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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

1. Questions au Gouvernement (p. 3285).

M. le président.

KOSOVO (p. 3285)

MM. Jack Lang, René André, Renaud Donnedieu de Vabres, Denis Jacquat, Alain Bocquet, Jean Pontier.

M. le président.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

2. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire étrangère (p. 3290).

3. Questions au Gouvernement (suite) (p. 3290).

RAPPROCHEMENT RENAULT-NISSAN (p. 3290)

MM. Paul Dhaille, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

PRIME D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (p. 3291)

M. Philippe Duron, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

VIOLENCE ET SPORT EN SEINE-SAINT-DENIS (p. 3292)

M. Robert Pandraud, Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

VIANDE BOVINE AMÉRICAINE (p. 3293)

MM. André Angot, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

4. Eloge funèbre de Michel Péricard (p. 3293).

MM. le président, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance (p. 3295)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

5. Cour pénale internationale. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 3295).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 3302)

MM. Guy Hascoët, François Goulard, Louis Mermaz, Jean-Luc Warsmann, François Asensi.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

M.

Arthur Paecht, Mme Annette Peulvast-Bergeal,

M.

Richard Cazenave.

Clôture de la discussion générale.

Mme la garde des sceaux.

Article unique (p. 3313)

M. Jacques Myard.

Adoption de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

6. Aménagement du territoire. - Communication relative à l a désignation d'une commission mixte paritaire (p. 3314).

7. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3314).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous indique dès à présent que la séance ne sera pas suspendue à la fin des questions au Gouvernement car je prononcerai immédiatement l'éloge funèbre de Michel Péricard.

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Le déroulement de notre séance de questions ne sera pas tout à fait ce qu'il est habituellement. En effet, conformément à la décision prise ce matin en conférence des présidents et eu égard à la gravité du sujet, je donnerai la parole successivement à un orateur de chaque groupe pour poser une question sur la situation au Kosovo.

J'inviterai ensuite M. le Premier ministre à leur apporter une réponse globale.

Nous reprendrons ensuite, compte tenu du temps restant disponible, le cours normal de la séance.

KOSOVO

M. le président.

La parole est à M. Jack Lang, pour le groupe socialiste.

M. Jack Lang.

Monsieur le Premier ministre, au treizième jour des opérations militaires, l'Assemblée nationale souhaite connaître votre appréciation sur la situation militaire, politique, diplomatique et humanitaire.

Chacun peut constater la résolution exemplaire dont vous faites preuve avec le Président de la République. La stratégie choisie par la France et ses alliés bénéficie, vous le savez, du soutien de mon groupe et d'une large majorité de la commission que j'ai l'honneur de présider.

Cette stratégie clairement définie n'a d'autre but que de mettre en échec la politique de nettoyage ethnique engagée depuis déjà dix ans par Milosevic et de permettre aux Kosovars de revenir sur leurs terres et d'y vivre en paix et en sécurité.

Notre unique ambition est donc de servir le droit et la justice. A cet égard, il serait bon qu'en permanence notre action soit reliée à sa perspective politique et à un espoir de sortie de crise.

Comment réagissez-vous, monsieur le Premier ministre, au plan présenté par le président de la commission de la défense de l'Assemblée et qui consiste à obtenir, notamment avec l'aide de la Russie, une résolution du Conseil de sécurité créant une zone humanitaire protégée sur le territoire du Kosovo ? Sur le front humanitaire, on attend de notre pays et des pays européens une même détermination et un même sang-froid. Rappelons à ceux qui pourraient avoir la mémoire courte que Milosevic a organisé méthodiquement et cruellement l'exode massif des Kosovars. Hier, Vukovar, Sarajevo et Srebrenica, aujourd'hui des centaines de milliers de Kosovars fuyant les atrocités planifiées de forces serbes : des femmes enlevées, des vieillards brûlés dans leur maison, des infirmes brutalisés, des réfugiés battus et volés.

Nous pensons aussi à l'Albanie et à la Macédoine, confrontées à un véritable séisme humanitaire.

Une question se pose depuis quelques heures, à la suite de la proposition de la présidence allemande de l'Union européenne et de quelques autres pays : faut-il organiser, comme l'ont proposé certaines nations, l'expatriation des réfugiés kosovars vers des pays d'Occident, au risque de faire involontairement le jeu de Milosevic, ou faut-il au contraire concentrer nos moyens et nos efforts sur une action humanitaire sur place afin de mettre le plus rapidement possible un terme au calvaire qu'endurent ces réfugiés ? Si nous voulons arracher à la mort et aux souffrances les centaines de milliers de réfugiés qui se trouvent aux frontières, nous devons alors accorder une priorité absolue à leur sauvegarde sur place.

Indépendamment de ce plan prioritaire de sauvegarde humanitaire sur place, de nombreux collègues seraient attachés à ce que notre pays ne ferme pas ses portes - ce n'est pas le cas - aux Kosovars qui souhaiteraient y bénéficier de l'asile territorial ou du statut de réfugié. Nous sommes dans cet hémicyle un certain nombre d'élus locaux à avoir déjà pris des dispositions en ce sens, ce que vous avez d'ailleurs évoqué dimanche soir.

Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, indiquer à l'Assemblée nationale dans quelles conditions juridiques et matérielles l'accueil de Kosovars pourrait être facilité dans notre pays ? Pourriez-vous également nous indiquer ce que les autorités françaises ont décidé d'entreprendre afin, de manière plus générale, d'améliorer les conditions de vie des Kosavars sur les routes de l'exode ? Quels moyens seront mis à la disposition des organisations humanitaires, notamment du Haut commissariat aux réfugiés ? Combien d'hôpitaux, de dispensaires, de centres d'hébergement pour les enfants, d'installations sanitaires de citernes d'eau seront mis en place dans les prochains jours ? Enfin, notre action sur place sera d'autant plus efficace qu'elle s'intégrera dans un véritable plan de reconstruction économique des pays riverains, notamment l'Albanie et la Macédoine, qui se sentiraient alors parties prenantes de ce combat humanitaire. Quelles sont les propositions concrètes que la France et l'Union européenne envisagent de présenter à ces deux pays pour que la lourde charge qui pèse sur eux ne compromette par leur développement économique ? Sur ce point, comme sur plusieurs autres, on attend évidemment de notre pays un comportement exemplaire.

Nous comptons beaucoup sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

M. le président.

La parole est à M. René André, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. René André.

Revenant de Blace et de Tirana, où j'accompagnais M. le ministre délégué à la coopération, je voudrais rendre un hommage, apporter un témoignage et poser quelques questions.

Je voudrais d'abord rendre hommage à notre armée qui, à Skopje, alors que l'environnement ne lui est pas favorable, fait face d'une manière absolument admirable aux urgences auxquelles elle est confrontée, et tout d'abord celle d'apporter les premiers secours aux réfugiés.

J'apporterai ensuite un témoignage. Avec M. le ministre délégué à la coopération, j'ai visité un certain nombre de camps de réfugiés en Albanie. J'ai, en sa compagnie, visité le camp de Blace à la frontière macédonienne. Mes chers collègues, je puis vous dire que l'image que j'en garde marquera à tout jamais ma mémoire.

La première chose qui m'a frappé, c'est ce train en arrière-fond de la vallée, ce train qui rappelle irrésistiblement le train qui transportait les déportés. C'est ensuite le bruit de fond, le murmure qui s'élève de cette vallée et qui vous fait irrésistiblement penser à un camp de concentration où rien ne serait organisé, ou à je ne sais quel cloaque où les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards sont abandonnés, entourés de quelques militaires, sans aucun secours. L'image que je conserverai, c'est celle de la présence de ces vingt mille personnes dans la vallée et, nous disait-on, de la file de quinze kilomètres des réfugiés au-delà de la frontière macédonienne, en territoire serbe. L'image que je conserverai, c'est le regard de ces enfants, le regard de ces vieillards, la détresse absolue de ces femmes et les yeux rougis des quelques hommes présents - ils n'étaient pas très nombreux - qui appelaient au secours. Mais ce qui m'a frappé par-dessus tout, c'est l'extrême dignité des personnes déportées.

Tel est le témoignage que je voulais apporter de ce que j'ai vu le week-end dernier, tout en soulignant la profonde détresse et le total dénuement de ces personnes.

Quant à mes questions, elle seront simples, monsieur le Premier ministre.

Que va faire la France, que fait la France pour venir en aide immédiatement à ces personnes déportées ? Que va entreprendre la France, dans le respect des fragiles équilibres de ces régions - j'insiste sur ce point -, pour permettre à ces personnes d'être aidées, d'être soignées et de retourner le plus rapidement possible chez elles, car c'est à cela qu'elles aspirent ? En permettant aux populations de rentrer chez elles, la France infligerait un démenti sévère, définitif, à Milosevic qui s'est livré et qui continue de se livrer à l'épuration ethnique. Ce serait aussi l'un des meilleurs moyens de le contredire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Monsieur le Premier ministre, notre débat d'aujourd'hui est nécessaire car notre peuple a, comme notre armée, besoin de clarté.

Notre pays se trouve confronté à un triple devoir, et tout d'abord à un devoir d'action humanitaire immédiate, sur place, là où se trouvent les réfugiés, pour leur garantir le droit à la vie.

Quels sont les actions, les échéances, le calendrier, les moyens militaires, civils et humanitaires par lesquels vous comptez atteindre dans l'immédiat cet objectif humanitaire ? Le deuxième devoir, que nous devons réaffirmer, est celui du retour des Kosovars sur le territoire du Kosovo.

Nous devons garantir ce droit au retour, ce qui implique d'intervenir dans le cadre des Nations unies pour faire du Kosovo une zone de sécurité protégée.

Cela soulève trois questions : où en sont, à ce sujet, les discussions à l'ONU ? La Chine et la Russie peuvent-elles refuser la création d'une zone de sécurité au Kosovo ? Une fois la décision prise, quel serait le calendrier nécessaire pour l'action militaire ? Se contenter d'accueillir les populations dans nos payss erait donner une victoire politique inacceptable à

M. Milosevic.

Le troisième devoir est un devoir d'unité politique, tant gouvernementale qu'européenne, aussi nécessaires l'une que l'autre.

L'heure n'est pas à la philosophie : l'heure est à l'unité d'action.

Quand et comment obtiendrez-vous une position européenne claire et forte dans cette nouvelle étape ? Nous savons que c'est sur les épaules des Européens, c'est-à-dire sur celles de nos soldats, et pas sur celles des soldats américains, que repose la responsabilité des actions à venir.

Sur tous ces sujets, monsieur le Premier ministre, envisagez-vous un nouveau débat d'ensemble qui nous réunisse tous, au-delà des réunions prévues et organisées des commissions, et qui permette évidemment un échange très approfondi ? Cette clarté qu'attendent l'opinion et nos militaires, c'est le soutien élémentaire que nous leur devons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Denis Jacquat.

Monsieur le Premier ministre, deux semaines après le déclenchement des frappes aériennes, il apparaît de plus en plus nettement que la France et ses partenaires de l'OTAN ont commis une erreur d'appréciation. Avant même les bombardements, tout le monde savait que Milosevic avait concentré depuis plusieurs semaines des troupes à la frontière du Kosovo et qu'il n'attendait que le prétexte des frappes de l'OTAN pour agir à grande échelle. Aujourd'hui, la communauté internationale doit faire face à un péril humanitaire, que l'Europe n'avait plus connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous l'absence d'anticipation d'actions humanitaires pour venir en aide aux dizaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes ? Comment expliquez-vous que la communauté internationale ait mis près de deux semaines pour mettre en oeuvre une logistique humanitaire appropriée ? Faute d'avoir pu anticiper la catastrophe humanitaire à laquelle nous devons faire face, la France ne peut pas fermer les yeux devant les conditions de vie inhumaines des réfugiés kosovars.

Cette catastrophe suscite deux autres questions : Premièrement, quelle action le Gouvernement français va-t-il engager pour demander aux autorités macédoniennes de lever les blocages administratifs qui retardent


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

toute aide humanitaire locale ? En effet, il est urgent d'améliorer les conditions de vie dans les camps et il est inacceptable que le matériel, les médicaments, la nourriture restent bloqués à l'aéroport de Skopje.

Deuxièmement, que compte faire le Gouvernement français pour venir en aide aux adultes et aux enfants les plus fragiles qui, pour le moment, ne peuvent être soignés sur place ? Il y a une obligation morale d'accueil humanitaire et provisoire de ces personnes. Monsieur le Premier ministre, la France a une tradition en ce domaine.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe communiste.

M. Alain Bocquet.

Monsieur le Premier ministre, les images, les témoignages de ce qui se passe dans les Balkans sont chaque jour de plus en plus insoutenables : les vieillards, les femmes, les enfants qu'on chasse, qu'on brutalise, qu'on sépare, qu'on tue. Rien n'a servi d'ajouter la guerre à la guerre, la haine à la haine ! Il faut arrêter cette escalade meurtrière et folle.

Aucun signal ne doit encourager le dictateur Milosevic dans son oeuvre destructrice ni lui permettre d'atteindre son objectif : vider le Kosovo de sa population.

Les bombardements répétés de l'OTAN sont pour lui - c'était dès le début notre crainte - un alibi de taille, dont il use et abuse.

L'urgence humanitaire s'impose. La France doit faire son devoir. Elle doit être au premier rang de la solidarité pour ces centaines de milliers d'êtres humains bafoués qui vivent un véritable calvaire. Certes, on ne peut accepter le principe de déportations organisées de populations, mais il faut aider pleinement et écouter les réfugiés ; il faut écouter les organisations humanitaires quant à la destination de ces personnes et faciliter la mission de ces organisations.

La position de la France va devenir intenable si celle-ci continue de s'engager dans la logique de guerre. D'autant que les véritables mobiles apparaissent de plus en plus clairement. L'OTAN, commanditée par les dirigeants américains, installe un foyer de guerre durable en Europe,...

M. Lucien Degauchy.

N'importe quoi !

M. Alain Bocquet.

... dans la région des Balkans dont l'histoire nous a appris tous les risques. Il est grand temps de s'affranchir de cette tutelle américaine cynique et dangereuse.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

N'importe quoi !

M. Alain Bocquet.

L'engagement massif de troupes au sol dans un conflit qui ne pourrait être que long et meurtrier ne manquerait pas d'exacerber tous les nationalismes et toutes les instabilités pour des décennies.

Des opinions très diverses s'expriment à propos de ce conflit. Quoi de plus normal ? Chacun pense et parle avec sa conscience et ses convictions. Quand la situation est aussi dramatique et grave. il n'est vraiment pas de mise de sombrer dans la médiocrité politicienne francofrançaise.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Ça alors !

M. Alain Bocquet.

La hauteur de vue et le respect mutuel s'imposent. Nous sommes, nous, députés communistes, on le sait, attachés de toutes nos fibres aux idéaux de paix.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Sylvia Bassot.

Et le goulag ?

M. Patrick Devedjian.

Milosevic est pourtant un produit de votre idéologie !

M. le président.

Laissez poursuivre l'orateur, je vous prie.

M. Alain Bocquet.

Nous sommes, en même temps, responsables et avons une trop grande idée des valeurs humaines pour nous laisser aller à quelque polémique que ce soit.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

Devant cette situation très complexe, nous nous voulons résolument force de proposition. Ce qui nous anime p rofondément c'est la volonté d'aider, pour notre modeste part, à trouver une issue politique, pacifique et humaine à ce conflit.

Il est plus que jamais urgent de créer, comme nous le proposons depuis le début du conflit, les conditions permettant le déploiement d'une force européenne d'interposition sous l'égide de l'ONU afin de protéger les populations.

Notre pays a la possibilité de demander une réunion rapide du Conseil de sécurité et de proposer le vote d'une résolution instituant une zone humanitaire protégée sur l'ensemble du Kosovo dont la mise en place se conjuguerait avec l'arrêt des frappes aériennes et le désarmement des belligérants, permettant ainsi le retour des réfugiés.

Une conférence européenne sur les Balkans réunissant, sous l'égide de l'OSCE, l'ensemble des Etats et parties concernés, pourrait alors être mise sur pied. De très nombreuses voix s'expriment dans ce sens tant en France qu'en Europe ou dans le monde.

Monsieur le Premier ministre, le temps presse. Les tout prochains jours peuvent marquer un tournant réellement décisif du conflit. Si la fuite en avant devait prévaloir, cela serait très grave et très dangereux pour l'avenir. Mais la France, en coopération avec ses partenaires européens, doit relancer ces démarches pour favoriser une issue durable, qui ne peut être que politique. Quelles initiatives entend prendre le Gouvernement dans cette perspective ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier, pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Jean Pontier.

La France est en guerre et les députés radicaux de gauche, au nom desquels je m'exprime, soutiennent sans ambiguïté le Gouvernement dans cette période difficile pour la nation.

La guerre au coeur de l'Europe, telle qu'elle se déroule sous nos yeux, n'a pas d'autres objectifs que d'anéantir le dictateur Milosevic qui s'est engagé dans une véritable opération d'épuration ethnique, cyniquement programmée depuis plusieurs mois. Cet homme sanguinaire ne reculera devant rien. Aucun sacrifice humain ne l'arrêtera.

Voilà pourquoi des opérations militaires, auxquelles participe la France, ont été engagées sous le contrôle de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Le Gouvernement a fait récemment une déclaration devant notre assemblée. La procédure quelque peu solennelle d'aujourd'hui montre, s'il en était besoin, que la représentation nationale doit régulièrement être informée par le Gouvernement afin de pouvoir s'exprimer sur ce conflit. C'est pourquoi le groupe Radical, Citoyen et Vert souhaite que l'Assemblée nationale puisse être réunie et informée de l'évolution de la situation au cours des deux semaines à venir, et cela malgré les vacances parlementaires. Personne ne comprendrait en effet que les députés soient en congé durant de tels événements.

Les députés radicaux de gauche se reconnaissent tout à fait dans la décision prise par la France le week-end dernier de ne pas participer à l'accueil en masse des réfugiés kosovars qui, si cruellement traités soient-ils, doivent être avant tout aidés et accompagnés à regagner leur territoire.

Toutefois, il est des situations dramatiques qui ne peuvent être ignorées. C'est pourquoi la France se doit de prendre, sur le plan humanitaire, toutes les initiatives, tant au niveau européen que dans le cadre de l'ONU, qui permettent la mise en place de procédures d'urgence suffisamment fortes en direction des plus menacés dans leur vie, qui, eux, doivent être accueillis.

Sur le plan militaire, tout le monde craint que l'on n'en arrive inéluctablement à une intervention terrestre des forces de l'OTAN sur le territoire de la Yougoslavie.

E xiste-t-il d'autres solutions ? Ne peut-on envisager l'envoi de casques bleus, véritable force d'interposition, pour organiser, encadrer et assurer le retour et la sécurité de populations injustement déportées comme aux plus sombres heures de notre histoire récente ? Cette guerre peut-elle se limiter à la seule destruction des infrastructures sur lesquelles s'appuie Milosevic ? Pouvons-nous envisager sérieusement de devoir négocier à nouveau avec ce sinistre personnage ? Monsieur le Premier ministre, l'heure est grave. Pour la première fois depuis longtemps, la France est en guerre au coeur de l'Europe. Ce conflit risque de déstabiliser l'édifice de la construction européenne. Quelles mesures la France compte-t-elle prendre pour parvenir enfin à la constitution d'une armée européenne qui nous fait si cruellement défaut aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Avant de donner la parole à M. le Premier ministre, je voudrais d'abord le remercier de l'initiative commune qui a été prise sous la forme que nous connaissons actuellement.

S'agissant de la question soulevée par M. Pontier, je vais étudier avec les présidents de groupe la meilleure procédure à retenir, en liaison avec le Gouvernement, pour que nous soyons bien informés pendant les deux semaines qui viennent.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le pré-s ident, mesdames, messieurs les députés, j'apprécie comme un geste symbolique et utile le fait qu'à la suite d'une décision prise ce matin par la conférence des présidents vous ayez décidé de poser ensemble vos questions.

Chacun, naturellement, l'a fait en fonction de ses analyses et de sa sensibilité, même si j'ai noté de fortes convergences. En tout cas, cela me permet, comme je m'y étais engagé, de continuer à informer le Parlement sur l'évolution de la situation au Kosovo, et de le faire de façon globale.

Je recevrai d'ailleurs demain, en fin de journée, les présidents des commissions de la défense nationale et des affaires étrangères et les présidents des groupes parlementaires des deux assemblées. Quant aux ministres des affaires étrangères et de la défense, ils s'expriment dès aujourd'hui devant les commissions parlementaires.

L'un d'entre vous m'a interrogé - vous venez d'y faire allusion, monsieur le président, - sur les modalités d'information pendant les deux semaines d'avril où le Parlement, normalement, ne doit pas siéger. Je vous confirme que le Gouvernement est à la disposition de la représentation nationale pour examiner, pendant cette période, les moyens de poursuivre le dialogue et l'échange.

P our l'appréciation de cette crise dramatique au Kosovo, je voudrais d'abord dresser le tableau de la situation militaire et rappeler les objectifs et les fondements de notre intervention. Je voudrais ensuite évoquer la situation humaine dramatique qui s'est développée sur place et la façon dont nous y faisons face. Je voudrais enfin souligner la nécessité de rechercher une solution politique à la crise du Kosovo.

Notre engagement aux côtés de nos alliés, dans des opérations militaires en Serbie, vise depuis le début, vous le savez, à « casser » l'appareil militaire et répressif serbe, et à imposer une issue diplomatique et politique que M. Milosevic refuse obstinément depuis des mois. Nous nous y employons, depuis près de deux semaines, en mettant en oeuvre les moyens aériens des forces alliées pour frapper des objectifs bien sélectionnés. Et nous veillons, le Président de la République et moi-même, à strictement contrôler, au niveau politique, les phases des opérations et la nature des cibles.

Certains disent que ce processus est lent. Il l'est, c'est vrai, face aux souffrances. Mais je rappelle qu'au-delà des aléas météorologiques, nous avons eu le souci constant, et nous le gardons, de limiter au maximum les pertes civiles et les risques pris par nos pilotes. C'est ainsi que les coups ont d'abord été portés aux dispositifs fixes de commandement et de défense aérienne serbe. Ce préalable était militairement indispensable. Ils ont ensuite progressivement visé les forces militaires et de police engagées dans la répression au Kosovo. C'est désormais sur cet objectif que nous concentrons le maximum de nos efforts.

Devant l'obstination serbe et l'ampleur des exactions commises au Kosovo, nous avons, depuis soixante-douze heures, intensifié les frappes et détruit de nombreux objectifs d'importance stratégique. Dans les prochains jours, la destruction des forces de répression ainsi que des centres névralgiques qui les soutiennent sera poursuivie.

Les engagements héliportés de notre allié américain, qui devraient survenir prochainement, s'inscrivent dans une logique d'intensification et de diversification de l'action militaire. Il s'agit là, sans changer le cadre général de notre action, de contrer par de nouveaux moyens les forces militaires et paramilitaires serbes en action au Kosovo. Nous y sommes résolus.

De quoi s'agit-il en effet ? Les autorités serbes, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Milosevic, n'ont jamais accepté que les Kosovars soient pleinement citoyens de la République fédérale yougoslave. Elles n'ont jamais accepté le retour à un statut d'autonomie qu'elles avaient ellesmêmes supprimé en 1989. Par la répression policière et l'intimidation politique, M. Milosevic a fait des Kosovars des citoyens de seconde zone dans leur propre pays et, par là même, a poussé à un mouvement continu des Kosovars vers l'extérieur du pays.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Face à cette situation, les pays du groupe de contact, dont la Russie, ont constamment recherché une issue politique. Dès la fin des discussions de Rambouillet, et avant même que les négociateurs ne se retrouvent à Paris, le pouvoir serbe a remilitarisé la région. Son objectif est de vider le Kosovo de toute sa population non serbe. Ses forces militaires et paramilitaires, ses milices recourent à toutes les formes de violence : déportations massives, arrestations arbitraires, exécutions sommaires, destruction systématique des villages, du cadastre et de l'état civil kosovar.

Ces violations massives et volontaires des droits de l'homme, ces pratiques d'un autre âge qui nous renvoient aux pires heures de l'histoire de l'Europe, justifient à elles seules que tout soit mis en oeuvre pour les arrêter. Les auteurs de ces crimes contre l'humanité doivent savoir q u'ils n'échapperont pas à la justice internationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.) Le tribunal pénal international a déjà engagé des procédures en application des résolutions du Conseil de sécurité. Cela s'inscrit dans le développement constant de la justice pénale internationale, dont une nouvelle étape sera franchie dans votre hémicycle, aujourd'hui même coïncidence historique tragique, mais significative -, avec l'examen de la révision constitutionnelle nécessaire à l'établissement d'une Cour pénale internationale à compétence générale.

C'est au nom des valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme qui, depuis cinquante ans, assurent à nos peuples la stabilité et auxquelles adhèrent désormais les autres pays d'Europe, à l'exception du régime serbe de M. Milosevic, que nous intervenons aujourd'hui. Il faut que les forces politiques serbes, les forces démocratiques serbes, ce peuple, qui dans le passé ont revendiqué ces valeurs, prennent conscience qu'en soutenant un tel régime ils mènent leur pays à une impasse.

J'en viens maintenant à l'immense drame humain que représentent la déportation et l'exode des populations du Kosovo, et qui appelle une puissante réaction sur le plan humanitaire.

Nous devons montrer une solidarité sans faille à ceux qui ont fui la terreur et ont trouvé refuge dans les pays voisins. Vous le savez, la communauté internationale se mobilise, et tout particulièrement la France. Aujourd'hui, des centaines de volontaires civils et de soldats de nos forces armées acheminent et distribuent des produits de première nécessité, dans des conditions difficiles, en Albanie et en Macédoine. Ils participent également à la prise en charge sanitaire et à l'installation provisoire de ces centaines de milliers d'hommes et de femmes. Je ne pense pas, mesdames, messieurs les députés, que nous pouvions ouvertement anticiper le risque de création de ce désastre humanitaire, sauf à indiquer à M. Milosevic qu'il pouvait lâcher ses sbires, ses troupes, commencer les exactions, entreprendre les déportations, puisque nous serions là, prêts à accueillir les victimes. A tous ces hommes et femmes, militaires ou civils, qui interviennent sur le terrain, je veux, comme vous, rendre hommage.

Le Gouvernement français a mis en oeuvre, dès la semaine dernière, un premier plan d'urgence, qui a notamment permis d'organiser un pont aérien entre Istres, Tirana et Skopje. Nos forces armées ont été les premières à assurer la dépose par hélicoptères, à Kukë s, de produits de première urgence. Elles sont renforcées dès aujourd'hui par des unités de sécurité civile.

Aujourd'hui, j'ai décidé de tripler le montant de notre aide, en la portant à 225 millions de francs. Ces fonds devraient permettre, en étroite liaison avec nos partenaires de l'Union européenne et de l'Alliance, comme avec les agences compétentes de l'ONU, notamment le HCR, d'organiser et de sécuriser des lieux d'accueil et de vie décents pour les réfugiés de Macédoine et du nord de l'Albanie, ainsi que de soutenir les efforts du HCR et du Comité international de la Croix-Rouge en Bosnie et au Monténégro.

A cela, nous ajouterons une première aide économique d'urgence pour soulager ces deux pays, qui payent un lourd tribut en recevant sur leur sol ces réfugiés. Nous soutiendrons également les efforts multilatéraux en leur faveur, tant dans le cadre du FMI, en ce qui concerne la dette, que dans celui de la Banque mondiale, en ce qui concerne la reconstruction.

Au-delà de cet effort essentiel de solidarité à l'égard de ces hommes et de ces femmes martyrisés, au-delà de notre devoir de protection, nous devons leur assurer un droit au retour dans leur pays d'origine. C'est là d'ailleurs un enjeu fondamental de la confrontation qui se déroule aujourd'hui. Mme Ogata, Mme Bonino, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Président albanais partagent cette vision. Nous sommes bien sûr attentifs au problème particulier qui se trouve posé pour la Macédoine.

Avant que ce droit au retour puisse être assuré, notre pays est naturellement disponible pour accueillir temporairement sur son sol un certain nombre de ces personnes déplacées.

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Mais il souhaite que ces mouvements de réfugiés s'effectuent sur la base du volontariat et sans que les familles soient séparées, conformément au droit humanitaire international.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.)

N'ajoutons pas un transfert contraint à une déportation.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Comme je l'ai dit dimanche soir - mais il semble qu'une partie de mes propos n'ait pas été reproduite - au terme d'une réunion de travail que j'avais organisée à Matignon, nous pourrons accueillir, utilisant pour cela l'asile territorial institué il y a quelques mois par le Parlement sur proposition du Gouvernement (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), des réfugiés qui en feraient la demande.

En outre, nous sommes décidés à conduire une action particulière en faveur des blessés et des personnes malades ou handicapées. Nous sommes prêts également, en liaison avec les associations, à favoriser les conditions d'un accueil en France par des familles qui le souhaiteraient.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Si la France ne saurait accepter la politique du fait accompli de M. Milosevic, elle se tient au premier rang de l'action humanitaire sur le terrain et entend rester fidèle à sa tradition d'accueil.

Je voudrais maintenant, mesdames et messieurs les députés, évoquer les perspectives politiques et diplomatiques qui, quelles que soient les difficultés, restent présentes à notre esprit.

Notre objectif n'est pas de détruire ni d'occuper, ni de démembrer la Serbie ; il n'est pas de faire la guerre au peuple serbe. Tout en continuant les opérations militaires que M. Milosevic nous impose, nous restons persuadés qu'une solution politique au conflit est souhaitable.

Les frappes peuvent s'arrêter, dès que les conditions suivantes seront remplies : fin de la répression contre les populations civiles au Kosovo, retrait des forces militaires et paramilitaires serbes, retour des réfugiés, acceptation des négociations.

Arrêter unilatéralement les frappes sans que nous ayons atteint nos objectifs reviendrait à accepter les conditions de M. Milosevic et à sacrifier le sort des Kosovars.

Mais la poursuite des frappes, inévitable aujourd'hui, ne doit pas nous interdire la recherche de solutions politiques et diplomatiques. Je sais que c'est une conviction que partage le Président de la République. A cette fin, il est essentiel que tous ceux qui croient comme nous à la primauté du droit et aux valeurs démocratiques puissent être associés à la recherche de la paix pour le Kosovo.

C'est pourquoi, au-delà des importantes rencontres qui doivent préparer le moment, que j'espère proche, où les alliés et la Russie - partenaire déterminant à mes yeux retravailleront ensemble à une solution politique, je suis convaincu que l'Organisation des Nations unies devra jouer son rôle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

Au moment où a été décidée la participation de la France aux opérations militaires, nous nous sommes référés aux résolutions et aux exigences du Conseil de sécurité. C'est aux Nations unies et au Conseil de sécurité, avec l'appui des organisations régionales, que devrait revenir la responsabilité première de la mise en oeuvre des solutions qui auront été définies.

L'ONU devrait, à mon sens, coordonner les opérations de soutien aux réfugiés, puis assurer le retour de ceux-ci, une fois la paix revenue. Elle devrait aussi garantir leur sécurité dans un Kosovo autonome et conférer sa légitimité à la force multinationale qu'il faudra vraisemblablement déployer à cette fin. Ce sera le point ultime d'un processus qu'il faudra engager dès que possible et auquel le Gouvernement travaille dès à présent. C'est le sens de certaines propositions parlementaires - notamment du président de la commission de la défense nationale - que n ous avons notées avec beaucoup d'intérêt et qui convergent avec nos préoccupations. Il nous faut travailler assidûment, notamment au plan diplomatique, pour leur permettre de déboucher.

Mesdames et messieurs les députés, notre détermination ne doit pas fléchir, mais elle doit être tendue vers une paix respectueuse de la personne humaine et du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.) 2

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le président.

Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. Georges Rawiri, président du Sénat du Gabon. (Mesdames et messieurs les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président.

Nous poursuivons les questions au Gouvernement.

RAPPROCHEMENT RENAULT-NISSAN

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Paul Dhaille.

M. Paul Dhaille.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Renault vient de prendre une participation majoritaire d ans le groupe automobile Nissan. Cet événement marque un renversement spectaculaire dans notre manière d'appréhender l'avenir du secteur mondial de la construction automobile. Il y a quelques années, les tenants du libéralisme ne juraient que par le modèle japonais qui devait, disaient-ils, inspirer à la fois notre politique industrielle et nos rapports sociaux.

Comme au Japon, il fallait toujours travailler davantage, avec des salaires plus réduits et des droits sociaux en retrait sur les nôtres. Les modèles de direction et de production étaient les exemples qu'il fallait suivre pour pouvoir survivre dans la construction automobile comme dans les autres industries, et pour ne pas se laisser envahir par les véhicules japonais.

Aujourd'hui, c'est un groupe automobile du pays des 35 heures qui rachète Nissan pour lui permettre d'échapper à la faillite. Etonnant retournement de situation ! C ependant, des interrogations et des inquiétudes demeurent quant au rapprochement entre Renault et Nissan. Le constructeur japonais est fortement endetté et il est légitime de se demander si Renault a les capacités financières d'assurer le redressement de son partenaire en dehors des mesures de restructuration qu'il va falloir mettre en oeuvre.

On peut aussi se demander si les deux constructeurs a utomobiles sont parfaitement complémentaires en matière de gammes de véhicules et en terme de réseaux de ventes.

Enfin, les salariés de Renault s'inquiètent des conséquences en matière d'emplois et de conditions de travail de ce rapprochement avec Nissan.

Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque l'Etat est l'actionnaire majoritaire de Renault, nous dire quelle est l'analyse du Gouvernement sur ce sujet industriel important. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, l'accord qui vient d'être conclu fera du nouveau groupe le quatrième groupe automobile mondial, avec une capacité de production d'environ cinq millions de véhicules.

Après France Télécom et Air France, la stratégie de développement du grand constructeur français est un nouvel exemple de la capacité d'une entreprise à actionnariat de référence public à réussir dans le secteur concurrentiel. Il existe de réelles complémentarités entre Renault et Nissan en matière de gammes, de marchés et de présence sur l'ensemble des continents. Et selon moi chaque constructeur a quelque chose à apprendre de la part de son partenaire. Il n'existe pas de doublons qui obligeraient à une restructuration industrielle en France - c'est important pour l'emploi.

L'Etat a donné son accord à ce projet, avant tout industriel, qui s'accompagne de réelles perspectives de croissance de la production. Il ne porte pas seulement sur le volet financier et sur le problème lié aux actions de l'entreprise, mais offre bien des perspectives de développement de nouveaux modèles, de nouveaux marchés et de croissance favorables à l'emploi.

Bien sûr, il existe un risque, comme dans tout projet industriel. Mais ce risque est connu par la direction générale de Renault, il est assumé et maîtrisé.

Le développement industriel s'accompagne d'une véritable rénovation, en amont, du dialogue social dans cette entreprise. A la place du plan social dont on discutait chaque année à l'Assemblée nationale autour du mois d'avril et qui comportait de nombreuses suppressions d'emploi, un accord a été signé vendredi dernier, entre les organisations syndicales - CFDT, FO et CGC notamment - qui représente une avancée réelle sur l'aménagement-réduction du temps de travail et qui, c'était l'objet de votre question, permettra 6 000 embauches nouvelles chez Renault.

Les salariés de Renault et l'ensemble de la nation, l'actionnaire Etat peuvent être fiers du travail accompli.

Je voudrais, en votre nom à tous, féliciter l'entreprise et ses salariés pour les résultats économiques remarquables qui en font, avec Nissan, la quatrième entreprise automobile mondiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Hage.

On meurt sur les chaînes de Renault !

PRIME D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. le président.

La parole est à M. Philippe Duron.

M. Philippe Duron.

Madame la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, la prime d'aménagement du territoire constitue un des principaux leviers financiers de l'aménagement du territoire. Elle permet l'installation d'entreprises créatrices d'emplois dans les zones défavorisées et en difficulté.

En 1998, le Comité interministériel d'aide à la localisation des activités a attribué 467 millions de francs au titre de la PAT. 185 projets de création et d'extension d'entreprises vont ainsi bénéficier d'une subvention et permettre de créer ou de maintenir 15 300 emplois. Toutefois, les discussions entre la Commission européenne et les gouvernements de l'Union conduisent à réviser les règles d'attribution de la PAT. Celles-ci doivent respecter deux contraintes : la réduction de 40 à 34 % de la population française éligible à cette aide et le choix de l'emploi comme critère privilégié de zonage.

Cette réforme, madame la ministre, suscite les interrogations et l'inquiétude de nombreux élus dont je voudrais ici me faire l'interprète. En effet, si l'on se fonde sur les démarches méthodologiques présentées par la DATAR afin de respecter le plafond de 34 %, on constate que les critères mis en avant pour l'attribution de la nouvelle PAT conduisent à en exclure des secteurs importants de notre pays. C'est le cas de certaines régions industrielles en difficulté dont la reconversion ne fait que s'amorcer.

C'est le cas du bassin d'emploi de Caen, frappé par la disparition de son entreprise sidérurgique en 1994. C'est aussi le cas de zones rurales très vastes, mais faiblement peuplées du Sud-Ouest, comme l'Ariège, ou du Massif central.

Pouvez-vous, madame la ministre, rassurer la représentation nationale en lui indiquant quelles orientations le Gouvernement souhaite retenir ? Pouvez-vous nous dire comment il envisage la mise en place de la « mini-PAT » dont le principe a été arrêté lors du CIADT de décembre 1998 afin que les PME et PMI, réservoirs d'emploi, puissent en bénéficier ? Enfin, comment faire pour que les territoires qui ne seront plus éligibles aux fonds structurels européens ne voient pas leur situation aggravée par une éviction des zones PAT ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

M. Philippe Vasseur.

Elle va enfin répondre ? Voilà deux ans qu'on lui pose la question ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du t erritoire et de l'environnement.

La réponse, c'est aujourd'hui ! Vous devriez vous en réjouir...

M. Philippe Vasseur.

Il serait temps ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, la PAT est effectivement un outil important de l'aménagement du territoire puisqu'elle permet de flécher vers les territoires les plus difficiles des activités économiques. C'est un outil dont l'utilisation est encadrée par la Communauté européenne.

La modification du règlement européen nous paraît aujourd'hui difficile à assumer pour un certain nombre de territoires. Elle passe par une réduction importante de la population maximale couverte par le régime de la prime d'aménagement du territoire - de 40 % à 34 %, par l'institution d'un zonage homogène, la Commission exigeant de pouvoir juger de la validité de celui-ci sur la base de critères statistiques comparables et tout à fait rigoureux ; enfin par une certaine continuité dans les zones couvertes par le régime de la PAT. En effet, une zone qui serait « patée » indépendamment de tout caractère de continuité comptera pour 100 000 habitants, qu'elle ait 10 000, 20 000 ou 30 000 habitants. On a donc tout à fait intérêt à discuter largement, sur la base de critères objectifs, de la future carte de la prime d'aménagement du territoire.

Que sont ces critères ? La DATAR, qui a fait son travail, en a proposé plusieurs et exposé au Conseil national d'aménagement et de développement du territoire un certain nombre d'hypothèses.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Les participants au CIADT ont exprimé leur préférence pour une carte répondant à un souci de « discrimination positive » : revenu moyen des familles inférieur à la moyenne nationale, chômage supérieur à la moyenne nationale et solde migratoire négatif, qui correspond à un mouvement de dépopulation. La combinaison de ces trois critères laisse encore de la marge pour prendre en compte les zones de reconversion industrielle ; la zone de Caen que vous avez citée en fait évidemment partie.

Nous avons souhaité travailler sur la base de critères objectifs, et de façon complètement transparente, ce qui n'avait pas été le cas pour la précédente carte de l'aménagement du territoire. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Vasseur.

Rendez-nous Pasqua ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Aujourd'hui, le Gouvernement s'attache à examiner de façon très concrète l'impact, sur le territoire, des décisions concernant les fonds structurels arrêtées lors du sommet de Berlin. Ensuite, il devra examiner la réforme du dispositif complet des zonages et des modalités qui s'y attachent. Certes, une bonne partie du territoire national est « zoné », mais selon des dispositifs dont l'efficacité est toute relative. Nous sommes donc en train de procéder à une évaluation, quantitative et qualitative en termes de création d'emplois, sur les territoires zonés.

M. Philippe Vasseur.

C'est l'évacuation du territoire ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Nous avons par ailleurs procédé à la réforme de la « mini-PAT » : baisse des investissements nécessaires pour en bénéficier, qui passeront de 20 millions à 15 millions ; baisse du nombre d'emplois créés d'emblée, de vingt emplois à quinze emplois ; élargissement du champ d'utilisation : de plus en plus souvent, la PAT devrait être mobilisée pour des créations d'emplois dans le secteur tertiaire, ce qui n'était pas le cas par le passé.

La PAT n'est peut-être pas le meilleur outil pour les territoires les plus en difficulté.

M. Philippe Vasseur.

C'est le déménagement du territoire ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

En effet, près de 20 % des territoires qui bénéficiaient de la PAT n'ont jamais fait remonter le moindre projet à ce titre. Il nous faudra donc travaillers ur des dispositifs permettant quelques créations d'emplois, sur des dispositifs très personnalisés, très fins, en râteau sur le territoire.

Voilà à quoi nous nous attachons. Ce n'est pas, évidemment, tout à fait propice aux effets de manche et aux caricatures... (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

VIOLENCE ET SPORT EN SEINE-SAINT-DENIS

M. le président.

Pour le groupe du Rassemblement pour la République, la parole est à M. Robert Pandraud.

M. Robert Pandraud.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Au mois de juillet dernier, la victoire de la France en Coupe du monde de football, à Saint-Denis, avait donné un grand espoir au département par le modèle d'intégration qu'elle représentait, par la promotion sociale qui faisait rêver tous les jeunes du département, par l'apaisement du climat dans les cités.

Hélas, la montée de la violence que je ne cesse de dénoncer depuis vingt-cinq ans, l'action des bandes de voyous et le manque d'encadrement de la jeunesse ont conduit, ce qui paraissait encore impensable il y a quelques semaines, à la suspension de tous les matchs de football dans tout le département.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'est pas vrai !

M. Robert Pandraud.

Une fois de plus, ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui se conduisent le plus correctement et les animateurs, souvent bénévoles, qui sacrifient leurs loisirs et leur vie de famille, qui en sont les victimes. La Seine-Saint-Denis, vous en conviendrez, devient la Cendrillon de la France. Elle est la lanterne rouge en raison de tous les handicaps sociaux, éducatifs et culturels qu'elle subit. En revanche, monsieur le Premier ministre, et c'est pour cela que je m'adresse à vous, il y a un domaine où elle porte le maillot jaune : c'est le département le mieux pourvu en ministres de votre gouvernement ! (Rires et exclamations sur divers bancs.) Piètre consolation quand on en voit les résultats ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Quelles instructions entendez-vous donner, monsieur le Premier ministre, pour ramener la Seine-Saint-Denis dans la giron national afin que ses jeunes habitants puissent toujours se considérer comme des Français à part entière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et dess ports.

