page 05914page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

1. Chemins de fer communautaires. - Discussion d'une proposition de résolution (p. 5915).

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission de la production.

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 5919)

Gilbert Biessy, Dominique Bussereau, Jean Rigal, Léonce Deprez, Mme Odile Saugues,

MM. Michel Bouvard, Guy Hascoët.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 5931)

M. Jean-Claude Daniel.

Amendement no 1 rectifié de M. Biessy : MM. Gilbert Biessy, le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 2 de M. Michel Bouvard : MM. Michel Bouvard, le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 3 de M. Michel Bouvard : MM. Michel Bouvard, le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement no 3 rectifié.

Amendement no 4 de M. Michel Bouvard : MM. Michel Bouvard, le rapporteur, le ministre. - Adoption.

EXPLICATION DE VOTE (p. 5934)

M. Jean Proriol.

Adoption de l'article unique modifié de la proposition de résolution.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 5934).


page précédente page 05915page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

CHEMINS DE FER COMMUNAUTAIRES Discussion d'une proposition de résolution

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Didier Boulaud sur les propositions de directives relatives aux chemins de fer communautaires (COM [98] 480 final/no E 1163) (nos 1646, 1683).

La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, mes chers collègues, quel est l'Europe des transports que nous propose la Commission européenne depuis quelques années ? Au lieu de respecter le traité de Rome, comme c'est le cas pour la politique agricole commune, l'Europe s'est longtemps désintéressée de ce secteur pourtant fondamental pour la mise en oeuvre du marché unique.

Le transport maritime a été le premier mode de transport touché par cette absence d'intérêt, abandonné, sans les moyens de se défendre contre la concurrence asiatique.

M algré un emplacement géographique exceptionnel, l'Europe n'a pas su rester la force commerciale maritime qu'elle devait être.

Puis, la facilité qui a caractérisé la politique des transports dans tous les Etats membres, et la pression d'un monde économique qui s'est adonné aux flux tendus ont abouti à favoriser de fait le transport routier et à entreprendre la libéralisation totale de ce mode de transport dans les années 80.

On en voit le résultat aujourd'hui : des conditions de travail inacceptables, des entreprises corvéables à merci, des atteintes à la sécurité dramatiques sur les routes, la détérioration des conditions de vie collective avec la montée de la pollution, la dégradation des paysages, la saturation des axes routiers, des villes et des villages.

Triste bilan, mes chers collègues ! Ne cherchons pas d'autres raisons : là est le coeur de l'explication du déclin du fret ferroviaire. C'est avant tout la concurrence par trop déloyale - il faut le dire - du transport routier qui rend non compétitif le transport ferroviaire de marchandises et non l'absence de concurrence intramodale comme le prône la Commission européenne.

Il est toujours plus difficile de guérir que d'établir des règles pour empêcher la propagation d'une maladie.

Ainsi, la Commission européenne peine à harmoniser les règles sociales en matière de transport routier parce qu'il n'y a plus du tout de règles depuis trop longtemps. De même, elle a du mal à imposer que le transport routier paye les coûts réels qu'il génère, parce qu'au nom du libéralisme, c'est la collectivité qui en supporte jusqu'à présent une partie non négligeable, sans parler des conséquences, que vous connaissez, sur la qualité de vie et l'environnement.

Cette réalité, rapidement décrite, du transport routier, à laquelle on pourrait ajouter celle de la libéralisation du transport aérien et la désorganisation aujourd'hui patente malheureusement ! - du transport ferroviaire en Grande-Bretagne,...

M. Dominique Bussereau.

Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

... devrait suffire à montrer les limites du laisser-faire, de l'unique règle de la concurrence pure et parfaitement libérale.

M. Dominique Bussereau.

Non !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Nous en avons parlé bien souvent, mon cher collègue. Mais vous n'osez pas l'avouer ! (Sourires.)

Cette dure réalité, que la majorité reconnaît aussi (Sourires), devrait aussi permettre à l'Europe de se méfier des expérimentations grandeur nature d'un postulat idéologique qui méconnaît les réalités économiques, sociales et environnementales, et qui ne se soucie pas des conséquences que celles-ci auront sur notre société de demain.

Le « paquet infrastructure » que doit examiner le Conseil des ministres européens le 17 juin est composé de trois propositions de directives qui concernent exclusivement l'organisation du transport ferroviaire. Ces textes, élaborés dans la précipitation, ne prévoient aucune véritable politique des transports à moyen terme, ni ne proposent aucune initiative pour développer l'intermodal ité rail-route, dont nombre de nos concitoyens reconnaissent d'urgence.

La Commission européenne propose dans ces directives, pour le dernier mode de transport qui restait encore organisé, la désorganisation. Là non plus, elle ne tire pas partie de l'expérience, se contentant de calquer sur le transport ferroviaire le modèle de la déréglementation déjà appliqué aux autres modes de transport.

Aussi, au lieu d'une réforme tendant à moderniser le ferroviaire et à lui donner les moyens de l'ambition que nous lui portons, elle lui impose une révolution dont il aura du mal à se relever, si par malheur, celle-ci était appliquée.

M. Dominique Bussereau.

Vous êtes en retard d'une guerre !

M. Jean-Jacques Filleul.

Un premier exemple : le transport ferroviaire est un système intégré. On ne peut faire rouler des trains ailleurs que sur des rails.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

C'est vrai !


page précédente page 05916page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Je vois que nous sommes d'accord, monsieur le ministre. (Sourires.)

La création, en France, du Conseil supérieur du service public ferroviaire illustre d'ailleurs le besoin d'unicité du service du rail.

La séparation institutionnelle de ce service unique en deux entités crée des obligations nouvelles et augmente les sources de conflits comme certains coûts de transactions. C'est pourquoi je me félicite que le Gouvernement, en engageant la réforme de la réforme, ait pris conscience des risques que cela pouvait entraîner pour le service public du rail et ait engagé les moyens nécessaires pour que les trains et les rails, pour que l'exploitation et l'infrastructure aillent dans le même sens et aient ainsi un objectif commun : fournir le meilleur service aux clients.

Or dans le but avoué de casser les opérateurs ferrov iaires nationaux, la Commission européenne nous demande d'aller plus loin encore, en imposant un éclatement complet, en différents services, du transport ferroviaire. En plus du gestionnaire d'infrastructure et de l'exploitant ferroviaire, il faudrait créer des organismes indépendants pour la gestion de la sécurité et pour la régulation. Qui plus est, il faudrait permettre à des candidats autorisés - toutes les entreprises ferroviaires européennes, mais aussi des entreprises non ferroviaires et des collectivités locales -, de réserver des sillons, de venir concurrencer sur les lignes rentables l'opérateur national.

Si ces conditions étaient validées par notre assemblée, les entreprises ferroviaires européennes ne pourraient plus, à terme, que faire circulier des trains réservés par d'autres, dans des conditions de sécurité déterminées par d'autres, à des prix et à des horaires décidés par d'autres et - pourquoi pas ? - sur un réseau dessiné par d'autres. Pour ce faire, ces entreprises devraient en plus être en concurrence entre elles, et donc se livrer une guerre des prix sans merci. Et l'on sait par expérience qui gagne, en général, dans un tel climat de dérégulation ! Cela voudrait dire : moins de service public, alors que le droit de se déplacer est un droit fondamental.

Cela voudrait dire : moins d'aménagement du territoire, et donc moins de retombées économiques pour les régions ou les communes.

Cela voudrait dire : moins de sécurité, alors que le chemin de fer est actuellement le mode de transport le plus sûr, et, surtout, moins de développement de la part du ferroviaire en Europe car les candidats autorisés ne s'intéresseraient alors qu'aux trafics les plus rentables, ce qui entraînerait un simple effet d'écrémage sans création de trafic nouveau.

Et cela, mes chers collègues, au moment où les Etats membres ont à peine ingurgité, si je puis dire, la directive 91-440, au moment où les entreprises ferroviaires sont en plein processus d'assainissement financier très difficile ! Plutôt que de bouleverser l'organisation d'entreprises en phase de mutation, il est urgent de les conforter, de les accompagner dans cette évolution.

Plutôt que d'imposer aux Etats un nouveau cadre réglementaire alors que certains d'entre eux n'ont pas encore achevé la transposition des précédentes directives, il est nécessaire de prendre le temps du bilan et de tirer profit des expériences en cours. C'est ce que prévoit la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui.

Second exemple : le fret ferroviaire.

La Commission européenne exige dans ses directives une séparation comptable des activités fret et voyageurs.

Son objectif est d'éviter tout financement public du t ransport de marchandises. Or convenons ensemble aujourd'hui que le transport combiné ne pourra exister que grâce aux subventions publiques, en particulier tant que les prix du transport routier seront aussi bas ! L'exposé des motifs de ces directives évoque le « rôle crucial du chemin de fer en termes de mobilité durable ».

Comment ne pas considérer, dans ces conditions, le fret ferroviaire comme un service d'intérêt général...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Tout à fait !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

... pour des raisons évidentes de protection de l'environnement, de sécurité routière et de rééquilibrage face au transport routier ? De même, la Commission affirme que « le rail devrait être le moyen de transport particulièrement intéressant pour déplacer de grandes quantités de marchandises sur de longues distances ». Dans ces conditions, pourquoi n'a-t-elle pas commencé par la directive, que le Livre vert de 1995 préconisait, sur une tarification de tous les transports intégrant les coûts externes avant toute nouvelle déréglementation du transport ferroviaire ? La commission de la production et des échanges a adopté un amendement, dont nous débattrons tout à l'heure, qui va dans ce sens.

Je n'ai, mes chers collègues, cité que deux exemples...

M. Dominique Bussereau.

Heureusement !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

... car ils me paraissent à eux seuls illustrer les dangers de ces directives et mettre en évidence la pertinence de la proposition de résolution de mon éminent collègue Didier Boulaud.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Bravo Boulaud !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Face à l'attitude de la Commission européenne, qui applique un régime uniforme de libéralisation à un secteur très spécifique, il est nécessaire de proposer des solutions alternatives qui prennent en compte l'ensemble des dimensions de la politique des transports en Europe.

La proposition de résolution ne permet pas seulement de s'opposer aux propositions de la Commission : elle a aussi le mérite de dégager les grandes lignes d'une alternative réaliste. Elle invite la Commission européenne à reconsidérer sa démarche dans le sens d'une vraie politique commune et intermodale des transports, et à prendre en compte les expériences en cours. A la concurrence, elle préfère la coopération et le développement des réseaux ferrés grâce à une politique volontariste d'investissements européens.

Je ne peux conclure mon intervention sans vous dire que le transport ferroviaire est, par essence, un service public. J'adhère donc totalement au voeu formulé par M. Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne, de la création d'un service public ferroviaire européen. C'est pourquoi je ne peux que soutenir, par l'adoption de la proposition de résolution, la position du Gouvernement français qui, demain, au Conseil des ministres européens, s'opposera à l'adoption des directives.

M. Dominique Bussereau.

Il sera ultra-minoritaire !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Après l'adoption unanime par la délégation pour l'Union européenne, puis par la commission de la production et des échanges, de la


page précédente page 05917page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

proposition de résolution, après le dépôt au Sénat d'une proposition de résolution contre le paquet de directives, ce que vous appréciez sans doute, mon cher collègue (M. Dominique Bussereau fait un signe de dénégation) , il est nécessaire que les députés apportent un fort soutien au Gouvernement qui sera, il faut l'avouer, quelque peu isolé dans le contexte actuel. Mais je sais, monsieur le ministre, que vous défendrez avec une volonté affirmée l'abandon des projets de directives.

C'est pourquoi, mes chers collègues, sous la réserve de l'examen des quatre amendements dont nous débattrons dans quelques instants, je vous propose d'adopter la proposition de résolution sur les propositions de directives relatives aux chemins de fer communautaires, présentée par la délégation pour l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Didier Boulaud, au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'idée de service public est-elle ringarde et politiquement incorrecte ? C'est, à l'évidence, la question que les partisans résolus du libéralisme et de la pensée unique ne manqueront pas de se poser à la lecture du rapport d'information que j'ai eu l'honneur d'élaborer au nom de la délégation.

M. Dominique Bussereau.

C'est vrai !

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Je me réjouis d'ailleurs qu'une telle question puisse être posée et, au-delà, que l'Assemblée nationale, au travers du débat organisé aujourd'hui, prenne conscience que la question des transports ne revêt pas seulement une dimension technique : elle met en jeu des choix éminemment politiques, comme le montre avec éclat le paquet infrastructure.

Dans le temps qui m'est imparti, je souhaiterais rappeler les raisons qui m'ont conduit à m'opposer à la démarche de la Commission et à plaider en faveur d'un service public ferroviaire européen. Ainsi que je l'ai montré dans mon rapport écrit, le postulat sur lequel repose la réforme présentée par la Commission est de nature idéologique. Celle-ci se borne en effet à affirmer de m anière péremptoire que seule l'instauration de la concurrence intramodale permettra le transfert vers le rail d'une part significative du fret transporté actuellement par la route. Or qui pourra croire un seul instant à une telle affirmation, alors que diverses prévisions montrent que, dans les vingt-cinq prochaines années, le transport routier demeurera dominant, évolution que l'élargissement de l'Union risque d'ailleurs de renforcer ? A vrai dire, le paquet infrastructure vise à permettre essentiellement aux chargeurs de faire face au risque de saturation croissante des infrastructures routières et de rejet violent en raison des dommages causés à l'environnement susceptibles d'en découler. Il n'est en effet pas exclu que des manifestations analogues à celles qui existent depuis longtemps dans la vallée de Chamonix p rennent davantage d'ampleur. C'est pourquoi la Commission propose de consacrer la notion de candidat autorisé et d'encadrer les entreprises ferroviaires par plusieurs entités indépendantes.

Là encore, on peut douter qu'une fragmentation des réseaux nationaux soit une réponse adéquate. Pour me limiter au système britannique, je constaterai que le gouvernement travailliste, mécontent à la fois du comportement de Railtrack - davantage préoccupée par les intérêts de ses actionnaires que par la nécessité de moderniser le réseau - et des performances médiocres des compagnies ferroviaires, en particulier pour ce qui concerne la ponctualité, a décidé de substituer, à titre expérimental, la SRA, l'autorité stratégique du rail, au Rail Regulator.

Enfin, il est surprenant que la Commission impose un cadre commun à des réseaux de qualité inégale - comme chacun peut le constater lorsqu'il emprunte l' Eurostar et qui se trouvent dans des situations géographiques différentes, certains pays étant de transit, d'autres périphériques. Il est tout aussi surprenant que la Commission invoque des expériences de libéralisation intervenues dans certains pays pour les étendre à l'ensemble des Etats membres alors que, comme je l'ai montré, il ne s'agit que d'un libéralisme de façade.

Toutes ces raisons m'ont convaincu de la nécessité de proposer d'autres orientations propres, selon moi, à éviter que l'avenir du rail ne soit aligné sur celui du transport routier.

Ces orientations s'ordonnent autour de deux préoccupations.

A l'échelle de l'Europe, il importe que l'Union et les

Etats membres s'attachent, sans délai, à développer et à moderniser les réseaux.

L'idée d'emprunt communautaire n'aura de sens que si, parallèlement, les entreprises ferroviaires veillent à résoudre les problèmes d'interopérabilité et à harmoniser vers le haut leurs normes de sécurité et de conditions de travail. Par exemple, il n'est pas acceptable que les conducteurs britanniques de l' Eurostar continuent de travailler au-delà de sept heures. Mais il est tout aussi important que les objectifs d'aménagement du territoire et de service public ne soient pas négligés. Cela interdit que l'on puisse, au nom de la rentabilité, fermer des lignes.

En ce qui concerne la France, j'ai appelé de mes voeux la modernisation de la SNCF. Je suis convaincu que, pour peu qu'elle sache valoriser ses atouts techniques et mobiliser les cheminots, dont la passion pour leur métier demeure très grande, la SNCF pourra se révéler aussi performante qu'EDF ou France Télécom.

Pour conclure, je ferai part de mon étonnement de devoir faire un plaidoyer en faveur du service public. Il est temps que la Commission prenne enfin conscience que les auteurs du traité d'Amsterdam ont consacré cette notion, parce que, précisément, comme il a été rappelé dans un récent éditorial, elle fait partie du socle des valeurs européennes qui distinguent clairement nos sociétés de la société américaine.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui intervient aujourd'hui revêt une grande importance. En effet, il a lieu à la veille du Conseil des ministres des transports, qui doit statuer sur l'organisation du transport ferroviaire, à la suite de l'élaboration, par la Commission européenne, des trois propositions de directives dont nous ont excellement entretenus le rapporteur de la commission de la production et des échanges, Jean-Jacques Filleul, et l'auteur du rapport initial de la délégation,

M. Didier Boulaud.


page précédente page 05918page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

Nous souhaitons que le Conseil des ministres des transports engage un débat sur ces textes qui, selon nous, ne peuvent être adoptés en l'état.

Il est assez inhabituel que la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne conclue à l'unanimité des différents groupes qui la composent au rejet total d'une réforme présentée par la Commission européenne.

Nous préférons généralement suggérer au Gouvernement des inflexions, voire des amendements, en tenant compte à la fois des intérêts de la France et de ceux de l'Union européenne par-delà un certain nombre de clivages politiques.

Dans le cas qui nous occupe, la délégation n'a pu que conclure au rejet du « paquet infrastructure » et demander au Gouvernement d'obtenir que la Commission présente de nouvelles propositions. Mais ce ne sera pas facile ; le Gouvernement a donc besoin du soutien unanime du Parlement.

Tout en partageant l'objectif de revitalisation du transport ferroviaire, la délégation a estimé que les principes et les méthodes retenus par la Commission n'étaient pas de nature à favoriser le développement durable du rail.

La politique ferroviaire de l'Union européenne ne saurait se limiter au seul objectif de concurrence intramodale préconisé par la Commission et faire abstraction d'une approche intermodale.

La Commission n'a pas apporté la preuve que l'extension au transport ferroviaire de la déréglementation intervenue dans les autres secteurs du transport, ou encore dans les télécommunications, était la voie unique de la revitalisation du fer et du rééquilibrage du fret en sa faveur. Il n'est que de se référer au coût très élevé sur les plans économique, social et environnemental - résultant de la libéralisation sans harmonisation du transport routier, pour s'en convaincre.

La Commission ne peut pas non plus se fonder valablement sur les politiques de déréglementation mises en oeuvre par certains Etats membres. Je pense tout d'abord à l'expérience britannique de privatisation, qui illustre parfaitement les dérives inhérentes à une concurrence mal maîtrisée, comme vient de le rappeler Didier Boulaud.

Dans les autres Etats membres qui ont choisi d'aller au-delà de la directive 91/440, la déréglementation n'a pas réellement produit les effets escomptés. L'ouverture y a été limitée aux lignes de proximité, tandis que les opérateurs historiques conservent une position dominante sur les grandes lignes et dans le domaine du fret. Dans un tel contexte, il est d'autant plus surprenant que la Commission ait choisi de préconiser l'instauration de la concurrence intramodale que, dans le même temps, persistent les distorsions de concurrence entre le rail et la route, et qu'elle n'a fait aucune proposition en faveur du développement du transport combiné.

En second lieu, la délégation a contesté qu'une réforme aussi vaste que le « paquet infrastructure » ait pu intervenir en l'absence de tout bilan approfondi de la transposition de la directive 91/440 et à un moment où la quasitotalité des entreprises ferroviaires se trouve confrontée à une situation financière fragile.

Mme Odile Saugues.

Très juste !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Enfin, la logique de la Commission est apparue irrecevable parce qu'elle a fait abstraction des obligations de service public auxquelles doivent satisfaire les

Etats membres à une époque où la notion de service public est reconnue par l'Union européenne, comme en témoigne l'article 16 du traité d'Amsterdam.

Si, pour la délégation, il existait donc de sérieux motifs pouvant justifier le rejet du « paquet infrastructure », elle ne s'est toutefois pas bornée à cette attitude de refus.

Bien au contraire, elle a formulé des propositions constructives. C'est le second point sur lequel je voudrais insister.

La délégation a marqué son souci de promouvoir une réelle politique européenne de transports en reprenant l'idée préconisée par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, d'émettre un emprunt communautaire destiné au financement des réseaux transeuropéens de transports de voyageurs et de marchandises.

Pour prendre deux exemples qui sont particulièrement chers à plusieurs d'entre nous, je citerai comme opérations pouvant bénéficier de ces emprunts communautaires le TGV-Méditerranée entre Montpellier et Perpignan, et l a remise à niveau de la ligne Béziers Neussargues Clermont-Ferrand,...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Très bien !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Belle initiative !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... qui dessert les hauts cantons du Languedoc, favorise le désenclavement du Massif central, redynamise l'atelier d'entretien de Béziers et évite de nouveaux et coûteux investissements dans le couloir rhodanien.

M. Dominique Bussereau.

C'est la ligne Barrau-Gayssot ! (Sourires.)

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est un parfait exemple de ce que l'on peut faire avec des moyens nouveaux obtenus grâce à des emprunts communautaires pour l'instant inutilisés.

La délégation insiste parallèlement sur la nécessité de favoriser l'interopérabilité des réseaux ferroviaires. De même, c'est également dans le cadre du développement des réseaux transeuropéens de transport de voyageurs et de marchandises qu'elle souhaite la pleine valorisation du potentiel technique et humain dont disposent la SNCF et RFF.

Je me félicite que, sous réserve de quelques amendements, la commission de la production et des échanges ait suivi, pour l'essentiel, la position de la délégation.

Cela confirme qu'un travail approfondi, conduit en amont et en liaison avec la délégation et les commissions permanentes de l'Assemblée, porte ses fruits et permet aux parlements nationaux de participer de manière efficace au contrôle des projets d'acte communautaire et, audelà, à celui de la construction européenne. Un tel contrôle est plus que jamais une exigence démocratique,...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Absolument !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... non seulement dans la mesure où la Commission peut susciter ou entretenir des réactions sceptiques au travers de projets technocratiques, mais aussi parce que le traité d'Amsterdam a élargi la procédure de codécision à de nombreuses matières, en particulier la politique commune des transports.

Il est, dès lors, tout à fait souhaitable que les parlements nationaux, l'Assemblée nationale et le Sénat en ce qui concerne la France, exercent pleinement leur pouvoir de contrôle : les parlementaires nationaux doivent être à même, comme les parlementaires européens, d'examiner et de juger les textes qui déterminent les politiques communautaires. Tel est notre objectif permanent de tra-


page précédente page 05919page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

vail au sein de la délégation. Il peut amener, ce qui est le cas en l'espèce, à s'opposer clairement aux orientations par trop libérales de la Commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Biessy.

M. Gilbert Biessy.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission européenne, constatant le déclin du transport ferroviaire, cherche à créer les conditions favorables au développement d'un système ferroviaire dynamique et compétitif.

Aujourd'hui, personne ne peut nier, il est vrai, la tendance au déclin du rail face aux autres modes de transport, et particulièrement à la route. A l'échelle de la Communauté européenne, les experts constatent une stagnation des trafics de voyageurs par le train au cours des dix dernières années, tandis que le volume du fret ferroviaire a diminué entre 1990 et 1997. La France, même si elle demeure le pays où la part du rail est la plus importante, n'a pas été épargnée par ce mouvement. Selon le rapport 1998 du Haut Conseil du secteur public, le chemin de fer n'assure plus que 7,7 % du trafic voyageur, contre 10,3 % en 1985, et 21,4 % du fret, contre 32,4 % en 1985. Cette érosion a profité essentiellement au transport routier, qui ne cesse d'accroître son emprise depuis trente ans. Nous ne pouvons donc que souscrire aux intentions affichées par la Commission de Bruxelles.

Celle-ci propose de revitaliser le rail au moyen de trois propositions de directives, que l'on appelle « paquet infrastructure », mais ces propositions s'inscrivent dans une démarche de libéralisation accrue.

Rappelons qu'aujourd'hui la libéralisation du secteur ferroviaire est limitée. La directive actuelle 91/440 vise déjà à ouvrir les réseaux nationaux à certains trafics. Son article 10 reconnaît des droits d'accès et de transit aux regroupements d'entreprises ferroviaires effectuant des services de transport internationaux ou exploitant des services de transport combinés internationaux de marchandises. Cependant, la Commission européenne, en voulant pousser plus avant ce processus de libéralisation, met en danger le service public ferroviaire non seulement en France, mais également dans d'autres pays. Dans une prise de position, rendue publique le 22 octobre dernier, l a majorité des vingt-cinq sociétés membres de la Communauté des chemins de fer européens - CCFE - a émis les plus grandes réserves sur ce « paquet infrastructure », estimant qu'il s'agissait d'une restructuration artificielle du marché du rail qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde à une telle échelle et dont les effets économiques n'ont pas été évalués par la Commission. La CCFE mettait en garde contre le risque d'écrémage et de préjudices graves portés aux investissements dans le secteur ferroviaire.

Faut-il également rappeler l'ampleur de l'« Eurogrève », organisée l'an passé par plusieurs syndicats de cheminots des différents Etats membres pour protester contre la démarche proposée par les instances communautaires ? Les trois propositions de directives visent à éclater les réseaux actuels, à créer de la concurrence entre les lignes de fret, les grandes lignes, les TGV et les lignes régionales, et à accorder des autorisations d'exploitation à des candidats autorisés, autrement dit à des entreprises n'ayant pas de moyens ferroviaires propres.

Avant de s'engager dans cette voie de déréglementation actuelle, il conviendrait, en fait, de faire le bilan de l'application de la directive 91/440. La Commission juge la réglementation actuelle insuffisante car elle ne favorise pas l'accès de nouveaux entrants. Or la directive 91/440 n'est pas encore transposée intégralement par différents

Etats membres et, surtout, elle n'empêche pas certains d'aller au-delà des termes des recommandations, tout comme elle n'empêche pas la concurrence potentielle de nouveaux entrants.

En vertu du principe de subsidiarité, les Etats doivent pouvoir s'engager sur des objectifs convergents de développement du rail en utilisant des formes et des moyens différents, chacun ayant la responsabilité de déterminer la voie la plus efficace et la plus adaptée à sa situation. C'est ce que permet la directive 91/440. Ce n'est pas, en revanche, la démarche de la Commission, qui outrepasse ses prérogatives en préconisant une fragmentation de l'organisation du système ferroviaire.

De plus, ces trois nouvelles propositions partent d'un postulat invérifiable. La Commission considère que la libéralisation aurait, par essence, des effets positifs, sans apporter la preuve que la dérégulation dans le transport ferroviaire permettrait de reconquérir des parts de marché en Europe. En effet, aucun pays n'a réellement expérimenté un tel modèle. L'exemple britannique d'une privatisation effrénée, qui entraîne une dégradation du service rendu aux usagers, devrait au contraire nous inciter à la prudence. La doctrine de la Commission manque donc de fondement.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui précise que l'objectif de Bruxelles répond au souci unanime d'établir un meilleur équilibre entre les transports routiers et ferroviaires, mais que les moyens employés et le chemin emprunté ne sont pas les bons.

Le groupe communiste est, par conséquent, favorable à cette proposition de résolution. Néanmoins, nous envisageons de l'améliorer sur trois points. C'est l'objet des amendements que nous avons déposés et qui ont été adoptés par la commission de la production et des échanges.

Tout d'abord, il nous paraît indispensable d'introduire un alinéa insistant sur le respect du principe de subsidiarité.

Notre deuxième amendement a trait à la sécurité. Il apparaît en effet que « le paquet infrastructure » traite peu et mal de sécurité. Nous proposons donc d'insérer un alinéa soulignant les risques que pourrait poser la création de l'organisme indépendant préconisé par la Commission européenne.

Enfin, notre dernier amendement, également adopté par la commission, vise à une harmonisation dans la tarification des différents modes de transport, afin de parvenir à une vérité des coûts pour chacun d'eux. Les coûts externes engendrés par les activités de transport, notamment par le bruit, les accidents, la pollution atmosphérique et les changements climatiques, ne sont pas directement et totalement supportés par les acteurs du secteur.

Ces coûts pour l'environnement et la société ont été évalués a près de 400 milliards d'écus par an en Europe de l'Ouest. Or, 92 % de ces dommages sont générés par le trafic routier, contre 1,7 % seulement par le trafic ferroviaire. Il semble donc nécessaire de mettre en oeuvre un mécanisme de choix des investissements d'infrastructures et de tarification d'usage qui encourage le recours aux modes de transport occasionnant le moins de nuisances et qui soit calibré de façon à permettre le respect effectif des


page précédente page 05920page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

objectifs fixés par la Communauté. Un tel mécanisme permettrait une relance du secteur ferroviaire tout en incitant à une amélioration des conditions du transport par camion et bus. Ainsi, nous contribuerions notamment à une meilleure sécurité routière en prévenant des drames tels que celui du tunnel du Mont-Blanc ou celui, plus récent, qui a endeuillé l'Autriche.

Chacun s'accorde sur la nécessité de définir un nouvel équilibre entre la route et le rail. Le Gouvernement a affiché son intention de doubler le trafic ferroviaire en dix ans. Toutefois, dans le même temps, au regard des projections et en l'état actuel du trafic poids lourds, celui-ci évoluera dans les mêmes proportions.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Gilbert Biessy.

Afin de mettre un frein à cet engrenage, la volonté politique doit se traduire par des actes.

M. Michel Bouvard.

Oui, des actes !

M. Gilbert Biessy.

Les députés communistes souhaitent donc que le vote de cette proposition connaisse des suites dans l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mes chers collègues, je voudrais d'abord remercier notre rapporteur pour son travail, et surtout pour la méthode qu'il a utilisée, puisqu'il a eu la courtoisie d'organiser, lors des auditions, une sorte de débat contradictoire entre parlementaires pouvant avoir des avis différents sur le sujet. C'était une bonne idée et je tenais à l'en remercier publiquement.

Dans cette Europe qui approfondit sa construction et dont je souhaite l'élargissement aux pays de l'Est, le chemin de fer me semble avoir un grand avenir. L'allongement des distances lui offre en effet, en ce qui concerne tant le fret que le trafic voyageurs, des possibilités nouvelles qui peuvent lui permettre d'accroître sa part dans les transports en Europe et dans notre pays.

N ous sommes saisis par la Commission d'un

« paquet », d'un ensemble de directives. Bien entendu, vous vous en doutez, monsieur le ministre, je vais déroger à la pensée unique que nous avons jusqu'alors entendue dans cet hémicycle pour dire qu'à mes yeux ces directives sont globalement positives, même s'il existe, de-ci de-là, certains points avec lesquels je ne suis pas d'accord.

Mme Odile Saugues.

Vous êtes bien le seul à les juger positives, mon cher collègue !

M. Dominique Bussereau.

C'est pourquoi je compte sur votre courtoisie habituelle pour me permettre de m'exprimer. Je ressens profondément cette solitude (Sourires) mais cela fait partie des risques du métier !

Monsieur le ministre, je crois beaucoup aux vertus de la liberté dans le domaine des transports. La directive 91/440 à laquelle les gouvernements socialistes se sont opposés naguère - ils ont bien sûr perdu, comme vous allez perdre de nouveau - a tout de même permis de faire évoluer la SNCF avec la création de Réseau ferré de France.

Il est de bon ton de critiquer la libéralisation des chemins de fer en Grande-Bretagne, mais je voudrais rappeler que s'il y a eu privatisation et liberalisation, c'est parce que les gouvernements travaillistes en particulier mais pas seulement avaient laissé le chemin de fer britannique dans un tel état de déshérence que la solution ne pouvait être que chirurgicale. Et s'il n'y avait pas eu de privatisation, il n'y aurait plus aujourd'hui de chemins de fer en Grande-Bretagne.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

C'est un point de vue personnel !

M. Dominique Bussereau.

En outre, les plus grosses commandes de matériel ferroviaire en Europe sont actuellement celles des Anglais. Aujourd'hui, aucun autre réseau en Europe, pas même celui des Allemands qui investissent beaucoup, ne dépense autant pour le matériel que le réseau britannique. Sans la libéralisation, il n'y aurait plus de chemins de fer en Grande-Bretagne, et ce serait bien dommage.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Les trains n'arrivent pas à l'heure !

M. Dominique Bussereau.

Il n'y en aurait plus ! Par conséquent, la question du respect des horaires ne se poserait plus.

Par ailleurs, dire que la libéralisation du transport aérien n'a pas été une contrevérité. Sans elle, un très grand nombre de Français n'auraient pas encore accès démocratiquement au ciel. Si, aujourd'hui, nos compatriotes d'outre-mer ont vu les tarifs pour les Antilles, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, baisser de plus de moitié, c'est bien grâce à la libéralisation du transport aérien. Si Air France essaie, malgré la tutelle pesante de l'Etat, de redresser la tête, c'est parce que la libéralisation du transport aérien lui donne de nouvelles chances de conquérir des marchés. Mieux vaut des prix en baisse pour les consommateurs que d'affirmer la notion de service public et de poser la question intéressante de la qualification de celui-ci, comme l'a fait Didier Boulaud.

Il est un domaine dans lequel les gouvernements socialistes ont échoué : celui de la libéralisation du transport routier. Ils ont, en effet, accepté cette libéralisation en oubliant complètement le volet social. Il est facile aujourd'hui de crier haro sur le baudet, chers collègues socialistes, mais ce sont vos ministres qui nous ont conduits là où nous en sommes en n'imposant aucune négociation sociale. Il faut rappeler la vérité !

M. Michel Bouvard.

Eh oui !

M. Dominique Bussereau.

Les communistes ne sont pas en cause, ils n'étaient pas alors aux affaires.

A ujourd'hui, vous menez une sorte de combat d'arrière-garde. C'est pour cela, et je le regrette pour la France, car majorité et opposition doivent toujours être solidaires de leur Gouvernement, que vous allez être mis en minorité vendredi, monsieur le ministre. En vous opposant aussi farouchement à la directive, vous n'allez pas rendre service au développement du fer en France.

Certes, je partage un certain nombre de réticences sur le contenu du « paquet ».

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est l'ultralibéralisme !

M. Dominique Bussereau.

Mais il faut tout de même que le chemin de fer se modernise s'il veut gagner.

Lors du vote de la réforme de la SNCF, M. Filleul nous avait indiqué qu'en cas de changement politique - et nous ne l'attendions pas dès 1997 (Sourires) -, cette loi serait abrogée. Or tel n'est pas le cas. Vous créez simplement un Conseil. Il s'agit en fait d'une nouvelle usine à gaz composée d'ailleurs uniquement de syndicalistes et


page précédente page 05921page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

pas de clients, comme si le chemin de fer était au service des syndicats de la SNCF et non pas de tous les Français qui le financent par leurs impôts.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Caricature !

M. Jean-Louis Idiart.

C'est excessif !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Oui, c'est vraiment excessif !

M. Dominique Bussereau.

Ce Conseil sera donc dirigé par une personnalité éminente. L'éminence du président est d'ailleurs le seul point positif car, pour le reste, nous avons le sentiment d'être en présence d'un comité d'entreprise des cheminots payés par les Français. Voilà une organisation bien particulière ! Moi, je crois profondément que tout ce qui peut dépoussiérer l'organisation du fer en France et permettre la modernisation de la SNCF favorisera le développement de la part du ferroviaire dans notre pays, ce que je souhaite. Nous en reparlerons prochainement, monsieur le ministre, avec le président de la région, M. Jean-Pierre Raffarin, à propos de la route nationale 10. Quand je la parcours dans ma circonscription et que je vois ces milliers de camions circuler, je me dis qu'ils seraient mieux sur le rail et qu'il faut véritablement favoriser le ferroutage.

Pour ce faire, il faut améliorer la part du rail tout en autorisant la SNCF à vivre dans un univers de concurrence. La SNCF étant techniquement excellente, la concurrence lui permettra même de conquérir des marchés à l'étranger. Pourquoi la SNCF ne serait-elle pas capable de faire comme la CGEA, qui va exploiter des chemins de fer régionaux dans certains Lnder allemands ou dans certains autres pays européens ? Mais si vous la bridez dans un corset étatique en lui imposant une notion de service public qui n'est plus d'actualité, vous allez empêcher le développement du fer.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est le traité d'Amsterdam !

M. Dominique Bussereau.

Le service public ferroviaire existe dans les banlieues parce qu'il y a un monopole, mais cette notion n'a plus aucune valeur sur les grandes lignes du fait de la concurrence de la route, du train et des autres modes de transport. Elle est même complètement désuète en matière de fret. Plus personne en Europe ne s'y réfère.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

On a évoqué l'intérêt général ! Il ne faut pas caricaturer !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Et l'article 16 du traité d'Amsterdam ?

M. Dominique Bussereau.

Elle a juste été mentionnée dans un paragraphe quelconque du traité d'Amsterdam pour faire plaisir au Premier ministre français.

Monsieur le ministre, pourquoi, au lieu de mener ce combat d'arrière-garde, ne faites-vous pas évoluer les choses ? Les raisons sont évidemment politiques et je ne les approuve pas.

Par la voix de M. Zuccarelli, le Gouvernement s'est ainsi opposé à l'adoption d'une proposition de loi émanant de trois groupes de l'opposition et visant à améliorer le dialogue social dans les entreprises.

Elle instaurait le service minimum comme ultime recours afin d'éviter la grève. Or, lors de la dernière grève, très récente, des agents de conduite de la SNCF, plus de 1 100 trains ont été bloqués sur les voies de France sans que les affréteurs sachent à aucun moment où pouvaient être leurs wagons. Comment voulez-vous dans ces conditions qu'on développe le ferroutage dans notre pays ? Comment voulez-vous que des entreprises acceptent cette solution d'avenir si le système peut être ainsi bloqué ? Dans la proposition de loi que nous allons redéposer et dont nous redemanderons la discussion dans cette assemblée, nous avons ajouté, au service minimum pour les banlieues et les enfants scolarisés, le service minimum pour le transport de fret combiné. En effet, vous ne pourrez pas développer le transport de fret combiné tant que, par la grâce de quelques organisations syndicales, tout le réseau ferroviaire français peut s'arrêter en un instant sans que plus personne ne sache où sont les trains ni comment les faire repartir. Malheureusement, en n'acceptant pas cette notion de service minimum pour le fret, vous mettez des camions supplémentaires sur les routes.

Je terminerai par l'accord sur les 35 heures à la SNCF, mesure dont je me réjouis pour la qualité de vies des cheminots. Mais je regrette que cet accord se fasse au détriment de l'augmentation de la productivité de l'entreprise, parce que vous acceptez, monsieur le ministre, de payer la SNCF pour cela. D'une certaine manière, vous achetez la paix sociale, ce que je comprends tout à fait - ce peut être, en effet, une méthode de gouvernement. Mais ce faisant, vous sollicitez le contribuable alors que les patrons des PME devront financer eux-mêmes le passage aux 35 heures.

Monsieur le ministre, je n'approuve pas la totalité de la d irective, mais le combat d'arrière-garde que vous menez,...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Mais non !

M. Dominique Bussereau.

... pensant ainsi sauver la SNCF, alors qu'en réalité vous détruisez le chemin de fer, ne me paraît pas la bonne méthode. C'est pour cette raison que vous serez vraisemblablement mis en minorité vendredi et que je ne peux suivre le rapport, pourtant excellent, de Didier Boulaud.

M. le président.

La parole est à M. Jean Rigal.

M. Jean Rigal.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille de la réunion du Conseil des ministres européens des transports, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne sur les propositions de directives relatives aux chemins de fer communautaires.

Sous une apparence qui se voudrait essentiellement voire purement technique, les trois propositions de direct ives, dites « paquet infrastructure ferroviaire », qui émanent de la Commission européenne, sont d'inspiration ultralibérale. Ce n'est pas une surprise, mais c'est pour nous un sérieux motif d'inquiétude et de préoccupation.

En effet, selon la Commission de Bruxelles, « les chemins de fer doivent fonctionner comme des entreprises résolument orientées vers le marché, être gérés de maniè re indépendante, jouir d'une situation financière saine et être progressivement soumis aux forces du marché ». A l'exception de la recherche d'une situation financière saine, cette manière de voir les choses est totalement inacceptable pour les députés radicaux que je représente aujourd'hui.


page précédente page 05922page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

En outre et ainsi que l'a rappelé notre rapporteur, Jean-Jacques Filleul, il est envisagé que le conseil des ministres européens des transports engage une discussion sur une libéralisation globale du secteur ferroviaire, actuellement limitée aux activités de transport international.

Au final, cela signifierait pour nous la fin du service public ferroviaire, auquel nous sommes très attachés, car nous savons combien dans un pays comme le nôtre il participe à l'aménagement du territoire. Il a été fait allusion tout à l'heure à la ligne Béziers-Neussargues. C'est effectivement une référence. Mais il en est bien d'autres du même type.

La perspective du « paquet infrastructure ferroviaire » est pour nous impossible à accepter.

C'est pourquoi la proposition de résolution qui nous est soumise est tout à fait opportune pour rappeler que, si la revitalisation du rail et le rééquilibrage des moyens de transports routiers et ferroviaires sont indispensables, les moyens proposés par la Commission européenne sont à la fois inappropriés et dangereux.

Ils sont inappropriés parce qu'ils remettent profondément en cause l'organisation actuelle des entreprises ferroviaires européennes.

Ils sont dangereux du fait qu'ils préconisent une déréglementation totale du secteur ferroviaire, alors même que la directive européenne du 29 juillet 1991 n'a fait l'objet d'aucun bilan sérieux et cohérent d'application. On veut conforter le secteur ferroviaire, mais on risque de le tuer et il pourrait mourir guéri.

Par ailleurs, les propositions de la Commission européenne ne prévoient pas de véritable politique harmonisée des transports à moyen terme, sinon celle dictée par le marché.

Enfin, le principe de subsidiarité est fortement mis à mal par le niveau de détail de ces propositions de directives.

Je voudrais, avant de conclure, évoquer le contexte politique européen dans lequel s'inscrit ce dossier. On nous dit que la France pourrait sembler relativement isolée sur ce sujet. Soit. Mais les partisans de la libéralisation, aussi acharnés soient-ils, sont loin d'être unanimes.

Ils se présentent même en ordre particulièrement dispersé.

Monsieur le ministre, la France dispose d'une marge de manoeuvre au sein de l'Union européenne pour obtenir de nouvelles propositions de la part de la Commission européenne et la création d'un service public ferroviaire européen.

C'est pour cela que les députés radicaux de gauche, très attachés au service public, voteront la proposition de résolution et vous apportent tout leur soutien pour les négociations que vous conduirez dès demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut commencer par rappeler que le transport routier assure 90 % du transport de fret intereuropéen. Cela montre bien la nécessité pour la SNCF de sortir de ses difficultés, qui sont réelles, afin de nouer de véritables alliances durables avec des partenaires européens. La commission de la production et des échanges a unanimement considéré qu'il fallait rééquilibrer les modes de transport et assurer au transport ferroviaire une importance plus grande pour mettre fin au tout-routier.

Au nom du groupe UDF je tiens toutefois à souligner, monsieur le ministre, que la mise en oeuvre de ce rééquilibrage impose une politique volontariste d'aménagement du territoire...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je suis d'accord.

M. Léonce Deprez.

... qui devrait se traduire par un schéma national d'aménagement du territoire. Or ce dernier a été remplacé, dans la loi d'aménagement du territoire sur le point d'être définitivement votée, par des schémas de services collectifs. Il faudra donc que ces schémas tiennent compte du caractère prioritaire à donner à un plan national de liaison ferroviaire, routière et autoroutière moderne. Notre groupe estime aussi nécessaire d'amener sans tarder la SNCF à nouer ces alliances durables avec des partenaires européens. Il y a urgence à sortir de tout immobilisme.

L'objectif à atteindre dans le contexte européen doit être le développement de réseaux transeuropéens de transport de voyageurs et de marchandises. J'ai dit en commission à cet égard que les propositions européennes en matière de transport ferroviaire illustrent la nécessité d'une remise en question des responsabilités qui doivent être assumées au niveau européen et national. Il est évident qu'il faut désormais élaborer une constitution européenne pour mettre en application le principe de subsidiarité que chacun évoque maintenant, très heureusement, dans son propos en parlant de l'Europe et même de la politique de la SNCF et des transports. Ce principe de subsidiarité doit tendre à donner à chaque

Etat la responsabilité de l'organisation de son territoire, de son réseau ferré et des modes de transport à créer, à développer ou à moderniser.

Par ailleurs, il faut prendre en compte les politiques menées depuis la proposition 91/440 de la CEE qui a déjà neuf ans. Cette proposition a été appliquée par la France avec retard, ce qu'on peut regretter. Mais c'est le mérite de la réforme Pons-Idrac d'avoir mis en oeuvre en 1997 la séparation de la gestion des infrastructures de l'utilisation de ces infrastructures.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

M. Léonce Deprez.

M. Bernard Bosson, je tiens aussi à le rappeler, avait fixé précédemment cet objectif lorsqu'il était ministre de l'équipement et des transports. Nous l'entendons encore le dire de cette tribune.

Il est heureux que la France ait reconnu la nécessité de ne plus mêler l'exploitation des lignes ferroviaires à la gestion du réseau et à son développement. A cet égard, il serait extrêmement intéressant de relire dans le Journal officiel le compte rendu des débats du projet qui a instauré RFF en 1997.

M. Dominique Bussereau.

Ce serait, en effet, très intéressant !

M. Léonce Deprez.

Majorité et opposition d'alors défendaient des points de vue totalement opposés. Je me souviens très bien des propos que tenait l'ardent député que vous étiez, monsieur Gayssot. Mais vous avez eu l'occasion de constater, comme ministre, que nous avions eu raison de défendre ces positions-là. Nous avons permis ainsi à la SNCF de se libérer d'une dette qui risquait de l'asphyxier. Vous-même, d'ailleurs, avez également oeuvré en ce sens. Sous l'impulsion de son président - et je tiens, au nom de mon groupe, à rendre hommage au président Gallois -, la SNCF a donc pu s'engager sur la voie


page précédente page 05923page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

d'une modernisation indispensable, tant pour renforcer sa compétitivité que pour mieux répondre aux besoins de ses clients.

Aujourd'hui, sans pour autant approuver la proposition de la CEE, il faut bien comprendre l'objectif visé : il s'agit de permettre la concurrence pour stimuler le transport ferroviaire du fret en Europe. Mes chers collègues, la concurrence en soi est saine, et notre service public doit s'adapter pour ne pas avoir à la craindre ni à la subir.

Nous sommes en 1999. Puisque la Commission européenne prend un nouveau départ, il apparaît nécessaire de lui demander de commencer par soumettre aux assemblées nationales un état de la situation dans chaque pays - cela a été également demandé par le rapporteur aussi et de soumettre les résultats obtenus, en ce qui concerne les moyens mis en oeuvre et les coûts pour le transport par rail.

Après avoir entendu Dominique Bussereau, je considère qu'il faut faire l'inventaire des résultats en Angleterre et dans les autres pays européens, et ne pas craindre de les comparer avec les nôtres.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Tout à fait !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

On est d'accord pour l'inventaire !

M. Léonce Deprez.

Pour le transport comme pour toutes les branches de la vie nationale, il est nécessaire de prendre en considération les coûts qui sont à la base des prix de revient des produits et des services, mais aussi les notions d'exactitude et de sécurité. Et à cet égard, nous n'avons certainement pas de leçon à recevoir.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Très bien !

M. Léonce Deprez.

Cela étant, la France ne peut évidemment s'extraire de la compétition européenne et internationnale dans laquelle son économie est engagée.

Le sursis de cinq ans est justifié par le fait que les réseaux ferroviaires européens ne sont pas prêts. Il faut le mettre à profit pour inciter la SNCF à accroître ses efforts pour assurer des services plus compétitifs - nous savons que vous y pensez, monsieur le ministre - et pousser à un rééquilibrage des transports entre le rail et la route.

Les douloureux événements que nous venons de vivre ne peuvent que vous inciter à ne plus perdre de temps.

Ils ont en effet mis en avant une autre exigence commune aux pays d'Europe : l'exigence de la sécurité.

C elle-ci exige des investissements et une volonté commune afin de parvenir à des normes identiques dans tous les pays de l'Union européenne. A cet égard, il apparaît nécessaire de demander à la Commission de revoir les propositions qu'elle a adressées en matière de normes, qu'il faut tendre à européaniser, et de les appuyer sur lese xpériences vécues dans certains pays membres de l'Union.

Nous avons tout lieu d'être assez fiers, je tiens à le souligner, de la qualité du fonctionnement de notre SNCF.

C'est seulement à l'occasion des coupures qui affectent son fonctionnement quotidien, à l'occasion de certaines grèves, que les Français constatent la qualité, l'exactitude et la sécurité au service assuré par les 172 000 travailleurs et cadres qui font le renom de la SNCF.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Quel écart avec Madelin !

M. Dominique Bussereau.

Nous voulons seulement qu'ils travaillent !

M. Léonce Deprez.

Nous devons demander à la Commission européenne d'intégrer ses propositions dans une nécessaire évolution à moyen et long termes vers une intermodalité rail-route accrue, et de permettre la poursuite des expériences de coopérations déjà engagées entre certains Etats dans le cadre de la directive 91/440. Elle doit mettre à profit ces cinq années supplémentaires pour élaborer le plan d'un véritable réseau ferroviaire transeuropéen tout en tenant compte de la volonté manifestée par plusieurs Etats de maintenir à leur transport ferroviaire un caractère national de service public. Il faut lui demander de résoudre le problème de l'interopérabilité des réseaux et de favoriser dans chaque Etat les investissements tendant à développer la multimodalité.

Au niveau français enfin, nos deux sociétés nationales, la SNCF et RFF, doivent l'une et l'autre renforcer et accélérer leurs efforts de modernisation afin de valoriser et de rendre plus compétitif et plus performant leur potentiel technique et humain - le rapporteur vient de le souligner.

Autant dire, monsieur le ministre, que les conclusions auxquelles nous aboutissons rejoignent celles du rapporteur, sans pour autant s'écarter de la ligne directrice des politiques menées par vos prédécesseurs à la tête du grand ministère des transports et de l'équipement : M. Bosson, puis M. Pons et Mme Idrac. Le groupe UDF estime donc nécessaire de demander à la Commission européenne de revoir sa copie. Dans cette logique, nous nous associerons à la proposition de résolution qui nous ests oumise, tout en demandant au Gouvernement de comprendre la nécessité de stimuler la modernisation de la SNCF et de favoriser l'adaptation de notre territoire aux exigences de liaisons ferroviaires, routières et autoroutières modernes.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Isolement complet de Madelin !

M. Dominique Bussereau.

L'avenir le dira, pas nous.

C'est l'Europe qui décide !

M. le président.

La parole est à Mme Odile Saugues.

Mme Odile Saugues.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun en convient : la construction de l'Europe ferroviaire est une nécessité et mérite mieux que les propositions de directives qui nous parviennent avec ce « paquet infrastructure ».

Elle exigerait également un vrai débat qui serait l'occasion de mettre en perspective la construction européenne, l'aménagement du territoire, les contraintes de sécurité, les coûts réels du transport ferroviaire et, bien sûr, notre définition du service public - notion qui, à nos yeux, n'a rien de désuet.

J'évoquerai donc en peu de mots le contenu des directives qui nous sont présentées. Mes collègues Didier Boulaud, Jean-Jacques Filleul et Alain Barrau l'ont fait avant moi, mettant en avant la logique libérale qui prévaut dans les propositions de la Commission européenne.

Quel schéma nous présente-t-on ? Les entreprises ferroviaires assureraient les risques essentiels du ferroviaire, liés à la mise en place des moyens de traction. De leur côté, les demandeurs autorisés prendraient un risque simplement commercial, beaucoup plus restreint, sans engager le moindre investissement. Ils pourraient alors s'intéresser aux trafics les plus rémunérateurs. On en mesure les conséquences pour l'ensemble des entreprises ferroviaires en Europe.


page précédente page 05924page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

Disons également deux mots sur le calendrier proposé par la Commission : l'article 36 de la proposition d'acte communautaire précise, en effet, que les Etats membres doivent mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives avant le 1er janvier 2000 ! Ce calendrier n'est guère plus acceptable que l'orientation des directives.

Toute la réflexion de la Commission repose sur un éclatement institutionnel. Elle veut limiter les entreprises ferroviaires au seul secteur de la traction, artificiellement dissocié de celui des sillons.

Elle met progressivement en place un échafaudage entamé avec la directive 91/440 de janvier 1991 et qu'elle poursuit aujourd'hui avec ces trois nouvelles propositions qui visent à casser les monopoles des opérateurs ferroviaires nationaux et à accélérer l'ouverture de l'activité de transport ferroviaire de marchandises à la concurrence.

A l'heure où le Gouvernement entend conforter le transport combiné, atout majeur en termes d'aménagement du territoire, comment ne pas voir aussi, dans ces propositions de directives, une source de conflits d'intérêts, d'incohérences et d'incompatibilités ? Pour nous vendre ce paquet infrastructure, la Commission semble dire que cela marche ailleurs. Mais où ? Nous aimerions bien le savoir. En Grande-Bretagne, où l'on a commencé par la privatisation du service de messagerie de Bristish Rail, pour continuer avec le matériel roulant, puis avec les vingt-cinq lignes passagers ? Chacun constate aujourd'hui la piètre qualité de la privatisation des franchises dans ce pays, comme l'a rappelé récemment le secrétaire général de la communauté des chemins de fer européens.

Est-ce la Suède qui servirait de modèle à la Communauté ? Je rappellerai simplement que, entre la première réforme de 1988, qui a instauré la concurrence sur certaines lignes régionales ou de fret, et 1994, le nombre d'ateliers d'entretien est passé de trente-cinq à treize, celui des gares de triage de trente-cinq à six, et les effectifs ont été réduits de moitié en moins de six ans - y compris les cadres dirigeants, tous limogés. La purge ne devait sans doute pas suffire, puisque la Suède a instauré, depuis le 1er janvier 1995, la concurrence totale sur l'ensemble de son réseau ferroviaire.

Est-ce cela que nous voulons pour la France ? Est-ce cela que nous voulons en Europe ? La Commission prendrait-elle ses références plus loin encore, au Japon par exemple ? Si tel est le cas, puis-je vous suggérer alors de joindre en annexe à la proposition de résolution que nous allons adopter, le rapport d'information no 527 de la délégation pour l'Union européenne ? Il rappellerait à la Commission que le Japon est une île, et de ce fait à l'abri de la concurrence de réseaux étrangers. Sans doute devrait-on faire remarquer à la Commission que la réforme japonaise repose sur la mise en place de quasi-monopoles régionaux et non sur une l arge concurrence intramodale. Sans doute enfin convient-il de lui préciser que l'exemple du Japon nous montre que le chemin de fer ne peut se passer de l'intervention de la puissance publique.

Monsieur le ministre, vous participerez demain à une réunion des ministres européens, qui se prononcera sur ces propositions de directives. Nous le savons, plusieurs

Etats membres les soutiennent. Quand on en examine la liste, on a rapidement une vision « périphérique » d'une Union européenne qui ne verrait pas d'un mauvais oeil la possibilité d'utiliser à sa guise les réseaux des pays de transit.

Disons le tout net : si ces directives participaient vraiment à la construction de l'Europe ferroviaire, on nous parlerait de coopération entre les Etats. On nous parlerait de la nécessité d'un emprunt européen pour financer les réseaux transeuropéens de transports. On nous parlerait d'aménagement du territoire et de service public. Or toutes ces notions sont en réalité absentes du discours de la Commission.

Permettez-moi aussi de revenir sur le prétendu isolement français. Nous avons tous en mémoire l'« Eurogrève » de novembre dernier. La mobilisation des cheminots a été particulièrement forte en France, mais aussi en Grèce, en Espagne, au Portugal, au Luxembourg, en Belgique, en Italie. Tous exprimaient leur grande inquiétude face aux menaces de privatisation et face aux propositions de directives que nous examinons aujourd'hui.

Leur soutien n'est pas négligeable et certains Etats membres devraient entendre cet appel.

Monsieur le ministre, vous pourrez également vous appuyer sur le soutien de nos concitoyens qui ont sanctionné fermement, pas plus tard que dimanche dernier, ceux qui portaient les couleurs du libéralisme.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Comme M. Madelin !

Mme Odile Saugues.

Ils ont rappelé leur attachement au service public, à la défense des acquis sociaux, à l'émergence d'un aménagement du territoire tout à la fois équilibré et soucieux de la qualité de l'environnement.

M. Dominique Bussereau.

Et à la chasse !

Mme Odile Saugues.

Voilà notre réponse à ceux qui, en France, mais aussi dans d'autres pays européens, sont parfois tentés par les sirènes du libéralisme. Quand on perd de vue ses principes, on perd la confiance de ses électeurs.

Oui, la France doit faire entendre sa voix et défendre l'alternative d'un service public ferroviaire européen. Car il y a bien deux conceptions différentes, qui s'expriment concrètement et de façon répétée C'est ainsi que, pour répondre à la réforme Pons-Idrac, qui mettait en oeuvre la désintégration de la SNCF,...

M. Michel Bouvard.

Ah non !

M. Dominique Bussereau.

Dans ce cas, pourquoi l'avoir maintenue ?

Mme Odile Saugues.

... allant bien au-delà de ce que préconisait le directive 91/440, le Gouvernement a dû mettre en place, il y a tout juste un an, le Conseil supérieur du service public ferroviaire. Sa mission est de renforcer l'unicité du système, son efficacité et sa synergie.

M. Dominique Bussereau.

Voilà qui change tout !

Mme Odile Saugues.

On verra ! Il y a aussi la réalité des budgets que nous votons chaque année, qui illustrent concrètement la place que les uns et les autres veulent attribuer au transport ferroviaire et au transport combiné.

Le budget 1999 a ainsi confirmé notre volonté de conforter le transport ferroviaire, avec une dotation de 13 milliards de francs pour Réseau ferré de France et une augmentation, dans le cadre du FITTVN, de plus de 15 % des investissements en transport ferroviaire et transport combiné.

Il y a enfin ces discours récurrents dans l'opposition, qui visent à remettre en cause le droit de grève dans le service public. Nous considérons, pour notre part, que


page précédente page 05925page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

n otre service public, comme toutes les entreprises publiques ou privées, peut et doit se moderniser en profondeur grâce à une nouvelle culture de la négociation et que l'on ne peut régler des conflits sociaux ni taire des inquiétudes souvent légitimes par des mesures autoritaires et administratives.

Pour conclure, je formulerai un regret et un souhait.

Mon regret, c'est que le Sénat n'ait pas encore examiné la proposition de résolution no 389. A sa manière, avec ses nuances, bien sûr, cette proposition indique clairement combien ces directives sont inacceptables en l'état.

Son adoption aurait montré que le Parlement, dans son ensemble, par-delà ses divergences et ses oppositions, savait se réunir et se rassembler lorsque le service public était attaqué si brutalement.

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Très bien !

Mme Odile Saugues.

Ce regret étant formulé, voici mon souhait : voir notre assemblée adopter massivement, unanimement, comme l'a d'ailleurs fait la commission de la production et des échanges, la proposition de résolution de notre collègue Boulaud, pour vous adresser, monsieur le ministre, un message de soutien et vous confier une mission d'extrême vigilance, qui va au-delà de la seule défense de notre service public et au-delà de la recherche d'une minorité de blocage.

Nous vous demandons de plaider pour une indispensable réorientation de la construction européenne, en faisant partager nos exigences de sécurité, de fiabilité, de qualité, qui doivent prendre le pas sur la quête du profit maximum, sur les intérêts particuliers et sur le dumping économique et social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

A plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion ici de rappeler l'attachement des élus du RPR au mode de transport ferroviaire, quelles que soient les difficultés, passées ou présentes, de la SNCF, dont des grèves trop fréquentes constituent souvent le révélateur.

Nous avons en effet la conviction, comme l'écrivait Louis Armand, que, s'il survit à ce XXe siècle dont nous voyons bientôt la fin, le chemin de fer sera le mode de transports du XXIe siècle. Cela est notamment vrai sur le continent européen, où le mode ferroviaire est à même de répondre aux besoins liés à l'économie comme à ceux de l'aménagement du territoire.

En effet, qu'il s'agisse des relations domicile-travail dans les grandes agglomérations ou des relations de ville à ville, le transport ferroviaire, transport de masse par excellence, permet de répondre à la saturation du réseau routier et d'économiser l'espace. Chacun de nous ici le sait, mais il faut le rappeler : un train de marchandises représente en moyenne cinquante camions.

Il en va de même pour la qualité de l'air. La route, après avoir été le mode dominant du transport durant trente ans, se traduit aujourd'hui par des coûts de plus en plus élevés pour la collectivité - consommation d'espace, perte de temps, pollution - qui justifient pleinement un rééquilibrage.

Ce rééquilibrage, nous avons souhaité l'engager de 1993 à 1997 en assainissant la situation financière de la SNCF et en la réformant afin de donner à cette grande entreprise publique une chance d'entrer dans de bonnes conditions dans le XXIe siècle et d'affronter les nouveaux défis qui l'attendent.

Je souhaite à ce titre rappeler que c'est la loi Pasqua d'aménagement du territoire de 1995 qui a institué le FITTVN. Pour la première fois était mis en place un outil de redistribution financière au bénéfice du rail, qui a permis, entre autres, d'apporter des crédits complémentaires pour la réalisation des infrastructures, mais aussi pour le transport combiné. Puis, la réforme conduite en 1996-1997 par Bernard Pons et Anne-Marie Idrac a institué la régionalisation des services voyageurs et la séparation de l'exploitation et de l'infrastructure, accompagnée du principal allégement de dette - il y en a eu d'autre après, c'est vrai - que la SNCF aura connu dans son histoire.

Je regrette seulement que nous n'ayons pas alors été davantage soutenus dans ces actions.

M. Dominique Bussereau.

En effet !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Vous étiez très nombreux à cette époque !

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Vous n'aviez pas besoin de nous !

M. Michel Bouvard.

De multiples motions de procédure avaient été déposées pour combattre cette réforme, à commencer par celle de M. Filleul. Certes, on dit qu'il y a plus de place au ciel pour un pécheur repenti que pour cent justes, et j'ai lu dans le rapport de la délégation pour l'Union européenne que nombre de ceux qui l'avaient combattue considéraient désormais que, loin de n'avoir eu que des aspects négatifs, cette réforme aura finalement été utile. J'en donne acte au rapporteur et je l'en remercie.

Rappelons que la SNCF se trouvait en 1993 dans une situation critique. De 1981 à 1995, la dette de l'entreprise était passée de 30 milliards à 200 milliards ; de 1988 à 1994, le trafic voyageur avait reculé de 13 %, celui du fret de 10 % ; quant à l'âge moyen du parc de matériel hors TGV, il était passé de 1985 à 1996 de vingt à vingtcinq ans de moyenne d'âge pour les locomotives électriques de ligne, de vingt et un à trente ans pour les diesels, de treize à dix-neuf ans pour les voitures de voyageurs.

Si je rappelle ces chiffres, ce n'est pas par esprit polémique, mais bien pour souligner la gravité de la situation que nous avons trouvée en 1993 et l'importance des réformes alors engagées pour sauver notre transport ferroviaire.

Cette réforme, je l'avais indiqué à l'époque, correspondait d'abord à un besoin interne, même si, après le décret de 1995, la création du RFF permettait de répondre aussi aux intentions de la directive 91/440. Mais j'affirmais aussi à cette même tribune, le 4 février 1997, que, pour les élus du Rassemblement pour la République,...

Mme Odile Saugues.

Cela existe encore ?

M. Michel Bouvard.

... la directive 91/440 précisée en 1995 dans ses conditions d'application constituait un maximum. J'indiquais encore que la libéralisation engagée dans le transport aérien - que Bruxelles rêvait et rêve toujours d'étendre, à terme, au transport ferroviaire, comme cela figurait dans le Livre blanc du 30 juillet 1996 n'était ni possible ni souhaitable et que nous soutenions la position de fermeté du gouvernement de l'époque, défendue par Bernard Pons et Anne-Marie Idrac, face à d'éventuelles dérives et à l'avènement d'un ATR généralisé.


page précédente page 05926page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

J'affirmais enfin qu'en la matière, ce n'était pas un texte de loi national qui nous mettrait à l'abri des positions de Bruxelles, mais bien la détermination politique du Gouvernement.

Pas plus qu'hier, notre groupe ne considère aujourd'hui que les propositions de la Commission soient appropriées. Nous saluons sa persévérance, mais nous ne croyons pas que la déréglementation du transport ferroviaire soit de nature à constituer une solution d'avenir.

Notre préférence va nettement à des accords de réseau à réseau, qui nous paraissent être beaucoup plus porteurs de réels progrès pour les entreprises ferroviaires.

Le 17 juin, le Conseil des ministres des transports européens aura donc, monsieur le ministre, à se prononcer sur ce paquet infrastructure, composé de trois directives, que je vais maintenant aborder, non sans avoir regretté la consultation bien tardive du Parlement sur un sujet aussi important ; mais peut-être le Gouvernement ne jugeait-il pas opportun de débattre de ce sujet en pleine campagne européenne...

M. Léonce Deprez.

Il y avait assez de sujets à débattre comme cela !

M. Michel Bouvard.

Il est vrai que le commissaire aux transports de la Commission, inspirateur de la directive, appartient à cette mouvance socialiste dont on nous a tant vanté les mérites ! (Sourires.)

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Il appartient plutôt à la tendance du social-libéralisme !

M. Michel Bouvard.

La première directive apporte trois modifications à la 91/440 : l'extension de la séparation comptable entre gestion des infrastructures ferroviaires et gestion des services de transport aux comptes de bilan et plus seulement aux comptes d'exploitation ; la séparation comptable entre le transport de voyageurs et celui de marchandises ; le transfert des responsabilités en matière de règles de sécurité à des entités ou à des entreprises qui ne sont pas elles-mêmes fournisseurs de transport ferroviaire et qui sont indépendantes.

La deuxième modifie la directive 95/18 sur les licences des entreprises ferroviaires, pour en étendre le champ.

La troisième concerne la répartition des capacités et la tarification de l'utilisation des infrastructures ferroviaires, ainsi que la certification en matière de sécurité.

Avant de s'engager dans une telle architecture, singulièrement compliquée, il aurait, à notre sens, été souhaitable de procéder à une évaluation des effets des directives en vigueur, effets qui ne peuvent être jugés que dans la durée. De ce point de vue, le délai est trop court, faisant craindre d'ailleurs que l'Union rentre elle-même dans une de ces zones d'instabilité législative et réglementaire, que notre pays connaît bien, toujours perturbatrices pour ceux qui en subissent les conséquences.

Parmi les problèmes majeurs posés par ces directives, je souhaite d'abord indiquer, au niveau des principes, que la séparation des activités fret et voyageurs, telle que la conçoit la Commission, avec un secteur voyageurs qui relèverait d'un dispositif subventionné de service public et un secteur fret concurrentiel et non subventionné, ne peut nous satisfaire.

Nous avons, en effet, la conviction qu'une partie importante du réseau voyageurs, et singulièrement du réseau grande vitesse, peut trouver un seuil de rentabilité et dégager des excédents. Il est d'ailleurs dans un système concurrentiel avec l'avion ou la voiture.

Mais nous croyons aussi, ainsi que je le rappelais il y a quelques instants en évoquant la création du FITTVN en 1995, que le fret joue par certains côtés un rôle de service au public...

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Très juste !

M. Michel Bouvard.

... lorsqu'il rééquilibre la route dans un souci environnemental, ou lorsqu'il maintient des services dans des zones d'accès difficile par la route et ce au nom de l'aménagement du territoire. Une telle logique, si elle est poursuivie jusqu'à son terme par la Commission, interdirait l'apport financier que pratique a ctuellement le FITTVN au bénéfice du transport combiné.

Toujours au niveau des principes, je dénonce fermement l'interprétation que fait la Commission dans la directive du principe de subsidiarité, considérant que la directive établit les grands principes et que les Etats membres ont la seule responsabilité de définir des règles détaillées et d'administrer le régime de licences. Pour nous, cette instrumentalisation du concept de subsidiarité n'est pas recevable, car elle dénature profondément cette notion de subsidiarité, qui doit rester le choix du niveau le plus pertinent pour la prise de décision. Il s'agit d'une véritable dérive, qui mérite d'être condamnée avec fermeté.

Enfin, je veux dire, s'agissant toujours des principes, que l'atomisation des lieux de décision et de gestion du système entre la traction, l'exploitation commerciale des sillons, la répartition des sillons et de la tarification et ces instances indépendantes, l'une en charge de la sécurité et l'autre de l'application des règles d'attribution des sillons, me paraît excessivement dangereuse. Elle constituerait une source de complexité et donc de contentieux mais également une faiblesse par rapport à une gestion optimale des infrastructures, qui suppose que l'on puisse agir au sein d'un même organisme sur les investissements de développement, la tarification et la répartition des capacités.

En ce qui concerne plus précisément la politique d'attribution des sillons et de tarification de la redevance d'usage, je veux dénoncer la lourdeur des règles de répartition qui ne manquera pas d'être source de conflits.

La durée des accords-cadres doit aussi permettre une visibilité compatible avec les investissements lourds des entreprises ferroviaires.

La règle de restitution des sillons non consommés paraît, elle aussi, peu conforme à la nature des marchés du fret dès lors que l'on fixe l'obligation de restitution à une utilisation inférieure à 75 % sur un mois : c'est l'article 30.

L'obligation faite au gestionnaire d'infrastructures de déclarer la congestion d'un secteur dès lors qu'un sillon ne peut être accordé, avec obligation immédiate d'investissement sous peine de perdre un droit à redevance, apparaît tout aussi déconnectée des réalités.

Il est donc nécessaire que ces directives soient rejetées, et, puisque la Commission veut dynamiser le transport ferroviaire en Europe, nous souhaitons faire un certain nombre de propositions, dont certaines sont d'ailleurs reprises dans la proposition de résolution.

Il s'agit tout d'abord de l'important sujet de l'interopérabilité des réseaux ferroviaires européens : elle conditionne le développement du transport ferroviaire particulièrement adapté aux longues distances en Europe.

Il importe que la Commission s'intéresse, à cet égard, à l'harmonisation des règles de sécurité, qui doivent rester du domaine des opérateurs ferroviaires. Il importe aussi


page précédente page 05927page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

que l'Union accompagne les investissements nécessaires à cette interopérabilité. Celle-ci aura des conséquences sur l'activité et sur l'emploi dans certaines gares frontières. Il est donc nécessaire que des mesures de compensation soient mises en oeuvre par transfert sur ces sites, parfois situés dans des territoires fragiles, d'autres activités, car la SNCF ou d'autres opérateurs y sont parfois les premiers employeurs. C'est notamment le cas, en France, à Modane dans les Alpes et à Cerbère dans les Pyrénées.

Force est de constater que la Commission semble moins motivée sur ce chapitre.

De même, il est indispensable que des propositions soient présentées pour les corridors de fret et pour les lignes internationales à grande vitesse, où toute distorsion pénalise certains pays.

Le soutien aux investissements est lui aussi une nécessité. De ce point de vue, j'approuve pleinement l'idée d'emprunts communautaires,...

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur, et M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

... en exprimant le souhait, comme nous l'avions déjà fait dans le passé - c'est le sens d'un amendement que nous avons déposé - que ce soutien soit mobilisé en faveur des projets prioritaires approuvés au sommet d'Essen du 10 décembre 1994.

A ce sujet, j'indique à notre collègue Didier Boulaud, qui, dans son rapport d'information, page 43, écrit que, pour les marchandises, les projets retenus sont l'axe du Brenner et la ligne de la Betuwe, que le projet de la ligne nouvelle Lyon-Turin est bel et bien un projet mixte voyageurs et marchandises et relève donc aussi des infrastructures de fret.

La priorité à la réalisation d'autoroutes ferroviaires pour le franchissement des Alpes et des Pyrénées doit, elle aussi, être affirmée. Je me permets d'insister tout particulièrement sur ce point car la résolution ne l'évoque pas, et la catastrophe du Mont-Blanc a été le révélateur d'un véritable besoin auquel il faut donner satisfaction.

Cela me donne aussi l'occasion de souhaiter que la résolution demande, et que le Gouvernement soutienne, l'élaboration rapide du protocole transport de la convention alpine. Il est impensable qu'au nom de l'environnement - pour la protection des Alpes - tous les protocoles d'application aient aujourd'hui été ratifiés sauf le protocole transport, dont on sait qu'il concerne la principale source de pollution dans le massif alpin. Cette convention a été ratifiée par notre pays. La Commission européenne en est signataire. Il faut donc que la Commission européenne s'attache à sa ratification et que le gouvernement français la demande.

Le Conseil des ministres du 17 juin évoquera la libéralisation plus générale des transports ferroviaires. La Commission avait déjà effectué une tentative dans ce sens en 1995 en envisageant d'étendre l'accès des réseaux ferroviaires nationaux à toute entreprise offrant des services internationaux de fret ou de transport de voyageurs. Bernard Pons avait alors indiqué à Bruxelles l'opposition catégorique du gouvernement français sur ce point. Je me souviens même qu'il avait fait un aller-retour dans la journée pour aller défendre avec fermeté la position de la France.

Il y a dix-huit mois, la Commission européenne, s'appuyant sur un avis du Parlement européen, dont la majorité de l'époque était conforme aux voeux d'un certain nombre d'élus de notre majorité nationale, prévoyait, elle, une libéralisation progressive du marché de 5 à 25 % en dix ans.

Nous serons attentifs, très attentifs, à la position du parti socialiste à ce sujet, non pas seulement à Paris, mais aussi à Strasbourg et à Bruxelles.

Il faut, mes chers collègues, être cohérents.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Je sens que vous n'allez pas adhérer au PPE !

M. Michel Bouvard.

Vous ne pouvez pas appartenir à une majorité, ici, qui soutient le service public ferroviaire dans sa forme actuelle et voter, au Parlement européen - car si cela a été voté, il faut bien que le groupe du parti socialiste européen y ait souscrit -, des décisions demandant plus de libéralisation du transport ferroviaire.

La politique de coopération entre réseaux et opérateurs ferroviaires nous paraît, en effet, compte tenu des traditions de chaque Etat, du coût des infrastructures ferroviaires et de la nécessité d'une péréquation des ressources compatible avec l'aménagement du territoire, la meilleure politique possible. Cela suppose également qu'aux efforts de la nation - et ils sont financièrement importants - et à la confiance qu'elle apporte au système ferroviaire, corresponde une mobilisation des cheminots sur la régularité et la qualité de l'offre, singulièrement dans le secteur du fret, trop longtemps considéré comme un sous-produit du fret voyageurs.

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Très bien !

M. Michel Bouvard.

En effet, les donneurs d'ordre et les chargeurs ne pourront retrouver confiance en la SNCF que si cette entreprise leur assure le service qu'ils rémunèrent.

T el est, mes chers collègues, le sentiment du groupe RPR, sur le débat qui nous réunit ce matin. Il va de soi qu'étant opposés à l'esprit de la directive, nous soutiendrons le projet de résolution, considérant qu'il ne s'agit pas de signer un chèque en blanc au Gouvernement mais de manifester la volonté la plus large possible de la représentation nationale de voir ces directives modifiées afin qu'elles soient plus proches des réalités du terrain.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement et M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Très bien !

M. Alain Barrau, président de la délagation pour l'Union européenne.

Madelin est bien seul !

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par dire, pour éviter tout suspens que nous voterons la proposition de résolution. Et si nous avions été sollicités, nous aurions pu cosigner les quelques amendements qui l'accompagnent.

Je voudrais cependant souligner la contradiction dans laquelle nous nous trouvons, dans ce contexte de fin de campagne et de nouveau mandat européens, devant l'impasse que constituent la ligne libérale et la ligne souverainiste.

En effet, la ligne libérale ne répond pas à la question essentielle : comment intégrer dans une stratégie de politique publique la dimension sociale, environnementale et


page précédente page 05928page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

d'aménagement du territoire que comporte inévitablement un tel dossier. En outre, elle triche sur la vérité des coûts. On demande au ferroviaire de trouver son équilibre économique alors que l'on sait très bien que l'explosion du transport routier est liée, pour une part, au fait que l'autoroute est payée par l'automobiliste et les routes secondaires par l'impôt, qu'il s'agit donc d'un transfert de charges des entreprises vers la collectivité - les collectivités, celles-ci étant différentes selon les réseaux.

Quant à la ligne souverainiste, elle mène, elle aussi, à l'impasse, parce que, depuis trente ans, l'économie réelle a largement dépassé les frontières et que, faute d'avoir su anticiper, ou préparer des réponses, elle s'est montrée incapable de définir le nouvel espace public dont nous avons besoin et de décrire les infrastructures qui y correspondent.

Cela dit, nous pouvons voter toutes les résolutions que nous voulons pour nous plaindre d'une Europe qui n'est pas telle que nous la souhaitons, il n'en faut pas moins regarder comment nous agissons chez nous, car il y a tout de même des domaines dans lesquels nous maîtrisons les affaires, au niveau national.

Quand j'entends dire que la route a explosé au détriment du rail, je ne peux que poser la question : combien d'investissements ont été consacrés respectivement à la route et au rail au cours des quarante dernières années ? Il est saisissant de constater que c'est mille milliards de francs d'un côté et une grosse cinquantaine de milliards de l'autre. Comment s'étonner de ce qui a pu résulter d'une offre encouragée à ce point ? Et comme nous sommes tous unis, dans cet hémicycle, à l'exception de quelques farouches libéraux, pour le déplorer, comment se fait-il que nous n'ayons pas encore un schéma national multimodal ambitieux, comprenant la réforme portuaire et le rééquilibrage entre la voie d'eau, le rail et la route, et prévoyant des plates-formes multimodales ? Comment se fait-il qu'une vraie ambition, nationale celle-là, ne soit pas affichée ? Cela doit maintenant être fait le plus vite possible, et pas seulement, comme le disent certains, parce que l'actualité l'impose. Pour notre part, cela fait des années que nous réclamons, avec d'autres, une nouvelle politique qui aille dans ce sens.

Je pense aussi aux prochains contrats de plan. Et je me dis que, du RPR au parti communiste en passant par le parti socialiste, tous ceux qui agissent dans les régions n'auront de cesse de faire pression sur le ministre des transports pour parvenir à cet « équilibre » : 80 % pour tous les modes de transport et 20 % pour la route, qui relève de la compétence nationale et non pas régionale ! Quand je regarde les documents préparatoires, je suis inquiet. Car les mêmes qui, ici, se plaignent de la mauvaise évolution de la Commission européenne et du mauvais coup qu'elle nous porte, vont continuer à faire en sorte qu'il y ait mille milliards d'investissements pour la route et cinquante pour le rail - tout en se plaignant que le rail recule ! Je vous appelle donc à la cohérence qu'impliquera dans les semaines et les mois qui viennent, l'exigence d'une meilleure répartition des compétences et l'exigence d'une politique de reconquête pour le rail.

Les libéraux n'apportent aucune réponse à la directive 91/440, en particulier pour les zones où les contraintes géographiques sont très fortes - élu du Nord Pas-deCalais, je suis bien placé pour observer le phénomène et où nous sommes déjà confrontés à la concurrence entre les sillons fret et les sillons voyageurs. De ce point de vue, la résolution est parfaitement juste : rien ne garantit que l'ouverture, mal maîtrisée, à un nombre croissant d'opérateurs privés ne compromettra pas toute notion de service public voyageurs et toute politique efficace dans ce domaine.

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Bien sûr !

M. Guy Hascoët.

Il nous faut donc une réponse. Comment sortir du « ni-ni » ni libéralisme ni souverainisme ? L'Europe, dont le budget correspond à 1,2 % du PIB et qui n'a pratiquement pas de dettes, doit accompagner l'intégration territoriales et participer, par un emprunt, au financement des points sensibles transnationaux. On ne peut, en effet, demander aux Alpins de financer un tunnel dans les Alpes ou aux Pyrénéens un tunnel dans les Pyrénées : c'est un problème européen, un problème transnational. A ce titre, il est légitime de poser à la Commission la question du financement.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Guy Hascoët.

Par ailleurs, on dit toujours que le camion est dominant à l'Ouest. C'est vrai. Mais à l'Est - puisque l'ouverture vers l'Europe de l'Est est à l'ordre du jour - c'est exactement l'inverse. Alors, poussons le raisonnement jusqu'au bout. Nous pourrions, par une grande stratégie d'infrastructures ferroviaires de longue d istance, anticiper sur une évolution qui pourrait conduire, si nous n'y prenons garde, à ce que dans vingt ans l'Est connaisse le même déséquilibre que l'Ouest.

Puisque nous le pouvons, ayons l'ambition de l'éviter.

J'ai été effaré de lire, dans un programme de gauche de mes voisins belges - ma circonscription longe la frontière - que la privatisation de la SNCB était à l'ordre du jour.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Hascoët.

M. Guy Hascoët.

On ne pourra pas réaliser notre ambition pour le rail sans décrire ce que sera un opérateur public européen.

Vous seriez, monsieur le ministre, fondé, demain et dans d'autres réunions, à poser ce problème politique, car il sera nécessaire de maîtriser de manière transnationale un réseau public ferroviaire. L'heure est venue de poser un tel débat au niveau de l'Union européenne. Il faut être offensif.

J'ai fait rire des cheminots du Nord Pas-de-Calais en leur demandant, en manière de boutade, s'ils étaient prêts à voir intégrer la SNCB dans la SNCF. Il n'en reste pas moins que la question se pose.

Un opérateur public accédant aux grands ports de la façade maritime du Nord-Ouest réglerait certainement une partie des difficultés liées au fret. Mais le veut-on ? Est-on capable de conduire ces débats et d'obtenir des réponses ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'apprécie particulièrement le fait que cette discussion intervienne aujourd'hui, c'est-à-dire avant la réunion du Conseil des ministres des transports. Je tiens à remercier M. Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne, qui en a eu l'initiative, et je félicite la commission de la production et des échanges et son rapporteur, M. Jean-Jacques Filleul, ainsi que M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne, pour leur travail.


page précédente page 05929page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

En effet - c'est important - j'irai ainsi au Conseil des ministres des transports avec votre appui pour m'opposer au projet de libéralisation que la Commission voudrait faire adopter demain.

Je veux également vous remercier pour la qualité de vos interventions, qui ont porté sur des problèmes de fond concernant non seulement notre chemin de fer et le service public, mais également notre façon de concevoir son développement puisque deux orientations s'affrontent bel et bien quant à une politique ferroviaire à l'échelle européenne.

M. Biessy, M. Deprez, M. Rigal et Mme Saugues ont montré cet aspect intéressant. Il est vrai que, lorsque l'on a l'appui de l'ensemble du Parlement, on est encore plus fort. A ma connaissance, la proposition de résolution déposée au Sénat par M. Haenel n'est pas encore venue en discussion, mais je crois qu'elle exprime une opinion largement partagée parmi les sénateurs.

La situation ne sera donc pas la même après ce débat.

Je crois qu'une telle démarche contribue à mettre en l umière le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne.

Nous sommes à la veille d'un Conseil des ministres européens des transports très important. Ce n'est pas la seule question à l'ordre du jour, mais il y a une tentative de la Commission de passer en force. Vous avez beaucoup parlé du « paquet infrastructure ferroviaire ». J'ai déjà eu l'occasion à plusieurs reprises de souligner au sein du Conseil des ministres des transports les points absolument négatifs, y compris ce qui est inacceptable, notamment, s'agissant de libéralisation, à propos du droit des candidats autorisés à réserver les sillons. C'est la plus grande ouverture, si je puis dire, dans le cadre du

« paquet infrastructure ».

Cela étant, il n'y a tout de même pas que des aspects négatifs dans le paquet infrastructure, et j'essaie notamment d'avoir une démarche constructive pour avancer vers une harmonisation des règles de transport ferroviaire en Europe. C'est tout le problème de l'inter-opérabilité, que je ne vais pas développer puisque vous avez tous insisté sur ce point. Seulement, il n'y a pas que cela, et cela risque même de passer demain au second plan, puisqu'un véritable coup de force risque de se produire, avec une orientation en faveur de la libéralisation pour tout le système de transport ferroviaire, et immédiatement pour le transport de marchandises. La richesse de vos interventions et la profondeur de votre analyse des risques et des différentes propositions que nous devons faire me confortent dans la bataille que je vais mener demain.

Ce n'est pas une opinion unanimement partagée, me direz-vous, puisque M. Bussereau a fait entendre un autre son de cloche. Je crois qu'il a montré de manière tellement caricaturale où pouvait conduire une démarche ultralibérale que cela nous aide à voir ce qu'il faut précisément ne pas faire.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Tout à fait ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Dommage qu'il ne soit plus là car je suis obligé de modérer mes propos. Il ne faut pas être agressif face à quelqu'un qui ne peut pas se défendre !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Il a préféré partir ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Il a dit à un moment donné que c'était la notion même de service public qui était dépassée.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est grave ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du l ogement.

Avec cette phrase-là, on comprend sa démarche ultralibérale. Je me réjouis que ce ne soit pas cette opinion qui se soit exprimée dans les autres interventions.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Il était vraiment tout seul ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Quel est le postulat idéologique auquel nous sommes confrontés ? Pour la Commission et plusieurs pays européens, la solution, au nom du développement du ferroviaire que tout le monde considère indispensable, c'est la concurrence : mettons la concurrence partout, à l'intérieur même des chemins de fer et tout va marcher comme sur des roulettes.

Cela n'est démontré nulle part. On a cité l'exemple britannique, mais, même dans des pays où le système n'est pas fermé au capitalisme ou au libéralisme comme les Etats-Unis et le Japon, ce n'est pas du tout ce qui se fait. Ils n'en sont pas à proposer cette concurrence intramodale que la Commission européenne voudrait nous imposer.

Non seulement ils veulent nous faire avancer dans la voie de la libéralisation, mais ils refusent une analyse objective de ce qui se fait et ils refusent même de faire des comparaisons. On a mis en place des corridors de fret sur la base de la coopération entre plusieurs pays, et le système monte véritablement en puissance. D'autres pays ont voulu faire de même sur la base de la libéralisation, et pas un train de marchandises ne circule ! Cela ne prouve rien, nous dit-on alors, et si tout était libéralisé, vous verriez ce que vous verriez ! C'est un postulat idéologique et dogmatique. L'archaïsme et le dogmatique sont de l'autre côté, me semble-t-il !

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Absolument ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Ce n'est d'ailleurs pas un débat entre les partisans de l'immobilisme et ceux qui voudraient, au nom de la modernité, évoluer vers le libéralisme. Nous le voyons bien en France. Je ne dis pas que rien n'ait été fait avant 1997, mais, depuis 1997, nous faisons un effort p our développer le trafic ferroviaire et l'entreprise publique ferroviaire,...

M. Michel Terrot.

Qu'avait donc fait Fiterman ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... y compris par l'emploi, la recherche de l'efficacité et des équilibres financiers. Je crois, monsieur Bouvard, que 1994 a été l'année du plus grand déficit de la SNCF des deux dernières décennies.

M. Michel Bouvard.

C'était la conséquence du TGVNord ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je ne désespère pas que nous arrivions dès les prochains bilans à un niveau d'équilibre, avec une augmentation du trafic, et avec une augmentation des effectifs de la SNCF. Il doit y avoir compatibilité entre amélioration de l'efficacité de l'entreprise et progrès social.

C'est notre démarche et nous avons pris des initiatives.

Vous avez souligné, monsieur Bouvard, que nous avions continué à désendetter la SNCF, mais nous n'avons pas fait que cela. La participation de l'Etat en faveur du ferroviaire sera doublée dans les prochains


page précédente page 05930page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

contrats de plan, monsieur Hascoët. Cela doit aider au rééquilibrage. Alors qu'il y avait 8 milliards en faveur de RFF quand nous sommes arrivés, ce qui aurait fait 24 milliards en trois ans, le Gouvernement en a mis 37 sur la table. Nous avons la volonté de doubler le trafic ferroviaire dans les dix ans, et M. Biessy a avancé une idée tout à fait pertinente. Evidemment, cela paraît extraordinaire, mais c'est indispensable, ne serait-ce que pour se maintenir. Cela fera passer deux fois plus de trains sur nos lignes.

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Absolument ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Cela représente du travail, et ce n'est pas l'objectif final, monsieur Biessy. C'est une étape. Il faut aller au-delà afin de mieux assurer les rééquilibrages, notamment, à l'évidence, dans les zones sensibles dont vous avez parlé les uns et les autres, - M. Bouvard a parlé en particulier, du trafic de marchandises dans les massifs alpins et pyrénéens -, avec tout ce que cela i mplique en termes de ferroutage et de transport combiné. Dans les Pyrénées, 90 % du trafic passe par la route et 10 % à peine par le rail, et c'est à peu près la même chose dans les Alpes. Si cela se poursuivait ainsi, on voit bien dans quelle situation nous nous trouverions.

Au nom de l'unicité, nous mettons en place le Conseil supérieur du service public ferroviaire, dont la première réunion aura lieu dans les toutes prochaines semaines, pour éviter tout risque de remise en cause du système ferroviaire français.

M. Bussereau a l'air effrayé qu'il y ait des représentants des salariés.

Mme Odile Saugues.

Heureusement qu'il y en a ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Si vraiment on en est là ! Vous allez y siéger, monsieur Filleul, monsieur Biessy, monsieur Bouvard. Il y aura aussi des sénateurs, des personnalités qui auront comme objectif le développement du chemin de fer, et douze représentants des salariés, sur trente-sept. Moi, je suis plutôt satisfait qu'un organisme de cette ampleur, avec un tel rôle, soit ainsi composé, pour faire converger à la fois les objectifs généraux, l'intérêt général, l e service public, avec l'engagement de tous les acteurs, au rang desquels on ne peut oublier les cheminots eux-mêmes.

Telle est donc notre démarche. Si l'on acceptait la libéralisation, tout serait déséquilibré. Cela irait à l'encontre de ce que nous voulons et mettrait à mal le service public.

Comme le soulignait à juste titre M. Filleul dans son intervention, cette vision est ferroviaire, mais nous ne pouvons pas la déconnecter d'une vision d'ensemble de la multimodalité, y compris, de ce qui se passe pour la route. Les efforts que je fais au nom du gouvernement français, y compris depuis le mémorandum que nous avons déposé pour une harmonisation sociale par le haut d ans le transport routier, s'inscrivent dans cette démarche.

Evidemment, on voit bien, avec nos propositions et les politiques que nous mettons en oeuvre au plan national, que notre opposition à l'objectif de libéralisation que la présidence allemande et la Commission voudraient faire passer en force demain n'est en rien synonyme d'immobilisme. Comme je l'ai d'ailleurs dit avec Mme Voynet lors d'un sommet informel des ministres européens des transports et de l'environnement à Chester, en Angleterre, il y a plus d'un an, je suis, moi, pour la mise en place d'un véritable réseau ferré de fret européen, mais sur la base de la coopération et de la coordination...

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Exactement ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... et nous avons des propositions très intéressantes.

On a parlé de l'emprunt européen, mais il faut penser à l'interopérabilité.

Pour alimenter les chemins de fer, il y a du 1 500 volts, du 3 000 volts, du 25 000 volts. Les fréquences ne sont pas toujours les mêmes : 40 hertz, 50 ou autres. Parfois c'est par le pantographe, parfois par le rail. Chaque fois que vous passez d'un pays à l'autre, il faut changer de locomotive.

Il y a aussi le problème du gabarit des wagons. Les wagons continentaux ne passent pas sur les voies britanniques à cause des tunnels et des ponts qui n'ont pas la même dimension qu'en France. L'écartement des voies est parfois différent, comme on le voit avec nos amis espagnols ou portugais. Le système de signalisation peut également ne pas être le même.

Mieux encore, le problème des contrôles est aussi parfois posé. Les dédouanements peuvent se faire aux frontières ou à l'intérieur, et les trains doivent alors s'arrêter pendant un temps fou.

J'ai proposé que nous avancions réellement vers des solutions à toutes ces questions. C'est également à l'échelle de l'Europe qu'il faut réfléchir pour savoir où situer les plates-formes multimodales. Il faut songer à la manière d'aider le transport combiné, afin que les Etats puissent intervenir de façon positive. Actuellement, la concurrence est inégale entre la route et le rail. Elle n'est pas loyale sur le fond, on le sait bien.

Il y a toute une série de domaines où nous pouvons, où nous devons travailler à l'échelle européenne.

Je ne me situe donc pas, je le dis fermement dans une démarche d'opposition, mais au contraire dans une démarche de proposition. C'est vrai dans la lutte contre les saturations. On a évoqué la ligne Béziers-NeussarguesClermont-Paris, qui est un exemple significatif, mais il y en a d'autres. Nous pouvons agir en faveur de tout ce qui permettrait de relancer le rail, ce qui favorisera les transits vers d'autres pays.

On a déjà fait des choses intéressantes, comme le corridor Nord évoqué tout à l'heure. L'objectif était de faire passer la vitesse de 13,5 kilomètres à l'heure en moyenne à 55 ou 60 kilomètres à l'heure. Les trains vont plus vite lorsqu'ils roulent, mais il y a les arrêts, les rebroussements, les triages et ainsi de suite. Nous tenons cet engagement. Nos corridors fonctionnent bien, et nous avons fait les mêmes propositions de sillons, dans le même esprit, pour les corridors Ouest et Est, qui sont, on le comprend, tout aussi importants.

J'ai proposé - et je le souligne pour que vous compreniez dans quel état d'esprit je vais à la réunion de demain - que l'Europe - et on rejoint là le problème de la subsidiarité - n'oblige aucun pays à libéraliser ses chemins de fer.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Exact ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Par ailleurs, quelle que puisse être mon opinion, y compris sur ce qui se passe en Angleterre ou ailleurs, si des pays veulent libéraliser, qu'ils libéralisent ! L'objectif, c'est de mettre davantage qu'aujourd'hui des marchandises sur le rail.


page précédente page 05931page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

J'ai même proposé que l'on mette en place un observatoire pour comparer ce qui se passe sur la route et ce qui se passe sur le rail dans les mois et les années qui viennent, et même comparer ce qui se fait dans le cadre de la libéralisation dans certains pays et ce qui se fait dans le cadre de la coopération.

Pour l'instant, la Commission refuse cette proposition de bon sens élémentaire, mais je m'appuierai sur le soutien que vous apportez à ma démarche. Il y a seulement quelques jours que nous avons été informés de son intention. Je n'ai eu le texte que ce matin, ce qui est totalement inacceptable, ne serait-ce qu'au point de vue de la procédure. M. le Premier ministre a donc écrit au président actuel de l'Union, M. Schrder, pour qu'il retire cette proposition.

Sommes-nous isolés ? C'est sûr qu'il y a davantage de pays qui poussent pour la libéralisation. C'est une bataille difficile, il ne s'agit pas de le cacher, et le Gouvernement et le Parlement ont besoin d'être le plus unis possible.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est pour cela que l'on ne comprend pas l'attitude d'Alain Madelin ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Mais, sachez-le, tous les jours ont lieu des renc ontres et des discussions avec d'autres ministres d'Europe. La Belgique, le Luxembourg, l'Italie, le Portugal même, nous ont fait savoir qu'ils étaient, comme la France, résolus à ne pas laisser passer cette affaire. La bataille sera dure, mais nous ne sommes pas aussi isolés que M. Bussereau le disait. On a évoqué le comité des chemins de fer européens, regroupant plusieurs entreprises, et dont les membres n'appartiennent d'ailleurs pas tous à l'Union européenne, comme la Suisse. Ce comité a émis de sévères réserves. Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'« Eurogrève » et la position des organisations syndicales. Là aussi, ce sont plus que des réserves qui sont formulées à l'égard de ces menaces de libéralisation.

Plusieurs pays sont donc à nos côtés, parfois d'ailleurs pour des raisons différentes. Les uns estiment que la procédure, le coup de force, n'est pas acceptable ; d'autres sont, comme nous, persuadés que la coopération est plus efficace que la concurrence intramodale. En résumé, une volonté s'exprime très largement, je crois, au sein du Parlement. Les sociétés et entreprises directement concernées émettent des réserves très importantes, de même que les organisations syndicales.

C'est pourquoi, mesdames, messieurs, je vous remercie de vos interventions et du soutien que vous apportez à mon action au sein du Conseil des ministres des transports européens, où, demain, je l'espère, la position la plus sage et la plus raisonnable pourra l'emporter.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Article unique

M. le président.

« Article unique . - L'Assemblée nationale,

« Vu l'article 88-4 de la Constitution,

« Vu les textes intitulés : "proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement de chemins de fer communautaires ; proposition de directive du Conseil modifiant la directive 95/18 CE concernant les licences des entreprises ferroviaires ; proposition de directive du Conseil concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité ; document de travail de la Commission : commentaire des différents articles de la proposition de directive concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité" (COM[98] 480 final/no E 1163) ;

« Considérant que ces propositions de directives visent, selon la Commission européenne, à revitaliser le transport ferroviaire et à porter remède à la dégradation continue de ses parts de marché dans le transport de marchandises ;

« Considérant qu'un tel objectif répond au souci unanime d'établir un meilleur équilibre entre les transports routier et ferroviaire pour des raisons d'ordre écologique, économique et social ;

« Considérant toutefois que la Commission européenne postule que la revitalisation des chemins de fer passe par l'introduction de la concurrence entre les entreprises ferroviaires et l'arrivée de nouveaux entrants ; qu'à cette fin, elle propose, d'une part, d'accorder des droits d'accès à l'infrastructure aux candidats autorisés mentionnés à l'article 19 de la proposition de directive susvisée concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité, et, d'autre part, d'instituer divers organes indépendants des entreprises ferroviaires, en matière de sécurité, d'octroi de licences et de répartition des infrastructures ;

« Considérant que la politique ferroviaire de l'Union européenne ne saurait se limiter à ce seul objectif de concurrence, mais qu'elle doit inclure une politique à moyen terme d'investissements, de création ou de modernisation de nouveaux réseaux ; qu'au surplus, une réforme aussi vaste que celle proposée par la Commission intervient dans la précipitation, alors que plusieurs Etats membres ont à peine achevé la transposition de la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires ; qu'elle aurait pour effet de déstabiliser les entreprises ferroviaires, alors que la quasitotalité d'entre elles sont confrontées aux difficultés découlant de la fragilité de leur équilibre financier ; qu'aucun bilan de cette transposition n'a été dressé ;

« Considérant que les propositions de directives sousestiment la contrainte et l'obligation de sécurité ; que le seul projet énoncé de transférer à un organisme indépendant les compétences en matière de réglementation, de mise en oeuvre et de contrôle de la sécurité actuellement assumées par les entreprises ferroviaires constitue une menace au regard d'une fiabilité généralement reconnue et appréciée ;

« Considérant, par ailleurs, que la politique ferroviaire de l'Union européenne ne saurait être valablement discutée en dehors d'une approche intermodale rail-route ;

« Considérant qu'elle doit également prendre en considération les obligations de service public auxquelles il incombe aux Etats membres de satisfaire, conformément aux dispositions de l'article 16 du Traité instituant la Communauté européenne ;

« Considérant, enfin, que le postulat invoqué par la Commission ne repose sur la base d'aucune expérience, au plan international, qui soit susceptible de confirmer la pertinence de l'introduction de la concurrence dans le transport ferroviaire ; que, dès lors, les propositions de


page précédente page 05932page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

directives susvisées risquent, sur la base d'une simple hypothèse, d'interdire à un groupe d'Etats membres de poursuivre les expériences de coopération dans lesquelles ils sont engagés dans le cadre de la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires ;

«

1. Estime nécessaire de rejeter les propositions de directives susvisées en l'état actuel de leur contenu ;

«

2. Demande aux autorités françaises d'obtenir que la C ommission présente de nouvelles propositions qui prennent en compte, au plan communautaire, les expériences nationales et celles visant au développement de la coopération entre les Etats membres ; qui prévoient la reconduction, pour une période de cinq ans au moins, des dispositions de la directive 91/440 relative au développement des chemins de fer communautaires ; qui impartissent à la Commission d'établir, à l'issue de cette période, un bilan précis, afin qu'une réglementation communautaire soit élaborée en vue de promouvoir le développement durable des chemins de fer ;

«

3. Considère qu'il est urgent pour les Etats membres de développer une politique commune en vue de mettre en place de véritables réseaux transeuropéens de voyageurs et de transport de marchandises intégrant des objectifs d'aménagement du territoire et de service public ;

«

4. Estime urgent d'émettre un emprunt communautaire destiné au financement des réseaux transeuropéens de transport de voyageurs et de marchandises ;

«

5. Estime nécessaire : de s'attacher à régler, sans délai, l'interopérabilité des réseaux et de mettre en oeuvre une harmonisation positive des conditions de travail, de formation et de sécurité entre les entreprises ferroviaires mais aussi entre les différents modes de transport ; d'engager une réflexion destinée à promouvoir la multimodalité ;

«

6. Estime indispensable de parvenir à une vérité des coûts, en tenant compte de l'évaluation des coûts externes pour chaque mode de transport, ainsi que le préconisait d'ailleurs la Commission européenne elle-même, dans un livre vert publié en décembre 1995 ;

«

7. Estime impérieux que la SNCF et Réseau ferré de France mettent tous les moyens en oeuvre pour valoriser pleinement le potentiel technique et humain de grande valeur dont ils disposent, afin de pouvoir répondre de manière dynamique et efficace aux défis auxquels les entreprises ferroviaires sont confrontées, dans le cadre du développement nécessaire de réseaux transeuropéens de transport de voyageurs et de marchandises. »

La parole est à M. Jean-Claude Daniel, inscrit sur l'article unique.

M. Jean-Claude Daniel.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a adopté, le 22 juillet 1998, trois propositions de directive relatives aux modalités d'accès à l'infrastructure concernant spécifiquement le mode ferroviaire et modifiant les directives existantes.

La Commission propose d'abord de modifier la directive 91/440 en changeant la définition des entreprises ferroviaires et des gestionnaires d'infrastructures, en imposant la séparation comptable des activités de fret et de passagers, en attribuant l'établissement et la mise en oeuvre des règles de sécurité à un organisme indépendant des entreprises ferroviaires.

Elle veut également modifier la directive 95/18 afin d'étendre le champ d'application, d'attribution d'une licence aux entreprises assurant uniquement du trafic urbain, périurbain ou régional, aujourd'hui exclues du champ d'application de la directive 91/440.

Enfin, le dernier projet, le plus substantiel, peut-être le plus important dans ses conséquences, tend à introduire une nouvelle notion, le concept de « candidat autorisé ».

Tel est le « paquet infrastructure » qui est en débat aujourd'hui par le biais de la proposition de résolution présentée par notre collègue Boulaud et rapportée par notre collègue Filleul.

Si l'on peut souscrire à l'intention déclarée de la Commission européenne, qui souhaite créer les conditions favorables au développement de ce système ferroviaire dynamique et compétitif que nous attendons tous, il nous faut bien constater que la volonté affirmée de considérer les chemins de fer comme des entreprises résolument orientées vers le marché, gérées de manière indépendante et progressivement soumises à ces forces du marché, s'inspire d'un modèle anglo-américain et d'un libéralisme peu approprié dans le domaine particulier du transport ferré. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que l'on constate cette volonté de libéralisme de la Commission européenne : qu'on songe aux « télécommunications » ou « Gaz et électricité ».

Le transport par le rail des biens et des personnes n'est que l'une des facettes de la politique globale du transport pour chacun des pays européens concernés. M. le ministre propose, pour la France, de rééquilibrer rail et route en favorisant l'intermodalité. Nous voterons aussi, cet après-midi, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement du territoire, qui reconnaît pleinement l'intermodalité et le développement de l'option rail. Le projet de directive, bridant ces initiatives, remet profondément en cause le principe de subsidiarité.

L'apport du transport ferroviaire présente un intérêt socioéconomique qui dépasse sa seule contribution à la protection de l'environnement, comme l'a montré M. Filleul dans ses amendements à la LOADT. En effet, son efficacité énergétique est deux à trois fois supérieure à celle du transport routier, aussi bien pour les voyageurs que pour le fret. Le transport ferroviaire participe aussi à l'aménagement du territoire, le train s'avérant le moyen le plus adapté pour le transport en zones sensibles : traver-s ées de montagne, zones touristiques, zones denses urbaines, vallées aux itinéraires routiers souvent saturés.

De plus, l'investissement en infrastructures, en installations fixes ou en matériel roulant crée ou maintient environ trois emplois-année par million de francs investi.

On le voit, ce sont là de vraies missions de service public, et nous y sommes tous, ou presque, profondément attachés. Rien ne prouve que la libéralisation préconisée par la Communauté européenne aurait des effets bénéfiques. Il semble prudent, avant toute transformation complémentaire, d'attendre l'analyse et le bilan, annoncés par M. le ministre, des actions et expérimentations qui ont été engagées à la suite de la directive 91/440 précédente.

C'est d'ailleurs le souhait que M. le ministre, vient d'exprimer, en demandant que la présidence allemande retire son projet de libéralisation du fret ferroviaire lors du Conseil européen des ministres des transports qui se tiendra demain. Il s'agirait, sinon, d'un mauvais coup pour l'Europe, les nouveaux opérateurs privés ne visant


page précédente page 05933page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

qu'à écrémer les sillons les plus rentables. Cela n'exclut pas que la SNCF renforce sa coopération avec les réseaux européens.

En conclusion, si les propositions détaillées du « paquet infrastructure » contiennent des dispositions utiles, sur l'harmonisation en matière de tarification et d'allocation des capacités d'infrastructures ou de mise aux normes des différents réseaux, notre assemblée doit émettre un avis défavorable à l'égard d'un projet qui, sous le couvert de d ispositions techniques, induirait un bouleversement complet du contexte institutionnel et de l'organisation même du transport ferroviaire, et donc de l'ensemble des transports français.

C'est pourquoi je souscris à l'article unique de la proposition de résolution, tel qu'il a été adopté par la commission. Et j'appelle l'Assemblée à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

M. Biessy et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 1 rectifié, ainsi rédigé :

« Après le dixième alinéa de l'article unique, insérer l'alinéa suivant :

« Considérant que les propositions de la Commission en matière d'organisation des entreprises ferroviaires vont à l'encontre du principe de subsidiarité ; » La parole est à M. Gilbert Biessy.

M. Gilbert Biessy.

En introduisant une fragmentation de l'organisation ferroviaire institutionnelle, la Commission outrepasse ses prérogatives et ignore les particularités des systèmes coexistant actuellement en Europe.

Je rappelle que l'article 3 B du Traité instituant la Communauté européenne stipule que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ». Tel n'est pas le cas en l'occurrence. Au regard d'une réalité contrastée, les Etats peuvent s'engager sur des objectifs convergents de développement du rail en utilisant des formes et des moyens différents, chacun ayant la responsabilité de déterminer la voie la plus efficace et la mieux adaptée à sa situation.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

La commission a accepté cet amendement. Il se situe dans le droit fil des interventions que nous avons entendues ce matin, qui considéraient la subsidiarité comme l'un des aspects fondamentaux pour aborder les problèmes ferroviaires.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je suis favorable au principe de subsidiarité, qui, dans ce domaine, est trop souvent négligé. Toutefois, la subsidiarité ne doit pas s'opposer à l'harmonisation. Il y a, en effet, des domaines où il faut absolument harmoniser, définir des règles et des démarches communes.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 1 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Où est M. Madelin ou son représentant ? Nous le cherchons depuis ce matin !

M. le président.

Vous voyez bien qu'il n'est pas dans l'hémicycle, monsieur Barrau ! Il s'agit de l'unanimité des présents.

M. Michel Bouvard a présenté un amendement, no 2, ainsi rédigé :

« Dans le "3" de l'article unique, après les mots : "aménagement du territoire", insérer les mots : ", de protection de l'environnement". »

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

La précision apportée par cet amendement était implicite dans tout ce que nous avons dit ce matin, mais il vaut mieux l'affirmer clairement dans le texte. Je pense ici singulièrement aux zones de montagne. Cet amendement s'inscrit dans la logique de ceux que j'avais présentés lors de la discussion de la loi d'orientation pour l'aménagement du territoire de 1995 et que le rapporteur de ce texte avait alors bien voulu accepter. Ils stipulaient que, dans les zones à l'environnement fragile, on doit prévoir des modes de transport adaptés.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

La commission n'a malheureusement pas examiné cet amendement, mais j'y suis favorable à titre personnel. Il s'inscrit pleinement dans les objectifs du projet de loi sur l'aménagement du territoire que nous allons voter cet après-midi, et j'espère que notre collègue Bouvard, qu'il intéresse au premier chef, notamment pour la traversée des Alpes, joindra ses suffrages aux nôtres, ce qui lui permettra de répondre mieux encore à ses préoccupations, que nous partageons.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

2. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

M. Michel Bouvard a présenté un amendement, no 3, ainsi rédigé :

« Compléter le "4" de l'article unique par les mots : "et prioritairement les réseaux identifiés par l'Union européenne dans la liste prioritaire arrêtée au Conseil d'Essen le 10 décembre 1994". »

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

Je prie la commission de m'excuser de n'avoir pu déposer mes amendements plus tôt.

Je conçois qu'elle n'ait pas été en mesure de les examiner, mais il est vrai que nous avons eu le texte assez tardivement.

Cet amendement no 3 entend établir que les emprunts communautaires qui pourraient être mobilisés doivent servir prioritairement aux opérations qui ont été listées au moment du Conseil d'Essen, le 10 décembre 1994.

Je propose cependant deux modifications rédactionnelles à mon amendement. On pourrait substituer les mots « de ceux » aux mots « les réseaux », dans la mesure où ils sont évoqués précédemment, et, après les mots « la liste », supprimer l'adjectif « prioritaire », pour éviter une répétition.


page précédente page 05934

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 16 JUIN 1999

M. le président.

Il convient donc de lire ainsi l'amendement :

« Compléter le "4" de l'article unique par les mots : "et prioritairement de ceux identifiés par l'Union européenne dans la liste arrêtée au Conseil d'Essen le 10 décembre 1994". »

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement no 3 rectifié ?

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. J'y suis cependant favorable à titre personnel, bien qu'il soit quelque peu restrictif. Depuis 1994, d'autres priorités peuvent avoir émergé. La rectification que vient de faire M. Bouvard est également bienvenue.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Nous avons abordé ce sujet dans la discussion générale, et M. Léonce Deprez a insisté là-dessus.

Comme M. le rapporteur Jean-Jacques Filleul, je suis favorable à cet amendement no 3 rectifié.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 3 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité des votants.

M. Michel Bouvard a présenté un amendement, no 4, ainsi rédigé :

« Après le "5" de l'article unique, insérer l'alinéa suivant :

« 5 bis.

Demande au gouvernement français et à la Commission européenne que soit élaboré dans les meilleurs délais le protocole transport de la convention alpine ; ».

La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard.

Il s'agit de profiter du Conseil des ministres du 17 juin, où notre ministre Jean-Claude Gayssot défendra les intérêts de la France, pour évoquer le protocole transport de la convention alpine auquel je faisais référence tout à l'heure. L'Union européenne est signataire de la convention alpine, comme l'Italie et l'Autriche. Il est très important que ce protocole transport ne soit pas le seul à rester lettre morte.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur.

Cet amendement, non examiné par la commission, est intéressant. A titre personnel, j'y suis favorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Le Gouvernement travaille à l'adoption de cette convention alpine au plan international. Je suis favorable à cet amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

4. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Explication de vote

M. le président.

La parole est à M. Jean Proriol, pour une explication de vote.

M. Jean Proriol.

Dominique Bussereau a expliqué tout à l'heure la position du groupe DL : les directives de l'Union européenne vont dans la bonne direction -, on l'a vu pour la libéralisation des transports aériens.

M. Didier Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Si seulement les avions arrivaient à l'heure ! On voit bien que M. Proriol ne prend pas souvent l'avion ! (Sourires.)

M. Jean Proriol.

Nous ne pourrons donc pas voter le texte tel qu'il nous est proposé. Il faut donner à la SNCF, à Réseau ferré de France, les moyens d'être très compétitifs.

M. Alain Barrau.

président de la délégation pour l'Union européenne.

C'est M. Madelin qui parle, mais il est bien seul.

M. Jean Proriol.

La proposition de résolution, qui s'oppose à la directive, force un peu le trait. Nous ne la voterons donc pas.

M. Jean-Claude Daniel.

C'est surprenant !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Isolement complet de M. Madelin ! Même M. Mégret la voterait !

M. le président.

Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution, modifié par les amendements adoptés.

(L'article unique de la proposition de résolution, ainsi modifié, est adopté.)

2

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, en lecture définitive ; Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, no 1677, portant création d'une couverture maladie universelle : M. Jean-Claude Boulard et M. Alfred Recours, rapporteurs au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1684, tomes I et II).

A vingt et une heure, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT