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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Situation au Kosovo. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 2969).

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

MM. Claude Goasguen, Jean-Marc Ayrault, Jean-Bernard Raimond, Mme Marie-Hélène Aubert,

MM. Valéry Giscard d'Estaing, Robert Hue.

M. le Premier ministre.

Clôture du débat.

2. Dépôt d'un rapport d'information (p. 2987).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 2987).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

SITUATION AU KOSOVO Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la situation au Kosovo et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mercredi 24 mars, à dix-huit heures cinquante, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord a engagé des opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie. Sur décision du Président de la République et en accord avec le Gouvernement, la France y participe aux côtés de ses alliés.

Notre pays, vous le savez, a tout fait pour qu'une issue politique soit trouvée à la crise au Kosovo. En vain. Sauf à abdiquer nos responsabilités et à nous résigner à l'impuissance, l'emploi de la force était devenu inéluctable.

Au moment où nos forces allaient être engagées, le Président de la République s'est adressé au pays. Vous avez vous-mêmes souhaité, légitimement, qu'un débat puisse se dérouler au Parlement sur la situation au Kosovo. Je me serais volontiers exprimé immédiatement devant vous, mais ma présence indispensable aux côtés de M. le Président de la République et de mes collègues premiers ministres dans le très important Conseil européen de Berlin - qui s'est conclu tôt ce matin par un accord nous a conduits à organiser ce débat aujourd'hui.

Le Gouvernement, croyez-le bien, a, de façon générale, le souci de renforcer l'information du Parlement sur la politique de défense de notre pays, dans le respect des règles constitutionnelles et des prérogatives respectives des pouvoirs exécutif et législatif. Dans la situation actuelle, cette volonté de transparence à l'égard de la représentation nationale est, à mes yeux, particulièrement essentielle. Mardi dernier, je vous avais indiqué que « le Gouvernement prendrait toutes les initiatives utiles pour assurer l'information rapide et complète du Parlement tout entier sur l'évolution de la situation au Kosovo ».

Conformément à cet engagement, et au-delà du rappel des faits et de la description de notre dispositif militaire, je veux souligner devant vous le sens et la portée que le Gouvernement donne à la participation de la France aux opérations en cours.

Depuis dix ans déjà, les autorités de Belgrade refusent aux Albanais du Kosovo - qui forment pourtant 90 % de la population de cette province - l'exercice de leurs droits légitimes. En 1989, la suppression du statut d'autonomie de ce territoire a conduit à une radicalisation croissante des deux côtés. Ainsi, le développement, depuis 1996, d'actions violentes de la part de mouvements extrémistes est la conséquence directe de la répression politique et militaire conduite par le gouvernement serbe au Kosovo.

Le cercle vicieux de la violence s'est enclenché : répression, provocations, représailles, développement de la guérilla et du terrorisme urbain, accentuation en retour de la répression.

En février 1998, les forces serbes intervenaient militairement dans la Drenica. En avril de la même année, le pouvoir serbe refusait toute médiation étrangère. A l'été 1998, une offensive particulièrement meurtrière, suscitant l'indignation de la communauté internationale, était lancée. En dépit d'un accord intérimaire laissant espérer au Kosovo un certain degré d'autonomie, une nouvelle offensive serbe était menée en septembre.

Sous la menace militaire alliée, le Président Milosevic acceptait, en octobre dernier, de retirer les forces spéciales serbes, de cesser les actions contre la population kosovare et de voir déployer les 2 000 vérificateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Mais, après une période de relative accalmie, les affrontements ont repris.

Ce conflit, mesdames, messieurs, a déjà fait près de 2 000 morts - dont de très nombreux civils - et provoqué l'exode de centaines de milliers de personnes.

Face à une situation d'une telle gravité, le groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie - comprenant la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Russie, l'Allemagne et l'Italie - décida, en mars 1998, de se saisir de la crise kosovare. Toutes les voies ont été dès lors empruntées : a vertissements, menaces, sanctions, embargo sur les armes, actions diplomatiques.

En vain.

En mai 1998, la communauté internationale facilita l'ouverture de pourparlers directs entre M. Milosevic et

M. Rugova.

En vain.

Ces pourparlers ont en effet été suivis d'une violente offensive serbe qui a déclenché une escalade d'affrontements et a fait avorter cette tentative de dialogue.

A vec Christopher Hill, l'émissaire américain ; Wolfgang Petritsch, l'émissaire européen ; Boris Maïorski, l'émissaire russe ; Jacques Huntzinger, l'envoyé français, les navettes diplomatiques n'ont pas cessé à la fin de l'année dernière et au début de cette année.

En vain.

Le 15 janvier dernier, à Racak, avec le massacre de quarante-cinq Albanais, un nouveau degré était atteint dans l'horreur.

La France et le Royaume-Uni ont alors, avec leurs partenaires du groupe de contact, coprésidé et organisé la relance diplomatique au début de l'année 1999 - ce que


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l'on a appelé le « processus de Rambouillet ». Notre pays n'a pas ménagé ses efforts et je voudrais ici rendre hommage au travail inlassable du ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine. La France a joué un rôle moteur au sein du groupe de contact pour définir les termes de référence d'une solution politique équilibrée et respectueuse des grands principes du droit international.

En vain.

En effet, alors que, finalement, la délégation kosovare signait le 18 mars dans leur intégralité les accords de Rambouillet, le Président Milosevic, obstinément, a refusé de faire de même, y compris lors de la dernière tentative faite auprès de lui par M. Richard Holbrooke, au nom du groupe de contact.

Ce fut là le tournant de la crise.

D'ailleurs, le Président Milosevic s'était déjà engagé dans une remilitarisation intensive du Kosovo, signifiant clairement par là son choix de la violence. Des forces serbes sont arrivées en masse : 50 000 hommes avec du matériel lourd, de l'artillerie, des chars. Les axes de communication ont été minés pour isoler la province ; des actions d'ampleur ont été menées pour réduire les zones contrôlées par l'UCK ; un pilonnage systématique des villages a été entrepris, faisant fuir les populations.

Le Président yougoslave a ainsi choisi de porter l'entière responsabilité de l'impasse politique actuelle.

Entre la lettre commune signée par Hubert Védrine et Klaus Kinkel, le 19 novembre 1997 appelant le Président Milosevic à la retenue et à l'engagement d'un dialogue avec les Albanais du Kosovo, et la lettre conjointe Védrine-Cook du 23 février 1999, demandant au même Milosevic de signer le projet d'accord de Rambouillet, quinze mois se sont écoulés.

Quinze mois de dégradation constante de la situation au Kosovo même, d'extension et d'aggravation de la crise.

Quinze mois d'exils forcés pour des populations terrorisées et de destructions de villages entiers par les milices serbes au Kosovo. Quinze mois de guerre et de risques croissants pour la stabilité de l'ensemble des Balkans.

Après les dramatiques événements de Bosnie, les mêmes contradictions, les mêmes aveuglements, le même fanatisme, les mêmes haines se déchaînent. Depuis des décennies, l'Europe, en tout cas notre Europe, s'est refondée sur la paix et le respect des droits de la personne humaine. Accepter que ces valeurs soient bafouées aux portes de l'Union européenne, c'eût été nous trahir. Ce qui est en cause dans le conflit d'aujourd'hui, c'est une certaine conception de l'Europe. Est-ce que nous acceptons sur notre continent le retour de la barbarie ou est-ce que nous nous dressons contre elle ? Pour nous, le choix est clair.

Au service du droit, le recours à la force était devenu inévitable.

Pour répondre à la violation persistante, par Belgrade, des engagements et obligations établis par le Conseil de sécurité, pour s'opposer à des violations graves et répété es des droits les plus fondamentaux de la personne humaine, il nous fallait agir. Agir avant qu'il ne soit trop tard. L'intervention militaire s'imposait, parce que l'irrationalité du régime yougoslave ne laissait pas d'autre choix, parce que nous ne pouvions pas nous résoudre à l'impuissance.

Nous ne pouvions accepter de regarder, résignés, ces images terribles : la violence contre les civils, les villages rayés de la carte, les flots de réfugiés.

Nous ne pouvions accepter d'assister, interdits, à la préparation de nouveaux massacres.

Vukovar, Srebrenica, Sarajevo : à cette liste de villes martyres, nous ne pouvions accepter de laisser ajouter, sans réagir, Pristina, Klina, Srbica.

C'est au nom de la liberté et de la justice que nous intervenons militairement. Si la force sans le droit c'est toujours la tyrannie, le droit sans la force c'est parfois l'impuissance. Comme l'a d'ailleurs rappelé, mercredi, le Secrétaire général de l'ONU, « le recours à la force peut être légitime ».

Le Conseil de sécurité est responsable au premier chef du maintien de la paix et de la sécurité internationale. A cette responsabilité primordiale, vous le savez bien, je suis très attaché. Mais, dès lors que le Conseil n'était pas en mesure d'agir pour en imposer l'application, dès lors qu'il y avait urgence, alors, il nous appartenait de prendre t outes nos responsabilités, notamment au sein de l'Alliance atlantique.

D'autant qu'en adoptant, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui concerne le recours à la force, les résolutions 1160 du 31 mars 1998, 1199 du 23 septembre 1998 et 1203 du 24 octobre 1998, le Conseil de sécurité a établi clairement que la détérioration de la situation au Kosovo représentait une menace pour la paix et pour la sécurité internationale.

Par la résolution 1199, en particulier, le Conseil de sécurité a exigé des autorités de Belgrade qu'elles mettent fin aux hostilités et qu'elles maintiennent un cessez-le-feu au Kosovo, que cessent les actions des forces de sécurité touchant la population civile, et que s'engage rapidement le dialogue avec la communauté albanaise.

Belgrade n'a respecté aucune de ces résolutions, n'a rempli aucune de ses obligations, n'a assumé aucune de ses responsabilités. A plusieurs reprises, au contraire, de façon délibérée, la République fédérale de Yougoslavie a bafoué les règles du droit international.

Notre réaction a donc été mûrement pesée, par le Président de la République et moi-même. L'opération militaire en cours, longuement discutée avec nos partenaires européens et nos alliés, a été plusieurs fois repoussée pour laisser toutes ses chances à la négociation, et aussi à la Serbie.

Nous ne faisons pas la guerre au peuple serbe. Nous gardons en mémoire son passé héroïque dans la lutte contre l'oppression nazie. Nous ne sommes pas les ennemis de la nation serbe, qui a le droit légitime de se voir offrir un avenir dans une Europe démocratique. Mais nous devons constater qu'aujourd'hui, ce sont les autorités de Belgrade qui portent seules la lourde responsabilité de la crise actuelle. Ce n'est pas un peuple qui est visé, mais un appareil militaire et répressif. Ce n'est pas une nation qui est mise au ban, mais un régime récusant avec obstination les règles de la communauté internationale.

Mesdames et messieurs les députés, la France a décidé de participer au dispositif militaire allié mis en oeuvre par l'OTAN.

Que recouvre cet engagement ? Un dispositif de frappe aérienne, tout d'abord, destiné à exercer à l'encontre de la Serbie une action coercitive sur des objectifs militaires et à réduire sa capacité de nuire. Cette action a aussi pour but de prévenir le risque d'une extension et d'une exaspération des combats et des troubles qu'ils suscitent. Elle vise enfin à ramener au plus vite le Président Milosevic à la raison, c'est-à-dire au dialogue et à la paix.


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Cet engagement recouvre ensuite une force terrestre en Macédoine, initialement déployée pour protéger les vérificateurs de l'OSCE et dont la présence est aujourd'hui un élément de la stabilisation régionale.

Des détachements de nos trois armées sont engagés.

Les moyens aériens français dans la zone adriatique se composent d'une quarantaine d'appareils de l'armée de l'air et de l'aéronautique navale. Ces aéronefs sont en mesure d'exécuter des missions diversifiées, telles que l'attaque au sol - Mirage 2000 D, Super Étendard embarqués -, la défense aérienne - Mirage 2000 C -, la reconnaissance aérienne - Jaguar, Mirage IV et Étendard embarqués -, la recherche de renseignements électromagnétiques, le contrôle des opérations et le sauvetage de combat.

Les moyens de l'armée de l'air, essentiellement basés en Italie, comprennent huit Mirage 2000 C, quatre Mirage 2000 D, deux Jaguar, un Mirage IV P, deux avions ravitailleurs C 135 FR, un avion de guet aérien E3 F Awacs, un C 160 "Gabriel" et deux hélicoptères Puma de recherche et de sauvetage de combat.

La marine, quant à elle, met en oeuvre quatorze Super É tendard d'attaque au sol et quatre Étendard de reconnaissance à partir du porte-avions Foch . Celui-ci est accompagné par le groupe aéronaval comprenant la frégate Cassard , la frégate britannique Somerset intégrée au groupe français, le pétrolier ravitailleur Meuse et le sousmarin nucléaire d'attaque Améthyste

S'agissant du volet terrestre, des forces composées d'éléments essentiellement européens ont été déployées en Macédoine. Initialement constituées de la force d'extraction des vérificateurs de l'OSCE, elles sont maintenant complétées par les premiers échelons d'une force de maintien de la paix qui avait été conçue pour assurer le respect des accords éventuellement conclus entre les parties. Sur les 10 000 hommes que comporte actuellement la force de l'OTAN en Macédoine, la présence française s'élève à 2 400 hommes.

J'en viens maintenant au déroulement des opérations militaires.

Au cours de la première nuit, quatre actions se sont succédé : tout d'abord des tirs de missiles de croisière puis trois vagues de bombardements. Quatre Mirage 2000 D français ont participé au premier de ces raids. L'objectif recherché consistait essentiellement à neutraliser le système de défense antiaérienne. Dans la journée du 25 mars, les alliés ont maintenu en vol un important dispositif de protection ainsi qu'une forte couverture aérienne sur l'ensemble de la zone. Des Mirage et des Super Étendard du porte-avions Foch ont été concernés par cette mission.

Cette nuit, les frappes ont repris selon un schéma identique. A nouveau quatre de nos Mirage 2000 D ont participé aux bombardements d'un site militaire. En ce moment même, nos avions surveillent l'espace aérien régional.

Mesdames et messieurs les députés, l'engagement de la France est conforme à nos valeurs. Il s'inspire de ce qui fait l'esprit même de l'Europe que nous construisons : mettre au coeur de l'action des États le respect de la personne, en finir avec le règlement des différends par la violence et par la haine. Solennellement, devant vous, je rends hommage aux forces françaises, aux militaires et aux civils, aux volontaires de l'OSCE, qui sont tous engagés au nom de la France et au service de la paix. Je sais avec quel professionnalisme ils assument leur mission je sais aussi les risques encourus par nos soldats, marins et aviateurs.

Par son attitude intransigeante, le Président Milosevic porte la responsabilité de l'échec du processus de Rambouillet. Au-delà de toutes les occasions, hélas, manquées, qui auraient pu permettre de trouver une issue politique et pacifique à cette crise, il est comptable, devant son propre peuple, comme devant l'Histoire.

Nous ne défendons pas le terrorisme ; nous ne soutenons ni les partisans d'une « grande Albanie » ni les milices qui massacrent les populations civiles. Notre objectif politique, défini depuis un an par le groupe de contact, n'a pas varié : la mise en place d'un statut intérimaire d'autonomie substantielle au Kosovo, dans le cadre des frontières existantes de la Yougoslavie, garanti par une présence internationale civile et militaire. Les frappes peuvent s'interrompre à tout moment si le Président Milosevic accepte de revenir à la table des négociations afin de conclure un accord dans le cadre des négociations de Rambouillet.

L'action militaire n'est pas une fin en soi. Si nous nous y sommes résolus, je le répète, c'est parce qu'il n'y avait plus moyen de faire autrement. Mais nous ne renonçons pas à notre objectif politique. Nous voulons un Kosovo pacifié, des Kosovars et des Serbes qui puissent coexister, des Balkans qui se développent et où la démocratie se renforce, des Balkans qui deviennent pleinement une partie de l'Europe moderne. Nous sommes disponibles.

Notre travail se poursuivra avec nos alliés européens et américains et avec les Russes en qui nous voyons, en dépit des différends actuels, des partenaires indispensables en Europe.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est avec la détermination de faire respecter le droit, la volonté de rétablir la paix, l'objectif de revenir à une solution politique négociée, que nous avons engagé les forces armées françaises aux côtés de nos alliés.

Le Gouvernement compte sur le soutien de la nation tout entière dont vous êtes les représentants. »

(Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Je vais maintenant, comme le prévoit notre règlement, donner successivement la parole à un orateur par groupe.

La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Claude Goasguen.

Monsieur le Premier ministre, nous avons écouté avec attention, dans le silence, les informations que vous nous avez apportées.

Certes, nous savions que vous étiez à Berlin, mais nous avions cru comprendre que notre société s'était dotée de moyens nouveaux de communication, rapides et précis.

Nous n'avions pas observé non plus que le Gouvernement se réduisait à un ou deux ministres. Et, avant même de débattre, nous aurions aimé être informés.

Cela présentait-il tant de difficultés ? Est-il normal que des députés, y compris ceux siégeant à la commission des affaires étrangères, apprennent par les médias les événements et les déclarations du Gouvernement ? Celui-ci s'était contenté, mardi dernier, devant la même commission des affaires étrangères, de parler des « consultations susceptibles de conduire à des mesures coercitives », sans plus de précision.

M. Gérard Fuchs.

Et le président de la République ?

M. Claude Goasguen.

La force et la grandeur des démocraties résident dans l'information et le débat, même et surtout si celui-ci est difficile, même et surtout dans les


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circonstances les plus difficiles. C'est cela même qui différencie et qui différenciera toujours la démocratie des autres régimes. Nous vous demandons, monsieur le Prem ier ministre, d'y remédier et d'apporter dans ce domaine tous les aménagements souhaitables pour que cette situation choquante ne se renouvelle plus.

Nous sommes aujourd'hui amenés à débattre à propos d'une opération militaire qui est déjà engagée. Je rappelle qu'elle a été engagée sans consultation de la souveraineté nationale. Le refus du Gouvernement, ne serait-ce que d'informer la représentation nationale, constitue un recul par rapport à 1991. Le 16 janvier 1991, le gouvernement avait fait une déclaration sur sa politique au MoyenOrient, en application de l'article 49-1 de la Constitution.

M. François Loncle.

C'était sous un autre président de la République.

M. Claude Goasguen.

A l'issue de cette déclaration, un débat s'était engagé. Il s'était conclu par un vote des députés concernant l'envoi de forces. Et, dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991, les alliés commençaient les bombardements sur l'Irak.

M. Christian Cuvilliez.

Première erreur !

M. Claude Goasguen.

La convocation du débat d'aujoud'hui, quarante-huit heures après le début des opérations nous met également en retrait par rapport à nos propres partenaires et alliés. Je me bornerai à rappeler que nos homologues allemands ont voté, le 16 octobre dernier, à une forte majorité, pour la participation des troupes allemandes à une intervention éventuelle. Quant aux représentants américains, ils ont au moins été informés de l'action qui devait être menée.

P ourtant, notre Constitution prévoit, dans son article 35, que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ».

Vous parlez d'« engagement extérieur » et, effectivement, il n'y a pas eu de déclaration officielle de guerre, mais cela, vous le reconnaîtrez, y ressemble fort. M. Milosevic a décrété mercredi soir l'état de guerre. Nous n'agissons pas, comme nous l'avons fait en Bosnie, dans le cadre des Nations unies. Des militaires français sont actuellement engagés auprès de militaires alliés dans une opération de guerre, mais d'une guerre qui ne dit pas son nom. Personne ne pourra faire croire sérieusement que des bombardements ne constituent pas un acte de guerre.

Il eût été souhaitable que l'Assemblée nationale fût saisie avant pour pouvoir se prononcer. C'eût été conforme à notre droit et à nos traditions démocratiques. Et nous ne souhaitons pas, monsieur le Premier ministre, que votre thèse de l'engagement extérieur fasse jurisprudence.

M. Laurent Dominati.

Très bien !

M. Gérard Fuchs.

Qui est le chef des armées ?

M. Claude Goasguen.

Dans ce moment angoissant, nous aurions souhaité être informés et nous aurions aimé que le Gouvernement nous sécurise par une attitude unitaire.

Mme Nicole Bricq.

Mettez-vous à la hauteur du sujet, monsieur Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Mais votre majorité est divisée sur l'attitude à adopter. Vos alliés du parti communiste, qui participent à votre gouvernement, à travers les prises de position de leurs dirigeants, ont condamné sans ambiguïté l'intervention. (Exlamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille.

C'est un argument de bas étage !

Mme Nicole Bricq.

Mettez-vous à la hauteur du débat, monsieur Goasguen !

M. Christian Bataille.

M. Goasguen intervient en politicien de bas étage, en politicard !

Mme Dominique Gillot.

Allez au but !

M. Claude Goasguen.

Ce n'est pas moi qui manifeste mon opposition. Vous verrez d'ailleurs que je suis loin de cette attitude. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Baeumler.

Vous faites de la politique politicienne !

M. Laurent Dominati.

Pas vous ?

M. le président.

Un peu de silence, mes chers collègues, laissez parler M. Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Les dirigeants d'une formation importante de votre gouvernement n'hésitent pas à manifester publiquement leur désaccord. Je regrette qu'il en soit ainsi car comment, sans unité, expliquer aux Français la situation grave à laquelle nous sommes confrontés et lever les doutes de beaucoup d'entre eux.

Cette intervention, qui n'a pas de précédent sur le plan juridique est, en effet, monsieur le Premier ministre, j'en conviens, difficile à expliquer. Et nous aurons du mal à convaincre. Constitue-t-elle le début d'une politique nouvelle au départ d'un nouvel ordre international ? Dans quel contexte s'inscrit-elle ? De génération en génération, les guerres balkaniques constituent le fil directeur de notre histoire européenne.

Cette partie géographique sensible de notre continent se trouve au confluent de toutes les influences, historiques, religieuses, culturelles et politiques, qui font de l'Europe un continent tragique mais sans nul autre pareil par sa richesse et sa diversité.

Nous avons quelquefois le sentiment d'un éternel recommencement de l'histoire. Le XXe siècle risque de se terminer à l'endroit même où le

XIXe siècle s'était achevé : dans les Balkans. Une terre de disputes, sur laquelle ont vécu ensemble des peuples différents, des communautés religieuses antagonistes, mais si semblables à nous par la culture, par la proximité des Serbes si nombreux sur notre sol et présents dans notre coeur. Car les Français ont toujours aimé les Serbes, asservis successivement par les Ottomans puis par les communistes.

M. François Asensi.

Vous oubliez le nazisme !

Mme Nicole Bricq.

J'aurais honte de dire des choses pareilles.

M. Claude Goasguen.

Les Serbes se sont souvent réfugiés dans un nationalisme identitaire qui s'est renforcé de toute agression extérieure.

M. Robert Gaïa.

Quels raccourcis !

M. Claude Goasguen.

Hier comme aujourd'hui, l'histoire serbe plaide pour la résistance aveugle de son identité. Et l'avenir est sombre de nouveau. Celui qu'espérait le grand écrivain yougoslave, Ivo Andritch, Prix Nobel de littérature en 1961, reste un rêve. « Ces peuples, écrivait-il, qui portent des noms différents sous la domination turque et qui appartiennent à des confessions diff érentes seront forcés, lorsque l'Empire ottoman s'écroulera et évacuera ces régions, de trouver à leur existence une base commune, une formule plus large, meilleure, plus raisonnable et plus humaine. » On en est loin


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car les Serbes n'ont pas suffisamment vécu la démocratie.

Cette histoire tragique se reflète aujourd'hui dans leur comportement actuel et nous fait craindre pour l'avenir.

Le nationalisme extrémiste serbe va s'exprimer dans l'attitude de son dirigeant. Une fois de plus, les démocraties occidentales n'auront pas su aider suffisamment l'opposition démocrate de Belgrade.

Vous avez dû intervenir contre un dictateur serbe et nous trouvons, monsieur le Premier ministre, votre intervention légitime.

Mme Nicole Bricq.

Ce n'est pas la nôtre !

M. Claude Goasguen.

Mais nous constatons aussi que le décalage est, aujourd'hui, de plus en plus grand entre les institutions internationales créées en 1945 et le monde tel qu'il est maintenant après la chute du mur de Berlin.

La crise du Kosovo vient de montrer encore en pleine lumière que notre monde a besoin d'institutions internationales adaptées si nous ne voulons pas que l'ONU ne devienne une nouvelle SDN.

L'ONU, créée en 1945 sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, paralysée pendant plus de quarante ans par la guerre froide, n'a pas réussi à s'adapter à la nouvelle donne, malgré les tentatives de ses secrétaires généraux successifs. Pas plus, hier, en Afrique ou en Irak qu'aujourd'hui, au Kosovo, l'ONU ne s'est imposée comme le juge de paix qu'elle aurait dû être. Incapable d'enrayer la montée des nationalismes et de juguler, avant qu'elles ne deviennent irréversibles, les crises qui se multiplient, l'ONU montre, de jour en jour, ses limites.

De même, l'OTAN, créée en 1949 avec l'objectif clair de faire face à la menace soviétique, n'apparaît plus totalement adaptée au nouveau contexte géostratégique. Le mur est tombé en 1989 ; en 1999, l'OTAN cherche toujours sa nouvelle dimension. Les négociations pour définir un nouveau concept stratégique au moment de la commémoration des cinquante ans de l'Alliance, le mois prochain à Washington, devront entamer les révisions nécessaires.

Notre opinion n'a pas suffisamment eu le sentiment que l'intervention de l'OTAN soit une véritable affaire européenne.

G ardons-nous de tomber dans l'antiaméricanisme facile, démagogique et classique. Mais n'est-il pas temps d'avancer plus vite vers la voie de l'unité européenne, d'une Europe de la défense et de l'amorce d'une vraie politique extérieure de sécurité commune ?

M onsieur le Premier ministre, nous souhaitons connaître votre vision du rôle de l'ONU et de l'OTAN dans le futur pour éviter de nous retrouver dans la même situation qu'aujourd'hui. Nous souhaitons l'instauration d'un véritable ordre démocratique européen fondé sur un traité de sécurité qui ne laisse pas de côté, et vous l'avez affirmé avec force, la jeune et fragile démocratie russe.

Créer ce nouveau droit international apparaît comme une vocation difficile mais souhaitable pour le début du

XXIe siècle. Ce nouveau droit international, c'est le droit international de l'homme et des droits de l'homme. C'est lui qui a permis la création du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, en 1993 ; c'est encore lui qui a permis de mettre en place le tribunal pénal pour le Rwanda, en 1994. Et le 6 avril prochain, en prolongement direct, notre assemblée sera amenée à réviser la Constitution, ce qui permettra la ratification de la Cour pénale internationale permanente. Notre groupe avait du reste présenté dès le mois de décembre 1998 une proposition de loi pour que la France soit l'un des premiers

Etats à ratifier les statuts de cette cour. Nous voilà parvenus à un moment de l'histoire où les crimes de Pinochet ne restent plus impunis et où le droit international devient universel pour construire un monde qui refuse les Pinochet comme les Milosevic. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Auparavant réduit aux simples dénonciations formelles des atteintes aux droits de l'homme, le droit d'ingérence devient une attitude explicite et militaire d'aide aux victimes, qui s'impose aux règles d'une légalité internationale qui parfois montre ses limites.

Contre un dictateur, l'intervention de la France nous apparaît légitime et juste.

Le chemin pour établir ce nouvau droit sera long et difficile. Il faudra donner davantage de poids à la déclaration de 1948, chère à René Cassin, pour substituer à l'ordre international classique le monde des droits universels de l'homme vers lequel tend notre Europe comme exemple international.

La communauté internationale doit donc se donner les moyens d'intervenir contre un Etat souverain au nom des droits de l'homme. Cela peut choquer certains, mais comment rester passifs lorsque des innocents, des enfants, des vieillards sont assassinés systématiquement, seulement parce qu'ils sont Kosovars ? Comment rester passifs lorsque les femmes et les enfants se voient obligés de quitter les villages brûlés par les forces de Milosevic ? Nous ne pouvons plus tolérer les massacres perpétrés depuis maintenant plus d'un an au Kosovo. Deux mille personnes tuées, plus de 200 000 en exode sur les routes, dans les Etats voisins. Ces femmes et ces enfants qui incarnent la détresse et la catastrope de l'humanité ne peuvent laisser indifférents la France et les Français.

Une fois de plus, l'horreur est à nos portes, l'horreur est en Europe, à nos frontières, à moins de deux heures de vol de Paris. Un gouvernement voisin renie les principes même de notre culture européenne par les atteintes aux droits de l'homme dont il s'est rendu coupable, par sa politique de purification ethnique, par l'instauration d'un régime détesté.

Monsieur le Premier ministre, on vous reprochera certainement d'avoir violé la souveraineté d'un Etat indépendant. A ceux qui de toute bonne foi défendent cette thèse, je voudrais rappeler que, en septembre 1933, devant la SDN, alors qu'il était interpellé par un représentant de la Haute-Silésie, un certain Joseph Geobbels avait répondu et convaincu les diplomates d'alors par paroles : « Messieurs, charbonnier est maître chez soi, nous sommes un Etat souverain, nous n'avons pas à subir le contrôle ou la suspicion ni de l'humanité ni de la

SDN ». Aujourd'hui, l'action de l'Europe et de l'OTAN donne une signification militaire au devoir de mémoire.

Monsieur le Premier ministre, nous approuvons votre action pour une juste cause, mais nous pensons aussi que notre intervention militaire - vous-même l'avez dit - ne peut être une fin en soi. Vous devez vous préoccuper de l'après-intervention et nous proposer d'urgence des solutions qui sauvegardent l'équilibre futur dans les Balkans.

Ni la France ni l'Europe ne peuvent s'en désintéresser.

Sans doute avons-nous eu le sentiment que les négociations que la France a initiées à Rambouillet se sont interrompues trop tôt. En organisant le déroulement de ces négociations, la France avait montré qu'elle les souhaitait et qu'elle continue de les souhaiter ardemment. Nous voulons en savoir davantage sur les causes de la rupture de ces négociations.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

La France doit retrouver son rôle spécifique et je me félicite que vous l'ayez rappelé. C'est un rôle auquel nous sommes traditionnellement attachés. Au-delà des péripéties idéologiques passées, la démocratie russe, jeune et...

M. Jean-Pierre Brard.

Fragile ! (Rires.)

M. Claude Goasguen.

... fragile, ne doit pas se retrouver cantonnée dans une exclusive qui pourrait transformer à terme la nature de l'Europe.

Rien ne serait plus destructeur pour l'avenir, monsieur le Premier ministre, que de rétablir un nouveau mur de Berlin qui s'étendrait des frontières de la Pologne jusqu'au Balkans, hypothéquant durant des décennies le formidable élan de liberté et de progrès qui a secoué cette partie du monde. Si elle durait à l'excès, si elle ne s'accompagnait d'efforts incessants d'ouverture de notre diplomatie, l'intervention de l'OTAN pourrait avoir des effets contraires et nocifs sur la construction européenne.

Nous n'avons pas vocation, monsieur le Premier ministre, à devenir les gendarmes du monde, mais nous souhaitons sauvegarder cette partie de l'Europe de la dictature et de la terreur. Nous récusons la volonté de Milosevic de dépecer le Kosovo et nous attendons avec vous des réponses précises à cette situation et à son développement. Qu'en sera-t-il dans le cas, angoissant, d'offensives de Milosevic contre les Kosovars ? Nous attendons des réponses précises, car c'est votre gouvernement et lui seul qui est responsable devant le Parlement. C'est donc à vous de nous informer les premiers parmi les Français, comme c'est à nous qu'il convient, dans une démocratie parlementaire, de sanctionner éventuellement un gouvernement.

L'ONU n'a pas autorisé le recours à la force. Si la résolution 1199 de septembre 1998, placée sous le chapitre VII, menace d'un recours à la force, elle ne l'autorise pas pour autant. Sur le plan du droit classique, la formulation de cette résolution est sans équivoque et laisse clairement entendre qu'une seconde résolution serait nécessaire.

M. Christian Cuvilliez.

Bien sûr !

M. Claude Goasguen.

Nous nous trouvons donc dans une situation difficile et inédite. Mais nous ne nous sentons pas pour autant dans l'illégalité, car nous avons, comme le Président de la République, le sentiment de la légitimité des actes de la France au nom des droits de l'homme.

Vous auriez tort néanmoins, monsieur le Premier ministre, de voir dans notre soutien sans ambiguïté à la politique nationale, à nos soldats engagés sur le front ou qui se préparent à l'être, une confiance aveugle. Oui, sans ambiguïté, nous soutenons l'intervention légitime de la France pour une juste cause contre la dictature, mais car il y a un mais, nous exigeons de vous tout à la fois de respecter les principes de la démocratie qui font des actes de guerre l'affaire d'abord de la souveraineté nationale, et de montrer votre détermination, au-delà de la guerre, à préparer les conditions de la paix, d'un nouvel ordre démocratique européen.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis près de quarante-huit heures, les frappes aériennes de l'OTAN ont débuté sur le territoire yougoslave. C'est un acte grave qui justifie la réunion de la représentation nationale pour préciser les conditions de cette intervention et la participation de la France à ce qu'il faut bien appeler par son nom : une action de guerre.

Cette réunion est non seulement légitime, elle est impérative. Des vies humaines sont en jeu, nos soldats sont engagés.

Je poserai d'abord trois questions.

La première a trait au rôle du Parlement. Comme vous le savez, monsieur le Premier ministre, un certain nombre de voix se sont élevées à l'Assemblée nationale sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement et le Président de la République ont tenu informé le Parlement du passage de l'état de négociation à l'état de guerre.

Même si la Constitution a bien été respectée à la lettre, même si vous vous êtes exprimé vous-même devant nous, monsieur le Premier ministre, ainsi que les ministres des affaires étrangères et de la défense, reconnaissons que l'évidence et nécessaire consultation parlementaire n'a peut-être pas été suffisante.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Robert Hue et M. Alain Bocquet.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

Il est clair que l'exécutif et le Parlement doivent rechercher ensemble les voies et les moyens permettant à la représentation nationale de mieux exercer sa mission. C'est à la fois une nécessité démocratique et une garantie de cohérence politique dans des affaires aussi graves.

M. Richard Cazenave.

Bla-bla-bla !

M. Jean-Marc Ayrault.

En engageant nos forces après avoir mené jusqu'au point ultime la négociation pour la recherche d'un compromis pacifique en accord avec nos alliés, l'exécutif, monsieur le Premier ministre, a bien agi, au nom de la France, dans la plénitude de ses fonctions, au service de la paix.

Deuxième question : l'intervention de l'OTAN est-elle légitime ? L'OTAN avait-elle un mandat de l'ONU ? Une a lliance militaire, composée d'Etats démocratiques, détient-elle, du fait même de son existence, un magistère moral qui l'autorise à intervenir sans que les institutions de la communauté internationale aient tranché entre la guerre et la paix ?

M. François Loncle.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

Les résolutions 1199 et 1203 de l'ONU constituent une réponse à cette question, en prévoyant « les moyens d'obtenir l'arrêt immédiat de toute action de forces de sécurité affectant la population civile au Kosovo et le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression contre les populations ».

Ces deux résolutions, adoptées sans opposition par le Conseil de sécurité, constituent donc la base juridique de l'action militaire de l'OTAN.

Depuis plus d'un an, la communauté internationale a mis tout en oeuvre pour arrêter la main criminelle de Milosevic qui a déjà provoqué, ne l'oublions pas, des milliers de morts et l'exode de centaines de milliers de personnes. La légitimité juridique des frappes aériennes est claire et leur légitimité humanitaire l'est tout autant.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

La troisième question, si l'on veut s'en tenir à l'essentiel, a trait à l'ingérence.

En effet, nous ne sommes pas ici dans le cas d'un conflit international mettant en présence des Etats qui s'affrontent. Juridiquement, le Kosovo est une province


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

yougoslave. Les relations entre le Gouvernement de Belgrade et les représentants de l'immense majorité de la population du Kosovo semblent, a priori, relever d'une affaire intérieure.

Certains ont même relevé le contraste qui peut apparaître entre l'action de l'OTAN dans cette région et l'inertie de la communauté internationale face à la question kurde. On pourrait citer bien d'autres cas à travers le monde, tellement ils sont nombreux. Je pense notamment à l'intervention sanglante et dangereuse de l'armée russe en Tchétchénie. Ces questions sont fondées.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

En effet !

M. Jean-Marc Ayrault.

Alors, s'agit-il d'ingérence ? Il faut se souvenir de la Bosnie, des massacres et de l'épuration ethnique perpétrés avec la complicité de Milosevic. La légitimité de l'intervention au Kosovo prend d'abord sa source dans la volonté de ne pas vouloir laisser se reproduire dans cette province ce qui s'est passé en Bosnie.

M. Gérard Fuchs.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

L'Europe n'avait pas jusqu'ici capacité à intervenir. Le fait est qu'elle joue aujourd'hui son rôle de gardienne de la démocratie. Oui, c'est un signe important pour l'avenir. Il serait indécent d'entamer à cet instant un débat théorique sur la notion d'ingérence.

M. Pierre Lellouche.

Pourquoi alors l'avoir soulevé ?

M. Richard Cazenave.

Pourquoi poser des questions auxquelles vous n'avez pas les moyens de répondre ?

M. Jean-Marc Ayrault.

Le drame du Kosovo ouvre à nouveau la question récurrente des Balkans.

Pour le groupe socialiste, c'est à la lumière de l'histoire de cette région de l'Europe que l'on peut comprendre ce qui se passe aujourd'hui et surtout l'expliquer à nos concitoyens. C'est aussi notre mission et notre responsabilité de parlementaires.

Les Etats des Balkans, depuis le

XVIe siècle, ont été coupés de l'évolution du reste de l'Europe par l'invasion turque et l'établissement de l'Empire ottoman. C'est à partir de la dislocation progressive de cet empire, sous la triple influence du panslavisme, du pangermanisme et du réveil des nationalités, que les Balkans ont rejoint l'Europe.

La Première Guerre mondiale a conduit à des redécoupages artificiels et des constructions diplomatiques toutes entières dominées par les arrières-pensées des Etats vainqueurs en 1918, mais aussi marquées par les frustrations des vaincus.

L'entre-deux-guerres a été une sorte de parenthèse qui n'a pas pu stabiliser l'équilibre des choses. La crise de 1929 a brisé les espoirs de rattrapage économique de cette région sans que les idéaux démocratiques aient pu réellement s'y enraciner.

La domination soviétique a fait tomber une chape de plomb sur l'ensemble de cette région, hormis la Grèce, et n'a permis ni un développement économique ni un développement démocratique. La Yougoslavie de Tito et l'Albanie d'Enver Hodja ont vécu la même situation.

Ni les uns ni les autres n'ont pu participer à la croissance et à la prospérité du reste de l'Europe.

La chute du mur de Berlin et l'éclatement de l'Union soviétique ont laissé cette partie de l'Europe en proie à des retards terribles et à des difficultés économiques et sociales énormes, tout en faisant resurgir des pulsions nationalistes qui, nous le voyons bien aujourd'hui, avaient été artificiellement contenues sous la botte des régimes totalitaires. Une transition pacifique vers la démocratie et le progrès aurait été possible si les grands pays de l'Union européenne avaient pu avoir une politique commune.

Force est de constater qu'il n'en a rien été.

L'Europe démocratique a été singulièrement absente, tâtonnante, timide, voire incohérente. Le drame yougoslave, dont nous vivons aujourd'hui un épisode particulièrement tragique, a été favorisé - il faut le rappeler par les divergences de vues entre l'Allemagne, la France et l'Italie tandis que le poids des influences religieuses se faisait également sentir.

M. Louis Mexandeau.

Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault.

Dès 1991, la reconnaissance de la Croatie par certains Etats a marqué le début d'un terrible enchaînement de guerres, de violences, de crimes et de purifications ethniques.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault.

L'horreur des massacres en Bosnie a fini par provoquer un sursaut dans les consciences.

Peu à peu l'Union européenne a recherché une action diplomatique commune et un rapprochement avec la diplomatie américaine. Chacun a vu alors qu'il était nécessaire de parler d'une seule voix de façon à tenter d'éviter le renouvellement d'affrontements sanglants.

Cette vision commune, il faut le reconnaître, s'est heurtée au régime dictatorial de M. Milosevic qui utilise le sentiment patriotique du peuple serbe au service de ses visées hégémoniques et pour masquer le désastre de sa politique intérieure.

La revendication vers plus d'autonomie, plus de considération de l'immense majorité des Kosovars s'est heurtée à une volonté de domination qui s'est traduite par des opérations de police sanglantes.

Il faut donc faire face aux événements qui se déroulent aujourd'hui, se réjouir que l'Union européenne parle enfin d'une voix unanime et adresse à ce régime dictatorial un message clair : il n'est pas normal, à l'aube du

XXIe siècle, de vouloir régler par la violence et l'oppression une revendication identitaire et le désir d'un peuple de voir son avenir garanti. C'est ce que les pourparlers de Rambouillet recherchaient, c'est ce que les Européens et l es Etats-Unis ont essayé jusqu'au bout de faire comprendre au régime de Belgrade.

La question à laquelle chacun d'entre nous doit répondre en son âme et conscience est la suivante : face à la volonté de Milosevic de maintenir sous le joug les populations du Kosovo, et ceci par tous les moyens y compris les massacres, l'Europe devait-elle rester inerte et espérer que des protestations verbales puissent stopper une telle volonté de puissance et de domination ? Fallait-il attendre que la répression s'amplifie et écrase le Kosovo pour dire, comme l'un de nos ministres l'avait fait, après la répression russe à Varsovie au

XIXe siècle, que « le calme règne à Pristina » ? Ce serait le calme des cimetières. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) L'intervention militaire de l'OTAN, rendue inéluctable du fait d'une conception archaïque des rapports entres les peuples, est une grave responsabilité, c'est vrai. Nous avons le devoir de l'assumer.

Une intervention militaire, des opérations de guerre peuvent légitimement être critiquées, voire désapprouvées, car elles mettent en jeu des vies humaines, celles des


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

populations civiles comme celles de nos soldats. Mais il faut savoir également prendre ses responsabilités face à l'histoire. Je préfère que l'Assemblée nationale soit amenée à discuter du bien-fondé de ces frappes aériennes plutôt que d'être conduite, dans quelques décennies, à reconnaître l'existence d'un génocide « kosovien » comme elle a été amenée il y a quelques mois à reconnaître, dans les conditions que l'on sait, le génocide arménien.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Beaucoup de voix se sont élevées, ces dernières années, pour fustiger l'incapacité de l'Europe à intervenir en Bosnie. Ceux-là devraient aujourd'hui saluer l'action d'une Europe unie dans cette crise du Kosovo. Souvenons-nous de Srebrenica, n'oublions pas les criminels de guerre et ceux qui les ont soutenus.

A ujourd'hui, mes chers collègues, l'Europe a les moyens d'agir. Elle le veut. Elle le doit.

Naturellement, la question est de savoir si l'option militaire qui a été choisie par les gouvernements de l'Union européenne et les Etats-Unis sera suffisante pour ramener le gouvernement de Belgrade à la table des négociations. Les jours qui viennent nous fourniront une réponse à cette question. L'Assemblée nationale aura, au cours des prochaines semaines, sans doute des prochains jours, à réexaminer l'évolution de cette crise majeure. Je voudrais à cette occasion saluer l'importance et la qualité du travail des présidents et des membres des commissions des affaires étrangères et de la défense nationale.

L'Union européenne doit rassembler les peuples et les nations qui la composent autour d'un projet démocratique et social, un véritable projet de civilisation.

Les Etats doivent garantir les droits des minorités sans se résigner pour autant à une multiplication de micro-

Etats. Il faut dépasser les repliements nationalistes, car, comme le disait Jean Jaurès, le nationalisme porte « en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage ».

M. Georges Hage et M. Georges Sarre.

Il parlait du capitalisme !

M. Pierre Lellouche.

Il va falloir relire Jaurès !

M. Jean-Marc Ayrault.

C'est ce que démontre en marchant l'Union européenne qui constitue l'avenir de notre continent. Cet avenir ne doit pas être obéré par les prov ocations obstinées d'une dictature d'un autre âge, bafouant le droit démocratique et les droits de l'homme.

L'Europe qui a inventé la démocratie ne peut admettre une telle régression.

A l'évidence, l'Union européenne doit progresser encore davantage dans la voie d'une diplomatie commune et d'une capacité militaire d'intervention autonome. Sans pour autant remettre en cause notre alliance avec les

Etats-Unis, nous devons, nous, Européens, nous donner les moyens de régler nos propres problèmes.

Mais la priorité aujourd'hui, comme le déclarait le secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, c'est d'ôter à la dictature de Milosevic la libre disposition de son appareil militaire, c'est de tout faire pour que cette crise ne s'étende pas géographiquement.

Tel est l'objectif que nous devons atteindre afin de ramener, et cela - nous le souhaitons - le plus vite possible, tous les protagonistes à la table des négociations, qui pourront alors être conclues conformément aux objectifs de la conférence de Rambouillet.

Ce qui est en cause aujourd'hui pour nous, députés socialistes, c'est notre combat de toujours pour un idéal de paix et de liberté.

Monsieur le Premier ministre, ce combat, nous le savons, c'est aussi le vôtre et celui de votre gouvernement.

Vous pouvez compter sur le soutien et la solidarité des députés socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Bernard Raimond, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Jean-Bernard Raimond.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la tenue, aujourd'hui, d'un débat à l'Assemblée nationale sur la crise au Kosovo est pleinement justifiée. Il était bon, monsieur le Premier ministre, que vous répondiez à l'attente d'information du Parlement. Nous vous donnons acte des motifs de la date qui a été choisie.

Depuis deux jours, les raids de l'OTAN sur la Serbie,

Etat souverain, et sur sa capitale, Belgrade, comme sur le Kosovo, créent une situation d'affrontements et d'inquiétudes. Quels que soient les objectifs militaires, il y aura des victimes dans la population serbe. Il s'agit, en outre, non de punir une agression contre un autre Etat, comme ce fut le cas dans la guerre du Golfe, mais d'intervenir dans un conflit interne à la Serbie. Circonstance aggravante, les opérations aériennes se déroulent dans une région qui est, pour les Européens, réputée pour la gravité de ses conflits d'ordre nationaliste, religieux ou idéologique. On évoque volontiers l'attentat de Sarajevo ou la Croatie des Oustachis. Ce tableau, qui n'est pas complet, suffit à justifier l'émotion et le désarroi de l'opinion publique et des milieux politiques.

Le fait que les pays de l'Alliance, en particulier l'Allemagne, participent en grand nombre, le fait que les Européens soient unanimes, malgré quelques réserves du côté grec et italien, pour approuver cette opération militaire, le fait que le Président de la République et le Gouvernement, en période de cohabitation, soient d'accord, que les Américains et leurs alliés, même les Français, agissent de concert, ne constituent pas une réponse suffisante aux yeux de certains. D'autant plus que les perspectives rapprochées d'une solution politique ne sont pas évidentes, surtout si l'on songe que la crise dans l'ex-Yougoslavie dure depuis bientôt dix ans.

P eut-être serait-il utile, avant d'aller plus avant, d'essayer de dissiper quelques malentendus. Les références à la guerre de 1914, au régime nazi en Croatie pendant la Seconde Guerre mondiale, à la poudrière des Balkans sont, pour moi, des concepts périmés ou en voie de disparition.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Bernard Raimond.

Nous sommes en 1999, dernière année du XXe siècle, à la veille du troisième millénaire. L'Europe a connu pendant ce siècle une histoire t ragique, deux guerres mondiales, le stalinisme, le nazisme. Elle en est sortie meurtrie, mais transformée.

Soixante-dix ans de régime soviétique en URSS, quarante ans du même régime en Europe centrale et orientale, appartiennent irrévocablement au passé depuis bientôt dix ans.

Qui se souvient, autre paradoxe, qu'après 1948, c'est-àdire après la rupture avec Staline, la Yougoslavie de Tito, bien que communiste, apparaissait comme un régime qui méritait les encouragements et l'aide des puissances occidentales ? Or, aujourd'hui, Slobodan Milosevic, et non les


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

Serbes, est isolé, et seul à ressusciter ce passé néfaste, alors que tous les pays d'Europe centrale et orientale se préparent à rejoindre l'Union européenne ou l'Alliance atlantique.

Ce n'est pas un hasard si Slobodan Milosevic supprime l'autonomie du Kosovo ainsi que celle de la Vojvodine en 1989. C'est l'année de la chute du Mur de Berlin, du retour à la démocratie des pays d'Europe centrale et orientale. Est-il surprenant qu'au même moment la Croatie et la Slovénie soient tentées de choisir la même voie que les Polonais, les Hongrois, les Tchèques ? Est-il surprenant que, pour se distinguer d'un régime yougoslave fondé sur l'absence de liberté sous le leadership de Slobodan Milosevic, Croates et Slovènes quittent la Ligue communiste et proclament leur indépendance ? Milosevic ayant réglé, croit-il, le problème du Kosovo, estime avoir les mains libres pour tenter de maintenir la Fédération.

Le conflit avec la Slovénie sera de courte durée en l'absence de minorité serbe, mais la guerre avec la Croatie sera plus difficile, et inacceptable en raison de la « purification ethnique » dont curieusement on ne parle plus guère aujourd'hui, comme si on l'avait oubliée.

Les Allemands d'abord, non pas pour des raisons de nostalgie historique, mais parce qu'ils avaient compris avant les autres, dans cette Europe centrale et balkanique, qu'ils connaissent bien, ce qui se passait, puis la Communauté européenne ne s'y sont pas trompés. Les deux nouveaux Etats sont reconnus par l'Europe des Douze. Il est bien dommage que, dès cette époque, les Européens n'aient pas davantage réagi contre Belgrade et que les Américains soient restées silencieux.

En effet, dès cette première crise, simple prélude à la crise de Bosnie-Herzégovine et à celle que nous connaissons aujourd'hui, Milosevic apparaît pour ce qu'il est : un communiste stalinien reconverti en nationaliste serbe.

C'est une définition importante car elle explique beaucoup d'aspects de la crise yougoslave et de la situation actuelle. Slobodan Milosevic ne ressemble à aucun des autres dirigeants du post-communisme, qu'ils soient libéraux ou communistes réformateurs, comme les dirigeants hongrois qui ont ouvert les premiers le mur entre la Hongrie et l'Autriche le 10 septembre 1989. Tous les déboires des Nations unies de 1991 à 1995 viennent de là. Je ne les évoquerai pas. Ils sont présents dans toutes les mémoires avec les massacres et les sacrifices des casques bleus.

Une première pause dans la crise de l'ex-Yougoslavie apparaît en 1995 avec les accords de Dayton, qui règlent provisoirement la crise de Bosnie-Herzégovine. Les événements de cette année 1995 ont sans doute influencé les comportements internationaux récents de 1997 à 1999.

Deux initiatives de caractère militaire ont conduit, à cette époque, à l'accord politique. La première est celle du Président de la République, Jacques Chirac, qui rompt avec les consignes de passivité des casques bleus et crée la Force de réaction rapide, la seconde, c'est une série de bombardements de l'OTAN sur les forces serbes en Bosnie, marquant ainsi le retour des Américains et la substitution d'un commandement de l'OTAN aux décisions aléatoires, et souvent fâcheuses, du représentant du secrétaire général des Nations unies. (« Très bien ! » sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) La solution, certes, est politique, compte tenu des accords qui seront signés à Paris et de l'unité maintenue - au moins provisoirement - de la BosnieHerzégovine, mais cette solution est avant tout militaire.

Plus que tout, c'est la SFOR, c'est-à-dire l'OTAN, qui maintient aujourd'hui encore le calme avec la paradoxale présence d'un contingent russe dans le secteur américain.

(Sourires.)

Telle est la situation qui prévaut quand renaît, en 1997, le problème du Kosovo. Remarquons au passage que les autres pays d'Europe centrale et orientale, qui ont presque tous des problèmes de minorités, sont d'une remarquable modération. C'est vrai aussi des relations entre la Russie et l'Ukraine, sur la mer Noire. Sans doute y a-t-il beaucoup de conflits gelés, en Tadjikistan, en Géorgie, en Azerbaïdjan et en Arménie. La seule exception a été la crise intérieure russe en Tchétchénie. Sans introduire aucune comparaison avec le Kosovo, peut-être pourrait-on regretter aussi qu'au plus fort de la crise en Tchétchénie, les puissances occidentales qui continuaient à accueillir le président russe au G7 n'aient pas montré, à l'égard du gouvernement russe, plus de réserve ou de distance jusqu'au règlement de la crise.

Pour en revenir au Kosovo, les Américains et les Européens ont certainement manqué d'anticipation, après le règlement de 1995 et le retour au calme. L'étouffement du Kosovo depuis 1989 ne pouvait durer. Les Albanais du Kosovo représentent plus de 90 % de la population et sont soumis à un régime sans aucune liberté. C'est en 1997 qu'apparaît l'armée de libération du Kosovo, l'UCK, qui revendique une série d'attentats. Une partie des intellectuels et de la jeunesse albanaise se radicalise et ne suive plus les orientations modérées de la Ligue démocratique d'Ibrahim Rugova, qu'il aurait fallu soutenir en revendiquant un statut d'autonomie substantielle, solution qui a toujours eu les faveurs de la France. En novembre 1997, avec son collègue allemand, notre ministre des affaires étrangères M. Védrine a écrit au président Milosevic, sans succès. Mais les actions de l'UCK et la répression violente des autorités serbes créent une situation dramatique. La communauté internationale ne reste pas inactive. Sous la pression des Etats-Unis, Slobodan Milosevic et Ibrahim Rugova se rencontrent à Belgrade, mais les combats sur le terrain se poursuivent. Le groupe de contact, en mars 1998, se mobilise et est unanime, par conséquent avec l'accord des Russes, pour considérer qu'il n'existe qu'une seule solution politique, l'autonomie substantielle du Kosovo, dans le cadre de la Serbie ou de la République de Yougoslavie. Il ne peut être en effet question d'indépendance, le Kosovo étant considéré comme le berceau de la Serbie. Et nous savons tous que la France est attachée à l'intégrité territoriale de la Serbie.

M. René André.

Très bien.

M. Jean-Bernard Raimond.

Des sanctions de plus en plus sévères sont décidées, accompagnées de propositions qui auraient permis à la Yougoslavie de Milosevic de réintégrer la communauté internationale dans la ligne des accords de Dayton. Le groupe de contact entame parallèlement une réflexion sur un éventuel recours à la force.

La Russie, tout en étant favorable à une situation politique, est réticente à toute résolution des Nations unies prise sous le chapitre VII qui, à la différence du chapitre VI, autorise le recours à la force. Cependant, le 23 septembre 1998, le Conseil de sécurité adopte une résolution 1199 placée sous le chapitre VII et appelle à un cessez-le-feu et à l'engagement du dialogue politique.

Le Conseil exige que Belgrade mette fin immédiatement aux actions de répression contre la population civile, ordonne le retrait des unités de sécurité et facilite le retour des réfugiés et des personnes déplacées. Cette résolution comporte en outre un dernier alinéa très important


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

qui précise que, s'il est nécessaire, des mesures additionnelles seront prises par le Conseil pour maintenir la paix et la sécurité dans la région. Ce dernier alinéa est capital, la Russie et la Chine ne s'étant pas opposées à cette résolution. La résolution 1199 et la résolution 1203 ont toujours été considérées, depuis, comme un feu vert minimum pour un recours à la force. Ce n'est pas l'avis de la Russie, qui exige une résolution spécifique tenant compte de la situation réelle au moment où se déciderait un recours à la force.

Si aujourd'hui, nous jetons un regard sur une année de négociations et de démarches diplomatiques, il est clair que la communauté internationale n'a ni été inactive ni partiale. Le terrorisme des Albanais du Kosovo a été condamné comme les mesures de répression de la police et de l'armée serbe. On pourrait citer notamment la création en juin 1998 d'une mission d'observation diplomatique au Kosovo et la mise en place des observateurs, appuyés éventuellement par une unité militaire de recours située en Macédoine sous la direction d'un général français. On pourrait citer surtout les efforts sans nombre des Européens, et en particulier des Français et des Britanniques, pour aboutir en février 1999 à la négociation permanente de Rambouillet. On pourrait citer aussi les prol ongations, l'appel à une nouvelle rencontre et notamment, la signature par les Kosovars d'un accord équilibré comportant à la fois une autonomie renforcée, le désarmement des Kosovars, qui ont une responsabilité dans la prolongation de la crise, et la présence, sur le terrain, d'une force internationale pour garantir les accords.

Slobodan Milosevic a refusé cet accord qui était équitable, même après la visite à Belgrade du ministre russe des affaires étrangères, Ivanov. La force internationale, prévue pour garantir l'accord et que Milosevic refuse, ne saurait être considérée comme une force d'occupation.

Après ce refus, le choix était bien entre une démonstration militaire ou la passivité et l'acceptation de la poursuite dans l'ex-Yougoslavie des massacres au Kosovo et du régime répressif de Milosevic. La déclaration du Président de la République, aujourd'hui même à Berlin, constitue un nouvel appel au président yougoslave, Slobodan Milosevic, pour qu'il vienne s'asseoir à « la table des négociations » afin de « conclure l'accord de paix » avec les Kosovars. Comme l'a rappelé le Président de la République, Milosevic l'avait déjà fait « d'une certaine façon dans le passé dans les affaires de Bosnie ». Le Président de la République a poursuivi : « la France et ses alliés ont dit non au massacre, non à la purification ethnique, non à l'oppression ». « Ne rien faire, c'était en fait accepter la barbarie et prendre le risque d'une déstabilisation générale des Balkans. »

Si Milosevic ne répond pas à cet appel, que peut-il se passer ? En tant que parlementaire, je ne suis pas en mesure d'apprécier les conditions de l'opération militaire en cours, ce qui n'est certes pas une question mineure, mais elle révèle de la compétence des autorités civiles et militaires de notre pays. Je crois cependant que l'on peut tenir pour acquise l'idée de ne pas poursuivre sur terre des opérations militaires susceptibles d'avoir des conséquences imprévisibles. Cependant, si vous me permettrez de vous donner, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, un conseil - au surplus je suis persuadé que vous partagez mon appréciation, je dirai que Slobodan Milosevic, - c'est ce que j'ai essayé de démontrer au cours de cette intervention - appartient au passé. Toute occasion d'un retour à la table des négociations, toute ouverture même imparfaite vers une solution, doit être saisie après une démonstration de fermeté et de détermination aussi impressionnante que celle qui est en cours. Les huit années qui se sont déroulées depuis 1991 ont marqué un progrès dans l'ex-Yougoslavie aux dépens du nationalisme serbe qui ne se confond ni avec l'histoire de cette grande nation ni, je pense, avec l'idée que s'en font aujourd'hui les Serbes eux-mêmes à Belgrade, au coeur de la Serbie.

Personnellement, je ne suis pas inquiet de la position russe. Il est naturel que le gouvernement russe soit, jusqu'à un certain point, aux côtés des Slaves du sud. Ils l'ont montré en participant au groupe de contact, en participant au maintien de la paix en Bosnie, ils l'ont montré aussi en ne ménageant pas leurs démarches auprès de Milosevic. Sans vouloir entrer dans aucun détail, même le retour à mi-parcours de Evgueni Primakov en route pour Washington, n'est pas un signe négatif. Il est normal que les Russes saisissent le Conseil de sécurité. Les Russes, en fait, soutiennent la Serbie, mais non leur collègue de Belgrade sur lequel ils en savent plus que nous et qui ne leur ressemble pas.

M. Christian Cuvilliez.

Voilà une vérité à creuser !

M. Jean-Bernard Raimond.

Les dirigeants russes, même dans leur situation de faiblesse et de confusion, sont dans la logique du post-communisme alors que pour des raisons de nationalisme étroit, liées à son maintien au pouvoir, M. Milosevic lui tourne le dos. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert pour le groupe RCV.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, la guerre, - l'emploi des armes -, nous font horreur, d'où qu'elle vienne. Et celle qui a commencé mercredi n'est pas une guerre virtuelle, une sorte de jeu vidéo géant, comme tend à le montrer parfois l'ivresse médiatique de ces derniers jours, mais aussi les propos faussement rassurants de Bill Clinton et de sa « Force déterminée » - c'est le nom de l'opération - qui semble ne douter de rien.

Cette guerre, comme toutes les guerres, causera des morts et de la désolation que ne peut occulter le retour sains et saufs, et c'est tant mieux, nous nous en réjouissons, de nos pilotes engagés dans cette opération.

La guerre tue et ne peut être propre. C'est pourquoi les Verts ont toujours défendu la résolution non violente des conflits et leur prévention par le soutien aux démocrates, même quand ils sont dans l'opposition, et des partenariats de développement, seuls garants, à vrai dire, d'une paix durable. Ils ont toujours dénoncé également les politiques d'armement, coûteuses et opaques, des grandes puissances occidentales. Leur hypocrisie aussi, quand elles prétendent défendre la justice et le droit tout en vendant des armes à tout ce que la planète compte de dictateurs en puissance.

C'est pourquoi encore, nous avons toujours soutenu les hommes et les femmes de dialogue, confrontés pourtant à une radicalisation violente de leur juste cause. Ainsi, nous avons très tôt établi des liens avec Ibrahim Rugova en le recevant ici même fin 1997, à une époque où personne ne daignait le recevoir à l'Elysée, à Matignon, au Quai d'Orsay. Si cela avait été le cas très tôt, dès 1991, puis a u moment des accords de Dayton, nous n'en serions peutêtre pas là.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

Néanmoins, les événements en Bosnie ont considérablement bousculé notre position non-interventionniste et questionné la méthode pacifique et non-violente qui a toujours été et reste la nôtre.

A partir de quel moment, en effet, la France et l'Europe peuvent-elles être accusées de non-assistance à peuple en danger ? Pouvons-nous laisser à nos portes réprimer et massacrer des innocents qui ont le seul tort d'appartenir à une ethnie ou de pratiquer une religion qui ne sont majoritaires dans leur pays. A l'évidence, aujourd'hui comme hier, le président Milosevic, dictateur borné et sans scrupules, n'entend rien au langage de la négociation et poursuit une politique de répression impitoyable à l'égard des Kosovars albanais qualifiés de terroristes.

On nous dit cette fois-ci que toutes les voies du dialogue ont été explorées et que l'on a consacré suffisamment de temps aux tentatives de négociation. Malheureusement, initiées peut-être trop tardivement, elles ont échoué. Le recours à la force paraît donc inévitable, à première vue. Cependant à notre consternation se mêle aussi la colère.

Colère de constater à quel point la démocratie, notre démocratie, a été bafouée dans cette affaire. Le Parlement n'est consulté qu'aujourd'hui alors que les frappes aériennes ont commencé depuis bientôt trois jours.

M. Jean-Louis Debré.

Heureusement que le Gouvernement a le soutien du RPR !

Mme Marie-Hélène Aubert.

D'ailleurs ce débat se déroule au titre de l'article 134 du règlement de l'Assemblée, comme n'importe quel autre débat, et non au titre de l'article 35 de la Constitution française qui précise que le Parlement vote les déclarations de guerre.

Si la Constitution de la Ve République n'est plus adaptée - c'est d'ailleurs ce que nous pensons - il faudraits'attaquer rapidement à l'élaboration d'une nouvelle constitution pour une VIe République qui redonne enfin son rôle au Parlement.

M. Paul Quilès.

Tout à fait !

M. Bernard Pons.

Ah !

Mme Marie-Hélène Aubert.

L'information qui nous est donnée est informelle et incomplète et c'est en lisant la presse ou en écoutant les déclarations du Président de la République que nous apprenons le détail des opérations.

Ce débat même a été décidé précipitamment. Incidemment, on peut se demander pourquoi la décision de lancer des frappes aériennes a été prise quasiment en même temps ou juste avant le sommet de Berlin ? Cette succession de monologues, aujourd'hui dans cet hémic ycle même si nous saluons, monsieur le Premier ministre, votre souci de nous répondre, n'influera en rien sur le cours des événements, gérés par un cénacle restreint d'élites dirigeantes françaises, européennes et américaines.

Quant à nos concitoyens, ils doivent se contenter de ce que leur proposent les médias dont on peut craindre, comme pour la guerre du Golfe, qu'ils ne soient trop encadrés et manipulés. Les premières décisions de Milosevic, qui renvoie les journalistes étrangers, ne peuvent que nous inquiéter à cet égard.

Colère également de voir une décision aussi grave être prise sans résolution claire du Conseil de sécurité de l'ONU, en dépit des résolutions 1199 et 1160, ni de l'Union européenne en tant que telle, dont on peut souligner, une fois encore, la faiblesse politique.

Pourtant, la France a toujours défendu, et à juste titre, une approche multilatérale de ce type d'intervention, pourquoi alors s'en est-elle écartée cette fois-ci ?

M. Christian Cuvilliez.

Erreur !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Certes, la composition et le fonctionnement du Conseil de sécurité méritent sans doute d'être revus. Mais la nécessité de décisions multilatérales et concertées en la matière reste entière.

C'est donc finalement au sein de l'OTAN, organisation militaire régionale dominée par les Etats-Unis, qui ne devait être qu'une rémanence aujourd'hui obsolète de la guerre froide, qu'il a été décidé de ces frappes aériennes, censées régler un problème d'abord européen.

Vous reconnaîtrez que c'est difficile à admettre.

Alors, à défaut d'être vraiment légales, eu égard aux décisions de l'ONU, ces frappes sont-elles au moins légitimes et garantes d'efficacité ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que les risques encourus dans cette opération sont énormes. Risque, d'abord, de renchérir la volonté répressive et destructrice de l'armée serbe à l'égard des populations civiles du Kosovo dans la mesure où il n'est pas prévu, à notre connaissance, un déploiement de troupes au sol. Le remède serait alors peut-être pire que le mal.

Risque, ensuite, de susciter le ressentiment russe et de donner du grain à moudre à la solidarité slave ou orthodoxe, qu'il ne faut pas mésestimer. Le nationalisme à l'oeuvre en Russie se rapproche, jour après jour, du pouvoir détenu par un Boris Eltsine de moins en moins crédible malgré les massives perfusions financières occidentales qui le maintiennent à bout de bras. Il faut réassocier les Russes dans la prise de décision, sous peine de faire jouer la roulette du même nom.

Risque, enfin, de renforcer le nationalisme serbe, qui ne manquera pas d'exhiber ses martyrs, et donc le pouvoir de Milosevic, toujours là, d'ailleurs, même après la guerre de Bosnie.

Mais, avait objecté M. Hubert Védrine devant la commission des affaires étrangères, ne nous réfugions pas derrière un formalisme tatillon alors que les morts s'accumulent au Kosovo. Soit ! Et puisque nous sommes devant le fait accompli et que le coup est parti, espérons qu'il atteindra son but, c'est-à-dire mettre fin aux opérations de Milosévic dans la région.

Cela signifierait alors, que, à l'avenir, les Européens, les

Etats-Unis sont décidés à employer la force pour faire entendre raison aux oppresseurs sourds au dialogue et à la négociation, afin de défendre les droits de l'homme et tous les civils innocents. Très bien ! Nous saluons cette détermination nouvelle. Nous sommes donc en droit d'attendre la même détermination, par exemple à l'égard de la Turquie, pour résoudre la question kurde.

M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Nous voyons bien qu'il n'en est rien et que le secours aux opprimés est très sélectif selon les intérêts géopolitiques, mais aussi économiques et commerciaux, en jeu. Les frappes en Yougoslavie ne feraient donc qu'accréditer la thèse du « deux poids, deux mesures », de nature à nourrir le sentiment profond d'injustice ou d'abandon de peuples devenant alors des proies faciles pour toutes les manipulations intégristes et nationalistes.

Ces frappes posent, par ailleurs, de sérieuses questions de fond. Ainsi, contrairement à ce que tentent de nous faire croire nos gouvernements, l'Union européenne ne


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

sort pas grandie de cette opération. Après la guerre privée des Anglais et des Américains en Irak, nous voilà embarqués à présent dans une aventure hasardeuse, sous l'égide de l'OTAN, qui cherche, au moment de son cinquantième anniversaire, à réaffirmer son rôle incontournable dans le maintien de l'ordre sur le continent européen.

Dans le même temps - ironie du sort ! - nos représentants à Berlin s'échinent à contenir le budget européen dans la limite du 1 % et quelques du PNB, tout en proclamant leur volonté d'accélérer la construction européenne, à commencer par des institutions démocratiques et efficaces.

Il ne faut pas, nous dit-on, que l'élargissement à l'Est fasse exploser le budget. Préférons-nous alors dépenser des milliards en moyens militaires, en dispositifs coûteux de maintien de la paix, comme en Bosnie, pour régler des conflits...

M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... qui ne manqueront pas de survenir à nouveau si rien n'est fait pour l'intégration rapide de ces pays à la Communauté européenne et pour leur développement ? Cette grande cause ne mérite-t-elle pas un effort conséquent des Quinze plutôt que le repli frileux auquel on assiste aujourd'hui ? Pour notre part, nous préférons voir exploser les coopérations à l'est, y compris budgétaires, plutôt que des bombes.

Il y a bien du cynisme dans ces opérations aériennes et aussi l'aveu que nous avons du mal à afficher, à savoir que nous refusons désormais de voir mourir un seul de nos militaires pour combattre l'injustice et les massacres ailleurs que sur notre territoire.

La technologie sophistiquée des frappes aériennes, et on parle peu des pilotes qui risquent leur vie dans cette affaire, tente de nous faire oublier cette réalité, après avoir inauguré le concept fallacieux de frappes « chirurgicales ».

A présent, c'est au Gouvernement de faire connaître comment il envisage la suite, sa stratégie pour demain et une éventuelle stratégie de rechange et que ce soit alors l'occasion de restaurer les droits du Parlement et de l'associer effectivement.

Premièrement, si les frappes provoquaient des massacres a terre - et nous avons quelques informations à ce sujet ...

M. Pierre Lellouche.

Ah bon ?

Mme Marie-Hélène Aubert.

... est-il prévu de les arrêter et rapidement, et pour quoi faire ensuite ? L'urgence reste toujours pour nous le déploiement d'une force d'interposition internationale, dotée de pouvoirs de police, pour protéger la population, dont, bien sûr, la minorité serbe, avec un mandat clair de l'ONU et de la communauté internationale.

A moyen terme, il conviendrait d'organiser la tenue d'une conférence générale sur les Balkans qui permettrait de résoudre le problème globalement et qui serait réunie sous l'égide de l'Union européenne.

En même temps, il nous faut tirer les leçons de la manière dont se sont passées les choses et ont été prises ces décisions.

C'est pourquoi nous faisons des propositions, que nous voulons pour le moyen terme et le long terme, pour nous en sortir cette fois-ci par le haut.

Il nous faut rapidement - mais nous l'avons déjà souligné lors du débat sur la ratification du traité d'Amsterdam - une Europe politique forte, intégrée et fédérale.

M. Pierre Lellouche.

Si c'est pour dire ça, ce n'est pas la peine d'intervenir !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Pourquoi ne pas revoir également la composition du Conseil de sécurité et celle de la représentation de l'Union européenne dans cet organisme ? Nous devons créer des symboles forts, comme l'a été la mise en oeuvre de l'euro, pour forger l'émergence de politiques communes. Je rappelle que la PAC représente environ 50 % du budget européen alors que la politique extérieure n'en constitue que moins de 7 %. Cela devrait nous faire réfléchir.

Deuxièmement, il nous faudrait une force armée européenne intégrée, au service permanent d'un pouvoir d'ingérence humanitaire, placée sous contrôle des Nations unies. Ce serait le complément naturel de la Cour criminelle internationale, que nous tentons de mettre en place en ce moment, ce dont nous nous en réjouissons.

Pour que cette force soit efficace au sein du Conseil de sécurité, il conviendrait de supprimer le droit de veto,...

M. Pierre Lellouche.

Ben voyons !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... d'élargir ce conseil pour une plus grande représentativité de tous les peuples et de tous les continents, de prendre des décisions à la majorité qualifiée...

M. Pierre Lellouche.

Bien sûr !

Mme Marie-Hélène Aubert.

... et d'exiger que les EtatsUnis paient leurs arriérés de cotisations qui se montent à quelque 2 millions de dollars.

M. Yves Cochet et M. Jean-Michel Marchand.

Très bien.

M. Pierre Lellouche.

C'est 2 milliards de dollars et non 2 millions de dollars !

Mme Marie-Hélène Aubert.

C'est encore mieux ! Ces arriérés asphyxient aujourd'hui le fonctionnement de l'ONU.

Troisièmement, il faut un engagement européen de refuser toute exportation d'armes vers les pays ne respectant pas strictement les droits de l'homme et les conventions internationales. Des codes de conduite ont été mis en place en la matière mais leurs dispositions demandent à être renforcées et surtout appliquées.

Enfin, il convient de faire un geste fort de solidarité vis-à-vis de l'Europe centrale et orientale et des Balkans, de fixer une date à leur adhésion à l'Union qui ne soit pas lointaine et surtout de mettre en place un programme d'investissements massifs en contrepartie du respect de la démocratie et du droit des minorités - je rappelle que c'est ce que nous avons fait avec le Portugal et avec la Grèce. A notre avis, de telles mesures feraient sans doute tomber plus vite Milosevic. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)

M. le président.

La parole est à M. Valéry Giscard d'Estaing, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

La déclaration que vous venez de nous faire, monsieur le Premier ministre, et que nous aurions souhaitée plus proche de l'événement, bien que nous connaissions les contraintes de votre agenda international, appelle une première réponse de la part des députés de l'UDF.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

Approuvons-nous la participation des forces françaises à l'action militaire engagée par l'OTAN au Kosovo et en Serbie ? Notre réponse est claire : oui, nous l'approuvons, dans les circonstances où elle a été décidée par le Président de la République et par le Gouvernement.

Et nous adressons notre témoignage de solidarité le plus affectueux, le plus chaleureux et le plus confiant dans leur grand courage et leur capacité militaire aux membres des forces française aériennes et navales participant à cette action.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Cette action était devenue inévitable à nos yeux pour une raison précise, qui n'est pas le refus par le Gouvernement Milosevic de signer l'accord négocié à Rambouillet.

Après tout ce qui a été dit et entrepris depuis de long mois pour éviter que ne se déclenche une catastrophe politique au Kosovo, nous ne pouvions pas assister dans l'indifférence et la passivité à l'action délibérée entre prise par Milosevic au Kosovo, au défi de toutes les traditions humanitaires et démocratiques de notre continent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le motif de l'action militaire est bien la décision prise par les autorités serbes de vouloir modifier par l'emploi de la force brutale, militaire et policière, la situation existant au Kosovo en terrorisant et en déplaçant les populations d'origine albanaise.

Autrement dit, pour nous, les frappes aériennes effectuées par l'OTAN doivent avoir pour objectif, pour seul objectif, de contraindre le gouvernement de Belgrade à cesser immédiatement toutes les opérations de répression massive actuellement en cours au Kosovo.

Aussitôt que ces opérations inhumaines auront été interrompues, la recherche d'une solution politique, malgré son extraordinaire difficulté en raison des données objectives, pourra reprendre.

Les frappes aériennes d'abord.

Il me semble que nous vivons dans un monde où l'on bombarde beaucoup. (Murmures.)

Cela tient au fait que l'on attend aujourd'hui des frappes aériennes des résultats qui supposeraient, normalement, le déploiement de forces terrestres. C'est ce déploiement de forces conventionnelles sur le terrain qui, comme l'a d'ailleurs rappelé le ministre J ean-Bernard Raimond, permet d'assurer à l'heure actuelle le retour à une situation quasi normale en Bosnie-Herzégovine. Or ce déploiement de forces terrestres, chacun le sait, est impossible à effectuer au Kosovo.

Aucune des opinions publiques des pays participants n'est en effet prête à l'accepter dans les circonstances actuelles, qui conduiraient à un affrontement direct.

C'est la raison pour laquelle les frappes aériennes doivent, à elles seules, accomplir tout le travail qui serait normalement attendu d'une action combinée, en tentant à la fois de détruire la capacité militaire de la Serbie à agir au Kosovo et de contraindre Milosevic à accepter les concessions politiques indispensables à la reprise des négociations.

Le premier objectif, celui consistant à détruire la capacité militaire des Serbes à intervenir au Kosovo, est difficile à atteindre sans prendre le risque insupportable de frapper des populations civiles, en raison de l'enchevêtrement sur le terrain des forces de répression et des populations locales.

Le président Milosévic va essayer de conserver sur le terrain les moyens d'action qu'il aura perdus dans le ciel.

Pour réussir à le déstabiliser, l'OTAN serait alors entraînée à effectuer des frappes aériennes prolongées pour détruire son potentiel militaire, mais aussi l'économie de la Serbie. C'est une pente qui déboucherait sur un désastre collectif en Serbie et au Kosovo, et qui risque de provoquer une incompréhension croissante de l'opinion publique mondiale.

M. Christian Cuvilliez.

Absolument !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

C'est pourquoi nous recommandons, monsieur le Premier ministre, de lier clairement et formellement le déroulement des frappes aériennes au comportement effectif des forces de sécurité serbes au Kosovo. Si ces forces mettaient fin à leur violence et étaient retirées du terrain, comme cela s'est produit une fois, les bombardements devraient cesser. S'il apparaît qu'elles continuent leur action, les bombardements seront alors poursuivis ou repris.

Nous devons prendre en compte les bases légales de cette action. Et vous avez évoqué ce point dans votre intervention, monsieur le Premier ministre.

La résolution 1199 du 23 septembre 1998, qui est souvent invoquée, prévoit « d'examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix et la stabilité dans la région ».

Cet examen n'a pas eu lieu. Aussi cette résolution, dans son texte actuel, n'offre pas une base juridique satisfaisante à des frappes aériennes.

M. Philippe Séguin et M. François Loncle.

C'est exact !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Si l'on a choisi de contourner le Conseil de sécurité, c'est qu'on a estimé sans doute qu'une action immédiate était indispensable pour empêcher une catastrophe humanitaire et qu'elle risquait de se heurter à un probable veto russe ou chinois.

M. Christian Cuvilliez.

Absolument !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

En le faisant, on prend le risque d'affaiblir le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, dont celui de la France, et de rendre plus difficile dans l'avenir la référence au chapitre VII de la charte des Nations unies.

M. François Loncle.

Très juste !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Observons également qu'il s'agit pour l'OTAN d'une opération hors de la zone couverte par le traité et qui ne rentre pas dans l'obligation définie à l'article 5 de réagir collectivement contre toute attaque lancée contre l'un de ses membres. Cette interprétation du traité, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, rend d'autant plus nécessaire la clarification des relations de la France avec l'OTAN.

Ces éléments juridiques renforcent, je crois, la nécessité de lier clairement et formellement l'exécution des frappes a ériennes à la poursuite des opérations répressives conduites par les forces de Milosevic sur le sol du Kosovo.

Monsieur le Premier ministre, dans cette incertitude juridique, la participation de militaires français à des opérations au sol exigerait à nos yeux un débat préalable à l'Assemblée nationale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il faudra bien, un jour, rechercher un dénouement politique. Les différents orateurs qui sont intervenus ont évoqué cette question avec une grande connaissance de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

situation. L'extraordinaire difficulté à trouver cette solution politique, mutuellement acceptable par les Serbes et les Albanais du Kosovo, ne peut pas être imaginée par nous autres, habitués depuis longtemps à être les citoyens d'un Etat centralisé, aux frontières nettement tracées.

La Serbie et le Kosovo, aux populations enchevêtrées, ont traversé des siècles marqués par des conquêtes successives des uns par les autres et par des affrontements sanglants. Le Kosovo était jadis connu sous le nom de Vieille Serbie, jusqu'à ce qu'une partie de sa population n'ait été conduite, sous la pression ottomane, à émigrer v ers le Nord. Ces populations ont pourtant vécu ensemble au sein d'une même entité politique, à la seule exception de l'occupation italienne de la dernière guerre, dont les autorités avaient tenté - en vain - d'instaurer une « Grande Albanie ». Et n'oublions pas qu'au-delà de Milosevic, de sa brutalité, de sa ruse et de sa cruauté froide, il y a aussi le peuple serbe, aux opinions diverses et aux anciennes racines culturelles enfoncées dans le sol européen.

Nous avons participé nous-mêmes à la création de la Yougoslavie, et nous lui avons apporté notre soutien.

Celle-ci, on l'a rappelé tout à l'heure, a fonctionné depuis la guerre comme une fédération au sein de laquelle le Kosovo avait obtenu en 1974 - année faste pour lui (Sourires) - un statut de large autonomie.

Depuis la disparition de Tito, la politique centralisatrice et répressive a progressivement repris. La province autonome du Kosovo s'est vue dépouillée de tous ses droits. La plus grande faute politique commise a été (

« Très juste ? " sur de nombreux bancs) comme cela a été rappelé tout à l'heure, la révocation de son statut d'autonomie en 1990, alors qu'il eût fallu au contraire continuer à le faire évoluer. Ainsi, le couple formé par la Serbie et le Kosovo subit aujourd'hui la malédiction du nationalisme ethnique.

Ce nationalisme ethnique est au travail dans les deux camps. Il rend impossible toute évolution réaliste et progressive entre deux peuples historiquement interdépendants. Il pousse à l'hostilité permanente et à l'exclusion respective des populations vivant sur le terrain.

Les enchères ont monté à ce point que les Albanais du K osovo réclament aujourd'hui leur indépendance complète - ce qu'ils ne faisaient pas jusque-là - et que les Serbes sont prêts à lutter jusqu'à la mort pour conserver leurs frontières politiques qui englobent effectivement la province autonome du Kosovo.

Votre ministre des affaires étrangères, monsieur le Premier ministre, a essayé avec beaucoup de ténacité, de persévérance et d'habileté, avec son collègue britannique, de démêler cet écheveau à Rambouillet. Mais peut-être cherchait-il une solution qui, à l'heure actuelle, n'est pas encore en état d'exister ? Dans ce conflit politique entre deux nationalismes ethniques, la communauté internationale, liée par l'accord d'Helsinki, n'a pas à intervenir. Elle n'a d'enjeu ni d'un côté, ni de l'autre. Elle ne peut ni soutenir une demande d'indépendance, contraire au principe du respect des frontières en Europe, ni tolérer une politique inhumaine de discrimination et d'élimination ethnique d'une majorité par une minorité.

Les deux seuls objectifs qu'elle puisse chercher à poursuivre sont donc de mettre un terme aux violences et aux crimes contre l'humanité et d'obtenir que les interlocuteurs se mettent d'accord pour permettre au temps d'accomplir ce que leurs passions respectives interdisent aujourd'hui de réaliser, c'est-à-dire le retour à une large autonomie pour le Kosovo, ne préjugeant en rien de la lointaine solution finale, et en leur fournissant, comme vous le proposez, les moyens nécessaires pour sécuriser cette autonomie.

En conclusion, monsieur le Premier ministre, voici les deux messages que les députés de l'UDF m'ont chargé de vous délivrer.

Des frappes aériennes, oui, mais en liant strictement et formellement leur poursuite à l'abandon par Milosevic de sa politique de répression et d'exactions sur le territoire de Kosovo ; Puis la reprise de la démarche engagée à Rambouillet, mais dans la perspective mieux équilibrée d'une interdépendance de la Serbie et du Kosovo, fondée sur une large autonomie de ce dernier aussi longtemps qu'il leur faudra attendre de trouver une solution pacifique et durable au sein de l'Union européenne.

C'est cette signature de la France que nous vous demandons d'apporter, monsieur le Premier ministre, à l'action en cours, pour qu'elle soit fortement marquée par la double détermination de la fermeté et de la justice.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Hue, pour le groupe communiste.

M. Robert Hue.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues : et maintenant ? Car telle est bien la question. Après ces bombardements, comment retrouver le chemin qui mène à la paix ? Avant d'en venir à ces questions qui sont les nôtres aujourd'hui, celles que se posent avec une grande inquiétude les Françaises et les Français, vous comprendrez que je m'arrête un instant sur l'étrange situation dans laquelle se trouve notre assemblée.

Nous sommes sollicités pour donner notre avis sur l'engagement de la France dans une guerre deux jours après son déclenchement.

Je souhaite moins, ici, relever le paradoxe de cette situation que les questions qu'elle soulève sur le rôle dévolu à la représentation nationale. Il est sans précédent, je pense, que le Parlement ne soit pas consulté alors que le pays entre en guerre.

M. Pierre Lellouche.

Nous ne sommes pas en guerre !

M. Robert Hue.

C'est une décision majeure, une des plus graves, si ce n'est la plus grave, qu'un pays, qu'un peuple, ait à prendre.

M. Jean-Louis Debré.

Vous n'avez qu'à quitter le Gouvernement !

M. Robert Hue.

La participation à la guerre du Golfe, en janvier 1991, avait donné lieu à un débat solennel dans les deux chambres. Et nous avions procédé à un vote. C'est la seule procédure acceptable en démocratie, quoi qu'on pense de la décision finale. Et j'ajoute que cette procédure me semble fondamentalement fidèle à l'esprit de la Constitution de la France.

M. Jean-Louis Debré.

Oui, celle de la IIIe République !

M. Robert Hue.

Aujourd'hui, des soldats français sont engagés dans des opérations militaires et la représentation nationale est mise devant le fait accompli. Le précédent ainsi créé est grave. Est-ce à dire que de telles interventions seraient à ce point banalisées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

M. Pierre Lellouche.

Il y a eu trente interventions sur la Ve République !

M. Robert Hue.

... qu'il n'y aurait point à consulter le Parlement ? Est-ce à dire que, dorénavant, il en sera ainsi ? A ces questions, il faudra bien apporter réponse.

Je ne crois pas pour autant, bien évidemment, que le débat d'aujourd'hui soit inutile. Bien au contraire.

Le déclenchement des hostilités envers la Yougoslavie rend plus nécessaire encore la prise rapide d'initiatives politiques pour faire cesser les combats - tous les combats - et pour sortir le plus vite possible d'un engrenage dont personne, pas même les plus fervents partisans de l'usage de la force, ne nie les risques majeurs pour la paix et l'avenir de la sécurité en Europe.

Tout le monde sait que la propagande manichéenne fait partie des lois de la guerre, qui ne favorisent pas a priori une réflexion sereine.

M. Pierre Lellouche.

Vous en savez quelque chose !

M. Robert Hue.

Pourtant, dans ce moment où la violence des armes prétend couvrir la voix de ceux qui en appellent à la raison, il est plus que jamais nécessaire de rendre à l'esprit de responsabilité et à la politique la place qu'ils ne devraient jamais perdre.

Chacun ici mesure la gravité exceptionnelle de la situation engendrée par les bombardements de l'OTAN. Il ne s'agit pas d'une simple opération militaire ponctuelle dont les conséquences seraient circonscrites à cette partie des Balkans. C'est une certaine conception de l'Europe qui se joue, de sa manière de régler et de prévenir les conflits, de ses rapports avec les Etats-Unis, de son attitude face au rôle que Washington prétend faire jouer à l'OTAN dans l'avenir.

C'est l'architecture de la sécurité en Europe de l'aprèsguerre froide qui est en jeu. Chacun, en la matière, est devant ses responsabilités : chaque pays européen, chaque force politique, chaque citoyen.

Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un pays européen est bombardé sans que le Conseil de sécurité de l'ONU ne se soit prononcé, et en violation des principes de la Charte des Nations Unies, fondements de la légalité internationale.

Pour la première fois en cinquante ans d'existence, l'OTAN déclare la guerre à un pays souverain, sans autorisation de l'ONU, et sans qu'aucun de ses membres ne soit menacé. C'est un événement d'une exceptionnelle gravité.

Cette violation des règles et des normes qui sont le critère de l'appartenance à la communauté des nations civilisées deviendrait-elle la norme ? La France - et c'était tout à son honneur - s'y est toujours refusée jusqu'à présent, quand la tentation de franchir ce pas qualitatif se faisait jour. Pas aujourd'hui.

En réponse à ces interrogations, on invoque l'urgence de la risposte pour donner un coup d'arrêt à la barbarie.

On fait même appel à l'histoire pour laisser planer les oupçon de démission sur ceux qui, aujourd'hui, contestent la légitimité de cette intervention militaire. En l'occurrence, je récuse avec la plus grande vigueur ces références au passé et la prétendue justification humanitaire des frappes de l'OTAN. Les faits sont là, en effet : loin de soulager les souffrances de la population, loin de faire reculer les possibilités pour l'armée yougoslave de poursuivre la répression des Kosovars, les bombardements ont aggravé la situation.

M. Arnaud Lepercq.

L'avenir seul le dira !

M. Robert Hue.

Les communistes français n'ont cessé de porter un jugement très sévère sur le pouvoir de Belgrade, de Milosevic. Sa responsabilité est considérable, c'est évident, dans les développements dramatiques qui déchirent le Kosovo, comme dans la radicalisation violente du courant indépendantiste qui en a résulté dans cette province. Le nationalisme attise le nationalisme. La haine appelle la haine. La violence faite aux droits de l'homme ne peut qu'engendrer ressentiment et révolte.

Justement, n'était-ce pas, dès lors, la responsabilité de la communauté internationale, et en premier lieu des Européens, d'évaluer en permanence les conséquences de leurs décisions concernant les Balkans et l'ex-Yougoslavie, en fonction de ces risques ? Quelles ont été, pour les populations du Kosovo, les conséquences de l'annonce de bombardements de l'OTAN et de leur mise en oeuvre ? Sur injonction de l'OTAN, et pour permettre les bombardements, la « mission de vérification de l'OSCE » s'est retirée. S'en sont suivis, comme cela était prévisible, un déploiement accru des forces serbes, une recrudescence des déplacements forcés et de l'exode des populations avec, en fin de compte, l'aggravation de la tragédie pour tout un peuple, toutes origines confondues. Quant aux pressions nationalistes, elles s'en trouvent encore encouragées, et les témoignages ne manquent pas, depuis mercredi, d'une sorte d'union sacrée renforcée autour de Milosevic.

Sans compter les séquelles durables, et pas seulement en Yougoslavie, du sentiment d'humiliation face à ce qui sera ressenti par beaucoup comme une nouvelle démonstration de l'arrogance et de l'indignation sélective des puissants.

Enfin, quelles seront les conséquences pour l'Europe ? Pour l'Union européenne comme pour l'Europe continentale de l'Atlantique à l'Oural ? Dans la dernière période, de fait, deux conceptions se sont affrontées.

La conception américaine, à travers l'OTAN, privilégiait l'emploi de la force pour des raisons fort peu humanitaires : obtenir une action d'éclat justifiant face aux alliés européens et aux opinions publiques le maintien de l'OTAN au

XXIe siècle et la mise en oeuvre du « nouveau concept stratégique » que Washington veut imposer lors du cinquantième anniversaire de l'OTAN, le mois prochain.

Face à cette vision, les Européens, et en tout premier lieu la diplomatie française, ont, jusqu'à ces derniers jours, privilégié l'approche politique, difficile certes, très difficile, mais à terme la seule efficace. Je m'en suis publiquement réjoui. La conférence de Rambouillet a rendu possible des progrès réels. On le sait, le blocage portait sur la présence des forces de l'OTAN sur le territoire yougoslave, alors que l'accord était acquis sur le principe d'une large autonomie du Kosovo. Toutes les voies politiques pour aller vers un contrôle de l'application de l'accord, y compris par une force multinationale de maintien de la paix, étaient-elles épuisées ? Le « groupe de contact » a-t-il conçu et exprimé ses exigences de manière à emporter progressivement l'adhésion du peuple yougoslave, afin d'isoler les forces nationalistes et le pouvoir en place ? Je ne le crois pas. Et, depuis mercredi, nous ne cessons de nous éloigner de ces conditions d'une paix durable.

Telles sont les raisons pour lesquelles il faut arrêter immédiatement les bombardements. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

République.)

Chaque bombe larguée, chaque destruction, chaque victime renforce le camp des extrémistes, réduit le champ d'intervention des démocrates,...

M. Patrice Carvalho.

Tout à fait !

M. Robert Hue.

... et isole ceux qui résistent aux pouvoirs nationalistes. Je le répète, tout ce qui se passe aujourd'hui me conforte dans la conviction que ce n'est pas en ajoutant la guerre à la guerre qu'on créera les conditions de la paix.

M. Patrice Carvalho.

Absolument !

M. Robert Hue.

Au contraire, chaque geste qui ouvre la perspective d'un « vivre ensemble » possible dans la Yougoslavie, dans cette région si meurtrie de notre Europe que sont les Balkans, chaque initiative qui dessine une perspective de coopération réaliste entre les différentes composantes des populations yougoslaves par le respect des droits de l'homme, chacune de ces initiatives, dis-je, contribue à élargir le champ de l'intervention démocratique et affaiblit le pouvoir nationaliste.

Pour toutes ces raisons je déplore et désapprouve profondément - et le groupe communiste avec moi - la participation de la France à ces opérations de l'OTAN.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pierre Lellouche.

Qu'attendez-vous pour quitter le Gouvernement ?

M. Robert Hue.

Je pense qu'elles ne servent ni les populations des Balkans, ni la France, ni l'Europe.

Et maintenant, disais-je, que faire ?

M. Pierre Lellouche.

Partez !

M. Robert Hue.

Oui, chacun est devant ses responsabilités. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pierre Lellouche et M. Jean-Louis Debré.

En effet : qu'attendez-vous pour les prendre ?

M. Robert Hue.

Je considère que l'Europe se trouve enfermée dans des décisions prises ailleurs pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle se trouve aujourd'hui dans l'impasse. Elle ne s'en sortira qu'en portant un tout autre message. Le langage de la fermeté sur les droits de l'homme aura une portée d'autant plus grande qu'il s'accompagnera de la recherche obstinée de solutions politiques, qu'il respectera scrupuleusement les principes de la charte de l'ONU et qu'il donnera à une institution authentiquement européenne et non soupçonnable d'inféodation à une superpuissance hégémonique - je veux parler de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE - les moyens de devenir le garant reconnu par tous du maintien de la paix.

M. Georges Hage.

Très bien !

M. Robert Hue.

C'est dans cet esprit qu'avec la demande pressante d'un arrêt des bombardements, je réitère, monsieur le Premier ministre, ma proposition d'une conférence européenne sur les Balkans, ouverte à tous les pays européens qui accepteraient de prendre part à l'édification d'une paix durable et à la reconstruction des pays de la région, et placée sous l'égide de l'OSCE.

M. Pierre Lellouche.

Vous voyez l'avenir à l'envers !

M. Robert Hue.

Je note, de ce point de vue, avec intérêt l'idée, avancée par M. Romano Prodi, d'une conférence - « indispensable » insiste-t-il - pour réexaminer l'ensemble de la situation dans la région des Balkans.

Cela rejoint ma conviction.

Je veux insister sur ce point. Je considère les frappes de l'OTAN comme un échec de l'Europe, comme le signe de sa difficulté à affirmer son autonomie envers son allié américain et les visions manichéennes et aventureuses de la Maison Blanche en matière de sécurité et de relations internationales.

Les clivages d'aujourd'hui ne sont pas ceux de la guerre froide. Ne nous trompons pas d'époque. Les tensions d'aujourd'hui ne sont pas celles d'hier. Par contre, elles peuvent préfigurer celles de demain.

Aurons-nous la capacité, en Europe, d'apporter des réponses nouvelles, adaptées aux véritables menaces contre notre sécurité commune, qui s'appellent écarts de développement, misère, exclusion, nationalisme, extrémisme ? Saurons-nous offrir aux peuples du continent, et je pense tout particulièrement à ceux d'Europe centrale et orientale, une autre perspective que celle de l'arrogance, de rapports de puissant à dominé ? Au moment de conclure, je veux citer les phrases que Jaurès écrivait le 5 juillet 1914, sans les déformer : ...

M. Jean-Louis Debré et M. Pierre Lellouche.

La remarque s'adresse à M. Ayrault !

M. Robert Hue.

Ecoutez Jaurès : « La force brutale est arrivée à une sorte d'impasse historique. Elle ne peut plus résoudre les problèmes [...]. Elle ne peut débrouiller le choc de races, de religions, de traditions, de fanatisme qui s'agite à l'Ouest européen. Ce choc n'autait pu être débrouillé que par une grande action commune de l'Europe intervenant de toute sa force morale, non pas pour aigrir et exploiter les antagonismes, mais pour les apaiser en assurant des garanties de liberté, de sécurité, de justice et de développement à tous les éléments ethniques et religieux durement enchevêtrés. »

Et Jaurès concluait : « Le recours aux moyens de guerre a été dans les Balkans un anachronisme. Et demain aussi, toute méthode brutale sera inefficace. »

Tel est le message que, pour ma part, je souhaite que la France fasse entendre. Avec l'espoir que, demain, les

Etats européens sauront mettre autant de détermination qu'ils en ont aujourd'hui pour mettre un terme à la guerre, afin de reconstruire la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous rappelle, car vous en avez été avertis par écrit, que M. Richard sera auditionné à 15 heures par la commission de la défense nationale et des forces armées. Il s'agira d'une réunion ouverte à l'ensemble des députés.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je m'efforcerai d'être bref, car je veux être économe de votre temps.

Je n'ai pas à répéter l'argumentation que j'ai déjà développée devant vous, mais il ne serait pas digne de la qualité du débat que vous avez eu, à la suite de mon interv ention, de laisser sans écho plusieurs de vos interpellations ou suggestions.

Je vous remercie de la qualité de ce débat. Peut-être le début d'une intervention n'était-il pas tout à fait dans la tonalité générale, mais, pour l'essentiel, c'est bien à un débat de conviction, de responsabilité, c'est surtout à un débat libre que nous venons d'assister.

Sachez que j'ai trouvé vos interpellations tout à fait légitimes. Lorsque des critiques ont été exprimées, sur la forme ou la méthode, parfois sur le fond, elles m'ont


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

paru simplement être l'écho de la diversité de la représentation nationale et exprimer, face à la difficulté des questions qui sont devant nous, face à la complexité du problème que nous devons appréhender et traiter, les interrogations, les incertitudes, les craintes, mais aussi, m'a-t-il semblé, de fortes convictions.

Soyez assurés qu'à la suite de tel ou tel conseil, de telle ou telle suggestion, proposition ou indication pressante, touchant notamment aux conditions dans lesquelles l'évolution de nos décisions et de notre participation aux actions engagées justifierait un nouveau débat devant le Parlement, j'informerai précisément et directement le Président de la République.

Je ne vais pas répondre point par point, à vos interventions, mais il me semble que quatre questions essentielles en ressortent et méritent que j'y revienne : l'information du Parlement ; la légitimité de l'intervention, et notamment les rapports entre l'OTAN et l'Organisation des Nations unies ; la question de savoir si nous pouvions agir et faire, d'une certaine façon, ingérence dans un Etat souverain ; la sortie de la crise et les perspectives politiques.

En ce qui concerne l'information du Parlement, j'ai apprécié la sobriété avec laquelle Jean-Bernard Raimond a donné acte des raisons pour lesquelles je me présente si tard devant vous.

Mesdames, messieurs les députés, je vous rappelle que mardi, devant vous, j'ai indiqué clairement que la France était déterminée à prendre toute sa part à l'action militaire devenue inévitable et que cela engagerait des forces françaises comme des forces européennes. Ce faisant, j'ai désigné très clairement le processus dans lequel nous étions en train de nous engager.

J'ai également précisé que, en cas d'action militaire, le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères se tiendraient à la disposition des commissions compétentes, la commission des affaires étrangères et la commission de la défense, pour les informer aussitôt que ce serait nécessaire. J'ai ajouté que, si l'évolution de la situation le justifiait, le Gouvernement prendrait toutes les initiatives utiles en accord avec le Président pour assurer l'information rapide et complète du Parlement tout entier.

Croyez bien que, dès jeudi, nous aurions, avec l'accord du président de l'Assemblée nationale et du président du Sénat, organisé le débat qui a lieu aujourd'hui si je n'avais pas été engagé dans le sommet très important qui vient de se tenir à Berlin. Je note d'ailleurs que chacun de mes collègues premiers ministres, dont la plupart développent leur action politique dans un cadre institutionnel qui est strictement parlementaire, à la différence de notre propre régime, est resté dans ce sommet décisif. En dehors du Danemark et des Pays-Bas, où les obligations c onstitutionnelles imposaient comme préalable aux frappes une consultation solennelle des parlements, beaucoup de mes collègues iront aujourd'hui même devant leur parlement pour s'expliquer.

La question de la base juridique sur laquelle les décisions ont été prises a été posée. Je rappelle que l'article 35 de la Constitution prévoit que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». En réalité, cet article se borne à régler le régime juridique de la déclaration de guerre telle qu'elle est définie par une convention de La Haye de 1907. Au regard de cet article, des opérations militaires, décidées par le Président de la République, peuvent être engagées par le pouvoir exécutif sans l'accord du Parlement dès lors qu'une déclaration de guerre n'est pas juridiquement nécessaire.

M. Pierre Lellouche.

C'est exact !

M. le Premier ministre.

Or en droit international, toute opération militaire ou tout conflit armé ne relève pas nécessairement de la guerre déclarée. La portée pratique de l'article 35, dans la Constitution telle qu'elle est, se limite donc à l'hypothèse d'une guerre classique entre

Etats, situation dans laquelle, à l'évidence, nous ne nous trouvons pas.

M. Pierre Lellouche.

Très juste !

M. le Premier ministre.

Néanmoins, et ce concours de circonstances un peu malheureux qui m'a retenu loin de vous me conduit à y insister davantage, je ne suis pas convaincu qu'en matière d'informations et d'échanges entre le Gouvernement et la représentation nationale la situation soit satisfaisante.

Certes, le Président peut s'exprimer par des messages il l'a fait récemment sur un autre sujet. Il s'exprime naturellement à l'intention de la nation, et il l'a fait le jour même où les frappes ont été déclenchées. Mais je ne pense pas qu'on puisse se satisfaire pleinement de l'état des échanges et des relations entre le Gouvernement et la représentation nationale.

En ce qui concerne l'information sur les opérations extérieures, la commission de la défense et son président ont des propositions. Le dialogue s'est noué avec le ministre de la défense. Pour ma part, je vais, avec les membres du Gouvernement et en contact avec le Président, examiner, dans les heures et les jours qui viennent, comment, dans cette période de crise, nous pouvons effectivement faire en sorte que les relations entre le Gouvernement et la représentation nationale soient clairement organisées. Je m'interroge pour savoir s'il faut leur donner, comme cela fut fait pendant la guerre du Golfe, une forme très, ou trop tôt institutionnalisée. Ne ferions-nous pas alors passer le message que nous sommes installés dans une situation durable ? Notre volonté politique - mais je ne veux pas anticiper sur mes derniers propos - n'est-elle pas, au contraire, de faire en sorte que cette situation de recours à la force soit, si c'est possible, transitoire ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Nous nous efforcerons, monsieur le président, mesdames, messieurs les présidents des commissions compétentes, d'améliorer la qualité de l'information et de l'échange. Nous ferons des propositions en ce sens, tout en étant ouverts aux vôtres.

La deuxième question qui a été posée avait trait à la légitimité de l'intervention qui vient de se produire.

M. Jean-Marc Ayrault a soulevé à ce sujet un certain nombre d'éléments pertinents.

Je ne reviendrai pas sur l'argumentation juridique que j'ai exposée dans mon intervention initiale en faisant mention des résolutions du Conseil de sécurité auxquelles nous nous étions référés. Je dirai cependant quelques mots succincts, car cela renvoie à un débat très important qui se développera dans les mois qui viennent, sur lesr elations entre l'Organisation des Nations unies et l'OTAN.

Au sommet de Washington, à la fin du mois d'avril, nous célébrerons le cinquantième anniversaire de l'OTANe t nous saluerons la présence de trois nouveaux membres : la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

Le débat sur la révision du concept stratégique de l'OTAN, auquel la France participe activement, sera notamment l'occasion pour nous de préciser, de confirmer l'idée que nous nous faisons des rôles respectifs de l'OTAN et de l'ONU.

La charte reconnaît le rôle des organisations régionales, comme M. Kofi Annan l'a rappelé lui-même mercredi.

Nous considérons que c'est dans le cadre général de dévolution de missions à une organisation régionale que l'OTAN place ses interventions. Le traité de l'Atlantique nord fait d'ailleurs référence aux dispositions pertinentes de la charte.

Les autorités françaises considèrent donc qu'il est essentiel de préserver les compétences des Nations unies en matière de maintien de la paix et tient l'OTAN pour une alliance à caractère militaire sans caractère politique global. C'est conformément à cette position que, dans les situations d'urgence, notamment dans les situations de risques de drame humanitaire majeur, et sans remettre en cause les principes généraux que j'ai rappelés à l'instant et qui seront l'objet de débats difficiles dans la préparation du sommet de Washington, l'intervention de l'OTAN peut, en l'espèce, être à nos yeux légitime.

L'affirmation de principe ne doit pas conduire à l'impuissance, et le Président Valéry Giscard d'Estaing a eu à cet égard des paroles fortes.

La troisième question qui a été posée portait sur ce qu'on pourrait appeler une sorte de droit à l'ingérence.

La République fédérale de Yougoslavie est un Etat souverain qui, aujourd'hui, ne menace pas un autre Etat.

Dans cette situation, au nom de quoi pouvons-nous intervenir ? Je crois que les choix sont clairs. Ou nous considérons qu'il peut y avoir sur le continent européen, à la fin de ce siècle, des zones de non-droit, des zones où la barbarie, comme je le disais tout à l'heure, peut s'installer, des zones où la répression massive, la purification ethnique, l'élimination des oppositions, le règlement des différends par la violence peuvent se développer et s'épanouir sans que nous y portions remède, sans que nous nous engagions ; ou bien, alors, nous devons considérer que, dans le continent européen tel qu'il est, dans ce continent réunifié et qui marche vers la démocratie, il est de notre devoir - par la force quand elle est au service du droit et qu'il s'agit de faire reculer la violence, par des messages adressés à ces pays ou à ces forces violentes pour leur faire valoir qu'il existe pour eux un autre destin, une autre perspective, un autre chemin s'ils veulent rejoindre le continent européen démocratique -, d'intervenir dans des situations extrêmes car nous avons le devoir de peser sur le cours des choses. C'est cela qui fonde notre décision.

A cet égard, je ne suis pas sûr de pouvoir partager l'argument selon lequel, faute d'intervenir militairement partout, il serait interdit d'intervenir militairement dans une crise donnée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Lellouche.

Certes !

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Quant à la force d'interposition dont a parlé la même députée, j'en partage naturellement la perspective. Toute la démarche politique et militaire de Rambouillet, avec son volet de sécurité, consistait justement à pousser à la mise en place, sur la base d'un accord politique entre les parties, d'une force d'interposition, qui ne se serait certainement pas composée de vérificateurs des armées de l'OSCE mais qui aurait été fondée sur des moyens militaires capables de s'interposer entre les forces violentes. C'est cette perspective qui a été refusée par M. Milosevic. Les interventions d'aujourd'hui sont faites, si cela est possible, pour essayer de revenir à cette perspective que nous avons en commun.

J'en viens à la dernière question sur laquelle je voulais dire quelques mots : elle concerne la sortie de crise.

J'ai bien noté le lien qu'établissait le Président Giscard d'Estaing entre l'utilisation des frappes aériennes et les interventions massives de répression sur le terrain. Nul doute que nous ne prenions en compte ses suggestions.

Mesdames, messieurs les députés, nous savons bien que l'utilisation de la force n'est pas une fin en soi, et plusieurs d'entre vous l'ont dit. L'objectif de la France, comme celui de ses partenaires du groupe de contact et des alliés, n'a pas varié : mettre en place un statut intérimaire d'autonomie pour le Kosovo dans le cadre des frontières de la République fédérale de Yougoslavie, et cela garanti par une présence internationale civile et militaire.

Seuls les moyens ont varié.

Après quinze mois de tentatives diplomatiques, qui ont dû cesser en raison de l'obstination serbe à refuser tout compromis, et compte tenu de l'urgence, il fallait agir. Je l'ai dit, nous continuons à vouloir un Kosovo pacifié où Serbes et Kosovars puissent coexister ensemble dans le respect d'autres minorités et où le développement économique et la démocratie succéderaient aux conflits et aux régimes autoritaires. Nous sommes donc disponibles pour toute initiative qui permettrait d'atteindre ces objectifs et nous sommes favorables au maintien du rôle et de l'action du groupe de contact. Certaines initiatives ont été prises par la Russie. Nous ne sommes pas hostiles à la perspective de telles rencontres si, naturellement, les conditions peuvent en être remplies.

Une autre proposition a été faite : une conférence sur les Balkans. La France, en tout cas son gouvernement, est prête à envisager toute initiative qui permettrait de se rapprocher de l'objectif qu'elle poursuit depuis des mois : la mise en place d'un statut intérimaire pour le Kosovo, l'autonomie politique et le choix d'un processus pacifique de règlement des conflits.

L'idée d'une conférence de paix sur les Balkans, à laquelle le futur président de la Commission, proposé par les chefs d'Etat et de gouvernement avant-hier à Berlin, vient de faire référence, est l'une des initiatives envisageables. La France est prête à l'évoquer avec ses partenaires. Mais là encore, il appartient à M. Milosevic de faire les gestes qui rendraient un tel processus digne de sens. Car quel que soit le choix opéré, qu'il s'agisse d'un retour à la table de négociation de Rambouillet ou d'une conférence comme celle que vous proposez, madame, messieurs les députés, il se posera à un moment une question cruciale : les dirigeants serbes, M. Milosevic, sont-ils prêts à entrer dans un processus de dialogue ? Le cadre est neutre, mais c'est l'intention des protagonistes qui est en cause.

Nous avions épuisé les moyens de la négociation diplomatique au cours de ces derniers jours.

On juge d'une politique, celle que nous suivons aujourd'hui, en examinant celle qui s'offre en alternative.

Y en a-t-il une ? La réponse n'est-elle pas que cette politique est justement celle que nous conduisions à l'initiative de la France et de la diplomatie française, appuyée par nos amis britanniques et les membres du groupe de contact, pour conduire à un processus d'accord politique


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 26 MARS 1999

permettant le recours à une force d'interposition civile et militaire, dont on pouvait discuter la nature mais qui aurait permis de séparer les belligérants ? Ainsi donc, cette politiquealternative, nous l'avons essayée. Il fallait une intervention directe d'une autre nature pour changer une donne qui était totalement figée.

De la même manière, nous ne pouvions pas laisser se préparer, sur la base d'une mobilisation massive de m oyens militaires, l'écrasement des populations au Kosovo, et pas simplement celui des milices de l'UCK.

J'en viens à ma conclusion, essayant de tenir l'engagement que j'ai pris d'être bref.

Je voudrais que vous soyez bien conscients - et je pense que ceux qui ont suivi la façon dont la diplomatie française s'est engagée dans cette affaire et dont le Président de la République et le Gouvernement se sont exprimés et ont agi le sont - que nous n'avons pas pris la décision que nous avons prise avec des partenaires européens parce qu'on nous y a entraînés. Nous ne l'avons pas prise par suivisme. Nous l'avons prise, cette fois, très clairement, de façon délibérée et pesée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Le choix était effectivement entre l'impuissance et la résignation, l'impunité et la violence triomphante, d'un côté, et le risque, de l'autre. Nous avons, par les démarches engagées, et par les décisions d'engagement de nos forces, pris des risques.

Mais nous entendons bien maîtriser le processus dans lequel nous sommes engagés, et j'ai entendu là aussi un certain nombre de suggestions.

Nous avons bien l'intention de maîtriser ce processus sur le plan militaire, et nous avons bien l'intention de nous efforcer de lui rechercher à nouveau une issue politique.

Vous avez, monsieur le député, évoqué Jaurès et la force brutale. Il est clair, si l'on regarde les choses avec honnêteté, que la force brutale est du côté des dirigeants de la Serbie. Ce que nous nous efforçons de faire pour dégager la perspective d'une issue politique, c'est d'utiliser tout simplement la force maîtrisée, intelligente, si possible au service du droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).

M. le président.

Le débat est clos.

2 DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président.

J'ai reçu, le 26 mars 1999, de M. Alain Néri, un rapport d'information, no 1499, déposé en application de l'article 145 du règlement par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la loi relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Mardi 30 mars 1999, à dix heures trente, première séance publique : Questions orales sans débat ; Fixation de l'ordre du jour.

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ; Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, no 1479, relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité ; M. Jean-Pierre Michel, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1482), M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 1483).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures quarante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution Transmission

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, le texte suivant : Communication du 25 mars 1999 No E 1236. - Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne la possibilité d'appliquer à titre expérimental un taux de TVA réduit sur les services à forte intensité de main-d'oeuvre (COM [99] 62 FINAL).

Notification d'adoptions définitives Il résulte de lettres de M. le Premier ministre qu'ont été adoptés définitivement par les instances communautaires les textes suivants : Communication du 25 mars 1999 No E 782. - Proposition de directive du Conseil CE relative à la réduction des émissions de composés organiques volatils dues à l'utilisation de solvants organiques dans certaines activités industrielles (décision du Conseil du 11 mars 1999) (COM [96] 538 FR).

No E 1133. - Communication de la Commission. Adapter et promouvoir le dialogue social au niveau communautaire. Projet de décision du Conseil modifiant la décision 70/532/CEE portant création du comité permanent de l'emploi dans les C ommunautés européennes (décisions du Conseil du 9 mars 1999) (COM [98] 322 FINAL).

No E 1223. - Décharge à donner à la Commission sur l'exécution du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1997 (décision du Conseil du 15 mars 1999) (COM [1999]).