Certes, monsieur Pandraud, depuis quelques semaines, nous avons connu des incidents de plus en plus graves sur les stades, notamment lors des matchs de football amateurs, incidents concernant parfois de très jeunes sportifs.

M. Lucien Degauchy.

C'est le moins qu'on puisse dire !

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Ces actes de violence ont touché la Seine-Saint-Denis mais pas seulement. Ce week-end l'a encore montré, d'autres départements sont touchés.

On a cru un moment que les dérives de la société resteraient en dehors des stades, on constate aujourd'hui que la violence y pénètre. Il faut interpréter la décision du district comme un appel au secours,...

M. Edouard Landrain.

Oui !

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

... une alerte pour que tous les responsables se mettent autour de la table et prennent des décisions très rapidement. Les bénévoles n'en peuvent plus !

M. François Vannson.

C'est à vous de prendre les décisions !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Bien évidemment, j'ai réagi très vite. Dès demain matin, tous les acteurs du foot comme les responsables du Gouvernement se réuniront à mon ministère pour travailler à des propositions extrêmement précises.

D'abord, la législation existante, à savoir la loi antiviolence sur les stades, votée en 1993 et renforcée en mars 1998 à l'approche de la Coupe du monde, n'est pas suffisamment utilisée.

Ensuite, nous devons développer la prévention. Or la meilleure prévention, c'est le renforcement en qualité et en quantité des éducateurs présents autour des jeunes et des enfants. C'est pourquoi le ministère de la jeunesse et des sports va proposer à la Fédération française de football de s'engager avec elle dans un plan de recrutement d'éducateurs et de médiateurs. Comme 7 000 matches se jouent en Ile-de-France le week-end, il faut vraiment mobiliser toutes les forces possibles pour entourer les jeunes.

Enfin, en remettant ce matin des médailles du fair play à plusieurs anciens sportifs, je leur ai proposé, et je confirmerai cette proposition demain à la FFF, de faire venir dans tous les stades, le week-end des 17 et 18 avril.

des sportifs renommés, en activité ou retirés de la compétition, afin qu'ils lancent un appel pour stopper la violence dans le sport. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

VIANDE BOVINE AMÉRICAINE

M. le président.

La parole est à M. André Angot.

M. André Angot.

Ma question concernant les domaines de compétence de plusieurs ministères : commerce extérieur, agriculture, santé publique, c'est à vous que je la poserai, monsieur le Premier ministre.

Depuis dix ans, l'utilisation des hormones de croissance pour la production de viande bovine a été interdite dans les élevages français et européens. Cette interdiction a été guidée par le souci de protéger la santé du consommateur, chez qui on craignait des effets cancérigènes ou des troubles hormonaux.

Par contre, l'utilisation des hormones est systématique aux Etats-Unis et, en conséquence, l'Union européenne interdit depuis dix ans l'importation de viande bovine américaine. En représailles, les Etats-Unis ont annoncé, le 22 mars dernier, des sanctions commerciales contre des produits européens, dont le roquefort, les truffes, le foie gras, les eaux minérales, les tomates, les fruits en conserve et même les motocyclettes. Ils ont saisi l'Organisation mondiale du commerce, qui exige que les pays européens lèvent leur embargo à partir du 13 mai prochain. Si vous ne réagissez pas, la viande aux hormones américaine va donc se retrouver en restauration collective, et en particulier dans les cantines scolaires, au moment où l'on parle beaucoup de sécurité alimentaire.

Cette menace intervient après que votre gouvernement ne s'est pas opposé à la levée de l'embargo contre la viande bovine anglaise, bien que l'Académie de médecine de France craigne beaucoup la transmission à l'homme de la maladie de la vache folle, encore très fréquente en Grande-Bretagne. Je rappelle que, dans ce pays, cette maladie a déjà tué trente personnes et que de nombreuses personnes sont contaminées. Allez-vous en plus céder à la pression américaine, alors que l'interdiction des hormones dans les élevages français a été dictée par un souci de prot ection de la santé publique ? Si vous acceptez l'importation de la viande bovine américaine après celle de la viande britannique, vous risquez de déclencher une très forte méfiance des consommateurs envers la viande bovine, avec le risque de déstabiliser toute la filière bovine française, comme cela a déjà été le cas lors de la crise du veau aux hormones en 1989 et de la crise de la vache folle en 1996.

Monsieur le Premier ministre, mes questions sont simples. Etes-vous certain qu'en ajoutant l'importation de la viande aux hormones américaine à celle de la viande bovine anglaise, vous ne faites courir aucun risque pour la santé publique des Français ? Si vous estimez que les hormones présentes dans la viande n'ont pas d'incidence sur la santé publique, allez-vous autoriser l'usage des hormones comme facteur de croissance dans les troupeaux français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, il n'est pas question de céder à la pression des Américains sur ce dossier.

Je profite de votre question pour faire la distinction entre le dossier de l'ESB et celui des hormones puisque, contrairement à ce que vous indiquez, l'embargo sur les viandes britanniques n'est pas encore levé. A la demande de la France, des contrôles supplémentaires ont été exigés et mis en place. La décision prise par une majorité au Conseil de l'agriculture ne sera mise en oeuvre que progressivement et, pour l'instant, ce n'est pas encore le cas.

Donc, il ne peut pas y avoir d'amalgame.

Pour ce qui concerne le boeuf aux hormones, les Américains font pression sur l'Union européenne. Celle-ci, de manière solidaire et unitaire, a répondu non ; elle refuse de se livrer à cette offensive les bras croisés. La Commission a commandé des études scientifiques sur les conséquences d'une telle introduction. Ces études sont en cours. Dans l'attente de leurs résultats, la réponse unanime du Conseil de l'agriculture et de l'Europe sera un refus de l'importation du boeuf aux hormones sans garantie pour les consommateurs européens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

4 ÉLOGE FUNÈBRE DE MICHEL PÉRICARD (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

M. le président.

Mes chers collègues, madame, était-ce la résultante d'un parcours atypique qui, sans attendre la vieillesse, lui avait offert l'expérience et imposé la souffrance ? Etait-ce l'effet des législatures successives qui l'avaient vu combattre avec la même ardeur sur les bancs de la majorité et sur ceux de l'opposition ? Ou n'était-ce pas plutôt tout cela à la fois et le mélange de sérénité et de recul que symbolisait son visage couronné de cheveux b lancs plantés drus encadrant un regard volontiers


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

ironique et souriant ? En tout cas, la réalité est celle-ci : Michel Péricard, qui nous a quittés au début du mois de février, était, d'un bord à l'autre de l'hémicycle, entouré d'un respect mérité. Journaliste, gaulliste, parlementaire, élu local, il fut chacun des quatre et les quatre à la fois.

Grand professionnel de l'audiovisuel et spécialiste de la communication, au journal télévisé, à Cinq colonnes à la une , il avait pris rang parmi les créateurs de l'ORTF.

C'est d'ailleurs d'abord dans les « étranges lucarnes » que les Français apprirent à le connaître en suivant une émission d'une grande modernité de ton et de contenu qui, bien avant que la notion n'en soit connue, s'était mise au service de l'environnement. Faisant de l'écologie sans que le concept en soit encore défini, il dénonçait, révélait, cherchait à empêcher que la France ne fût défigurée. Produisant aussi L'Heure de vérité ou retrouvant, en 1975, le Quai Kennedy à la direction de l'information de Radio France, il était à la fois gaulliste et journaliste, journaliste et gaulliste. Cela ne lui valut pas que des amis. L'alliance d'un métier et d'un engagement était pour lui complémentarité et non contradiction. Tout naturellement, lorsque l'Assemblée nationale institua en 1992 une commission d'enquête sur les perspectives de la presse et de l'audiovisuel et qu'il fut décidé que la présidence en reviendrait à l'opposition, c'est lui qui fut choisi. Apaiser les passions, diriger la discussion entre ses collègues, les professionnels et les meilleurs spécialistes, il y parvint et quand, en 1993, il fut élu à la tête de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, ce fut, là aussi, naturel. Car sa vie durant, en observateur ou en acteur, Michel Péricard a parcouru tout le paysage audiovisuel. Il y était dans son jardin.

Militant, Michel Péricard l'était dans la fidélité au général de Gaulle, et dans l'attachement à Jacques Chirac.

Ce n'était pas un de ces « barons » météoriques que la proximité d'un grand personnage aurait muni d'une circonscription et d'un mandat. Dès sa jeunesse estudiantine, à l'UNEF avec son ami Bernard Pons, Michel Péricard avait commencé à faire de la politique. Par la suite, comprenant le caractère inéluctable de l'indépendance de l'Algérie, il s'était opposé à l'extrême droite et à l'OA S. Gaulliste trempé dans l'acier populaire de la Libération et de 1958, il croyait à la participation, à la grandeur, à l'indépendance de la France. L'ancien scout, le jeune homme qui, dès 1947, allait à la rencontre des plus démunis d'un quartier délaissé de sa ville, fit ses premières armes à la jeunesse et aux sports dans le cabinet de François Missoffe, puis avec Yves Guéna à l'information et aux PTT, ainsi qu'à l'agriculture avec Bernard Pons.

Elu local, il revendiquait pleinement ce statut à la tête de sa ville, Saint-Germain-en-Laye, tout autant que s'il avait été le représentant d'une collectivité rurale. Il étai t né dans cette ville, il l'aimait et, la gérant depuis 1959, avait fini par faire corps avec elle. C'était sa passion et une partie de sa raison d'être. Bien sûr, il y avait, chez cet homme épris de modernité, le désir que sa cité, berceau du Roi Soleil, vive pleinement avec son siècle.

L'ancien président de la mission « câble » faisait découvrir avec plaisir au visiteur la salle des délibérations de sa mairie, qu'il avait dotée des technologies les plus récentes de la communication. Il agissait en permanence pour le cadre de vie, pour la protection d'un centre piétonnier, de la forêt, du patrimoine architectural. Humanité et proximité, c'étaient là ses priorités et, je puis dire, ses succès.

Je me souviens d'un reportage diffusé il y a peu de temps à la télévision, qui le montrait au volant d'une voiture électrique, notant là une imperfection de signalisation, faisant ici la morale à un imprudent sur son skateboard , réfléchissant tout haut à un aménagement urbain.

On retrouvait le sens de l'intérêt général qui lui avait fait rénover l'ensemble des écoles primaires de sa circonscription, multiplier les crèches ou, sans prévenir, visiter régul ièrement les malades de l'hôpital. Chacun savait l'authenticité de cette sollicitude et, par ce jour d'hiver où nous l'avons accompagné une dernière fois, j'ai senti extrêmement émue la population qui s'était rassemblée en masse autour de l'église pour lui dire adieu malgré le froid. Michel Péricard avait émis récemment l'idée que cette fonction municipale, dans laquelle il avait été largem ent confirmé en 1995, serait la dernière charge publique qu'il assumerait. Il l'a occupée jusqu'à la fin.

Parlementaire chevronné, chacun ici mesurait combien il l'était, et en particulier son groupe, qui lui avait confié sa présidence à un moment déterminant. De 1995 à 1997, Michel Péricard, à la tête de la plus importante formation parlementaire de la majorité, fit preuve, avec sa voix au timbre et au débit si particuliers, de sagacité politique et de virtuosité réglementaire. Il confia un jour avec humour que ce poste de président de groupe, envié s'il en est, lui permettait de se « faire engueuler en une seule journée par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée et 260 députés ».

(Sourires), ce qui est commun à plusieurs de ceux qui ont rempli cette fonction. Il n'en perdait ni sa simplicité ni sa lucidité. Ceux qui l'observaient - alors à la tête du groupe socialiste, j'en étais -, ceux qui l'entouraient et l'assistaient, les administrateurs et les fonctionnaires de notre maison, conservent le souvenir de ces moments où prenant la parole en conférence des présidents ou arpentant son bureau, il dressait avec esprit de synthèse un tableau des situations, indiquant les chausse-trappes à éviter, les coups à prendre, et parfois à rendre. C'était un homme politique qui utilisait des arguments politiques au service d'une conviction politique. Sans concession sur le fond, mais toujours avec une extrême courtoisie d'expression.

Il existe évidemment une dimension humaine fondamentale dans toute responsabilité parlementaire : Michel Péricard, fils d'un homme exceptionnel, héros de la Grande Guerre, ne l'oubliait jamais. Même si, de temps à autre, parti dans une colère vive, il vitupérait les inconscients, paresseux et autres incompétents, même si son humour savait être cinglant, il était surtout connu pour sa bienveillance, pour la manière presque sentimentale et je dirai familiale de conduire son groupe.

Enfant d'une nombreuse famille, dixième de sa fratrie, très attaché à celle-ci, la tendresse du grand frère l'emportait toujours sur la rudesse du décideur. Le soin qu'il mit à accueillir les jeunes députés, vainqueurs de 1993 mais gamins pour le suffrage universel, frappa, je crois, chacun.

Il leur rappela les règles essentielles. Une question courte.

Un propos précis. Une parole sans papier. Il faisait confiance à ses collaborateurs, adoptant volontiers un point de vue quand on le lui avait expliqué et qu'il lui semblait juste, pour s'en faire ensuite le défenseur ardent.

Il ne portait pas d'armure contre la maladie, il n'en avait pas non plus contre les attaques ou les critiques. Ses proches savent qu'il en était atteint, ému ou même bouleversé. Dans la transparence et l'honnêteté, nous étions sa vie et il la vivait au premier degré.

Michel Péricard savait sa santé chancelante. Certaines épreuves avaient failli lui être fatales. Il lui arrivait de plaisanter, je l'avait fait avec lui, pour conjurer le sort ou rassurer ses amis sur son teint pâle ou sur son souffle court, sur la douleur aussi, avec laquelle il s'était fait


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habitude de vivre. Il ne se plaignait pas, ne se ménageait pas, soulignant que le mandat des citoyens, la vie politique et le débat public étaient ses seules préoccupations et que, « pour le reste, adviendrait ce qui devait advenir ».

C'est ainsi qu'il avait encore accepté la lourde charge de vice-président de notre assemblée.

Quelques jours avant sa disparition, comme un défi ou une prémonition, il avait choisi, pour l'anthologie de poésie que nous réunissions, le texte où Charles Aznavour chante précisément « le temps trop court », « le temps d'un jour », « le temps d'aimer et de disparaître ». J'ai reçu ce texte avec émotion. Nous le conserverons comme un signe.

La mort l'a surpris ainsi, courageux et désintéressé, ne voyant dans ses fonctions que l'occasion de servir.

Parce qu'il exprimait un modèle d'homme politique d ont notre époque, souvent à tort, ne veut plus reconnaître l'élévation et le sens des responsabilités, parce que nous pensons à la douleur des siens, au chagrin de ses amis, parce que sa voix si particulière ne s'élèvera plus dans l'hémicycle, parce que nous voulions lui rendre hommage devant son épouse, sa famille et ses proches, Michel Péricard, figure forte de notre assemblée, nous manque profondément.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent quelques instants de silence.)

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame, je voudrais vous dire combien le Gouvernement tient à s'associer à l'éloge funèbre de Michel Péricard.

C'est à l'ouverture d'une de nos conférences des présidents que nous avons été tous informés de la disparition brutale de Michel Péricard, et l'émotion unanime qui nous saisit alors témoignait de la considération que chacun lui portait dans cette assemblée.

Tour à tour président de commission, président de groupe, vice-président de l'Assemblée, son expérience était très large. Comme ministre des relations avec le Parlement, j'écoutais avec attention les remarques toujours très sereines et très courtoises qu'il formulait sur nos travaux.

Pour beaucoup de gens de ma génération, Michel Péricard restera aussi, et peut-être d'abord, un homme de la télévision, j'ai même envie de dire, un homme de l'ORTF.

Il a participé aux grandes pages de cette télévision de service public en collaborant à Cinq colonnes à la une ou en créant et produisant La France défigurée. Au travers de cette émission il avait eu l'intuition de la place que prendrait dans notre vie publique les questions d'environnement et il avait su mobiliser l'outil considérable de la télévision au service de la défense de notre patrimoine naturel. Je ne sais pas si cela serait si facile aujourd'hui.

Sa fidélité à la télévision et à la communication, sa fidélité à l'environnement sont les deux constantes de son activité parlementaire : de 1978 à 1997 ses interventions dans ces deux domaines sont très nombreuses.

Michel Péricard était aussi un homme de fidélité à ses engagements. Dès sa jeunesse il avait choisi de participer à la vie publique, notamment au travers du syndicalisme étudiant puisqu'il fut vice-président de l'UNEF. Journaliste puis collaborateur de François Missoffe, Yves Guéna, Bernard Pons, directeur au sein de l'ORTF, conseiller municipal puis adjoint au maire de Saint-Germain-enLaye, c'est en 1977 qu'il choisit définitivement la vie publique en devenant maire de sa ville natale à laquelle il était très attaché.

Toute sa vie durant il fut fidèle aux idéaux tracés par le général de Gaulle dans lesquels il rerouvait « une certaine idée de la France » qui était aussi la sienne.

A sa famille, à ses compagnons du Rassemblement pour la République, à ses amis, nombreux sur tous les bancs de cet hémicycle, je veux dire combien le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage qui est aujourd'hui rendu à Michel Péricard.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante ; sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

5

COUR PÉNALE INTERNATIONALE Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale (nos 1462, 1501).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les droits de l'homme ne sont pas, pour notre pays, de vagues règles morales issues d'un droit naturel qui n'aurait rien à voir avec l'histoire réelle, celle qui est faite par les hommes et les femmes. Ils constituent au contraire un ensemble de règles de droit contraignantes, vivantes et sur lesquelles les nations civilisées ont pu se mettre d'accord.

C omme l'affirmait déjà Grotius, lorsque tant d'hommes instruits et sages, qui appartiennent en outre à différentes nations, comme les Juifs, les Grecs, les Romains, soutiennent que les mêmes principes sont vrais ou certains, il faut bien que ceux-ci soient l'expression du consentement général de l'humanité civilisée.

Les droits de l'homme ont ainsi la double dimension de l'histoire et de l'universalité. D'une part, leur contenu peut évoluer, gagner en efficacité et s'adapter au monde moderne, aux technologies et aux progrès de la science.

D'autre part, et malgré leur reformulation permanente, ils restent universels et indivisibles. Il n'est jamais, je crois, inutile de le rappeler.

O r, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme n'auraient pas de sens si les violations les plus graves, les agressions les plus sauvages restaient impunies.


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M. François Goulard.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Comment donner aux droits de l'homme tout leur sens si l'humanité, si la conscience humaine demeurent à la merci de la barbarie ? Comment préserver notre bien le plus précieux si nous ne trouvons pas, juridiquement et politiquement, les moyens de prévenir et réprimer le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ? Certes, nous aurions pu croire, comme certains philosophes des

XVIIe et

XVIIIe siècles l'avaient espéré, que les nations, au fur et à mesure qu'elles se civilisent, qu'elles commercent, qu'elles échangent entre elles des idées et des informations, cesseraient de se haïr et de se faire la guerre. Le XXe siècle a démenti nos espoirs et nos certitudes en produisant les plus effroyables cauchemars.

Le XXe siècle aura été celui de l'Holocauste,...

M. François Goulard.

Et du Goulag !

Mme la garde des sceaux.

... de la destruction de millions d'hommes et de femmes pour la seule raison qu'ils étaient juifs. Et si la fin de la guerre froide a permis à quelques-uns de croire à la fin de l'histoire, celle-ci, hélas, se rappelle à nous tous les jours et, ces jours-ci, jusqu'au coeur de l'Europe qui tente, avec ses alliés, de mettre fin aux massacres et aux déportations de populations civiles innocentes.

Les crimes contre l'humanité n'ont pas disparu, ni le génocide, ni les crimes de guerre ! Nous le voyons bien.

A peine sortis des enfers de Vuckovar, de Srebrenica ou des massacres du Rwanda, nous voilà replongés dans le drame du Kosovo.

Nous savons qu'à la guerre succédera la paix, car la communauté humaine est condamnée à cohabiter, qu'elle le souhaite ou pas. Mais ce dont je suis absolument persuadée, c'est qu'il n'y aura pas de paix sans justice. Comment renaître si les bourreaux courent toujours ? Comment rire à nouveau si les responsables de vos tortures dînent à la table voisine de la vôtre ? Sans justice, il ne peut y avoir d'apaisement pour les victimes des crimes les plus horribles ! Dans ce combat pour la paix et la justice, le renforcement de la justice pénale international apparaît non comme une solution miracle, bien entendu, non comme l'aboutissement d'un processus, mais comme un préalable nécessaire au réveil des consciences et à la consécration de la primauté absolue des droits universels des êtres humains.

Tel est le sens de la convention adoptée à Rome le 17 juillet 1998, signée dès le lendemain par notre pays, convention qui porte statut d'une Cour pénale internationale et à laquelle la France ne pourra adhérer qu'en modifiant préalablement sa Constitution.

Avant de revenir sur la raison d'être et le contenu du projet de révision constitutionnelle qui vous est soumis aujourd'hui, permettez-moi de m'arrêter un moment sur cette nouvelle juridiction internationale.

Des origines de la Cour pénale internationale, je ne crois pas nécessaire de vous entretenir trop longuement.

Nous connaissons tous les prémices de cette juridiction.

C'est le souci de ne pas laisser impunis les grands criminels nazis et japonais qui allait conduire à la mise en place des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo.

Il s'agissait alors d'une innovation formidable : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les auteurs des crimes les plus odieux allaient être jugés par des juridictions vraiment internationales qui appliqueraient non le droit de tel ou tel Etat, mais des règles définies internationalement. De Nuremberg à la Cour pénale internationale en passant par la création des deux tribunaux pénaux internationaux, pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, le chemin qui nous a menés de la prise de conscience politique à la réalisation juridique fut long et incertain.

Mais il ne fut jamais abandonné, notamment par les juristes français les plus éminents qui, de Henri Donnedieur de Vabres à Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, en passant par Robert Badinter, qui porta longtemps ce projet, marquèrent de leur empreinte l'évolution de la pensée juridique internationale.

De cette histoire, dont chacun sait aujourd'hui qu'elle peut rejoindre l'actualité la plus tragique, est née la nécessité de mettre en place une juridiction pénale internationale qui, d'une part, serait permanente - c'est bien là l'innovation essentielle -, c'est-à-dire constituée avant les faits quelle serait amenée à connaître et, d'autre part, limiterait sa compétence matérielle aux crimes, qui non seulement touchent l'ensemble de la communauté internationale, mais encore portent atteinte à la conscience de l'humanité ou à la paix mondiale.

Quels sont les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour ? A l'heure actuelle, quatre crimes et quatre seulement entrent dans la catégorie des crimes les plus graves parmi les plus graves : les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression. Ces crimes-là menacent les fondements mêmes de la société i nternationale, révoltent profondément la conscience humaine et sont consacrés comme « les crimes des crimes » par la pratique et la jurisprudence internationale.

Bien entendu, d'autres crimes sont odieux et inacceptables, comme le terrorisme international ou la criminalité organisée transfrontière.

Mais si le choix a été fait de ne retenir que les crimes les plus graves - génocide, crime contre l'humanité, crime de guerre, crime d'agression - et de ne pas en retenir d'autres, c'est bien parce qu'il faut se garder de banaliser les crimes les plus graves. Il n'était pas pensable de confier à une cour mondiale le soin de juger à la fois le trafic de stupéfiants et le génocide sous peine de gommer l'horreur de celui-ci.

S'agissant des crimes de guerre, l'article 124 du statut permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour, pour une période de sept ans. C'est cette disposition transitoire, adoptée à l'initiative de la France, qui a permis - je le souligne - un accord général sur le statut de la Cour.

Les négociateurs du traité sur la Cour pénale internationale souhaitaient éviter que les dispositions relatives aux crimes de guerre puissent faire l'objet de plaintes abusives, sans fondement ou alors teintées d'arrièrepensées politiques et dont le seul objet aurait été de porter atteinte aux pays les plus engagés dans les opérations humanitaires ou les opérations de maintien de la paix.

Les quelques pays dont le nôtre, qui déploient à l'étranger des personnels civils et militaires au service de la paix et qui paient, je le rappelle, un lourd tribut humain à de telles opérations, ne peuvent se voir décourager de participer à des opérations multinationales sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.

Nous devons à nos personnels toute la protection possible contre des mises en cause personnelles qui seraient injustifiées. C'est pourquoi il était nécessaire pendant quelques années de prévoir un dispositif transitoire pour éviter les dérives.


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A cet égard, je souligne que les garanties de procédure obtenues par la France, et sur lesquelles je reviendrai dans un instant, sont tout à fait positives.

Quelles sont les personnes qui seront concernées par cette juridiction ? Quels seront les justiciables de la Cour pénale internationale ? Le statut de Rome n'innove pas sur ce plan mais il clarifie la situation juridique de certains accusés.

Contrairement au tribunal de Nuremberg, la Cour pénale internationale n'est pas censée limiter son action aux « plus grands criminels », mais on est en droit d'espérer qu'elle ne s'occupera pas seulement des plus insignifiants, et qu'une vraie politique pénale se développera en son sein, sous la responsabilité du procureur.

Celui-ci aura les moyens, et j'insiste là-dessus, de poursuivre les vrais responsables, ceux que le droit international appelle les « planificateurs ».

Je souligne dès à présent, et j'aurai l'occasion d'y revenir, que la compétence de la Cour pénale internationale s'exercera sans discrimination d'aucune sorte et que la

« qualité officielle » d'un accusé - chef d'Etat ou membre d'un gouvernement, parlementaire, diplomate - ne sera pas une cause exonératoire de responsabilité. Ce principe est clairement édicté par l'article 27 du statut.

Mais la plus grande innovation du statut de Rome ne réside pas dans les règles applicables à la responsabilité pénale ; elle est de reconnaître enfin certains droits aux victimes.

Les victimes, oubliées jusqu'à présent par la justice pénale internationale, obtiennent enfin, dans le statut de la Cour pénale internationale, la place qui leur revient.

Les dispositions relatives à l'accès des victimes à la procédure internationale et à la réparation de leur préjudice sont encore modestes, mais elles n'en demeurent pas moins, j'ose le dire, « révolutionnaires », car elles permettent enfin de placer l'individu au coeur de la justice internationale.

Le droit international, droit des Etats souverains, ouvre ainsi ses portes à de nouveaux sujets de droit et c'est la première fois. Comme un agent corrosif, le droit pénal fait sauter les verrous traditionnels du droit international : on pourra désormais, devant une juridiction internationale, connaître de la responsabilité pénale individuelle, mais aussi, sous certaines conditions, connaître de la responsabilité civile individuelle.

C'est une innovation juridique de première importance, et c'est aussi une innovation humaine fondamentale. Les victimes, au nom desquelles on plaide depuis tant d'années pour la création d'une Cour pénale internationale permanente, vont ainsi cesser d'être un prétexte, une grande cause abstraite, pour devenir enfin, concrètement, des parties au procès pénal international.

Alors que l'Etat constituait un écran opaque entre les victimes et le droit international, « le voile étatique » pourra se déchirer et atteindre au-delà de l'Etat la personne physique auteur du crime et la sanctionner.

Ce combat pour la confirmation et la consolidation du statut juridique des victimes, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ce combat que la France a mené sans relâche au cours des négociations, sera poursuivi jusqu'à la mise en place effective de la Cour. Je m'y engage fermement.

J'en viens maintenant à la procédure qui sera suivie devant la Cour pénale internationale.

Les moyens procéduraux dont la Cour pénale internationale disposera pour réprimer les crimes qui portent atteinte à la conscience humaine manifestent, là encore, des innovations.

Je crois nécessaire de souligner que la mise en place d'un ordre pénal international ne doit pas aboutir à l'abandon par les Etats souverains de leurs responsabilités premières, qui est de poursuivre eux-mêmes les criminels contre l'humanité.

Aussi, je veux d'abord rappeler que la création de la Cour pénale internationale n'a pas pour objectif de décharger les Etats de leurs responsabilités. Elle a, au contraire, comme vertu première de souligner avec force les devoirs des Etats.

La convention de Rome a nécessairement une valeur préventive et incitative à laquelle le principe de « complémentarité » donne toute sa force.

En aucun cas, par conséquent, la juridiction internationale ne se substituera aux systèmes nationaux de justice pénale ; elle viendra les suppléer lorsqu'ils n'auront pas pu, ou pas voulu, connaître eux-mêmes des crimes relevant de la compétence de la cour, qui apparaît ainsi comme un système de sauvegarde, une garantie collective, contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves.

Cependant, et parallèlement à cette responsabilité première, qui est celle des systèmes nationaux de justice pénale, notre responsabilité est aussi de permettre au droit international d'avoir les moyens de pallier, dans certaines hypothèses, les insuffisances des Etats défaillants ou des Etats malveillants. Pour ce faire, il faut que les procédures applicables devant la Cour pénale internationale soient à la fois efficaces, respectueuses des droits de l'homme et représentatives de la diversité des cultures juridiques dans le monde. Je crois que le statut élaboré à Rome répond à ces trois objectifs.

J'aborderai tout d'abord les procédures du point de vue de l'efficacité.

La saisine de la Cour pourra être faite aisément, soit par un Etat partie à la convention, soit par le conseil de sécurité, soit par le procureur lui-même qui, destinataire d'une plainte, formée par une ou plusieurs victimes, pourra ouvrir une enquête après en avoir obtenu l'autorisation auprès de la chambre préliminaire, organe juridictionnel composé de trois juges de la Cour.

Une fois saisi, le procureur déterminera lui-même si une enquête est nécessaire et, après enquête, si des poursuites sont justifiées.

Pour remplir sa mission, le procureur pourra compter sur la coopération des Etats parties, qui seront tenus de répondre à ses demandes d'assistance, et de lui remettre les personnes contre lesquelles des charges suffisantes ont été réunies.

Je veux souligner aussi que, dans le cadre de la procédure arrêtée à Rome, les droits de la défense seront scrupuleusement respectés. Toutes les garanties procédurales reconnues par les conventions internationales relatives à la protection des droits de l'homme figurent en effet dans le statut de la Cour pénale internationale.

Les droits des personnes qui sont simplement « soupçonnées », de même que les droits des personnes qui sont

« accusées », sont définis avec précision par la Convention de Rome : présomption d'innocence, droit à l'assistance d'un avocat et d'un interprète, droit de ne pas être d étenu au-delà d'un délai raisonnable, droit d'être informé des charges, de leur nature et de leur cause, droit


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d'avoir le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense, droit d'interroger et de contre-interroger les témoins, droit de ne pas temoigner contre soi-même.

J'en oublie certainement, mais les négociateurs de ce t exte, eux, n'en ont oublié aucun, car ils étaient conscients de la nécessité de faire de ce statut un texte exemplaire, un modèle pour tous les pays.

C'est donc une procédure efficace, une procédure respectueuse des droits de la défense et du nécessaire équilibre entre les différentes cultures juridiques existant dans le monde.

Le trait principal de la procédure suivie devant la Cour pénale internationale est en effet son caractère mixte : à dominante accusatoire, elle laisse une place non négligeable à l'intervention des juges, en particulier dans la phrase préalable au procès. Si le procureur est le personnage central de la mise en état du procès pénal, la chambre préliminaire occupe elle aussi, à ce stade, une place de premier plan, puisqu'elle est chargée d'assurer une sorte de contrôle juridictionnel de l'activité du procureur.

Elle autorise certains actes que le procureur ne peut accomplir seul. Elle est le juge de la détention provisoire.

Elle est également chargée d'aider les personnes mises en cause à rassembler des éléments de preuve. Elle peut ainsi solliciter la coopération des Etats parties pour qu'un accusé soit réellement en mesure de préparer sa défense.

Elle est, en quelque sorte, garante du respect du principe de l'égalité des armes.

La chambre préliminaire dispose ainsi d'un certain nombre de pouvoirs de nature à lui permettre d'intervenir activement au cours de la phase préalable au procès.

Ces pouvoirs sont encore plus étendus et plus forts lorsque l'enquête débouche sur des poursuites et que les éléments à charge réunis par le procureur sont de nature à justifier la tenue d'un procès. C'est, en effet, la chambre préliminaire qui contrôle le caractère sérieux des charges, en organisant une audience contradictoire, à l'issue de laquelle trois orientations sont possibles : un supplément d'enquête, la non-confirmation des charges, ou leur confirmation, suivie du renvoi de l'accusé devant la chambre de jugement.

C'est, à mon sens, tout à l'honneur de la France d'avoir proposé et obtenu la création de cette chambre préliminaire, qui permet de rééquilibrer la phase préalable au procès et d'éviter que des personnes soient mises en accusation sans que le caractère sérieux des charges réunies à leur encontre ait pu être vérifié par un organe juridictionnel.

Nous sommes, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, en présence d'un traité d'une grande importance, qui enrichit l'ordre juridique international dans un domaine particulièrement essentiel à la défense de la dignité humaine, et dont le contenu, nous venons de le voir, répond aux préoccupations de notre pays.

Cela dit, je ne voudrais pas terminer cette présentation du statut de la Cour pénale sans appeler votre attention que quelques questions sur soulève l'avènement de la justice pénale internationale.

Reconnaître les individus comme sujets de droit international touche évidemment à la souveraineté des Etats dans le règlement diplomatique et pacifique des conflits.

Cette évolution était nécessaire : la raison d'Etat ne saurait justifier les crimes contre les droits fondamentaux de l'humanité.

M. Michel Hunault.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Mais il importe également de ne pas judiciariser toute la vie internationale et de savoir définir le champ de la responsabilité politique, dont la mise en jeu relève des mécanismes démocratiques - lorsqu'ils existent -, et le champ de la responsabilité pénale.

Aussi notre pays a-t-il souhaité, avec d'autres, affirmer nettement le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies. Il faut en effet, dès lors que cela sera jugé possible et nécessaire par l'Organisation des Nations unies, pouvoir laisser ouvert le champ des négociations diplomatiques pour mettre fin à une guerre ou une agression.

C'est ainsi que la France entend conditionner les poursuites pour crime d'agression, lorsque celui-ci aura été défini, à la décision du Conseil de sécurité.

De surcroît, afin de ne pas laisser à une seule personne la décision d'engager des poursuites, la France a insisté sur l'importance d'un équilibre interne dans le fonctionnement de la Cour en permettant à la chambre préliminaire d'exercer un contrôle sur l'activité du procureur.

Ces précisions étant apportées, je veux réaffirmer l'absolue volonté du Gouvernement de faire en sorte que la convention de Rome puisse être ratifiée dans les meilleurs délais et que la Cour pénale internationale voie le jour le plus rapidement possible. Notre pays, vous le savez, a signé la convention le lendemain même de son adoption et nous aimerions que tous les pays qui ont voté en faveur de ce texte - ils étaient 120 - fassent très rapidement de même.

La ratification de ce traité, qui marquera l'attachement de la France aux valeurs fondamentales que la Cour pénale internationale contribuera à défendre, nécessite au préalable que notre Constitution soit adaptée, car le statut de Rome modifie, il est vrai, certaines données traditionnelles du droit français.

Le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité dont je viens d'exposer les grandes lignes devait être précédée d'une révision de la Constitution.

Pour répondre à cette question, le Conseil a confronté le traité à trois séries de normes d'égale valeur constitutionnelle : les dispositions même de la Constitution de 1958, les principes de rang constitutionnel en matière de droit pénal et de procédure pénale, le respect enfin des c onditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Par sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil a estimé que le traité qui lui était soumis était conforme, à l'exception de certaines de ses stipulations. Avant de détailler les points qui ont fait l'objet de déclarations d'inconstitutionnalité, je voudrais faire quelques remarques.

Pour commencer, certaines stipulations du traité ne posent aucun problème constitutionnel. Je crois important d'appeler votre attention sur le fait que les déclarations de non-conformité à la Constitution ne traduisent aucune sorte de réserve de la part de la Haute juridiction à l'encontre du traité signé à Rome le 18 juillet dernier.

Le Conseil constitutionnel, en effet, a tenu à réaffirmer que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international. Aucune disposition de notre loi fondamentale ne s'oppose à ce que la France puisse signer et ratifier un traité qui prévoit en


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particulier la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une exceptionnelle gravité.

Une telle prise de position montre bien que notre pays est ouvert au droit international, comme le confirme dur este le préambule de 1946 qui énonce que la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international.

Celles-ci ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la souveraineté nationale, d'autant moins que le quinzième alinéa du même préambule indique clairement que, sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix. Or tel est bien le but de l'institution de la Cour pénale internationale.

A cet égard, je considère que la décision du Conseil constitutionnel est extrêmement importante quand elle affirme que, eu égard à l'objet de la Convention de Rome, la clause de réciprocité n'a pas lieu de s'appliquer.

Le fait que les autres Etats parties ne respecteraient les obligations qui leur incombent ne saurait en effet être un motif pour exonérer la France des siennes, pour sanctionner les crimes les plus odieux.

M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Si la Haute Juridiction marque ainsi l'adhésion de la France au système du droit international, elle a en revanche souligné, comme elle l'avait déjà fait dans ses décisions concernant les traités de Maastricht et d'Amsterdam, que dès lors que les engagements internationaux de la France contiennent une clause contraire à la Constitution et mettent en cause des droitse t libertés constitutionnellement garantis, ou encore portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle.

Qu'en est-il en l'espèce ? Comme le relève la décision du Conseil, qui rejoint assez largement l'avis rendu le 29 février 1996 par le Conseil d'Etat, le traité portant statut de la Cour pénale internationale est incompatible avec la Constitution sur trois points.

En premier lieu, les dispositions de l'article 27 du statut rendent justiciables de la Cour pénale internationale tous les ressortissants des Etats parties, sans que la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement ou de membre d'un gouvernement ou d'un parlement puisse être prise en compte. Autrement dit, cet article est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution.

En deuxième lieu, la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard de la France affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans deux hypothèses : l'intervention d'une loi d'amnistie et l'application des règles nationales de prescriptions.

D'une part, malgré le vote par le Parlement national d'une loi d'amnistie, la Cour pénale pourrait se reconnaître compétente pour juger certaines personnes qui en ont bénéficié, si elle estimait que cette loi avait pour but réel de les faire échapper aux poursuites. Dans un Etat de droit comme le nôtre, cette hypothèse reste bien entendu d'école : la Cour pénale aura toujours la possibilité de prendre en compte, sur le fondement de l'article 20 du statut, les lois d'amnistie régulièrement votées.

D'autre part, comme les crimes définis par le statut sont imprescriptibles - article 29 -, la Cour pourrait se reconnaître compétente malgré l'application normale des règles de droit interne en matière de prescription.

L'obstacle ainsi mis à la volonté du législateur français, même s'il est très hypothétique, est constitutif d'une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

En troisième lieu, bien que les pouvoirs que le procureur de la Cour pénale tient de l'article 99 soient exclusifs de tout recours à la contrainte, le Conseil constitutionnel a jugé que ceux-ci pouvaient également porter atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale.

Remarquons que c'est précisément cette absence de mesure de contrainte qui avait conduit la haute juridiction à ne pas voir de transfert de souveraineté dans les pouvoirs accordés aux agents chargés des poursuites transfrontalières dans le cadre de la convention d'application de l'accord de Schengen. Mais le Conseil a sans doute jugé que la possibilité donnée au procureur de recueillir directement sur le territoire de l'Etat des dépositions de témoins et à inspecter des sites ou des lieux publics restait trop vague au regard de la règle qui veut que les autorités judiciaires françaises soient seules compétentes pour accomplir les actes demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire.

Tirant les conséquences de cette décision, le Président de la République et le Gouvernement ont estimé que les obstacles de nature constitutionnelle, au demeurant très limités, devaient être surmontés afin que le Parlement puisse autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale et que le Président de la République puisse déposer les instruments de ratification.

C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de compléter le titre VI de la Constitution, relatif aux traités et accords internationaux, par un article 53-2 nouveau disposant que la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. Ainsi, par u ne formule générale qui permet de répondre à l'ensemble des motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel, le Parlement pourra autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale.

En conclusion, mesdames et messieurs les députés, je crois que la France montre, par cette révision constitutionnelle, qu'elle est déterminée à faire aboutir la mise en place de la Cour pénale internationale permanente et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que soixante Etats au moins ratifient la Convention de Rome, condition, comme vous le savez, pour que celle-ci puisse entrer en vigueur.

Ce faisant, nous réaffirmons que, parce qu'il porte atteinte à la dignité humaine, parce qu'il s'attaque à la nature humaine et aux fondements mêmes de la communauté internationale, le crime contre l'humanité doit être poursuivi, sanctionné et mérite une réponse forte et coordonnée des systèmes nationaux et internationaux de justice pénale.

L'histoire, je l'ai dit en commençant, nous enseigne qu'il ne faut jamais baisser la garde. Or que de difficultés pour juger des dictateurs tels que Pinochet ou les dirig eants khmers rouges lorsque les Etats eux-mêmes renoncent à leur compétence ! Pourtant, ni le crime contre l'humanité ni le génocide ne peuvent rester impunis. Si la Cour pénale internationale existait, au moins pourrait-elle être saisie dans le cadre de ses compétences,


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et pour des faits postérieurs à sa mise en place, des exact ions qui ont profondément heurté la conscience humaine.

Sitôt qu'elle existera, elle deviendra, j'en suis convaincue, par son existence même, une menace pour tous les dictateurs sanguinaires. Dès aujourd'hui, l'existence du tribunal d'Arusha nous donne espoir de voir juger un jour les crimes du génocide rwandais. De même, le tribunal pénal international de La Haye nous permet d'espérer voir un jour jugés les criminels de Bosnie, de Croatie, de Serbie, de voir un jour Milosevic puni pour le martyre qu'il inflige aux femmes, aux enfants, aux hommes, à toute la population du Kosovo, qu'il déporte et qu'il massacre. (Applaudissements.)

Cette construction n'est bien sûr pas achevée mais, avec la convention de Rome, après tant d'années d'attentes et d'espoirs déçus, nous avons franchi le cap du possible et du probable pour entrer dans une phase moins théorique et illusoire, où l'on s'efforcera enfin de concevoir différemment la place de la justice pénale internationale dans la résolution des conflits les plus graves.

Il nous faudra, pour que la Cour, une fois installée, puisse effectivement remplir tout son rôle, beaucoup de p atience, beaucoup de prudence, peut-être un peu d'abnégation et surtout de la constance. Vous pouvez, mesdames, messieurs les députés, compter sur le Gouvernement, dont je fais partie, pour être l'artisan de cette constance et de cette rigueur. Vous avez entendu ici même le Premier ministre exprimer sa volonté de voir punis les crimes contre l'humanité. Je suis convaincue que cette volonté est partagée sur tous vos bancs.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

« Conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui d éfient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine, déterminés à ces fins et dans l'intérêt des générations présentes et futures à créer une Cour pénale internationale permanente... » Ces quelques lignes,

monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, sont extraites du préambule du traité signé à Rome, le 18 juillet 1998.

Coïncidence historique tragique mais significative, pour reprendre les mots de M. le Premier ministre : au moment où nous débattons, il se commet à chaque instant des crimes qui, demain, relèveront de la Cour pénale internationale.

La création de la Cour pénale internationale est l'aboutissement d'un long cheminement.

Déjà, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'ampleur des massacres conduisirent les dirigeants des puissances alliées à s'engager en faveur de l'institution d'une juridiction chargée de châtier les responsables.

Ainsi, dans son article 227, le traité de Versailles disposait que Guillaume II devait être déféré à un tribunal spécial pour « offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ».

L'horreur de la Deuxième Guerre mondiale, la gravité des crimes commis furent à l'origine de la création des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, dont les statuts définirent trois catégories d'infractions internationales : les crimes contre la paix, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité.

L'idée de la création d'une Cour pénale internationale permanente apparaît dans l'article 10 de la convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, qui évoque la possibilité de traduire les personnes accusées d'un tel crime devant une cour criminelle internationale.

Par une résolution de 4 décembre 1989, l'assemblée générale des Nations unies demanda à la commission du droit international d'étudier à nouveau la question de l'institution d'une juridiction pénale internationale.

Mais ce projet n'était pas abouti lorsque la réprobation de l'opinion publique internationale, devant la gravité et l'ampleur des crimes commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda, imposa qu'une solution soit trouvée pour poursuivre et sanctionner leurs auteurs.

L'institution de tribunaux ad hoc , pour juger les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda est intervenue à l'initiative du Conseil de sécurité, par la résolution du 22 mai 1993 pour le tribunal criminel international pour l'ex-Yougoslavie, et par la résolution du 8 novembre 1994 pour le Rwanda.

Le Conseil de sécurité s'est placé dans le cadre du chapitre 7 de la charte des Nations unies relative au maintien de la paix et de la sécurité internationale. Le Conseil de sécurité peut en effet créer, en vertu de l'article 29 de la charte de l'ONU, « les organes subsidiaires qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions » et décider, en vertu de l'article 41, « les mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée pour donner effet à ses décisions ».

Les tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda exercent leurs compétences sans le consentement des

Etats concernés. Ils disposent d'un pouvoir d'auto-saisine et de dessaisissement des autorités judiciaires nationales et adoptent leurs règlements de procédure sans que les Etats interviennent.

L'organisation et les principes régissant ces tribunaux ad hoc ont largement inspiré le contenu du traité signé à Rome le 18 juillet 1998, portant création d'une Cour pénale internationale.

L'acte final de la conférence a été adopté par les délégués de cent vingt pays, sept pays ont voté contre et dixsept se sont abstenus. L'article 114 du statut dispose qu'il entrera en vigueur après que soixante Etats auront ratifié le traité de Rome.

La Cour pénale internationale aura compétence pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression, mais uniquement quand celui-ci aura été défini par la conférence de révision qui se tiendra sept ans après l'entrée en vigueur du statut.

Les crimes de génocide sont définis comme les « actes commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Les crimes contre l'humanité sont consacrés comme des infractions autonomes commises en dehors de tout conflit armé. Une liste indicative est donnée des actes inhumains qui peuvent être ainsi qualifiés lorsqu'ils sont perpétrés « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile et en connaissance de l'attaque ».


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Quant aux crimes de guerre, ils sont définis comme tout acte attentatoire aux principales conventions du droit international humanitaire commis au cours d'un conflit armé international.

Le traité précise l'organisation de la Cour. Je vous renvoie à mon rapport écrit sur ce règlement.

Le règlement de procédure et de preuve, en cours de discussion, devra être adopté par l'assemblée des Etats parties, à la majorité de deux tiers de ses membres.

La Cour pénale peut être saisie par un Etat partie à la convention ou par le Conseil de sécurité. Le procureur peut prendre lui-même l'initiative d'engager une enquête après autorisation de la chambre préliminaire.

Le statut pose le principe fondamental de la complémentarité de la compétence de la Cour par rapport à celle des juridictions pénales nationales. La complémentarité doit être distinguée de la subsidiarité, principe qui veut qu'une institution n'intervienne que si d'autres ne l'ont pas fait. L'institution permanente qu'est la Cour pénale internationale intervient pour compléter l'action des juridictions internes qui ne sont pas dépourvues de compétences pour ces mêmes crimes.

Si les Etats conservent la responsabilité principale dans les jugements des personnes, la Cour conserve, au titre de la complémentarité, la capacité à pallier leurs carences.

Mais ce système respectueux du consentement des

Etats disparaît lorsque la Cour est saisie par le Conseil de sécurité, au titre du maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Le Conseil de sécurité pourra imposer à un Etat non membre la juridiction de la Cour. Il pourra même contraindre les Etats à renoncer à leurs compétences au bénéfice de la juridiction de la Cour.

Le statut dispose que les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas et que les règles nationales en matière de prescription ou d'amnistie ne sont pas opposables à la Cour. Il précise, enfin, que la qualité officielle, notamment de chef de l'Etat, de membre du Gouvernement ou du Parlement, n'exonère pas de la responsabilité pénale.

L'objectif du traité portant création de la Cour pénale internationale est clairement de surmonter les obstacles que le principe même de la souveraineté nationale opposait à la répression des crimes les plus atroces. Il est donc, d'une certaine façon, tout à fait naturel que le Conseil constitutionnel ait pu constater qu'il portait atteinte sur certains points aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté puisque c'était en quelque sorte le but visé ! Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, a considéré que l'autorisation de ratifier le traité exigeait une révision préalable de la Constitution. Il a notamment retenu que l'article 27 du statut, qui proscrit tout immunité, méconnaissait les régimes particuliers de responsabilité prévus par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution, relatifs aux régimes de responsabilité des membres du Parlement, du Président de la République et des membres du Gouvernement.

Le Conseil constitutionnel a également considéré que le fait que la Cour pénale internationale puisse être valablement saisie lorsque le crime commis a été amnistié ou prescrit selon la loi française et que notre pays puisse être conduit à arrêter ou à remettre à la Cour l'auteur de ces crimes était une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, au sens de sa jurisprudence habituelle. Il a établi le même constat s'agissant des dispositions qui permettent au procureur de procéder à certains actes d'enquête.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis ne répond pas, point par point, aux objections du Conseil, mais propose d'inscrire dans la Constitution une formule générale, qui deviendrait l'article 53-2 ainsi rédigé : « La République peut reconnaître les juridictions de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. »

Le choix de cette formule générale mérite d'être a pprouvé tant il était pratiquement impossible de répondre point par point, s'agissant notamment des cas d'inconstitutionnalité qui ne sont pas relevés par référence à des articles précis de la Constitution.

Toutefois, cette formule générale, en faisant référence au traité signé le 18 juillet 1998, ne couvre que les inconstitutionnalités soulevées dans la décision du 22 janvier 1999.

Ainsi, il n'apparaît pas possible de retenir de cette formule générale une conformité a priori des futurs amendements au traité, y compris ceux dont le principe est déjà arrêté, comme la définition du crime d'agression.

Toute modification du traité signé à Rome le 18 juillet 1998 nécessitera donc, le cas échéant, une nouvelle révision de la Constitution.

Le traité de Rome ne marque pas l'émergence d'une autorité judiciaire internationale indépendante mais, au contraire, est profondément marqué par la procédure diplomatique préalable à son adoption.

C omment ne pas relever la singularité de l'article 111-10 qui permet aux Etats signataires de se soustraire à la compétence de la Cour pendant une période de sept ans pour les crimes de guerre ? Comment ne pas s'étonner que, parmi les sept pays qui ont refusé de signer le traité, figurent les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, Israël ? Comment ne pas s'interroger sur la réalité de la mise en oeuvre des mesures coercitives ordonnées par la Cour alors que l'expérience du tribunal sur l'ex-Yougoslavie en révèle toute la difficulté ? Comment, enfin, accepter l'idée même d'un droit de retrait pour les Etats parties au traité ? Toutes ces réserves, dont l'expression est légitime, ne peuvent faire oublier l'essentiel, et notamment la possibilité pour le Conseil de sécurité d'imposer la compétence de la Cour à tout Etat, même non partie au traité.

Elles ne peuvent non plus faire oublier qu'il ne s'agit plus d'une justice des vainqueurs qui recherchent la juste peine pour les vaincus, mais d'un droit pénal international qui définit les crimes les plus graves et met en oeuvre une institution permanente chargée de les réprimer, au nom de la défense des valeurs communes à la communauté humaine tout entière, et que, enfin, la protection tirée du principe de la souveraineté nationale disparaît devant la responsabilité pénale individuelle consacrée par le traité, quelles que soient les fonctions exercées par les auteurs de ces crimes.

Il ne s'agit pas seulement de la ratification d'un traité, mais d'abord, et peut-être surtout, d'un engagement fort de la France dans un processus de civilisation, d'humanisation.

Le Conseil constitutionnel a lui-même marqué le caractère fort et particulier de cet engagement en relevant que le principe de réciprocité, prévu à l'article 55 de la


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Constitution, n'a pas lieu de s'appliquer. Autrement dit, la France s'engage sans préalable et sans exiger de contrepartie.

Souhaitons que, demain, la pratique s'inscrive dans cette démarche fidèle aux principes universels des droits de l'homme.

Souhaitons qu'à l'exemple de Pinochet ou de Karadzic tous les dictateurs prennent conscience que l'histoire les rattrapera...

M. François Goulard.

Eh oui !

M. Alain Vidalies, rapporteur.

... et que, demain, ils auront rendez-vous avec leurs juges.

M. François Goulard.

Castro, en particulier !

M. Alain Vidalies, rapporteur.

C'est dans cet esprit que la commission des lois vous invite à voter, sans modifications, le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis.

(Applaudissements.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Madame la ministre, je suis toujours un peu surpris que certains soient tentés d'opposer l'universalité des droits de la personne humaine aux droits des

Etats, fussent-ils démocratiques. Les Etats démocratiques ont effectivement en commun de porter un certain nombre de valeurs, d'avoir inscrit le respect des valeurs fondamentales des droits de l'homme au coeur de leur constitution.

L'histoire nous a montré comment, au nom du racisme, du colonialisme, des justifications révolutionnaires ou, plus récemment et pendant longtemps, des intérêts de bloc, ont été bafoués, sous couvert de bonne conscience ou du droit du plus fort, ethniquement, religieusement, idéologiquement, le droit des peuples, le droit de la personne humaine et, pour prendre le contexte actuel, le droit des peuples à disposer d'euxmêmes.

Cette situation qui semble encore exister ici ou là repose sans doute sur l'idée que tout droit supranational remettrait en cause le libre arbitre de l'Etat nation. Mais de quel droit parlons-nous ? Celui de massacrer des minorités ? Celui de gérer dans la connivence des zones d'influence en laissant perpétuer ici ou là des exactions ? Celui d'imposer sa conviction contre toute logique démocratique ? Pour nous, ce débat a été tranché par l'histoire.

La disparition des blocs ouvre une nouvelle période et sans doute une nouvelle perspective permettant d'imposer aux Etats de nouvelles obligations, d'accepter, après tant d'années d'hésitation, de recul et d'impossibilité juridique ou politique, la création d'une Cour pénale internationale et de confier à cette instance le devoir de faire respecter ces valeurs quand elles sont niées ici ou là par tel ou tel régime, tel ou tel dictateur ou tel ou tel généralissime.

Nous sommes actuellement dans une situation presque schizophrénique. Comme le feront sans doute d'autres assemblées dans de nombreux pays dans les semaines et les mois qui viennent, nous abordons un débat démocratique sur les conditions de ratification du statut de la C our pénale internationale, tandis qu'au coeur de l'Europe, un conflit se déroule et des exactions se commettent pas très loin d'ici.

Le risque de la création d'une telle cour, c'est peutêtre, et nous en sommes conscients, une banalisation du mal. Quand la Cour pénale internationale aura à statuer sur telle ou telle situation, elle consacrera, ce faisant, l'échec de la prévention politique et de la capacité du politique à avoir en amont, préalablement, par la discussion, la négociation, des dispositifs de prévention, réussi à éviter que des exactions se commettent.

Mais tout de même, comment ne pas avoir présent à l'esprit que l'inexistence d'une telle cour, dont la création a été maintes fois refusée, a pu permettre à un certain nombre de personnes, ici ou là de par le monde, de se sentir à l'abri et en situation de pouvoir revendiquer une certaine ou une totale impunité ? Il est temps que les bourreaux d'aujourd'hui sachent qu'ils ne seront pas impunis. Il est temps que MM. Vladic, Karadzic, Arkan sachent qu'ils ont un rendez-vous et, qu'ils le veuillent ou non, qu'il est déjà pris au regard de l'histoire, pour les actes qu'ils ont déjà commis.

Dans ces conditions, on peut se demander si la Cour pénale n'est pas finalement un outil intervenant très loin derrière, après des forfaits ou des horreurs. Mais à ceux qui doutent de l'intérêt d'une réponse de la CPI aux exactions commises il y a déjà un certain temps, on doit simplement répondre, comme vous l'avez fait, madame la ministre, que de tels crimes sont imprescriptibles, et que, quel que soit l'endroit ou le délai, il n'est pas opposable au fait que les personnes soient poursuivies, pourchassées, arrêtées et jugées.

Alors, banalisation ou pas ? Je crois que nous arrivons aujourd'hui à une autre période de la construction internationale, et c'est un pari que nous assumons pleinement : arriver à une nouvelle justice internationale pouvant progressivement mais, j'espère, rapidement, quels que soient les situations, les influences et le poids politique des pays concernés, se hisser au-dessus de ces influences, et apprécier sereinement un manquement aux règles fondamentales de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Quand le politique aura échoué ou n'aura pas su anticiper, il déléguera sa responsabilité à la CPI pour qu'elle juge les criminels de guerre.

Bien évidemment, certains, aujourd'hui, se demandent si, dans telle ou telle situation, la CPI ne pourrait pas contredire des habitudes ou des droits des Etats-nations.

De ce point de vue-là, il faut être clair.

Nous, nous faisons le choix à la fois de réaffirmer le rôle du politique et de faire peser une épée de Damoclès sur la tête de chaque bourreau. Nous acceptons sans naïveté le risque de l'imperfection d'une cour internationale, en tout cas dans un premier temps et dans ses premiers pas, plutôt que de donner une prime à l'impunité.

Nous acceptons qu'une telle cour soit créée et mise en place, car quand les droits fondamentaux de la personne ne sont pas respectés, ni la non-ingérence ni le droit de chaque Etat à disposer de son territoire et de ses habitants ne sont plus opposables au droit international.

Nous arrivons à un stade nouveau de la construction internationale, et cela requiert de savoir contester les attitudes qui font obstacle au progrès de l'humanité. Il faut avoir le courage politique de cette position.

Je ne reviendrai pas sur la genèse de ce projet ni sur les problèmes constitutionnels, mais je m'attarderai sur le recours à l'article 124.

J'ai bien entendu votre propos, madame la garde des sceaux, sur la tentation que pourraient avoir certains de multiplier des recours à cette instance pour criminaliser des situations, et porter atteinte à des pays engagés dans des interventions humanitaires ou des opérations de forces multinationales. Je crois néanmoins que faire appel


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à cet article, même pour une période transitoire de sept ans, serait donner un mauvais signal. La France, qui, parmi quelques autres pays et peut-être le tout premier, a su, sur un certain nombre de points, et à des moments importants de l'histoire, montrer la voie, ferait un pas qui serait emboîté par beaucoup d'autres, en refusant pendant sept années de reconnaître que le crime de guerre entre dans le champ de compétences de la Cour.

S'il existe des raisons plus précises, plus fondamentales ou plus vitales par rapport à notre propre histoire, j'aimerais les connaître. Si des éléments, dans un passé plus ou moins récent, permettent de penser que des ressortissants français peuvent être en difficulté au regard du droit et des prérogatives de la Cour, il faudrait que ce soit plus clairement dit ici.

Dans tous les cas de figure, le recours à l'article 124 serait un mauvais signal donné à de nombreux pays qui, de fait, ont tout intérêt à s'engouffrer dans cette brèche ou, carrément, à ne pas ratifier le traité. Accepter les prérogatives et les compétences de cette cour signifie que, même si tel ou tel acte a été commis, on accepte d'être jugé par elle.

Pour ma part, en tout cas, je ne veux pas prendre en c ompte les raisons qui fonderaient un recours à l'article 124. Les députés Verts ont écrit au Premier ministre pour demander que la France ratifie le traité sans y faire appel.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, étant donné les circonstances, la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité portant création de la Cour pénale internationale prend, cet après-midi, un relief exceptionnel. Comment, en effet, aborder cette question des sanctions contre les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes d'agression, dans la sérénité que confèrent l'éloignement, la distance par rapport à l'événement, alors que, à l'heure où nous parlons, se commentent sans doute au Kosovo des crimes de guerre, des crimes d'agression, voire des crimes contre l'humanité ? L'actualité éclaire notre débat d'un jour, hélas, particulièrement réaliste et actuel, d'une lumière trop crue.

Au-delà de l'émotion qui nous habite, au-delà des sentiments que nous ne pouvons pas ne pas éprouver, les questions de principe que soulève le traité - et qui touchent à la légitimité du droit pénal international et de ses fondements, au principe de la souveraineté des Etats opposée au respect du droit, au rôle de l'organisation des Nations unies et du Conseil de sécurité - trouvent un écho dramatique dans les événements du Kosovo. Les débats portant sur la nécessité, pour l'Alliance, d'intervenir au Kosovo, sont ceux-là mêmes qui accompagnent la mise en oeuvre d'un droit pénal international.

Au-delà des péripéties et des contingences, tout se résume à une seule question : y a-t-il un droit supérieur à la loi des Etats ? Le droit s'impose-t-il ou non aux Etats ? A ceux qui répondent par l'affirmative se pose une seconde question qui, certes, n'a rien de secondaire, celle de la mise en oeuvre de ce droit. L'interrogation fondamentale demeure toutefois celle de la légitimité - celle des interventions militaires comme celle de la mise en oeuvre du droit pénal international -, qui passe par la reconnaissance de la suprématie du droit.

Par principe, la réponse des libéraux, dans cette affaire comme dans toutes celles qui concernent les hommes, est que, même s'ils font très largement le droit, les Etats n'ont pas tous les droits. Ils doivent se soumettre au droit et, en particulier, respecter les droits de l'homme. S'ils ne le font pas, l'intervention de la communauté internationale est légitime.

Si le régime yougoslave était démocratique, ce qu'il n'est pas, il se trouverait peut-être une majorité des compatriotes de Milosevic pour approuver ses exactions : il n'en resterait pas moins qu'elles sont infâmes et appellent des sanctions. L'éclairage des principes dissipe souvent les brumes des circonstances, démêle l'écheveau des données, la complexité des situations. Aujourd'hui, qu'il s'agisse de notre intervention au Kosovo ou du traité portant statut de la Cour pénale internationale, le principe à affirmer est celui du primat absolu du droit.

Encore faut-il que la mise en oeuvre du droit, de la justice, soit possible.

On a souvent cité Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. » Aujourd'hui, cette conciliation de la force et de la

justice est en partie possible pour ce qui concerne les affaires internationales.

Jusqu'à la fin des années quatre-vingt et à la chute, hautement symbolique, du mur de Berlin, le monde bipolaire interdisait largement la mise en oeuvre du droit au plan international. Aujourd'hui, l'effondrement du monde communiste, à l'exception notable de la Chine, donne, sur la scène mondiale, la primauté à des Etats qui respectent les droits de l'homme.

Sans doute faut-il se garder de tout angélisme lorsque l'on considère les rapports entre les Etats ; sans doute serait-ce manquer de réalisme que d'exclure toute considération de puissance, de recherche d'intérêt, voire d'envie de domination dans les facteurs qui agissent sur le comportement des Etats les uns à l'égard des autres ; mais il est incontestable qu'il est infiniment plus facile aujourd'hui qu'avant la chute du mur de Berlin d'envisager une action concertée des nations au bénéfice du respect du droit. L'intervention de l'Alliance au Kosovo en est une illustration.

On peut regretter, comme certains, que le rôle de l'ONU n'ait pas été plus important et plus déterminant dans le déclenchement de cette intervention. Mais cela est imputable à la composition actuelle du Conseil de sécurité, qui remonte, vous le savez, à une période où le réalisme commandait de rassembler, au sein de l'ONU, dans un organe commun investi du plus grand pouvoir de décision, toutes les puissances sans le consentement desquelles il eût été inconcevable d'entreprendre quoi que ce fût.

On peut, aujourd'hui, rêver d'un Conseil de sécurité idéal, dans lequel seules auraient leur place les puissances respectant le droit et admettant sa supériorité, ce qui exclurait évidemment certains membres permanents du Conseil de sécurité. Mais faute de disposer de cette organisation mieux adaptée, je le pense, au monde d'aujourd'hui, au monde de l'après-Mur, nous devons, au nom du pragmatisme, de l'efficacité, accepter l'imperfection procédurale qui a présidé à l'intervention du Kosovo.

Nous nous en convainquons aujourd'hui à propos de cet exemple dramatique, des actions de police internationales sont à la fois légitimes et possibles. Elles sont fondamentalement indissociables de l'existence d'une véritable justice pénale internationale. Comment tolérer, en effet, que les crimes qui sont perpétrés presque sous nos


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yeux demeurent impunis alors que nous avons désormais la possibilité matérielle de les soumettre à un jugement, alors que, pour reprendre la formule de Pascal, la force peut accompagner la justice ? Le droit pénal international, balbutiant, imparfait, limité historiquement à des périodes exceptionnelles où il était surtout le droit des vainqueurs, doit progressivement s'affirmer. Le droit pénal international, vieux rêve né dans l'esprit des hommes en même temps que l'idée de justice, a aujourd'hui une chance d'être réellement fondé.

Dans l'histoire moderne, c'est à la suite des deux guerres mondiales qu'est née l'idée qu'il fallait poursuivre les crimes commis pendant le conflit, et leurs auteurs.

Le traité de Versailles de 1919 - le rapporteur y faisait allusion tout à l'heure - comportait un chapitre relatif aux sanctions, mais, après la Première Guerre mondiale, on a préféré laisser l'Allemagne juger elle-même ses criminels de guerre, ce qu'elle a fait en les laissant s'enfuir.

L'empereur Guillaume II lui-même s'est réfugié en Hollande, où il est mort fort tranquillement en 1941.

Après l'épouvante de la Seconde Guerre mondiale, le tribunal de Nuremberg et le tribunal de Tokyo ont largement contribué à définir ce que l'on appelle « les incriminations » en droit pénal international.

Je voudrais, à ce sujet, citer une très belle formule d'Hannah Arendt : « Les mesures prises à l'encontre d'un crime sans précédent ne sont valables que si elles constituent des précédents dignes de figurer dans un code pénal international futur. » C'est tout le sens des efforts actuel-

lement accomplis pour instaurer une Cour pénale internationale.

Depuis Nuremberg et Tokyo, deux résolutions des Nations unies ont créé d'abord, en mai 1993, le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui siège à La Haye, puis, en novembre 1994, le tribunal pénal international pour le Rwanda.

Toutefois, le traité signé à Rome le 17 juillet 1998 présente des traits assez différents. D'une part, il ne résulte pas d'une décision unilatérale, émanât-elle de l'ONU, mais d'un accord conclu entre 120 Etats. D'autre part, sa compétence est générale et non limitée au théâtre d'événements particuliers, comme les deux tribunaux internationaux précédents.

Sans doute - nombre de nos collègues l'ont dit avant moi à cette tribune - ce traité est-il imparfait. Sans doute la possibilité laissée à un Etat signataire de ne pas reconnaître la compétence de la Cour en ce qui le concerne pour les crimes de guerre - il lui suffira pour cela de se soustraire à sa juridiction pendant sept ans est-elle particulièrement frustrante. Sans doute la compétence de la Cour n'est-elle pas universelle, puisqu'il faut une saisine du Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'elle s'étende à des crimes commis par des ressortissants d'un Etat non signataire du traité. Sans doute est-il dommage que manquent à la liste des signataires des pays comme les Etats-Unis, l'Inde ou Israël. Mais, quelles que soient ces limites et ces imperfections, le principe même de la création de la Cour pénale internationale est d'une portée considérable. C'est une étape décisive dans la constitution du droit pénal international. A ce titre, le groupe Démocratie libérale ne peut qu'appeler à la ratification rapide du traité signé à Rome. C'est ce qu'a fait Alain Madelin dès l'année dernière en déposant symboliquement une proposition de loi de ratification.

Le préalable à cette ratification est la révision constitutionnelle puisque, saisi en vertu de l'article 54 de notre Constitution et par le Président de la République et par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel l'a estimé à plusieurs points de vue nécessaire.

Très brièvement, elle est nécessaire au regard des dispositions relatives à la responsabilité pénale des titulaires de certaines fonctions officielles ; elle est nécessaire au regard de l'intervention possible des autorités judiciaires mises en place par le traité qui est susceptible de porter atteinte à des conditions d'exercice de la souveraineté nationale ; elle est nécessaire, enfin, parce que la Cour pourrait s'intéresser à des faits couverts par l'amnistie ou la prescription au regard de la loi française et que, là aussi, il y a atteinte à des conditions d'exercice de la souveraineté nationale.

Mais le Conseil a également énoncé des principes que je voudrais rappeler ici en citant le texte de la décision.

En se fondant sur le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et sur celui de la Constitution de 1946, le Conseil a estimé « que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que [...] la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les d roits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi que la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ». En résumé, ce considérant implique que notre juge constitutionnel reconnaît - et c'est exceptionnel en droit international - qu'il existe un droit supérieur à la loi des Etats.

La formule retenue par le Gouvernement pour la révision constitutionnelle n'appelle pas d'observations particulières. Elle est incontestablement la plus simple et la plus rapide. Mes chers collègues, en votant ce projet de loi constitutionnelle en première lecture, nous franchissons la première étape d'un long processus. Ce faisant, ayons conscience que, malgré les limites et les imperfections du traité dont nous autoriserons demain la ratification, c'est à la construction, longue mais prometteuse, d'un véritable droit pénal international que nous participons, c'est à l'affirmation d'un principe fondamental que nous procédons, celle de la suprématie du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis vise à rendre notre Constitution compatible avec le traité signé à Rome par le Gouvernement français le 18 juillet 1998, traité instituant une Cour pénale internationale, comme juridiction permanente et indépendante reliée aux Nations unies. Cette démarche intervient à un moment où le drame du Kosovo donne au débat un éclairage cru et tout particulier.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

La Cour internationale sera chargée de réprimer des actes détaillés de façon très précise - le génocide, l es crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, mais aussi les crimes d'agression qui restent à définir -, que ces actes aient été commis dans des guerres mettant aux prises plusieurs Etats ou dans des conflits internes à un pays, sans qu'il puisse toutefois y avoir rétroactivité. La Cour pénale internationale pourra donc instruire à l'avenir contre des individus présumés coupables, à condition que le pays où ils auront commis ces crimes, ou leur propre pays, ait adhéré au traité.

Mais, à la suite de la signature du traité de Rome, le Président de la République et le Premier ministre ont demandé au Conseil constitutionnel si la ratification du traité serait conforme à la Constitution française ou s'il convenait de procéder avant la ratification à une révision constitutionnelle.

Le Conseil, dans sa décision du 22 janvier dernier, s'est prononcé pour une révision constitutionnelle préalable.

En effet, s'il a estimé que le traité respectait les principes fondamentaux de notre droit et de notre procédure pénale, ayant valeur constitutionnelle en matière de présomption d'innocence, d'indépendance et d'impartialité des juges, le Conseil a décidé que trois points essentiels étaient contraires à notre souveraineté telle qu'elle est définie par la Constitution.

Ce sont la non-prise en compte par la Cour pénale internationale, en cas de poursuites, de certaines immunités qui nous sont propres ; la caducité éventuelle de nos lois d'amnistie et de nos règles de prescription ; enfin, la possibilité donnée au procureur général près la Cour pénale internationale de mener des investigations sur le territoire national.

Au moment d'engager la procédure de révision de notre Constitution, il est légitime que nous nous demandions si les abandons de souveraineté auxquels nous sommes invités sont justifiés par de réelles avancées du droit international en faveur de la paix et du respect des droits de l'homme. Le fait de saluer des avancées et d'envisager l'avenir avec un optimisme raisonné et nuancé, le fait d'être favorable à la présente révision constitutionnelle en vue de permettre la ratification du traité du 18 juillet 1998 n'interdisent pas de se poser quelques questions.

On connaît les précédents : l'idée de mettre en place une cour internationale remonte à fort longtemps puisqu'elle était déjà envisagée dans le cadre du traité de Versailles ; dans l'entre-deux-guerres la SDN a voulu la faire concrétiser sans réussir ; à Tokyo et à Nuremberg, les tribunaux militaires internationaux ont jugé de crimes particulièrement atroces ; enfin, la création d'un tribunal international était envisagé après la Seconde Guerre mondiale et prévue par la convention du 9 décembre 1948 réprimant le crime de génocide. Mais pendant quelque quarante-cinq ans, la guerre froide a bloqué le processus.

Si bien qu'en 1993 pour les affaires de Yougoslavie et, en 1994, pour celles du Rwanda, la communauté internationale a installé des tribunaux ad hoc sur la base du chapitre VII de la charte des Nations unies, ces tribunaux fonctionnant sans le consentement des Etats grâce à un mécanisme normal d'autosaisine. C'était là le résultat d'une demande croissante et déjà ancienne de l'opinion et des organisations non gouvernementales s'opposant au dogme onusien traditionnel de non-ingérence.

Les avancées marquées par le présent projet de traité sont fort importantes : une juridiction permanente et indépendante agira selon les principes de subsidiarité et de complémentarité lorsqu'il y aura, de la part d'un Etat, défaillance ou impossibilité de poursuivre.

La responsabilité des individus est envisagée clairement : le fait qu'ils aient agi sur ordre d'un supérieur ou d'un gouvernement ne les exonérera pas, en principe, de poursuites. Les actes les plus graves seront de la compétence de la Cour. La procureur pourra, en cas de silence ou de carence, s'autosaisir sous le contrôle d'une chambre préliminaire s'il n'est pas saisi par le Conseil de sécurité ou par dénonciation d'un Etat ou d'une victime, ou encore à la suite d'informations fournies par une organisation non gouvernementale.

Les victimes pourront se faire entendre et accéder à la procédure, ce qui sera nouveau et capital.

La coopération entre la Cour et les Etats parties pour le déroulement des enquêtes et des poursuites semble bien encadrée.

Une échelle de peines est prévue, pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité.

Enfin, la possibilité sera donnée à la Cour de punir des coupables qui, sans cela, échapperaient à la justice du fait de la faiblesse ou de la défaillance de l'Etat national, comme on l'a vu pour la Cambodge et comme on le voit pour le Chili.

Ainsi, à l'heure où la mondialisation politique et économique se développe à grande vitesse avec ses aspects positifs ou négatifs, devrions-nous assister à une certaine mondialisation de la justice. L'humanité pourrait enfin, à l'avenir, se prémunir contre l'impunité des criminels.

Mais nous n'en sommes pas encore là, en dépit des avancées que le traité de Rome devrait rendre possible, comme je l'ai rappelé.

En effet, la Cour connaîtra plusieurs limitations.

Première limitation : un criminel de guerre ne pourra être inquiété que si le pays où il aura commis ses crimes, ou son propre pays, a adhéré au traité. Un russe responsable des bombardements de cibles civiles à Grozny pourra à l'avenir être poursuivi puisque la Russie adhère au traité. Mais Saddam Hussein, s'il rééditait demain ses exactions contre les Kurdes ou les chiites, ne pourrait l'être puisque l'Irak n'est pas signataire. Il en serait de même pour Milosevic, qui a procédé à une opération de purification ethnique en Bosnie et la poursuit au Kosovo.

Il est en revanche passible du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

Deuxième limitation : le Conseil de sécurité qui peut saisir la Cour risque d'être paralysé par le veto des Etats membres, surtout s'ils n'ont pas adhéré au traité comme les Etats-Unis ou la Chine.

Troisième limitation : l'autosaisine de la Cour peut êtrer endue immédiatement inopérante si le Conseil de sécurité lui impose de ne pas commencer ou de continuer des enquêtes ou des poursuites pendant une période de douze mois renouvelable sans limitation.

Pourquoi ces absences au moment de la signature ? Pourquoi de telles dispositions à ce point restrictives ? On est en droit de se le demander.

L'Inde n'est pas signataire parce qu'elle aurait voulu que le recours à l'arme nucléaire soit considéré comme crime de guerre - et pourquoi pas ? pourrait-on se dire.

D'autres pays manquent à l'appel : le Soudan, l'Iran, la Birmanie, le Qatar, la Libye, la Turquie, la Chine, les


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

Etats-Unis, qui sont opposés au projet. Par contre, les

Etats africains et ceux d'Amérique latine victimes d'exactions tragiques ont été nombreux à signer.

Sur cent soixante pays réunis en juin-juillet 1998 à Rome, cent vingt ont signé le traité, dont les quinze de l'Union européenne. Le traité entrera en vigueur lorsque soixante pays au moins l'auront ratifié. Mais pourquoi les

Etats-Unis, première puissance, ayant joué un rôle décisif dans les deux guerres mondiales dans le camp de la liberté, omniprésents dans la vie internationale, autodésignés ou bien recherchés par de nombreux pays comme gendarmes du monde, ne figurent-ils pas parmi les signataires ? Il faut également se demander pourquoi le Gouvernement français, dont l'attitude a été décisive dans le succès de la négociation à Rome, a joué un rôle, important semble-t-il, dans l'adoption d'une disposition à laquelle vous avez fait allusion et qui permet à un Etat partie au traité de déclarer qu'il n'acceptera pas, pendant une période de sept ans suivant l'entrée en vigueur du statut, la compétence de la Cour pour les crimes de guerre commis par ses ressortissants ou sur son territoire. Cette disposition transitoire risque au demeurant de ne pas l'être puisque, loin d'être considérée comme caduque au bout de sept ans, elle devra être réexaminée lors d'une conférence ultérieure de révision du traité. Or les crimes de guerre sont les plus fréquents et leur sanction risque dans de nombreux cas d'être renvoyée à un futur très lointain, notamment par les Etats les plus dangereux pour les droits de l'homme.

La diplomatie française a fait remarquer que cette disposition, choquante en elle-même, avait au moins rendu possible l'adhésion de la Russie, et permis, pour ce qui concerne de nombreux pays, à la conférence d'aboutir.

Reste le refus des Etats-Unis qui, après avoir pesé dans le sens du compromis français, ont finalement décidé de ne pas signer le traité. Ce refus paraît d'autant plus inquiétant que, le 22 octobre dernier, l'ambassadeur américain chargé des crimes de guerre, David Sheffer, déclarait que le traité « contient des défauts qui le rendent inacceptable ». Il rappelait que les Etats-Unis avaient voté contre, réclamant en vain que la Cour ne puisse exercer sa juridiction qu'avec l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU, où les Etats-Unis disposent d'un droit de veto.

L'ambassadeur ajoutait : « Il n'existe aucune perspective pour que nous signions le traité dans un avenir proche. »

Et il concluait : « Nous craignons que, sans le soutien des

Etats-Unis, l'efficacité de la Cour pénale internationale soit très amoindrie. »

Les lacunes du traité, comme le refus de signer de nombreux Etats à l'histoire et au comportement si différents indiquent le difficile chemin qui nous reste à parcourir pour que l'institution de la Cour pénale internationale permette le châtiment des auteurs des crimes les plus graves contre l'humanité et pour que cette cour joue pleinement un rôle dissuasif.

Pour cela, il importe que la justice internationale devienne l'affaire de tous, à commencer celle des Etats les plus puissants, qui devraient se montrer exemplaires.

Sinon nous connaîtrons, sur le plan international, ce qui existe encore trop souvent sur celui des Etats : une justice à deux vitesses, une vitesse pour les pays riches et une vitesse pour les pays pauvres.

Pour faire progresser la défense de la paix et les droits de l'homme, il faut compter sur une prise de conscience de plus en plus forte des opinions et sur la volonté des

Etats démocratiques. A cet égard, félicitons-nous que les Quinze aient répondu présents au rendez-vous.

C'est dans cet esprit que doivent s'accomplir la présente révision constitutionnelle, puis la ratification du traité de Rome.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un individu qui est accusé d'en avoir tué un autre est traduit devant les juges de son pays et doit répondre de son acte sauf dans les cas, heureusement rares, où le système judiciaire de ce pays fait preuve de carence.

Un individu accusé d'avoir assassiné des dizaines de personnes, dans le cadre de génocides ou de crimes de guerre, un individu accusé d'avoir donné des ordres visant à éliminer des dizaines ou des centaines de personnes dans le cadre de génocides ou de crimes de guerre court aujourd'hui peu de risques d'avoir à répondre de ses actes.

Cette impunité des crimes internationaux les plus graves est désormais reconnue comme inacceptable. Pourtant, il aura fallu deux générations pour passer des décisions de 1948 à celles de 1998. En 1948, ce fut l'adopt ion par l'Organisation des Nations unies de la convention pour la prévention et la répression des crimes de génocides. En 1998, ce fut la conférence diplomatique de Rome, qui aboutit au traité créant la Cour pénale internationale.

Je tiens dès à présent à exprimer le soutien ferme et résolu du groupe du RPR au projet de révision constitutionnelle qui nous est présenté au nom de M. le Président de la République, Jacques Chirac, par M. le Premier ministre et par le Gouvernement.

Oui, la création de cette Cour pénale internationale peut s'appuyer sur les acquis des dernières décennies.

Mais je crois, mes chers collègues, que sa réussite nécessitera une grande attention et une mobilisation de tous les instants.

Cette Cour pénale internationale pourra d'abord s'appuyer sur l'acquis que constitue l'émergence de principes reconnus comme s'appliquant et s'imposant à tous les

Etats. Cette émergence, il est possible de la faire remonter aux tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo, qui furent créés pour sanctionner les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale.

Le tribunal de Nuremberg avait comme mission d'instruire les dossiers de grands criminels de guerre et de poursuivre ceux-ci. Il a eu à connaître de la situation de vingt et un accusés, il a prononcé douze condamnations à mort. Son rôle ne se mesure pas par l'importance quantitative des jugements rendus car les justices nationales ont joué un rôle très important, mais sa portée symbolique est immense, d'autant plus qu'il a permis la naissance d'un nouveau droit dont les normes s'imposent à tous les

Etats. Ce nouveau droit, la Cour internationale de justice dans un avis rendu en 1951 sur la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le reconnaissait en ces termes : « Les principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats, même en dehors de tout lien conventionnel. » L'idée va donc pro-

gressivement s'imposer de la nécessité d'une répression internationale des crimes les plus graves.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

La Cour pénale internationale peut s'appuyer sur cet acquis. Mais elle peut s'appuyer sur un autre acquis : la création, depuis quelques années, de deux tribunaux ad hoc . Ces tribunaux ont été créés par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationale, dont son article 29 permet au Conseil de s'entourer d'organes subsidiaires, qui peuvent être créés.

C'est ainsi qu'en 1993 a été créé le tribunal criminel international pour l'ex-Yougoslavie et, en 1994, celui concernant les crimes commis au Rwanda.

Il est important de dresser le bilan de l'action de ces tribunaux pour ce qu'elle a d'exemplaire ou de perfectible.

La première qualité de ces tribunaux a été sans aucun doute la rapidité de mise en oeuvre alors que la mise en oeuvre d'un traité est toujours longue. Il est en effet courant qu'entre la négociation d'un traité et sa mise en application totale une dizaine d'années s'écoule.

Les infractions retenues par ces deux tribunaux criminels internationaux font partie du droit coutumier général. La force de ces tribunaux réside précisément dans le fait qu'ils ont la primauté sur les autorités judiciaires nationales. Ils peuvent connaître de la situation d'une personne qui a déjà été jugée nationalement si, par exemple, la partialité des juges nationaux est reconnue.

En un mot, les Etats sont tenus de collaborer avec ces tribunaux autant dans la recherche des accusés que dans le jugement.

Mais ces tribunaux, sachons le reconnaître, ont également montré quelques limites : des limites géographiques et temporelles, prévues et fort justifiées, mais aussi des limites dans leur efficacité du fait de la difficulté d'appréhender les accusés.

Le premier accusé appréhendé a été extradé par l'Allemagne : il s'agissait d'un dénommé Tadic, qui était entré en République fédérale avec le flux des réfugiés bosniaques. Il a fallu modifier le droit pénal allemand pour permettre d'extrader une personne quelle que soit sa nationalité. Beaucoup de pays ont dû adapter leur droit.

Mais soyons clairs : ce ne sont pas les obstacles juridiques qui ont été les principaux. C'est bien l'insuffisante volonté politique des Etats de donner consistance à la volonté d'appréhender un accusé par le tribunal international qui a constitué le principal handicap. Souvenons-nous de ce handicap aujourd'hui lorsque nous débattons de la création de la Cour pénale internationale ! Le second handicap a été matériel : les quatorze juges du tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ont parfois donné l'impression d'avoir à accomplir une tâche supérieure à leurs capacités même de travail et d'enquête.

S'appuyant sur ces expériences et sur l'émergence de ces principes d'un droit international, le traité de Rome tend à créer une Cour pénale internationale. Cette cour, d'autres orateurs l'ont dit avant moi, a des compétences strictement définies.

Ses compétences sont limitées quant aux crimes qu'elle peut poursuivre : crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre ou crimes d'agression qui seront définis dans sept ans.

Ses compétences sont limitées en matière de procédure - je parle de la procédure que doivent suivre les dix-huit juges élus, des juges indépendants. Quel pas en avant depuis la justice de vainqueurs de Nuremberg ou de Tokyo à cette justice indépendante et susceptible d'appel ! Mais cette procédure limite strictement la possibilité d'auto-saisine du procureur par l'autorisation de la chambre préliminaire, tout comme les peines qui peuvent être prononcées et les possibilités de révision.

A toutes ces limites viendront s'ajouter certains handicaps pour que cette cour pénale soit véritablement dissuasive, car ce sera la première de ses fonctions. Je pense d'abord au principe de complémentarité et au fait qu'une affaire faisant l'objet d'une enquête par une justice nationale puisse être reconnue irrecevable. Naturellement, cet accord des Etats trouve une limite avec la possibilité de recours au Conseil de sécurité.

Plus généralement, le principal défi de cette Cour pénale internationale sera d'acquérir une légitimité. A cet égard, je citerai Mme Louise Arbour, procureur près le tribunal pénal international. Quelques jours avant l'ouverture de la conférence de Rome. Mme Arbour affirmait qu'« une cour faible ne pourra jamais réussir à se doter de la légitimité sans laquelle aucune cour ne peut fonctionner. Ce serait un immense pas en arrière si le Conseil de sécurité devait renvoyer des affaires similaires à celles qui se sont produites dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda à une institution moins bien armée que les deux tribunaux ad hoc ».

Cette déclaration nous fait mesurer le chemin qui reste à parcourir ! Pour l'heure, nous avons à connaître d'un projet de révision constitutionnelle qui nous semble être la solution la plus logique pour répondre aux différents moyens soulevés par le Conseil constitutionnel. Ces moyens restent d'ailleurs ponctuels, le Conseil ayant lui-même affirmé que l'esprit général du traité était conforme à notre Constitution. Il a également souligné l'importance qu'avait notre engagement puisqu'il ne se sera pas limité par un engagement de réciprocité.

Mes chers collègues, nous, parlementaires, ne serons pas quittes ce soir après avoir voté, le plus largement possible, je l'espère, le projet de révision constitutionnelle.

Nous pourrons simplement dire que nous aurons franchi une étape dans la construction longue et définitive d'un état de droit international, pour faire en sorte que les criminels internationaux ne soient plus impunis, que les soldats de la paix de l'ONU, dans laquelle les contingents français occupent une si grande part, voient leur action prolongée par une Cour pénale internationale, que les victimes se voient écoutées, voient leurs droits reconnus et leur mémoire garantie.

Mes chers collègues, nous allons franchir aujourd'hui une étape. Sachons garder notre mobilisation et notre attention dans les années à venir pour que cette Cour pénale internationale acquière toute sa légitimité et que nous puissions avancer vers la construction d'un ordre international.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, génocides, holocauste, apartheid, colonialisme, goulag, épuration ethnique, voilà tous les maux de ce siècle de tragédie où se sont mêlés modernité et barbarie.

Avec la chute du mur de Berlin, la prise de conscience de l'universalité de valeurs, au premier rang desquelles se placent les « droits de l'homme », la question de la barbarie et la volonté de justice touchent l'humanité tout entière.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

« Les droits de l'homme demeurent l'horizon moral de notre temps » : ces mots de Robert Badinter sonnent juste. Aujourd'hui, mes chers collègues, nous ne pouvons plus accepter qu'un régime qui réprime dans le sang ses opposants, son peuple, bénéficie au nom de la souveraineté nationale d'une légitimité aux yeux de la communauté internationale.

Nous ne pouvons plus accepter les traitements de faveur accordés à certains pays, à certaines tyrannies, parce qu'ils sont nos alliés ou ceux des pays occidentaux.

Les droits de l'homme ne doivent pas suivre les frontières de la géostratégie.

Justice et respect des droits de l'homme sont des exigences et les peuples, les opinions publiques ne se satisfont plus de paroles ou de demi-mesures. Cambodgiens, Kurdes, Kosovars, même détresse humaine, mêmes droits, même combat ! Ce besoin de justice universelle peut et doit se retrouver dans la constitution d'une juridiction internationale indépendante des Etats, aux procédures claires et transparentes, et qui ne s'arroge pas le droit de régenter la justice planétaire aux bons soins de quelques super-puissances.

La constitution de tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a marqué une indéniable avancée pour les jugements de criminels et montré le besoin d'une juridiction permanente pour juger rapidement les crimes de guerre et les génocides. La formation de ces tribunaux ad hoc a également démontré leurs limites et principalement le décalage temporel important entre le moment où sont perpétrés les crimes, l'installation du tribunal et le jugement. Dans ce sens, l'installation d'une Cour pénale internationale est une avancée.

L a Cour criminelle internationale, devenue Cour pénale internationale le 17 juillet 1998, à l'issue de la conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies tenue à Rome, est un projet ancien.

Dès 1950, une résolution de l'ONU avait créé un comité chargé de rédiger le projet de statut de la future cour internationale. Il a fallu attendre près de cinquante ans pour voir sa concrétisation dans un texte, qui, selon certains, est ambigu. Ces statuts sont donc le résultat d'un compromis largement imposé par la France entre une vision « moraliste », qui voulait une véritable juridiction indépendante vis-à-vis des Etats signataires, et une vision « réaliste » qui militait en faveur de l'attribution de pouvoirs restreints exercés sous le contrôle des nations.

Ce compromis réduit considérablement le rôle et l'impact de cette cour et son indépendance judiciaire vis-à-vis des

Etats et du Conseil de sécurité de l'ONU. Les ONG françaises, de nombreux juristes et défenseurs des droits de l'homme ont attribué cette dérobade à la France, qui a suggéré un compromis sur le « crime de guerre ». Le rôle du Conseil de sécurité a rallié de nombreux pays, notamment européens, et a permis la signature de ces statuts que le Président de la République et le Gouvernement veulent être, au nom de la France, les premiers à ratifier.

Peut-on s'accommoder de compromis lorsque l'on parle de justice universelle et de crimes de guerre en particulier ? De nombreuses dispositions des statuts sont contestées par les ONG et les associations de défense des droits de l'homme.

La Cour pénale internationale sera chargée de juger des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des génocides. Dans la définition même de ces crimes, des a mbiguïtés apparaissent. Les crimes d'agression, par exemple, ne sont pas encore définis et la compétence du tribunal ne pourra être exercée à l'égard de ce type de crimes qu'une fois que les Etats membres en auront donné une définition claire lors de la conférence de révision, sept ans après l'entrée en vigueur du traité.

Les dispositions concernant les crimes de guerre sont également très discutables. En effet, les Etats signataires disposent de la faculté de suspendre unilatéralement, pendant une durée de sept ans, l'application de la compétence de la Cour à l'égard de ce type de crimes. Cette clause, qui permettra aux pays signataires de se soustraire pendant sept ans à la juridiction de la Cour pénale, est une immunité quasi totale accordée pour tous les crimes de guerre commis pendant cette période.

Le mode de saisine de la Cour est tout aussi contestable et contesté. Elle pourra être saisie par un Etat signataire du traité, le Conseil de sécurité de l'ONU ou le procureur général. Cependant, les pouvoirs de ce dernier sont restreints par le fait qu'il devra obtenir l'autorisation d'une « chambre préliminaire » dont les membres sont élus par l'assemblée des Etats parties du statut. Diplomatie et justice ne peuvent se superposer.

La saisine de la Cour met au premier plan le Conseil de sécurité de l'ONU. Ce pouvoir de saisine est renforcé par le fait que le Conseil de sécurité peut enjoindre à un

Etat non membre d'accepter la juridiction de la Cour et obliger, le cas échéant, les Etats à renoncer à leur juridiction au profit de cette cour. Il peut également, contrairement aux Etats signataires, engager des poursuites à l'encontre de personnes qui ne relèvent pas d'Etats signataires. Enfin, il disposera du pouvoir de suspendre une instruction ou un procès pendant un an ou une durée indéterminée puisque sa décision est renouvelable indéfiniment.

Je crains que cette prépondérance du Conseil de sécurité de l'ONU ne consacre l'alignement de cette juridiction sur les exigences de la raison d'Etat que vous avez fort justement récusées, madame la ministre, et ce au détriment de la justice. Nous devons aussi nous interroger sur les fonctions d'un organisme, résurgence des temps de

« guerre froide », qui aujourd'hui ne représente plus la réalité de la communauté internationale et sert parfois plus les intérêts nationaux de grandes puissances que le bien commun de l'humanité. Les pouvoirs qui lui sont attribués ne peuvent nous rassurer sur les moyens d'une cour chargée de juger les crimes les plus atroces. Il ne faut donc pas séparer formation et organisation de la Cour pénale internationale et rénovation démocratique d es institutions internationales, au premier rang desquelles l'ONU.

Une autre limite tient à l'étendue de la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard des criminels. En effet, comment accepter que seuls puissent être jugés par la Cour, les ressortissants d'un Etat signataire ou les auteurs de crimes commis sur le territoire de l'un de ces

Etats ? Ainsi, comme l'a dit fort justement notre collègue Mermaz, les auteurs des crimes perpétrés en ce moment au Kosovo jouiront d'une totale impunité tant que la fédération yougoslave n'aura pas signé la convention.

Certes, il est vrai qu'existe le tribunal pénal international pour les crimes perpétrés en ex-Yougoslavie.

En outre, même à l'égard des Etats signataires, les pouvoirs de cette nouvelle juridiction internationale restent limités en raison du caractère subsidiaire de sa compétence. Cette juridiction ne pourra en effet engager des poursuites que si les Etats concernés renoncent ou ne sont pas en mesure de le faire. Le tribunal ne peut être saisi que si les Etats qui ont ratifié le traité ne poursuivent pas eux-mêmes leurs ressortissants. Si l'Etat


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

chilien voulait poursuivre Pinochet, par exemple, la Cour pénale internationale ne pourrait juger l'ancien dictateur.

Les Etats sont toujours compétents pour juger eux-mêmes les criminels. Ce n'est que s'ils ne le font pas que les auteurs de crimes visés par la convention pourront être traduits devant la Cour pénale internationale. Néanmoins, on considérera que tel sera le cas lorsque les poursuites engagées par un Etat seront inefficaces. Enfin, la Cour pénale internationale n'aura pas de compétence rétroactive. Elle ne jugera que les crimes du futur et non ceux déjà commis. Ainsi, de nombreux criminels resteront impunis.

Depuis cinquante ans que nous attendons la formation d'une cour internationale, nous ne devons pas manquer cette chance. Pour autant, nous devons être vigilants et veiller à l'indépendance de la Cour sur la politique des

Etats et du Conseil de sécurité de l'ONU. La Cour pénale internationale ne doit pas régenter la justice mondiale au profit de certains Etats et être soumise aux règles de la diplomatie internationale.

Malgré les limites évoquées, sept Etats, au premier rang desquels se retrouvent la Chine et les Etats-Unis, ont voté contre. Les Etats-Unis souhaitaient que les membres du Conseil de sécurité de l'ONU disposent d'un droit de veto au sein de la Cour. Comment cette « grande démocratie » peut-elle s'exonérer de la justice universelle ? Si la Cour pénale internationale est aujourd'hui un cadre limité, elle peut, une fois installée, féconder une dynamique qui lui permette de dépasser ses limites originelles, d'autant que les opinions publiques ne se satisferont pas de simples effets d'annonce. Il appartient aux défenseurs des droits de l'homme de s'y attacher. Les députés communistes, pour leur part, voteront ce projet de révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

(M. François d'Aubert remplace M. Arthur Paecht au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La parole est à M. Arthur Paecht.

M. Arthur Paecht.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en ce qui me concerne j'aborde ce débat sur la Cour pénale internationale avec des sentiments mitigés, voire contradictoires.

Le premier est celui d'une grande déception, je devrais même dire d'une grande tristesse, sans doute particulière à ceux de ma génération. Après le procès de Nuremberg et la révélation des atrocités nazies, j'ai été de ceux qui furent convaincus qu'ils ne verraient jamais plus de crimes contre l'humanité, du moins en Europe occidentale, et j'ai aussi été de ceux qui ont milité pour que notre conception de la protection des droits de l'homme s'étende progressivement à l'ensemble des continents.

Aussi, lorsque s'étalaient dans nos journaux les récits des nombreux génocides survenus en Asie, en Afrique ou ailleurs, étions-nous convaincus que l'Europe démocratique en voie de construction ne courait aucun risque de voir de telles atrocités se reproduire sur son territoire ou même à proximité. L'actualité nous prouve, hélas ! le contraire.

Mais mon second sentiment, nonobstant l'actualité, est plus optimiste, car la notion même de crime international, de crime contre l'humanité s'est progressivement imposée jusqu'à conduire, il y a un an, 120 Etats à signer à Rome le traité prévoyant la création d'une Cour pénale internationale. Certes, beaucoup d'orateurs l'ont dit, ce traité n'est pas parfait, mais nous n'avons pas ici la possibilité de le modifier. Aussi convient-il seulement d'examiner si nous devons rendre sa ratification possible ou non.

Deux questions se posent d'emblée. Comment établir un nouvel ordre international qui ne soit pas un désordre juridique international ? Comment assurer partout dans le monde les droits de l'homme et garantir l'égale souveraineté des Etats ? La Cour pénale internationale, créée le 18 juillet 1998, répond à cette double nécessité. C'est pourquoi le groupe UDF approuve la réforme constitutionnelle préalable nécessaire à la ratification du traité instituant la CPI. Les hasards tragiques de l'histoire ont voulu que l'Assemblée nationale en débatte aujourd'hui, au moment où l'Europe fait tonner ses armes pour mettre fin aux exactions et aux déplacemements massifs de populations planifiés, décidés et exécutés par la Serbie au Kosovo. Une justice pénale internationale voit donc le jour.

La nouveauté inscrite dans ce traité est triple : la permanence de la Cour, par opposition aux TPI ad hoc ; son universalité, puisque 120 Etats sur 160 ont approuvé sa création ; sa complémentarité avec la justice pénale des

Etats. Conformément aux propositions françaises, la nouvelle cour ne soumet pas le maintien de la paix dans le monde à une instance judiciaire. Le Conseil de sécurité de l'ONU conserve son rôle essentiel : le règlement des crises internationales par la voie diplomatique ou par le recours légitime à la force. Par ailleurs, si la sécurité mondiale et les impératifs politiques l'exigeaient, le Conseil de sécurité possèderait la faculté de suspendre l'instruction menée par la Cour à l'endroit de présumés criminels.

Ce traité vise donc à établir la politique internationale sur la morale universelle des droits de l'homme. Mais il ne fait pas dépendre de manière idéaliste la paix du monde des jugements de cette cour. Le maintien de la paix appartient aux Etats et à l'ONU ; la répression des crimes contre l'humanité est, et reste, un devoir des Etats.

Mais quand, par impossibilité de fonctionnement, les justices nationales ne peuvent jouer leur rôle, alors intervient la Cour.

Depuis les atrocités commises au Rwanda et en exY ougoslavie, et aujourd'hui au Kosovo, l'opinion publique internationale a tenté d'imposer la création d'une institution judiciaire internationale chargée de juger les responsables de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et les génocidaires. L'idée d'une cour internationale est née dans les années 50 après le procès de Nuremberg. Une commission de droit international fut en effet instituée pour codifier les principes de Nuremberg et préparer un statut de Cour pénale internationale.

Mais la guerre froide a malheureusement empêché de mener à bien ce projet.

La conférence diplomatique des plénipotentiaires, qui s'est tenue à Rome du 15 juin au 18 juillet 1998, a adopté le statut de cette cour sur un projet étudié depuis 1990. L'orientation générale de ce texte est conforme aux préoccupations que la France est parvenue à imposer au cours des négociations.

Ainsi, ce traité stipule la compétence de la Cour pour la violation massive des droits de l'homme et la nature du justiciable. Sont justiciables les individus âgés de plus de 18 ans responsables des crimes, quelle que soit leur fonction hiérarchique dans la société, mais les chefs militaires et civils sont tenus pour responsables des crimes de leurs subordonnés.


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Le traité stipule aussi l'absence de procès par contumace, l'absence de peine de mort et la représentation ou la participation des victimes qui auront droit à réparation.

Enfin, ce traité prend en compte les nécessités liées à la stabilité intérieure des Etats : ils pourront, en effet, resteindre leur coopération pour des raisons de sécurité nationale.

Grâce à ce traité, l'ordre international pourra être fondé sur les droits de l'homme. Nous pouvons parler vous l'avez fait, madame la ministre, - d'une véritable révolution diplomatique dans la mesure où le droit international comprend deux éléments nouveaux. D'une part, il est mis fin à l'impunité des responsables des crimes, et en particulier des chefs d'Etats ou de gouvernement, puisque l'article 27 du statut écarte expressément leur irresponsabilité. D'autre part, la barbarie est considérée comme une atteinte à la paix, à la sécurité et au bien-être du monde, ce qui ressort clairement du préambule du statut.

Les rôles respectifs de la Cour, des Etats et du Conseil de sécurité de l'ONU me permettent de qualifier cette nouvelle institution internationale. Ce n'est pas un pouvoir judiciaire indépendant. Il ne s'agit pas d'un contrepouvoir vis-à-vis des Etats. Son statut est ainsi en net recul par rapport au tribunal pénal international constitué pour l'ex-Yougoslavie.

La Cour internationale est donc une forme inédite de coopération pénale internationale qui respecte l'intégrité de la souveraineté judiciaire des Etats.

La Cour ne pourra en effet pas fonctionner sans l'appui du Conseil de sécurité ni, plus généralement, sans l'accord de l'Etat sur le territoire duquel les faits criminels se sont produits. Le succès ou l'échec de la Cour dépend donc de la bonne volonté des Etats. Mais dans la mesure où la communauté internationale, depuis plusieurs années et à plusieurs reprises, a témoigné de son exaspération à l'égard des dictateurs de tous bords, pourquoi serionsnous pessimistes sur la bonne volonté des Etats ? Quant au Conseil de sécurité de l'ONU, il peut soustraire un cas à la compétence de la Cour pendant une durée d'un an, renouvable indéfiniment, en suspendant l'instruction, mais seulement si ce cas relève du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Le gel de l'activité de la Cour peut parfois s'avérer nécessaire pour qu'elle n'interfère pas avec les priorités du maintien de la paix. La Cour est donc privée de la possibilité de gêner l'activité du Conseil de sécurité.

Pour qu'elle soit saisie, il faudra aussi que les juridictions internes n'aient pu statuer en raison de l'incapacité ou de l'impossibilité d'agir. Quant au champ de compétences, il apparaît que la Cour ne s'occupera que du noyau dur, si je puis dire, des infractions internationales.

Par ailleurs, elle n'exercera sa juridiction qu'à l'égard des faits postérieurs à l'entrée en vigueur du statut.

Enfin, l'article 124 autorise les Etats parties à suspendre unilatéralement pendant sept ans l'application du statut aux crimes de guerre commis par leurs ressortissants ou sur leur territoire. Ce délai fonctionne donc comme une étape préalable à l'instauration de ce nouvel ordre mondial. Il n'est peut-être pas satisfaisant à titre personnel, j'y suis d'ailleurs hostile, à peu près pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées par M. Hascoët ou par M. Mermaz -, mais il est réaliste si l'on veut obtenir la signature d'une large majorité des Etats, car l'universalité du traité est et demeure la condition du bon fonctionnement de la Cour.

Le domaine de compétence, défini à l'article 5, ne comprend que les quatre catégories de crimes en rapport avec le maintien de la paix et la sécurité internationale.

Le génocide est défini dans la convention sur le génocide de 1948. Il peut être commis en temps de paix comme en temps de guerre.

Les crimes contre l'humanité : « meurtre, extermination, esclavage, déportation ou transfert forcé de population, torture, viol, grossesse ou stérilisation forcée, disparition, apartheid, persécution pour appartenance politique,r aciale, nationale, ethnique, culturelle, religieuse ou sexuelle, commis sciemment à grande échelle ou de façon systématique contre toute population civile » peuvent, eux aussi, être perpétrés en temps de paix comme en temps de guerre.

Les crimes de guerre sont définis comme violations des conventions de Genève de 1949 ; les conflits internes armés sont considérés au même titre que les conflits internationaux.

Le crime d'agression fait actuellement défaut en droit international et il ne sera défini qu'après un amendement au statut.

Sont écartés, hélas !, la torture, le terrorisme et le trafic de stupéfiants. Mais nous avons bien compris, madame la garde des sceaux, les raisons de cette limitation.

Les modalités de saisine sont au nombre de trois.

Le Conseil de sécurité peut saisir le procureur sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Les

Etats parties peuvent saisir la Cour ; il peuvent aussi saisir le procureur d'une demande d'ouverture d'information destinée à faciliter l'identification des auteurs. Et le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative à condition d'y être autorisé par la chambre préliminaire.

Le rôle de la chambre limite le principe d'autosaisine de la Cour.

Ainsi que je l'ai indiqué, nous approuvons l'esprit et les dispositions de ce traité et nous tenons à souligner le rôle décisif des membres du Conseil de sécurité. Leur éminente responsabilité pour préserver la paix leur fait un devoir de savoir concilier la raison d'Etat avec la morale des droits de l'homme, les nécessités de la politique étrangère avec la protection des droits sacrés de la personne humaine. Mais, sans aucun doute, un autre débat se profile à l'horizon : celui de la composition du Conseil de sécurité ; du nombre des membres permanents et surtout de l'exercice du droit de veto tel que nous le connaissons aujourd'hui.

La France a été la première à inventer et à pratiquer la raison d'Etat pour le meilleur et pour le pire. Elle a aussi été la première à révéler l'universalité des dro its de l'homme. Aujourd'hui et demain, conformément à son histoire, à son idéal et à ses intérêts, elle doit trouver l es moyens de concilier ces deux principes. La Cour pénale internationale est certainement l'un de ces moyens.

(Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à Mme Annette Peulvast-Bergeal.

Mme Annette Peulvast-Bergeal.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui prend une signification toute particulière au regard de l'actualité dramatique que nous vivons depuis le début de l'intervention des forces de l'OTAN dans l'ex-Yougoslavie.

Nous devons, comme l'indique très justement l'exposé des motifs de ce projet de loi, contribuer à faire avancer la construction d'un ordre juridique international qui sera


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le gardien de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation et contribuera ainsi au maintien de la paix.

En ces temps de conflit, ce texte constitue une pierre nouvelle dans la construction de la paix entre les nations.

Durant ce siècle qui va bientôt s'achever, nous avons connu deux guerres mondiales, sans compter les exactions et massacres commis depuis dans le monde - exactions et massacres qui, malheureusement, montent en puissance et se multiplient.

C'est à ces populations qui connaissent aujourd'hui la guerre, la peur, les déportations, les tortures et les exécutions, c'est à ces femmes, ces hommes, ces enfants que je pense. Ils nous appellent quotidiennement à un travail de protection, de vigilance, de rigueur et de mémoire afin d'assurer la primauté du droit.

La pierre angulaire du maintien de la paix et de la sécurité internationale conformément aux principes de la justice et du droit, est l'ONU. Peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, son assemblée générale avait évoqué la nécessité de créer une cour de justice internationale permanente. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo avaient été les premières concrétisations de cette volonté.

Une autre étape importante avait été marquée par l'instauration de tribunaux pénaux internationaux ad hoc, à la suite du conflit dans l'ex-Yougoslavie et du génocide rwandais.

La signature par 120 pays à Rome, le 18 juillet dernier, du projet de statut de la Cour pénale internationale a marqué une prise de conscience de la nécessité d'apporter une réponse internationale aux questions de justice et de droit.

Alors que nous venons de célébrer le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, la création d'une haute instance répressive de l'ordre juridique international est tout un symbole. Elle ne peut que contribuer à améliorer le respect des droits de l'homme et à satisfaire le besoin de justice des peuples opprimés en condamnant l'impunité qui heurte les consciences de tous et de chacun.

Procéder à une révision de notre Constitution, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, afin de ratifier ce traité, est dans la logique des choses puisque « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine est un principe de valeur constitutionnelle ». La formulation choisie est générale mais c'est certainement la plus appropriée dans ce contexte.

Comme il est de rigueur pour tout engagement international concernant notre pays, il s'agit de concilier le respect de sa souveraineté nationale, garanti par notre Constitution, et sa place dans l'ordre juridique international. En cela, les négociations des deux dernières années qui ont abouti à la conférence de Rome ont permis de mieux prendre en compte la souveraineté nationale.

Il est vrai que, comme chaque fois que l'on progresse dans l'élaboration de l'ordre international, on touche à la souveraineté des Etats. C'est difficilement évitable. Mais même si chaque Etat se doit de préserver ses prérogatives, il n'est pas supportable que le principe de souveraineté d'un Etat puisse favoriser l'impunité pour des criminels notoires. Il fallait donc trouver une voie complémentaire.

Un régime qui commet des exactions sous couvert de sa souveraineté et de son indépendance perd toute légitimité aux yeux de la communauté internationale. Désormais, il pourra être amené à répondre de ses actes devant la Cour pénale internationale qui pourra, comme beaucoup l'ont signalé, être saisie par deux instances : un Etat signataire ou le Conseil de sécurité des Nations unies.

On peut légitimement espérer que les crises humanitaires ne resteront plus sans sanction, car cela est intolérable. Mais la tâche sera délicate. En effet, comment trouver les sanctions les plus justes, les plus appropriées pour des auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre ? La sanction n'apparaîtra jamais à la hauteur des crimes pour lesquels cette cour sera compétente. Cependant, l'acte de juger, de demander des comptes, d'avoir des explications et de condamner est une grande avancée, notamment vis-à-vis des victimes dont le droit est enfin reconnu.

Certes, les compétences de la Cour pénale internationale auront des limites regrettables - beaucoup de dispositions sont restrictives. Il reste des ambiguïtés. Les lois d'impunité dans certains Etats subsisteront, offensant la justice et la dignité des victimes. Nous aurons là cependant une nouvelle arme juridique coercitive de portée considérable.

La création de tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda avait montré la nécessité d'ériger une instance permanente, afin de contribuer à la paix et à la sécurité internationale. Par ailleurs, nous avons su tirer les leçons des dysfonctionnements constatés. Enfin, cela nous a permis de mesurer la nécessité d'une plus grande rapidité de jugement.

On peut penser que ce tribunal aura un effet dissuasif et préventif par sa seule existence. A ce jour, trop de crimes et de violations graves des droits de l'homme sont restés impunis et ont rendu l'instauration de cette Cour indispensable. Désormais, les criminels sauront qu'ils ont un rendez-vous avec la justice.

La France a toujours soutenu activement ce projet de Cour pénale internationale. Pour notre part, naturellement, nous sommes très favorables à une ratification rapide de ce traité par notre pays.

Cette volonté de la France et de ses plus hautes instances d'élargir le champ de la justice renforce sa position de leader en termes de défense des droits de l'homme et des libertés sur la scène internationale. Cela est conforme à son histoire, à sa vision humaniste et politique de la communauté humaine et internationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Richard Cazenave.

M. Richard Cazenave.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dernier intervenant, j'essaierai de ne pas trop répéter ce qui a déjà été dit...

D'abord, nous aurions tort de minorer ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui.

M. Alain Vidalies, rapporteur.

Tout à fait !

M. Richard Cazenave.

Il y a bien longtemps que la communauté internationale souhaitait que ce tribunal permanent vît le jour, et ce moment arrive. Nous devons nous concentrer sur ce qu'il apporte de nouveau au droit international et à la capacité d'action des sociétés démocratiques.

Nous avons vu, au moment des conflits au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, que le délai de mise en place d'institutions aptes à mener des réquisitions et à juger jouait de façon décisive dans l'appréciation qu'on pouvait porter sur la capacité de la communauté internationale à agir vraiment.


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Au Rwanda, en particulier, après le terrible génocide et après le renversement du pouvoir hutu, les nouvelles autorités avaient fait de la mise en place de ce tribunal pénal une exigence première, considérant qu'aucun ordre démocratique ne pouvait s'installer tant que les criminels ne seraient pas jugés. Or la lenteur de cette mise en place n'a pas été à la hauteur des enjeux de reconquête de la paix et de la démocratie dans ce pays.

Le tribunal permanent est donc très important. Il permettra la rapidité de réaction ; il assurera l'efficacité des structures en raison de leur permanence et de leur capacité à mener des investigations sur le long terme ; il fera entendre à tous les apprentis dictateurs que l'impunité est en train de se terminer.

Ce projet de statut a été signé par 120 pays, qui ont ainsi accepté que le tribunal international se saisisse, en dehors même d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est là aussi un progrès très important.

Enfin, les crimes contre l'humanité, dont Arthur Paecht a repris la définition de façon très précise, concernent les périodes de paix comme de guerre. Cela montre bien qu'il ne s'agit pas seulement de s'attaquer aux « noyaux durs », mais aussi de faire progresser le droit de la personne et le respect des droits humains fondamentaux.

Certes, on peut regretter que la volonté qui s'exprime aujourd'hui de redire l'universalité des droits de l'homme ait été affaiblie par l'absence d'un certain nombre de signataires, à commencer par les Etats-Unis. Cela choque, dans la mesure où on voudrait bien que les Etats admettent pour eux-mêmes les principes qu'ils entendent appliquer aux autres.

La portée de ce texte en est quelque peu atténuée. Il est difficile d'expliquer à certains pays que ce n'est pas l'ordre bourgeois occidental ou une vision fragmentaire de la société mondiale que nous défendons, mais bien l'universalité des droits de l'homme, en tous temps et en tous lieux. Nos efforts diplomatiques devront porter en ce sens. Nos alliés traditionnels, notamment les plus puissants, devront comprendre la portée symbolique qu'aurait leur signature au bas d'un tel acte.

Il s'agit de réaffirmer, ô combien fortement, que le respect de la personne humaine est au-dessus du droit des

Etats. Il s'agit, indirectement, de dire que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est présent à notre esprit.

De ce point de vue, la liste de non-signataires est également révélatrice dans la mesure où de telles exigences sont le signe même de la maturité démocratique d'une société. Nous aurons encore à nous battre pour faire progresser ces valeurs.

Ceux qui s'opposent à la ratification du traité utilisent des arguments parfois contradictoires. Certains affirment qu'il aurait été préférable que les Etats jugent eux-mêmes leurs criminels - comme je l'ai entendu sur une radio.

Seulement, c'est en général le vainqueur qui juge le vaincu et jamais le peuple qui juge ses dirigeants, lesquels se seront arrangés pour échapper à la sanction. D'autres redoutent l'application du principe de subsidiarité. Or celui-ci est strictement encadré par l'article 20, selon lequel il ne saurait s'agir d'un simulacre de jugement visant à exonérer les criminels de leurs responsabilités.

D'autres encore disent que c'est un texte de compromis.

Mais que peut-il y avoir d'autre qu'un compromis, dans un traité international rassemblant 120 Etats ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Forcément !

M. Richard Cazenave.

A moins qu'ils n'y voient, à l'inverse, un abandon de souveraineté : la France, en la personne de ses dirigeants, risquerait demain d'être accusée de manière abusive, par exemple dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. Mais serait-il bien sérieux de vouloir refuser pour soi ce que l'on veut imposer aux autres ? Serions-nous incapables de nous prémunir contre les dérives que nous dénonçons comme étant des actes insupportables contre la personne humaine ? Tous ces arguments doivent être balayés. Nous pouvons nous réjouir de disposer d'un nouvel outil au service de la personne humaine, au service de sa dignité, au service de la justice. Cet outil permettra de réprimer les actes barbares et plus encore les prévenir. Nul doute que le temps approche où les tortionnaires, où les criminels de guerre, où tous les auteurs d'actes inhumains, d'actes contraires au droit international et aux conventions, comprendront qu'est fini le temps de l'impunité et qu'aucun répit ne leur sera laissé jusqu'à la fin de leur vie.

C'est une nouvelle force de dissuasion qui se met en place aujourd'hui ! On ne peut pas trouver que le pas fait aujourd'hui est insuffisant. C'est un pas essentiel, dans un ordre mondial basé sur le droit et sur le respect de la personne humaine.

Je suis heureux que la France, par la voix du Président de la République et du Gouvernement, ait été parmi les premières nations responsables à montrer la voie. C'est conforme à sa vocation, à notre histoire et au message que nous pouvons aujourd'hui encore délivrer au monde.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord remercier le rapporteur d'avoir apporté son appui à ce projet de loi constitutionnelle et les orateurs de tous les groupes d'avoir approuvé le principe de la révision constitutionnelle. Cette unanimité est une excellente chose. Elle manifeste la volonté de notre pays d'aller de l'avant et de voir se concrétiser et s'installer rapidement la Cour pénale internationale.

Je voudrais maintenant répondre aux questions de plusieurs orateurs.

MM. Hascoët, Goulard, Mermaz, Asensi et Paecht ont évoqué l'article 124 du statut et émis des réserves sur son utilisation. Cet article permet à un Etat qui est partie à la convention de décliner, pendant une période transitoire de sept ans, la compétence de la Cour pour les crimes de guerre qui seraient commis soit sur son territoire, soit par ses ressortissants. Il est ainsi possible de ne pas mettre en oeuvre les dispositions de l'article 12 du projet de loi et relatif à la compétence dite obligatoire de la Cour.

Il s'agit d'une disposition optionnelle et transitoire, Je tiens à le redire ici, comme je l'ai expliqué dans mon discours introductif. Elle a permis de promouvoir un accord général sur le statut de la Cour pénale internationale. Ne perdons jamais cet élément de vue. En effet, la définition des crimes de guerre, au sens du statut, est distincte de celle des crimes contre l'humanité ou du génocide en ce sens qu'elle peut recouvrir des actes isolés. Des plaintes sans fondement ou teintées d'arrière-pensées politiques pourraient être plus facilement dirigées contre les personnels de pays qui, comme le nôtre, sont engagés sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations


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de maintien de la paix. Bien sûr, le statut comporte des garanties qui devraient nous prémunir contre des utilisations abusives de la convention de Rome. J'ai cité le rôle que jouerait la chambre préliminaire. Mais encore faut-il que ces garanties intégrées au statut puissent faire la preuve de leur efficacité - ce dont je ne doute pas, personnellement. C'est le sens de la disposition transitoire, qui est destinée à éviter d'éventuels dysfonctionnements.

Je veux également dire que si des personnels français, civils ou militaires, devaient commettre des crimes de guerre, ils seraient de toute façon traduits devant des tribunaux français.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

Mme la garde des sceaux.

L'article 124 ne change rien à cela, puisque la Cour pénale internationale est complémentaire des tribunaux nationaux. Par conséquent, le recours à cet article ne viserait - je mets le conditionnel qu'à écarter des plaintes véritablement infondées.

Voilà les précisions que je voulais apporter sur ce point, qui est en effet important. Je sais qu'il soulève beaucoup de questions - vous vous en êtes fait l'écho aussi bien au sein de la représentation nationale que dans les assocations humanitaires et les organisations non gouvernementales. Mais vous voyez dans quel esprit notre pays l'aborde.

A la question que vous avez posée, monsieur Mermaz, sur la possible impunité de Saddam Hussein au regard des dispositions du statut de la Cour, je vous répondrai que, en droit, M. Saddam Hussein pourrait être poursuivi devant la Cour si, conformément aux dispositions de l'article 13, les crimes commis étaient déférés au procureur par le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, et ce même si l'Irak n'est pas partie au statut. En effet, les dispositions de l'article 12 combinées à celles de l'article 13 ne conditionnent pas l'existence de la compétence de la Cour à la commission des faits sur le territoire d'un Etat partie et/ou à la qualité de national d'un Etat partie pour la personne poursuivie, si ces crimes, justement - c'est la condition -, sont déférés au procureur par le Conseil de sécurité. Il faut bien entendu analyser comme un regard politique le regard du Conseil de sécurité sur la justice internationale, mais il faut aussi envisager son intervention de façon positive, précisément parce qu'elle pourrait permettre de déférer devant la Cour y compris des nationaux d'Etats qui auraient choisi de ne pas signer cette convention.

M. Louis Mermaz.

Sauf si un des Etats membres permanents du Conseil oppose son veto. Espérons que, dans le cas de Saddam Hussein, cela ne se produirait pas.

Mme la garde des sceaux.

Vous avez raison, monsieur Mermaz. Mais il me semble que le Conseil de sécurité veillerait à ce que ce type de décalage ne puisse pas se produire.

Voilà ce que je voulais répondre aux différents intervenants, en les remerciant encore une fois de leur soutien, qui s'est exprimé sur tous les bancs, il faut le souligner, s'agissant d'un texte présenté avec l'accord et de M. le Président de la République, et de M. le Premier ministre.

M. le président.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, l'article unique du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Gouvernement.

Article unique

M. le président.

« Article unique. - Il est inséré au titre VI de la Constitution un article 53-2 ainsi rédigé :

« Art. 53-2 . La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. »

La parole est à M. Jacques Myard, inscrit sur l'article unique.

M. Jacques Myard.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd'hui de modifier la Constitution - une fois de plus - pour que la France puisse ratifier le traité instituant la cour pénale internationale.

Je ne vous cache pas que, dans l'ordre des concepts, le traité signé à Rome le 18 juillet 1998 et instituant la CPI est de première importance. Après le pacte Briand-Kellog, après les travaux de la SDN et de la commission du droit international de l'ONU sur le concept d'agression, après les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, après les tribunaux pénaux internationaux sur la Yougoslavie et sur le Rwanda, on assiste, et je m'en félicite, à une prise de conscience de la communauté internationale pour marcher vers ce que l'on doit appeler le « règne du droit », fondant au-delà des nations, des races, des ethnies, des religions, des inégalités de développement, un ordre mondial respectueux des droits de l'homme et de la dignité humaine.

Le statut de la CPI adopté à Rome le 18 juillet 1998 s'inscrit dans ce mouvement et on ne peut que regretter que ce débat se déroule en présence d'un nombre aussi faible de participants.

M. Thierry Mariani.

Mais de qualité !

M. Jacques Myard.

J'en conviens.

L'objectif de la CPI est de réconcilier paix et justice, en poursuivant les crimes les plus odieux qui hantent ce siècle et heurtent profondément la conscience humaine.

Mais, comme le rappelait récemment le Premier ministre dans cet hémicycle, entre les objectifs des nations les plus civilisées et la situation du monde, il y a parfois, malheureusement, un hiatus, un décalage qui commande de respecter le principe de réalité, sauf à tomber dans l'utopie qui aboutit souvent au désastre. A ce titre, le projet de CPI pose plus de questions qu'il n'en résout.

Il est tout d'abord contraire à notre Constitution : l'analyse et la décision du Conseil constitutionnel l'ont amplement démontré. Est justiciable de la Cour toute personne, y compris le chef de l'Etat, ce qui est contraire à l'immunité que nous reconnaissons au Président de la République ; l'amnistie votée par notre Parlement serait sans valeur face aux mandats de la Cour ; le procureur peut enquêter seul sur notre territoire, s'il le décide, après avis de la chambre préliminaire : autant de motifs de se montrer circonspect, puisque cela traduit une remise en cause directe de notre souveraineté.

Certains pourraient faire valoir que nous ne risquons rien car nous sommes, nous Français, respectueux et ardents défenseurs des droits de l'homme. En aucun cas nous ne pourrions donc être accusés de crime de génocide, de crime contre l'humanité, de crime de guerre, voire d'acte d'agression. Est-ce aussi simple ? Une frappe atomique ne peut-elle pas être qualifiée de crime contre l'humanité ou de crime de guerre ? Nos juristes ainsi que les experts de nos principaux alliés l'ont toujours contesté, mais d'autres l'affirment fortement,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 AVRIL 1999

avec l'objectif de bannir tout emploi d'armes atomiques.

A travers cette question se pose, que vous le vouliez ou non, celle de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire.

Quant au crime de guerre, défini à l'article 8, il comprend tellement de cas qu'il sera bien rare qu'une accusation de ce type ne puisse pas être portée contre nos troupes, même engagées dans des actions de maintien de la paix décidées par le Conseil de sécurité. Peut-on d'un coeur léger renvoyer la balle aux militaires en leur enjoignant de toujours faire la guerre sans dommage aucun p our les populations civiles, comme le commande l'article 8 ? La possibilité de soustraire des compétences de la Cour l'application de l'article 8, c'est-à-dire les c rimes de guerre, est limitée dans le temps par l'article 124. Tout cela est fondé sur l'utopie de la guerre propre qui, malheureusement, n'existe pas.

Ces interrogations se démultiplient lorsque l'on procède à une analyse réaliste des mécanismes de la future Cour pénale internationale.

Sur le plan formel, le texte est presque parfait ; il met en place une justice indépendante avec de réels pouvoirs.

On peut s'en féliciter. C'est le modèle du droit interne transposé sur la scène internationale. Mais c'est là que le principe de réalité doit ou devrait prévaloir dans notre décision. En effet, au-delà des aspects strictement formels, il est impératif de s'interroger sur la sociologie de notre monde.

Qui peut dire aujourd'hui que, dans l'éventualité d'un conflit, les bons, les démocrates, les défenseurs des droits de l'homme l'emporteront toujours sur les méchants et les assassins ?

M. Thierry Mariani.

Exactement !

M. Jacques Myard.

En clair, les vaincus seront-ils toujours les méchants ? L'histoire du monde passée, mais peut-être future, commande un peu de prudence.

Sans même prévoir le pire, le statut de la Cour pénale internationale ne donne aucune garantie que sa justice ne dérivera pas vers une justice politique où les Etats régleront leurs basses querelles en mettant en action les possibilités d'accusation et de condamnation offertes par la Cour.

Cette hypothèse est très réelle. En effet, l'un des éléments essentiels du mécanisme de la Cour est structuré dans le binôme procureur-chambre préliminaire. Ce sont ces deux instances qui peuvent enclencher les poursuites avec des pouvoirs supranationaux. A-t-on la garantie qu'elles seront formées de magistrats hors du commun et inspirés uniquement par le droit et la justice ? Qui sera le procureur ? Un Kenneth Starr ? La réponse à ces questions est simple : il n'existe aucune garantie de ce type, car les dix-huit magistrats de la Cour et le procureur seront élus à la majorité des deux tiers par les Etats parties. En clair, qui peut nous dire que demain ces Etats seront des démocraties respectueuses des droits de l'homme et qu'ils choisiront des magistrats et non des exécuteurs de basses oeuvres ? Hitler et Staline avaient eux aussi leurs juges.

M. Thierry Mariani.

Absolument !

M. Jacques Myard.

Qui peut nous dire que, demain, cette justice, au-delà de la technique, rendra bien la justice et ne poursuivra pas la vengeance ? Quant à la possibilité pour le Conseil de sécurité de bloquer le mécanisme de la CPI, elle est illusoire puisque chacun sait que les cas d'unanimité des cinq puissances ayant droit de veto ont été et restent l'exception dans la vie de cet organisme riche en rebondissements.

De surcroît, l'histoire récente de la Cour internationale de justice, dont une majorité de juges ont trop souvent défendu des thèses politiques au mépris du droit international, nous commande d'ouvrir les yeux.

Voilà pourquoi je n'approuverai pas ce texte. Mais, partageant avec vous tous ce besoin de justice, je m'abstiendrai.

M. le président.

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

(L'article unique du projet de loi constitutionnelle est adopté.)

6 AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 6 avril 1999.

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le d éveloppement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, Monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission de la production et des échanges.

7

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, no 998, relatif aux alternatives aux poursuites et renforçant l'efficacité de la procédure pénale : M. Louis Mermaz, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1328).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT