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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

1. Arts martiaux. - Discussion, en deuxième lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'une proposition de loi (p. 5365).

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Leroy, rapporteur de la commisison des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5366)

MM. Pierre Cardo, Daniel Feurtet, Pierre Morange, Claude Birraux, Pierre Cohen.

Clôture de la discussion générale.

Mme la ministre.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 5369)

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

2. Chèques-vacances. - Discussion, en nouvelle lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi (p. 5369).

Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme.

M. Gérard Terrier, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5370)

MM. Pierre Morange, Jean-Pierre Dufau, Claude Birraux, Christian Cuvilliez, Pierre Cardo.

M. le rapporteur.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 5374)

Articles 1er à 4 (p. 5374)

Article 4 quater (p. 5375)

Amendement no 1 du Gouvernement : Mme la secrétaire d'Etat, MM. le rapporteur, Jean-Pierre Dufau, Germain Gengenwin.

- Rejet.

Adoption de l'article 4 quater

Article 5 (p. 5376)

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 5376)

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance (p. 5376)

3. Innovation et recherche. - Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat (p. 5376).

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Jean-Paul Bret, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis de la commission de la production.

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5384)

Mme Marie-Hélène Aubert,

M.

Jean-François Mattei, Mme Cécile Helle,

M.

Jean-Michel Dubernard, Patrick Leroy, Claude Birraux, Pierre Cohen, Pierre Lasbordes, Christian Cuvilliez, Germain Gengenwin, Michel Destot, François Loos, Mme Nicole Bricq.

Clôture de la discussion générale.

M. la ministre.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Couverture maladie universelle. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 5405).

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 5405).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 ARTS MARTIAUX Discussion, en deuxième lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative à la délivrance des grades dans les disciplines relevant des arts martiaux (nos 1610, 1668).

Je rappelle que, par décision de la conférence des présidents, ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

La parole est à Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

Monsieur le président, madame, messieurs les députés, la proposition de loi qui vous est soumise en deuxième lecture a pour objectif d'encadrer et de sécuriser la délivrance des dans et des grades dans les disciplines sportives relevant des arts martiaux.

Le Gouvernement lui accorde son plein soutien. En effet, le nombre de disciplines concernées, plus de 180, et l'engouement qu'elles suscitent, notamment chez les jeunes, nécessitent d'accorder une attention particulière à l'organisation et à l'encadrement de ces pratiques.

Pour répondre à ces préoccupations, l'article 1er dispose que les grades seront délivrés par les fédérations sportives délégataires ou, en l'absence de fédérations délégataires dans une discipline, par une fédération sportive agréée.

L'Etat déterminera par arrêté la liste de ces fédérations. I l approuvera également les conditions de délivrance des grades, mais sur proposition de commissions spécialisées par discipline. Enfin, dans un souci de déontologie et d'harmonisation des titres entre disciplines, une commission consultative est créée, assurant le partenariat le plus large entre tous les acteurs concernés.

Le Sénat a souhaité préciser par voie d'amendement que les grades visés par la présente loi se limitent aux

« dans » et grades de valeur équivalente requis pour l'enseignement. Cette précision vise à ne pas alourdir inutilement le dispositif, en restreignant l'intervention des commissions spécialisées aux titres d'un niveau au moins égal à la ceinture noire. Cela correspond au dispositif existant depuis le premier décret de 1976. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à cette modification.

La composition des commissions spécialisées est fixée par arrêté du ministre chargé des sports. La rédaction du Sénat maintient le principe d'une consultation des fédérations intéressées, tout en laissant au ministre le soin de veiller à ce que cette composition soit équilibrée.

A notre avis, je le rappelle, devront y siéger, outre les représentants des organisations professionnelles des professeurs, non seulement les représentants des fédérations unisport délégataires, mais aussi ceux des fédérations affinitaires.

Le second article vise à sécuriser les grades et « dans » délivrés par les fédérations qui avaient reçu cette attribution en vertu du décret du 2 août 1993, dont l'annulation par le Conseil d'Etat pour défaut de base légale a nécessité l'intervention du législateur. Pour souligner l'imp ortance de cette validation, je rappellerai que 60 000 titres sont concernés. Là encore, la rédaction du Sénat ne remet pas en cause l'objectif poursuivi. C'est pourquoi le Gouvernement a accepté cette formulation.

La proposition de loi répond réellement aux préoccupations et attentes des pratiquants et pratiquantes, professeurs et dirigeants de ces disciplines. Je vous remercie de l'avoir élaborée. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Patrick Leroy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Patrick Leroy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, madame le ministre, chers collègues, l'objet de la présente proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 18 mars 1999, est fort simple. Le Conseil d'Etat, le 28 janvier 1998, a annulé le décret du 2 août 1993 « fixant les conditions de délivrance de certains titres dans les disciplines sportives relevant des arts martiaux ». L'intérêt général, sans parler du simple bon sens, rend nécessaire la validation des quelque 60 000 titres délivrés dans ces disciplines sur la base du décret.

Au demeurant, cette annulation est intervenue à cause de l'absence de coïncidence entre la loi et la pratique sportive. En effet, la loi no 84-610 du 16 juillet 1984, dans son article 17, prévoit que la délivrance des titres sanctionne les résultats en compétition, alors que dans les disciplines concernées, ces titres peuvent en outre - et souvent même doivent - valider l'acquisition de connaissances techniques. Il convient de mettre fin à ce hiatus.

Tels sont les motifs pour lesquels la proposition de loi a été présentée et adoptée, sans modification, par l'Assemblée nationale.

Pourtant, des voix se sont élevées, notamment de la part de petits clubs ou de professeurs indépendants, pour dénoncer le fait que le texte conduisait à restituer aux fédérations leur pouvoir de contrôle sur ces clubs, puisque celles-ci seront désormais seules délégataires et obtiendront du ministre la possibilité d'organiser les compétitions en question et de délivrer les grades et

« dans ». C'est donc le monopole de délivrance des titres attribué aux fédérations qui a été contesté.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Le Sénat, plus sensible à ces protestations que ne l'avait été l'Assemblée nationale, a modifié les deux articles que comporte la présente proposition. Il a en particulier décidé que le texte s'appliquerait non à l'ensemble des grades et « dans », mais seulement aux « dans » et aux grades équivalents à des « dans », c'est-à-dire aux grades les plus importants - ceintures noires par exemple, pour prendre le cas du judo. Ainsi, les clubs indépendants conserveront toute latitude pour délivrer, selon leurs propres méthodes et critères, les grades de niveau inférieur.

Même si l'on peut s'interroger sur l'opportunité de cette modification, compte tenu de la nécessité de clore la navette rapidement pour permettre aux clubs de fonctionner au mieux, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui s'est prononcée à l'unanimité, je vous propose d'adopter le texte dans la version transmise par le Sénat, sans lui apporter de modification.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Cardo.

M. Pierre Cardo.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je serai assez bref, car ce texte a déjà fait l'objet de nombreuses discussion, mais comme je n'ai pas participé au débat en première lecture, j'aurais voulu apporter un certain nombre d'éclairages.

S'il était indispensable de remplir le vide juridique consécutif à l'annulation de la décision du Conseil d'Etat, ce texte apporte en outre de nombreuses précisions qui permettront de s'y retrouver et vraisemblablement de mieux maîtriser le foisonnement des disciplines des arts martiaux - ce foisonnement, s'il constitue une richesse, pose en même temps des difficultés de gestion.

Sans entrer dans les détails, je n'ai pas trouvé de réponse à certaines de mes questions, ni dans le texte ni dans les comptes rendus. Mais peut-être certains éléments m'auront-ils échappé ? Madame la ministre, si votre objectif est d'empêcher que certains clubs, certaines fédérations ou certains organismes qui prennent le nom de fédération aient des activités plus mercantiles que sportives, je suis d'accord. Et la proposition de loi devrait effectivement permettre d'arrêter cette dérive. Pour ma part, j'ai pratiqué de nombreux arts martiaux, notamment le karaté, où le problème, par moment, a pu se poser.

Mais il n'y a pas que ce problème. Le karaté comporte plusieurs méthodes : le shito ryu , le wado ryu , le shoto kan , par exemple. Ces différentes méthodes pourront-elles continuer à coexister en conservant leurs spécificités ? A cet égard, j'ai été inquiet lorsque vous avez envisagé de faire remonter le contrôle jusqu'au niveau des grades.

Mais dès lors qu'il est limité aux « dans », me voilà un peu rassuré. A ce niveau, c'est justifié, dans la mesure où, théoriquement, on peut enseigner dès lors qu'on est titulaire de la ceinture noire.

Cela étant, je ne sais pas quels effets la proposition de loi aura sur l'évolution des fédérations, qu'elles soient délégataires ou affinitaires.

Vous n'avez pas restreint la mise en place des commissions aux fédérations unisport délégataires. Vous l'avez au contraire étendue aux fédérations affinitaires, comme c'était souhaitable, puisqu'il y a également des enseignants.

La création de la Commission consultative des arts martiaux était sans doute souhaitable, mais il faudrait ne pas limiter son travail aux sujets que vous avez retenus.

Compte tenu des problèmes que je viens d'évoquer - mais aussi d'autres problèmes que je n'ai pas le temps d'aborder -, il conviendrait que la Commission consultative, en collaboration avec vos services, madame la ministre, procède à une évaluation. Elle la communiquerait au Parlement, de façon que nous sachions exactement dans quelles conditions la loi sera mise en oeuvre.

Il ne faudrait pas que, par la méconnaissance de problématiques spécifiques, nous remettions en cause la richesse et la diversité des arts martiaux en France - qui nous ont amenés à des résultats remarquables dans les compétitions internationales -, simplement parce que nous aurions imposé des contrôles trop rigoureux.

Voilà pourquoi le groupe DL a été très divisé en première lecture sur l'attitude à adopter : certains étaient pour la proposition, d'autres contre. Quoi qu'il en soit, nous estimons qu'elle doit permettre de régulariser tous ceux qui, en ce moment, sont un pied en l'air, sans savoir si leur diplôme est valide - car en arts martiaux, croyezmoi, c'est une position assez fatigante.

(Sourires.)

Bien qu'il attende encore des assurances supplémentaires, pour ne pas empêcher la régularisation de la situation, le groupe DL s'abstiendra.

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Permettez-moi d'abord, madame la ministre, à la lecture de la presse et à l'écoute des radios et des télévisions, de vous remercier pour la façon dont vous faites évoluer le dossier sportif au niveau européen.

L'exception du sport semble bien progresser - et Dieu sait que la France y prend une grande part. Je crois que chacun doit s'en réjouir.

Avec mes collègues du groupe communiste, je me réjouis aussi que le Sénat ait adopté cette proposition de loi à l'unanimité, après avoir introduit quelques amendements.

Je rappelerai brièvement son objet : le décret du 2 août 1993, pris par le précédent gouvernement, réglementait les conditions de délivrance des titres dans les disciplines relevant des arts martiaux. En l'absence de base légale, le Conseil d'Etat, par un arrêt du 28 janvier 1998, a annulé ce décret.

Avec cette proposition de loi, notre souci est, d'une part, de valider les titres délivrés depuis 1993 par les fédérations d'arts martiaux, dépourvus de tout fondement juridique, et, d'autre part, de combler le vide juridique causé par cette annulation, préjudiciable notamment aux discipline judo, karaté, tae-kwondo et aïkido.

Le Sénat a apporté deux modifications à l'article 1er , relatif au pouvoir de délivrance des grades et « dans » aux fédérations sportives délégataires ou, à défaut, aux fé dérations sportives agréées.

La première modification remplace les termes : « grade ou dan » par les termes : « dan ou grade équivalent », restreignant ainsi le champ d'application de la proposition de loi et la compétence des commissions spécialisées dans la délivrance des titres aux seuls grades les plus élevés, à partir de la ceinture noire, c'est-à-dire ceux qui donnent accès aux brevets d'Etat d'éducateur sportif, et non plus à l'ensemble des grades, comme le prévoyait initialement le texte.

Si l'on peut émettre quelques réserves sur cette disposition, notamment parce qu'elle instaure deux types de régime juridique et qu'elle risque de dévaloriser certaines


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activités, il faut reconnaître qu'elle a l'avantage de permettre à des clubs, à des associations et à des fédérations indépendantes des fédérations délégataires ou agréées de délivrer des titres en dessous de ce grade, lors des compétitions qu'ils organisent.

La seconde modification porte sur la composition des commissions spécialisées des « dans » et grades équivalents, qui sera fixée par arrêté ministériel, après consulta tion, et non plus proposition, des fédérations concernées.

Cette disposition, que nous approuvons, permettra en effet d'associer les fédérations à la décision ministérielle , garante de l'homogénéité des commissions et de l'ouverture de leur représentation - comme vous le souhaitez, madame la ministre - à l'ensemble des acteurs concernés, à savoir les organisations professionnelles des professeurs, les fédérations délégataires, mais également les fédér ations affinitaires.

L'article 2, relatif à la validation des titres délivrés depuis 1993, connaît lui aussi une modification. Elle consiste à restreindre son champ d'application aux seuls titres dont l'invalidité est liée à l'annulation du décret de 1993, et non à ceux dont la délivrance présente d'autres irrégularités.

N'oublions pas qu'entre 1993 et 1998, ce sont près de 60 000 grades et dans - condition nécessaire pour l'inscription aux brevets d'Etat d'éducateur sportif et aux concours de professeur de sport dans les disciplines judo, karaté, tae-kwondo et aïkido - qui ont été délivrés sa ns base juridique.

Compte tenu de l'urgence, je vous invite donc, chers collègues, à vous prononcer en faveur de cette proposition de loi, modifiée par le Sénat.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Morange.

M. Pierre Morange.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'annulation par le Conseil d'Etat du décret du 2 août 1993 relatif à l'attribution des grades et des « dans » a rendu nécessaire un texte de loi qui vienne valider les diplômes obtenus par quelque 60 000 pratiquants des arts martiaux, diplômes indispensables pour pouvoir passer un brevet d'Etat.

La proposition de loi que nous examinons en seconde lecture valide les « dans » et grades délivrés en application du décret de 1993 et donne une base légale à la procédure de délivrance de ces titres. Cette délivrance sera en effet confiée à des commissions spécialisées, créées au s ein des fédérations délégataires ou, à défaut, agréées.

Il est par ailleurs créé une Commission consultative des arts martiaux, dont la composition est arrêtée par le ministre chargé des sports.

Lors du premier examen de ce texte, Patrick Ollier s'était inquiété du caractère un peu flou de cette commission consultative. Il avait également appelé votre attention sur les risques de dérives sectaires, qui conduisent à dévoyer la pratique d'un « art » qui concilie aptitudes physiques et spirituelles. Nous devons être très vigilants.

Un certain nombre de questions vous ont été posées tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat : quelle place sera réservée aux syndicats de professeurs ? Comment associer les fédérations agréées ? Comment seront représentées toutes les branches des arts martiaux ? Au Sénat, vous avez précisé que la composition des commissions devrait refléter la réalité de la pratique sportive et vous avez donné l'assurance que les organisations professionnelles, les fédérations délégataires, dont le rôle est primordial, et les fédérations affinitaires seront bien représentées. Nous prenons acte de votre engagement qui devrait permettre d'associer toutes les parties prenantes à la pratique des arts martiaux.

Le Sénat a amélioré la rédaction initiale de la proposition de loi, en particulier en limitant la compétence des commissions fédérales spécialisées à la délivrance des se uls

« dans » et grades équivalents, c'est-à-dire des titres d'un niveau égal ou supérieur à la ceinture noire. Les clubs indépendants des fédérations délégataires conserveront donc la possibilité de délivrer les grades inférieurs et d'organiser les compétitions. C'est une précision importante de nature à rassurer les petits clubs.

Les modifications introduites par le Sénat, et approuvées par le Gouvernement, ont été acceptées par la commission des affaires culturelles familiales et sociales, qui a adopté ce texte sans modification.

Le groupe du Rassemblement pour la République votera ce texte.

M. Pierre Cardo.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par nos collègues communistes et relative à la délivrance des grades dans les arts martiaux s'inscrit dans un contexte difficile pour le sport, c'est-à-dire à un moment où les scandales liés au dopage et aux affaires se multiplient et entachent gravement son image.

Dans ce contexte, il paraît essentiel de rappeler que l'objet premier du sport est, au-delà des résultats, l'épanouissement personnel, la connaissance de soi et le partage, que ce soit dans la pratique d'un sport individuel ou dans celle d'un sport d'équipe. Or, pour cela, il faut des règles du jeu claires, et ce sont de telles règles que cette proposition de loi entend instaurer en reconnaissant le rôle des fédérations.

Ce texte a donc une double valeur : de clarification et symbolique.

Dans un premier temps, il s'agit de donner une base légale à la délivrance des grades dans les arts martiaux.

Celle-ci relève en effet d'une pratique singulière, puisque la délivrance des titres, établis par la gradation des ceintures et des « dans », ne sanctionne pas seulement le résultat des compétitions mais aussi des épreuves techniques et des exercices collectifs pratiqués dans les clubs.

Or l'article 17 de la loi du 16 février 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques ou sportives disposait que la délivrance des grades et « dans » appartenait aux fédérations délégataires ou aux fédératio ns agréées pour la discipline à l'issue de compétitions, excluant donc implicitement tout autre mode d'attribution des grades.

C'est pourquoi le décret du 2 août 1993 fixant les conditions de délivrance de certains titres dans les disciplines relevant des arts martiaux et prévoyant que les grades sanctionnent « la valeur sportive des pratiquants » a été finalement annulé par le Conseil d'Etat.

Cette proposition de loi tend donc à combler un vide juridique, d'une part, en validant les 60 000 titres délivrés depuis la date d'annulation du décret et jusqu'à la promulgation de la loi et, d'autre part, en précisant les prérogatives des fédérations délégataires ou agréées.

J'en arrive ainsi au second point de mon intervention : la valeur symbolique de ce texte.

La clarification proposée par ce texte a pour but d'éviter les débordements éventuels liés à la pratique sportive.

En effet, la multiplication des arts martiaux, leur succès


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auprès des jeunes et la mise en avant de valeurs spirituelles et intellectuelles propres à ces sports peuvent parfois conduire à des pratiques où les motivations purement mercantiles l'emportent sur l'amour du sport, quand il ne s'agit pas de dérives sectaires. C'est le rôle du législateur d'agir afin d'empêcher ces agissements contraires à la déontologie et particulièrement dangereux : il nous faut être vigilants en la matière. La sécurité des enseignements et la continuité de l'action seront ainsi protégées.

Le rôle des fédérations étant renforcé, il s'agit également de reconnaître la participation des syndicats professionnels, dont il ne faut pas oublier l'action et qui, nous le pensons, doivent, dans un esprit de concertation, être associés au sein des commissions spécialisées. Ainsi, dans un cadre où les règles du jeu sont claires, le sport doit-il pouvoir s'épanouir.

En conclusion, j'insisterai sur la nécessité de rappeler le rôle de l'éthique dans le sport, à quelques mois de la discussion du projet de loi sur le sport : notre message en la matière doit être particulièrement clair.

C'est dans cet esprit que le groupe UDF apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Cohen, dernier orateur inscrit.

M. Pierre Cohen.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tous les intervenants l'ont rappelé, l'objet de la proposition de loi soumise à notree xamen est de permettre de sortir d'une situation ubuesque dans laquelle se trouvent 60 000 personnes ayant obtenu un « dan » depuis le 2 août 1993.

Il semble normal que soient reconnues des compétences que personne ne remet par ailleurs en cause. Imaginons un instant la situation dans laquelle se retrouveraient les détenteurs de « dan » qui auraient obtenu depuis un brevet d'Etat d'éducateur sportif et convenons ensemble qu'il est de la responsabilité du législateur de lever cette hypothèque.

Je félicite les députés du groupe communiste, et en particulier Patrick Leroy, d'avoir pris une telle initiative, et je remercie Mme la ministre pour l'attention qu'elle a bien voulu accorder à cette question.

La première lecture du texte à l'Assemblée, comme au Sénat, a montré qu'il existait un consensus sur tous les bancs pour régler une incertitude juridique. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Il convient donc d'apprécier à sa juste valeur l'apport du Sénat.

Ainsi, il nous est proposé que ce texte s'applique aux grades les plus élevés, les « dans » et équivalents. De même, les sénateurs souhaitent que les commissions spécialisées soumettent au ministre chargé des sports les conditions de délivrance des grades concernés. L'intérêt de ces modifications est de prendre en compte les attentes de toutes les parties en présence, qu'il s'agisse des fédérations, élément indispensable à l'organisation des activités physiques et sportives dans notre pays telle qu'elle est définie dans la loi du 16 juillet 1984, des professeurs indépendants ou des clubs, dont nous avons entendu les appels. Il ne s'agit pas pour nous de nier leur rôle ou leur dignité, et je récuse par avance quelque volonté que ce soit de les exclure.

Tout cela va dans le bon sens et répond aux préoccupations exprimées par Hélène Mignon, députée de la Haute-Garonne, lors du débat en commission qui avait précédé l'examen de ce texte en première lecture.

Enfin, je tiens à rappeler que Michel Dasseux, député de la Dordogne et judoka émérite, qui était intervenu pour le groupe socialiste lors de l'examen du texte en première lecture, avait souligné à juste titre combien les arts martiaux sont populaires dans notre pays. Ainsi, la fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées compte aujourd'hui 550 000 licenciés répartis dans plus de 5 600 clubs, et les six fédérations délégataires ou agréées comptent 850 000 adhérents.

L'éclatant succès de ces disciplines est dû tant aux valeurs qu'elles souhaitent transmettre qu'à leur intérêt sportif. Ces valeurs seront préservées par les fédérations et les enseignants qui siégeront au sein des commissions spécialisées. Dès lors un avis pluriel pourra être donné au ministre chargé des sports. Chacun sera reconnu et tous seront respectés. Les arts martiaux retrouveront enfin cette sérénité, quelque peu perdue ces derniers temps, et à laquelle ils sont attachés.

Le groupe socialiste votera donc ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Je tiens d'abord à remercier M. le rapporteur, la commission et l'ensemble de la représentation nationale pour le travail effectué, qui répond vraiment à une nécessité.

Cette proposition de loi ne vise pas à réduire la diversité des arts martiaux. Du reste, je suis moi-même profondément attachée à la diversité des pratiques sportives.

Mais pour que cette diversité soit protégée, il faut se garder de certaines dérives. Certains ont évoqué les dérives sectaires, mais il serait possible d'y ajouter les dérives intégristes et parfois sécuritaires. Bref, il faut préserver la diversité.

Le ministère a entamé un travail de longue haleine avec chacune des pratiques afin de parvenir soit au rassemblement au sein d'une fédération, soit à la création d'une fédération propre. Seules les fédérations peuvent, par le biais de l'agréement qu'elles accordent, garantir une vie démocratique et préserver l'éthique sportive à laquelle les arts martiaux sont, compte tenu de leurs traditions, particulièrement attachés.

Je le redis ici, je le répète, je suis attachée à ce que les commissions : fédérations délégataires, fédérations affinitaires et représentants soient bien le reflet de la diversité des pratiques des professionnels. Il faut prendre en compte la réalité des pratiques.

Vous avez, monsieur Feurtet, fait allusion à ce qui s'est passé ces deux derniers jours. Et il est vrai que, grâce à l'action de la France, la réunion des ministres des sports de l'Union européenne a débouché une avancée que je considère comme historique en matière de prise en compte des intérêts spécifiques du sport.

Mais la prise en compte de tels intérêts donne des responsabilités. La spécificité de la pratique sportive par rapport aux règles du marché et aux règles de la concurrence n'autorise pas pour autant que l'on s'écarte du droit. Le mouvement sportif doit être capable d'assumer les nouvelles responsabilités qu'il a réclamées et qui découlent de la reconnaissance de sa spécificité. Je pense que cette proposition de loi est l'un des éléments permettant cette prise de responsabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

M. le président.

Le texte ne fait l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture : Article 1er

M. le président.

« Art. 1er . - L'article 17 de la loi no 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Dans les disciplines sportives relevant des arts martiaux, nul ne peut se prévaloir d'un dan ou d'un grade é quivalent sanctionnant les qualités sportives et les connaissances techniques, et le cas échéant les performances en compétition, s'il n'a pas été délivré par la commission spécialisée des dans et grades équivalents de la fédération délégataire ou, à défaut, de la fédér ation agréée consacrée exclusivement aux arts martiaux.

« Un arrêté du ministre chargé des sports fixe la liste des fédérations mentionnées à l'alinéa précédent.

« Les commissions spécialisées des dans et grades équivalents, dont la composition est fixée par arrêté du ministre chargé des sports après consultation des fédérations concernées, soumettent les conditions de délivrance de ces dans et grades au ministre chargé des sports, qui les approuve par arrêté.

« Il est créé une commission consultative des arts martiaux comprenant des représentants des fédérations sportives concernées et de l'Etat, dont la composition est arrêtée par le ministre chargé des sports. Cette commission est compétente pour donner son avis au ministre de la jeunesse et des sports sur toutes les questions techniques, déontologiques, administratives et de sécurité se rapportant aux disciplines considérées et assimilées. »

Article 2

M. le président.

« Art. 2. Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés, en tant que leur légalité serait contestée en raison de l'annulation du décret no 93-988 du 2 août 1993, les grades et dans délivrés par :

« la commission spécialisée des grades et dans de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées de la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées ;

« la commission spécialisée des grades et dans de karaté de la Fédération française de karaté et arts martiaux affinitaires ;

« la commission spécialisée des grades et dans de taekwondo et disciplines associées de la Fédération française de taekwondo et disciplines associées ;

« la commission spécialisée des grades d'aïkido de l'Union des fédérations d'aïkido. »

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

2 CHÈQUES-VACANCES Discussion, en nouvelle lecture, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 27 mai 1999.

« Monsieur le président,

« J'ai été informé que la commission mixte paritaire n'a pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances.

« J'ai l'honneur de vous faire connaître que le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture du texte que je vous ai transmis le 26 mai 1999.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Je rappelle que, par décision de la conférence des présidents, ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de ce projet de loi (nos 1647 et 1669).

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au tourisme.

Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi portant extension du chèque-vacances aux salariés des PME-PMI de moins de cinquante salariés vous est soumis à nouveau après l'échec de la commission mixte paritaire, en dépit de tous les efforts de votre rapporteur, que je veux remercier pour le travail effectué, mais aussi pour son sérieux et sa persévérance.

M. Gérard Terrier, rapporteur des affaires culturelles, familiales et sociale.

Merci !

Mme la secrétaire d'Etat au tourisme.

Ainsi que je l'ai dit à plusieurs reprises depuis le début du débat parlementaire, le Gouvernement, en soumettant ce projet de loi à l'Assemblée nationale, veut répondre à un souci de justice sociale en favorisant l'accès aux vacances pour les salariés et leur famille. L'extension du chèque-vacances aux salariés des entreprises de moins de cinquante personnes participe de la démarche du droit aux vacances pour tous, initiée par l'ordonnance de 1982.

Je regrette donc que la commision mixte paritaire ne soit pas parvenue à un accord : d'autant que le Sénat affirme partager l'objectif affiché par le Gouvernement de voir se développer le chèque-vacances ! Au Sénat comme à l'Assemblée, le débat de ce projet a fourni au Gouvernement l'occasion de préciser à de nombreuses reprises le sens de sa politique en direction des familles, en particulier l'importance qu'il entend donner aux vacances dans la politique familiale et, plus généralement dans la politique qu'il conduit en matière sociale.

Je maintiens l'idée que le projet qui vous est présenté à nouveau aujourd'hui, amendé par le travail parlementaire et grâce à un dialogue constant entre le Gouvernement et


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cette assemblée, est un projet équilibré. Que ce soit par le biais de l'article 2 ou de l'article 6, nous avons réussi, je le pense, à combiner l'objectif essentiel de l'élargissement avec celui qui consiste à favoriser au sein de l'entreprise le nécessaire dialogue social.

Mais il s'agit aussi, je le répète, d'un projet ambitieux.

Au-delà du champ potentiel des nouveaux bénéficiaires et des premières indications données sur la montée en puissance du chèque-vacances, les amendements adoptés ici, notamment l'amendement offrant la possibilité de mettre en place ce dispositif par accord de branche, vont accélérer, j'en suis convaincue, son développement. D'ailleurs, l'intérêt porté par les organisations professionnelles en témoigne.

Projet ambitieux également parce qu'il peut être un élément contributif de la construction d'une Europe sociale. En effet, vous le savez, d'autres pays de l'Europe du Nord et méditerranéenne, s'inspirant du modèle français, réfléchissent à la mise en place d'un chèquevacances. L'élargissement de l'utilisation de celui-ci au territoire des pays membres de la Communauté européenne, amendement adopté sur proposition du Gouvernement, peut contribuer à développer les échanges touristiques intra-européens, en particulier ceux des salariés et des familles aux revenus les plus modestes.

C'est pourquoi, me félicitant de la qualité du travail de la commission et du débat en deuxième lecture, je vous propose, à une réserve près, d'adopter le projet tel qu'il a été voté par votre assemblée le 26 mai dernier.

La réserve du Gouvernement, chacun la connaît : elle tient à l'amendement qui supprime la tutelle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'Agence nationale des chèques-vacances.

Si mon département ministériel exerce seul la tutelle sur d'autres établissements, tels que Maison de la France, l'Agence française pour le développement de l'industrie touristique, l'Observatoire national du tourisme, dans le cas de l'ANCV, la cotutelle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie me semble justifiée. En effet, cet établissement émet et rembourse des titres de paiement pour des montants très importants, supérieurs à 4 milliards de francs, ce qui relève d'un contrôle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

D'autre part, l'ANCV tire l'essentiel de ses excédents de la gestion de placements de trésorerie dont la quasiintégralité est consacrée au financement de la réhabilitation du patrimoine social du tourisme et à l'aide au départ des plus démunis.

Il n'est donc pas paradoxal, pour la bonne marche de ce dispositif, que le ministère de l'économie et des finances exerce, à côté de mon ministère, la cotutelle de l'ANCV. Voilà pourquoi je vous propose de rétablir le texte adopté par le Sénat sur cet article 4 quater

Ce projet de loi est, je le répète, un projet de justice sociale, qui permettra à des millions de salariés de connaître à leur tour le bonheur partagé que constituent les vacances. Je demande donc à l'Assemblée de le voter pour que ces salariés puissent en bénéficier au plus vite.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Gérard Terrier, rapporteur de la comision des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, madame la sécrétaire d'Etat, mes chers collègues, en deuxième lecture, l'Assemblée nationale était revenue au texte qu'elle avait adopté en première lecture, considérant que le Sénat s'était écarté des principes qui doivent guider la démarche du législateur.

Ces principes sont les suivants : le chèque-vacances doit être une mesure de justice sociale ; il ne doit pas être le prétexte à de nouvelles exonérations sociales et fiscales ; il doit faire l'objet d'une véritable négociation collective.

Comme cela était prévisible, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun lors de sa réunion du 27 mai 1999.

L'Assemblée nationale et le Sénat n'ont pas trouvé d'accord sur le montant du plafond de ressources nécessaire pour bénéficier des chèques-vacances, à l'article 2 du projet de loi.

L'Assemblée nationale, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, est donc appelée à délibérer, en nouvelle lecture, sur le texte qu'elle a adopté en deuxième lecture mercredi dernier. En effet, si l'examen de ce projet de loi a débuté au Sénat, il appartient à l'Assemblée nationale, après l'échec de la commission mixte paritaire, de le reprendre en nouvelle lecture.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le projet de loi au cours de sa réunion du 2 juin 1999. Conformément à mes conclusions, elle a adopté sans modification les articles 1er à 4, 4 quater et 5, et elle a maintenu la suppression des articles 4 ter et 7.

Elle a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi sans modification.

Je vous propose de faire de même, les améliorations souhaitables ayant déjà été apportées lors des étapes pré cédentes.

Nous pouvons nous féliciter que la France soit la première destination touristique au monde et que le secteur du tourisme demeure le premier poste excédentaire national, mais il est devenu urgent de permettre à des millions de nos concitoyens, qui n'ont toujours pas accès aux vacances pour des raisons financières, de bénéficier enfin de ce droit qui, outre le repos qu'il permet, contribue à l'épanouissement de la personnalité et facilite l'accès à la culture.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je le répète, demande à l'Assemblée nationale d'adopter le projet de loi no 1647 sans modification.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Morange.

M. Pierre Morange.

Madame la secrétaire d'Etat, je ne vous surprendrai pas en vous disant d'emblée combien nous sommes déçus par votre texte. Il est en décalage par rapport aux ambitions que vous ne cessez d'afficher.

Il y a un fossé entre vos effets d'annonce et la réalité de ce projet, du fait de l'insuffisance de l'abondement financier. Nous sommes loin, très loin de l'extension substantielle promise.

Ne soyez pas dupe : il ne suffit pas d'avoir de grandes ambitions pour faire avancer une cause ; il faut avant tout s'en donner les moyens.


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Ces ambitions, nous les partageons bien évidemment, puisque nous nous fixons - comme vous, nous semblaiti l - comme principal objectif d'élargir l'accès aux chèques-vacances et de contribuer ainsi à faire partir en vacances un plus grand nombre de Français modestes.

Il ne suffit pas de se lamenter sur le constat accablant que 40 % de nos concitoyens ne partent pas en vacances faute de moyens. Cette situation est inadmissible, nous en sommes tous convaincus.

L'objet de la proposition de loi de M. Bernard Pons, cosignée par l'ensemble du groupe du Rassemblement pour la République et examinée dans cette enceinte le 15 mai 1998 dans le cadre de la séance mensuelle réservée à un ordre du jour fixé par l'Assemblée en application de l'article 48, alinéa 3, de notre Constitution, était précisément de répondre à cette forte attente sociale tout en prenant en compte la nécessité de conforter le développement du tourisme intérieur.

Renaud Muselier en avait été le rapporteur ; Bernard Pons, Jean-Michel Couve et Michel Bouvard l'avaient brillamment défendue.

M. Jean-Pierre Dufau.

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était !

M. Pierre Morange.

Les rappels historiques sont toujours éclairants pour l'esprit ! Cette proposition de loi avait un champ d'application beaucoup moins restreint que votre texte, madame la secrétaire d'Etat, et je ne comprends toujours pas l'obstination idéologique et partisane de votre majorité, qui a dédaigné d'examiner les articles de notre proposition de loi ou de les amender. Les salariés des PME de moins de cinquante salariés, les non-salariés et les agriculteurs étaient concernés.

Par ailleurs, l'augmentation du plafond de ressources et les mesures fiscales que prévoyait cette proposition rendaient le dispositif à la fois plus efficace et plus incitatif.

Il s'agissait de répondre au double objectif des chèquesvacances : avoir un impact social et permettre la création d'emplois dans le secteur du tourisme. Ce double objectif, vous l'avez perdu de vue, madame la secrétaire d'Etat ! Votre majorité, d'ailleurs, avait déposé une question préalable en commission des affaires culturelles, dans le but de faire rejeter la proposition de loi de Bernard Pons, et vous nous aviez alors promis la rédaction d'un nouveau texte, plus prometteur, aviez-vous dit. Je constate cependant que les Français modestes, supposés être les nouveaux bénéficiaires du chèque-vacances, auront perdu dans l'histoire une année à attendre un texte bien décevant.

Votre projet est trop restrictif. Nous n'avons cessé de vous le dire, mais sans réussir à vous convaincre, visiblement. Le Gouvernement prétend généreusement ouvrir le dispositif à de nouveaux bénéficiaires tout en imposant aux dirigeants des entreprises des contraintes rédhibitoires.

Le point d'achoppement sérieux, véritablement emblématique, sur lequel a buté la commission mixte paritaire est celui du plafond de ressources. Tous les syndicats, y compris la CGT, regrettent pourtant depuis longtemps la faiblesse de ce plafond d'imposition et réclament son relèvement. A défaut, vous le savez aussi bien que moi, de nombreux fonctionnaires à revenus modestes n'auront plus accès au chèque-vacances. Je le répète, il aurait fallu non seulement relever le plafond, mais aussi tenir plus largement compte du nombre d'enfants à charge.

Monsieur le rapporteur, vous avez invoqué lors de notre précédente lecture trois raisons pour ne pas accepter le texte du Sénat. D'abord, la justice sociale. En second lieu, la nécessité de ne pas donner prétexte à de nouvelles exonérations fiscales et sociales. Je reconnais bien là votre manière toute idéologique de caricaturer systématiquement le travail de l'opposition, comme si la gauche avait le monopole du social ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Nicole Bricq.

Vous en rajoutez !

M. Pierre Morange.

Troisième raison : la nécessité d'une concertation.

Je répondrai brièvement sur ces trois points, car ce projet est inéquitable et insuffisant.

M. Gérard Terrier, rapporteur.

C'est parce que vous n'avez pas d'arguments que vous êtes bref ?

M. Pierre Morange.

C'est tout simplement par respect de la démocratie ! Je répondrai d'abord en ce qui concerne la justice sociale.

La justice, c'est l'équité. Or vous mettez en place tout un système de discriminations : discriminations salariales, c'est-à-dire injustices, discriminations entre grandes et petites entreprises, discriminations entre fonctionnaires et salariés des PME, discriminations entre salariés du privé et fonctionnaires, discriminations pour les professions i ndépendantes, discriminations enfin, et pas des moindres, pour les retraités.

Ces retraités que vous pensez satisfaire, mais que vous abusez en réalité car vous refusez de débloquer les moyens financiers nécessaires.

En ce qui concerne les exonérations fiscales et sociales, je soulignerai une contradiction. Vous fustigez le prétexte dont se servirait la droite pour exonérer abusivement les entreprises, mais pourquoi alors prévoir pour certaines catégories de nouvelles exonérations, d'ailleurs insuffisantes ? Je ne saisis pas bien votre logique.

Enfin, vous prévoyez la concertation pour les uns mais vous l'omettez et la négligez pour les autres. De plus, vous la prévoyez par le biais d'organismes qui n'existent pas aujourd'hui ! C'est un enjeu social et économique de taille qu'il nous était enfin possible d'examiner dans toute son étendue. Mais le Gouvernement en a décidé autrement. C'est bien dommage et c'est une nouvelle occasion manquée pour soutenir un secteur économique qui est traditionnellement, hélas ! trop ignoré.

Mme la secrétaire d'Etat au tourisme.

Que n'avezvous agi lorsque vous étiez au pouvoir !

M. Pierre Morange.

Il fallait favoriser un véritable tourisme familial et populaire en modifiant plus profondément quelques points essentiels du chèque-vacances, afin de créer les conditions de son développement le plus large possible.

C'est parce que vous n'avez pas su répondre au double objectif de conciliation du droit aux vacances et de développement des activités touristiques que le groupe du Rassemblement pour la République votera contre ce texte.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les députés, heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ! Hasard du


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calendrier parlementaire, l'Assemblée nationale, à quelques semaines de la pause estivale, vit déjà à l'heure du voyage. Hier soir, nous discutions du projet de loi relatif aux gens du voyage. Aujourd'hui, cette nouvelle lecture du projet de loi sur le chèque-vacances préfigure la grande transhumance des congés payés.

Nous devons nous réjouir de ce formidable succès populaire, fruit d'une conquête sociale, monsieur Cardo, dont les retombées bénéficient largement à notre économie, à la balance des paiements et à l'emploi.

M. Jean-Jacques Weber.

Et aux gens du voyage ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Dufau.

Le projet de loi participe lui aussi de cette politique. Puissions-nous y forger une éternelle jeunesse, de l'esprit, j'entends, comme le veut le vieil adage.

Après ce préambule un peu digressif, je ferai le point sur la séance de cet après-midi.

Comme l'a rappelé le rapporteur, la commission mixte paritaire, à laquelle j'ai participé, s'est soldée par un échec. On peut le regretter, mais pouvait-il en être autrement ? Passé le consensus qui a fait adopter par les deux assemblées l'amendement, proposé par le Gouvernement, fixant le champ des nouveaux bénéficiaires du chèquevacances - monsieur Morange, relisez cet amendement -, les antagonismes ont resurgi.

Ce n'est pas une surprise car, tout au long des débats, majorité et opposition ont clairement montré qu'elles obéissaient à deux philosophies différentes en ce qui concerne la notion de chèque-vacances.

L'opposition reste imprégnée par l'état d'esprit concrétisé par la proposition de loi Pons, rejetée par notre assemblée. Elle revient sans cesse à ce que j'avais appelé à l'époque le Canada Dry du chèque-vacances. Et, aujourd'hui, cette insistance me fait penser à l'histoire des croissants, immortalisée par Fernand Raynaud.

Pour la droite, l'extension du chèque-vacances est le prétexte à davantage d'exonérations sociales et fiscales pour les entreprises. Le bénéfice de cette aide ne serait plus centré sur les salariés et les revenus modestes mais sur les entreprises. Il y aurait là un véritable détournement de l'esprit et de la lettre de l'ordonnance de 1982 portant création du chèque-vacances. C'est une inacceptable tentative de récupération ; la ficelle est un peu grosse ! Pour la majorité de cette assemblée, il s'agit au contraire de rester fidèle à l'esprit et à la lettre de l'ordonnance de 1982. Nous sommes donc attachés à l'objectif social de cette loi, qui doit bénéficier aux salariés et aux revenus modestes. Et comme plus de 7 millions de personnes sont concernées par l'extension de cette loi, celle-ci aura aussi des conséquences économiques favorables à l'emploi.

Nous sommes également attachés au dialogue social dans l'entreprise, quelle que soit sa taille. La dure réalité du chômage ne devrait pas, comme c'est trop souvent le cas, peser négativement sur le dialogue social dans les entreprises ; elle devrait au contraire le rendre encore plus nécessaire, plus évident. C'est ce que je crois profondément. Cette loi peut et doit y contribuer, modestement, à sa place.

Notre volonté d'appliquer ce que le rapporteur appelle la hiérarchisation du dialogue social en est l'illustration.

Il faut saisir toutes les occasions de faire vivre ce dialogue.

Enfin, sans entrer dans le détail technique des articles, je souhaite souligner avec force deux points auxquels le groupe socialiste est très attaché.

Premier point : la possibilité d'utiliser le chèquevacances dans les pays de l'Union européenne. Je sais qu'il faudra préciser les modalités d'application de cette mesure. Mais on ne peut construire l'Europe à reculons.

Il faut donner des perspectives et des réalités, et il serait bon que la France donne l'exemple.

Deuxième point : la volonté de confier au ministère du tourisme la tutelle de l'Agence nationale du chèquev acances. C'est une question de cohérence et de reconnaissance, et il est inutile que je développe ce point.

En conclusion, le groupe socialiste soutiendra le projet de loi présenté par Mme la secrétaire d'Etat au tourisme, dans la rédaction qu'avait retenu l'assemblée en deuxième lecture, conformément aux propositions de la commission et du rapporteur, dont je me plais à souligner à nouveau l'excellent travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux.

Créé par l'ordonnance du 26 mars 1982, le système des chèques-vacances avait pour objectif de mettre en place et de développer une aide destinée à permettre le départ en vacances des personnes les plus défavorisées, ainsi que de celles qui sont à leur charge, et de réduire les inégalités devant le droit aux vacances pour tous.

L a constante progression du chiffre d'affaires de l'Agence nationale du chèque-vacances atteste du succès de la formule. C'est ainsi qu'en 1995 1,3 million de porteurs ont permis à 5,2 millions de personnes de bénéficier des avantages du chèque-vacances et généré 10 milliards de francs de retombées économiques.

Toutefois, malgré cette réussite, il convient de constater qu'aujourd'hui encore près de 37 % des Français, dont une bonne partie pour raisons financières, ne partent pas en vacances. Pour cette raison, madame la secrétaire d'Etat, votre projet de loi ouvre de grandes espérances et nous ne pouvons que nous réjouir de voir généralisé le principe du chèque-vacances.

Cependant, ce projet manque d'ambition. Il s'inspire, je le répète, d'idées généreuses, mais qui auraient dû ê tre poussées plus avant.

Tout d'abord, il aurait fallu étendre le bénéfice du chèque-vacances le plus largement possible. Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition ont plaidé pour que le bénéfice du chèquevacances soit attribué à tous les travailleurs, quel que soit leur statut, dès lors que leurs ressources étaient insuffisantes pour leur permettre de partir décemment en vacances. Vous avez été convaincue par les arguments de nos collègues Léonce Deprez et Jean-Michel Couve et nous nous réjouissons de l'esprit de l'amendement que vous avez fait adopter au Sénat, qui étend le bénéfice des chèques-vacances à tous ceux pour lesquels cela est justifié, sans discrimination liée au statut.

Hélas, nous aurions souhaité que vous alliez plus loin encore. Vous avez offert aux organismes sociaux la simple possibilité d'octroyer des chèques-vacances, alors qu'il eût fallu les obliger à mettre en place un tel dispositif. En effet, il est à craindre que de nombreux organismes ne saisissent pas la possibilité qu'il leur est offerte de participer à l'amélioration des conditions de vie de leurs employés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Imposer la généralisation des chèques-vacances est une bonne mesure. Une bonne mesure sociale, une bonne mesure pour l'emploi, une bonne mesure fiscale enfin. En effet, il existe un effet multiplicateur du chèque-vacances.

Le montant émis représente le tiers des dépenses touristiques induites. Il permet de créer de nouveaux emplois, d e préserver ceux qui existent, et, éventuellement, d'embaucher des chômeurs. Des cotisations sociales rentrent, des indemnités chômage ne sont pas versées et il y a perception de TVA. Je dirai à l'orateur qui m'a précédé que cela n'a rien à voir avec les gens du voyage.

Demandez aux collectivités locales et aux commerçants combien leur coûte leur passage, car ils ne volent pas seulement des poules ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Attention !

M. Jean-Pierre Dufau.

Quel sens du tourisme, quel sens de l'accueil !

Mme Nicole Bricq.

Il fallait la faire et il l'a faite !

M. Claude Birraux.

Madame la secrétaire d'Etat, c'est comme je l'ai indiqué que doit être compris l'élargissement du bénéfice du système des chèques-vacances.

Ma seconde idée concerne l'Europe. Lors de précédents débats, nous avons insisté sur cette nécessaire ouverture.

Elle est demandée depuis longtemps par les bénéficiaires des chèques-vacances. Cette ouverture doit être comprise comme une réciprocité avec les autres pays membres de l'Union européenne. Cette réciprocité est nécessaire pour deux raisons.

D'une part, il ne faut pas que les efforts consentis par les entreprises ainsi que leurs organismes sociaux profitent à des pays qui n'ont pas mis en place un tel système et, d'autre part, il faut, par notre exemple, inciter ces pays à élaborer des formules semblables à celle des chèquesvacances. Nous nous félicitons, madame la secrétaire d'Etat, que vous ayez proposé un amendement en ce sens en deuxième lecture. Cependant, nous souhaitons vivement que vous profitiez de ce débat pour étendre également ce principe à nos voisins de la Confédération helvétique, qui ont déjà mis en place un système similaire au nôtre.

Ma dernière remarque concerne le monopole de l'Agence nationale du chèque-vacances, dont je regrette qu'il ait été maintenu. Cette situation de monopole est contraire aux principes européens qui nous animent et présente deux inconvénients. Le premier est de voir l'agence ne pas se donner tous les moyens nécessaires pour développer son activité et permettre au plus grand nombre de bénéficier de cette mesure. Le second est de voir la situation de monopole attaquée demain devant la Cour de justice des Communautés européennes par un organisme étranger qui souhaiterait s'implanter en France et qui obtiendra, à coup sûr, la condamnation de notre pays.

Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, il ne nous est pas possible d'accepter ce texte tel que vous nous le proposez. Nous constatons que vous avez infléchi, comme nous vous l'avions demandé, votre position au cours des débats en séance publique, et nous en prenons acte. Aujourd'hui, nous vous demandons d'aller au bout de cette réflexion commune et de répondre positivement à nos préoccupations. C'est pourquoi nous souhaitons que ces modifications puissent aller au bout de leur logique, dans le sens d'une amélioration complète.

Si vous n'acceptez pas, nous serons au regret de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Mon intervention sera brève, comme trop souvent la durée des vacances. (Sourires.)

Le projet de loi sur l'extension des chèques-vacances a déjà recueilli, dans son principe, l'assentiment du groupe communiste. Nous restons très favorable à des objectifs qui sont le tourisme social et son élargissement à une plus large population de salariés modestes.

L'objectif de promotion du tourisme social découle de l'originalité du principe même de l'ordonnance de 1982.

Celle-ci réserve en effet le bénéfice des chèques-vacances aux seuls salariés et à leurs ayants droit, au moyen d'un système d'abondement qui prévoit une contribution de l'employeur venant s'ajouter à une épargne constituée par le salarié.

L'esprit du projet d'extension renforce le caractère social de l'ordonnance de 1982 tout en donnant la possibilité d'un élargissement aux salariés des PME et PMI, soit 7,5 millions de salariés supplémentaires.

Le principe de l'abondement de l'employeur est maintenu, y compris dans son aspect plus favorable aux salariés les plus modestes, puisque l'abondement doit obligatoirement être plus important pour les salariés ayant les plus faibles revenus.

Lors des précédents débats concernant ce projet de loi, notre groupe a fait des propositions visant à accentuer encore l'aspect social des chèques-vacances et à permettre sa plus large diffusion.

Nous étions très attachés à ce que les emplois-jeunes et les contrats emploi solidarité, catégories particulièrement touchées par la faiblesse des rémunérations, puissent aussi, parce qu'il s'agit également de salariés, être bénéficiaires des chèques-vacances.

Les retraités et les préretraités présentent, il est vrai, plus de disparités de revenu. Néanmoins, leur situation d'anciens salariés suffit dans tous les cas à justifier pleinement qu'ils soient bénéficiaires du dispositif.

Nous nous félicitons donc de la nouvelle rédaction, adoptée en deuxième lecture, de l'article 6 de l'ordonnance de 1982, qui permet d'étendre le dispositif aux emplois-jeunes et aux CES, mais également aux retraités et préretraités.

L a possibilité d'utiliser les chèques-vacances sur l'ensemble du territoire européen, dont le principe a été consacré lors de la deuxième lecture, constitue également une mesure à laquelle nous sommes très attachés. L'ouverture à l'Europe doit, à notre sens, être synonyme d'Europe sociale. De plus, nous sommes convaincus que, sur le plan économique, les retombées ne peuvent qu'encourager et favoriser notre industrie du tourisme. Par conséquent, nous soutenons sans réserve la décision du Gouvernement de reprendre la proposition que nous avions faite en ce sens.

La réussite des chèques-vacances est, pour une part importante, tributaire de la publicité qui sera faite au dispositif. Nous avions insisté sur ce point et proposé un amendement donnant une responsabilité d'information aux employeurs. Cet amendement a été retiré après que le Gouvernement se fut engagé à prendre des mesures afin d'élaborer un dispositif, opérationnel dès cet automne, destiné à informer les PME et leurs salariés. Nous reste-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

rons attentifs à cet aspect des choses, qui conditionnera lar éussite tant économique que sociale des chèquesvacances.

Tel qu'il nous est présenté aujourd'hui, le projet de loi reste donc bien fidèle à l'esprit de l'ordonnance de 1982.

L'élargissement du dispositif était nécessaire et son caractère social devait être préservé. Les modifications apportées en deuxième lecture vont dans le bon sens, et nous voterons donc ce texte, en espérant un plein succès pour les chèques-vacances. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Cardo.

M. Pierre Cardo.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je serai bref, pour ne pas répéter ce qu'ont déjà dit mes collègues. Après toutes les lectures qui ont eu lieu, je ne vois pas ce que je pourrais apporter de nouveau à la discussion. Je me contenterai donc d'expliciter très rapidement la position de mon groupe.

Madame la secrétaire d'Etat, il était difficile de s'opposer à l'objectif même de votre texte, qui veut que le chèque-vacances, en s'inscrivant dans une logique de participation à forte dimension sociale, puisse constituer une aide efficace aux familles. Il convenait d'améliorer la législation actuelle, qui est trop restrictive. Il est néanmoins dommage que ce projet reste insuffisant pour de nombreuses catégories de Français.

Ce texte aurait pu être un peu plus ambitieux.

D'abord, les propositions du Sénat n'étaient pas inintéressantes, en ce qu'elles prenaient en compte la dimension familiale.

Ensuite, le fait que les non-salariés soient laissés de côté est problématique. Je sais qu'il est facile de le dire mais dans une société qui, comme on le sait, génère, en raison des phénomènes d'exclusion qui s'y sont développés, des tensions entre les différentes catégories, il importe que les dispositifs que l'on met en oeuvre ne contribuent pas à les aggraver. Il est donc dommage que nous n'ayons pas réussi à apporter une réponse pour certaines catégories comme les retraités, les artisans ou les commerçants.

Enfin, nous regrettons l'absence d'incitation fiscale et sociale pour l'employeur lorsqu'il n'y a pas de comité d'entreprise.

Vous parlez de dialogue social. Je comprends à cet égard votre souhait. Mais est-ce vraiment par le biais du chèque-vacances, comme l'a assuré un de nos collègues, que l'on doit instaurer le dialogue social dans l'entreprise ? N'est-ce pas plutôt une meilleure écoute du politique à l'égard des problématiques du monde économique qui permettra de contribuer à l'instauration de ce dialogue ? Le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera contre le projet de loi, mais pas en raison des principes qu'il contient.

M. Christian Cuvilliez.

Il faut bien trouver quelque chose !

M. Pierre Cardo.

Nous considérons en effet qu'il apporte une réponse. Cependant, s'agissant d'un sujet que v ous considérez comme important - les chèquesvacances -, il aurait été souhaitable que les discussions et la concertation permettent de toucher plus de Français que les moyens prévus dans le texte ne le permettent.

Je sais qu'une proposition très innovante de M. Le Garrec tend à créer un groupe de travail pour étudier les différents aspects qui n'ont pas été pris en compte par le texte. Mais les groupes de travail, nous en avons l'habitude.

(Sourires.)

Quoi qu'il en soit, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera, comme le groupe RPR, contre le projet de loi tel qu'il est rédigé.

Mme Nicole Bricq.

La libéralisme l'emporte sur la démocratie !

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Terrier, rapporteur.

Je serai très bref.

Je suis assez surpris du radicalisme de l'opposition parlementaire. En effet, elle me semble comporter de nombreuses contradictions, la plus surprenante étant celle de M. Birraux. Après s'être engagé dans une voie plus sociale que la majorité actuelle, notre collègue m'a rassuré en réclamant le monopole de l'Agence nationale pour les chèques-vacances, car il a ainsi retrouvé la tonalité libérale que nous lui connaissons.

(Sourires.)

Lorsque nous régulons un peu trop fortement, vous nous le reprochez. Or aujourd'hui, grâce à l'article 6, nous offrons à l'ensemble des salariés la possibilité de négocier les conditions, les critères, la prise en compte familiale. Tout cela reste dans le champ de la négociation. Mais vous dites que cela ne vous convient pas non plus.

Bref, votre opposition n'est pas fondée : elle est simplement de principe. Soyez persuadés que je le regrette beaucoup !

M. le président.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.

En application de l'article 91, alinéa 9, du règlement, je vais appeler, dans le texte précédemment adopté par l'Assemblée, l'article du projet de loi qui fait l'objet d'un amendement.

Je donnerai auparavant lecture des articles 1er , 2, 3 et 4, qui ne font l'objet d'aucun amendement.

Articles 1er , 2, 3 et 4

M. le président.

Les articles 1er , 2, 3 et 4 ne font l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture :

« Art. 1er

- I. - Non modifié.

« II. - Supprimé.

« III. - Il est inséré, après le deuxième alinéa du même article, un alinéa ainsi rédigé :

« Les chèques-vacances peuvent également être remis en paiement des dépenses effectuées sur le territoire des Etats membres de la Communauté européenne aux prestataires qui ont signé, selon les conditions fixées par décret, des conventions avec l'établissement public visé à l'article 5 de la présente ordonnance. »

« Art. 2. - L'article 2 de l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 précitée est ainsi rédigé :

« Art.

2. I. - Les salariés doivent justifier chaque année, auprès de leur employeur, que le montant des revenus de leur foyer fiscal de l'avant-dernière année, tels


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

qu'ils sont définis au V de l'article 1417 du code général des impôts, n'excède pas la somme de 87 680 F pour la première part de quotient familial, majorée de 19 990 F par demi-part supplémentaire. Ces chiffres sont actualisés chaque année, dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu.

« II. - L'avantage résultant de la contribution de l'employeur à l'acquisition des chèques-vacances par les salariés est exonéré de l'impôt sur le revenu, dans la limite du salaire minimum de croissance apprécié sur une base mensuelle.

« Cette contribution de l'employeur est exonérée de la taxe sur les salaires prévue à l'article 231 du code général des impôts.

« Les chèques-vacances sont dispensés du timbre.

« III. - L'employeur, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou de toute autre instance de concertation ayant compétence en matière d'oeuvres sociales, définit, sous réserve des dispositions du 2o du II de l'article 2-1 de la présente ordonn ance, les modalités de l'attribution éventuelle de chèques-vacances à ses salariés qui répondent aux conditions fixées au présent article. »

« Art. 3. - Il est inséré, après l'article 2 de l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 précitée, un article 2-1 ainsi rédigé :

« Art. 2-1. -

I. Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dépourvues de comité d'entreprise et qui ne relèvent pas d'un organisme paritaire mentionné au dernier alinéa de l'article 6 de la présente ordonnance, l'avantage résultant de la contribution de l'employeur à l'acquisition des chèques-vacances par les salariés satisfaisant à la condition de ressources fixée au I de l'article 2 est exonéré des cotisations et contributions prévues par la législation du travail et de la sécurité sociale, à l'exception de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale. Le montant de l'avantage donnant droit à exonération, qui ne peut excéder les plafonds fixés au dernier alinéa de l'article 3, est limité, par salarié et par an, à 30 % du salaire minimum de croissance apprécié sur une base mensuelle.

« II. - L'exonération prévue au I ci-dessus est accordée si :

« 1o La fraction de la valeur des chèques-vacances prise en charge par l'employeur est plus élevée pour les salariés dont les rémunérations sont les plus faibles ;

« 2o Le montant de la contribution de l'employeur et les modalités de son attribution, notamment la modulation définie conformément au 1o ci-dessus, font l'objet soit d'un accord collectif de branche au niveau national, régional ou local prévoyant des modalités de mise en oeuvre dans les entreprises de moins de cinquante salariés, soit d'un accord conclu dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas de l'article L.

132-30 du code du travail, soit d'un accord d'entreprise conclu avec un ou plusieurs délégués du personnel désignés comme délégués syndicaux ou, en l'absence d'une telle représentation syndicale, avec un ou plusieurs salariés mandatés dans les conditions prévues au III de l'article 3 de la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;

« 3o La contribution de l'employeur ne se substitue à aucun élément faisant partie de la rémunération versée dans l'entreprise, au sens de l'article L.

242-1 du code de la sécurité sociale, ou prévu pour l'avenir par des stipulations contractuelles individuelles ou collectives. »

« Art.

4. - Le premier alinéa de l'article 3 de l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 précitée est supprimé. »

Article 4 quater

M. le président.

« Art. 4 quater. -

I. - Dans le deuxième alinéa de l'article 5 de l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 précitée, les mots : "de l'économie et des finances et du ministre du temps libre" sont remplacés par les mots : "chargé du tourisme".

« II. - Non modifié. »

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 1, ainsi rédigé :

« Dans le I de l'article 4 quater , supprimer les m ots : "de l'économie et des finances et du ministre". »

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme la secrétaire d'Etat au tourisme.

Cet amendement vise à rétablir la cotutelle exercée sur l'Agence nationale pour les chèques-vacances par le ministère de l'économie et des finances et par le secrétariat d'Etat au tourisme.

L'ANCV a été placée, par l'ordonnance du 26 mars 1982, sous la double tutelle du ministère du temps libre et du ministère de l'économie et des finances. En deuxième lecture, votre assemblée a retenu un amendement qui modifie l'ordonnance en supprimant la cotutelle qui était exercée par le ministère de l'économie et des finances pour ne laisser que celle exercée par mon ministère.

Or, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la cotutelle du ministère des finances se trouve justifiée, au-delà de sa présence au conseil d'administration, puisque le rôle central de l'ANCV est d'émettre des titres de paiement et d'assurer à tout moment leur remboursement. Il importe donc que les décisions prises sur ces titres soient cohérentes avec celles qui sont arrêtées pour les autres titres de paiement. Par exemple, le ministère de l'économie et des finances exerce avec le ministère de l'emploi et de la solidarité une cotutelle sur les titres restaurants.

Je rappelle les volumes considérables aujourd'hui en jeu : plus de 4 milliards de francs d'émission de chèquesvacances en 1999, un encours moyen de trésorerie de plus de 2 milliards de francs et un excédent distribuable en 1998, sans doute supérieur à 35 millions de francs.

Le volume financier traité par l'ANCV explique donc cette cotutelle. J'ajoute que la suppression de celle-ci entraînerait nécessairement une modification du décret régissant le fonctionnement de l'ANCV, qui devrait être mis en conformité avec la loi adoptée, ce qui pouvait retarder la mise en application du texte.

En effet, outre la mise en place très attendue du chèque-vacances dans le secteur des PME-PMI, nous avons d'autres échéances urgentes : la gestion du passage à l'euro et la sécurisation des chèques. Il est donc nécessaire de donner à l'ANCV un signe fort de soutien par le maintien de la stabilité de ses relations institutionnelles. Il serait dommage que la modification de son mode de fonctionnement, provoquée par le changement de tutelle, puisse freiner le nouvel élan dont elle a besoin.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Terrier, rapporteur.

La commission a examiné ce matin cet amendement dans le cadre de l'article 88 du règlement. Elle n'a pas eu de mal à l'étudier puisqu'il avait été proposé en deuxième lecture et qu'il avait déjà fait l'objet d'un avis défavorable.


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Madame la ministre, je comprends votre position, mais j'ai relevé que la cotutelle ne vous paraissait pas « paradoxale ». Cela signifie donc qu'il n'est pas interdit d'y mettre fin.

(Sourires.)

Je ne reprendrai pas les propos brillants du président Le Garrec, avec qui je me suis entretenu de ce point.

Certains arguments pourraient être recevables. Je me souviens que le premier qu'on m'avait opposé, lors des échanges avec votre cabinet, consistait à soutenir que la suppression de la cotutelle était anticonstitutionnelle ou antiréglementaire. Nous avons alors demandé que l'on nous produise une disposition des règlements ou de la Constitution à l'appui de cette thèse. Nous attendons toujours.

(Sourires.)

Mais nous avons aussi entendu des arguments qui étaient un peu plus gênants : on s'attirerait, en supprimant la cotutelle, les mauvaises grâces du ministère des finances. Je n'y crois pas ! Ce à quoi je crois, c'est à la qualité des fonctionnaires du ministère et au rôle des parlementaires, qui est de légiférer, mais aussi de s'assurer que le Gouvernement et les institutions appliquent la loi telle que les assemblées l'ont votée.

Pour toutes ces raisons et en dépit de l'éloquence avec laquelle vous avez bien voulu défendre votre amendement, la commission a émis un avis défavorable.

M. Christian Cuvilliez.

C'est cornélien !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau.

Le groupe socialiste a écouté avec beaucoup d'intérêt les arguments développés par Mme la secrétaire d'Etat, qui témoignent - et nous nous en réjouissons - de la forte solidarité gouvernementale.

M. Germain Gengenwin.

Néanmoins...

(Sourires.)

M. Jean-Pierre Dufau.

Mais les arguments développés par le rapporteur, entérinés par la commission, sont en tout point convaincants et conformes à notre vote de deuxième lecture.

Il est vrai que le ministère des finances n'a produit aucun document explicitant qu'il devrait réglementairement assurer une cotutelle sur les chèques-vacances.

En dépit du fait que l'extension des chèques-vacances ait été présentée par Mme la secrétaire d'Etat au tourisme avec pugnacité, et alors même que ce projet ambitieux, qui a fait l'objet d'un dialogue fructueux au sein de cette assemblée, a pu être progressivement amendé et amélioré et que nous connaissons l'importance du tourisme dans notre pays, nous serons obligés de voter contre l'amendement. Mais tout en votant dans ce sens, madame Demessine, nous souhaitons que votre secrétariat d'Etat prenne une importance plus grande encore, d'autant que nous savons que nous pouvons vous faire confiance pour exercer vos responsabilités.

M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

M. Pierre Cardo.

M. Dufau a raison !

M. le président.

La parole est à M. Germain Gengenwin.

M. Germain Gengenwin.

Un mot pour répondre à mes deux collègues qui viennent de s'exprimer en soutenant votre secrétariat d'Etat, madame Demessine.

Nous sommes surpris par le fait que vous cherchiez des arguments pour pratiquement abdiquer en faveur de Bercy ! Nous appuyons le rapporteur et nous voterons contre l'amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 4 quater.

(L'article 4 quater est adopté.)

Article 5

M. le président.

L'article 5 ne fait l'objet d'aucun amendement.

J'en donne lecture :

« Art. 5. I A. Non modifié

« I B. Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les aides aux vacances peuvent être accordées, par les organismes visés au présent article, dans les limites de leurs compétences, à toutes les personnes relevant de ces organismes, leur conjoint ainsi que les personnes à leur charge telles qu'elles sont définies aux articles 6 et 196 du code général des impôts, qu'elles exercent ou non une activité professionnelle, salariée ou non salariée, notamment à celles dont les ressources sont les plus faibles, conformément aux conditions et modalités d'attribution fixées par lesdits organismes. »

« I. Non modifié. »

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

3

INNOVATION ET RECHERCHE Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, sur l'innovation et la recherche (nos 1410, 1642).

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi sur l'innovation est un impératif catégorique sur le plan économique et un objectif politique très largement partagé. Ce projet, que j'ai l'honneur de vous présenter, porte en effet sur un sujet qui représente en effet un enjeu décisif pour


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notre pays. Il s'agit de favoriser le transfert de technologie de la recherche publique vers les entreprises. Il s'agit de la diffusion des résultats de cette recherche dans le monde économique. Il s'agit tout simplement de l'accroissement de la capacité d'innovation et de création de richesses de notre pays grâce à la recherche publique.

Innovation et recherche, les deux mots sont génétiquement liés. Regardons la croissance américaine de ces dernières années. Elle est tirée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour environ un tiers et, pour plus de la moitié, par les industries de haute technologie. Ces nouvelles technologies sont à l'origine d'une croissance plus soutenue et plus durable, car indépendante des fluctuations des monnaies et des cycles conjoncturels. Elles permettent d'accroître le progrès technique dans des proportions jusqu'ici inconnues, de créer de nouveaux produits, d'inventer de nouveaux procédés.

Ce phénomène commence à se manifester en France, mais d'une façon plus timide puisque c'est le tiers et non la moitié de notre croissance qui s'explique aujourd'hui par les industries de haute technologie. Aussi faut-il accélérer ce mouvement afin d'arriver à ce « nouvel âge » de l'économie mondiale que certains économistes commencent à décrire dans des revues savantes, un âge où l'innovation stimule de façon permanente la productivité et où elle est à la source d'une création ininterrompue de richesses et d'emplois.

Dans cette « nouvelle économie » à venir, la recherche est appelée à jouer un rôle fondamental. Ne nous y trompons pas, si le processus d'innovation a vocation à se diffuser dans l'ensemble de l'économie, c'est dans les résultats de la recherche qu'il puise sa source. C'est dans la recherche qu'il trouve ses racines. Quelques exemples suffisent à le montrer. Dans le secteur pharmaceutique, ce sont plus de 85 % des nouveaux médicaments qui sont découverts dans les laboratoires de recherche, notamment universitaires. Dans le secteur des biotechnologies, la plupart des sociétés ne doivent leur essor qu'à une collaboration fructueuse avec la recherche publique. Dans le domaine de l'agroalimentaire, c'est l'excellente position de l'INRA qui permet aux entreprises de ce secteur de jouer un rôle moteur. Et je ne parle pas de l'aéronautique, des transports terrestres, des technologies de l'information...

Ce que tous ces exemples montrent, c'est que l'apport des travaux de la recherche publique est de plus en plus fondamental pour le dynamisme de l'économie. Elle est loin l'époque où plusieurs années pouvaient s'écouler entre une découverte et son application. Désormais, le temps mis à exploiter une idée simple est très rapide et il y a, la plupart du temps, concomitance entre recherche fondamentale et application industrielle. Quand PierreGilles de Gennes étudie comment une goutte d'huile se déplace sur un métal, non seulement il met en évidence un phénomène fondamental de la physique des polymères pour ceux qui ne sont pas au courant, une goutte d'huile se propage d'une manière tout à fait spéciale, comme un chenille - mais, du même coup, il résout un problème très difficile de la lubrification des moteurs. De même, quand Matthias Finck travaille sur la réversibilité du temps, il opère une avancée fondamentale sur la propagation des ondes, mais il améliore aussi les scanners à ultrasons. Quand Jean-Marie Lehn travaille sur la chimies upra-moléculaire, il fait également progresser ces fameuses technologies porteuses d'espoir pour l'avenir :

« les nanotechnologies. »

Le rapprochement entre la recherche publique et les entreprises correspond ainsi à un objectif économique et à une réalité scientifique incontestables à l'aube du

XXIe siècle. Il répond également à un objectif politique partagé, par la droite comme par la gauche, et fait l'objet d'un large consensus depuis plusieurs années. En effet, cette loi a été pensée une première fois pour les établissements de recherche par Jean-Pierre Chevènement. C'est ensuite un gouvernement de droite qui, en 1994 avec la consultation nationale organisée par François Fillon, puis en 1997 avec le projet de loi de François d'Aubert, a relancé la question de la création d'entreprises à partir des résultats de la recherche publique. C'est enfin le gouvernement de Lionel Jospin qui, à partir du constat effectué lors des Assises de l'innovation tenues en mai 1998 sur l'ensemble du territoire, s'est attelé au vaste chantier du lien entre recherche publique et entreprises et la diffusion de l'innovation.

Ce projet de loi est donc l'aboutissement d'une longue série de travaux. Il constitue aussi l'un des maillons de la politique que Dominique Strauss-Kahn et moi-même menons en faveur de l'innovation. Présenté d'abord au Sénat, car la majorité sénatoriale avait déjà adopté des dispositions analogues, il a fait l'objet d'un large consensus, en dehors de certaines dispositions fiscales, et a été enrichi par l'apport de tous les groupes. C'est donc dans un esprit d'ouverture et de consensus que j'aborde la discussion aujourd'hui.

Quelle est l'essence de ce projet de loi ? Le premier volet concerne les collaborations entre les personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur et les entreprises. Les collaborations restent, en effet, insuffisantes, du fait de contraintes statutaires nombreuses. Aujourd'hui, et de façon paradoxale, les personnels de la recherche peuvent être détachés, mis en disponibilité voire mis à disposition dans une entreprise pour effectuer des travaux de recherche. Mais ils ne peuvent ni participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux, ni apporter leur expertise à celle-ci. Du coup, le nombre d'entreprises créées par ou avec des chercheurs est extrêmement faible, de l'ordre de 50 par an : cela fait une entreprise créée par an pour 1 000 chercheurs ou enseignants-chercheurs.

Le projet de loi entend lever ces obstacles statutaires et substituer à une interdiction générale un régime d'autorisation transparent et encadré par la commission de déontologie, adapté aux spécificités de la recherche et respectueux des intérêts publics. Il reprend sur ce point, en le complétant par d'autres dispositions, l'avant-projet de loi préparé en 1997 par M. François d'Aubert, alors secrétaire d'Etat à la recherche.

Aux termes de cette loi, les personnels de recherche pourront être autorisés à quitter momentanément le service public et à participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux, pendant une durée de six ans.

Ils pourront également apporter leur concours scientifique à une entreprise, participer à son capital, être membres de son conseil d'administration, tout en restant dans le service public.

Ces dispositions sur les personnels de recherche sont complétées par une mesure portant sur les personnels enseignants du premier et du second degré, afin de leur donner la possibilité d'effectuer des périodes de mobilité au sein d'une entreprise ou d'un organisme public. C'est particulièrement important pour les personnels des lycées professionnels et techniques. L'expérience montre en effet l'apport que les enseignants peuvent fournir au développement d'un secteur comme le multimédia éducatif et l'intérêt que les entreprises trouvent à l'expérience pédagogique et aux qualités professionnelles des enseignants.


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Le deuxième volet de ce projet de loi est consacré aux relations entre les universités et organismes de recherche et les entreprises. Il s'agit de compléter le cadre juridique des lois de 1982 et 1984 par la création de structures plus adaptées au soutien de petites et moyennes entreprises de haute technologie. Aux termes de la loi, les universités et les organismes de recherche pourront créer des services d'activités industrielles et commerciales afin de gérer les contrats de recherche dans un cadre budgétaire plus souple et avec des règles contractuelles adaptées. Ils pourront également constituer des incubateurs afin d'accueillir et d'accompagner le développement d'entreprises de haute technologie. De tels incubateurs apportent un soutien irremplaçable aux entreprises innovantes en mettant à disposition de ces entreprises, moyennant rémunération bien entendu, les équipements, les connaissances, le savoir-faire de la recherche publique. Afin de favoriser la constitution d'incubateurs et de fonds d'amorçage, Dominique Strauss-Kahn et moi-même avons d'ailleurs débloqué plus de 200 millions de francs, qui permettront de soutenir une vingtaine de projets.

Le transfert de technologie aux entreprises ne concerne cependant pas seulement les universités et les organismes de recherche. Aussi une disposition du projet de loi prévoit-elle que les lycées technologiques et professionnels pourront réaliser des prestations de service pour les entreprises, moyennant rémunération et dans le cadre bien entendu du projet d'établissement. Cette disposition permettra de dynamiser au niveau local le plus fin le tissu des PME-PMI particulièrement décisif pour l'avenir de notre pays. Elle permettra aussi de mettre en place des plates-formes technologiques, notamment dans les villes moyennes, qui devraient pouvoir irriguer notre tissu économique.

Le troisième volet du projet de loi concerne l'instauration d'un cadre fiscal favorable aux entreprises innovantes. Dès son arrivée aux affaires, le gouvernement de Lionel Jospin a décidé de favoriser les entreprises innovantes en leur permettant de fidéliser leurs collaborateurs et de les intéresser à la croissance de leurs résultats. Les salariés de ces entreprises acceptent en effet des rémunérations inférieures et un risque plus important en travaillant au sein de ces sociétés nouvelles. Il est donc normal qu'ils puissent partager les espérances de succès comme les risques d'échec. Il importe aussi de les fidéliser. A cette fin, Dominique Strauss-Kahn a créé, dans la loi de finances de 1998, les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise - BSPCE - soumis à un traitement fiscal et social favorable. Ces bons ont été progressivement étendus aux sociétés de moins de quinze ans. Toutefois, la part du capital de la société qui devait être détenue par des personnes physiques pour que l'entreprise puisse émettre de tels bons restait trop élevée pour que les entreprises créées notamment par des chercheurs puissent en bénéficier. Aussi, Dominique Strauss-Kahn et moi-même avons-nous souhaité que le dispositif soit encore assoupli afin que toutes les jeunes entreprises de croissance puissent en bénéficier. C'est ainsi que la part du capital détenue par des personnes physiques passera de 75 % à 25 % et que les entreprises du nouveau marché pourront en bénéficier. Dans la logique de cette avancée, le dispositif des BSPCE est prolongé au-delà de 1999.

Dans le même ordre d'idées, le Gouvernement a décidé d'assouplir le régime des fonds communs de placement dans l'innovation - FCPI - créés par M. d'Aubert en 1996. Ces fonds communs de placement investissent dans des petites et moyennes entreprises de haute technologie et complètent utilement en amont l'action des fonds de capital risque. Il paraissait logique d'ouvrir largement les critères d'éligibilité aux FCPI afin de leur permettre de couvrir l'ensemble des entreprises innovantes.

Enfin, le Gouvernement a décidé de reprendre l'amendement sur le crédit d'impôt recherche proposé par le groupe communiste au Sénat et voté à l'unanimité. Cet amendement permet d'orienter dans un sens encore plus favorable à l'emploi des jeunes scientifiques le dispositif du crédit d'impôt recherche. Il complète l'amélioration du crédit d'impôt recherche par la dernière loi de finances.

En revanche, le Gouvernement a décidé de demander la suppression de tous les articles fiscaux votés par le Sénat, principalement sur les stock-options, car ils ne peuvent s'intégrer au coeur du projet de loi. En effet, de telles dispositions concernent l'ensemble des entreprises et pas seulement les entreprises innovantes. Elles relèvent, à ce titre, davantage d'un projet de loi déposé et défendu par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie que d'un texte présenté par moi-même. Surtout, les stock-options sont un sujet trop complexe, trop délicat et désormais trop passionnel pour être traité de façon convenable dans le cadre d'une loi sur l'innovation. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Premier ministre, Lionel Jospin, a demandé, en janvier 1999, à Dominique Strauss-Kahn de dresser un bilan du système actuel, tout à la fois opaque, inégalitaire et peu compétitif, et de transformer radicalement le dispositif des stock-options afin d'aboutir à la création de véritables « bons de croissance » largement diffusés auprès de tous les salariés.

Cette réflexion n'est à ce jour pas encore achevée et il serait inopportun d'en parler aujourd'hui.

Le quatrième volet de ce projet de loi concerne la constitution d'un cadre juridique adapté aux entreprises innovantes. Le statut actuel des sociétés anonymes est en effet peu adapté aux jeunes entreprises à risques mais à fort potentiel de croissance. Ce statut comporte ainsi un certain nombre de contraintes importantes en matière de conditions de création - capital, nombre d'actionnaires et d'administrateurs, formalités administratives - et de conditions de direction et de fonctionnement. Or les sociétés innovantes ont besoin de disposer d'une très grande liberté contractuelle dans leurs statuts. Elles doivent avoir la possibilité de modifier rapidement la géométrie de leur capital et les relations entre les actionnaires. Elles doivent également pouvoir émettre des actions de priorité sans droits de vote afin d'attirer des capitaux sans pour autant aboutir à une perte de contrôle de la société.

Pour donner l'ensemble de ces possibilités aux entreprises innovantes, la meilleure solution consiste à ouvrir largement le régime de la société par actions simplifiée SAS -, aujourd'hui réservé aux filiales de sociétés importantes. La forme juridique de la société par actions simplifiée répond, en effet, aux besoins des jeunes entreprises innovantes, car elle permet une très grande liberté contractuelle et une souplesse juridique réelle. Ainsi, dans ce type de société, les statuts définissent, au choix des actionnaires, le mode de fonctionnement de la société. Ils peuvent prévoir, par exemple, que les assemblées générales et les conseils d'administration sont tenus par vidéoconférence ou par Internet, afin de tenir compte de l'évolution moderne des techniques de communication. De même, le statut de la SAS permet à une entreprise d'émettre différentes classes d'actions, ce qui a pour effet de dissocier le contrôle de l'entreprise et la participation


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au capital et de favoriser l'appel à des investisseurs et à des « capitaux risqueurs », encore que je n'aime guère cette expression.

Un amendement a été déposé par le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Bret, que je remercie de son travail patient et attentif sur le texte de loi. Cet amendement vise à ouvrir largement le régime juridique de la SAS pour en faire bénéficier les entreprises innovantes.

Mme Nicole Bricq.

Très bien !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Il a d'ailleurs été repris par des parlementaires de bords politiques divers, de droite comme de gauche.

J'ai le plaisir de vous annoncer qu'après discussion avec mes collègues, Elisabeth Guigou et Dominique StraussKahn, le Gouvernement a décidé de retenir cet amendement, qui correspondait effectivement à un de ses projets.

Avec cet amendement, c'est un projet de loi global et cohérent qui vous est proposé aujourd'hui et qui vise à encourager, dans toutes ses dimensions, la création d'entreprises innovantes.

Les dispositions sur les personnels et sur les structures de recherche favoriseront le transfert de technologie vers les entreprises. Les dispositions fiscales et sur le droit des sociétés doteront notre pays d'un environnement juridique et fiscal en faveur des entreprises innovantes parmi les plus compétitifs des pays industrialisés.

Cette ouverture de la recherche aux entreprises, ce mariage des compétences pour accroître le dynamisme de l'économie s'accompagnent toutefois de garanties et de contreparties.

On caricature trop souvent notre action en la prétendant inspirée, voire calquée, du modèle américain. C'est complètement faux. Je suis le premier à reconnaître le défaut traditionnel du système français : celui d'une recherche publique trop coupée des préoccupations industrielles et des retombées économiques. Mais je sais également, de par ma propre pratique, les risques de dérive du système américain : celui d'une recherche publique trop dépendante du secteur privé, tant dans la définition des objectifs que dans l'obtention des moyens. Aussi toute mon action a-t-elle tendu, depuis deux ans que je m'occupe de la recherche, à faire avancer ensemble la qualité de la recherche publique et la diffusion de ses résultats dans l'économie. Le second objectif n'est pas pensable sans le premier.

Je ne développerai pas ici, car ce n'est pas l'objet de notre débat, l'effort entrepris pour accroître la capacité de notre recherche fondamentale : l'augmentation des moyens ; le développement nouveau de l'emploi scientifique ; le renforcement de la coordination entre les organismes de recherche ; et, plus récemment, la définition de domaines de recherche scientifique prioritaires, décidée il y a deux jours et qui, pour la première fois, en France, donne aux sciences du vivant la priorité budgétaire.

J'insisterai simplement sur les facteurs d'équilibre du projet, sur ce qui fait que l'ouverture de la recherche aux entreprises équivaut non pas à un « pillage », mais au contraire à un enrichissement et à un renforcement de la recherche publique.

L'intervention de la commission de déontologie des fonctionnaires pour les collaborations entre les personnels de recherche et les entreprises, d'abord. Cette commission, où siègeront des magistrats et des personnalités qualifiées et à laquelle participeront des représentants des organismes intéressés, aura pour mission de veiller à la protection des intérêts matériels et moraux du service public. Elle sera tenue informée des conventions passées entre l'entreprise et l'organisme dont relève le fonctionnaire. A la demande de M. Cuvilliez, j'accepterai tout à l'heure un amendement du parti communiste visant à introduire un véritable pouvoir de saisine du ministre par la commission.

M. Patrick Leroy.

Les choses évoluent. C'est bien !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

L'intervention du conseil d'administration pour les relations entre les universités et les organismes de recherche et les entreprises constituera une seconde garantie. Le Gouvernement a en effet décidé de retenir un amendement, encore une fois du groupe communiste visant à faire approuver par le conseil d'administration les prises de participation dans des sociétés, les créations de filiales, le recours à l'arbitrage, les conventions de longue durée conclues entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les entreprises.

La concentration des moyens apportés par les incubateurs sur les PME de haute technologie permettra d'éviter les détournements et les abus. Le décret d'application limitera à trois ans, renouvelables une fois, la mise à disposition de moyens aux entreprises accueillies dans les incubateurs. Il plafonnera les aides reçues et les conditionnera à une contrepartie en termes de rémunération pour l'organisme public, ce qui répond, je crois, à quelques inquiétudes légitimes. Surtout, il ciblera sur les PME de haute technologie l'aide apportée par les incubateurs et exclura du dispositif toutes les grandes entreprises installées ou leurs filiales.

L'octroi d'un statut pour les personnels contractuels embauchés par les universités dans le cadre de l'exécution de contrats de recherche, enfin, répond à l'attente légitime d'une sécurité et d'une vraie protection pour des personnels aujourd'hui sans statut.

La création de services d'activités industrielles et commerciales a pour but d'éviter aux universités d'avoir recours à des associations qui emploient du personnel de droit privé dans des conditions souvent précaires. Je pense en particulier aux associations caritatives dans le secteur médical. Les personnels qui travaillent au sein de ces associations ont vocation à être peu à peu intégrés au sein des universités, où ils disposeront d'un véritable statut d'agents contractuels de droit public.

J'ajouterai, parmi les dispositifs d'encadrement et de contrôle, le renforcement des pouvoirs de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale - IGAEN. Le Gouvernement a ainsi décidé de déposer un amendement visant à étendrele contrôle de l'IGAEN à tous les organismes qui bénéficient d'un concours financier du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cette extension du champ de contrôle de l'IGAEN est cohérente avec les possibilités de collaborations nouvelles entre la recherche publique et les entreprises, qui sont offertes par la loi.

Mesdames, messieurs les députés, j'ai été extrêmement étonné à mon arrivée au ministère de constater que les différents programmes qui avaient été lancés au cours du temps n'avaient jamais été évalués. Nous avons donc c ommencé une première évaluation ; j'en donnerai connaissance au Parlement quand elle sera achevée et, vous le verrez, ce n'était pas un luxe !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Je le souligne au passage, ce sont ces garanties, ce sont ces contreparties légitimes qui ont permis à ce texte de recueillir l'avis favorable du Conseil d'Etat, du Conseil supérieur de la fonction publique et de l'ensemble des ministères, y compris la chancellerie et la fonction publique.

Le Gouvernement n'a pas pour objectif de casser le service public pour le vendre aux entreprises. Il croit b eaucoup au service public, en particulier dans le domaine de la recherche. Mais le service public sera d'autant plus apprécié qu'il sera efficace et contribuera au dynamisme de l'économie.

A ce sujet, je vais vous livrer une information. Avec Dominique Strauss-Kahn, nous avons lancé un concours de création d'entreprise dans le domaine de l'innovation et des hautes technologies. 5 000 dossiers ont été déposés, 1 800 ont déjà été sélectionnés et il est probable que 500 entreprises de haute technologie seront créées au 1er septembre. Cela signifie que ce pays possède des ressources d'imagination, de volonté, de création d'entreprises et qu'il ne doit pas être en retard par rapport aux autres.

Avec ce texte, je le dis solennellement, nous avons l'occasion de montrer que la France, au-delà des clivages politiques, avec ses traditions et ses spécificités qu'elle doit assumer, peut être présente au premier rang de la compétition de l'intelligence au

XXIe siècle.

Et je ne peux, pour finir, résister au plaisir de vous citer la phrase d'un philosophe ami des sciences, Henri Bergson, dans L'Evolution créatrice, à propos du caractère mystérieux de l'innovation : « Quant à l'innovation proprement dite, qui est pourtant le point de départ de l'industrie elle-même, notre intelligence n'arrive pas à la saisir dans son jaillissement, c'est-à-dire dans ce qu'elle a d'indivisible, ni dans sa génialité, c'est-à-dire dans ce qu'elle a de créateur. L'expliquer consiste toujours à la résoudre, elle imprévisible et neuve, en éléments connus ou anciens, arrangés dans un ordre différent. »

Je souhaite que cet esprit d'innovation soit insufflé dès l'enseignement le plus élémentaire, afin de permettre aux jeunes Françaises et Français - et aux moins jeunes - de montrer que, dans la compétition de l'intelligence, la France peut figurer au premier rang.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Paul Bret, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, mes chers collègues, la France dispose d'une recherche publique de qualité, mais ses résultats ne sont que faiblement transférés vers les entreprises. C'est ce constat, ce diagnostic, bien connu des spécialistes, qui justifie l'essentiel des dispositions du projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen.

Les liens entre recherche, innovation et croissance ont fait l'objet de nombreux rapports récents, qui ont servi de base à ce projet de loi : un rapport de la Cour des comptes, de juin 1997, sur la valorisation de la recherche dans les établissements publics à caractère scientifique et technologiques ; un rapport du Conseil d'analyse économique réalisé à la demande du Premier ministre, rapport publié en septembre 1998, et surtout, le rapport de mission sur la technologie de l'innovation de M. Henri Guillaume, président d'honneur de l'ANVAR, qui vous a été remis, monsieur le ministre, en mars 1998, ainsi qu'à MM. Strauss-Kahn et Pierret.

Tous ces rapports concluent à la nécessité de renforcer les liens, les passerelles, entre la recherche et l'innovation.

Rapprocher les inventeurs des innovateurs, encourager la création d'entreprises innovantes, garantir à l'innovateur la récompense de son effort créateur, tels ont été les objectifs que le Premier ministre a fixés, le 12 mai 1998, en concluant les assises de l'innovation.

Je voudrais revenir, en quelques mots et à travers quelques exemples, sur le constat initial que j'ai rappelé en préambule et sur lequel est fondé ce projet de loi.

Alors que la France crée 1 300 entreprises chaque année dans les secteurs dits de haute technologie, les biotechnologies ou l'informatique, seules 389 entreprises ont pu être recensées depuis 1984 comme ayant été directement créées à partir de la recherche publique. C'est évidemment trop peu.

Dans 95 % des cas, ce transfert de technologie s'est réalisé par la mobilité d'un chercheur de laboratoire public vers une entreprise privée. Ces entreprises ont un taux de survie important et une propension à créer des emplois trois fois supérieure à la moyenne. C'est ainsi qu'elles ont créé près de 6 000 emplois et qu'elles réalisent plus de trois milliards de francs de chiffre d'affaires.

Le CNRS estime, de son côté, que 800 entreprises exploitent, sans avoir directement de liens avec lui, des brevets citant un chercheur du CNRS comme inventeur.

Promouvoir la création d'entreprises innovantes, c'est donc bien assurer à plus ou moins court terme la création de plusieurs milliers d'emplois nouveaux.

Pour autant, constater l'insuffisance des transferts entre la recherche et l'innovation, entre la recherche et la croissance, ce n'est évidemment pas faire le procès de la recherche publique. La France a une longue tradition en matière de recherche publique. Celle-ci doit continuer à jouer un rôle majeur. Vous avez justement évoqué à ce propos, monsieur le ministre, l'augmentation des moyens accordés à la recherche depuis deux ans.

L'intervention de l'Etat dans la recherche reste indispensable car le rendement privé des travaux de recherche, c'est-à-dire le gain procuré à l'entreprise qui les réalise, es t inférieur à leur rendement social, c'est-à-dire aux gains pour la collectivité. L'activité de recherche est souvent trop risquée pour que les agents privés s'engagent, et ses applications économiques directes souvent marginales.

L'Etat doit donc pallier les défaillances du marché en développant lui-même des activités de recherche et en incitant les entreprises à en réaliser par des subventions et des aides fiscales.

Il n'y a donc aucune raison de dire que la recherche publique serait trop importante en France, bien au contraire. Il s'agit simplement de favoriser la diffusion et l'utilisation par le secteur privé de ses résultats, au bénéfice de la croissance économique et de la création d'emplois. C'est l'objectif essentiel de ce projet de loi.

De nombreux dispositifs institutionnels et incitatifs existent déjà. Je ne veux pas ici les énumérer, ni oublier les dispositions fiscales favorables créées dans les lois de finances 1998 et 1999. Je citerai seulement les deux plus récents, qui s'inscrivent dans le contexte de la problématique du transfert recherche et innovation : d'abord le concours national de création d'entreprises innovantes, que vous venez d'évoquer, lancé le 8 mars 1999, et dont les premiers résultats sont prometteurs ; ensuite, l'appel à


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projets lancé le 24 mars 1999, projets qui peuvent être, soit en faveur de l'incubation d'entreprises, soit en faveur de fonds d'amorçage. Cet appel à projets trouvera évidemment tout son sens avec les dispositions contenues dans ce texte.

Existe-t-il en France un phénomène de fuite des cerveaux, comme le rapportent complaisamment certains ? Les études qui ont pu être conduites sur les flux de chercheurs ne confirment pas cette hypothèse. Moins de 3 000 doctorants français sont en activité aux Etats-Unis.

2 500 post-doctorants exercent leur activité à l'étranger, certains pour accomplir leur service national. L'ambassade de France à Washington n'a recensé que 300 Français titulaires d'un doctorat qui ont bénéficié d'un visa permanent aux Etats-Unis entre 1985 et 1995.

La « fuite des cerveaux » n'existe donc pas. Mais le

« voyage des cerveaux » est un phénomène indéniable qui correspond à une ouverture internationale des carrières, beaucoup de chercheurs revenant en France après avoir passé quelques années à l'étranger.

L'absence de réalité de ce phénomène ne doit pas, pour autant, nous conduire à oublier les nombreux doctorants et post-doctorants qui ne trouveront ni un emploi ni la possibilité de valoriser leur travail, leur savoir-faire et leur expérience dans les structures actuelles. C'est aussi l'objet de certaines des dispositions de ce projet de loi que d'y remédier.

Ce projet de loi - mis à part une disposition de nature fiscale en faveur du développement des jeunes entreprises innovantes par la modification du régime des BSPCE et un amendement du Gouvernement accepté ce matin par notre commission et relatif aux fonds communs de placement dans l'innovation - est essentiellement centré sur le rôle des chercheurs, des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur dans la promotion de l'innovation. Il a donc essentiellement pour objectif de rendre possible ce qui est aujourd'hui juridiquement impossible.

La création d'entreprise serait-elle illégale ? C'est en tout cas l'inquiétude majeure de nombreux chercheurs, tant le cadre juridique est contraignant au regard des textes existants.

La création d'entreprise par des chercheurs n'est en effet possible qu'à la condition que ces chercheurs fassent d'emblée le grand saut et rompent toute relation avec leur laboratoire d'origine. Il y a là une contradiction évidente avec l'idée même de création d'entreprise par des personnels de recherche, à partir des résultats de la recherche.

Désormais, en application de l'article 1er du présent projet de loi, les chercheurs et enseignants-chercheurs pourront s'engager dans la création d'une entreprise. Ils seront autorisés à participer en tant qu'associés, administrateurs ou dirigeants à cette entreprise nouvelle, pendant une période à l'issue de laquelle ils pourront opter entre le retour dans le service public et l'appartenance à l'entreprise. Durant cette période, et pour une durée maximale de six ans, ils seront détachés ou mis à disposition. Ils conserveront, par conséquent, leur statut de fonctionnaire.

L'entreprise créée pourra entretenir des liens contractuels avec le laboratoire d'origine du chercheur, ce qui facilitera le transfert de technologie. Ainsi, le chercheur ne sera pas obligé d'opérer une rupture brutale avec son laboratoire d'origine.

L'autorisation pour un fonctionnaire de collaborer avec une entreprise sera délivrée par l'autorité dont il relève après avis d'une commission de déontologie, afin qu'un contrôle souple mais réel permette la protection des droits et des intérêts des organismes publics.

Ensuite, le projet de loi permet aux établissements publics à caractère scientifique et technologique et aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de créer des incubateurs en leur sein pour valoriser leurs activités de recherche. Ces incubateurs seront gérés selon des règles financières souples, dans le cadre de services d'activités industrielles et commerciales internes aux organismes de recherche et aux universités, qui pourront mettre à la disposition de jeunes entreprises innovantes des moyens matériels et humains, moyennant rémunération.

Enfin, toujours dans le même but, les formalités administratives et les modes de gestion des structures de collaboration entre établissements publics et entreprises seront simplifiés.

Ce projet de loi a déjà été examiné par le Sénat, en première lecture, au cours de sa séance du 18 février 1999.

L'ensemble de ces dispositions, correspondant à un objectif partagé par tous, a été adopté par consensus, sous réserve de modifications et de précisions d'ordre rédactionnel proposées par la commission des affaires culturelles du Sénat, lesquelles ont abouti à des amendements s'inscrivant dans les objectifs recherchés par ce projet de loi.

La majorité sénatoriale à toutefois souhaité compléter le projet de loi initial du Gouvernement par un certain nombre de mesures purement fiscales qui n'y ont pas leur place. Alors que le texte soumis au Sénat ciblait les problèmes liés à l'innovation, il en est revenu lesté d'une dizaine d'articles supplémentaires, concernant la création d'entreprise en général, par le biais d'un assez vaste

« paquet-cadeau » fiscal en faveur des contribuables aisés ayant trait, notamment, aux stock-options à la française que sont les plans d'options de souscription ou d'achat d'actions.

La commission a supprimé toutes ces dispositions qui sont souvent inopportunes, parfois injustes fiscalement et socialement, et de toute façon hors cadre. Le débat à leur sujet doit être renvoyé à la discussion de la loi de finances.

La commission a toutefois accepté un amendement du Gouvernement tendant à retenir le seul article 3 octies , relatif aux fonds communs de placement dans l'innovation. Il s'agit en effet d'une disposition qui, comme l'article 3 du projet de loi initial, concerne directement le financement des entreprises technologiques innovantes.

La commission a également souhaité améliorer le dispositif sur le crédit d'impôt-recherche, afin de favoriser fiscalement l'emploi de jeunes doctorants.

Pour le reste, c'est-à-dire sur les articles initiaux du projet de loi, la commission a adopté quelques amendements de cohérence, visant par exemple à régulariser la situation de chercheurs ayant déjà créé une entreprise.

Elle a aussi apporté quelques compléments importants dans la ligne du texte du Gouvernement. Il s'agit notamment - vous y avez fait référence, monsieur le ministre de créer une société par actions simplifiée, nouvelle forme juridique en droit commercial particulièrement adaptée aux entreprises innovantes. De même, les actions de formation continue menées par les établissements scolaires en partenariat avec le monde économique doivent être soutenues par la création de groupements d'intérêt public


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spécifiques. L'amendement correspondant a été déclaré irrecevable par la commission des finances. Je remercie le Gouvernement d'avoir bien voulu le reprendre.

Compte tenu de l'enjeu qu'il représente pour la recherche et pour l'économie française, et aussi de son aspect équilibré, ce texte devrait, je l'espère, recueillir la plus large approbation de notre assemblée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis fort longtemps, les lamentations vont bon train en ce qui concerne l'une de nos faiblesses : notre difficulté à passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée et, qui plus est, à la création d'entreprises, donc à la création d'emplois. On fait référence, ici ou là, à une espèce d'atavisme, à un trait de caractère français, peut-être même à un gène inhibiteur...

M. Jean-François Mattei.

La génétique est à la mode !

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis.

... qui s'exprimerait en paralysant la démarche du chercheur vers l'entreprise et la nécessaire collaboration public-privé.

Sur ce sujet, nous ne partons pas totalement du néant : projet de loi d'Aubert, assises de l'innovation, rapport Guillaume de mars 1998. Mais, dans une économie mondialisée, il est nécesaire d'avoir des repères et des comparaisons. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes. A une augmentation sensible - 16 % en douze ans - de la part des publications scientifiques françaises dans le monde, à un soutien volontariste de notre effort de recherche qui nous place dans le peloton de tête mondial avec 1 % du PIB, correspond malheureusement une faiblesse chronique du lien entre la production scientifique et les initiatives technologiques. Le nombre de brevets déposés par les Français, rapporté au nombre total de dépôts dans le monde, est en régression. Et l'industrie française se situe aujourd'hui au neuvième rang en la matière, avec des secteurs affaiblis, tels que l'électronique et les biotechnologies.

Alors, il devenait urgent de faire sauter des verrous. Je passe, monsieur le ministre, sur ceux qui seraient d'ordre psychologique, pour m'attarder sur ceux, plus pratiques et juridiques, auxquels vous vous êtes enfin attaqué.

Ce projet de loi, examiné en première lecture par le Sénat, comporte un ensemble de dispositions qui apparaissent comme une véritable bouffée d'oxygène, une libération de potentialités qui, jusqu'à présent, devaient se contenter de bricolages ou d'à-peu-près. La commission de la production et des échanges a particulièrement apprécié les articles 1, 2 et 6, ceux qui permettent la diffusion de l'innovation du monde de la recherche vers celui de l'entreprise et en précisent les modalités.

En complétant la loi du 15 juillet 1982, qui autorisait le chercheur à opter pour un dispositif statutaire - le détachement, la mise à disposition, la mise en disponibilité -, le projet de loi va favoriser la mobilité des fonctionnaires chercheurs. Ainsi, ils pourront créer leur entreprise afin d'exploiter les résultats de leurs travaux. Ils pourront apporter leur concours à une entreprise de valorisation. Ils pourront participer, dans des conditions simplifiées, à des conseils d'administration ou de surveillance de sociétés anonymes. Souvent dérogatoires au droit commun de la fonction publique, ces dispositions sont encadrées, mais avec la volonté d'aller à l'efficace.

L'article 1er , dans son paragraphe III, et l'article 2 favo-r isant l'émergence de structures dites d'incubation.

Certes, on peut gloser sur le terme, qui fait un peu « couveuse » ou « mère poule » - et par les temps qui courent, ce n'est pas forcément la meilleure référence (Sourires) -, mais il est vrai que la pérennité d'une entreprise se détermine souvent dans les deux ou trois premières années, pendant lesquelles l'accompagnement matériel et intellectuel est utile et nécessaire. Ces aides existaient jusqu'à présent sous des formes qui relevaient souvent, vous l'avezs ignalé, d'un bricolage scientifico-administratif. Elles prendront désormais la forme de services d'aide aux activités industrielles et commerciales dotés d'un budget annexe et ayant la possibilité de recruter des agents non titulaires, en CDD ou en CDI.

La commission de la production a également apprécié qu'une base légale soit donnée à la signature de contrats pluriannuels de recherche entre l'Etat et les EPST.

Enfin, l'article 6 associe à l'effort de diffusion de l'innovation technologique les lycées d'enseignement technique et d'enseignement professionnel. Par le biais de conventions ou par la constitution de groupements d'intérêt public, ces établissements, souvent proches des PME et PMI locales, pourront devenir des lieux d'échange, d'étude et de recherche, et contribuer ainsi à apporter des solutions aux problèmes posés à ces acteurs locaux de la vie économique.

En faisant sauter aujourd'hui ces verrous juridiques, nous permettrons, j'en suis sûr, une bonne relance des transferts de technologie insdispensables à notre société. Il faudra peut-être, demain, franchir un pas supplémentaire, après avoir dressé le bilan de ces nouvelles dispositions. A l'instar de ce qui se passe au CEA, il sera sans doute nécessaire de constituer un véritable réseau de diffusion des technologies ayant pour objet de mettre en relation l'offre technologique des laboratoires et les besoins industriels, la création de mails technologiques permettant de recenser les problèmes posés et de rechercher les meilleurs interlocuteurs possibles au niveau des régions. Je pense qu'une action pourrait être engagée à cette fin dans le cadre du XIIe plan.

Monsieur le ministre, votre projet de loi va enfin permettre de constater que nos chercheurs ne sont pas inhibés face au monde de l'entreprise et qu'une fois éliminés les obstacles juridico-administratifs, il leur sera possible de participer à la création d'entreprises innovantes, les plus performantes en termes de création d'emplois pérennes.

Je présenterai au nom de la commission cinq amendements qui ont un seul et même objectif, celui de préciser que ce dispositif concerne toute la recherche publique, et donc aussi les « entreprises publiques » qui se distinguent de la « personne publique », expression utilisée dans le projet de loi. En effet, une entreprise publique peut être aussi une personne de droit privé.

En tant que rapporteur pour avis du budget de la recherche et de la technologie, je ne puis que me féliciter de cette initiative, en espérant que les décrets d'application seront publiés au plus tôt, car ces dispositions, vous le savez, sont très attendues.

Pour toutes ces raisons, la commission de la production et des échanges a émis à l'unanimité un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.


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M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vient enfin remédier à des difficultés importantes en matière de recherche.

La loi de 1982 avait fort utilement posé un certain nombre de principes. Elle avait d'ailleurs été accueillie avec une grande faveur par le monde de la recherche. Elle a entraîné un indéniable renouveau de la recherche en France, mais elle n'a sans doute pas totalement réussi dans ce qui était une de ses grandes ambitions : promouvoir la mobilité des chercheurs et le transfert de technologie entre le laboratoire et l'entreprise.

Ces deux problèmes, devenus cruciaux, concernent au premier chef l'emploi, et pas seulement l'emploi des scientifiques. Mais la situation est très préoccupante pour les étudiants titulaires d'un doctorat. Pour 11 000 thèses soutenues chaque année, 3 500 jeunes docteurs environ entrent dans la recherche publique. Il faut donc en préparer un bon nombre à rejoindre le secteur industriel.

La politique de recherche-développement ne peut plus se concentrer quasi uniquement sur un petit nombre de grandes opérations, même si elles restent indispensables et fondamentales dans de nombreux domaines. En tout cas, elles ne peuvent plus être, les seules « locomotives » du progrès technique. Pour prendre une image, je dirai qu'il ne convient plus seulement de développer le système artériel ; il faut aussi, de plus en plus, veiller au bon fonctionnement du système capillaire, où s'effectuent les principales relations d'échange.

M. Jean-Michel Dubernard.

C'est la néo-angiogenèse ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Absolument, monsieur Dubernard ! C'est un spécialiste qui le confirme ; il faut le croire.

Les petites entreprises à forte concentration de matière grise prouvent tous les jours leur efficacité dans pratiquement tous les domaines, notamment dans le secteur des biotechnologies, que je connais bien.

La politique de l'Etat - sans nier, loin de là, la valeur de l'action passée - doit donc certainement changer et s'adapter au nouveau contexte de la recherche. L'emploi au

XXIe siècle dépendra de plus en plus de la matière grise. La plupart des technologies, y compris les technologies les plus simples du XXe siècle, sont devenues extrêmement complexes : il suffit de voir comment est construite aujourd'hui une automobile.

La politique de recherche-développement, j'y insiste, ne doit plus être réduite au soutien de quelques grandes opérations pilotes. Elle doit impérativement s'adresser à un réseau complexe d'acteurs très divers, petits et grands, dont il s'agit de soutenir les réalisations et de promouvoir les convergences.

La caractéristique bien connue du système français de recherche publique est malheureusement, aujourd'hui encore, même si des progrès ont été faits, le cloisonnement et l'isolement vis-à-vis du monde économique. Il lui faut maintenant, non pas se renier, mais se doter en quelque sorte d'un dispositif de respiration lui permettant de se mettre à l'épreuve des réalités économiques de notre monde, qui est celui de la concurrence, et trop souvent de la concurrence acharnée.

En fait, une certaine adaptation s'opérait, mais de façon trop clandestine. De nombreuses enquêtes officielles, comme le rapport de Henri Guillaume ou ceux de la Cour des comptes, ont mis en lumière des incohérences et des conflits d'intérêts faisant obstacle à la création d'entreprises par les chercheurs des organismes publics. La Cour des comptes notait en particulier, l'année dernière, « les risques de dérives auxquelles pouvaient conduire les aménagements apportés à l'interdiction, pour un fonctionnaire de recherche, de participer au capital d'une entreprise liée par contrat avec son établissement ». Autrement dit, un certain nombre de chercheurs étaient amenés à se mettre en contravention avec la loi, avec ou sans l'accord tacite de leur hiérarchie, pour valoriser leur savoir-faire dans le cadre d'une entreprise commerciale.

Naturellement, ces situations qui finissaient par être bien connues de tous étaient malsaines et il n'était certainement pas bon de les voir perdurer. D'un autre côté, continuer à interdire ces pratiques n'avait plus beaucoup de sens dans la mesure où il s'est avéré dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis, qu'elles permettaient de faire déboucher très rapidement des inventions sur le plan commercial, avec des créations d'emplois induites tout à fait appréciables, notamment dans le secteur des biotechnologies, mais également dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Je pense donc qu'il était plus sain de faire évoluer la loi, ce que vous faites, monsieur le ministre, en permettant à un fonctionnaire d'exercer des responsabilités dans une entreprise créée pour valoriser ses propres travaux de recherche.

Ce principe est évidemment une nouveauté considérable dans notre droit, et même certainement dans notre conception de la fonction publique. Il fallait effectuer ce bouleversement, sous peine de devoir assister à la sclérose de notre appareil de recherche qui ne pouvait plus, à l'heure de l'interactivité généralisée, rester isolé.

Ces nouvelles dispositions vont permettre d'intensifier les contacts, qui doivent devenir fréquents et naturels, entre la recherche de base et le monde socio-économique.

Les échanges se feront dans les deux sens : ils stimuleront sans aucun doute certaines recherches fondamentales et, inversement, permettront de transférer plus rapidement vers l'aval des connaissances et aussi des méthodes.

Cependant, il conviendra sans doute d'inclure dans la formation des doctorants au moins une information, et peut-être plus, concernant les problèmes de la création d'entreprise et des transferts de technologie, afin de rendre les chercheurs plus familiers de ce monde des affaires qu'ils ignorent dans une très large mesure et avec lequel ils seront certainement amenés à avoir beaucoup plus de relations que par le passé.

Enfin, il convient d'insister sur le fait que ce dispositif ouvrant de nouvelles possibilités aux chercheurs publics prévoit la plus grande transparence possible et pose des règles précises destinées à prévenir d'éventuels abus. Ca r il ne faut pas, bien entendu, que s'instaure une confusion des genres préjudiciable à l'ensemble de la recherche.

Ce nouveau dispositif devrait permettre de développer la prise de brevets par nos chercheurs. Il conviendrait d'ailleurs de les sensibiliser largement, au cours de leurs études, à cette dimension qui devient indispensable, tant est intense la concurrence mondiale en matière de science.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de lancer un cri d'alarme à ce propos. En effet, même si la question des brevets ne dépend pas de vos seules responsabilités, je pense que le ministre de la recherche doit s'y intéresser, et s'y intéresse d'ailleurs. Le rapport de Henri Guillaume


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

a dressé un bilan accablant de la situation. Il considère que si la recherche française, évaluée à l'aune de ses publications scientifiques, est d'un bon niveau, il n'en va pas de même pour la prise de brevets. Il constate une insuffisance des dépôts dans deux domaines particulièrement cruciaux de l'économie moderne : les nouvelles technologies de l'information et de la communication, et les biotechnologies, constat confirmé par un rapport de l'INIST dans ce dernier secteur. J'estime cette carence d'autant plus grave qu'il s'agit de technologies transversales qui constituent le verrou de multiples secteurs.

Ainsi, les biotechnologies sont, et seront de plus en plus, les techniques clés de l'agroalimentaire...

M. Jean-François Mattei.

Ne parlez pas trop de ce secteur aujourd'hui ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Je vous laisse les poulets à la dioxine, monsieur Mattei ! (Sourires.)

... de l'agriculture, de la pharmacie, et aussi de l'industrie électronique, notamment pour la fabrication de ce qu'on appelle les « biopuces à ADN », fruit du mariage des techniques de miniaturisation propres à l'informatique et de la chimie des nucléotides. Ces puces seront indispensables, à très brève échéance, dans toute l'industrie électronique.

Les statistiques du dépôt de brevets pour 1998 ne m'encouragent pas à être particulièrement optimiste. En effet, le nombre de brevets, après avoir augmenté en 1996 et 1997, a reculé de 0,5 % l'année dernière, et nous sommes descendus au quinzième rang mondial, avec 292 brevets pour un million d'habitants, hors le Japon et la Corée qui n'ont pas le même système, derrière la Suède, 795 brevets ; la Suisse, 721 ; l'Allemagne, 692 ; la Grande-Bretagne, 428 ; les USA, 418 ...

Il faut d'autant plus porter l'attention sur les dépôts de brevets que le système français et européen est très fortement concurrencé par le modèle américain, qui offre aux industriels un ensemble de procédures juridiques plus efficaces dans les domaines soumis aux brevets. Je ne détaillerai pas ces différences, mais elles procurent à nos concurrents américains des avantages très substantiels. Il convient donc sans aucun doute de poser ce problème à l'échelon de l'OMC, afin d'unifier les règles et les modalités de dépôt des brevets.

Le présent projet de loi contient d'autres dispositions tendant à mieux associer la recherche publique et l'entreprise privée.

Tout d'abord, les établissements publics à caractère scientifique et technologique - les EPST - peuvent être autorisés à prendre des participations, à constituer des filiales et à participer à des groupements. Depuis la loi de 1982 sur la recherche, c'est la structure du groupement d'intérêt public qui régissait la coopération entre organismes de recherche, universités et entreprises, mais sa gestion s'est révélée assez lourde. Le projet de loi prévoit que les conditions nouvelles d'association seront fixées par décret. Il est indispensable que ces conditions, d'abord, soient fixées rapidement et, ensuite, soient très allégées.

Autre disposition très positive de ce projet de loi : la possibilité pour les EPST de créer ce qu'on appelle communément des « incubateurs ». Si j'approuve pleinement cette mesure, je dois dire que la France ne fait là que se mettre à l'unisson des autres grandes universités d'Europe, sans parler de celles des Etats-Unis. A Twente, aux Pays-Bas - ce n'est pas si loin de la Lorraine -, une université a développé de très bons modèles d'incubateur.

Ces structures sont courantes en Europe, comme j'ai pu m'en rendre compte lors de la préparation de mon dernier rapport pour l'Office.

Les modalités de création de ces incubateurs doivent être fixées au plus vite : il faut associer industrie et recherche, faciliter la médiation technologique, assurer l'interface entre le chercheur et l'industriel, aller dans les labos, offrir des services juridiques. Il y a dans nos laboratoires, au fond des placards et sous les paillasses, des idées en jachère : il faut les débusquer ! Cette initiative me paraît essentielle, car elle permettra vraiment, et enfin, ces transferts de technologie entre la recherche publique et les entreprises que l'on n'a pas encore réussi à développer en France. Peut-être allonsnous enfin voir décoller la création d'entreprises de haute technologie, qui stagnait au niveau plutôt bas d'une centaine d'entreprises nouvelles par an.

On regrettera peut-être qu'il ait fallu attendre près de vingt ans, depuis la loi de 1982, pour parvenir à améliorer le dispositif fiscal, à mêler industrie et recherche, à obtenir la transparence du dispositif. Sans doute les esprits n'étaient-ils pas encore prêts.

E n conclusion, je vous demanderai, monsieur le ministre, de veiller à la parution rapide des mesures d'application et de faire en sorte qu'elles ne soient pas inutilement lourdes et compliquées.

L'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, à qui vous aviez réservé la primeur de la présentation de ce texte de loi en décembre 1998, vous soutient dans ce pas important qui va être accompli pour l'emploi et la matière grise en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, mes collègues écologistes et moi-même nous sommes réjouis dans un premier temps à l'annonce d'une loi sur l'innovation et la recherche. En effet, malgré l'importance des efforts de recherche publique dans notre pays, qui nous placent dans une position très honorable parmi les pays développés, avec 2,4 % du PIB, nous constatons comme vous le décalage qui persiste entre cette recherche et ce que l'on appelle globalement la demande sociale, qu'elle émane des pouvoirs publics, des entreprises ou de la société au sens large, particulièrement du tiers secteur associatif. J'insiste sur cette dernière catégorie qui représente à nos yeux une part croissante de la vie économique.

En effet, les insuffisances concernant la recherche publique, que vous avez notées et tenté de corriger par ce projet de loi, ne touchent pas seulement à la relation avec les entreprises. Elles portent sur les relations de la recherche publique avec la société en général, ses attentes et ses enjeux. Le décloisonnement que vous préconisez avec cette loi est un souci général, auquel on ne saurait répondre en agissant au seul profit du marché privé.

Il convenait donc de remédier à cette situation par une nouvelle loi venant compléter la loi du 15 juillet 1982, proposée par Jean-Pierre Chevènement, véritable monument sur lequel repose tout le dispositif de recherche publique actuel, et celle du 23 décembre 1985, proposée par Hubert Curien, qui prévoyait à l'article 1er de porter


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l'ensemble des dépenses publiques et privées de recherche et de développement technologique à 3 % du produit intérieur brut à la fin de la présente décennie. La décennie a passé sans que cet objectif n'ait été atteint - la responsabilité en est partagée, du fait des alternances politiques -, malgré l'unanimité qui s'attache souvent, et fort heureusement, même si elle reste fréquemment de pure façade, à ces questions de recherche et de développement technologique. Certes, j'en conviens, des progrès ont été faits depuis deux ans. Mais les grandes ambitions ne seraient-elles donc plus de mise en cette fin de siècle ? La loi Chevènement avait la vertu de distinguer dans son article 3, et dans cet ordre, quatre catégories de recherche également éligibles au budget civil de recherche et de développement technologique : les recherches fondam entales dont le développement sera garanti ; les recherches appliquées et les recherches finalisées entreprises ou soutenues par les ministères et les organismes publics de recherche en vue de répondre aux besoins culturels, sociaux et économiques ; les programmes de développement technologiques qui seront poursuivis ; enfin, les programmes mobilisateurs pluriannuels.

Monsieur le ministre, en examinant cette nouvelle loi sur l'innovation et la recherche, nous espérions qu'elle porterait sur l'ensemble de ces catégories. Or elle se focalise exclusivement sur des actions en direction des entreprises, visant plus particulièrement à favoriser l'interprétation des activités de recherche publique et privée.

Déjà, à l'occasion des assises de l'innovation que le Gouvernement a organisées en mai 1998, puis lors du comité interministériel de la recherche scientifique et t echnologique en juillet 1998, de nombreuses voix s'étaient élevées pour que l'on prenne en compte, dans les politiques de recherche et d'innovation, les politiques publiques et le service public et pas seulement les entreprises privées. Le moins que l'on puisse dire est qu'elles n'ont pas été entendues ! On pourrait croire en effet, et peut-être le croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, que ces choses-là vont de soi, comme si la proximité au sein de la sphère publique était telle que, naturellement, si j'ose dire, la recherche publique servait les besoins des politiques publiques. Ce n'est pas précisément le cas. Nous craignons, tout comme de nombreux scientifiques, même les plus éminents, que vous ne voyiez l'évolution, l'aboutissement de la recherche que selon un seul axe : « science, technologie, innovation, entreprises privées, marché », en en négligeant un autre, tout aussi essentiel : celui qui, partant de la science en passant par l'innovation et éventuellement le développement technologique, vise à servir les besoins des politiques publiques. Telle est en tout cas à nos yeux la carence essentielle de la loi que vous nous proposez aujourd'hui.

Dans la mesure où vous avez intitulé votre projet « loi sur l'innovation et la recherche », on pourrait croire que, conformément à ce titre, et en harmonie avec la loi Chevènement de 1982, il aurait porté sur l'ensemble du champ de la recherche, notamment sur la deuxième des quatre catégories que distingue l'article 3 que je citais tout à l'heure et que vous ne prévoyez pas de modifier.

Or il n'en est rien : la loi que vous nous proposez ne porte que sur une seule de ces quatre catégories, les développements technologiques, que vous focalisez encore plus que ne le faisait la loi de 1982 sur les besoins des entreprises privées.

Ce qui est grave, c'est que ce n'est pas seulement une négligence, un oubli, mais bien une démarche révélatrice de choix politiques qui, prisonniers d'une fascination pour une certaine image des Etats-Unis, partent du principe que seules les entreprises privées disposent des moyens d'innovation et de recherche leur permettant d'imposer leurs choix technologiques. Ce serait la dynamique inéluctable du progrès tiré par le seul marché, l'Etat ne se contentant pas d'entériner, mais allant jusqu'à soutenir cette politique comme un outil de guerre économique. Est-il nécessaire de rappeller les exemples très actuels des hormones de croissance dans la viande ou des

OGM ? Alors que ces sujets sont d'une brûlante actualité, vous ne proposez qu'un encouragement massif aux biotechnologies et aux entreprises qui les exploitent sans les inscrire dans une problématique beaucoup plus globale - politique, éthique, sociale ; de surcroît, l'OMC n'est pas forcément le cadre le plus pertinent pour traiter ces questions.

On aurait pu penser qu'une loi portant sur la recherche et l'innovation présentée par le ministre d'un gouvernement de la gauche plurielle vienne justement corriger le déficit flagrant en matière d'innovation et de recherche au service des politiques publiques dont nous souffrons particulièrement en France. Telle n'est manifestement pas votre priorité ; nous le regrettons.

Dois-je citer quelques exemples qui nous tiennent à coeur, à nous écologistes, pour illustrer mon propos, tenter de mieux me faire comprendre et, je l'espère, vous convaincre ? Lorsque nos diplomates se rendent à des conférences internationales sur des sujets d'environnement, l'appui scientifique dont ils sont susceptibles de bénéficier est bien maigre, en comparaison des délégations américaines, allemandes ou même hollandaises.

Dans les négociations européennes, combien de fois nos représentants du ministère de l'environnement se sont-ils retrouvés bien seuls et dépouillés face à l'expertise scientifique mobilisée par nos partenaires du nord de l'Europe ? Quels sont les moyens de recherche et d'innovation mobilisés en France sur des enjeux aussi importants que la dissémination des nitrates, des pesticides, des dioxines, des métaux lourds dans l'environnement et leurs impacts sur la santé humaine ? Sont-ils à la hauteur des enjeux ? Selon nos informations, il n'existe en France qu'un seul laboratoire, situé à Lyon, capable d'analyser la dioxine. Combien faudra-t-il de scandales et d'affaires pour que nous réagissions en amont et pas seulement en aval pour tenter de réparer les dégâts ? Que dire des recherches et des innovations que de rares chercheurs tentent de déployer sur les sols pollués, la contamination des nappes phréatiques, la protection de la biodiversité, les politiques urbaines, bref tous ces sujets appartenant à la « sphère commune » et ne faisant pas l'objet d'une appropriation privée, et qui n'intéressent pas les entreprises ? Comment seront-ils pris en charge par votre loi ou par une autre ? D'une manière plus générale, considérons tout ce qui a trait à la mise en oeuvre des politiques de développement durable, des principes de prévention et de précaution : cette loi ne prévoit rien pour préparer par la recherche et l'innovation, ces politiques nouvelles ! Elles nécessitent pourtant bien des recherches, ces nouvelles politiques publiques, tant est grande la distance à parcourir pour les mettre véritablement en oeuvre ! Et ces recherches vont d'autant moins « de soi » sont d'autant plus difficiles à mettre en oeuvre qu'elles se situent au carrefour des diverses disciplines, des divers champs d'application cou-


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verts par les institutions de recherche existantes, comme l'économie, l'écologie, les sciences sociales et les technologies ! Notre dispositif institutionnel de recherche, vous le savez, date pour l'essentiel des trente glorieuses. A côté du CNRS et des universités, on a construit dans l'aprèsguerre tout un arsenal d'établissements de recherche technologiques dans une politique essentiellement productiviste : CEA, INRA, IFREMER, CSTB, BRGM, etc. Si ces organismes sont adaptés à la prise en compte des politiques d'innovation et de recherche que vous proposez de mettre en oeuvre avec cette nouvelle loi, une chose est claire : aucun d'eux, pas plus que le CNRS ou les universités, n'est apte, en l'état, à développer les recherches, les développements technologiques et les innovations dont nous avons cruellement besoin pour préparer les politiques publiques d'aujourd'hui et de demain, en particulier les politiques d'environnement, d'aménagement du t erritoire, de développement durable, les politiques urbaines, d'aide au développement du tiers monde.

P ermettez-moi d'ajouter un dernier argument en constatant, avec de nombreux scientifiques et experts, et statistiques à l'appui, qu'il existe des disciplines scientifiques - justement et comme par hasard celles qui sont susceptibles de concourir le plus efficacement à ces politiques publiques - particulièrement peu développées dans notre pays : l'épidémiologie, la toxicologie et l'écotoxicologie, l'économie de l'environnement et l'écologie, pour ne citer que les cas les plus flagrants et qui nous intéressent tout particulièrement. Je ne vous demanderai pas comment la loi que vous proposez est susceptible d'améliorer cette situation, tant il est prévisible qu'elle pourrait contribuer à l'aggraver ! En réalité, la loi de 1982 a eu le grand mérite de définir, dans son article 14, les objectifs de la recherche publique et de préciser que la recherche publique devait être porteuse de développement, devait se préoccuper de la valorisation des résultats, de la diffusion des connaissances et de formation. Mais elle souffrait d'un grave défaut : elle ignorait totalement l'obligation qui devrait être faite aux chercheurs et aux organismes de recherche publics de se placer à l'écoute de la société pour répondre à ses besoins, aider à anticiper, comme si la recherche ne fonctionnait que dans un sens « centrifuge » : d'ellemême, de ses laboratoires, vers « l'extérieur », les entreprises, la société.

Nous sommes quelques-uns à souhaiter qu'une loi nouvelle, portant sur la recherche et l'innovation, ait le souci de préciser cet objectif essentiel pour la recherche publique : celui de l'écoute et du dialogue avec la société.

La vôtre progresse dans ce sens de l'interprétation, mais avec pour seul partenaire l'entreprise privée et non le service public.

Tels sont, monsieur le ministre, chers collègues, les commentaires et les réflexions que nous inspire ce projet.

Vous comprendrez dans ces conditions que, faute d'un deuxième pilier, nous ne puissions apporter notre soutien à un texte qui, à nos yeux, aurait dû être inclus dans une politique beaucoup plus globale, plus ambitieuse et plus équilibrée.

Mme Nicole Bricq.

Je ne comprends pas !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Nous nous abstiendrons donc sur votre projet de loi en en attendant un autre, beaucoup plus ambitieux.

M. le président.

La parole est à M. Jean-François Mattei.

M. Jean-François Mattei.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous un même souhait : la reprise que la France connaît aujourd'hui doit devenir une croissance durable et créatrice d'emplois. Or la croissance d'une économie reflète pour une large part le rythme de progression de la productivité, lequel est d'autant plus soutenu que la recherche et l'innovation technologiques sont dynamiques. La croissance et l'emploi passent donc par l'émergence d'entreprises innovantes, nombreuses, génératrices de valeur ajoutée et de revenus élevés.

La recherche et l'innovation sont donc un enjeu majeur pour notre pays, surtout dans un monde où les technologies dépassent les frontières et où la concurrence est très vive.

La France, on l'a rappelé, possède un potentiel scientique indéniable. L'importance des ressources financières et humaines consacrées en France à la recherche - développement et à la technologie a contribué à faire de notre pays un acteur important dans ce domaine. Avec un effort de recherche correspondant à 2,3 % de son produit intérieur brut et une recherche réalisée dans les entreprises à peine moindre, la France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Néanmoins, sa part dans les dépenses de recherche de l'OCDE n'est que de 6 %, malheureusement très loin derrière les Etats-Unis - 43 % et le Japon 17 %. On a cité tout à l'heure, et je m'associe volontiers à cet hommage, plusieurs prix Nobel. L'attribution du prix Nobel à des chercheurs français à différentes reprises au cours des années 1990 comme la part croissante des publications scientifiques françaises dans le monde, 4,3 % en 1983 et 5,1 % en 1995, constituent de bonnes illustrations de mon propos.

Pour autant, vous le savez, monsieur le ministre, les résultats n'en sont pas moins contrastés. C'est le cas notamment pour ce qui concerne la performance technologique. Ainsi, entre 1987 et 1996, la part de la France dans le système de brevet européen a diminué de 17 % passant de 8,5 % à 7 %, et sa part dans les brevets accordés aux Etats-Unis a connu un déclin global depuis la fin des années quatre-vingts ; elle ne représente désormais plus que 2 % des brevets américains.

De surcroît, la faiblesse du transfert de technologie est aujourd'hui admise par tous. On ne compte actuellement qu'une entreprise créée par an pour mille chercheurs ; sur moins d'une centaine d'entreprises de haute technologie créées chaque année, une quarantaine seulement le sont à l'initiative de chercheurs.

Il s'agit donc bien d'un enjeu économique, d'autant plus que les études montrent que, en France comme dans d'autres pays, la croissance de l'emploi est plus forte chez les firmes innovantes et, parmi les firmes nouvelles, chez celles qui ont une vocation technologique. Les entreprises d'essaimage, comme on dit, ont un taux d'échec relativement bas, estimé à 1 sur 6, alors que, dans le secteur de l'industrie et des services, une entreprise sur deux disparaît dans les cinq ans. Par ailleurs, les mêmes entreprises d'essaimage sont trois fois plus créatrices d'emplois puisque, en moyenne, elles emploient 11 salariés quelques années après leur création. Selon un rapport au conseil économique et social, de MM. Boyer et Didier, « les entreprises innovantes sont plus souvent exportatrices, ont une croissance plus élevée et investissent davantage ».


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Il apparaît donc absolument nécessaire d'améliorer les incitations et de desserrer les verrous institutionnels dans le domaine de la recherche et de la diffusion technologique.

En effet, la participation du monde scientifique et technique au renouvellement du tissu industriel apparaît dans notre pays, pour différentes raisons, notamment culturelles, entravée par des obstacles statutaires et institutionnels. La valorisation économique des découvertes réalisées et des compétences accumulées dans le secteur public de la recherche reste beaucoup trop faible. Ainsi, très peu de chercheurs de la sphère publique effectuent des mobilités vers l'industrie : seulement 50 chercheurs du CNRS, sur un total de 11 400, en 1996. Les redevances de brevets et licences sont modestes - 172 millions de francs en 1996, soit trois fois moins qu'en GrandeBretagne. Les laboratoires communs de la recherche publique et de l'industrie sont peu nombreux. La part de la recherche publique financée par l'industrie est sensiblement plus faible chez nous que dans les autres pays européens.

Le texte de loi que nous discutons aujourd'hui part de ce constat. Reprenant les travaux menés par les précédents ministres - j'y inclus, puisque vous l'avez cité, JeanPierre Chevènement, mais je pense également à François Fillon et au projet de loi de notre collègue François d'Aubert -, ce texte, à quelques amendements près, devrait recueillir notre assentiment puisque nous en revendiquons une paternité partagée.

Si les mesures proposées étaient attendues et vont dans le bon sens, il me semble néanmoins nécessaire d'émettre deux réserves.

La première concerne l'aspect fiscal du projet. Nettement insuffisant dans la version initiale du texte, cet aspect a été très largement développé par le Sénat, rendant le texte plus crédible de ce point de vue.

La deuxième réserve a trait au nécessaire équilibre à trouver entre la volonté de faire sortir les chercheurs de leur laboratoire et le maintien d'une recherche de qualité.

Je commenterai d'abord, commenter ce dispositif intéressant et attendu, pour évoquer ensuite les dispositions fiscales indispensables à la réussite du projet et souligner enfin le nécessaire équilibre à préserver pour maintenir une recherche de qualité.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du dispositif ; j'en retiendrai seulement quatre points à mes yeux essentiels.

Pour commencer, il faut favoriser la mobilité et la création d'entreprises par les chercheurs. Pour cela, les personnels de recherche doivent pouvoir participer en tant qu'associés, administrateurs ou dirigeants à une entreprise nouvelle assurant la valorisation de leurs travaux. Ces personnels seraient en position de détachement ou de mise à disposition pendant cette période, puis auraient à choisir entre un retour dans le service public ou l'appartenance à l'entreprise. Déplorant depuis des années le manque de mobilité des chercheurs, nous nous félicitons de vous voir reprendre dans ce texte le dispositif proposé par François d'Aubert.

De même, la possibilité pour le fonctionnaire d'apporter son concours scientifique à une entreprise de valorisation et de participer au capital de l'entreprise va dans le bon sens ; mais nous souhaitons laisser au fonctionnaire la possibilité de conserver une participation, quand bien même il déciderait de ne pas rester dans l'entreprise.

Pourquoi, en effet, un fonctionnaire qui aurait participé au lancement d'une activité ne pourrait-il bénéficier d'une contrepartie aux efforts consentis ? Le deuxième point que je veux retenir, c'est la possibilité pour les organismes de recherche et d'enseignement supérieur de créer des structures d'incubation. Cela nous paraît également pertinent.

Tout à l'heure, notre collègue Le Déaut a rappelé qu'il n'était plus nécessaire d'aller aux Etats-Unis, et qu'en Europe, cela existait. Monsieur le ministre, vous le savez, à Marseille-Lumigny, il y a un incubateur d'entreprises qui marche si bien qu'il faut maintenant assurer la suite par la création d'une pépinière.

L a création d'une entreprise innovante nécessite souvent une phase de maturation dans un environnement spécifique. Jusqu'ici, la création d'une structure associative était souvent utilisée pour mettre à la disposition d'entreprises en création des locaux et des matériels. Nous souhaiterions même aller plus loin en permettant aux organismes de recherche de mettre à disposition de ces entreprises leurs outils de communication. Les entreprises technologiques nécessitent aujourd'hui l'utilisation intensive d'outils de communication tels qu'Internet, et il paraît difficile de ne pas favoriser l'accès à des réseaux du type « Renater » pour des entreprises en émergence dans ce secteur d'activité.

Le troisième point que je veux retenir, c'est la création de « services d'activités industrielles et commerciales » dans les établissements d'enseignement supérieur, qui ont pour fonction l'organisation des activités commerciales de l'établissement. Cela procède de la même volonté de créer des structures de valorisation spécifiques. A juste titre, le Sénat a étendu ce dispositif aux établissements publics à caractère scientifique et technologique.

Le quatrième point que je veux retenir de l'ensemble du dispositif, ce sont les dispositions relatives à la limite d'âge, à la possibilité pour les établissements publics d'enseignement supérieur ou les EPST de cotiser aux ASSEDIC pour leur personnel contractuel, ou la possibilité pour les organismes de recherche de conclure des contrats pluriannuels avec les ministères de tutelle, ce qui devrait permettre de remédier à une rigidité de fonctionnement endémique.

Ainsi, vous l'avez compris, nous voulons contribuer à l'assouplissement d'un système trop rigide car nous souhaitons insuffler davantage d'esprit d'entreprise dans le monde de la recherche. Nous espérons donc que vous prendrez en compte nos amendements et que vous prendrez des engagements formels sur l'aspect fiscal que je veux aborder maintenant.

M. Germain Gengenwin.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Des dispositions fiscales sont en effet indispensables pour assurer la réussite du projet.

Si les dispositions visant à lever les obstacles statutaires et institutionnels sont globalement satisfaisantes, il n'en va pas de même en ce qui concerne le volet fiscal du texte que vous présentez.

En effet, votre projet initial contient une seule disposition qui n'est pas négligeable, visant à réduire de 75 à 25 % la part du capital de l'entreprise devant être détenue, soit par des personnes physiques soit par des personnes morales détenues par des personnes physiques, afin que cette entreprise puisse émettre des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise, BSCPE.

Certes, une telle mesure est intéressante. Elle n'en demeure pas moins largement insuffisante au regard des dispositifs existant dans d'autres pays.

Cela est d'autant plus préoccupant qu'un véritable soutien à l'innovation n'atteindra pleinement son but que si la loi permet de compenser la prise de risques par la pos-


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sibilité de gains réels et si le financement de l'innovation est assuré. D'ailleurs, conscient de cette nécessité, vous aviez prévu dans votre avant-projet un certain nombre de dispositions allant dans ce sens et ce n'est que sous la pression de votre majorité que le dispositif fiscal a été revu pour devenir quasiment inexistant.

En revanche, le texte qui nous est aujourd'hui présenté après son examen par le Sénat nous paraît plus à la hauteur des enjeux. En effet, en France, comme ailleurs, peu de personnes disposant d'un emploi stable dans la recherche publique ou dans le secteur privé le quitteraient pour une jeune entreprise innovante, à moins que l'espérance de gains ne soit proportionnée au risque, constituant ainsi un légitime retour sur investissement. Les stock-options sont une forme de rémunération du risque pour les salariés hautement qualifiés qui assurent la compétitivité des jeunes entreprises innovantes sur le marché du travail ; ainsi, les stock-options sont essentiellement destinées aux employés pour qu'ils puissent participer aux fruits de la croissance. Cette méthode a déjà fait ses preuves aux Etats-Unis et a été maintenant adoptée dans beaucoup d'autres pays. En France, il est vrai qu'elle a eu une histoire troublée, sous différents gouvernements, en raison de réticences liées à des soucis d'équité.

Un dispositif équilibré concernant les stock-options , associé à des dispositions relatives au financement des entreprises innovantes, a été, de notre point de vue, intelligemment proposé par le Sénat. Certes, vous objectez que les dispositions de la Haute Assemblée relèvent davantage de la compétence du ministère des finances que de celles du ministère de la recherche. Je vous rejoindrai volontiers sur ce point car je me sens beaucoup moins compétent moi-même pour parler des stock-options à cette tribune que pour parler de la recherche et de l'innovation.

Vous dites qu'il convient donc de les retirer afin de les réexaminer à l'occasion de la présentation d'un texte spécifique sur ces mesures fiscales. Néanmoins, monsieur le ministre, compte tenu du caractère indispensable des dispositions fiscales pour assurer la réussite de votre projet, je voulais mentionner ce point à l'occasion de la discussion générale et il me paraîtra indispensable d'y revenir lors de la discussion des articles pour connaître précisément votre sentiment personnel sur ce point et la nature de votre engagement au nom du Gouvernement.

J'en viens à ma deuxième réserve, qui pourrait paraître paradoxale. Elle correspond pourtant à une réelle préoccupation. Je l'ai déjà dit, nous voulons tout faire pour permettre aux chercheurs qui le souhaiteraient de créer leur entreprise. Pour autant, nous ne voulons pas que les laboratoires soient vidés de leurs meilleurs éléments et que la qualité de notre recherche en pâtisse.

Il faut trouver le nécessaire équilibre pour maintenir une recherche de qualité.

A l'occasion de la préparation de ce projet de loi, j'ai souhaité rencontrer les représentants du monde de la recherche à Marseille et j'ai organisé dans ce but une table ronde. J'ai pu constater, entre les discours des chercheurs actuellement en poste dans leurs laboratoires et les discours des chercheurs qui avaient déjà franchi le pas et créé une entreprise, un décalage tout à fait significatif.

Les premiers ne connaissent encore rien du monde de l'entreprise et leurs inquiétudes concernent essentiellement le devenir des laboratoires. Ces chercheurs craignent que les laboratoires ne se trouvent dépouillés de leurs meilleurs éléments sans que les départs soient compensés par de nouvelles recrues. Il serait peut-être bénéfique de mettre en place un système de compensation qui permettrait d'affecter un chercheur en remplacement de celui qui quitte l'unité scientifique ou de permettre un accompagnement de l'équipe restante. Une évaluation du chercheur qui part serait utile, certes, mais aussi celle de l'équipe restante. On voit bien qu'une réelle réflexion d'accompagnement est à mener et il peut paraître surprenant que ce problème ne soit nullement évoqué dans votre projet de loi et que vous ne l'ayez pas vous-même abordé ; mais j'espère qu'en me répondant vous donnerez votre sentiment sur ce sujet.

Car il ne faudrait pas démotiver les chercheurs qui souhaiteraient poursuivre leurs recherches dans un laboratoire, le départ du laboratoire pour aller créer une entreprise devenant finalement le seul moyen de « réussir » et, en quelque sorte, la voie noble. Là encore, une réflexion et des propositions auraient pu être faites concernant la carrière des chercheurs.

Les chercheurs qui ont franchi le pas réagissent, pour leur part, comme de véritables hommes d'entreprise déjà totalement impliqués dans le monde économique. Leur apprentissage « sur le terrain » des réalités du monde économique a parfois été difficile et ils ont souvent insisté, en s'adressant à moi, sur l'absence de préparation des chercheurs à ce nouvel environnement. Dès lors, il apparaît indispensable d'inclure dans la formation des étudiants des filières recherche un enseignement optionnel qui les préparerait au monde de l'entreprise et les formerait à devenir de futurs chercheurs-entrepreneurs.

M. Pierre Cohen.

Cela existe !

M. Jean-François Mattei.

Une telle formation devrait pouvoir être intégrée dans les structures actuelles d'enseignement.

Pour conclure, monsieur le ministre, je dirai qu'avec ce texte, nous allons voir comment deux mondes, jusqu'ici distincts et avec peu de relations, vont pouvoir échanger et se rencontrer. La principale difficulté réside aujourd'hui dans le fossé qui existe entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise. Une véritable révolution culturelle est nécessaire à cet égard. Les inquiétudes exprimées par certains chercheurs illustrent bien ce fossé.

Il faut insuffler l'esprit d'entreprise dans le monde de la recherche mais il faut garantir au monde de la recherche que, pour autant, il ne perdra pas son âme. La recherche et l'innovation sont une nécessité pour tout pays qui souhaite préparer son avenir et assurer sa place dans le monde. Il s'agit donc là d'un enjeu capital.

Sous les quelques réserves que j'ai pu émettre et dans l'attente de vos réponses, le groupe Démocratie libérale et Indépendants, au nom duquel je m'exprime, soutiendra ce projet de loi.

M. Germain Gengenwin et M. Michel Destot.

Très bien !

M. le président.

La parole est à Mme Cécile Helle.

Mme Cécile Helle.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les problèmes posés de façon récurrente à la recherche française figure, comme l'ont déjà souligné nombre d'orateurs avant moi, l'insuffisance des transferts et de la valorisation des recherches vers le secteur productif.

Pour répondre à ce problème largement connu, et exposé dans de multiples rapports, le projet de loi sur l'innovation et la recherche adopté par le Sénat est aujourd'hui soumis à la discussion et à l'approbation de notre assemblée.


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Avant d'aborder plus précisément les principaux objectifs auxquels ce texte cherche à répondre, je souhaiterais insister, dans un premier temps, monsieur le ministre, sur le contexte général dans lequel il s'inscrit.

Ce projet de loi se veut tout d'abord une approche globale des problèmes qui se posent aujourd'hui dans notre pays dans le domaine de l'innovation.

Il se veut aussi série de propositions concrètes face aux difficultés rencontrées, depuis maintenant plus d'une décennie, par la communauté scientifique, pour satisfaire aux missions de valorisation de la recherche publique, telles que définies par la loi du 15 juillet 1982 dite

« d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique en France » et par la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur.

Il se veut enfin un dispositif efficace pour exploiter pleinement les potentiels d'emplois, de richesses et de croissance que symbolise la recherche scientifique et technologique.

Approche globale, solutions concrètes, dispositif efficace : multiples facettes, donc, pour ce texte de loi qui en souligne toute l'importante et toute l'ambition dans un contexte d'urgence et de doute, pressenti dès 1997 par François d'Aubert, alors secrétaire d'Etat à la recherche, confirmé par les conclusions du rapport Guillaume, démontré enfin par vous-même et le Premier ministre, lors des assises de l'innovation de mai 1998.

Contexte de doute, d'abord, caractérisant l'état d'esprit d'une communauté scientifique qui cherche, à l'aube du

XXIe siècle, et face à une économie mondialisée, à redéfinir sa place dans le société française, à repenser ses missions, à réinventer aussi ses modes de fonctionnement.

Contexte d'urgence, surtout, pour remédier au paradoxe français d'une recherche publique de qualité, mais peu initiatrice de transferts technologiques vers le monde industriel ; pour diversifier- et Jean-Yves Le Déaut y a insisté - les débouchés professionnels des nombreux jeunes docteurs qui arrivent chaque année sur le marché du travail, en faisant en sorte que ces nouveaux débouchés ne soient pas synonymes de précarité et d'échec annoncé ; pour doper, enfin, notre économie et notre population active, notamment dans les secteurs de pointe comme les biotechnologies ou les technologies de l'information, par une réelle valorisation des travaux de lar echerche publique et par l'invention de nouveaux métiers.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été cités par notre rapporteur Jean-Paul Bret et qui ont démonté la situation alarmante qu'a créé cette faiblesse des transferts de technologie dans notre pays.

Contexte de doute et d'urgence, mais surtout contexte d'attentes qui ont guidé la politique que vous menez, monsieur le ministre, depuis deux ans, pour placer le monde scientifique et technologique au coeur du développement de notre société mais également, et c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, au coeur du développement de notre économie. Ce double objectif donné à votre projet politique pour la recherche publique vous a amené à concevoir des réponses multiples pour répondre à ces défis.

Vous proposez les réponses financières, d'abord, dans le cadre des projets de loi de finances de 1998 et 1999. Je ne citerai que les exemples du concours national pour la création d'entreprises innovantes doté de 100 millions de francs et de l'appel à projet de 200 millions de francs pour le financement d'incubateurs.

R éponses parlementaires avec la nomination, en février 1999, de deux députés en mission, Jean-Yves Le Déaut et Pierre Cohen, qui ont été chargés plus particulièrement d'engager une réflexion de fond sur la place de la recherche en France. La mobilité des chercheurs et les transferts technologiques constitueront, à n'en pas douter, deux points importants du rapport qu'ils vous remettront avant l'été.

La réponse législative consiste enfin, en ce projet de loi sur l'innovation et la recherche qui vise à couvrir dans leur globalité les domaines statutaires et institutionnels liés à la diffusion des résultats de la recherche publique vers les entreprises privées.

J'en viens précisément à l'examen des principales mesures réformatrices introduites par ce projet de loi, pour asseoir une réelle politique de valorisation de la recherche et de promotion de l'innovation.

Le premier objectif est le développement des relations entre les personnels de la recherche et les entreprises.

Il s'agit avant tout de lever les nombreux obstacles statutaires qui freinent véritablement le concours scientifique des chercheurs et des enseignants-chercheurs au monde de l'entreprise. Ces obstacles statutaires ont, par ailleurs, favorisé le développement de situations de quasi-nondroit, les « bricolages » auxquels faisaient référence tout à l'heure Jean-Yves Le Déaut, synonymes bien souvent de précarité pour les rares téméraires se lançant dans l'aventure des transferts de technologies.

Face à cet état de fait, les moyens proposés par le présent projet de loi relèvent tout à la fois d'aménagements statutaires et de dispositions réglementaires et doivent permettre, à court terme, aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs de créer plus facilement des entreprises et de multiplier les contacts avec elles.

Le deuxième objectif est le développement des collaborations entre la recherche publique et les entreprises.

Même si des structures de coopération entre, d'une part, les EPST et les universités et, d'autre part, les entreprises étaient intégrées dans les lois de 1982 et 1984, la lourdeur de leur gestion et certaines lacunes ont suscité depuis lors de nombreuses critiques.

Le projet de loi vise donc à introduire de multiples mesures pour faciliter l'interpénétration de la recherche publique et des entreprises : allégement des formalités administratives des structures de collaboration, aide à la création d'entreprises au moyen d'incubateurs et introduction d'une certaine souplesse dans la gestion de contrats avec les entreprises et dans la gestion des activités de valorisation au sein des universités.

Le troisième objectif est la mise en place d'une disposition fiscale favorable aux entreprises innovantes. Introduite à l'article 3 de la présente loi, elle vise à abaisser le seuil de détention du capital d'une entreprise par des personnes physiques pour l'autoriser à émettre des BSPCE en cherchant, en fait, à capitaliser l'investissement personnel des chercheurs, ce qui répond au souci très tôt annoncé par le Gouvernement de placer au coeur de ses préoccupations l'entreprise innovante et les transferts de technologies.

On a donc choisi d'améliorer un cadre fiscal, initialement introduit dans la loi de finances de 1998 et qui cherche à répondre aux spécificités des entreprises créées par les chercheurs, sans pour autant accepter l'ensemble des dispositions fiscales dites de stock-options introduites par les sénateurs. Et ce pour des raisons de cohérence, puisque de telles dispositions concernent l'ensemble des entreprises - Jean-Paul Bret l'a déjà souligné - mais aussi


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pour des raisons plus politiques, puisque ces dispositions relèvent, dans leur forme actuelle, d'une logique contraire aux soucis de progrès social et de justice fiscale qui animent ce gouvernement et qui se retrouvent dans cette loi.

Le quatrième objectif est de créer un cadre juridique adapté pour la création d'entreprises innovantes. Il s'agit là d'une proposition initiée par notre rapporteur, JeanPaul Bret, et reprise par plusieurs parlementaires, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre.

En proposant d'ouvrir le régime de la société par action simplifiée aux entreprises innovantes, les députés ont souhaité adapté le cadre offert par le droit des sociétés aux spécificités des entreprises innovantes, en diminuant un peu plus encore les entraves à la création de ce type d'entreprise et à leur épanouissement.

La mise en place de ces dispositions statutaires, réglementaires, fiscales et juridiques est destinée à répondre globalement et de manière cohérente aux objectifs de soutien à l'innovation et d'intensification des nécessaires articulations entre, d'une part, les découvertes et connais-s ances scientifiques et, d'autre part, les activités industrielles.

Des garanties et des moyens d'évaluation ont également été prévus pour éviter les dérives d'une collaboration à sens unique entre organismes de recherche et entreprises.

Ce texte de loi a bien pour but d'instaurer une vérit able « bidirectionnalité » des échanges entre monde scientifique et monde économique, pour que le premier innerve de ses qualités le second et pour que le second enrichisse en retour le premier. Par cet objectif, ce texte concourt donc bien réellement à une reconnaissance de la recherche publique française, des hommes qui l'animent et des travaux qui en découlent.

Au vu de ces multiples atouts, on comprend mieux pourquoi ce texte suscite de nombreux espoirs au sein de la communauté scientifique, pourquoi il recueille aussi un large consensus ! Mais il annonce également un certain nombre de mutations. Il est une première étape vers une réforme en profondeur du monde scientifique visant à soutenir le secteur de la recherche publique tout en le conduisant vers de nécessaires évolutions.

Il s'agira, dans les années à venir, d'inventer des formes de reconnaissance et de valorisation de l'expérience acquise, pour celles et ceux des enseignants-chercheurs et des chercheurs qui se lanceront dans la création d'entreprise. Cette reconnaissance apparaît, en effet, comme seule garante d'une réelle réussite de la mobilité de ces personnels scientifiques vers le monde de l'entreprise. Il s'agira aussi de sensibiliser les acteurs de la recherche publique au monde de l'entreprise et à ses règles de fonctionnement. Il s'agira, surtout, d'améliorer l'efficacité du système de la recherche publique, d'accroître les échanges internes comme externes, de réaffirmer, enfin, la place qui doit être la sienne au coeur de notre projet sociétal.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, au nom duquel je parle, votera votre projet de loi, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Michel Dubernard.

M. Jean-Michel Dubernard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la recherche publique française, dont nous nous plaisons tous à reconnaître la qualité et à souligner les progrès - sous réserve des nuances apportées par Jean-Yves Le Déaut -, souffre encore aujourd'hui de trois maux.

Le principal reste celui de son organisation et de ses structures. Vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui l'avez souligné en filigrane dans un article récent paru dans un grand journal du matin. C'est le problème central.

En amont, des efforts doivent porter sur notre système éducatif, dont les méthodes pédagogiques de base laissent trop peu de place à la créativité individuelle. C'est pourtant d'elle que naît l'esprit d'innovation, d'où l'importance d'une nouvelle culture à l'université, au lycée, au collège et en primaire, voire en maternelle, même si c'est peut-être l'endroit où elle est le mieux prise en compte.

En aval se pose la question des transferts de technologie, à laquelle s'adresse le projet de loi. Mais vous n'abordez finalement que l'aspect statutaire, celui de la compatibilité ou de l'incompatibilité entre le statut de chercheur et la création d'entreprises.

La création d'entreprises nouvelles, qui redynamise le tissu économique et en exprime le dynamisme, est ralentie par des freins imputables tant à une culture d'innovation et de transferts encore timide qu'à un environnement institutionnel peu favorable.

Depuis dix ans, le nombre de créations d'entreprises innovantes a régulièrement diminué, en dépit de notre potentiel scientifique et technologique. Et malgré le frémissement que vous avez évoqué dans votre exposé introductif, monsieur le ministre, notre retard est patent dans des domaines d'avenir comme les technologies de l'information et les biotechnologies.

Cette situation nous pénalise par rapport à d'autres pays - Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Japon, Suède -, qui savent bien mieux que nous tirer parti de leur potentiel scientifique. Nos chercheurs font des découvertes et ce sont souvent les autres qui les exploitent, au bénéfice de leur développement économique et de leur emploi.

Depuis 1981, l'économie américaine a perdu 43 millions d'emplois mais elle en a créé 73 millions, contre seulement 43 millions en Europe, pour une population quasi équivalente. Et 80 % des 7,7 millions d'emplois créés aux

Etats-Unis entre 1991 et 1995 l'ont été par des entreprises innovantes.

Ce même diagnostic avait été établi en France par François Fillon, puis par François d'Aubert, dont le projet de loi avait été examiné au printemps 1997 par le Conseil d'Etat et le Conseil supérieur de la fonction publique. Si l'on peut se réjouir de constater que votre projet de loi s'en inspire largement, comme plusieurs orateurs l'ont fait, comment ne pas déplorer que deux années aient été perdues, dans un domaine où le temps est un facteur décisif ? Les mesures que vous proposez, visant à lever les verrous statutaires ou institutionnels, sont satisfaisantes : mise en place d'un cadre juridique permettant aux personnels de la recherche de créer une entreprise valorisant leurs travaux ; possibilité offerte aux chercheurs d'apporter leur concours scientifique à ce type de sociétés ou encore de devenir membres du conseil d'administration d'une société anonyme ; possibilité donnée aux établissements d'enseignement supérieur de créer en leur sein un service d'activités industrielles et commerciales et des incubateurs ; enfin, et il me semble que cela n'a pas été assezs ouligné aujourd'hui, participation des établissements


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d'enseignement du second degré au processus de valorisation de la recherche - il y a là une source rès riche d'innovation et de changement culturel.

Toutefois, si ces dispositions sont positives, transformeront-elles vraiment la situation si elles ne s'inscrivent pas dans une réforme de plus grande ampleur ? Dans un rapport sur les transferts de technologie qui m'avait été commandé par Edouard Balladur, en décembre 1994, je montrais, en m'appuyant sur des comparaisons internationales, que le financement était le facteur clé du développement de ces transferts, à côté, bien sûr, des modifications statutaires. Sans financement solide, les mesures que vous nous proposez ne seront pas efficaces.

M. Germain Gengenwin.

C'est certain !

M. Jean-Michel Dubernard.

Sans volet fiscal, j'oserai dire qu'il s'agira d'une voiture rutilante, mais privée de carburant, ou encore d'une réforme en trompe-l'oeil, pour reprendre un terme cher à mon ami Mattei. Je souris d'ailleurs au passage du rapport de M. Bret, qui qualifie la réforme de « symbole fort de la politique gouvernementale ».

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Mais c'est la vérité !

M. Jean-Michel Dubernard.

Mon cher collègue, c'est ce même gouvernement qui avait annoncé, à l'occasion du dernier débat budgétaire, son intention d'insérer une réforme des plans d'options sur actions dans le présent projet de loi. Au dernier moment, il a dû y renoncer, en raison de l'hostilité de principe, pour ne pas dire idéologique, de certaines composantes de sa majorité.

Je ne vous cacherai pas, monsieur le ministre, que je ne suis pas convaincu par l'argument juridique du Conseil d'Etat, qui estime trop éloignées du projet de loi les dispositions relatives aux stock options. En effet, après tout, l'article 3 du présent projet de loi, qui assouplit la souscription de bons de parts de créateurs d'entreprises, est aussi de nature fiscale.

La commission des finances du Sénat et son rapporteur, René Trégouët, avaient réintroduit un volet complet relatif aux stock options afin d'améliorer l'ensemble de la chaîne du financement des entreprises innovantes.

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

C'est du libéralisme débridé.

M. Jean-Michel Dubernard.

C'est là, je crois, la clé qui permettra de créer de telles entreprises en plus grand nombre.

Nous espérions que ces aspects seraient pris en compte pour que la France dispose des entreprises et de la croissance qu'elle mérite. Hélas, cela n'a pas été le cas, M. Bret allant jusqu'à les qualifier, et il l'a répété aujourd'hui, de

« paquet-cadeau fiscal », de « mesures injustes » d'« initiatives malheureuses, inopportunes », et j'en passe.

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Je le confirme.

M. Pierre Cohen.

Le rapporteur a raison.

M. Jean-Michel Dubernard.

En dehors des FCPI, tout le volet fiscal a donc été supprimé. Nous n'avons aucune garantie sur la date à laquelle ce projet pourrait être adopté en Conseil des ministres, son examen devant être renvoyé, « le cas échéant », à la commission des finances - je vous cite encore, monsieur Bret, mais comme vous avez été très aimable en commission, je ne me permettrai pas d'être impoli.

Dans ces conditions, le groupe RPR ne peut pas voter le projet de loi dans son état actuel. (M. Germain Gengenwin applaudit.)

M. Michel Destot.

Ce n'est guère convaincant !

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

M. Mattei a été meilleur.

M. le président.

La parole est à M. Patrick Leroy.

M. Patrick Leroy.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'innovation scientifique et technique et le transfert technologique sont pour nous, députés communistes, de grandes questions actuelles et d'avenir impliquant des enjeux importants et nombre d'interrogations.

Si tout le monde reconnaît qu'il y a un réel problème de recherche industrielle et de politique d'innovation en France, les causes et les remèdes avancés par les uns et les autres divergent selon les sensibilités politiques et la conception que l'on a du service public de la recherche.

Personne ne nie la qualité de la recherche scientifique française, mais certaines carences du système de transfert des connaissances font que des brevets et des découvertes français sont finalement exploités à l'étranger et que de jeunes docteurs n'ont comme alternative que l'emploi précaire, le chômage ou l'expatriation.

Il faut néanmoins nuancer ce jugement.

Nul ne peut ignorer l'importance des contrats passés entre les organismes de recherche publique et l'industrie, dans les filières chimique, biologique et des sciences pour ingénieurs. Ainsi, 70 % des financements de nombreux laboratoires publics proviennent des contrats avec l'industrie.

Les performances de notre pays en matière d'industrie aéronautique, énergétique, nucléaire, de télécommunications et de technologie ferroviaire sont indéniables.

Par contre, certaines mesures aggravent les faiblesses de notre système de recherche ou sont même à l'origine de certaines de ses difficultés.

Ainsi, le développement de la précarité de l'emploi dans les organismes de recherche et les établissements de l'enseignement supérieur est, à notre sens, un obstacle majeur à la mobilité ; 20 % des personnels du CNRS sont en situation précaire, alors que près de 10 000 docteurs sont dans une condition identique ou au chômage.

Les mesures prises concernant les établissements publics à caractère industriel et commercial, les EPIC, consistent à opérer des restructurations et à remplacer le financement des thèses par des subventions aux post-doctorants.

Cela ne va pas dans le bons sens.

Actuellement, les personnels de l'enseignement supérieur ont été largement recrutés parmi les professeurs agrégés du second degré, qui ont une charge de travail double de leurs collègues du supérieur, ou parmi les personnels précaires.

Tout au long des travaux parlementaires, nous avons donc eu le souci de contribuer à créer une dynamique de l'innovation, dans un esprit de coopération réciproque entre les secteurs public et privé, d'incitation à l'inventivité et à la création d'emplois, tout en préservant l'autonomie et le bon fonctionnement des organismes de recherche publique.

En effet, rien ne serait plus néfaste pour la France que de démanteler ce qui marche bien en matière de recherche et qui repose pour l'essentiel - c'est une des originalités de notre système - sur les organismes publics de recherche. Ce serait raisonner à courte vue et obérer l'avenir que de sacrifier la recherche fondamentale au profit d'une recherche appliquée à rentabilité immédiate ;


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nul n'ignore que les découvertes ne se programment pas et que les retombées de la recherche fondamentale sont imprévisibles. Les conséquences seraient incalculables.

Nous avons donc analysé le sens des réformes à opérer sans esprit partisan de statu quo, avec pragmatisme, animés par la préoccupation constante d'aboutir à un texte novateur, efficace, équilibré, démocratique. Les amendements que nous avons déposés vont tous dans ce sens.

Nous avons ainsi proposé la création d'une agence nationale de l'innovation et de la recherche, regroupant toutes les parties concernées - Etat, entreprises, communauté scientifique et universitaire -, dont les intérêts ne sont pas identiques. Son rôle d'arbitre éviterait que l'effort de recherche ne repose uniquement sur le secteur public et son rôle d'observatoire permettrait de détecter les évolutions positives ou négatives des transferts de technologie.

Ces missions pourraient certes incomber à l'Agence nationale pour la valorisation de la recherche, mais à la stricte condition que ses compétences soient élargies et que ses moyens financiers soient accrus.

Dans le même sens, nous avons souhaité que la mise à disposition des moyens de fonctionnement entre les secteurs public et privé soit réciproque, dans le cadre d'une coopération mutuellement avantageuse.

Nous pensons que par l'insuffisance de leurs efforts, voire leur désengagement en matière de recherche, les entreprises privées françaises portent une lourde responsabilité dans le retard pris par notre pays, malgré des mesures incitatives comme le crédit d'impôt recherche.

C'est bien la preuve que ce dispositif, qui brille par son opacité, est inefficace en l'état.

L'article 5 bis, introduit par le Sénat grâce à un amendement du groupe communiste, module le crédit d'impôt recherche en fonction de son impact sur l'emploi des jeunes scientifiques.

Cette avancée, quoique appréciable, ne gomme pas tous les défauts et dérives du système, notamment les manques en matière d'évaluation et de contrôle de ses retombées. Son remplacement, lors de la loi de finances, par un impôt recherche libératoire, dont seraient exonérées les entreprises justifiant de véritables investissements dans la recherche et d'embauches de personnels scientifiques, serait hautement souhaitable.

D'autres de nos amendements visent à garantir le respect des obligations statutaires et les orientations scientifiques, pour rééquilibrer la coopération entre les secteurs public et privé et éviter que les nouvelles activités ne portent atteinte au fonctionnement normal du service public, à ses programmes de recherche et aux directives scientifiques en cours.

Plusieurs de nos amendements proposent aussi que les décisions importantes, comme les conclusions des conventions, soient soumises à l'avis conforme du conseil d'administration des établissements publics. Instance pluraliste et démocratique, dont font partie des représentants d'organisations syndicales, le conseil d'administration doit en effet avoir son mot à dire sur des questions aussi essentielles.

Nous ne pouvons concevoir la définition des missions et des objectifs des activités de recherche sans l'accord de ceux qui les mènent, à savoir les personnels des services publics.

Enfin, plusieurs de nos amendements présentés en commission tendaient à la suppression des dispositions introduites par le Sénat concernant les stock options, que n ous jugeons inacceptables et qui, à notre avis, détournent le texte de sa vocation, à savoir l'innovation.

Nous souhaitons également que le Gouvernement présente au Parlement un rapport triennal sur l'application de la présente loi, auquel serait joint un avis du Conseil national de l'enseignement supérieur, organisme composé de membres démocratiquement élus.

Evitons une politique scientifique asservie aux pratiques aveugles et aux fluctuations erratiques des marchés, engagés dans la course à l'accumulation financière et dans la spéculation à court terme, dans le cadre de la mondialisation.

Faisons en sorte que le développement important de l'innovation se traduise par des avancées scientifiques et techniques, l'épanouissement des individus, l'accroissement des investissements dans la production, et donc par la création d'emplois dans la recherche et l'industrie.

Faisons de l'homme, du citoyen, le but et la finalité d'une recherche réellement orientée vers le progrès social et économique.

M. le président.

La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'est pas très fréquent qu'un texte sur la recherche vienne en discussion devant notre assemblée. Le poids des légistes explique sans doute ce phénomène rare, puisque ce texte était en incubation sous plusieurs gouvernements précédents.

(Sourires).

Le scientifique que je demeure toujours se réjouit de la discussion de ce jour.

Il aura fallu qu'à l'instar de plusieurs autres rapports, le rapport Guillaume conclue : « Notre pays dispose d'un potentiel scientifique et technologique de premier plan, mais le couplage de ces découvertes et de ces connaissances avec les activités industrielles s'effectue moins facilement qu'aux Etats-Unis ou au Japon. »

Pourtant, si l'on considère le rapport entre les dépenses de R&D et le PIB dans les pays de l'OCDE, la France est bien placée, puisqu'avec environ 2,4 %, elle arrive assez près des USA, 2,6 % et devant la République fédérale d'Allemagne, 2,3 %, le Royaume-Uni, 2,2 % et les Pays-Bas, 1,9 %.

De même, le nombre de publications scientifiques de chercheurs français est en augmentation, sa part dans le monde passant de 4,3 % à 5,1 % entre 1983 et 1997.

En outre, des prix Nobel ont été décernés à des Français et j'observe que le CNRS, du point de vue scientifique, réalise de bonnes performances, comme l'a récemment montré une étude indépendante.

Pourtant, le retard français et européen est inquiétant.

Comme le rappelle M. Guillaume, « depuis dix ans, le nombre de créations d'entreprises a régulièrement diminué, alors que le potentiel scientifique devrait conduire au développement d'activités innovantes ».

Si, en 1991, cinq groupes européens se classaient encore parmi les vingt-cinq premières entreprises mondiales de haute technologie, en 1997, il n'en restait qu'une, Siemens. Et comment expliquer encore que, de 1973 à 1997, le nombre d'emplois ait augmenté d'un million en France, contre 43 millions aux Etats-Unis ? Or, dans un contexte de mondialisation croissante des marchés, le développement de la recherche est vital pour commercialiser de nouveaux produits ou améliorer les


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produits existants. Contrairement à une idée reçue, l'innovation peut être le moteur du développement économique.

Un exemple : dans ma propre circonscription, alors que M. Tapie, ministre en exercice d'un gouvernement socialiste, licenciait quelques centaines de personnes chez Terraillon pour délocaliser en Asie, un de ses concurrents créait 200 emplois pour mettre sur le marché un pèsepersonne équipé d'un circuit imprimé.

Tout le monde connaît la Silicon Valley, créée autour de l'université de Berkeley, qui a donné naissance aux plus grands succès industriels de ces dernières années.

Chacun observe le fossé culturel qui nous sépare des

Etats-Unis, où l'esprit d'entreprise est toujours aussi vivace que celui des pionniers. Chez nous, la recherche est pure : elle ne vise qu'à accroître les connaissances.

La fonctionnarisation, en 1982, a rigidifié le système et installé des barrières statutaires auxquelles, dix-sept ans plus tard, ce texte tente de remédier. Il est vrai que c'était l'époque des utopies, des nationalisations, de la foi aveugle dans le volontarisme législatif et réglementaire forcené qui faisait inscrire le taux de croissance dans la loi sur le Plan, ou la part respective de croissance de la R&D dans les laboratoires, les entreprises publiques et même les entreprises privées !

M. Germain Gengenwin.

Très bien !

M. Claude Birraux.

Mais vous n'étiez pas encore là, monsieur Bret...

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

J'étais déjà de ce monde !

M. Claude Birraux.

Beaucoup citeront des exemples venant des Etats-Unis dont nous devrions nous inspirer.

Plus proche de nous, je vous citerai celui de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve, créée en 1968.

Les services d'activités industrielles et commerciales que vous créez aujourd'hui pour les universités, l'Université catholique de Louvain les a institués dès 1979, pour servir d'interface entre l'université et le monde extérieur.

Cette structure a pour tâche, entre autres, d'améliorer la collaboration avec les entreprises, de trouver des sociétés désireuses d'employer les technologies mises au point à l'université, de déposer des brevets au nom de l'université lorsqu'elle est propriétaire unique des résultats de ses recherches, de participer au financement de nouvelles sociétés, de procéder à de brèves études de marchés, de promouvoir les trois parcs scientifiques et les deux incubateurs de l'Université catholique.

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis.

Des incubateurs en Belgique ? (Sourires.)

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Vive la Belgique !

M. Claude Birraux.

L'Université catholique de Louvain a réglé le problème de la répartition des redevances sur les brevets : cela motive le personnel et profite à ceux qui ne peuvent exploiter industriellement les résultats de leurs travaux. Elle a réglé d'une manière claire et pratique sa collaboration avec les entreprises, de même que sa participation à la création d'entreprises. Il faut noter que le personnel universitaire permanent peut disposer, à titre individuel, de deux demi-journées par semaine pour mener des activités de conseil. Le parc scientifique de Louvainl a-Neuve regroupe aujourd'hui 75 entreprises et 3 200 emplois.

Un exemple de création d'entreprise réussie est sans doute l'Application de Faisceaux Ioniques. Un brevet a été déposé en 1985, quelques jours avant la présentation de l'invention à un congrès scientifique. La société AFI a été lancée avec 25 millions de francs belges. Son capital se monte aujourd'hui à 200 millions, elle emploie 160 personnes et a fortement intéressé son personnel au capital. Au total, elle a rapporté 20 millions d'euros à la seule Université de Louvain.

Le succès d'une telle entreprise réside dans une démarche pragmatique : trouver des solutions originales, motivantes pour tous les acteurs de la recherche. Il tient surtout à l'approche globale qui a su desserrer tous les freins au transfert de technologie et lever tous les verrous.

Je citerai un dernier chiffre pour illustrer ce dynamisme.

Une grande campagne publicitaire a été lancée par le Gouvernement sur un concours d'entreprises innovantes doté de 200 millions et de 100 millions de fonds d'amorçage. Or 100 millions, c'est la somme que consacre chaque année l'Université de Louvain pour créer et soutenir des entreprises innovantes !

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Encore !

M. Claude Birraux.

En dépit de la nécessité de cette c ampagne, cela la ramène à des proportions plus modestes.

Si les dispositions fixant le cadre dans lequel les chercheurs pourront valoriser le résultat de leur recherche me paraissent positives, certaines me semblent encore aller dans le sens du blocage.

L'activité de conseil devrait pouvoir, dans un cadre réglementaire et sous l'autorité des EPST ou des universités, mieux se développer.

On peut regretter que le projet n'évoque pas la question de la propriété intellectuelle et des brevets. Or c'est un élément stratégique. En effet, le coût du dépôt et du maintien d'un brevet est six fois plus élevé en Europe qu'aux Etats-Unis, où le nombre des brevets rapporté à celui des publications scientifiques est quatre fois plus important qu'en France.

D'autre part, l'office européen des brevets organise une coordination très avancée des brevets valables dans tous les Etats de l'Union, mais ne délivre pas de brevets européens. Voilà une tâche urgente pour le prochain commissaire à la recherche, si les gouvernements nationaux veulent bien soutenir cette proposition.

Le second volet est le volet fiscal.

Je regrette que ce volet prévoyant une réforme de la fiscalité des stock-options ait été retiré du texte originel, à la suite des pressions exercées par le parti communiste.

Le Sénat a introduit des dispositifs intéressants dans le d omaine fiscal, mais, malheureusement, la majorité entend revenir sur ceux-ci.

Si la recherche relève des scientifiques, l'innovation vient des entrepreneurs. Si ce texte de loi permet aux chercheurs de mieux articuler leurs travaux avec le monde de l'entreprise, il ne contribue pas à améliorer réellement l'environnement fiscal des entreprises et ne facilite pas leur développement. En revanche, les mesures proposées par le Sénat sont positives, dans la mesure où elles vont plus loin dans l'incitation fiscale afin que le financement des entreprises innovantes ne reste pas un des obstacles majeurs à la création d'entreprises de haute technologie, sources de croissance et d'emplois.

Je crains qu'il n'y ait un blocage culturel du côté du Gouvernement et de certains membres de sa majorité.


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A quoi bon lever des verrous statutaires ou réglementaires qui entravent l'action des chercheurs, si ces derniers doivent trouver en face d'eux des obstacles fiscaux qui les découragent d'entreprendre, de créer leur entreprise ou de participer à sa création ? Quel peut être l'effet d'une série de mesures favorables, s'il manque un chaînon, celui de la fiscalité favorable à l'amorçage ? Ne pas y remédier, c'est avoir une vue restrictive, partiale et dépassée des entreprises, et des entreprises innovantes en particulier.

Comme l'analyse une association qui s'occupe de ces questions, les premiers capitaux - le capital d'amorçage sont apportés par la famille et les amis, mais aussi par des investisseurs privés - on les appelle les Business angels, c'est-à-dire les anges des affaires en français. Le capital d'amorçage est ce qui fait le plus défaut en France, en raison du manque de culture d'actionnariat et de la faiblesse du nombre d'entrepreneurs ayant réussi.

En raison d'un blocage culturel, le Gouvernement continue de penser que seul doit être favorisé un fonds d'amorçage dans lequel l'Etat joue un rôle prépondérant.

Or les seules solutions réllement efficaces et pérennes ne passent-elles pas par de nouveaux dispositifs fiscaux favorisant l'amorçage dans notre pays ? La fiscalité des revenus et du patrimoine peut jouer un rôle majeur en cette matière. Il ne faut pas faire n'importe quoi, mais faire en sorte que l'impôt sur le revenu et en particulier l'ISF n'apparaissent plus comme des outils passifs et confiscatoires, mais comme des instruments dynamiques et créateurs de richesses. N'y a-t-il pas là un enjeu majeur pour l'économie française ? Faut-il prendre le risque, en continuant de faire une fixation sur l'argent qui dort, de voir les investisseurs le « réveiller » et aller l'investir dans d'autres pays, soutenant la création d'emplois et de richesses ailleurs que chez nous ? Là aussi, la concurrence joue son rôle, et nous devons compter avec l'environnement « entrepreneurial » développé par les autres pays de l'Union européenne.

La Commission européenne elle-même lance des initiatives pour mobiliser le capital risque, en coopération avec l a Banque européenne d'investissement : programme I.Tec de la DG 13 relatif à la valorisation de la recherche, programme CREA de la DG 23 concernant la politique d'entreprise, programme ETF du Fonds européen d'investissement. Resterons-nous à l'écart ou en retard, en raison de législations inadaptées ? Cadre inadapté est le qualificatif qui s'applique aux bons de souscription pour la création d'entreprises. En effet, ce dispositif, nécessaire à la création et au développement d'entreprises innovantes, a été presque pas employé en raison de critères d'utilisation trop restrictifs.

Voilà le type de mesure qui fait saliver l'administration des finances : « Monsieur le ministre, il faut être prudent, ne pas être laxiste, bien cibler »... et voilà une ligne budgétaire inutilisée qui lui permet de dire ensuite : « Vous voyez bien que cela ne servait à rien ! » Pourquoi vous obstiner, monsieur le ministre, à ne faire qu'un régime provisoire, alors que la création d'entreprises a besoin d'un cadre fiscal stable ? Pourquoi exclure du dispositif les entreprises cotées au nouveau marché ? Je me réjouis que la commission ait adopté un amendement qui leur permet d'y avoir droit car les entreprises innovantes ont besoin de temps pour trouver leur rythme de croisière. La création d'une entreprise innovante mobilisant tellement le temps de ses créateurs, la loi sur les 35 heures ne devrait pas être appliquée à ce type d'entreprise dans la phase de démarrage. En revanche, je me réjouis que la commission ait adopté notre amendement sur les sociétés par actions simplifiées pour l'innovation.

Toutefois, je m'interroge sur l'architecture globale du texte, tel qu'il résulte du vote en commission. En effet, il s'agit d'un texte qui a subi une lente maturation depuis Jean-Pierre Chevènement, François Fillon, Mme Dufourq, François d'Aubert et vous-même, monsieur le ministre, et à propos duquel nous avons un préjugé favorable.

Toutefois, alors que le Sénat en avait fait un texte complet, il est proposé de renvoyer le volet fiscal à la loi de finances pour 2000 - sans engagements fermes sur les orientations souhaitées - , ce qui ne manquerait pas de donner à ce tete un goût d'inachevé. Et ne nous racontez pas, monsieur le ministre, que ces dispositions fiscales n'ont rien à faire dans ce texte. Vous savez parfaitement qu'elles étaient incluses dans l'avant-projet et que vous les avez retirées non pour des raisons de cohérence mais simplement pour ne pas déplaire à la fraction communiste de la majorité plurielle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Nous sommes prêts à donner à ce texte toute sa saveur, car c'est l'économie, l'emploi et l'avenir de notre pays qui sont en jeu.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant dix-sept ans, à la suite des assises de la recherche et de l'innovation, débat national sans précédent entre la communauté de la recherche, l'ensemble des partenaires industriels, les enseignants du supérieur, les élus et les citoyens, la recherche et l'innovation ont été au coeur des préoccupations et ont fini par s'imposer comme des priorités politiques au début des années 80. Ainsi, une loi sur la recherche a été votée en 1982 et de nombreuses avancées significatives ont été mises en oeuvre.

Même si le rapport Guillaume émet un certain nombre de critiques, que je partage en partie, je voudrais apporter ici le témoignage que, contrairement à ce qu'a prétendu M. Mattei, une véritable révolution culturelle s'est opérée dans la recherche publique, et en particulier, en ce qui concerne son rôle en matière de transfert technologique.

Avant d'évoquer plus précisément le projet de loi sur l'innovation et la recherche, je voudrais rappeler la spécificité qui fait notre force et notre fierté dans le monde, je veux parler de la recherche et plus particulièrement de la recherche fondamentale publique. Nous avons su nous doter d'outils et de moyens qui font que notre pays contribue très largement, et souvent avec excellence, au développement du savoir, matière indispensable à l'évolution de l'humanité et de la citoyenneté.

Afficher la recherche comme une priorité est, me semble-t-il, la nécessité absolue d'un pays qui se veut progressiste et qui met l'homme au coeur de son projet. Avec l'enseignement, la recherche est certainement un des remparts à l'irrationnel, à l'obscurantisme et aux dérives sectaires.

C'est pourquoi la mission que le Premier ministre a confiée à Jean-Yves Le Déaut et à moi-même me semble opportune et intéressante. Elle devra fournir, d'ici à deux mois, des réponses sur les métiers de la recherche et leurs liens avec l'enseignement supérieur, sur la place des jeunes et leur capacité à s'inscrire très rapidement dans un renouvellement sans précédent au cours des dix prochaines années et, enfin, sur l'organisation de la recherche et sa façon de prendre toute sa place dans notre société.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Une des retombées de la recherche, et non des moindres, est l'innovation, et c'est l'objet de ce projet de loi. Vous avez souhaité, monsieur le ministre, répondre très vite à certaines attentes. Après plusieurs colloques régionaux et un colloque national sur l'innovation, le Gouvernement a fait le choix de présenter un texte qui tend à introduire des modifications sur le plan juridique pour les universités et les organismes de recherche. A une vision plus globale de la recherche et de l'innovation - vision qui aurait permis de mettre de la cohérence et de la lisibilité dans tout ce foisonnement d'acteurs mais qui aurait risqué de nous faire perdre du temps et de l'énergie -, vous avez donc préféré une réponse plus ciblée, et certainement plus rapide et plus efficace. Mais, bien sûr, d'autres chantiers restent ouverts.

Je mettrai plus particulièrement l'accent sur quelques points du texte.

D'abord, ce texte tend à légaliser certaines pratiques assez courantes qui, par le biais d'artifices, d'associations, de situations officieuses, voire ambiguës, tentent de répondre au souci des établissements publics d'être partenaires à part entière d'une dynamique d'ordre privée. Il permettra de développer des prises de participation au capital, de rendre plus mobiles les personnels, de faire en sorte que la suite logique d'une recherche finalisée en développement économique soit créatrice d'emplois. De plus, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, le processus se mettra en oeuvre en toute transparence et avec une véritable lisibilité du partenariat. C'est certainement le meilleur moyen de faire reconnaître à leur juste prix les compétences des universités et des organismes.

Ensuite, ce texte permet la formalisation de l'incubateur dans la chaîne de valorisation. Là aussi, il existe de nombreuses attentes. Je pense que ce concept doit être précis. Même s'il existe déjà, son officialisation permettra d'éviter les dérives classiques du « coucou », c'est-à-dire du système qui consiste à profiter de l'ensemble de l'environnement de la recherche publique, et, par un accompagnement et une compétence bien affichés, de limiter les trop nombreux « morts-nés » qui n'arrivent pas à sortir de nos laboratoires.

Enfin, ce projet permet de prendre davantage en considération des pôles de compétence qui peuvent jouer un rôle dans le développement des bassins d'emploi ou la création de nouvelles filières. Je veux parler des lycées d'enseignement professionnel ou technologique et de leur capacité à travailler en partenariat avec le milieu économique, plus particulièrement avec les PME et les PMI.

Jusqu'à présent, un tel rôle ne leur était pas suffisamment reconnu.

En conclusion, je soulignerai que l'objectif de ce texte est de faire en sorte que notre pays bénéficie d'une recherche privée digne de ce nom. Contrairement à ce que prétendent les tenants du discours libéral, ce n'est pas en affaiblissant la recherche publique que nous obtiendrons ce résultat, mais en la renforçant et en lui donnant les moyens chaque fois qu'elle trouve un débouché dans l'économie. Ce texte y contribuera. Cela dit, il s'agit d'un vaste chantier à développer.

Les entreprises françaises devront comprendre - et c'est peut-être en ce domaine qu'il faudra entreprendre une révolution culturelle - que la recherche doit être intégrée dans leur dynamique et dans leur stratégie à moyen et long terme, en partenariat avec les établissements publics certes, mais aussi et surtout entre elles. En ce domaine, il reste encore beaucoup à faire. Ce texte est un bon début, et c'est pourquoi nous le soutiendrons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lasbordes.

M. Pierre Lasbordes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'impulsion politique remarquablement forte donnée par les gouvernements entre 1955 et 1970, la France a hérité d'un dispositif complexe d'enseignement supérieur et de recherche publique, unique au monde dans son organisation et ses modes de fonctionnement et structuré par de grands organismes nationaux de recherche que sont le CNRS, l'INSERM et le CEA, entre autres.

Ce modèle est devenu de plus en plus inadapté aux défis actuels, à la compétition scientifique et technologique internationale, ainsi qu'à la guerre économique, et il ne contribue plus avec assez d'efficacité à préparer l'avenir. Et ce en dépit de l'énergie, des qualités et des capacités individuelles remarquables de la plupart des femmes et des hommes qui travaillent dans ce secteur - dans des conditions qui ne sont pas toujours idéales et auxquels je voudrais rendre hommage ici.

La loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France de juillet 1982 et la loi sur l'enseignement supérieur de 1984, lois modifiées plusieurs fois depuis lors, n'ont fait que figer un peu plus les pesanteurs de cette structure, en dépit des espoirs que ces lois avaient fait naître.

L'organisation des universités n'est pas, elle non plus, appropriée à l'élaboration de stratégies ambitieuses et à une gestion efficace de moyens désormais considérables, p uisque certaines universités disposent de plus de 2 500 fonctionnaires, d'un budget annuel de près d'un milliard de francs et accueillent plus de 35 000 étudiants.

En fait, le système a changé d'échelle et d'environnement sans que nous réalisions les changements structurels et fonctionnels indispensables.

Notre pays possède plus de 250 établissements publics indépendants qui ont une responsabilité de recherche et reçoivent régulièrement des moyens humains et financiers de l'Etat pour leur permettre de l'assumer.

Si, globalement, on dénombre plus de 47 500 professeurs ou maîtres de conférence dans les universités, qui ont tous une obligation de recherche, et plus de 35 000 chercheurs ou ingénieurs de recherche dans les organismes nationaux, certains de ces établissements, comme le CNRS, comptent plus de 11 000 chercheurs, alors que les plus petits en ont moins de 25.

De plus, l'imbrication des compétences est extrême, la lourdeur de la gestion, notamment en matière de ressources humaines, est fortement pénalisante, pour ne pas dire paralysante pour la recherche dont les traits dominants devraient être réactivité et souplesse.

L'ouverture européenne, la mondialisation des échanges et les évolutions sociales exigent que les problèmes soient traités sans retard, sous peine de voir la France décrocher du peloton des pays à fort investissement scientifique.

Il ne s'agit pas de tout bouleverser, mais d'engager rapidement les évolutions nécessaires dans le cadre d'un plan d'ensemble aux objectifs clairement affichés.

Face à ce constat, le monde politique doit être porteur d'une nouvelle ambition, proposer une vision d'avenir et regagner la confiance d'une population scientifique largement désabusée par des années d'atermoiement. Il faut un diagnostic précis et clair, une méthode, une pédagogie et une volonté, - en particulier d'accroître l'emploi.

Monsieur le ministre, les dispositions de ce projet de loi relatif à l'innovation et à la recherche nous paraissent, pour partie, aller dans le bon sens.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Un diagnostic avait été posé par le gouvernement d'Alain Juppé, sous la responabilité de François d'Aubert, qui avait permis d'identifier les blocages liés au statut des établissements publics de recherche et à celui des chercheurs relevant de la fonction publique, notamment en ce qui concerne leur participation à la création d'entreprises innovantes. Cette constatation avait abouti à l'élaboration d'un projet de loi, examiné par le Conseil d'Etat et par le Conseil supérieur de la fonction publique au printemps 1997.

C'est, pour une très large part, ce même projet qui nous est présenté ce soir, malheureusement deux années plus tard, dans un domaine où le temps est pourtant un facteur décisif.

Nous voyons dans ce texte quelques pistes capitales pour que le développement de notre potentiel d'innovation ne reste pas un voeu pieux.

C'est le cas pour la simplification des conditions de mobilité institutionnelle et fonctionnelle des personnels de recherche dans l'ensemble des établissements publics et entre établissements publics et entreprises. Les résultats actuels montrent, en effet, l'ampleur des progrès à accomplir puisque, en 1997, moins de 30 chercheurs ou universitaires ont utilisé les possibilités de mobilité temporaire en direction des entreprises.

Ce nouveau dispositif est donc essentiel pour placer notre pays dans des conditions comparables à celles des autres grands pays scientifiques dont les chercheurs peuvent, sur des bases contractuelles souples et rapidement conclues, s'associer à la création d'entreprises innovantes. Votre ambition, à laquelle je souscris, monsieur le ministre, n'est pas de briser la carrière des chercheurs, comme certains syndicats ont pu en exprimer la crainte, mais bien de leur donner une autre possibilité : celle de valoriser, de façon concrète, le fruit de leur travail, tout en irriguant notre tissu économique.

Nous avons donc tout intérêt à ce que cette évolution s'opère dans les meilleures conditions possibles. C'est dans cet esprit que je souhaite vous soumettre, par le biais d'un amendement, une disposition visant à permettre au chercheur de poursuivre des activités de recherche pendant sa mission dans l'entreprise - sans lien avec celle-ci, bien sûr - et qui lui permettront de réintégrer son organisme d'origine sans dommages.

On peut considérer que le projet, qui reprend presque mot pour mot celui de 1997, permet de parvenir à une optimisation raisonnable, compte tenu des contraintes inhérentes au cadre statutaire de la fonction publique.

T outefois, il nous appartient également d'explorer d'autres pistes, telles que l'adaptation de la formation doctorale aux besoins de la société et de l'économie, qui représente un formidable enjeu, ou l'amélioration de la répartition entre les moyens financiers destinés à un emploi scientifique et ceux consacrés à l'investissement et au fonctionnement des laboratoires - actuellement, dans certains organismes de recherche, la part du budget consacrée aux rémunérations dépasse 80 %. Permettez-moi, monsieur le ministre, de craindre que le nombre de sujets divers et d'importance variable contenu dans le projet de loi lui fasse perdre, malheureusement, de sa visibilité et de sa force.

En effet, au-delà des enjeux de la valorisation, d'importance majeure, on aborde effectivement les contrats plu-r iannuels d'objectifs des établissements publics de recherche, la participation d'enseignants associés, d'universitaires ou de chercheurs étrangers dans les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs, mais aussi les questions de l'émeritat au bénéfice des enseignantschercheurs admis à faire valoir leurs droits à la retraite, et le régime fiscal des entreprises innovantes - ce dernier point étant cependant à peine évoqué.

On prétend donc libérer la recherche de son carcan au m oyen d'un encadrement législatif et réglementaire complexe, qui semble contredire la nécessité de simplification des relations entre l'Etat et les acteurs de la recherche. Nous craignons par conséquent que votre projet de loi, au-delà du mérite qu'il a de corriger les inadaptations les plus criantes, révèle malheureusement l'absence d'une grande vision de l'organisation nécessaire de notre appareil de recherche, au moment où nous abordons le troisième millénaire.

Nous souhaiterions par ailleurs obtenir des précisions sur la réelle fonctionnalité des dispositions du projet de loi, notamment en raison des nombreux décrets d'application qu'il prévoit : huit en tout. Il nous semble décisif que vous nous indiquiez, au cours du présent débat, l'état d'esprit qui sous-tendra ces décrets.

Nous souhaiterions également obtenir des engagements fermes sur des aspects qui ont été estimés « hors sujet » dans ce texte, mais dont nous ne saurions faire l'économie dans une vraie politique de valorisation des résultats de la recherche. Il s'agit de la propriété intellectuelle et des dispositions fiscales.

Vous le savez, une politique de valorisation des résultats de la recherche repose pour une large part sur l'efficacité des prises de brevets, ainsi que sur leur protection.

Notre pays mais aussi l'Europe souffrent d'un gros handicap par rapport aux Etats-Unis et au Japon. La procédure de dépôt de brevet au niveau européen est trop lourde et trop chère.

Aux Etats-Unis, le dépôt d'un brevet est possible à un coût modéré.

En Europe, rien ne peut être communiqué avant le dépôt de brevet et, pour l'ensemble de l'Union européenne, les coûts sont multipliés par dix, sans parler des problèmes et des coûts induits par la traduction dans la langue de chacun des pays membres.

Après la coopération européenne qui s'impose, il est urgent de se pencher sur cette question capitale.

En ce qui concerne le « volet fiscal », je crois que nous serons tous d'accord sur le fait qu'il ne peut y avoir d'innovation sans financement de l'innovation, et qu'en l'absence d'un cadre juridique, social et fiscal favorable a ux créateurs d'entreprises, nos intentions resteront vaines.

Or le volet fiscal de ce projet de loi se cantonne à une mesure fiscale, certes utile mais de portée limitée. Nos collègues sénateurs avaient à juste titre souhaité aller audelà de cette frilosité, dans un réel souci d'efficacité.

C'est le cas pour l'élargissement du champ d'application des dispositions sur les bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises à l'ensemble des jeunes sociétés de moins de quinze ans, l'attribution de tels bons étant permise aux dirigeants non salariés.

C'est aussi l'effet recherché en ramenant de 25 % à 20 % la part du capital de l'entreprise qui doit être détenue par des personnes physiques, afin de rendre le procédé accessible à un plus grand nombre de chercheurs.

De même, les modifications proposées dans le régime de report d'imposition des plus-values en cas de réinvestissement dans une PME innovante sont destinées à encourager les vocations de business angels et à démocratiser une pratique aujourd'hui encore insuffisamment dévelopée en France.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Toutes ces propositions répondent à un même objectif : assurer la dynamique d'innovation par rapport à nos concurrents asiatiques ou américains.

Vous avez estimé, monsieur le ministre, et la commission avec vous, que cette question capitale était « hors sujet ». Nous ne voyons pas dans cette façon de s'arrêter au milieu du gué un bon signe pour la réussite d'un projet destiné à encourager l'innovation.

Je veux croire que les débats qui vont suivre nous donneront l'occasion d'avancer dans l'esprit novateur qui nous anime tous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, mon collègue Patrick Leroy a rappelé que l'objectif de la recherche scientifique devait être d'améliorer la situation de l'homme, de contribuer au progrès humain et de faire face aux défis de l'avenir. C'est sur cette base qu'on doit analyser un projet de loi comme celui que nous examinons.

Répond-il aux grands problèmes du siècle prochain : grands défis démographiques, avec les lois du développement durable qu'il faudra imposer, avec les problèmes de santé considérables auxquels nous sommes confrontés, avec la nécessité d'une recherche fondamentale qui soit désintéressée et non pas pilotée à court terme dans le seul désir d'accumuler des richesses ou de faire du profit ? D'ailleurs, le dispositif de recherche scientifique qui avait été mis en place dans notre pays avec les EPST et les EPSCP, les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, répondait à cet objectif et y répondait bien.

Pendant toute une période, en effet, à un moment où la puissance publique, c'est-à-dire l'Etat, s'accordait à vouloir contrôler et piloter pleinement les grandes quest ions stratégiques, l'énergie, la communication, les finances, la recherche, ce dispositif fonctionnait à la satisfaction générale, car il avait été conçu pour répondre à des objectifs élevés.

C'est vrai, les temps ont changé, et, sous la pression des lois nouvelles, qui débouchent sur la logique des marchés, de la concurrence et de la compétition, il faut parfois rompre sinon avec l'ensemble des dispositifs qui ont été mis en place, du moins avec les pesanteurs qu'ils ont pu accumuler, les masses critiques énormes qu'ils ont constituées et qui peuvent représenter un obstacle à la souplesse et à la flexibilité, donc à la transmission des résultats de la recherche des laboratoires vers les ateliers, les entreprises et les services.

C'est à ces problèmes que votre projet de loi s'efforce de répondre, monsieur le ministre.

Qui ne souscrirait pas à ce projet qui, en même temps qu'il vise à améliorer le lien entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les applications réelles, cherche à développer l'emploi et la formation ? Pas nous.

Mais encore faut-il vérifier les conditions de sa mise en place, et c'est ce qui fera l'objet du débat que nous allons avoir.

Nous sommes à peu près d'accord sur les conditions dans lesquelles le projet envisage de mettre à la disposition des entreprises des chercheurs sous statut, de manière que les vieilles obligations liées à leur statut juridique soient levées.

Nous sommes tout à fait d'accord pour que s'ouvre un champ d'emploi nouveau pour les doctorants et les postdoctorants dans les entreprises ainsi créées. Mais encore faudrait-il que le statut de ces nouveaux travailleurs, créateurs d'entreprise ou associés à des créations d'entreprises, soit mieux assuré qu'il ne l'est actuellement. Je pense aux conventions collectives et au sort qui est souvent fait aux post-doctorants et aux doctorants actuellement en place, qui sont traités comme des étudiants prolongés, avec des salaires de misère eu égard aux efforts qu'ils produisent et aux résultats qu'ils apportent, ou bien aux contrats à durée déterminée, qui ne leur assurent ni la sécurité ni des perspectives d'avenir, alors qu'on attend d'eux qu'ils contribuent à réveiller l'innovation et la recherche.

Nous avons d'ailleurs proposé un certain nombre de modifications et de corrections de trajectoire pour assurer à ces jeunes gens, à ces nouveaux chercheurs, des garanties plus grandes dans l'exercice de leur travail.

Nous avons également proposé que les mises à disposition, qui se traduisent par un transfert des capacités de recherche des grands centres et des structures vers les entreprises, puissent donner lieu à un contrôle, un accord, une évaluation, avant et après, sinon des personnes, du moins des projets, par le conseil d'administration ou par d'autres instances collectives, avant d'être acceptées.

La question devient plus délicate et plus controversée lorsqu'il s'agit des moyens et des méthodes. Monsieur le ministre, même si je ne vous en fais pas le reproche aujourd'hui en raison des conditions dans lesquelles vous nous avez associés à la préparation de cette loi et à cette discussion, la communauté scientifique vous reproche d'être un pilote, certes averti, mais qui ne demande pas aux passagers de l'avion leur avis sur l'itinéraire, la destination et les conditions du vol.

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Les pilotes d'avion ne le font pas non plus, monsieur le député !

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Il est rare de prendre l'avion et de proposer la destination !

M. Christian Cuvilliez.

Je le reconnais et ma comparaison est peut-être mal choisie, mais elle traduit l'impatience et parfois l'exaspération de toute une catégorie de gens qui, impliqués dans la recherche comme ils le sont, souhaitent pouvoir porter un regard sur le domaine où ils travaillent et sur la destination qu'on leur propose.

Le comité interministériel qui s'est tenu deux jours avant ce débat nous indique les voies que vous avez choisi de suivre, avec le soutien du Premier ministre, et elles avaient d'ailleurs déjà été affirmées lors des assises de l'année dernière.

On connaît donc les champs d'activité que vous avez privilégiés : les sciences du vivant, avec le renforcement du génopôle d'Evry, à propos duquel je vous ai écrit il n'y a pas si longtemps, renforcement qui nous rassure d'une certaines manière, ainsi que les techniques de communication et tout ce qui touche à la santé.

Mais les directions indiquées sont vécues comme imposées. Peut-être faudrait-il, pour ces grands choix et pour leur mise en oeuvre, s'assurer le concours des intéressés.

Je n'insisterai pas sur les moyens car nous y reviendrons au cours du débat. Les dispositifs d'incitation, les fonds d'amorçage, les créations d'incubateurs, tout ce qui concerne l'aide à la collectivité créatrice d'une entreprise peut être analysé, discuté, vérifié, contrôlé, et vous avez d'ailleurs accepté de mettre en place des dispositifs de contrôle et de vérification.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Dès qu'il s'agit de la fiscalité, on entre dans un espace mouvant, où le Sénat a essayé d'ouvrir des brèches, avec les stock-options et une fiscalité privilégiant non plus la recherche mais les résultats de la recherche, car ces résultats peuvent être lucratifs. Nous ne voulons pas entrer dans cet espace. C'est la raison pour laquelle nous avons refusé que les stock-options figurent dans la loi. Vous l'avez accepté et je vous en remercie.

Nous ferons, au cours du débat, d'autres propositions pour que le crédit d'impôt-recherche soit plus lisible, soit contrôlé et évalué. Je sais que vous avez accepté d'aller dans ce sens.

En ce qui concerne les fonds communs de placement, nous sommes plus réservés, de même qu'en ce qui concerne les bons de souscription sur les parts de création. Nous sommes à la limite de la logique de l'actionnariat et nous savons bien que les logiques d'actionnaires ne sont pas celles de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, ni même de la recherche appliquée aux entreprises. Nous sommes à cet égard plus réticents, plus réservés et plus exigeants quant aux contrôles et aux limites qu'il convient d'apporter aux dispositions que nous mettrons en place.

Vous le voyez, monsieur le ministre, nous sommes prêts à vous accompagner sur le chemin que vous avez tracé. Nous formulerons encore quelques observations au cours du débat. Pour tout ce qui concerne la formation et l'emploi, nous vous accompagnons. Mais nous resterons à la traîne pour éviter le danger que ce dispositif ne devienne un véritable cheval de Troie fiscal.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Germain Gengenwin.

M. Germain Gengenwin.

Monsieur le ministre, même si nous sommes peu nombreux, nous avoins conscience de participer à un débat d'avenir. Encore fallait-il bien le préparer.

Il ne semble pas logique qu'un gouvernement qui affiche son intention de favoriser et de stimuler la création d'entreprises s'oppose à toutes les propositions tendant à améliorer l'environnement juridique et fiscal dans lequel les entreprises évoluent. Vous avez vous-même reconnu que cet environnement était trop complexe, et vous avez précisé que 500 entreprises pourraient être créées d'ici au mois d'octobre ; nous sommes donc bien au coeur du problème.

Dans sa version initiale, votre projet ne comportait qu'une seule mesure fiscale visant à améliorer le dispositif des BSPCE, les bons de créateurs d'entreprises, ce qui va dans le bon sens mais reste insuffisant si la France veut combler son retard par rapport à ses principaux partenaires en ce qui concerne les créations d'entreprises. Le projet qui nous est soumis dans la mouture issue du Sénat nous convient parfaitement car il contient un vrai volet fiscal, comme nous le souhaitions.

Le groupe UDF est très attaché au maintien de ces mesures et je regrette par conséquent qu'elles aient été remises en cause par la commission sur proposition du rapporteur. Nous n'acceptons en aucun cas le texte dans sa version amendée par la commission des affaires sociales et nous ferons trois propositions : deux de nature fiscale, une de nature juridique.

Je traiterai d'abord des bons de créateurs d'entreprises.

Créé par l'article 76 de la loi de finances pour 1998, ce dispositif convient parfaitement aux petites entreprises qui ne peuvent offrir des rémunérations attractives à leurs cadres alors qu'elles ont besoin de personnel hautement qualifié. Mais son application est très limitée eu égard aux conditions fixées : il ne concerne que très peu d'entreprises ; il conviendrait donc de revoir ses modalités. C'est ce que vous avez fait dans l'article 3, par lequel vous proposez de réduire de 75 % à 25 % la part du capital de l'entreprise qui doit être détenue par des personnes physiques ou des personnes morales ; cela va dans le bon sens.

Le Sénat a ouvert ce dispositif, jusqu'à présent réservé aux entreprises non cotées, aux entreprises cotées sur le nouveau marché, c'est-à-dire à près de quatre-vingts entreprises supplémentaires.

M. Christian Cuvilliez.

La recherche, ce n'est pas seulement un marché !

M. Germain Gengenwin.

La commission a confirmé cette décision, et j'espère que le Gouvernement y sera également favorable. Je propose que le dispositif bénéficie aux entreprises cotées sur le second marché ainsi qu'aux sociétés étrangères qui créent des filiales en France.

M. Christian Cuvilliez.

Non !

M. Germain Gengenwin.

Il reste un autre problème à régler. Ce dispositif institué à titre transitoire jusqu'au 31 décembre 1999 a été prorogé de deux ans par le Sénat. Le groupe UDF souhaite voir cette formule pérennisée ; en effet, les entreprises ont besoin d'un environnement fiscal stable et ne peuvent donc se contenter de mesures transitoires.

Je proposerai un amendement en ce sens et c'est notamment en fonction du sort qui sera réservé à cette proposition que mon groupe déterminera sa position.

Le second problème que je voudrais soulever concerne le capital d'amorçage. Une jeune société éprouve des difficultés à financer le développement de son produit ; à ce stade, elle n'a pas encore accès aux financements des sociétés de capital risque. Il existe des personnes physiques qui seraient prêtes à investir personnellement dans ces sociétés innovantes au premier stade de leur développement. Le problème qui se pose est l'absence de reconnaissance du rôle pourtant primordial de ces nouveaux investisseurs providentiels. Il concerne les investisseurs français. En effet, il y a actuellement une distorsion de traitement, au regard de l'ISF, entre ces nouveaux investisseurs, les business angels, et les résidents français, qui sont pénalisés par rapport aux non-résidents et aux étrangers.

M. Jean-Michel Dubernard.

Eh oui !

M. Germain Gengenwin.

Ces personnes, qui investissent en général des sommes peu importantes, voient leur participation valorisée de manière importante très rapidement. Dans ce cas, elles sont redevables tous les ans de l'ISF sur des plus-values dont elles ne disposent pas.

Aussi proposons-nous de différer le paiement de l'ISF jusqu'au moment où l'investisseur réalise vraiment sa plusvalue, c'est-à-dire au moment où il cède sa participation.

Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas pensé aux expatriations. Je vous rappellerai donc un chiffre que nous a indiqué le ministère des affaires étrangères.

En 1997, on comptait 233 277 sociétés expatriées, contre 131 000 en 1990.

Cette réforme est indispensable car il est inadmissible de laisser perdurer une situation qui conduirait à accorder un quasi-monopole aux étrangers et aux non-résidents pour investir dans les sociétés innovantes françaises.

M. Christian Cuvilliez.

Vous faites de la mythologie !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

M. Germain Gengenwin.

Je compte donc sur vous pour soutenir l'amendement que je présenterai afin de mettre un terme à cette situation.

Le troisième point que je veux soulever est juridique.

Les sociétés innovantes ont besoin d'un cadre juridique adapté et la société anonyme classique ne répond pas à ce souci. Or il existe dans le droit des sociétés un dispositif plus souple qui leur conviendrait parfaitement : la société par actions simplifiée.

Mais ce dispositif est à l'heure actuelle réservé aux grandes sociétés. Le groupe UDF propose d'ouvrir cette formule aux jeunes entreprises à risque et à fort potentiel de croissance.

Le Gouvernement semble être d'accord et le ministre de l'économie l'a confirmé la semaine dernière, lors du colloque de l'AFIC.

Notre groupe attache une grande importance à ces trois points. Nous ne saurions accepter que le traitement de ces questions soit renvoyé à plus tard. Il reste de nombreux autres problèmes en suspens sur lesquels je reviendai lors de l'examen des articles. C'est en fonction du sort réservé à nos suggestions que le groupe UDF se déterminera pour le vote final. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Destot.

M. Michel Destot.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi va le monde : l'innovation reste le moteur du développement de notre société, voire de nos civilisations. C'est vrai pour le progrès scientifique et le progrès technologique, mais c'est vrai aussi pour la culture et la vie sociale. Pour l'avoir compris trop tard, la France et l'Europe ont pris du retard dans le domaine des transferts de technologies entre recherche, industries et services.

Savez-vous par exemple que, dans la région RhôneAlpes, 500 sociétés, 20 000 chercheurs répartis dans plus de 100 laboratoires et 18 000 étudiants travaillent dans le secteur des sciences du vivant ? Savez-vous que, chez nous, seulement une poignée d'entreprises issues de la recherche ont vu le jour au cours des cinq dernières années, contre 1 200 au EtatsUnis et 200 en Grande-Bretagne ? Aux Etats-Unis, près de 80 % des créations d'emplois naissent de l'innovation et du transfert de technologies vers l'industrie.

Pour redresser la situation, il fallait une volonté politique forte, un projet ambitieux. Le Gouvernement les a définis et je m'en félicite. Les assises nationales de l'innovation, que vous avez organisées, monsieur le ministre, avec votre collègue Dominique Strauss-Kahn, et avec le Premier ministre, Lionel Jospin, conclues le 12 mai 1998, ont déjà permis de mettre en application près de 85 % des préconisations du rapport réalisé par Henri Guillaume, notamment la mise en place de réseaux de recherche technologique, la création d'incubateurs et de fonds d'amorçage, le lancement d'un concours pour la création d'entreprises innovantes, le développement du capital-risque, la reconduction et l'amélioration du crédit d'impôt-recherche.

Les premiers résultats ne se sont pas fait attendre.

A l'intention de M. Dubernard, je voudrais rappeler les chiffres annoncés le 27 mai dernier par l'Association française des investisseurs en capital, car ils sont à cet égard éloquents : les fonds levés par le capital-risque en France ont quadruplé en 1998, à hauteur de 17 milliards de francs. On voit bien qu'aujourd'hui le problème ne se pose plus seulement sur le plan financier.

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis.

Très juste !

M. Michel Destot.

Mais il faut aller plus loin. Et tel est bien l'objet du projet de loi, le premier texte d'importance en ce domaine, depuis les lois de 1982 et de 1984, qui permet de développer les partenariats entre la recherche publique et l'industrie, avec un nouveau cadre juridique et un statut du chercheur plus souple et plus clair, et de créer des réseaux de recherche technologique dans des secteurs clés où public et privé pourront collaborer dans une logique de demande.

Concrètement, ces nouvelles dispositions sont essentielles pour des technopoles qui, à l'exemple de Grenoble, ville qui m'est chère, comme vous le savez, ont fondé leur développement sur le triptyque magique : université, recherche, industrie.

Désormais, nous allons pouvoir poursuivre, amplifier, renforcer, pérenniser les initiatives que nous avons réussi à multiplier depuis plus d'un an. Je pense notamment à EMERTEC, le fonds d'amorçage du CEA, de la Caisse des dépôts et consignation, et d'établissements financiers privés. Je n'oublierai pas la mise en oeuvre d'un projet d'incubateur commun aux universités et aux organismes de recherche, le choix du LETI et du CEA-Grenoble comme têtes de réseau nationales pour les nanotechnologies et l'énergie. Comment ne pas se réjouir de ces avancées ? Cela dit, permettez-moi, monsieur le ministre, d'attirer votre attention sur quelques autres points.

D'abord, nous devons anticiper davantage les nouveaux besoins de la société en matière de technologies de la communication, d'accès aux informations, de développement durable, de réponses aux nouvelles demandes de citoyenneté, de lutte contre les exclusions, de réponse aux nouveaux besoins en formation initiale et continue. Dans tous ces domaines, l'innovation a un champ d'application énorme.

En associant plus en amont les chercheurs en sciences sociales et humaines, nous inverserons une tendance bien française, qui favorise la logique de l'offre au détriment de la logique de la demande, donc du marché et de l'emploi.

De même, pour améliorer le soutien aux PMI et aux filières émergentes, qui sont les plus créatrices d'emplois, je propose que soit envisagée dans la prochaine loi de finances l'instauration d'un crédit d'impôt innovation réservé, ou presque, aux seules PMI-PME, où se créent aujourd'hui les nouveaux emplois, pour la mise au point de services et de produits innovants.

Enfin, prenons garde de ne pas succomber à la tentation jacobine. Car c'est bien du terrain, du bassin d'emploi, que doivent partir les initiatives. Cela veut dire qu'il faut encourager le travail en réseau des grandes villes et des agglomérations, avec des méthodes de type bottom up, inspirées des programmes Eurêka, comme nous avons décidé de le faire en Rhône-Alpes, avec la création de deux agences de développement, l'une pour le numérique, l'autre pour les biotechnologies. Cela signifie aussi qu'il nous faut imposer une nouvelle conception de la politique européenne en ce domaine. Il n'est plus acceptable - je le dis fermement, monsieur le ministre - que des régions de hautes technologies, pourtant les mieux placées pour développer de nouveaux emplois, soient exclues de l'éligibilité aux fonds communautaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

M. Germain Gengenwin.

En effet !

M. Michel Destot.

C'est à mes yeux une aberration, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social.

M. Germain Gengenwin.

Il fallait que cela soit dit !

M. Michel Destot.

Pour gagner en crédibilité, le projet pourrait utilement être accompagné d'un rapport d'évaluation des aides de l'Etat aux différents secteurs industriels. Car s'il est tout à fait légitime de tenir nos engagements et de réaffirmer la solidarité de l'Etat vis-à-vis des industries en grande difficulté - je pense aux chantiers navals et aux charbonnages -, ne conviendrait-il pas de faire un bilan quantitatif et qualitatif de ces concours, l'objectif étant de parvenir à un équilibre entre les aides à la reconversion et le soutien aux filières d'avenir, qui favorisent le plus la création d'emplois durables ? Le dispositif d'aide à l'innovation devra d'ailleurs lui aussi, me semble-t-il, faire l'objet d'évaluations et de comparaisons par rapport aux dispositifs mis en oeuvre avec succès par les Américains, mais aussi par nos voisins Européens, en particulier allemands et britanniques. Il devra aussi intégrer les adaptations et les améliorations préconisées.

Au total, en vous attaquant, monsieur le ministre, aux vrais problèmes, vous avez, avec ce projet de loi, inscrit cette politique dans un contexte porteur. C'est un projet d'avenir, bon pour notre pays, bon pour l'Europe, bon pour l'emploi, et c'est pour cela qu'il faut le soutenir sans réserve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. François Loos.

M. François Loos.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur l'innovation et la recherche que nous examinons aujourd'hui prévoit un dispositif important. Globalement, il va dans le bon sens car, depuis de nombreuses années, on souhaite favoriser la création d'entreprises par les chercheurs afin que l'innovation produite dans les laboratoires publics se traduisent plus massivement par des créations d'emplois. Malheureusement, ces efforts n'ont jusqu'à présent pas permis d'atteindre le niveau que l'on peut raisonnablement espérer compte tenu de la qualité de la recherche scientifique dans notre pays et des besoins en créations d'emplois.

La mesure de la situation est donnée par l'association des fonds d'investissement en capital-risque, qui a estimé en 1998 à 15 milliards de dollars, soit 90 milliards de francs, l'investissement de venture capital aux Etats-Unis , alors qu'il ne serait que de 2 milliards de francs en France - même si les fonds levés ont été beaucoup plus importants -, ce qui représente 2 % du chiffre américain alors que notre poids économique relatif est de 16 %.

Un premier progrès important a été réalisé il y a trois ans lorsque, avec l'ouverture du nouveau marché à Paris, de nombreux spécialistes se sont attaqués aux entreprises émergentes de technologie. De nombreux projets ont pu trouver un premier ou un deuxième financement.

Mais à l'évidence, les obstacles culturels ou administratifs traditionnels demeurent. Ce projet de loi vise à les résorber.

Il est utile de permettre aux chercheurs publics de participer à titre personnel à la création et à la gestion d'entreprises. Aux assises de l'innovation, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que « gagner de l'argent n'est pas honteux, c'est servir son pays ».

M. Christian Cuvilliez.

C'est du Guizot !

M. François Loos.

Cette phrase peut inspirer tout ceux qui iront frapper aux portes des incubateurs, des fermenteurs, ou tout simplement des banques, pour créer et développer une entreprise.

Pour ma part, je regrette que le projet ne comporte plus de volet fiscal, mais vous nous avez annoncé qu'il en aurait un plus tard. En effet, de nombreux Français préfèrent aujourd'hui investir aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Belgique. Je serais d'ailleurs intéressé de connaître le nombre des récépissés qui ont été délivrés à Ber cy pour de telles personnes et ce que représente cette évasion fiscale.

A mon avis, si l'on acceptait d'exclure de l'assiette de l'ISF les sommes investies dans la création d'entreprises technologiques, même minoritaires, ce serait un grand progrès. Il faudrait y ajouter une déduction fiscale totale concernant les pertes éventuelles au cours des cinq premières années d'existence de l'entreprise.

M me Nicole Bricq.

On peut préférer d'autres méthodes !

M. François Loos.

L'Etat s'y retrouverait très largement car il gagnerait ce qu'il risquerait de perdre en recettes fiscales par le rapport en taxes et en charges sociales que toute entreprise assure à l'Etat.

Mme Nicole Bricq.

Certainement pas puisqu'il faut les baisser !

M. François Loos.

Faites le calcul ! Pour un franc de capital social investi, je gage que, sur les cinq premières années, le retour pour l'Etat et pour le système de protection sociale serait largement supérieur au même franc non investi en capital social, voire exporté.

Alors, monsieur le ministre, puisque vous êtes pragmatique et décidé à résoudre les problèmes, il faudra un volet fiscal. Nous l'attendrons pour la suite.

M. Christian Cuvilliez.

Nous aussi !

M. François Loos.

Enfin, je voudrais dire quelques mots des incubateurs.

Comment peut-on espérer que les organismes publics de recherche deviennent performants dans cette tâche ? N'est-ce pas, après tout, leur mission ? Si cette méthode apporte indiscutablement une aide à ceux qui veulent créer des entreprises, il faut dire que, jusqu'à présent, des entreprises se sont aussi créées sans cela : certains patrons d'organismes savaient trouver une réponse aux problèmes en créant des associations ou en imaginant des aménagements. Mais il est vrai que d'autres sont restés bloqués dans leur organisme et ont dû le quitter, s'expatrier pour réussir, faute d'un environnement encourageant et porteur. J'en connais et vous en connaissez. Leur réussite a d'abord exigé qu'ils choisissent clairement leur voie.

M. Christian Cuvilliez.

Pourquoi le RU 486 n'est-il plus fabriqué ?

M. François Loos.

Mais c'est le lot de chaque créateur d'entreprise, et le créateur qui n'est pas chercheur est même dans une situation plus difficile puisqu'il ne bénéficie pas du traitement du chercheur de la fonction publique. L'environnement qu'il faut créer doit donc surtout être un environnement de talents. Il ne suffit pas de croire que l'existence d'un guichet peut apporter une contribution : il faut que ce guichet permette de donner aux créateurs d'entreprise la rage de réussir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

Les connaissances actuelles sur les matériaux, sur la biologie peuvent donner énormément d'idées pour la création d'objets nouveaux, ou de services nouveaux.

Les spécialistes du venture capital connaissent les produits qui sont sur le point d'être lancés. Il y a un deal flow mondial associant dans chaque projet un chercheur passionné, un financier habile, un gestionnaire rigoureux et une certaine « vision de l'avenir d'un domaine, et la chance ». On peut penser au téléviseur à écran plat, aux diagnostics, au visiophone, aux jeux en trois dimensions, et à bien d'autres choses encore.

Ceux qui entrevoient ces produits ne sont pas très nombreux, mais ils les lancent à partir de leurs fonds. La vraie question que nous devons nous poser est de savoir s'il y a, en France, des chercheurs qui détiennent un savoir clé pour de tels sujets, dont on connaît le deal flow.

Dans ma circonscription, il y a eu récemment des cas de peste porcine pour lesquels la vérification des diagnostics exigeait huit jours. On a suspecté les sangliers d'être atteints de cette maladie. C'était une catastrophe pour les élevages proches.

M. Christian Cuvilliez.

C'était la farine belge...

M. Jean-Michel Dubernard.

Il est dommage que les écologistes ne soient pas présents !

M. François Loos.

Non, ce n'était pas encore la farine belge ! Dans de tels cas, il faut donc abattre les sangliers parce qu'ils risquent de contaminer les élevages, mais on ne peut savoir s'ils ont vraiment la peste porcine que huit jours plus tard. On ne peut donc pas les consommer.

Vous imaginez que les chasseurs n'étaient pas contents et, du coup, ils ne chassaient plus. J'ai donc suggéré de mettre en place un système d'analyses différent en recourant à la méthode PCR plutôt qu'à la méthode Elisa. Personne ne sût quoi me répondre.

Monsieur le ministre, il se passe tant de choses passionnantes dans la science ! Intéressez-y donc vos chercheurs, vos enseignants, leurs élèves et, au passage, les banquiers ! Montrez sur quelles pépites de savoir - je m'adresse au géologue que vous êtes - nous sommes assis sans rien faire, et les gens qui ont faim et soif d'argent ou de pouvoir créeront alors des entreprises !

M. Christian Cuvilliez.

Il y a des gens qui ont simplement faim et soif !

M. François Loos.

C'est quand même parce que la science est en effervescence qu'autant d'occasions existent aujourd'hui. Elles sont autant de motifs de concurrence internationale. Nous avons un réel retard, qui sera bientôt une dépendance technologique si votre loi ne produit pas d'effet. Je souhaite pour ma part qu'elle réussisse à produire un gros effet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le projet qui nous est soumis vient, me semble-t-il, à son heure, alors que se manifeste dans notre pays une réelle dynamique de la part des entreprises de haute technologie.

J'ai examiné les indicateurs récemment mis en place par le ministère de l'économie pour ces entreprises. Dans le seul secteur de la communication et de l'information, ils étaient tous positifs. La progression, fortement perceptible depuis deux ans, est en grande partie due à un environnement financier et fiscal favorable. En effet, il faut reconnaître que jamais un Gouvernement n'a fait, en si peu de temps, autant d'efforts.

Je voudrais rappeler quelques-unes des mesures adoptées depuis 1997 en faveur du capital-risque et du capital d'amorçage.

Afin d'encourager la création des petites et moyennes entreprises, la loi de finances pour 1998 a permis à certaines PME - celles qui nous intéressent - d'attribuer aux membres de leurs personnels salariés et à leurs dirigeants les fameux bons de souscription de parts de créateur d'entreprise.

La même loi de finances a permis de reporter l'imposition des plus-values sur titres sous condition de réinvestissement par souscription au capital de sociétés non cotées.

L'exonération de l'impôt sur le revenu maintenu en faveur des contrats d'assurance vie majoritairement investis en actions, en FCRP ou dans l'innovation - je parle des contrats dits «

DSK » - a permis de dégager à ce jour un encours de 37 milliards de francs. Le délai de conversion des contrats d'assurance vie en contrats DSK expire à la fin du mois de juin. Il serait peut-être utile - c'est en tout cas ce que je souhaite - de prolonger ce délai.

La loi de finances pour 1999 a assoupli quant à elle le régime de déduction des pertes en capital subi par les créateurs d'entreprise. Elle a prolongé pour trois ans la réduction d'impôt au titre des souscriptions aux fonds communs de placement dans l'innovation et reconduit pour cinq ans le crédit d'impôt-recherche.

Cette énumération, qui n'est pas exhaustive, montre, s'il en était besoin, les efforts du Gouvernement pour développer un contexte favorable à la création et à la croissance des entreprises technologiques à haute valeur ajoutée qui créent, certes, de la richesse, mais aussi - ne l'oublions pas - de l'emploi.

Le Sénat a voulu profiter du projet de loi pour proposer des modifications concernant les bons de souscription des parts de créateur d'entreprise, les fonds communs de p lacement dans l'innovation et le crédit d'impôtrecherche. Certaines de ces modifications rejoignent notre volonté d'offrir à la recherche et à l'innovation les conditions propices à leur croissance et à leur stabilité. Vous avez du reste, monsieur le ministre, fait au Sénat, comme ici même dans votre intervention liminaire, des ouvertures très appréciables.

Je voudrais dire à M. Gengenwin et à M. Loos que l'on ne peut pas soutenir qu'il n'y a rien dans le texte sur la fiscalité.

M. François Loos.

Il n'y a presque rien !

Mme Nicole Bricq.

Il convient en effet d'élargir l'accès aux bons de souscription des parts de créateur d'entreprises aux entreprises du nouveau marché. Cela est d'autant plus utile que, tirant les enseignements de ses trois années d'existence, le nouveau marché souhaite se réformer et privilégier les entreprises à haute technologie et à forte croissance pour rivaliser avec les autres places financières européennes et nord-américaines.

Il convient également de prolonger le délai pour ce qui est de la part réservée aux personnes physiques. Le texte originel prévoyait un abaissement de 75 à 25 %. Cette disposition me semble bonne et il n'est peut-être pas utile d'en rajouter simplement pour se faire plaisir.

J'en viens à l'introduction un peu malicieuse, décidée par nos collègues du Sénat, d'une réforme de ce qu'il est de moins en moins convenu d'appeler les stock options,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

rebaptisés « bons de croissance » pour bien montrer qu'ils représentent une épargne salariale dans les entreprises de croissance - on peut faire mieux, je n'en disconviens pas.

Avec cette réforme, le Sénat n'avait-il pas une petite arrière-pensée politique, d'autant qu'il l'a réduite à son seul volet fiscal, ce qui fait qu'elle ne concernerait plus que la loi de finances ? Si l'on ne traite pas en même temps du problème de la transparence, de celui de la diffusion au plus grand nombre des salariés, la mesure sera non seulement injuste et inefficace, mais elle ne correspondra pas à l'objectif que nous nous sommes assigné et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des amendements.

M. Christian Cuvilliez.

C'est en effet un dangereux cavalier !

Mme Nicole Bricq.

Cet objectif de réforme - je travaille actuellement sur ce sujet à la commission des finances - ne doit pas être abandonné car, même s'ils ont de grandes qualités, les BSPCE ont l'inconvénient d'être purement hexagonaux. De ce fait, ils sont moins attractifs pour des cadres de haut niveau étrangers qui connaissent le système international des stock-options . Or les entreprises qui se créent dans le domaine de l'innovation sont souvent, dès le départ, des entreprises à marché international. Après concertation, il faudra donc trouver un support législatif adapté à la réforme de ces bons de croissance qui sont limités aux entreprises de moins de quinze ans. Il faut continuer à travailler sur ce sujet sans passion, raisonnablement, pour l'intérêt de nos entreprises.

Enfin, nous attendons la réforme du droit des sociétés annoncée par Mme la garde des sceaux, car la loi de 1966 n'est pas adaptée à ce nouveau type d'entreprises. Il existe en effet - cela a été rappelé à cette tribune - un rég ime juridique d'une grande souplesse, la société par actions simplifiée, qui est aujourd'hui réservé aux filiales de sociétés importantes. Or les petites entreprises à fort potentiel de croissance ont, elles aussi, un impérieux besoin de souplesse, tant dans leurs conditions de création que dans celles de leur direction et de leur fonctionnement, ainsi que pour l'accompagnement de leur plan de croissance et de financement. La commission a adopté un amendement dont je suis à l'origine et qui vise à ouvrir le régime des SAS aux jeunes sociétés innovantes. C'est un pas décisif, car ces sociétés sont aussi innovantes en ce sens que leurs dirigeants privilégient plus la croissance de leur entreprise que le contrôle du capital.

En conclusion, monsieur le ministre, nous aurons avec votre texte un dispositif cohérent qui favorisera, à terme, la régénérescence de notre tissu industriel et qui contribuera à la constitution d'une Europe de l'intelligence et de l'innovation que nous appelons de nos voeux. Nous vous soutiendrons dans cette démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Michel Dubernard.

Nous aussi !

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je remercie les rapporteurs et l'ensemble des orateurs pour la richesse de ce débat, serein sur la forme, passionné sur le fond et pour tout dire passionnant.

Deux orateurs ont parlé de « débat sur la recherche » : mais il ne faut pas se tromper, c'est d'un aspect particulier de celle-ci qu'il s'agit, non de la recherche en général. Pour ce qui est de la concertation, je répondrai de la manière la plus nette. Ce projet a fait l'objet de toutes les concertations possibles, car il concerne les chercheurs et les établissements. Des représentants d'instances statutaires comme le CSRT, le CNESER et le CSFP et des syndicats ont été reçus, écoutés. Voulait-on parler des priorités de la recherche ? Là aussi, la concertation a eu lieu, mais avec le Conseil national de la science, les directeurs d'organismes, c'est-à-dire avec les gens compétents, je le dis clairement. En effet, je ne pense pas qu'il faille consulter les syndicats pour fixer les priorités de la recherche, et cela parce qu'il y aurait immédiatement autoreproduction ! S'il n'y a pas de directeur des sciences de l'information et de la communication au CNRS, par exemple, c'est parce que cet organisme a tendance à s'autoreproduire.

En outre, la recherche scientifique est par définition dérangeante, parce que la recherche c'est original, parce que les novateurs sont forcément minoritaires. Sinon ils ne seraient pas novateurs ! Si on recherche le consensus, on ne crée pas. Même chose pour la création d'entreprise.

Pourquoi les grandes entreprises ne sont-elles en général pas novatrices ? Pourquoi IBM n'a-t-il inventé ni le micro-ordinateur, ni le mini, ni l'ordinateur parallèle, ni l'ordinateur vectoriel ? Parce qu'il aurait fallu passer par une demi-douzaine de comités et convaincre tout le monde. Or vous ne convainquez jamais personne quand vous avez une idée originale. C'est dans un garage à Stanford que vous fabriquez pour la première fois la souris, et vous vous appelez Steve Jobs ! C'est ça l'innovation.

Votre image était bonne, monsieur Cuvilliez, mais le pilote de l'avion ne doit pas consulter les passagers sinon il se « plante » ou il refera toujours le même trajet ! Une large concertation a eu lieu lors du CIRST. Le Conseil supérieur de la science, les directeurs d'organisme ont statué. Le forum a réuni les médailles d'or et d'argent du CNRS car, si l'on discute de l'orientation scientifique, c'est la compétence qui importe, non l'unanimité. Je tiens à le dire très nettement : j'ai vraiment l'intention de faire de la science française l'une des meilleures du monde, ce qui suppose de rompre avec certaines pratiques.

M. Jean-François Mattei et M. François Loos.

Nous en sommes d'accord !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

La personne qui est intervenue au nom des Verts et qui n'est malheureusement plus là a reproché au Gouvernement de ne pas appuyer suffisamment les politiques publiques par la politique de recherche. Comment peut-on dire cela après ce qui a été fait, lors du CIRST, il y a deux jours, sur la ville, le travail, l'eau, l'impact des OGM sur l'environnement et la création d'une écologie scientifique ? C'est absolument faux ! Des actions concertées ont lieu dans les domaines qui représentent la politique du Gouvernement. Je tenais à répondre nettement sur ces sujets, bien qu'ils n'aient pas de rapport direct avec notre débat, car je ne veux pas me laisser ballotter par je ne sais quelles « croyances ».

J'en viens aux questions qui nous occupent, auxquelles je répondrai techniquement. Vous avez soulevé l'important problème de la formation des « thésards ». Nous avons 10 000 thèses en France. J'en sais quelque chose puisque c'est moi qui en ai augmenté le nombre quand j'étais conseiller spécial de Lionel Jospin. Il ne s'agit pas pour autant de faire 10 000 chercheurs. L'objectif est de faire entrer les chercheurs dans les entreprises. Le président de Saint-Gobain me disait récemment être intéressé par l'embauche de chercheurs, pas uniquement pour


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faire de la recherche mais pour les utiliser dans l'entreprise, car la formation par la recherche est une très bonne formation. Il faut que des chercheurs aillent ailleurs que dans le service public de recherche. Maintenant je dois bien vous parler, n'est-ce pas, de ce que ce gouvernement a fait par rapport au précédent. Entre les enseignants chercheurs et les chercheurs des organismes, nous recrutons près de 5 000 chercheurs par an contre moins de 2 000 auparavant ! Notre action est donc considérable dans ce domaine.

Certains d'entre vous ont dit, avec raison, qu'il fallait former les étudiants de DEA à l'entreprise. Or, sachez-le, une circulaire prévoit justement que tous les DEA, de sciences ou autres, doivent comprendre un enseignement sur les problèmes de création d'entreprise, de capitalrisque, par exemple. Par ailleurs, dans le cadre de l'harmonisation européenne, tous les élèves titulaires d'un DEA devront avoir, dans leur cursus, un stage en entreprise pour obtenir le « mastère ». Je veux que tous les élèves accomplissent un tel stage pour qu'ils sachent ce qu'est une entreprise. C'est absolument nécessaire.

S'agissant de la mobilité des personnels, M. Mattei et M. Dubernard ont parlé de l'importance, pour le chercheur qui cesse de travailler dans l'entreprise, de conserver sa participation dans le capital. Je suis d'accord. En effet, s'il revient, il ne doit pas perdre le bénéfice de tout le travail qu'il a fait auparavant.

D'autres ont soulevé à juste titre le problème du remplacement des postes et celui des carrières des chercheurs détachés. Leur ancienneté continuera-t-elle à courir ou non ? Je traiterai un jour cette question, qui concerne non seulement les chercheurs dans les entreprises, mais aussi ceux qui s'en vont à l'étranger ou qui deviennent députés. (Sourires.)

Y aura-t-il un gel de la carrière pour les fonctionnaires ? C'est un problème très difficile à résoudre. Des consultations ont lieu, mais vous avez absolument raison de poser la question. Quant au remplacement des postes, je ne vous répondrai pas de façon dilatoire. Simplement, attendons de connaître le nombre de créations d'entreprises. S'il y en a peu, ce que bien sûr je ne souhaite pas, les solutions seront faciles à trouver. S'il y en a beaucoup, il faudra bien prendre une mesure. Et là je suis d'accord avec vous : on ne peut affaiblir un laboratoire parce que ses chercheurs sont particulièrement entreprenants ! J'en viens au volet fiscal et j'en profiterai pour mettre à bas une légende. Le projet initial contenait un premier v olet sur les stock-options.

Entre parenthèses, et je m'adresse particulièrement aux gaullistes, je préférerais que l'on parle d'« options de prise de participation dans les entreprises », parce que c'est de cela qu'il s'agit.

M. Patrick Leroy.

C'est tout aussi mauvais !

Mme Nicole Bricq.

C'est le fond qui compte !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur Leroy, je suis au regret de vous le dire, il ne faut pas confondre le principe des stock-options avec les modalités de leur attribution. Le principe, c'est qu'il s'agit d'un salaire différé.

Dans une entreprise qui se crée, vous ne pouvez pas payer les gens au même niveau que dans une grande entreprise. Si vous voulez attirer des ingénieurs, vous devez leur promettre un salaire différé. On ne peut pas être contre le principe. Le problème c'est de savoir dans quelles conditions il sera appliqué. L'obscurité qui règne actuellement en la matière n'est pas admissible. Quant à la pratique consistant à partager les stock-options entre un petit nombre de personnes qui gèrent l'entreprise et à ne pas en faire profiter les ingénieurs qui participent à la vie de l'entreprise, elle n'est pas non plus admissible. Mais cela ne remet pas en cause le principe des stock-options.

Par parenthèse, je suis quand même surpris de voir M. Arthuis, qui est l'auteur de l'article sur les stockoptions dans le gouvernement Juppé, venir me réclamer au Sénat ce qu'il a lui-même mis par terre ! Cela fait partie des incohérences historiques de la vie politique.

Il s'est passé la chose suivante. J'était partisan d'un volet de stock-options pour les entreprises innovantes dans ce texte, mais le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a estimé que l'on ne pouvait établir un tel système pour les seules entreprises innovantes en laissant persister un régime totalement différent pour l'ensemble des entreprises. Or, je vous le dis très franchement, je n'ai pas vocation à discuter des entreprises en général. Le bâtiment, la fabrication de rails pour le chemin de fer, cela ne me concerne pas ! Or les entreprises de ces secteurs ont aussi des stock-options.

Ensuite, ce n'est pas le groupe communiste qui a réclamé la suppression du volet sur les stock-options, c'est moi-même, alors que j'y suis favorable.

M. Patrick Leroy.

C'était de la transmission de pensée !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Je ne voulais pas que cette loi sur l'innovation, que je considère comme très importante, soit polluée par un débat fiscal sur les stockoptions, qui sera mené en temps voulu par mon ami Dominique Strauss-Kahn.

M. Jean-Michel Dubernard.

C'est quand « en temps voulu » ? On a déjà perdu deux ans !

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Avec Arthuis, on a perdu plus de temps !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Le Premier ministre lui a demandé d'étudier la question. Il en discutera avec les députés, avec sa majorité, bien sûr, et l'on verra ce qu'il en est. Mais le problème de la taxation n'est pas simple et je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il y ait unanimité sur ce point à l'intérieur de l'opposition ! Je ne suis pas sûr que libéraux et gaullistes aient la même sensibilité dans ce domaine !

Mme Nicole Bricq.

Exactement !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Faudra-t-il inclure, dans les stock-options , une participation aux cotisations sociales ou pas ? Je ne suis pas sûr que vous serez d'accord.

M. Jean-Michel Dubernard.

Cela s'appelle l'intéressement, monsieur le ministre !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Je vous répète encore une fois, monsieur Dubernard, que pour les entreprises innovantes, je suis partisan de détaxes extraordinaires.

M. Jean-Michel Dubernard.

Eh bien, faites-le !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

C'est difficile à définir et c'est une mesure fiscale. Cela sera fait au moment voulu.

M. Jean-Michel Dubernard.

La loi ne marchera pas !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Par ailleurs, nous faisons un grand pas avec les BSPCE. En effet, nous avons étendu ce dispositif aux sociétés créées depuis moins de


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quinze ans, au lieu de sept. De plus, le texte initial du projet réduit de 75 % à 25 % la part du capital de l'entreprise qui doit être détenue par des personnes physiques pour que l'entreprise puisse émettre des BSPCE.

C'est important. Un orateur a exprimé sa crainte que l'argent ne s'en aille si nous ne faisons pas les stockoptions . Mais non ! Il y a beaucoup d'argent actuellement pour créer des entreprises. Ce n'est pas là qu'est le problème. Vous n'avez qu'à lire la presse. L'action menée par le ministre de l'économie et des finances a eu pour effet d'attirer des sommes considérables sur le capital-risque.

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

Bien sûr !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Le frein n'est pas là. Il est d 'abord administratif. Il faudra aller plus loin.

Mme Lebranchu travaille d'ailleurs sur les modalités de création des entreprises, afin de les simplifier et de faire en sorte qu'on n'ait plus à remplir dix-sept formulaires pour en créer une. Elle aura l'occasion de venir l'annoncer elle-même.

Mme Nicole Bricq.

On a déjà commencé à simplifier !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mais il nous faudra aussi encourager les jeunes à créer leur entreprise.

Je remarque par ailleurs que vous avez introduit la dualité incubateur-pépinière, intégrant ainsi l'unité du vivant. L'incubateur renvoie au règne animal et la pépinière, au règne végétal. Vous êtes donc dans les OGM ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Dubernard.

Et le règne minéral ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Nous avons voulu, Dominique Strauss-Kahn, et moi-même, amorcer un mouvement, mais, pour vous, ce n'est pas là la vocation de l'Etat : c'est au marché à intervenir. Nous lançons le processus pendant un ou deux ans. Même chose avec le capital-risque.

M. Jean-François Mattei.

Tout à fait !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Le capital-risque la première année, soit. Mais on ne peut faire durablement du capital-risque d'Etat parce que, là, par définition, il n'y a pas de risque. Nous ne sommes pas du tout dans la philosophie colbertiste.

D'autre part, je souscris aux propos de Michel Destot : il faut agir le plus possible au niveau régional. Ce sont les régions qui ont vocation à faire vivre le tissu économique.

Ce sont les régions qui sont à même de mobiliser et de jouer le rôle de guide. J'ai également pris bonne note des remarques de M. Destot sur les fonds communautaires.

Il faut naturellement agir dans ce sens.

S'agissant des brevets, le mode de communication entre le Gouvernement et l'Assemblée est tel que, ici, vous n'êtes pas forcément au courant de tout ce qui se passe. Nous menons actuellement au niveau européen une bataille de brevets. Le problème, c'est ce qu'on appelle le « délai de grâce ». En Europe, lorsque vous publiez un résultat, vous ne pouvez plus le breveter.

Comme la prise de brevet est chère, le chercheur européen hésite, il ne sait pas si son idée peut trouver des débouchés. Aux Etats-Unis, la publication vaut prise de date et vous avez trois mois pour déposer le brevet. Dès lors, le mécanisme est simple : vous faites votre publication scientifique. Et si vous constatez que les industriels sont intéressés, vous déposez un brevet. Aujourd'hui, la recherche française est en train de se faire piller ! Les séquences du génome sont publiées, après quoi, l'étiquetage est fait par les Américains. Il faut réagir, on ne peut pas continuer ainsi ! Autre problème, celui du prix, qui est un problème politique, je n'hésite pas à le dire. Pendant longtemps, en Europe, on a considéré que la prise de brevet relevait des industriels, non des chercheurs. Or mettre le prix très haut, c'était obliger le chercheur à se lier d'entrée de jeu avec un industriel. Il faut libérer les prix, faire descendre les prix des brevets. Nous y travaillons, à ce sujet, aucune difficulté.

Il n'en reste pas moins, et vous avez eu raison de le dire, qu'un problème se pose. Nous sommes avec les Allemands au coude à coude pour que la législation européenne change. Mais ce ne sera pas simple, notamment parce que s'exerce dans ce domaine un lobbying qui n'est toujours pas très clair.

Certains, notamment les orateurs du groupe communiste ont parlé du contrôle. Moi, je suis tout à fait pour.

Mais nous n'allons pas créer une nouvelle agence, nous allons élargir les missions de l'ANVAR. Pleinement d'accord aussi avec l'idée d'un rapport triennal à l'Assemblée sur ce sujet.

Un contrôle s'impose de toute manière parce que nous serons obligés d'évoluer. Nous entrons dans un système pas très bien connu, même s'il se produit ailleurs. En fonction de la masse, de ce qui va se produire, des anomalies éventuelles, il faudra revenir là-dessus ici. Je suis donc pleinement d'accord pour venir tous les trois ans devant le Parlement, afin d'analyser comment les choses se passent, pour les mettre sur la table et pour modifier ce qui ne va pas.

D'accord toujours pour l'approbation en conseil d'administration, de la création de GIP et de filiales. En revanche, ce n'est pas possible pour les décisions individuelles, parce que cela entraînerait un retard terrible.

J'en viens aux décrets d'application dont vous avez eu raison de vous soucier. Figurez-vous que le ministre s'en soucie lui aussi énormément, et que les collaborateurs du ministre en savent quelque chose ! Pour ce qui est du coeur du projet de loi, c'est-à-dire de la possibilité pour les chercheurs de créer des entreprises ou de participer à leur développement, l'application sera immédiate. Les textes concernant les structures pourront être élaborés entre juin et octobre. L'affaire des SAIC, services d'activités industrielles et commerciales, est la plus difficile parce qu'il faut passer dans la « moulinette » habituelle, c'est-à-dire le Conseil d'Etat, entre autres, avant de pouvoir modifier les structures. Mais on ira le plus vite possible. Les modalités relatives au recrutement des enseignants-chercheurs, avec modification de décret en conseil des ministres, notamment, pourront, j'en suis même sûr, être appliqués pour le recrutement 2000. En ce qui concerne les problèmes structuraux, nous pourrons avoir tout bouclé, je le crois honnêtement, aux environs de la fin de l'année 1999.

J'aborde cette discussion avec un esprit d'ouverture, dans le cadre qui a été fixé. Pas de problème au sujet des stock options. Je vous répète que vous aurez le débat fiscal avec le ministre de l'économie et des finances.

M. Jean-Michel Dubernard.

Quant ?

M. Jean-Paul Bret, rapporteur.

A l'occasion de la loi de finances !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

La loi de finances, c'est le moment naturel, en effet.

Je me suis battu au sein du Gouvernement pour faire inscrire ce texte dans un calendrier parlementaire de plus en plus difficile. La loi de finances, ce serait vraiment une bonne occasion d'avoir un débat sur le sujet. Sinon, il faudra l'inscrire à l'ordre du jour. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en parlera avec vous.

Il y aura aussi une discussion à l'intérieur du Gouvernement. Nous n'avons pas l'intention d'esquiver ce débat qui est extrêmement important. Maintenant, ne me demandez pas le résultat du débat avant qu'il ait eu lieu ! L'un d'entre vous m'a dit qu'il aimerait connaître ma position sur le système des stock options. Je n'ai pas dit à combien il serait taxé, ni sous quelle forme. Faut-il payer des charges sociales ? Les comparaisons en ce domaine sont difficiles. A New-York, les stock options sont taxés à 50 %. Mais n'oubliez pas qu'aux Etats-Unis, il n'y a pas de charges sociales. Quoi qu'il en soit, le débat aura lieu.

Dans les faits, on commence à sentir un frémissement en matière de créations d'entreprises innovantes. Ce concours, je vous l'avoue, m'a surpris. Je ne m'attendais pas à autant de demandes, de projets. Je puis vous dire q u'au Gouvernement, qu'il s'agisse du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ou de moimême, nous ne laisserons pas passer une seule occasion de « booster » les créations d'entreprises. S'il faut revenir ici pour procéder à un certain nombre de modifications afin de les favoriser, nous le ferons.

Je voudrais vous rassurer sur ma position au sujet de la recherche fondamentale. Si quelqu'un se penche simplement sur ma vie et sur ma carrière, il verra que loin de moi l'idée de vouloir affaiblir la recherche fondamentale dont je considère qu'elle est au coeur de la recherche, aujourd'hui encore plus qu'hier ! Le génome, à quoi cela sert-il ? Accessoirement, à fabriquer des médicaments. Mais d'abord à comprendre le vivant ! Or le vivant, on ne le comprend pas ! D'un ver nématode, on connaît les quatre-vingt-quatorze types de cellules, on connaît intégralement le génome. Mais avec le génome, on est incapable de fabriquer un ver. Et entre les deux ? Voilà qui vous prouve qu'on n'a pas encore bien compris. Et ce ver est pourtant un organisme élémentaire !

M. Jean-François Mattei.

Vous faites de la métaphysique ! (Sourires.)

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Non, de la physique expérimentale ! Je pense qu'on n'a pas encore compris un certain nombre de choses. La recherche fondamentale, c'est vraiment le point important.

J'en profite pour dire à l'Assemblée ce que je pense des organismes génétiquement modifiés. Au CIRST, nous avons décidé d'une recherche sur l'impact des organismes g énétiquement modifiés dans l'environnement. Les OGM, c'est un problème qu'on ne peut pas traiter autrement. Mais déjà, j'ai eu l'occasion de le dire, nourrir des herbivores avec des produits animaux, c'est-à-dire les transformer en carnivores, c'est une manipulation absolument invraisemblable biologiquement ! Tout le monde le sait, le système immunitaire d'un carnivore est beaucoup mieux équipé que celui d'un herbivore. Alors, transformer un herbivore en carnivore, c'est aller à coup sûr vers de mauvaises surprises. Très conscients du problème, nous y sommes très attentifs.

Soyez-en sûrs, cette loi est une loi de progrès qui permettra de conforter la recherche publique. Je ne vous donnerai pas de statistiques, mais vous n'ignorez pas qu'il y a eu un « petit » mouvement pour dire qu'il fallait s'opposer à cette loi - je n'aurais pas la cruauté d'en rappeler le peu d'importance. Cela veut dire que dans leur grande majorité, les chercheurs attendent cette loi, qu'ils sont derrière : parce qu'ils ne veulent plus être spoliés. Dans la situation actuelle, le chercheur est bien spolié : de ses découvertes, il ne peut même pas profiter. Et il n'y a pas de raison qu'il n'en profite pas ! Bref, sur l'innovation, sur la nécessité de créer des entreprises, sur la primauté de l'emploi scientifique, nous devrions tous nous retrouver, je crois. En tous les cas, au nom du Gouvernement, je m'efforcerai de faire en sorte qu'il en soit ainsi au moment de la discussion des amendements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 3 juin 1999.

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, no 1410, sur l'innovation et la recherche :


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 JUIN 1999

M. Jean-Paul Bret, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1642) ; M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 1619).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT