteurs de deux propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête relatives aux aspects économiques et financiers du phénomène sectaire.

La première résolution a été déposée le 31 mars 1998 par Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues membres du groupe communiste. Elle tend à créer une commission d'enquête relative aux exigences pécuniaires,


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aux relations financières internationales, à la situation patrimoniale et fiscale des sectes. La seconde a été déposée le 18 mai 1998 par M. Jacques Guyard et plusieurs de ses collègues membres du groupe socialiste. Elle vise à la création d'une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques.

Ces deux propositions de résolution s'inscrivent dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête sur les sectes remis en janvier 1996. Celui-ci avait formulé une série de propositions, dont la création d'un observatoire interministériel sur les sectes rattaché au Premier ministre. Cet observatoire devait être remplacé par une mission interministérielle de lutte contre les sectes instituée par un décret du 7 octobre 1998 et dont la présidence a été confiée à M. Alain Vivien, spécialiste reconnu de ces questions.

Il s'agit donc, par la création d'une nouvelle commission d'enquête, de compléter le travail entrepris en le centrant sur les aspects économiques et financiers.

Saisie des deux propositions de résolution le 2 juillet 1998, la commission des lois a suivi son rapporteur, M. Raymond Forni, en jugeant, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 de notre règlement, que ces deux propositions étaient à la fois recevables et opportunes.

La première condition de recevabilité mentionnée par l'article 140 de notre règlement porte sur la précision des faits motivant la création d'une commission d'enquête.

Sans préjuger du travail de la commission, certains faits récents de fraude fiscale impliquant des sectes ou l'existence d'infiltrations des milieux économiques, notamment par l'intermédiaire de sociétés écrans, ont conduit la commission des lois à admettre la précision des faits mis en avant par les auteurs des propositions de résolution.

La seconde condition de recevabilité impose, en application de l'article 141 de notre règlement, que les faits motivant la création d'une commission d'enquête ne donnent pas lieu à des poursuites judiciaires en cours.

Interrogée par le président de l'Assemblée, Mme la garde des sceaux a indiqué l'existence de procédures en cours impliquant des sectes. Elle a néanmoins conclu pour les deux propositions de résolution que « l'existence de ces procédures ne paraît pas faire obstacle à leur adoption, étant précisé que les services de la chancellerie se tiendront le cas échéant à la disposition de la commission d'enquête pour lui préciser si tel fait précis fait l'objet ou non de poursuites judiciaires ».

Sous réserve de ces précisions, la recevabilité au titre de l'article 141 de notre règlement est donc également satisfaite.

En matière d'opportunité, les éléments plaidant pour la constitution d'une commission d'enquête sur les aspects économiques du phénomène sectaire sont nombreux : l'ampleur du phénomène et la spécificité des questions financières relatives aux sectes justifient, en effet, la mise en place d'une nouvelle commission d'enquête.

L'insuffisance de l'arsenal juridique ou son insuffisante application, les résistances opposées par les sectes à l'administration fiscale, la nécessité de porter à la connaissance de l'opinion publique l'existence de réseaux d'influence transnationaux agissant sous couvert de sociétés écrans plaident pour la création d'une telle commission.

Celle-ci, par son travail d'audition et par la publication d'un rapport, pourra à la fois informer les citoyens des dangers qu'ils courent face à certaines associations ou sociétés et proposer le cas échéant des mesures législatives propres à contrer le développement et l'enrichissement de ces organisations sectaires.

Si les deux propositions de résolution soumises à la commission des lois sont proches par leur sujet, elles n'en ont pas moins un objet différent. Aussi la commission a-t-elle retenu une rédaction de synthèse couvrant le champ des deux propositions de résolution d'origine.

Votre rapporteur a, par ailleurs, souhaité que le nombre de parlementaires composant la commission n'alourdisse pas son fonctionnement. Aussi vous propose-t-il un amendement portant à quinze le nombre de membres de la commission afin de garantir l'efficacité de son travail.

Compte tenu de ces observations, mes chers collègues, faites à la commission des lois, je vous demande d'adopter la proposition de résolution qui vous est soumise.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement ne peut que se féliciter des initiatives prises par M. Jacques Guyard et plusieurs des membres du groupe socialiste et par M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues du groupe communiste de déposer des propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques et sur leur situation au plan patrimonial.

L a représentation nationale a montré son souci constant d'appréhender le phénomène sectaire dans sa globalité et de lutter contre toutes les formes de dérive qu'il engendre dans un certain nombre de cas. Le Gouvernement partage naturellement ces préoccupations. En créant, par le décret du 7 octobre dernier, une mission interministérielle de lutte contre les sectes dont le président, M. Alain Vivien, et les membres du conseil d'orientation ont été nommés le 23 novembre, le Premier ministre a manifesté sa volonté de combattre les mouvements sectaires dont certains faits spectaculaires ne sont, hélas ! que la partie visible. On sait que de trop nombreuses familles, dans notre pays, sont concernées par les agissements scandaleux des sectes.

Cette mission ne sera pas seulement un observatoire.

Elle a une vocation opérationnelle et le texte qui la crée lui donne des pouvoirs effectifs de coordination, d'incitation, de dénonciation à la justice des faits pénalement répréhensibles.

La tâche est difficile, il faut le reconnaître. La notion de secte peut faire l'objet de tentatives de définition ; en 1996, le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les sectes s'y était essayé. Mais force est d'admettre qu'il n'existe aucune définition juridique des sectes. Il ne saurait, semble-t-il, y en avoir de trop rigoureuse. D'un côté, en effet, il faut combattre résolument leurs agissements qui constituent autant d'atteintes aux personnes, souvent les plus fragiles. De l'autre, les libertés fondamentales - liberté de culte, liberté de conscience, liberté d'expression - doivent être préservées.

La représentation nationale a prouvé, jeudi dernier, qu'il est possible de lutter contre les dérives sectaires, en particulier par le biais de l'obligation de scolarité et du contrôle que l'Etat doit exercer sur le respect effectif de cette obligation.

Le Gouvernement se réjouit des propositions de résolution dont nous discutons aujourd'hui et je voudrais remercier le rapporteur de l'excellence de sa présentation.


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L'argent est, bien évidemment, le nerf de la guerre, en cette matière tout particulièrement. Certains mouvements s'appuient sur de puissants soutiens économiques et financiers qu'il convient de mettre en lumière et de dénoncer comme une escroquerie car, souvent, les mouvements sectaires, qu'ils se résument à quelques personnes ou plus massifs, sont en réalité mus par l'argent.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est naturellement en première ligne sur cet aspect du dossier. Des contrôles fiscaux ont été menés, d'autres le seront ou doivent l'être. Des redressements fort substantiels ont été notifiés à certaines associations sectaires.

Il convient d'approfondir l'investigation et de mettre en évidence les réseaux de pouvoirs que certaines organisations tentent de développer par l'intermédiaire du système économique. Il convient aussi de mettre à jour la véritable stratégie de conquête de certaines sectes sur le marché de la formation professionnelle ou en vue d'accéder à des marchés dans des secteurs sensibles.

La constitution d'une commission d'enquête sur cette question essentielle ne peut qu'aider à la définition d'une stratégie pour lutter contre l'influence de ces associations.

Le Gouvernement l'approuve donc sans réserve et prêtera son entier concours à la bonne réalisation de cette mission. (Applaudissements.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard, apparenté au groupe communiste.

M. Jean-Pierre Brard.

Merci, monsieur le président, pour votre exactitude à laquelle je suis particulièrement sensible.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où notre assemblée débat de la création d'une commission d'enquête parlementaire portant sur la situation financière patrimoniale et fiscale des sectes ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers, je souhaite faire un rapide retour en arrière pour mesurer le chemin parcouru depuis trois ans.

La commission d'enquête sur les sectes constituée par notre assemblée en 1995, et animée par nos collègues Alain Gest et Jacques Guyard, a accompli un travail très important et son rapport, déposé le 22 décembre 1995, est aujourd'hui un texte de base et un instrument de travail précieux.

Il suffit d'ailleurs, pour s'en convaincre, de voir à quel point il provoque « l'urticaire » des adeptes des sectes, qu'il s'agisse du CESNUR, de Massmo Introvigne ou de quelques autres.

Ce document parlementaire a été rapidement suivi en février 1996 d'une circulaire du garde des sceaux de l'époque, destinée à renforcer l'efficacité des juridictions face aux agissements délictueux des sectes.

Le Gouvernement, reprenant une proposition de la commission, créait en mai 1996 un observatoire interministériel des sectes, rattaché au Premier ministre, marquant ainsi son souci de vigilance. Le ministre de la jeunesse et des sports engageait dans le même temps une importante campagne d'information et de prévention en direction des jeunes, suivie d'une circulaire d'avril 1997 organisant une structure de concertation destinée à prévenir les dérives sectaires et à lutter contre elles.

Le gouvernement constitué à la suite des élections législatives de 1997 a poursuivi et amplifié l'action des pouvoirs publics contre ces dérives sectaires. Une circulaire du ministre de l'intérieur de novembre 1997 a permis de renforcer la mobilisation de l'administration pour mieux combattre les agissements répréhensibles dont se rendent coupables les sectes.

Le remplacement en 1998, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, de l'Observatoire interministériel des sectes par une mission interministérielle de lutte contre les sectes, dotée d'une structure administrative pluridisciplinaire à côté d'un conseil d'orientation, constitue une avancée très importante pour la protection des citoyens contre le danger multiforme des sectes.

Tout récemment, est parue une circulaire de Mme la ministre de la justice organisant un échange d'informations entre l'autorité judiciaire et les associations de lutte contre le phénomène sectaire et instituant un « correspondant sectes » au parquet ainsi que des réunions de coordinations interadministrations.

Au plan législatif, il faut souligner la complémentarité des initiatives parlementaires, au Sénat et dans notre assemblée, qui a permis l'adoption définitive, jeudi dernier, du renforcement du contrôle de l'obligation scolaire, permettant d'améliorer substantiellement la protection des enfants tombés sous la coupe des sectes, dont le nombre est évalué entre 4 000 et 5 000, mais qui est certainement très en deçà de la réalité. L'exemple de ces propositions de loi, inscrites dans chaque assemblée à l'initiative d'un groupe parlementaire lors d'une séance réservée à cet usage, et adoptées à l'unanimité dans les deux enceintes, avec le soutien du Gouvernement, démontre que des avancées législatives, rassemblant tous ceux qui sont attachés aux valeurs républicaines, et dépassant les clivages politiques habituels, sont nécessaires et possibles. On ne peut que se féliciter que le Gouvernement veuille poursuivre rapidement dans cette voie, avec l'annonce par Mme la ministre de la justice d'un texte permettant aux associations de protection des victimes des sectes de se constituer partie civile dans les affaires, de plus en plus nombreuses, d'infractions de toute nature commises par les organisations sectaires.

On le voit, le travail accompli est déjà important, mais il nous reste encore beaucoup à faire pour contrecarrer les activités délictueuses et destructrices des sectes.

L'une des propositions de loi que nous examinons aujourd'hui est à cet égard d'une grande importance car elle s'articule, dans ses diverses composantes, autour de la question de l'argent des sectes. Gourous et dirigeants de mouvements sectaires sont aujourd'hui les adorateurs les plus acharnés du veau d'or.

(Sourires.)

Certaines de ces organisations développent aussi des activités lucratives en vue de faire fructifier les sommes soutirées à leurs adeptes. D'autres créent des entreprises dans lesquelles elles mettent en oeuvre des méthodes de management inspirées par leur prétendue doctrine dans un unique but de prosélytisme.

Ainsi, le système de financement des Témoins de Jéhovah est remarquablement organisé et fonctionne à partir d'offrandes volontaires, le volontarisme résultant de la manipulation - argent, biens immobiliers, bijoux -, offrandes adressées à la maison-mère américaine, de remises d'argent ou de mises à disposition de la secte des comptes bancaires des adeptes, sur le mode « On vous décharge de tous les soucis matériels, on s'en occupe pour vous ». La vente de publications, notamment le bimensuel La Tour de Garde, rapporterait 14 millions de francs par


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mois. Une autre revue des Témoins de Jéhovah, Réveillezvous, tirée à 12 millions d'exemplaires, constituerait un revenu mensuel de 50 millions de francs.

Présents dans 900 sites appelés « salles du royaume », les Témoins de Jéhovah ont fait l'objet d'un redressement fiscal de plus de 300 millions de francs. Ils se livrent à diverses activités essentiellement agricole ainsi qu'à la gestion d'une imprimerie, à Louviers, dans l'Eure, où travaillent 300 adeptes sans aucun respect du droit du trav ail. Plutôt que d'adeptes, mieux vaudrait parler d'esclaves. Dans l'Aisne, les Témoins de Jéhovah possèdent de nombreuses propriétés agricoles dont la superficie totale est de 103 hectares et dont la valeur atteindrait 13 millions de francs.

Récemment, cette secte a mené une offensive juridique afin d'obtenir le statut d'association cultuelle lui assurant le droit à des exonérations de taxes foncières. On ne peut que regretter, et même s'interroger, sur le fait que, s'écartant de la position du Conseil d'Etat, certaines juridictions, particulièrement des tribunaux administratifs, aient rendu des jugements favorables aux Témoins de Jéhovah et se permettent ainsi de décider ce qui est ou ce qui n'est pas une religion, remettant en cause, d'une certaine manière, la loi de séparation de 1905.

Pour ce qui est de la Scientologie, les exigences financières à l'égard des adeptes sont exorbitantes. Cette secte facture en effet certains « cours » à plus de 70 000 francs.

La commission d'enquête de 1995 avait montré que nombre d'adeptes avaient été conduits à de graves situations d'endettement. Un adepte de longue date peut ainsi

« donner » à la Scientologie de 500 000 à 1 500 000 francs. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, avait d'ailleurs proclamé : « Si l'on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion. »

Bien que la complexité de l'organisation financière de la Scientologie rende difficile toute estimation globale, les archives de l'IRS - le fisc américain - signalent qu'au début des années 90, la pseudo-église de Scientologie gagnait quelque 300 millions de dollars par an grâce aux honoraires d'auditions et à la vente de pseudo-littérature scientologique.

Autre exemple, la puissance financière de la Soka Gakkaï peut se déduire des investissements immobiliers faramineux de la secte. En 1990, elle aurait acquis le domaine des Forges dans les Bouches-du-Rhône pour y accueillir des centaines d'adeptes. Installé sur quarantedeux hectares, ce centre aurait coûté 16 millions de francs. En 1989, la Soka Gakkaï aurait acquis le château des Roches dans l'Essonne pour un coût de 49 millions de francs.

Si la puissance financière des sectes est un fait connu, l'opacité de leurs comptes, favorisée par le caractère international de leur implantation, n'a pas permis à la précédente commission d'enquête de connaître précisément l'état de leurs ressources et l'ampleur de leur activité économique.

Ainsi, la gravité du phénomène et la spécificité des questions financières relatives aux sectes justifient, à mon sens, la mise en place d'une nouvelle commission d'enquête. L'insuffisance de l'arsenal juridique existant, les résistances des sectes à l'administration fiscale, la nécessité d'informer le grand public sur l'existence der éseaux internationaux, de sociétés écrans dans les domaines de l'éducation, de la santé, plaident pour la création d'une telle commission à laquelle le groupe communiste et apparentés est très favorable.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant l'été 1995, ce fut l'honneur de cette assemblée de se saisir du problème des sectes en créant la commission d'enquête présidée par Alain Gest. La presse parlait relativement peu de ce phénomène qui était alors assez mal connu. Le dépôt du rapport de Jacques Guyard fut en revanche beaucoup plus médiatique dans la mesure où il coïncida avec le drame de l'Ordre du Temple solaire qui eut lieu dans le Vercors. Face à ce massacre qui émut l'opinion, les députés ont alors apporté la preuve de leur engagement pour lutt er avec détermination contre ce fléau des temps modernes qui se développe, hélas !, sous nos yeux. Rappelons que ce sont près de 300 000 personnes qui sont membres ou sympathisantes de sectes.

La différence entre le rapport Gest-Guyard et le rapport Vivien, rédigé dix ans auparavant, se situe dans l'évolution du phénomène sectaire dans notre pays et, parallèlement, dans celle des mentalités. En effet, en 1985 déjà, les députés avaient fait preuve d'une grande détermination, mais ils faisaient davantage confiance aux pouvoirs publics pour agir. Les députés de 1995, comme ceux d'aujourd'hui, entendent maintenir la pression, notamment par leur travail au sein du groupe d'étude afin que ce problème trouve des solutions concrètes. Ainsi la commission d'enquête de 1995 a-t-elle fait un travail remarquable, comme l'a dit Jean-Pierre Brard il y a un instant, en définissant notamment les dérives sectaires qui tombent toutes sous le coup du code pénal. Malheureusement - et c'est là où le bât blesse - la loi n'est pas toujours appliquée, et ce pour des raisons variées. Il s'est ainsi avéré que les magistrats, les policiers, les gendarmes et les travailleurs sociaux ne disposaient pas de la formation nécessaire pour appréhender les problèmes. En outre, certaines administrations - nous l'avons constaté il y a quelque temps - peuvent être infiltrées par les sectes.

Ainsi à l'Assemblée nationale même, la commission d'enquête de 1995, qui siégeait à huis clos, vit le secret de ses travaux et de ses auditions violé. De même, la porte-parole d'une secte très signalée dans le rapport fut installée dans cet hémicycle, en face de nous, au premier rang de la loge du Premier ministre. Même un député a du mal à obtenir ce type d'avantage pour ses invités personnels !

Mme Martine David.

C'est vrai !

M. Rudy Salles.

Le rapport Gest-Guyard a eu le mérite d'évaluer le phénomène sectaire dans notre pays, de montrer le développement en cours depuis plusieurs années, d'essayer de définir ce qu'est une secte, de faire l'inventaire des dispositions existantes pour lutter contre les sectes, d'étudier pourquoi ce dispositif ne fonctionnait pas de façon satisfaisante et de tracer les pistes pour renforcer l'efficacité de la lutte contre ce phénomène.

Sur l'évaluation du nombre d'adhérents je ne développerai pas plus avant ; les chiffres que je citais précédemment parlent d'eux-mêmes. Je dirai seulement, pour donner une image, que le nombre de personnes assujetties à une secte est équivalent à la population d'une ville comme Strasbourg. C'est dire combien le phénomène est préoccupant.

Je veux aborder maintenant un point plus difficile à traiter, qui concerne la définition des sectes. Cette question fondamentale fut au centre des réflexions de la


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commission d'enquête en 1995. Peut-on modifier la loi sur les associations de 1901 pour faire une loi définissant les sectes ? C'est pratiquement impossible sans mettre en cause une liberté publique fondamentale qu'est la liberté de conscience. Après tout, dans notre pays, tout le monde est libre de créer une association, fût-elle farfelue, sans pour autant présenter un danger pour ses membres.

Généralement d'ailleurs, rien dans les statuts des associations caractérisées comme sectes ne présente une quelconque aspérité vis-à-vis de la loi.

C'est pourquoi il nous a paru préférable de définir les comportements suspects des associations qui peuvent laisser penser que nous avons affaire à une secte. La commission d'enquête a donc défini dix déviances sectaires qui sont : la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, la rupture induite avec l'environnement d'origine, les atteintes à l'intégralité physique, l'embrigadement des enfants, le discours plus ou moins antisocial, les troubles à l'ordre public, l'importance des démêlés judiciaires, l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels, enfin les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.

Chacune de ces déviances pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une commission d'enquête tant les questions sont complexes et tant il est nécessaire de définir un dispositif de lutte adapté. Nous aurons donc certainement l'occasion dans l'avenir de nous intéresser à chacun de ces chapitres, tant ils méritent une étude très approfondie.

J'en viens aux aspects économiques et financiers des sectes pour lesquels deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ont été déposées.

La puissance financière des sectes est une réalité incontestable, en tout cas pour grand nombre d'entre elles. Je rappellerai une citation devenue célèbre, celle du fondateur de la Scientologie, Ron Hubbard, qui déclarait dans un discours à Newark : « Si l'on veut vraiment devenir millionnaire - en dollars, s'entend - le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion. »

Sur les questions financières, nous avons pu constater que les dirigeants des sectes sont très évasifs. Il y a aussi une grande différence entre le discours des dirigeants et celui des anciens adeptes. Selon les dirigeants, l'essentiel des ressources provient des cotisations volontaires des adeptes en contrepartie de certains services, ainsi que de dons. Par ailleurs, ils mettent en évidence que leurs comptes sont approuvés par des cabinets d'expertscomptables, qu'ils sont en règle avec l'administration fiscale, acceptant même parfois des redressements fiscaux.

Certaines sectes reconnaissent avoir des liens avec des entreprises basées sur le volontariat ou en contrepartie de services - les techniques de management de Ron Hubbard, par exemple.

Chez les anciens adeptes, le discours est tout autre.

Ceux-ci estiment, de façon unanime, que le montant des contributions excède largement les services supposés rendus. Par ailleurs, ils contestent le caractère volontaire de ces contributions, qui est altéré par l'état de dépendance des donateurs. Ils soulignent également le train de vie des dirigeants, qui laisse à penser que leurs intérêts priment sur les buts religieux exprimés. La jurisprudence du Conseil d'Etat, qui fait une interprétation stricte du caractère cultuel des associations constituées, confirme les craintes des anciens adeptes en refusant à certaines associations la possibilité de recevoir des dons et legs. Certaines sectes contournent cette difficulté en séparant jurid iquement les activités cultuelles et les activités commerciales.

De nombreuses décisions de justice témoignent également d'une pratique fréquente de la fraude fiscale. Sous l'apparence d'associations, nombre de sectes cachent des activités commerciales éminemment lucratives. C'est le royaume des prête-noms, des acquisitions mobilières ou immobilières occultes, un sujet sur lequel il me paraît très intéressant d'enquêter.

Il faut signaler également que nombre de sectes, notamment parmi les plus puissantes et les plus médiatiques d'entre elles, ont été condamnées pour fraude fiscale, et relever les très nombreux cas d'escroquerie, de tromperie ou d'abus de confiance, les violations du droit de travail ou du droit de la sécurité sociale. La jurisprudence compte de très nombreuses condamnations sur la base de faits matériels incontestables. Près de cinquante et un organismes sectaires relevés par les renseignements généraux se sont distingués dans le détournement des circuits économiques et le travail clandestin, sans compter les nombreux cas d'escroquerie constatés.

Enfin, il s'avère que certaines sectes infiltrent ou tentent d'infiltrer l'administration. A la lumière de certains événements actuels, on peut se demander si l'administration judiciaire elle-même est à l'abri de ces pratiques. Jusqu'à l'Assemblée nationale qui a eu à connaître d'un problème analogue dans le cadre de la commission d'enquête, relative aux sectes. Les auditions, qui devaient être tenues secrètes afin de protéger les personnes auditionnées, ont été révélées à l'extérieur.

Dès lors, comment lutter contre de tels comportements ? La loi prévoit des sanctions contre un certain nombre de ces délits. C'est le cas, par exemple, du vol, de l'escroquerie, de l'abus de confiance, de la publicité trompeuse, des quêtes sur la voie publique, de l'exploitation financière directe et indirecte manifeste.

Concernant les détournements des circuits économiques, ceux-ci peuvent être sanctionnés en particulier par la direction générale des impôts et la direction générale des douanes, par l'inspection du travail ou par les d ifférents services de sécurité sociale. Cela dit, les contrôles sont trop peu nombreux, par manque de moyens mais également par manque de formation des services concernés.

La commission d'enquête de 1995 a su constater l'ensemble des dysfonctionnements. Elle a fait des propositions pour améliorer le dispositif en préconisant la formation des personnels qui peuvent être confrontés à ce type de dossier. Cette formation, jusque-là, a assez peu progressé, il faut le reconnaître. La commission d'enquête a également proposé que les associations ayant un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 francs soient systématiquement contrôlées par les services préfectoraux. Cela est resté un voeu pieux.

Par ailleurs, il faut regretter le faible nombre d'affaires portées devant les juridictions, pour ce motif que les adeptes des sectes sont majeurs et que l'on ne peut ester en justice à leur place, ou bien parce que ceux qui s'en sortent n'ont pas toujours la force d'intenter une action judiciaire.

La commission d'enquête de 1995 a préconisé d'autoriser les associations, dont l'objet est la défense des intérêts des familles et la lutte contre les sectes, à se substituer aux victimes pour ester devant les tribunaux. Une telle mesure n'étant pas opérationnelle, le groupe UDF - et je pense que l'ensemble des groupes de cette assem-


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blée y souscrira puisque le groupe d'études était favorable à l'unanimité - déposera une proposition de loi allant dans ce sens.

En outre, dans une circulaire de 1996, le garde des sceaux, M. Jacques Toubon, invitait les procureurs à s'autosaisir sur des affaires sensibles pouvant cacher des actions sectaires. C'était, là aussi, un progrès.

La commission d'enquête de 1995 a mis en lumière un monde opaque et qui se complaisait dans cette clandestinité. Elle a ouvert un certain nombre de portes qui nous indiquent les pistes d'investigation à suivre pour renforcer l'efficacité de la lutte contre les sectes.

Aujourd'hui, les propositions de résolution qui nous sont proposées et qui nous invitent à créer une nouvelle commission d'enquête pour aller plus loin dans l'étude des mécanismes économiques et financiers des sectes vont indéniablement dans le bon sens. Le groupe UDF ne peut qu'être favorable à ce principe. C'est pourquoi il votera en faveur de la création de cette commission d'enquête.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques ne peut, de mon point de vue, que recueillir un assentiment fort et très majoritaire de notre assemblée à défaut d'être unanime.

Seront visées les exigences pécunaires des sectes, si possible leurs relations financières, y compris internationales, et surtout leurs situations tant patrimoniales que fiscales.

Mais qu'est-ce qu'une secte ? A défaut d'en connaître une définition, puisée aux meilleures sources, chacun d'entre nous s'est, bien sûr, interrogé sur la signification de ce vocable passé dans le langage commun.

S'il ne s'agit pas de retenir des critères de jugement fondés sur les croyances, il s'agit cependant d'en poser par rapport à des agissements et à des comportements qui portent atteinte aux droits de l'homme, à la dignité de la personne humaine et à la liberté de celle-ci.

Autrement dit, une secte est un groupe dans lequel est pratiquée une manipulation mentale par le biais de l'endoctrinement, du contrôle de la pensée, du viol psychique, manipulation qui entraîne une destruction de la personne aux plans physique, psychique, intellectuel, relationnel et social ainsi qu'une destruction de la famille, voire une déstructuration de la société ayant pour base une escroquerie intellectuelle, morale et financière.

C'est pourquoi le champ de notre interrogation s'inscrit bien dans celui des droits de l'homme et des libertés publiques.

Pour savoir si l'on est vraiment en présence d'une secte, il suffit, selon l'association pour la défense des familles et de l'individu, de poser certaines questions : Quel est la part de temps personnel laissé par le groupe à l'individu ? Quelle est la part de nourriture et quel est le temps de sommeil dont il dispose ? Quelles sont ses facultés de recevoir des messages, des lettres et des visites au sein du groupe ? A propos de quoi le groupe sollicite-t-il l'avis de l'adhérent ? Quelles sont les renonciations personnelles qui sont suggérées au niveau de la pensée ? Quels sont les mensonges imposés dans l'intérêt du groupe ? Quelles sont les déviances tolérées dans le groupe, notamment à l'égard du chef ou des autres responsables ? Les règles applicables aux chefs et aux adhérents sontelles identiques ? Quelles sont les attitudes du groupe, particulièrement à l'égard des femmes ? Parallèlement, certains symptômes peuvent laisser supp oser l'appartenance à une secte : modification du comportement, de la tenue vestimentaire, du vocabulaire et des centres d'intérêt ; répétition de discours, s'accompagnant de citations itératives ; désinvestissement de la vie familiale, affective, scolaire et professionnelle ; désintérêt pour les loisirs ; multiplication des réunions, des déplacements, des appels téléphoniques et du courrier ; comportement de méditation, de repli sur soi, ou d'exaltation ; soumission à un régime alimentaire ; et, surtout, multiplication de dépenses financières importantes, assorties de demandes d'argent auprès de la famille, des amis et des banques.

Tout cela, on le sait désormais, vise à renforcer le sentiment d'appartenance, c'est-à-dire à marquer l'adhésion au groupe et à favoriser les ruptures - avec les études, la famille, les amis et la société - pour remplir à la mission rédemptrice, sous la conduite du maître salvateur menant l'homme sur le chemin du bonheur.

Dès lors, il n'y a plus de possibilité de retour en arrière, car l'individu n'a plus de revenus, de couverture sociale, de liens familiaux ou amicaux. L'adepte est soumis à de multiples déplacements et à une discipline rigoureuse où punition et délation se conjuguent avec dettes et représailles, la souffrance restant le gage de la prochaine réussite dans l'atteinte de l'ultime étape de la béatitude. Le fusionnel groupal se confond alors avec la confusion mentale et se traduit par une réelle infantilisation. L'adepte est alors soumis aux ordres du maître et est susceptible de se transformer en redoutable fanatique.

Plus il a souffert, plus il est prêt à souffrir davantage ! L'arsenal juridique existant pour surveiller, contenir ou réprimer, tant dans le domaine public que dans le domaine privé, trouve ses limites dans la faculté d'adaptation des sectes. En effet, profitant de la totale liberté d'association garantie par la Constitution, de très nombreuses sectes sont constituées sous forme d'associations régies par la loi de 1901 et exploitent toutes les subtilités de la loi du 9 décembre 1905 relative au régime des associations cultuelles. Elles bénéficient ainsi du régime d'exonération des taxes sur le foncier propre aux lieux de culte.

Sachant s'autodissoudre et se reconstituer sous une autre appellation, sachant également créer des sociétés sous les régimes les plus divers - anonymes, à responsabilité limitée, immobilières -, les sectes rusent avec la loi et se cachent sous d'autres masques. Elles se parent de l'honorabilité de la formation scolaire ou professionnelle, du culturel et religieux, de l'éthique, voire du médical ou du scientifique.

C'est pourquoi la proposition de créer une commission d'enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers me paraît de nature à permettre de mieux aborder les nébuleuses déstructurantes de notre société, dont l'objet est de faire de l'argent, ici et ailleurs, sur la crédulité humaine. Il ne faudra point oublier les ramifications internationales, ni peut-être s'empêcher de porter un regard moins amène sur le dispositif législatif concernant les associations relevant de la loi de 1901.


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Cette commission devrait permettre, aux côtés de la nouvelle institution que vient de créer le Gouvernement et qui s'inscrit dans la ligue de la conclusion de l'excellent rapport parlementaire déposé le 10 janvier 1996, de progresser dans le cadre de l'offensive lancée contre l'envahissement sectaire qui se profile à l'aube du troisième millénaire.

Comme d'habitude, le noeud de cette problématique sera financier. C'est pourquoi il faut résolument souscrire à cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel important sujet que celui que nous évoquons en cette fin d'après-midi ! Nous sommes en effet très souvent confrontés à des situations de désarroi de familles dont l'un des membres, jeune ou moins jeune, est membre d'une secte. Attachés au respect des libertés qui constitue le fondement de notre vie en société, nous ne pouvons accepter que certains de nos concitoyens se voient privés de leur liberté sans le vouloir et sans le savoir.

Au-delà des problèmes humains, c'est l'influence des sectes dans le secteur économique et leurs exigences financières qui sont aujourd'hui au coeur de nos préoccupations.

Deux ans après la publication du rapport de la commission d'enquête sur les sectes en France, présidée par notre ancien collègue Alain Gest, l'Assemblée est saisie d'une nouvelle proposition de création d'une commission d'enquête dans ce domaine. L'objet de la proposition de résolution a un objet plus limité et donc plus ciblé, puisqu'il vise à faire la lumière sur les aspects économiques du phénomène sectaire, c'est-à-dire sur un moyen d'action essentiel des sectes dans notre société.

Le rapport de la commission d'enquête sur les sectes, alors adopté à l'unanimité des groupes, a constitué une étape majeure dans la connaissance du phénomène sectaire en France. Il a permis de donner des contours à la notion de secte - notion qu'il est difficile de déterminer dans un Etat laïc comme la France qui respecte la liberté de croyance - à partir d'un faisceau d'indices touchant des associations qui réunissent le plus souvent autour d'un chef spirituel des personnes partageant la même croyance et qui ont pu, à un moment ou un autre, être soupçonnées d'une activité contraire à l'ordre public ou aux libertés individuelles.

Ce rapport a estimé le nombre des sectes à 172 et celui de leurs adeptes à environ 160 000 en France.

Il a surtout permis d'expliquer les facteurs d'expansion du phénomène sectaire dans notre société : l'existence d'un besoin intense de spiritualité dans une société parfois trop matérialiste et individualiste - la solitude, l'échec, le chômage sont souvent à l'origine de la recherche d'une drogue de l'esprit -, besoin auquel il est répondu grâce à des moyens financiers puissants et des techniques de recrutement « psychologique » très élaborées. C'est surtout contre ces moyens que nous devons lutter.

Ce rapport a démontré que les sectes représentaient un danger pour la société comme pour l'individu : illégalités nombreuses et troubles à l'ordre public, extorsions et embrigadement des mineurs, toutes actions qui ont une incidence anti-sociale et que l'Etat se doit de combattre.

Le rapport estimait qu'il était inopportun de créer un régime spécifique aux sectes, mais qu'il valait mieux améliorer l'information, surtout celle des publics fragilisés, accroître la connaissance du phénomène, et appliquer les lois existantes pour sanctionner les actes et les mouvements contraires à la loi - mais certainement que les sanctions sont là largement insuffisantes.

Faisait notamment partie de ces propositions, celle tendant à créer un observatoire interministériel des sectes, chargé d'étudier et de suivre le phénomène ainsi que de faire des propositions visant à améliorer les outils de lutte contre les sectes.

Cet observatoire a été créé et installé en 1996 et, par la publication de ses rapports annuels, a exercé une fonction essentielle d'information des pouvoirs publics et des élus sur l'évolution du phénomène sectaire.

Dernièrement, le Gouvernement a choisi de supprimer cette structure et de la remplacer par une mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui devrait être plus opérationnelle.

Mme Martine David.

Ce qui n'était pas le cas auparavant !

M. Bernard Perrut.

Les termes « mission » et « lutte » sont censés exprimer une volonté du Gouvernement.

Cette mission conserverait le même rôle d'études et d'information, mais aurait en plus la capacité de signaler au parquet et aux administrations concernées les agissements contraires à la loi.

Nous nous félicitons, monsieur le ministre, de la volonté du Gouvernement de combattre les sectes, grâce à ces nouvelles dispositions, mais nous espérons surtout que ce changement de nom sera suivi dans les faits. Que ce soit un observatoire ou une mission - peu importe le nom -, le résultat ne changera guère sans de véritables moyens supplémentaires.

Nous ne pouvons qu'approuver les décisions du garde des sceaux, d'ailleurs suggérées par les conclusions de ce même observatoire aujourd'hui disparu, de prévoir un magistrat spécialisé pour ces questions dans chaque cour d'appel et de donner la possibilité aux victimes des sectes de se constituer partie civile.

Nous nous interrogeons toutefois sur la capacité de financier mesures et sur l'effectivité de la spécialisation d'un magistrat, comme sur la capacité du service public de la justice à répondre au surcroît de contentieux qui en résultera. Toutefois, la circulaire que Mme la garde des sceaux a adressée le 1er décembre aux magistrats a pour finalité de donner une nouvelle impulsion à l'action de l'autorité judiciaire, et nous ne pouvons que nous en réjouir.

En tout état de cause, ces décisions révèlent une volonté justifiée des pouvoirs publics d'accentuer la lutte contre les sectes. En effet, bien qu'étant un peu mieux appréhendé par l'opinion et les élus que nous sommes, le phénomène sectaire n'en continue pas moins sa progression. Le nombre des adeptes s'accroît, tandis que de nouv elles mouvances apparaissent ou que d'autres se confortent, notamment les courants de pensée apocalyptique et guérisseur, ou subisssent des mutations inquiétantes comme c'est le cas au sein de la mouvance néospiritualiste « nouvel âge ».

Plus dangereux encore, les sectes sont entrées dans une quête de respectabilité, qui leur permet, par des campagnes de séduction, mais aussi par l'utilisation de l'arme de la procédure judiciaire, de gagner de nouvelles émules.

Chacun a à l'esprit de récents événements, telles les campagnes menées par certaines organisations, notamment les Témoins de Jéhovah, protestant contre la décision de l'administration fiscale de refuser l'exonération fiscale des


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offrandes des adeptes, et, surtout, les conditions troubles dans lesquelles plusieurs tomes d'un dossier d'instruction visant l'Eglise de scientologie ont disparu, risquant d'annuler l'ensemble d'une procédure conduite depuis une dizaine d'années,...

M. Alain Néri.

C'est scandaleux !

M. Bernard Perrut.

... démontrent la force et l'influence de ces organisations.

M. Alain Néri.

Absolument !

M. Bernard Perrut.

Un quotidien du jour y consacre d'ailleurs une page entière et nous montre justement l'efficacité des sectes.

Un des outils essentiels de cette influence est biene ntendu la puissance financière et économique sur laquelle reposent un certain nombre de sectes, souvent les plus dangereuses, car les plus respectables... en apparence.

Le rapport publié en 1996 avait déjà mis en évidence l'importance de ces moyens financiers, souvent acquis de manière frauduleuse, la plupart du temps entretenus par les ponctions financières exorbitantes sur les adeptes. Plusieurs sectes ont été poursuivies pour des extorsions de fonds et des fraudes fiscales, qui leur permettent d'alimenter leur magot.

Surtout, les sectes investissent de plus en plus les milieux économiques et développent dans des grandes sociétés des techniques de management propres à attirer de nouveaux adeptes. Les sectes ont notamment fortement investi le domaine de la formation professionnelle, de l'informatique et de l'énergie atomique.

Il apparaît évident que la raison d'être des sectes, derrière une façade censée attirer les plus crédules, est souvent de faire des affaires, au mépris de la liberté des individus.

C'est ce pouvoir économique que les auteurs des propositions de résolution veulent mettre à jour et démanteler, afin d'agir sur le plus puissant levier d'action de ces organisations.

C'est pourquoi le groupe Démocratie libérale soutient cette initiative, tout en s'interrogeant sur les moyens dont disposera cette commission pour mener des investigations sur les relations financières internationales des sectes. La justice, avec ses sections spécialisées dans les affaires financières, n'est-elle pas mieux armée et plus efficace pour cela ? Au-delà de cette commission d'enquête, qui ne peut avoir qu'un rôle d'information, il faut dès aujourd'hui déterminer les outils adéquats pour lutter face à des organisations puissantes. Ainsi, une politique européenne commune sur le phénomène sectaire apparaît indispensable.

Nous devons non seulement informer nos concitoyens de tous les dangers qui les menacent face à certaines associations, mais encore proposer de réelles mesures législatives propres à contrer le développement et l'enrichissement de ces organisations sectaires.

Soyons conscients et n'ayons pas peur de le dire : les sectes ont la volonté d'infiltrer, notre collègue Rudy Salles l'a dit clairement tout à l'heure, non seulement les centres de décision économiques mais aussi les centres de décision administratifs et financiers.

Le groupe Démocratie libérale votera donc pour la création de cette commission d'enquête sur le pouvoir économique des sectes, en espérant que, au-delà de cette commission, de véritables moyens seront donnés pour lutter contre ce phénomène.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Guyard.

M. Jacques Guyard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de l'unanimité qui s'exprime aujourd'hui à l'Assemblée nationale, comme ce fut le cas en 1995, car elle traduit le fait que, toutes tendances politiques confondues, nous avons la v olonté de défendre ce fondement même de la République qu'est le respect absolu de la dignité intellectuelle, physique et morale de l'homme et de la femme.

M. Alain Néri.

Très bien !

M. Jacques Guyard.

En effet, c'est bien cela qui est en jeu, et il est important de l'affirmer dans cette enceinte.

On a souvent glosé sur d'éventuelles relations entre les sectes et le milieu politique. L'histoire n'en montre presque pas dans notre pays. Le seul exemple patent de relation entre le monde politique et les sectes, déjà vieux de près de vingt ans, s'est incarné en la personne de M. Ceyrac, qui était à la fois député européen du Front national et dirigeant officiel pour la France de la secte Moon. Cette rareté extrême est à l'honneur du Parlement.

N ous nous interdisons cependant d'apprécier les croyances de nos concitoyens, car elles font partie de la sphère des libertés individuelles. Nous nous interdisons également de juger de la sincérité des prises de position ou des fois affirmées : elles ne nous concernent pas, elles ne sont pas de notre compétence. En revanche, chaque fois qu'il y a escroquerie, détournement d'argent, menace sur la santé des hommes, des femmes et des enfants, chaque fois qu'il y a menace sur l'intégrité sexuelle des hommes ou des femmes, nous nous sentons concernés et nous disons que la loi doit intervenir. Or c'est bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Nous sommes face à une situation qui, cela a été souligné, a beaucoup évolué depuis 1995. Il y a eu, en effet, cette étonnante rencontre entre le rapport élaboré par la précédente commission d'enquête, que j'avais eu l'honneur de rédiger, et la découverte des cadavres des adeptes de la secte du Temple solaire, qui a déclenché un mouvement médiatique extrêmement fort, et donc une prise de conscience.

Nous sommes donc mieux armés maintenant pour juger le phénomène. Je prends un seul exemple : en 1995, le ministère de la justice nous avait indiqué que soixante affaires concernant des sectes avaient été traitées par les tribunaux pendant les dix années précédentes.

Actuellement, 170 affaires concernant des dérives sectaires sont portées devant les tribunaux. L'accroissement est énorme et une prise de conscience s'est opérée dans les milieux judiciaires de même que chez les gendarmes et les policiers : ainsi, aujourd'hui, les faits sont recherchés, établis et traités par l'instance judiciaire, et l'information est beaucoup plus large.

Par ailleurs, tous les pays d'Europe ont manifesté le même intérêt que le nôtre face à ce phénomène, et les c ircuits internationaux sont par conséquent mieux connus. On constate que, très souvent, on retrouve les mêmes mouvements dans différents pays, que des circuits financiers se sont organisés et que le phénomène ressemble singulièrement à celui du blanchiment de l'argent de la drogue. D'ailleurs, les croyances véhiculées par les sectes ressemblent assez à l'action de la drogue sur l'individu.

De quoi s'agit-il ? Quels domaines entendons-nous traiter ?


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Nous constatons que la législation française a favorisé le développement d'écoles maîtrisées par des mouvements sectaires. Nous en avons parlé la semaine dernière en examinant une proposition émanant du groupe communiste et un texte qui nous venait du Sénat. Je note d'ailleurs que, dans les deux cas, il s'agissait de propositions d'origine parlementaire. Plusieurs milliers d'élèves sont concernés par ce phénomène. La preuve que la France devient une terre d'accueil nous est fourni par une secte allemande qui est venue s'installer en Lorraine pour créer une école parce que la législation française était plus souple que la législation allemande.

Nous assistons à une floraison de centres de formation et d'organismes de formation professionnelle continue possédés par des sectes, appartenant au cercle dirigeant de certains mouvements, et qui ont parfois passé des marchés importants avec des services publics. Nous avons tous en tête l'exemple de la formation des cadres d'Electricité de France Gaz de France et de travaux réalisés pour les forces de police.

De plus en plus de groupes affirment délivrer des soins paramédicaux, et certains prétendent même guérir n'importe quelle maladie grâce à l'imposition des mains ; ils parviennent souvent, hélas ! à entraîner des médecins dans leur sillage. Des dizaines, voire des centaines de millions de francs sont ainsi dépensés pour des traitements qui n'aboutissent en général qu'à avancer la date du décès.

Il existe également des sociétés de services informatiques qui sont la propriété de ces mouvements, travaillent pour des entreprises, voire pour des organismes publics, et qui, grâce à cette activité, maîtrisent des fichiers, des réseaux de connaissances et de pouvoirs.

Ces mouvements possèdent aussi des imprimeries. La condamnation récente des Témoins de Jéhovah est largement liée au fait qu'ils faisaient travailler plusieurs centaines de personnes, sans leur verser de salaires, sans payer de charges sociales, mais en vendant les produits fabriqués, ce qui engendrait des bénéfices considérables.

Ils ont aussi des agences de voyages. La secte Ivi, par exemple, qui est l'une des sectes guérisseuses les plus redoutables eu égard aux conséquences qu'ont subis certains de ses adeptes, utilise comme pompe à finances principale une agence de voyages dirigée par le fils de la créatrice de la secte, et qui, grâce à la facturation des coûts de voyage, assure une vie généreuse au groupe dirigeant.

On note également des mouvements massifs de legs et de dons, dont il est cependant difficile de faire l'inventaire parce qu'on entre là dans la vie privée, qui doit être respectée. Quand une secte capte la volonté d'un adepte, son premier souci est en général de lui faire donner le maximum de ses biens au mouvement. C'est d'ailleurs lar aison pour laquelle plusieurs de ces mouvements insistent si fortement pour obtenir le statut d'association culturelle reconnu par la loi de 1905, ce qui leur permettrait de recevoir legs et dons sans subir de prélèvement fiscal. Le ministère de l'intérieur, en tant que ministère des cultes, est ainsi soumis à une pression permanente et intense aussi bien de l'Eglise de Scientologie que des Témoins de Jéhovah ou d'autres sectes.

Aux activités économiques directement développées par ces mouvements s'ajoute très fréquemment un travail non rémunéré, en violation du droit du travail, ce qui induit des recettes considérables. Les sectes exportent d'ailleurs souvent les biens fabriqués afin de court-circuiter les contrôles.

Nous souhaitons que la commission d'enquête se fixe pour objectifs de repérer ces réseaux, d'analyser les liens, y compris capitalistiques, aux niveaux national, européen et mondial - car certains réseaux ont une extension planétaire -, de manière à bien distinguer activité associative et activité d'entreprise. En effet, l'activité associative cache souvent une activité économique, même si, à cause des contrôles, de nombreuses sectes ont multiplié les créations d'entreprises de plein exercice.

Enfin, la responsabilité de cette commission d'enquête sera de dire la vérité, en toute liberté et en toute responsabilité. Si le travail que la commission d'enquête a mené en 1995 a été utile, c'est largement dû au fait que celle-ci a publié la liste des mouvements sectaires, lui donnant une publicité que personne n'osait assurer, à cause des risques de poursuites. Nous avons assumé collectivement cette responsabilité, toutes tendances politiques confondues, et cela a contribué à donner à cette information un écho considérable. Je me félicite d'ailleurs que le rapport de 1995 soit le best-seller des rapports de l'Assemblée ; plus d'une dizaine de milliers d'exemplaires ont dû être imprimés pour répondre à la demande des citoyens qui voulaient savoir. Je souhaite que nous poursuivions ce travail qui est, comme l'a dit un orateur précédent, tout à l'honneur du Parlement. Aussi le groupe socialiste voterat-il lui aussi en faveur de la création de cette commission d'enquête, qui sera sans doute, une fois encore, décidée à l'unanimité.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes donc réunis aujourd'hui pour examiner une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête « sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers ».

Cette rédaction est issue de la réécriture en commission des lois de deux propositions de résolution visant à réunir, dans un contexte de développement du phénomène sectaire, des éléments d'information précis sur les aspects économiques des sectes.

Je tiens à le souligner dès à présent, le groupe RPR soutient cette initiative et votera en conséquence cette proposition de résolution.

M. Jacques Floch, rapporteur suppléant.

Très bien !

M. Alain Néri.

Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

M. Thierry Mariani.

Un tel appui ne sera pas habituel ! L'intérêt suscité en France par le phénomène des sectes, lié à de récents événements dont la presse s'est fai t l'écho, tient à la fois à leur prolifération et à la mise en évidence d'agissements répréhensibles qui relèvent par certains aspects du droit pénal.

En ce qui concerne le domaine fiscal et économique, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, force est de constater que les sectes entretiennent un flou réel sur la nature de leur statut et se développent dans une semi-clandestinité propice à la fraude.

C'est ainsi que de nombreuses sectes disposent, semblet-il, d'importantes disponibilités financières ainsi que d'un important patrimoine immobilier.

Or l'évaluation de ces biens est très difficile à établir pour un certain nombre de raisons que je rappellerai rapidement.

Tout d'abord, les sectes sont pour la plupart constituées en association de la loi de 1901 et rendent rarement leurs déclarations fiscales à l'administration. C'est ainsi


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qu'elles sont le plus souvent inconnues de cette dernière, qui éprouve les pires difficultés à les contrôler. De plus, il est fréquent que, pour brouiller les pistes, les sectes changent d'adresse, de dénomination et de dirigeant, ce qui complexifie le travail des services chargés de les contrôler. De nombreuses associations sectaires ont créé des sociétés civiles immobilières pour gérer leur patrimoine, ces sociétés étant sous le contrôle direct ou non du gourou ou d'un groupe d'initiés.

A ces difficultés s'ajoute bien souvent la défaillance fiscale du dirigeant ou des principaux membres de la secte, ce qui hypothèque gravement le recouvrement des dettes.

Enfin, nous pouvons noter que de nombreuses sectes exercent de multiples activités lucratives, plus ou moins occultes, et réalisent de ce fait des bénéfices substantiels,s ouvent par l'intermédiaire de circuits commerciaux complexes qu'il n'est pas aisé de mettre au jour. Sans pouvoir répertorier à ce stade de nos réflexions l'ensemble des anomalies constatées dans la gestion et le financement des sectes, puisque c'est l'objet même de la commission d'enquête que nous allons créer, je souhaiterais insister sur une caractéristique qui semble être commune à la majorité d'entre elles, à savoir leur organisation sous la forme d'une association de la loi de 1901. Ce statut particulier permet en effet à ces organisations de bénéficier d'un cadre légal et de certains avantages, alors que la principale obligation qui leur est faite dans ce cadre, à savoir le but non lucratif, est quotidiennement bafouée.

En effet, comme l'a proclamé Ron Hubbard, fondateur de la scientologie, dans l'un de ses discours, « si l'on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion ».

Cette citation a au moins le mérite de la clarté. Elle dévoile l'objectif ultime des dirigeants de sectes, qui n'est autre que de faire fortune sur le dos des malheureux qui se font abuser.

Je souhaiterais rappeler quelques éléments factuels qui figurent dans le rapport de la commission des lois, et qui méritent à mon sens d'être réitérés à l'occasion de no tre débat en séance publique.

Concernant la Méditation transcendantale, certains estiment que le droit à l'initiation est fixé au quart du salaire mensuel et que le prix d'un cours de « sidhi » s'élève à 40 000 francs.

Pour le Mouvement raëlien, une cotisation de 3 % des revenus annuels nets est demandée pour l'admission au mouvement français, cette cotisation étant portée à 7 % pour l'adhésion au mouvement international et à 10 % pour faire partie du « gouvernement mondial géniocrate ».

C'est ainsi qu'il n'est pas rare de voir des adeptes s'endetter dans des propositions parfois imimaginables pour satisfaire aux exigences financières du gourou de leur secte.

C'est ainsi que des familles entières se retrouvent confrontées à des difficultés économiques inextricables, ce qui ne fait que renforcer leur dépendance à l'égard du mouvement auquel ils appartiennent.

Il s'agit là, pour certains, d'un véritable cercle vicieux, où se mêlent dépendance psychologique et dépendance financière, ce qui constitue, au bout du compte, un véritable piège dont il est souvent difficile de s'extraire.

A u-delà de ces contributions « volontaires », qui prennent la forme de dons, de nombreuses sectes ont constitué des structures commerciales sous forme de SA ou de SARL qui, tout en étant juridiquement indépendantes de la secte elle-même, restent sous le contrôle tant idéologique que financier des principaux dirigeants de l'organisation.

En effet, de nombreux mouvements ont développé des activités purement commerciales et lucratives, dont les bénéfices servent essentiellement à assurer le train de vie des principaux responsables de la secte.

Bien souvent, les bénéfices de ces « sociétés » sont d'autant plus importants qu'ils reposent - les orateurs précédents l'ont souligné - sur un travail sous-payé, quand il n'est pas bénévole, des adeptes, qui sont ainsi, une fois de plus, exploités. Dans certaines sectes, on peut tout à fait parler de retour à une certaine forme d'esclavage.

De plus, ces activités commerciales sont sources de fraudes en tout genre.

En effet, les marchandises à destination de la clientèle particulière, adepte ou non de la secte, dont la valeur ne justifie pas un règlement par chèque, sont achetées en numéraire.

Dès lors, il est aisé de comprendre l'absence de prise en compte des recettes ainsi collectées dans la comptabilité de ces sociétés filiales de la secte, ce qui permet de les soustraire aux divers impôts et taxes auxquels elles devraient pourtant être assujetties.

Ce phénomène de fraude est encore accentué dans le cas de sectes ayant des ramifications dans plusieurs pays, ainsi que des sociétés commerciales multiples, ce qui est de plus en plus le cas.

Face à ces éléments, il nous semble tout à fait indispensable que la représentation nationale puisse disposer d'informations précises afin de mener à terme les indispensables réformes qui s'imposeront pour endiguer ce phénomène.

L'angle financier et fiscal, sous lequel devra travailler la commission d'enquête que nous allons créer, nous semble tout à fait approprié.

En effet, c'est en frappant à ce niveau que nous parviendrons effectivement à déstabiliser les mouvements sectaires.

Trop de nos concitoyens sont abusés par des dirigeants de sectes qui profitent de leur faiblesse pour s'enrichir sans vergogne sur leur dos.

L'aspect financier du phénomène sectaire doit être approfondi et étudié avec minutie par notre assemblée.

L'impact médiatique et informatif d'un rapport parlementaire sur cette question permettra sans nul doute d'alerter nos concitoyens. Cela fait partie de nos prérogatives et de nos missions ; nous devons y faire face.

Certes, nous pouvons parier que la tâche ne sera pas aisée. Cependant, je considère que nous devons la mener avec rigueur et autorité. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe RPR votera cette proposition de résol ution, qui lui paraît particulièrement opportune.

(Applaudissements.)

M. le président.

La discussion générale est close.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Article unique

M. le président.

« Article unique. - Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement, une commission d'enquête de trente membres sur la situation


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers. »

M. Forni a présenté un amendement, no 1, ainsi rédigé :

« Dans l'article unique, substituer aux mots : "trente" le mot : "quinze". »

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch, rapporteur suppléant.

M. Forni souhaite qu'on n'alourdisse pas le fonctionnement de la commission et, pour garantir son efficacité, il propose de fixer le nombre de ses membres à quinze, au lieu de trente. C'est la sagesse même.

La commission des lois a adopté cet amendement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre des relations avec le Parlement.

S'agissant d'une question d'organisation interne à l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'a pas l'intention de formuler des observations et s'en remet par conséquent à la sagesse de l'Assemblée.

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani.

On ne peut pas toujours être d'accord et je parlerai contre la commission.

Je ne comprends pas bien l'argumentation du rapporteur. Est-on moins efficace à trente qu'à quinze ? Dans ces conditions, autant réduire la composition de toutes les commissions d'enquête de l'Assemblée à quinze, et pourquoi pas à dix membres.

Le groupe RPR reste attaché au nombre de trente membres, qui permet à un maximum de nos collègues de faire bénéficier la commission d'enquête de leur expérience.

M. le président.

La parole est à Mme Martine David.

Mme Martine David.

Le groupe socialiste est plutôt d'accord sur cet amendement. Certains d'entre nous ont l'expérience de la commission d'enquête de 1995 et nous estimons qu'un nombre plus restreint de membres permet, sinon d'assurer un meilleur fonctionnement, du moins de garantir la confidentialité des travaux. Le nombre de trente membres nous paraît trop élevé.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

En fixant à quinze le nombre des membres de la commission d'enquête, on permettra la représentation proportionnelle des groupes, ce qui est évidemment le plus important.

Cela dit, on ne peut être insensible aux propos de notre collègue Martine David, qui ne sont d'ailleurs pas contradictoires avec l'efficacité, bien au contraire.

Une commission d'enquête d'un nombre de membres plus restreint que prévu ne serait jamais une garantie absolue de confidentialité - mais existe-t-il une garantie absolue en ce bas monde ? Si la future commission d'enquête fait, comme la précédente, le choix du secret - pour ma part, j'y suis spontanément favorable -, le problème sera de garantir la confidentialité aux personnes auditionnées et donc de leur assurer une protection au moins équivalente à celle d'il y a trois ans.

Or les sectes ne sont pas trop délicates sur les méthodes : on sait que la Scientologie, par exemple, a son service secret. Je rappelle que, lors du dernier débat, Mme Gounord était présente dans les tribunes. J'ajoute que les deux avocats que l'Assemblée nationale avait choisis pour défendre ses intérêts appartenaient au même cabinet que celui qui avait défendu la Scientologie lors du procès de Lyon ! Heureusement, la présidence de l'Assemblée nationale a pris les dispositions qui convenaient pour que nous ne mettions pas ces avocats dans une position déontologique curieuse.

(Sourires.)

Pour toutes ces raisons, j'adhère à la proposition de M. Forni.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Avant de mettre aux voix l'article unique, j'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé :

« Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers. »

Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution, modifié par l'amendement no

1. (L'article unique de la proposition de résolution, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

(Applaudissements.)

Constitution de la commission d'enquête

M. le président.

Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du règlement, avant le jeudi 17 décembre, à dix-huit heures, le nom du candidat qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

La séance est suspendue pour quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président.

La séance est reprise.

3 E GALITE

ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (nos 985, 1240).


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J'observe que, pour l'instant, et en tout cas au banc du Gouvernement, les femmes sont nettement en majorité.

(Sourires.)

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est avec une grande émotion que j'ouvre ce débat sur la parité.

Aujourd'hui, je ne vous parle pas seulement comme garde des sceaux, chargée de vous proposer une révision de la Constitution : je vous parle d'abord comme femme, comme « femme en politique », comme femme ministre de la justice, qui a le grand honneur d'être la première femme garde des sceaux.

En ce moment, je ne puis m'empêcher de penser à toutes celles qui se sont battues, parfois en donnant leur vie, pour que les femmes se voient reconnaître l'égalité de leurs droits de femmes et de citoyennes.

Je pense d'abord à Olympe de Gouges, qui rédigea, en 1791, la déclaration des droits des femmes, laquelle proclamait en son article 10 : « ... la femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Elle fut guillotinée le 3 novembre 1793, cinq jours avant Manon Roland.

Je pense à ces citoyennes qui ont fait la Révolution française, à ces républicaines de Beaumont, qui exigèrent de ratifier par leur vote la Constitution de 1793 alors soumise au suffrage universel masculin. Elles disaient :

« Quand des millions de citoyens acceptent la Constitution [...], quand la France entière célèbre par des transports de joie le retour de sa félicité, quand leurs pères, leurs époux, leurs enfants, leurs frères ont prodigué leur sang pour cette liberté précieuse, les citoyennes n'ont-elles pas aussi le droit de ratifier un acte auquel elles ont si efficacement coopéré [...] ? » Je pense à ces hommes qui ont épousé le combat pour l'égalité des femmes.

A Condorcet, qui se demandait si les législateurs n'avaient « pas violé le principe de l'égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité. »

Je pense au député girondin Guyomar qui affirmait que, si l'on dénie à « la moitié de la population les droits politiques qui sont donnés aux hommes, alors il faut changer l'article I de la Déclaration des droits de 1789 et écrire : "Les femmes naissent et meurent esclaves et inégales en droits. Si les deux sexes ne sont pas égaux, l'immortelle Déclaration des droits contient une mortelle exclusion". »

Je pense à Louise Michel, figure ardente de la Commune de Paris, aux saint-simoniennes, à Eugénie Niboyet, à Hubertine Auclert, à Maria Deraisme, à Madeleine Pelletier, à Louise Weiss, militantes déterminées, et si souvent raillées, du droit de vote.

Je pense aux héroïnes de la Résistance, Lucie Aubrac, B ertie Albrecht, Marie-Madeleine Fourcade, Danielle Casanova, Germaine Tillon ; aux déportées, Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Simone Veil ; à toutes ces femmes connues ou anonymes dans leur héroïsme et à qui nous devons le droit de vote.

Je voudrais saluer tout particulièrement Simone Veil, qui a toujours été à la pointe du combat pour les droits des femmes, qu'il s'agisse du droit de disposer de son corps ou des droits politiques.

Je voudrais saluer également Françoise Giroud, première secrétaire d'Etat à la condition féminine, Monique Pelletier, Yvette Roudy, qui a créé les premières décentralisations, Véronique Neiertz et Michèle André.

De même, je voudrais rendre hommage à celles qui ont contribué à définir puis à acclimater le concept de parité, comme Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, qui ont les premières publié un livre dont le titre incluait le mot « parité », comme encore Régine Saint-Criq, qui a créé l'association « Parité », et Antoinette Fouque, qui a tant fait pour les Editions des Femmes.

M. Robert Pandraud.

Vous allez en oublier !

Mme la garde des sceaux.

Je voudrais saluer également Gisèle Halimi et Roselyne Bachelot,...

Mme Nicole Bricq.

Vous voyez, monsieur Pandraud : ce n'est pas fini !

Mme la garde des sceaux.

... dont les travaux au sein de l'Observatoire de la parité ont débouché sur la révision constitutionnelle à laquelle nous travaillons aujourd'hui.

Enfin, je saluerai toutes celles qui, comme Catherine Tasca, votre rapporteur, ont fait avancer nos lois et qui, sans relâche, se sont battues sous les sarcasmes et les sourires narquois contre la bêtise épaisse du machisme.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Aujourd'hui, après ces femmes, je suis fière d'être à cette tribune et d'avoir l'honneur de vous proposer de modifier le troisième article de notre Constitution, celui qui figure à son titre le plus noble, le titre Ier , intitulé

« De la souveraineté », pour écrire dans cet article qu'il appartient à la loi de déterminer les conditions de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.

Ce faisant, ne nous y trompons pas, nous allons prendre une décision d'une portée symbolique considérable. La nation souveraine ne sera plus une entité abstraite, mais une représentation incarnée d'hommes et de femmes vivant dans leur siècle.

Le projet de loi constitutionnelle que je vous présente met en oeuvre un engagement contenu dans la déclaration d e politique générale du Premier ministre du 17 juin 1997 : « La modernisation de notre démocratie ne suppose pas seulement des réformes institutionnelles ; elle nécessite de profonds changements culturels. Il faut d'abord permettre aux Françaises de s'engager sans entraves dans la vie publique. En ce domaine, le progrès passe d'abord par l'évolution des mentalités et le changement des comportements [...] Mais il faut aller plus loin.

Une révision de la Constitution, afin d'y inscrire l'objectif de la parité entre les femmes et les hommes, sera proposée. »

Cet engagement du Premier ministre a été confirmé par lui lors de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 1998, et il a été accepté par le Président de la R épublique. Certes, comme l'a rappelé le Premier ministre devant l'Assemblée nationale le 9 décembre dernier, le mot « parité » n'est pas prononcé : il lui a été préféré le terme « égalité ». Mais, comme je tâcherai de vous le montrer, l'égalité entre les femmes et les hommes, dans les droits politiques, passe par l'objectif de parité, qui est l'instrument indispensable, en ce domaine, de l'égalité.

Je sais aussi, pour y avoir moi-même participé, que ce débat sur la parité a suscité une intense controverse politique et philosophique. Je n'esquiverai pas ce débat. C'est


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pourquoi, avant d'en venir au projet de loi proprement dit, je partirai du constat qui a imposé l'objectif de la parité avant de vous présenter le projet de loi constitutionnelle visant à modifier l'article 3 du titre Ier de notre Constitution.

Le constat, nous le connaissons tous ici, et il est triste : les femmes sont très peu présentes dans les fonctions et les mandats électifs.

Personne n'ose aujourd'hui contester l'idée que les femmes devraient être plus présentes dans les assemblées élues et qu'elles devraient être plus nombreuses à exercer des fonctions électives. Mais trop nombreux sont encore nos concitoyens qui ne connaissent pas la triste réalité.

Trop de jeunes élevés dans l'égalité ne savent pas que la France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays européens en ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement. Alors que les pays scandinaves comptent 40 % de femmes parmi leurs députés, les Pays-Bas 36 %, l'Autriche, l'Allemagne et l'Espagne 25 %, nous n'avons que 10,9 % de femmes à l'Assemblée nationale, et 5 % au Sénat ! Encore faut-il souligner que, si vous êtes aujourd'hui soixante femmes à siéger à l'Assemblée sur 577 députés, c'est largement en raison de la décision prise par la gauche de présenter au moins un tiers de femmes aux dernières élections législatives.

(« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Avant les dernières élections, ce chiffre était de 6 %, ce qui plaçait la France au soixante-douzième rang derrière des pays comme le Rwanda ou la Syrie.

Sur le plan local, pourtant plus proche des citoyens, la situation n'est pas meilleure. Dans vingt-trois conseils généraux, il n'y a aucune femme. Au sein des conseils municipaux, les femmes sont 21 % mais elles ne représentent que 7 % des maires. Sur 226 communes de plus de 30 000 habitants, il n'y a que sept femmes maires, une femme seulement présidente de conseil général sur 104 et une femme présidente de conseil régional sur vingt-six.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Ce n'est pas brillant !

Mme la garde des sceaux.

Les listes paritaires présentées par la gauche plurielle aux dernières élections aux conseils régionaux ont augmenté le nombre des femmes, mais celles-ci ne sont encore que 25,75 % dans les assemblées régionales.

M. Richard Cazenave.

Qu'est-ce que c'est que ces histoires !

M. Jean-Luc Warsmann.

Nous assistons à un beau numéro de sectarisme !

Mme la garde des sceaux.

Il existe donc un écart

« choquant », terme employé par le Conseil d'Etat luimême en 1996 dans son rapport sur le principe d'égalité entre la part des femmes dans la population et leur représentation dans les assemblées politiques. Mais outre son caractère choquant, une telle discrimination, une telle sous-représentation des femmes aux mandats et fonctions politiques, constitue un grave danger pour l'équilibre de notre démocratie.

Une démocratie vivante doit en effet d'abord et avant tout être le reflet de la société. Comment s'étonner que la politique paraisse si souvent éloignée des réalités, des préoccupations quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, alors que plus de la moitié de la population - les femmes - ont si peu accès aux mandats et aux fonctions politiques ?

Mme Muguette Jacquaint.

Très bonne question !

Mme la garde des sceaux.

Comment expliquer que, deux cents ans après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », cinquante-deux ans après le préambule de la Constitution de 1946 qui proclame que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes », un tel décalage existe encore entre les droits abstraits reconnus aux femmes et la réalité concrète qui admet si peu d'entre elles dans les mandats politiques ? Un tel écart entre les proclamations solennelles et les droits concrets n'est-ce pas d'abord ce que l'on reproche à la politique ? Plus qu'un archaïsme insupportable, la mise à l'écart des femmes de la sphère politique, si elle devait durer et perdurer, serait un vice au coeur même de notre système de représentation politique.

Comment peut-on encore en être là aujourd'hui alors que, depuis l'ordonnance du 21 avril 1944, les femmes ont obtenu le droit de voter ? Elles l'ont obtenu du général de Gaulle qui évoque, dans ses Mémoires de guerre, ce vote comme une évidence. Elles l'ont obtenu du Conseil national de la Résistance, c'est-à-dire du parti communiste, du parti socialiste et du MRP, issu des combats de la Résistance.

M. Robert Pandraud.

Il y avait aussi des indépendants !

Mme la garde des sceaux.

Les femmes ont pris une large part à la Résistance et lui ont payé un lourd tribut.

M. François Vannson.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

Ce droit de vote ne leur a pas été octroyé, il leur a été reconnu. Il est venu comme une consécration du rôle qu'elles avaient joué, non seulement dans la Résistance, mais aussi au cours de la Première Guerre mondiale, comme une reconnaissance de tous les combats auxquels elles avaient pris part, avec le même courage et les mêmes risques que les hommes : la Première Guerre mondiale, la Commune de Paris, la Révolution.

Cinquante-quatre ans après la conquête du droit de vote, il est temps, enfin, que les femmes aient concrètement accès aux mandats et fonctions électives. Certains, inspirés sans doute par Montesquieu, font plus confiance aux moeurs qu'à la loi pour changer un état de fait. Mais nous le voyons, le principe d'égalité existe depuis longtemps dans notre droit et la réalité, pourtant, n'a pas changé. Aujourd'hui, il appartient donc au constituant de parler et c'est précisément parce que les proclamations et les principes d'égalité sont restés lettre morte qu'il faut qu'il s'exprime. C'est pourquoi il faut se fixer l'objectif de la parité afin que s'accomplisse et se réalise pleinement l'idée d'égalité.

Permettez-moi de m'arrêter un instant sur la notion de parité pour vous rappeler d'où elle vient, quelle est sa signification, et sa portée symbolique et politique.

Avant d'être un concept majeur de la pensée politique contemporaine, la parité a d'abord été un mode de fonctionnement adopté par les militants écologistes et féministes. Les Verts ont été les premiers, et je tiens à leur en rendre hommage,...

M. Robert Pandraud.

Ils ne sont pas là !

Mme la garde des sceaux.

... à inscrire dans leurs statuts le principe d'un partage paritaire des responsabilités et des candidatures, promesse qui a été tenue lors des élections européennes de 1989. Cette idée a été relayée par le Conseil de l'Europe qui a organisé un colloque sur


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

la démocratie paritaire. Les réflexions qui ont eu lieu sur la place des femmes dans la prise de décision ont conduit à la déclaration d'Athènes du 3 novembre 1992 selon laquelle la démocratie impose la parité dans la représentation et l'administration des nations.

En France, plusieurs initiatives ont été prises pour que la parité soit inscrite dans notre constitution. Ce fut, en 1993, « Le manifeste des 577 » en faveur de la parité aux élections législatives, signé, cela vaut la peine d'être souligné, par 289 femmes et 288 hommes. Cela montre en effet que le combat de la parité - nous l'avons vu tout à l'heure sous la Révolution avec Condorcet et Guyomar n'est heureusement pas le seul combat des femmes.

En 1995, a été créé l'Observatoire de la parité dont Roselyne Bachelot et Gisèle Halimi ont remis au Premier ministre les conclusions en janvier 1997. Elles ont souligné qu'il fallait passer de la démocratie inachevée dans laquelle nous vivons à une démocratie duelle et que cela impliquait que soit instituée la représentation d'une juste mixité.

En 1996, dix femmes politiques, de droite comme de gauche, ayant exercé des responsabilités importantes, ont signé un manifeste pour la parité.

L'Observatoire de la parité a précisé le contenu et la signification de l'idée de parité. Elle implique en premier lieu que la répartition des hommes et des femmes dans les instances politiques reflète leur répartition dans la population. C'est la raison pour laquelle on en déduit que cette répartition doit être égale ou bien qu'elle doit être équilibrée. A cet égard, l'égalité qui est visée par la parité est incontestablement une égalité de situation.

La parité politique, en deuxième lieu, implique que l'on vise à réaliser cette répartition équilibrée dans le domaine du pouvoir, c'est-à-dire dans le champ politique, et particulièrement dans celui des rapports entre l'électorat et la représentation nationale.

En troisième lieu, le terme de parité, au sens où l'a employé le Premier ministre dont je rappelais la déclaration de politique générale, signifie non un état que l'on veut atteindre, mais un objectif que l'on cherche à réaliser. Ce qui veut dire très clairement que l'idée de parité va au-delà d'une égalité en droit pour viser une égalité concrète, une égalité de situation.

Comme l'a très bien dit Geneviève Fraisse, la parité est

« moins un nouveau principe à inscrire dans la Constitution... qu'un habit de l'égalité ou un instrument pour faire de l'égalité ». Elle a raison de dire qu'en réalité il n'y a pas d'autres principes que celui de l'égalité des sexes. La parité est un instrument, un déclencheur pour traiter l'ensemble de la question des rapports hommes-femmes dans la société, non seulement dans le champ politique mais également dans le champ social et professionnel.

Instrument de l'égalité, la parité est en même temps un objectif dont il convient de se rapprocher soit en obligeant, soit en incitant. Le texte que le Gouvernement vous propose se range dans la catégorie de ceux qui veulent promouvoir un mouvement, une démarche, dont la justification est l'objectif de parité. Il s'agit de permettre au législateur de déterminer les conditions dans lesquelles la parité est organisée. Mais qu'il soit bien clair, en tout état de cause, que l'habilitation constitutionnelle donnée à la loi peut permettre soit l'obligation soit l'incitation. Au législateur d'en décider et certainement pas au juge constitutionnel.

Mme Odette Grzegrzulka et Mme Véronique Neiertz.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Quelle est la portée symbolique et politique de la parité ? Je reviendrai un instant sur les objections que ce concept a soulevées et sur le débat concernant l'universalisme du droit qui a été et reste particulièrement vif en France. Dans ce débat, de grands noms de notre vie intellectuelle et politique se sont affrontés. Pour les uns et les unes, l'idée de parité remettrait en cause l'idée traditionnelle d'égalité entre citoyens, égalité conçue abstraitement sans considération de race, de religion, d'opinion ou de catégorie. En introduisant la parité dans notre Constitution, on introduirait l'idée de discrimination positive pour certains groupes.

Introduire la parité serait alors reconnaître l'existence de minorités, ce qui pourrait conduire à une dérive communautariste. Après les femmes, les minorités ethniques, géographiques, linguistiques pourraient être tentées de s'engouffrer dans la brèche. Introduire la parité serait remettre en cause l'unité de la nation et l'indivisibilité de la République. Enfin, introduire la parité signifierait que le biologique fait la loi en politique et que les solidarités sexuelles l'emportent sur les solidarités d'opinions. Cette position est défendue avec talent par des hommes et des femmes que je respecte infiniment, et particulièrement par Elisabeth Badinter. Mais je ne suis pas d'accord avec ce raisonnement...

Mme Yvette Roudy.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

... et mes collègues, dont je veux souligner la présence ici aujourd'hui, Martine Aubry, Ségolène Royal, Nicole Péry, non plus puisqu'elles sont là avec moi pour défendre une autre conception.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Nous ne sommes pas d'accord avec ce raisonnement, car à force de défendre un universalisme abstrait, on gomme l'histoire et la réalité.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Les femmes ont été exclues de la citoyenneté parce qu'elles étaient des femmes. D'ailleurs, dans l'histoire intellectuelle et philosophique, les femmes n'ont jamais été pensées en tant que telles, elles ont toujours été englobées dans des catégories politiques inférieures, Geneviève Fraisse l'a démontré avec beaucoup de pertinence.

Le neutre, dont on se réclame, a en réalité servi la domination masculine.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

C'est pourquoi la question de la féminisation du langage, des titres et des fonctions a une telle importance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pourquoi accepte-t-on facilement de dire la secrétaire ou la professeur, mots invariables et dont la féminisation ne s'exprime que par l'article qui le précède, et pourquoi répugne-t-on à dire la ministre ?

M. Robert Pandraud.

On ne peut pas féminiser l'homme public !

Mme la garde des sceaux.

D'abord, parce que les professions de secrétaire et de professeur sont aujourd'hui très largement féminisées et que le langage, heureusement, suit la réalité. Mais si l'on ne veut pas dire la ministre, c'est parce qu'il s'agit en réalité de reconnaître la féminisation d'une fonction de pouvoir et du pouvoir, qui reste dans notre pays le plus rétif à la féminisation : le pouvoir politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radi-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

cal, Citoyen et Vert.) Comme le dit excellemment la linguiste Josette Rey-Debove, « on ne peut laisser subsister une langue achaïque dans une société moderne », parce que le langage a tout simplement une fonction structurante dans la société. Il faut donc, si l'on veut que les fonctions politiques et les fonctions de direction en général s'ouvrent aux femmes, accepter de féminiser le langage.

Contre l'idée que nous serions engagés dans une dérive communautariste, je dirai que les femmes ne sont pas un groupe ou une communauté ou une catégorie ou une minorité. Elles sont tout simplement la moitié de l'humanité.

Mme Nicole Bricq.

Eh bien voilà !

Mme la garde des sceaux.

Ainsi que le dit la philosophe Sylviane Agacinski, « si l'universalisme consiste, de f açon abstraite, à ignorer absolument la différence sexuelle, c'est-à-dire l'essentielle mixité du genre humain - comme l'ont toujours fait aussi la religion et la philosophie - alors, il faut faire la critique de l'universalisme et montrer que toutes les fois qu'on efface absolument la différence sexuelle, on identifie en réalité le genre humain à un seul sexe, celui de "l'homme"... L'humanité est universellement sexuée, elle est universellement mixte. C'est seulement ainsi que l'on échappe à la logique d'un universalisme d'exclusion celui qui, ne reconnaissant ni hommes ni femmes, mais seulement "le citoyen", couvre un sexisme de droit, comme en 1789, ou un sexisme de fait, comme aujourd'hui. »

Plusieurs députées du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

En introduisant l'idée de parité dans notre Constitution, nous ne cherchons pas à renverser l'oeuvre de la Révolution française. Nous cherchons au contraire à l'accomplir. L'année 1789 a marqué solennellement la disparition des castes et des ordres et en principe des distinctions entre les hommes qu'ils soient blancs ou qu'ils soient noirs. Mais faut-il que je vous rappelle aussi qu'il a fallu d'autres batailles, d'autres mobilisations pour que le code noir soit aboli ; sous la seconde République seulement, le 27 avril 1848.

Aujourd'hui, il ne s'agit pas de réintroduire un clivage sexuel, il s'agit simplement de mettre fin à l'exclusion implicite et silencieuse des femmes de la représentation politique, instituée par la Révolution française et inscrite en droit civil par Napoléon dans le code.

Mme Yvette Roudy.

En effet !

Mme la garde des sceaux.

Aujourd'hui, il s'agit d'abolir les obstacles qui persistent sur le chemin de l'égalité. Nous pensons que cette abolition des obstacles à l'égalité entre les hommes et les femmes s'agissant des mandats et fonctions électives passe par une réforme de la Constitution.

Pourquoi faut-il réformer la Constitution pour permettre la parité ? Parce que la démonstration a été faite au début des années 80, il y a déjà seize ans, qu'une simple loi ne suffisait pas pour assurer la parité entre les femmes et les hommes dans la représentation politique.

Vous vous souvenez qu'après une première initiative prise, à la fin des années 70, par Mme Pelletier, de limiter dans le cadre des élections municipales et uniquement pour les communes de plus de 30 000 habitants à 80 % le nombre de candidats du même sexe sur les listes, c'est le projet de loi de réforme des élections municipales qui a introduit, en 1982, un quota de 75 % de personnes du même sexe sur les listes, proposition défendue par Mme Gisèle Halimi. Mais la loi, une fois votée, a été défférée au Conseil constitutionnel et celui-ci, dans une décision du 18 novembre 1982, a censuré cette disposition.

Se référant à l'article 3 de la Constitution et à l'article VI de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a fondé son invalidation sur le principe général selon lequel il n'existe en droit français que des citoyens dont l'accès au droit de vote et à l'éligibilité n'a de limites que l'âge, la nationalité et la capacité. Il a donc jugé que l'instauration de quotas était inconstitutionnelle.

Je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé d'une telle décision. D'autres l'ont fait, je n'y reviendrai pas. Je vous ai donné notre opinion. Elle est assez claire, je crois.

Qu'on la critique ou qu'on la loue, cette décision existe.

Dans sa démonstration, le Conseil constitutionnel ne s'est pas appuyé sur le préambule de la Constitution de 1946, qui garantit l'égalité de droit entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. Il a préféré s'appuyer sur l'article 3 de la Constitution de 1958 et sur l'article VI de la Déclaration de 1789 pour privilégier une conception universaliste et égalitaire du concept de citoyenneté.

Ainsi, il s'est opposé à toute intervention du législateur qui diviserait par catégorie les électeurs ou les éligibles dans l'expression du suffrage. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a fermé la voie législative pour adopter des mesures permettant de tendre vers l'objectif de la parité.

Je partage l'opinion qui veut que jusqu'à ce que le peuple ait, par un acte solennel et légal, annulé ou changé la forme de la Constitution, nous devons tous y être individuellement et collectivement soumis. Mais je partage aussi ce principe fondamental du gouvernement républicain qui reconnaît au peuple le droit de changer la Constitution lorsqu'il la croit contraire à son bonheur.

Mme Yvette Roudy.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Si notre constitution telle qu'elle est interprétée par le Conseil constitutionnel empêche de concevoir que l'humanité est sexuée, alors il nous faut modifier la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Comme l'a dit le Premier ministre le 8 décembre 1998 à l'UNESCO, l'égale et pleine participation des femmes à la vie politique, civile, économique, sociale et culturelle, doit être un objectif prioritaire et, pour cela, il nous faut modifier notre constitution. C'est ce que je vous invite à faire aujourd'hui.

Dans une rédaction qui vous a été soumise, le conseil des ministres avait retenu la formulation selon laquelle

« la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions ». Les choses doivent être claires : cette formulation ne reprend pas, sous une autre forme, le principe de l'égalité des droits déjà énoncé par le Préambule de la Constitution de 1946. Une telle répétition serait inutile.

Le constituant, en revanche, intervient ici pour permettre au législateur de prendre des mesures qui donneront un contenu concret à l'égalité proclamée en 1946.

Sur ce fondement, la loi pourra intervenir pour prendre les mesures en faveur des femmes.

La parité a évidemment vocation à s'inscrire dans les faits aux élections aux scrutins de liste. C'est le cas pour les élections régionales, pour les élections européennes et pour une partie des élections municipales et sénatoriales.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Pour les scrutins de liste, il conviendra que le législateur décide s'il veut imposer la parité, comme l'a voulu l'Assemblée nationale dernièrement, lorsqu'elle a examiné le projet de loi modifiant le mode de scrutin aux élections régionales.

S'agissant des élections au scrutin uninominal, et au premier chef les élections législatives, il est bien évident, comme l'a rappelé le Premier ministre ici même le 9 décembre 1998 en réponse à M. Rossi, que cette révision constitutionnelle sise sur la parité n'est aux yeux du Gouvernement en aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte, dans l'avenir, à une modification des modes de scrutin et tout particulièrement du mode de scrutin législatif.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

C'est clair !

M. Richard Cazenave.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Le Premier ministre l'a exprimé avec netteté : « le Gouvernement à cet égard n'a pas de projet ».

Nous discutons aujourd'hui de la parité sans arrièrepensée. Nous n'utiliserons pas la parité comme prétexte pour élargir le champ des scrutins proportionnels, même s'il est vrai que ceux-ci la facilitent.

En revanche, pour les scrutins uninominaux, le législateur pourra inciter à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis politiques.

Je rappelle que celui-ci découle de la loi du 11 mars 1988 modifiée par la loi du 15 janvier 1990 qui institue une aide publique au financement des partis répartie en deux fractions.

Mme Yvette Roudy.

Voilà !

Mme la garde des sceaux.

On pourrait imaginer une modification de ce dispositif législatif pour faire en sorte que les partis qui ne tendraient pas à la parité soient pénalisés sur le plan du financement public. Il est clair aussi qu'une telle pénalisation devrait être proportionnée pour ne pas conduire « à méconnaître l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions qui constitue le fondement de la démocratie » comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 janvier 1990.

S'agissant de la parité politique, votre commission des lois, après avoir entendu des constitutionnalistes éminents, a préféré une autre rédaction que celle qui était proposée par le Gouvernement, de façon à faire apparaître plus clairement encore que c'est au Parlement qu'il appartiendra de mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de la parité.

Vous vous êtes ralliés à la formulation proposée par la présidente de votre commission des lois : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions » craignant, en effet, que la formule proposée par le Gouvernement n'incite le juge constitutionnel à déterminer luimême le contenu concret de la parité.

Ce dernier aurait pu dire qu'il considérait qu'une loi ne favorisait pas l'égal accès, ne favorisait pas assez ou favorisait trop la parité. En revanche, en disant clairement par la formulation que vous avez retenue que « la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats », vous assurez que les modalités de cette dérogation seront bien déterminées par la loi.

Enfin, je me réjouis de constater que la commission des lois a partagé le choix du Gouvernement de circonscrire le champ de la révision au domaine politique. A cet égard, qu'il soit clair, sans qu'on ait besoin de le mentionner, qu'il s'agit des mandats et fonctions politiques, puisque la disposition est insérée justement à l'article 3 de la Constitution.

Cette limitation n'exclut évidemment pas la mise en oeuvre de la parité au sein d'organismes qui ne sont pas l'expression de la souveraineté. En effet, et comme je l'ai rappelé, la censure par le Conseil constitutionnel en 1982 était fondée sur l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté politique. En revanche, la Haute juridiction, à plusieurs reprises, a admis qu'en matière économique ou fiscale, le législateur mette en place des mécanismes pour compenser certains handicaps. Par exemple, par la décision du 26 janvier 1995, elle admet que le fait de mettre en place, dans certaines zones seulement, une procédure d'agrément administrative « loin de méconnaître le principe d'égalité, constitue le moyen d'en assurer la mise en oeuvre ».

Dans sa décision du 21 janvier 1997, le Conseil a aussi jugé que le législateur était habilité à prendre des mesures appropriées pour prévenir des ruptures caractérisées du principe d'égalité.

Ainsi, la parité pourrait parfaitement s'appliquer aux élections sociales dans les organismes consulaires et pour les élections étudiantes. D'ailleurs, une étude sera confiée à l'Observatoire de la parité ; Nicole Péry nous dira dans quelles conditions tout à l'heure.

Il faut également réfléchir à la mise en oeuvre du principe de parité au sein de la fonction publique. Elle relève plus de la volonté politique exprimée au travers des nominations à la discrétion du Gouvernement que de dispositions législatives. S'il ne peut, évidemment, pas être question de rétablir les concours par sexe, il faut pourtant mettre en oeuvre une plus grande mixité des jurys de concours ; cela devrait constituer l'un de nos objectifs principaux.

La France a souscrit de nombreux engagements internationaux qui sont destinés à assurer l'égalité des hommes et des femmes en matière d'emploi et de rémunérations, au premier rang desquels figure l'ancien article 119 du traité instituant la Communauté européenne qui dispose, grâce à la modification introduite par le traité d'Amsterdam, qu'il faut abolir toute forme de discriminations, dont les discriminations entre les sexes.

Il s'est passé pour l'Europe - je crois que c'est important de le souligner - ce qui vous est proposé aujourd'hui.

Une décision de la Cour européenne de justice avait en effet proscrit les « mesures positives » en faveur des femmes : il s'agit de l'arrêt Kalanke du 17 octobre 1995 de la Cour de justice des Communautés européennes à propos du droit du travail dans la ville de Brême, en Allemagne. Et c'est parce que cet arrêt interdisait la prise de mesures positives qu'il y a eu une réplique, de la part du politique, dans la norme suprême - la Constitution chez nous, le traité pour l'Union européenne.

La réplique européenne, c'est le nouveau paragraphe de l'article 141 du Traité d'Amsterdam que j'ai, en tant qu'ancienne parlementaire européenne - et Nicole Péry ne me démentira pas -, quelque raison de bien connaître, puisque c'est au nom du Parlement européen que nous l'avons proposé. Il permet aux Etats de « maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle


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par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou à compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ». Il peut désormais servir de fondement aux mesures positives prises en faveur des femmes dans le domaine professionnel. Evidemment, beaucoup reste à faire. J'en veux pour preuve mon propre ministère, où la parité entre les femmes et les hommes est globalement réalisée : les h ommes représentent 52 % des magistrats, les femmes 48 %. Mais, dans les fonctions les plus élevées, des disparités importantes continuent d'exister puisque deux femmes seulement occupent les fonctions de première présidente sur 35, 26 seulement sont présidentes de tribunaux de grande instance et 21 sont procureurs de la République - sur 181. Il est vrai que si la féminisation est forte, elle est récente, et souvent, les femmes n'ont pas l'ancienneté requise pour pouvoir accéder à ces fonctions de direction. Mais cela ne doit pas nous décourager car, hélas, bien d'autres prétextes sont invoqués pour éviter la promotion des femmes.

Nicole Péry, ma collègue secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, vous parlera plus longuement des mesures concrètes qui permettront de favoriser la parité dans la sphère sociale et professionnelle. Elle éclairera aussi l'Assemblée sur les actions que le Gouvernement entend entreprendre à la suite de la révision constitutionnelle.

Mesdames et messieurs les députés, je vous propose aujourd'hui de jeter les bases d'une vie politique et démocratique renouvelée.

Le débat d'aujourd'hui est le point d'aboutissement du long combat qui a été mené depuis la Révolution française par toutes les femmes qui ont voulu conquérir l'égalité politique, mais aussi un point de départ pour la mise en oeuvre d'une véritable démocratie paritaire, dans sa dimension politique, sociale et professionnelle.

Il appartiendra au Parlement de se saisir pleinement de la responsabilité que la réforme constitutionnelle lui confère pour donner un contenu concret à la parité.

Votre commission des lois vous y invite en soulignant les perspectives qu'ouvre une telle réforme.

Je souhaite rendre un hommage particulier au travail qu'elle a accompli et notamment à sa présidente, Catherine Tasca, qui en acceptant d'être la rapporteure du texte, a, une fois encore, démontré la constance de ses convictions et la force de son engagement.

Ce projet de réforme constitutionnelle présenté par le Gouvernement et que votre commission des lois vous propose d'adopter, avec la modification introduite, constitue une étape essentielle de la modernisation de notre vie politique, un signal fort pour encourager les femmes à prendre la place qui leur revient dans l'action politique, une décision d'une grande portée symbolique car elle incarne dans les deux sexes la souveraineté, et donne ainsi une vitalité nouvelle à notre démocratie et tout son sens à notre devise républicaine : « Liberté, égalité, fraternité ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, j'ai conscience, comme Elisabeth Guigou, comme vous, de vivre un moment important pour notre démocratie, pour la rénovation de la vie politique et pour la modernisation de notre société.

J'ai aussi conscience, comme vous, que par la révision constitutionnelle proposée, les femmes ont aujourd'hui un certain rendez-vous avec leur histoire.

Le débat sur l'égalité effective entre les hommes et les femmes qui s'ouvre aujourd'hui, nous le devons d'abord à la persévérance des mouvements féministes et, plus largement, à l'engagement déterminé de certaines associations, de syndicats et de partis politiques.

Je me reconnais pleinement dans ce mouvement. Vous me permettrez d'exprimer quelques mots d'ordre personnel à ce sujet.

Je ne pouvais imaginer, lorsque je militais pour les droits des femmes et réclamais, avec d'autres femmes, des battantes qui sont aujourd'hui sur les bancs de cette assemblée, un timide quota- tant décrié - de 20 % dans les instances de mon parti, que 20 ans plus tard, nous débattrions de la parité dans les assemblées politiques et qu'au surplus, il me reviendrait l'honneur et le plaisir de porter, avec la ministre de la justice, ce texte devant la représentation nationale.

Cette évolution, on la doit aussi aux grandes figures qu'Elisabeth Guigou a évoquées il y a quelques instants, qu'elles appartiennent aux siècles passés ou à notre histoire contemporaine. Elles symbolisent le plus souvent l'audace intellectuelle et le courage politique. Je m'associe pleinement à l'hommage qui leur a été rendu.

Je ne me livrerai qu'à une très brève évocation historique, puisque le Premier ministre et Martine Aubry me demandent avant tout de me saisir du présent.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame que : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cependant, en cette même année 1789, lors des débats préparatoires à la formation des assemblées, le principe du droit de vote pour les femmes n'est même pas évoqué ! Mme Elisabeth Guigou a évoqué le nom d'Olympe de Gouges, qui, en 1791, rédige une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont l'article 1er fixe que

« La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits ».

Pourtant, les femmes devront attendre plus d'un siècle et demi pour se voir reconnaître l'égalité civique avec les hommes. Ce sera, enfin, chose faite, à la Libération, avec l'ordonnance du 21 avril 1944 qui dispose : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »

La question de l'égalité dans la représentation ne se pose pas alors.

Une fois électrices et éligibles, les femmes égales des hommes devraient se voir, naturellement, confier les mandats politiques jusqu'alors réservés aux hommes.

Il me serait facile de vous citer de nombreux morceaux choisis, renvoyant à une vision archaïque de la place des femmes dans notre société, de nombreuses expressions empreintes d'une misogynie vulgaire - phrases d'hommes illustres ou moins illustres. Chacun connaît les difficultés qui ont toujours entravé l'accès des femmes à la vie politique et, plus largement, à la vie publique et au pouvoir.

On a dit qu'une femme qui exerce son intelligence devient folle, laide et guenon. On a dit pire encore ! Chacun sait bien que la capacité des femmes pour exercer des responsabilités n'est pas en cause.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Parce que les femmes représentent la moitié de notre population et qu'elles sont porteuses et riches d'autant de talents et d'intelligence que les hommes ; parce que la sous-représentation des femmes à la prise de décision ne permet pas l'expression de valeurs et d'idées différentes et que la place marginale laissée aux femmes dans notre société ne peut être acceptée plus longtemps ; parce que l'égalité formelle et effective entre les femmes et les h ommes constitue un droit fondamental de l'être humain, le Premier ministre a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un des pilliers de la rénovation de notre vie politique et de la modernisation de notre société.

Elisabeth Guigou nous a brillamment exposé les fondements de la réforme et les possibles prolongements que l'on peut en attendre dans la vie politique.

Elle a tracé les voies sur lesquelles nous devons désormais nous engager pour assurer l'application effective de la réforme constitutionnelle, comme l'instauration de la parité pour les élections régionales ou européennes que nous pourrons atteindre par de nouveaux textes de loi.

S'agissant de l'Assemblée nationale, nous nous heurtons, vous le savez, à de plus grandes difficultés de mise en oeuvre. Comme l'a rappelé le Premier ministre au président Rossi, notre « démarche a sa justification en ellemême, elle n'obéit à aucun autre motif ». Elle n'est pas un prétexte à une modification des modes de scrutin et, plus particulièrement, du mode de scrutin législatif.

Notre discussion sur la parité doit se faire sans arrièrepensée.

Mais, sachez-le, nous poursuivons notre réflexion afin d'atteindre, là aussi, l'égal accès des femmes et des hommes dans la représentation. L'une des pistes, déjà évoquée par Lionel Jospin lors des présidentielles de 1995, consisterait à aménager les règles de financement des partis politiques pour les inciter à s'engager plus résolument sur le chemin de l'égalité. Quoi qu'il en soit, la présence beaucoup plus nombreuse de femmes élues dans la vie politique municipale, régionale, européenne, produira un effet d'entraînement certain pour les autres élections.

Pour nourrir réflexions et propositions, je souhaite largement m'appuyer, dans cette importante tâche, sur l'Observatoire de la parité. Cette instance, créée le 18 octobre 1995, sera renouvelée dans les jours qui viennent. Ses membres seront un peu plus nombreux et choisis, certes, parmi les élus, mais aussi parmi les spécialistes de l'emploi et de la formation professionnelle, les sociologues, les journalistes, les historiens ; il réunira ceux qui, aujourd'hui, travaillent individuellement sur les divers aspects de la question des femmes.

Nous proposons au Président de la République de nommer Mme Dominique Gillot, députée, aux fonctions de rapporteur. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Sa compétence en matière sociale n'est plus à démontrer, ni son intérêt pour les droits des femmes. Elle succédera à Roselyne Bachelot, que je tiens à saluer en raison de la qualité du travail accompli, sous son égide, par les commissions de l'observatoire, et notamment la commission politique que présidait Gisèle Halimi.

Dans le champ politique, d'abord, il nous faudra déterminer les élections visées, les échéances et les modalités pratiques pour parvenir à l'égalité effective de la participation des femmes à la vie politique. Je souhaite que les conclusions de l'Observatoire de la parité me parviennent avant la fin du premier semestre 1999.

En matière professionnelle et sociale, une vaste concertation doit s'ouvrir, notamment avec les partenaires sociaux. Comment établir la parité dans les instances, les commissions, les organismes publics, les organisations professionnelles et syndicales ? Comment inciter à la parité aux échelons de direction et d'encadrement dans l'entreprise et les instances sociales ? En ce domaine, il est indispensable, avant toute décision, que l'observatoire recense, collecte et vérifie l'ensemble des données en notre possession.

Le projet de loi constitutionnelle initialement soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat proposait une formulation dépassant le seul domaine politique. Il était en effet proposé d'insérer dans l'article 34 de la Constitution l'alinéa suivant : « La loi organique peut fixer des règles favorisant l'égal accès des femmes et des hommes a ux responsabilités politiques, professionnelles et sociales... »

Le Conseil d'Etat n'a pas suivi le Gouvernement sur cette voie. Il a en effet estimé qu'une révision constitutionnelle n'était utile que pour habiliter le Parlement à prendre, par voie législative, des dispositions dérogeant aux principes de l'indivisibilité, de la souveraineté et de l'universalité du suffrage, tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel.

En matière professionnelle, économique ou sociale, Elisabeth Guigou l'a rappelé, le Conseil d'Etat considère que le législateur peut d'ores et déjà, sans encourir la censure constitutionnelle, prendre toutes mesures tendant à assurer aux femmes une part équilibrée dans les fonctions de responsabilité.

De tels dispositifs pourront être mis en place sur le fondement du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose notamment : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »

Rappelons également que, par la loi du 1er juillet 1983, la France a ratifié la convention de New York sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes. Or l'article 4 de cette convention précise :

« L'adoption par les Etats parties de mesures temporaires visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les femmes et les hommes n'est pas considérée comme un acte de discrimination tel qu'il est défini par la présente convention. »

Le Conseil d'Etat a également constaté que le traité d'Amsterdam contenait une disposition ajoutant à l'actuel article 119 du traité de Rome un paragraphe relatif à l'égalité des hommes et des femmes dans la vie professionnelle. Elisabeth Guigou vous en a déjà donné lecture.

C'est l'ensemble de cette construction juridique qui a conduit le Gouvernement à suivre l'avis du Conseil d'Etat et à limiter la révision constitutionnelle au domaine politique.

Mais le Gouvernement n'entend pas pour autant abandonner la volonté, qu'il a exprimée à de nombreuses reprises, d'assurer aux femmes une plus large place dans l es responsabilités professionnelles, économiques et sociales. Car, vous le savez bien, la véritable parité, c'est celle que les femmes vivent au quotidien, dans leur travail, leurs activités sociales, syndicales et, bien sûr, familiales.

Je souhaite donc, pour ma part, brosser à larges traits la signification que peut revêtir le concept de parité, lorsqu'il vise la fonction publique ou la vie professionnelle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

La fonction publique nationale est largement féminisée.

En effet, 56 % des agents civils de l'Etat sont des femmes. La poussée est forte dans certains secteurs, comme la magistrature. Mais la situation des femmes apparaît bien différente lorsque l'on examine les emplois supérieurs de l'Etat. Ainsi, au 1er juin 1996, on recensait 12 femmes directeurs d'administration centrale sur 165, soit 7 % ; 9 ambassadeurs sur 157, soit 6 % ; 3 préfets sur 117, soit 3 % ; 109 inspecteurs généraux sur 608, soit 18 %. Les noms de toutes ces fonctions devront d'ailleurs être féminisés.

Pourtant, nul ne peut encore prétendre que l'Etat ne dispose pas de candidates en nombre suffisant ou posséd ant les compétences et l'expérience requises pour occuper ces postes. Le vivier constant que constitue notamment l'ENA permet d'alimenter les ministères et organismes publics en candidates. En 1997, 35 % de femmes ont été reçues au concours.

Afin d'assurer l'égalité des chances dans les processus de décision ou de désignation, le ministre de la fonction publique a, d'ores et déjà, invité l'ensemble des ministres à veiller à l'équilibre entre les femmes et les hommes lors des désignations des membres de jurys de concours et desr eprésentantes de l'administration siégeant dans les commissions et conseils. M. Zuccarelli a, à cette occasion, réaffirmé le souci du Gouvernement de faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. C'est ainsi que le rapport établi tous les deux ans, en application de la loi du 11 janvier 1984 portant statut des fonctionnaires, pour dresser le bilan des mesures prises afin de garantir l'égalité dans la fonction publique, devra désormais être complété par des informations sur les discriminations subies par les femmes au cours du déroulement de leur carrière.

Si l'information est nécessaire, l'action, elle, est indispensable.

Nos voisins européens se sont souvent dotés de dispositifs détaillés pour assurer aux femmes toute leur place dans la fonction publique. En France, le chantier de la réflexion est ouvert. M. Zuccarelli a chargé Mme AnneMarie Colmou, conseillère d'Etat, d'une vaste mission d'investigation sur les obstacles qui empêchent les femmes d'accéder aux responsabilités dans la fonction publique.

J'ai bon espoir que le rapport de Mme Colmou contiendra des propositions réelles, de nature à changer la situation.

Quelques mots, maintenant, sur la parité professionnelle.

Les femmes sont aujourd'hui 11,5 millions à travailler, soit deux fois plus qu'en 1960. Entre vingt-cinq et quarante-neuf ans, 80 % d'entre elles ont une activité professionnelle. Le premier et même le second enfant ne les écartent plus du marché du travail puisque près de trois quarts des femmes mariées et mères de deux enfants sont actives.

L es femmes restent surtout majoritaires dans les emplois peu qualifiés : 60 % d'entre elles sont ouvrières ou employées. Pourtant, actuellement, 120 filles accèdent à l'enseignement supérieur pour 100 garçons. Je me permets de poser la question : où sont-elles ? Dans le secteur économique, aucune ne se trouve à la tête des deux cents plus grandes entreprises françaises.

Les inégalités femmes-hommes perdurent également en matière de salaire, les hommes gagnant, en moyenne, 27 % de plus que les femmes. L'écart est de 12 % pour un même emploi, malgré la loi d'Yvette Roudy du 13 juillet 1983.

Dans ce domaine, la négociation collective n'est pas très dense, la situation économique des entreprises et les problèmes de l'emploi ayant très certainement conduit les n égociateurs à s'investir dans d'autres champs.

Depuis 1983, trente-deux plans d'égalité et, depuis 1987, 1 200 contrats pour la mixité des emplois ont été signés.

Il ressort de ces chiffres que ces « outils » de l'égalité professionnelle ne sont pas assez utilisés ; ce sont peut-être des dispositifs lourds à gérer et que nous devrons vérifier.

La persistance des inégalités nous a conduites, Martine Aubry et moi-même, à demander au Premier ministre de charger Mme Catherine Génisson, députée, d'une mission d'analyse et de réflexion sur ce sujet. Elle devra s'attacher à effectuer le bilan, à ce jour, des inégalités existantes, à évaluer l'efficacité des dispositions juridiques actuelles et à proposer la mise en oeuvre de nouvelles mesures. Nous souhaitons, Martine Aubry et moi-même, d isposer de l'ensemble de ses réflexions au mois d'avril 1999.

Il lui reviendra de nous présenter toute mesure ou proposition de nature à faire progresser, dans notre droit mais aussi dans notre réalité quotidienne, une réelle égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Elle devra également préciser les mesures visant à renforcer l'application effective de la loi du 13 juillet 1983 d'Yvette Roudy.

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement veut améliorer la place des femmes sur le marché du travail, accroître leur présence dans tous les lieux de pouvoir, qu'ils soient politiques, publics, syndicaux ou associatifs, assurer à toutes le respect de leurs droits propres et le droit à la dignité. Il y a là un véritable engagement de parvenir à une répartition équilibrée des responsabilités dans toutes les sphères de la vie.

Laisser faire les choses, ce serait, par exemple, attendre l'an 2082 pour atteindre la parité dans les conseils généraux.

La volonté politique a permis de réelles avancées. Vous êtes soixante-trois femmes députées dans cet hémicycle, plus nombreuses à ma gauche indéniablement. Mais il faut aller de l'avant.

Tel est bien le pari que fait le Gouvernement : ouvrir un chantier ambitieux où la parité entre les femmes et les hommes fonderait un nouveau fonctionnement de notre démocratie et de notre société tout entière, souhaité par 80 % des Françaises et des Français.

Nous avons des objectifs à tenir ensemble, des actions à mener en commun. Nous devons dépasser nos clivages traditionnels et nous retrouver pour soutenir ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, « En vain prétend-on que l'égalité civile accordée à la femme a pour corollaire nécessaire son émancipation politique.

C'est méconnaître absolument le rôle de la femme dans l'humanité. Destinée à la maternité, faite pour la vie de famille, la dignité de sa situation sera d'autant plus grande qu'elle n'ira point la compromettre dans les luttes de forum et dans les hasards de la vie publique. »


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Mme Véronique Neiertz.

Ça, c'est vrai ! (Sourires.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

« Elle oublierait fatalement ses devoirs de mère et d'épouse, si elle abandonnait le foyer pour courir à la tribune. On a donc parfaitement raison d'exclure de la vie politique les femmes et les personnes qui, par leur peu de maturité d'esprit, ne peuvent prendre une part intelligente à la conduite des affaires publiques. »

Mme Véronique Neiertz.

Qu'elles retournent à la maison !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Voilà, mes chers collègues, par quels arguments, à la fin du siècle dernier, en France, M. Emile Morlot, un député parmi d'autres, justifiait que l'on tienne les femmes éloignées de la citoyenneté.

Si j'ai tenu à débuter mon intervention par cette citation qui semble heureusement d'un autre âge, c'est pour rappeler simplement à quel mur d'incompréhension et de mauvaise foi les femmes ont été pendant trop longtemps confrontées dans leur légitime aspiration à l'égalité politique.

Tout cela peut nous paraître lointain, car nous sommes aujourd'hui à la fin d'un siècle qui aura vu les femmes s'affranchir peu à peu de la domination masculine. Que de chemin parcouru depuis les débats du Sénat de novembre 1922, où l'on rejeta le droit de vote des femmes au prétexte que leur reconnaître ce droit était les vouer à la perdition politique ! C'est qu'il fallait les sauver malgré elles, n'hésitaient pas à soutenir les sénateurs de l'époque ! Il aura fallu attendre 1944, et leurs faits éclatants dans la Résistance, pour que les femmes gagnent enfin le droit de vote et le droit d'être élues, elles qu'on avait jusqu'alors exclues de tout droit de cité.

Mme Nicole Catala.

Vive de Gaulle !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Vive de Gaulle,...

M. François Vannson.

C'est dit d'une petite voix, mais c'est dit !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

... vive les résistantes ! Depuis, les femmes s'efforcent, pied à pied, de conquérir leur indépendance. Si elles ont pu entrer à l'université, accéder à l'éducation et à la culture, il y a moins de trente ans qu'elles ont commencé à se libérer, peu à peu, du carcan juridique qui leur avait été imposé par le code civil napoléonien. Elles peuvent désormais disposer légalement du fruit de leur travail et décider librement de leur vie. Il reste encore beaucoup à faire - Mme Péry l'a rappelé - pour qu'elles aient, dans le monde du travail, une juste place. Je pense en particulier à la question des salaires, mais aussi à leur représentation très insuffisante dans les emplois de direction, du secteur privé comme du secteur public. Malgré des avancées significatives depuis cinquante ans, le chemin à parcourir reste long pour que les femmes investissent réellement l'ensemble du champ social.

Cette évolution ne pourra pleinement se réaliser aussi longtemps que demeurera dans notre pays un bastion inexpugnable, auquel les femmes n'ont pas véritablement accès : il s'agit évidemment de la vie politique.

Je ne reviendrai pas en détail, rassurez-vous, sur les chiffres qui montrent à quel point la représentation politique reste, en France, le quasi-monopole des hommes. Ils ont été cités ; ils le seront sans doute encore tout au long de ce débat. Nos concitoyens ne comprennent plus que le Parlement soit composé de 90 % d'hommes. Cette proportion est à proprement parler extravagante. Elle l'est plus encore lorsqu'on la compare à la situation chez nos v oisins européens et, pour ne pas accabler notre République, je m'abstiendrai d'évoquer les cas précis de nombreux pays en voie de développement où les femmes sont mieux représentées dans les assemblées que chez nous. La France, patrie des droits de l'homme, serait-elle le pays du droit des seuls hommes ? L'exception française en la matière est devenue intolérable. Elle est le signe d'un archaïsme que nos concitoyens n'acceptent plus. L'égal accès des femmes à la représentation politique est aujourd'hui le gage d'une modernité dont la nécessité se révèle de jour en jour plus criante.

Comment peut-on progresser et faire en sorte que les femmes puissent aussi assumer le poids des responsabilités politiques ? Car il s'agit bien de cela. Les femmes entendent porter leur part du fardeau, leur part du projet républicain. Notre société politique peut-elle continuer à se priver de la moitié de ses citoyens ? Peut-elle laisser tant de talents en jachère ? Comment pourrais-je ne pas reprendre ces mots signés au siècle dernier par un homme - et non des moindres, puisqu'il s'agissait de Stendhal :

« L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain. »

Mais les obstacles qui s'opposent à cette évolution sont nombreux. Ils sont évidemment historiques et culturels.

Notre République n'a pas su se libérer totalement de l'emprise de la loi salique, qui est demeurée, bien après la chute de la monarchie, une règle non écrite de notre vie politique. L'accès à la candidature est aujourd'hui encore réservé pour l'essentiel aux hommes. Les partis politiques ont certes accompli des efforts. Certains, à l'évidence, plus que d'autres : si le nombre de femmes a significativement augmenté lors des dernières élections législatives, on le doit principalement à la décision de Lionel Jospin de réserver un tiers des circonscriptions à des candidatures féminines. Mais cela ne suffit pas et les mentalités politiques évoluent trop lentement. Comme trop souvent dans notre pays, il faut recourir à la loi pour accélérer une évolution trop timide.

S'ils sont culturels et historiques, les obstacles à l'égalité réelle des femmes et des hommes sont aussi, on le sait, d'ordre juridique. Je ne reviendrai pas sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, que

Mme la garde des sceaux a évoquée.

Le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à l'Assemblée nationale entend nous permettre de surmonter cet obstacle. En inscrivant dans l'article 3 de la Constitution le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, il autorisera le législateur à prendre des mesures qui doivent aboutir à une réelle égalité des sexes dans la représentation. Le Gouvernement nous conduit à franchir ainsi un pas décisif par lequel le Premier ministre tient l'engagement qu'il avait pris dans sa déclaration de politique générale.

Lors de ses travaux, la commission des lois a souhaité donner au texte proposé par le Gouvernement une plus grande force, en indiquant que l'égal accès ne devait pas être « favorisé » par la loi mais « organisé » par elle. Dans l'esprit du Gouvernement, comme dans celui de la commission, il s'agit non pas, évidemment, d'octroyer des faveurs aux femmes, mais de définir des règles qui fassent de l'égalité une réalité tangible.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

La commission des lois a également souhaité qu'il revienne clairement au légistateur de déterminer, au cas par cas, les conditions les plus appropriées pour atteindre cet objectif inscrit dans la Constitution.

Le Parlement doit demeurer souverain en ce domaine.

C'est à lui qu'il appartient d'apprécier les moyens à mettre en oeuvre pour assurer l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Si la loi détermine les conditions dans lesquelles cet égal accès est organisé, le Conseil constitutionnel n'aura pas besoin de se substituer au Parlement pour juger si les mécanismes choisis par le législateur sont les plus adaptés. La rédaction que la commission des lois a adoptée à la quasi-unanimité me semble claire sur ce point.

Il ne s'agit pas aujourd'hui de décréter une égalité mathématique et abstraite. Il ne s'agit pas de créer une sorte d'apartheid entre les hommes et les femmes. Ce n'est ni le souhait de ces dernières, ni celui du Gouvernement, ni évidemment le nôtre. Nous sommes aujourd'hui réunis pour faire disparaître un double verrou, symbolique et juridique, et pour que toutes les femmes puissent désormais dire : « nous avons décidé », et non plus : « ils ont décidé ».

Le chemin sera sans doute long avant que l'on puisse constater dans notre pays cette égalité réelle que chacun appelle de ses voeux. Je suis certaine qu'offrir aux femmes la possibilité d'accéder pleinement à la représentation politique aura un effet d'entraînement considérable dans tous les autres domaines de la vie sociale.

Nous le savons tous, en France, le politique prime.

C'est pourquoi le vote de ce projet de loi constitutionnelle revêt une telle importance. Il nous appartiendra ensuite, en tant que législateur, de prendre les mesures destinées à concrétiser le principe de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Je suis persuadée que les majorités, qu'elles qu'elles soient, seront aussi jugées par nos concitoyens sur leur capacité à donner à cette égalité juridique une réalité sociale.

En définitive, le texte qui est proposé par le Gouvernement est un défi lancé à la classe politique masculine. Il est aussi une occasion qui lui est donnée de montrer qu'elle sait faire face à ses responsabilités et que, devant une atteinte forte de nos concitoyens, elle accepte de se remettre en cause fondamentalement. Car, soyons clairs : une place de plus pour une femme c'est une place de moins pour un homme. Il n'est jamais facile d'assumer un tel choix.

Mme Dominique Gillot.

Si, c'est très facile !

Mme Catherine Tasca, président de la commission, rapporteur.

Mais, dans tout cela, il ne s'agit pas seulement des femmes. C'est la fonction de représentation et le rapport des Français à la politique qui est en jeu. Combler le fossé qui s'est creusé entre les élites et la population passe aussi par une présence accrue des femmes en politique ainsi que dans les postes de responsabilités administratifs, sociaux, économiques.

La représentation n'est pas seulement un mandat juridique et politique ; elle a aussi une fonction symbolique.

Aujourd'hui, elle renvoie encore à une image essentiellement masculine qui ne correspond plus à l'état des moeurs et de la société, Il est temps pour les politiques d'entendre la société sous peine que celle-ci ne les écoute plus beaucoup.

Aujourd'hui, toutes celles qui, dehors ou ici, et je les vois nombreuses dans notre hémicycle et dans les tribunes, ont fait avancer l'histoire des femmes, attendent que nous lui donnions une impulsion décisive. C'est pourquoi la commission des lois vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle soumis à l'Assemblée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Didier Julia unee xception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

Plusieurs députées du groupe socialiste.

C'est gonflé !

M. François Goulard.

Restez calmes, mesdames !

M. le président.

La parole est à M. Didier Julia.

M. Didier Julia.

Madame la garde des sceaux, puisque vous avez souhaité commencer votre discours par des développements apologétiques visant à saluer les personnes qui avaient contribué à la promotion des femmes dans notre pays, permettez-moi de compléter votre panégyrique.

Vous avez fait allusion à la Résistance. Mais c'est le général de Gaulle qui était le chef de la Résistance. Et, sitôt la guerre finie, c'est lui qui a fait reconnaître le droit de vote...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Il était temps !

M. Didier Julia.

... et d'éligibilité des femmes.

Peu après, c'est Michel Debré (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)...

Mme Huguette Bello.

Quand on voit ce qu'il a fait à la Réunion !

M. Didier Julia.

... qui a créé les premières écoles mixtes pour le recrutement des hauts fonctionnaires.

C'est à partir de 1965, sous le gouvernement de Georges Pompidou, que le mari n'a plus pu s'opposer à l'exercice d'une activité professionnelle par sa femme.

Mme Odette Grzegrzulka.

L'actuelle opposition a gouverné sans alternance pendant vingt-trois ans !

M. Didier Julia.

C'est en 1972, sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, qu'a été voté le principe : à travail égal, salaire égal.

Mme Odette Grzegrzulka.

Cela ne marche toujours pas !

M. Didier Julia.

Vous avez salué l'action de Françoise Giroud. Je vous rappelerai que le Premier ministre était alors Jacques Chirac. C'est lui qui a créé le premier secrétariat d'Etat à la condition féminine.

M. Michel Crépeau.

Et c'est Juppé qui a viré les « Juppettes » !

M. Didier Julia.

Je rappellerai encore que le divorce par consentement mutuel a été voté en 1975, tout comme la loi interdisant toute distinction de traitement entre hommes et femmes dans la fonction publique. Et c'est en 1976 que, pour la première fois, une femme a accédé au grade de général dans l'armée. Quant à la disposition visant à interdire le licenciement d'une femme enceinte, elle a été prise sous le gouvernement de Raymond Barre.

Mme Odette Grzegrzulka.

N'avez-vous donc pas honte de faire une telle intervention ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

M. Didier Julia.

Enfin, les lois d'éthique biomédicale ont été votées alors qu'Edouard Balladur était Premier ministre.

M. Maurice Adevah-Poeuf.

Je crains que personne ne se souvienne de vous, monsieur Julia !

M. Didier Julia.

C'est dire s'il fallait compléter votre apologétique, madame la garde des sceaux !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Vous avez oublié Giscard d'Estaing !

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.

Et surtout Simone Veil !

M. Didier Julia.

Il est vrai que, dans notre vie politique, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, dans les conseils généraux et régionaux, le nombre de femmes est bien moindre que celui des hommes. Le président de la République a donc eu raison de poser le problème de l'égalité et d'appeler le Gouvernement à proposer une solution dans le cadre de la modernisation de la vie politique française.

Mme Odette Grzegrzulka.

Et les « Juppettes » ? Il ne faut pas avoir la mémoire courte !

M. Didier Julia.

Mais la réponse que vous apportez avec le projet de loi que vous avez vous-même appelé le

« projet Agacinski-Jospin » n'apporte pas de solution novatrice, contrairement à ce que le Premier ministre annonce à son de trompe. Non seulement il ne va pas assurer la promotion des femmes mais il est même contre-productif et insultant pour les femmes.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Jacques Floch.

Si Mme Boutin est contente, on sait à quoi s'en tenir ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Julia.

Il propose de légiférer pour la galerie, pour un effet médiatique immédiat mais ne peut produire, dans la réalité, aucun résultat favorable aux hommes (Sourires)...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Ça, c'est sûr !

M. Didier Julia.

... aux femmes, voulais-je dire. C'est ce que je vais vous démontrer d'une manière simple et imparable sur le fond.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Mes chers collègues, écoutez l'orateur ! Ce débat mérite un peu de sérénité !

Mme Odette Grzegrzulka.

Il est difficile de rester serein quant on entend certains propos !

M. le président.

Pensez-en ce que vous voulez mais écoutez !

M. Didier Julia.

Quand on lit ce projet de loi, on ne comprend pas très bien ce qu'il peut signifier tant il se présente comme une évidence sympathique se proposant de traiter de l'égalité entre les femmes et les hommes comme si celle-ci n'existait pas dans la Constitution.

Vous prétendez que ce texte va instaurer dans nos textes fondamentaux l'égalité pour les femmes. C'est totalement inexact. Cette égalité est déjà prévue dans le préambule de la constitution de 1946 qui dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »

Mme Odette Grzegrzulka.

Ce n'est pas appliqué !

M. Didier Julia.

En d'autres termes, les femmes peuvent accéder à tous les postes, y compris, naturellement, les plus élevés de l'Etat. En droit, l'égalité est totale.

Mme Monique Collange.

Mais pas dans les faits !

M. Didier Julia.

Elle couvre tous les domaines d'activité, sans aucune restriction ni la moindre réserve.

Mme Raymonde Le Texier.

Vous nous prenez pour des naïves !

M. Didier Julia.

Il est donc absurde de faire croire que ce projet établira l'égalité dans nos textes fondamentaux.

Dès lors, pourquoi faire une loi ? Vous l'avez dit vousmême, madame la ministre, la réforme qui nous est présentée ne veut pas ajouter un droit, elle veut corriger un fait. Ce n'est donc pas l'égalité des chances ou des droits, c'est la parité dans le résultat qui est visée. Vous prévoyez de pouvoir imposer par la loi des quotas de femmes - on ne sait d'ailleurs pas si c'est parmi les candidates ou les élues. Mais pour faire que ce soit dans les élues, la présidente de la commission des lois a indiqué la voie en commission : le présent projet ne serait qu'un premier pas vers une généralisation du système proportionnel pour les élections législatives.

Mme Christine Boutin.

C'est évident !

Mme Odette Grzegrzulka.

Ah ! Voilà de quoi vous avez peur ! Vous êtes démasqué, monsieur Julia !

M. Didier Julia.

Il viserait à donner une assise constitutionnelle pour le rendre obligatoire. C'est le texte tel qu'il ressort des travaux de la commission : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès... »

Or le système proportionnel n'est pas bon pour le pays. Il donne des gouvernements instables, faibles.

Pour rendre possible de telles lois, il faut modifier la Constitution. Nous touchons là au caractère archaïque de votre proposition.

Mme Odette Grzegrzulka.

Elle émane du Président de la République ! Plusieurs députées du groupe socialiste.

C'est vous qui êtes archaïque !

M. Didier Julia.

Notre Constitution, en son article 2, prévoit que toute forme de souveraineté populaire ne peut procéder que de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Or la modification qui nous est présentée aujourd'hui porte très exactement sur le fondamental de notre Constitution puisqu'il porte réforme de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont le texte est le suivant : « Tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Il nous est aujourd'hui proposé d'ajouter un autre critère que les capacités, les qualités et le talent qui ne permettrait pas, selon les rédacteurs du projet de loi, l'accès à parité des femmes aux dignités, places et emplois publics, mandats et fonctions, un nouveau critère qui ne figurait pas jusqu'à présent dans la liste des vertus républicaines, celui du caractère sexuel féminin.

Le fait de voter une disposition constitutionnelle rendant possible une forme de favoritisme fondé sur la différence physique nous ramène à des temps très anciens et ne s'inspire nullement de la tradition républicaine. Nous allons en voir les conséquences négatives.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Mme Christine Boutin.

Vous avez raison !

M. Didier Julia.

Les Etats-Unis ont fait l'expérience des quotas au début des années quatre-vingts. Il s'agissait, comme dans le présent projet de loi, de répondre à une préoccupation de justice et d'égalité : comment faire droit dans les universités aux exigences légitimes de reconnaissance sociale et culturelle des minorités, qu'elles soient sociales, ethniques ou sexuelles. Le principe était de favoriser l'égal accès à l'université et le succès aux concours pour les groupes ethniques, sociaux et sexuels qui étaient statistiquement les moins nombreux, donc de recruter des noirs parce qu'ils étaient noirs, des femmes parce qu'elles é taient des femmes, des personnes démunies parce qu'elles étaient démunies, et de les faire réussir aux concours parce qu'elles appartenaient à un groupe minoritaire.

Certains sont même allés jusqu'à proposer que les salles de réunion qu'on appelait « seminarium » deviennent des

« ovarium » afin de respecter l'égalité entre les symboles masculins et féminins ! Ce mouvement de réforme s'est appelé l' affirmative action puisqu'il s'agissait de supprimer les inégalités statistiques en créant des discriminations positives.

Ce mouvement, cette organisation de la promotion sociale par l'appartenance à une catégorie a connu un échec retentissant. Il s'est révélé un redoutable instrument d'exclusion et de racisme. Car s'il existait dans les universités, comme chez nous dans la vie politique, des femmes de grande valeur, des représentants des minorités raciales qui avaient passé les mêmes examens et concours que les autres, et conquis par leurs mérites propres la place qu'ils ou elles occupaient, à partir du moment où des femmes ont été sélectionnées ou recrutées aux concours parce qu'elles étaient des femmes, ou des noirs parce qu'ils étaient des noirs, les entreprises qui recrutent des étudiants au sortir de l'université n'ont plus voulu embaucher ni femmes, ni noirs, ni aucun bénéficiaire du système dans l'idée qu'ils ou elles n'avaient obtenu leurs diplômes qu'en raison de leur spécificité ethnique ou sexuelle, et non plus du tout de leurs mérites. A l'université, s'est développé un racisme anti-femme et antiminorité ethnique comme il n'en avait jamais existé dans l'histoire des Etats-Unis.

L'expérience a fait long feu. C'est pourtant cela que, vingt ans après, vous nous proposez d'introduire dans notre loi fondamentale.

Notre histoire la plus récente montre que la promotion de la femme dans notre société est passée, madame la ministre, par la suppression des discriminations positives et des quotas dans les concours universitaires qui assurent la promotion sociale.

Il y a vingt ans existaient encore des recrutements spécifiques d'hommes et de femmes dans certains concours d'agrégation ou d'accès aux grandes éccoles. Maintenant une femme préfet, ingénieur, diplomate, professeur, fonctionnaire, chef d'entreprise peut se flatter d'avoir passé les mêmes concours dans les mêmes conditions que les hommes. Si, le 14 juillet 1973, on a pu voir défiler une jeune femme, Anne Chopinet, à la tête de la compagnie des polytechniciens, et s'il y a eu de l'honneur dans cette présentation, c'est parce qu'elle a été reçue première à un concours ouvert pour la première fois aux hommes et aux femmes.

Quel honneur y aurait-il eu à exhiber une femme en tant que femme, prélevée sur un contingent spécial de sous-développés intellectuels ? Toutes les femmes considèrent que la suppression des listes spéciales aux concours a marqué un progrès de la démocratie à l'université, une vraie démocratisation des fonctions qui est la condition de la reconnaissance sociale pour chacune.

C'est donc une erreur, un retour en arrière, une régression de considérer qu'à partir du moment où l'égalité totale des chances est ouverte, les femmes seraient tellement incapables de se faire élire par les voies naturelles qu'il faudrait créer pour elles une filière spécifique, des conditions favorables particulières.

Plusieurs députées du groupe socialiste.

C'est quoi les voies naturelles ?

M. Didier Julia.

Ce sera jeter le discrédit sur toutes les femmes, y compris sur celles qui ont été élues au suffrage universel en battant des hommes et en se montrant meilleures qu'eux.

Mme Monique Collange.

C'est ça qui les blesse !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Certains ne s'en remettent pas !

M. Didier Julia.

Mais si une loi veut faire élire des femmes parce qu'elles sont des femmes et non parce qu'elles ont une valeur qui peut être reconnue par le suffrage universel, alors le discrédit sera jeté sur toutes les femmes élues et le public saura le leur faire sentir.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Ne vous faites pas de soucis !

M. Didier Julia.

Ce sera un recul de ce que l'on peut appeler la « cause féminine ». La démagogie se sera révélée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la couverture du mépris.

Je le redis : rien n'est plus respectable pour les femmes, rien n'est moins méprisant, ni plus digne d'être défendu que l'égalité républicaine.

Il y a plus : notre république s'est construite laborieusement par la suppression des quotas. Depuis le Moyen Age existaient des quotas pour chaque corporat ion dans toutes les institutions représentatives qui devaient discuter avec le pouvoir royal : des quotas d'artisans, de commerçants, de représentants de l'Eglise, d'étudiants, etc. Puis il y a eu des quotas pour le tiers état en face de l'aristocratie, puis le régime censitaire où les riches bénéficiaient de quotas supplémentaires en matière de représentation élective.

Comme l'a dit le vrai philosophe Alain Renaut, on peut considérer que l'une des plus grandes conquêtes de la République depuis la Révolution est que le sujet du droit dans notre république « n'est ni homme, ni femme, ni juif, ni noir, ni blanc, ni jeune, ni vieux, ni propriétaire, ni non-propriétaire, ni nanti, ni démuni : c'est l'humain en tant que tel ».

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

C'est ringard !

M. Didier Julia.

J'ajouterai que les élus représentent la nation comme telle, et non un groupe particulier dont le ou la députée serait le porte-parole spécifique. C'est par un détournement, une manière de défigurer la fonction parlementaire que la femme députée aurait le mandat impératif de représenter les intérêts des femmes, de parleur en leur nom, cependant que le député homme ne pourrait parler par définition qu'au nom des intérêts masculins. Il y a là une atteinte à l'article 27 de la Constitution qui prévoit que « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». Tout député qui prétend parler au nom d'un groupe ou d'une catégorie qu'il représenterait sélectivement au Parlement manque à la règle inscrite


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

à cet article 27. Une telle pratique représenterait un manquement à la morale républicaine, et son institutionnalisation marquerait une régression de la République.

Enfin, plus grave - puisque vous avez voulu philosopher sur le sujet - c'est une erreur de croire qu'il peut y avoir une politique féminine et une politique masculine, une culture féminine et une culture masculine.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

La culture n'a pas de sexe !

M. Didier Julia.

La culture atteste précisément de la capacité des hommes, au sens générique, à s'ouvrir à ce qui leur est commun, au-delà des différences, et naturellement des différences sexuelles.

Créer des « conditions de faveur », pour reprendre le texte de loi, pour l'accès des femmes aux mandats et fonctions revient à institutionnaliser ces différences, à refuser de les assumer. Ce refus est celui de la différence, l e refus de s'ouvrir à une dimension républicaine commune, à une dimension commune d'humanité. Or c'est dans cet espace public commun à tous, hommesfemmes, blancs-noirs, démunis ou non, que se joue la cause de la démocratie. Je cite encore le philosophe Alain Renaut : « Toute représentation proportionnelle de la diversité, tout principe de parité ou toute politique des quotas reconduisent à une perspective qui évoque davantage les lois de Nuremberg que l'idée démocratique. »

Ce n'est pas un hasard si le Parlement européen a demandé à la France de se fonder sur l'article 4 de la Constitution pour réaliser la parité. C'est aux partis politiques de s'organiser librement.

Le nouvel article 190 du traité d'Amsterdam, face à l'échec d'une procédure électorale uniforme en vue de la désignation des membres du Parlement européen prévue par l'article 138 du traité de Rome, envisage une solution alternative moins ambitieuse : à défaut de procédure uniforme, il propose que le Parlement européen élabore un projet en vue de permettre cette élection « conformément à des principes communs ».

Au nombre de ces principes, le Parlement européen a adopté le 15 juillet 1998 une résolution dont le point 7 est ainsi rédigé : le Parlement européen « estime que l'établissement des listes pour les élections européennes doit tenir compte de l'objectif de la parité entre hommes et femmes et qu'il appartient en premier lieu aux partis politiques de concrétiser directement cet objectif ». Et nous serions tous d'accord sur ce point.

Mais si l'on veut modifier les institutions publiques en France, donner un privilège aux femmes dans ces institutions, faire ce que certains appellent « une modification constitutionnelle mineure » permettant de légitimer « une petite loi temporaire fixant les quotas pour accélérer le processus de parité », cela veut dire d'abord que les partis qui feraient voter une telle disposition ne veulent pas le faire librement, mais entendent se le faire imposer par la loi, pour décliner toute responsabilité devant les électeurs quant aux effets pervers d'une telle disposition.

Car quand une telle disposition légale devra s'imposer à la mauvaise volonté des responsables politiques, alors on peut être certain de l'échec final quant à la promotion de l'image des femmes dans la vie politique et sociale. Chacun de ceux qui aura voté cette procédure de « favoritisme pour accéder aux mandats et aux fonctions » fera semblant d'en découvrir, de façon prétendument imprévisible, les effets négatifs et même catastrophiques.

A ceux qui parlent de « petite loi » pour faire progresser les choses, je redis qu'il n'y a jamais de modification constitutionnelle mineure. Réciproquement, une modification de la Loi fondamentale touche notre vie de citoyen et la condition civique de tous les Français.

Promouvoir le rôle des femmes dans la vie politique est une chose. Remettre en cause le principe de l'égalité républicaine, qui est la base de notre Constitution, en est une autre, et il est illusoire de prétendre que les conséquences en chaîne ne sont pas importantes. Car il y a d'autres minorités dans notre vie politique et sociale : il faudra voter des quotas pour limiter le nombre des élus issus de la fonction publique et ouvrir une parité des mandats et fonctions aux salariés du privé ou aux professions libérales ; il faudra des quotas pour les plus démunis, des quotas pour les Musulmans, des quotas pour les habitants des quartiers difficiles, et ceux qui ne les voteront pas seront désignés à la vindicte publique comme anti-sociaux ou antisémites ! Voilà le cycle où nous entraîne la remise en cause de l'égalité républicaine ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Dominique Gillot.

C'est ridicule !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Affirmation gratuite !

M. Didier Julia.

Jacques Attali vient de déclarer dans L'Express que la société française est devenue une juxtaposition de communautés et n'est plus la République une et indivisible.

M. Jacques Floch.

Cela n'engage que lui !

M. Didier Julia.

J'approuve et je soutiens les efforts du Président de la République pour moderniser la vie politique française, pour une réforme du scrutin régional évitant la paralysie des exécutifs régionaux, pour établir un vrai statut de l'élu local, pour compléter la décentralisation par la déconcentration, pour clarifier et simplifier les compétences entre collectivités, pour responsabiliser et valoriser les acteurs de la fonction publique.

Mais le gouvernement socialiste s'emploie à défigurer les meilleurs projets pour les transformer en parodie démagogique. Ce fut le cas pour la suppression du lien armée-nation qui n'était nullement requise par la professionnalisation des forces armées ; c'est le cas encore pour le cumul des mandats des ministres, qui reste le seul problème réel non réglé par les lois anticumul et que le Gouvernement renvoie, pour tromper à nouveau l'opinion publique, à un projet de loi virtuel. C'est encore le cas de l'actuel gouvernement qui régularise de façon massive des populations étrangères entrées clandestinement...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

N'en rajoutez pas !

M. Didier Julia.

... mais refuse aussi massivement des visas aux étudiants étrangers qui pourraient venir faire leurs études en France, faisant fructifier la francophonie et contribuer au rayonnement de la France dans le monde.

M. Maurice Adevah-Poeuf.

C'est lamentable !

M. Didier Julia.

Ce fut le cas pour les problèmes humains et sociaux douloureux liés au développement du sida chez les homosexuels (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) que le Gouvernement a prétendu survoler avec son ridicule projet de PACS.

Mme Véronique Neiertz.

Il ne manquait plus que cela !

M. Didier Julia.

C'est toujours le cas aujourd'hui avec le projet de loi qui nous est présenté.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Nous avons vu et entendu des personnalités très éminentes de cette assemblée afficher un sourire ouvert et protecteur,...

M me Yvette Benayoun-Nakache.

Que de temps perdu !

M. Didier Julia.

... un visage sympathique et libéral, le geste généreux et l'esprit chevaleresque, déclarer aux femmes qu'on allait se pousser un petit peu, faire de la place pour la parité et que, dans notre élan de générosité, et pour prouver notre bonne foi, on irait jusqu'à jusqu'à ne plus demander aux femmes de prouver ni capacités, ni qualités, ni talent, qu'on était tellement respectueux de leur condition féminine et des droits qui s'y attachent qu'il ne faudrait surtout pas leur en demander plus pour accéder aux fonctions, mandats et dignités. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Cette démarche est l'expression naturelle d'un mépris souverain et doit être récusée.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Lamentable !

M. Didier Julia.

En politique, comme dans tous les autres domaines, l'avenir passe par l'égalité des chances et des conditions.

Les présidents des groupes politiques de l'Assemblée nationale ont eu à gérer un problème de communication : les journalistes n'allaient-ils pas forcément simplifier le débat pour le présenter en vingt secondes aux actualités de vingt heures...

(Mme Roselyne Bachelot-Narquin quitte l'hémicycle.)

Mme Yvette Benayoun-Nakache. Faites donc honte aux vôtres, madame Bachelot ! Mme Muguette Jacquaint. Oui, nous vous applaudissons, madame ! M. Didier Julia. ... pour défigurer le débat et dire qu'il s'agissait d'instituer dans notre constitution le principe de l'égalité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Dominique Gillot.

Les femmes ont honte pour vous ! M. Didier Julia. Ils ont craint que fatalement et en dépit du fond, tout opposant à ce projet apparaisse comme ringard et porte dans les médias les stigmates du machisme et que même dans leur circonscription les députés soient victimes d'un vote sanction de la catégorie féminine, alors que la réalité en matière de ringardise et de machisme consiste à croire, à dire et à écrire dans la loi que les femmes ont besoin d'être favorisées pour être égales. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Véronique Neiertz. Dire qu'il y en a encore des comme ça !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Qu'en pense votre femme ? Pauvre Mme Julia ! M. Didier Julia. Et d'ailleurs la mode instituée par le gouvernement actuel veut qu'on vote une loi pour son apparence médiatique et non pas pour les conséquences réelles qu'elle porte en elles.

Comment aller contre l'hypocrisie, contre l'apparence trompeusement, proféministe de ce texte ? Platon dans La République nous apporte la réponse : « La démagogie et la flatterie (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

sont, écrit-il, le contraire du respect. » Il s'agit en

vérité d'un texte antiféministe.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. C'est la grosse artillerie ! M. Didier Julia. A partir du moment où vous aurez voté ce texte, soyez certaines, mesdames, que les femmes élues comme les femmes nommées dans la haute fonction publique se trouveront dévalorisées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mais les apparences et l'air du temps vous paraissent aujourd'hui plus importants que la réalité.

Pour ce qui me concerne, je suis de ceux, peu nombreux, qui ont pu faire accepter, non sans mal,...

Mme Raymonde Le Texier.

Comment l'écrivez-vous ? M. Didier Julia. ... dans leur département une codirection homme-femme pour conduire une liste aux élections régionales. Je vous rappelle que la représentation des femmes y était plus nombreuse que dans toutes les autres listes.

Lionel Jospin dans son projet de politique veut simplement faire savoir qu'il faut le faire. Madame le garde des sceaux,...

Plusieurs députées du groupe socialiste.

Mme « la » garde des sceaux !

M. Didier Julia.

... vous voulez l'écrire. Le Président de la République vous a demandé de le faire,...

Mme Véronique Neiertz.

On a de la chance ! M. Didier Julia. ... ce qui est différent, à la fois plus simple et plus ambitieux.

C'est maintenant un devoir moral de nos responsables politiques. Lorsqu'on est dans l'opposition il est plus facile de réaliser la promotion des femmes aux élections législatives parce qu'on a moins de sortants. Et vous verrez par là même que le président Philippe Séguin ou le président Bayrou sauront, la prochaine fois, manifester davantage que M. Jospin leur volonté de faire la parité hommes-femmes aux prochaines élections législatives.

Il appartient donc aux partis de le faire, aux hommes de le vouloir. Mais je ne peux pas ne pas relever la proposition scandaleuse qu'a faite Mme la garde des sceaux en disant que l'on allait favoriser la présence des femmes dans les listes présentées aux élections en donnant de l'argent aux partis politiques. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela a de profondément inconvenant et déplacé, en tout cas de tout à fait archaïque.

(Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste.)

Mme Yvette Benayoun-Nacache.

Arrêtez ! Nous en avons assez entendu !

M. Maurice Adevah-Poeuf.

Laissez parler M. Julia !

M. Didier Julia.

Soyez libérales ! Ce sera plus sympathique.

Si l'on veut vraiment que les femmes soient présentes dans la vie publique, il faut que cette présence soit naturelle, heureuse, joyeuse, de bon coeur, good face...

Mme Véronique Neiertz.

Parlez français !

M. Didier Julia...

comme disent les Américains et non ressentie comme une présence contraignante, résultant de mécanismes autoritaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1998

Mesdames et messieurs les députés, je souscris totalement à la déclaration du Président de la République sur la « nécessaire évolution des mentalités...

Mme Catherine Génisson.

Là, il a raison !

M. Didier Julia.

... et sur la mise en oeuvre pratique de l'égalité entre les femmes et les hommes ». Cette mise en oeuvre pratique relève essentiellement de la volonté des parties politiques et certainement pas d'une modification de la Constitution.

Mme Véronique Neiertz.

On a vu ce que donnait la volonté des partis !

Mme Odette Grzegrzulka.

Il est vrai que si nous sommes ici, c'est grâce à M. Chirac.

M. Didier Julia.

Je vous demande, en votant cette exception d'irrecevabilité, de voter pour le respect des mandats et fonctions exercés par les femmes en France et, à travers lui, pour le respect de la République. Mon geste est assurément symbolique...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Il est de trop quand même !

M. Didier Julia.

... mais vous verrez à l'usage que la défense sérieuse de la cause des femmes dans notre pays ne passe absolument pas par votre projet de réforme de la Constitution.

(Mme Christine Boutin applaudit. - « Hou ! Hou ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Les explications de vote et le vote sur l'exception d'irrecevabilité interviendront au début de la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à vingt et une heures.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, no 985, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Catherine Tasca, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1240).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT