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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 1637)

1. Proposition de loi sur l'esclavage. - Discussion d'une proposition de loi (p. 1637).

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur de la commission des lois.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 1640)

MM. Louis Mermaz, Gilbert Gantier.

Rappel au règlement (p. 1642)

MM. Robert Pandraud, le président.

Reprise de la discussion (p. 1643)

MM. Georges Sarre, Anicet Turinay, Ernest Moutoussamy, Henry Jean-Baptiste, Kofi Yamgnane, Alfred Marie-Jeanne, Bernard Birsinger, Léo Andy, Mme Huguette Bello,

MM. Daniel Marsin, Camille Darsières.

Clôture de la discussion générale.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 1656)

Article 1er (p. 1656)

MM. Michel Tamaya, Elie Hoarau, Renaud Donnedieu de Vabres.

Amendements nos 16 rectifié de M. Mermaz et 8 de M. Claude Hoarau : MM. Louis Mermaz, Claude Hoarau. - Retrait de l'amendement no

8. Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Adoption de l'amendement no 16 rectifié.

Amendement no 1 rectifié de M. Marie-Jeanne : M. Alfred Marie-Jeanne. - Retrait.

Amendement no 11 de M. Birsinger : M. Bernard Birsinger, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux, M. Camille Darsières. - Rejet de l'amendement no

11. Le texte de l'amendement no 16 rectifié, précédemment adopté, devient l'article 1er

Article 2 (p. 1659)

M. Serge Blisko, Mmes la garde des sceaux, le rapporteur, MM. Louis Mermaz, Alain Néri, Bernard Birsinger, Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois ;

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Amendement no 5 de M. Turinay : M. Anicet Turinay,

Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 12 de M. Birsinger : M. Bernard Birsinger,

Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 2 de M. Marie-Jeanne : M. Alfred MarieJeanne, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Adoption de l'article 2.

Article 3 (p. 1662)

Amendement no 17 de M. Mermaz : M. Louis Mermaz,

Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. - Adoption.

L'amendement no 9 de M. Claude Hoarau n'a plus d'objet.

Amendement no 6 de M. Turinay : M. Anicet Turinay. Retrait.

Amendement no 3 de M. Marie-Jeanne : M. Alfred MarieJeanne, Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. Adoption.

Amendement no 4 de M. Marie-Jeanne : M. Alfred MarieJeanne, Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. Rejet.

Adoption de l'article 3 modifié.

Après l'article 3 (p. 1663)

Amendements nos 13 de M. Birsinger et 7 de M. Turinay : MM. Bernard Birsinger, Anicet Turinay, Mme le rapporteur, MM. le secrétaire d'Etat, Louis Mermaz. - Adoption de l'amendement no 13 rectifié ; l'amendement no 7 n'a plus d'objet.

Article 4 (p. 1664)

Amendement no 14 de M. Birsinger : M. Bernard Birsinger,

Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendement no 10 de M. Claude Hoarau : M. Claude Hoarau, Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. Adoption.

Adoption de l'article 4 modifié.

Article 5. - Adoption (p. 1664)

Après l'article 5 (p. 1665)

Amendement no 15 de M. Birsinger : M. Bernard Birsinger,

Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'Etat. - Rejet.

EXPLICATION DE VOTE (p. 1665)

M. Jean-Marc Ayrault.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 1666)

Adoption, par scrutin, de l'ensemble de la proposition de loi.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 1666).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

M. le président.

La séance est suspendue pour quelques instants.

(La séance, suspendue, est reprise à neuf heures trente.)

M. le président.

La séance est reprise.

1

PROPOSITION DE LOI SUR L'ESCLAVAGE Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Christiane TaubiraDelannon et plusieurs de ses collègues tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité (nos 1297, 1378).

Le rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République porte également sur trois propositions de loi : de M. Bernard Birsinger et plusieurs de ses collègues, relative à la célébration de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine (no 792) ; de M. Bernard Birsinger et plusieurs de ses collègues, tendant à perpétuer le souvenir du drame de l'esclavage (no 1050) ; de Mme Huguette Bello, M. Elie Hoarau et M. Claude Hoarau, relative à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité (no 1297).

La parole est à Mme le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la ministre de la justice, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, mes chers collègues, il y a bien sur d'éminentes personnes dans les tribunes, mais je souhaiterais saluer tout particulièrement neuf jeunes de Guyane que j'ai invités à venir vivre directement l'événement et qui sont là pour constituer une chaîne fraternelle. Ils sont amérindiens, bonis, créoles, haïtiens, français - on dit « métro » chez nous - et chinois pours ymboliser les quatre continents qui, en Guyane, construisent au quotidien la fraternité. Je leur souhaite en votre nom la bienvenue. (Applaudissements.)

Le sujet dont nous nous sommes emparés n'est pas un objet froid d'étude. Parce qu'il s'écoulera encore quelque temps avant que la paix et la sérénité ne viennent adoucir la blessure profonde qu'irrigue une émotivité inassouvie, parce qu'il peut être rude d'entendre décrire par le menu certains aspects de ce qui fut une tragédie longue et terrible, parce que l'histoire n'est pas une science exacte mais, selon Fernand Braudel, toujours à recommencer, toujours se faisant, toujours se dépassant, et parce que, enfin, la République est un combat, comme nous l'enseigne Pierre Nora, je propose, quoiqu'il ne soit pas d'usage de procéder ainsi, de convenir de ce que n'est pas ce rapport.

Ce rapport n'est pas une thèse d'histoire. Il n'aspire à aucune exhaustivité, il ne vise à trancher aucune querelle de chiffres, il reprend les seules données qui ne font plus litige.

Il n'est pas le script d'un film d'horreur, portant l'inventaire des chaînes, fers, carcans, entraves, menottes et fouets qui ont été conçus et perfectionnés pour déshumaniser.

Il n'est pas non plus un acte d'accusation, parce que la culpabilité n'est pas héréditaire et parce que nos intentions ne sont pas de revanche.

Il n'est pas une requête en repentance, parce que nul n'aurait l'idée de demander un acte de contrition à la République laïque, dont les valeurs fondatrices nourrissent le refus de l'injustice.

Il n'est pas un exercice cathartique, parce que les arrachements intimes nous imposent de tenaces pudeurs.

Il n'est pas non plus une profession de foi, parce que nous avons encore à ciseler notre cri de foule.

Pourtant, nous allons décrire le crime, l'oeuvre d'oubli, le silence, et dire les raisons de donner nom et statut à cette abomination.

Dès le début, l'entreprise fut marquée par la férocité.

Quinze années ont suffi pour faire totalement disparaître d'Haïti ses premiers habitants, les Amérindiens. Alors qu'on on en dénombrait 11 millions le long des Amériques en 1519, ils n'étaient plus que 2,5 millions à la fin du

XVIe siècle.

Elle fut rapidement justifiée : elle relevait de la mission civilisatrice, visait à sauver des êtres sans âme, cherchait à assurer le rachat de certains. Elle était légitimée par la prétendue malédiction de Cham.

Mais très vite, Césaire l'a démasquée : « le geste décisif est ici de l'aventurier et du pirate, de l'épicier en grand et de l'armateur, du chercheur d'or et du marchand, de l'appétit et de la force, avec, derrière, l'ombre portée, maléfique d'une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée d'étendre à l'échelle du monde la concurrence de ses économies antagonistes ».

La traite et l'esclavage furent extrêmement violents. Les chiffres qui prétendent les résumer sont d'une extrême brutalité. Dès 1978, Jean Mettas établit un bilan exhaustif de la traite et de l'esclavage pratiqués par la France.

Elle apparaît comme la troisième puissance négrière euro-


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péenne. Elle a donc pratiqué la traite, ce commerce, ce négoce, ce trafic dont les seuls mobiles sont l'or, l'argent, les épices. Elle a été impliquée après d'autres, avec d'autres, dans l'esclavage qui transforme l'homme en captif, qui en fait une bête de somme et la propriété d'un autre.

Le code noir, qui a séjourné dans le droit français pendant près de deux siècles, stipule que l'esclave est un meuble et que l'esclave affranchi doit un respect singulier à ses anciens maîtres, aux veuves et aux enfants.

Le commerce triangulaire a duré quatre siècles, puique les premiers navigateurs ont atteint le cap Bojador en 1416. Les premières razzias qui aient laissé des traces datent de 1441, sur le Rio de Oro. Il est vite apparu que les Amérindiens allaient être décimés de façon impitoyable, par l'esclavage, les mauvais traitements, le travail forcé, les épidémies, l'alcool, les guerres de résistance.

Le père dominicain Bartolomé de Las Casas, qui se proposait de les protéger, a suggéré l'importation massive d'Africains, réputés plus robustes.

Quinze à trente millions de personnes, selon la large fourchette des historiens, femmes, enfants, hommes, ont subi la traite et l'esclavage et probablement, au bas mot, soixante-dix millions, si nous retenons l'estimation qui établit que, pour un esclave arrivé aux Amériques, quatre ou cinq ont péri dans les razzias, sur le trajet jusqu'à la côte, dans les maisons aux esclaves de Gorée, de Ouidah, de Zanzibar et pendant la traversée.

Le commerce triangulaire a été pratiqué à titre privé ou à titre public pour des intérêts particuliers ou pour la raison d'Etat. Le système esclavagiste était organisé autour de plantations domaniales plus prospères ou aussi prospères que celles du clergé et de colons privés. Pendant très longtemps, jusqu'en 1716, les compagnies de monopole ont écarté l'initiative privée.

Mais le développement de l'économie de plantation, en plein siècle des Lumières, a nécessité l'ouverture de ce monopole. Les lettres patentes du 16 janvier 1716 ont a utorisé les ports de Rouen, de Saint-Malo, de La Rochelle, de Nantes et de Bordeaux à pratiquer le commerce de la traite, contre vingt livres par tête de noir introduit dans les îles et une exonération de la taxe à l'importation. Le régime fiscal était complété par des incitations en faveur des armateurs, des taxes sur l'affranchissement et des taxes sur les ports atlantiques.

Cette violence et cette brutalité expliquent très probablement, pour une large part, le silence convergent des pouvoirs publics, qui voulaient faire oublier, et des descendants d'esclaves, qui voulaient oublier.

Pourtant, nous savons le partage des responsabilités.

Nous savons les complicités d'antan et nos défaillances d'après.

« Ils ont su si bien faire les choses,

« Les choses, qu'un jour, nous avons nous-mêmes tout,

« Nous-mêmes tout foutu en l'air », hoquetait déjà Léon Gontrand Damas.

Nous sommes ici pour dire ce que sont la traite et l'esclavage, pour rappeler que le siècle des Lumières a été marqué par une révolte contre la domination de l'Eglise, par la revendication des droits de l'homme, par une forte demande de démocratie, mais pour rappeler aussi que, pendant cette période, l'économie de plantation a été si florissante que le commerce triangulaire a connu son rythme maximal entre 1783 et 1791.

Nous sommes là pour dire que si l'Afrique s'enlise dans le non-développement, c'est aussi parce que des générations de ses fils et de ses filles lui ont été arraché es ; que si la Martinique et la Guadeloupe sont dépendantes de l'économie du sucre, dépendantes de marchés protégés, si la Guyane à tant de difficultés à maîtriser ses richesses naturelles, si La Réunion est forcée de commercer si loin de ses voisins, c'est le résultat direct de l'exclusif colonial ; que si la répartition des terres est aussi inéquitable, c'est la conséquence reproduite du régime d'habitation.

Nous sommes là pour dire que la traite et l'esclavage furent et sont un crime contre l'humanité ; que les textes juridiques ou ecclésiastiques qui les ont autorisés, organisés percutent la morale universelle ; qu'il est juste d'énoncer que c'est dans nos idéaux de justice, de fraternité, de solidarité, que nous puisons les raisons de dire que le crime doit être qualifié. Et inscrit dans la loi parce que la loi seule dira la parole solennelle au nom du peuple français.

Cette inscription dans la loi, cette parole forte, sans ambiguïté, cette parole officielle et durable constitue une réparation symbolique, la première et sans doute la plus puissante de toutes. Mais elle induit une réparation politique en prenant en considération les fondements inégalitaires des sociétés d'outre-mer liées à l'esclavage, notamment aux indemnisations en faveur des colons qui ont suivi l'abolition. Elle suppose également une réparation morale qui propulse en pleine lumière la chaîne de refus qui a été tissée par ceux qui ont résisté en Afrique, par les marrons qui ont conduit les formes de résistance dans toutes les colonies, par les villageois et les ouvriers français, par le combat politique et l'action des philosophes et des abolitionnistes. Elle suppose que cette réparation conjugue les efforts accomplis pour déraciner le racisme, pour dégager les racines des affrontements ethniques, pour affronter les injustices fabriquées. Elle suppose une réparation culturelle, notamment par la réhabilitation des lieux de mémoire.

Bien sûr, cela constitue une irruption un peu vive, un peu brutale, mais il y a si longtemps que nous frappons à la porte. Léon Gontrand Damas déjà hurlait son ressentiment : « Je me sens capable de hurler pour toujours contre ceux qui m'entourent et qui m'empêchent à jamais d'être un homme.» Le dialogue semble amorcé. Avec mille précautions, comme font ceux qui savent que souvent les mots charrient beaucoup plus que ce qu'on leur confie. Avec des préliminaires attentifs car nous savons que nous avons tant de choses à nous dire. Mais nous allons cheminer ensemble dans notre diversité, parce que nous sommes instruits de la certitude merveilleuse que si nous sommes si différents, c'est parce que les couleurs sont dans la vie et que la vie est dans les couleurs, et que les cultures et les desseins, lorsqu'ils s'entrelacent, ont plus de vie et plus de flamboyance. Nous allons donc continuer à mêler nos dieux et nos saints, nous allons partager le cachiri et le swéli et nous allons implorer ensemble l'Archange, Echu, Gadu, Quetzalcatl, Shiva et Mariémin.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, Christiane Taubira-Delannon vient, avec simplicité, sans emphase, de restituer devant l'Assemblée nationale toute l'horreur et la terrible réalité de la traite et de l'esclavage des hommes, des femmes et des enfants d'Afrique, son organisation implacable, sa cruauté et sa violence.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

L'an dernier, nous avons célébré le cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans notre pays.

C'est en effet le 27 avril 1848 que le gouvernement provisoire de la République française a décrété : « L'esclavage est entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises ». La France, pays des droits de l'homme, proclamait enfin que l'esclavage était un attentat contre la dignité humaine, qu'il constituait une violation flagrante du dogme républicain : « Liberté, égalité, fraternité ».

Mais combien d'enfants, de femmes et d'hommes avaient été auparavant sacrifiés ? Combien de familles avaient été détruites, de personnes déracinées, déporté es, assassinées ? Nul ne le sait exactement, mais les victimes de l'esclavage se comptent en millions.

C'est sur l'horreur de la traite et de l'esclavage des populations du continent africain que je souhaite m'arrêter avant de vous indiquer pourquoi le Gouvernement soutient la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui.

Il me semble en effet nécessaire, au moment où nous faisons cet indispensable devoir de mémoire, de rappeler quelques points d'histoire pour bien mettre en évidence la portée de la proposition de loi adoptée par votre commission des lois.

Les génocides épouvantables commis par notre siècle ne doivent pas nous faire oublier l'immense plainte qui monte dès le

XVIe siècle des côtes de l'Afrique occidentale.

Durant trois siècles, des millions d'êtres humains vont être victimes du commerce triangulaire inventé par les civilisations européennes pour accroître les richesses de certains.

Arrachés à leur terre, à leur famille, ces hommes, ces femmes, ces enfants sont vendus comme de simples marchandises, dans des marchés à bestiaux où ils sont offerts à l'évaluation des acquéreurs. Ils sont ensuite transportés de l'autre côté des mers dans des conditions d'entassement effroyables, empilés dans des entreponts, enchaînés et immobiles. Vous avez rappelé, Mme Christiane Taubira-Delannon, que très nombreux étaient ceux qui ne survivaient pas à de telles conditions de transport.

Mais il y a encore un degré supplémentaire dans l'horreur : le droit est intervenu pour consacrer leur asservissement.

Dès 1685, le code noir édicté par Colbert fonde, le

« non-droit à l'Etat de droit » des esclaves noirs dont l'inexistence juridique constitue la seule et unique définition légale. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ne sont plus au regard de la loi, des êtres humains. Ils sont du

« bois d'ébène », simple marchandise que l'on vend et achète avant de l'exploiter.

Ainsi, l'article 31 de ce code noir qui, ne l'oublions pas, est resté en vigueur, presque sans interruption, de 1685 à 1848, prévoit que les esclaves ne pourront invoquer la loi, ni être parties à un procès civil ou criminel tant en demande qu'en défense.

L'article 38 de ce même texte dispose que l'esclave fugitif aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur l'épaule, qu'à la première récidive, il aura le jarret coupé et sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule, et qu'à la seconde récidive il sera puni de mort.

Pour faire appliquer ce droit, les maîtres de ces esclaves bénéficiaient d'un appareil de répression terrible, constitué par la milice, la maréchaussée et les chasseurs de

« nègres marrons ».

Certes, la condition de ces être humains a indigné quelques hommes d'église et certains philosophes, On peut rappeler ici les noms de l'abbé Guillaume Thomas Raynal, ceux des membres de la société des amis des noirs dont l'abbé Grégoire, Condorcet, Brissot ou de Saint-Lambert.

Même la Révolution française, porteuse des idéaux des Lumières, ne parvint pas à faire disparaître définitivement cet ordre esclavagiste. Alors que l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 venait de proclamer que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, l'Assemblée constituante, dès 1791, a privé cette déclaration de sa portée universelle en refusant par décret aux hommes et aux femmes de couleur tous droits de citoyen.

Ce n'est que la Convention, le 4 février 1794, qui supprima l'esclavage mais pour quelques années seulement, puisque celui-ci fut rétabli dans les colonies par Bonaparte le 10 mai 1802.

Le peuple noir tenta alors de se libérer par lui-même.

Ainsi, les « nègres », comme on disait à l'époque, fomentèrent diverses révoltes et séditions.

C'est sous la pression des esclaves de Saint-Domingue que les commissaires de la Convention durent proclamer en Guadeloupe la liberté générale le 29 août 1793. Personne ne saurait oublier l'action de Toussaint Louverture.

A la Guadeloupe, rappelons que Delgrès, officier français, prit la tête d'une armée insurrectionnelle pour s'opposer au rétablissement de l'esclavage.

C'est d'ailleurs pour rendre hommage à l'action de ces deux hommes qui ont toujours cru à la France lorsqu'elle était elle-même, c'est-à-dire fidèle à son idéal de justi ce et de droit, que leurs noms viennent d'être inscrits, le 27 avril dernier, dans la crypte du Panthéon.

Tous ces combats finirent par aboutir, notamment grâce à la volonté tenace de Victor Schoelcher, président de la commission d'émancipation, et à conduire, en 1848, à l'abolition définitive de ce statut d'une discrimination absolue que constitue l'esclavage.

Depuis, je rappellerai que le préambule de la Constitution de 1946 proclame que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ou de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La France a par ailleurs signé et ratifié diverses conventions internationales qui prohibent l'esclavage et les autres formes d'asservissement.

Outre la Déclaration universelle des droit de l'homme du 10 décembre 1948, il faut citer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, le pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant de 1989.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui ne comporte pas d'innovation juridique, mais elle apporte une dimension symbolique forte à la condamnation de l'esclavage. C'est pourquoi le Gouvernement y apporte son adhésion.

Ce texte vise en effet à ce que notre pays reconnaisse officiellement que l'esclavage pratiqué notamment dans nos colonies est un crime contre l'humanité.

Avant d'examiner plus précisément le contenu de cette proposition, je souhaite en souligner la portée.

En reconnaissant ainsi à l'esclavage le caractère de crime contre l'humanité, notion qui découle du droit naturel et qui a été consacrée en droit à l'occasion du procès de Nuremberg, nous remplissons un devoir de mémoire vis-à-vis du passé mais nous réaffirmons en même temps, au présent, notre refus de toutes les discriminations, notre amour de la liberté et de l'égalité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Qualifier l'esclavage de crime contre l'humanité, c'est d'abord, bien sûr, s'acquitter d'une dette envers toutes ces générations sacrifiées et leurs descendants qui portent encore aujourd'hui les traces de ces souffrances. C'est notre devoir de mémoire que nous remplissons. Et je suis heureuse d'être, à cette occasion, avec M. Jean-Jack Q ueyranne, porte-parole du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.

Par sa valeur d'exemple, la condamnation de ce crime doit aussi nous conduire à réaffirmer notre refus de toutes les formes actuelles de discriminations, notamment toutes les formes modernes d'asservissement de l'homme par l'homme qui, aujourd'hui encore, nous entourent.

Elle doit nous faire prendre conscience que la lutte contre l'esclavage, et plus largement contre toutes les exclusions, n'est pas achevée, loin s'en faut. L'esclavage existe toujours. Il frappe toujours les plus faibles, les plus défavorisés, notamment les enfants. Le combat doit se poursuivre.

J'en viens maintenant à l'analyse juridique des dispositions de ce texte.

Son article 1er qualifie de crime contre l'humanité la traite et l'esclavage des populations noires perpétrés à partir du XVe siècle. Cet article, il est vrai, n'a pas de conséquence juridique, notamment en droit pénal. Mais sa dimension symbolique est essentielle. Je l'ai déjà souligné et je n'y reviendrai pas.

Son article 2 a pour objet de favoriser une meilleure connaissance de tous sur ce qu'a été l'esclavage qu'ont subi les populations africaines. Il est en effet certain que la prise de conscience collective, que, comme le Gouvernement, vous appelez de vos voeux, exige que tous soient informés, notamment les nouvelles générations dans le cadre de l'école.

L'article 3 de la proposition veut permettre de dépasser le cadre strictement national afin que la condamnation de l'esclavage s'exprime aussi au niveau international. Bien entendu, la recherche d'une date pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage ne doit pas conduire à remettre en cause celle du 27 avril que notre pays a choisie depuis 1983 pour associer la nation t out entière à la reconnaissance de cet héritage esclavagiste.

L'article 4 du texte prévoit d'instaurer un comité chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire.

Cela contribuera à la sensibilisation de tous, et le Gouvernement ne peut qu'y être favorable.

Enfin, l'article 5 reconnaît aux associations de défense de la mémoire des esclaves le droit de se constituer partie civile en cas d'injures ou de diffamations racistes ou de provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste. Cette modification est bienvenue car, outre ses conséquences pratiques, elle rappelle clairement que le racisme, entendu comme la certitude aveugle et imbécile qu'il existe des races supérieures autorisées à dominer des races inférieures, est à l'origine de l'esclavage.

Je conclurai en soulignant que c'est à l'honneur de l'Assemblée nationale d'avoir voulu, par ce texte, inscrire dans la loi, un devoir de mémoire à l'égard de ces mill ions d'hommes, de femmes et d'enfants, victimes d'autres hommes. A cet égard, je tiens à remercier les auteurs des propositions de loi et à saluer particulièrement votre commission des lois et son... sa rapporteur, Mme Taubira-Delannon, pour cette page d'humanité qui viendra s'inscrire dans notre ordre juridique, et, je l'espère, dans la mémoire de ceux qui sont ici, sur nos bancs ou dans les tribunes du public, de ceux qui nous entendent et de tous les enfants de notre République, pour qu'ils sachent ce qui s'est passé, pendant plus de trois siècles, jusqu'en 1848. (Applaudissements.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outremer, mes chers collègues la proposition de loi déposée par notre collègue Mme Christiane Taubira-Delannon et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste tend à reconnaître la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité.

La commission des lois a débattu également d'autres propositions. Deux propositions émanent de M. Bernard B irsinger et du groupe communiste : la première concerne la célébration de l'abolition, la seconde perpétue le souvenir de ce drame. Nous nous sommes aussi intéressés à un texte de Mme Huguette Bello, de M. Elie Hoarau et M. Claude Hoarau qualifiant la traite et l'esclavage de crimes contre l'humanité.

Comme l'ont dit le rapporteur, Mme Taubira-Delannon et Mme la garde des sceaux, nous sommes en présence d'un devoir de mémoire : restituer à nos compat riotes d'outre-mer, mais aussi à l'ensemble de la communauté nationale, le passé dans sa vérité, ici dans sa cruauté, comme cela a été rappelé, en sachant que la recherche historique, qui a déjà beaucoup fait pour cela, se poursuivra, d'autant plus efficacement, d'ailleurs, qu'un tabou aura été levé.

On a commencé de parler, d'enseigner dans nos écoles ce qu'a été l'abolition de l'esclavage et de dénoncer la traite.

M. Robert Pandraud.

Quel résultat cela aura-t-il ?

M. Louis Mermaz.

La célébration du cent cinquantième anniversaire du décret pris à l'initiative de Victor Schoelcher en 1848 a revêtu une grande ampleur, mais c'est vrai que, depuis toujours, on a été beaucoup plus imprécis, voire silencieux, sur la réalité de la traite et de l'esclavage, sur la traite négrière transatlantique, et sur la traite dans l'océan Indien, dont ont été victimes les populations malgaches. On a fait également le silence sur la résistance des esclaves et sur la cruauté de la répression.

Le devoir de mémoire est donc un acte de justice. La reconnaissance par la République française du crime que constituent la traite et l'esclavage est d'autant plus légitime et naturel que ce fut toujours dans le passé la République qui dénonça ces faits.

La Ire République a aboli l'esclavage le 4 février 1794, mais celui-ci fut rétabli dès le régime autoritaire du Consulat, en 1802, et perdura jusqu'en 1848, à travers des régimes autoritaires, pour être définitivement aboli dans les colonies françaises le 4 mars et le 27 avril 1848, par la IIe République.

Oui, c'est la République française qui a mis fin à la traite et à l'esclavage, héritage de l'Ancien Régime, qui enserrait les sujets du roi de France dans un système féodal,...

M. Robert Pandraud.

Tout le monde ne partage pas cette analyse !

M. Louis Mermaz.

... et il y avait encore, monsieur Pandraud, quelque 500 000 serfs à la veille de la Révolution française !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. Robert Pandraud.

Absolument !

M. Louis Mermaz.

Traite et esclavage avaient pris une ampleur sans précédent, en particulier avec la traite négrière transatlantique, à l'aube du capitalisme, dont la recherche du profit maximum, hors de toute considération humaine, était le fondement ; le commerce triangulaire en fut la manifestation la plus aiguë.

Devoir pédagogique ensuite, avertissement solennel pour les temps présents, car l'esclavage, au sens classique du terme, existe encore, hélas ! dans plusieurs pays avec lesquels nous entretenons des relations diplomatiques classiques et qui siègent à l'ONU. L'ONU, qui continue de se préoccuper, en ce moment même, de ce problème notamment à travers les réflexions et les délibérations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.

Mais que dire aussi du travail des enfants, qui se poursuit, et dont tirent bénéfice de nombreuses multinationales, car on est passé aujourd'hui du précapitalisme à l'ultralibéralisme ? Que dire de l'exploitation des sans-papiers par les ateliers clandestins, sans-papiers livrés à leurs exploiteurs et que nous laissons encore sans moyens de se défendre ? Que dire aussi de la condition salariale, parfois forme moderne de l'esclavage. Le champ sémantique, le vocabulaire, est d'ailleurs significatif : lorsqu'on parle de « marché du travail », est-ce que ça ne rappelle pas quelque chose ? Oui, devoir de mémoire ! Comment ne pas invoquer les principes fondateurs de la nation française à l'ère des Lumières : liberté, liberté chérie, égalité, fraternité, mais aussi le devoir d'alerte, au plan national et au plan international ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je commencerai par une citation : « Je ne sais si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour les plantes ; on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour les cultiver. » Ainsi

Bernardin de Saint-Pierre évoquait-il le triste sort des esclaves dans le Voyage à l'isle de France en avril 1768.

J'ose à peine citer l'un des pères de la démocratie moderne, Montesquieu qui écrit dans L'Esprit des lois :

« Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : "Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves". » Pardonnez-moi de ne pas poursuivre.

Nous sommes présents ici, ce matin, pour dénoncer et condamner une nouvelle fois cette déportation massive et la réduction en esclavage des populations africaines perpétrées entre le XVe et le

XIXe siècles par les nations européennes. Nous sommes tous d'accord pour considérer que la traite européenne, qui commence à la fin du XVe siècle et va se perpétuer jusqu'au

XIXe siècle, déportant et réduisant en esclavage près de 12 millions de personnes, est un crime contre l'humanité. En effet, constituent des crimes contre l'humanité les actes inhumains et les persécutions qui, au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique contre les personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale, religieuse ou à un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire.

Ainsi le génocide, la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, organisés en exécution d'un plan concerté, sont des crimes contre l'humanité. La traite négrière est donc, de t oute évidence, un crime contre l'humanité. Nous sommes tous d'accord. Etait-il vraiment nécessaire de le rappeler ici aujourd'hui ? Pour tout vous avouer, j'ai craint ce débat.

M. Kofi Yamgnane.

Oh !

M. Gilbert Gantier.

J'ai craint que ne ressurgissent certains sectarismes et certaines assimilations trop faciles.

Il n'y a pas si longtemps, dans cet hémicycle même, le Premier ministre de l'actuel gouvernement n'a pas hésité à injurier la droite en la traitant d' « esclavagiste » et d' « antisémite ». J'espère que le ton ne sera pas le même aujourd'hui.

M. Kofi Yamgnane.

C'est la droite de l'époque qui était visée !

M. Gilbert Gantier.

Nous sommes tous les successeurs de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et de la naissance des libertés. Nous sommes tous les successeurs de Victor Schoelcher et de l'abolition de l'esclavage en 1848. Pas plus que du coeur, vous n'avez le monopole des progrès de la liberté.

M. Alain Néri.

Votre intervention n'est pas à la hauteur du débat !

M. Gilbert Gantier.

Au contraire, la condamnation de l'esclavage est une idée profondément libérale. Le libéralisme est une philosophie qui, depuis le miracle grec, en passant par les religions judéo-chrétiennes pour arriver aux articles immortels de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, reconnaît la primauté de l'homme sur la société...

M. Serge Janquin.

On a vu les ravages de cette philosophie !

M. Gilbert Gantier.

... et affirme la dignité intrinsèque et inaliénable de la personne humaine.

M. Serge Janquin.

Pour elle, l'homme est un loup pour l'homme !

M. Gilbert Gantier.

Et 1789 est l'aboutissement de ce lent cheminement intellectuel qui met l'homme au centre de toutes les politiques économiques et sociales. C'est le point de départ du progrès de toutes les libertés individuelles. En effet, c'est parce que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » que l'esclavage est intolérable, et, même s'il a fallu attendre 1848 pour que l'esclavage soit définitivement aboli en France, c'est grâce au premier article de la Déclaration que l'abolition a été possible.

L'abolition de l'esclavage ne vient pas d'une vision marxiste de la lutte des classes, de l'homme contre l'homme, mais au contraire d'une vision libérale où l'homme est par nature libre et responsable de ses actes.

M. Kofi Yamgnane.

Oh là là !

M. Alain Néri.

Quel art de la récupération !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. Gilbert Gantier.

La déportation et la réduction en esclavage sont des crimes injustifiables. Ceux qui les ont subies méritent réparation. Mais ne vaut-il pas mieux subir l'injustice que la commettre, tant ces crimes sont vils et bas ? Pourtant, le groupe Démocratie libérale ne participera pas à ce vote. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Camille Darsières et M. Alain Néri.

C'est scandaleux !

M. Serge Janquin.

Quelle honte !

M. Gilbert Gantier.

Et cela pour plusieurs raisons, que je vais développer.

M. Alain Néri.

Il n'y a pas d'explication possible ! Vous devriez avoir honte !

M. Gilbert Gantier.

D'abord, parce qu'il nous semble que la réduction en escalavage est un crime contre l'humanité d'une telle évidence qu'il est absolument superfétatoire de mobiliser le Parlement pour le proclamer en 1999. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Serge Janquin.

Jésuite !

M. Gilbert Gantier.

De plus, les Nations unies doivent se pencher le mois prochain sur le problème de la réparation matérielle de la traite, qui pourrait être déclairée

« crime contre l'humanité ». Mais la République française ne peut le faire pour le monde entier, à moins de considérer cette proposition de loi comme une simple déclaration sans portée, ce qui serait faire injure à la cause juste que nous défendons. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Serge Janquin.

Il faut voir comment !

M. Yves Tavernier.

Pitoyable !

M. Gilbert Gantier.

Il était donc inutile, contrairement à ce que prévoit la proposition de loi, de déclarer la traite négrière crime contre l'humanité et d'introduire une requête visant à faire reconnaître la traite négrière transa tlantique comme un crime contre l'humanité par les instances internationales, puisque les Nations unies sont déjà saisies de ce problèmes.

M. Kofi Yamgnane.

C'est intolérable !

M. Gilbert Gantier.

Mais, surtout, le groupe Démocratie libérale craint l'instauration d'une certaine histoire officielle qui, loin d'approfondir l'étude de cette période, la figera au niveau des connaissances actuelles.

En effet, l'« infâme trafic » est, comme l'a dit Federico Mayor, directeur général de l'UNESCO, « encore un vaste trou noir dans l'histoire de l'humanité ».

M. Kofi Yamgnane.

Noir ! Tout à fait !

M. Gilbert Gantier.

Arthur Rimbaud a dit : « La contemplation de la justice est le plaisir de Dieu seul. » Il

en va de même de la vérité, quiconque a tâté du journalisme ou de l'histoire le sait bien. On croit n'avoir rien laissé dans l'ombre et, un beau matin, on découvre une faille, parfois le pot aux roses. L'historien Jules Isaac, qui a été l'un de mes maîtres l'a constaté : « C'est après, touj ours après, qu'apparaît la réalité, avec son visage inquiétant. »

Or ce n'est qu'à partir de la seconde moitié des années 1960 que des historiens scientifiques, surtout anglosaxons, d'ailleurs, ont commencé à s'attacher véritablement à l'étude scientifique de la traite des noirs.

M. Camille Darsières.

Ça n'a pas été le cas d'Isaac !

M. Gilbert Gantier.

Depuis, les recherches se sont multipliées en Europe, en Amérique et en Afrique, au sein des trois continents impliqués dans ce trafic infâme.

Vous voulez en outre inscrire dans la loi que le programme des manuels scolaires accordera à la traite négrière la place conséquente qu'elle mérite. Mais l'organisation et le contenu des formations sont définis par décrets et arrêtés du ministre de l'éducation nationale. Ce n'est donc pas à la loi de fixer les programmes des manuels. C'est contraire à l'article 34 de la Constitution qui, vous le savez aussi bien que moi, définit le domaine de la loi.

M. Kofi Yamgnane.

Hallucinant !

M. Gilbert Gantier.

En 1994, l'UNESCO a décidé d'atteler des chercheurs des trois continents concernés à l'étude de la traite des noirs. D'abord discrète, l'entreprise, baptisée la route de l'esclavage, a reçu cette année l e soutien de Jacques Chirac, Président de la République,...

M. Camille Darsières.

Pas le vôtre !

M. Gilbert Gantier.

... à l'occasion de la célébration du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage par la France.

Ce comité international composé d'historiens, d'anthropologues et de philosophes devra dresser, d'ici à 2004, le premier bilan réellement détaillé des quatre siècles de traite active, jusqu'à l'ultime traité d'abolition, qui date, je le rappelle, de 1873.

Il faut donc étudier, approfondir, rechercher,...

M. Camille Darsières.

Commencez par étudier vous-même !

M. Gilbert Gantier.

... et non se limiter, comme vous le p roposez, à instaurer un nouveau comité national, composé de personnalités qualifiées chargées de proposer des lieux et des actions de mémoire.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, et en réaffirmant à nouveau notre foi la plus profonde dans la dignité et la grandeur de tout homme,...

M. Alain Néri.

Arrêtez-le, monsieur le président, ça suffit !

M. Gilbert Gantier.

... nous ne participerons pas au vote de cette proposition de loi, qui n'est en rien une réponse digne et adaptée aux problèmes de ces territoires blessés par cette trop sombre période de l'histoire de l'humanité. Je vous remercie de votre attention. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Robert Pandraud.

Très bien !

M. Alain Néri.

Nous, on ne vous remercie pas !

M. Camille Darsières et M. Serge Janquin.

Ignoble ! Rappel au règlement

M. Robert Pandraud.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Robert Pandraud, pour un rappel au règlement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. Robert Pandraud.

Monsieur le président, il y a longtemps que, nous n'avions vu une telle séance. Un orateur, qui avait parfaitement le droit de dire ce qu'il a dit, et qui parlait au nom de son groupe, a dû pratiquement interrompre son propos sans que vous n'interveniez.

M. Jean Codognès.

Pas du tout !

M. Robert Pandraud.

Je souhaite rappeler la présidence à son devoir d'impartialité.

Dans notre assemblée, toutes les opinions peuvent s'exprimer, et il n'y a pas de service obligatoire de repentance. Chacun peut avoir ses idées.

M. Jean Codognès.

Mme le rapporteur a déjà dit que chacun pouvait avoir son opinion. Il fallait être là au début de la séance !

M. Robert Pandraud.

En ce qui me concerne, je n'ai pas l'intention, au cours de ce débat, de me repentir de ce qu'ont pu faire éventuellement nos ancêtres. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mais je ne veux pas que mes ancêtres rougissent de moi, et je n'ai pas à me livrer à des actes de repentance.

M. le président.

Monsieur Pandraud, il ne s'agit pas tout à fait d'un rappel au règlement, car votre intervention porte sur le fond.

Par ailleurs, lorsque M. Louis Mermaz s'est exprimé,...

M. Robert Pandraud.

Je ne l'ai pas interrompu !

M. le président.

... vous l'avez interrompu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mais ces interruptions, aussi bien les vôtres pendant l'intervention de M. Louis Mermaz que celles d'autres collègues pendant l'intervention de M. Gilbert Gantier, n'ont pas dépassé le niveau ordinairement observé dans cette assemblée.

M. Camille Darsières.

Ce n'étaient pas des interruptions, mais des manifestations d'indignation ! Reprise de la discussion

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, l'examen par l'Assemblée d'une proposition de loi tendant à qualifier de crime contre l'humanité et la déportation et l'exploitation massive de populations africaines est aujourd'hui opportune.

Il ne s'agit pas d'un débat ordinaire : il fera date. Et je regrette que, dans les moments où les Françaises et les Français sont unanimes à condamner l'esclavage - cette histoire terrible, douloureuse - il n'y ait pas dans l'hémicycle ce sentiment qu'il est en effet nécessaire de regarder le passé, de condamner ce qui doit être condamné, pour mieux servir le présent et, en particulier, travailler en faveur de la citoyenneté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Henry Jean-Baptiste.

Très juste !

M. Georges Sarre.

L'inscription de ces faits barbares dans la mémoire collective de la République est une façon d'approfondir et de renforcer la citoyenneté, en particulier chez celles et ceux de nos concitoyens dont les ancêtres furent victimes du système esclavagiste. Dans ce cas, le caractère d'atteinte à la dignité humaine ne fait aucun doute car la traite et l'esclavage ne furent que la cruelle et terrible manifestation du préjugé inégalitaire qui avait cours alors.

L à-dessus s'est bâti un système économique impitoyable.

D'autre part, la France ne serait pas fidèle à son histoire si elle s'interdisait de faire référence à la situation actuelle dans certaines régions du monde où, si le mot

« esclavage » est banni par les textes internationaux, sa réalité économique parfois, hélas ! existe.

Refusant le sentimentalisme et l'autoflagellation, mais condamnant sans appel le passé, nous réaffirmons de manière positive des principes qui ont une histoire : des républicains courageux et souvent minoritaires, auxquels vous avez fait appel, madame le rapporteur - je pense aux Brissot, aux Condorcet, à l'abbé Grégoire, de la Société des amis des Noirs et aux conventionnels qui abolirent par acclamation une première fois l'esclavage le 16 pluviôse an II -, ont ouvert la voie à l'abolition définitive par le décret du 27 avril 1848. C'est cette République-là que nous aimons et que nous portons.

Il est essentiel de se souvenir que l'abolition est aussi le début d'une ère nouvelle qui concorde avec l'affirmation de la citoyenneté.

La loi de pluviôse décide que « les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution ».

De même, le décret justement célèbre de Victor Schoelcher rappelle dans un considérant que « l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe du droit et du devoir ».

Aujourd'hui que la République s'apprête à nommer et à reconnaître le crime, nous invitons plus que jamais nos compatriotes descendants d'esclaves à participer à la vie de la communauté nationale. La République, si elle reconnaît désormais le crime contre l'humanité, ne distingue pas plus qu'hier, et c'est heureux, les citoyens selon leurs origines.

Que serait cependant la citoyenneté sans la possibilité de l'exercer ? Pourquoi voter ce texte si ce n'est aussi pour condamner les esclavagistes contemporains ? Les deux questions ne font qu'une, tant il est vrai que nous croyons, comme Aimé Césaire évoquant un siècle plus tard la figure de Schoelcher, que « de cet homme admirable, il serait vain de commémorer la mémoire, si l'on n'était décidé à imiter sa politique ».

Il y a encore des esclaves, M. Louis Mermaz l'a rappelé. L'actualité le montre : au Pakistan, au Soudan et ailleurs dans le monde. Les responsables sont toujours les mêmes : la féodalité, la misère, le rapport de force et le profit. Rien ne sert de s'insurger en paroles quand la quête forcenée du coût du travail le plus bas sert de mobile à l'exploitation dans les pays dont la maind'oeuvre est sous-payée.

Une conception pleine et entière de la citoyenneté implique évidemment une dimension sociale.

Le vote de ce texte inscrira dans la loi qu'au-delà de la reconnaissance des faits historiques la condamnation de l'esclavage vaut en tous temps et en tous lieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Anicet Turinay.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. Anicet Turinay.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, à la veille de l'an 2000, neuf mois de commémoration du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage auront accouché d'une proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite négrière et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, condamnant cette effroyable période de l'histoire passée sous silence.

Certains se demandent encore aujourd'hui, à quoi cela sert-il ? Descendant d'esclave, je leur répondrai : c'est la manière la plus forte de cicatriser les plaies encore trop fragiles de ceux dont les ancêtres furent esclaves.

Il est temps que la France assume pleinement et sans le cacher cette page tragique de son histoire. Il est temps qu'elle reconnaisse cette tragédie qu'elle a orchestrée à l'instar d'autres pays européens.

Il faut que cesse la politique de l'oubli ! A la mémoire des quinze millions d'hommes et de femmes arrachés à l'Afrique, à la mémoire de ceux qui par millions sont morts dans les bateaux négriers, à la mémoire de ceux qui, pendant quatre siècles, ont subi le joug, l'humiliation et la torture, à la mémoire de ceux dont le sang paya une prospérité à d'autres destinée, à la mémoire de ceux qui se sont révoltés contre cette servitude, à la mémoire du génocide et de l'extermination des populations originelles qui peuplaient l'Amérique et les Caraïbes, il faut reconnaître la traite négrière en tant que crime contre l'humanité.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, et M. Yann Galut.

Bravo !

M. Anicet Turinay.

Contrairement au génocide juif, personne n'est là aujourd'hui pour en témoigner. Cependant, la traite négrière est inscrite non seulement dans les consciences, mais également dans des monuments, sites, châteaux-forts, qui jalonnent de manière significative tout son parcours : l'île de Gorée au Sénégal, Ouidah au Bénin, pour ne citer que ceux-là.

Q uatre siècles durant lesquels l'asservissement de l'homme noir par l'homme blanc était considéré comme normal ! Et c'est bien là la singularité incroyable de ce crime, cette réalité assumée, affichée en un commerce fructueux qui a perduré quatre cents ans ! Ce commerce des esclaves, c'est un précurseur de ce qui est appelé aujourd'hui la mondialisation.

Près de quinze millions de déportés, deux millions de morts au cours de la traversée des océans Atlantique et Indien, plusieurs mois de voyage dans des conditions abominables, jetés à fond de cale dans les bateaux négriers, dépouillés de leurs vêtements, marqués au fer rouge, enchaînés, devant servir de main-d'oeuvre aux empires coloniaux.

Vie et supplices sur les plantations étaient organisés par le code noir de 1685 édicté par Colbert. Code qui considérait les esclaves noirs comme des biens meubles et qui ne leur accordait aucune protection contre les brutalités physiques de leurs maîtres. Code qui indiquait à ceux-ci les traitements inhumains qu'ils étaient autorisés à infliger à leur cheptels d'hommes noirs pour en obtenir un rendement optimal.

Membres coupés par suite de tentative d'évasion, battues organisées avec chiens dressés pour traquer les fugitifs sur lesquels on pouvait tirer. Seule la mort bienfaisante était libératrice pour l'esclave.

Bernardin de Saint-Pierre de France a décrit cette réalité dans son Voyage à l'Isle de France en avril 1768 avec des mots terribles : « Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour les plantes ; on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour les cultiver. »

Oui, il s'agit bien là de la plus grande tragédie de l'histoire humaine par son ampleur et sa durée à laquelle il a été donné d'exister et qui exige, du fait de sa cruauté, d'être dénommée crime contre l'humanité.

A l'instar de la lutte menée par Victor Schoelcher en 1848 pour l'obtention de l'abolition de l'esclavage dans les colonies au nom de l'humanité, je souhaite que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui recueille l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Michel Tamaya.

Dites-le à vos amis !

M. Anicet Turinay.

Nous la devons, bien sûr, à la ténacité de notre collègue Mme Taubira-Delannon...

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Anicet Turinay.

... mais aussi à tous ceux qui, partout dans le monde, se sont mobilisés et impliqués autour de la commémoration.

C'est grâce à ces énergies déployées dans nos départements d'outre-mer, en France et ailleurs, que bon nombre ont pris conscience qu'aujourd'hui encore les séquelles étaient toujours là et que nul ne pouvait oublier, relativiser, ou ne pas faire valoir ce drame humain collectif laissé sous silence.

Il faut ici remercier toutes les personnes et les groupes qui ont, à bien des égards influencé, enfin, la démarche politique et officielle pour dire halte à la politique de l'oubli instaurée en 1848. Je pense tout particulièrement à l'UNESCO pour son projet intitulé : « La route de l'esclave », qui a débuté en 1993 afin de faire en sorte que la question de la traite négrière fasse à la fois l'objet d'une étude internationale multidisciplinaire et permette aux peuples concernés, mais aussi à la conscience universelle, d'assumer en toute clarté une mémoire commune.

Devoir de mémoire tant rappelé lors des commémorations de l'année dernière car nous continuons à cautionner l'oubli au nom de l'assimilation politique !

« Je recommande à chacun l'oubli du passé », écrit Rostoland, le gouverneur provisoire de la Martinique. En effet, les décrets de 1848 donnent aux nouveaux affranchis leur titre de citoyens, c'est-à-dire la nationalité - ils deviennent français et ont le droit de vote - au profit de l'oubli de la mémoire de l'esclave sur les plans juridique, administratif, économique et moral. Ainsi, la République a maintenu, selon ses principes, une rupture avec le passé, avec la mémoire de l'esclave.

Devoir de mémoire car l'amnistie prononcée par la République de 1848 eut lieu de façon unilatérale sans qu'il y ait de contrat réciproque d'oubli, de pardon, de réconciliation au sein des instances de décision, et encore moins au sein des populations ! L'oubli demandé dans un milieu où l'antagonisme est ancestral, où les oppositions reposent à la fois sur des différences de statuts économiques, de positions sociales reconnues ou niées, sur des préjugés liés à la race qui donnent à chacun sa place dans la société !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

L'oubli, alors que l'abolition ne donnait pas aux anciens esclaves les moyens de reconversion indépendants des relations avec les anciens maîtres ! La relation sans châtiments physiques restait dans les faits celle du maître à l'esclave.

Il n'était pas non plus question d'une indemnité donnée aux nouveaux libres, comme l'avait suggéré en 1834 Bissette « pour réparation de la violence physique et morale exercée contre lui ». Il n'était plus question d'une indemnité « répartie à parts égales entre colons dépossédés de leurs esclaves et esclaves eux-mêmes », selon la proposition de Victor Schoelcher en 1848, ni d'attribution d'un lopin de terre en dédommagement, et encore moins d'expropriation de terres occupées par des colons. Ainsi, ce n'était pas la forme qui changeait, mais la formulation d'un engagement réciproque écrit entre anciens maîtres et a nciens esclaves - en quelque sorte un « acte d'association ».

Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, disait : « Le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence. »

Silence, la non-reconnaissance de la spécificité de la traite négrière ! L'oubli a été imposé, mais non consenti. Aussi, si, pour certains qui refusent aujourd'hui la repentance historique, l'histoire c'est du passé, je rappelle que la mémoire collective est le ciment de l'identité des peuples des départements d'outre-mer largement empreinte dans notre culture.

Le racisme, encore très présent dans notre société n'hésitons pas à le dire -, puise ses racines dans l'ignorance du passé. La traite négrière a légitimé le racisme.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Absolument !

M. Anicet Turinay.

Se rappeler et condamner de façon symbolique la traite négrière est indispensable pour que nos générations futures chassent de leur imaginaire les traces encore si ancrées de l'inégalité entre les hommes. Il est choquant de voir encore aujourd'hui l'homme de couleur constamment soupçonné, et subir la présomption de culpabilité. Je n'en veux pour preuve que le simple contrôle sur la voie publique, qui tourne vite au délit de faciès pour devenir, paraphrasant Rousseau, « une raillerie insultante, pire cent fois que la mort ».

M. Kofi Yamgnane.

C'est vrai ! Et M. Gantier n'est pas là pour l'entendre !

M. Anicet Turinay.

Pourquoi est-il si indispensable, cet attachement à notre passé ?

« Un peuple qui connaît son passé a un avenir ».

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Anicet Turinay.

Les peuples sont semblables aux individus. Ils ont besoin de vivre leur présent, de se protéger dans l'avenir en connaissant et en assumant leur passé. Malgré le cri du romancier martiniquais Patrick Chamoiseau : « Fils d'esclaves, soyez fiers ! », l'influence de cette inqualifiable tragédie vécue par nos ancêtres a souvent été mal vécue par nous-mêmes.

Pour faire un parallèle avec un peuple opprimé, je dirai que les Juifs puisent leur détermination dans la connaissance de leur propre histoire, et dans leur capacité à la faire connaître et respecter dans le monde entier.

Sur le plan strictement juridique, l'article 6 C du statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 définit les crimes contre l'humanité comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile avant ou pendant la guerre ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ».

L'article 212-1 du nouveau code pénal français condamne à la réclusion criminelle à perpétuité la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvement de personnes, suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile.

C es définitions des crimes contre l'humanité ne peuvent plus faire fi de la traite négrière. Le texte que nous examinons aujourd'hui est nouveau par rapport aux textes internationaux parce qu'il prend en compte ce drame humain à travers des faits précis, datés et localisés, sur lesquels l'histoire est restée muette.

Pourtant, d'une manière paradoxale mais riche d'enseignement et d'espoir, l'acte barbare initial de la traite a été f ondateur d'un peuple métis, véritable mosaïque humaine, métissage devenu l'emblème de notre identité créole. La traite a été la déportation d'hommes, de femmes et d'enfants porteurs d'idées, de valeurs, de religions, de traditions, qui ont donné naissance a de nouvelles formes de cultures et d'identités plurielles qui méritent une prise en considération logique de la double appartenance créole et française.

M. Kofi Yamgnane.

Très juste !

M. Anicet Turinay.

Car, selon les termes du rapporteur,

« la traite et l'esclavage ont saigné l'Afrique pour fonder les sociétés d'outre-mer ».

M. Yann Galut.

C'est vrai !

M. Anicet Turinay.

Un grand pas symbolique sera franchi avec le vote de cette proposition de loi, qui sera un aboutissement mais qui doit être aussi un commencement grâce à deux actions fortes à propos desquelles j'ai déposé des amendements.

D'une part, l'inscription de la traite dans les manuels scolaires d'histoire de France, afin d'offrir aux générations futures cet accès au savoir, qui est la meilleure solution, me semble-t-il, pour en finir avec cette confusion de sentiments de repentance, de culpabilité, de rancune, de haine et d'amertume dont nos générations ont tant de mal à se départir et qui ont pour cause l'ignorance, la censure, le complexe et la honte aujourd'hui.

D'autre part, l'instauration d'une journée commémorative de l'abolition de l'esclavage au niveau national. Je pense à la date du 27 avril, en référence au décret du 2 7 avril 1848 du gouvernement provisoire de la IIe République, qui reconnaît « l'esclavage comme l'attentat contre la dignité humaine », comme la violation flagrante du dogme républicain « Liberté, égalité, fraternité », et qui, dans son article 1er , abolit l'esclavage. Dans son article 8, ce décret « interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou même de vendre des esclaves et de participer soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre ».

La reconnaissance par notre assemblée de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité, très attendue par les populations d'outre-mer, renforcera par ailleurs la volonté de la France d'user de son influence dans le monde pour combattre toutes les formes d'esclavage moderne.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

A la question de savoir si la France sortira grandie d'une telle proclamation, la réponse est oui ! Car la France, patrie des droits de l'homme au regard de l'histoire, fait lever de son sol, aujourd'hui comme en 1789, le vent d'une nouvelle liberté qui force l'admiration, honore ses institutions, interpelle tous les pays impliqués dans ce crime odieux et en fait comme la véritable locomotive de la reconnaissance internationale.

Le groupe du Rassemblement pour la République votera ce texte. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Ernest Moutoussamy.

M. Ernest Moutoussamy.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'esclavage et la déportation, reconnus par le tribunal international de Nuremberg comme crimes contre l'humanité, sont déclarés imprescriptibles par la convention de 1968. Ils ne peuvent donc pas être effacés par le temps. Aussi est-ce tout naturellement, avec émotion et respect pour toutes les victimes, en saluant « la mémoire de ceux qui sont décédés sans sépulture » que nous abordons ce débat. La reconnaissance de ces crimes est non seulement un devoir de mémoire, mais aussi un devoir de justice. J'ajouterai que le devoir de mémoire et de réparation à l'égard de toutes les victimes de l'histoire est un devoir d'homme libre.

Un grand merci donc à Mme Christiane TaubiraDelannon pour son initiative contre l'oubli, aux groupes socialiste et communiste ainsi qu'au Gouvernement pour leur soutien.

Le texte de l'exposé des motifs de Mme TaubiraDelannon constitue, à mes yeux, un chef-d'oeuvre, parmi les innombrables pages écrites par notre assemblée.

M. Yann Galut.

C'est vrai !

M. Ernest Moutoussamy.

Il est vrai que le sujet s'y prête et que l'auteur ne manque pas de talent.

M. Kofi Yamgnane.

Certes !

M. Ernest Moutoussamy.

Sans risque de me tromper, je dirai qu'il faut, au cours de ces vingt dernières années, remonter à Robert Badinter et à son plaidoyer contre la peine de mort pour trouver un texte aussi fort, aussi intense, aussi émouvant, j'ose dire aussi juste.

« Bon sujet d'étude » pour les étudiants a dit Louis Mermaz à la commission des lois. Oui ! Cet exposé des motifs est une page d'anthologie où les mots sonnent pour les morts comme pour les vivants, où l'expression, en vagues rageuses, remue la douleur autant que la conscience et l'histoire, où le silence, l'oubli, les subterfuges, la lâcheté, la ruse, les prétextes, l'injustice, les querelles... en prennent pour leur compte.

Ce texte d'une valeur exceptionnelle pourrait nous dispenser de tout débat, si nous n'avions pas à jouer notre rôle de législateur. Chère collègue Taubira-Delannon, vous ne nous avez laissé ni une fenêtre pour la sollicitation et la discussion ni un sentier pour notre quête. A notre assemblée, vous avez tout dit pour que la France s'incline la première devant la mémoire des victimes de ce crime. Vous avez affronté le passé douloureux et obscur.

Vous l'avez scruté. Vous l'avez interrogé. Vous l'avez analysé sans passion, mais sans complaisance. Après ce terrible voyage dans quatre siècles d'horreurs, au-delà de la reconnaissance du crime contre l'humanité, pour ces millions de morts et en leur nom, vous demandez justice et réparation, et vous dites surtout que le temps est mûr pour tout savoir et ne rien oublier.

Dans l'île de Gorée, bateau de larmes mouillé dans un océan de souffrances, par où sont passés beaucoup de ceux qui ne reviendront jamais, vous nous avez introduits, de façon fugitive tant la commotion est forte, mais nous avons, malgré tout, mesuré l'immense émotion de Nelson Mandela en 1991, lorsqu'il éclata en sanglots devant la Maison des esclaves. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard, si c'est de Gorée que le pape Jean-Paul II, en 1992, demanda pardon au peuple noir pour le comportement de l'Eglise à l'égard de l'esclavage. Il a fallu en effet attendre 1839, c'est-à-dire plus de trois siècles pour qu'enfin, un pape, Grégoire XVI, condamne de façon claire et sans équivoque la traite négrière.

Etrange destin pour cette île de Gorée chargée de souffrances et de douleurs, patrimoine mondial de l'humanité où l'homme a honte d'être un homme, qui donna pourtant à l'Afrique noire, en la personne de Blaise Diagne,s on premier député à l'Assemblée nationale. Blaise Diagne devint aussi le premier Africain membre d'un gouvernement français. De Gorée au Palais Bourbon, quelle fantastique et paradoxale traversée !

« La parole est à M. Blaise Diagne. » Que de fois cette

phrase retentit-elle dans cet hémicycle ! Et Blaise Diagne parla, il y parla pendant vingt ans ! Y a-t-il plus bel exemple de la capacité démocratique et culturelle de la France républicaine ?

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, esclavagiste, la France le fut.

Pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la France l'est. Pays de la reconnaissance et du devoir de réparation, elle doit le devenir. Toujours, elle a su trouver en elle-même les ressources pour lutter contre la barbarie, l'injustice et la tyrannie, pour s'opposer aux forces réactionnaires et pour défendre et servir la liberté.

Dans le douloureux paysage de l'esclavage marqué par la résistance des esclaves à l'oppression, par les révoltes des nègres marrons de la liberté, par le combat de Toussaint Louverture, par le sacrifice de Delgrès et de ses compagnons au Matouba en Guadeloupe, par l'héroïque lutte d'Ignace et de la mulâtresse Solitude, par le courage de Boukman, de Macandal et de tant d'autres, on ne peut oublier les habitants de Champagney, les anti-esclavagistes, les abolitionnistes tels Brissot, l'abbé Grégoire et, bien entendu, Victor Schoelcher. Aujourd'hui, il est évident que la France, s'agrandirait encore en assumant, en Etat libre et souverain, toute son histoire, y compris les quatre siècles de son passé esclavagiste, en leur donnant la place qu'ils méritent dans le devoir du souvenir, du savoir et de la réparation. Faisant fi de tout sentiment de culpabilité ou de repentir, il s'agit non pas de cultiver les racines amères de l'esclavage, mais de légiférer pour le présent et l'avenir, sans renier son passé, ni cracher sur lui. Les victimes de l'esclavage, elles aussi ont droit à la parole et méritent l'attention de toutes les institutions internationales concernées.

Lorsque, le 21 mai 1981, François Mitterrand se rendit au Panthéon pour inaugurer son premier septennat, les journalistes qui l'accompagnaient évoquèrent sans aucun mal Jean Moulin et Jean Jaurès, mais ils eurent les pires d ifficultés à s'exprimer quand le Président de la République déposa une rose sur la tombe de Schoelcher, dont le nom était déjà imprononçable. C'était l'aveu de l'oubli. Aussi est-ce avec enthousiasme que la gauche de notre assemblée salua, lors du débat du 17 décembre 1982, la volonté du gouvernement de commémorer l'abolition de l'esclavage, en instituant une journée fériée dans les départements d'outre-mer et à Mayotte.


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M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Aujourd'hui, toujours sous l'impulsion de la gauche, par ces quatre textes, nous franchissons une ultime étape d'une portée morale et symbolique exceptionnelle. En reconnaissant la traite négrière transatlantique et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité, la France remplit son devoir de mémoire et reste la France. Si nous refusons de poser le problème de la légitime réparation qui, dans le cadre d'une sordide arithmétique financière, pousserait à une évaluation morbide et traumatisante de la traite, nul ne peut nier que l'esclavage a appauvri l'Afrique et brisé l'homme noir, tout en enrichissant les puissances coloniales esclavagistes.

C'est donc tout naturellement, au nom de la justice et au nom de l'homme, que nous réclamons une solidarité plus efficace et plus forte de la France à l'égard de l'Afrique et des Caraïbes.

Il ne s'agit pas de l'assistance actuelle, méthode néocoloniale, qui dissimule une forme subtile et terrible de l'aliénation et de la domination. Il s'agit de gagner la bataille des droits de l'homme, du progrès et de l'émancip ation, d'obtenir des avancées démocratiques, de combattre toutes les formes d'exclusion et d'injustice, d'éradiquer le racisme et la xénophobie, bref de construire les ponts de fraternité et de culture qu'exige le

XXIe siècle civilisé et progressiste. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la triste chronique de l'esclavage, dans sa brutalité et dans ses crimes, se confond très largement avec l'histoire même de l'humanité. Une tablette sumérienne déposée au musée des antiquités orientales d'Istanbul en apporte l'un des premiers témoignages. L'Egypte des pharaons, l'Empire romain ou les cités grecques ont développé sans retenue des pratiques esclavagistes, le plus souvent liées à des situations de guerre. L'esclave est un vaincu ou le ressortissant de territoires conquis par la force. Aristote, le philosophe athénien, y ajoute une justification économique : « Les esclaves, enseigne-t-il, ne seront plus nécessaires lorsque les navettes voleront toutes seules. ».

Mais il est bien vrai que ce sont les pays européens qui, dès le

XVIe siècle, donnent à l'esclavage et à la traite toute leur extension et leur terrible ampleur, en direction principalement de l'Afrique et du Nouveau Monde récemment découvert. Il y a tout à la fois changement d'échelle et changement de méthode. Un édit de 1518 de Charles Quint, roi d'Espagne, autorise l'importation d'esclave africains en Amérique et inaugure le système des asientos , concessions du monopole d'Etat à des compagnies à charte. Le Portugal, la Hollande et l'Angleterre s'engagent rapidement dans cette voie.

Mais il faut bien le dire, c'est le Code noir de Colbert, en 1685, qui viendra conférer une base juridique précise et complète, jusque dans le moindre détail, à ce système qui se prolongera sur plusieurs siècles. Une organisation méthodique, avec de nombreuses complicités en Afrique même, et des conséquences très lourdes, à l'évidence, sur le développement du continent noir.

Mais il faut aussi le dire, il en est résulté, en dépit du temps qui passe - et cela n'est pas toujours visible -, des séquelles psychologiques dans les attitudes et les comportements de nombre de nos contemporains, en particulier dans l'outre-mer français. Pour ces consciences malheureuses, le fameux « devoir de mémoire » n'est pas un exercice facile, et beaucoup de nos concitoyens d'outremer ne le considèrent même pas comme indispensable.

On l'a vu récemment à la Réunion, à Saint-Denis.

Il faut pourtant l'accomplir, ce devoir de mémoire, car il est essentiel de faire progresser ce que Césaire appelle

« l'étiage de la conscience », et doublement : d'abord dans l'approfondissement de la connaissance historique, mais aussi et surtout dans le rappel - qui s'adresse d'abord à la jeunesse - des devoirs et obligations d'humanité qui, plus que jamais, incombent à tous et à chacun, aux Etats comme aux personnes. C'est, me semble-t-il, la commune intention des quatre propositions de loi dont nous sommes saisis.

Oui, mes chers collègues, nous savons désormais que

« les civilisations sont mortelles », que « la bête immonde » ressurgit de temps à autre des profondeurs.

Mais il faut continuer de penser et de croire qu'au total et à la fin des fins, l'homme se dégage peu à peu, laborieusement, de la barbarie originelle.

Il est heureux, me semble-t-il, que ce petit signe d'espoir, ce soit l'Assemblée nationale française, naguère si profondément marquée par le génie passionné et entraînant d'Henri Grégoire ou de Victor Schoelcher, qui nous en apporte la confirmation.

Je dis bien la confirmation puisque le nouveau code pénal, dans son article 212, alinéa premier, dispose que

« l'esclavage est un crime contre l'humanité ». Mais les textes aujourd'hui soumis à l'examen de notre assemblée, et notamment celui de Christiane Taubira-Delannon, réalisent plusieurs avancées très significatives.

Je crois tout d'abord qu'il n'était pas opportun de limiter l'évocation de ces problèmes au seul trafic transatlantique des esclaves, mieux connu, il est vrai, que les autres.

Le devoir de mémoire ne saurait être sélectif.

Chacun sait, tout de même, que l'esclavage transsaharien avait depuis fort longtemps créé ses circuits de capture, de traite, de transport et de négoce... Ces pratiques n'ont pas entièrement disparu.

Le commerce du « bois d'ébène » s'est également développé, sous diverses formes, dans l'océan Indien entre la péninsule arabique, le fameux comptoir de Zanzibar et les côtes orientales de l'Afrique, en particulier au Mozambique, à Madagascar, dans le sous-continent indien et jusqu'à Mayotte et à la Réunion. Ici, ce ne sont pas les grands ports négriers de l'Atlantique, Nantes, La Rochelle ou Bordeaux, qui commandaient ou commanditaient le trafic. Ce sont les potentats malgaches et les sultans d'Anjouan qui en étaient les grands ordonnateurs, de même que quelques grands colons de la Réunion.

Mais peu de gens savent que c'est à Mayotte qu'a été prise la première mesure d'abolition de cet esclavage, si j'ose dire, de proximité ! Pour échapper aux exactions et aux contraintes d'un environnement oppressif, Mayotte se place volontairement, en 1841, dans la souveraineté de la France et son sultan, Andriantsouli, obtient de LouisPhilippe, roi des Français, l'abolition de l'esclavage par une ordonnance du 9 décembre 1846.

Si bien, mesdames et messieurs, que le fameux décret libérateur du 27 avril 1848, que nous saluons, aura pour Mayotte - comme le dit le texte - simplement valeur confirmative. Pour cette île, en effet, l'essentiel est fait depuis le 9 décembre 1846 et l'on peut comprendre, mes chers collègues, que, dans la conscience collective des Mahorais, le nom de la France soit associé, depuis plus d'un siècle et demi, à l'idée de liberté. Beaucoup de faits


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

actuels ne s'expliquent que de cette manière. En tout cas, sur ce chapitre, Mayotte avait ouvert la voie à tout l'outre-mer français.

Le deuxième progrès amorcé et annoncé par ces propositions de loi consiste à élargir la portée du message au plan international. Même après l'abolition de l'esclavage, en 1833 par l'Angleterre, en 1848 par la France, et en dépit des efforts d'ailleurs très inégaux de contrôle maritime et de répression des activités de traite, il a fallu attendre pour voir surgir une réglementation internationale. En effet l'acte général de Bruxelles ne date que de 1890 et la convention de Genève est du 25 septembre 1926. Elle a été suivie d'une convention dite supplémentaire du 7 septembre 1956, relative « à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions pratiques analogues à l'esclavage ».

Faut-il encore rappeler la seconde déclaration universelle des droits de l'homme, dont on a célébré le cinquantième anniversaire en décembre dernier et qui, dans son article 4, énonce : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude » et que « l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ».

La France est bien entendu signataire de tous ces textes.

C'est pourquoi les dispositions que nous examinons valent, à nos yeux, appel au Gouvernement afin de poursuivre auprès des organismes internationaux cités Conseil de l'Europe, Nations unies -, la mise à niveau, l'actualisation, la modernisation du système juridique en vigueur dans le monde. C'est donc à juste titre que l'excellent rapport de Mme Taubira-Delannon souligne que

« la France, patrie des droits de l'homme, se doit de jouer un rôle particulier dans cette reconnaissance internationale du crime contre l'humanité que constituèrent la traite négrière et l'esclavage. »

Enfin, mes chers collègues, le mérite essentiel de ces propositions de loi est de traduire une préoccupation résolument pédagogique. La réparation doit être morale.

Il s'agit de rompre le silence prudent ou honteux des manuels scolaires, de mettre fin à la modestie des programmes de recherche consacrés à la traite et à l'esclavage. Ces prises de conscience, même tardives, mêmes difficiles, dans nos sociétés d'outre-mer, favoriseront, soyez-en sûrs, un équilibre plus propice à leur plein épanouissement.

Dans cette optique, nos associations domiennes, qui ont beaucoup travaillé sur ce dossier, ont à jouer un rôle éminent d'explication et de lucidité, d'accompagnement et de conviction.

Nous ne saurions, bien entendu, oublier pour autant les dommages causés aux sociétés africaines. Seront ainsi mieux mesurées les abominations qu'elles ont subies, même si certaines conséquences sont vraisemblablement impossibles à estimer, impossibles à évaluer.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vais conclure en soulignant que les commémorations ne sauraient se réduire ou se limiter aux évocations, même douloureuses, mêmes pathétiques du passé. Elles ne valent et n'ont de véritable portée que par le présent qu'elles éclairent et par les perspectives qu'elles dessinent.

Nietzche prétend qu'il n'existe pas de problème éternel. Cependant nul n'ignore plus que diverses formes d'asservissement subsistent encore aujourd'hui. La reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité peut contribuer, j'en ai l'intime conviction, à faire reculer ces pratiques scandaleuses.

Comme le rappelle souvent mon ami Daniel Maximin, après Frantz Fanon, nous ne sommes pas esclaves de l'esclavage. Nous ne serons pas esclaves de l'esclavage, mais nous savons que le combat pour la liberté des hommes est de tous les temps, qu'il est quotidien.

Je n'oublierai pas, mesdames, messieurs, de vous dire que l'UDF votera la proposition de Christiane TaubiraDelannon. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Kofi Yamgnane.

M. Kofi Yamgnane.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, député métropolitain de la République, je porte aussi comme un stigmate sur ma peau l'histoire du peuple noir, du peuple d'esclaves dont nous débattons aujourd'hui.

Le commerce triangulaire, par ce qu'il représente de trafic, de marchandage, de veulerie et de bassesse, parce qu'il rabaisse l'homme au rang de marchandise, parce qu'il nous renvoie à une image des plus méprisables de ce que nous sommes ou de ce qu'ont été nos aïeux, le commerce triangulaire, ce commerce « déshumanitaire », justifie la condamnation et appelle la qualification de crime contre l'humanité.

C'est pourquoi je me félicite que mon groupe politique à l'Assemblée nationale soutienne la proposition de notre collègue Christiane Taubira-Delannon. J'approuve totalement cette proposition et j'appelle tous les collègues à la voter.

Dans le même temps je n'y vois qu'un premier pas, la première pierre d'un édifice à construire. L'initiative est heureuse, mais la condamnation de la barbarie passée doit s'étendre désormais à la condamnation de la barbarie présente ou à venir.

M. Serge Blisko.

Très bien !

M. Kofi Yamgnane.

En effet l'ignominie n'a pas d'époque. La réduction d'un peuple à l'état d'esclave n'est pas l'apanage d'une période.

M. Yann Galut.

C'est vrai !

M. Kofi Yamgnane.

Depuis la haute antiquité jusqu'aux plus récents génocides ethniques, cette triste réalité devra désormais remplir les pages des manuels d'histoire enseignée aux générations futures.

M. Alain Néri.

C'est indispensable !

M. Kofi Yamgnane.

Les enfants de Ouidah sont les enfants de la shoah et du Rwanda. L'esclavage avilit l'homme car il lui dénie toute dimension humaine, le ravalant au rang d'animal appartenant à un cheptel.

Le colonialisme s'est inspiré d'une démarche intellectuelle similaire. Il a perpétué sur place un modèle social testé sur d'autres continents : la matière première était exploitée sur place au bénéfice des seuls pays riches. Dans le même temps, le colonialisme a permis aux puissances dominantes d'exporter leurs populations à risque ; elles ont en quelque sorte externalisé leur propre insécurité.

Le passage d'un ordre mondial instauré par des nations colonisatrices à un système néo-colonial de domination larvée, indirecte, aux mains de sociétés multinationales, sans autre raison d'être que la recherche du profit maximum, n'a aucunement constitué un changement. Cela a été une simple mutation du modèle esclavagiste.

Doit-on comprendre autrement l'appel en masse d'une main d'oeuvre immigrée durant les trente glorieuses, nécessaire au redécollage économique de nos sociétés


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

meurtries par nos propres guerres ? La paupérisation ultérieure de cette partie de la population laisse à penser que la considération pour l'être humain qu'est, avant tout, un travailleur, n'a pas toujours prévalu.

C'est leur condition de peuples vendus, achetés, colonisés, dominés, méprisés pendant des siècles qui justifie encore aujourd'hui le racisme dont souffrent dans nos sociétés les descendants des esclaves.

L'esclavage constitue un crime contre l'humanité, oui, Christiane Taubira-Delannon, car il aliène la personne par la perte de toute dignité humaine. Nous devons donc adopter la proposition soumise au vote. Il s'agit d'un devoir de mémoire envers des dizaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants d'Afrique et des Caraïbes.

Nous devons également nous engager à accomplir l'indispensable travail de réflexion sur la condamnation de l'esclavage moderne, sous toutes ses formes et partout. Il y va de l'honneur de la République, de l'honneur de la France. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Monsieur le président, membres du Gouvernement, collègues de l'Assemblée, enfin dirais-je ! Mais mieux vaut tard que jamais ! L'histoire de la traite, de l'esclavage et de la colonisation qui lui est inhérente, est, avant tout, le martyrologe des peuples amérindiens et noirs confondus.

Si les blessures et les ravages causés restent encore si vivaces aujourd'hui, malgré le long temps passé, c'est qu'il n'a pas officiellement été fait droit à la requête légitime de reconnaissance, de justice et de réparations dues. Un geste solennel, même symbolique, aurait contribué à apaiser un tant soit peu les passions et les rancoeurs. Mais il n'est pas venu, peut-être parce que selon Salvat Etchard

« Lorsque l'on regarde au rétroviseur de l'histoire..., de notre servitude ce ne sont pas les pyramides ou Athènes qui sont nées, mais du sucre pour les tasses à café d'Europe. » Seulement du sucre

! Mais alors, pourquoi cette descente aux enfers, avec tant de sang, tant de mutilations, tant d'hécatombes, répandus pour son nom ? Malgré cette atroce et amère constatation, il n'est point question pour moi de faire ici procès, tant le crime était nombreux, tant le crime était hideux. Il ne s'agira pas non plus pour moi de récapituler tout le monde douloureux des événements, tant il était insensé, tant il révulsai t la conscience.

Retenons tout de même qu'au nom de Dieu, qu'au nom de la science, qu'au nom de la morale, qu'au nom déjà de l'économie de marché, qu'au nom de la loi, tout un argumentaire mouvant, en recherche perpétuelle de justifications et de cohérence, avait été méthodiquement échafaudé.

Ainsi, dans le même temps que Louis XIV, le RoiSoleil, « éclairait » de ses mille feux une partie du monde, par le code noir qu'il promulguait, il rejetait dans les ténèbres une de ses autres parties. Ainsi, dans le même temps que Louis XV, dit le Bien-Aimé, dispensait ses égards à ses sujets, le code noir, toujours lui, se renforçait davantage avec la volonté de l'institutionnaliser sans retour pour les mal-aimés de l'autre bord.

Face à cette tragédie innommable, que restait-il à ces âmes damnées et condamnées par avance ? Avec force et conviction, Nietzsche répond : « La révolte restait la noblesse de l'esclave. » Aujourd'hui notre noblesse à tous

est de reconnaître sans ambages ces crimes et d'inviter instamment les autres à procéder de même.

Donc, salut et honneur à l'opportunité ainsi offerte dans les propositions de loi soumises à notre entendement et au tréfonds de chacun de nous par Christiane Taubira-Delannon. Mais pouvait-il en être autrement ? Non ! Les commémorations simultanées en grande pompe, l'année dernière, du 150e anniversaire de l'abolition et du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, jointes aux multiples demandes convergentes formulées, aussi bien avant qu'après, ont forcé la décision. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer de la lutte des hommes et des peuples en quête de liberté et de vérité.

Sous ma présidence, le conseil régional de Martinique, dans sa séance plénière du 10 juillet 1998, a pris à l'unanimité une résolution déclarant « que l'esclavage et la traite des nègres auxquels ont été réduits en terre d'Amérique des millions d'êtres humains arrachés à l'Afrique soient reconnus crimes contre l'humanité ». Cette résolution a été, comme il se devait, soumise à l'appréciation du Gouvernement par le truchement du ministère de la justice.

Au moment où la politique africaine de la France est à nouveau passée au crible de la critique et battue en brèche, il importe, à l'orée du

XXIe siècle, de sortir du syndrome de Gorée. D'où l'exigence rédemptrice de déclarer traite et esclavage crimes contre l'humanité. D'où le devoir de recueillement nous invitant à nous incliner respectueusement devant un tel calvaire, générateur hélas ! de tant de chaos impunis. D'où la nécessité, pour la mémoire collective, d'ériger une statue en hommage au marron inconnu.

Pastichant l'écrivain africain Bernard Dadié, disons merci à toutes ces victimes qui, sans dommages et intérêts, ont porté sur leur tête le monde pendant une éternité longue de plus de trois siècles.

Gran nonm pa ka wont, c'est-à-dire qu'il n'y a pas à avoir honte, en face de tels méfaits, à commencer à faire son mea culpa. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Bersinger.

M. Bernard Bersinger.

« Tu dis "l'Histoire", mais ça ne veut rien dire, il y a tellement de vies et tellement de destins, tellement de tracées pour faire notre seul chemin.

Tu dis "l'Histoire", moi je dis " les histoires ". Celle que tu crois tige-maîtresse de notre manioc n'est qu'une tige parmi charge d'autres. » Ainsi s'exprime Marie-Sophie

Laborieux, l'héroïne du superbe roman de Patrick Chamoiseau Texaco.

Où sont les destins des esclaves dans les livres d'histoires qu'étudient nos enfants ? Destins faits de souffrances, d'humiliation, de négation de leurs droits élémentaires, de leur culture, de leurs simples sentiments puisqu'ils étaient traités comme des meubles, comme des marchandises, comme des animaux domestiques.

Cette négociation de la qualité d'être humain, cette mort au tournant de la souffrance, de la révolte simplement en raison du désir du plus fort, du possédant, du maître qui vous dénie le droit d'être, jusqu'à programmer votre asservissement total et votre mort, c'est la définition m ême du crime contre l'humanité. Le code noir témoigne de l'acte d'accusation.

En tant que député de la cinquième circonscription de Seine-Saint-Denis, dans laquelle se trouve la ville de Drancy, d'où partirent des milliers d'hommes et de


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femmes pour les camps de la mort, je ne peux que souligner l'importance de la proposition de loi que nous discutons aujourd'hui. Drancy et Gorée, à l'initiative de leurs deux maires, se sont d'ailleurs jumelées l'année dernière pour signifier à quel point leurs histoires étaient marquées par les mêmes horreurs.

Nous affirmons avec cette proposition de loi, que l'histoire de l'esclavage et de la traite négrière dans les colonies françaises, à Nantes, au Havre ou à Bordeaux ne commence pas le 27 avril 1848 avec le décret de Victor Schoelcher. Le courage politique de Schoelcher n'est pas ici en cause. Simplement, il faut dire haut et fort que l'abolition de l'esclavage et de la traite négrière n'a pas été octroyée aux esclaves. Ils l'ont acquise, par des luttes, des insurrections, au prix de vies humaines.

Et si je me félicite aujourd'hui, au nom du groupe communiste, que la proposition de loi de Mme TaubiraDelannon soit discutée, c'est aussi pour dire que le combat des esclaves n'a pas été vain.

Ils le savaient, eux qui ont conquis les abolitions de l'esclavage au

XVIIIe et

XIXe siècles. Leurs descendants le savent maintenant qu'ils ont obtenu que le pays des esclavagistes, leur pays, reconnaisse l'esclavage et la traite négrière en tant que crime contre l'humanité. Une étape importante a été franchie grâce à eux.

Ils étaient 25 000 à manifester le 23 mai dernier à l'appel du Comité pour la mémoire des esclaves. Aujourd'hui, nous n'octroyons pas cette reconnaissance. Nous répondons à leur exigence de devoir de mémoire.

A l'occasion d'une réunion organisée ici, le 9 février dernier, à l'initiative de mon groupe, Serge Romana, coordinateur de la marche pour la mémoire des esclaves soulignait que le devoir de mémoire était double.

L es associations accomplissent le leur, quotidiennement.

La République doit s'engager désormais à accomplir pleinement le sien.

C'est le sens des amendements du groupe communistee t apparenté, qui tournent autour de trois idées essentielles.

Il s'agit d'abord de permettre un véritable travail d'histoire et de mémoire dans notre pays sur ce que furent l'esclavage et la traite négrière. Chacun sait que la justification idéologique de l'esclavage fut la théorie de l'inégalité des races. Ce racisme gangrène encore notre société.

Dans notre pays, les descendants des esclaves subissent encore ce fléau.

Pour bâtir un avenir meilleur, il faut faire la lumière sur ce que fut l'esclavage et la traite négrière, comme il faut la faire, de manière plus générale, sur ce que furent les guerres coloniales.

R econnaître le crime contre l'humanité, c'est reconnaître aujourd'hui l'apport de chacun à notre pays, dans la diversité des cultures, des religions. La France multiculturelle, diverse, n'existe pas que dans les stades.

Elle vit, elle se cherche, elle doit être entendue, considérée à part entière. Il est donc important que les manuels scolaires mettent en lumière le rôle de la France dans le système esclavagiste.

Dans le même ordre d'idée, nous souhaitons qu'une date de commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage soit instaurée pour l'Hexagone. Mon ami JeanClaude Gayssot a d'ailleurs déposé dès 1993 une proposition de loi en ce sens, après un travail avec les associat ions de personnes originaires des DOM-TOM de Bobigny et de Drancy, proposition que j'ai reprise par la suite.

Nous souhaitons également qu'un mémorial perpétuant la mémoire de la tragédie de l'esclavage et de la traite négrière soit édifié avec, à proximité, un musé e évoquant l'esclavage en France, comme nous le demandions dans la proposition de loi que nous avons déposée en juillet 1998.

Il s'agit ensuite de ne pas faire cette histoire de l'esclavage et de la traite négrière sans les descendants des esclaves. C'est pourquoi nous avons proposé un amendement incluant les représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves dans la composition du comité de personnalités. La commission l'a retenu et je m'en réjouis.

Dans le même esprit, nous souhaitons que la date de commémoration annuelle pour l'Hexagone ne soit pas décidée par notre assemblée mais soit le résultat d'une consultation la plus large possible.

Il s'agit enfin d'aller jusqu'au bout de la démarche de la reconnaissance de l'esclavage et de la traite négrière en tant que crime contre l'humanité. La République doit s'engager à déterminer le préjudice subi et à examiner les conditions de la réparation due au titre de ce crime. Cet objectif est présent dans la proposition de loi initiale de Mme Taubira-Delannon, mais la commission a voté un amendement qui amoindrit le texte sur cette question.

C'est pourquoi nous vous proposons de le réintroduire dès le premier article de la loi, ce qui lui donnerait plus de force encore.

La question des réparations est une question complexe, mais il faut en débattre.

Il nous semble qu'une action forte de la France en faveur de l'annulation de la dette publique des pays du Sud constituerait un acte de réparation important. Ce n'est pas sans rapport avec notre sujet. Prenons l'exemple de Haïti. Il faut savoir que, pendant près de quatre-vingts ans, ce pays a payé le prix de son indépendance à la France. Cela représente trente années de son budget, et c'est une des raisons fondamentales de sa pauvreté actuelle.

Il nous semble aussi qu'un débat est nécessaire sur la politique africaine de la France, sur ses rapports avec certains régimes politiques antidémocratiques, voire sur le soutien qu'elle leur apporte. Et la question est posée de savoir comment aider les forces démocratiques de ces pays. On sait aussi que ventes d'armes et dette sont étroitement liées.

Il nous semble enfin que en votant ce texte aujourd'hui, notre pays condamne avec encore plus de force l'esclavage dans les pays où il existe encore, comme en Mauritanie, au Niger, au Soudan, en Libye ou encore dans les pays du Golfe. Gageons que le vote d'un texte allant le plus loin possible dans la condamnation de l'esclavage et de la traite négrière en tant que crime contre l'humanité constituera un de ces actes forts.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Léo Andy.

M. Léo Andy.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est d'un crime contre l'humanité, qui sera reconnu comme tel aujourd'hui, que je voudrais parler.

Crime perpétré trois siècles durant, du

XVIe au

XIXe siècle, dans le cadre du triangle infernal qui a relié l'Afrique, l'Europe et les Amériques, pour le plus grand profit d'une économie reposant sur l'esclavage de l'homme noir.

C'est d'un crime contre l'humanité que je voudrais parler.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Il faudrait, pour en mesurer la dimension tragique, pouvoir imaginer l'inimaginable. Le rapt, la porte du non-retour, la traite et son convoi funèbre de requins avides de chair humaine, l'entassement, l'étouffement, les ferrements et leur lot d'épouvante. La traite et les viols de la pariade. La traite comme initiation à la folie collective.

Et puis l'arrivée dans l'enfer de la plantation pour un destin de damné de la terre. L'inhumanité du code noir, la chosification, les vices et les sévices des châtiments et des tortures. Le non-droit, la non-humanité, l'innommable zombification.

Je vous renvoie à toute la littérature afro-caribéenne, qui n'est rien d'autre qu'un lamento indigné ou, si vous préférez, une pétition réitérée contre l'injustice, la di scrimination, le racisme, la négation, l'avilissement, c'est-àdire tout ce qu'Aimé Césaire, en une formule célèbre, appelle « l'omni-niant crachat ».

C'est de ce crime que je voudrais parler sans remâcher l'amertume des aigris, la violence des revanchards, la schizophrénique fermeture des intolérants.

Car je veux parler en homme, pour des hommes, au nom du droit de tous les hommes à la dignité de la condition humaine.

C'est de ce crime-là que nous sommes nés, nous autres peuples de l'outre-mer français. De lui procède notre premier vagissement, alors que les roches gravées ensevelissaient le silence funèbre des premiers occupants de l'archipel guadeloupéen. Je veux dire les peuples Arawakse t Caraïbes massacrés pour cause de résistance à l'oppression.

C'est de ce crime-là que viennent nos premiers pas de déracinés toujours en quête d'une identité habitable.

C'est de ce crime-là que sortent nos premiers cris de révolte, nos premières plaidoiries d'avocat de notre propre cause, notre première postulation à la fraternité et nos premiers héroïsmes de conquérant de l'égalité.

C ar, sans minimiser l'intelligence, le courage, la combativité et la grandeur morale des abolitionnistes français, force est de reconnaître que notre histoire, loin d'être humiliante, est, tout au contraire, d'une exceptionnelle verticalité.

En 1794, ce furent les Noirs guadeloupéens émancipés par Victor Hugues, au nom de la Convention, qui, avec vaillance, chassèrent les Anglais de la Guadeloupe.

En 1802, Delgrès, Ignace et Massoteau combattirent avec grandeur et panache contre l'armée napoléonienne, conduite par Richepanse, venue rétablir « l'état antérieur ». Je vous invite à lire la pathétique proclamation de Delgrès, adressée à l'univers et aux générations futures.

Elle est celle d'un humaniste, d'un visionnaire et d'un homme de foi républicaine.

Durant la Première Guerre mondiale, les Guadeloupéens, comme les autres Français, payèrent l'impôt du sang.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, l'amour de la liberté, la haine du racisme, conduisirent de nombreux Guadeloupéens à entrer en « dissidence », c'est-à-dire à rejoindre volontairement l'île de la Dominique, alors anglaise, pour pouvoir s'enrôler dans les forces libres de la France du général de gaulle.

Cela signifie que, au crime initial, le peuple guadeloupéen a répondu non par la loi du talion, mais par celle de la plus haute des solidarités.

E videmment subsiste encore le vieux démon du racisme. Et, surtout, les séquelles de l'esclavage et du colonialisme perdurent comme une vieille croûte sur les plaies du passé. « Des îles de mémoire commencent à surgir du fleuve de la vie », a écrit Romain Rolland. La formule est belle. Qu'il me soit permis de dire ici que la commémoration du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage de 1848, malgré les inévitables controverses, fut pour nous une des plus belles îles de la mémoire de notre XXe siècle ! Avec elle s'exprime la volonté de reconnaître et d'assumer la face cachée de l'histoire de la France.

Il y eut des mots mémorables. Il y eut des gestes forts.

Il y eut des débats passionnés. Il y eut aussi de terribles malentendus. Il y eut surtout l'affirmation d'une identité spécifique et la restitution d'un dû symbolique.

Il y eut, enfin, le levain d'une formidable espérance.

Elle se décline en trois exigences.

La première, c'est que l'esclavage soit reconnu comme un crime contre l'humanité. La cause semble entendue.

La deuxième, c'est que l'humanité s'assigne comme mission de lutter contre toutes les formes d'esclavage qui souillent la face de la terre.

La troisième est liée à la question de la réparation matérielle ou morale.

Si les deux premières vont de soi, la troisième pose de terribles problèmes philosophiques, économiques et politiques. Pourquoi indemniser ? S'il est vrai que les maîtres furent dédommagés pour la perte de main-d'oeuvre servile et gratuite, doit-on pour autant monnayer l'irréparable et l'incalculable ? Qui indemniser ? Les Africains ? Les populations de l'outre-mer ? Comment indemniser et sur quels critères ? Nous voyons bien que, si la revendication s'énonce clairement, elle ne se comprend pas aisément. J'affirme, à l'encontre de certaines thèses, que c'est mal poser le problème de fond.

Quel est-il ? Il réside dans le fait que l'on trouve normal de nous cantonner dans l'étroite livrée des hommes et des femmes de couleur. Jusqu'à preuve du contraire, le blanc aussi est une couleur. Nous ne sommes pas des hommes et des femmes de couleur, nous sommes des hommes et des femmes,...

M. Kofi Yamgnane.

Très bien !

M. Yann Galut.

Très bon argument !

M. Léo Andy.

... des êtres humains lassés de voir que la couleur de la peau se thésaurise comme privilège de droit divin, ou s'escompte à la bourse du mépris. La meilleure indemnisation est d'abolir le règne tyrannique de la couleur.

Le vrai problème réside dans le fait que la grande majorité de la société française ne voit pour nous qu'un destin d'assujettis, de dominés, d'assistés, de parasites, c'est-à-dire un destin de sous-hommes, de citoyens de seconde classe et de Français bâtards.

La meilleure des indemnisations consisterait en la mise à mort de ce préjugé colonial...

M. Kofi Yamgnane et M. Yann Galut.

Très bien !

M. Léo Andy.

... au profit de l'émergence d'une véritable entreprise d'intégration à tous les niveaux et d'uner echerche d'un partenariat honnête, équitable et émancipateur.

Je voudrais, pour terminer, dire que nous avons forgé, sous la dictée de l'histoire, des sociétés multiraciales et multiculturelles. Elles ont pour ciment ce que certains de n os intellectuels appellent la « créolité » ou la

« créolisation ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

J'entends par là la mise en commun, féconde et créatrice, des apports résultant de notre diversité. J'entends par là l'heureuse combinaison de nos métissages.

J'entends par là le refus d'un seul modèle d'humanité et de culture. J'entends par là la tolérance, l'ouverture à l'autre, l'échange généreux, la convivialité dans le respect des différences. Autrement dit : « l'identité plurielle ou mosaïque ».

Montesquieu a écrit dans L'Esprit des lois :

« Je serais le plus heureux des mortels si je pouvais savoir l'homme débarrassé de ses préjugés. »

A l'aube du troisième millénaire, il est temps que la France prenne conscience de sa vieille réalité multiraciale et pluriculturelle.

Je plaide pour une refonte des manuels scolaires. Ils doivent enseigner à tous les Français que nous ne sommes pas qu'une géographie, mais une histoire, une culture, une main tendue à la fraternité du monde.

Le chemin à parcourir passe par la reconnaissance pleine et entière de notre droit, à l'éminente dignité de toute condition humaine. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, issu pour l'essentiel de la Seconde Guerre mondiale, le concept de crime contre l'humanité reste marqué par les conditions de sa naissance et associé à un contexte de guerre. Crime de guerre et crime contre l'humanité sont si proches que le droit international a fini par ne plus les distinguer et les a déclarés tous deux imprescriptibles.

Le droit français, lui, maintient cette distinction et réserve l'imprescriptibilité aux seuls crimes contre l'humanité, même si l'on a encore du mal à concevoir que le crime contre l'humanité puisse être perpétré en temps de paix.

Le plus long et le plus meurtrier des crimes contre l'humanité n'est pourtant pas lié à la guerre. Durant quelque cinq cents ans, traite et esclavage ont razzié, déporté et anéanti des millions d'Améridiens, d'Africains, d'Indiens, de Malgaches, non pas seulement du fait de la guerre, mais surtout à raison de leurs origines.

Le système esclavagiste triomphant s'était imposé à l'ensemble du monde comme un mode d'organisation économique. Les nations occidentales avaient institué dans les pays conquis le système qu'elles avaient pourtant abandonné chez elles depuis plus d'un millénaire. Tel était le prix de leur volonté de conquérir le monde et de leurs rêves de puissance matérielle.

Et il est vrai que l'expansion économique de l'Occident est indissociablement liée à la résurgence de la traite et de l'esclavage. L'un et l'autre dessinent le premier visage de la mondialisation. C'est bien au nom de la recherche du profit, en effet, que, pour la première fois dans l'histoire moderne de l'humanité, la négation de l'humain fut méticuleusement organisée, réglementée, codifiée.

La première fois que le non-droit fut minutieusement légalisé, ce fut quand Colbert signa un texte juridique dont la monstruosité reste à ce jour inégalée : ce code noir qui justifie et absout la vente, la mutilation, l'exécution, la chosification de l'être humain, un code qui interdit à un esclave de ne jamais léguer autre chose à ses descendants que sa condition d'esclave, un code où le crime reproduit le crime.

Malgré plus de quatre siècles d'esclavage et des dizaines de millions de victimes, cette tragédie inouïe est oubliée, voire ignorée, sous-estimée par les historiens occidentaux.

L'ampleur et les conséquences de la réalité esclavagiste sont occultées par les sociétés qui en sont issues.

Ces conséquences, pourtant, nous les voyons encore à l'oeuvre. Les pays frappés par la traite connaissent un retard considérable dans leur développement. Dans les pays issus de l'esclavage, les descendants d'esclaves continuent de porter le fardeau des injustices et des inégalités.

L'histoire gardera l'image de ce prophète moderne agenouillé dans l'île de Gorée et déclarant : « Dans ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du Ciel. » Il serait en effet bien vain d'imaginer

qu'une telle horreur puisse se laisser oublier des uns et des autres, des enfants de ceux qui l'ont commise comme des enfants de ceux qui l'ont subie, sans se rappeler à leur mémoire défaillante parmi les mille et une interprétations secrètes.

Que le Parlement reconnaisse que l'esclavage et la traite sont bien des crimes contre l'humanité, il y a à cela une triple nécessité : une nécessité selon l'histoire, une nécessité selon la morale, une nécessité selon le droit.

Le vote du Parlement français s'inscrira dans la tradition des grands textes fondateurs qui ponctuent sa marche vers les droits de l'être humain. C'est un symbole de grande signification qu'à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage, cette proclamation portée par les voix mêlées des représentants des peuples de France et d'outre-mer retentisse comme un appel qui invite le monde entier à s'y associer. Parmi ces voix qui s'élèvent, on ne l'oubliera pas, plusieurs sont celles de descendants d'esclaves.

Qu'on ne voie pas seulement dans ce vote une commémoration. C'est aussi pour le temps présent que la reconnaissance de l'esclavage et de la traite comme crimes contre l'humanité porte des fruits. On pense bien sûr aux pays, encore trop nombreux, où l'esclavage n'a pas été éradiqué. On pense aussi à bien d'autres atteintes à l'intégrité de l'être humain et à ses droits, perpétrés sous les prétextes les plus divers, les plus variés et avec les justifications les plus tortueuses, particulièrement contre les plus faibles, les femmes et les enfants.

Mais la plus grande leçon de cette proclamation est ailleurs. Nous savions depuis longtemps non seulement que les civilisations étaient mortelles, mais aussi qu'elles pouvaient devenir criminelles. Nous savons maintenant que ces crimes peuvent être condamnés. Puisse la conscience des peuples et de leurs représentants ne plus se laisser devancer par l'accélération de la violence. Puissent les assemblées comme la nôtre n'avoir pas besoin d'un siècle et demi pour dénoncer avec autant de force ce que le sens élémentaire de l'humanité, en un mot l'honneur, exige de condamner sur le champ. On ne proclame pas innocemment la trilogie immortelle de la liberté, de l'égalité et de la fraternité humaines. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans le temps qui m'est imparti, je souhaiterais pour commencer, en quelques phrases, que nous nous penchions ensemble sur cette triste page de la civilisation humaine qu'ont constituée les déportations massives des populations africaines, mais aussi, on l'a dit ce matin, malgaches et indiennes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Dans un second temps, fidèle à mon credo, je ne manquerai pas de vous livrer, avec l'espoir de vous les faire p artager, les enseignements et orientations qui me paraissent devoir guider l'action pour les temps à venir - car la fin du monde, et c'est heureux, ne semble pas être pour tout de suite.

Avant tout, permettez-moi de saluer très sincèrement Christiane Taubira-Delannon, mais aussi Huguette Bello qui vient de s'adresser à nous, et d'autres collègues encore autour de Bernard Birsinger, qui ont pris l'initiative de traduire en proposition de loi ce que nous étions très nombreux, métropolitains et ressortissants de l'outre-mer, à fortement souhaiter : la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité.

Notre assemblée pourra se dire que ce n'est probablement pas un hasard si nous retrouvons Huguette Bello et Christiane Taubira-Delannon à l'origine d'une initiative de cette importance. Nous débattions mardi dernier sur la nécessité d'organiser l'égalité des femmes et des hommes dans la vie publique : il s'agit pour les femmes de prendre leur vraie place dans la politique, afin que la sensibilité de cette moitié du monde influe pleinement sur les choix qui détermineront notre futur.

Pour revenir au sujet qui nous rassemble aujourd'hui, peut-être la femme ressentirait-elle encore plus fortement la douleur de l'arrachement et la profonde souffrance qui ont résulté de cet épouvantable phénomène humain qu'ont constitué la traite et l'esclavage de plus d'une dizaine de millions d'Africains, mais aussi de Malgaches et d'Indiens.

Reconnaissons finalement qu'il est troublant - un de nos collègues l'a dit tout à l'heure - que nous ayons dû attendre plus de cent cinquante ans pour que cette déportation massive et cette tentative de dépersonnalisation des victimes soient reconnus comme crimes contre l'humanité ! Doit-on y voir un des derniers avatars d'une certaines condescendance qui, pensons-nous, aura vécu ? En effet, mes chers collègues, au-delà du fait que l'esclavage trouve ses origines dans des temps très anciens et de manière assez répandue sur la planète Terre, c'est le phénomène de la traite des nègres qui constitue peut-être, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un système total de déportation de populations entières.

C'est, me semble-t-il, sur ce plan là, celui d'un système pensé et global, que s'exprime un point commun avec la Shoah.

Ce système de déportation qui débuta au XVe siècle a servi également à compenser les génocides amérindiens qui avaient précédé et à revitaliser des territoires entiers atrocement dépeuplés, avec une main d'oeuvre gratuite, surtout travailleuse et résistante - ce qui m'autorise d'ailleurs au passage à tordre le cou à la réputation malveillante faite aux peuples d'origine africaine sur leur prétendu faible sens de l'effort et du travail.

Les chiffres sont éloquents : à la fin du

XVIIIe siècle, les déportations représentaient encore annuellement soixantequinze mille personnes. Du XVe au

XIXe siècle, on estime à environ dix à quinze millions le nombre d'Africains transportés vers les Amériques, Antilles comprises.

Rappelons-nous aussi que l'ordonnance royale de 1685 sur les polices des îles, couramment appelée le « Code noir », établissait l'esclave comme une marchandise qui, une fois acquise, devenait un « meuble » étranger à toute capacité civile et juridique.

Souvenons-nous que si ce Code noir affichait parfois l'idée de garantir des droits aux esclaves, il consacrait en réalité l'infériorité de leur condition humaine. Curieuse et triste ressemblance, là encore, avec une période récente au cours de laquelle on faisait porter l'étoile jaune à des Juifs au motif de mieux les protéger ! On en vient à se demander comment une nation comme la France pouvait définir un être humain comme un meuble et simultanément produire des merveilles intellectuelles telles que les oeuvres de Rousseau, Diderot ou Voltaire, pour ne citer que ceux-là ! Mais, aujourd'hui, nous sommes rassurés : la France, fidèle à elle-même, comme en 1789, donne à nouveau le ton à la marche de l'histoire de l'humanité.

Déjà, l'année dernière, le gouvernement de Lionel Jospin avait voulu donner un éclat tout particulier au cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage.

C'est l'acte symbolique du voyage à Champagney dont je voudrais ici à nouveau me féliciter.

Cette commémoration fut aussi intensément vécue aux Antilles avec le sentiment que nos héros anti-esclavagistes, Toussaint Louverture, Delgrès, Solitude, Ignace et tant d'autres, ne sont pas morts pour rien. Que leur mémoire et leur courage, une fois de plus, soient ici salués ! Pour la seconde fois, dans notre Parlement national, en votant le texte présenté par Christiane Taubira-Delanon, nous consacrerons le caractère de crime contre l'humanité. Pour ce qui me concerne, je ne considère ce vote ni comme un mea culpa qui donnerait bonne conscience ni comme une sorte de revanche. Ce vote correspond tout simplement, et c'est important, à une validation historique définitive.

Cette reconnaissance officielle et unanime de crime contre l'humanité que la représentation nationale va exprimer doit signifier aussi pour nos peuples la fin d'une introspection identitaire prenant en permanence l'ancien système pour référence.

Oui, il faut fixer la mémoire en proclamant : « Plus jamais ça ! » Ce devoir de mémoire doit prendre la forme de mémoriaux tels que celui que nous projetons de réaliser dans ma ville des Abymes. Il serait juste et de bonne politique que la réalisation de tels sites de mémoire universelle soit partiellement encouragée par le ministère de la culture et plus généralement par l'Etat.

Pour autant, nous ne devons pas aborder l'avenir à reculons. En d'autres termes, j'invite mes compatriotes de l'outre-mer, et particulièrement les Guadeloupéens, à refuser de se positionner perpétuellement comme d'anciens esclaves, mais à s'affirmer comme des êtres qui, malgré la cruauté de la condition imposée à leurs ancêtres pendant près de quatre siècles, n'ont jamais rompu avec l'humain en vertu du droit naturel ou divin, selon les croyances, qui donne la dignité absolue à l'homme, à tous les hommes.

Aujourd'hui comme hier, les Guadeloupéens, comme tous les peuples d'outre-mer, doivent asseoir leur dignité d'homme sur leur capacité à prendre résolument et positivement en charge leur destin.

Les nègres d'Afrique déportés aux Amériques ont su démontrer leur force de travail, mais aussi leur capacité à affronter l'adversité et la difficulté des situations pour, en toutes circonstances, préserver l'essentiel, rester « noble », comme on l'a dit tout à l'heure.

En vertu de quel paradoxe nos peuples auraient-ils aujourd'hui perdu ces qualités ? Parce que nous avons toujours été dans nos têtes, dans nos consciences, des hommes libres, j'espère que la Guadeloupe et les Guadeloupéens, comme les autres peuples d'outre-mer, s'attacheront toujours davantage à mettre en oeuvre ce corollaire de la liberté : la responsabilité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Au-delà des statuts juridiques, la liberté ne devient réelle que lorsqu'elle s'enrichit du sens des responsabilités individuelles et collectives. Au moment où nous nous préparons à entrer dans le troisième millénaire, je ne cesse d'exhorter les miens à le mettre en avant. Et je veux parler aussi de responsabilité partagée entre la France et les peuples d'outre-mer.

Pour la France, il s'agit d'aider nos régions à surmonter tous les handicaps, géographiques mais aussi psychologiques et historiques, qui entravent notre plein développement et limitent notre contribution naturelle à l'évolution de l'humanité.

Pour nous, ressortissants de l'outre-mer, il s'agit de transcender le syndrome de la compassion et de mobiliser notre vitalité au service de l'épanouissement économique, social et culturel de nos microsociétés qui, elles aussi, ont vocation à contribuer au progrès de l'humanité.

Aimé Césaire disait : « Prendre conscience de soi, c'est prendre conscience d'une histoire, d'un entourage, d'un destin et d'une espérance... »

Nous, descendants de déportés africains, une fois notre histoire rétablie, par le vote de ce matin notamment, nous n'avons pas le choix : sans complexe aucun, la tête haute, le coeur gonflé d'enthousiasme, nous devons assumer cet enjeu, nous approprier cette espérance et prendre toute notre place dans le siècle naissant qui, chacun s'accorde à le dire, sera celui de l'intelligence individuelle et collective.

C'est à ce challenge que j'invite tous mes compatriotes de l'outre-mer. Je veux être à ce rendez-vous et j'oeuvre pour que les Guadeloupéens le soient aussi.

Mes chers collègues, au nom de tous les miens, ancêtres et contemporains, je vous félicite tous pour le vote favorable que vous émettrez, pour ce symbole qui grandit la France. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Camille Darsières.

M. Camille Darsières.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, bienaimée rapporteur, appelé à disparaître dans cinq minutes de cette tribune, je ne redirai pas les horreurs inhérentes à l'enlèvement d'être humains du sol de leur pays natal, à la séparation d'avec leurs familles, à leurs souffrances dans la cale des navires négriers, à leur humiliation sur les plantations qu'ils fécondaient de leur sueur et de leur sang, ni ne rappellerai le rôle primordial que les esclaves eux-mêmes ont joué, partout et de tout temps, dans leur libération ; c'est ce dernier aspect que le Gouvernement français a mis en relief, le 27 avril dernier, par l'apposition solennelle, au Panthéon même, d'inscriptions dédiées à Delgrès et à Toussaint Louverture, héros de la lutte contre ce que Mme la ministre de la justice a défini alors comme une offense contre l'humanité.

Une incidence moins perçue, d'autant plus grave et pernicieuse, de l'esclavage doit être dénoncée, et ses séquelles encore persistantes jugulées : le génocide par aliénation culturelle.

Au carnaval martiniquais, le Mardi gras, et avant-hier encore, des travestis simulent ce que, depuis toujours, nous appelons les diables rouges. Vêtus de rouge, ils ont tête, queue et cornes de taureau et, sur la poitrine, portent de petits miroirs. Ce diable antillais se rencontre en terre africaine de Casamance. Seulement voilà : là-bas, c'est un masque d'initié, dans un climat d'exubérance religieuse. Ce n'est pas un diable, en Casamance ; c'est une divinité. Il a suffi donc que les Noirs l'aient revendiqué aux Antilles, pour que, cessant d'être dieu, il devînt force du mal. La divinité ne peut venir d'Afrique. Il n'est de dieu que d'Europe.

En 1923, le Vatican a édité un livre édifiant sur le lavage que les Frères de Ploërmel, chargés d'évangéliser les Antilles, opéraient sur le cerveau de ceux que les maîtres appelaient leurs propriétés pensantes.

« Le frère réunissait les esclaves tantôt dans une case, tantôt sous un arbre, tantôt en rase campagne sur le lieu même du travail... Tous admiraient le talent du catéchiste, tous étaient ravis en l'entendant expliquer aux esclaves leurs devoirs envers leurs maîtres, la soumission qu'ils leur devaient, le dévouement qu'il fallait avoir pour leur personne,... voir en eux les représentants de Dieu, lequel les récompenserait dans le ciel de leur fidélité à leurs maîtres...

« C'est ainsi que se dissipèrent les craintes qu'avaient conçues les colons au sujet de la mission du catéchiste. Ils comprirent qu'elle était pour eux une bonne fortune, qu'en moralisant les esclaves, elle les rendait meilleurs, plus soumis, plus laborieux, plus faciles à gouverner... »

En affirmant que seul le dieu du Blanc était l'espérance et le soutien, la société esclavagiste sommait les esclaves de rompre avec les religions d'Afrique et, par extension, de renoncer à leurs valeurs nègres. C'était l'atteinte à l'intégrité psychique des Noirs, génocide par aliénation culturelle.

La manipulation fut telle que, longtemps après l'abolition de 1848, les stigmates de l'esclavage collaient à la peau de l'Africain de la diaspora des Antilles. Le 25 février 1882, le journal des anciens maîtres, paraissant à la Martinique, continue de discréditer les hommes dits de couleur - ainsi les voient d'autres, mon cher Andy, daltoniens ! (Sourires.)

:

« Nous tenons à vous dire, avec tous ceux qui vous connaissent, que vous êtes nés pour l'esclavage et que vos instincts sont ceux de l'esclave ».

En juin 1884 encore, la chambre des députés s'apprête à étendre aux vieilles colonies la loi sur le recrutement militaire. Les anciens maîtres fulminent : « Quel gouvernement serait assez barbare, assez injuste pour obliger le blanc à servir à côté des nègres, c'est l'humilier, l'éne rver, le dégoûter... » Et la chambre des députés de la France

recula. Une chambre, monsieur Gantier - mais où est-il ?

M. Kofi Yamgnane.

Il a disparu !

M. Camille Darsières.

Une chambre de droite, conservatrice disait-on à l'époque, mais que pour ma part je vois terriblement mâtinée d'esclavagisme ! Les idées qui dominent la société post-esclavagiste restent les idées des anciens maîtres, classe économiquement dominante ; le génocide par aliénation se poursuit.

Et le crime est parfait, puisque c'est le Noir de la diaspora lui-même qui se mutile et qui, pour reprendre l'expression d'un résistant à la mutilation, « à force de conformisme, se fait une blancheur ».

L'objectif de la société post-esclavagiste lui aussi est clair : le peuple noir de la diaspora africaine sera copie.

Un peuple copie, sans conscience de soi, n'est pas libéré.

De jeunes Martiniquais, étudiants à Paris, vont s'insurger. En 1932, dans une revue, Légitime Défense, ils fustigent « l'Antillais de couleur qui renie sa race, son corps, ses passions fondamentales et particulières, sa façon spécifique de réagir à l'amour et à la mort, et en arrive à vivre dans un domaine irréel déterminé par l'idéal d'un autre peuple... » Réaction du pouvoir colonial

: la revue est interdite !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Dix années plus tard, en 1942, dans une autre revue, Tropiques, le poète Césaire prône, avec l'émancipation culturelle du Noir antillais, la solidarité entre toutes les races : « Nous sommes de ceux qui disent non à l'ombre.

Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n'importe lesquels d'entre ses fils... Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière. »

Réaction du pouvoir colonial : Tropiques est interdit pour cause de propagation de la foi en la négritude, laquelle, tôt ou tard, conduirait au constat qu'est né dans la Caraïbe un peuple composite, mixage d'Européens, d'Africains, d'Indiens, cette « humanité nouvelle » dont parle Gaston Monnerville.

Octavio Paz définissait le Mexicain : « Parmi tous ces g roupes qui formaient la population en NouvelleEspagne, les métis étaient les seuls à incarner réellement cette société, ses véritables fils. Ils n'étaient pas comme les Créoles, des Européens qui cherchaient à s'enraciner dans une terre nouvelle ; pas davantage comme les Indiens, une réalité confondue avec le paysage et le passé préhispanique. Ils étaient la vraie nouveauté de la NouvelleEspagne. Et plus : ils étaient ce qui la faisait non seulement nouvelle, mais autre... ».

De même, évidemment, la population de Martinique n'est ni européenne, ni africaine, ni indienne, voire amérindienne. C'est un peuple nouveau, un peuple autre : le peuple martiniquais, fait brut qui n'a de contradicteurs qu'au sein des nostalgiques du génocide.

Mais ce n'est pas pour perpétuer je ne sais quel manichéisme malsain, le bon ou le méchant, le Blanc ou le Noir, que je voterai le texte présenté. C'est pour mieux marquer la démarche incluse dans la condamnation du crime, démarche déjà proposée en ce chant que Césaire incite l'Antillais de la diaspora africaine à chanter : « ... il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie, que nous n'avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde, qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde, mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force, et il est place pour tous au rendezvous de la conquête... ».

Condamné, le génocide par aliénation culturelle, crime c ontre l'humanité, certes. Mais il faut dépasser l'incantatoire.

Le peuple français, auquel les Martiniquais sont sinc èrement et profondément attachés, doit éradiquer l'ultime séquelle du génocide : reconnaître le peuple nouveau, le peuple autre qu'est le peuple martiniquais, dans un ensemble français indivisible, qui, parce qu'il se reconnaîtra pluriracial, pluriculturel, plurinational, sera d'autant plus solidaire et d'autant plus fraternel.

Votons à l'unanimité ce texte ! La conscience française a toujours fortifié la conscience universelle. S'il en est qui s'abstiennent, il leur sera pardonné : c'est peut-être parce qu'ils n'ont pas de conscience ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au cours de l'année 1998, de nombreuses manifestations organisées tant en métropole qu'outre-mer ont marqué le c ent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage.

Manifestations populaires ou cérémonies officielles, l'hommage fut partout le même et s'adressait à tous les abolitionnistes, quelle que soit la couleur de leur peau.

Partout s'exprimait une exigence, celle de la mémoire, la mémoire d'un crime mais aussi la mémoire d'une victoire.

La mémoire d'un crime et, comme il vous est proposé de le proclamer, d'un crime contre l'humanité. Qui pourrait en douter ? Le servage fut supprimé en France en 1315. Ce privilège de la Terre des Francs, entendez des hommes libres, ne connut pas d'exception, sauf et systématiquement pour les Noirs. Crime contre l'humanité, parce que, au-delà de son horreur, crime commis contre des innocents, contre ceux qui n'avaient rien fait, mais à raison de ce qu'ils étaient, à raison de la couleur de leur peau.

La mémoire d'un crime, mais aussi la mémoire d'une victoire parce que l'abolition de 1848 fut fille de celle de 1794.

Quatre années avaient séparé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du décret de la Convention, de février 1794, abolissant l'esclavage dans toutes les colonies. Quatre années d'atermoiements et d'hésitations où s'affrontèrent deux politiques, celle des grands principes et celle des intérêts que venait conforter la force des préjugés.

« Périssent les colonies plutôt que nos principes. »

Cette apostrophe, prêtée à Robespierre, les esclaves la firent leur, se révoltant partout. Ils obligèrent ainsi l'Assemblée révolutionnaire à ratifier ce que, à SaintDomingue, quatre mois plus tôt, avaient dû décréter les commissaires d'une République qui n'avait plus, pour la défendre, qu'affranchis et esclaves révoltés, ce groupe « du grief généralisé », comme le dénommait Césaire.

Dès lors, les termes du dilemme étaient posés, et posés par les esclaves : la République, dans ce pays, serait universaliste ou ne serait pas.

Par la force armée, on le sait, Bonaparte rétablit l'esclav age ; deux ans plus tard, Napoléon abolissait la République. Mais, à Saint-Domingue, le corps expéditionnaire de Leclerc avait échoué. Le flambeau républicain avait changé de mains et, le 1er juillet 1804, l'année du sacre de l'empereur, naissait la première République noire du monde, celle d'Haïti.

1848, seconde République, seconde abolition, définitive cette fois. Un républicain se souvenait de l'histoire. A Arago, qui lui faisait part de ses hésitations devant les c onséquences d'une émancipation immédiate, Victor Schoelcher rétorquait : « Si l'émancipation n'est pas décrétée, je recommanderai moi-même aux esclaves de se révolter. »

Mesdames et messieurs les députés, les esclaves furent parmi les pères fondateurs oubliés de la République.

Aucune considération et aucune violence ne purent arrêter ces hommes qui n'acceptèrent jamais le sort qui leur était fait. Leur refus est l'une des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect aux esclaves qui refusèrent l'esclavage.

Attentat permanent contre l'esclave, l'esclavage est aussi une souillure pour celui qui en tire profit, pour celui qui le tolère, pour celui qui se tait.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

L es habitants de Champagney, en Haute-Saône, n'avaient sans doute jamais vu d'esclaves, mais ils ont protesté, et ils le firent dès 1789, dans leur cahier de doléances. Leur refus n'en est que plus éclatant, et il est, l ui aussi, l'une des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect à ces pionniers de la dignité de l'homme.

La République dont nous sommes tous les héritiers n'est pas seulement celle des grands ancêtres. C'est celle que nous ont léguée, ensemble, le nègre marron inconnu et l'obscur paysan de Champagney. Nous avons, nous tous, besoin de ces deux histoires qui se rejoignent en 1848. La République se tient à leur confluent.

Comment en faire vivre utilement la mémoire ? Le texte qui vous est proposé proclame solennellement que la traite négrière et l'esclavage constituent un crime contre l'humanité. Cette proclamation est faite non pas au passé, mais au présent, au présent de la mémoire et de la conscience. Un siècle et demi n'a pas effacé, ne doit pas effacer cette longue tragédie.

Fidèles aux valeurs de la République, héritiers des combats menés par Toussaint-Louverture et Louis Delgrès, par l'abbé Grégoire et Victor Schoelcher, nous sommes et nous demeurons abolitionnistes.

Car l'esclavage n'a pas disparu de la face de la terre.

Parfois ouvertement, plus souvent sous des formes déguisées, il existe encore dans de nombreux pays et constitue un scandale permanent qu'il faut dénoncer : l'enfant contraint au travail, le paysan enchaîné à sa terre, la femme vendue pour l'exploitation sexuelle sont les figures modernes de la négation de la dignité humaine.

En faisant aujourd'hui cet acte de mémoire, nous devons aussi avoir une claire vision des enjeux et des situations de notre époque et avoir à leur égard la même exigence aujourd'hui comme hier. La dignité de l'homme ne se marchande pas.

Permettez-moi, pour conclure, de rappeler que ce débat et le vote de votre assemblée, si importants qu'ils soient dans les quatre départements d'outre-mer et à Mayotte, ne concernent pas seulement ceux de nos compatriotes qui y vivent ou qui en sont originaires. Ils concernent l'ensemble de la nation.

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Ne nous méprenons pas sur la portée de ce texte, et tous les orateurs l'ont souligné : il ne cherche pas à distinguer, à discriminer au sein de ce qui est uni, à rechercher dans le passé des motifs de querelles, de revendications ou de rancoeur.

Bien au contraire, il vise à rappeler que la somme de nos histoires individuelles et collectives a fondé une histoire commune. Par elle et grâce à elle, comme je l'avais déjà exprimé il y a quatre mois devant votre assemblée, les Français ne sont pas une race, ils sont un peuple.

Avec Mme Elisabeth Guigou, au nom du Gouvernement, je tiens à remercier Mme Taubira-Delannon, rapporteur, et tous les orateurs qui se sont exprimés en ce sens.

C'est l'honneur de notre pays mais, plus encore, c'est sa chance et c'est sa force. Vous l'avez dit ce matin avec émotion et vigueur. Merci à tous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Union pour la Démocratie française.)

Discussion des articles

M. le président.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Mes chers collègues, j'appelle votre attention sur le fait que la matinée est déjà fort avancée et que nous avons encore à examiner les articles, sur lesquels des orateurs se sont inscrits, et les amendements. Faisons en sorte de terminer l'examen de ce texte dans de bonnes conditions.

Article 1er

M. le président.

« Art. 1er . - La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l'esclavage, perpétrés à partir du XVe siècle contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et d ans l'océan Indien, constituent un crime contre l'humanité. »

La parole est à M. Michel Tamaya, inscrit sur l'article.

M. Michel Tamaya.

N'ayant pu m'inscrire, pour des raisons personnelles, dans la discussion générale, j'ai souhaité néanmoins participer à ce débat en m'exprimant sur l'article 1er , pour montrer que j'adhère totalement à la démarche initiée par Mme Taubira-Delannon, aidée activement par Mme Huguette Bello qui a elle-même rédigé une proposition de loi en ce sens.

Il arrive souvent, même au parlementaire que je suis, de perdre de vue les valeurs essentielles qui fondent nos engagements individuels ou collectifs. Nous oublions souvent que la politique c'est aussi savoir prendre le temps, même s'il nous est compté. C'est aussi légiférer sur des sujets dont l'actualité ou l'urgence n'apparaissent pas immédiates. Et pourtant ! Précisément, le sujet qui nous réunit aujourd'hui est de ceux-là. Je ne suis ni juriste ni historien. Mon intervention est celle d'un citoyen que des convictions profondes animent et qui se sent totalement impliqué dans cette démarche de mémoire et de reconnaissance.

Ce débat, au demeurant, peut ne paraître que symbolique, mais il est d'une importance considérable, car ses enjeux vont bien au-delà des apparences.

Je ne redirai pas l'horreur. D'autres l'ont fait avec beaucoup de réalisme et de conviction.

Pour revenir plus précisément à l'article 1er , je voudrais redire ici, comme l'a fait ma collègue Huguette Bello, que la traite négrière n'a pas été que transatlantique hélas ! En effet, les historiens ont maintenant conscience de l'importance de ce phénomène dans l'océan Indien. Et il serait injuste de passer sous silence le fait que l'Europe et la France ont aussi organisé la traite dans cette partie du monde.

L'institution esclavagiste a été légitimée pour servir des intérêts purement économiques : certains sont devenus riches, parce que d'autres sont devenus pauvres : telle est la triste vérité ! Nos peuples d'outre-mer ne doivent pas se satisfaire d'une histoire mutilée. Ils doivent revendiquer la mémoire douloureuse qui les constitue. Cette mémoiree st riche. De cela aussi, il faut que nous ayons conscience.

De cette manière seulement, nous accéderons à une c itoyenneté pleine et entière, débarrassée de tout complexe, dépouillée de ses plus terribles préjugés.

Il est des moments importants qui font revenir au sens profond de l'engagement politique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Il est des textes qui permettent l'éveil à la conscience politique. Le débat d'aujourd'hui y participe pleinement.

Merci à ce gouvernement d'y avoir contribué.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Elie Hoarau.

M. Elie Hoarau.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises concerne en 1848 plus des deux tiers de la population réunionnaise : 62 000 esclaves deviennent des citoyens. Mais, vous le savez, l'histoire officielle a laissé dans l'obscurité ces esclaves anonymes. Elle ne s'est pas souvenue davantage de ces esclaves rebelles, les marrons, les seuls héros de notre histoire, qui ont refusé, au prix de leur vie, que l'humanité, en eux, soit niée.

Notre société est issue de la violence de l'esclavage.

Notre identité est née d'un crime contre l'humanité, d'un crime qui n'a pas sa version dure et sa version douce. Il faut mettre à mal ce mythe d'un « esclavage doux » qui aurait notamment protégé la Réunion. Nous savons que la mortalité servile était très élevée dans cette lointaine colonie de l'océan Indien, que sur les propriétés, les mauvais traitements étaient fréquents, que l'esclavage y a duré longtemps.

C'est dire la portée que revêt aujourd'hui le vote de l'Assemblée nationale, pour le passé comme pour l'avenir.

N'hésitons pas à souligner que, parmi les parlementaires à l'initiative de ce débat, se trouvent deux femmes. Elles sont chargées de la mémoire de toutes celles qui ont payé à l'esclavage un si lourd tribut, de celles qui, victimes de la tyrannie des maîtres, n'avaient d'autre choix que de mettre au monde de nouveaux esclaves ou de recourir à l'avortement. Elles sont chargées aussi des souffrances quotidiennes de celles qui sont désormais les premières victimes de l'exclusion et de la précarité.

La nature humaine de ces hommes et de ces femmes, réduits à l'état de simples marchandises, a été niée. En les privant de sépulture, on voulait les jeter dans l'oubli.

C'était sous-estimer la puissance tragique du refus qui a rendu leur humanité aux esclaves rebelles et permis à leurs noms d'arriver jusqu'à nous. Héva, Cimendef, Dimitile, Simitave ont donné à la condition humaine, après Antigone, après et avant tous ceux et toutes celles qui ne transigent pas sur l'essentiel, son plus glorieux visage.

La reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crimes contre l'humanité est l'hommage que nous rendons à leur combat et à leur résistance.

Nous n'envisageons pas que quelque médiocrité procédurière interdise de mener à son terme ou retarde une démarche que nous voulons, de toute notre volonté, voir a boutir dignement, rapidement et intégralement.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai choisi d'intervenir symboliquement sur l'article 1er de cette proposition de loi en hommage à mon grand-père, Henri Donnedieu de Vabres, juge français au tribunal de Nuremberg, qui, avec le juge américain, le juge russe et le juge britannique, a défini la notion de crime contre l'humanité.

Ils ont défini cette notion en voulant la séparer de celle de crime de guerre pour montrer qu'il y avait, malheureusement, des hiérarchies et des gradations dans l'horreur, et nous devons aujourd'hui savoir effectivement reconnaître la gradation et la hiérarchie de l'horreur.

L'unanimité des républicains humanistes aujourd'hui constatée à l'Assemblée nationale est insuffisante si elle est tournée vers le passé. Elle doit être une démarche active et nous ne devons pas uniquement faire preuve d'un devoir de mémoire, mais aussi d'un devoir de lucidité.

Pourquoi existe-t-il une sorte de spécificité française qui fait que, chaque fois qu'il faut reconnaître la tragédie d'un épisode de notre histoire ou de l'histoire universelle, il nous faut autant de temps pour le reconnaître et pour agir ?

M. Alain Néri.

C'est vrai.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

L'émergence des faits, c'est évidemment essentiel et capital. Ce n'est pas le procès de la France. C'est un appel à la conscience universelle que nous faisons aujourd'hui pour que, jour après jour, le droit international, le respect des droits de l'homme progressent partout dans le monde.

Alors oui, il est important que l'instruction civique progresse. Oui, il est important que, enfin, nous rattrapions sur ce sujet comme sur d'autres un vrai retard, pour que nos enfants ne soient pas uniquement formés comme citoyens, comme individus libres, mais comme frères.

A ceux qui reprochent parfois à l'UDF ses oeillades, je réponds calmement et fortement aujourd'hui qu'il n'y a pas d'oeillade vis-à-vis du racisme, de la barbarie, de l'anéantissement de la personne humaine, de la falsification de l'histoire, de l'oubli des tragédies qui ont marqué notre histoire.

Le seul refuge des victimes, le vrai tombeau des morts, c'est le coeur des vivants.

A ceux qui ont été humiliés et assassinés, à ceux qui le sont encore aujourd'hui, je souhaite que le message qui parte de notre assemblée soit celui de la dignité et de la vraie fierté enfin retrouvée.

Je suis heureux de constater une communauté politique naturelle et forte entre l'UDF et le RPR et l'ensemble des républicains de cette assemblée sur cette proposition de loi.

(Applaudissements.)

M. le président.

Je suis saisi de deux amendements, nos 16 rectifié et 8, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement no 16 rectifié, présenté par M. Mermaz, est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 1er :

« La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien, d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les population africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »

L'amendement no 8, présenté par M. Claude Hoarau, Mme Bello et M. Elie Hoarau est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 1er :

« La République française reconnaît que la traite, d'une part, et l'esclavage, d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques, dans l'océan


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Indien et en Europe contre les populations amérindiennes, africaines, malgaches et indiennes, constituent un crime contre l'humanité. »

La parole est à M. Louis Mermaz, pour soutenir l'amendement no 16 rectifié.

M. Louis Mermaz.

C'est un amendement de synthèse pour inclure l'ensemble des peuples qui ont été victimes de la traite et de l'esclavage.

M. le président.

La parole est à M. Claude Hoarau, pour défendre l'amendement no

8.

M. Claude Hoarau.

Un poète réunionnais a écrit :

« Il préférait la lutte, incertaine et sauvage,

« A des jours plus cléments, passés en esclavage,

« Et du haut de ces monts, qu'il avait pour témoins,

« Souvent il s'écriait : je suis libre du moins. »

J'ai choisi d'introduire ainsi un propos qui vise à parler de la lutte de ceux que l'on a transportés et asservis pendant des centaines d'années sur une grande partie de la terre.

Non, mes chers collègues, les millions d'esclaves que l'on a arrachés à leur village, à leur terre, à leur famille, à leur culture, ne l'ont pas accepté sans lutter ! Les millions de femmes que l'on a violées de manière systématique ne l'ont pas accepté sans lutter ! Quand vous cherchez dans l'histoire de chaque peuple issu de la traite et de l'esclavage, vous trouvez des récits de combats et de luttes incessantes.

La Réunion, où vit ce peuple réunionnais né de ce crime contre l'humanité, a connu une véritable « guerre de cent ans », Que l'on ait tout fait pour le faire oublier aux Réunionnais eux-mêmes et au reste du monde n'est pas pour nous surprendre. Nous ressentons aujourd'hui une émotion d'autant plus grande.

Il est facile, pour se donner bonne conscience du côté occidental, de dire que, si il y a eu la traite, c'est que des A fricains ont accepté de vendre des Africains par exemple, mais ce n'est pas vrai que l'Afrique a accepté sans réagir cette saignée de ses forces vives.

Voici ce qui était souligné dans Le Monde diplomatique l'an dernier, sous la plume d'Elikia M'Bokolo : « Une source longtemps ignorée, la Lloyd's List, jette une lumière inattendue sur le rejet de ce commerce dans les sociétés côtières africaines. Les détails dont elle fourmille sur les sinistres survenus aux navires assurés, à partir de sa fondation en 1689, par la célèbre firme de Londres montrent que, dans un nombre significatif de cas connus, plus de 17 %, le sinistre est dû à une insurrection, à une révolte ou à des pillages sur place en Afrique. »

La proclamation que nous allons voter aujourd'hui, nous voulons l'adopter à la mémoire de ceux que l'on a transportés, violés, fouettés, mutilés, exécutés en quelq ue endroit de la terre, au motif qu'il ne fallait pas leur reconnaître la qualité d'être humains.

Adoptons-la aussi à la mémoire de ceux qui n'ont pas accepté, et qui sont morts les armes à la main pour qu'un jour, enfin, disparaisse cette abomination.

Il ne nous appartient pas, dès lors, de dire dans quelle région du monde la traite a constitué un crime contre l'humanité et dans quelle autre région, au motif qu'elle a été moins massive, elle aurait été d'une autre nature.

Ainsi, le transport de milliers d'esclaves indiens vers les îles Mascareignes, organisé quelquefois dans les moindres détails par les gouverneurs désignés par la France, est aussi condamnable que celui de millions d'Africains vers les Amériques.

De même, il ne nous appartient pas de dire que l'esclavage, quand il met en asservissement des millions d'Africains, est plus un crime contre l'humanité que lorsqu'il concerne des dizaines de millions d'Amérindiens, asservis dans leur propre pays, jusqu'à leur extermination presque totale et la disparition de leur civilisation.

Notre condamnation d'aujourd'hui ne prendra toute sa signification que si elle a une portée universelle, que si elle ne laisse pas de côté des pans entiers de l'histoire de la traite et de l'esclavage.

C'est pour cette raison que nous avions proposé l'amendement no 8 qui élargissait la vision de la traite et de l'esclavage. Dans la mesure où il est satisfait par l'amendement de la commission, qui propose une rédaction acceptable par tous, ce dont je me félicite, je le retire.

(Applaudissements.)

M. le président.

L'amendement no 8 est retiré.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement no 16 rectifié ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission n'a pas examiné l'amendement de M. Louis Mermaz, mais elle a largement discuté du sujet lors de deux séances. Cet amendement de compromis me paraît satisfaisant. Je pense qu'il peut recueillir un accord global et j'y suis favorable à titre personnel.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui reconnaît non seulement la traite transatlantique, mais aussi celle qui a été effectuée à destination de la Réunion. C'est en effet une bonne synthèse des différentes rédactions qui avaient été proposée s.

M. le président.

Maintenez-vous l'amendement no 1 rectifié, monsieur Marie-Jeanne ?

M. Alfred Marie-Jeanne.

Il est satisfait par l'amendement de M. Mermaz et je le retire.

M. le président.

L'amendement no 1 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement no 16 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

M. Birsinger, M. Moutoussamy et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 11, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 1er par les phrases suivantes :

« Par ce geste, elle reconnaît sa responsabilité à l'égard des peuples qui ont souffert de ce crime et à l'égard des descendants de ces peuples. Elle s'engage également à déterminer le préjudice subi et à examiner les conditions de réparation due au titre de ce crime. »

La parole est à à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Dans le débat, nous avons parlé du devoir de mémoire. Les filles et les fils d'esclaves luttent pour entretenir la mémoire de leurs ancêtres et le devoir de mémoire de la République française est d'établir ses responsabilités face au drame humain subi par les esclaves.

Il y a aussi un devoir de réparation. Le texte de Mme Taubira-Delannon mettait cette idée en évidence en instaurant un comité de personnalités chargées de déterminer le préjudice subi et d'examiner les conditions de réparation dues au titre de ce crime. C'était une idée excellente, de nombreux orateurs l'ont rappelé dans le débat.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Il ne s'agit évidemment pas d'une réparation financière pour indemniser les descendants des esclaves mais d'une réparation morale et d'un devoir de solidarité. Aujourd'hui, j'ai plutôt tendance à parler de la dette que nous aurions à l'égard de l'Afrique. J'ai donné l'exemple de Haïti, mais on pourrait évoquer de nombreux pays africains. La question est toujours d'actualité et c'est pourquoi il me paraît nécessaire d'inclure cette idée dans le texte.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission a repoussé cet amendement.

Cette idée était contenue dans le texte original et il y a eu un débat sur ce point. Les discussions ont fait apparaître que l'ambiguïté demeurait très forte et que, par ailleurs, il s'agissait d'un vocabulaire très marqué en législation civile.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je ne crois pas non plus que l'on puisse se situer dans une perspective d'indemnisation qui, en pratique, serait impossible à organiser en raison de la manière dont cette traite s'est déroulée et du temps qui s'est écoulé.

La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, se place dans une perspective collective par la création de lieux et d'actions de mémoire, organise une responsabilité morale. Cette rédaction me paraît préférable. C'est la rai-s on pour laquelle je ne suis pas favorable à cet amendement.

M. le président.

La parole est à M. Camille Darsières.

M. Camille Darsières.

Le texte proposé par mes collègues communistes est bon dans son esprit, mais, lorsqu'on prononce un mot, on lui donne un sens et celui qui le reçoit lui en donne peut-être un autre. En ce qui me concerne, je répugnerais à ce que l'on ait l'impression que j'ai voté un texte pour faire argent de la souffrance des autres. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il ne faut pas voter cet amendement.

Par ailleurs, s'agissant de la dette française à l'égard de l'Afrique, je n'ai cessé dans mes interventions sur l'immigration de répéter que la France est allée en Afrique sans que les Africains le lui ait jamais demandé, qu'elle leur a promis le développement sans le leur donner, qu'elle doit pour cela être attentive au développement de l'Afrique actuelle. C'est vous dire, par conséquent, que ma position est un tout.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

11. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Le texte de l'amendement no 16 rectifié, précédemment adopté, devient donc l'article 1er

Article 2

M. le président.

« Art. 2. - Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territ oires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée. »

La parole est à M. Serge Blisko, inscrit sur l'article.

M. Serge Blisko.

Comme on l'a rappelé ce matin, l'esclavage aboli par notre Assemblée en 1794 sous l'action énergique de Danton et de l'abbé Grégoire fut, hélas !, rétabli quelque huit ans plus tard par Bonaparte, consul.

La période où la France fut esclavagiste est très méconnue. Qui connaît l'histoire de ces navires négriers partis de nos ports pour charger tout au long des comptoirs africains des millions de malheureux hommes, femmes et enfants ? Pas un lycéen n'apprend l'existence et encore moins le contenu du code noir qui définissait les esclaves comme des meubles. Qui sait encore que les négociants du royaume furent autorisés dès 1716 à « faire commerce des nègres », comme on disait à l'époque ? On a bien sûr rappelé ici 1848 et l'abolition définitive de l'esclavage promue par Victor Schoelcher, mais la grande politique d'assimilation, fidèle à la tradition républicaine, a jeté sur cette période terrible de notre histoire un voile pudique et opaque.

Après 1848, on ne parla plus de l'esclavagisme. On a préféré ignorer plutôt que d'assumer, comme si, pour assimiler les descendants d'esclaves, il nous fallait oublier, il leur fallait oublier, ce qu'ils n'ont pas fait, les humiliations, les déracinements, les blessures, les crimes.

Mais l'on ne peut pas du passé faire table rase. Aujourd'hui, nous le réaffirmons, cette zone d'ombre de notre histoire doit être mise en lumière et pleinement assumée.

Ainsi, au conseil de Paris, les élus socialistes ont, à plusieurs reprises, demandé que le nom honni de Richepanse ne soit plus celui d'une rue de la capitale. Jusqu'à présent, ils n'ont pas été entendus. J'espère que ce débat contribuera à faire prendre en compte leur demande.

L'esclavage a été aboli mais il a, hélas ! durablement enraciné des préjugés raciaux. Faire passer à la trappe cet épisode terrible de notre histoire ne permet pas d'avancer dans la voie de l'intégration. Les cicatrices sont encore visibles dans notre société, comme en témoignent les discriminations face à l'emploi ou au logement dont sont aujourd'hui victimes en métropole les Français originaires des DOM ou d'Afrique.

Cette proposition de loi et son article 2 qui porte sur l'enseignement et le devoir de mémoire n'appellent pas à la revanche, ils appellent au courage, le courage d'un peuple uni qui assume son histoire et, fort de ses enseignements, se tourne vers l'avenir.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la garde des sceaux.

Mesdames, messieurs les députés, évidemment, je comprends l'objet de l'article 2.

J'ai dit moi-même dans mon discours introductif qu'il était en effet très important de pouvoir satisfaire au devoir de mémoire ainsi que d'informer et de rappeler aux enfants dans nos écoles à quel point ce qui s'est passé pendant trois siècles entache notre histoire. Toutefois, j'indique à l'Assemblée nationale que les dispositions proposées sont d'ordre réglementaire et non d'ordre législatif.

C'est d'ailleurs en vertu de dispositions réglementaires que différents décrets et circulaires ont été pris en direction des collèges et des lycées pour encourager d'ores et déjà la conduite d'une réflexion sur l'abolition de l'esclavage.

Sans doute ces initiatives sont-elles insuffisantes ? Sans doute faut-il les renforcer ? Sans doute faut-il prendre des initiatives beaucoup plus précises ? En tout cas, je le répète, de telles initiatives ne peuvent relever que du décret ou de la circulaire et non d'un article de loi.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. le président.

La parole est à Mme la rapporteur.

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Madame la ministre, je sais dans ma chair et dans ma tête qu'on ne fait pas impunément une telle incursion dans son histoire, et j'arrive aujourd'hui dans ce débat un peu « morcelée » à l'intérieur. Cela plaide pour que cette histoire, nous la pénétrions autrement que dans un laps de temps comme celui que requiert l'examen d'un texte.

Cela suppose aussi que nos enfants soient dispensés de ce traumatisme et qu'ils entrent dans cette histoire progressivement et normalement.

Vous avez parfaitement raison, madame la ministre, les dispositions de l'article 2 sont d'ordre réglementaire.

Comme c'est le cas dans d'autres textes, lorsque nous souhaitons introduire dans un texte de loi des dispositions d'ordre réglementaire, c'est pour des raisons autres que juridiques. Nous le faisons pour des raisons politiques, pour des raisons morales. En l'occurrence, si nous l'avons fait, c'est pour poser un exigence, pour débattre et pour afficher.

Par conséquent, et pour faire droit à votre remarque qui est tout à fait justifiée, madame la ministre, nous sommes disposés à retirer cet articles...

M. Alain Néri.

Mais non !

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

... si le Gouvernement s'engage solennellement à prendre des dispositions et à mettre en place des moyens pour, dès l'adoption de ce texte, aller rapidement et efficacement dans le sens que nous souhaitons.

M. Louis Mermaz.

Je demande la parole, monsieur le président.

M. le président.

Monsieur Mermaz, en principe, il ne peut pas y avoir de débat sur l'article 2 si la commission le retire.

M. Louis Mermaz.

Ce qu'elle n'a pas encore fait !

M. le président.

Dans ces conditions, vous avez la parole.

M. Louis Mermaz.

Le ministre de l'éducation nationale n'est certes pas présent, mais le Gouvernement est un.

Vous pouvez donc, madame la ministre, prendre un engagement ferme.

Bien sûr, l'article 2 relève du domaine réglementaire, mais ce ne serait pas la première fois que l'Assemblée nationale affiche un texte d'incitation. Effectivement, il avait été envisagé en commission de retirer l'article 2 sous réserve d'un engagement très clair et très ferme du Gouvernement. Je ne crois pas, madame la ministre, que cela vous coûterait beaucoup, compte tenu de ce que vous êtes et de ce que vous pensez, de prendre un tel engagement.

Jusqu'à présent, dans les collèges et dans les lycées, on a glorifié, à juste titre, l'abolition, mais on n'a jamais rien dit de très précis sur la traite négrière et l'esclavage.

J'aimerais, madame la ministre, que vous preniez un engagement ferme. C'est la condition nécessaire pour retirer l'article.

M. le président.

La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri.

Compte tenu de l'importance du sujet, et du fait que, pendant trop longtemps, cette question a été négligée et qu'il y a effectivement une lacune sur le plan éducatif, il est absolument nécessaire que l'Assemblée nationale manifeste clairement sa volonté, quitte ensuite à ce qu'un décret vienne préciser les choses.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Je partage totalement l'avis de M. Néri : il faut conserver l'article 2. Du reste, nous n'avons pas discuté de son retrait en commission. Il est nécessaire de maintenir cet article car il permettra d'engager un travail historique et pédagogique.

M. le président.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Si, monsieur Birsinger, nous avons discuté en commission de l'éventualité du retrait de l'article 2, dans les conditions que vient de rappeler M. Louis Mermaz.

Je partage le sentiment de ceux qui viennent de s'exprimer sur l'absolue nécessité d'engager, à partir de ce texte, un travail pédagogique. L'intérêt de notre discussion ce matin est de bien poser clairement notre exigence.

Dans la forme, il n'y a aucun inconvénient à retirer l'article 2 - mais c'est notre assemblée qui en décidera dès lors que le débat nous permet d'évoquer la question et qu'un représentant du Gouvernement est là pour nous répondre.

M. le président.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la garde des sceaux.

Je n'ai évidemment aucune espèce de réticence - au contraire - à prendre, au nom du Gouvernement, l'engagement que des mesures seront prises pour que l'enseignement sur cet événement historique soit à la hauteur de ce que ce dernier a été.

Vous avez peut-être remarqué que, dans mon discours introductif, j'ai effectué une description précise de ce qu'avait été, pendant trois siècles, la traite des noirs.

Je pense, comme Mme Tasca, que le débat lui-même, la précision des informations qui ont été fournies, lesquelles n'étaient pas nécessairement connues de tout un chacun, les appréciations qui ont été portées sur ces événements sont là pour témoigner de l'importance que la représentation nationale leur accorde. Il faut évidemment leur faire une plus grande place dans nos manuels scolaires...

M. François Loncle.

Le ministère de l'éducation nationale est incapable de faire ça !

Mme la garde des sceaux.

... mais aussi dans nos activités de coopération. C'est un engagement que je prends au nom du Gouvernement.

Cela dit, je suis gardienne de la Constitution, laquelle organise un partage entre la loi et le règlement. Par conséquent, je me dois de rappeler à l'Assemblée ce qui est de nature législative et ce qui ne l'est pas.

M. François Loncle.

L'éducation nationale est incapable d'enseigner l'instruction civique. Elle ne le fait plus depuis quarante ans !

M. le président.

La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Bien sûr, il y a le partage prévu par la Constitution. Mais il y a aussi le fait que, depuis des années, nous souhaitons tous le rétablissement de l'instruction civique à l'école et l'introduction dans les manuels scolaires de diverses références civiques et historiques. En outre, il n'est pas possible de priver le Parlement de la possibilité d'exprimer ce souhait fort, quels que soient les contenus de l'article 34 et de l'article 37.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Il me semblerait normal qu'un débat ait lieu avec le ministre de l'éducation nationale - pas aujourd'hui, bien entendu - pour examiner comment on fera concrètement entrer les références historiques et civiques dans la vie quotidienne des écoles de ce pays.

(Applaudissements.)

M. le président.

Moi qui suis gardien du règlement de l'Assemblée, je vous indique, mes chers collègues, que la commission ayant demandé, à la fois par la voix de sa rapporteur et de sa présidente, le retrait de l'article 2, nous allons passer à l'article 3. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Monsieur le président, c'était le retrait « si ». Il était lié à un engagement du Gouvernement.

Depuis le début, nous savons qu'il s'agit de dispositions d'ordre réglementaire. Nous admettons que certaines dispositions d'ordre réglementaire, mais ce n'est pas le fait de cette seule proposition de loi, peuvent alourdir les textes. Il n'empêche que nous sommes face à un cas particulier qui impose de faire, de façon urgente, des efforts significatifs en matière d'éducation et de recherche.

La réalité est que cette partie de notre histoire n'est pas correctement relatée dans les ouvrages scolaires.

J'ai indiqué tout à l'heure que nous étions disposés à retirer cet article sous réserve d'un engagement solennel du Gouvernement de prendre des mesures et de mettre en place des moyens pour favoriser le développement de la recherche et de l'enseignement.

M. le président.

Madame la rapporteur, l'article 2 est-il maintenu (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste), puisqu'il s'agissait d'un « si » conditionnel ?

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Nous maintenons l'article 2.

M. le président.

Dans ce cas, nous allons passer aux amendements.

M. Turinay et M. Chaulet ont présenté un amendement, no 5, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 2 :

« Les manuels scolaires d'histoire de la France consacrent dans leurs programmes un ou plusieurs chapitres sur la traite négrière transatlantique.

« Est encouragée et favorisée la coopération européenne, africaine, américaine et caribéenne afin de mettre en articulation les archives disponibles sur l'esclavage. »

La parole est à M. Anicet Turinay.

M. Anicet Turinay.

Cet amendement vise à faire en sorte que les manuels scolaires mentionnent obligatoirement ce que fut cette page de l'histoire de la France et surtout à favoriser la constitution d'archives en collaboration avec les trois continents et les pays touchés par cette histoire commune.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission a rejeté cet amendement parce qu'il est d'une précision estimée excessive.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Défavorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

5. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

MM. Birsinger, Moutoussamy et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 12, ainsi rédigé :

« Après la première phrase de l'article 2, insérer la phrase suivante :

« Ils mettent en particulier en lumière la place qu'occupa la France dans le système esclavagiste, notamment à travers l'étude des institutions ayant légitimé l'esclavage, comme, par exemple, le "code noir". »

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Cet amendement vise à rappeler que le nécessaire travail de mémoire sur ce que fut l'esclavage concerne particulièrement la société française. On a tout à l'heure parlé de tabou ; je crois qu'il faut effectivement le lever entièrement. Il est important que notre pays reconnaisse et établisse les responsabilités qui sont les siennes vis-à-vis des descendants des esclaves. Certes, la France ne fut pas le seul pays esclavagiste, mais elle a joué un rôle essentiel dans la colonisation esclavagiste. Et on a évoqué tout à l'heure le « code noir ».

Cet amendement vise donc à aller au bout du devoir de mémoire.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission a repoussé cet amendement. Je vous fais valoir, monsieur Birsinger, que l'article 1er , qui reconnaît le crime, reconnaît de ce fait l'implication de la France dans le drame, et donc répond à votre préoccupation, tout comme l'article 2.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Défavorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

12. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

M. Marie-Jeanne a présenté un amendement, no 2, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 2 par l'alinéa suivant :

« Après inventaire, tout document relatif à la traite et à l'esclavage, introuvable dans un département d'outre-mer, sera mis à la disposition des archives départementales et des principales bibliothèques de ce dernier en vue de l'établissement à terme d'un fonds documentaire complet sur le sujet »

La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

De nombreux documents relatifs à la traite et à l'esclavage ont été rapatriés de l a Martinique et des départements d'outre-mer vers la métropole. Cet amendement vise à faire en sorte qu'ils soient mis à la disposition des archives départementales - sous forme de copies, tout au moins - pour permettre aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants de continuer leurs études.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Je suis extrêmement sensible à vos propos, monsieur MarieJeanne. C'est en effet une part de notre mémoire écrite qui n'est pas à notre disposition. Toutefois, la commission a considéré, comme pour l'amendement no 5, que celui-ci entrait trop dans le détail et l'a donc rejeté. Cela n'empêchera pas de faire les démarches nécessaires pour obtenir la mise à disposition des archives en question.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car celui-ci se heurte à plusieurs obstacles juridiques.

Cet amendement vise à mettre à disposition des archives et des bibliothèques des départements d'outre-mer tout document relatif à la traite et à l'esclavage dont ils ne disposeraient pas. Je constate que l'amendement ne précise pas si la mise à disposition des documents concernés doit se faire sous forme de dépôt de l'original ou d'une reproduction.

S'il s'agit d'originaux, je soulignerai que la loi ne saurait contraindre leurs propriétaires - sauf si c'est l'Etat à un tel dépôt sans porter atteinte au droit de propriété, constitutionnellement protégé.

S'il s'agit de reproductions, leur dépôt ne soulève pas le même problème juridique, mais je m'interroge sur la détermination de la charge financière que représente l'exécution de telles reproductions.

Je comprends le souci qui anime M. Marie-Jeanne, mais il me semble que, en encourageant la coopération, dans le domaine des archives, de tous les territoires qui ont connu l'esclavage, la rédaction de l'article 2 de la proposition de loi répond suffisamment à l'objectif recherché de diffusion de la connaissance. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas être et ne suis pas favorable à cet amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Article 3

M. le président.

« Art. 3. - Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage. »

M. Mermaz a présenté un amendement no 17, ainsi rédigé :

« Dans la première phrase de l'article 3, après les mots : "traite négrière transatlantique", insérer les mots : "ainsi que de la traite dans l'océan Indien,". »

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

C'est un amendement de coordination avec des dispositions qui ont été adoptées à l'article 1er . Il fait référence à la traite dans l'océan Indien.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission n'a pas examiné cet amendement qui découle directement de l'amendement de compromis qui a modifié l'article 1er . A titre personnel, j'y suis favorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

17. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'amendement no 9 tombe.

M. Turinay a présenté un amendement, no 6, ainsi rédigé :

« Dans la première phrase de l'article 3 substituer au mot : "sera", le mot : "est". »

La parole est à M. Anicet Turinay.

M. Anicet Turinay.

Mme le rapporteur m'ayant convaincu, en commission, que le futur serait aussi immédiat que le présent, je retire mon amendement.

(Sourires.)

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Merci !

M. le président.

L'amendement no 6 est retiré.

M. Marie-Jeanne a présenté un amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Compléter la dernière phrase de l'article 3 par les mots : "sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer". »

La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

L'article 3 propose de retenir une date de commémoration spécifique pour la France, et peut-être une date internationale. Or, dans chacun de ces départements, il existe déjà une date en rapport avec l'histoire vécue. Je n'aimerais pas que l'on puisse escamoter cela.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission a repoussé cet amendement, car la disposition inscrite dans la proposition de loi ne menace pas les dates de commémoration qui sont inscrites dans le texte de 1983.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est favorable à cet amendement qui rappelle que des dates commémoratives existent dans chaque département d'outre-mer et qu'elles font maintenant partie de leur histoire. Une telle précision semble utile.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

3. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

M. Marie-Jeanne a présenté un amendement, no 4, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 3 par l'alinéa suivant :

« La France mettra tout en oeuvre pour permettre l'élaboration d'une ou de plusieurs conventions internationales assimilant l'esclavage et la traite des esclaves à un crime contre l'humanité et comportant les moyens et procédures qui visent à la sanction des pratiques litigieuses. »

La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Cet amendement, qui se justifie par son texte même, constitue en quelque sorte une p late-forme de lancement vers les organisations internationales.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

C'est un travail ingrat d'être rapporteur (Sourires), en tout cas en séance, car force m'est de dire que la commission n'a pas retenu cet amendement.

J'ai pourtant envie de dire oui à tout le monde, bien que ce ne soit pas toujours dans ma nature.

(Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Si la commission n'a pas retenu cet amendement, c'est parce que cette question relève du travail diplomatique que le Gouvernement devra effectuer en application des dispositions de l'article 3.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Défavorable.

Je rappelle que le droit international condamne l'esclavage. La Déclaration universelle des droits de l'homme et plusieurs conventions internationales le prohibent, notamment la convention de Genève du 4 septembre 1956, relative à l'abolition de l'esclavage, qui a complété la convention élaborée en 1926 par la Société des nations, et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'article 4 dispose que nul ne peut être tenu en esclavage ou en servitude.

Je rappelle également, après Mme Taubira-Delannon, que la Constitution a réservé au pouvoir exécutif la conduite des relations internationales. Une loi ne saurait par conséquent imposer au Gouvernement la négociation de conventions internationales, quelle que soit la valeur de l'objectif visé.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

4. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 3, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 3, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Après l'article 3

M. le président.

Je suis saisi de deux amendements, nos 13 et 7, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement no 13, présenté par M. Birsinger,

M. Moutoussamy et les membres du groupe communiste, est ainsi libellé : Après l'article 3, insérer l'article suivant :

« Le dernier alinéa de l'article unique de la loi no 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales visées ci-dessus.

« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large.

« Les services publics de la radio et de la télévision intègrent dans leurs programmes des émissions portant à la connaissance du peuple de France ce qui fut l'histoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions. »

L'amendement no 7, présenté par M. Turinay, est ainsi rédigé :

« Après l'article 4, insérer l'article suivant :

« La date du 27 avril est retenue comme celle commémorative de l'abolition de l'esclavage en métropole. »

La parole est à M. Bernard Birsinger, pour soutenir l'amendement no

13.

M. Bernard Birsinger.

Même s'il faut rechercher une date de commémoration au niveau international, il nous paraît utile d'instaurer au plus vite une date de commémoration dans l'hexagone, afin de porter le débat dès à présent dans notre pays.

La loi du 30 juin 1983 a instauré une journée de commémoration dans les départements et les territoires d'outre-mer. Déjà, à l'époque, la question s'était posée d'instaurer une journée de commémoration dans l'hexagone. M. René Rouquet, rapporteur de la commission des lois, avait précisé le 17 décembre 1982 que si l'article unique du projet de loi ne contenait aucune disposition relative aux modalités de la commémoration de l'esclavage sur le territoire métropolitain, l'exposé des motifs consacrait l'engagement du Gouvernement de célébrer cet événement dans la métropole selon des modalités qui seraient déterminées en temps utile.

Il nous semble que ce temps est venu. Il faut commémorer la fin de l'esclavage dans l'hexagone parce que nous devons accomplir pleinement notre devoir de mémoire, mais aussi parce que des Français habitant dans l'hexagone sont les descendants des esclaves, qu'ils soient originaires des départements et territoire d'outre-mer ou d'Afrique.

Je propose cependant de rectifier cet amendement, qui reprenait la totalité de la proposition de loi du groupe communiste, et d'en supprimer le dernier alinéa, afin de p ermettre à l'ensemble de l'Assemblée d'adopter l'amendement.

M. le président.

La parole est à M. Anicet Turinay, pour soutenir l'amendement no

7.

M. Anicet Turinay.

Je propose la date du 27 avril pour organiser la commémoration au niveau national. Nous savons tous, en effet, dans les départements d'outre-mer, que le décret d'abolition de l'esclavage est paru un 27 avril.

Nous n'avons pu retenir cette date dans les départements d'outre-mer car, à l'époque, il fallait un mois pour qu'un décret nous parvienne. C'est la raison pour laquelle chaque département d'outre-mer a une date de commémoration différente.

Il n'en demeure pas moins que, sur le plan national, on parle depuis 1983 du décret d'abolition du 27 avril.

Je demande simplement que cette date soit retenue au niveau national, ce qui ne devrait poser aucun problème.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission s'ést prononcée en faveur de l'amendement no 7 de M. Turinay, mais les débats se sont poursuivis et la question de la fixation d'une date de commémoration a paru poser un problème. Nous avons donc estimé qu'il valait mieux procéder à une concertation au préalable.

La date du 27 avril 1848, qui correspond à celle de la publication du décret, est tout à fait logique et a priori incontestable.

On peut cependant avoir une autre philosophie et considérer qu'il vaut mieux trouver une autre date, symb olisant une lutte du marronnage particulièrement célèbre, ou une date transversale intéressant les différentes colonies.

Le fait qu'on puisse envisager une autre date que le 27 avril me conduit à émettre, à titre personnel, des réserves sur l'amendement no 7, que la commission a adopté. Je suis en revanche favorable à l'amendement no 13, que la commission a repoussé, tel qu'il a été rectifié par M. Birsinger.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

M. le président.

Vous avez donc sur ces deux amendem ent un avis personnel inverse de celui de la commission ?

Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

Tout à fait, monsieur le président, mais ça arrive ! Il y a des limites à la violence que je peux me faire pour me discipliner.

M. le président.

Nous le comprenons.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est favorable à l'amendement no 13 tel qu'il a été rectifié.

Quant à l'amendement no 7 de M. Turinay, il donne une base législative à la date du 27 avril. Il nous paraît préférable d'en rester aux termes de la loi de 1983, qui prévoit une fixation par décret après concertation. L'avis du Gouvernement est donc défavorable, sachant que la date du 27 avril s'est toutefois imposée dans les faits ces dernières années.

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Nous sommes très favorables à l'amendement rectifié, bien qu'il soit redondant, mais ce ne sera pas la première fois. Bien que la date du 27 avril nous semble devoir être choisie, nous attendrons le décret du Gouvernement, qui la retiendra peut-être.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 13 tel qu'il a été rectifié, c'est-à-dire en tenant compte de la suppression du dernier alinéa.

(L'amendement, ainsi rectifié, est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'amendement no 7 tombe.

Article 4

M. le président.

« Art. 4. - Il est instauré un comité de p ersonnalités qualifiées chargées de proposer, sur l'ensemble du territoire national, des lieux et des actions de mémoire qui garantiront la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. Les compétences et les missions de ce comité seront fixées par décret en Conseil d'Etat. »

MM. Birsinger, Moutoussamy et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 14, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 4 :

« Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations se battant pour la mémoire des esclaves, qui seront chargées de déterminer le préjudice subi et d'examiner les conditions de réparation due au titre de ce crime. Les compétences et les missions de ce comité seront fixées par décret en Conseil d'Etat. »

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Cet amendement se justifie par son texte même. J'ai cru comprendre que la commission l'avait adopté.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission n'a pas retenu cet amendement. C'est tout à l'honneur de M. Birsinger et M. Moutoussamy de revenir à la charge, puisque les dispositions de cet amendement figuraient déjà dans un autre amendement que nous avons examiné précédemment et qui a été rejeté.

Je suis très attachée, à titre personnel, au concept de réparation, qui est en train de se construire. Mais, eu égard aux interrogations qu'il provoque, il est évident qu'il peut engendrer des confusions.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En effet, le comité institué à l'article 4 doit mener une action sur le plan de l'oeuvre de mémoire. L'indemnisation et la réparation posent des problèmes très complexes. C'est dans une perspective collective, en vue de la création de lieux et d'actions de mémoire, que se situe le texte que nous examinons aujourd'hui.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

14. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

M. Claude Hoarau, Mme Bello et M. Elie Hoarau ont présenté un amendement, no 10, ainsi rédigé :

« Dans la première phrase de l'article 4, après les mots : "un comité de personnalités qualifiées", insérer les mots : ", parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves,". »

La parole est à M. Claude Hoarau.

M. Claude Hoarau.

Nous souhaitons que le comité de personnalités qualifiées comprenne des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves. Si nous sommes aujourd'hui réunis pour, à l'issue de cette séance solennelle, prendre une décision ayant un caractère historique fort, nous le devons beaucoup à l'action de ces associations. Dans tous les départements d'outre-mer et en métropole, elles ont joué un rôle considérable ces dernières années, en particulier ces derniers mois.

Cette idée avait été débattue en commission, et celle-ci avait donné un avis favorable.

Il faut rendre à César ce qui est à César : cette proposition émane de nos collègues Birsinger et Moutoussamy, et je ne comprends pas très bien pourquoi leur amendement no 14 n'est pas en discussion commune avec le nôtre.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission a retenu cet amendement, bien qu'il soit redondant. J'y suis également très favorable à titre personnel. M. Birsinger et M. Moutoussamy doivent être satisfaits, au moins partiellement, puisque l'une des dispositions figurant dans leur amendement précédent est satisfaite par le présent amendement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

10. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Je mets aux voix l'article 4, modifié par l'amendement no

10. (L'article 4, ainsi modifié, est adopté.)

Article 5

M. le président.

« Art. 5. - A l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : "par ses statuts, de", sont insérés les mots : "défendre la m émoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants,". »

Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

Après l'article 5

M. le président.

MM. Birsinger, Moutoussamy et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 15, ainsi rédigé :

« Après l'article 5, insérer l'article suivant :

« Un mémorial perpétuant la mémoire de la tragédie de l'esclavage et de la traite négrière est édifié dans un haut lieu où il a sévi.

« Ce monument sera l'oeuvre d'artistes d'outremer, d'Afrique et de France métropolitaine, rassemblant ainsi symboliquement des hommes originaires de pays concernés par cette histoire.

« Un musée évoquant l'esclavage en France, dans toutes ses dimensions, sera créé à proximité de ce monument. »

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Notre débat en commission a porté conjointement sur plusieurs propositions de loi.

Nous avons décidé de fixer une date de commémoration, mais il faut aussi édifier un mémorial. Pour être complet, aider au travail de connaissance et de compréhension et faciliter la lutte contre le racisme, nous proposons également que soit pris l'engagement de construire un musée sur l'histoire de la traite et de l'esclavage.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M me Christiane Taubira-Delannon, rapporteur.

La commission n'a pas retenu cet amendement, parce que le comité de personnalités qualifiées, dont la mise en place est prévue à l'article 4, aura pour mission de prendre de telles initiatives.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement parce que, comme vient de le dire Mme le rapporteur, c'est au comité qu'il revient de proposer des actions dans ce domaine.

Il y a à Champagney un musée très émouvant, qui relate l'action des paysans de cette petite commune au moment de la rédaction des cahiers de doléances. Je crois que de telles initiatives peuvent se multiplier.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

15. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe Radical, Citoyen et Vert d'une demande de scrutin public, Avant de passer aux explications de vote, je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Explication de vote

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault, au nom du groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a quelques mois maintenant, en 1998, nous avons commémoré le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage et rendu ainsi hommage à tous ceux qui se sont battus si longtemps et ont vu, comme Victor Schoelcher, enfin aboutir leur combat.

Cet anniversaire n'était pas celui d'un acte lumineux accompli par la République. Bien sûr, c'était cela. Mais c'était aussi l'occasion, pour nous, d'être confrontés à la complexité de l'histoire et avec une réalité qui reste, hélas ! parfois triste et cruelle.

C'est ce que nous avons fait à nouveau ce matin lors de cet émouvant débat.

L'esclavage, c'est l'homme ravalé au rang d'un bien mobilier, c'est-à-dire ce que Serge Daget, grand historien de la traite négrière, appelait « le modèle insondable mais accompli de l'ignominie ».

L'esclavage fait partie de l'histoire du monde, et, malheureusement, nous n'en avons pas fini avec lui.

En étudiant l'histoire de nos constructions politiques, de nos églises, de nos systèmes économiques, on rencontre l'esclave, notre frère, mais exclu de la communauté humaine.

L'histoire est donc bien loin d'être écrite puisqu'elle s'accomplit dans l'évolution de la nature humaine.

Si la traite et l'esclavage ont pu exister si longtemps, c'est que l'homme est capable d'accepter qu'il est admissible de dénier à un homme sa qualité d'humain.

Notre société contemporaine est encore, on le sait, confrontée dans ses franges à cette terrible dérive.

L'esclavage est l'un des aspects - sûrement la pointe extrême - de l'inhumanité qui est à la base du racisme et de la xénophobie. On les dénonce dans ce qu'ils ont de plus apparent et de plus politique. Mais prenons garde de ne pas les laisser se banaliser dans les esprits et les coeurs, de même que dans les comportements.

Ainsi, ce que nous avons commémoré l'an dernier, ce n'était - mais c'était déjà immense - que le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises.

Nous nous sommes tournés vers un morceau de notre histoire, qui a pris dans certaines villes, comme à Nantes, une particulière résonance.

C'est qu'en effet ces villes portuaires, avec le commerce triangulaire, s'appuyant sur le code noir, ont joué un rôle considérable dans l'établissement des possessions françaises en Amérique, singulièrement dans les Caraïbes, en pillant les ressources humaines de l'Afrique. C'est ce passé qu'il nous faut affronter, par un effort de mémoire entamé il y a plusieurs années.

C'est cet effort qu'il convient de poursuivre.

Les historiens - mais pas seulement eux - ont encore beaucoup de travail à accomplir, de même que les manuels d'histoire doivent faire une place plus grande à cette tragédie. Elie Wiesel, prix Nobel de littérature, nous le dit : « Le bourreau tue deux fois, la seconde fois par le silence. »

Ce souvenir ne se résume pas à celui de la traite : il s'intègre dans l'histoire du capitalisme et du colonialisme français ; il illustre l'histoire du racisme assumé ou latent de notre société.

Cette histoire n'est pas, elle non plus, achevée. Nos départements d'outre-mer n'en ont pas terminé avec ce qui est constitutif de leur identité. Il ne s'agit pas ici seulement de faits, de dates ou d'analyses, mais d'un trauma-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

tisme intime et d'une terrible épreuve que seuls peuvent nous expliquer nos compatriotes qui sont issus de cette histoire. C'est ce qu'ils ont fait ce matin avec force, plusieurs fois, à travers les interventions de nos collègues issus de tous les groupes de notre assemblée.

A ceux de nos collègues qui se sont exprimés différemment, et qui ont d'ailleurs quitté l'hémicycle au cours du débat, je dirai sobrement qu'il serait réducteur de penser que nous cédons ce matin, les uns et les autres, à la culpabilité. Comment pourrions-nous être comptables de ce qui fut en dehors de nous-mêmes ? Nous sommes cependant redevables de ce qui ne doit plus jamais être.

C'est tout le sens de la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité, proposition de loi qui rejoint celles déposées par le groupe communiste et le groupe RCV.

Mes chers collègues, c'est donc ce texte que le groupe socialiste va voter et qu'il vous invite à voter. Il deviendra ainsi demain, je l'espère, la loi de la République. Ce texte, comme l'affirme le magnifique exposé des motifs rédigé par notre collègue Christiane Taubira-Delannon, permettra à la France « qui fut esclavagiste avant d'être abolitionniste, patrie des droits de l'homme, ternie par les ombres et les "misères des lumières", de redonner éclat et grandeur à son prestige aux yeux du monde en s'inclinant la première devant la mémoire des victimes de ce crime orphelin. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - M. Anicet Turinay applaudit également.) Vote sur l'ensemble

M. le président.

Je vais mettre aux voix, par scrutin public, l'ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin : Nombre de votants ...................................

81 Nombre de suffrages exprimés .................

81 Majorité absolue .......................................

41 Pour l'adoption .........................

81 Contre .......................................

0 L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements.)

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 1253, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité : M. Christian Bataille, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges (rapport no 1371) ; M. Jean-Louis Dumont, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (avis no 1383).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 FÉVRIER 1999

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 1re séance du jeudi 18 février 1999 SCRUTIN (no 158) sur l'ensemble de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.

Nombre de votants .....................................

81 Nombre de suffrages exprimés ....................

81 Majorité absolue ..........................................

41 Pour l'adoption ...................

81 Contre ..................................

0 L'Assemblée nationale a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (250) : Pour : 64 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale).

Groupe R.P.R. (138) : Pour : 3 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe U.D.F. (70) : Pour : 1 membre du groupe, présent ou ayant délégué son droit de vote.

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (43).

Groupe communiste (35) : Pour : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (35) : Pour : 9 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-inscrits (5).