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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 1549).

STATISTIQUES DU CHÔMAGE (p. 1549)

M. Patrick Devedjian, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

DÉFICIT DE L'ASSURANCE MALADIE (p. 1550)

M. Bernard Accoyer, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

35 HEURES (p. 1551)

M. José Rossi, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SOINS PALLATIFS ET EUTHANASIE (p. 1552)

MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS (p. 1553)

MM. Didier Migaud, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

35 HEURES (p. 1554)

M. Gérard Terrier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

NICKEL CALÉDONIEN (p. 1555)

MM. René Dosière, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

OPÉRATIONS VILLE-VIE-VACANCES (p. 1555)

Mme Sylvie Andrieux, M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

TRIBUNAUX DANS LES DEUX-SÈVRES (p. 1556)

M. Dominique Paillé, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

FUSION ENTRE AÉROSPATIALE ET MATRA (p. 1557)

Mme Jacqueline Fraysse, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

PATHOLOGIES DU TRAVAIL (p. 1557)

M. Georges Hage, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Suspension et reprise de la séance (p. 1558)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

2. Saisine du Conseil constitutionnel (p. 1558).

3. Service public de l'électricité. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 1559).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 1559)

MM. Franck Borotra, Claude Billard, Pierre Micaux, Yann Galut, Jean Proriol, Pierre Ducout, Robert Galley, Jean-Claude Sandrier, Christian Martin, Jacques Desallangre, Claude Gatignol, Yvon Montané, Patrice Martin-Lalande, Jean-Pierre Brard, Léonce Deprez, Jean-Pierre Kucheida, Michel Meylan, Christian Cuvilliez, Christian Kert, Pascal Terrasse, Pierre Lellouche.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 1588).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe du Rassemblement pour la République.

STATISTIQUES DU CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, il y a quelques semaines à peine, le Gouvernement, avec le manque de modestie qui le caractérise souvent, a proclamé une victoire historique sur le chômage en déclarant que, en 1998, le nombre des chômeurs avait baissé de 151 200.

Or un grand journal du soir et l'UNEDIC elle-même viennent de rappeler qu'une telle présentation des faits correspond en réalité à une présentation tronquée des statistiques du chômage, puisqu'elle se cantonne à la catégorie no 1 des statistiques du chômage, celle qui concerne les demandeurs d'emploi à plein temps et à durée indéterminée. Toutefois, si l'on prend en compte les sept autres catégories de demandeurs d'emploi, celles qui concernent, entre autres, les contrats à durée déterminée, les temps partiels, les plus de 78 heures, l'intérim, et si l'on calcule en équivalent temps plein, le nombre des chômeurs n'a, hélas ! pas baissé en 1998 mais, au contraire, augmenté de 20 100 ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Eh oui, ce n'est pas agréable à entendre !

M. le président.

Poursuivez, monsieur Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Ne me répondez pas, madame la ministre, que le Gouvernement continue à utiliser la même méthode de comptage que le gouvernement précédent, car ce que je conteste, ce n'est pas la méthode de comptage, mais la présentation partielle et partiale desr ésultats, puisqu'une seule catégorie de demandeurs d'emploi est prise en compte sur les huit qui existent.

Au cours de l'année 1998, le Gouvernement a déjà épuré soigneusement les listes administratives des chômeurs en supprimant environ 100 000 chômeurs des inscrits à l'ANPE. En outre, il a créé une catégorie d'emplois subventionnés et précaires pour nos jeunes. Lui fallait-il, en plus, retenir une présentation partiale et partielle des statistiques du chômage pour nous faire croire que celui-ci a baissé en 1998 alors qu'il a augmenté ? Madame la ministre, nous aimerions connaître la vérité sur les statistiques du chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur Devedjian, pas vous, pas ça ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Puis-je me permettre de vous indiquer que les chiffres que nous avons retenus sont ceux de la catégorie 1, que M. Barrot a mise en place, et que j'ai rétablie dès mon arrivée, une catégorie que vous aviez supprimée, la catégorie 1 plus 6, et qui permet justement de mieux connaître la situation du chômage.

M. Patrick Devedjian.

Il y a huit catégories !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Dans les huit catégories dont vous parlez, monsieur Devedjian - mais peut-être que M. Barrot, qui connaît bien ces affaires, pourrait vous l'expliquer - on trouve, par exemple, des hommes et des femmes qui travaillent et qui, sachant qu'ils seront licenciés dans trois ou six mois, s'inscrivent à l'ANPE. Est-ce que ce sont des chômeurs ? Non ! Ils travaillent.

Je vous répondrai sérieusement, bien que votre question n'ait pas été sérieuse. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Selon les statistiques du BIT, le Bureau international du travail, statistiques qui sont reconnues par tous les pays industrialisés et par la Commission européenne, le nombre des chômeurs ne serait pas en diminution de 150 000 mais de 270 000 depuis juin 1997. Voilà la réponse à votre question ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

A l'inverse de nos voisins allemands et italiens - et nous nous en réjouissons -, notre population active s'est accrue cette année de près de 240 000 personnes, chiffre qui se décompose de la façon suivante : 180 000 jeunes arrivés sur le marché du travail, 30 000 jeunes n'ayant pas effectué leur service militaire et 30 000 personnes ayant rejoint le marché en raison du retour de la croissance.

C'est avec grand plaisir, monsieur Devedjian, que je vous ferai parvenir ces chiffres qui expliquent pourquoi l'OCDE et le BIT reconnaissent aujourd'hui que la France est un des pays européens où le chômage baisse le plus. Ils aident aussi les Français à se rendre compte


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qu'avec du volontarisme, on peut faire baisser les chiffres du chômage dans notre pays. C'est eux qui choisiront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

DÉFICIT DE L'ASSURANCE MALADIE

M.

le président.

La parole est à M. Bernard Accoyer.

M.

Bernard Accoyer.

Ma question s'adressant également à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, je me permettrai de lui faire remarquer que la forme et le contenu de sa réponse précédente me surprennent quelque peu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), quand on voit de quelle façon elle cherche à masquer l'échec des 35 heures en créant des emplois publics qui sont autant de chômeurs pour demain et en développant la baisse du temps de travail dans des entreprises d'Etat ou parapubliques ! Ma question concerne la sécurité sociale.

Il y a moins d'un mois, ici même, vous affirmiez, madame la ministre, que les prévisions de déficit de la banche maladie pour 1998 ne seraient pas dépassées. Or les chiffres publiés par la CNAM démentent vos affirmations.

Cette erreur d'évaluation apparaît d'autant plus grave et préoccupante qu vous avez bénéficié de recettes exceptionnelles en surtaxant l'épargne des Français.

Or le dérapage des dépenses de 1998 fait que, dans quelques semaines à peine, la hausse des crédits votée ici même pour 1999 sera insuffisante. Pourtant, les besoins sont là, dus à l'allongement de la durée de la vie, aux progrès techniques, aux nouveaux médicaments, aux demandes et aux attentes des assurés.

Dans la loi de financement de la sécurité sociale de 1999, vous avez surestimé les recettes. Aujourd'hui, ces recettes apparaissent complètement déraisonnables ; toutes les opinions des experts sont convergentes sur ce point.

Aussi, madame la ministre, l'inquiétude est grande parmi les assurés et les professionnels de santé à la suite de vos déclarations dans lesquelles vous évoquez la possibilité de dévalorisation d'actes de professionnels, de baisse de remboursement et même de création d'un nouveau taux de remboursement de 10 %.

Tout cela me conduit à vous poser deux questions, madame la ministre.

Maintenez-vous vos affirmations selon lesquelles les c omptes de la branche maladie seront équilibrés en 1999 ? Pouvez-vous ici même, devant la représentation nationale, renoncer à la dévalorisation des actes des professionnels et à la baisse des remboursements ?

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, merci de me permettre, après avoir évoqué l'emploi, de parler de la sécurité sociale.

M.

Pierre Lellouche.

Pas vous, pas ça, Martine ! (Sourires.) Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous avez dit que les dernières prévisions de l'assurance maladie laissaient à penser que nous n'allions pas respecter l'objectif que nous nous étions fixé pour 1998, soit un déficit de 13,3 milliards de francs. Je répète devant l'Assemblée nationale que nous aurons au plus 2 milliards de décalage par rapport aux prévisions.

Certes, et je le regrette, dans un passé récent - et nous faisons tout pour que cela ne se produise plus dans l'avenir -, les dépenses de médecine de ville ont été supérieures de 9 milliards aux prévisions. Mais, heureusement, monsieur Accoyer, il y a eu des recettes complémentaires et des économies supplémentaires grâce, justement, à ce que vous regrettez aujourd'hui, c'est-à-dire un changement de l'assiette des cotisations salariées. Mais déjà, en 1998, vous m'aviez reproché d'avoir surestimé les recettes. Tout cela pour vous dire que les recettes de CSG sont supérieures de 2,6 milliards à ce que nous avions prévu.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale.) C'est la raison pour laquelle nous atteindrons notre objectif à 2 milliards près.

Puis-je me permettre de vous rappeler que, alors que M. Juppé avait annoncé un déficit de 16 milliards en 1996, celui-ci a été de 55 milliards, soit 40 milliards de différence ! (Huées sur les bancs du groupe socialiste.)

Puis-je me permettre de vous rappeler que, alors que M. Juppé avait annoncé un excédent de 11 milliards en 1997, il y a eu un déficit de 33 milliards, soit plus de 40 milliards de différence ! (Huées sur les mêmes bancs.)

M. Pierre Lellouche.

Parlez-nous de votre bilan !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Certes, à 2 milliards près, nous ne sommes pas « dans les clous », et je le regrette. Toutefois, nous avons mis en place des politiques structurelles qui commencent à porter leurs fruits.

J'en viens plus précisément à votre question, monsieur le député.

S'agissant du passage à l'informatique, vous aviez inquiété les médecins. Or, alors qu'auparavant seuls 25 % des médecins étaient informatisés, ils sont maintenant 70 % à l'être. La formation se met en place, la mise en réseau s'installe, et vous verrez que les choses avancent.

En ce qui concerne l'hôpital, que vous critiquez tant, il a respecté ses objectifs, tout comme les généralistes.

Vous, vous avez mené une politique contre les médecins. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Nous, nous changerons l'assurance maladie avec les médecins, et nous demandons à tous les acteurs des professions de santé, notamment à l'industrie pharmaceutique, de nous aider.

C'est la raison pour laquelle nous engageons une politique du médicament, qui ne concerne pas seulement le développement des médicaments génériques.

M. François Vannson.

Dictature !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous avons signé, la semaine dernière, un accord avec les pharmaciens qui devrait rapporter dès cette année entre 500 millions et 1 milliard à la sécurité sociale.

Nous engageons une politique du médicament qui permettra, dans chaque classe de médicament, d'avoir un prix du médicament et un taux de remboursement qui dépendront du service médical rendu et non des relations que les médecins peuvent entretenir avec tel ou tel laboratoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

M. Bernard Charles.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Cela nous permettra de soigner mieux et moins cher, sans diminuer les remboursements. Cela permettra aussi - et les laboratoires innovants en sont contents - de fixer des prix qui correspondent à ceux des marchés internationaux.

C'est difficile, c'est vrai, et je ne l'ai jamais caché. Mais les outils structurels sont maintenant en place, et nous sommes passés de 55 milliards de déficit...

M.

Alain Juppé.

Pourquoi pas 100 milliards ! Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... à 13 ou 15 milliards cette année. Je maintiens que j'ai toujours la volonté déterminée d'obtenir l'équilibre en 1999.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M.

Jean-Michel Ferrand.

Pitoyable !

M.

le président.

Nous en venons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

35 HEURES

M.

le président.

La parole est à M. José Rossi.

M.

José Rossi.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, nous ne sommes pas les seuls à affirmer des choses qui vous déplaisent. Selon un quotidien du matin, qui titre « La vérité sur 35 heures », 2 019 accords seulement ont été signés, à peine plus de 21 000 emplois ont été créés, le secteur privé ne suit pas et les nouveaux horaires inquiètent les salariés.

M.

Jean-Michel Ferrand.

Eh oui ! C'est la vérité.

M.

Jacques Myard.

C'est un fiasco !

M. José Rossi.

Huit mois après son adoption, chacun s'accorde à reconnaître que la loi sur les 35 heures est un échec, non seulement un échec économique, mais aussi, de plus en plus, un échec social.

Mme Odette Grzegrzulka.

Menteur !

M. José Rossi.

Echec économique, échec sur le plan de l'emploi : je ne m'y étendrai pas, tout le monde peut le constater aujourd'hui.

Cette loi n'a permis que la création ou la sauvegarde de moins de 25 000 emplois pour un coût prohibitif : chaque emploi créé coûte au moins 100 000 francs au contribuable. Dans le même temps, combien d'emplois auront été détruits ou n'auront pas été créés à cau se du niveau excessif des charges ou des prélèvements ? Vous n'en dites mot ! Seulement 2 000 accords ont été signés en huit mois et ils concernent moins de 400 000 salariés.

Vous êtes obligés de faire pression sur le secteur public pour améliorer vos statistiques.

Encore une fois c'est le contribuable qui paie.

M. Didier Boulaud.

Comme en Corse !

M. José Rossi.

Nous sommes loin de vos promesses et de celles du Premier ministre.

M. Jean-Michel Ferrand.

Eh ! oui madame Aubry !

M. José Rossi.

Votre objectif de 600 000 emplois créés en deux ans est une pure illusion ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plus grave encore, les 35 heures sont un échec social.

Le groupe Démocratie libérale a été le premier à prévoir que cette loi serait source de régression sociale.

Mme Martine David. La question !

M. José Rossi.

Aujourd'hui, la démonstration est faite : gel des salaires ou, parfois pire, baisse du montant de la feuille de paie, retour de la pointeuse. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Voilà le résultat de votre acharnement idéologique ! Tout cela est écrit dans la presse. Ce n'est pas le progrès que vous annonciez, madame la ministre, c'est au contraire un risque de régression sociale.

M. Jean-Michel Ferrand.

C'est un échec !

M. José Rossi.

Madame la ministre, il est encore temps. Ne vous obstinez pas. Vous pouvez encore renoncer à votre projet autoritaire de généralisation des 35 heures par la voie législative. Tout doit vous y inciter : le premier bilan comme la prise en compte du risque social qui s'annonce de plus en plus clairement.

Si vous le faites, ce sera tout à votre honneur, car vous pourrez réconcilier les Français avec leur travail et leur entreprise. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour le République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, qui a un jour pensé que la réduction de la durée du travail était chose facile ? (« Vous ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Non, pas nous ! Qui a pensé que le fait de négocier dans une entreprise l'ensemble des conditions d'utilisation des équipements, les problèmes de compétitivité, l'ouverture des services au public, la capacité de s'adapter au marché - sur le plan saisonnier ou autre -, la mise en place de meilleures conditions de travail pour les salariés, la recherche d'une meilleure articulation entre la vie familiale et vie professionnelle pouvait se faire en un jour ? (« Vous ! » sur les mêmes bancs.)

Sans doute pas nous ! Six mois après le vote de la loi, 25 000 emplois ont été sauvés, plus de 2 000 accords signés et, semaine après semaine, des records sont battus. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ainsi, las emaine dernière, 140 accords ont été signés et 1 400 emplois créés.

La contradiction permanente dans laquelle vous vous cantonnez parce que vous n'avez rien à proposer en matière d'emploi va finir par lasser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour notre part, nous avons souhaité explorer toutes les pistes possibles dans la lutte contre le chômage.

L'an dernier, à la même époque, vous me disiez : « les emplois-jeunes, vous n'y arriverez pas ». Dès le mois de novembre, 150 000 emplois-jeunes avaient été créés et le chômage des jeunes avait baissé de 15 %.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

Il y a quatre mois, vous nous disiez : « A cause des 35 heures, les entreprises vont tomber dans le gouffre. »

Mais comme les entreprises y trouvent leur compte, vous nous expliquez aujourd'hui que ce sont les salariés qui y perdent ! Mais dans 91 % des entreprises, l'ensemble des organisations syndicales signent ces accords. Qu'est-ce qui vous permet de savoir mieux que les salariés ce qui leur convient ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Moi, je leur fais confiance. Et c'est peut-être cela qui nous distingue aussi.

Nous, nous pensons que l'Etat est là pour montrer la voie, et nous faisons confiance aux acteurs de terrain, aux chefs d'entreprise, aux syndicalistes pour avancer.

M. Jean-Michel Ferrand.

Baratin !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est une autre façon de faire de la politique et de mettre en mouvement la société.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

SOINS PALLIATIFS ET EUTHANASIE

M. le président.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

En juillet dernier, Christine Malèvre, infirmière à l'hôpital de Mantes, puis, le 4 février, une autre infirmière, cette fois à Nice, ont été mises en examen et sont justiciables de la cour d'assises pour avoir aidé des personnes à mourir.

Cela pose une nouvelle fois le problème de l'euthanasie : que faire face à des malades incurables en phase terminale qui souffrent au point de souhaiter disparaître ? La première réponse consiste, bien sûr, à développer les soins palliatifs. La prise en charge réelle de la douleur, l'apaisement des souffrances, l'accompagnement des patients pour permettre une fin de vie digne et sereine sont évidemment l'objectif primordial. En ce domaine pourtant, nous accusons un retard considérable.

A ce jour, quarante et un départements sont encore dépourvus d'unité spécialisées avec lits ou d'équipes mobiles de soins palliatifs.

Monsieur le secrétaire d'Etat, au mois de septembre dernier, vous avez annoncé, ce qui est très positif, un plan de développement de ces soins. Pouvez-vous nous préciser où en est aujourd'hui sa mise en oeuvre ? Cela étant, même avec ce plan il restera toujours, hélas ! le cas de certains patients dont les souffrances ne peuvent plus être soulagées par les soins palliatifs et qui demandent qu'il soit mis fin à leurs jours.

L'euthanasie est toujours un échec et un drame. Le rôle des médecins et des infirmières est, bien sûr, de préserver la vie et non de l'abréger. Mais doit-on refuser au patient en phase terminale, qui endure des souffrances insupportables, le droit de disposer lui-même de son propre destin et de mourir dans la dignité ? Que commandent alors la compassion, l'écoute, le vrai respect d'autrui ? Bien qu'interdite en droit, l'euthanasie active, et surtout passive, ne se trouve-t-elle pas pratiquée en fait dans certains services hospitaliers, mais sans qu'on en parle, dans l'implicite, dans le non-dit, c'est-à-dire dans le nondroit ?

M. Philippe de Villiers.

C'est un crime !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

En réalité, la loi en la matière est actuellement celle du silence.

Le débat sur l'euthanasie ne doit-il pas sortir enfin de la clandestinité et de l'occultation ? Ne doit-il pas s'ouvrir au grand jour au Parlement, qui est le lieu normal, le lien principal des grands débats de société ? Le Gouvernement accepte-t-il d'inscrire un tel débat à l'ordre du jour de notre assemblée afin que la représentat ion nationale puisse engager, en conscience, une réflexion de fond sur ce sujet difficile et douloureux qui préoccupe beaucoup de Français, comme l'ont montré les états généraux de la santé ? Chacun le voit bien, la démocratie ne peut faire silence sur les questions essentielles. Elle requiert au contraire la clarté, la transparence et le libre débat.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et indépendants.)

M. le président.

Mon cher collègue, il était difficile de vous interrompre sur un tel sujet, mais la réponse devra être brève.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le député, il y a bien des choses à vous répondre.

S'agissant d'abord des soins palliatifs, ils ne constituent pas une réponse complète aux situations que vous avez évoquées.

Il y avait peu d'équipes de soins palliatifs mobiles. Leur nombre était en tout cas insuffisant. Je me suis donc efforcé, comme je vous l'avais promis lors du débat qui s'est tenu ici même, de le doubler.

J'ai demandé aux agences régionales d'hospitalisation de nous adresser leurs propositions pour le 15 février. Six équipes en Lorraine et deux en Corse sont déjà constituées. Je vous communiquerai le nombre exact lorsqu'il me sera possible de le faire.

Nous doublerons cette année, grâce aux 150 millions que vous avez votés, le nombre des équipes de soins palliatifs, et 50 autres millions seront consacrés aux équipes en ville, qui comprennent des bénévoles, des psychologues, des infirmières, des médecins, qui, autour de l'hôpital, pourront également faire oeuvre salutaire au domicile des malades.

Vous m'avez posé une autre question beaucoup plus compliquée sur la tenue d'un débat. Mais souvenez-vous, nous avons déjà eu ce débat au moment de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique et il a fallu deux majorités pour que, finalement et de façon suffisamment sereine, nous en venions à bout.

Le Gouvernement n'est pas hostile à ce qu'un débat ait lieu ici. C'est d'ailleurs ce qu'il a toujours dit. Je souhaite pour ma part que ce débat s'engage, comme c'est le cas dans les états généraux de la santé, où le traitement de la douleur et les soins palliatifs sont les sujets qui sont le plus souvent proposés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

A travers le pays s'engage un débat difficile, grave, douloureux pour savoir ce que nous devons faire au moment de la fin de vie. Des conceptions idéologiques et, surtout, l'expérience et la douleur de chacun dans sa mémoire, s'opposent.

Je souhaite, je le répète, que le débat ait lieu, mais je souhaite qu'il ait lieu de façon sereine.

Il y a deux jours, monsieur le député, je lisais dans le journal d'éthique du seul pays qui n'a pas dépénalisé l'euthanasie mais qui a abordé le problème de façon différente - les Pays-Bas - un compte rendu de ce qui s'y était passé. Ce n'est pas satisfaisant.

Il nous faut donc débattre très sereinement.

Avant même que la date d'un éventuel débat ne soit fixée, j'écrirai dès demain aux responsables des groupes politiques de l'Assemblée et du Sénat pour leur proposer de se rendre au ministère pour une séance de travail, lors de laquelle nous pourrons aborder une part - une petite part - du problème.

J'ajouterai, pour finir, que la culture change dans notre pays : ce qui était refusé, et singulièrement par les médecins, comme une discipline qui n'avait pas la noblesse des autres disciplines, se transforme. Les hôpitaux sont ouverts à l'accueil des équipes de soins palliatifs mobiles.

Surtout, il ne faut pas que des lits réservés à la mort : il faut au contraire que l'ensemble du personnel médical prenne en charge les problèmes que pose la fin de vie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe socialiste.

FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS

M. le président.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat au budget. Elle porte sur la fiscalité des associations, qui a fait l'objet d'une circulaire le 15 septembre dernier.

Ce texte était le bienvenu. La clarification qu'il apporte était nécessaire après les contentieux engagés et les redressements pratiqués à l'encontre d'associations pourtant de bonne foi. Il a permis de réaffirmer que l'exonération des impôts commerciaux était le principe général.

Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, ce texte n'est pas toujours bien interprété et il soulève des difficultés, suscite des interrogations, fait naître des préoccupations, certes de nature différente, au sein des petites comme des grandes associations. Ces interrogations, ces préoccupations portent sur le délai pour se conformer aux dispositions de la circulaire, sur une éventuelle franchise d'impôt concernant les activités commerciales, notamment de petites associations ou de petits clubs sportifs,...

M. Lucien Degauchy.

Et les bénévoles ?

M. Didier Migaud.

... ainsi que sur les rapports entre la fonction de bénévole et la fonction de dirigeant, point qui concerne plus les grandes associations que les petites.

Elles portent également sur la frontière entre ce qui relève du commerce et de la concurrence et ce qui n'en relève pas.

Manifestement, un travail complémentaire est nécessaire. Un groupe de suivi a été mis en place. Pouvez-vous nous apporter à cet égard des précisions, qui pourraient permettre à l'extraordinaire travail réalisé par les bénévoles d'être conforté et encouragé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur Migaud, ainsi que chacun s'en souvient, M. Fousseret s'est fait, il y a une semaine, l'interprète des difficultés que pose cette circulaire du 15 septembre aux associations. J'ai déjà indiqué que j'étais prêt à en débattr e avec les parlementaires.

Nous avons tenu hier, grâce à vous, monsieur le rapporteur général, une réunion de travail, dont je tire quatre conclusions.

D'abord, l'instruction a marqué, malgré ses imperfections, un progrès très important car elle a écarté de l'immense majorité des associations bénévoles la menace de contrôles fiscaux, comme il y en avait eu dans le passé.

Les contrôles fiscaux dont avaient fait l'objet les associations de bonne foi ont été abandonnés.

Cela dit, trois difficultés demeurent.

De nombreuses associations se sont adressées à leurs correspondants des services fiscaux pour obtenir des précisions sur leur fiscalité. Plus de 4 000 demandes ont été présentées. Etant donné que les services fiscaux doivent répondre au cas par cas, ils auront beaucoup de difficultés pour répondre à toutes les questions d'ici au 1er avril.

L'éventualité d'un délai supplémentaire est donc envisagée.

La deuxième difficulté concerne les activités commerciales accessoires des petites associations.

Les petites associations ont souvent recours à ces activités pour financer leur activité bénévole. Elles tiennent ainsi des buvettes (Exclamations sur plusieurs bancs du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), vendent des journaux ou des vêtements de sport, ou exercent même des activités de publicité ou de formation.

En droit, même si ces activités sont marginales, l'association qui les exerce doit en tenir une comptabilité et faire les déclarations nécessaires.

La non-taxation d'une activité marchande véritablement accessoire et correspondant à un très petit montant a été évoquée par les parlementaires. Le Gouvernement la prend au sérieux.

Enfin, les grandes associations ont fréquemment des dirigeants à plein temps et rémunérés à ce titre, ce qui est en contradiction avec l'idée que les dirigeants des associations doivent être bénévoles. Le Gouvernement a constitué un groupe de travail sur la question et va trouver une solution.

Monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je dirai en conclusion que le Gouvernement est, sur ce sujet comme sur les autres, à l'écoute du Parlement (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et à celle des associations. Il proposera très rapidement des solutions aux difficultés que vous avez signalées.

Il est très important que le secteur associatif, qui représente 1,3 million de salariés et 7 millions de bénévoles, puisse exercer en toute sécurité son rôle essentiel dans notre société.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

M. le président.

Mes chers collègues, je vous demande de poser des questions brèves et j'invite le Gouvernement à y apporter des réponses courtes.

35 HEURES

M. le président.

La parole est à M. Gérard Terrier.

M. Gérard Terrier.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la ministre, au sujet de l'application de la loi sur les 35 heures, nous entendons des contradictions les plus invraisemblables, certains n'hésitant pas à qualifier cette loi d'échec économique et social (« C'est le cas ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

C'est la vérité !

M. Gérard Terrier.

J'en veux pour preuve la question qui a été posée par l'un de nos collègues. A croire que l'intérêt de la nation est secondaire pour eux par rapport à leur propre intérêt ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Dans le même temps, on nous annonce pourtant des accords de branche très importants, qui contribuent soit à préserver des centaines d'emplois, soit à en créer plusieurs milliers.

M. Charles Cova.

Comme à PSA ?

M. Gérard Terrier.

Le dernier en date est celui de La Poste, accord remarquable qui permettra, pour la première fois, que soit porté un coup d'arrêt aux pertes d'emplois dans ce service public...

M. Thierry Mariani.

Qui paie ?

M. Gérard Terrier.

... et que soient remplacés les emplois précaires par des contrats à durée indéterminée sans concours financier de l'Etat.

M. Thierry Mariani.

Qui paie ?

M. Gérard Terrier.

Madame la ministre, pouvez-vous communiquer à la représentation nationale et, à travers elle, à la nation, le bilan de cette loi à ce jour, et nous dire ce qu'augurent ses résultats pour la seconde loi sur les 35 heures, qui viendra en discussion dans notre assemblée prochainement et qui devra constituer une avancée supplémentaire dans la lutte pour l'emploi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur Terrier, faisons le bilan en regardant simplement les faits, car ce sont eux qui parlent le mieux.

Il y a dans notre pays un mouvement de négociation sans précédent sur la durée du travail.

M. Jean-Michel Ferrand.

C'est un échec !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il s'agit de près de quarante accords de branche, qui couvrent six millions de salariés, et de 2 020 accords d'entreprise, qui permettent la création de 24 000 emplois.

Depuis l'annonce du 10 octobre, le passage aux 35 heures a permis à 37 000 emplois d'être créés ou sauvegardés.

M. François Goulard.

C'est complètement faux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Telle est la réalité !

M. Yves Nicolin.

C'est nul !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ainsi que vous l'avez dit, et avec raison, monsieur Terrier, la réduction de la durée du travail met en place des exigences complexes dans l'entreprise, puisqu'il faut pleinement lier - c'est peut-être la première fois que cela se passe - une exigence économique et une exigence sociale.

Je rappelle que les syndicats et les chefs d'entreprise de notre pays ont, pour la moitié d'entre eux, signé des accords, ou sont en train d'en négocier.

Cela exige du temps si l'on veut des accords gagnantgagnant.

J'apporterai très vite quelques éclairages supplémentaires.

Les mêmes qui nous disaient que les entreprises allaient être placées au bord du gouffre...

M. Charles Cova.

Maintenant, elles sont dedans !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... nous disent aujourd'hui que celles-ci jouissent de plus de souplesse et d'une plus grande compétitivité.

Tant mieux si nos entreprises sont plus compétitives demain, si elles savent mieux utiliser les équipements, offrir de meilleurs services aux clients, une meilleure qualité,...

M. Jean-Michel Ferrand.

Vous n'énumérez que des contrevérités !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... de meilleurs délais, autant d'éléments qu'exige la concurrence.

M. Jean-Michel Ferrand.

Contrevérités !

M. le président.

Monsieur Ferrand, quand vous êtes là, on vous entend !

M. Jean-Michel Ferrand.

Mme la ministre dit n'importe quoi !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Aujourd'hui, les accords qui sont signés créent 8 % d'emplois supplémentaires alors que la loi ne prévoyait que 6 %. On nous affirmait aussi que la loi n'était pas adaptée aux petites entreprises. Or 40 % des accords signés l'ont été par des entreprises de moins de vingt salariés. Et, comme on n'en est pas à une contradiction près, on nous accuse de faire signer les grandes entreprises nationales, alors qu'il y a quelques semaines on nous demandait comment il se faisait que ces entreprises ne signaient pas d'accord.

Vous avez raison, monsieur Terrier, l'accord de La Poste est un bon accord.

M. François Goulard.

Ça non !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il permettra 20 000 recrutements d'ici à la fin 2000, des jeunes en apprentissage et en alternance,...

M. Jean-Michel Ferrand.

Tout cela n'est pas sérieux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... la réduction de la précarité et un allongement du travail à temps partiel pour les travailleurs qui le souhaitent.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

M. Jean-Michel Ferrand.

Arrêtez-la, monsieur le président !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il s'agira aussi, pour les clients, d'une amélioration quant aux heures d'ouverture, il n'y aura pas d'augmentation du prix du timbre, contrairement à ce qui vous, mesdames, messieurs de l'opposition s'était passé avec vous (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République), et de nouveaux services seront développés.

Telle est la réalité : des postiers qui travailleront moins et qui auront des horaires de travail qu'ils pourront choisir.

Il est vrai que la réduction de la durée du travail fait reculer la précarité : de plus en plus d'accords transforment les contrats à durée déterminée et les missions de travail temporaire en CDI, ce que l'on ne dit pas suffisamment.

M. Jean-Michel Ferrand.

Monsieur le président, ce n'est pas sérieux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La réduction de la durée du travail crée un phénomène sans précédent, une solidarité entre les travailleurs et les chômeurs, qui a été très difficile à mettre en place par les syndicats ces dernières années (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ne vous en déplaise, nous poursuivrons dans cette voie avec les entreprises et les syndicats dont, une fois de plus, nous pouvons compter sur le réalisme, mais aussi sur la maturité, pour aboutir à des accords gagnant-gagnant, qui feront que la France sera plus forte demain, car elle sera p lus compétitive et connaîtra moins de chômage.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Michel Ferrand.

Zéro !

NICKEL CALÉDONIEN

M. le président.

La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière.

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, l'Assemblée nationale vient d'adopter, à l'unanimité, les deux textes de loi sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, après les avoir sensiblement améliorés.

Hier, le Sénat a voté dans le même sens.

Ainsi, avec ces deux votes unanimes, les accords de Nouméa que le Premier ministre avait signés le 5 mai trouvent leur traduction politique. Mais nous apprenons qu'un accord vient d'intervenir sur le dossier du nickel calédonien. C'est un accord novateur et complexe, suffisamment complexe puisqu'il prête à confusion. En effet, on a parlé de la privatisation d'Eramet alors qu'il me semble qu'il s'agit plutôt de substituer à l'actionnaire public qu'est l'Etat un autre actionnaire public : les provinces calédoniennes.

Pouvez-vous nous exposer de manière claire et précise le contenu de cet accord ? Quelles en seront les conséquences sur la construction d'une deuxième usine de traitement du nickel calédonien dans la province nord ? Enfin, quelle sera, dans les instances dirigeantes nouvelles qui vont se mettre en place, la place des salariés ? Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous faire toute la lumière sur cet accord qui fournit aux Calédoniens une maîtrise accrue sur le développement économique de leur territoire.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, pour nous faire la lumière, mais dans les grandes lignes simplement.

(Sourires.)

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Monsieur le député vous qui avez justement été le rapporteur des projets de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie, vous avez souligné que le texte a maintenant été voté par le Parlement. Il sera examiné par le Conseil constitutionnel et j'espère que, sur cette base, les Calédoniens pourront se prononcer au mois de mai, c'est-à-dire choisir les membres du congrès et des assemblées de province qui administeront le pays.

Mais le Gouvernement a souhaité que cette évolution politique soit accompagnée d'une émancipation économique. Il y a un an, l'accord de Bercy a permis le transfert des massifs miniers pour la construction d'une usine au nord de la Nouvelle-Calédonie. Cette construction est maintenant possible. Elle dépend évidemment des conditions économiques, mais ce sera un élément essentiel du rééquilibrage entre les provinces.

La société SLN - société le nickel -, détenue à 90 % par le groupe Eramet, est la principale force économique en Nouvelle-Calédonie puisque c'est la seule usine de transformation du nickel, le premier employeur public.

L'Etat a souhaité que les intérêts calédoniens entent dans le capital de cette société et dans celui d'Eramet. L'accord intervenu permettra ainsi de transférer 30 % du capital de la SLN à une structure publique qui sera formée par les provinces de la Nouvelle-Calédonie. Parallèlement, avec cette structure, la Nouvelle-Calédonie entrera à hauteur de 8 % dans le capital de la société Eramet.

C'est une décision importante parce que, par leurs représentants, les Calédoniens seront ainsi associés à l'évo lution de la principale richesse économique du pays et aux décisions qui pourront intervenir concernant la valorisation de cette richesse. Cette évolution politique, ce transfert de compétences politiques et de pouvoir économique aux élus locaux correspondent à notre volonté d'aller vers une Nouvelle-Calédonie qui, dans le cadre des liens qu'elle conserve avec la France, trace son destin dans le partage des pouvoirs et des responsabilités.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

OPÉRATIONS «

VILLE-VIE-VACANCES »

M. le président.

La parole est à Mme Sylvie Andrieux.

Mme Sylvie Andrieux.

Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à la ville.

En 1982, l'Etat avait mis en place des opérations

« anti-été chaud ». Ce dispositif a changé de nom pour devenir « ville-vie-vacances », mais les objectifs sont restés les mêmes : donner aux jeunes les plus en difficulté les moyens d'accéder à toutes les formes de loisirs. Ce dispositif est aujourd'hui totalement pérennisé, mais si j'observe ce qui se passe sur le terrain, j'ai le sentiment que les populations les plus en difficulté ont parfois été un peu oubliées.

Vous avez fait, ce matin, en Conseil des ministres, une communication sur la relance des opérations « ville-vievacances ». Monsieur le ministre, comment cela va-t-il se concrétiser pour 1999 et de quelle manière pensez-vous prendre en compte les questions qui sont parfois posées lors des périodes de vacances sur les sites touristiques ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué à la ville.

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

Madame la députée, vous avez raison, le dispositif « villevie-vacances » est un outil à la fois de justice sociale et de prévention. Il doit nous permettre, cette année, de faire partir en vacances un million de jeunes qui connaissent souvent de grandes difficultés sociales.

En outre, il doit permettre aux élus de mener une action forte dans le cadre d'un parcours pédagogique pour que certains quartiers de nos villes connaissent une période estivale plus calme.

A fin que tous les partenaires puissent travailler ensemble et monter des projets de qualité, le Gouvernement a adressé une circulaire aux préfets dès la fin janvier. Il mettait ainsi en route le dispositif Ville-VieVacances et annonçait les crédits sur lesquels les départements pouvaient d'ores et déjà compter pour lancer quelques-uns de ces projets.

Nous avons souhaité donner cinq mois supplémentaires à l'ensemble des partenaires - départements, villes, associations - pour monter ces projets et s'adresser aux jeunes qui ne pourraient pas partir dans le cadre d'un dispositif traditionnel, principalement aux filles qui sont jusqu'à présent les oubliées. Afin d'éviter des difficultés dans les villes d'accueil, nous avons mis au point les règles du jeu pour la première fois en relation avec l'association des maires de France. Nous essayons de tenir compte des remarques qui sont faites par les villes d'accueil et d'organiser un lien précis entre celles-ci et les villes de départ pour que ces séjours se déroulent dans les meilleures conditions possibles.

Enfin, nous avons décidé de renforcer les équipes éducatives qui accompagnent ces jeunes en embauchant des éducateurs dans les villes d'accueil afin que cette période permette à des jeunes de treize à dix-huit ans de découvrir les vacances et aux populations des villes dont ils sonto riginaires, comme aux populations d'accueil, de connaître un moment sans crise. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

TRIBUNAUX DANS LES DEUX-SÈVRES

M. le président.

La parole est à M. Dominique Paillé.

M. Dominique Paillé.

Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, lorsque vous êtes arrivée au poste que vous occupez aujourd'hui, la réforme de la carte judiciaire figurait parmi vos objectifs. Cette réforme pouvait sans nul doute être prise en compte dans l'amélioration du fonctionnement de la justice et méritait, à notre sens, d'être élaborée dans la concertation, le dialogue et la transparence. Or, à l'évidence, vous n'avez pas choisi cette méthode puisque, d'un trait de plume, vous venez de rayer le tribunal de grande instance de Bressuire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)...

M. Didier Boulaud.

C'est l'horreur absolue !

M. Dominique Paillé.

... après en avoir suspendu les travaux. Cette réponse cinglante apportée aux personnels et magistrats qui étaient en grève jusqu'à la semaine dernière a évidemment suscité un certain émoi dans la population concernée... qui est d'environ 200 000 habitants, soit un ressort trois fois plus important que le tribunal de Marmande. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce que souhaite cette population, madame la garde des sceaux, c'est simplement être traitée avec la même considération que l'ensemble du territoire national.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ce genre de question, c'est la séance du mardi matin !

M. Dominique Paillé.

Ma question est donc simple : allez-vous surseoir votre décision et réexaminer le cas de Bressuire ? (Applaudissements sur plusieurs les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, vous m'avez déjà interrogée sur le tribunal de Bressuire et je vous ai répondu par écrit.

M. André Santini.

Et alors ?

Mme la garde des sceaux.

Mais cela ne me gêne pas de répéter oralement cette réponse. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

Le délégué national à la carte judiciaire s'est rendu à plusieurs reprises dans le département des Deux-Sèvres. Il a procédéà une très large concertation, le préfet également. Par conséquent, toutes les décisions que j'ai prises ont été précédées des concertations nécessaires.

S'agissant des tribunaux des Deux-Sèvres, lorsque je suis arrivé à la chancellerie, j'ai d'abord décidé de suspendre les travaux qui étaient programmés parce que je voulais avoir une idée de ce qu'allait donner la carte judiciaire. Moi, je ne souhaite pas gaspiller les deniers des contribuables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) J'ai donc décidé de traiter la situation des juridictions qui siègent à Niort et et à Bressuire dans le cadre d'un projet d'ensemble pour rénover les deux tribunaux.

Par ailleurs, j'ai décidé d'unifier la justice commerciale dans le département des Deux-Sèvres. En effet, il y a actuellement un tribunal de commerce à Niort et, à Bressuire, la justice commerciale est rendue par une chambre spécialisée du tribunal de grande instance. J'ai donc décidé de transférer à Niort la compétence commerciale du tribunal de grande instance de Bressuire et de maintenir à Bressuire une présence judiciaire extrêmement forte puisque, en contrepartie, y sera créée une chambre détachée du tribunal de grande instance de Niort qui sera chargée des affaires civiles et pénales. Cette chambre détachée bénéficiera également d'un greffe annexe. Bien entendu, le tribunal d'instance sera maintenu à Bressuire.

Cette nouvelle organisation permettra une meilleure organisation de la justice, ainsi que le maintien d'une forte présence judiciaire à Bressuire.

Sur le plan immobilier, j'ai décidé d'améliorer la situation des tribunaux de Niort et de Bressuire. S'agissant de ce dernier, il s'agissait de permettre aux magistrats et aux fonctionnaires qui sont installés depuis des dizaines d'années dans des bâtiments préfabriqués de bénéficier de locaux en dur. En attendant, des locaux seront loués pour qu'ils puissent travailler de façon décente. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe communiste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

FUSION ENTRE AEROSPATIALE ET MATRA

M. le président.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Le décret relatif au transfert de la majorité du capital d'Aerospatiale au privé est paru. La presse se fait d'ailleurs largement l'écho de cette belle opération réalisée par le capital privé puisque Matra obtient 33 % du nouvel ensemble pour seulement 1 à 2 milliards de francs. La mise en bourse doit suivre. Tout cela n'est malheureusement que le dernier épisode en date d'une série de restructurations opérées sous l'impulsion de notre gouvernement dans l'aéronautique et le spatial avec un objectif affirmé : contribuer à la constitution d'une société européenne unique pour être - nous dit-on - plus forts face aux géants américains.

Les députés communistes ne constestent pas la nécessité d'évoluer vers l'échelon européen. Mais en l'occurrence l'ensemble des décisions prises est caractérisé par une absence flagrante de débat démocratique, dont tous les syndicats concernés, sans exception, se plaignent.

(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il n'y a pourtant pas de réponse unique aux défis qui sont aujourd'hui posés concernant ce secteur, et les orientations actuelles sont lourdes de dangers, notamment en termes d'emploi.

Monsieur le Premier ministre, quelles dispositions entendez-vous prendre pour qu'un véritable débat associant les salariés, les citoyens et leurs représentants élus ait lieu concernant l'avenir de la filière aéronautique et spatiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Madame la députée, d'abord je suis heureux de constater que l'orientation qui consiste à essayer d'aller vers une société aéronautique européenne recueille votre approbation. (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il faut, en effet, que nous soyons capables ensemble de faire en sorte que l'industrie française, qui est au coeur de l'industrie européenne en matière aéronautique comme en matière spatiale et d'électronique de défense, se renforce pour être capable d'assurer sa mission comme elle l'a fait dans le passé.

C'est un projet industriel de grande ampleur. Il est probable qu'il faudra du temps pour le réaliser, mais à nos frontières les regroupements ont eu lieu - je pense aux Etats-Unis - et il faut que nous avancions dans ce sens. Il est bon de constater que cette position est soutenue par l'ensemble de la majorité, et peut-être même audelà. Vous avez dit que c'était une belle opération réalisée par le capital privé.

M. Richard Cazenave.

Il est bon le chapeau ? (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Permettez-moi, madame la députée, de corriger un peu cette appréciation. Il s'agit d'une fusion.

M. Richard Cazenave.

Et un peu de sel sur le chapeau ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En gros, Aerospatiale pèse deux fois plus lourd que Matra Hautes technologies. Le ratio est à peu près : 66 % d'un côté, 33 % de l'autre. Mais comme cela n'est pas vraiment cela, Matra paiera en plus pour arriver exactement à 33 % : ce sont les 2 milliards auxquels vous avez fait allusion. On ne peut donc pas dire que Matra obtient un tiers pour 2 milliards. Matra obtient un tiers parce qu'il apporte un tiers et il paiera 2 milliards pour faire le compte, même un peu plus puisqu'une part d'Aerospatiale a été sortie de l'opération - je pense à la parti cipation d'Aerospatiale dans Thomson. Au total, ce sont plus de 3 milliards qui réaliseront l'équilibre. Mais bien sûr, ce sera à la commission des participations et des transferts d'apprécier cet équilibre.

Vous évoqué l'aspect démocratique du débat. J'en suis très soucieux, comme M. le Premier ministre. Mais il y a deux aspects différents en matière de démocratie industrielle : celui qui concerne les salariés et celui qui concerne la représentation nationale. S'agissant des salariés, la démocratie est souhaitable, mais au moment où un accord se noue il n'est pas possible d'associer à la discussion d'autres que les deux actionnaires : l'Etat et Matra. Pourquoi ? Tout simplement parce que des questions juridiques se posent et si des informations circulaient, ne serait-ce que parmi les salariés et les syndicats, ceux-ci pourraient être accusés de délit d'initié. De telles décisions doivent donc être entourées d'un certain secret. Mais dès que l'accord préalable a été tracé, ce qui est le cas aujourd'hui, il faut que les salariés soient mêlés à la discussion. Les organes sociaux d'Aerospatiale seront ainsi saisis dans les jours qui viennent du projet d'accord pour donner leur avis.

M. André Santini.

Bien, c'est très pédagogique ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez fait allusion à un autre débat concernant les élus. Il est en effet souhaitable que la représentation nationale puisse discuter de cette question, comme elle a discuté ce matin, à la demande du groupe communiste, de l'orientation de notre politique financière. Si l'Assemblée nationale le souhaite, le Gouvernement est évidemment disposé à ce qu'un débat ait lieu sur l'avenir de notre aéronautique. Trois ministres du Gouvernement sont concernés directement par ce secteur : M. Alain Richard, M. Jean-Claude Gayssot et moi-même. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je suis sûr de m'exprimer au nom de l'ensemble du Gouvernement, qui s'est associé collectivement à la décision prise pour Aerospatiale. Nous sommes donc disposés à tenir avec vous un débat sur l'aéronautique le jour où l'Assemblée le voudra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

PATHOLOGIES DU TRAVAIL

M. le président.

La parole est à M. Georges Hage.

M. Georges Hage.

Ma question s'adresse à Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Madame la ministre, réunis à Strasbourg en juin dernier, les médecins du travail ont constaté que l'aménagement du temps de travail provoquait de nouvelles patho-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

logies (« Ah, les 35 heures ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), qu'aux risques physiques croissants s'ajoutaient désormais les troubles mentaux et psychiques.

(Rires sur les mêmes bancs.)

M. Richard Cazenave.

Cela se voit !

M. Georges Hage.

Cela vous fait rire ! Ils vous auront entendu au moment où se tient à Renault-Douai une conférence de presse sur le sujet.

Ce constat des médecins du travail se vérifie électivement chez Renault, entreprise à 40 % de capitaux d'Etat.

En témoignent, dans l'usine de Douai, le nombre d'accidents enregistrés en 1998 - sept fois plus que ceux réellement déclarés - et, nous interpellant d'outre-tombe, vingt et un salariés décédés par cancers, maladies cardiovasculaires et suicides.

M. Yves Fromion.

Il faut privatiser !

M. Georges Hage.

Madame la ministre, vous ne pouvez ignorer l'inflexion de cette courbe tragique, non plus que l'ascension sans précédent de la courbe des profits, sous la férule avisée de M. Schweitzer. Renault entend battre tous les records ! Si l'on juge qu'il est urgent de baisser la moyenne d'âge, c'est pour remplacer quatre salariés par une embauche de chair fraîche (« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) que de surcroît on paiera moins ! A Douai, le journal d'entreprise affirme sentencieusement cette tautologie consubstantielle au capitalisme (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) : ...

M. le président.

Monsieur Hage, veuillez conclure, je vous prie !

M. Georges Hage.

... la loi des 35 heures ne saurait nuire à la production si l'on consent un effort de productivité. Veut-on supprimer les pauses, le lavage des mains et autres commodités ? Ou encore chasser le malade ?

M. Philippe Briand.

Non à la productivité !

M. Georges Hage.

« Caves de Lille, on meurt sous vos plafonds de pierres », écrivait il y a 150 ans Victor Hugo dans Les Châtiments. Que n'ai-je son verbe pour dénoncer la mort sur les chaînes de Schweitzer ! Mais ce dernier n'est pas unique en son genre en ce monde capitaliste que nous souffrons encore ! Madame la ministre, vous qui avez en charge le travail et la santé, une commission d'enquête et des mesures appropriées ne s'imposent-elles point pour remédier à cette malédiction du travail ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Les questions de M. Hage sont toujours très intéressantes, mais elles laissent très peu de place à la réponse ! La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je suis évidemment sensible à votre citation de Victor Hugo puisqu'elle parle des morts de Lille, tués sur les chaînes ou au travail, dans le textile, l'habillement, les mines ou la sidérurgie.

J'ai été très attentive au chiffre rendu public par la CGT en 1998 sur l'usine Renault de Douai. Depuis, nous avons lancé plusieurs enquêtes. L'inspection du travail, en liaison avec le service de prévention de la CNAM, mène actuellement une enquête non seulement sur l'ensemble des accidents du travail, mais également sur les incidents inscrits au registre de l'infirmerie de cette entreprise. A l'initiative du médecin-inspecteur régional, une étude épidémiologique est par ailleurs mise en place avec les médecins du travail et l'institut universitaire de Lille, pour vérifier aussi le taux de mortalité des salariés dans cette usine. Enfin, nous sommes en train d'examiner l'ensemble des cas de maladies professionnelles qui, ces dernières années, ont été déclarés. En attendant les résultats de ces enquêtes, le CHSCT s'est saisi de ces questions, et c'est une bonne chose.

Comme vous le savez, les problèmes d'accidents du travail et d'atteintes à la santé physique et mentale des travailleurs sont au coeur même des préoccupations de mon ministère et de l'action des inspecteurs du travail. Le 25 février, je réunirai le Conseil supérieur de prévention des risques professionnels et je rappellerai à cette occasion les priorités que nous avons fixées pour l'année : contrôle de l'hygiène, de la sécurité et de l'application de la législation sur les conditions de travail dans les entreprises.

Car là est la base : le travail ne doit pas tuer, le travail ne doit pas meurtrir sur le plan physique comme sur le plan mental.

Nous avons pris, vous le savez, des mesures pour une meilleure reconnaissance et une meilleure réparation des maladies professionnelles. Mais il est vrai que l'espérance de vie est, en France, très différente selon les catégories socioprofessionnelles. Nous examinerons prochainement le texte sur la couverture maladie universelle. En permettant à tous de se faire soigner et en favorisant la prévention des maladies, notamment les plus graves, dans toutes les catégories sociales, elle représentera certainement un progrès considérable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2 SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président.

J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par M. le Premier ministre, de la loi relative à la Nouvelle-Calédonie en vue de l'examen de la conformité de ce texte à la Constitution.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

3 SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (nos 1253, 1371).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Hier, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Franck Borotra.

M. Franck Borotra.

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, j'ai écouté avec beaucoup d'attention, vous vous en doutez bien, vos deux interventions d'hier et celle du rapporteur. Je vous l'ai dit et je vous le confirme : je n'ai pas d' a priori sur ce texte ; je n'ai pas d'opposition de principe aux objectifs que vous avez définis. Et pourtant, je ne peux pas vous suivre.

Dans vos interventions, en particulier la première, vous avez, je crois, donné la clé de votre attitude en expliquant qu'il fallait avoir une lecture politique et même une lecture progressiste de ce texte. Selon moi, c'est là votre erreur.

Il faut avoir une lecture politique, avez-vous dit, en roulant des yeux implorants vers le Parti communiste.

(Sourires.)

Vous l'avez confirmé à l'Agence France Presse en précisant que le Gouvernement « acceptera tous les amendements lourds du Parti communiste ».

Du coup, tout s'éclaire ! Cette lecture progressiste, en fait, est une lecture conservatoire et même, probablement, une lecture conservatrice. Vous avez déjà sacrifié Superphénix en dehors de toute justification rationnelle à l'une des composantes de votre majorité plurielle.

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Et maintenant, vous vous apprêtez à réduire les effets de la directive pour satisfaire une autre composante de votre majorité, à savoir le Parti communiste.

Vous le savez bien, je ne suis pas un ultralibéral. Je ne crois pas, pour l'électricité, à la seule vertu du marché. Je me suis battu pour une directive qui a été durement négociée afin d'ouvrir le marché de manière limitée, sans autre engagement pour l'avenir. Il est nécessaire, il est vital qu'EDF évolue, se transforme, s'adapte pour entrer de plain-pied dans un marché de concurrence. Mais cette évolution doit se faire par étapes, tranquillement, sans provocations excessives.

Je reconnais que la transcription que vous avez faite respecte l'apparence d'ouverture du marché. Mais, pour des raisons politiques, vous vous êtes évertué, article après article, à vider de son contenu cette ouverture à la concurrence, pourtant volontairement limitée.

Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est une chose d'inscrire dans les textes la libéralisation du marché. C'en est une autre de mettre en oeuvre les modalités de l'exercice plein de cette libéralisation. Et cela, vous ne le faites pas. Vous vous êtes livré à un exercice difficile, mais qui, à mon avis, risque d'être dangereux : satisfaire à la fois l'ultralibé-r ale Commission de Bruxelles et l'ultraconservatrice CGT.

Ma deuxième réflexion préalable concerne M. le rapporteur, Christian Bataille. Je veux lui dire amicalement que je ne souhaite pas, qu'à la manière du Premier ministre, il réécrive l'histoire à sa façon.

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Jusqu'en 1993, la gestion du dossier électricité a été calamiteuse. Et s'il est vrai que M. Desama a donné un coup de frein au prurit de déréglementation généralisée de la Commission, en 1993, la France était isolée sous le coup de plaintes en instance de jugement, sans stratégie ni solution.

M. Richard Cazenave.

C'est scandaleux ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Il existait un front constitué d'une majorité de pays poussant à des procédures de dérégulation accélérée. La situation était bloquée et particulièr ement défavorable aux intérêts de notre pays. Il a donc fallu rompre ce front.

D'abord, il a fallu faire reconnaître - c'était la première fois - le bien-fondé du secteur public. Ensuite, il a fallu faire accepter - c'était également la première fois le principe d'un double système en Europe : d'un côté, l'accès des tiers au réseau et la déréglementation qui y est attachée, de l'autre l'acheteur unique et la reconnaissance d'un opérateur public majeur qui était la solution proposée par la France.

Enfin, il a fallu faire admettre, comme une première étape, une libéralisation volontairement limitée du marché, contre l'avis de la plupart des pays européens. Je vous le dis sans esprit polémique, monsieur le rapporteur, si nous avions suivi la pente sur laquelle vos amis avaient engagé le dossier, la déréglementation totale était au bout du chemin.

Je ne peux pas non plus ne pas me souvenir des déclarations enflammées et péremptoires de l'opposition à laquelle vous apparteniez à l'époque. Mais je n'aurai pas la cruauté de rappeler ces déclarations car je ne souhaite pas saper ce qui reste de l'autorité du rapporteur. (Sourires.) Et quand j'entends des collègues socialistes affirmer à la tribune qu'eux n'auraient pas signé, je préfère en rire.

M. Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

Nous n'avons pas dit cela !

M. Franck Borotra.

Certains l'ont dit, monsieur Bataille. Relisez le compte rendu des débats.

M. Henri Cuq.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Les communistes, quant à eux, souhaitent une renégociation. Certes, et contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, celle-ci est possible. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, l'avait bien montré à propos du dossier du GATT que vous aviez laissé s'embourber dans les conditions que l'on sait.

M. Richard Cazenave.

Exactement ! C'est important d'avoir de la mémoire !

M. Franck Borotra.

Mais cette renégociation serait tragique pour la France. En effet, compte tenu des décisions prises dans les autres pays de l'Union, il existe aujourd'hui une majorité qualifiée pour une libéralisation bien plus importante que celle prévue dans la directive.


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Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Eh oui !

M. Franck Borotra.

Par ailleurs, je suis en désaccord avec le président du groupe communiste, M. Bocquet, quant il dit qu'il n'y a pas d'urgence à délibérer. Monsieur le secrétaire d'Etat, en transcrivant avec retard cette directive, vous avez même pris un risque sérieux. Voilà, en effet, vingt mois que vous êtes au pouvoir. Mais je reconnais que le temps a probablement passé plus vite pour vous que pour moi ! (Sourires.)

Que se passera-t-il si la directive n'est pas transcrite le 19 janvier 1999 ? La jurisprudence du Conseil d'Etat est claire, c'est la jurisprudence TEO-Lyon : « En l'absence de transposition, ces dispositions sont directement applicables et le droit interne doit être écarté au profit du droit communautaire. » Dès lors, un consommateur éli-

gible peut parfaitement, dès le 19 février, conclure un contrat avec un producteur indépendant.

Selon maître Delelis, spécialiste du contentieux de la déréglementation, un tel consommateur éligible pourrait se prévaloir des dispositions de la directive devant une juridiction française, engager la responsabilité matérielle de l'Etat s'il ne peut mettre en vigueur le contrat et saisir la commission d'un recours en manquement de l'Etat sur le fondement de l'article 169 du traité de Rome, laquelle peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes. Bref, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est là une source potentielle de contentieux importants.

La transcription de la directive que vous proposez est trop restrictive. Elle est rabougrie, elle ratiocine. En réalité, il s'agit d'une transcription semée d'embûches pour décourager les nouveaux opérateurs. Or cela, je peux le dire pour en avoir été le négociateur, n'est pas dans l'esprit de la directive. Elle isole à nouveau la France, sans constituer, dans l'avenir, la moindre garantie de maintien de notre organisation du marché électrique. Vous risquez d'être obligé demain de concéder plus qu'il ne faudrait, pour faire oublier votre frilosité d'aujourd'hui.

Du reste, vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, la plupart des pays européens ont fait d'emblée le choix d'une ouverture large. Le taux moyen d'ouverture en Europe, au cours de l'année 1999, sera de 60 %. Les p ays nordiques, l'Allemagne, l'Espagne, à l'horizon de 2007, ont fait le choix, après la Grande-Bretagne, de la libéralisation complète. En tout cas, tous les pays ont pratiquement retenu une organisation de la production et de la distribution autour de multiples opérateurs.

Pour la production, on trouve neuf producteurs au Danemark, quatre aux Pays-Bas, huit gros producteurs en Suède, quatre-vingt-dix compagnies régionales et suprarégionales en Allemagne, sept en Espagne. Pour la distribution, presque tous les pays européens ont organisé la concurrence entre plusieurs opérateurs, allant de plusieurs centaines - en Allemagne, au Danemark, en Suède, en F inlande - à trente-trois aux Pays-Bas, douze au Royaume-Uni, sept en Espagne et quatre au Portugal.

Quant à la Belgique, qui a été proche de nous dans la négociation et qui nous a soutenus pour réussir à maintenir une ouverture limitée, elle n'a pas voulu se prévaloir du délai supplémentaire d'un an, jusqu'en février de l'an 2000, qui lui avait été accordé pour transposer la directive, et ce afin de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises belges productrices et consommatrices d'électricité.

La Belgique a choisi une entité juridique distincte pour le gestionnaire du réseau et le principe de l'accès réglementé des tiers au réseau. Elle a également mis en place une autorité compétente pour la partie libéralisée du marché et retenu un objectif d'ouverture supérieur à celui prévu par la directive. Pour ce qui est de la production, elle a préféré pour les installations nouvelles la procédure de l'autorisation sur proposition de la commission de régulation, avec un système de financement pour encourager l'utilisation des sources d'énergie renouvelables.

Bref, c'est un projet ambitieux, qui concilie la volonté du Gouvernement belge de garder un véritable contrôle sur l'évolution du marché tout en assurant son ouverture équitable et en préparant l'avenir.

Monsieur le secrétaire d'Etat, la critique principale qu'appelle votre transposition, c'est que vous avez fait le choix d'une stratégie de statu quo.

Et ce pour des raisons politiques,...

M. Pierre Lellouche.

Bien sûr !

M. Bernard Accoyer.

Contre l'intérêt de la France !

M. Franck Borotra.

... même si parfois le langage est guerrier. D'ailleurs, et contrairement à certains dans l'opposition, je ne suis pas favorable à ce que l'on aille audelà des obligations de la directive dans cette phase de mise en place.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Franck Borotra.

Rien que la directive, mais toute la directive. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Nous sommes d'accord !

M. Franck Borotra.

La transposition que vous proposez n'est pas a minima, comme je l'ai entendu dire. C'est une transposition sémée d'obstacles visant à décourager l'exercice de la concurrence, qui est pourtant limitée. Comme si votre principale préoccupation était de ne pas provoquer la CGT. C'est un choix indéfendable, à la fois à l'égard de l'émergence nécessaire du marché et d'EDF, qui, je le répète, doit se transformer, mais aussi des entreprises françaises, en particulier de celles qui sont grosses consommatrices d'électricité.

Le prix de l'électricité est, en effet, un facteur de compétitivité essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, comme les impôts et les charges qui pèsent sur les entreprises. Il joue un rôle important dans leurs choix d'implantation.

M. Michel Bouvard.

Eh oui ! Surtout en montagne !

M. Franck Borotra.

Or, contrairement à ce que l'on dit, le prix de vente de l'électricité en France n'est pas le plus bas d'Europe.

Dans le domaine industriel, si nos prix sont moins élevés qu'en Allemagne ou en Italie, ils sont simplement du même ordre de grandeur qu'en Espagne, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni et ils sont supérieurs à ceux pratiqués en Grèce ou dans les pays nordiques.

Je donnerai l'exemple d'une entreprise française, de d imension mondiale, qui consomme annuellement 2000 mégawatts et pour laquelle le prix de l'électricité représente un peu plus de 50 % de son coût de production.

M. Michel Bouvard.

Pechiney !

M. Franck Borotra.

Vous l'aurez identifié facilement, m onsieur le secrétaire d'Etat. Cette entreprise paie 23,48 centimes le kilowattheure en France, c'est-à-dire, en tarif non effacé, 24,34 centimes, contre 19 centimes


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en Hollande et 16 au Texas. Or ses prix d'achat d'électricité n'ont pas bougé depuis 1991. D'où l'importance d'organiser la concurrence pour abaisser les prix.

Ce qui est vrai pour l'industrie vaut aussi pour le secteur résidentiel où nos prix de vente ne sont que dans la moyenne des prix européens.

Monsieur le secrétaire d'Etat, il faut donc une loi qui prépare et anticipe les évolutions inéluctables du marché.

Il faut une loi permettant l'évolution des structures d'EDF et une véritable ouverture des marchés européens pour l'opérateur français qui, à cause de votre transcription, se heurtera naturellement aux contraintes de la réciprocité.

Or cette transcription est frileuse, ambiguë et trop imprécise sur de nombreux points, ce qui fait courir le risque de réduire à la portion congrue le contenu de la libéralisation. En fait, le désaccord porte non pas sur les principes mais sur les modalités de cette transcription.

Malheureusement, dans cette affaire, les modalités pèsent plus que les principes !

M. Jean-Louis Debré.

C'est la CGT qui pèse le plus !

M. Franck Borotra.

Premier point, l'esprit de la directive appelle une véritable autonomie du gestionnaire de réseau, ce qui n'est pas le cas dans votre projet. Nous avons, quant à nous, proposé un établissement public autonome en maintenant un service public à EDF comme opérateur.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Franck Borotra.

C'est une solution qui respecte le caractère intégré d'EDF et assure l'autonomie du gestionnaire. Vous n'en voulez pas. Pourtant, vous serez bien obligé de le faire dans les années qui viennent.

M. Bernard Pons.

Ils le savent bien !

M. Franck Borotra.

Il ne peut y avoir d'exercice véritable de la concurrence sans une autonomie totale de l'opérateur du réseau. Les Belges, qui poursuivent un objectif voisin du nôtre, l'ont bien compris.

Deuxième point, l'autorité de régulation. Vous n'avez pas confiance en l'administration. Vous l'avez déjà montré. Il vous faut donc créer une autorité extérieure pour assumer le contrôle du fonctionnement du marché. Si vous choisissez cette voie - je ne partage pas cet avis mais je comprends ce choix -, alors l'autorité de régulation doit être le point de passage obligé de toutes les informations, de toutes les procédures de contrôle, de sanction et de décision. C'est elle qui doit assurer la garantie de la transparence des modalités de fonctionnement du marché et des conditions de la concurrence.

Ce que vous faites ne remplit pas la condition que je viens d'énoncer. Vous avez choisi de définir une CRE en creux. En effet, vous maintenez l'imprécision entre les pouvoirs respectifs de la commission de régulation de l'Etat et des tribunaux. Vous ne donnez pas à la CRE les pouvoirs nécessaires en termes de contrôle de la politique tarifaire, de contrôle des abus de position dominante, de pouvoir d'investigation et de sanction, de respect des obligations de concurrence, de contrôle des charges du service public, de coût de transport, des procédures pour les installations nouvelles. Autant d'éléments sur lesquels son avis, voire son accord, devrait être nécessaire.

M. Pascal Clément.

Evidemment !

M. Franck Borotra.

C'est comme si vous aviez voulu limiter le rôle de cette commission de régulation pour ne pas déplaire à EDF, alors qu'une commission responsable et indépendante en charge de la totalité du secteur concurrentiel serait la meilleure garantie pour l'opérateur national. Vous passez votre temps à essayer de ne pas déplaire, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne pas déplaire à Bruxelles, ne pas déplaire au Parti communiste, ne pas déplaire à la CGT, ne pas déplaire au Verts, ne pas déplaire à EDF. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Pierre Brard.

Vous, vous déplaisez à tout le monde ! Vous faites le consensus contre vous !

M. Franck Borotra.

A force de faire des cadeaux, on va vous prendre pour le Père Noël !

M. Pascal Clément.

Et la France dans tout ça ?

M. Franck Borotra.

Troisième point, il faut une définition stricte et non discriminatoire des charges identifiées et évaluées du service public. Celles-ci doivent être réparties de manière incontestable, en tenant compte, en particulier, des avantages que retirent les opérateurs disposant de droits exclusifs, c'est-à-dire qui maintiennent le monopole. Tel n'est pas le cas dans votre projet de loi qui, s'il était voté en l'état, serait une source permanente de contentieux.

M. Pascal Clément.

Evidemment !

M. Franck Borotra.

Vous avez retenu la procédure d'autorisation comme règle pour les capacités nouvelles, alors qu'à mes yeux, pour des raisons de cohérence et de transparence, la règle devrait être celle de l'appel d'offres, l'autorisation étant réservée aux installations nécessaires aux objectifs d'indépendance énergétique et de sécurité, aux installations de l'article 10 et aux producteurs ayant un contrat avec un client éligible. On aurait pu cependant envisager la solution que vous proposez, mais à une condition : que l'autorité de régulation ait des pouvoirs renforcés et remplisse effectivement son rôle de garant.

Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, met en place des freins incompréhensibles au développement des productions décentralisées et aux énergies renouvelables, rejetant le principe, pourtant incontournable, dans la définition d'une politique énergétique, de l'efficacité énergétique. Il faut un statut pour la cogénération et la mise en oeuvre d'un système encourageant les technologies propres et décentralisées de production avec obligation d'achat pour les petites et moyennes installations, avec prise en compte des coûts évités de long terme, de production, de transport et de distribution.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Franck Borotra.

Mais ce n'est pas ce que prévoit votre projet de loi.

Parce que l'ouverture à la concurrence sera très limitée, il faut aussi être très vigilant sur la remise en cause du principe de spécialité. S'agissant des clients non éligibles, c'est le statu quo qui doit prévaloir, car, pour ces 29 millions de clients captifs, le monopole est maintenu. Je crois que, sur ce point, vous êtes d'accord avec moi.

Pour les clients éligibles, il faut contrôler très strictement les conditions de la diversification, notamment en définissant clairement leur champ et leur importance. A mes yeux, du reste, cet élargissement de la diversification n'est possible que dans le cadre d'une filialisation généralisée, sous le contrôle de la CRE et avec des financements de marchés pour éviter des distorsions de concurrence et qu'EDF n'utilise les rentes du monopole pour porter la concurrence sur le secteur concurrentiel.

Il y a donc bien divergence profonde dans les modalités de la transcription, comme il y a désaccord sur d'autres points essentiels.


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En fait, votre projet de loi est une usine à gaz, sans production d'électricité. (Sourires.)

Multiplication des comités, commission d'organisation et de la modernisation du service public, observatoire régional de l'électricité, comité régional de la distributio n, observatoire de la diversification comité technique, conseil supérieur du gaz et de l'électricité, direction du gaz et de l'électricité, commission de régulation de l'électricité...

M. Henri Cuq.

C'est pour caser les copains !

M. Franck Borotra.

Pour rassembler tout ce monde, monsieur le secrétaire d'Etat, il vous faudra au moins le Palais des Congrès.

M. Bernard Accoyer.

C'est honteux !

M. Franck Borotra.

Quand à l'extension du statut des industries électriques et gazières aux opérateurs entrant sur le marché, c'est un frein injustifié qui détournera un certain nombre d'opérateurs du marché.

M. Pierre Lellouche.

Cela ne tiendra pas !

M. Franck Borotra.

Du reste, je voudrais qu'on m'explique comment ça va fonctionner.

M. Jean-Louis Debré.

Ils ne le savent pas eux-mêmes !

M. Franck Borotra.

En effet, l'électricité ne connaît pas les frontières et les voisins qui en produisent et qui la vendront aux clients français, eux, ne seront pas soumis au statut des industries électriques et gazières.

M. Pierre Lellouche.

Avec les trente-deux heures de Mme Aubry !

M. Franck Borotra.

Cela est aussi inacceptable que ce que vous avez fait en inscrivant, sous forme de coûts échoués, l'amortissement des coûts de Superphénix que vous avez fermé pour des raisons qui sont ni économiques, ni techniques, ni scientifiques, mais seulement politiciennes à cause des concessions que vous avez faites à l'une des composantes de votre majorité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je suis favorable, monsieur le secrétaire d'Etat, à la reconnaissance du droit à l'électricité pour tous, mais cette obligation n'a pas à être assurée par le service public. Il s'agit d'une charge sociale qui relève de l'Etat.

M. Philippe Briand.

Absolument !

M. Franck Borotra.

Certes, M. Cacheux a suggéré que nous demandions à nos partenaires d'élargir le statut des industries électriques et gazières à la totalité de l'Europe.

M. Pascal Clément.

Il fallait y penser !

M. Franck Borotra.

Mais je puis vous dire, pour avoir négocié avec les Allemands, les Hollandais et les Britanniques que si cette idée est généreuse, Bergson a déjà donné une réponse : « Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre. »

(Sourires.)

Je vais terminer mon propos, monsieur le secrétaire d'Etat, en soulignant les risques que fait courir la manière dont vous voulez transcrire la directive.

Vous faites d'abord courir des risques à l'Etat luimême.

A cet égard, il conviendra de s'interroger sur la compatibilité de ce texte avec la loi de 1946. Bien que vous ayez eu des paroles fortes pour affirmer cette compatibilité, je tiens à formuler deux remarques sur ce sujet.

D'abord, si l'on veut confirmer le rôle du service national de la distribution, qui a été donné à titre provisoire à EDF il y a cinquante ans, alors que, depuis, de nouvelles concessions ont été accordées, il faudra bien modifier la loi de 1946.

Ensuite vous souhaitez appliquer le statut des entreprises électriques et gazières non seulement à celles qui sont déjà présentes aujourd'hui sur le marché mais aussi aux nouveaux opérateurs. Je vous ai même entendu déclarer hier que le Gouvernement est également désireux de faire entrer les industries électriques et gazières dans le champ de la négociation collective, en particulier pour définir les mesures à prendre en application du statut.

Or, pour faire évoluer le statut, il faudra bien modifier la loi de 1946.

Il faut aussi se poser la question de la compatibilité du texte en discussion avec la directive sur de nombreux points. Vous avez certes affirmé avoir le visa de la Commission, mais le problème réside moins dans le visa lui-même que dans l'interprétation qui sera faite en cas de contentieux. J'en prends deux exemples.

Le premier concerne la compatibilité entre l'article 8-3 de la directive qui évoque la priorité à donner aux énergies renouvelables, et les modalités restrictives que vous prévoyez dans votre projet de loi.

Le second a trait à l'article 2-20 qui définit la procédure d'appel d'offres à suivre pour les installations nouvelles comme « la procédure par laquelle des besoins additionnels et des capacités de renouvellement planifiées sont couverts par des fournitures en provenance d'installations de production nouvelles ou existantes. Or le projet de loi que vous nous proposez réserve l'appel d'offres aux cas où les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements.

En matière de compatibilité je dois aussi évoquer la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui fait supporter les charges des missions d'intérêt économique général aux opérateurs disposant de droits exclusifs - c'est-à-dire ceux ayant un monopole - à due concurrence de leur position sur le marché alors que vous voulez étendre cette obligation à la totalité des opérateurs.

A cet égard je peux vous rassurer : je suis également favorable à cette extension à tous les opérateurs. Pour éviter les contentieux, vous devriez néanmoins faire en sorte qu'il n'y ait aucune contestation possible quant aux charges retenues afin qu'elles ne puissent être considérées comme des entraves à l'entrée sur le marché de nouveaux producteurs.

Vous faites ensuite courir des risques à EDF.

En effet, plus la transcription de la directive sera imprécise, plus les risques de procès d'intention et de contentieux lourds seront importants. Or cette très grande entreprise a mieux à faire.

Vous faites aussi courir des risques à EDF en matière de réciprocité. En effet, son développement et sa capacité à être présente sur les autres marchés européens seront limités parce que vous aurez réduit de façon excessive les conditions de la libéralisation sur le marché français.

Vous risquez ainsi de retarder la nécessaire évolution de cette grande entreprise, en particulier sa transformation interne et sa capacité d'adaptation au marché et à la concurrence.

J'ajoute que votre transcription de la directive, monsieur le secrétaire d'Etat, n'est même pas une garantie pour le nucléaire, ce qui est vraiment un comble. En effet, elle ne prévoit pas l'imputation du financement,


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pourtant nécessaire, de la tête de série de l'EPR, de l'indispensable action de recherche et développement, des surcoûts qu'engendrera le premier réacteur.

Je veux aussi profiter de cette occasion de m'adresser directement à vous, même si cela est un cavalier dans mon intervention, pour vous interroger sur l'information selon laquelle l'Etat envisagerait d'échanger les actions de Framatome détenues par Alcatel contre des actions de Thomson. En effet, cela conduirait à la renationalisation de Framatome, ce qui serait tragique pour cette grande entreprise, qui a besoin d'avoir un partenaire industriel et de s'engager dans la voie de la privatisation par une ouverture en bourse.

Enfin, vous faites courir des risques aux entreprises consommatrices d'électricité.

En effet, la libéralisation du marché industriel est une garantie de la baisse des prix. Elle est nécessaire à la compétitivité des entreprises, car l'électricité est un élé ment important, parfois même décisif des prix de revient, dont elle représente jusqu'à 25 % dans des secteurs industriels essentiels comme la chimie, la sidérurgie ou la papeterie. La baisse des prix est favorisée par la concurrence, qui oblige à la transparence des tarifs, et par l'émergence des marchés.

Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'Etat, il me semble que vous avez eu tort de faire de cette transcription un outil de préservation du statu quo. Vous avez certes indiqué que vous vous situiez dans le droit fil de la loi de 1946, mais celle-ci a cinquante-trois ans. Depuis, la société et le marché ont bien changé.

M. Pierre Lellouche.

Pas la CGT !

M. Jean-Pierre Brard.

Cette loi a été votée sous les auspices du général de Gaulle !

M. Franck Borotra.

Il fallait au contraire libérer EDF, lui permettre de se transformer en une véritable entreprise détenue à 100 % par l'Etat. Votre projet a pour objectif de lui conserver la première place sur un marché protégé.

Je préférerais qu'EDF soit la première sur un marché européen concurrentiel.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Puisque j'ai entendu citer le général de Gaulle, à propos de la loi de 1946, je veux rappeler, qu'il a déclaré un jour : « La politique la plus coûteuse, c'est de faire petit. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Merci, monsieur Borotra, d'avoir si bien respecté votre temps de parole. J'invite tous les autres orateurs à en faire de autant.

M. Jean-Pierre Brard.

Monsieur Borotra, vous n'avez pas attendu le chant du coq pour vous renier !

M. le président.

La parole est à M. Claude Billard.

M. Claude Billard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat que nous engageons aujourd'hui est nécessité par l'obligation de transposer en droit français une directive européenne en date du 19 décembre 1996, créant un marché intérieur de l'électricité ouvert à la concurrence.

Cette directive d'inspiration ultralibérale a été adoptée sous un Gouvernement de droite, contre l'avis des forces politiques qui forment l'actuelle majorité de notre assemblée. L'obligation qui nous est faite de l'appliquer est l'exemple même d'une construction européenne antidémocratique héritée du passé, qui peut et doit être conçue différemment aujourd'hui. En effet, au nom de quels intérêts, de quelle conception de l'Europe, devrionsnous accepter de modifier aussi radicalement, dans l'urgence et in extremis , un domaine si déterminant, si stratégique pour le présent et l'avenir de notre pays, un besoin si vital pour les Françaises et pour les Français ? En réalité, cette directive est une traduction très concrète de l'article 7-A du traité dit de l'Acte unique, adopté en 1985, qui mettait fin à l'exemption d'obligation de concurrence dont bénéficiaient les secteurs de l'énergie, des transports, des télécommunications, en définissant la Communauté européenne comme un espace sans frontières, où la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et, bien évidemment, des capitaux est assurée.

En introduisant ainsi la logique du marché, on transforme l'électricité, bien de première nécessité s'il en est, en une marchandise comme une autre. Les mécanismes du marché cherchant par nature le court terme, cela pousse, dans le secteur énergétique, à épuiser les ressources naturelles et à prendre des risques qui peuvent s'avérer gravissimes. Telle est précisément l'esprit de cette directive qui tend à valoriser les investissements à court terme, pour le plus grand profit des gros consommateurs et des groupes industriels uniquement motivés par les gains financiers.

Dans ce domaine, ne faire confiance qu'à la logique du marché et de la concurrence aurait des effets dévastateurs puisqu'elle ne permet de prendre en compte ni la sécurité d'approvisionnement, ni le long terme, ni la rareté des ressources énergétiques et le sort des générations futures, ni la protection de l'environnement.

La nécessité de rationaliser conduit à instaurer un monopole dans ce secteur pour éviter les surcoûts d'investissement, les gâchis techniques, les risques industriels et écologiques. Voilà ce qui a motivé, en 1945, la nationalisation des entreprises privées d'électricité. On peut douter que le sens de l'histoire et l'intérêt général soient dans leur retour, comme cela serait le cas avec la directive.

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d'adapter le système électrique français à la logique néfaste et dangereuse de cette directive, dont nous continuons de penser que sa renégociation s'impose et qui, au motif, purement idéologique, d'instaurer la concurrence en livrant le secteur énergétique aux marchés financiers, s'attaque à la nationalisation et au monopole public qui ont pourtant, dans notre pays, fait la preuve de leur efficacité tant économique que sociale.

Je dois relever, à cet égard, que l'intitulé du projet de loi évoquant la modernisation et le développement du service public de l'électricité est trompeur sur bien des aspects, notamment quant au contenu réel des dispositions qu'il comporte. En effet, si une institution est bel et bien menacée, c'est le service public et ses possibilités de développement et de modernisation.

En premier lieu la concurrence de la production serait instaurée, ce qui consacrerait la fin du monopole d'EDF.

Serait en effet autorisée à produire de l'électricité toute entreprise qui aurait sollicité et obtenu l'autorisation du ministère de l'industrie.

Dès le 20 février prochain, quelque 400 grandes entreprises dites éligibles représentant 26 % de la consommation française auraient ainsi le droit de choisir leur fournisseur. En février 2000, 800 entreprises représentant


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environ 30 % de la consommation nationale seront concernées, leur nombre devant passer à 3 000 en février 2003, soit 33 % de notre consommation. Cette première libéralisation pourrait être suivie d'une deuxième, à l'horizon 2006, conformément aux dispositions de l'article 26 de la directive. Enfin, l'accès de ces tiers au réseau existant serait organisé.

C'est peu de dire que l'importance de l'enjeu n'échappe à personne. EDF n'est une entreprise quelconque ni par son histoire ni par sa mission ni par son poids et ses potentialités : 120 000 salariés environ, des dizaines de millions d'usagers, près de 190 milliards de francs de chiffre d'affaires, près de 6 milliards de bénéfice ! Elle constitue même un fleuron mondialement reconnu. La mise en cause de son statut d'entreprise nationale et de ses missions de service public ne trouvent à nos yeux aucune justification.

L'ensemble du dispositif qui nous est proposé recèle donc de graves dangers, non pas pour l'entreprise EDF elle-même, premier électricien mondial, qui pourra cert ainement encore connaître un fort développement économique et financier à l'étranger, en particulier, mais pour la pérennité du service public auquel la majorité des usagers est attaché et qui forme un élément constitutif de notre société.

En effet, entre les nouveaux producteurs privés et EDF s'engagera inévitablement une guerre des prix sur les contrats de fourniture d'électricité. Les usagers domestiques et les petites et moyennes entreprises resteront, eux, captifs d'EDF ; laquelle, pour maintenir sa place et ne pas perdre trop de marchés, n'aura d'autre alternative que de baisser ses prix pour les gros consommateurs et de reporter le poids de ces baisses sur la collectivité, en réduisant aussi la qualité du service rendu. C'est exactement ce qui s'est passé en Grande-Bretagne, car cela est le principal effet pervers de la concurrence, qui entraîne tout le reste. Les dispositions que comporte votre projet de loi pour contrer ces effets pervers sont bien insuffisantes.

Contrairement aux intentions affichées, je veux aussi souligner que ce projet de loi va au-delà de ce qu'exige la directive pour ce qui est de la libéralisation du secteur.

Ainsi les seuils retenus sont supérieurs au minimum d'éligibilité fixé par la directive. Le texte prévoit même des seuils d'éligibilité modulés et non un seuil unique, ce qui générerait une instabilité dont le résultat serait, à l'é vidence, une extension de l'éligibilité.

De plus l'éligibilité est accordée aux producteurs et aux traders, alors que la directive ne l'exige pas. Ce choix est la négation même des principes du service public, d'une politique énergétique et d'une planification à long terme.

En outre aucune limitation dans le temps n'est prévue dans le contenu des contrats avec les éligibles, au détriment, là encore, de la planification et des coûts de production d'EDF.

En matière de production, les critères et les dispositions de la directive qui permettent de limiter et de contrôler son ouverture à la concurrence ne sont que trop partiellement utilisés.

Ce texte de transcription ne conforte pas non plus la place de la filière nucléaire dans le système électrique français, alors qu'il aurait été possible de le faire en s'appuyant sur la loi de nationalisation de 1946 afin d'imposer que le nucléaire relève de la maîtrise publique.

Il aurait été également nécessaire de préciser que l'hydraulique, au-delà de 8 mégawatts, doit rester l'affaire d'EDF, et que le charbon français peut et doit être utilisé pour produire de l'électricité.

Par ailleurs le projet de loi propose de maintenir l'obligation d'achat par EDF des kilowatts-heure provenant des énergies renouvelables des déchets, et de la chaleur alors que la directive ne l'exige pas.

En la matière, l'exemple de la convention sur la cogénération n'est pas à renouveler. Au motif qu'il faut développer la cogénération parce qu'elle est une forme de prod uction thermique d'électricité à bon rendement énergétique, des ponts d'or sont offerts aux cogénérateurs.

En effet, le prix de cette électricité payée par EDF varie entre 30 et 45 centimes le kilowattheure quand le coût de production moyen d'EDF est de 20 centimes.

Parallèlement, et de ce fait, EDF arrête ses propres centrales thermiques et supprime les emplois correspondants. Cette niche tarifaire lui coûte aujourd'hui près de 4 milliards de francs par an.

On peut certes envisager des situations dans lesquelles certains outils ou de nouvelles technologies en matière de production ont besoin d'être aidés, mais cela doit être le fruit d'un choix réfléchi de politique énergétique. Les obligations d'achat qui en résultent doivent alors être limitées au prototype ou, au plus, aux préséries.

Enfin le texte incite fortement au développement de la production décentralisée, orientation qui conduirait à l'incohérence et rendrait encore plus difficile la maîtrise de la politique énergétique nationale. Elle ne générerait aucune économie de réseau puisque celui-ci doit, de toute façon exister, pour assurer le secours. Cette disposition ouvre la porte aux grands groupes de services, autrefois exclus du secteur électrique, et favorise les producteurs indépendants alors que, dans le même temps, le défaut d'investissements d'EDF organise l'abandon du terrain au bénéfice du développement du secteur privé.

Dans son rapport rédigé au nom de la commission de la production et des échanges, notre rapporteur, Christian Bataille, souligne l'enjeu que constitue la modernisation et le développement du service public. Pour le satisfaire il faut prendre des mesures concrètes en faveur d'un service public de qualité plus solidaire, plus proche, notamment pour les plus démunis.

Les évolutions souhaitées et attendues par nos concitoyens et les salariés des industries électriques et gazières seraient réalisables sans contrevenir au contenu de la directive. Par exemple, rien n'interdit une tarification de l'électricité au coût de revient pour les clients non éligibles. La séparation comptable le permet.

En ce qui concerne la fourniture d'électricité aux familles en situation de précarité, les dispositions proposées vont dans le bon sens, mais il faudrait les préciser encore et les rendre plus ambitieuses.

Bien que la directive ne dise rien du statut social des salariés, il est positif de prévoir que l'actuel statut du personnel des industries électriques et gazières sera étendu aux nouveaux entrants et continuera de s'appliquer à l'ensemble de la branche. Nous exprimons toutefois de fortes réserves sur les possibilités de les modifier, ainsi que ses textes d'application, par des accords collectifs signés par des organisations syndicales minoritaires ou par des décisions d'autorité.

Enfin, le texte est très incomplet en matière de démocratisation et de participation des usagers et des salariés aux instances de décision les concernant. Or la démocratie directe est indispensable pour une claire perception du


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caractère souvent complexe de la réponse à un besoin.

Cela implique que cette démocratie irrigue le service public à tous les niveaux : local, régional et national. Le service public de l'électricité doit donc être rendu aux usagers et à la nation. Il faut qu'il soit proche d'eux et que leurs représentants aient de vrais pouvoirs.

Telles sont, mes chers collègues, nos appréciations très critiques sur ce projet de loi. Cela étant, nous estimons qu'il est possible de le modifier dans le sens d'une remise en cause de la libéralisation du secteur électrique et d'un renforcement des atouts du service public de l'électricité, n'en déplaise à nos collègues de la droite.

C'est cette démarche qui nous a animés et qui se traduira dans les amendements que nous avons proposés à la discussion de la commission de la production et des échanges, et que nous soumettrons à l'examen et au vote de l'Assemblée. Il convient d'ailleurs de souligner que nombre d'entre eux ont été retenus par la commission de la production et des échanges.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est vrai !

M. Claude Billard.

Ils proposent notamment des mesures favorables aux plus démunis, avec l'instauration d'une tarification spéciale de l'électricité...

M. Alain Bocquet.

Très bien !

M. Claude Billard.

... et à la démocratisation du service public avec la création d'observatoires régionaux du service public et d'un observatoire national, comme l'a rappelé, avant moi, M. Borotra.

M. Franck Borotra.

Pas dans le même esprit !

M. Claude Billard.

Je pense aussi à un dispositif visant à restreindre la pratique du trading aux seuls producteurs, à la fixation d'un cadre contractuel de plusieurs années pour la fourniture d'électricité, aux limitations des obligations d'achat, ou encore à certaines dispositions sociales dans les accords professionnels, pouvant être complétées par des conditions statutaires plus favorables aux salariés.

Telles sont, mes chers collègues, nos appréciations, nos critiques, nos propositions. Bien évidemment, c'est à l'issue des débats et des votes de notre assemblée, et en fonction de l'attention que le Gouvernement aura portée à nos propositions, que le groupe communiste et apparentés se déterminera sur un projet de loi qui, en l'état, ne saurait recueillir notre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Micaux.

M. Pierre Micaux.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames - puisque, conformément au principe de la parité, nous comptons des dames dans notre assistance -, messieurs, ce projet de loi, par comparaison avec d'autres récemment examinés, et tout particulièrement avec l'un d'entre eux, relatif à l'aménagement du territoire, a été sérieusement étudié. Vous n'êtes pas trop mal entouré, monsieur le secrétaire d'Etat. Cela pourrait être mieux, mais ce n'est déjà pas mal.

M. Franck Borotra.

Le rang derrière le Gouvernement est ravi ! (Sourires.)

M. Pierre Micaux.

Mais son intitulé lui-même est porteur d'ambiguïté : « Modernisation et développement du service public de l'électricité. » On peut s'interroger

: que vous le vouliez ou non, que nous le voulions ou non, il y aura dès vendredi matin des consommateurs éligibles, 25 % cette année, puis 30 %, 35 % et plus. La moyenne en Europe est à 65 %, à 100 % en Allemagne. D'ores et déjà, les hostilités sont déclenchées : Usinor, par exemple, vient de céder sa centrale électrique à Air liquide au détriment d'EDF ; Ford, dans toute l'Europe, lance un appel d'offres pour tous ses sites ; Tractebel vient d'être doublé par RWE chez BASF, en Belgique. Pas besoin d'attendre vendredi : le coup est parti ; ça y est, consommateurs éligibles et grands négociants internationaux, nous y sommes ! Avec un peu de temps, et peut-être même plus vite qu'on ne le pense, le trading - pour ma part, je préfère parler de bourse, c'est plus français - arrivera chez nous : c'est pour demain. La preuve en est qu'il existe déjà des bourses énergétiques en Europe et bien évidemment aux Etats-Unis. Tout cela s'inscrit dans le cadre de cette mondialisation que nous ne pouvons éviter, même si nous sommes nombreux à la regretter. Qui plus est, la directive, que je sache, a été lancée par treize pays socialistes sur les quinze qui composent l'Europe.

M. Franck Borotra.

Personne ne l'avait remarqué !

M. Pierre Micaux.

Je referme cette petite parenthèse politicienne en réponse à mon prédécesseur.

Ce projet, par ailleurs, est bien évidemment cosigné par notre Premier ministre, M. Jospin, par notre ministre de l'économie et des finances, M. Strauss-Kahn, et par vous-même, monsieur Pierret. Et pourtant, vous ne vous réclamez pas du monde libéral ; vous appartenez, la chose est facile à déterminer, à la majorité dite plurielle. J'en déduis que votre projet, dans son principe, est hypocrite ; et Molière n'y renierait pas son personnage préféré, Tartuffe ! Hypocrite, votre projet reste en outre frileux. Il ne colle pas aux nécessités de demain. Que nous le voulions ou non, il y aura bel et bien deux services publics, ou plutôt un service public à deux vitesses : l'un pour les

« éligibles », l'autre, pour les « captifs ». Sur le plan de l'aménagement du territoire, nous avons bien des soucis à nous faire. C'est également fâcheux pour la péréquation : les petits usagers, les PME et les artisans auront probablement à supporter les conséquences d'une telle disparité de traitement.

Projet frileux également car il compromet la gestion de l'avenir. Vous ne prévoyez pas avant 2017 le renouvellement, fondamental, du parc nucléaire ; c'est très grave.

Aucun programme de recherche non plus n'est enclenché sur le réacteur de génération future, l'EPR.

Je note au passage avec satisfaction que les 12 milliards correspondant à la fermeture de Superphénix seront supprimés pour être « ristournés » sur le dos des producteurs privés. Dans le sens inverse, malheureusement, dans le but de satisfaire Mme Voynet, que vous aimez beaucoup plus que moi, le redémarrage de Superphénix n'est en aucune façon prévu. Cela aussi me paraît grave, grave pour la recherche, grave pour la protection de l'environnement, grave en termes de consommation du plutonium et de ses dérivés. J'aurais aimé, dans le cadre d'une politique énergétique globale, qu'un nombre plus important de centrales chargées en MOX soient prévu dans les années à venir. Notre ancien ministre, Robert Galley, qui connaît mieux le sujet que moi-même, opine bien évidemment du chef...

On a la mémoire courte, monsieur le secrétaire d'Etat.

Dois-je vous rappeler qu'en 1998, pour la première fois, mais ce ne sera malheureusement sans doute pas la dernière, la France jusqu'alors exportatrice, a été obligée d'importer de l'énergie électrique de l'extérieur, en particulier de Grande-Bretagne ?


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Ce projet, mal colmaté, ne prépare pas l'avenir. Trop frileux, je le répète, il ne m'étonne pas, malgré mon compliment en préambule, qu'il présente des caractères à bien des égards technocratiques : en matière de transport, élément fondamental du fait des droits de péage qui en découleront, EDF restera seule gestionnaire du réseau. Je serai de ceux qui se montreront très attentifs pour le cas où vous refuserez la mise en place d'une filiale pour assurer cette mission. En fait, comme le remarquait Franck Borotra, vous donnez l'impression d'avoir peur de la concurrence : une filiale aurait été à coup sûr le moyen de garantir la transparence qui sera probablement le principal thème de mon intervention.

Nous ne demandons pas, monsieur le secrétaire d'Etat, nous exigeons la séparation comptable réelle. Or, et ce n'est pas particulier à ce projet de loi, vous renvoyez à décrets, encore super-décrets, toujours décrets... (Sourires.)

Si ce n'est pas de la technocratie, on peut difficilement faire mieux ! Quand se décidera-t-on enfin à mener une politique vraie, transparente et pour commencer dans cette maison ? Manque de transparence encore pour les autres activités qui concourent directement ou indirectement à l'objet d'EDF : partout on assiste, je le constate actuellement chez moi à Reims, en Champagne-Ardenne, à ce jeu des subventions croisées que nous ne connaissons que trop, si préjudiciable à la survie de l'existence des PME et de l'artisanat.

Conjuguer service public et concurrence, est d'abord affaire de régulation. Par précaution, vous imposez de surcroît le statut des salariés Electricité et Gaz de France à toute la branche. Alors là, je dis non. Ce n'est pas pos-s ible. A l'époque de l'Organisation mondiale du commerce, vous introduisez implicitement de la nationalisation, vous imposez l'Etat dans les entreprises. D'autant que les acquis sont criants : retraite, 32 heures payées 37, 35 heures payées 39, 1 % sur le chiffre d'affaires... Peu de gens osent en parler ! Et les fameuses deux cents primes à Electricité et Gaz de France ? Je peux vous suggérer la deux cent unième : celui qui la trouvera en méritera une de plus ! Tout cela va à l'encontre de la compétitivité et de l'intérêt d'EDF dans sa lutte face à la concurrence. Il faut dire la vérité, même si elle peut choquer : EDF va pénétrer dans le monde de la concurrence sans s'en donner les moyens. Mais peut-être vaut-il mieux pour certains avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ! La question de la distribution enfin me laisse dubitatif.

Certes, pour rester objectif, il faut enregistrer avec satisfaction que le pouvoir des collectivités et des distributeurs non nationalisés est réaffirmé. La production décentralisée est encouragée pour les clients non éligibles. Le fonds d'amortissement des charges d'électrification est clairement reconduit. Le pouvoir a compris que la décentralisation était une nécessité dans le cadre de l'aménagement du territoire et du service public.

Reste cependant une interrogation sur ce qui au demeurant est un atout : les tarifs d'achat de la cogénération mériteront d'être précisés.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis sujet aux maux d'estomac : avec pas mal de bicarbonate, un tube entier dont tous nos amendements font partie, d'autant que vous serez contraint de revenir bientôt devant nous, nous pouvons espérer parvenir à lentement digérer votre projet.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes en train de discuter d'un projet de loi dont le titre est faussé.

Le libéralisme serait-il synonyme de modernisation ? Assurément non. Nous sommes ici pour transposer en droit français la directive européenne d'ouverture du marché de l'électricité. Or les inquiétudes que soulève la libé ralisation du marché de l'électricité sont nombreuses.

Ma conviction intime reste inchangée : la régulation par le marché n'est ni saine ni adaptée à la distribution d'un produit de première nécessité qui a besoin d'un traitement égalitaire et humanitaire pour participer au respect de la dignité et de la citoyenneté des individus.

Mme Muguette Jacquaint et M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

M. Yann Galut.

Ainsi, la question du mode de régulation est une question centrale. Il y a là un enjeu de pouvoir considérable, d'autant plus important que les décisions rendues par l'autorité de régulation auront une incidence particulièrement forte sur la vie et le fonctionnement d'EDF.

Dans ce cadre, l'exemple de la loi de réglementation des télécommunications et les premières décisions prises par l'autorité de régulation des télécommunications est édifiant. Censé être indépendant, cet aréopage de technocrates a émis depuis sa mise en place des décisions systématiquement défavorables à France Télécom pour faciliter la pénétration sur le marché des grands opérateurs privés !

M. Christian Cuvilliez.

Voilà du parler vrai !

M. Yann Galut.

On comprend dans ces conditions que tous les fanatiques de la déréglementation soient partisans de la reproduction à l'identique de ce schéma pour l'électricité ! L'organisation du marché intérieur de l'électricité ne peut, en aucun cas, précéder la définition d'une politique énergétique communautaire, pour l'heure inexistante, dont elle ne pouvait être que le vecteur, sous peine de déstabiliser les politiques nationales et leur dénominateur commun, à savoir l'indépendance énergétique.

Il est clair que la politique énergétique est une responsabilité éminente de l'Etat, par le fait même qu'elle repose largement sur des considérations de long terme que le marché est incapable de prendre en compte ; ce qui conduit à exclure toute régulation technocratique émanant de personnes autoproclamées indépendantes.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Yann Galut.

Les dispositions de la directive 96/92 adoptées par le Conseil et le Parlement européens, contraignantes à l'excès, n'ont pas clos le débat dans notre pays qui, privé de ressources énergétiques naturelles a, en quelque sorte, trouvé dans les ressources technologiques et industrielles, notamment le nucléaire, les moyens de garantir son indépendance énergétique et sa sécurité d'approvisionnement.

Cette indépendance fonde la capacité du pays de se développer dans la durée, de manière régulière et stable.

Elle permet au pouvoir politique de mener sa politique sans aggraver sa dépendance vis-à-vis de pays tiers ou les contraintes économiques qui limitent ses marges de manoeuvre.


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Dans ce domaine comme dans d'autres, le marché ne doit pas imposer ses choix au pouvoir politique.

Il n'y aura pas de développement durable et de sauvegarde de l'intérêt général si l'on ne confie pas aux autorités politiques le soin de décider les choix énergétiques au vu de l'intérêt général.

Mme Muguette Jacquaint.

Très bien !

M. Yann Galut.

A l'heure où les acteurs énergétiques vont se multiplier, il est fondamental que nous nous interrogions sur l'avenir du service public de l'électricité.

Comment une pluralité d'acteurs dans un marché de l'électricité concurrentiel pourrait-elle continuer à assurer un service public de l'électricité particulièrement performant ? Ce projet de loi qui ouvre le marché de l'électricité ne prend pas suffisamment en compte les exigences de développement, de rénovation, et de démocratisation du service public de l'électricité. De même, quelle garantie avons-nous que les grands principes du service public, f acteurs de cohésion sociale, soient respectés ? Une commission de régulation de l'électricité pour seule garantie dans les prochaines années, est-ce bien raisonnable ? Alors que la France connaît actuellement 400 000 coupures pour raison d'insolvabilité, il est légitime de s'inquiéter de la réalité du droit à l'énergie pour nos concitoyens dans les années qui viennent.

Ce projet de loi, en l'état, risque, à terme, de favoriser les intérêts privés au détriment de l'intérêt génér al. Je reste fidèle à la position des députés socialistes de 1993, qui dénonçaient, à propos de cette directive,

« un reniement du service public en particulier dans son principe d'égalité du traitement de tous les consommateurs ».

Oui, il faut préserver notre service public et républicain de l'électricité : celui qui aujourd'hui est apprécié par 93 % de la population ; celui qui assure l'indépendance énergétique de la France ; celui qui fait rentrer des devises dans notre pays en exportant ; celui qui assure la péréquation tarifaire. Cette directive est l'application concrète d'une Europe ultra-libérale que nous refusons. Pourquoi la dérégulation l'emporterait-elle sur l'intérêt général ? Nous allons entériner, une fois de plus, une avancée du libéralisme vers son objectif ultime : débarrasser pleinement la sphère économique de toute intervention politique des citoyens et de toute réglementation sociale : plus de citoyens, plus de responsables politiques, bref, plus rien qui puisse édicter des règles proclamant la primauté de l'intérêt général sur l'intérêt des plus rich es et des plus fortunés.

Alors que treize pays sur quinze sont dirigés par une majorité socialiste ou social-démocrate, pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, ne serait-il pas possible de renégocier cette directive libérale... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

Mme Muguette Jacquaint et M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Yann Galut.

... voulue par la droite en 1996 et que les socialistes européens et français ont toujours combattue ?

M. Jean-Claude Lefort.

Bien vu !

M. Yann Galut.

Beaucoup de parlementaires sont sensibles à ces arguments. Ils ont pourtant la conviction qu'il ne s'agit que d'un mauvais moment à passer et qu'il sera toujours temps de construire l'Europe sociale. Mais cette croyance ne résiste pas à la réalité des faits. Le libéralis me ne nous a pas habitués aux miracles sociaux.

M. Jean-Claude Lefort.

Jamais !

M. Yann Galut.

Nous ne pouvons cautionner la destruction d'un service public au nom d'impératifs de productivité souhaités par les libéraux. Il est temps d'inverser la tendance de cette Europe à privilégier les grosses entreprises au détriment des hommes.

Le traité d'Amsterdam n'a pas permis de le faire. Profitons de cette occasion qui nous est offerte de mettre concrètement en avant nos principes de construction d'une véritable Europe sociale.

Je resterai donc, monsieur le secrétaire d'Etat, attentif à la discussion qui commence et aux réponses que vous apporterez pour préserver l'avenir de notre service public de l'électricité.

(Appaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Jean-Claude Lefort.

Au secours, la gauche revient !

M. Jean Proriol.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, deux certitudes pour commencer : la transposition de la directive européenne du 19 décembre 1996 en droit français est incontournable, et nous sommes en retard - dans deux jours, nous serons en défaut.

Aussi, la question qui se pose vraiment aujourd'hui, c'est celle du contenu de cette transposition. A cet égard, deux positions s'affrontent. Pour les tenants de la loi de 1946 de nationalisation de l'électricité, texte sacré et quasiment intouchable à leurs yeux, le projet va trop loin.

Au contraire, pour les plus européens, et sans doute les plus libéraux, le projet est trop restrictif.

Entre ces deux voies, vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, le plus petit dénominateur commun, et opté pour l'ouverture minimum à la concurrence : vous l'avez dit hier, l'ouverture maîtrisée - très maîtrisée ! -, ouverture progressive - très progressive !

M. Pierre Ducout.

Très bien !

M. Jean Proriol.

Un jour ou l'autre, il faudra pourtant y revenir, et je prédis que dans les cinq ans la France va se trouver rapidement dépassée et accusée. Pourquoi ce retard, pourquoi le choix de cette voie étroite ? La réponse est simple : la majorité plurielle est fortement divisée sur ce projet. Et vous cherchez, monsieur le secrétaire d'Etat, depuis un an, une majorité pour le voter. Les manoeuvres ont fleuri, tantôt ouvertes, comme le rapport confié à notre collègue Jean-Louis Dumont, que certains devraient relire, tantôt discrètes, en coulisses, avec le Parti communiste, les Verts - très « anti-chauffage électrique », voire la CGT, syndicat dominant à EDF.

Ces négociations n'ont pas réussi à cette heure, d'où le vote négatif des élus communistes à la commission de la production et des échanges, jeudi dernier. Et l'habileté diplomatique reconnue, comme la compétence technique de notre rapporteur, n'y ont rien changé.

M. Pierre Ducout.

Mais si ! Vous n'avez pas bien suivi !

M. Jean Proriol.

La principale critique au projet tient en une phrase : vous offrez une course d'obstacles aux investisseurs potentiels et vous allez priver notre pays des nouvelles technologies productrices d'énergie.

Contrairement à la plupart des pays de l'Union européenne, qui ont d'emblée fait le choix d'une ouverture de leur marché électrique plus large que les exigences de la


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directive, vous vous êtes offert le luxe du « service minimum », juste pour, en théorie, ne pas mettre la France en infraction avec les règles de l'Union ! Autre originalité, et non des moindres : l'absence des mots « marché », « concurrence », « Europe », alors qu'il s'agit précisément de la directive communautaire du marché de l'électricité ! C'est-à-dire qu'il s'agit d'étendre à l'électricité les trois principes suivants : liberté d'établissement, libre circulation des marchandises et des services, libre concurrence. Et les amendements que nous avons déposés en ce sens n'ont évidemment pas été bien accueillis ! La France est le seul pays de l'Union européenne, avec le Portugal, à maintenir une planification électrique, relevant de la responsabilité du ministre en charge de l'énergie ; en outre, l'administration se voit accorder de nouveaux pouvoirs en matière d'autorisations et d'appels d'offres, et parallèlement, l'intervention des collectivités l ocales est considérablement réduite, interdisant aux municipalités de s'approvisionner librement au bénéfice de leurs administrés.

Les gages d'une saine concurrence sont aléatoires, tout le monde l'a dit. La commission de régulation de l'électricité - la CRE -, créée pour arbitrer la concurrence, comme le GRT, gestionnaire du réseau de transport, sont l oin d'être des autorités indépendantes. Jean-Louis Dumont l'a reconnu hier et a même fait quelques recommandations intéressantes. « La CRE doit se prémunir, dit-il, de tout procès en légitimité. »

Le monopole public demeure le gestionnaire du réseau de transport, sans que soit instituée une entité juridique autonome dotée d'une comptabilité séparée.

L'extension du statut particulier des agents d'EDF à l'ensemble des concurrents éventuels paraît difficilement compatible avec les règles de la concurrence. La meilleure preuve en est que, bien que prévue dans la loi de 1946, elle n'a été appliquée par aucun gouvernement. Même l'autonomie de gestion d'EDF est sérieusement encadrée dans le choix de ses investissements.

Et pourtant, EDF a fait ses preuves, par ses dirigeants successifs, par ses cadres, ses salariés, tant dans la technique de haut niveau - et je pense bien sûr au nucléaire que dans la gestion et dans le domaine social.

Bilan des opérations, le maintien de la singularité française va se payer très cher au propre comme au figuré : la compétitivité des entreprises sera entravée, le pouvoir d'attraction du territoire français pour les investissements internationaux s'en trouvera réduit, avec même, on l'a dit, un risque de délocalisation à nos frontières plus ouvertes, le tout, bien sûr, au détriment de la baisse des prix du kilowattheure, évidemment ! Or, qu'attendent nos compatriotes et parfois les plus démunis, ceux qui ont choisi le chauffage électrique ou ceux à qui le chauffage électrique, dans plus de deux millions d'HLM, a été imposé ?

M. Christian Cuvilliez.

C'est plutôt cela, en effet !

M. Jean Proriol.

Ils attendent un coût du kilowattheure moins élevé, comme ils ont obtenu un téléphone moins cher avec la transformation de France Télécom.

Mais au-delà de ces considérations générales, des problèmes plus particuliers et techniques se posent pour les collectivités locales.

Voyons d'abord - le nerf de la guerre - la question du financement des investissements. Nous reconnaissons que les dotations au fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, essentielles pour les syndicats départementaux d'électrification, ont été maintenues. Et le Gouvernement a été bien « éclairé » d'abandonner son idée de suppression de ce financement.

Le projet de loi doit renforcer les moyens des autorités concédantes de la distribution locale d'électricité. La loi du 8 avril 1946 leur faisait une large place, elle est maintenue : tant mieux ! En revanche, les collectivités locales n'ont pas été reconnues comme pouvant être des autoproducteurs. Et pourtant, elles sont à même de concilier l'ouverture du marché avec le respect des principes attachés au service public local, qui est leur raison d'être.

La future loi doit investir les autorités concédantes de moyens de contrôle et de sanctions efficaces. Il s'agit de veiller à ce que l'ouverture à la concurrence ne se fasse pas au détriment des petits et moyens consommateurs, qui doivent également disposer d'une électricité bon marché et de qualité.

En conclusion, le projet de loi préserve le service public à la française, qu'EDF assure avec efficacité.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges.

Très bien !

M. Jean Proriol.

EDF n'avait pas plus à craindre que France Télécom de la transposition d'une directive européenne.

M. André Lajoinie, président de la commission.

Ce n'est pas le même dossier !

M. Jean Proriol.

Opérateur mondial dominant et reconnu, elle avait tout à gagner, à l'international, d'une compétition ouverte et réciproque. Elle était même prête à l'accepter.

Le Gouvernement a fait un autre choix, politique, conciliant les composantes de sa majorité décidément trop plurielle.

Ce texte fait courir au Gouvernement, Franck Borotra l'a bien démontré, les plus grands risques, avec de futurs conflits et contentieux internes mais aussi européens.

Ce texte n'est pas social. Il n'est fait ni pour les petits consommateurs, ni pour les PME, qui ne seront jamais é ligibles à des tarifs préférenciels. Après les

« 400 familles », nous allons avoir les « 400 gros consommateurs privilégiés » ! Nous ne pourrons pas voter ce texte et nous laissons, entre les mains du Gouvernement et de sa majorité, ce

« pain baladeur de plutonium à l'air libre » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Ducout.

M.

Pierre Ducout.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en participant à l'examen de ce projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité, chacun d'entre nous a en tête des visions diverses et complémentaires du rôle de l'électricité, de la perception du service public de l'électricité et du rôle, de l'histoire et de l'avenir de l'entreprise publique EDF.

Ces visions peuvent être la desserte par EDF du township de Khayelistsha à Johannesburg, la toile d'araignée des branchements sauvages à Hô Chi Minh-Ville, une ligne s'enfonçant dans la forêt pour desservir une ferme isolée au fin fond des Landes. L'homme du génie civil que je suis se rappelle aussi l'épopée de l'hydraulique


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française ou du nucléaire, et pense aujourd'hui au démantèlement de la centrale des monts d'Arrée de Brennilis comme au projet de l'EPR. Il ne peut oublier, dans le cadre européen, le problème posé par le refus par le gouvernement Juppé de la liaison électrique France-Espagne par le val Louron dans les Pyrénées, décision néfaste et politicienne.

E n France, les besoins ont beaucoup évolué depuis 1946. EDF, entreprise nationale, a su allier adaptation aux besoins, amélioration du service rendu aux clients et exigences de compétitivité, grâce à une très forte motivation du personnel, par un ensemble de technicité, de formation permanente et de politique de promotion interne.

Nous avons aussi en tête les capacités de mobilisation et de dévouement de ce personnel dans les cas d'urgence où des tempêtes ont pu priver d'électricité plusieurs centaines de milliers de foyers pendant de longues journées.

Il y eut également l'approfondissement des relations avec les collectivités locales dans le cadre d'un dialogue constructif, en particulier depuis les lois de décentralisation.

Dans notre pays, avec en outre les engagements de baisse de tarif, de politique publique de maîtrise et d'économie d'énergie, EDF peut être considérée comme le symbole de la réussite d'une grande entreprise publique assurant le service public avec dynamisme, équité et solidarité. On ne voit pas pourquoi des entreprises privées, susceptibles d'ailleurs d'évoluer vers des positions d'oligopole, apporteraient de meilleures conditions d'adaptabilité, de rapport qualité-prix, et seraient, à même d'assurer un niveau d'indépendance énergétique dans des conditions de sécurité indispensables.

Le système en vigueur pour l'eau et l'assainissement, même s'il n'est pas à rejeter totalement, ne peut certainement pas servir de modèle pour l'électricité.

La France est néanmoins un cas isolé dans une Europe où, dans la plupart des pays, l'intervention de l'Etat a été moins forte avec des fonctionnements de type fédéral et un environnement libéral dominant.

C'est ainsi qu'a été préparée la directive européenne sur l'électricité, adoptée en décembre 1996, et que nous n'avions pas approuvée en son temps.

Aujourd'hui, cependant, force nous est de considérer qu'il ne serait pas de notre intérêt politique global d'essayer de renégocier cette directive et que nous pouvons utiliser au maximum toutes les possibilités de souplesse qu'elle nous offre et qui nous permettent en particulier, dans le cadre du principe de subsidiarité, de prendre en compte la notion de service et d'intérêt public, de définir au niveau national les exigences du service public, d'arrêter une politique énergétique et une programmation pluriannuelle des investissements de production, de conserver une entreprise publique intégrée au niveau production-transport-distribution, de conserver et d'étendre à l'ensemble des acteurs le statut du personnel des industries électriques et gazières, d'ouvrir a minima la part des clients dits éligibles.

J'ai vu avec satisfaction que les organisations syndicales sont arrivées aujourd'hui aux mêmes conclusions.

Il faut souligner, enfin, qu'une réelle concurrence existe déjà avec, en particulier, le choix pour les industriels, comme pour les particuliers, en ce qui concerne le chauffage, entre plusieurs énergies et spécifiquement entre le gaz et l'électricité.

M.

Alain Cacheux.

Très bien !

M. Pierre Ducout.

Ainsi, avec l'obligation de la transposition, pour ne pas mettre EDF en difficulté dès le 20 février au matin, le projet de loi que nous présentons assure l'approfondissement du service public et positionne EDF pour demeurer un atout pour la France en étant un des premiers énergéticiens mondiaux.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Pierre Ducout.

Ce projet de loi a fait l'objet d'une très large et très complète concertation qu'il faut saluer.

Pour notre part, dans le cadre de l'Assemblée nationale, tant au niveau du groupe d'étude sur l'énergie, de la mission d'information sur l'énergie qu'en liaison avec notre rapporteur, nous avons auditionné à de nombreuses reprises tous les partenaires, entreprises, syndicats, représentants des collectivités et commissaires européens.

La commission de la production et des échanges a fait un excellent travail de préparation et, dans un deuxième temps, d'examen du texte du Gouvernement. Elle a retenu de nombreux amendements, émanant d'ailleurs de toutes les sensibilités, grâce auxquels le texte a gagné en qualité et en clarté, et qu'il serait souhaitable que notre assemblée adopte.

Je voudrais, pour ma part, insister sur différents domaines où le groupe socialiste a présenté des amendements, rejoignant pour beaucoup les préoccupations de l'ensemble de la gauche plurielle.

M. Daniel Marcovitch.

C'est vrai !

M. Pierre Ducout.

Rappelons d'abord les objectifs de niveau général : la sécurité d'approvisionnement, l'indépendance énergétique nationale, la protection de l'environnement, qui peut passer aussi bien par la qualité de l'air, par la qualité des paysages avec l'enfouissement des lignes, que par la réduction des gaz à effet de serre.

Quant aux objectifs en direction de tous les citoyens, ce sont : la continuité du service, l'universalité, l'adaptabilité, l'égalité de traitement pour tous avec la péréquation tarifaire, la recherche du meilleur coût.

Il faut, en outre, instituer un droit à l'énergie pour tous, droit à l'électricité pour tous, au même titre que le droit à la santé et le droit au logement.

Un certain nombre d'avancées ont déjà eu lieu pour éviter les coupures de compteur, pour prendre en compte les factures de l'électricité. EDF assure aux clients démunis, en attendant l'intervention des services sociaux, une puissance minimale au compteur de 1 kilowatt pour tous et de 3 kilowatt pour les familles chauffées à l'électricité.

La fourniture minimale d'énergie sera fixée par décret, en parallèle avec le dispositif de la loi sur le revenu minimum d'insertion pour assurer la cohésion sociale, dans l'objectif de la maîtrise de la demande d'électricité. A ce propos, je voudrais insister sur le fait qu'il ne faut pas diaboliser systématiquement le chauffage électrique pour les logements. Celui-ci, associé à une bonne isolation, est une bonne solution, en particulier pour les logements neufs. L'opération Vivrélec d'EDF dans un but de confort, d'économie et de conseil s'inscrit dans ce cadre.

Ce droit à l'électricité pour tous pourra être approfondi encore dans notre discussion.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est la création, à côté d'autres fonds qui demeurent, d'un nouveau fonds des charges d'intérêt général de l'électricité. Nous proposons que ce fonds prenne aussi en compte les surcoûts dans le domaine de la recherche, du développement et de la programmation pluriannuelle, même si nous comprenons que des industriels autoproducteurs puissent


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s'inquiéter des charges supplémentaires que pourrait représenter, dans la compétition internationale, leur participation à ce fonds, mais sans oublier que nous avons récemment baissé, pour eux, la part de taxe professionnelle.

La directive donne aux Etats la possibilité de définir une programmation sur le moyen et le long terme de la production. Cette « programmation pluriannuelle des investissements de production » sera de la responsabilité de l'Etat, sous le contrôle du Parlement qui établira des lois d'orientation sur l'énergie, en précisant ses objectifs, tous les cinq ans, ou à chaque renouvellement, ou tous les trois ans - ce que nous demandons pour notre part.

Cette programmation devra tenir compte d'une politique de maîtrise de l'énergie, de la diversification énergétique avec la place des énergies renouvelables, de la cogénération, des obligations et du prix lié aux engagements de Kyoto sur l'effet de serre, tout comme elle devra tenir compte de la sécurité et de l'indépendance énergétique.

Le principe de précaution passe certainement par l'inscription dans ce cadre de la possibilité de réaliser rapidement un réacteur de nouvelle génération, l'EPR, même si la demande à court terme ne l'impose pas. C'est le sens d'un de nos amendements à l'article 6.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Pierre Ducout.

La programmation de production devra également tenir compte des impératifs d'aménagement équilibré du territoire, comme de l'impact en termes d'emplois. Rappelons, à ce propos, que l'avancée actuelle de l'Europe pour avoir une politique coordonnée de création d'emplois est un acquis de l'action du Premier ministre qu'il faut conforter. Le système des autorisations de production sera la règle courante, le système des appels d'offres n'étant pas écarté.

Le gestionnaire du réseau de transport exerce son activité pour être conforme à la directive, tout en restant au sein d'EDF, ce qui pour nous est capital afin de conserver une entreprise intégrée.

Le rôle de la commission de régulation de l'électricité est défini d'une manière satisfaisante dans un amendement du rapporteur. Elle doit avoir tout pouvoir de suivi, de contrôle et de sanction, mais ne doit pas interférer avec les prérogatives qui sont celles du Gouvernement.

La place des collectivités locales doit être confortée en tant qu'autorité concédante pour la distribution, sans qu'elles puissent être classées comme client éligible. La péréquation tarifaire étant affirmée, les collectivités loca les doivent pouvoir négocier les contrats de concessions pour assurer la meilleure qualité de la fourniture, donner un avis sur les réorganisations fonctionnelles d'EDF pour assurer la qualité de la maintenance et peser en faveur de la présence des services publics, en particulier dans les quartiers difficiles.

La qualité de l'environnement avec l'enfouissement des lignes, les conseils apportés par EDF, en particulier dans le cadre de la procédure dite Dialège, vont ainsi dans le bon sens.

La place et le rôle des syndicats départementaux d'électricité et des régies ont été bien précisés avec les amen dements retenus par la commission.

Pour les collectivités locales enfin, les obligations d'achats, en particulier pour la valorisation électrique de l'incinération, même si celle-ci ne doit concerner que 50 % des déchets, doivent être maintenues comme pour les cogénérations. Rappelons ici qu'il faut limiter ces obligations d'achat pour les grandes cogénérations, réalisées par de grands groupes industriels.

Dernier point, le rôle et la place d'EDF. Un amendement complet du rapporteur les a bien définis par l'ouverture du principe de spécialité. C'est pour nous le point principal qui rendait nécessaire cette loi avec le droit à l'électricité pour tous.

EDF est l'entreprise publique qui porte le service public de l'électricité en conservant son caractère intégré.

Les possibilités de conseil aux clients non éligibles s'inscrivent en complément du rôle primordial des PME pour la vie économique locale et l'emploi. La possibilité d'apporter une offre globale aux clients éligibles permettra à EDF de concourir à armes égales avec des concurrent privés. Toute liberté lui est offerte pour agir au niveau international.

En matière économique, il faut qu'EDF dispose de tous les atouts dans une concurrence internationale qui sera rude, qu'elle maîtrise tous les process en assurant une veille technologique permanente - charbon propre, cycles combinés au gaz, énergies renouvelables et EPR -, qu'elle ait un positionnement commercial fort par rapport aux intervenants mondiaux qui ont des surfaces financières du même ordre, voire plus importantes, et qui interviennent déjà dans toute la palette des services en réseaux.

Le dynamisme, l'engagement du personnel, le consensus social au sein de l'entreprise doivent rester un atout capital de l'entreprise.

D es questions se posent cependant encore, sur lesquelles il faudra être très vigilant.

Les impératifs de la compétitivité ne signifieront-ils pas une baisse de la qualité du service dans les zones rurales peu peuplées ? Quelle politique de trading, limitée par ailleurs pour les producteurs, peut mener EDF, sans que cela se fasse au détriment de l'appel à des unités existantes en France dont la rentabilité est moindre, avec l'impact qui en résulte en termes d'emploi ? Il ne faudrait pas, par ailleurs, que la durée des contrats de fournitures des clients éligibles soit trop courte, leur permettant de profiter d'effets d'aubaine et de faire appel à EDF en complément. Nous avons retenu trois ans en commission ce matin, à l'initiative de M. Billard.

M. le président.

Je vous invite à conclure, monsieur Ducout.

M. Pierre Ducout.

En conclusion, dans ce projet de loi, c'est bien de modernisation et de développement du service public d'électricité qu'il s'agit, avec la confortation du service public, le droit à l'électricité pour tous, des moyens nouveaux donnés à l'opérateur public qu'est EDF.

Même si, devant l'ouverture, certes limitée, à la concurrence, nous comprenons l'inquiétude légitime des personnels d'EDF, nous assurons le maintien intégral du statut et savons que l'engagement et la qualité de ces personnels, la culture d'entreprise, sont les premiers atouts d'EDF.

Nous donnons les moyens à EDF, entreprise publique, dont nous sommes tous très fiers, d'être le premier énergéticien en Europe et de prendre une place prééminente au niveau mondial. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Galley.

M. Robert Galley.

Monsieur le président, monsieur les ecrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais commencer cet exposé par une série de constats.


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La loi de nationalisation du 8 avril 1946 a permis à notre pays de consacrer une part notable des ressources de la nation à reconstruire un outil de production et un réseau de distribution de l'électricité ravagés par la guerre.

C'était une bonne loi.

M. Christian Cuvilliez.

Absolument !

M. Robert Galley.

A la fin des années soixante, la consommation nationale d'électricité doublait tous les huit ans, l'indépendance énergétique était tombée à moins de 30 % et le gouffre d'un déficit du commerce extérieur, menaçant la solidité du franc, se creusait jour après jour. La commission Péon a alors pris l'initiative heureuse de lancer un programme de réacteurs à eau légère. Quelques années plus tard, pouvait démarrer le plan Messmer en plein drame du premier choc pétrolier.

L'adhésion de l'Electricité de France à ce plan reposant sur la généralisation de l'électricité d'origine nucléaire e t les efforts déployés par les industriels français comme par le personnel de l'EDF ont été décisifs pour assurer ce grand succès national que nous constatons aujourd'hui.

M. Pierre Carassus.

Il ne fallait pas y toucher !

M. Robert Galley.

Pauvres en énergie fossile, nous a vons aujourd'hui l'équivalent d'une production de 1980 millions de tonnes de pétrole brut par an, sans tenir compte du surplus de devises apportées par l'exportation.

Pour ne citer qu'un chiffre que j'emprunte au rapport que M. Bataille et moi-même avons sorti ces jours-ci,...

M. Alain Cacheux.

Excellent rapport !

M. Robert Galley.

... nous avons fourni en 1997 près de 6 % de l'énergie électrique consommée par le Royaume-Uni.

Autre fait indiscutable : si, dans le secteur résidentiel, le prix du kilowattheure est parmi les moins chers des grands pays européens, il est, en revanche, placé au premier rang pour l'électricité fournie à l'industrie. Seule la Grèce, en Europe continentale, avait en 1997 un prix légèrement inférieur, ce qui, tout le monde le reconnaît, constitue un atout essentiel pour la compétitivité de notre économie.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Robert Galley.

Mais la France est partie intégrante de l'Europe et elle ne peut concevoir son destin que dans cette Europe à quinze aujourd'hui, peut-être à dix-huit ou vingt demain.

De ce grand marché, nous tirons tous les jours des avantages considérables, mais nous devons en accepter les règles. C'est ainsi que la France s'est engagée à libéraliser le marché de l'électricité, au nom du principe de concurrence, principe fondateur de l'Union. La date limite de transposition de la directive dans notre droit interne est le 19 février. Il est bien tard, monsieur le secrétaire d'Etat.

Le 19 février, c'est après-demain.

M. Alain Cacheux.

Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

M. Robert Galley.

Dans sa nature et sa formulation, le texte de cette directive est profondément différent du projet initial de la Commission. Il a fallu toute la volonté du gouvernement Juppé, toute la pugnacité et l'habileté de M. Borotra, pour bouleverser le contenu de la directive.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Sans lui, et une volonté fermement exprimée, nous n'aurions jamais pu obtenir de nos partenaires qu'ils reconnaissent à l'électricité une vocation de service public, notion dont nombre d'entre eux sont fort éloignés. Sans lui, le principe de subsidiarité, sur lequel reposent la plupart des articles de votre projet de loi, n'aurait certes pas été affirmé pour permettre à l'exception française de se matérialiser.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Robert Galley.

J'ajouterai à tout cela la possibilité pour le secteur de l'électricité d'instaurer un régime de concurrence progressif et maîtrisé.

Or votre projet s'éloigne délibérément de l'objet premier de la directive européenne, qui est d'instaurer dans le domaine de l'électricité, comme dans toutes les activités économiques, un régime de libre concurrence.

Vous avez utilisé, article après article, toutes les possibilités offertes pour éviter dans la réalité des faits d'ouvrir la concurrence. Vous avez choisi d'entrer à minima dans le dispositif, et, à dire vrai, je suis moins sûr que vous que les dispositions habiles que vous avez prises pour sauvegarder le monopole d'EDF seront approuvées, comme vous le dites, par la Commission et les autorités juridiques et je me demande si votre transposition ne laisse pas ouvertes des possibilités nombreuses de contestations et de contentieux, en particulier sous l'angle de l'abus de position dominante.

Je prendrai, pour illustrer mon propos, le problème des tarifs auxquels, par obligation d'achat, Electricité de France doit racheter les productions d'électricité des producteurs indépendants. M. le président Roussely nous a répondu sèchement en commission qu'il n'avait pas à subventionner les concurrents.

M. Alain Cacheux.

C'est normal !

M. Robert Galley.

Soit, mais alors il faut que l'organisme chargé de fixer les tarifs soit parfaitement et totalement indépendant, que l'organe de régulation ait les pleins pouvoirs et ne soit pas une filiale déguisée d'EDF plus ou moins contrôlée.

Quand on ouvre à la concurrence, il faut certes s'entourer de garanties pour ne pas dégrader la qualité du service public, j'en suis d'accord, et le maintien de l'autorité de l'Etat sur la programmation pluriannuelle des investissements de production est une bonne disposition.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Robert Galley.

Elle permettra notamment une certaine diversification par le recours à des sources d'énergie différentes du nucléaire, réservé, lui, à l'électricité de base.

Cette diversification est souhaitable pour nos entreprises, pour leur permettre d'avoir une référence sur le sol national, comme d'ailleurs pour Electricité de France ellemême, lorsque notre grande entreprise nationale se placera sur les marchés étrangers.

Il faut aussi que l'organe de régulation ait pleins pouvoirs pour s'assurer que la séparation comptable est rigoureuse et que les subventions croisées sont impossibles, ce qui ne me paraît nullement résulter de l'étude de votre texte. Comme M. Dumont l'a d'ailleurs affirmé, il faut que la commission de régulation soit pourvue de moyens d'expertise et de contrôle réels, mais aussi, grâce à son indépendance, d'un réel pouvoir d'arbitrage et de sanction. La discussion des amendements nous permettra, je pense, de préciser ce point fondamental.

Un autre point qui me paraît essentiel est l'extension à l'article 43 du statut des agents de l'EDF aux entreprises devant intervenir sur le marché de l'électricité. Vous la


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présentez comme une mesure devant contribuer à rendre égale la concurrence entre elles et l'entreprise publique.

Or EDF admet que le statut représente un surcoût de 40 % par rapport aux salaires privés. Cette disposition à elle seule est susceptible d'être un obstacle à l'installation de concurrents, ou, plutôt, on verra ces mêmes entreprises s'installer de l'autre côté de nos frontières et venir dans des conditions autrement redoutables concurrencer sur notre sol notre grande entreprise nationale.

M. Arnaud Lepercq.

Tout à fait.

M. Pierre Carassus.

Il ne fallait pas faire l'Europe !

M. Robert Galley.

Alors, je m'interroge. Pourquoi tant de craintes, pourquoi tant de restrictions, tant d'obstacles à cet effort de libéralisation ? Pourquoi craindre sur notre sol cette concurrence, alors que nous sommes tous heureux qu'EDF ait un prix de revient du kilowattheure inférieur à celui de ses concurrents ? Pourquoi avoir peur de l'avenir (Exclamations sur les bancs du groupe communiste) alors que la perspective d'avoir dans quelques années des centrales amorties et en pleine activité productive va donner à Electricité de France à la fois des possibilités de baisser les tarifs et des ressources considérables.

M. Jean-Claude Lefort.

C'est une entreprise qui marche.

M. Robert Galley.

Pourquoi prendre le risque de voir nombre de frontières se fermer par voie de rétorsion quand les étrangers, nos voisins et partenaires de l'Union, verront s'accumuler devant eux les règlements, les autorisations délivrées au compte-gouttes, les sujétions de tous ordres ? Quant à nous, nous avons confiance dans les formidables capacités des dirigeants, des ingénieurs et des agents d'EDF, première entreprise européenne. Nous voulons qu'elle soit susceptible de partir à la conquête du monde pour donner du travail à nos entreprises et un avenir à notre jeunesse. Ce n'est pas en luttant pied à pied pour maintenir à tout prix le monopole pour des considérations d'un autre âge que nous y arriverons.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Robert Galley.

Comme le disait Franck Borotra, lui qui a signé la directive alors que vous, messieurs de la majorité, vous ne l'aviez pas fait, votre texte n'est pas acceptable en l'état parce qu'il est trop éloigné de l'esprit même de la directive.

Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai commencé à travailler moi-même avec et pour l'Electricité de France à Marcoule au milieu des années cinquante pour promouvoir l'électricité d'origine nucléaire sur la première centrale, celle de G1, et je peux par conséquent, peut-être mieux que beaucoup d'autres, mesurer le chemin parcouru.

Mettons toutes les chances du côté de notre grande entreprise nationale, dont nous sommes fiers, pour que l'on dise dans dix ou quinze ans qu'en 1999, nous avons bien travaillé pour assurer sa prospérité. Ce n'est certes pas en « surprotégeant », en ouvrant l'électricité à une concurrence régulée que nous y parviendrons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'a dit Henri Guaino, ancien délégué général au Plan, si l'Etat a choisi d'exercer certaines activités, c'est parce qu'il a considéré moralement qu'elles devraient s'adresser au citoyen plutôt qu'au consommateur.

Comment ne pas souligner que le service public EDFGDF est plébiscité par l'opinion publique pour ses performances, son organisation, l'égalité et le rôle social qu'il assure ? Alors oui, refonder le service public de l'énergie en France et en Europe, en tenant compte de nouvelles exigences, le partage des coûts, notamment de recherche, la préservation de l'environnement, c'est bien entendu la volonté des députés communistes, mais nous devons y ajouter un contrôle accru par les citoyens, un véritable rôle de lutte contre la précarité et l'exclusion, en mettant en place une tranche sociale gratuite pour les plus défavorisés s'ajoutant à l'aide envisagée par la direction d'EDF envers les plus démunis.

C'est pourquoi le chemin qui serait emprunté avec l'adoption de la transposition de la directive nous inquiète. Quand on ouvre les segments rentables à la concurrence, cela se répercute forcément sur les comptes de l'entreprise, associant le non-rentable, entreprise que l'on s'apprête sans doute à accuser demain d'être mal gérée.

S'il n'y a plus de possibilité de compensation interne, c'est, à terme, l'éclatement de la péréquation tarifaire, c'est l'opacité assurée. C'est la loi des dividendes qui s'impose.

En 1995, le Président Mitterrand était venu inaugurer un équipement public à Bourges et j'ai retrouvé avec un certain bonheur, je dois l'avouer, ce qu'il déclarait alors :

« Il était à la mode il y a quelques années de dénigrer l'Etat et le service public. On commence à en revenir.

Par exemple sait-on les dégâts provoqués des deux côtés de l'Atlantique par le désengagement de l'Etat, le démantèlement des services publics ? Cela a abouti ici et là à la montée de l'exclusion et de la pauvreté, c'est-à-dire des fractures sociales. »

De fait, ce que la directive tente d'imposer avec l'ouverture progressive du marché des gros consommateurs, c'est la mise en oeuvre du fameux service universel qui, comme on le dit désormais, est au service public ce que le RMI est au salariat.

Comme il faut des exemples concrets et caractéristiques, comment ne pas s'arrêter sur le cas d'un pays phare du libéralisme qui a été abondamment cité ici, le Royaume-Uni ? En 1990, Mme Thatcher privatise et démantèle le système électrique britannique, nationalisé en 1947, afin d'introduire le sacro-saint principe de la concurrence. Bilan : les tarifs de l'électricité ont baissé, de 15 % en dix ans, de façon très inégale d'ailleurs, mais moins vite qu'en France où ils ont baissé de 20 %, dans un plus grand respect de l'égalité des citoyens.

M. Franck Borotra.

Ils étaient plus élevés chez nous !

M. Jean-Claude Sandrier.

Au total, quelle belle démonstration, le prix de l'électricité publique en France reste beaucoup moins élevé que l'électricité privée britannique. Monsieur Galley, on ne change pas une équipe qui gagne ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)

M. Arnaud Lepercq.

Il faut dire ça à Voynet !

M. Jean-Claude Sandrier.

Les effectifs ont diminué de 40 % en Grande-Bretagne, le service aux usagers s'est dégradé et le Gouvernement a dû intervenir plusieurs fois pour maîtriser et subventionner les dépenses publiques.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

Toutefois, il n'y a pas que de perdants, tout le monde le sait. Les bénéficiaires, entre autres, ce sont les clients éligibles, gros consommateurs, au détriment des clients captifs, les usagers.

En fait, comme le disait un conseiller d'Etat lors d'un colloque sur l'énergie en septembre dernier, le discours de Bruxelles se limite à un syllogisme du type : la loi c'est le marché, or le service public est en dehors du marché, donc le service public est hors la loi. C'est ce qui a conduit à des choix uniquement dictés par les tenants du libéralisme, par ceux qui n'ont pour horizon que la progression des dividendes des actionnaires.

M. Jean-Pierre Brard.

Eh oui !

M. Jean-Claude Sandrier.

A l'heure où les groupes financiers gangrènent les activités économiques, le service public a la spécificité remarquable de placer l'individu, le citoyen avant toute autre considération. C'est cela qu'il nous faut préserver et même amplifier. C'est dans cet esprit que les députés communistes abordent ce débat, débat qui conditionnera notre vote final. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Martin.

M. Christian Martin.

Monsieur le secrétaire d'Etat, la directive européenne nous a fait prendre conscience du fait que l'industrie de l'électricité a deux composantes : tout d'abord, la fourniture proprement dite de l'électricité, qui est une activité commerciale ; il s'agit de la production et de la commercialisation ; l'ouverture à la concurrence porte sur cette fourniture ; ensuite, l'acheminement de l'électricité par les réseaux, qui est une activité de monopole naturel : il s'agit du coeur même du service public ; certes, l'ouverture à la concurrence ne porte pas sur les réseaux, mais elle les concerne indirectement.

Les réseaux, c'est-à-dire le service public, et plus particulièrement le service public concernant les petits et les moyens consommateurs, autrement dit les plus nombreux, intéressent au plus haut point les collectivités locales.

Je voudrais insister sur le caractère local de ce service public. Bien sûr, à l'exception de quelques régies, la distribution est exécutée par une entreprise nationale : EDF.

Toutefois, l'autorité organisatrice est une collectivité locale.

Les réseaux à moyenne ou basse tension appartiennent aux collectivités locales. Leur longueur totale est de 1 260 000 kilomètres, soit 90 % de la longueur globale des réseaux électriques en France. Les autres lignes sont à haute ou très haute tension et elles constituent le réseau de transport, propriété d'EDF.

Des milliers d'élus locaux spécialisés animent les collectivités concédantes de la distribution d'électricité.

La transposition en droit interne de la directive a pour objet principal d'ouvrir à la concurrence la fourniture d'électricité mais non le réseau. Cependant, elle a des conséquences sur le ce dernier du fait de l'accès des tiers, donc sur le rôle des collectivités locales concédantes. Il est par conséquent indispensable que les attributions de ces collectivités soient renforcées par la loi que nous examinons. Il faut en effet que, malgré l'inévitable développement de la logique d'entreprise à EDF, la distribution d'électricité reste un véritable service public.

Permettez-moi de citer à ce sujet quelques-unes des inquiétudes qu'expriment les élus de terrain qui représentent les citoyens consommateurs d'électricité dans les collectivités concédances.

Je ferai d'abord observer que, avant même la transposition de la directive, le prix de l'électricité a baissé en France, comme d'ailleurs dans d'autres pays européens.

Mais la future organisation électrique favorisera-t-elle aussi, de manière naturelle, le développement de la qualité ? Dans un contexte de forte concurrence, la question est en effet de savoir quel sera le meilleur moyen pour permettre à EDF de gagner des parts de marché et d'accroître ses résultats financiers : la réduction des prix ou l'augmentation générale de la qualité ? Le risque est grand, si la loi est mal faite, que la qualité ne progresse plus, voire régresse, sur une grande partie du territoire national.

En fait, la logique du système fera que, ici ou là, dans les zones non rentables - certaines banlieues et des zones rurales - la qualité reculera et que, en conséquence, le nombre de nos concitoyens mécontents du service public s'accroîtra.

Il est nécessaire de relever ces nouveaux défis que constitueront pour les segments de clientèles non rentables la défense de la qualité du courant, la diminution des coupures et des chutes de tension, la qualité du service, l'accueil du public, la facturation, la préservation de l'environnement, notamment visuel.

Pour que la qualité continue de s'adapter à l'évolution des besoins et que ne soient délaissés aucun secteur géographique ni aucun segment de clientèle, il est donc nécessaire que la future loi attribue réellement aux collectivités concédantes des moyens de contrôle et de sanction efficaces. Le projet de loi va dans ce sens, mais parfois de manière trop timide.

J'espère aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un des décrets prévus à l'article 17 ira en ce sens. Je souhaite surtout qu'EDF n'attende pas la parution de ce décret pour accepter, dans des avenants aux contrats locaux de concession, des mesures de nature à améliorer la qualité pour répondre aux attentes légitimes des usagers. Les collectivités locales concédantes y sont prêtes.

J'aborderai maintenant l'enjeu de la sécurité.

Les élus locaux sont très sensibles aux questions de sécurité. Les agents qu'ils mandatent comme autorités concédantes pour expertiser la qualité du service effectuent le contrôle technique des réseaux et, dans ce cadre, ils vérifient que les lignes et les postes de transformation ne présentent pas de danger pour le public. Par exemple, ils sont chargés de détecter et signaler à EDF les lignes vétustes et les conducteurs mal isolés. Malgré une forte culture technique à EDF, de tels problèmes existent toujours, mais, heureusement, ils sont rapidement résolus, n otamment grâce aux interventions des collectivités concédantes.

Cette situation sera-t-elle toujours la même demain ? La recherche de la rentabilité financière, liée à la nécessi té d'abaisser les tarifs, conduira à coup sûr EDF à réduire encore ses coûts dans un proche avenir. La culture technique d'EDF pourrait donc s'effacer en partie devant une logique essentiellement financière. Par conséquent, il est à craindre que, sans contre-pouvoir public suffisant et nécessairement local, EDF ne soit tenté de réduire certains investissements et des opérations de maintenance.


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Pour assurer un niveau satisfaisant de sécurité, il est donc crucial que la loi attribue aux collectivités concédantes des moyens nouveaux d'intervention qui seront utilisés en cas de manquement d'EDF dans le domaine de la sécurité. Cela nous renvoie encore à l'article 17.

Je terminerai mon intervention en évoquant le point délicat de la régulation.

La solution envisagée d'une régulation multiforme et décentralisée, partagée entre les ministres, les collectivités concédantes, le conseil de la concurrence et la commission de régulation me semble une bonne solution.

Cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, permettezmoi d'être inquiet pour ce qui est de l'articulation entre les niveaux national et local de cette régulation. Je crains que les articles 17 et 35, en particulier, ne conduisent à une centralisation excessive. Je le répète, la distribution aux petits et aux moyens consommateurs est un service collectif de proximité pour lequel l'intervention à titre prioritaire d'une instance nationale serait dangereusement inadaptée. Une telle recentralisation n'est plus de mise. Il faut que les élus locaux continuent à posséder de réels pouvoirs sur ces questions locales.

Je souhaiterais être rassuré sur ce point. D'abord, il est indispensable que les décrets prévus pour l'article 17 ne soient pris que dans le cas où les collectivités concédantes n'arriveraient pas à s'entendre avec EDF dans le cadre d'avenants aux contrats de concession, intervenant dans un délai acceptable - dix-huit mois au maximum.

Confirmez-moi aussi que la commission de régulation ne décidera pas, à la place des collectivités concédantes, des règles locales du service public dans le domaine particulier des lignes basse et moyenne tensions, pour des questions telles que l'environnement ou la participation financière des demandeurs d'extension à basse tension.

Je terminerai mon intervention en évoquant le réseau de transport appartenant à EDF. Le bon sens commande que le gestionnaire de ce réseau soit indépendant de tout fournisseur d'électricité. Or cela ne sera pas le cas avec le texte qui nous est présenté. Par conséquent, si ce projet de loi était voté en l'état, on peut parier que son application ferait l'objet de nombreuses critiques formulées tant par les utilisateurs du réseau que par les autorités de la concurrence. En fait, ce serait rendre mauvais service à EDF.

Au contraire, s'il y avait une véritable transparence, le nouveau système pourrait donner satisfaction. Une solution consisterait par exemple à fidéliser le transport.

M. le président.

Pourriez-vous conclure, monsieur Martin.

M. Christian Martin.

Je conclus, monsieur le président.

Quelle est la volonté du Gouvernement de garantir une véritable transparence permettant aux élus locaux d'y voir clair, d'avoir les moyens d'agir et ainsi de conforter la décentralisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la transposition de la directive sur l'électricité marque le franchissement d'un nouveau palier dans la construction européenne libérale qui tend à soumettre à la concurrence tous les biens marchands, quelle que puisse être leur importance stratégique ou sociale. Il est bon de rappeler que les différents partis de l'actuelle majorité avaient, lors de l'adoption de cette directive, vigoureusement critiqué sa conception consumériste et libérale.

Pour justifier sa volonté d'ouvrir à la concurrence le marché de l'électricité, la Commission européenne a fait prévaloir deux principes.

Le premier est que l'énergie, et plus particulièrement l'électricité, serait un bien comme les autres et devrait, de ce fait, être soumise au principe relatif à la libre circulation des marchandises. Nous sommes aujourd'hui appelés à transposer ce présupposé en droit français ; or il est à mes yeux, contestable, voire inacceptable.

M. Pierre Carassus.

Inacceptable !

M. Jacques Desallangre.

Cette règle générale d'ouverture à la concurrence ne supporte d'exception que si elle est justifiée par l'existence de missions d'intérêt général.

La norme générale est donc celle du marché, toute exception étant soumise à conditions et limitée.

C'est sur ces soubassements et en fonction d'une interprétation strictement juridique de la Commission qu'ont eu lieu les négociations.

Or le postulat sur lequel s'est fondée la Commission me semble erroné. En effet, l'électricité et l'énergie ne sont pas, en général, des biens comme les autres. La commission de la production et des échanges et notre collègue Christian Bataille ont fort bien démontré que l'électricité est, pour nos concitoyens, un bien de première nécessité qui n'a pas de substitut. Mais c'est aussi, pour notre économie, un bien stratégique se situant en amont de toute production industrielle et conditionnant notre indépendance. De plus, ce bien possède des qualités intrinsèques qui le distinguent des autres. En effet, l'électricité se stocke difficilement, ce qui implique une adéquation permanente entre la production et la consommation mais aussi l'impossibilité, dans le cadre d'un marché ouvert, de réguler les prix, d'optimiser les investissements et de s'assurer de la sûreté d'approvisionnement.

Donc, par ses caractéristiques propres, son rôle stratégique et sa fonction sociale, l'électricité n'est pas un bien comme les autres.

L'autre axiome sur lequel se fonde la directive est également fort contestable et semble relever plus de la croyance que de l'observation. L'Europe telle que nous la construisons encore aujourd'hui considère la concurrence comme un objectif en soi, permettant systématiquement d'obtenir un optimum économique. Cette perception déconsidère le citoyen pour ne plus se préoccuper que de l'individu consommateur.

En outre, et contrairement aux théories libérales, la concurrence n'induit pas automatiquement une baisse des prix. Les études menées dans le secteur énergétique relèvent des tendances contradictoires, avec des hausses parfois importantes. Les baisses, quand elles existent, sont le plus souvent imputables non à la dérégulation mais à une chute conjoncturelle des prix des combustibles fossiles.

De plus, l'observation d'autres secteurs ouverts à la concurrence, comme celui de l'eau, prouve que la soumission au marché et la création d'oligopoles ne génèrent pas systématiquement des baisses de prix et ne favorisent pas l'optimum économique. De surcroît, il arrive que parfois les ressources soient mal préservées et l'environnement mal respecté.

Enfin, la situation française fournit un excellent contreexemple à ces théories libérales. En effet, cela a été dit abondamment sur tous les bancs de cette assemblée, c'est


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précisément notre système de production et de distribution sous forme monopolistique et réglementée qui nous a permis d'obtenir des prix parmi les plus bas, tout en préservant notre sécurité d'approvisionnement.

La perception libérale omet toute considération sociale en imposant à tout prix la concurrence comme un objectif, une valeur, sans pour autant que cela nous garantisse l'efficacité économique. Certains ont dit que la concurrence est un principe fondateur de l'Union européenne.

Pour moi, elle ne fait pas partie des valeurs fondamentales pour lesquelles je combats. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Pierre Carassus.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

Nous devons reconnaître que le projet de loi utilise les marges de manoeuvre laissées par la directive, afin de conserver une relative maîtrise de la politique énergétique et de préserver le service public.

Néanmoins, le projet n'est pas pour autant satisfaisant c ar, bien que proposant de n'ouvrir le marché qu' a minima, il institue un régime juridique qui, à terme, risque de s'avérer fort dommageable pour le service public et les citoyens.

M. Pierre Carassus.

Là réside le danger !

M. Jacques Desallangre.

Les députés du Mouvement des citoyens ont en conséquence déposé des amendements ayant pour objet le renforcement du service public et la préservation de la programmation pluriannuelle des investissements. Des précisions devront nous être apportées afin que nous puissions déterminer notre vote, lequel sera guidé non seulement par une conception pragmatique mais aussi par la fermeté de notre attachement au service public et à l'indépendance énergétique de la France.

Le précédent président d'EDF admettait que l'ouverture au marché, même a minima, porterait de fait atteinte à la péréquation des prix.

M. Christian Cuvilliez.

Pourtant, c'est un libéral !

M. Jacques Desallangre.

La concurrence entre producteurs ne portera en effet que sur les clients éligibles les plus rentables, faisant ainsi fondre les marges bénéficiaires. Or la péréquation des prix repose précisément sur la solidarité des usagers rentables au profit des usagers non rentables.

Une telle crainte de voir affaibli le principe de péréquation est corroborée par l'exemple de France Télécom qui, face à la concurrence, augmente les prix de l'abonnement afin de devenir plus compétitif sur les communications longue distance. Je crains que, à plus ou moins brève échéance, des comportements analogues ne voient le jour dans le secteur de l'électricité.

Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le secrétaire d'Etat, laisse supposer que les tarifs aux clients non éligibles seront désormais « péréqués » de façon géographique. Est-ce à dire que la compensation ne se fera que sur des zones relativement restreintes et homogènes ? Cela serait la négation du principe de la péréquation qui ne peut s'entendre que dans le cadre national. Les députés du Mouvement des citoyens ont donc déposé un amendement visant à corriger cette imprécision.

Comme l'a rappelé Georges Sarre lors du débat relatif à la politique énergétique, les députés du Mouvement des citoyens seront également très attentifs à la préservation de notre indépendance. La mise en place d'un marché de l'électricité, si elle n'est pas très strictement encadrée et contrôlée, peut destructurer notre capacité de production et la sûreté d'approvisionnement, en orientant les choix et les investissements vers le court terme et une rentabilité rapide. Il est, par exemple, aujourd'hui moins coûteux et plus rentable de construire une centrale au gaz qu'une centrale nucléaire, car le retour sur investissement est plus rapide. Mais cette situation est conjoncturelle.

Devrions-nous accepter que notre politique énergétique et toute notre économie soient soumises aux fluctuations des prix des combustibles, comme ce fut le cas dans les années 70 ? Notre sécurité d'approvisionnement doit être assurée et doit demeurer entre les mains des seules autorités légitimes que sont le Parlement et le Gouvernement.

M. Patrice Martin-Lalande.

Nous sommes bien d'accord !

M. Jacques Desallangre.

Le projet de loi ne répond pas de façon satisfaisante à l'impératif de sûreté. Certes, le Parlement et le ministre chargé de l'énergie définissent et arrêtent la programmation pluriannuelle des investissements, mais la création concomitante d'une activité de négoce autonome risque de provoquer l'émergence d'un marché favorisant les productions les moins coûteuses, même si elles se révèlent contraires à l'intérêt géné ral et peu respectueuses de l'environnement.

De plus, il serait inopportun de laisser le marché de l'électricité entre les mains de groupes financiers ayant pour seul objectif d'engranger des bénéfices tirés de la spéculation. Nous avons donc déposé une série d'amendements visant à réduire les risques de spéculation - je parle du trading - et à renforcer l'effectivité des pouvoirs du ministre et du Parlement dans la détermination de la politique énergétique.

Le présent projet de loi ne manquera pas d'avoir des répercussions sur l'aménagement du territoire, bien que cela ne soit pas son objet.

L'implantation de nouveaux sites de production sera déterminée par le mode de tarification du transport d'électricité. Si les prix sont établis en fonction du volume et de la distance, les nouveaux producteurs auront tendance à s'installer à proximité des clients éligibles afin de réduire les coûts ; nous assisterons alors à des concentrations industrielles qui renforceront la désertification des régions les plus défavorisées. Mais, inversement, si le prix du transport est établi sans prendre en considération la distance parcourue, cela favorisera le dumping social.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, vous aurez la délicate mission d'éviter de nombreux écueils. Votre tâche sera difficile.

Vous avez réussi à présenter un texte qui transpose la directive en ne cédant pas à toutes les exigences de Bruxelles, et cela vous a valu les critiques acerbes de nos collègues libéraux. Mais ces critiques n'empêchent pas que le piège de la libéralisation et de la déréglementation soit tendu.

Les députés du Mouvement des citoyens refusant de pratiquer la politique du pire, prendront toute leur part dans le débat pour améliorer un texte qui, malheureusement, conservera néanmoins l'inspiration libérale qu'ils réprouvent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol.

En dépit des propos que vous avez tenus dans votre intervention préliminaire, monsieur le secrétaire d'Etat, je constate que ce texte reste


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assez compliqué. Il manque de clarté et ne sort ni vraiment simplifié ni « modernisé » après les travaux approfondis qu'ont conduits la commission de la production et celle des finances dont les rapporteurs ont remis des rapports fournis et intéressants.

Rarement, un texte qui aura suscité tant d'espoirs, aura risqué de provoquer autant de déception.

Je ne reviendrai pas sur les nombreux articles contestables par rapport à la directive et me bornerai à évoquer l'ouverture à la production et la distribution.

Les gros clients bénéficieront donc du nouveau marché de l'électricité ; c'est bien. Nos entreprises ont en effet besoin, le plus rapidement possible, d'électricité à la demande, à un prix compétitif. De plus, c'est de l'énergie propre par excellence, puisque, en France, elle est à 80 % d'origine nucléaire et à 15 % d'origine hydraulique.

Cependant, il ne suffit pas de le dire, il faut le faire.

O r comment concilier compétitivité européenne et contraintes, contraintes que vous maintenez, voire que vous augmentez, avec ce texte de loi, et ce aussi bien pour EDF, dont les compétences et le dynamisme ont pourtant besoin de liberté, que pour tous les nouveaux producteurs ? Vous avez dit vous-même qu'il fallait être réaliste, c'est-à-dire qu'il fallait faciliter l'adaptation, devenue obligatoire, au marché européen. Et vous savez bien que les entreprises ne peuvent se développer et créer des emplois que si l'Etat ne leur impose pas des charges excessives.

Faute de quoi, le risque de délocalisation de l'autre côté de la frontière est certain. Et ce serait alors une double perte pour nous ! Est-ce ce que nous pouvons attendre du texte ? J'en doute fortement, quand je constate les freins à l'innovation et au développement qu'il contient.

Qu'on ne se méprenne pas. Il est logique que le personnel d'EDF, entreprise cinquantenaire, ne soit pas visé par la brutale modification imposée par la directive. Mais pourquoi vouloir imposer le statut de cette entreprise à d'autres qui n'en ont pas l'histoire et n'ont pas acquis le rang envié de premier électricien d'Europe, voire du monde ? Est-ce que le Gouvernement n'a pas su maîtriser l'équivalent, chez nous, des « coûts échoués » américains ? Avez-vous, pour ne pas être forcé de recourir à l'article 49-3, présenté un texte que l'on peut qualifier de loi de 1946 bis , tant il est fruit de compromis passés avec votre majorité plurielle et tant il nous rappelle la période après-guerre ? Le deuxième point que j'évoquerai est source de grande inquiétude et concerne la situation de tous les clients non éligibles, c'est-à-dire les usagers domestiques et les petites entreprises. A priori , ils sont exclus des bons résultats attendus de la concurrence. Cela fait beaucoup de consommateurs. Et j'ai peur que le prix du kilowatt ne baisse pas pour eux comme ils l'espèrent. Ils risquent d'être déçus. Je ne trouve pas dans votre texte de dispositions permettant de garantir à ces clients réservés à EDF de ne pas être pénalisés par des tarifs qui constitueraient une sorte de compensation par rapport aux prix offerts aux gros clients.

D'autres sujets ne reçoivent pas de réponse claire et rassurante. Que deviennent, par exemple, les petits producteurs, quelquefois très anciens, liés par contrat pour vendre leur électricité de micro-centrales ? Quelle sera, demain, la situation des multiples installations privatives utilisant la cogénération, qui équipent de nombreux groupes d'appartements ? N'y a-t-il pas le risque que soit donné un coup d'arrêt à cette bonne solution ? Comment envisagez-vous de régler demain le marché instantané de l'électricité tout en respectant la règle de réciprocité entre Etats européens ? Cela fait partie des négociations que nous avons à mener dans le domaine de l'énergie, particulièrement au niveau européen.

Vous le voyez, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut sérieusement amender le texte, mais dans le bon sens. Cette loi n'est pas l'ouverture, attendue, au marché, mais une petite « entrouverture », a minima.

Alors, j'ose espérer, pour l'avenir du secteur industriel électrique français, qui pèse lourd dans notre pays en termes économiques et en termes d'emplois, et parce qu'EDF en sera obligatoirement le fer de lance, par nécessité économique, par extension de ses compétences et en fait de sa dimension internationale, qui existe déjà, qu'une évolution se fera naturellement. Elle interviendra peut-être dès l'année prochaine d'ailleurs, avec le vote de nouveaux textes au niveau européen, pour obtenir cette fois-ci une vraie modernisation et un véritable développement du service public de l'électricité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Yvon Montané.

M. Yvon Montané.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, même si l'expérience forgée sur le terrain, dans le département le plus rural de France, m'a appris que la réalité est différente, force est de constater que, pour la plupart des Français, électricité et EDF sont synonymes.

Il est donc souhaitable que, soucieux de l'intérêt de nos compatriotes, nous votions un texte législatif qui préserve le service public de l'électricité auquel les Français sont si attachés.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Yvon Montané.

Mais en tant qu'Européens liés par nos traités, nous devons intégrer EDF dans le cadre des directives générales, l'ancrer dans une nouvelle réalité géo graphique et lui permettre de préparer, dans les meilleures conditions, l'avenir. Autant valait-il saisir l'occasion, avec pragmatisme et intelligence, pour moderniser et développer en même temps le service public de l'électricité. Tel est l'objet du projet de loi.

Je n'ai pas, nous n'avons pas d'appréhension à avoir quant à l'avenir car EDF, premier électricien du monde, a prouvé que, techniquement, elle était la meilleure entreprise dans son domaine et donc capable d'affronter victorieusement la concurrence. Nous pouvons être fiers de ce service public français, de sa réussite aux niveaux national et international. Nous pouvons aussi être fiers du partenariat qu'elle a su instaurer et entretenir avec les collectivités locales.

En effet, si la majorité des Français assimile le service public de l'électricité au rôle d'EDF, c'est que le poids et l'image de celle-ci masquent le fait que la composante

« distribution » du service public de l'électricité est avant tout locale. Les collectivités, partenaires et pas seulement clientes d'EDF, sont en effet les actrices de l'équipement du territoire en matière d'électricité. Ce sont elles qui ont amené, d'abord, la lumière - le plus rapidement et au meilleur marché possible - dans nos campagnes et dans nos bourgs, la force ensuite - ce qu'on appelait les quatre


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fils - et, maintenant, l'énergie, partout sur le territoire mais à la demande et dans le respect des règles de sécurité et environnementales.

Si EDF exécute les principales missions de ce service sur 95 % du territoire national, les 5 % restants étant exécutés par des distributeurs non nationalisés appelés communément régies, l'autorité organisatrice est la collectivité locale, le plus souvent un syndicat intercommunal.

Ces collectivités sont propriétaires de la très forte majorité des réseaux de moyenne et basse tension sur le territoire.

En effet, 1 260 000 kilomètres, soit 90 % de la longueur totale des réseaux électriques de France, appartiennent aux communes, les autres lignes, qui sont à haute tension, faisant partie du réseau d'alimentation générale, propriété d'EDF.

C'est pourquoi, à l'occasion de ce débat sur l'avenir du service public de l'électricité, j'attire votre attention sur le rôle primordial que jouent et que doivent continuer de jouer, dans le cadre de la future loi, les collectivités locales et, à travers elles, des milliers d'élus et de responsables locaux. Le pouvoir qu'ils exercent, particulièrement dans les comités des syndicats d'électricité, contribue avec discrétion et efficacité au fonctionnement et à la bonne marche du service public de distribution dans notre pays.

M. Patrice Martin-Lalande.

M. Montané a raison !

M. Yvon Montané.

Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir sur le rôle des syndicats départementaux et intercommunaux et de vous faire prendre conscience mais en est-il besoin ? - de la nécessité de renforcer dans la loi ce pouvoir démocratique local afin d'assurer à l'avenir un équilibre entre ce qui va être la logique d'entreprise d'EDF et les éventuels excès du marché.

Très bien ! Tout d'abord, il est nécessaire de souligner que les syndicats d'électrification, autorités concédantes du réseau public d'électricité, travaillent en partenariat étroit avec EDF, qui en est le seul concessionnaire depuis la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz du 8 avril 1946. Ce partenariat vaut d'ailleurs à nos collectivités la péréquation tarifaire, dont on a beaucoup parlé, et l'égalité de traitement, éléments fondamentaux de notre service public à la française.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Yvon Montané.

C'est la loi du 15 juin 1906 qui a instauré le pouvoir concédant des communes et fait de la concession le principal mode de gestion de ce service public. Cet acte de concession est matérialisé par deux pièces : une convention marquant l'accord de l'autorité concédante et du concessionnaire, et un cahier des charges fixant les droits et obligations des deux parties.

Quatre grands principes d'action et d'organisation illustrent ce partenariat.

Premièrement, EDF doit verser, au titre de la concession et en contrepartie des dépenses supportées par l'autorité concédante au bénéfice du service public, une redevance de concession servant au financement de cette dernière, mais surtout à ses investissements, qui s'élèvent à 1,5 milliard par an.

Deuxièmement, les syndicats d'électricité ont l'obligation de contrôler la bonne exécution du contrat par EDF, et notamment de vérifier que celle-ci respecte bien ses engagements de résultats ou de moyens prévus au contrat.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Yvon Montané.

Troisièmement, l'article 8 du cahier des charges prévoit que les syndicats d'électricité et EDF réalisent des investissements communs, afin de favoriser c'est le cas depuis peu - l'intégration des ouvrages électriques dans l'environnement. Il s'agit de travaux d'esthétique des réseaux concernant principalement l'enfouissement des lignes. Ce sont 200 millions de francs qui sont affectés chaque année sur tout le territoire national à cet effet.

Enfin, les syndicats d'électricité sont les représentants des usagers. Interlocuteurs privilégiés d'EDF, ils s'assurent que le service qu'EDF rend aux usagers est le meilleur en qualité et qu'il est vendu au meilleur prix pour la satisfaction de tous.

Mais le rôle des syndicats d'électricité ne se limite pas à un simple partenariat ou arbitrage. La loi de nationalisation a maintenu aux collectivités locales leurs prérogatives de maître d'ouvrage. Pour assurer cette mission technique, a été créé, par l'article 108 de la loi du 31 décembre 1936, le FACE, le fonds d'amortissement des charges d'électrification, qui est destiné à financer les travaux d'électricité en zone rurale et qui permet d'établir entre les zones urbaines et rurales une péréquation des coûts.

En 1998, l'enveloppe du FACE représentait 3 milliards de francs d'investissement, se répartissant en deux parties, communément et techniquement appelées « tranches ».

La tranche A-B, qui représentait 2,4 milliards de francs en 1998, est consacrée au programme principal d'équipement, à savoir les extensions et les renforcements des réseaux. Mais cette tranche finance également des programmes innovants, qu'il faut souligner, et des opérations de production décentralisée d'électricité à partir d'éner gies renouvelables - le photovoltaïque, l'énergie éolienne, le biogaz, par exemple -, lesquels sont tous de la compétence des communes.

La tranche C, d'un montant de 600 millions, est consacrée à l'environnement ou à l'esthétique des réseaux par enfouissement ou, plus généralement, par mise en façades des fils torsadés.

Ainsi, et on le comprend aisément grâce à ce rappel, la modernisation et le développement du service public de l'électricité en France ne peuvent se faire qu'avec la participation active des collectivités locales et des élus qui les représentent.

Je me félicite qu'à ce titre le projet ait pleinement pris en compte cette spécificité et reconnu les compétences des collectivités locales en la matière. Il a clairement inscrit le rôle des collectivités concédantes dans le code général des collectivités territoriales, rattaché la mission du gestionnaire du réseau de distribution au contrat de concession et habilité les collectivités à intervenir dans les opérations de maîtrise de la demande d'électricité. Qui plus est, il n'affaiblit pas, contrainement aux avantprojets, le FACE, qui reste un instrument financier exemplaire de cohésion entre territoires et le garant de l'équipement en milieu rural.

Je tiens tout particulièrement à mettre l'accent sur la nécessité de maintenir la gestion et le financement du FACE car les besoins électriques en France, en particulier dans les zones rurales, sont encore très importants. Rien que pour le département du Gers, qui est typiquement rural et que je connais bien, l'étude réalisée en 1995, a estimé que les besoins, pour la période quinquennale 1995-1999, étaient de l'ordre de 300 millions de francs.

En effet, la demande est évolutive en quantité par la diversification de l'utilisation de l'énergie électrique, mais surtout en qualité, car les variations de tension ne sont plus tolérables : elles ne sont tout simplement plus tolérées par les outils de gestion moderne.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

Il importe donc que le projet de loi conserve aux responsables locaux les instruments indispensables en vue de l'amélioration de la qualité du service public. Les élus locaux qui se sont spécialisés dans l'orientation et le contrôle de ce service collectif de proximité qu'est la distribution d'électricité ont largement fait reconnaître leur efficacité comme représentants des usagers et comme régulateurs territoriaux du service public.

M. Patrice Martin-Lalande.

Absolument !

M. Yvon Montané.

Il paraît essentiel de renforcer ce point d'appui irremplaçable au moment où la logique de marché inéluctablement tendra à s'imposer de plus en plus fortement aux opérateurs sous la pression de la concurrence. Les élus locaux doivent jouer un véritable rôle de contrepoids.

Aujourd'hui, de nouveaux défis s'offrent à nous : ceux qui constituent, pour les segments de clientèle non rentables, la défense de la qualité du courant et du service, ainsi que la préservation de notre environnement. Pour les relever, il est nécessaire que la future loi dote les collectivités concédantes d'instruments administratifs et juridiques efficaces.

Dans cet esprit, le projet de loi doit clairement et nettement permettre l'adaptation de la régulation à la réalité locale, répondant ainsi aux traditions politiques françaises et au contexte économique électrique ; il doit aussi promouvoir la production décentralisée, et plus particulièrement d'énergies renouvelables, en s'appuyant réellement sur les collectivités locales ; il doit enfin conforter le rôle que les collectivités concédantes jouent aujourd'hui au sein de l'organisation du service public de l'électricité en France.

M. le président.

Monsieur Montané, pouvez-vous conclure ?

M. Yvon Montané.

Je vais conclure, monsieur le président.

Ces collectivités, éléments reconnus de la démocratie, ont montré depuis des décennies leur utilité, leur efficacité et leur savoir-faire dans la transparence et le respect de leurs prérogatives.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir pris en compte dans le projet de loi de modernisation l'essentiel de ces préoccupations, et d'accepter les amendements que nous proposons pour les satisfaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Franck Borotra.

Et les nôtres aussi ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. Patrice MartinLalande.

M. Patrice Martin-Lalande.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est vrai, l'énergie n'est pas un bien de consommation tout à fait comme les autres. C'est vrai, EDF et l'industrie électrique sont une chance pour l'économie de la France et pour l'emploi. C'est pourquoi il faut se réjouir de ce que l a directive 96/92, publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 30 janvier 1997, porte la marque des négociations serrées qui ont été menées avec les autorités européennes, par Franck Borotra et le gouvernement Juppé afin de faire adopter, dans un texte européen, la notion française de « service public », en l'occurrence intégré à un programme de libéralisation maîtrisée du marché.

Le texte de la directive se présente donc comme un compromis réussi qui fournit le cadre permettant de concilier, d'une part, l'efficacité économique, découlant de la mise en place de marchés de l'électricité réellement concurrentiels sur le territoire européen et, d'autre part, l'indispensable régulation institutionnelle allant de pair avec le principe, auquel nous sommes les uns et les autres attachés, du traitement égalitaire des citoyens.

Tout cela explique en particulier que la directive européenne 96/92, soucieuse du principe fondamental de subsidiarité auquel l'opposition demeure profondément attachée, comporte un certain nombre de domaines, et non des moindres, qui font l'objet de plusieurs « options » offertes au choix des Etats membres.

En ce sens, la Commission européenne, reflétant notamment le résultat des négociations du Conseil européen des ministres, a bien évidemment défini dans le détail tout un ensemble d'obligations découlant du principe d'ouverture à la concurrence - elle a notamment fixé des seuils minimaux d'ouverture des marchés respectifs des pays membres. Mais elle a aussi laissé à la liberté des

Etats le soin de choisir telle ou telle option pour organiser la production, le transport et la distribution de l'électricité. Du coup, la directive n'apparaît pas comme une simple formalité de transposition d'un texte européen dans la législation française.

Le projet de loi qui nous est présenté comporte un certain nombre d'avancées, comme l'inscription du principe de péréquation financière ou l'aide aux clients en situation de précarité, même si le dispositif semble encore trop restrictif et son financement contestable, ou encore la réaffirmation de la compétence des pouvoirs publics pour définir la programmation des équipements de production.

Mais il se présente à rebours de l'esprit de la directive, comme un texte qui hérisse d'obstacles parfaitement inutiles le chemin de la France vers un marché libre et régulé de l'électricité.

Ainsi, la commission de régulation de l'électricité est marginalisée eu égard au rôle capital d'instance de réglementation de la concurrence qu'elle devait jouer. On lui refuse, par exemple, tout contrôle sérieux sur les tarifs et les abus de position dominante.

Que dire aussi du rôle du gestionnaire du réseau ? Les conditions nécessaires d'indépendance à l'égard de l'administration et du Gouvernement, lesquelles devaient lui être reconnues afin qu'aucune préférence inégalitaire ne soit donnée à l'opérateur public par rapport aux nouveaux entrants, lui sont refusées.

Autre exemple : la possibilité d'une « bourse de l'électricité » d'ailleurs réalisée sur beaucoup d'autres marchés étrangers, reconnue par les experts comme devant assurer une partie de la nécessaire « fluidité économique » du marché, est, quant à elle, tout simplement absente du texte.

Parallèlement, figurent dans ce texte des dispositifs qui vont aboutir à figer le marché de l'électricité dans une position aux antipodes d'un état de concurrence libre et loyale. D'un côté, les nouveaux entrants seront économiquement pénalisés, voire empêchés d'entrer sur le marché ; de l'autre, EDF sera dans certains cas, privilégiée au-delà du nécessaire. Ainsi, notamment, des pénalités seront infligées aux nouveaux entrants, via une absence de définition précise des coûts échoués, laquelle aboutira à faire payer aux nouveaux opérateurs diverses charges indues, y compris certaines relevant de la seule responsabilité d'EDF ! C'est malheureusement au nom d'une vision qui nous semble périmée et doctrinaire de l'Etat omnipotent et du rejet de la dynamique des marchés que la gauche s'apprête à entrer à reculons - j'ai le regret de le dire - dans


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le grand marché européen. Les dégâts seront importants.

Outre les contentieux à répétition qu'EDF va immanquablement s'attirer en raison du non-respect des règles européennes de la concurrence, l'opérateur public va retarder, par là même, une mue pourtant nécessaire.

France Télécom a réalisé la sienne tardivement, mais on voit bien qu'elle était absolument indispensable pour que l'entreprise reste le grand opérateur au niveau mondial qu'elle est.

Riverain de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, comme mon collègue Maurice Leroy, je vois tous les jours ce que EDF et son personnel sont capables de réaliser. Nous ressentons pour EDF le besoin d'un nouveau et grand projet de développement international et non pas le remède, qui nous semble illusoire, d'un repli frileux.

Nous faisons confiance a EDF pour confirmer qu'elle est la meilleure entreprise d'électricité du monde.

Aux coûts, pour le contribuable, des atermoiements du gouvernement socialiste, s'ajouteront les coûts pour les entreprises qui, du fait des restrictions concurrentielles, ne verront pas les tarifs baisser aussi rapidement qu'elles auraient pu le souhaiter. S'y ajoutera, pour l'économie française, et sous la pression du développement de la concurrence dans l'Union européenne, le prix inévitable à terme d'une libéralisation brutale qui interviendra tôt ou tard. Et, au final, ni les entreprises françaises, ni le c onsommateur-citoyen-contribuable n'en sortiront gagnants puisque rien ne garantit que les gains de productivité bénéficieront aux clients non éligibles.

Conscient des intérêts en jeu et de l'importance pour la France d'un réseau électrique moderne et performant, le RPR avait décidé d'adopter une attitude de critique constructive. Il a déposé un certain nombre d'amendements qui ont malheureusement été rejetés en commission par la majorité.

C'est pourquoi, pas plus que mes amis je ne voterai ce texte qui impose le surplace et qui fera prendre un grave retard à EDF et à notre pays alors que nous pourrions être les meilleurs, je le pense très sincèrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Aujourd'hui, en prenant en compte les règles de l'Union, qui s'appliquent même lorsque nous les avons combattues, il nous faut avoir une approche concrète de la règle communautaire en essayant de lui donner le meilleur contenu possible.

Lorsqu'un bien comme l'électricité est aussi essentiel, tant pour l'activité économique de la nation que pour la vie quotidienne de tous les habitants, la question de la démocratie quant aux choix se pose à l'évidence pour sa gestion dans l'esprit du débat sur l'énergie que nous avons eu ici il y a quelque temps. Les usagers, et pas seulement industriels, ont vocation à se faire entendre et à être entendus en la matière, y compris parmi eux les collectivités territoriales.

S'agissant d'un bien de première nécessité pour tous, l'électricité doit être accessible à tous. Cela suppose une homogénéité tarifaire absolue sur tout le territoire. Cela suppose aussi que s'exerce une solidarité nationale pour assurer l'effectivité du droit à l'électricité. C'est pourquoi il est nécessaire qu'un quota de fourniture gratuite soit garanti à chaque foyer dans sa résidence principale, pour répondre à ses besoins élémentaires, en tenant compte du chauffage électrique quand le logement familial en est équipé, d'autant plus que, dans la plupart des cas, ce mode de chauffage a été imposé.

M. Goulard nous a asséné hier que la France serait en recul par rapport à ses partenaires, que sa transcription de la directive n'est pas suffisamment libérale.

M. Pierre Lellouche.

Il a raison !

M. Jean-Pierre Brard.

A force de toujours répéter la même chose, vous finissez par vous convaincre que vous avez raison, oubliant que, en juin 1997, les électeurs vous ont mis un coup de pied aux fesses bien mérité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Meylan.

Ça viendra pour vous !

M. Arnaud Lepercq.

Et vous, vous oubliez 1993 ?

M. Jean-Pierre Brard.

Vous faites de la préhistoire, monsieur Lepercq !

M. le président.

Monsieur Brard, vous n'avez que cinq minutes. Essayez d'être concis pour ne pas retarder vos collègues !

M. Jean-Pierre Brard.

Je vous remercie, monsieur le président, et j'espère que vous me restituerez le temps de parole qui vient de m'être subrepticement subtilisé ! (Sourires.)

M. le président.

Non, monsieur Brard, c'est vous qui provoquez les interruptions !

M. Jean-Pierre Brard.

Vous savez bien qu'il n'en est rien, monsieur le président. J'ai trop d'amitié pour vous pour mettre en doute votre équité, mais quand même...

En bon libéral, M. Goulard n'a pas songé que ce puisse être l'inverse, que, sur cette question, la France ait, grâce à sa conception du service public, dont M. Juppé lui-même avait reconnu la spécificité et la valeur, une vision d'avenir. Le plus étonnant, c'est que le club des bigots de la déréglementation et de la libre concurrence se diversifie. Il a été rejoint par M. Proriol, par M. Galley, ce qui est plus étonnant, et à l'instant par M. MartinLalande. Une chose est claire et rassurante : ce club est nettement ancré à droite.

Au sein de l'Union européenne, en matière de service public nous faisons confiance au mouvement social animé par les organisations syndicales et les associations en convergence avec notre détermination pour obtenir la généralisation à tous les habitants de l'Union des règles qui garantissent l'accès à ce produit vital. L'harmonisation doit se faire, certes, mais dans ce qu'elle a de plus favorable, c'est-à-dire par le haut.

A cet égard, nous avons sous les yeux le contreexemple de la Grande-Bretagne où le consommateur a été totalement oublié au profit d'une mise en concurrence sauvage des opérateurs, d'ailleurs factice, car la concurrence pousse naturellement à des investissements à court terme dictés par la loi des taux de rentabilité élevés et à court terme. L'Etat a donc la responsabilité d'orienter les investissements vers le long terme et d'empêcher les coûts spéculatifs qui nous réserveraient des réveils douloureux, comme celui que connaît aujourd'hui la Grande-Bretagne.

L'ouverture dont nous discutons ne doit pas vider de sens la notion de service public, avec tout ce qu'elle comporte d'essentiel pour la cohésion sociale. L'utilisateur


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doit être placé au centre des missions de service public, avec ses attentes, ses besoins réels, mais aussi le respect de ses droits fondamentaux : droit à l'énergie, droit à un environnement de qualité.

Sur nombre de ces points, le Gouvernement a témoigné qu'il était à l'écoute. Le débat qui s'engage dans cet hémicycle doit permettre, nous le souhaitons, que cette attitude s'amplifie et se concrétise au fil de la discussion des amendements. L'alternative est claire, et permettezmoi de remercier très sincèrement nos collègues de droite d'avoir clarifié le débat : ils s'opposent afin d'entraîner l'application brutale et libérale de la directive. L'intérêt national appelle que nous discutions ce projet de loi pour l'améliorer. Si nous refusons l'application brutale de la directive, je considère qu'il dépend de nous que le texte qui nous est soumis et qui doit être amendé ne soit pas le premier coin enfoncé pour démanteler le service public.

M. Pierre Lellouche.

France Télécom a été privatisée !

M. Jean-Pierre Brard.

Rien n'est inéluctable et ce texte, dans le délai supplémentaire qu'il donne, peut être une ligne de défense sur laquelle nous devons nous appuyer pour obtenir que notre conception du service public de l'électricité s'étende à l'ensemble de l'Union européenne.

Pour atteindre cet objectif, je fais confiance à la détermination et à l'engagement des forces progressistes et du mouvement social en Europe.

M. Pierre Lellouche.

Vous êtes un conservateur, monsieur Brard ! C'est touchant !

M. Jean-Pierre Brard.

Evidemment, vous combattez ce mouvement social, mais vous êtes dans votre rôle et, de ce point de vue, les forces progressistes ont du retard dans la convergence à s'organiser pour mener les combats qui garantissent la reconnaissance des droits fondamentaux, ...

M. Pierre Lellouche.

Vous êtes parmi les communistes les plus conservateurs d'Europe !

M. Jean-Pierre Brard.

... dont la possibilité d'accéder d'une façon égale aux services de base comme le droit à l'électricité. Quant au conservatisme, vous n'avez pas de leçons à nous donner parce que vous êtes experts en la matière et nous ne parlons pas la même langue que vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Pierre Lellouche.

Même Gazprom a été privatisé !

M. le président.

Monsieur Brard, je vous remercie d'avoir, vous aussi, participé à la clarification ! La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à ce point du débat et étant de ceux qui ont suivi depuis plusieurs années les grandes questions de la production d'énergie électrique à la commission de la production et des échanges, je veux saluer le rôle décisif qu'a joué pour la négociation de cette directive européenne et pour sa signature notre collègue Franck Borotra, votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'Etat. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Cela a déjà été fait par M. Galley notamment, pour le groupe du Rassemblement pour la République, mais permettez à un député du groupe UDF de le dire avec conviction.

Pour compléter les excellentes interventions que je viens d'entendre, mon propos portera sur trois idéesforces. La première, c'est la nécessité de reconnaître clairement la complémentarité, à sauvegarder et à développer, entre les diverses sources d'énergie électrique en dehors d'EDF, vis-à-vis d'EDF et au sein même d'EDF. Ainsi, 77 milliards de kilowatts-heure d'origine hydraulique d'électricité représentent à 13 % de la production globale d'EDF en énergie électrique. Ce chiffre est à prendre en considération par rapport à la production globale d'EDF qui est de 430 milliards de kilowatts-heure d'énergie électrique.

I l nous faut défendre les entreprises d'électricité complémentaires d'EDF et reconnues associées au service public par le projet de loi qui nous rassemble. La production autonome, celle qui n'a pas été nationalisée en 1946, d'une puissance installée en dessous de 8 000 kilowattsheure est assurée par 1200 producteurs. Ces 1 200 producteurs représentent des entreprises privées, attachées pour 20 % seulement à de grands groupes. Ils emploient directement 5 000 personnes et 20 à 30 000 indirectement.

Ces entreprises sont disséminées sur le territoire, notamment dans les Alpes, les Pyrénées, les Vosges, le Jura ou le Massif central, et contribuent à faire vivre les communes par leur taxe professionnelle et à faire vivre le territoire français à propos duquel nous nous sommes retrouvés lors de la discussion du projet de loi sur l'aménagement du territoire.

Le projet de loi qui nous est présenté assure des possibilités de maintien en vie de ces entreprises par un encouragement au développement des énergies renouvelables, par des obligations d'achat par EDF et par une politique tarifaire incitative. Mais, si par l'article 10 du projet, qui suscitera des amendements de notre part, on remet en cause l'obligation d'achat par EDF et si, par ailleurs, on remet en cause, par l'article 48, les contrats déjà signés entre EDF et ces groupes producteurs d'énergie autonome en atténuant l'incitation tarifaire voulue par le Gouvernement et proclamée par la loi, on fait courir à ces 1 200 entreprises privées un risque de déstabilisation et de rupture de leur équilibre économique et financier.

La deuxième idée - force que je veux développer est qu'il ne faut pas que le transport d'énergie soit non lisible dans les comptes. Nous avons beaucoup développé cette idée en commission. Je m'explique. Prenons l'exemple d'une société productrice d'aluminium implantée près de la frontière belge - suivez mon regard, du côté de Dunkerque ! Supposons que le prix du courant fourni par EDF en provenance de la centrale de Graveline ne lui convienne plus. Supposons également que MM. les Anglais installent en Belgique une usine, avec le gaz de la mer du Nord, celui-ci risque d'être moins cher que le nucléaire et le gaz a des réserves, entre autres le gaz russe ! Si cette grande usine d'aluminium achète cette électricité en Belgique, à partir du gaz, il lui faudra payer un coût de transport, c'est-à-dire un péage, au gestionnaire du réseau de transport que sera EDF. Il faut donc que ce coût de transport soit, selon la directive européenne,

« transparent, objectif et non discriminatoire ». Nous avons insisté sur ce point en commission. Le risque, c'est que EDF, qui doit être le gestionnaire technique du réseau de transport - Franck Borotra l'a souvent souligné - intègre dans le prix du transport des charges liées à la production. Nous avons entendu des craintes à cet égard lors des auditions de la commission.

La solution proposée par le projet de loi est la création d'un organisme de régulation. Avec trois membres sur six nommés par le Gouvernement lui-même, il y a unrisque de manque de rigueur dans le contrôle de la vérité du prix du transport du courant. Tout dépendra de l'indépendance et de l'efficacité des membres de la commission. Nous venons d'apprendre qu'Air Liquide, spécialiste mondial des gaz industriels, va construire, pour alimenter


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en électricité Usinor à Dunkerque, une centrale qui produira une énergie représentant 500 mégawatts par an, soit la moitié d'une centrale nucléaire. L'énergie produite servira à Usinor et à Air Liquide, installé juste à côté et qui fournit par ailleurs de l'oxygène au complexe industriel sidérurgique. La compétition impose donc, pour être loyale, une lisibilité du coût du transport de l'énergie.

C'est défendre l'entreprise EDF et son avenir que de le rappeler.

La troisième idée force que je veux exprimer est que l'objectif à atteindre à la veille du prochain siècle est le développement de la cogénération, c'est-à-dire la production d'électricité à partir de la chaleur utilisée par les industries et dont une partie est perdue dans l'air en vapeur. La cogénération apparaît comme une source d'énergie d'avenir parce que rationnelle. Elle permet, en effet, de produire de l'électricité avec des rendements élevés. Le développement de la cogénération a été très so utenu par EDF à l'origine, pour les heures de pointe. En janvier-février, quand les centrales nucléaires ne suffisent pas pour les pointes de la demande de courant, EDF a besoin de la production complémentaire en provenance de la cogénération plutôt que de démarrer des centrales thermiques à coûts de revient élevés ou de démarrer ses barrages dont l'eau sera nécessaire en été.

L'énergie éolienne n'est pas non plus à négliger.

Comme il s'agit d'une énergie propre, j'ai été de ceux qui ont soutenu les projets de son implantation sur le littoral du Nord Pas-de-Calais, jusqu'aux falaises de Wimereux, face à la Manche. Les centrales hydroélectriques sont aussi à sauvegarder. Elles représentent une énergie de base parce que constantes sur une année dans leur production - 4 500 heures en moyenne par an sur 8 760 heures et parce que très disséminées sur le territoire.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Deprez !

M. Léonce Deprez.

Ces centrales hydroélectriques, parce qu'elles représentent une énergie de base, évitent, à due concurrence de leurs productions, de faire appel par EDF, aux heures de pointe d'hiver, à des sources d'énergie à prix de revient très élevé telles que l'énergie thermique.

En conclusion, la grande vérité, c'est que l'article 90 du traité de Rome stipule que chaque pays a le pouvoir absolu de maintenir son service public. EDF, grâce aux pères fondateurs de l'Europe, s'est engouffrée dans cette disposition pour que, dans la transposition de la directive en droit français, le service public continue de couvrir EDF. Ayons la lucidité de le constater, ce projet de loi a, comme inconvénient la lourdeur du mécanisme de régulation du système électrique français ; on pourrait tout aussi bien dire la lourdeur du système étatique français.

On risque de freiner de façon inutile et dangereuse EDF en voulant maintenir cette entreprise sous la tutelle excessive de l'Etat. Le dernier signal donné, les 35 heures, n'est pas bon à cet égard. Nous devons donc libérer progressivement notre grande entreprise EDF, lui donner les moyens de s'ouvrir fortement vers l'extérieur et donner des signaux forts sur notre volonté de jouer et d'utiliser la concurrence. C'est ainsi que nous pourrons assurer l'avenir d'EDF et garantir à la France de rester à la pointe de la production d'énergie en Europe et dans le monde.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Kucheida.

M. Jean-Pierre Kucheida.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objectif de ce projet de loi est ambitieux et généreux.

Ambitieux d'abord, car il vise à doter notre pays d'une loi qui, tout en s'inscrivant dans la continuité des grandes lois sur l'électricité, notamment la loi de nationalisation de 1946, modernise et conforte le service public de l'électricité. Ainsi, la nouvelle organisation du secteur de l'électricité garantira l'accomplissement des missions de service public et l'ouverture du marché dans de strictes limites.

Généreux ensuite, car il vise, par l'introduction d'éléments de concurrence qu'il conviendra de maîtriser, à concourir à plus de compétitivité en France et en Europe à la fois pour EDF et pour toutes les entreprises françaises consommatrices d'électricité, et ce au bénéfice de l'emploi Voilà l'objectif prioritaire qu'il convient de ne pas perdre de vue. Mais il ne faut pas oublier que le service public de l'électricité doit avant tout être assuré au béné fice de tous les consommateurs, sur l'ensemble du territoire national, et qu'il contribue ainsi à la cohésion sociale de la nation et à la mise en oeuvre de politiques nationales telles que la politique de l'énergie ou la lutte contre l'exclusion.

Dès lors, interrogeons-nous sur trois aspects primordiaux de cette adaptation du marché intérieur de l'électricité, à savoir les conséquences pour le citoyen consommateur ; l'application du statut particulier des personnels des entreprises électriques et gazières en fonction de la loi de 1946 ; le concours à la cohésion sociale et à l'aménagement et au développement équilibré du territoire dans le respect de l'environnement.

La position du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, consulté en mai 1998, a été de considérer qu'il se devait d'apporter lui-même des avis sur les questions posées par le document de concertation. Les nombreux organismes consultés par les pouvoir publics, et notamment ceux représentés au CSEG, pourront, chacun en ce qui le concerne, exprimer leurs positions propres. Le CSEG s'est plutôt attaché à fournir le cadre d'un échange sur la régulation et sur les questions statutaires et sociales, et à faire émerger dans ces deux domaines des points de vue majoritaires.

Le CSEG, qui comprend les syndicats, les élus, l'admin istration, les entreprises publiques et privées, les consommateurs et les régies, souligne son ferme attachement à la notion de service public et à ses conséquences, et compte poursuivre son travail sur le sujet au-delà du présent avis.

Il souligne que le « principe de subsidiarité » devra s'appliquer pleinement, notamment en matière de politique énergétique, de service public et de rôle de l'EDF et des organismes de distribution.

Il souligne que les opérateurs publics devront, de par leur objet légal, être placés à armes égales vis-à-vis de leurs futurs concurrents. C'est ici que, pour ma part, en tant que parlementaire, je veux insister, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que soit directement élargi le principe de spécificité et que notre grande entreprise publique puisse ainsi lutter à armes égales contre les groupes privés nationaux et internationaux.

Il souligne que le système de la distribution fait jouer un rôle important aux communes et à leur groupements, et considère que ce rôle doit être conforté à de multiples égards, notamment au regard de la qualité du service public et de l'aménagement du territoire.


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Il souligne enfin l'importance des questions sociales et considère qu'un des objectifs doit être d'éviter que la légitime recherche de compétivité ne s'exerce par le biais d'un « dumping social ».

Il conviendra de tenir compte de deux éléments chronologiques dans l'analyse de cette transposition des directives européennes sur l'énergie.

Le premier est que l'origine du texte adopté à l'époque en Conseil des ministres de l'Union européenne remonte au gouvernement Juppé et à l'équipe Borotra-Alphandéry, à l'époque respectivement ministre de l'industrie et président d'EDF. Je dois vous féliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, de la célérité dont vous avez fait preuve pour que ce projet de loi puisse être discuté avant la date fatidique du 19 février 1999, car il faut bien le dire, l'heure est grave. Tout manquement à la date aurait des conséq uences incalculables pour notre grande entreprise publique. Il faut donc que nous nous mobilisions pour que les choses puissent aboutir dans le délai trop court qui nous est imparti.

Au-delà de cette échéance communautaire, la réforme envisagée ne doit pas bouleverser un secteur dont les Français sont fiers, où ils voient l'un des symboles de notre service public et auquel nous sommes tous attachés.

L'objectif est donc de mener à bien une réforme de modernisation du service public de l'électricité, sans privatisation. Il n'est question ni d'aller au-delà du niveau minimal d'ouverture prévu par la directive ni de modifier l e statut d'EDF, établissement public industriel et commercial. Il n'y a pas d'ouverture du capital.

C'est pour cela que le CSEG, considérant que la directive a reconnu la légitimité des obligations de service public, émet un avis positif sur le projet de loi en tenant compte de l'ensemble des remarques que je viens d'évoquer et au vu de l'avancement des discussions sur ce texte. Si tel n'était pas le cas, il serait beaucoup plus réservé.

Le CSEG proclame son attachement au maintien et même au renforcement des missions de service public existant aujourd'hui dans le secteur de l'électricité. Il considère que la réalisation de missions de service public suppose l'existence d'un opérateur public fort, peut-être plus fort demain qu'aujourd'hui.

Il sera candidat pour siéger à la commission de régulation de l'électricité qui sera créée. Il confirme la volonté d'adapter l'objet légal de l'établissement public EDF au nouveau contexte économique, afin que l'avenir industriel d'EDF soit d'élargir son marché domestique, et ce pour l'emploi.

Il souligne que le citoyen-consommateur doit être bénéficiaire, au même titre que les entreprises, de cette modernisation et de cette évolution qui concourent à une baisse générale des tarifs pour tous les acteurs.

M. Alain Cacheux.

Très bien !

M. Jean-Pierre Kucheida.

Oui, mes chers collègues, nous sommes fiers d'EDF, de ce que l'entreprise a déjà apporté au pays depuis cinquante-trois ans. Quel bel outil en de bonnes mains ! Faisons donc en sorte que l'élargissement de sa mission lui permette les évolutions nécessaires, que l'entreprise EDF, forte d'un personnel rassuré, au statut conforté, puisse largement asseoir sa place de no 1 mondial en se mettant plus encore au service des consommateurs français et du monde qui s'ouvre à elle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Meylan.

M. Michel Meylan.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la modernisation des services publics constitue un enjeu majeur pour adapter notre Etat aux besoins de la société actuelle. En matière d'énergie, comme ailleurs, nous ne réglerons pas les problèmes de demain avec les solutions du passé. La France doit être capable d'inventer de nouveaux modes de gestion.

La directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 fixe pour le marché intérieur de l'électricité des règles d'ouverture et de modernité. Notre pays est l'un des derniers à adapter sa législation à l'ouverture à la concurrence européenne. Et il le fait en accentuant considérablement l'étatisation. Ce projet de loi pénalise l'économie française en faisant peser des contraintes nouvelles sur sa compétitivité. Il isole encore un peu plus la France en Europe.

En accordant à l'administration de nouveaux pouvoirs exorbitants, ce texte renforce l'étatisation. Il confie l'encadrement et le contrôle de l'accomplissement des missions de service public au Gouvernement et à une commission de régulation de l'électricité qui ne dispose pas de véritables garanties d'indépendance équivalentes à celles de l'autorité de régulation des télécommunications, par exemple. L'article 4 prévoit que la tarification de l'utilisation des réseaux de transport et de distribution est décidée par le Gouvernement. Les ministres de l'économie et de l'énergie sont également chargés de fixer les surcoûts imputables aux missions de service public et de déterminer la programmation des investissements de production d'électricité. Il faut être clair : l'ouverture à la concurrence exigée par la directive européenne est dévoyée au profit du renforcement d'une économie administrée par l'Etat.

M. Pierre Lellouche.

C'est vrai !

M. Michel Meylan.

La France se montre ainsi réticente à engager une véritable ouverture du marché de l'électricité au niveau européen. L'article 22 définit les clients qui peuvent être reconnus comme éligibles, c'est-à-dire les consommateurs finaux qui pourront s'approvisionner ailleurs qu'à EDF. De fait, l'ouverture à la concurrence ne concernera que quelque 400 grandes entreprises qui auront la qualité de clients éligibles. En encadrant de façon rigide le marché de l'électricité, le projet de loi empêche la prise en compte de réalités nouvelles. Encore une fois, les petits consommateurs ne pourront pas bénéficier des effets positifs de la concurrence.

M. Pierre Lellouche.

Eh non !

M. Michel Meylan.

Je regrette que l'Etat soit incapable de sortir de sa logique jacobine pour engager une politique où les initiatives et le rôle des acteurs locaux seraient pleinement reconnus. La possibilité pour les collectivités locales de créer des régies ou de renforcer géographiquement celles qui existent déjà reste malheureusement exclue dans le texte proposé. En tant qu'élu local d'un département qui compte 5 régies d'électricité, 9 concessions syndicales et 165 concessions communales, je veux témoigner de l'intérêt qu'il y a à travailler avec un opérateur local de distribution d'électricité.

Les régies qui ont des clients éligibles pourraient même voir leur champ d'intervention se restreindre progressivement puisqu'elles ne pourront pas elles-même devenir éligibles pour l'ensemble de l'électricité qu'elles distribuent.

Les régies sont des consommateurs d'énergie électrique. A ce titre, elles doivent être considérées comme des clients éligibles vis-à-vis des producteurs d'énergie. Aussi, je souhaite qu'au bénéfice des administrés et par dérogation aux dispositions de la loi du 8 avril 1946, les collectivités


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organisatrices de la distribution publique d'électricité ne soient pas contraintes de recourir à EDF. La possibilité de créer une régie ou de renforcer une régie existante doit être reconnue.

Les possibilités d'intervention des communes dans le domaine de la production décentralisée d'électricité sont actualisées. Néanmoins, le maintien d'un seuil fixé par décret pour la production d'électricité de proximité limite fortement les possibilités d'exercice d'une réelle concurrence. L'intervention des collectivités locales est réduite au minimum. Il me semble que la fourniture supplétive d'électricité aux consommateurs industriels doit rester sous l'autorité des collectivités territoriales et faire partie des compétences des régies lorsqu'elles existent.

L'absence de référence au fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, laisse craindre une restriction du rôle et des moyens futurs attribués aux collectivités concédantes à des régies. La création d'une redevance de concession rémunérant à sa juste valeur les autorités concédantes pour la location des ouvrages de d istribution pourrait être une alternative aux aides allouées par le FACE. Cette redevance permettrait aux collectivités d'assurer le financement des investissements à leur charge.

En proposant de supprimer la spécialisation d'EDF et d'autoriser cette entreprise à fournir des prestations complémentaires de la fourniture d'électricité aux clients éligibles et en maintenant le monopole d'EDF sur les clients non éligibles, le projet de loi crée un cadre économique favorisant EDF de façon exorbitante. Il en va de même avec les articles 43 et 44 qui imposent aux entreprises nouvelles sur le marché de l'électricité de se conformer au statut du personnel d'EDF. Ces dispositions inst aurent une rigidité sociale et des contraintes économiques archaïques et inacceptables dans un environnement économique de concurrence mondiale accrue.

M. Pierre Lellouche.

Très juste !

M. Michel Meylan.

Les consommateurs d'électricité et les contribuables, à hauteur de 600 millions de francs, doivent déjà financer l'accord sur les 35 heures à EDF, qui confère des avantages à ses agents sans véritable contrepartie. Les entreprises et les Français en ont assez de financer des entreprises publiques qui bénéficient de droits exorbitants et vivent hors des contraintes économiques.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors du récent débat sur la politique énergétique, la dimension environnementale me semble être partie intégrante des questions relatives à l'énergie. Je regrette que cette dimension ne soit pas prise en compte à sa juste mesure, notamment dans les critères de définition du service public de l'électricité et des missions d'EDF. En outre, l'ouverture à la concurrence va rendre possible l'implantation de lignes privées nouvelles. Des efforts importants ont été accomplis par les collectivités locales depuis des années pour améliorer l'esthétique des réseaux. Ils risquent d'être réduits à néant par la possibilité laisser aux clients éligibles de construire des ouvrages sans contraintes légales appropriées en matière de protection de l'environnement.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon vote sur ce projet de loi sera déterminé par les adaptations qui auront pu lui être apportées.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est à la demande de notre groupe, vous l'avez rappelé, que, le 21 janvier dernier, le Parlement a débattu des orientations de la politique énergétique. Vous aviez d'ailleurs souligné combien il était légitime d'associer la représentation nationale à la définition des objectifs, des orientations et des moyens de notre politique énergétique.

Dans le cadre de ce débat, vous avez affirmé, et nous nous en sommes félicités : « Dans un contexte où chaque filière de production d'électricité est en progrès, maintenir l'option nucléaire ouverte nécessite que les pouvoirs publics accordent une attention particulière aux projets de réacteurs nucléaires futurs. Nous continuons bien évidemment à porter notre attention aux projets existants, notamment aux recherches menées autour de l'European Pressurized Water Reactor , qui en sont au stade de l'avantprojet détaillé. »

M. Pierre Lellouche.

Dites-le à Mme Voynet !

M. Christian Cuvilliez.

Ce projet EPR franco-allemand est donc prêt. Sa conception tire les leçons du retour d'expérience en matière de sûreté. Par ailleurs, et cela avait été rappelé, il intervient dans un contexte international où les pays d'Asie comme la Chine, la Corée ou Taïwan font appel à nos compétences.

M. Pierre Lellouche.

Tout à fait !

M. Christian Cuvilliez.

De plus, le nucléaire entraîne, et c'est logique, des retours sur investissement à long terme.

Il exige des moyens matériels importants, il s'appuie sur des personnels stables et très qualifiés.

C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, pour procéder au renouvellement du parc en 2010, voire pour développer ses capacités, c'est aujourd'hui, si l'on veut donner un contenu concret à vos déclarations, qu'il faut prendre les décisions.

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est exact !

M. Christian Cuvilliez.

Or, à l'examen du projet de loi dans sa rédaction actuelle, cette perspective ne me paraît pas assurée. Bien que l'ensemble des études démontrent que cette énergie offre au final un kilowattheure compétitif et bon marché, l'utilisation du nucléaire et son développement sont difficilement compatibles avec les critères de rentabilité immédiate qui gouvernent l'activité économique et qui gouvernent aussi ce projet de loi.

M. Pierre Lellouche.

C'est le pire argument que l'on puisse avancer en faveur du nucléaire !

M. Christian Cuvilliez.

Ainsi, l'option nucléaire me paraît difficilement compatible avec l'ouverture à la concurrence que nous impose la directive concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité...

M. Pierre Lellouche.

Il faut répondre à cela !

M. Christian Cuvilliez.

... et ce pour au moins quatre raisons.

Premièrement, dès cette année, si le projet de loi est voté, les consommateurs éligibles, représentant 26 % de la consommation française, pourront se tourner vers un autre fournisseur qu'EDF. Or rien ne nous assure que ces clients, environ 400 grandes entreprises, ou 40 groupes, ne choisiront pas leur fournisseur, souvent étranger, en fonction de considérations liées à leur position de concurrents réels ou potentiels d'EDF. En effet, comment ne pas prendre en compte le fait que ces grandes entreprises sont souvent, à la fois, consommateurs privilégiés et


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concurrents potentiels dans la production et la distribution ? Les précautions annoncées dans le texte ne me paraissent pas constituer des garanties suffisantes.

Deuxièmement, le prix de revient du kilowattheure est le moins cher : 17 centimes. On nous dit que l'ouverture à la concurrence devrait contribuer à diminuer le prix de revient des combustibles fossiles. Mais, s'il est probable que le coût du kilowattheure produit par les centrales à gaz à cycles combinés devienne à peu près équivalent à celui du nucléaire français, il est directement lié au prix du gaz naturel, lui-même fortement dépendant des fluctuations politico-économiques, et donc susceptible à tout moment de subir une forte augmentation. D'autant que l'état anémique du marché des hydrocarbures est un facteur de déséquilibre mondial et pénalise profondément les pays producteurs, ce qui n'est pas conforme à la politique que le pays devrait mener dans les rapports Nord-Sud. Il y a là, en tout cas, un risque de dépendance de la France en matière énergétique.

Ma troisième remarque est relative à la recherche et au développement. Votre projet de loi arrive au moment où de fortes contraintes budgétaires pèsent sur le CEA. J'ai eu l'occasion de souligner, lors de l'examen des crédits de la recherche pour 1999, que le budget civil du CEA fai-s ait apparaître, si l'on compare les ressources aux dépenses, une impasse de 300 millions de francs. Or l'abandon de la filière nucléaire, que vous avez vousmême récusé, supposerait normalement que des moyens b udgétaires soient accordés au CEA et que des commandes lui soient passées, ce qui fait défaut.

M. Pierre Lellouche.

Demandez à Mme Voynet !

M. Christian Cuvilliez.

Il y a donc, à mon avis, une concomitance de ce projet de loi avec une insuffisance des moyens attribués au CEA, qui laisse planer un doute sur l'avenir de la filière nucléaire.

M. Franck Borotra.

Il a raison !

M. Christian Bataille, rapporteur.

C'est juste !

M. Christian Cuvilliez.

Quatrièmement, enfin, compte tenu de ce que l'on a pu observer lors des deux dernières décennies, le rythme d'évolution de la consommation d'électricité est égal à 1,2 fois celui du PIB. En s'appuyant sur ce constat, et si le rythme de croissance annuel de la consommation électrique s'établit à 3 %, comme il est raisonnable de le supposer, celle-ci aura doublé en vingt ans. Si cette évolution se vérifie, EDF ne pourra alors assumer que 50 % des besoins au vu du niveau d'investissement et du déclassement de certaines tranches dû au vieillissement, sauf à prendre dès maintenant les décisions que j'ai indiquées.

En fait, le plan pluriannuel d'investissement prévu dans la loi est placé sous l'hypothèque de l'ouverture à la concurrence, le complément pouvant être fourni, éventuellement, par la production privée, avec des conséquences sur les prix et leur éventuelle flambée.

J'irai droit au but. En quoi, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous nous présentez nous garantit-il que les situations et les projets que je viens d'évoquer ne seront pas remis en cause, que l'EPIC EDF ne sera pas déstabilisé rapidement et durablement...

M. Robert Galley.

Mettez les Verts à la porte et cela ira mieux !

M. Christian Cuvilliez.

... que la France ne sera pas replacée dans le conformisme ambiant des logiques de marché ?

M. Jean-Louis Dumont.

Il fallait accepter les amendements.

M. Christian Cuvilliez.

Ces quelques réflexions s'ajoutent à celles de mes collègues. Elles traduisent l'inquiétude des personnels et des usagers. Elles ont motivé notre demande de renégociation de la directive avant toute discussion et tout vote au Parlement. Elles continuent à peser sur notre opinion comme un couvercle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille, rapporteur.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert.

Avant de parler d'EDF, j'aimerais réagir aux propos de Jean-Pierre Brard, que j'entendais nous faire la leçon en rappelant que nous avions pris quelques coups de pied de la part des électeurs. Ces coups de pied ont ceci de singulier qu'ils sont donnés à chaque majorité,...

M. Franck Borotra.

Et à chaque échéance ! Il faut que la gauche s'y prépare !

M. Christian Kert.

... si je puis dire, en alternance.

M. Jean-Pierre Dufau.

C'est un courant alternatif !

M. Christian Kert.

La sagesse voudrait donc, en effet, que M. Brard et la majorité d'aujourd'hui se préparent à subir à leur tour la sanction des électeurs.

La France, monsieur le secrétaire d'Etat, n'a pas de chance avec les transpositions de directives européennes.

Nous avons déjà l'exemple de la directive Télévision sans frontières que nous n'avons toujours pas transposée, si bien que la Commission a saisi la Cour de justice des Communautés européennes. Heureusement, nous n'en sommes pas là avec votre texte, mais il était temps de le présenter et nous ne pouvons qu'espérer que les autorités européennes se contentent d'une première lecture à l'Assemblée avec déclaration d'urgence pour ne pas introduire une nouvelle procédure à l'encontre de la France, car il est clair que ce texte ne sera pas applicable avant de longs mois.

A ce premier regret s'ajoute celui, déjà exprimé ici, d'une ouverture que nous considérons a minima du marché intérieur. L'intitulé du projet de loi nous l'indique de façon très symbolique, puisque seul le service public de l'électricité est évoqué. Le Gouvernement a fait le choix d'une interprétation minimaliste. La majorité plurielle, sans doute, à quelques exigences, et nous en avons aujourd'hui un exemple frappant.

Mais, là encore, la France prend des risque inutiles. La dérégulation se poursuit chaque jour dans les Etats voisins, où les concurrents d'EDF se préparent et prennent de l'avance sur le nouveau marché de l'électricité.

Le groupe parlementaire, au nom duquel je mexprime, pense que cette directive aurait dû être considérée avec moins de méfiance. En effet, EDF possède des atouts indéniables que nous connaissons tous et il serait regrettable que sa situation de monopole vienne freiner son développement international, pourtant vital, et son adaptation à la concurrence.

Dans ces deux domaines, des retards ont été pris et l'on peut penser, par exemple, que les producteurs privés sauront, eux, proposer aux clients éligibles des offres commerciales globales et des offres de service.

Beaucoup de choses à ce stade du débat ayant été dites, j'aborderai seulement quelques points.

Tout d'abord, le transport. L'ouverture du marché de l'électricité n'est possible que si la gestion du réseau est clairement dissociée de la production. Tel sera le rôle du


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GRT, entité spécialisé dans le transport mais qui risque de ne pas être suffisamment autonome par rapport à EDF même s'il disposera d'un budget propre et si les modalités de nomination de son directeur peuvent donner l'impression d'une certaine indépendance par rapport au président de EDF, grâce aux amendements adoptés en commission. Le respect de la confidentialité des informations commercialement sensibles sera également un élément déterminant dans cette ouverture du marché.

S'agissant de la péréquation tarifaire, vous avez dit, hier soir, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle est le principe des principes. C'est en quelque sorte un système solidaire qui permet aux clients de n'importe quelles régions de France, quelles qu'y soient les difficultés géographiques ou climatiques, de payer un tarif identique à celui pratiqué dans tout autre région française. Cette égalité de tarif sur l'ensemble du territoire est sûrement l'un des grands principes du service public de l'électricité qui mérite d'être transposé à l'ensemble de la production électrique concurrentielle.

Je voudrais, par ailleurs, dire un mot particulier sur les chances de la complémentarité entre secteur public et concurrents privés. J'en ai un exemple dans ma région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où la SNET exploite une centrale thermique sur un site dont nous nous partageons la compétence avec mon collègue Roger Meï - même si nous ne siégeons pas sur les mêmes bancs, nous représentons le même territoire.

M. Christian Cuvilliez.

C'est une solidarité de territoire !

M. Christian Kert.

Cette centrale thermique à Gardanne-Meyreuil pourrait servir d'appui productif important à EDF si elle n'était aujourd'hui paralysée par certains syndicats accrochés à un site minier au charbon trop cher et de qualité trop moyenne. A cet égard, pemettezmoi de souligner que nous aurions bien besoin, pour l'équilibre de la distribution, que soit réalisée la ligne 400 000 volts reliant Boutre à Carros. Cela irriguerait harmonieusement les pays varois et niçois.

Cette centrale thermique, aujourd'hui paralysée - et l'on peut se demander si tel serait encore le cas s'il s'agissait d'un établissement EDF - s'est vu, par ailleurs octroyer, dans le cadre du pacte charbonnier signé par l'un de vos prédécesseurs, un rôle pilote dans la réalisation d'un pôle de reconversion du bassin minier de Provence.

La souplesse du statut du personnel de cette centrale n'est problablement pas pour rien dans le succès de cette formule. Encore faudrait-il, bien entendu, que le blocage réalisé par un petit nombre d'irréductibles n'obèrent pas les chances d'avenir de cette reconversion. Ces irréductibles pourraient, comme vous l'avez fait hier, relire Marcel Paul en 1946 : d'abord penser aux consommateurs ! Enfin, dernier point, le statut du personnel. Cette question est certainement la plus franco-française. L'extension du statut du personnel de l'EDF aux nouveaux entrants n'est pas économiquement viable.

M. Pierre Lellouche.

C'est inconcevable !

M. Christian Kert.

Un surcoût de plus de 40 % sur les rémunérations et sur les charges sociales est reconnu. Le texte ne donne ici aucune satisfaction. Une remise à plat dans la concertation devrait être mise en place tout en laissant l'application du statut actuel aux personnels qui en bénéficiaient à la date de transposition de la directive.

Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je suivrai mon collègue Birraux. Ce débat aurait pu, en effet, être l'occasion de faire évoluer très positivement EDF, de lui permettre de profiter du marché international et de devenir une grande multinationale au lieu de faire en sorte qu'elle reste une belle forteresse française bien isolée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes donc invités aujourd'hui à débattre d'un projet de loi qui va nécessairement redéfinir les contours de l'organisation française du service public de l'électricité pour les années à venir. Or, parce que l'énergie est un besoin primaire et vital pour les familles, parce que les tarifs de l'électricité sont en France parmi les plus compétitifs d'Europe, parce que l'entreprise publique EDF est un symbole de notre service public, nous avons le devoir d'agir avec la plus grande prudence, afin de ne pas bouleverser un secteur dont les Français sont majoritairement satisfaits.

Si nous sommes amenés aujourd'hui à réformer ce secteur c'est d'abord et avant tout pour se conformer à une directive européenne, négociée par l'ancienne majorité et adoptée par le Parlement européen contre l'avis du parti socialiste. Lionel Jospin, alors candidat aux élections législatives de 1997, a d'ailleurs eu l'occasion d'écrire : « Cette directive inspire aux socialistes la plus grande méfiance en ce qu'elle représente un risque pour le service public. »

M. Christian Cuvilliez.

Il avait raison !

M. Pascal Terrasse.

Désormais, il n'est plus question de juger de l'opportunité d'une directive en passe d'être appliquée par l'ensemble de nos partenaires européens.

Il est toutefois de notre responsabilité de veiller à ce que sa transposition ne se résume pas à une simple application mécanique d'une décision d'inspiration purement libérale.

M. Alain Cacheux.

Eh oui !

M. Pascal Terrasse.

Si le texte de loi proposé par le Gouvernement a su globalement exploiter les marges de manoeuvre existantes, il faut cependant souhaiter que la discussion parlementaire permette de lever un certain nombre d'inquiétudes et de réserves nées des perspectives d'ouverture de ce marché à la concurrence.

Ainsi, il conviendra d'être vigilant pour que la réforme de ce service public respecte les principes suivants.

Il faudra veiller à la péréquation tarifaire, à l'égale couverture du territoire, à la garantie de la sûreté d'alimentation et au maintien des dispositifs spécifiques en faveur des plus défavorisés. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de compléter ces dispositifs dans la loi contre les exclusions de juillet 1998.

Nous devrons aussi redéfinir clairement les compétences et les pouvoirs en matière de concurrence et de contrôle de la sûreté des installations.

Enfin, nous devrons réaffirmer les compétences de l'Etat en matière de politique énergétique, dans un souci de préservation des intérêts nationaux en termes de développement économique, d'indépendance énergétique et d'environnement.

Il est donc légitime, en premier lieu, de s'inquiéter de ce que la mise en concurrence du marché des clients dits

« éligibles » n'ait pas de répercussions directes sur le secteur non éligible, concernant la péréquation tarifaire et la couverture du territoire.


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La future organisation électrique française doit ainsi impérativement se saisir des préoccupations d'aménagement du territoire, notamment pour les zones les plus défavorisées et les plus éloignées.

M. Jean-Louis.

Tout à fait ! M. Pascal Terrasse. La concurrence entre opérateurs privés, favorables aux clients les plus rémunérateurs, ne doit pas contraindre EDF à délaisser les clients les moins rentables.

De ce point de vue, les récents événements météorologiques survenus dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche, qui ont provoqué des dégâts importants sur les lignes en zone rurale, montrent à quel point les impératifs de péréquation et de couverture uniforme du territoire peuvent se révéler coûteux pour EDF, mon collègue Montané en a largement parlé.

M. Jean-Louis Dumont.

Oui, il faut entretenir le réseau ! M. Pascal Terrasse. Il revient donc à l'Etat, garant du service public, de compenser ce surcoût pour garantir ainsi un service de première nécessité, accessible à tous, et en tous points du territoire.

En second lieu, nous ne pourrons faire l'économie, lors de ce débat, d'un examen approfondi portant sur la répartition des compétences et des pouvoirs entre le Gouvernement, le Parlement et la future autorité de régulation.

Cette dernière devra nécessairement être en capacité de veiller au respect de la concurrence.

Ce respect passe impérativement par l'extension du statut national des industries électriques et gazières à l'ensemble des opérateurs économiques qui seront à l'avenir amenés à intervenir dans ce secteur. De son côté, EDF devra s'engager à ne pas utiliser sa position dominante sur le marché des clients non éligibles pour concurrencer de façon déloyale les PME et les artisans du secteur de l'installation électrique intérieure.

M. Jean-Louis Dumont.

C'est vrai ! M. Pascal Terrasse. Enfin, les récents incidents survenus au centre de production nucléaire de Cruas-Meysse doivent nous rappeler que la recherche de compétitivité et de production au plus bas prix, conséquence inéluctable de l'ouverture à la concurrence, ne doit pas se traduire par un allégement des coûts de maintenance, un recours massif à la sous-traitance ou toutes autres mesures qui iraient à l'encontre de la sûreté des installations et de la sécurité publique.

M. Alain Cacheux. Très juste ! M. Pascal Terrasse. La valorisation économique du court terme ne doit pas l'emporter sur l'intérêt général, les exigences de sûreté et de préservation de l'environnement.

Enfin, troisième exigence de cette réforme, il faudra veiller à ce que la politique énergétique de la France reste de la compétence propre de l'Etat avec un rôle renforcé du Parlement.

Malgré les efforts qui pourront être accomplis dans le domaine des économies d'énergie, les experts s'accordent à reconnaître que le développement économique des prochaines décennies va s'accompagner d'un besoin énergétique accru.

M. Jean-Louis Dumont.

Et de qualité ! M. Pascal Terrasse. Cette tendance impose des décisions d'investissements rapides pour ne pas compromettre l'économie et l'indépendance énergétique de notre pays.

Nous sommes aujourd'hui devant un choix crucial et déterminant pour notre avenir.

Faut-il privilégier des considérations de court terme qui tendent à favoriser des sources énergétiques alternatives incapables de subvenir à nos besoins futurs ? Ou faut-il, dès à présent, privilégier une vision à long terme de nos besoins énergétiques qui passe par un renouvellement de notre parc électro-nucléaire ? S'il est difficile, comme le rappelle M. Christian Bataille, d'établir une distinction pertinente entre les

« bonnes » et les « mauvaises » énergies, le nucléaire français paraît aujourd'hui offrir les meilleures garanties.

En effet, en l'état actuel de nos connaissances, les sources d'énergie alternatives ou renouvelables ne peuvent intervenir qu'à titre complémentaire. Si elles peuvent permettre une diversification souhaitable et nécessaire dans certains cas, ces sources ne sont pas encore de nature à remplacer intégralement le nucléaire.

Pour exemple, l'énergie éolienne, utilisée dans mon département, nécessite des conditions de production particulières, tandis que la cogénération thermique à gaz ne s'adapte qu'à un contexte urbain, rejette des gaz à effet de serre et se révèle plus coûteux.

M. Alain Cacheux.

C'est vrai !

M. Pascal Terrasse.

L'électricité nucléaire reste donc l'élément pivot du paysage énergétique français. Il importe que la future loi permette une définition suffisamment anticipée de son développement.

La nécessité du renouvellement du parc nucléaire à l'horizon 2010 impose des décisions rapides, monsieur le secrétaire d'Etat, notamment concernant l'avenir des réacteurs de type EPR et la mise en place d'une véritable politique de recherche dans le domaine de la gestion des déchets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont.

Très bonne intervention !

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lellouche, dernier orateur de l'après-midi.

M. Pierre Lellouche.

Monsieur le secrétaire d'Etat, à quelque chose, malheur est bon. Vous êtes très en retard pour le dépôt de ce projet de loi et nous ne transposerons donc pas la directive dans les temps, puisque nous atteindrons la date butoir dans quarante-huit heures.

M. Jean-Louis Dumont.

C'est encore possible !

M. Pierre Lellouche.

Mais votre retard a au moins ceci de bon, c'est que ce texte arrive au début de la campagne é lectorale européenne et qu'il est exemplaire, à quatre mois du 13 juin, des contradictions, assez fondamentales, du Parti socialiste et de la majorité dite plurielle à l'égard de la construction européenne.

M. Alain Cacheux.

En matière de contradictions, vous êtes orfèvre !

M. Pierre Lellouche.

En effet, vous vous présentez à votre électorat comme favorables au traité d'Amsterdam, à la monnaie unique, à l'ouverture du marché, donc à l'évolution des services publics et à la façon dont leur mission est accomplie. Mais vous proposez à votre majorité une politique extraordinairement conservatrice, rigide, frileuse et qui va totalement l'encontre du processus dans lequel vous prétendez vous engager, celui de la libéralisa-


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tion des marchés, de l'ouverture des frontières. Cela ne peut que vous amener à des contradictions assez spectaculaires.

Reprenons le discours de politique générale de Lionel Jospin : « Les services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société à laquelle nous tenons pardessus tout. » C'est votre droit, c'est de l'idéologie. «

Ils sont au coeur du lien social. Ils garantissent à tous les citoyens l'égalité d'accès et de traitement [...]. Certains contribuent à notre indépendance énergétique. C'est notre sujet. - C'est pour cela que nous refusons leur transformation en objet de profit [...]. En l'absence de justification tirée de l'intérêt national, nous ne sommes p as favorables à la privatisation de ce patrimoine commun que sont les grandes entreprises publiques en situation de concurrence. »

M. Pascal Terrasse.

Très bonne citation !

M. Christian Cuvilliez.

Excellente citation !

M. Pierre Lellouche.

Ça, c'est pour le discours.

Ensuite, il y a la pratique. Quelle est-elle depuis vingt mois ? C'est un flot de privatisations sans précédent que vous appelez pudiquement « ouvertures de capital ».

D'Air France au Crédit lyonnais, la pratique va exactement à l'encontre de ce que vous aviez annoncé avant et pendant la campagne électorale et qui a été clairement indiqué dans le discours de politique générale.

Mais pour EDF et la SNCF, qui sont de véritables bastions syndicaux, vous vous heurtez à un problème. La tendance consiste alors à mener une bataille d'arrièregarde. Ce projet est donc une sorte de ligne Maginot juridique qui vise à préserver autant que possible le monopole d'EDF et à limiter de la même façon l'accès de nouveaux entrants sur le marché ; mais là, vous n'avez aucun choix. D'où les contradictions internes de ce texte.

Par ailleurs, il y a la contradiction politique dans laquelle vous vous trouvez pris. En effet, votre majorité n'est pas du tout d'accord avec vous, elle n'approuve même pas cette « ligne de crête » sur laquelle vous êtes engagé. D'un côté, les communistes ne veulent absolument pas qu'EDF change : ni le statut des personnels ni celui de l'entreprise.

M. Jean-Pierre Kucheida.

Ils ont raison !

M. Pierre Lellouche.

Or vous savez qu'il changera. De l'autre, les Verts sont fondamentalement hostiles au nucléaire qui est le coeur même d'EDF. Notons au passage que ces 80 % d'électricité nucléaire, c'est l'acquis gaulliste des trente dernières années.

Vous voilà donc coincé. Vous devez honorer la signature de la France, en l'occurrence celle de M. Juppé et de M. Borotra, mais également celle des Présidents, y compris du Président socialiste, tout en étant obligé de préserver les intérêts politiques et de votre électorat et de votre majorité. D'où ce capharnam juridique sur lequel mes collègues, beaucoup plus compétents que moi, et notamment mon ami Franck Borotra, reviendront au fil des amendements.

Disons brièvement qu'il n'y a aucune autonomie de gestion du réseau, aucune autonomie pour l'autorité de transport et aucun vrai pouvoir pour l'autorité de régulation. Soulignons l'inclusion abusive et franchement scandaleuse des surcoûts, comme la fermeture de Superphénix - autre affaire politique. Cette concession à Mme Voynet coûte quelque 35 milliards, excusez du peu ! Mais il y a aussi l'accord sur les 32 heures : 600 millions de francs.

Heureusement, qu'il y a des usagers-contribuables dans ce pays ! Je pourrais encore évoquer la pénalisation de la cogénération ou l'opacité du système de tarification ; mes collègues s'en chargeront au fil des nuits qui vont suivre.

Mais cette ligne Maginot, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, ne tiendra pas juridiquement. Elle sera dégommée en plein vol devant les tribunaux français et européens, et ce sera une source de contentieux permanent pour EDF.

Elle ne tiendra pas physiquement non plus car, plus vous rigidifierez les conditions sociales et les conditions d'opération d'EDF, plus vous inviterez les compétiteurs étrangers à s'installer de l'autre côté des frontières, en Belgique, en Espagne ou en Italie. Ils y produiront de l'électricité moins chère, ce qui conduira les clients français à aller s'approvisionner là-bas. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Kucheida.

Vos prédécesseurs avaient dit la même chose en 1946 !

M. Pierre Lellouche.

Je sais que cela vous déplaît, mais c'est malheureusement la vérité. C'est exactement ce qui s'est passé en matière de transport aérien. Regardez ce qui s'est passé avec la TAT et l'arrivée de British Airways dans le ciel français. Le même phénomène serait survenu dans les télécommunications si nous n'avions pas eu le courage, avec François Fillon, de privatiser France Télécom. Je rappelle qu'il y a à peine cinq ans, France Télécom, dont vous vous gargarisez aujourd'hui et qui vous a rapporté 30 milliards l'année dernière, n'était qu'une direction du ministère des Postes. A l'époque, ceux qui siégeaient sur les bancs de gauche étaient unanimement contre la privatisation de France Télécom. Aujourd'hui, vous êtes bien contents que son statut ait changé.

Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est inéluctable, votre système ne tiendra pas. La logique économique conduira les clients industriels, dont le coût énergétique représente souvent 25 % du chiffre d'affaires, soit à la délocalisation, soit à aller acheter l'électricité à l'étranger.

Enfin comme d'habitude, vous oubliez les contribuables qui sont aussi des usagers. Au nom de quoi allezvous empêcher les usagers privés d'accéder à de l'électricité moins chère ?

M. le président.

Je vous demande de conclure, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche.

Je termine d'une phrase, monsieur le président.

M. le président.

Une seule !

M. Pierre Lellouche.

Avec ce projet de loi, vous aviez l'occasion de faire oeuvre de modernité, y compris dans le sens de la social-démocratie moderne. Vous auriez pu faire « votre propre France Télécom ». Au lieu de cela, vous avez recréé le Gazprom de l'époque soviétique.

Mais, monsieur Pierret, même Gazprom a été privatisé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Non, pas du tout !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1999

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1253, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité : M. Christian Bataille, rapporteur, au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1371).

M. Jean-Louis Dumont, rapporteur pour avis, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis no 1383).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT