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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 1437).

ACCORD MATRA-AÉROSPATIALE (p. 1437)

M me Françoise Imbert, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE (p. 1438)

M. Jean Codognès, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

ENCOURAGEMENT DE LA RECHERCHE-DÉVELOPPEMENT (p. 1438)

MM. Michel Destot, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

NÉGOCIATIONS DE RAMBOUILLET (p. 1439)

MM. Pierre Brana, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

PLACE DES FEMMES DANS LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE (p. 1439)

Mme Michèle Alliot-Marie, M. Lionel Jospin, Premier ministre.

AGGRAVATION DE L'INSÉCURITÉ (p. 1441)

MM. Jacques Godfrain, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

RÉGULARISATION DES SANS-PAPIERS (p. 1441)

MM. Thierry Mariani, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

ALLÉGEMENT DES CHARGES SOCIALES (p. 1442)

MM. Pierre Méhaignerie, Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

DISPARITÉS ENTRE LE SECTEUR PROTÉGÉ ET LE SECTEUR CONCURRENTIEL (p. 1443)

MM. Maurice Leroy, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

ANNULATION DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DANS LA 9e

CIRCONSCRIPTION DES BOUCHES-DU-RHÔNE (p. 1444)

M. Roland Blum, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

STRATÉGIE DU GROUPE AVENTIS (p. 1445)

MM. Bernard Birsinger, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

PARTENARIAT ÉCONOMIQUE TRANSATLANTIQUE (p. 1445)

MM. Michel Suchod, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

CONFÉRENCE D'INTERPOL À RANGOON (p. 1446)

Mme Marie-Hélène Aubert, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance (p. 1447)

2. Egalité entre les femmes et les hommes. Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi constitutionnelle (p. 1447).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois, rapporteur.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 1451)

M.

Michel Crépeau, Mmes Nicole Ameline, Nicole Feidt, Marie-Jo Zimmermann, Muguette Jacquaint,

M.

Pierre-Christophe Baguet, Mmes Yvette Roudy, Marie-Hélène Aubert.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 1462)

Mmes Dominique Gillot, Christine Boutin, MM. Didier Julia, Pierre Albertini, Robert Pandraud.

Amendement no 1 de la commission des lois, avec le sousamendement no 3 de Mme Zimmermann : Mmes le rapporteur, Marie-Jo Zimmermann, la garde des sceaux, M. Claude Goasguen. - Rejet du sous-amendement no 3 ; adoption de l'amendement no

1. Le projet de loi constitutionnelle est ainsi rédigé.

3. Service public de l'électricité. Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 1468).

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 1473).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe socialiste.

ACCORD MATRA-AÉROSPATIALE

M. le président.

La parole est à Mme Françoise Imbert.

M me Françoise Imbert.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la finalisation de l'accord industriel entre Aérospatiale et Matra répond à la nécessaire consolidation des positions françaises dans le secteur de l'aéronautique civile et militaire. Ce regroupement constitue un préalable à la création de la future société européenne voulue par plusieurs gouvernements et capable de rivaliser, à terme, avec les grands ensembles américains.

Aujourd'hui, Aérospatiale-Matra donne naissance au second ensemble européen, le cinquième à l'échelle mondiale, et regroupe les activités missiles, satellites, hélicoptères, avions civils et militaires.

Le Gouvernement, en ouvrant le capital d'Aérospatiale, contribue au renforcement d'une industrie européenne compétitive et génératrice de performances dans le secteur de la recherche et du développement.

Monsieur le ministre, la représentation nationale souhaiterait obtenir des précisions sur les modalités de cette fusion et sur la future stratégie du groupe, s'agissant notamment de la participation d'autres acteurs européens à cet ambitieux projet. Elle voudrait aussi avoir des assurances pour les personnels, qui, par leur savoir-faire, contribueront à la pérennité de ce nouveau groupe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Si possible, une réponse aussi brève que le sujet est complexe. (Sourires.)

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Madame la députée, en 1969, Sud-Aviation et Deutsch-Airbus ont créé le GIE Airbus.

Et c'est en 1970 qu'est née Aérospatiale, par le regroupement de Nord-Aviation, de Sud-Aviation et du service d'études et de recherches balistiques.

Depuis, l'histoire de l'aéronautique française est jalonnée de succès : premier vol commercial d'Airbus assuré par Air France, en 1974 ; lancement de la première fusée Ariane, en 1979 ; premier missile stratégique balistique M4, en 1985 ; création, avec la société allemande DASA, d'une société d'hélicoptère en 1992.

Il fallait aller plus loin. En 1997, les chefs d'Etat et de gouvernement britannique, allemand et français - en la personne de Lionel Jospin -, ont signé une déclaration visant à avancer vers la création d'une société européenne.

Pour cela, il fallait d'abord que la France concentre ses forces. Ce qu'elle a commencé à faire en 1998 en regroupant Dassault Aviation et Aérospatiale, et ce qu'elle poursuit aujourd'hui en mettant la dernière main à la fusion entre Aérospatiale et Matra.

L'accord passé entre les deux entreprises est patrimonialement équilibré. En effet, Matra détiendra 33 % du nouvel ensemble, dont a été préalablement retirée la participation d'Aérospatiale dans Thomson, ce qui constitue pour l'Etat une reprise de 1,5 milliard de francs. Par ailleurs, Matra paiera, comme vous l'avez sans doute appris de différentes sources d'information, une compensation d'un montant total de 2 milliards de francs - 850 millions de francs sous forme fixe, le reste dépendant de l'évolution des cours.

Bien entendu, tout cela est soumis à l'approbation de la commission des participations et transferts, que j'ai saisie ce matin et qui donnera dans les tout prochains jours son opinion sur l'accord qui a été paraphé.

Socialement, cet accord ne doit en aucune manière inquiéter les salariés car la complémentarité entre les deux entreprises exclut des conséquences négatives sur l'emploi.

Industriellement, c'est l'accord dont notre pays avait besoin à la suite de sa longue histoire aéronautique pour constituer, vous l'avez dit, le cinquième opérateur mondial et le deuxième en Europe en matière d'aéronautique et d'espace.

Rappelez-vous, mesdames, messieurs les députés, il n'y a pas si longtemps la France comptait six entreprises en ce domaine : Thomson, Alcatel, Aérospatiale, Matra et les deux Dassault. Aujourd'hui, l'annonce qui vient d'être faite parachève l'action de regroupement que le Gouvernement a voulu conduire : d'un côté, Thomson et Alcatel, pour l'électronique de défense, de l'autre, Aérospatiale et Matra.

Nous sommes maintenant en position de mener, avec nos partenaires - allemands, britanniques mais aussi italiens ou espagnols - les négociations, qui prendront sans doute du temps, mais qui sont nécessaires pour que se crée en Europe un géant aéronautique de la taille de ses concurrents américains, capable de rivaliser avec eux à l'avenir. Je crois que le rapprochement accompli rend service tant à l'Europe qu'à l'industrie aéronautique française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

M. le président.

La parole est à M. Jean Codognès.

M. Jean Codognès.

Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, les tribunaux de commerce fonctionnent en France selon un schéma datant de l'Ancien Régime alors qu'ils ont aujourd'hui à régler le sort de milliers d'entreprises en difficulté et, par voie de conséquence, celui de milliers d'emplois.

Au mois de juillet 1998, une commission d'enquête de l'Assemblée, chargée de décrire le fonctionnement des tribunaux de commerce, a rendu publiques un certain nombre de défaillances de ces juridictions.

Peu après, les conclusions de cette commission ont été confirmées - et au-delà - par un rapport d'enquête mené conjointement par les inspections générales des finances et des services judiciaires. Madame la ministre, il appartient aux pouvoirs législatif et réglementaire de proposer les transformations qui, à l'évidence, s'imposent. Vousmême, au mois de décembre dernier, avez annoncé que les tribunaux de commerce seraient réformés.

Aujourd'hui, nous aimerions connaître la portée que vous entendez donner à une réforme très attendue par tous ceux qui ne comprennent pas comment la justice commerciale s'applique dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, à la suite des rapports que vous venez de citer - rapport parlementaire, rapport des inspections générales -, le Gouvernement a décidé, le 14 octobre 1998, de procéder à une réforme d'ampleur des tribunaux de commerce.

Cette réforme s'oriente suivant trois axes.

D'abord, la réforme des tribunaux proprement dits, avec la réforme de la carte judiciaire et l'introduction de juges professionnels dans les formations de jugement.

Ensuite, la réforme des professions auxiliaires - greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs, mandataires, liquidateurs.

Enfin, la réforme des lois de 1984 et 1985 sur le traitement des entreprises en difficulté, puisque, à l'occasion de la réforme des tribunaux de commerce, il s'agit aussi de se pencher sur les conditions dans lesquelles nous pouvons prévenir les difficultés des entreprises et éviter, autant que possible, leur liquidation.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? S'agissant de la carte judiciaire, les six cours d'appel comprenant les tribunaux de commerce les plus petits et les moins bien adaptés aux exigences d'aujourd'hui ont fait l'objet d'un travail prioritaire de la mission spécialement désignée à cette fin. J'espère pouvoir annoncer dans les prochaines semaines les premières décisions les concernant. Pour les trente autres cours d'appel, le travail sera terminé d'ici à la fin de l'année 1999.

S'agissant de la mixité dans les tribunaux de commerce, une commission a été mise en place par le Gouvernement. Elle est coprésidée par un magistrat du Conseil d'Etat et un magistrat de la Cour des comptes, car cette réforme visant à définir les modalités de la mixité et les procédures et à régler les questions de statut et d'organisation est menée conjointement par mon collègue Dominique Strauss-Kahn et moi-même. Cette commission doit nous rendre son rapport à la fin du mois de mars. C'est à partir de ses conclusions que nous prendrons un certain nombre de décisions.

Enfin, s'agissant des lois de 1984 et 1985, nous élaborons actuellement le texte tendant notamment à simplifier les procédures pour les plus petites entreprises, afin d'éviter que tout ce qui peut être soustrait aux créanciers ne passe dans la rémunération des intermédiaires.

Sur les professions, deux décrets ont déjà été pris. Le premier accentue le contrôle sur les administrateurs et mandataires, en les obligeant notamment à déposer leurs fonds auprès de la Caisse des dépôts. Quant au second, il est en cours de finalisation et concerne le contrôle et la discipline de ces professions.

Enfin, nous sommes en train d'élaborer un projet de loi visant à ouvrir ces professions à d'autres professionnels et à permettre à la concurrence de jouer davantage.

Tel est l'état d'avancement de la réforme. Comme vous le voyez, nous avons progressé depuis octobre. Nous avons en effet besoin d'une justice économique, qui soit à la fois plus sereine et plus impartiale, car il y a eu trop d'abus, même si beaucoup de juges de commerce font très bien leur métier. Nous avons également besoin d'une justice économique plus moderne et adaptée aux exigences de la compétitivité d'aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

ENCOURAGEMENT DE LA RECHERCHE-DÉVELOPPEMENT

M. le président.

La parole est à M. Michel Destot.

M. Michel Destot.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

En mai dernier, dans le cadre des assises de l'innovation, M. le Premier ministre a rappelé la nécessité de s'appuyer sur l'innovation, l'investissement et la création d'entreprises pour rendre durable le retour de la croissance. Nous savons que, dans les secteurs de pointe comme les biotechnologies ou le numérique, les entreprises issues de la valorisation de la recherche sont en moyenne trois à cinq fois plus créatrices d'emplois. Or il se crée chaque année dans notre hexagone seulement une trentaine d'entreprises par essaimage de chercheurs. Ces chiffres ne reflètent donc pas la richesse de notre capital scientifique et technologique qui devrait pourtant devenir un élément majeur de notre politique de lutte contre le chômage.

Certes, la France dispose d'une recherche de grande qualité, mais dans leur ensemble les études réalisées ces dernières années montrent que notre économie ne bénéficie pas, en tout cas pas suffisamment, de ce potentiel. Les rapports d'Henri Guillaume ou d'Edith Cresson sont très clairs à ce sujet : avec 1,12 % du PIB, notre pays vient en tête pour l'effort de financement public, de recherche et développement. Pourtant, la part française de brevets à l'échelon européen a baissé de 17 %. Il est donc nécessaire d'assurer la diffusion des savoirs et des innovations en proposant un cadre juridique nouveau et des aides financières en nature susceptibles de stimuler la collaboration entre les personnels de recherche et les entreprises au bénéfice des grands pôles scientifiques français comme Grenoble, Toulouse ou Rennes.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les dispositions déjà prises par le Gouvernement et celles qu'il compte prendre pour donner à notre pays les


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moyens de transformer ce potentiel incontestable en un progrès durable et fortement créateur d'emplois ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, le Gouvernement a pris un certain nombre de dispositions concernant l'innovation. Dans deux jours, nous présenterons au Sénat, en première lecture, un projet de loi tendant à favoriser l'innovation et la création d'entreprises innovantes par l'essaimage des chercheurs, en renforçant les liens entre les établissements publics et privés ainsi que par un certain nombre de dispositions administratives facilitant la création d'entreprises, sans pour autant confondre les genres entre la recherche fondamentale et ses applications.

Parallèlement, sera lancé le 1er mars dans toute la France un concours de création d'entreprises innovantes qui se fera sur la base régionale d'un concours à idées, jugé par des jurys régionaux dont les vainqueurs recevront une somme afin de préparer le projet final qui, lui, sera soumis à un jury national placé sous la présidence de M. Jean-Louis Beffa.

M. Richard Cazenave et

M. Philippe Auberger.

Gadget !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Par ailleurs, un fonds d'incubation (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) et d'amorçage, doté d'une somme de 200 millions de francs, sera mis en place par le ministre des finances, de l'économie et de l'industrie et moi-même, dès la semaine prochaine.

Enfin - et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le député -, jeudi sera inauguré dans votre ville, à Grenoble (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe de Démocratie libérale et Indépendants. Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), le premier réseau de recherches technologiques associant le privé et le public dans un domaine extrêmement important qui concerne les nanotechnologies.

Comme vous pouvez le constater, le programme du Gouvernement visant à favoriser la création d'entreprises innovantes, et qui, c'est vrai, avait pris un certain retard, se met aujourd'hui en place. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

NÉGOCIATIONS DE RAMBOUILLET

M. le président.

La parole est à M. Pierre Brana.

M. Pierre Brana.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, depuis le 6 février, la France copréside, avec nos amis britanniques, la conférence de Rambouillet sur le Kosovo. Les représentants des parties opposées, serbes et kosovars, ont accepté de venir en France pour ouvrir les pourparlers. Ils ont ainsi cédé aux recommandations pressantes de la communauté internationale, du groupe de contact et de la France qui n'a pas ménagé ses efforts.

L'ambassadeur français, chef adjoint de la mission de vérification au Kosovo, a salué cette réunion comme un grand pas dans la bonne direction et une belle réussite de la diplomatie française.

Monsieur le ministre, les socialistes partagent cette analyse, mais rien n'est joué, rien n'est acquis. Il faut vite transformer l'essai. Certes, les protagonistes ont accepté de venir en France, mais, à ce jour, les choses ne semblent guère avoir été plus loin. A la veille de la conférence, vous avez signalé votre détermination. Il faut aboutir, avez-vous déclaré le 5 février. Face aux résistances des uns et des autres, le groupe de contact se doit de faire pression pour que chacun prenne le chemin des compromis. Que pouvez-vous, à ce jour, nous dire à ce sujet ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Pensez-vous avoir de bonnes nouvelles à nous annoncer samedi prochain, terme de la négociation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, je ne peux, aujourd'hui, que confirmer la parfaite unité des six pays du groupe de contact, tous déterminés à parvenir à un accord d'ici à la fin de la semaine. Cela suppose, pour chacune des deux parties que nous avons réussi à faire venir à Rambouillet, un vrai renoncement en même temps qu'un vrai courage politique. Les voilà placées devant un choix historique, qui déterminera leurs positions dans l'Europe de demain, les formes de la coexistence ou de l'affrontement. Nous avons créé les conditions permettant de faire ce choix de l'avenir. Mais c'est à eux qu'il appartient de prononcer le dernier mot, de faire le dernier choix. D'ici à la fin de la semaine, notre rôle sera de maintenir et d'intensifier la pression jusqu'à la dernière minute utile. C'est, d'ailleurs, ce que nous faisons déjà. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

PLACE

DES

FEMMES DANS LA HAUTE

FONCTION

PUBLIQUE

M. le président.

La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie.

M me Michèle Alliot-Marie.

Monsieur le Premier ministre, votre projet sur la parité élective revient cet après-midi devant notre assemblée. Dans le même temps, un hebdomadaire montre que, depuis votre arrivée au Gouvernement, moins de 10 % de femmes figurent parmi les nominations de hauts fonctionnaires en conseil des ministres. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) P lusieurs députés du groupe socialiste.

Et les

« Juppettes » ?

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ces chiffres sont confirmés par votre ministre de la fonction publique et ils pourraient également l'être par la simple lecture du Journal officiel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Or, nous le savons tous et toutes, ce sont souvent les titulaires de ces postes de hauts fonctionnaires pourvus en conseil des ministres qui détiennent une part essentielle du pouvoir de décision.

Monsieur le Premier ministre, à la fois pour éviter que les femmes ne se sentent flouées et pour démontrer, le cas échéant, l'absence d'arrière-pensées (Murmures sur les bancs du groupe socialiste),...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Juppé ! Juppé !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Mme Michèle Alliot-Marie.

... je souhaite que vous nous indiquiez, d'abord, si vous vous engagez solennellement devant la représentation nationale à aller réellement v ers la parité pour les nominations de hauts fonctionnaires,...

Mme Martine David.

Dites-le au Sénat !

Mme Michèle Alliot-Marie.

... dans quels délais, et comment.

Je vous rappelle, en effet, que les nominations en conseil des ministres dépendent en quasi-totalité de la seule volonté gouvernementale, puisqu'elles sont discrétionnaires, et qu'il n'est nul besoin d'études pour affirmer une volonté politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Madame la députée, la question de la représentation nécessairement croissante des femmes dans la vie publique de notre pays, qu'il s'agisse de fonctions électives ou de postes dans la haute administration revêt une importance particulière à nos yeux, dans la mesure où notre pays est, dans ce domaine, en retard par rapport à la plupart des grandes démocraties européennes.

Nous avons donc à consentir, chacun à notre place, un effort de volontarisme dans nos choix, dans nos pratiques, indépendamment des modifications qu'il peut être utile d'apporter à notre texte constitutionnel - un débat est en cours sur ce sujet - ou à telle disposition législative.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

La formation politique à laquelle j'appartiens a maintes fois fait preuve de ce volontarisme. Tel a, par exemple, été le cas à l'occasion des dernières élections européenn es où le parti socialiste a présenté, à la suite de Michel Rocard et sur sa proposition, une liste entièrement paritaire. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Nicolin.

Ce n'est pas la question !

M. François Vannson.

Beau succès !

M. le Premier ministre.

Les scores qui m'intéressent en ce qui concerne les élections européennes ne sont plus ceux d'hier, mais ceux de demain.

M. François Vannson.

Alors n'en parlez pas !

M. le Premier ministre.

Nous aurons l'occasion d'en reparler.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Lors des dernières élections législatives, le parti socialiste - et je ne veux pas parler au nom d'autres formations politiques de la majorité qui ont également fait un effort pour que les femmes soient nombreuses dans leurs rangs - a décidé de consacrer 30 % des circonscriptions à des candidates femmes. Je crois d'ailleurs être fondé à affirmer aujourd'hui devant vous, madame la députée, que, si les femmes sont relativement nombreuses dans cette assemblée, elles le sont à gauche, surtout sur les bancs du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous étant heurtés, au cours d'autres législatures, à l'obstacle constitutionnel - vous vous souvenez sans doute qu'une proposition de loi sur ce sujet a été censurée par le Conseil constitutionnel -, nous avons proposé une démarche fondée sur le concept de parité pour faire sa place, dans la Constitution, à l'égalité des hommes et des femmes.

M. François Vannson.

Ce n'est toujours pas la question !

M. le Premier ministre.

M. le Président de la République a d'ailleurs bien voulu accompagner cette démarche par une proposition commune. (« La question, la question ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

L'Assemblée a approuvé cette proposition à l'unanimité.

M. Yves Nicolin.

Répondez à la question !

M. le Premier ministre.

Repoussée au Sénat, elle revient aujourd'hui devant vous. Vous déciderez librement de confirmer votre démarche, et j'espère que nous lèverons cet obstacle.

En ce qui concerne les postes dans la haute administration (« Ah, enfin ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

Mesdames, messieurs, il faut regarder l'ensemble pour former son jugement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) En effet, si l'on ne balaie pas largement le champ d'application, on est menacé de strabisme. (Sourires.)

En ce qui concerne donc les postes dans la haute administration, je vais vous dire très clairement quel est mon avis sur les nominations qui interviennent en conseil des ministres, en règle générale sur la proposition du Gouvernement, même si, bien sûr, l'accord du Président de la République est nécessaire. Je ne le mets donc nullement en cause dans cette affaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Cela est normal puisque les propositions viennent du Gouvernement, encore qu'il lui soit arrivé d'en suggérer quelquesunes ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. André Santini.

Voilà !

M. le Premier ministre.

D'ailleurs, ces quelques propositions concernaient davantage quelques-uns que quelques-unes ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - « Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Quoi qu'il en soit, je considère que la part faite aux femmes dans nos propositions de nomination à des postes dans la haute fonction publique est largement en dessous de ce qui serait nécessaire.

Au cours d'une discussion que j'ai eue récemment avec la ministre de l'emploi et de la solidarité, Martine Aubry, je lui ai fait observer qu'il n'y avait aucune candidature de femme dans ses propositions pour les nominations aux


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postes de directeur des structures hospitalières régionales.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants). Elle m'a alors répondu que toutes les femmes qu'elle avait pressenties avaient renoncé à répondre positivement en invoquant des contraintes maternelles, leurs obligations familiales ou l'avis de leur conjoint. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Cela signifie que nous devons exercer une poussée volontariste pour favoriser l'engagement des femmes. J'ai ainsi demandé, lors du dernier séminaire gouvernemental, que l'on nomme davantage de femmes dans les postes de chef de bureau, de sous-directeur, de chef de service afin de disposer d'un vivier suffisant pour les candidatures à la haute fonction publique. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

Des efforts supplémentaires sont donc indispensables.

En tirant le verrou constitutionnel, nous donnerons ensemble un signal qui s'imposera à tous les décideurs politiques.

Demain Mme Colmou remettra au ministre de la fonction publique et de la décentralisation un rapport sur la féminisation dans la fonction publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) AGGRAVATION DE L'INSÉCURITÉ

M. le président.

La parole est à M. Jacques Godfrain.

J'insiste, mon cher collègue, pour que vous soyez bref, afin que nous puissions prendre la troisième question du groupe RPR.

M. André Santini.

Le Premier ministre a été inutilement long.

M. le président.

Peut-être, monsieur Santini, mais vous n'avez cessé de l'interrompre. (Rires et protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. André Santini.

Dans son intérêt !

M. Jacques Godfrain.

Monsieur le Premier ministre, vous avez récemment confirmé ce que les Françaises et les F rançais ressentent très douloureusement, avec des chiffres issus de vos propres services et qui ont bénéficié de toute la publicité nécessaire : au cours de l'année dernière l'insécurité en France a augmenté de plus de 2 %.

Cette aggravation constitue, mes chers collègues, un changement net par rapport à la diminution que nous avions connue depuis 1994. Ceux qui voulaient le changement sont servis ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Cette insécurité appelle donc des mesures. Vous en avez d'ailleurs promis pour cette année, notamment la nomination, dans les quartiers sensibles, de 1 200 policiers supplémentaires, 7 000 d'ici à trois ans. Il s'agit d'une bonne mesure, mais elle n'est pas la seule que nous attendons. Néanmoins c'est un bon début.

Toutefois, monsieur le Premier ministre, nous nous interrogeons sur votre capacité à répondre sans travestir la vérité à la question suivante : où allez-vous les prendre ? Procéderez-vous en ne remplaçant pas les départs en retraite dans certains départements afin d'accroître le nombre des nominations dans des départements plus sensibles ? Si tel était le cas, vous seriez conduit à fermer des commissariats, ce qui serait contraire à votre promesse.

Par ailleurs allez-vous faire entrer les CRS dans les commissariats de police, leur enlevant ainsi leur mission de maintien de l'ordre ? Enfin allez-vous dissoudre les brigades anti-criminalité qui obtiennent d'excellents résultats sur le terrain ? Monsieur le Premier ministre, entre les effets d'annonce, les gesticulations sur l'insécurité et la réalité du terrain, il y a un pas qui, à mon avis, n'est pas près d'être franchi.

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur Godfrain, s'il ne saurait être de mise de se réjouir de la croissance de 2,06 % du nombre des crimes et délits constatée en 1998, il n'y a pas lieu non plus de dramatiser. En effet, cette année est la troisième moins mauvaise depuis 1990. D'ailleurs, l'analyse des chiffres montre que le nombre de certains délits baisse, par exemple les vols avec violence, les vols à main armée, les vols avec ruse. Le plus préoccupant est la montée de la délinquance des mineurs - 11 % d'accroissement - et l'augmentation des violences urbaines, tendance continue depuis 1993.

Les mesures annoncées par le conseil de sécurité intérieure prévoient, notamment, un certain redéploiement sur la voie publique de personnels appartenant à des administrations centrales et à certaines directions logistiques, par externalisation des fonctions ou par réorganisation intérieure.

Les brigades anti-criminalité ne sont pas menacées, car une police d'intervention est toujours nécessaire. Néanmoins il faut aussi rapprocher la police de la population, aller vers une police de proximité. En effet nous n'avons plus à craindre de grandes grèves insurrectionnelles ou des mouvements de masse. La délinquance à laquelle nous avons à faire face est beaucoup plus particulière. Il s'agit notamment de prévenir les violences urbaines.

Toutes les dispositions mises en oeuvre tendent à accroître l'efficacité de la police.

Je peux vous indiquer que les chiffres de la délinquance du mois de janvier témoignent d'une baisse de plus de 2 % par rapport à l'an dernier. Je reconnais cependant que cela n'a pas grande signification parce que l'on ne peut pas raisonner sur un mois.

Il faut traiter ces problèmes sans surenchère et, je vous en prie, sans démagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

RÉGULARISATION DES SANS-PAPIERS

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani, à qui je demande d'être bref car le temps de son groupe est pratiquement épuisé.

M. Thierry Mariani.

Monsieur le Premier ministre, dans le Vaucluse, une expression de nos anciens rend bien compte de votre politique : Aves ben parla maï qu'aves fa, vous parlez bien mais que faites-vous ? Vous parlez bien de la délinquance, mais que faitesvous ? Rien ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous parlez bien des retraites, mais que faites-vous ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Rien ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous parlez bien de l'immigration irrégulière, mais que faites-vous ? Rien ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Ma question portera d'ailleurs sur ce sujet. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous pouvez protester, mais les Français savent très bien que, sur les 140 000 dossiers de clandestins, vous en avez régularisés 80 000 et qu'il en reste encore aujourd'hui 60 000 sur notre territoire.

Nous vous entendons donc répéter depuis des mois, ici, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l'intérieur, que vous allez les inviter à quitter le territoire.

Nous nous étions dit que le retour de M. Chevènement allait peut-être arranger les choses, mais il ne s'est toujours rien passé.

En matière d'immigration irrégulière, monsieur le Premier ministre, allez-vous mettre vos actes en accord avec v os propos et faire enfin respecter la loi de la République ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur Mariani, vous êtes un spécialiste des interventions sur le sujet.

M. François Vannson.

Et vous des non-réponses !

M. le ministre de l'intérieur.

Heureusement, aujourd'hui, en France, le débat sur l'immigration a changé de sens. Ainsi chacun s'est rendu compte que le problème principal est l'accès à la citoyenneté de Français nés de l'immigration. En revanche, la question que vous avez évoquée est très largement sortie d'un débat empoisonné droite-gauche qui ne faisait que le jeu de l'extrême droite.

La raison tient au fait que le Gouvernement a eu une approche juste, équilibré, humaine et ferme de ce problème. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Les régularisés sont ceux qui avaient des conjoints français ou étrangers en situation régulière, ceux qui avaient des enfants nés en France - plus de 20 000 -, ceux qui appartenaient à une famille dont les parents habitaient la France en situation régulière et, pour 20 000 d'entre eux, ceux qui n'avaient pas de charges de familles mais donnaient tous les signes d'une bonne intégration.

Les immigrés dont la situation n'a pas été régularisée s'exposent à être contrôlés sur la voie publique et, par conséquent, reconduits dans leur pays, ce qui correspond à la marche normale de l'administration.

A l'époque où M. Pasqua ou M. Debré était ministre de l'intérieur, jamais le nombre de reconduits n'a dépassé 12 000 dans l'année. Or, à la même époque, M. Philibert et Mme Sauvaigo évaluaient à 800 000 le nombre des clandestins. Que faisiez-vous donc à l'époque ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Nicolin.

Et vous ?

M. le ministre de l'intérieur.

Dans un pays, mesdames, messieurs les députés, qui accueille chaque année 100 millions d'étrangers...

M. Yves Nicolin.

Cela n'a rien à voir !

M. Alain Calmat.

Si, cela a tout à voir !

M. le ministre de l'intérieur.

... dont 64 millions de touristes, des centaines de milliers d'étudiants, des millions de voyageurs d'affaires ; dans un pays aussi largement ouvert et dont l'intérêt est de le rester, le nombre que vous évoquez n'est, permettez-moi de souligner, qu'une marge statistique. Notre police des frontières accomplit parfaitement son travail. Elle démantèle chaque semaine des filières d'immigration clandestine.

M. Yves Nicolin.

Tout va bien alors !

M. le ministre de l'intérieur.

Je pense que cette politique est de nature à rassurer les Français. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

ALLÉGEMENT DES CHARGES SOCIALES

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi ou à M. le ministre de l'économie et des finances.

Les chiffres que vient de publier l'UNEDIC et les résultats comparés des politiques en Europe montrent l'efficacité de l'allégement des charges sociales en termes tant d'emploi que de réduction des disparités. Or, alors que 45 milliards de francs avaient été consacrés par les deux gouvernements précédents à l'allégement des charges sociales sur les bas salaires, cette politique a été interrompue.

La semaine dernière, en répondant à deux questions de Mme Boisseau et de M. Borotra sur l'industrie textile, le Gouvernement a précisé qu'il avait été amené à modifier le régime d'allégement des charges mis en place par le gouvernement précédent, parce qu'il était contraire à nos engagements communautaires. Mais Mme la ministre du travail a oublié un détail et, en l'occurrence, une demivérité peut devenir un mensonge. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Pourquoi n'avoir pas ajouté que les négociations menées par Jacques Barrot et Franck Borotra vous permettaient, si vous l'aviez voulu, d'étendre aux salaires ouvriers manuels cette mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est d'ailleurs le sens du dossier Maribel qui, en Belgique, a permis, dans ces deux dernières années, de prolonger l'allégement des charges sociales et de le porter de 50 milliards à 75 milliards de francs belges.

Monsieur le ministre, est-il exact ou faux que le gouvernement belge ait obtenu de la commission un élargissement de l'allégement des charges sociales sur les bas salaires ouvriers ?

M. André Santini.

Bonne question !

M. Lucien Degauchy.

Mais le ministre ne répondra pas !

M. Pierre Méhaignerie.

D'autre part, ne pensez-vous pas qu'il serait plus juste socialement d'affecter à la poursuite de l'allégement des charges sociales les milliards de francs consacrés à l'augmentation des dépenses publiques qui creusent chaque jour un peu plus le fossé, au détri-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

ment de millions de salariés du secteur privé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à la ville.

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

Monsieur Méhaignerie, la semaine dernière et les semaines précédentes, Mme Aubry vous a dit ce qu'il fallait dire au sujet du plan textile. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Elle avait pris l'engagement devant l'opposition de publier, le cas échéant, l'ensemble des lettres qui lui seraient parvenues de la Commission, pour faire un sort à votre argumentation à propos du plan textile. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pour ce qui est de la baisse des charges des prélèvements obligatoires, qui pourrait être en désaccord avec une telle idée ? En revanche, nous sommes en opposition sur la manière d'y arriver.

Lorsque vous étiez majoritaires, vous avez fait un choix qui a conduit à l'augmentation des prélèvements sur les ménages, à la fin de la création d'emplois et à l'accroissement du chômage.

M. Richard Cazenave.

Scandaleux !

M. le ministre délégué à la ville.

Notre réponse à nous est de favoriser la création massive d'emplois car c'est las eule manière de préserver notre protection sociale (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) en améliorant son financement, et d'aider celles et ceux qui sont au chômage.

Pour le reste, monsieur Méhaignerie, vous pourrez constater que le Gouvernement, dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale...

M. Edouard Landrain.

Carton rouge !

M. le ministre délégué à la ville.

... mais aussi de la seconde loi relative à la réduction du temps de travail, fera des propositions pour tenir compte de la situation des entreprises à fort taux de main-d'oeuvre, qui participent plus qu'il ne faudrait au financement de la protection sociale. A l'occasion de ces deux moments de la vie parlementaire, nous aurons à tenir compte de la problématique que vous avez soulevée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

DISPARITÉS ENTRE LE SECTEUR PROTÉGÉ ET LE SECTEUR CONCURRENTIEL

M. le président.

La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy.

Monsieur le ministre délégué à la ville, il est vraiment regrettable que le Gouvernement, une fois de plus, ne réponde pas aux questions de la représentation nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La question étant pourtant claire : elle concernait le plan Maribel en Belgique. Vous n'avez pas dit un mot en réponse à cette question, ce qui est tout de même incroyable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Semaine après semaine, le Gouvernement évite de répondre aux questions qui lui sont posées ici, en travaillant « au carbone » ! Il faudrait que cela cesse.

Monsieur le Premier ministre, toutes les publications, tous les rapports démontrent que les inégalités s'accroissent entre les salariés du secteur protégé et ceux du secteur concurrentiel. Inégalités dans le nombre d'heures travaillées, inégalités dans le niveau des salaires, inégalités dans le montant des retraites et l'âge de départ.

Monsieur le Premier ministre, il est plus que temps d'engager un débat de vérité, un débat au fond, devant le Parlement, pour envisager les réformes qui permettraient de combler progressivement ce fossé.

M. Alfred Recours.

Ben voyons !

M. Maurice Leroy.

Ce débat n'a rien de polémique, mon cher collègue. Il touche aux questions de fond de notre société.

Monsieur le Premier ministre, y êtes-vous prêt ? Pour notre part, nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

...

M. André Santini.

On cherche un volontaire ?

M. le président.

... à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Ce n'est qu'un problème...

M. André Santini.

De casting ?

M. le président.

... un simple problème de la part de vision du président ! Vous avez la parole, monsieur le secrétaire d'Etat.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, vous avez sans doute fait allusion aux conquêtes récentes, qui en sont suivi bien d'autres, des travailleurs et de leurs organisations syndicales dans l'organisation du travail, l'aménagement et la réduction du temps de travail dans les entreprises publiques.

M. Maurice Leroy.

Ce n'est pas ça ! Réponse au carbone !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Grâce à leur tradition ouvrière et syndicale, ils ont pu arracher de nombreux avantages, et, récemment encore, à EDF, comme l'a montré la signature, par l'ensemble des organisations syndicales, d'un accord sur l'aménagement-réduction du temps de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maurice Leroy.

Ce n'est pas la question !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Et nul ici ne peut critiquer le fait - et ne saurait s'en plaindre - que, dans des entreprises de haute technologie à rayonnement mon-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

dial sur leur marché, la réussite sociale, comme la réussite économique, est au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous souhaitons que, dans les entreprises privées, il en soit de même. On peut attendre d'une entreprise privée, lorsque sa réussite en termes de croissance, de compétitivité et de présence sur les marchés le permet, des succès sur le plan social aussi . Lorsque ceux-ci sont possibles, le gouvernement de gauche, le gouvernement de la majorité plurielle, s'en félicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous passons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

ANNULATION DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DANS LA 9 E

CIRCONSCRIPTION DES BOUCHES-DU-RHÔNE

M. le président.

La parole est à M. Roland Blum.

M. Roland Blum.

Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Dans sa décision du 3 février 1999, le conseil constitutionnel a procédé à l'annulation des élections législatives de la neuvième circonscription des Bouches-du-Rhône, et ce pour fraude électorale organisée.

M. François Goulard.

Tricheurs !

M. Roland Blum.

En effet, dans la ville d'Aubagne, les représentants du candidat communiste se sont livrés, selon la haute juridiction, à une falsification des chiffres sur les procès-verbaux des bureaux de vote nos 10, 17 et 96. (Huées sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Et un certain nombre d'électeurs inscrits, qui n'avaient pas participé au scrutin, avaient eu la surprise de découvrir qu'ils avaient voté. (« Et Tiberi alors ? » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

La gravité de ces manoeuvres frauduleuses, dignes de ce que l'on peut constater encore dans les pays totalitaires, et qui portent atteinte au principe même de la démocratie, a certes justifié l'annulation des élections, mais elle pose un problème de droit et surtout de morale.

M. Jean-Claude Perez.

Tiberi !

M. Roland Blum.

Guy Carcassonne, dont les qualités de juriste sont incontestables, a eu le mérite de poser clairement le problème.

En effet, les lois sur le financement des campagnes électorales sanctionnent tout manquement à leurs règles par l'inéligibilité, au moins temporaire, des candidats fautifs. Tel n'est pas le cas pour les manipulations des opérations de vote. (« A Paris ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ainsi, le bénéficiaire de fraudes électorales peut agir en toute sérénité, puisqu'il a tout à gagner et rien à perdre dans la mesure où, en cas d'annulation, il a toujours la possibilité de se représenter devant les électeurs.

A lors, ma question sera double. Envisagez-vous, madame la garde des sceaux, de déposer devant notre assemblée un projet de loi visant à rendre inéligibles les candidats élus au bénéfice de la fraude électorale ? (« Tiberi ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

En outre, une plainte pénale a été déposée pour fraude électorale et l'instruction est en cours.

Il est étonnant que, à ce jour, alors que les preuves en ce domaine sont incontestables, et appuyées notamment par la décision du Conseil constitutionnel, le parquet n'ait pas encore pris les réquisitions supplétives pour faux en écriture publique - ce qui est le cas en l'espèce.

Ainsi, vous-même qui, au sein du Gouvernement, vous référez souvent à la morale, donnerez-vous au parquet les instructions nécessaires pour que la saisine du juge soit étendue aux infractions caractérisées de faux en écritures publiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Tiberi !

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, comme vous l'avez rappelé, le 28 septembre dernier, M. Belviso a été proclamé élu avec vingt voix d'avance sur son adversaire M. Deflesselles, qui a introduit un recours pour annulation de cette décision devant le Conseil constitutionnel, lequel a annulé l'élection le 3 février 1999.

Le Conseil constitutionnel n'a pas jugé possible de d éterminer exactement le nombre de suffrages qui devaient être attribués à chacun des deux candidats présents au second tour.

Dans le cadre de la procédure suivie, il n'a pu que valider ou annuler l'élection d'un candidat. Il n'est pas habilité à prononcer son inéligibilité. L'inéligibilité ne pe ut, en effet, se prononcer qu'en vertu des articles L.O.

128 et L.O.136-1 du code électoral, c'est-à-dire dans les cas où le candidat n'a pas respecté les obligations liées au dépôt du compte de campagne ou dans le cas où il a dépassé le plafond de ses dépenses électorales.

M. Arnaud Lepercq.

Ce n'est pas normal !

Mme la garde des sceaux.

En l'occurrence, le compte de campagne de M. Belviso avait été approuvé par la commission nationale des comptes de campagne.

Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale.

Ce n'est pas la question !

Mme la garde des sceaux.

J'ajoute que, parallèlement à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel, une information judiciaire du chef de fraude électorale sur le fondement de l'article L.

92 du code électoral est ouverte depuis le 7 octobre 1998.

Bien entendu, il ne m'appartient pas, monsieur le député, de me prononcer sur une procédure judiciaire en cours. Je vois qu'il vous a encore échappé que ce gouvernement avait décidé de ne plus donner d'instructions individuelles au parquet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Nicolin.

Vous protégez les fraudeurs !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

STRATÉGIE DU GROUPE AVENTIS

M. le président.

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La divulgation d'une note ultra-confidentielle vient de confirmer la stratégie de la nouvelle société Aventis, née du rapprochement entre les entreprises Rhône-Poulenc et HMR. Le texte, élaboré dans le plus grand secret par les principaux dirigeants de l'entreprise, prévoit la suppression de 10 000 emplois dans le monde, dont 3 000 dans notre pays. Les sites de Romainville et de Compiègne sont concernés.

Un fleuron de la recherche française ainsi est menacé de disparition. En effet, c'est à Romainville, par exemple, qu'a été mise au point la pilule abortive. On s'apprête à sacrifier des recherches sur des molécules permettant de guérir le cancer du sein. Ainsi seraient remis en cause les moyens de mener une véritable politique de santé publique. Comment parler de coopération européenne dans ces conditions ? Tout cela se fait au nom de la rentabilité financière. Il s'agit de passer d'une marge de 13 % - déjà très importante - à 20 %. Monsieur le secrétaire d'Etat, en décembre, répondant à une question de mon ami André Gerin, vous aviez voulu vous montrer rassurant. Aujourd'hui, cet optimisme n'est plus de mise devant les preuves de ce qui se prépare.

A propos de l'AMI, M. Jospin avait très justement expliqué : « Les Etats doivent rester les acteurs majeurs de la vie internationale. Constatant les bouleversements récents, les mouvements hâtifs et parfois irraisonnés qui se sont emparés des marchés, il ne nous paraît pas sage de laisser les intérêts privés mordre à l'excès sur la sphè re de souveraineté des Etats. »

C'est d'autant plus vrai quand il est question de santé publique. Le médicament n'est pas une marchandise comme une autre.

Je souhaite donc connaître les mesures que compte prendre le Gouvernement pour stopper ce mauvais coup contre l'emploi, la recherche, la santé, en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, en effet, la fusion annoncée - je reviendrai sur ce terme dans un instant - entre Hoechst et Rhône-Poulenc, et qui donne ou donnera peut-être naissance à la société Aventis, doit concentrer la stratégie de l'entreprise sur les sciences de la vie pour devenir un des deux ou trois leaders mondiaux dans ce domaine. Et vous avez mille fois raison de dire que ce renforcement ne doit pas se faire au détriment ni de la recherche-développement, très poussée dans ce groupe, ni de l'emploi.

Cette décision, monsieur le député, n'est pas encore confirmée par les actionnaires des deux sociétés. On sait que ces deux groupes ont une présence importante en France, comme en témoigne le choix de Strasbourg comme siège social d'Aventis. Pour le Gouvernement, l'opération devra favoriser le développement des capacités de recherche et de production, et surtout la mise au point de produits innovants destinés, comme vous l'avez dit, à mieux servir la santé.

Un document émanant d'un consultant de l'entreprise, qui a été adressé à certains élus ainsi qu'à des personne ls de Hoechst-Marion-Roussel, attribue au groupe Aventis l'intention de fermer ou de céder un certain nombre de sites dans le monde, dont quelques-uns en France. Il laisse entendre notamment que la nouvelle entité pourrait, sur une période de dix ans, fermer le site de Romainville où le groupe Hoechst-Marion-Roussel a des a ctivités importantes, notamment en matière de recherche.

Je ne peux considérer ce document comme l'annonce par ce groupe de son intention de fermer ce site et, au nom du Gouvernement, j'exprime très fermement notre attachement aux sites français qui doivent conserver toute leur place dans le nouvel ensemble. Il incombe à des groupes comme ceux que j'ai cités d'exercer clairement leurs responsabilités sociales et économiques à l'égard des sites et des régions dans lesquels ils sont implantés. On ne comprendrait pas l'inverse.

C'est pourquoi, avec mes collègues M. Strauss-Kahn, Mme Aubry et M. Kouchner, nous suivons de près l'évolution des conséquences de cette fusion annoncée, mais pas encore réalisée. Et je vous propose, monsieur le député, que nous nous retrouvions, dans la première quinzaine du mois de mars, avec Mme Neiertz, qui m'a déjà fait la même demande, M. le maire de Romainville et M. le président du conseil général de Seine-SaintDenis, à la fois pour évaluer la situation nouvelle qui pourrait être ainsi créée - je parle toujours au conditionnel - et pour organiser la concertation avec l'entreprise et les organisations syndicales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons en questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

PARTENARIAT ÉCONOMIQUE TRANSATLANTIQUE

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod.

M. Michel Suchod.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il apparaît que la Commission européenne élabore actuellement un projet de décision du conseil des ministres concernant le partenariat économique transatlantique entre l'Europe et les

Etats-Unis. Or ce projet de 27 pages a tout lieu de nous inquiéter - projet d'ailleurs, je vous le signale, mes chers collègues, que j'ai reçu par Internet, et non pas en tant que membre de la délégation pour l'Union européenne de cette assemblée.

D'abord, la Commission veut procéder à ces modifications dans l'extrême urgence et propose un calendrier à marche forcée qui tiendrait dans le premier trimestre de cette année.

Ensuite, sur le fond, le texte indique sans ambiguïté dans quel contexte idéologique sont conduites les négociations. La Commission, estimant que les rapports entre l'Union européenne et les Etats-Unis sont actuellement entravés par trop d'obstacles, s'emploie à stigmatiser ces obstacles et demande qu'ils soient levés. Il est bien évident qu'on souhaite des négociations multilatérales écartant les Etats, bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de négociations commerciales.

Au total, il ne s'agit rien moins que d'établir une nouvelle loi qui aurait la prééminence sur toutes les autres en matière commerciale, d'appliquer ces nouvelles réglementations à l'ensemble du territoire des parties, indépendamment de toute structure constitutionnelle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

L'accord de partenariat transatlantique devrait primer toute réglementation nationale, et même européenne. Il est même indiqué dans les critères techniques, par exemple, que l'importation d'un produit industriel ne soit plus soumise qu'à un minimum de conditions.

Monsieur le ministre, vous voyez donc bien que ce projet a de quoi inquiéter.

Quand vous saurez que, en outre, le texte se propose ingénument de relancer l'AMI, alors que le Premier ministre, dans une déclaration solennelle devant cet hémicycle, avait repoussé cette négociation, que par ailleurs la Commission, pour une fois très pédagogue, nous appelle à un recentrage complet de nos relations économiques avec les Etats-Unis, vous comprendrez notre émoi.

P ermettez-moi de résumer ma question en vous demandant, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur cette vision du partenariat économique transatlantique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, vous vous souvenez qu'au printemps dernier, le commissaire Brittan avait envisagé de mener une négociation sous le nom de

« nouveau marché transatlantique », que nous avions considérée comme inacceptable et que la France avait fait échouer. En effet, elle comprenait de nombreux éléments que nous n'avions aucunement l'intention de suivre.

Depuis, la discussion est repartie, sur un plan plus modeste, sous le nom de « partenariat économique transatlantique ». Les discussions qui ont lieu depuis décembre, pour encadrer le mandat de la Commission, sont en cours. Les parties les plus inacceptables en ont été retirées mais nous ne sommes pas exactement venus à bout du sujet.

L'important dans cette affaire, je le constate, c'est qu'en réalité, depuis décembre, loin d'un partenariat amélioré, nous avons des causes nouvelles de contentieux avec nos partenaires américains, entre autres à propos de la viande et de la banane. Ce n'est pas ainsi que nous concevons le partenariat.

Qu'il faille améliorer et développer nos relations commerciales, tout le monde en est d'accord. Mais pour le Gouvernement, il est hors de question, d'une part, qu'un des partenaires, aussi puissant soit-il, soit à la fois juge et partie, d'autre part, que la libéralisation à tout crin dans le domaine des échanges « nouveau marché t ransatlantique » ou dans celui de l'investissement - l'AMI - que vous avez cité, soit la règle de conduite.

Ce que vous voulons, c'est une ouverture des frontières respectueuse des salariés, des consommateurs, de l'environnement et de la souveraineté nationale. Je me rendrai d'ailleurs aux Etats-Unis dans deux jours avec mon collègue Hubert Védrine, dans le cadre du voyage du Président de la République, et nous ferons valoir auprès de nos partenaires américains la position française sur le commerce international. Je tiens à affirmer qu'en aucun cas les positions prises dans cette assemblée, à l'occasion du débat sur l'AMI, ne sont changées : nous sommes favorables à l'ouverture des frontières, dans des conditions équilibrées et dans le respect des droits des salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et groupe Radical, Citoyen et Vert.)

CONFE RENCE D'INTERPOL A RANGOON

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Toutes celles et tous ceux, dont nous sommes, qui sout iennent depuis de longues années le combat de Mme Aung San Suu Kyi pour la démocratie en Birmanie, ont été stupéfaits d'apprendre que se tiendra prochainement à Rangoon une conférence internationale sur l'héroïne, organisée par Interpol. En effet, il apparaît de plus en plus clairement que la junte de Rangoon est une narcodictature et que 60 % de l'héroïne circulant sur le globe provient de ce pays dont le blanchiment de l'argent sale est de loin la première activité financière. Le régime birman est, par ailleurs, régulièrement condamné pour ses graves violations des droits de l'homme et cela lui vaut d'être boycotté par la plupart des hauts responsables occidentaux. Pourquoi n'en est-il pas de même des fonctionnaires de police et des responsables d'Interpol ? La tenue de cette conférence ne revient-elle pas à blanchir la dictature qui enferme la Birmanie dans la misère ? D'ores et déjà, sous la pression des ONG et des parlementaires, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, puis, plus récemment, les Etats-Unis ont protesté et ont renoncé à se rendre à Rangoon. Le Parlement belge a adopté, le 8 février dernier, une résolution très ferme à ce sujet. La France, quant à elle, est restée muette jusqu'à maintenant. Serait-elle plus indulgente ou plus hésitante sur le sujet, soucieuse, peut-être, de protéger les investissements des entreprises françaises dans ce pays ? Monsieur le ministre, quelle est la position française sur la tenue de cette conférence ? Si celle-ci était maintenue, la France a-t-elle l'intention d'y envoyer une délégation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Madame la députée, la décision que vous évoquez a été prise par Interpol et la France n'y a pas pris part. Notons seulement que cette organisation se réunit souvent dans les zones qui sont particulièrement concernées par ces questions.

Toujours est-il que, compte tenu du contexte particulier que connaît la Birmanie et de la situation politique que vous rappeliez, M. le ministre de l'intérieur et moimême avons décidé qu'il n'y aurait pas de délégation française à cette conférence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mais il va sans dire qu'Interpol est une organisation plus nécessaire que jamais, et que nous continuerons à travailler activement avec elle et à coordonner notre action avec les pays concernés, notamment dans la lutte contre ces fléaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

2 ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (nos 1354, 1377).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la rédaction du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives qui a été adopté par le Sénat le 26 janvier dernier diffère profondément du texte que tous les groupes de votre assemblée avaient adopté à l'unanimité.

Le Sénat a, en effet, opéré deux modifications fondamentales : d'une part, il a préféré inscrire la règle de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions à l'article 4 de la Constitution qui concerne les partis politiques, au lieu de l'article 3 ; d'autre part, il a préféré s'en remettre à la sagesse des partis politiques pour favoriser cet égal accès et n'a pas voulu que ce soit par la loi que l'on puisse agir en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Pour résumer les arguments du Sénat qui sont défavorables à la rédaction que votre assemblée avait adoptée, je dirai qu'ils tiennent en trois points.

Premier argument : placée à l'article 3 de la Constitution, la modification proposée introduirait nécessairement la possibilité de quotas en matière électorale. Le Sénat y est opposé parce qu'il défend une conception dite « classique » de la souveraineté, qui a servi par deux fois au Conseil constitutionnel pour censurer des dispositions que le législateur avait prises pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Le Sénat soutient que la mesure proposée briserait l'unité du corps électoral et le principe même du mandat représentatif qui fait de chaque élu un représentant de la nation tout entière. Selon le Sénat, la modification proposée, en faisant des femmes une catégorie du peuple, conduirait celles-ci à s'approprier en partie l'exercice de la souveraineté nationale, ce que l'article 3 de la Constitution défend expressément.

En deuxième lieu, le Sénat estime que les partis politiques étant les principaux responsables de la situation choquante faite aux femmes dans la vie publique, il importe qu'ils remédient eux-mêmes à cette situation.

Le Sénat s'en remet ainsi pour l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions à la bonne volonté des partis, même s'il admet que les règles relatives à leur financement pourraient contribuer à la mise en oe uvre du principe énoncé. Le Sénat estime, par conséquent, qu'il conviendrait d'inscrire la nouvelle règle à l'article 4 de la Constitution et non à l'article 3.

Enfin, le troisième et dernier argument utilisé par la Haute assemblée a été bien résumé par le président de sa commission des lois, qui exprimait sa crainte que la rédaction proposée par l'Assemblée nationale ne conduise à la généralisation du scrutin proportionnel pour les élections.

Je le dis sans ambages, mesdames, messieurs les députés, le choix et les raisons du Sénat sont respectables, comme l'a fait très justement remarquer votre rapporteur devant la commission des lois. Toutefois, l'analyse des arguments du Sénat ne doit pas conduire à un débat sur le Sénat lui-même, sujet sans lien avec le projet de loi constitutionnelle dont nous discutons.

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

Mme la garde des sceaux.

Je répondrai d'abord brièvement aux deux derniers arguments du Sénat.

S'agissant du rôle des partis politiques, je répète qu'il est paradoxal de constater, d'une part, que les partis politiques portent la responsabilité de la situation choquante faite aux femmes, d'autre part, de s'en remettre à leur seule bonne volonté pour remédier aux inégalités. D'ailleurs, nous voyons le résultat aujourd'hui de l'absence de législation positive en faveur de l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Les femmes sont représentées de façon très marginale dans toutes les assemblées politiques de notre pays.

Il est par conséquent fondamental, à mes yeux et à ceux du Gouvernement - Mme Péry étant là avec moi pour défendre ce texte -, que le constituant habilite explicitement le législateur pour que celui-ci exerce sa compétence et ne s'en remette pas aux seuls partis politiques pour remédier à une telle situation.

Je remarque enfin que la rédaction proposée par le Sénat fait peser l'obligation de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions sur les seuls partis politiques alors qu'ils n'ont pas l'exclusivité de la présentation des candidats aux élections. La rédaction du Sénat restreint donc beaucoup le champ d'application de la nouvelle révision constitutionnelle.

Pour ce qui est du troisième argument relatif à la modification des scrutins, je ne peux que redire devant vous ce que j'avais affirmé avec netteté le 15 décembre dernier. Pour les élections au scrutin uninominal, il est évident, comme l'a rappelé le Premier ministre, que cette révision constitutionnelle n'est, aux yeux du Gouvernement, en aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte pour modifier dans l'avenir des modes de scrutin et tout particulièrement le mode de scrutin législatif.

Mme Christine Boutin.

On verra !

Mme la garde des sceaux.

Le Premier ministre l'a exprimé avec la plus grande fermeté : « Le Gouvernement à cet égard n'a pas de projet. »

Nous discutons aujourd'hui de la parité et de l'égalité sans arrière-pensée. Nous n'utilisons pas la parité comme prétexte pour élargir le champ des scrutins proportionnels, même s'il est vrai que ceux-ci permettent plus facilement l'exercice de la parité.


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En revanche, pour les scrutins uninominaux, le législateur pourra inciter à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis politiques.

Je rappelle que celui-ci découle de la loi du 11 mars 1988, modifiée par la loi du 15 janvier 1990, qui institue une aide publique au financement des partis, celle-ci étant répartie en deux fractions.

On pourrait imaginer une modification de ce dispositif législatif pour faire en sorte que les partis qui ne tendraient pas à la parité soient pénalisés sur le plan du financement public. Il est clair aussi qu'une telle pénalisation devrait être proportionnée pour ne pas conduire à méconnaître l'exigence du pluralisme des courant d'idées et d'opinions qui constitue le fondement de la démocratie.

Je voudrais revenir maintenant plus longuement sur le premier argument utilisé par les sénateurs, celui de l'universalisme, car il me paraît soulever des questions fondées sur une argumentation classique depuis la Révolution française. Cette argumentation est aujourd'hui encore celle d'hommes et de femmes de toutes opinions politiques.

J'ai répété plusieurs fois qu'il n'existe dans la matière dont nous discutons qu'un seul principe : celui de l'égalité. C'est même la raison pour laquelle la révision constitutionnelle à laquelle le Gouvernement vous invite ne comporte pas le mot parité. Celle-ci est seulement un moyen ou un instrument pour parvenir dans les faits, et pas seulement abstraitement, à l'égalité des hommes et des femmes, qui est déjà inscrite dans la Constitution.

Ainsi que l'a dit votre rapporteur, Mme Catherine Tasca, devant la commission des lois - et je partage entièrement son analyse : « L'objectif est de parvenir à l'égalité entre les hommes et les femmes dans notre société, la parité étant l'instrument pour y arriver, notamment à travers les scrutins de liste et l'alternance des sexes dans la composition des listes. Cette technique incitative a pour objet de faire naître un vivier de candidates permettant, à terme, la disparition des mesures contraignantes en faveur de la mixité. »

Mais alors que veut dire l'égalité ? Depuis longtemps, et dans presque toutes les jurisprudences constitutionnelles du monde, ce principe est compris comme le fait que les personnes placées dans les mêmes situations doivent être traitées de la même façon au regard des objectifs poursuivis par les lois.

A cet égard, j'affirme avec la plus grande solennité que les femmes et les hommes doivent être placés dans la même situation pour l'exercice des mandats et fonctions politiques.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.) Cela veut dire dans mon esprit une chose très simple : aucun destin biologique, psychique ou économique ne définit la figure que revêtent les femmes au sein de la société.

Mme Martine David.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Je ne considère pas que le fait de pouvoir enfanter et le fait d'avoir éventuellement une force physique inférieure à celle des hommes soient des différences pertinentes qui devraient être prises en compte pour écarter les femmes de quelque fonction que ce soit.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Martine David.

Très juste !

Mme la garde des sceaux.

En cela, je m'inscris dans la droite ligne de la défense de l'égalité politique entre les hommes et les femmes. La reconnaissance des différences biologiques entre hommes et femmes a trop longtemps servi de modèle pseudo-naturaliste pour fonder l'exclusion des femmes de toute une série de fonctions économiques, sociales, professionnelles et, bien entendu, poliques.

Or la nature n'a jamais rien fondé en droit. C'est une idée fondamentale de la philosophie progressiste que nous avons héritée des Lumières : il n'y a pas de continuité entre la nature et la société. Les hommes et les femmes construisent un monde qui est le leur. C'est leur monde parce qu'ils l'ont voulu et non subi au nom de je ne sais quelle tradition ou de je ne sais quelle obligation naturelle. Il n'y a pas de société humaine s'il n'y a pas d'acte de volonté qui, si c'est nécessaire, est la négation même de l'état naturel. Le monde des femmes et des hommes est celui du contrat volontaire. Seuls les conservateurs n'ont eu de cesse d'invoquer la nature pour laisser les choses en l'état. En aucun cas, la société ne saurait se borner à reproduire de pseudo-hiérarchies ou différences naturelles héritées de je ne sais quels desseins cachés de la nature, de Dieu ou de qui que ce soit !

Mme Béatrice Marre.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Non, les femmes ne sont pas faites par nature pour rester à la maison et élever les enfants ! Non, les femmes ne sont pas faites par nature pour être des objets de séduction et se taire ! Non, il n'est pas inscrit dans les gènes que les femmes ne sont pas faites pour la politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Je voudrais qu'il soit bien clair que je ne pense pas autre chose sur ce sujet que les femmes et hommes de gauche qui se sont récemment exprimés.

Qu'on ne vienne pas me dire que je défends je ne sais quelle position racialiste, différentialiste ou communautariste. Au contraire, je pense qu'il existe une humanité universelle parce que, comme l'a affirmé Montaigne,

« chaque être humain porte la forme entière de l'humaine condition ».

M. Jean Le Garrec.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Attenter à la dignité de l'être humain, c'est certainement faire du tort à l'autre, mais c'est aussi se faire du tort à soi-même. C'est pour cela d'ailleurs que l'esclavage est un crime contre l'humanité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

C'est pour cela que j'appelle de mes voeux une justice internationale qui fasse respecter, partout et toujours, la dignité de l'être humain contre ceux qui veulent l'asservir et le dégrader.

Je ne supporterai pas un instant que l'on puisse me soupçonner, et le Gouvernement avec moi, de ne pas partager ces idées fondamentales qui ont fait le progrès de l'histoire, le progrès vers plus de liberté et d'égalité. C'est là la justification de la République elle-même qui proscrit absolument toutes les discriminations entre les êtres humains.

Une différence faite entre deux êtres, quand elle n'a aucun fondement convaincant, je l'appelle de la discrimination. Mais je n'appelle pas discrimination des mesures positives prises par la loi pour mettre les femmes à égalité de situation avec les hommes dans les candidatures aux mandats et fonctions politiques.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Tout à fait !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Mme la garde des sceaux.

Reste, pourtant, la question suivante : dire des hommes et des femmes qu'ils sont égaux, est-ce dire qu'il n'y a plus aucune différence entre eux ? Pourquoi l'égalité devrait-elle s'accompagner de la négation de la différence ? Sommes-nous si incapables de penser à la fois l'égalité et la différence ?

M. Jean Le Garrec.

Vous avez raison !

Mme la garde des sceaux.

Sommes-nous si peu démocrates que nous soyons aveugles au pluralisme ? Sommes-nous si égalitaristes que nous soyons incapables de voir qu'il existe une différence entre la situation faite aux femmes et celle faite aux hommes dans la vie politique ? On ne saurait s'abstraire des réalités sociales et politiques. Il est bon de veiller au principe d'égalité, mais qu'en pensent celles de nos concitoyennes et ceux de nos concitoyens qui voient ce principe quotidiennement bafoué ? Les femmes sont plus victimes du chômage que les hommes et elles occupent plus d'emplois précaires que les hommes ; dans le secteur privé, le salaire moyen des femmes est inférieur de 25 % à celui des hommes : voilà des situations où la véritable égalité exige que l'on prenne des mesures positives (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Martine David.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

Les adversaires de la parité, qui s'appuient sur l'universalisme, et dont, encore une fois, je respecte les convictions, ne veulent tout simplement pas voir une chose : l'attachement aux principes ne peut prévaloir sur la réalité concrète d'une situation inacceptable qui fait que, en politique, les femmes n'accèdent pas normalement aux mandats et fonctions.

Avant la Révolution de 1789 - car cette position philosophique vient de là -, les différences que l'on croyait distinguer entre les êtres humains conduisaient systématiquement à ce qu'ils soient traités de façon inégalitaire.

Les privilèges conférés aux uns permettaient d'asseoir la domination sur les autres. Le monde social était alors fait de différences soi-disant « naturelles » qui fondaient les

« différences sociales ». Voilà ce qu'était l'Ancien Régime : la différence rimait avec l'inégalité.

La Révolution a voulu abolir cela, et elle a bien fait.

En disant que tous les êtres humains étaient identiques en droit, les révolutionnaires pensaient que les êtres humains devaient être traités de la même façon par la loi.

L'identité rimait avec l'égalité. L'idéal assimilationniste prenait le pas sur l'idéal différentialiste.

Aujourd'hui, n'est-il pas temps de se demander si la reconnaissance d'une différence n'est pas nécessaire à l'accomplissement effectif de l'égalité ? Des mesures positives ne sont-elles pas, dans certains cas, nécessaires pour permettre aux femmes d'accéder effectivement aux mandats et fonctions ? Pour ma part, je crois que l'égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes implique que l'on se dote de l'instrument de la parité, qui permet qu'on mette en oeuvre soit des mesures contraignantes, soit des mesures incitatives. Nous n'avons pas une conception arithmétique de la parité. La situation réelle faite aux femmes dans la vie politique est, je l'ai dit, choquante. Elle exige qu'on la prenne en compte pour y remédier.

Je ne crois pas qu'il soit si difficile de comprendre que la loi puisse prendre en compte une différence injustifiée dans le but de la faire disparaître. En cela, la parité n'est qu'un instrument au service de l'égalité. Du point de vue de la pratique, les préjugés à l'encontre des femmes sont parfois encore si profondément ancrés qu'il n'y a pas d'autre possibilité que le recours à la loi et à l'action pour rompre avec le passé. Voilà la réalité d'aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Dire de l'humanité qu'elle comprend deux sexes, c'est seulement dire que, du point de vue de la vie publique, aucun préjugé ni aucune différence ne sauraient être pris en compte pour conduire à en exclure les femmes.

La parité n'a qu'un objectif : prendre en compte cette différence de fait, de situation pour faire disparaître les inégalités.

Une telle démarche n'est aucunement différentialiste.

Elle le serait si elle prétendait institutionnaliser la différence. Or c'est exactement le contraire ! Promouvoir la parité ce n'est pas, pour moi, institutionnaliser un avantage au profit des femmes, c'est redresser les erreurs du passé. Voilà la réalité d'aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Cette démarche est parfaitement compatible avec l'idéal égalitariste ; c'est même la condition de son accomplissement.

Dans l'arrêt Califano contre Webster, la Cour suprême américaine a décidé en 1977 que n'était pas contraire à la Constitution un régime de calcul de prestations vieillesse permettant aux femmes, mais non aux hommes, d'exclure les années où elles avaient été moins bien payées du calcul de leur salaire moyen au cours de leur vie professionnelle. Je partage l'opinion exprimée dans cet arrêt, qui constate que, compte tenu du nombre d'années pendant lesquelles leurs conditions d'emploi ont été discriminatoires et leurs revenus inférieurs à ceux des hommes, les femmes auraient été injustement privées du bénéfice de prestations vieillesse comparables à celles des hommes, tout en ayant travaillé aussi dur et aussi longtemps qu'eux.

Cette décision est tout à fait significative du rôle que je voudrais voir jouer à la parité en politique : redresser une différence pour parvenir à plus d'égalité.

Seules des mesures volontaires peuvent ouvrir aux femmes des perspectives dont elles étaient jusqu'alors injustement privées.

La Cour d'arbitrage du royaume de Belgique ne raisonne pas autrement lorsque, dans un arrêt de 1994, elle dit pouvoir accepter les mesures positives en faveur des femmes lorsqu'elles sont appliquées dans les cas où une inégalité manifeste est constatée, que la disparition de cette inégalité est désignée par le législateur comme un objectif à promouvoir et que les mesures sont de nature temporaire, c'est-à-dire destinées à disparaître dès que l'objectif sera atteint.

L'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions s'inscrit parfaitement dans cette logique correctrice qui n'a qu'un seul but : promouvoir l'égalité, et non promouvoir des avantages ou la suprématie d'un sexe sur l'autre.

Au terme de cette intervention, j'espère avoir montré qu'il est nullement attentatoire à la liberté républicaine, ni à l'égalité telle que nous la concevons depuis toujours, de soutenir la parité en politique. Je crois que nous avons tous à gagner à ce que notre société accepte la mixité, qui est en réalité la mixité fondamentale du genre humain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Car, je le répète, les femmes ne sont ni une race, ni une classe, ni une communauté, ni une catégorie.

Hommes et femmes forment, dans toute société humaine, les deux parts que l'on voudrait retrouver dans l'expression de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Le raisonnement traditionnel qui traite de la situation des groupes au regard du principe d'égalité n'a pas de sens si on entend l'appliquer à la moitié de l'humanité.

Bien entendu, sur cette question de fond, je suis bien obligée de constater que le Sénat est en désaccord avec votre assemblée ainsi qu'avec le raisonnement que j'ai soutenu et que je viens de confirmer.

Aussi, je partage la volonté de votre commission de rétablir le texte voté en première lecture par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Madame la garde des sceaux, madame la ministre de la jeunesse et des sports, madame la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, mes chers collègues, le texte du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes qui nous revient du Sénat n'a plus grand-chose à voir avec le projet initial.

C'est une déception car ce projet, présenté par le Gouvernement, approuvé par le Président de la République, voté par l'Assemblée nationale en première lecture, est, ne l'oublions pas, une réforme souhaitée par la majorité de nos concitoyens.

C omme le Gouvernement, notre assemblée avait choisi, le 15 décembre 1998, de faire porter la révision sur l'article 3 de la Constitution, qui est relatif à la souveraineté et au suffrage. Le Sénat a préféré amender l'article 4, qui concerne les partis politiques. Bien sûr, il ne s'agit pas là d'une simple modification de forme. C'est la portée même de la réforme qui a été ainsi profondément mise en cause par la seconde chambre, même si tout le monde s'accorde sur la nécessité de faire évoluer la situation.

Le projet de loi a en effet un double objet : juridique et symbolique.

Il vise tout d'abord à lever l'obstacle de la jurisprudence constitutionnelle de 1982, réaffirmée au début de l'année 1999 et fondée précisément sur l'article 3 de la Constitution, afin de permettre au législateur d'imposer le principe, pour les scrutins de liste, d'une parité des candidatures. Il doit permettre aussi à la loi de moduler le financement public des partis politiques en fonction de la place qu'ils feront aux femmes.

Mais ce projet a également une portée symbolique : il s'agit de donner une nouvelle lecture, plus complète, de la notion de souveraineté, qui tienne enfin compte de la présence des femmes et de leur égalité avec les hommes.

Le Sénat a rejeté cette démarche. En laissant aux partis politiques le soin d'organiser l'égalité réelle des femmes et des hommes, il permet, de fait, le maintien du statu quo, car les partis ont eu des décennies pour changer les choses, et nous savons ce qu'il en est aujourd'hui.

Mme Yvette Roudy. Ils n'ont rien fait !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur. La seconde chambre a clairement refusé, contrairement à sa position de 1982, le principe des listes paritaires, mais aussi l'interprétation nouvelle que nous proposons du principe de souveraineté.

La position du Sénat a suscité un vif débat qui a mobilisé les milieux politiques, médiatiques et intellectuels.

Assurément, la question qui nous réunit aujourd'hui mérite un débat de fond. Je ne souhaite cependant pas qu'il revête un ton trop polémique et qu'il conduise à une dramatisation inutile.

Je crois néanmoins qu'il faut répondre précisément aux objections qui ont pu être formulées à l'encontre de ce projet de loi. C'est ce que vous venez de faire, madame la garde des sceaux, et ce que je vais entreprendre à mon tour, au nom de la commission des lois.

En premier lieu, selon ses détracteurs, cette révision constitutionnelle marquerait l'échec de la République universelle. Cette démarche ouvrirait la boîte de Pandore de tous les communautarismes. Je n'en crois rien. La position du Sénat renvoie à une conception idéaliste de la République, mais nous ne pouvons ignorer que l'universalisme républicain a longtemps été « hémiplégique », décliné uniquement au masculin. Il est aujourd'hui temps de lui donner réalité et équité. Introduire la parité dans l a vie politique n'est pas ouvrir la voie au communautarisme, car les femmes ne sont pas une communauté.

Comme l'a rappelé fort justement Mme Elisabeth Guigou, « le sexe est un état de la personne ; il ne saurait se réduire à une catégorie, car il transcende tous les groupes ». C'est une évidence, mais difficile à faire entendre.

M. Jean Le Garrec. Très bien !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur. La mixité constitue une différence universelle traversant toute l'humanité, que la société politique doit aujourd'hui accepter et non plus nier aveuglément. Quant à la discrimination positive que certains craignent, n'estelle pas, du moins pour un temps, la seule riposte possible, puisque le monde politique a, de fait, constamment privilégié les candidatures masculines, qui sont également privilégiées pour les promotions aux responsabilités professionnelles, y compris dans la fonction publique ?

M. Arnaud Lepercq.

Ah !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur. Loin de mettre à bas la République et son universalisme, il nous appartient aujourd'hui de proposer une conception plus juste de la souveraineté nationale, représentée, chaque fois qu'il est possible, à parts égales, par des hommes et des femmes. Cela n'a rien à voir, contrairement à ce que certains feignent de croire, avec la constitution de deux collèges électoraux. Les femmes n'entendent nullement s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale comme une section du peuple. D'ailleurs, qui imaginerait, qui oserait dire que les hommes élus ne représentent que les hommes ? Il faut enfin faire mouvement et admettre que des femmes peuvent représenter hommes et femmes.

M. Germain Gengenwin.

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

En second lieu, on prétend également que cette réforme remettrait en cause le libre choix de l'électeur, et donc la démocratie. En quoi introduire la parité des candidatures porterait-il davantage atteinte à la liberté des électeurs que l'état actuel du droit ? La liberté de l'élec-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

teur est déjà, en toute élection, limitée, contrainte par les candidatures présentées. Faute de pouvoir recourir au système du panachage, l'électeur, dans la plupart des scrutins, ne dispose pas d'une totale liberté de choix.

On avance aussi, et c'est plus grave, l'idée que les partis politiques, contraints par la loi, ne seraient pas en mesure de trouver suffisamment de femmes compétentes pour se porter candidates. C'est un argument qui rappelle trop, hélas, ceux qui étaient employés il y a soixante-dix ans pour mettre en doute la capacité des femmes à voter.

Or j'observe que ceux-là mêmes qui tiennent ces propos prétendent aussi qu'instaurer la parité dans les listes serait humiliant pour les femmes.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur. Comment peut-on concilier ces deux discours ? Mais, surtout, comment peut-on s'en tenir à une vision si naïve ou si élitiste, en prétendant que seule la compétence serait en cause ? En tout domaine, et singulièrement en politique, peut-on franchement croire que les talents et mérites des femmes sont fidèlement reflétés par les pauvres statistiques de leur maigre participation aux postes de responsabilité ? C'est ce point de vue qui est méprisant et c'est l'exclusion des femmes qui est humiliante pour elles.

Quand cet argument de l'humiliation est utilisé par les plus titrées des femmes - et je ne doute pas qu'elles soient sincèrement attachées au principe d'égalité -, on se demande si l'arbre ne leur cache pas la forêt et si elles ne se satisfont pas trop vite d'une situation de rareté dont elles sont les brillantes exceptions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Tout à fait ! M. Pierre Albertini. C'est facile !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur. Car que devient alors concrètement le principe d'égalité ? Nous renvoyer aux compétences ou à l'évolution naturelle des moeurs, c'est tout simplement renoncer sine die à l'égalité.

Les intentions du Gouvernement et de l'Assemblée nationale sont claires. L'objectif est de permettre au législateur de prendre toutes les mesures pour assurer l'égalité réelle des femmes et des hommes en matière politique.

Les deux principales mesures qui ont été évoquées sont la parité dans les scrutins de liste et les incitations financières à l'égard des partis. Mais il faut songer aussi à un mode de fonctionnement différent des assemblées élues, qui permettrait aux femmes et aux hommes de mieux concilier vie publique et vie privée. Il faudra en ce domaine faire oeuvre de pragmatisme et d'imagination. Si le constituant fixe le principe et autorise le législateur à agir, il appartiendra à ce dernier de définir les modalités pratiques. Il faudra bien sûr, par ailleurs, que notre politique économique et sociale crée, mieux qu'aujourd'hui, les conditions concrètes de cette égalité.

Je tiens à souligner qu'il n'est nullement question de prendre prétexte de ce projet pour modifier les modes de scrutin. Il s'agit de deux débats totalement distincts, de deux réformes sans lien entre elles.

A l'origine, on a reproché à cette réforme son caractère purement symbolique ; aujourd'hui, certains y voient le tombeau de la République. Ne nous trompons pas : cette réforme n'est ni anodine ni dangereuse. Elle est nécessaire, et Lionel Jospin a eu raison d'en faire un des axes de la modernisation de la vie politique. Lorsque, grâce à la parité, nombre de femmes seront entrées en politique, la République en sera fortifiée. La rédaction actuelle du Sénat ne permet pas de satisfaire à cette nécessité.

Cette révision est essentielle. Et seule l'inscription à l'article 3 de notre Constitution, qui traite de la souveraineté et du suffrage, peut lui donner tout son poids. Vous en étiez convenus en première lecture. La commission des lois a confirmé ce choix et a donc rétabli le texte que vous avez adopté le 15 décembre dernier. Je vous demande, en son nom, de le voter en deuxième lecture.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je vous remercie, madame la présidente de la commission, d'avoir respecté le temps qui vous était imparti. Je demande à tous ceux qui vont intervenir maintenant de consentir le même effort.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole à M. Michel Crépeau, pour cinq minutes.

M. Michel Crépeau.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme je suis obligé d'aller vite, j'irai à l'essentiel. Je ferai donc quatre observations, pas une de plus pas une de moins.

(Sourires.)

Ce texte a fait couler beaucoup d'encre ; j'espère qu'il est utile. Il l'est si nous voulons éviter la sanction du Conseil constitutionnel chaque fois que nous voudrons faire un pas en avant vers l'égalité entre femmes et hommes.

Mme Béatrice Marre.

Tout a fait !

M. Michel Crépeau.

Je souhaite au passage que l'on ne parle pas de parité mais d'égalité. Car l'égalité est une notion juridique tandis que la parité est une notion journalistique.

J'en viens à ma deuxième observation. Je m'étonne que de très éminents juristes, y compris parmi nos amis, puissent nous expliquer que cette réforme doit figurer à l'article 4 de la Constitution, qui organise le fonctionnement des partis politiques, et non à l'article 3. Il n'y a qu'à lire la Constitution. L'article 1er dit que la France est une République, l'article 2 qu'on parle français et qu'on joue la Marseillaise (Sourires) , l'article 3 définit la souveraineté. Et c'est là qu'on trouve une précision importante qui semble avoir échappé à tout le monde. « Fermez vos coeurs, ouvrez vos codes », contrairement à ce que disait Berryer l'article 3, dans la rédaction de 1958, précise que les Français « des deux sexes » auront le droit de voter, point final. Il aurait fallu ajouter un alinéa précisant que les Français des deux sexes étaient éligibles, et il convient de réparer cette erreur.

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Michel Crépeau.

Cette omission est inexplicable et je ne comprends pas qu'on n'ait pas trouvé ça plus tôt.

C'est pourtant simple comme bonjour !

Mme Christine Boutin.

Nous avons pourtant été élues !

M. Michel Crépeau.

Pourquoi les choses se sont-elles passées comme ça ? Parce qu'en 1958 beaucoup de ceux qui ont rédigé la Constitution regardaient en arrière sur les deux mille ans écoulés.

M. Jacques Fleury.

Comme les sénateurs maintenant !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

M. Michel Crépeau.

La République, elle est née sur l'agora et sur le forum, dans ce monde antique qui considérait qu'il y avait trois catégories d'incapables : les femmes mariées, les enfants et les fous (Sourires) ; c'est la première tradition.

La deuxième tradition française est la tradition catholique : les femmes ne peuvent pas donner l'absolution, les femmes ne peuvent pas dire la messe, omnis potestas a Deo per populum . Le Bon Dieu, croyait-on, ne voulait pas des femmes. Mais le monde a changé et le Bon Dieu, je l'espère, a changé d'avis, pas le Pape, en tout cas ! Troisièmement, qui a cassé le vase de Soissons ? Imaginez Clovis, ce jeune guerrier franc, à genoux devant le vieil évêque Saint-Rémi qui lui dit : « Courbe-toi, fier Sicambre ! » Et Clovis de lui répondre : « Cambre-toi, vieux si courbe ! » (Sourires.) Hélas ! Clovis était un Franc salien qui nous a imposé la loi salique ! Plus tard, au siècle des Lumières, ils n'ont pas été plus brillants sur ce sujet, car ils étaient les héritiers de la tradition gréco-latine.

On en arrive aux grands hommes de la Révolution. Il n'y a pas de grande femme de la Révolution. La seule dont on connaisse le nom, c'est Charlotte Corday, parce qu'elle a assassiné d'un coup de couteau, dans une baignoire, un type qui ne se lavait jamais ! (Rires.) C'est pourtant vrai ! Et, sous la IIIe République, ça a été pire. Déjà le Sénat ! Il y avait les conservateurs, qui conservaient et qui étaient à droite, qui étaient contre tous les progrès, y compris le vote des femmes. Et il y avait les vieux « laïcards » radicaux,...

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Michel Crépeau.

... qui considéraient que le vote des femmes, c'était le vote de la sacristie, ce qui était vrai en effet et le fut jusqu'en 1968. Et c'est pour cela qu'en 1958,...

M. Richard Cazenave.

De Gaulle !

M. Michel Crépeau.

... on disait que le MRP était « le parti de la fidélité ». Il faut rappeler ces choses-là. C'était encore le vote de la sacristie qui intéressait certains.

Que s'est-il passé depuis ? Nous avons changé de galaxie et nous allons changer de millénaire. Je crois que le moment est venu de faire d'importants pas en avant pour l'égalité des femmes, et qu'on y parviendra d'abord en affirmant un principe, ensuite en demandant aux partis politiques de jouer leur rôle, peut-être en revoyant les lois électorales.

Je rappelle, à l'intention du Sénat, qu'en France, il y a une tradition : jamais les lois organisant les élections n'ont été des lois constitutionnelles. Ce ne sont même pas des lois organiques : ce sont des lois simples.

Alors, ne mélangeons pas les choses et faisons en sorte qu'à la veille du troisième millénaire, on sache tourner une page de l'histoire et que « pour organiser le bonheur, sur terre on n'oublie pas la moitié du ciel » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline.

Madame la garde des sceaux, l'histoire se répéterait-elle ? Après avoir raté la marche des siècles qui les fit attendre l'ultime partie du nôtre pour obtenir des droits fondamentaux, les femmes pourraientelles manquer ce nouveau rendez-vous avec l'histoire ou, plutôt, avec notre démocratie, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit ? On pourrait le penser en raison du poids du modèle culturel dominant qui, hérité de la loi salique, conforté par le modèle rousseauiste, dans une vision des rôles qui, je le rappelle, confie la sphère privée domestique aux femmes et la sphère publique aux hommes.

On pourrait aussi le penser à la lecture des analyses philosophiques ou historiques, souvent de qualité, des commentaires politiques ou des arguments juridiques, qui ont jalonné le débat.

Toute opinion est respectable et digne de considération. Nous sommes, ne l'oublions pas, dans une démocratie qui peut précisément s'honorer du respect des idées et de la diversité des opinions, quel qu'en soit l'objet et quelle que soit la force de nos propres convictions. Pour autant, il paraît nécessaire aujourd'hui de réaffirmer la position que nous avons adoptée ici en première lecture et qui s'inscrit - faut-il le rappeler ? - dans une très longue démarche, puisqu'il y a juste vingt ans Monique Pelletier ouvrait ce débat, au cours du septennat de Valéry Giscard d'Estaing.

Le principe d'une révision constitutionnelle est donc aujourd'hui acté, et il faut s'en réjouir. Mais la proposition du Sénat visant à rattacher le texte à l'article 4 de la Constitution, relatif aux partis politiques, ne peut être qu'un premier pas. Car, bien évidemment, si les partis politiques, expression de la démocratie, ont un rôle à jouer dans ce domaine, il n'est pas suffisant.

Le passé est prometteur, dit-on. Comment pourrait-on considérer comme un progrès décisif le fait de laisser aux partis l'entière et exclusive responsabilité d'un domaine où, précisément, depuis cinquante ans, les progrès magistraux ont été très faibles ? C'est donc bien l'exercice de la souveraineté qui est en cause et, de ce point de vue, nous avons tous conscience de la rupture que cela signifie avec nos schémas de pensée traditionnels.

Nous avons entendu les arguments évoqués contre la réforme. L'argument principal, que vous avez rappelé, madame la garde des sceaux, est que le concept porterait atteinte tout à la fois au principe républicain, à la conception de la citoyenneté et, par là même, à notre démocratie. Cette analyse, vous l'avez également dit, se fonde sur le principe d'universalité, au nom duquel, d'ailleurs, fut instauré un suffrage considéré à l'époque comme « universel », mais réservé exclusivement aux hommes.

L'intérêt général s'opposerait donc au catégoriel et toute discrimination positive menacerait notre ordre républicain. Mais c'est évidemment la réalité actuelle qui est discriminante : à 90 %, la classe politique est composée d'hommes. Déterminer par la loi les conditions de l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives ne peut donc en rien être assimilable au communautarisme ni à l' affirmative action américaine.

Faut-il le rappeler, et le rappeler encore, comme chacun l'a fait à cette tribune, que les femmes ne sont ni une catégorie ni une minorité ? Elles sont au contraire une majorité, certes silencieuse,...

M. Robert Pandraud.

Pas toujours ! (Sourires.)

Mme Nicole Ameline.

... mais en tout cas la moitié du genre humain ! Nous sommes donc là au coeur d'un universalisme concret, appuyé sur des hommes et des femmes, très éloigné de cette notion abstraite qui, au nom de l'égalité juridique, a fait reculer l'égalité réelle. C'est cependant cette


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conception républicaine qui a prévalu et qui a fondé la jurisprudence du Conseil constitutionnel, condamnant ainsi toute évolution réelle vers l'égalité.

En vérité, toute notre histoire, toute notre construction politique et sociale sont fondées sur la dualité des sexes et, plus encore, sur un certain ordre, constante quasi invariable qui, confortée par le droit, notamment au

XIXe siècle, qui a toujours contenu les femmes dans un rôle bien défini et bien limité.

Combattre les préjugés inégalitaires, c'est précisément tenir compte de cette dualité fondamentale déjà inscrite dans notre Constitution, principe constitutif de notre humanité, et auquel il faut donner aujourd'hui une concrétisation.

Le groupe Démocratie libérale est tout à fait favorable au principe. Nous voterons donc le projet de loi constitutionnelle, comme nous l'avons fait en première lecture, sur la base d'un texte précisé, amélioré et renforcé par le rapporteur et par notre collègue Claude Goasguen.

Il faut en effet éviter ce travers français qui consiste à se fixer des objectifs ambitieux sans jamais se donner les moyens de les atteindre. Pour autant, si nous sommes favorables au principe de la révision constitutionnelle, nous avons, madame la garde des sceaux, des doutes sur votre intention réelle de la faire aboutir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je n'évoquerai pas les jugements critiques et commentaires très corrosifs exprimés à l'égard du Sénat.

M. Jean-Louis Debré.

C'était une provocation !

Mme Nicole Ameline.

Ce qui est en cause, c'est votre volonté affichée d'utiliser immédiatement la réforme pour engager la révision des scrutins électoraux afin d'y introduire la proportionnelle. J'ai entendu les propos que vous venez de tenir, tout comme l'annonce, hier, de la réforme du Sénat,...

Mme Martine David.

Vous faites vraiment un procès d'intention !

M. Alain Clary.

Le Sénat est si démocratique (Sourires.)...

Mme Nicole Ameline.

... qui apportent inopportunément un éclairage politicien au texte...

M. Bernard Roman.

Mais non !

Mme Martine David.

C'est trop facile !

Mme Nicole Ameline.

... et accroissent le sentiment que la future loi pourrait être réduite à une loi de circonstance...

M. Claude Goasguen.

C'est vrai !

Mme Martine David.

Tiens donc !

Mme Nicole Ameline.

... et servir des fins partisanes.

M. Claude Goasguen.

C'est sûr !

Mme Nicole Ameline.

Comment, dans un tel contexte, comptez-vous créer un climat apaisé, susceptible de conduire à une décision consensuelle et à amener la Haute assemblée à évoluer sur ce texte ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Madame la garde des sceaux, votre gouvernement ne serait-il pas en train de se satisfaire de ce blocage institutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Claude Goasguen.

C'est sûr !

Mme Martine David.

Procès d'intention !

Mme Nicole Ameline.

... subtil argument pour des campagnes à venir ? (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Rien ne serait plus grave que d'utiliser les femmes et cette cause, qui est particulièrement juste et noble,...

Mme Martine David.

Dites-le à vos amis sénateurs !

Mme Nicole Ameline.

... au service de manoeuvres électorales.

P lusieurs députés du groupe socialiste.

Procès d'intention !

Mme Nicole Ameline.

L'enjeu est un enjeu de société et non un enjeu de pouvoir partisan.

Mme Martine David.

Vous et vos amis êtes orfèvres en la matière !

Mme Nicole Ameline.

Nous vous demandons tout simplement de préciser vos intentions...

M. Bernard Roman.

Cela a été fait cent fois !

Mme Martine David.

Et Mme la garde des sceaux vient de le refaire !

Mme Nicole Ameline.

... et celles du Gouvernement sur le respect de la pluralité des scrutins existants. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Yvette Roudy.

Le soupçon, ça suffit !

M. le président.

Mes chers collègues...

Mme Nicole Ameline.

Il y a une différence, un décalage entre les déclarations affichées et la réalité des annonces ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David.

Ce sont là des procès d'intention !

M. le président.

Mes chers collègues, le débat est sérieux. Je souhaite que les arguments puissent s'échanger dans le calme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Certains peuvent vous choquer. Acceptez-les ! De toute manière, vous aurez la possibilité d'y répondre.

Vous seule avez la parole, madame Ameline.

Mme Nicole Ameline.

Merci, monsieur le président.

Dois-je rappeler que personne ne peut mettre en doute ma volonté de faire aboutir la parité, l'égalité telle que nous la concevons,...

Mme Martine David.

Alors, au nom de quoi mettezvous en doute la volonté de la ministre ?

Mme Nicole Ameline.

... puisque j'ai été l'auteur d'une proposition de loi à ce sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je souhaiterais donc, madame la garde des sceaux, que vous indiquiez les priorités du Gouvernement dans la mise en oeuvre du dispositif législatif qui concernera la recherche de cette égalité effective. Quels en seront les domaines prioritaires et sur quelle méthode de travail vous fonderez-vous ? Car, c'est de mon point de vue, à une réflexion très élargie sur l'organisation de notre société, de ses valeurs, de ses structures, que nous conduit la réforme. Il s'agit, et je crois que nous en sommes tous d'accord, d'un levier politique destiné autant à ouvrir de nouveaux espaces de liberté qu'à favoriser l'émergence d'une nouvelle culture politique.

Aujourd'hui, les femmes votent, elles sont éligibles.

Cependant, leur influence dans la sphère politique reste singulièrement limitée, pouvant aller jusqu'à une culture de la résignation, voire de renoncement.


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Je n'imagine pas, en tant qu'élue, ne pas contribuer à cette prise de conscience, qui doit conduire à faire des années 2000 celles de la parité.

Sur la question des délais précisément, le dispositif législatif qui sera mis en oeuvre devra assurer une réelle transition historique en créant en quelques années les conditions d'un vrai changement culturel tout en permettant d'en apprécier les résultats concrets.

Quant aux moyens, sur lesquels votre gouvernement n'a pas apporté de réponses très claires, pouvez-vous préciser vos intentions ? Je pense en particulier aux conditions dans lesquelles pourraient être institués des quotas, auxquels je suis personnellement favorable, mais qui, vous le savez, suscitent un certain nombre de réactions négatives.

Là comme ailleurs, certains arguments peuvent surprendre : on accepterait des partis politiques ce que l'on n'accepterait pas de la loi. Les femmes n'ont à craindre aucune dévalorisation du fait d'un accès élargi par la loi aux responsabilités politiques. Quelle étrange idée de vouloir nier sa différence, de réclamer un droit à l'indifférence, pour accéder à un milieu et à un monde politique qui n'est pas neutre, et où l'image et la réalité masculines sont omniprésentes ! Le combat des femmes doit donc aujourd'hui se porter, à partir de la situation actuelle, qui est le vrai scandale, sur les moyens les plus efficaces d'y remédier. A cet égard, je n'ai entendu de la part des détracteurs du projet aucune proposition concrète.

Or attendre l'évolution normale des temps et des moeurs revient à accepter l'inacceptable, une culture de renoncement, et à pérenniser l'idée qu'entrer en politique, c'est forcément se mettre en situation d'exception.

Ce ne sont pas les success stories des unes ou des autres qui doivent occulter la réalité : les femmes qui réussissent en politique demeurent des objets de curiosité, un peu comme si l'on devait remarquer ce qui ne saurait exister.

N'oublions pas les leçons de l'histoire ! Entre le premier débat sur le vote des femmes en 1919 et son intauration en 1946, deux générations se sont écoulées. En 1999, plus de cinquante ans plus tard, la participation des femmes au processus de décision politique a faiblement évolué, démontrant du reste, si l'on fait de la politique comparée, qu'il existe bien un lien, dans les pays d'Europe, entre les dates auxquelles les femmes ont accédé au droit de vote et leur participation en politique.

Il y a donc en France un formidable décalage entre le pays politique et le pays réel, et ce au moment où les démocraties et les institutions les plus récentes, notamment en Europe, illustrent un lien tangible entre la représentation des femmes et la modernité de la vie publique.

Si les femmes ne sont plus les héroïnes ridicules des comédies d'Aristophane, de Shakespeare ou de Molière, elles ont néanmoins encore du chemin à parcourir. Et le chemin sera long pour que, même avec cette révision de la Constitution, le droit entre dans la pratique et dans les moeurs.

C'est dire combien nous avons raison, à travers cette révision constitutionnelle, de mettre notre démocratie en phase avec son temps, comme le souhaite le Président de la République, car sinon il y aurait trop peu d'espoir de voir les faits précéder le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Feidt.

Mme Nicole Feidt.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, Mme Tasca nous a fait savoir, en même temps que le contenu des travaux de la commission des lois - travaux fort fructueux, notamment grâce à la participation de notre collègue Goasguen -, l'effet qu'a engendré le rejet par la droite du Sénat du texte proposé par l'Assemblée nationale en première lecture.

Je dois le dire, la colère et l'indignation ont présidé à certaines de nos réunions, dans nos rangs et dans les associations où humanisme, féminisme et réalisme sont de mise.

Dans le projet initial, en accord avec le Président de la République, le Gouvernement a considéré qu'il était important d'inscrire l'objectif de la parité à l'article 3 de la Constitution. Le Sénat en a décidé autrement. Il a inscrit « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » à l'article 4, renvoyant aux partis politiques le soin de faire respecter la mixité.

On ne va pas empêcher les sénateurs de croire à la volonté des partis. Nous verrons bientôt ce qu'il en est à l'occasion des élections européennes. Mais ils ont prouvé, à l'évidence, leur manque de coopération dans ce domaine. Cela peut sembler dérisoire, mais cette modification prive le texte de toute signification philosophique et pratique, comme Mme la garde des sceaux l'a fait valoir aux sénateurs.

Par ailleurs, le texte du Sénat ne supprime pas le risque que nous soyons, à tout moment, désavoués dans nos projets par le Conseil constitutionnel qui, lui, ne s'y était pas trompé : il avait bel et bien inscrit les conclusions de ses travaux en 1982 à l'article 3.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Absolument !

Mme Nicole Feidt.

Après le choix du Sénat, le Conseil constitutionnel doit s'étonner de voir l'une des deux chambres se juger immature pour décider elle-même si, oui ou non, elle veut une représentation plus équilibrée entre les hommes et les femmes au sein des assemblées élues.

J'appelle votre attention sur le fait que nous perdons notre pouvoir de législateur si nous laissons à d'autres sages le soin de décider - ne souhaitons-nous pas nousmêmes garder le pouvoir de légiférer ? C'est pourquoi, je vous invite à reprendre le texte que nous avons adopté en première lecture. Bien sûr, c'est un texte neutre qui laisse supposer une parité de candidats et non pas d'élus.

Que demandons-nous ? Nous visons simplement à intégrer les femmes dans le système politique. Il ne s'agit pas de faire des femmes des rédemptrices du politicien, mais de faire en sorte qu'elles puissent participer pleinement à la modernisation de la vie politique sans être, une fois de plus, un simple alibi.

Il y a un risque à vouloir traiter de misogynie en politique, le risque de la répétition. Pourtant, selon les misogynes, dès lors qu'il y a une femme dans une assemblée, elle est réputée ne plus être fermée aux femmes et, si d'autres femmes n'y sont pas, c'est bien leur faute. C'est là un raisonnement qui favorise la situation existante et nous maintient dans l'inégalité. C'est bien ce qu'a essayé de faire passer comme message, en pointillé, une majorité de sénateurs.

La France est-elle singulière en son milieu politique ou son milieu politique est-il singulièrement sclérosé ? Je ne le pense pas. Mme Bachelot manque-t-elle de clair-


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voyance ? Je ne répondrai pas à cette question. Nous sommes, en tout état de cause, en présence d'un blocage du mouvement qui porte les femmes à égalité avec les hommes, de la part de ceux et de celles qui en première instance en ressentant les effets.

Une réflexion, jusqu'à présent pas assez forte, va maintenant faire boule de neige sur le sujet de la parité. Je ne parle pas ici des intellectuelles qui ont déjà pris position contre la parité : les thèses qu'elles défendent ne sont pas perçues dans les couches populaires ; elles sont bien loin des luttes des femmes quotidiennement obligées de se battre contre les vicissitude de l'existence et peuvent trouver dans l'accès à la politique le moyen d'y parvenir. Elles s'interrogent, certes, sur le fonctionnement de la démocratie et sur leur place dans la société. Mais est-ce suffisant face au blocage que rencontrent les femmes ? Il n'est pas trop tard pour pousser le mouvement vers la parité au bénéfice de toutes les femmes, et pas seulement de quelques-unes qui ont déjà réussi. Mme Pery pourrait assurément nous parler de ces femmes.

Si nous ne voulons pas trop nous ridiculiser, il faut montrer la voie de la raison au Sénat et lui proposer notre texte voté en première lecture. Son adoption ouvrira la porte à d'autres initiatives du législateur. En effet, la loi électorale devra être modifiée en conséquence si l'on ne veut pas que la loi constitutionnelle récemment votée demeure inopérante. (« Ah ? » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Yvette Roudy.

Evidemment !

M. Jean-Louis Debré.

C'est un aveu !

Mme Nicole Feidt.

Ce n'est pas ce que craint et dit Mme Ameline concernant l'avenir de l'institution qu'est le Sénat.

Après ce vote, nous pourrons dire que la culture politique française n'est plus particulièrement masculine, mais qu'elle est égalitaire au profit de l'ensemble des citoyens et des citoyennes, et donc de la société actuelle.

La parité, ce n'est pas forcément une affaire de philosophie : c'est une affaire de droits pour celles qui sont exclues de la vie de la cité.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à confirmer le vote de la commission. C'est en tout cas ce que fera le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Louis Debré.

Ouf ! On est rassurés ! (Sourires.)

M. le président.

La présidence ne souhaite pas laisser sans réponse la question de Mme Feidt : Mme Bachelot manque-t-elle de clairvoyance ? Evidemment non. (Sourires.)

Mme Yvette Roudy.

Vous intervenez dans le débat, monsieur le président ?

M. le président.

Je me suis contenté de répondre à une question...

La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, le 15 décembre dernier, il y a deux mois, notre assemblée adoptait le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes.

A l'unanimité des présents, l'Assemblée nationale disait oui à une meilleure représentation des femmes dans notre vie politique, oui à un équilibre plus représentatif des composantes de notre nation.

Le constat a été dressé par tous les orateurs qui se sont exprimés à cette tribune, tous d'accord pour dire qu'il était temps d'agir, ce que le Rassemblement pour la République a clairement affirmé.

La France, pays des droits de l'homme, n'a pas fait assez de place aux femmes dans la vie politique. C'est l'aveu d'un échec. Les femmes ont obtenu, à l'initiative du général de Gaulle, le droit de vote et d'éligibilité, mais cinquante-cinq ans après, leur place en politique reste marginale. Cette situation contraste fortement avec ce que l'on observe dans la plupart des autres pays européens, la France étant à l'avant-dernier rang en ce qui concerne la présence des femmes dans les parlements nationaux.

L'observatoire de la parité, initié par le Président de la République et mis en place par Alain Juppé, avait suggéré des mesures spécifiques et une révision constitutionnelle pour favoriser la présence des femmes dans notre vie politique. Il faut bien reconnaître que les inégalités constatées ne s'estomperont pas naturellement. Par conséquent, une impulsion législative est indispensable.

Le 26 janvier dernier, le Sénat adopte à son tour tout en le modifiant le projet que notre assemblée avait adopté. Son vote a déclenché un vaste débat dans notre pays. Je souhaiterais tout d'abord dire que le Sénat n'a pas rejeté le principe de la révision constitutionnelle qui nous est proposée. Il n'a pas adopté de question préalable. Les sénateurs ont fait le même constat que nous, qui s'impose à tous : les femmes sont sous-représentées dans la vie politique et il faut y remédier.

Mme Janine Jambu.

Cela ne suffit pas !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Ils ont décidé, au nom du principe constitutionnel de l'universalité du concept de citoyen et de la non-différenciation des sexes, de ne pas modifier l'article 3 de la Constitution qui reconnaît l'égalité des droits civiques à tous les nationaux français majeurs des deux sexes. Ils ont en revanche considéré qu'il revenait principalement aux acteurs concernés, c'està-dire aux partis politiques, de remplir leur rôle, reconnu explicitement par l'article 4 de la Constitution.

Mme Martine David.

On a vu ce que cela donnait !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Ils ont donc déplacé à l'article 4 de la Constitution ce que l'Assemblée avait inséré à l'article 3.

Il ne faut pas faire un procès d'intention aux sénateurs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)...

M. Bernard Roman.

Ce n'est pas un procès d'intention, c'est un procès tout court !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

... parce qu'ils considèrent qu'il appartient d'abord aux partis politiques de remplir le rôle que leur a confié la Constitution. C'est un procès injuste.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Bernard Roman.

Demandez au peuple ce qu'il en pense !

Mme Martine David.

Et surtout aux électrices !

M me Marie-Jo Zimmermann.

Chacune des deux assemblées parlementaires a le droit d'exprimer sa sensibilité propre pour proposer la solution qui lui paraît la plus adaptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Chacun a le droit de s'in-


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terroger. Nous avons d'ailleurs déjà soulevé, en première lecture, certaines interrogations posées par cette révision que je rappellerai brièvement.

Attaché au scrutin uninominal qui garantit l'étroitesse du lien entre les électeurs et l'élu, le RPR n'acceptera pas que certains s'appuient sur cette révison constitutionnelle pour modifier le mode de scrutin.

Mme Raymonde Le Texier.

Cela a déjà été dit !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Je préfère le préciser et avoir des assurances supplémentaires.

Mme Martine David.

Mme Guigou vous a déjà répondu. C'est infernal !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Rien ne serait plus condamnable que de cacher des tricheries politiciennes derrière la grande cause des femmes.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste. Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

La voie des quotas ou celle du financement modulé selon un coefficient de parité, c'est-à-dire selon le nombre de femmes élues, suscitent bien des questions qu'il faudrait examiner le moment venu avec le plus grand soin.

Rien ne serait pire pour les femmes, rien ne serait plus dangereux pour notre communauté nationale que d'assurer une fausse promotion des femmes en bafouant nos principes républicains. Nous soutiendrons donc le principe d'une révision constitutionnelle, mais nous serons particulièrement vigilants pour faire en sorte qu'il n'y ait aucun dérapage politicien, je vous le répète. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Un député du groupe communiste.

Dites-le aux sénateurs !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Une première lecture a donc eu lieu devant chacune des assemblées et ce qui nous rapproche tous est plus important et plus fort que ce qui peut nous différencier.

Nous sommes d'accord pour réviser notre Constitution, et c'est aujourd'hui ce qui est essentiel. Le fond doit l'emporter sur la forme.

M. Arnaud Lepercq.

Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

C'est pourquoi, avec mon collègue Baguet, dans un souci de conciliation, nous avons déposé un sous-amendement qui vise à revenir au texte initial du projet de loi stipulant que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions ».

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Le texte adopté en conseil des ministres ne peut que recevoir votre assentiment, madame la garde des sceaux, puisque c'est votre texte.

Mme Nicole Bricq.

Et le débat parlementaire, il sert à quoi ?

Mme Marie-Jo Zimmermann.

J'ose penser que votre majorité plurielle soutiendra ce que vous aviez proposé initialement et que nous reprenons. Notre détermination, il faut bien le voir, reste intacte. Notre ambition, je le répète, est d'arriver à un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur cette réforme qui ne peut aboutir que s'il y a un vote en termes identiques.

Renforcer la place des femmes dans la vie politique est une exigence de démocratie, de justice et de bon fonctionnement du pays, exigence sur laquelle le RPR ne transigera pas. Nous avons toujours oeuvré pour la cause des femmes...

Mme Raymonde Le Texier.

Mieux vaut entendre ça que d'être sourd !

M me Marie-Jo Zimmermann.

... et, aujourd'hui encore, le groupe du RPR apportera sa pierre à l'édifice.

Stendhal disait : « L'admission des femmes à la vie politique serait la marque la plus sûre de la civilisation. » Ne

manquons pas ce rendez-vous avec l'histoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après son adoption à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 15 décembre dernier, nous aurions pu penser que ce projet de révision constitutionnelle introduisant dans la Constitution la parité entre les femmes et les hommes pour les mandats électoraux et les fonctions électives aurait été adopté sans réserve par le Sénat. Il n'en a rien été. Après de longues discussions camouflées sous un certain juridisme, la droite sénatoriale a remis en cause le sens de la réforme proposée.

Alors que le projet initial présenté par le Premier ministre et le Président de la République, enrichi par les modifications apportées par notre assemblée, tendait à insérer à l'article 3 de la Constitution relatif aux conditions d'exercice de la souveraineté nationale une disposition selon laquelle « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », le Sénat a reporté sur les seuls partis politiques une vague obligation morale de donner aux femmes la place qui leur revient dans la vie politique, en niant tout moyen d'action du législateur en ce domaine.

Mme Janine Jambu.

Oui, quelle honte !

Mme Muguette Jacquaint.

Cette limitation du champ de la réforme aux seuls partis politiques en faisant abstraction de la compétence du législateur, si ce n'est par l'intermédiaire du financement public des partis, est révélatrice de la conception qu'ont les forces conservatrices de la place des femmes dans notre société, refusant les avancées démocratiques et progressistes dont notre pays a besoin.

Mme Janine Jambu.

Absolument !

Mme Muguette Jacquaint.

L'attitude de la majorité du Sénat consiste aussi à admettre et à maintenir la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982, confirmée en 1999, qui, sous couvert d'universalisme, écarte toute possibilité législative réellement incitatrice à la promotion de la parité entre les femmes et les hommes.

L'argument de communautarisme n'est pas plus admissible. Les femmes ne sont pas des éléments d'une communauté, elles sont des citoyennes à part entière.

M. Patrick Malavieille.

Evidemment !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Mme Muguette Jacquaint.

Décidément, les préjugés, les discriminations, les complexes ont la peau dure. Mais la réalité est probante. La photographie de la vie en est un exemple. Aujourd'hui, le Sénat et l'Assemblée nationale comptent 82 femmes sur 893 élus, soit 9,18 %.

Mme Janine Jambu.

Eh oui !

Mme Muguette Jacquaint.

Sur le plan municipal, les femmes représentent 21 % des conseillers municipaux, mais seulement 7 % des maires. Sur 104 conseils généraux, un seul a vu l'élection d'une femme comme présidente. Ces simples chiffres démontrent qu'il est nécessaire de faire autrement et de dépasser le consensus de principe et les déclarations d'intention.

Quand bien même sur le plan juridique les femmes disposent en principe des mêmes droits que les hommes, il convient de s'interroger, comme vous l'avez fait fort justement devant le Sénat, madame la garde des sceaux :

« Ignorer la différence entre les sexes, est-elle la meilleure stratégie pour réaliser l'égalité des sexes au regard des mandats et des fonctions électives ? » A l'évidence, non.

Faut-il, pour atteindre cet objectif, remettre en cause les principes de 1789 sur lesquels est fondé notre système politique et modifier fondamentalement la Constitution ? Ce n'est pas vers cela que tend le projet.

Il s'agit de donner aux principes constitutionnels un contenu concret dans le domaine particulier de l'exercice des responsabilités politiques par les femmes et les hommes. Nos concitoyens ne s'y trompent pas, eux qui, à 80 %, pensent que la parité est nécessaire.

Cet avis a été relayé par les associations féministes, par les personnalités qui luttent depuis de longues années pour la parité, ainsi que par de nombreux élus. Par des débats et des rassemblements devant le Sénat, nous avons immédiatement démontré notre aspiration, notre exigence pour l'inscription dans la Constitution, et à l'article 3, de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Je me félicite donc que la commission des lois ait, par l'intermédiaire d'un amendement, rétabli le texte adopté en première lecture. Cet amendement porte sur l'article 3, que je souhaite rappeler ici partiellement pour montrer toute son importance :

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. »

En ajoutant à cet article l'alinéa suivant : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », on posera, je le pense, l'une des premières pierres permettant le rétablissement de l'égalité.

Mais nous savons bien que, sans une réforme profonde des institutions, ce projet de loi constitutionnelle perdrait beaucoup de sa force de progrès. J'ai entendu Mme la ministre dire que la réforme des institutions n'était pas dans ce texte. Je tiens toutefois à rappeler que le groupe communiste est favorable à cette réforme.

Il faut donner la primauté à l'assemblée élue au suffrage universel direct et, face à l'exécutif et à l'Union européenne, accroître les pouvoirs d'initiative, de décision et de contrôle de l'Assemblée nationale dont les membres, hommes et femmes, doivent être vraiment représentatifs de notre pays dans ses diverses catégories socioprofessionnelles.

Sur le plan électif, d'autres dispositions sont nécessaires pour parvenir à la parité. Les quelques chiffres que j'ai énoncés plus haut démontrent les efforts nécessaires à effectuer. La démocratie ne peut atteindre sa plénitude du fait de ce grave déficit.

Tendre à l'égalité, établir l'égalité sont de véritabl es enjeux de société. En effet, comment une société peut-elle fonctionner au maximum de ses capacités quand, sur le plan politique et électif, près de la moitié de ses membres est quasiment exclue de fait ? Comment la société peut-elle se reconnaître totalement dans les élus lorsque plus de la moitié du corps électoral est très peu représentée ? L'abstention de plus en plus massive des citoyens ne s'expliquerait-elle pas aussi par la dichotomie entre l'image de la représentation élective telle qu'elle est aujourd'hui et celle souhaitée par les citoyens ? Dans ce cadre socio-politique, la parité femme-homme est un objectif à atteindre. Cette révision constitutionnelle peut en être un instrument sur le plan électif, mais elle peut aussi être une sorte de signal pour tendre vers l'égalité dans d'autres domaines.

Le groupe communiste, comme vous le savez, est attaché à la réforme du mode de scrutin. Le système proportionnel est le mode électoral le plus efficace et le seul qui permet réellement de tendre à la parité.

Un député du groupe communiste.

C'est vrai !

Mme Muguette Jacquaint.

L'élaboration des listes européennes de juin 1999 en est la preuve. Les dirigeants nationaux des différents partis, notamment de gauche, dont le parti communiste français, s'engagent vers la constitution de listes respectant la parité. Les résultats des élections régionales de l'année passée l'ont également démontré, même si cela est encore insuffisant.

Par ailleurs, le projet de loi sur le non-cumul des mandats permettrait lui aussi, s'il était adopté, de favoriser logiquement l'objectif de la parité, de même que l'adoption d'un véritable statut de l'élu, pour les hommes et pour les femmes, elles qui doivent souvent concilier vie professionnelle et vie familiale, elles qui représentent 90 % des chefs de famille monoparentale.

Et cette parité, sur le plan politique, peut avoir aussi un effet accélérateur pour travailler à l'établissement de l'égalité dans de nombreux domaines.

Sur le plan professionnel, ne serait-il pas nécessaire de légiférer pour lutter contre les discriminations ?

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme Muguette Jacquaint.

Ces discriminations salariales et le blocage de l'évolution des carrières sont manifestes.

Mme Yvette Roudy.

Absolument !

Mme Muguette Jacquaint.

Les faits parlent d'euxmêmes. Alors que la présence des femmes est de plus en plus forte sur le marché de l'emploi, cela n'empêche hélas pas la persistance de ségrégations à l'intérieur des secteurs économiques et de groupes d'activité, leur confinement dans des emplois précaires ou des activités à domicile. En outre, elles sont plus exposées au chômage que leurs collègues masculins.

Dans le domaine du déroulement d'une carrière professionnelle, les femmes savent que de nombreux obstacles sont dressés devant elles. Le secteur privé est fortement touché, mais le public n'est malheureusement pas épargné. Ainsi, 57 % des fonctionnaires sont des femmes, mais elles ne représentent que 13 % de la haute fonction


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

publique. Je ne reviendrai pas sur le débat de cet aprèsmidi, mais les réponses qui ont été faites doivent être approfondies pour nous donner satisfaction.

Quand 83 % des actifs à temps partiel subi sont des femmes, ne peut-on dire qu'elles sont les principales victimes de la précarité ? S'agissant des salaires, malgré la législation communautaire et nationale sur l'égalité de traitement pour un travail de valeur égale, la rémunération des femmes persiste à accuser un écart de 25 % en moyenne par rapport à celle des hommes.

Les femmes ont un rôle de plus en plus important dans la société française. Aujourd'hui, près de 79 % travaillent. Dans tous les domaines : scientifique, culturel, social et économique, la place des femmes n'est plus à démontrer. Elle devient indéniable. C'est un élément fort d'une démocratie.

Le parcours parlementaire de ce projet de loi constitutionnelle démontre qu'il reste des obstacles à surmonter ; ce sont les mentalités qu'il faut changer. Mais, de l'autre côté, il a fait émerger la force de celles et ceux qui veulent le changement. La modification constitutionnelle voulue par les femmes et par l'ensemble des citoyens sera un des éléments pour atteindre l'égalité entre les sexes.

Le groupe communiste a tenu toute sa place dans ce mouvement. Une société où les femmes et les hommes seront libres et égaux trouvera un nouvel élan pour progresser vers plus de démocratie et de citoyenneté. C'est pourquoi, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, le groupe communiste votera l'amendement rétablissant la notion de parité dans l'article 3 de la Constitution.

Mesdames, messieurs les députés, tous les regards sont aujourd'hui tournés vers nous. Nous sommes devant une responsabilité que l'on peut qualifier d'historique. Nous ne pouvons décevoir des millions de citoyens, nous ne pouvons décevoir la société tout entière, la société de l'an 2000 que nous préparons. Les femmes y sont déjà prêtes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lorsque, le 15 décembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité des députés présents le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, nous ne pensions pas que le débat prendrait une telle tournure. J'imagine aisément la grande déception des femmes de notre pays qui ont suivi l'ensemble de ces débats et qui, une fois encore, ne nous comprennent pas.

Qui, aujourd'hui, à l'aube du prochain millénaire, peut être contre l'égale représentation des femmes et des h ommes en politique ? Personne bien évidemment.

(« Le Sénat ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

En revanche, il reste à définir les moyens de la mise en oeuvre de ce principe. En ce sens, il faut rendre hommage à la qualité et au sérieux du travail des sénateurs. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.) C'est légitimement qu'ils se sont interrogés, comme nous l'avions fait nousmêmes, d'abord à la la commission des lois, puis dans l'hémicycle. Nos débats n'ont pourtant pas soulevé autant de polémiques. Faisons avancer les échanges au lieu de nous perdre dans de vaines querelles et dans des procès d'intention en tout genre.

M. Alain Clary.

Dans des contorsions !

M. Pierre-Christophe Baguet.

D'ailleurs, on constate que les inquiétudes de nos collègues sénateurs étaient justifiées si l'on se réfère aux interventions du ministre JeanJack Queyranne, les 9 et 16 décembre derniers au Sénat, dans le cadre de l'examen de la réforme du mode de scrutin des élections régionales. Les attaques contre le Sénat sont donc largement injustifiées. Sa commission des lois aurait-elle eu le tort de trop consulter ? Le débat, aujourd'hui, n'est pas un débat droite-gauche ou Assemblée nationale-Sénat. Il nous concerne tous, et plus particulièrement les femmes de notre pays. Alors pourquoi cette politisation excessive ? Quel jeu machiavélique cherchent à jouer certains responsables de la majorité ? Y a-t-il volonté d'organiser une marginalisation de la deuxième chambre à la veille d'une réforme de son mode d'élection ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Raymonde Le Texier.

Vous naviguez à vue, revenez à la parité !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Y a-t-il, plus grave encore, une volonté cachée d'interdire au Président de la République le droit de vouloir moderniser la vie politique de ce pays ? Tout cela n'est pas raisonnable. Les débats sont vifs.

Les fondements mêmes de la République seraient menacés. Nous allions rompre avec l'universalisme et nous sombrerions dans le communautarisme à l'américaine.

Toutes choses que, bien évidemment, nous ne souhaitons pas.

Mme Nicole Bricq.

De Gaulle avait raison en 1969 !

M. Pierre-Christophe Baguet.

C'est donc aujourd'hui au Gouvernement d'apporter l'apaisement nécessaire à ce débat. Pour cela, il faut éclairer davantage l'opinion publique et la représentation nationale sur les objectifs et les moyens de les atteindre.

Mme Monique Collange.

L'opinion publique a tout compris !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Sur les objectifs, souhaitez-vous tendre vers une parité hommes-femmes absolue et illimitée dans le temps ou bien vers une réelle égalité d'accès des femmes aux fonctions électives et augmenter ainsi, de façon très significative, le nombre des femmes en politique ? Vous conviendrez que ce n'est pas la même chose.

Mme Yvette Roudy.

On veut la parité !

M. Pierre-Christophe Baguet.

En ce qui concerne les moyens, quels seront les contenus des futures lois d'application, organiques ou simples ? Inscrirez-vous clairement l'obligation de parité, avec des quotas chiffrés, et de quel ordre ?

Mme Yvette Roudy.

On verra !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Modifierez-vous les modes de scrutin à cette occasion ?

Mme Yvette Roudy.

On verra !

Mme Nicole Bricq.

N'anticipez pas le débat !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Quelle place laisserezvous aux partis politiques ? Allez-vous les associer ou les contraindre ? A llez-vous modifier les principes du financement public ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Allez-vous instaurer une notion de durée ? Toutes ces interrogations sont légitimes. Elles méritent des réponses.

Mme Nicole Catala et Mme Marie-Jo Zimmermann.

Vous avez raison !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Je tiens à rappeler solennellement les demandes du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance en la matière.

Premièrement, il faut cesser de pénaliser les femmes avec les coups successifs portés aux familles (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et les aider à mieux concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle.

Mme Nicole Catala et Mme Marie-Jo Zimmermann.

Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet.

En ce qui nous concerne, nous souhaitons favoriser leur liberté de choix et d'action. De plus, et sans vouloir polémiquer, madame la ministre, ne serait-il pas opportun de protéger aussi la parité dans les couples, par exemple en revalorisant le mariage au lieu de le déstabiliser ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Deuxièmement, nous voulons que le Gouvernement s'engage clairement et formellement à ne pas utiliser le prétexte de la mise en oeuvre de la parité pour remplacer les modes de scrutin uninominaux et majoritaires par la proportionnelle.

Mme Dominique Gillot.

Hors sujet !

M. Alain Clary.

Jurassic Park, c'était hier soir !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Les propos de Jean-Jack Queyranne au Sénat et ceux du Premier ministre tout à l'heure ne sont pas pour nous rassurer.

Troisièmement, nous souhaitons que les lois à venir soient limitées dans le temps. Nous voudrions que le Gouvernement s'engage publiquement à faire le point de la situation dans dix ans, après deux législatures.

Mme Raymonde Le Texier.

On rêve ! Dans dix ans, on renvoie les femmes au foyer !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Et pourquoi ne pas consulter alors le peuple français par référendum, comme le suggérait ce matin Mme Nicole Catala dans un grand quotidien ?

Mme Nicole Bricq.

Proposez-le au Président de la République !

Mme Martine David.

Oui, demandez un référendum à Chirac ! M. Pierre-Christophe Baguet. Quatrièmement, nous pensons nécessaire d'accorder un bonus financier aux partis politiques qui s'impliqueront activement dans cette démarche vers l'égalité. Seuls, ils ne pourront y arriver.

Nous connaissons tous les contraintes et les pressions dont sont l'objet les responsables des partis politiques.

Pour autant, il ne serait pas raisonnable non plus d'agir contre eux.

A ce propos, le Gouvernement doit s'engager à défendre la proposition de loi de notre collègue UDFAlliance Pierre Albertini, qui interviendra dans quelques instants à la tribune pour dire sa volonté de modifier la loi relative à la transparence de la vie politique.

Mme Yvette Roudy.

Vous mélangez tout !

M. Pierre-Christophe Baguet.

De tout temps, l'Union pour la démocratie française-Alliance a souhaité l'ouverture de la vie politique aux femmes de ce pays.

(« Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je ne rappellerai pas la proposition de loi de Nicole Ameline et Gilles de Robien, soutenue à l'époque par 104 députés.

Aujourd'hui, nous avons besoin de plus de lisibilité.

Mais l'attente des hommes et des femmes de bonne volonté est immense et il n'est pas possible de les décevoir. Les plus jeunes, la France de demain, ceux qui, entre autres, représentent leurs camarades au Parlement des enfants, ne comprendraient pas.

Le 15 décembre, lors de l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle, j'ai conclu mon discours en évoquant cette assemblée pleine d'avenir où l'élément féminin serait fortement représenté.

Quant à ceux qui crient à la remise en cause des fondements de notre République, je tiens à les rassurer. Les femmes ne sont pas une catégorie, elles sont une des deux parties de l'humanité. Les femmes ne sont pas un groupe social, elles ne sont pas une minorité, d'ailleurs elles sont majoritaires en France. Les femmes n'ont pas plus de valeur que les hommes, ni moins d'ailleurs ; elles sont ce qu'elles sont, comme les hommes sont ce qu'ils sont, sans compétition mal placée, sans grands discours, en toute connivence, et peut-être enfin en toute solidarité.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vous le voyez, les questions sont bien nombreuses.

Mme Nicole Bricq.

Les vieux poncifs aussi !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Aujourd'hui, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance de l'Assemblée nationale va voter, comme en première lecture, le texte qui lui est proposé. Mais il attend très fermement que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale montrent par leurs actions leur réelle volonté de faire aboutir cette réforme.

Mme Monique Collange.

Vous ne voulez pas vous fâcher avec les sénateurs !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Avec ma collègue AnneMarie Idrac, je dis : osons la parité, et j'ajoute : tous ensemble et dans la loyauté.

M. Partick Malavieille.

Sur les listes des européennes ?

M. Pierre-Christophe Baguet.

A ce débat, je veux, pour conclure, en rattacher un autre, qui a eu lieu à l'Assemblée nationale la semaine dernière et qui a vu la création des délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Dites-vous bien, mes chers collègues, que la volonté du Gouvernement de faire vivre ces délégations parlementaires sera le signe perceptible et tangible de sa détermination à assurer l'égal accès des femmes et des hommes à la vie politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Il y a encore beaucoup de chemin !

M. le président.

Mes chers collègues, nous resterons sur notre faim en ce qui concerne les explications de M. Albertini, qui n'est pas là, non plus d'ailleurs que

Mme Marin-Moscovitz.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

La parole est à Mme Yvette Roudy.

Mme Yvette Roudy.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans le débat fracassant qui se déroule en ce moment sur la parité, je crains beaucoup que les derniers développements n'apportent plus de confusion que de clarté. Nous savons que les misogynes de tous les temps ont fondé leur pouvoir et la construction de leur société sur l'infériorité de la femme, proclamée par eux et qu'ils justifient en invoquant la nature, superbe invention édifiée à partir d'un rapport de force physique qui a fonctionné pendant des siècles mais qui commence à se fissurer, avec l'accès des femmes à la culture et à la connaissance, avec les luttes des femmes, avec le soutien de quelques hommes éclairés et avec le développement de la démocratie.

Ainsi, très lentement, les discriminations négatives qui handicapent les femmes s'effritent, et le plus souvent grâce à la loi. Car la loi est faite pour intervenir lorsqu'il y a abus, lorsqu'il y a désordre, lorsqu'il y a anomalie, lorsqu'il y a inégalité ; la loi est faite pour aider le plus faible à se défendre ; la loi doit, oui, élaborer des discriminations positives quand cela est nécessaire.

Mme Raymonde Le Texier.

Très bien !

Mme Janine Jambu.

Absolument !

Mme Yvette Roudy.

Aujourd'hui, il est question de demander à la loi un coup de pouce pour permettre aux femmes l'égal accès aux mandats électoraux. Et voici que notre Sénat, fidèle à sa réputation historique de misogynie, bloque le projet et trouve un surprenant appui auprès d'un petit groupe de théoriciennes néo-féministes, qui n'ont rien à proposer pour modifier une situation honteuse pour notre pays, mais qui se sentent humiliées de ce qu'il soit possible de faire appel à des discriminations positives pour faire sauter ce verrou masqué, mais bien réel, qui freine l'accès des femmes à la vie politique.

Mme Christine Boutin.

Elles ont raison !

Mme Yvette Roudy.

Se sentir humilié par des mesures positives, c'est tout ignorer de ce qu'est la vie des femmes au quotidien, c'est tout ignorer de ce qu'est la vie des femmes au sein des partis, c'est tout ignorer de la réalité des désignations au moment des candidatures.

Humiliant ? J'ai déjà entendu ce mot lorsque j'ai eu à défendre les droits des femmes à la tête d'un ministère, de 1981 à 1986. L'existence même de ce ministère était considérée comme humiliante par certaines de ces opposantes que l'on entend aujourd'hui.

Mais qu'est-ce qui est le plus humiliant ? D'avoir à prendre des mesures pour réduire des inégalités honteuses ou d'occuper le dernier rang dans le concert des nations européennes en matière de représentation des femmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Nos représentants du pays des droits de l'homme - le bien nommé - ne sont-ils pas gênés lorsqu'ils ont à répondre à certaines questions posées par l'Union européenne ou encore par l'ONU sur ce sujet ? Le projet de loi que nous proposons rencontre l'accord du Président de la République, du Premier ministre, de l'ensemble de cette assemblée et de 80 % de la population, pas moins.

Mme Janine Jambu.

Eh oui !

Mme Yvette Roudy.

Ce projet transgresserait, nous dit-on, un principe fondamental de la République, celui de l'universalisme de la représentation, et ouvrirait la porte à toutes les revendications des catégories qui composent la société. Ainsi, les femmes seraient une catégorie, tout comme les Juifs, les homosexuels, les Noirs, les Bretons, les Berbères, peut-être les Basques aussi. Là est l'erreur fondamentale de nos opposants, et nous retrouvons ainsi l'analyse du Conseil constitutionnel qui a une étrange lecture de la Constitution, car les femmes ne sont pas une catégorie. On l'a dit, redit et il faut le répéter : elles sont la moitié de l'humanité, dont les hommes sont l'autre moitié. Et c'est parce qu'elles participent de l'universel en tant que moitié de l'humanité qu'il faut réparer cette erreur qu'est leur absence dans la représentation.

Mais j'entends bien aussi la leçon de Robert Badinter qui nous explique magistralement qu'un élu doit son élection à ses électeurs.

Mme Nicole Bricq.

Au Sénat, parlons-en !

Mme Yvette Roudy.

J'avoue que ce détail ne nous avait pas échappé. (Sourires.)

Mais M. Badinter oublie une étape, celle de la désignation bien en amont, au sein des partis, à la candidature. Il est vrai qu'il sait de quoi il parle, lui qui a réussi à obtenir son siège de sénateur en provoquant l'effacement d'une femme remarquable, Françoise Seligmann, ancienne résistante, à qui je voulais rendre hommage aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le voilà habillé d'un « costard » pour l'hiver ! (Sourires.)

Mme Yvette Roudy.

Face à l'obstination d'un dernier carré de sénateurs figés dans leur misogynie d'une autre époque et soutenus par une petite classe de privilégiés, que devient l'exigence de 80 % de la population ? Là est toute la question.

Les Françaises veulent des gestes concrets. Au-delà de la parité, elles attendent des gestes concrets en matière d'égalité professionnelle. Elles attendent des gestes concrets, comme je l'ai demandé la semaine dernière, pour le démarrage de la campagne en faveur de la contraception.

Les femmes vont bientôt voter, mes chers collègues.

Efforçons-nous de ne pas les décevoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert, dernier orateur inscrit.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, mesdames les ministres, chers collègues, que n'avionsnous entendu, en décembre dernier, sur la grande marche des parlementaires vers la parité ! C'était l'unanimité, l'enthousiasme. On nous avait expliqué, à nous qui voulions que soit affiché plus clairement l'objectif de parité, qu'il ne fallait pas trop en faire pour ne pas effaroucher le Président de la République et le Sénat (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.), censés approuver la formule minimaliste qui nous avait été proposée. Mais le processus était lancé : alléluia ! Hélas ! patatras ! Le Sénat n'a même pas voulu faire ce petit pas. La seule chose qui ne l'offusque pas, c'est de conditionner le financement des partis politiques à la présence de candidates ou d'élues.

M. Yves Cochet.

Scandaleux !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Pour le coup, nous avons été nombreuses à regretter de ne pas avoir été encore plus audacieuses lors de la première lecture.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

M. Robert Pandraud.

Vous allez me faire regretter d'avoir voté pour !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Non content de revenir à la formulation initiale un peu paternaliste où la loi

« favorise » l'égal accès, c'est-à-dire veut bien octroyer aux femmes la « faveur » d'accéder, comme les hommes, aux mandats et fonctions, le Sénat se permet d'ajouter un alinéa scandaleux qui, hélas ! a pu séduire, à droite comme à gauche, sur nos bancs également : laisser aux partis politiques, par le biais de modalités du financement public, le soin d'assurer éventuellement la parité. On imagine aisément la réaction de l'opinion publique, déjà peu encline à leur faire confiance.

Jusqu'à présent, en effet, les partis politiques - et je suis fière d'appartenir aux Verts qui ont longtemps fait exception - n'ont pas réussi à faire progresser la situation : 10 % de femmes aujourd'hui à l'Assemblée nationale, 6 % encore au début de 1997... comme en 1945.

Quant à la condition « femmes contre financement », l'idée peut paraître attirante par son efficacité supposée, mais elle a un parfum douteux. Les femmes ne se monnayent pas, ne se monnayent plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Robert Pandraud.

Pas de généralités ! (Sourires.)

Mme Marie-Hélène Aubert.

Le remède, en termes d'imaginaire collectif, serait peut-être pire que le mal.

Ainsi donc, nous nous devons de sauver la parité, première étape d'une nécessaire modernisation en profondeur de la vie politique et, nous le souhaitons vivement, de nos institutions. Il y va de la crédibilité de la vie politique, de notre crédibilité à toutes et à tous.

La société, heureusement, bouge. Ses représentants, ses élus, peuvent-ils être à la traîne ? Nombreuses sont les associations de femmes - de plus en plus mixtes, et c'est heureux - qui ont inscrit la parité comme leur objectif principal. Objectif très fort et emblématique parmi toutes les batailles que les femmes ont encore à gagner dans la société : égalité de salaire, égalité professionnelle, facilités de garde d'enfants, fin de la double ou triple journée, gestion du foyer, violence, droit à disposer de son corps, etc. Malgré ces difficultés, nous sommes nombreuses à considérer que cela vaut le coup d'investir l'Assemblée nationale et de montrer à toutes et tous que c'est possible et souhaitable.

Mme Muguette Jacquaint et Mme Janine Jambu.

Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Ainsi, la société avance.

Un monde politique trop replié sur lui-même ne pourrait que rendre encore plus méfiants ceux de nos concitoyens et de nos concitoyennes, et surtout les plus jeunes, qui choisissent la non-participation aux partis politiques et même l'abstention.

Refuser la présence des femmes, c'est refuser aussi que la politique puisse être autre : c'est aimer sièger jour et nuit pour d'interminables motions de procédure qui nous ridiculisent (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) ; c'est supporter les changements d'ordre du jour permanents, accepter de jouer un jeu d'équilibriste et un rôle prédéfini selon que l'on est dans la majorité ou l'opposition, laisser croire qu'il est possible d'être tout le temps présent, à la fois en séance et sur le terrain ; c'est voir dans la politique une carrière comme une autre, où l'on gravit des échelons, où l'on confond les casquettes, où l'on multiplie les mandats.

Mme Nicole Bricq.

Il ne faut pas tout mélanger !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Les Verts, même en participant à cette noble assemblée et en prenant leurs responsabilités dans un ministère, n'entendent pas renoncer à leur désir de faire de la politique « autrement ». Or, aujourd'hui, nous sommes très inquiets. Cette belle unanimité de notre assemblée sur l'éventuelle mise en oeuvre de la parité ne cache-t-elle pas en fait une partie de billard à trois bandes entre le président de la République, le Premier ministre et le Sénat, qui renverrait finalement aux calendes la réforme nécessaire de la vie politique - cumul des mandats, modes de scrutin, statut de l'élu laquelle, pour sa part, est loin de faire l'unanimité, le tout sous couvert d'un supposé volontarisme pour la parité, idée tellement sympathique ? Madame la ministre, nous comptons sur votre détermination pour que ce débat ne s'enlise pas et ne soit pas finalement un mauvais coup porté à la cause des femmes.

En tout cas, la nôtre est totale.

Néanmoins, il apparaît de plus en plus clairement que, à terme, seul un référendum permettra de progresser réellement sur ces questions, comme sur la modernisation globale de la vie politique et de nos institutions. Alors, à quand la VIe république et la parité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mesdames, messieurs les parlementaires, le débat que nous avons ici a provoqué, et ce n'est pas là l'un de ses moindres intérêts, un débat tout aussi vif parmi les philosophes, les intellectuels, les juristes et, au-delà dans toute l'opinion publique. On peut le constater lorsque nous allons sur le terrain. Pour ma part, j'écoute avec attention ce qui se dit. Cela apparaît également dans les différents sondages.

A ujourd'hui, il ne s'agit plus simplement, pour répondre à cette attente profonde de l'opinion publique, de faire en sorte que les parcours individuels réussis soient plus nombreux. Il faut aller plus loin pour satisfaire le désir qu'elle exprime d'une présence beaucoup plus massive des femmes et d'une véritable parité dans la vie publique et au sein des lieux de décision. Nos concitoyennes et nos concitoyens souhaitent une modernisation de la vie publique.

A cet égard, je n'évoquerai pas le non-cumul des mandats ; ce n'est pas le jour. Mais nul n'ignore que c'est un ensemble de dispositions qui est attendu par la société française. J'insisterai plus particulièrement sur la place des femmes dans les lieux de décision. S'agissant de la haute fonction publique, si j'avais moi-même répondu à la question d'actualité posée cet après-midi j'aurais certainement mis l'accent sur le fameux plafond de verre que tous, ici, nous connaissons. J'aurais également rappelé quelques chiffres : 10 % de femmes au Conseil d'Etat, 12 % à l'inspection générale des finances, 13 % au Conseil constitutionnel et à la Cour des comptes, 19 % seulement pour l'ensemble des postes de responsabilité supérieure dans la fonction publique, tous corps confondus. Et je pourrais multiplier les chiffres. Connaissant les raisons de cette situation, il est donc de notre responsabilité, au-delà de l'inscription du principe de parité des hommes et des femmes dans la vie politique, d'élargir le champ de nos interrogations et de nos actions positives afin que, demain, les femmes soient beaucoup plus nombreuses dans tous les domaines.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Certaines d'entre vous ont souligné les inégalités vécues au quotidien par une grande majorité de femmes, notamment en matière de salaire, de formation et d'orientation professionnelles. Je n'y reviendrai pas, ayant longuement insisté sur cet aspect en première lecture.

Personnellement, j'attends maintenant de votre assemblée, avec laquelle je me sens en parfaite harmonie, qu'elle réaffirme la position adoptée en première lecture.

Le temps est venu d'inscrire l'égalité entre les hommes et les femmes dans les mandats et les fonctions, dans les responsabilités politiques, d'abord, pour que demain, l'égalité soit réelle dans l'ensemble des lieux de décision, et q u'enfin nous puissions vivre dans une démocratie moderne avec une réelle mixité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

En application de l'article 91, alinéa 9, du règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

Article unique

M. le président.

« Article unique. L'article 4 de la Constitution est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Ils favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

« Les règles relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise en oeuvre des principes énoncés aux alinéas précédents. »

Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.

Je rappelle que chaque intervention ne doit pas dépasser cinq minutes.

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot.

Monsieur le président, chers collègues, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, alors que l'opinion publique est très majoritairement favorable à la reconnaissance de la juste place des femmes à tous les échelons de la société - cela a été redit à de nombreuses reprises -, le 15 décembre dernier, étaient réunies sur un texte commun, aux termes choisis, la volonté du Premier ministre et celle du Président de la République, qui avaient l'un et l'autre pris des engagements face à leurs électeurs.

Un travail méticuleux de notre commission des lois avait introduit des précisions dans le texte pour en renforcer et la portée juridique, « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé », et la portée symbolique, « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

Le débat en séance avait même marginalisé une tentative de procédure de rejet et montré la transversalité de la volonté politique à lever le verrou constitutionnel qui permettrait, enfin, à nos institutions d'approcher au mieux l'expression de l'humanité dans son ensemble, à savoir la mixité et l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.

Hélas, le 26 janvier, le Sénat, exerçant en cela sa liberté et sa responsabilité, a vidé la réforme de sa substance en votant une modification de l'article 4. Depuis, le débat a pris, dans les médias et devant l'opinion publique, une intensité et une vigueur d'autant plus fortes qu'il semble dresser les uns contre les autres des camps ligués, quelquefois issus des mêmes familles de pensée. Malheureusement, ces prises de positions sont si rapides et si opportunes que leur agglomérat manque de cohérence et de fiabilité au regard des enjeux.

Quels sont ces enjeux ? Au-delà des fantasmes, des arguties et des faux-semblants, il s'agit de répondre au Conseil constitutionnel, qui a fondé sa jurisprudence de 1982 et 1989 « en l'état » des principes constitutionnels et interdit au législateur d'introduire dans notre droit la parité, voire un seuil de représentativité sur les listes électorales.

C'est pour cela qu'a été fait le choix de réviser l'article 3 de la Constitution de façon à y inscrire une nouvelle lecture de la notion de souveraineté en faisant apparaître clairement dans les textes fondateurs de la République la mixité irréductible de l'humanité.

Si l'habilitation donnée par le constituant au législateur de déterminer les conditions de cette égalité d'accès aux mandats et aux fonctions est d'ordre général, elle permettra aussi au législateur de prendre des mesures incitatives ou coercitives à l'égard des partis politiques pour les inciter à une égalité réelle des femmes et des hommes dans les candidatures comme le souhaite le Sénat.

En effet, qui peut le plus peut le moins. J'avoue donc mal comprendre les sénateurs qui ont dégagé la responsabilité de faire évoluer la situation insatisfaisante de la représentation politique - ils le reconnaissent - sur les seuls partis politiques, qui plus est par des mesures financières ! Si cette mesure est utile, elle n'est que partielle et ne peut suffire à mettre fin à la situation de monopole dont bénéficient actuellement les hommes, notamment dans la société politique. La preuve, en 1997, le parti socialiste a décidé, seul, de s'appliquer cette obligation à hauteur de 30 % des circonscriptions réservées à des candidatures féminines.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Patrice Martin-Lalande.

On verra ce qu'il en sera la prochaine fois !

Mme Dominique Gillot.

Grâce à cette démarche volontaire, brocardée à l'époque - rappelez-vous ! -, le nombre de femmes dans notre assemblée a progressé. Mais est-ce suffisant ?

Mme Yvette Roudy.

Non !

Mme Dominique Gillot.

Quelles garanties avons-nous dans le temps ? Sommes-nous assurés qu'il y aura toujours cette volonté politique si la loi ne la cadre pas, ne la fixe pas dans ses tables ? Mon expérience de militante me permet malheureusement de savoir que non ! Depuis des décennies, la République idéale, rationnelle et vertueuse a exclu les femmes. Ceux qui se réfèrent à cette République figée par un universalisme décliné au masculin craignent que, demain, les femmes choisies pour l eur sexe uniquement, bien sûr, soient forcément médiocres et ne représentent que leurs semblables. Rassu-r ons-les, elles représenteront, elles représentent déjà, comme vous et moi, les hommes et les femmes ayant contribué à leur élection au même titre qu'elles ont été si longtemps représentées par les hommes à l'élection desquelles elles avaient contribué.

Mme Yvette Roudy.

Il n'y a pas à les rassurer !

Mme Dominique Gillot.

Il faut rassurer les détracteurs de l'objectif de parité. Les femmes n'entendent pas s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale comme une


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

section du peuple, elles aspirent seulement à porter leur part de responsabilité et de représentativité de l'humanité à égalité avec les hommes.

Et si le constituant est obligé d'intervenir c'est bien parce que les partis politiques n'ont pas su prendre la décision d'ouvrir leurs listes, leurs instances aux femmes.

L'inscription de l'égalité, dans la mixité de la souveraineté nationale, dans notre Constitution, n'a rien de fragilisant pour les femmes ni rien de discréditant. Cela l'est moins que le principe qui a les seules faveurs du Sénat, celui qui apporterait des compensations financières aux partis présentant des femmes. Sans vouloir être désagréable avec la deuxième assemblée, j'ai du mal à comprendre la morale... ou plutôt je la comprends trop : dans certaines mentalités, les femmes restent encore trop souvent associées à l'argent, aux gains qu'on peut en tirer.

Il y a des termes qui qualifient cette exploitation ! Du reste, je m'étonne que les « belles esprits » qui ont volé au secours de nos sénateurs pour leur offrir fort à propos une caution philosophique et intellectuelle élitiste ne soient pas horrifiées par cette seule méthode préconisée !

M. le président.

Madame, comme je suis chargé, moi, de veiller à l'égalité entre tous, je vous demande de conclure car vous avez dépassé votre temps de parole.

(Sourires.)

Mme Dominique Gillot.

Je conclus, monsieur le président.

J'en appelle donc au rétablissement du texte que nous avons adopté à l'article 3, qui introduira clairement et dignement dans notre Constitution l'idée que l'humanité est mixte, que la souveraineté nationale appartient au peuple, constitué d'hommes et de femmes, que la représentation nationale doit être exercée à égalité par des femmes et des hommes issus de ce peuple uni par leur différence irréductible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Boutin, qui disposera de cinq minutes. Comme tout le monde : nous n'en sommes plus aux motions de procédure...

(Sourires.)

Mme Christine Boutin.

Monsieur le président, je reconnais bien là votre sens de l'humour.

Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si l'on souhaite aujourd'hui modifier la Constitution, avec l'objectif de favoriser la parité entre hommes et femmes, c'est que les femmes élues sont peu nombreuses en France. Et comme tout le monde, naturellement, je ne peux que le regretter.

Mais est-ce dû aux défaillances de notre Constitution ou de nos lois ? Je ne le crois pas. Le fonctionnement politique de notre pays n'est ni attrayant, ni adapté pour les femmes. Quand suivrons-nous l'exemple suédois, où le parlement s'arrête à seize heures trente, pour que les femmes puissent aller chercher leurs enfants à l'école ? (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Alain Néri et Mme Raymonde Le Texier.

Et les hommes ? Pourquoi n'iraient-ils pas à la sortie de l'école ?

Mme Christine Boutin.

Les conditions d'exercice d'un mandat ou d'une fonction politique sont très difficiles.

Nous savons tous ici qu'être un élu requiert des sacrifices importants, notamment dans le domaine de la vie de famille et c'est sans doute là un obstacle majeur à l'accès dex femmes à d'importantes fonctions politiques.

Par ailleurs, toute personne élue se retrouve très vite sur le devant de la scène ...

M. Patrick Malavieille.

Au sujet du PACS, par exemple !

Mme Christine Boutin.

... avec toutes les images déformées que cela peut entraîner. Pour y faire face, il faut savoir combiner force de caractère, conviction, sens de l'humour et humilité. Tant que nous ne reconnaîtrons pas la véritable spécificité des femmes, leur vision propre de la politique, qui est concrète, humaine et créative, elles fuiront la politique. Et toutes les règles de parité, tous les quotas du monde n'y changeront rien.

Or nos institutions ont besoin de femmes. Comment pouvons-nous les attirer vers l'engagement politique, comment leur donner envie d'être élues ? C'est la question qui nous est posée aujourd'hui.

Il nous est proposé de revenir au projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Vous nous dites, madame la garde des sceaux, que ce projet consacrerait l'égalité entre hommes et femmes. Or l'article 1er de la Constitution dispose déjà que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». Et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans ses articles 1er et 6, rappelle, elle aussi, ce principe d'égalité entre tous les citoyens. De plus, le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose de façon très explicite que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».

En réalité, ce que vous nous proposez aujourd'hui c'est de modifier la Constitution pour permettre l'adoption ultérieure de lois consacrant le principe de la parité et l'instauration de quotas de femmes dans des élections à venir dont le mode de scrutin, malgré vos promesses, sera obligatoirement proportionnel.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Mais non !

Mme Dominique Gillot.

Boutin au Sénat !

Mme Christine Boutin.

Du reste, Mme Tasca, dans son rapport, ne vise que cette forme électorale pour justifier le présent texte.

Si ce projet est adopté, il y aura une contradiction interne dans notre loi fondamentale, puisque tout en décalarant la République est « une et indivisible », elle instaurerait, que vous le vouliez ou non, des catégories d'éligibles, comme l'a fort bien dit M. Crépeau tout à l'heure. En voulant faire de la discrimination positive au prétendu profit des femmes, nous mettons le doigt dans un engrenage dangereux.

Mme Yvette Roudy.

Tant mieux si c'est un engrenage !

Mme Christine Boutin.

La philosophie qui sous-tend le principe de la parité, n'en déplaise à Mme la présidente de la commission des lois, suppose que les femmes soient représentées par des femmes. La Constitution de notre pays affirme pourtant que n'importe quel homme ou femme peut représenter n'importe quel citoyen, qu'il soit homme ou femme. Si l'on applique la parité pour les femmes, il sera justifié que telle ou telle catégorie de Français exige d'être représentée dignement.

Mme Raymonde Le Texier.

Mais non !

Mme Christine Boutin.

Comment le lui refusera-t-on ? Votre principe d'égalité intègre dans la loi fondamentale la dimension biologique des sexes...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

Plusieurs députés socialistes.

Ah ! Le sexe !

Mme Muguette Jacquaint.

Mme Boutin ne parle que de sexe ! (Sourires.)

Mme Christine Boutin.

... touchant ainsi au caractère indivisible et universel de la République, alors que la tradition républicaine de l'égalité se fonde beaucoup plus sur la complémentarité pour affirmer l'universalité.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

C'est une idée fixe !

Mme Christine Boutin.

De plus, aujourd'hui, sous prétexte de vouloir aider et soutenir les femmes, j'affirme que nous sommes en train de vivre une vraie journée de dupes pour les femmes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

La parité contrainte ne révèle-t-elle pas un mépris extraordinaire des compétences et des capacités des femmes ? Serons-nous tenus d'une obligation de résultat ou uniquement d'une obligation de moyens à l'égard des femmes ? Si les électeurs ne veulent pas de telle ou telle femme, seront-ils, eux aussi, contraints d'observer des règles de parité dans leurs votes ? La parité ne donnera aux femmes qu'une illusion d'égalité et jouera contre leur liberté. Elle est contraire au principe d'égalité entre les sexes, au principe d'indivisibilité du corps électoral, ainsi qu'au principe d'universalité.

Une révision constitutionnelle constituera une fragilisation indéniable des principes fondamentaux de notre Constitution.

M. Jean-Paul Bret.

Intégriste !

Mme Christine Boutin.

Pour avoir des femmes élues, le Sénat l'a bien compris, il faut tout d'abord que les partis politiques acceptent d'investir les femmes et de leur donner de vraies responsabilités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.) Du reste, M. Jospin n'a pas eu besoin de réforme constitutionnelle pour faire entrer des femmes à l'Assemblée nationale.

Renonçons à cette parité forcée dénoncée par des personnalités de droite comme de gauche et qui serait à l'origine d'une véritable régression républicaine et sociale.

Il reste aujourd'hui une seule question : madame la ministre, le Gouvernement souhaite-t-il vraiment qu'il y ait davantage de femmes dans la vie politique puisque, de toute façon, il faudra bien que nous nous entendions avec le Sénat pour qu'il y ait réforme constitutionnelle ?

M. Germain Gengenwin.

Très bien !

M. Jean-Paul Bret.

Boutin sénatrice !

M. le président.

La parole est à M. Didier Julia.

M. Didier Julia.

Monsieur le président, madame la ministre, tout le monde est d'accord pour tendre vers la parité dans les mandats et les fonctions.

S'agissant des fonctions, le Premier ministre, reconnaissant que n'étaient proposés que 10 % de femmes pour la haute fonction publique, a dit tout à l'heure, - et cette réponse n'est pas à la hauteur des espérances de Mme la secrétaire d'Etat aux droits de la femme et à la formation professionnelle, qui aurait certainement répondu plus complètement et avec davantage de talent - que, pour la haute fonction hospitalière les femmes avaient refusé les postes qu'on leur offrait parce que la politique familiale actuelle ne leur donnait pas les moyens de s'occuper des enfants. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Muguette Jacquaint.

Ce n'est pas vrai !

M. Didier Julia.

Ce sont les propos de M. le Premier ministre.

Il faudrait donc favoriser les aides et les gardes d'enfants à domicile, généraliser le temps partiel ou les années sabbatiques. Or la politique de Mme Aubry va l'encontre de ces objectifs.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

C'est votre interprétation !

M. Didier Julia.

En fait, vous employez tous les moyens pour couler une politique familiale qui permettrait de donner plus de liberté aux femmes pour occuper des fonctions importantes et rempli des mandats.

S'agissant des mandats, je distinguerai les candidatures des résultats. Nous sommes tous d'accord pour qu'il existe une parité dans les candidatures, mais une parité dans le résultat est absurde et insultante pour les femmes.

Introduire une représentation paritaire des sexes dans la Constitution est une régression sociale. Etablir un statut juridique particulier en fonction des conditions biologiques s'inscrit dans une perspective qui évoque les lois de Nuremberg (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

C'est scandaleux !

M. Jean-Paul Bret.

C'est une honte !

M. Didier Julia.

... et pas du tout l'idéal démocratique.

Apparemment, la vérité vous gêne, chers collègues ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Nicole Feidt.

Ça suffit ! Taisez-vous !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Didier Julia.

Après la logorrhée d'insultes visant les sénateurs, qui ont pourtant raison sur le fond (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)...

Mme Muguette Jacquaint.

Vous n'êtes pas au Sénat !

M. Yann Galut.

Il est prêt à y entrer !

M. Didier Julia.

... je souhaite pouvoir m'exprimer quelques instants.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Vous voterez bientôt pour l'extrême droite !

M. Yann Galut.

A la maison de retraite !

M. Didier Julia.

Les Françaises sont attachées aux valeurs républicaines, hostiles aux discriminations positives, aux quotas de femmes et à l'injustice des statuts particuliers.

Votre pseudo-modernisation est archaïque. Alors que l'échec américain des discriminations positives crève les yeux, vous voulez introduire en France, vingt ans après, une expérience américaine qui a totalement échoué.

Nous disons oui à l'égalité des chances, oui à l'action concrète des partis politiques pour promouvoir la parité entre hommes et femmes, mais non à votre loi politicarde qui rabaisse les femmes au niveau des quotas laitiers.

(Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Yann Galut.

C'est honteux !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Scandaleux !

M. Didier Julia.

Elle couvre un projet de magouilles électorales indigne de la République. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

M. le président.

Monsieur Julia, la parole dans cet hémicycle est totalement libre.

M. Didier Julia.

Merci.

M. le président.

Néanmoins au-dessous de certains niveaux, il convient de ne pas descendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Je vous rappelle simplement que vous devez tenir des propos acceptables. Or ceux que vous venez de tenir ne le sont pas.

Veuillez conclure, s'il vous plaît. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Didier Julia.

Monsieur le président, vous n'avez pas à juger du fond de mes propos. (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Ils sont parfaitement conformes à ce que l'on peut espérer. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Monsieur le président, puisque le vote interviendra à main levée, je vous prie de bien vouloir noter que si l'amendement que la majorité souhaite voter est accepté, je me prononcerai contre le texte concernant cette pseudo-parité, totalement archaïque ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Monsieur Julia, il me reste encore quelque pouvoir, dont celui de faire voter l'Assemblée. Je le ferai en fonction de ce qui est prévu par notre règlement !

Mme Yvette Roudy.

Les propos tenus par M. Julia sont scandaleux !

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions revient devant notre assemblée en deuxième lecture. La position prise par le Sénat, laissant aux seuls partis le soin de faire progresser la participation des femmes à la vie politique, place le projet dans une situation délicate. L'accord entre les deux chambres étant nécessaire pour parvenir à une révision constitutionnelle, il convient d'approfondir les points de convergence, plus que les sujets de discorde existant entre elles.

Sur le principe d'une meilleure représentation politique des femmes, le consensus existe : la situation de la France est trop singulière pour mériter qu'on s'y attarde. Le trop faible nombre de femmes élues prive nos assemblées, locales et nationales, d'une diversité d'expériences qui fait la richesse et, peut-être aussi, la vertu de la démocratie.

Toutefois les opinions divergent sur les moyens à mettre en oeuvre pour réaliser cet objectif. Sur un sujet de cette importance, cela n'est pas fait pour surprendre. En revanche, le caractère parfois trop passionné du débat risque d'en altérer la sérénité souhaitable. Je voudrais donc contribuer personnellement à la recherche du nécessaire accord entre les deux assemblées.

Ce qui complique cette recherche, madame la garde des sceaux, c'est moins le texte même ou sa place dans la Constitution que les incertitudes qui entourent les lois ultérieures. En effet, comme les juristes l'ont fait remarquer, la notion d'égal accès est suffisamment floue pour autoriser des interprétations différentes, des incitations à la contrainte, de l'égalité des chances à la stricte égalité mathématique de représentation.

On sent bien toutes les nuances séparant ces différentes interprétations. Je sais bien que la plasticité de la Constitution n'est pas un défaut ; mais il ne faut pas non plus qu'elle aille jusqu'à des propositions indécidables, comme disent les juristes.

La participation beaucoup plus nombreuse des femmes aux responsabilités politiques est-elle souhaitable ? La réponse est, sans conteste, oui. Doit-elle prendre la forme d'une parité imposée par le législateur ? A mon sens, la réponse doit être non.

Sur le terrain des principes, aucun pays n'a consacré une obligation juridique de cette nature, ce qui n'a pas empêché certains d'entre eux de parvenir, dans les faits, au même résultat. L'égalité des citoyens exclut la parité qui n'est qu'un quota, avantageusement présenté.

Outre les revendications régionales, démographiques ou autres auxquelles elle pourrait donner lieu, la parité repose sur une confusion entre différence des sexes et représentation politique. L'objectif de celle-ci est d'assurer la plus grande diversité possible, en luttant contre toutes les formes d'inégalité par des actions positives, et non par des quotas qui risquent de fragiliser la situation de ceux qui en bénéficient.

La souveraineté du corps électoral implique le libre choix de chaque citoyen qui le compose. L'essentiel est le sentiment qu'a l'électeur de se reconnaître dans son élu.

Qu'il soit homme ou qu'elle soit femme ne me paraît pas être la vraie question. Le sexe détermine-t-il d'ailleurs une attitude politique différente ? Non. La sociologie a bien montré que, dans des situations comparables, les comportements électoraux des hommes et des femmes s'étaient sensiblement rapprochés depuis 1945.

En réalité, au regard de l'histoire comme de la biologie, chaque homme, chaque femme est un être unique.

Si, depuis nos premiers ancêtres, 80 milliards d'individus ont peuplé notre planète, ils sont, à la fois, tous différents et tous parents. Ils composent, dans son acception la plus universelle, l'humanité. C'est la citoyenneté - et non le sexe - qui fonde la société politique.

Dans cette perspective, la démarche adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale me paraît préférable à celle du Sénat, pour une raison essentiellement pratique : la modification de l'article 3 permettra, ultérieurement, au législateur de jouer sur une plus grande diversité de registres, et la palette des moyens pour améliorer la participation des femmes à la vie politique sera plus étendue. Incitation ou contrainte, dispositif transitoire ou définitif ? Nous verrons, mais, d'ores et déjà, le vecteur le plus puissant est bien la modulation du financement public des partis politiques : prime ou pénalité ? On peut en comparer les avantages respectifs.

Nous avons d'ailleurs, avec plusieurs de mes collègues - Pierre-Chrisophe Baguet l'a rappelé - déposé le 14 décembre dernier, une proposition de loi dont la discussion a commencé le 12 février. Il s'agit d'un élément que nous livrons à la discussion.

M. le président.

Voulez-vous conclure, monsieur Albertini, s'il vous plaît ?

M. Pierre Albertini.

Je vais conclure, monsieur le président.

Une limitation plus sévère du cumul des mandats, en nombre comme en durée, provoquera aussi, à court terme, un renouvellement des élus qui profitera aux femmes comme aux jeunes, du moins je l'espère.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

La meilleure manière d'élargir et de renforcer le socle de la démocratie n'est-il pas de lutter contre tous les préjugés qui nous guettent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Pandraud qui m'a promis d'être extrêmement bref, pour que nous puissions clore rapidement cette discussion sur l'article.

M. Robert Pandraud.

En général, monsieur le président, je m'efforce de tenir mes promesses.

Madame la garde des sceaux, c'est sur vous que tout repose.

Mme Michèle Rivasi.

Sur nous aussi ! Sur toutes les femmes !

M. Robert Pandraud.

En effet, pour modifier la Constitution, il faudra bien que vous trouviez un consensus entre le Sénat et notre assemblée. Si vous y parveniez rapidement, cela ferait gagner beaucoup de temps et nous permettrait d'atteindre le but que nous visons.

Mme Yvette Roudy.

Dites-le à vos amis !

M. Robert Pandraud.

Je pensais que vous alliez nous présenter ce soir une proposition en ce sens, madame la garde des sceaux, et je ne vous cacherai pas que je suis quelque peu déçu. En effet, quelle contradiction voyezvous entre ce que nous avons voté, c'est-à-dire une modification de l'article 3, et la position du Sénat qui a modifié l'article 4 ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je vous suggère donc de modifier à la fois l'article 3 et l'article 4, car cela ne me semble pas contradictoire. Je vous indique que cette proposition - Mme la présidente de la commission des lois ne me démentira pas -, a obtenu 50 % des voix en commission où je n'ai été battu que par la voix prépondérante de la présidente. Je dois cependant ajouter que nous n'étions que deux en séance ! (Rires.)

M. le président.

Vous étiez donc à parité, monsieur Pandraud. (Sourires.)

Mme Tasca, rapporteur, a présenté un amendement, no 1, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article unique :

« L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »

Sur cet amendement, Mme Zimmermann et M. Baguet ont présenté un sous-amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Dans l'amendement no 1, substituer aux mots : "détermine les conditions dans lesquelles est organisé", le mot : "favorise". »

Je rappelle que le vote sur l'amendement aura valeur de vote sur l'ensemble et pourra donc être précédé d'explications de vote.

La parole est à Mme le rapporteur, pour soutenir l'amendement no

1. Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Je veux au préalable souligner que des acquis ont été obtenus depuis l'ouverture du débat sur ce texte, alors qu'il n'y avait rien d'évident il y a quelques mois. Nous les devons à des années de travail de certains responsables politiques et, surtout, de dirigeants d'associations qui militent depuis longtemps pour l'instauration de l'égal accès des femmes et des hommes à la vie politique.

Ainsi, non seulement dans cette assemblée, dès le 15 décembre, mais aussi au Sénat et dans le débat qui s'est développé abondamment dans les médias en laissant une large place aux opposants à ce texte, prévaut l'opinion selon laquelle la situation en la matière n'est plus acceptable et nécessite des mesures.

M. Yann Galut.

Très bien ! Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

Or cela n'était pas évident lorsque le gouvernement de Lionel Jospin a entrepris d'élaborer ce projet.

Ensuite, le débat que nous avons eu cet après-midi au sein de l'Assemblée nationale montre, et je m'en réjouis, qu'une très grande majorité de ses membres est convaincue non seulement de la nécessité de la réforme mais aussi de la justesse de la voie choisie lorsque nous avons adopté le texte en première lecture.

Quelques voix discordantes s'élèvent encore, mais c'est conforme aux règles du débat démocratique. On pourrait cependant souhaiter qu'elles emploient des arguments à la fois plus fondés et moins injurieux. Malgré tout, elles n'en sont pas moins des exceptions.

Notre assemblée a donc la volonté de faire aboutir cette réforme. Cela ne fait aucun doute. A cet égard, j'indique à Mme Zimmermann qu'il n'est pas juste de laisser entendre que l'Assemblée ou le Gouvernement ne seraient pas déterminés à aller jusqu'au bout.

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Je n'ai pas dit ça !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission, rapporteur.

En tout cas, il est nécessaire d'aboutir à un accord avec le Sénat. Nous n'y sommes pas encore parvenus parce que la rédaction qu'il a adoptée n'est pas au coeur de la réforme. Elle traite, à la marge, d'un problème qu'il était certes utile d'évoquer, celui de la responsabilité des pouvoirs politiques dans l'ouverture des candidatures aux femmes - et Dieu sait qu'elle est grande - mais elle se situe, ce qui m'étonne de la part de la Haute assemblée, à l'écart du problème juridique que nous avons tous à coeur de résoudre : dépasser la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982, renouvelée en 1999. En aucun cas, notre assemblée ne pouvait donc se saisir utilement de la proposition du Sénat.

L'amendement no 1 propose donc à l'Assemblée der evenir à la rédaction qu'elle a adoptée le 15 décembre 1998. Je rappelle simplement que la commission des lois et notre assemblée avaient alors modifié le projet de loi initial du Gouvernement, pour deux raisons.

D'abord, nous avons choisi, après avoir dialogué avec toutes les organisations extérieures au Parlement, de fortifier ce texte en substituant au mot « favorise » les termes

« détermine et organise ». Nous voulons que la réforme aboutisse. C'est pourquoi nous avons été attentifs au choix des termes, et le Gouvernement a bien voulu nous suivre dans cette évolution.

Ensuite, je le répète, la seconde raison de la modification proposée tient au fait que le Conseil constitutionnel nous a dit et redit, en 1982 et en 1999, qu'il fallait établir nettement le rôle du constituant et celui du législateur. La rédaction que nous avons choisie souligne donc clairement que, si le constituant lui en donne l'objectif, le législateur que nous sommes pourra inventer les dispositions concrètes pour le mettre en oeuvre.

Voilà pourquoi nous avons révisé le texte proposé par le Gouvernement, et voilà pourquoi nous proposons d'y revenir en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir le sous-amendement no

3.

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Je tiens d'abord à préciser que le groupe du Rassemblement pour la République votera cette réforme constitutionnelle. J'ai d'ailleurs proposé ce sous-amendement parce que nous savons que, pour la faire aboutir, il faut que les deux assemblées adoptent le même texte.

Nous proposons donc de remplacer le mot « détermine » par le mot « favorise », ce qui constitue un retour au texte initial adopté par le conseil des ministres et proposé par le Gouvernement. Cela nous semble un bon moyen de réaliser la conciliation contre les deux assemblées. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement et sur le sous-amendement.

Mme la garde des sceaux.

Je serai brève sur l'amendement no 1 que vient de présenter Mme Tasca, car je me suis déjà longuement expliquée sur les raisons pour lesquelles je suis favorable au rétablissement du projet tel qu'il a été voté à l'unanimité de tous les groupes, je le rappelle, par l'Assemblée en première lecture.

Comme la commission des lois, je constate que la modification de l'article 3 de la Constitution s'impose.

Cet article est, en effet, au coeur du débat sur la parité et c'est de son interprétation que le Conseil constitutionnel a, à deux reprises - le 14 janvier dernier pour la seconde fois -, dégagé l'impossibilité d'instituer une représentatio n maximale des candidats d'un même sexe dans les scrutins de liste.

Il faut tenir compte de la différence pour promouvoir l'égalité réelle. A cet égard, il appartient au législateur de prendre ses responsabilités. En effet, on ne peut décemment laisser l'initiative aux partis politiques, alors que c'est leur inaction même qui a entraîné la sous-représentation actuelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

D'ailleurs, les partis politiques n'ont pas le monopole de la présentation des candidatures aux scrutins politiques.

Voilà pourquoi je suis favorable au rétablissement du projet tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée en première lecture.

Quant au sous-amendement présenté par Mme Zimmermann, j'avoue qu'il m'a quelque peu surprise dans la mesure où il tend purement et simplement, à revenir au projet présenté initialement par le Gouvernement, alors que le texte de la commission des lois a été voté à l'unanimité des groupes parlementaires.

M. Jean-Louis Debré.

Ce sous-amendement procède d'un souci de conciliation !

Mme la garde des sceaux.

Certes, je ne suis pas insensible à l'hommage ainsi rendu à la rédaction qu'avait proposée le Gouvernement. Cependant, les arguments présentés par votre commission des lois en première lecture me sont apparus non dénués de pertinence et, comme vous le savez, je m'y suis ralliée et j'ai expliqué pourquoi.

Il me paraît en effet essentiel de préserver la liberté d'appréciation du législateur pour choisir les dispositifs les plus adaptés afin d'assurer l'égalité d'accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.

J'ai donc soutenu la rédaction proposée par votre commission des lois qui correspond tout à fait à l'objectif poursuivi par le Gouvernement et qui a le mérite de mieux préciser le rôle du législateur. C'est pourquoi, à ce stade du débat, je ne vois pas d'argument décisif pour modifier le texte que vous avez adopté en première lecture et qui vous est à nouveau proposé par la commission des lois. Il n'est donc pas possible au Gouvernement, cet après-midi, d'accepter ce sous-amendement.

Le Gouvernement souhaite évidemment que cette réforme aboutisse, parce qu'elle est bonne pour notre démocratie et parce qu'elle est ardemment souhaitée par une proportion massivement majoritaire de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Certes, pour qu'elle aboutisse, il faudra...

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Eh oui, concilier !

Mme la garde des sceaux.

... que les deux assemblées parviennent à se mettre d'accord sur un texte commun.

Mme Marie-Jo Zimmermann.

Voilà !

M. Arthur Dehaine.

Il faut l'admettre !

Mme la garde des sceaux.

Il va de soi que, dans la suite de la discussion, le Gouvernement restera ouvert à toute solution qui serait de nature à recueillir l'accord des deux assemblées, à condition que cet accord permette effectivement, par la révision de la Constitution, de favoriser (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République)...

M. Jean-Louis Debré.

Favoriser ! Vous avez dit « favoriser » ?

M. Jean-Luc Warsmann.

« Favoriser » !

Mme la garde des sceaux.

... l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions politiques.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Robert Pandraud.

Vous ne m'avez pas répondu !

M. le président.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Bien sûr, le groupe Démocratie libérale votera le rétablissement de l'article initial. Mais, sans être cosignataires du sous-amendement de Mme Zimmermann et de M. Baguet, nous allons le voter aussi et je veux expliquer pourquoi. A l'inverse de Mme la garde des sceaux qui vient de nous dire qu'elle ne trouvait pas d'argument pour, moi, je n'en vois pas contre ! Décidément, ce débat, quelque peu marqué de mauvaise foi de part et d'autre, devrait sortir de la casuistique ! L'ancien président du Conseil constitutionnel, M. Badinter, nous a répété, pendant des années, que la rédaction de l'article 3 empêchait de faire progresser le débat sur l'égalité d'accès des femmes aux fonctions électives. Or, ayant comme vous lu Le Monde la semaine dernière, j'apprends qu'il a tout à coup découvert que c'était en réalité l'article 4 qu'il fallait réformer. Vous me permettez de sourire de l'évolution de la pensée de cet ancien président du Conseil constitutionnel devenu sénateur.

Moi qui n'ai que des connaissances juridiques restreintes, je n'arrive pas à bien comprendre quelle est la différence entre la réforme de l'article 3 et celle de l'article 4. Je ne vois pas non plus, quelle est la différence fondamentale entre ces deux formulations : la loi « détermine » et la loi « favorise ».

On pourrait disserter pendant des heures dans les collèges de jésuites sur la dimension à accorder à la notion de « favoriser ». En réalité, vous avez bien compris quelle


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

signification politique les groupes de l'opposition donnent à ce sous-amendement. Il s'agit, au fond, de rendre service au Gouvernement (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) qui, devant l'autre assemblée, n'a pas rencontré le succès. Ce faisant, nous avons le sentiment que nous essayons ainsi de ressouder les majorités parlementaires pour qu'aboutisse un texte qui, en toute hypothèse, est favorable à l'évolution de notre démocratie. Nous savons parfaitement, en effet, que la démocratie moderne a tout à gagner à l'égal accès des femmes aux fonctions électives et politiques.

Telle est la signification de ce sous-amendement.

Convenez, madame la garde des sceaux, que si vous n'avez pas trouvé d'argument pour, il n'y en a pas contre non plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Il ne s'agit pas ici de « rendre service au Gouvernement ».

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Et pourtant !

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Nous avons l'habitude de chercher à aboutir à une rédaction conforme avec le Sénat, chaque fois que c'est souhaitable et possible. Il n'y a pas si longtemps, les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée, réunies en commission mixte paritaire, ont su se sortir d'un pareil exercice pour parvenir au texte concernant la NouvelleCalédonie. Il dépend de chacune des assemblées que l'on parvienne à un tel résultat, éminemment souhaitable, lorsque l'enjeu est de taille - c'était le cas pour la Nouvelle-Calédonie. Ça l'est de nouveau pour la parité.

Cependant je vous fais observer, mes chers collègues, que, lors du débat au Sénat, le retour au texte initial du Gouvernement a été clairement proposé par le rapporteur, M. Cabanel, et que cette proposition a été clairement repoussé, par ses collègues sénateurs. Il ne revient pas à l'Assemblée de faire, à sa place, la démarche du Sénat. Si le Sénat avait adopté le texte que nous suggère de reprendre Mme Zimmermann dans son sous-amendement, bien évidemment, nous en débattrions. Mais n'oublions pas que, après avoir bien réfléchi, le Sénat a, pour aujourd'hui, peut-être pas demain, écarté l'hypothèse du retour à la rédaction du Gouvernement.

Chaque assemblée assume sa responsabilité. Dans notre assemblée, la volonté d'aboutir est très claire, de même que de la part du Gouvernement.

Alors, rien n'est perdu, mes chers collègues mais la parité mérite un effort de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Louis Debré.

Eh oui !

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no

3. (Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, le projet de loi constitutionnelle est ainsi rédigé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

3

SERVICE

PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (nos 1253, 1371).

Mes chers collègues, je vous propose d'écouter M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, puis de lever la séance car, afin de ne pas couper son intervention, nous n'entendrons le rapporteur, M. Bataille, qu'en début de soirée.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le 21 janvier dernier, j'ai rappelé devant l'Assemblée nationale, au nom du Gouvernement, les grandes orientations de la politique énergétique de la France. Ce débat a montré qu'il était possible de trouver un véritable consensus sur cette politique : consensus sur l'équilibre de notre politique énergétique, entre maîtrise de la consommation, appel aux différentes formes d'énergie, diversification autour de l'axe central du nucléaire et développement des énergies nouvelles renouvelables ; consensus aussi, me semble-t-il, sur les questions de société évoquées, au premier rang desquelles le Gouvernement entend placer le service public.

Il me revient, aujourd'hui, de vous présenter un projet de loi relatif à l'un des axes de cette politique. Il ne s'agit d'ailleurs pas de son unique pilier, puisque, nous l'avons réaffirmé lors du débat sur l'énergie, notre politique est diversifiée. Mais il est bien question d'un pilier fondamental : la politique énergétique de la France, c'est aussi, c'est surtout, c'est d'abord la défense et la croissance du service public de l'électricité ! C'est conscients des enjeux essentiels qui y sont attachés, que nous vous présentons, Dominique Strauss-Kahn et moi-même, au nom du Gouvernement, ce projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Le Premier ministre, M. Jospin, l'avait souligné lors de sa déclaration d'investiture : « Les services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société à laquelle nous tenons par-dessus tout. Ils sont au coeur du lien social. Ils garantissent à tous l'égalité de traitement ». En même temps, le Premier ministre avait indiqué que certaines adaptations étaient nécessaires. Nous devons, en effet, accroître la participation de nos grands services publics à la réalisation des objectifs prioritaires que sont la croissance et l'emploi. Tel est bien, mesdames, messieurs, l'objet de ce projet de loi.

Je voudrais, avant d'entrer dans le corps de mon intervention, formuler deux remarques introductives.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

D'abord, le secteur électrique français se trouve aujourd'hui à un moment charnière de son histoire. Le Parlement est saisi - vous êtes saisis - d'une importante réforme et il est crucial pour l'avenir du secteur électrique que cette réforme soit réalisée dans de bonnes conditions.

Ensuite, pour élaborer ce projet de loi, le Gouvernement a adopté une démarche ouverte et transparente, fondée sur une très large concertation, qui a duré de longs mois.

L'ambition du Gouvernement est de doter le pays d'une loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité qui complète le dispositif législatif existant, c'est-à-dire la loi de 1946. Cette loi, qui a dessiné le secteur électrique depuis plus de cinquante ans, constitue le socle politique et juridique sur lequel ce texte a été bâti. Cette loi, d'une grande portée historique, facteur de progrès social, de réussite technologique et de croissance économique, est fondatrice du mouvement qui nous amène aujourd'hui à vous présenter un texte complémentaire mais qui s'inscrit fidèlement dans le sillage de la loi de 1946.

Le mercredi 27 mars 1946, à la tribune de l'Assemblée nationale constituante, le ministre de la production industrielle, Marcel Paul, évoquait l'oeuvre du Conseil national de la Résistance, regroupant tous les grands partis, tous les mouvements de résistance et les grandes centrales ouvrières.

Le projet de loi, que j'ai l'honneur de vous soumettre, contribue à rendre le sytème électrique plus compétitif, p ar l'introduction maîtrisée de certains éléments concurrentiels.

Il constitue ainsi le moyen de transposer en droit français la directive européenne sur le « marché intérieur de l'électricité » adoptée en 1996. A cet égard, l'exercice de transposition s'impose - et il s'impose sans attendre pour respecter les engagements européens de la France.

J'ajoute qu'en l'absence de transposition, des contentieux ne manqueraient pas de conduire à des décisions juridictionnelles qui imposeraient, dès 1999, une application directe de la directive, sans protection du service public.

Entendons-nous bien : refuser ce projet de loi, ce ne serait pas défendre une conception plus exigeante du service public de l'électricité ; ce serait grever, obérer, hypothéquer son développement ! Ne nous trompons pas d'enjeu : voter contre ce texte, ce serait porter un rude coup au service public ! Il est vrai que cette directive a fait l'objet de nombreuses critiques. Fondées d'ailleurs, pour certaines, j'en parle librement. D'autres, avant moi, ont engagé ces difficiles négociations avec l'idée de garantir les intérêts français du mieux qu'ils pouvaient le faire à l'époque. Cependant, il faut être réaliste : la directive a été adoptée par le Conseil des ministres et par le Parlement européen, elle n'est pas renégociable et ne sera pas renégociée ; nous sommes donc l'un des tout derniers Etats à la transposer.

Elle s'impose aux autres ; elle s'impose à nous. Il faut d'ailleurs lui rendre une justice : en application du « principe de subsidiarité » à la distribution de l'électricité, elle nous laisse des marges de manoeuvre, non négligeables, dont le Gouvernement et, j'en suis sûr, l'Assemblée nationale veulent profiter.

C'est là notre chance et tout l'enjeu de ce débat. Sur la base du texte gouvernemental, le Parlement peut faire en sorte, doit faire en sorte, qu'une transposition nécessaire devienne l'occasion de vrais progrès. Ayons ensemble, mesdames, messieurs, une lecture politique et - oserai-je le dire ? - une lecture progressiste de ce texte.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Deuxième remarque, pour élaborer ce texte, nous avons adopté une démarche très ouverte.

Cette concertation ouverte a été menée dès le début de l'année 1998 sur la base d'un livre blanc, intitulé « Vers la future organisation électrique française », qui a été diffusé à plus de 20 000 exemplaires, notamment à vous, mesdames, messieurs les députés, qui posaient explicitement de multiples questions sur lesquelles la consultation était particulièrement nécessaire et qui présentait les orientations que nous envisagions alors, orientations qui étaient, à cette époque - il y a quatorze mois - nécessairement très générales.

Le Gouvernement a également sollicité l'avis de nombreuses instances : le Conseil économique et social, le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz - présidé av ec compétence par votre collègue Jean-Pierre Kuchéida -, le Conseil de la concurrence et les conseils économiques et sociaux de toutes les régions.

Votre collègue, M. Jean-Louis Dumont, député de la Meuse, aujourd'hui rapporteur pour avis de la commission des finances, a été chargé par le Premier ministre, sur ma proposition, d'une très utile mission de réflexion et de médiation.

Le débat national qui a suivi a concouru à la prise de conscience par les forces économiques et sociales de la nécessaire évolution du système électrique français.

De nombreuses contributions ont permis d'améliorer notre réflexion. Elles ont enrichi celle des pouvoirs publics et l'ont souvent - il faut le reconnaître - infléchie. Vous en avez tous reçu le fruit, sous la forme d'importants volumes, qui ont constitué, j'en suis certain, la base de votre réflexion. Depuis, le travail que vous avez effectué en commission..

M. Alain Cacheux.

Très bon travail !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... saisie au fond, sous la présidence d'André Lajoinie, a permis à votre rapporteur, Christian Bataille, de contribuer à une première et importante amélioration du texte, grâce à un rapport tout à fait remarquable.

La concertation a donc permis de mettre en lumière quelques attentes essentielles de notre pays à l'occasion de cette réforme - elles constitueront l'armature de mon propos. Notre premier objectif consiste à assurer la cohésion sociale, ainsi que la solidarité entre les territoires, le deuxième à démocratiser le secteur de l'électricité par une plus grande implication des usagers et le troisième à dynamiser le secteur de l'électricité tout en veillant à la compétitivité d'EDF.

Par ce projet de loi, le Gouvernement a souhaité que soient prises en compte les aspirations de notre pays en matière de cohésion sociale, de développement industriel, de préparation du long terme et d'équilibre du territoire.

Ce premier objectif comporte quatre éléments principaux.

Le projet de loi a d'abord pour ambition de dessiner un service public de l'électricité conforté, qui allie dynamisme, équité et solidarité. Pour la première fois, le projet de loi définit le contenu du service public de l'électricité : il en précise les différentes missions ainsi que les catégories de clients auxquelles elles s'adressent et les opérateurs qui en ont la charge.

La première mission du service public de l'électricité a trait au développement équilibré des capacités de production d'électricité, c'est-à-dire à la mise en oeuvre d'une


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

politique énergétique publique dans le choix des différentes sources d'énergie. Les obligations imposées aux opérateurs doivent permettre d'atteindre les objectifs de la politique énergétique nationale, qui trouveront leur traduction concrète dans la programmation pluriannuelle des investissements de production - la PPI.

Sa deuxième mission concerne le développement des réseaux, qui sont au coeur du fonctionnement du système électrique et doivent donc être au service de tous les utilisateurs. Ils ont les caractéristiques de monopoles naturels.

Les préoccupations liés à la bonne gestion économique du secteur, comme à la protection de l'environnement et du cadre de vie, s'opposent à une duplication excessive de ces réseaux.

Sa troisième mission concerne la fourniture d'électricité. Pour les clients « non éligibles », comme les appelle le texte européen, elle vise la fourniture d'électricité sur l'ensemble du territoire national. Ce projet donne ainsi, pour la première fois, une valeur législative au principe de péréquation nationale des tarifs. Pour les clients « éligibles » et les producteurs raccordés aux réseaux, il est de la responsabilité de la puissance publique qu'il n'y ait pas de discontinuité dans la fourniture d'électricité, discontinuité qui pourrait avoir des effets négatifs sur la production industrielle et sur l'emploi. C'est pourquoi l'obligation de pouvoir assurer une fourniture de secours ou de recours est, au premier chef, une mission de service public. Nous aurons l'occasion d'en parler en évoquant la durée des contrats.

Le projet de loi met en place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur et de garantir le bon accomplissement des ces missions.

Il ne suffit pas de dire ce qu'est le service public et qui en a la charge. Il faut encore prévoir son financement, lorsque celui-ci n'est pas assuré de façon naturelle et équitable par les recettes courantes. Le projet de loi met donc en place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur de l'électricité. Dans le domaine de la production, domaine ouvert à la concurrence, ces charges feront l'objet d'une répartition au moyen d'un fonds des charges d'intérêt général de l'électricité. Dans le domaine de la distribution, qui reste - subsidiarité oblige - sous le régime du monopole, ces charges feront l'objet d'une mutualisation entre tous les distributeurs, par le biais du fonds de péréquation de l'électricité, d'ailleurs institué par la loi de 1946.

Le service public doit tout particulièrement concourir à la cohésion sociale. Le projet du Gouvernement renforce clairement cet objectif par la création, d'une part, d'un mécanisme de soutien pour la fourniture d'électricité aux plus démunis, qui constitue un pas politiquement décisif vers plus de justice sociale et par l'instauration, d'autre part, d'un véritable droit à l'électricité pour tous, appelé de ses voeux par le Gouvernement. Et je sais que sur ces bancs, plus particulièrement à gauche de l'hémicycle, plusieurs groupes seront sensibles à cette avancée de la démocratie vers de nouveaux droits pour nos concitoyens.

Au-delà des mécanismes financiers, les missions de service public doivent aussi s'exercer en tenant compte de l'ensemble des politiques nationales et en liaison avec les collectivités concédantes du service public de la distribution d'énergie électrique. Afin d'assurer ces missions au plus près des besoins des citoyens et de donner un nouvel essor à ce qu'on pourrait appeler la démocratie de proximité dans le secteur de l'électricité, le Gouvernement prévoit de s'appuyer également sur les instances compétentes au niveau local pour les questions de service. Et c'est une marque supplémentaire, mesdames et messieurs, d'une nouvelle étape dans la décentralisation politique de notre pays que de faire confiance aux collectivités locales.

M. François Goulard.

De quelle manière !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le projet de loi organise ensuite une ouverture maîtrisée du marché de l'électricité à la concurrence pour participer au combat pour l'emploi.

Les règles françaises conduiront à l'éligibilité des grands consommateurs finals d'électricité, notamment les principaux établissements industriels.

Lorsqu'une entreprise - industrielle le plus souvent est gros consommateur final, le prix de l'électricité peut, en effet, constituer un élément notable de sa compétitivité et, par conséquent, de ses décisions en termes d'investissements et de créations d'emplois. Confrontée à la concurrence, il est naturel qu'un tel type d'entreprise puisse bénéficier en matière de fourniture d'électricité et se fournir en électricité sur l'ensemble de ses sites européens. De plus, avec la mise en place de la « zone euro », les grands clients auront désormais la possibilité de comparer de manière certaine le prix de la fourniture électrique.

Dès aujourd'hui les consommateurs finals éligibles représentent 26 % de la consommation nationale. A partir de février 2000, ils représenteront 30 % environ de la consommation nationale et, en février 2003, 33 % de la consommation nationale. Les consommateurs finals éligibles français devraient être environ 400 entreprises parmi plusieurs millions cette année, 800 en février 2000 et 3000 à 3500 en février 2003 sur plusieurs millions d'entreprises.

L'introduction d'éléments de concurrence dans le secteur électrique français ne s'accompagne, en aucune façon, d'une dégradation ou d'un recul du service public, dès lors qu'elle remplit des obligations de service public, claires et appliquées, par tous et partout. Elle permet, au contraire, de progresser vers une meilleure satisfaction des aspirations des consommateurs, en stimulant, par une concurrence, qu'EDF - consciente de ses succès - ne peut décidément pas craindre, tous les opérateurs dans la recherche d'un meilleur service.

Il n'y aura pas - le Gouvernement est très ferme sur ce point et il en prend l'engagement - de service public à plusieurs vitesses : ce sont tous les consommateurs, les particuliers comme les entreprises, qui doivent bénéficier à la fois de la baisse des tarifs et des progrès technologiques.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il existera des outils - troisième élément de ce premier objectif : pour mettre en oeuvre une politique nationale de l'énergie, recueillant l'assentiment le plus large, en donnant le rôle qui doit être le sien au Parlement.

L'énergie, et sur ce point, nous ne serons sans doute pas tous d'accord dans cet hémicycle, n'est pas un bien de consommation comme les autres et fait l'objet, compte tenu des enjeux qui y sont attachés - ceux de l'indépendance nationale -, d'une politique publique forte, la politique énergétique de la nation.

M. Jean-Louis Dumont, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Forte et nécessaire !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La programmation pluriannuelle des investissements traduira concrètement cette politique énergétique dans le domaine de l'électricité. Elle garantira la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité de la fourniture, à travers un développement équilibré des capacités de production.

La programmation pluriannuelle des investissements sera élaborée et révisée périodiquement sous l'autorité d u ministre chargé de l'énergie, qui s'appuiera notamment sur les bilans prévisionnels établis par le gestionnaire du réseau de transport et sur le schéma de services collectifs de l'énergie prévue par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Elle fera l'objet d'un rapport au Parlement tous les cinq ans.

Le premier de ces rapports étant présenté dans l'année suivant la promulgation de la loi.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Afin d'assurer le maintien d'une politique énergétique cohérente - car je pense que, dans ce domaine, la cohérence est un élément essentiel du succès de l'égalité et de la démocratie - la délivrance des autorisations de production devra être compatible avec la programmation pluriannuelle des investissements de production.

M. Franck Borotra.

Heureusement !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Si les capacités de production installées s'écartent des objectifs de cette programmation, les pouvoirs publics pourront décider de ne plus accorder temporairement d'autorisations pour certains types d'installations. Une telle décision devra, bien entendu, respecter la plus grande transparence, la plus grande loyauté et faire l'objet d'une annonce publique.

Corrélativement les pouvoirs publics pourront décider de recourir à la procédure d'appels d'offres quand les i nvestissements spontanés ne suffisent pas afin de répondre aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements de production.

Enfin, quatrième élément, le projet vise à développer le rôle des collectivités locales pour concilier autonomie locale et principe d'égalité et pour accroître la production décentralisée.

Le projet de loi réaffirme, pour les collectivités locales, leur qualité d'autorité concédante de la distribution, ainsi que leur mission de contrôle des missions de service public concédées. Les règles techniques et environnementales, ainsi que les conditions financières en matière de redevance et de pénalités, seront harmonisées sur l'ensemble du territoire, afin d'assurer le respect de l'égalité et notamment la péréquation nationale des tarifs, principe des principes, s'il en est, d'un service public français dont nous sommes fiers.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. François Brottes.

Voilà qui est bien dit !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La péréquation est au coeur du dispositif qui vous est proposé par le Gouvernement.

Le projet de loi développe la possibilité pour les collectivités locales d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité et de production locale décentralisée, et c'est une novation par rapport à la situation antérieure.

M. Alain Cacheux.

Absolument !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'intervention des collectivités est, en particulier, étendue à la production d'électricité dans les installations mettant en oeuvre des énergies renouvelables. La possibilité très innovante d'intervenir en matière de maîtrise de la demande, notamment chez les particuliers, reçoit ainsi pour la première fois un fondement législatif clair. Les collectivités locales, mais aussi - ne l'oublions pas - les distributeurs non nationalisés reconnus par la loi de 1946, sont un des acteurs majeurs de la mise en oeuvre de la politique de l'électricité. Ce projet ne doit laisser planer aucun doute dans l'équilibre de sa formulation : les initiatives locales doivent être libérées, mais elles doivent l'être dès lors qu'elles coïncident avec la politique nationale de l'énergie décidée par le Gouvernement et placée par le projet de loi, et c'est heureux, sous le contrôle du Parlement.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Dans le cadre ainsi tracé, et j'en viens au deuxième objectif, le Gouvernement a entendu jouer pleinement le jeu d'une concurrence équitable et maîtrisée.

Il est essentiel que les utilisateurs des réseaux publics de transport et de distribution, qui sont au coeur du système électrique, puissent avoir accès au réseau dans des c onditions transparentes et non discriminatoires, en payant une juste rémunération du service rendu.

Le projet de loi met en place les garanties nécessaires à l'indépendance du gestionnaire du réseau de transport, mais sans remettre en cause l'intégrité d'EDF. EDF reste et a vocation à rester à 100 % publique sous le statut d'établissement public industriel et commercial.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'un des facteurs de réussite de l'entreprise EDF est d'être précisément une entreprise intégrée de production, de transport et de distribution. Ce facteur de réussite ne doit pas être remis en cause...

M. Pierre Ducout.

C'est très important !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... alors que la directive n'impose en aucune façon de séparer juridiquement le gestionnaire du réseau de transport.

M. Alain Cacheux.

C'est exact.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il faudra sans doute le rappeler plusieurs fois au cours du débat (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Franck Borotra.

Plusieurs fois, en effet !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Ce point est tout à fait décisif, M. Borotra l'aura certainement compris.

Le Gouvernement a donc décidé de désigner EDF, en s'appuyant sur les capacités techniques remarquables de ses collaborateurs, comme gestionnaire unique du réseau de transport.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Conformément à la directive, ses missions seront d'exploiter, de développer le réseau de transport, d'assurer dans des conditions justes et objectives l'accès des utilisateurs aux réseaux.

Le gestionnaire du réseau de transport fera donc partie de l'entreprise publique. C'est pourquoi de fortes garanties sont données pour assurer son indépendance par rapport aux différents acteurs : la séparation comptable de la fonction transport, la séparation de gestion et les moyens


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 16 FÉVRIER 1999

mis à la disposition du gestionnaire, le mode de nomination de son directeur et l'obligation de garantir la confidentialité des informations commercialement sensibles.

Les amendements dont j'ai eu connaissance m'ont montré que l'assemblée aura à coeur de renforcer cette indépendance. Vous pouvez compter sur l'ouverture d'esprit du Gouvernement à cet égard.

M. Franck Borotra.

Cela n'a pas été visible en commission !

M. Alain Cacheux.

Nous n'en doutons pas !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La régulation, élément essentiel de ce projet et de l'organisation du système électrique, doit être transparente et efficace. Son objet est d'assurer le bon fonctionnement du secteur, notamment par la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence, au bénéfice de tous les consommateurs.

Il reviendra au Gouvernement, qui assume ses responsabilités en matière de politique énergétique, mais qui sera placé sous le contrôle accru du Parlement, de définir et d'appliquer les choix de la politique énergétique, notamment en ce qui concerne la programmation pluriannuelle des investissements, l'autorisation d'installations de production et le lancement d'appels d'offres. De même, le Gouvernement devra définir les missions de service public, réglementer les tarifs, constater le montant des charges d'intérêt général et établir la réglementatio n générale de l'électricité.

Pour parfaire le dispositif de régulation, le Gouvernement a choisi de confier à une commission indépendante, la Commission de régulation de l'électricité, la responsabilité du contrôle de l'accès des utilisateurs aux réseaux, à côté des pouvoirs déjà garantis par le droit positif au Conseil de la concurrence.

La commission de régulation de l'électricité est formée d'un collège de six membres et dispose de pouvoirs propres pour assurer l'accès équitable et transparent des tiers aux réseaux publics de transport et de distribution de l'électricité. Elle sera chargée de préciser les règles d éfinies par le ministre chargé de l'énergie concernant les conditions d'accès aux réseaux et leur utilisation, de régler les litiges entre les gestionnaires et les utilisateurs de réseaux publics, liés à l'accès à ces réseaux et à leu r utilisation, et de sanctionner les manquements aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l'accès aux réseaux, au moyen de sanctions pécuniaires ou d'interdictions temporaires d'accès au réseau électrique.

La CRE aura aussi la charge d'établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, le montant des charges d'intérêt général liées à la production, le montant des « coûts échoués » et les mesures conservatoires en cas d'atteinte grave et immédiate à la sécurité et à la qualité de fonctionnement des réseaux publics.

J'en viens à la troisième et dernière partie de mon exposé. Le projet de loi vise enfin à conforter les formidables acquis d'un demi-siècle d'histoire industrielle dans le secteur électrique. Le présent texte met en place les conditions nécessaires pour garantir l'avenir industriel d'EDF et pour lui permettre de demeurer le premier électricien européen, présent dans le monde entier.

Je le répète, EDF demeurera une entreprise publique intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. EDF sera en particulier le gestionnaire désigné du réseau de transport français. L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé d'intervention en tant qu'établissement public, industriel et commercial, est notablement accru vis-à-vis des clients éligibles, pour lui permettre de résister à la concurrence, ou même d'en triompher, avec les mêmes armes que les autres entreprises de production d'électricité. La demande industrielle peut, en effet, inclure des prestations qui constituent le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité. Les concurrents d'EDF peuvent offrir ces prestations aux clients éligibles alors qu'EDF ne le peut pas aujourd'hui légalement.

Le projet de loi vous propose donc d'élargir le principe de spécialité, donc les marges de manoeuvre d'EDF...

M. Philippe Duron.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... vis-à-vis des clients éligibles, dans le respect du principe d'égalité dans la concurrence.

M. Philippe Duron.

C'est capital !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Doter EDF des mêmes capacités que les autres producteurs qui les possèdent déjà à saisir les opportunités d'un marché européen en véritable mutation, pour ne pas dire révolution, voilà notre ambition, celle du Gouvernement et, je l'espère, celle de la majorité, pour la grande entreprise publique.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Pour les clients non éligibles sur le territoire national, pour lesquels EDF conservera un monopole de fourniture, l'interdiction faite à EDF par la loi de 1946 d'intervenir à l'aval du compteur sera maintenue : pas de concurrence malsaine avec les petites entreprises, les artisans et les petits commerçants locaux.

M. Pascal Terrasse.

Prudence !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Toutefois, afin de répondre aux objectifs de politique énergétique et environnementale, je crois qu'il est bon qu'EDF puisse mener des actions destinées à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie.

En deux mots - et cela résume bien notre stratégie industrielle à l'égard de la grande entreprise, faisons de l'Europe le marché domestique d'EDF.

M. Alain Cacheux.

Très bonne formule !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La réussite et le développement de l'entreprise publique se feront au bénéfice du pays tout entier.

La réforme proposée conforte le statut du personnel, pour garantir les acquis sociaux conquis depuis 1945, et crée les conditions de l'extension de ce statut.

La loi de 1946 prévoit que le statut du personnel s'applique à l'ensemble du personnel des industries électriques et gazières, sous réserve de diverses exceptions.

M. Franck Borotra.

Depuis 1946, il y a tout de même eu quelques changements ! M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. Je crois qu'il est bon, mesdames, messieurs les députés, de le répéter devant l'Assemblée nationale, car nombre d'erreurs ont été commises à ce sujet. Un tel principe sera maintenu - je l'ai dit au début de mon exposé - ni le personnel ni, bien sûr, les clients n'ont à redouter ce projet de loi, puisqu'il est, en ce domaine, dans le droit-fil de ce qui existe depuis plus de cinquante ans.


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L'ouverture à la concurrence ne doit pas entraîner une diminution des garanties pour le personnel de ces industries, une régression sociale. En outre, l'équité commande que la concurrence s'exerce dans un contexte d'égalité des règles pour tous les opérateurs.

Le projet de loi introduit des mécanismes de négociation collective de branche. La négociation collective est en soi utile. De plus, elle est particulièrement adaptée à un secteur où les acteurs vont devenir plus nombreux et diversifiés. La négociation collective devrait donc déboucher sur une dynamique européenne au profit des salariés du secteur en Europe.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il n'est pas interdit d'espérer une convention européenne de la branche de l'électricité.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Certains syndicats ont déjà indiqué qu'ils franchiraient le pas dans leur volonté d'action. Pourquoi ne pas imaginer demain un comité de groupe européen à EDF ? Mesdames, messieurs les députés, la transposition de la directive présentait, c'est vrai, bien des dangers : économiques, industriels, sociaux et culturels - puisque la notion de service public pouvait être menacée en son coeur même. Tel n'est pas le cas : le service public de l'électricité demeure ; il a vocation à se développer ; ce projet de loi lui donne les moyens de se moderniser.

Je suis convaincu que, ensemble, nous pouvons souligner la nature équilibrée du projet. Nous pouvons aussi, je crois, nous féliciter du caractère mesuré - très mesuré et progressif - très progressif - des évolutions proposées : nous promouvons une évolution sans révolution.

Il faut à présent que notre pays saisisse l'opportunité de moderniser et de conforter le service public de l'électricité, d'imprimer une nouvelle dynamique au secteur électrique par une plus grande ouverture de son marché et d'assurer au secteur électrique français - et en particulier à l'établissement public EDF - une place prépondérante au sein du marché intérieur européen de l'électricité.

A la tribune de l'Assemblée nationale constituante, le mercredi 27 mars 1946, le ministre de la production industrielle, M. Marcel Paul, concluait la présentation de sa loi par ces mots : « Il nous faut penser à ceux qui c onsomment les kilowatts-heure d'électricité... » Oui,

mesdames, messieurs les députés, il faut d'abord penser aux consommateurs, notamment aux grands consommateurs, ces industries créatrices de croissance et d'emplois.

Mais il convient aussi de penser aux autres consommat eurs que sont les ménages, notamment aux plus modestes d'entre eux. Et, enfin, bien sûr, il faut préserver les intérêts de la grande entreprise publique et traiter, comme il le mérite, un personnel qui a fait du service public de l'électricité l'un des services publics auxquels les Français sont - tous les sondages le montrent, y compris les plus récents - légitimement le plus attachés.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Décidément, ce texte difficile par sa technicité juridique, est d'une grande clarté...

M. Franck Borotra.

Avec l'électricité, il peut difficilement en être autrement !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... par l'élan politique qui est le sien : poursuivre la modernisation du pays, soutenir la croissance économique, assurer la cohésion sociale, développer le service public, grâce aux réus-s ites entrepreneuriales françaises, au premier rang d esquelles il faut compter notre grande entreprise publique dont nous sommes fiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1253, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité : M. Christian Bataille, rapporteur, au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1371) ; M. Jean-Louis Dumont, rapporteur pour avis, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis no 1383).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT