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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 6265).

EMPLOIS-JEUNES (p. 6265)

MM. Jean Pontier, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

UNIVERSITÉS PARISIENNES (p. 6265)

MM. Georges Sarre, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

FRET FERROVIAIRE (p. 6266)

MM. Gilbert Biessy, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

35 HEURES (p. 6267)

M. Dominique Dord, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

DÉPENDANCE (p. 6268)

MM. Jean-Luc Préel, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

MONITEURS-ANIMATEURS (p. 6269)

M. Jean-Jacques Weber, Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

IMMIGRATION (p. 6269)

MM. Thierry Mariani, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

OLÉOPROTÉAGINEUX (p. 6270)

MM. Yves Fromion, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

PAT ET FONDS STRUCTURELS (p. 6271)

M. Michel Hunault, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

INCULPATION DE 13 JUIFS EN IRAN (p. 6271)

MM. Daniel Marcovitch, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

ÉNERGIES RENOUVELABLES (p. 6272)

Mme Michèle Rivasi, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

TRANSPORTS FERROVIAIRES (p. 6273)

MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES (p. 6273)

MM. Patrick Rimbert, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance (p. 6274)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

2. Action publique en matière pénale. Discussion d'un projet de loi (p. 6274).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 6283)

E xception d'irrecevabilité de M. Jean-Louis Debré : Mmes Nicole Catala, la garde des sceaux, MM. le rapporteur, François Colcombet, Pierre Méhaignerie, Pascal Clément, Jean-Luc Warsmann, Jacques Brunhes. - Rejet.

Mme la garde des sceaux.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6292).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe Radical, Citoyen et Vert.

EMPLOIS-JEUNES

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Elle concerne les emplois-jeunes recrutés au sein des établissements scolaires et s'appuie sur une histoire vraie (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) que je vais me permettre de vous raconter. C'est celle d'un emploi-jeune du département de la Drôme mais ce pourrait être de celui de l'Ardèche, de la Loire ou de la Haute-Savoie - appartenant au rectorat de Grenoble, qui exerce ses talents depuis janvier 1998. Onr etrouve certainement de semblables situations dans d'autres départements.

Agé de vingt-sept ans, ce jeune homme est marié et a un enfant à charge. Son salaire net mensuel est de 5 624 francs. Il intervient dans huit établissements différents - regroupement scolaire oblige - dans les nouvelles technologies et en arts plastiques. Certains de ces établissements étant distants de trente kilomètres, il parcourt en moyenne soixante kilomètres par jour sans avoir jamais perçu, bien évidemment, aucun remboursement de ses frais de déplacement liés à ses activités professionnelles.

Monsieur le ministre, qu'est-il envisagé pour que des situations aussi peu équitables trouvent, dans un premier temps, une solution dès la rentrée scolaire prochaine et pour que, dans un deuxième temps, tout ou partie de l'arriéré des frais de déplacement dus, si pénalisants pour un budget familial plus que modeste, soit remboursé ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, le problème de l'indemnisation des frais de déplacement des emplois-jeunes en milieu rural n'est pas résolu, c'est exact. Les raisons en sont juridiques : leurs contrats relevant du droit privé, on ne peut rembourser ces frais selon la formule habituelle pour les fonctionnaires. Ce point sera traité, le 30 juin prochain, à l'occasion d'une table ronde organisée avec l'ensemble des partenaires syndicaux et des représentants d'emplois-jeunes.

Cela dit, il y a dans le cas particulier que vous m'avez signalé quelque chose de tout à fait anormal. En milieu rural, en effet, un emploi-jeune ne doit effectuer son service que dans trois établissements et non dans huit, comme dans l'exemple que vous citez et que je vais, pour cette raison, regarder de près.

Je vous suggère de prendre contact avec le recteur de Grenoble à qui, de mon côté, je m'adresserai également.

En tout cas, vous avez parfaitement raison, monsieur le député, il est tout à fait anormal que les emplois-jeunes, qui n'ont pas des salaires extraordinaires, prennent les frais de déplacement à leur charge.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

UNIVERSITÉS PARISIENNES

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le ministre, vous avez présenté, lors d'un colloque à la Sorbonne en décembre 1998, les grandes orientations du plan « Université du troisième millénaire », dit U3M. Auparavant, le plan Université 2000 a été une grande affaire. Mais, malgré cela, Paris a pris du retard. Je souhaiterais donc connaître l'état d'avancement du plan U3M et le montant des financements qui pourraient être consacrés par l'Etat, en particulier pour Paris, ainsi que le calendrier.

Pourriez-vous préciser les choix retenus pour le plan de réhabilitation des locaux universitaires existants et pour la localisation des nouveaux pôles universitaires dans Paris.

Je pense aux sites mentionnés dans le rapport U3M Ilede-France de M. Payant : La Villette, Paris Rive gauche, B oulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux. Quid de l'ensemble formé par la Sorbonne et les établissements qui occupent la montagne Sainte-Geneviève ? Vous le savez, monsieur le ministre, la concurrence est très forte entre les universités au niveau européen, mais aussi au niveau international. Le risque d'un affaiblissement du potentiel universitaire et scientifique parisien est réel.

Au-delà des nécessaires rattrapages, quelles sont les orientations du Gouvernement pour conforter la place de Paris parmi les grandes universités internationales ? Comment pensez-vous introduire la cohérence nécessaire entre cet objectif et les différentes demandes des universités ?


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Enfin, il apparaît nécessaire d'agir en faveur de l'accueil et de l'hébergement des étudiants et des enseignants étrangers. Comment comptez-vous développer les capacités d'accueil actuelles afin que Paris puisse tenir toute sa place ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, le plan Université 2000 qu'a mis en place Lionel Jospin (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

... a permis de rattraper le grand retard dont souffrait l'aménagement universitaire français. Mais il est exact que, dans ce plan, Paris a été oublié.

M. Laurent Dominati.

C'est exact !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

C'est pourquoi, dans le plan U3M, la volonté du Gouvernement est de donner à Paris, mais également à la province, les moyens de faire face à la compétition internationale dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Il est trop tôt pour vous donner le résultat des discussions sur l'aménagement parisien mais je peux vous en indiquer quelques lignes.

T out d'abord, le Gouvernement veut rééquilibrer l'aménagement universitaire parisien qui a été jusqu'à présent trop exclusivement concentré en un point. Il est vrai que des sites comme ceux de Tolbiac, de La Villette, du 18e et de Boulogne font l'objet d'une étude très attentive.

En outre, il faut redonner, c'est exact, à la Sorbonne tout le lustre qu'elle doit avoir en organisant au mieux les universités qui utilisent ce remarquable site.

Enfin, vous l'avez souligné, pour toutes les régions, un quart des investissements du plan U3M devra être consacré aux étudiants, et Paris, qui est très en retard dans ce domaine, ne fera pas exception.

Nous aurons l'occasion de parler du plan U3M dans les semaines qui viennent. Vous comprendrez que je ne puisse pas annoncer des décisions qui ne sont pas encore prises et qui font encore l'objet de discussions très difficiles. Mais je tiens à vous le dire : Paris est une grande place intellectuelle du monde et nous entendons qu'elle le reste ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe communiste.

FRET FERROVIAIRE

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Biessy.

M. Gilbert Biessy.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Les députés communistes ont toujours défendu les services publics et soutenu le développement de la SNCF.

Les grèves de 1995 ont prouvé l'adhésion des cheminots à cette position. L'« eurogrève », organisée l'an passé par plusieurs syndicats de cheminots de différents Etats membres pour protester contre la démarche proposée par les instances communautaires, a également montré que le choix de la libéralisation du secteur ferroviaire n'était pas le bon.

C'est pourtant la voie qu'a choisie la Commission européenne, qui a présenté des propositions de directives tendant à pousser plus avant le processus de déréglementation de la directive actuelle 91/440.

C'est pourquoi nous nous réjouissons du résultat que vous avez obtenu la semaine dernière, monsieur le ministre, au Conseil des ministres des transports de l'Union européenne. Nous avions d'ailleurs voté la veille, dans cette assemblée, une proposition de résolution qui tendait à rejeter les trois propositions de directives de la Commission de Bruxelles. Vous avez réussi à mettre en échec le texte présenté par l'Allemagne, et le Conseil des ministres européen a décidé de remettre à plus tard la libéralisation du fret ferroviaire.

Néanmoins, monsieur le ministre, dans quatre ans, le problème se posera à nouveau. D'où mes questions.

Quelles sont les perspectives de développement, avec nos partenaires européens, notamment de corridors de fret ? Vous avez proposé la création d'un observatoire européen des transports ; quel sera son rôle exact et permettra-t-il de contribuer à relever le défi auquel la SNCF doit faire face ? Enfin, vous avez annoncé, au nom du Gouvernement, un investissement de 120 milliards de francs pour les dix années à venir ; permettra-t-il de développer, enfin, le fret ferroviaire comme il le mérite ? Il s'agit là, vous le savez, d'un enjeu essentiel pour notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, vous avez eu raison de faire référence à la fois à l'eurogrève et à la résolution votée à l'Assemblée nationale non seulement par l'ensemble de la gauche plurielle, mais aussi par le RPR et l'UDF. Il n'y a eu que « Démocratie ultralibérale » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) pour ne pas s'y associer ! Ce consensus m'a d'ailleurs aidé, je tiens à le dire, dans les discussions à Luxembourg, la semaine dernière.

Vos trois questions sont importantes car elles portent sur des enjeux de société.

D'abord, au plan européen, il faut constater que tous les gouvernements sans exception - reflétant en cela, me semble-t-il, l'opinion des sociétés - sont favorables au développement du trafic ferroviaire de marchandises, certains souhaitant le faire en privilégiant la libéralisation, d'autres, comme nous, la coopération entre les réseaux.

En tout état de cause, tout le monde y est favorable, et j'insiste sur cette idée pour que nous constituions un véritable réseau ferré européen de fret afin que le maximum de ces futurs progrès du transport de marchandises soit transféré sur le rail plutôt que sur la route.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

S'agissant de l'observatoire, j'ai avancé l'idée, c'est vrai, mais elle a été reprise par la quasi-totalité des quinze ministres concernés. Que ceux qui le veulent choisissent la libéralisation, cela les regarde. Mais d'autres pensent que, par la coopération, sans introduire la concurrence...

M. Francis Delattre.

Langue de bois !

M. Jean-Claude Lenoir.

Chimère ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... on peut développer le rail. L'observatoire que j'ai proposé devrait nous permettre précisément de comparer, dans les quatre ans qui viennent, les possibilités de chacune des organisations proposées. Je suis confiant dans notre capacité à relever le défi.

Enfin, monsieur le député, vous avez évoqué les 120 milliards qui vont être investis. Ils feront l'objet des discussions sur les contrats de plan Etat-régions, dans le cadre desquels le Gouvernement propose de doubler la part du ferroviaire. Son développement dépendra aussi de l'engagement des régions. L'objectif est de développer le trafic de marchandises et de faire en sorte qu'il ne soit plus considéré comme secondaire par rapport au trafic voyageurs, mais comme faisant partie des priorités de service public et d'intérêt général.

Sur cette base, nous allons poursuivre les alliances. La SNCF s'est engagée en ce sens auprès de sociétés européennes. Et nous allons faire en sorte, dans les dix ans qui viennent, de doubler dans notre pays le trafic marchandises sur le rail.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Démocratie libérale et Indépendants.

35 HEURES

M. le président.

La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord.

« La loi ne peut pas décider tout pour chacun. Nous croyons à un Etat qui ne décide pas tout, mais qui fixe simplement le cap. » Ainsi s'exprimait

Martine Aubry,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Elle a raison !

M. Dominique Dord.

... hier, dans un accès de lucidité, dans un grand journal du soir, que personnellement je ne trouve pas très libéral - monsieur Chevènement - et en tout cas vraiment pas ultra-libéral - monsieur Gayssot ! Quel dommage, monsieur le Premier ministre, que vous n'en tiriez pas les conséquences pour vous-même et pour votre politique ! Bien au contraire, sur le second volet des 35 heures, vous vous apprêtez à nous entraîner, et avec nous tout le pays, dans un maquis de dispositions nouvelles, là où il faudrait de la simplification.

En voulant tout régenter, tout régler, tout prévoir depuis Paris, dans une approche ultra-socialiste, comme s'il existait une entreprise type, vous vous heurtez à la réalité, à leur diversité, à leur rythme d'activité, à leur histoire, à leur organisation, à leur marché et aux secteurs dans lesquels elles évoluent.

Sauf à y mettre un prix insensé, monsieur le Premier ministre - ce que vous n'avez d'ailleurs pas hésité à faire avec EDF-GDF, à qui vous avez versé 110 000 francs par emploi -, l'aménagement autoritaire du temps de travail ne crée pas d'emploi. Pire, il créera, et je vais essayer de vous le démontrer très brièvement, de l'injustice sociale.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bourquin.

La question !

M. Dominique Dord.

Mes chers collègues, ne vous énervez pas : j'exprime tout haut ce que vous n'osez pas dire alors que vous le pensez. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

En effet, le délai d'un an supplémentaire que vous vous apprêtez à accorder aux entreprises jouera, et vous le savez, contre les salariés, contre les salaires, contre le pouvoir d'achat.

C'est un an de plus, en effet, sans aucune augmentation de salaire.

M. Christian Bourquin.

La question !

M. Dominique Dord.

Ce même délai d'un an jouera contre la création d'emplois et pour le développement du travail précaire à temps partiel, les entreprises, et c'est bien légitime, refusant de charger elles-mêmes leur sac à dos avant de passer sous votre toise. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Un peu de silence ! M. Dord va conclure.

M. Dominique Dord.

Enfin, mes chers collègues, face à votre enthousiasme général, je voudrais également ajouter que, s'agissant du SMIC, vous entrez dans une mécanique infernale. Car si Mme Aubry écrit, toujours dans ce grand journal du soir, que « majorer le SMIC de 11,4 % immédiatement n'est pas possible », cela ne l'empêche pas, quelques lignes plus bas, de garantir à ceux qui le perçoivent que leur salaire mensuel ne baissera pas. Quelle virtuosité !

M. Christian Bourquin.

La question !

M. Dominique Dord.

En réalité, en relevant ainsi le salaire plancher - et vous n'avez pas le choix - c'est toute la pyramide des salaires que vous allez écraser. Ce sera très injuste, et pour ceux qui sont juste au-dessus du SMIC et pour ceux qui sont juste au-dessous, c'est-à-dire tous ceux qui travaillent moins de 35 heures et qui sont rémunérés sur la base du SMIC.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Dord.

M. Dominique Dord.

Je conclus, monsieur le président.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je comprends que cela vous fasse mal, mes chers collègues ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Alors, monsieur le Premier ministre, ne nous dites pas que les salariés passés à 35 heures avec maintien de leur salaire en sont heureux à 80 %. A trente-deux heures, et avec une légère augmentation, je pense que vous auriez pu obtenir 100 % d'heureux ! Mais votre gouvernement a déjà mangé son chapeau sur la baisse des charges sociales.

Alors, ma question est simple : combien de temps vous faudra-t-il pour renoncer enfin à l'aménagement autoritaire du temps de travail ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, à qui il reste peu de temps pour répondre.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Encore une fois, monsieur le député, le débat sur la lutte contre le chômage mérite mieux qu'une caricature. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socia-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

liste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Verts. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) . Ce qui s'est passé depuis un an dans notre pays, le fait qu'une entreprise sur deux aujourd'hui négocie la réduction de la durée du travail,...

M. Thierry Mariani.

Elles n'ont pas le choix !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... que 475 emplois aient été créés cette semaine, ce qui donne maintenant 73 000 emplois créés - plus de la moitié de la baisse du chômage de l'année dernière,...

M. Philippe Auberger.

C'est du bluff !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... deux fois plus déjà que ce que nous avions prévu pour cette année -, mérite peut-être une analyse autre que celle que vous avez faite.

D'abord, la preuve est faite que, sous certaines conditions négociés par les chefs d'entreprise et les syndicats sur le terrain,...

M. Franck Dhersin.

Allez-y, sur le terrain !

M. Bernard Deflesselles.

Laissez-les faire !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... car ils ont sans doute une maturité qui dépasse les slogans et les anathèmes, et, personnellement, je m'en réjouis, la réduction de la durée du travail crée des emplois.

Je suis ravie de voir que vous vous intéressez enfin aux smicards et aux bas salaires. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

Les salaires ont perdu en pouvoir d'achat lorsque vous étiez au pouvoir, alors qu'ils ont crû de 3 % cette année, meilleur score depuis vingt ans.

J'ajoute que la réduction des charges sociales dont vous avez parlé permettra non seulement de réduire dans de bonnes conditions la durée du travail et de créer des emplois, mais encore de laisser une marge aux entreprises pour créer des emplois ou pour augmenter les bas salaires, et nous savons combien c'est une nécessité dans notre pays.

Monsieur le député, disons les choses simplement : que demande et que propose la droite pour lutter contre le chômage ? Rien ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Qu'êtes-vous capables de faire si ce n'est opposer un scepticisme permanent à tout ce qui se fait, y compris dans les entreprises ? Pour vous, dans le fond, la politique, c'est accompagner le marché.

Pour nous, c'est fixer un cap, fixer des priorités. Etre moderne, ce n'est pas être plus ou moins libéral, c'est régler les problèmes des Français et c'est ce que nous faisons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

DÉPENDANCE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel.

Ma question s'adresse à Mme Martine Aubry, ministre des affaires sociales, dont j'espère une réponse moins caricaturale.

Nos anciens ont contribué à développer notre pays.

Nous avons envers eux une dette de solidarité. Deux problèmes majeurs se posent.

Le premier est celui de la retraite. Nous espérons qu'après le rapport Charpin, vous prendrez prochainement les mesures indispensables pour sauvegarder le régime de retraite et surtout permettre l'équilibre entre public et privé, mais nous avons des doutes.

Le second est celui de la dépendance, l'augmentation du nombre de personnes concernées et de la durée de la dépendance posant de sérieux problèmes humains et financiers.

Chacun souhaite rester à domicile et de nombreux services ont été mis en place, mais il arrive que l'hébergement dans un établissement devienne nécessaire. Le choix se fait en fonction des places disponibles. Il existe des besoins de médicalisation, besoins humains et financiers.

Vous venez de prendre des décrets modifiant la tarification des établissements. Cette réforme, sans moyens supplémentaires, d'une rare complexité, manquant d'ambition car elle ne résout pas les problèmes, est critiquée par la quasi-totalité des responsables d'établissement. Un exploit ! Prévue en enveloppe constante, elle n'améliore pas la médicalisation. Pourtant, les besoins sont reconnus.

Que deviendront les nombreux lits autorisés et non financés à ce jour, 600 pour la Vendée ? Le forfait longue durée sera-t-il diminué ? La tarification est d'une grande complexité : treize tarifs sont prévus, difficiles à assimiler pour les personnes âgées. Elle lésera de nombreuses personnes âgées et démunies. Comment paieront-elles ce nouveau forfait lorsque leur ressource dépassera de peu le seuil, déjà bas, de la PSD ? En réalité, la dépendance sera payée par les personnes et leurs familles. Est-ce normal ? Enfin, c'est une réforme en deux temps, laissant de côté cette année les deux tiers des établissements. Nous avons l'impression que vous avez gâché une chance d'améliorer largement la prise en charge de la dépendance alors que c'était une réforme très attendue. Allez-vous reprendre les négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, pour une réponse rapide.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l 'action sociale.

Monsieur le député, l'opacité et la complexité dont vous parlez préexistaient et je prétends qu'avec la modification de la tarification de la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans les établissements, on y voit un peu plus clair.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Mais non !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Les associations veulent plus, ce que je comprends, mais les négociations ont été longues et le fait de savoir maintenant qui paie quoi me paraît de nature à clarifier les choses.

M. Alfred Recours.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Les frais d'hébergement, je vous le rappelle, sont pris en charge par les personnes elles-mêmes, ce qui concerne la


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d épendance et éventuellement son accompagnement social est pris en charge par la prestation spécifique dépendance, et donc par les conseils régionaux, et le reste, ce qui concerne la maladie, par la Caisse nationale d'assurance maladie. Des conventions tripartites sont passées pour qu'on y voie plus clair.

Vous prétendez qu'on paiera plus. Au contraire ! Audelà d'une clarification, la médicalisation ne peut qu'être meilleure. Il n'y en avait pas, en effet, dans les maisons, et je partage votre sentiment sur la prise en charge parfois très douloureuse et difficile de nos aînés, ou elle était extrêmement superficielle. Maintenant, il y aura des contrats précis de prise en charge de la médicalisation avec la CNAM. Dans la mesure où les enveloppes existent, au nombre de trois, c'est en effet un peu plus difficile mais c'est un progrès. Qui a d'ailleurs proposé quelque chose d'autre ? Quant au nombre de places, 352 millions de francs sont prévus dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui correspond à 7 000 places en établissement et à 2 000 places en hospitalisation à domicile.

Il y aura un suivi national et une possibilité d'accompagnement pour chacune des personnes âgées et pour sa famille autour d'un projet de vie qui ne serait pas assez lisible.

Enfin, s'agissant des retraites, après le rapport Charpin, les concertations commencent. Nous ne sommes pas pressés. Nous sommes pressés dans l'absolu, c'est vrai, mais nous avons le temps, et nous le prendrons, d'organiser la concertation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

MONITEURS-ANIMATEURS

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Weber.

M. Jean-Jacques Weber.

Ma question s'adresse à

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Madame la ministre, nous sommes à la veille des vacances et des dizaines de milliers d'enfants et d'adolescents, le plus souvent de familles modestes, se préparent à passer une partie de l'été en colonie de vacances ou dans un centre de loisirs sans hébergement comme il en existe à présent un grand nombre dans nos communes, et vient se poser tout à coup une question nouvelle et inattendue, mais certainement pas innocente, celle du statut des moniteurs-animateurs.

Ils sont des milliers, nous les connaissons bien, souvent étudiants, titulaires du BAFA, en quête d'expérience et - pourquoi le nier ? - d'argent de poche. La convention collective de l'animation socioculturelle estime à 120 ou 150 francs leur indemnité journalière et ils sont hébergés.

C'est généralement pour ces jeunes déjà formés une expérience irremplaçable de prise de responsabilité, de collaboration à une action d'éducation et d'intégration sociale.

Or l'on s'apprêterait à mettre ce système par terre et à tout subordonner à l'emprise du code du travail puisque les prud'hommes, saisis dans le cadre d'un litige, viennent de considérer que les jeunes moniteurs ne doivent pas toucher une indemnité mais bien un salaire.

La nuance est catastrophique pour les centres de vacances et pour les communes.

Va-t-on voir demain des colonies de vacances où l'encadrement ferait les trois huit ou les trente-cinq heures, où tout le monde serait fonctionnaire ou assimilé, où les animateurs compteraient leurs heures et cotiseraient éventuellement pour leur retraite ? D e nombreux organisateurs, vous le savez, sont inquiets. Qui supporterait cet important surcoût salarial ? Combien de familles seraient capables de payer ces frais supplémentaires ? Madame la ministre, les vacances commencent dans deux semaines. Il est encore temps de régler ce problème avant la fin de cette session grâce à une réponse législative immédiate. Est-ce votre intention ? Sinon, que comptezvous faire ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur divers bancs du groupe Démocratie libérale et indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la jeunesse et des sports, pour une réponse brève.

Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

Monsieur le député, l'annexe 2 à la convention collective de l'animation socioculturelle permettait, en effet, aux associations d'employer des jeunes et de leur donner une indemnité au motif qu'ils étaient volontaires et que ce travail représentait aussi pour eux un apport éducatif et une formation, mais les temps ont changé et de nombreux jeunes trouvent un métier en travaillant dans des centres de loisirs et de vacances. Ils se sont donc, tournés vers les prud'hommes pour obtenir l'application du code du travail, et on ne peut pas le leur reprocher.

Plusieurs députés du groupe communiste.

Très bien !

Mme la ministre de la jeunesse et des sports.

Face à une telle situation, les associations qui accueillent les enfants et les jeunes essaient de limiter le plus possible le coût pour les familles. N'ayant pas elles-mêmes beaucoup de facilités financières, elles sont très inquiètes à l'idé e de devoir rémunérer comme des salariés des jeunes qu'elles rémunéraient auparavant comme des volontaires.

Nous avons pris le problème à bras-le-corps et nous avons avancé. Il n'y a donc aucune inquiétude pour les vacances qui arrivent. Le ministère de l'emploi et de la solidarité négocie avec les associations employeurs et avec les grands syndicats confédérés, et nous avons presque réussi à définir un statut de jeune animateur volontaire, ce qui permettra aux associations et aux jeunes qui le souhaitent de continuer à appliquer une annexe 2 renouvelée sous la forme d'un statut, avec le souci que les jeunes volontaires soient encadrés par de véritables salariés, notamment au niveau de la direction des centres de vacances et de loisirs.

Ne vous inquiétez donc pas : le Gouvernement s'est occupé de cette question avec les associations et les choses sont pour ainsi dire réglées. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous passons au groupe du Rassemblement pour la République.

IMMIGRATION

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, nous aimerions vous croire quand vous affirmez que vous maîtrisez la politique de l'immigration. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Mes chers collègues, je ne comprends pas. Vous êtres habitués. (Rires et applaudissements sur de n ombreux bancs du groupe socialiste.)

Allez-y, monsieur Mariani.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

M. Thierry Mariani.

Moi, je comprends, monsieur le président. Ils sont habitués à ne pas résoudre les problèmes ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous êtes habitué à ne pas résoudre les problèmes et à vous cacher derrière des formules choc mais, monsieur le ministre, regardons ensemble la réalité avec les Français.

M. Didier Boulaud.

Après l'échec des européennes, ils préparent les municipales !

M. Thierry Mariani.

Interrogé la semaine dernière sur votre politique en faveur du retour vers leur pays d'origine des étrangers en situation irrégulière qui ne pourront être régularisés, vous nous avez répondu que le dispositif de réinsertion n'avait pas bénéficié d'une publicité suffisante, mais que deux conventions concernant mille contrats avaient été signés avec le Sénégal et le Mali. Or, d'après la presse, seulement douze étrangers en situation irrégulière ont effectivement bénéficié de ces conventions.

Il est donc clair que les 60 000 clandestins recensés par vos services, qui ne sont pas régularisés en application de vos circulaires, n'entendent pas, hélas ! quitter le territoire national. Pourquoi d'ailleurs le feraient-ils puisque le Premier ministre et vous-même avez déclaré à plusieurs reprises qu'ils ne seraient pas expulsés et que l'aimable invitation à quitter le territoire que vous leur avez envoyée est restée à ce jour lettre morte ? Ma question est très simple : comment expliquez-vous l'échec manifeste de la politique de la gauche plurielle d'aide au retour et quelles mesures nouvelles entendezv ous prendre pour régler la situation des quelque 60 000 immigrés en situation irrégulière connus de vos services qui n'ont pas été le moins du monde impressionnés par votre invitation à quitter la France ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, la loi sur l'immigration, dite loi RESEDA, s'applique. Les textes d'application ont tous été pris. Les reconduites aux frontières s'effectuent...

M. Thierry Mariani Au compte-gouttes !

M. le ministre de l'intérieur.

... normalement (Rires et exclamations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et j'ai donné des directives pour que cela se passe de manière aussi efficace que possible.

Un grand nombre d'immigrés en situation irrégulière sur notre sol retournent d'eux-mêmes dans leur pays.

(Rires et exclamations sur les mêmes bancs.) Je rappelle que 100 millions d'étrangers arrivent chaque année en France.

Au plus fort des lois Pasqua et Debré, on n'effectuait qu'un peu plus de 10 000 reconduites chaque année.

La règle a été clairement marquée. J'étais hier à la conférence des ministres de l'intérieur de la Méditerranée occidentale, où il a été clairement établi qu'une politique plus souple des visas avait pour contrepartie une application plus stricte des règles relatives au séjour. Je crois que chacun le comprend. Nous avons besoin de concevoir, avec les pays d'origine, une politique qui favorise le développement en commun,...

M. Yves Nicolin.

C'est guignol !

M. le ministre de l'intérieur.

... qui favorise la circulation, mais qui soit stricte sur le plan du séjour, de la liberté d'installation.

Les Français l'ont d'ailleurs bien compris, et on a vu lors des dernières élections européennes que l'immigration n'était un sujet de préoccupation que pour un très petit nombre de ceux qui sont allés voter. Je crois que c'était au quinzième rang des préoccupations.

M. Yves Nicolin.

Et les autres ?

M. le ministre de l'intérieur.

J'ajoute même que la crise de l'extrême droite qui, pour la première fois, est passée en dessous de la barre des 10 % alors qu'elle était encore à 15 % en 1995 et en 1997,...

M. Yves Nicolin.

Merci Mitterrand !

M. le ministre de l'intérieur.

... montre à l'évidence que cette démagogie n'est plus de saison et que la politique du Gouvernement, qui a consisté à soustraire le problème de l'immigration du débat politicien quotidien dans lequel vous voudriez le replonger, est un succès, pour les immigrés qui peuvent vivre tranquilles, et pour la France.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

OLÉOPROTÉAGINEUX

M. le président.

La parole est à M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion.

On constate finalement que la loi sur l'immigration est aussi efficace que la loi sur les 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que vous souhaitiez obtenir l'interdiction des farines animales pour l'élevage. Vous savez que le substitut à ces farines, ce sont les oléoprotéagineux. Or, au sommet de Berlin sur le PAC, leur sort n'a pas été enviable. Dans un département comme celui du Cher, premier producteur national d'oléoprotéagineux, la perte de revenu par hectare devrait être d'environ 1 100 francs. Multiplié par 90 000 hectares, vous voyez ce que cela peut représenter pour un seul département. Les producteurs vont donc probablement se désintéresser de ce type de production.

Comment allez-vous donc sortir de cette contradiction : d'un côté, et nous souscrivons à cette proposition, vous faites en sorte que l'on développe l'usage des substituts aux farines animales, c'est-à-dire les oléoprotéagineux, et, d'un autre côté, les agriculteurs vont se désengager naturellement de cette production, puisque cela représentera pour eux un manque à gagner ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, il est vrai que le Gouvernement français a demandé au Conseil européen de l'agriculture de prévoir l'interdiction des farines animales et des sousproduits des abattoirs pour la nourriture du bétail. J'ai proposé cet objectif en remettant un mémorandum au Conseil la semaine dernière et la Commission doit lui faire des propositions d'ici à la fin de l'année, c'est-à-dire sous présidence finlandaise.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Si nous n'obtenons pas gain de cause, soit une harmonisation suffisamment rigoureuse pour la production et la fabrication des farines animales, soit, encore mieux, une interdiction, le Gouvernement français se réserve le droit de prendre cette décision au niveau national, le plus cohérent étant de le faire à l'issue de la présidence finlandaise.

Une telle décision aurait, c'est évident, de multiples répercussions. Ainsi, il faudrait bien régler le sort de ces sous-produits d'abattoir, ne serait-ce que pour les éliminer par incinération : cela aurait probablement pour effet de libérer de la dioxine dans l'air, ce qui n'est pas exactement le but recherché. En outre, cela représenterait un coût pour les collectivités locales.

Si nous n'utilisons plus de protéines animales pour la nourriture du bétail, nous devrons trouver un substitut sous forme de protéines végétales. Or, dans ce domaine, l'Europe est encore sous-productrice. Vous l'avez dit, monsieur le député, les accords de Blair House et ceux de Berlin, qui prévoient de réduire en deux ans la surprime pour les oléoprotéagineux, ne nous satisfont pas. La France a toujours dit qu'elle y était défavorable, comme elle l'est à tout compromis en la matière. Aussi avonsnous demandé que l'accord de Berlin comporte une clause de rendez-vous au bout des deux ans, de façon que la Commission tire les leçons de l'évolution des productions et fasse de nouvelles propositions. Nous comptons bien que cette clause joue pleinement le moment venu.

En attendant, nous prenons des mesures spécifiques.

Ainsi, avec l'autorisation du Premier ministre, j'ai pris pour 300 millions de francs de mesures agri-environnementales afin de faciliter et d'encourager la culture du tournesol. Nous travaillons également sur la question du soja, et je souhaite pouvoir annoncer des décisions dans les semaines qui viennent.

En tout état de cause, l'Europe et la France ne doivent pas tirer un trait sur la production de ces oléoprotéagineux, qui seront encore très utiles à nos productions agro-alimentaires.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

PAT ET FONDS STRUCTURELS

M. le président.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

La presse s'est dernièrement fait l'écho des projets du Gouvernement pour la sélection des territoires susceptibles de bénéficier de la prime d'aménagement du territoire et des fonds structurels européens. Ces projets ont suscité de vives réactions de la part des élus, car nombre des territoires qui, jusqu'à présent, en étaient bénéficiaires, seraient désormais exclus.

Ce matin, dans le cadre des questions orales, vous avez bien voulu apporter des précisions rassurantes pour le territoire de ma circonscription. Je vous en remercie à nouveau.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mais je voudrais, devant la représentation nationale, que vous nous apportiez des éléments d'apaisement plus généraux, et que vous nous assuriez que vous allez reprendre la concertation afin que l'ensemble des territoires bénéficiaires, notamment les territoires ruraux, continuent, demain, d'être éligibles aux fonds européens.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

M. Hunault vient de confirmer l'intérêt de la procédure des questions orales.

La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, vous vous en souvenez, c'est à la fin du mois de mars, lors du Conseil européen de Berlin, qu'ont été arrêtées les grandes lignes de l'Agenda 2000. Depuis, nous avons travaillé avec la Commission sur le règlement communautaire d'utilisation des fonds structurels, dont les critères n'ont été définis que les 30 et 31 mai. Il nous reste donc à appliquer ces critères pour transmettre une proposition de zonage à la Commission européenne dès la mioctobre.

Une carte a déjà été distribuée aux membres de la commission de la production et des échanges. Elle se contente de dresser la liste des départements admissibles en fonction des critères imposés par la Commission.

M. Patrick Ollier.

Il ne fallait pas distribuer cette carte ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Mais nous allons surtout travailler au niveau des bassins d'emploi en mobilisant des critères complémentaires et facultatifs. La plupart d'entre eux sont quantitatifs ; d'autres sont plus qualitatifs et collent peut-être mieux à la réalité des territoires. Le CIADT du 23 juillet devra préciser les critères qui permettront aux préfets de région d'entamer une large concertation au niveau local. Vous aurez là l'occasion de faire valoir les arguments de souffrance du territoire, de reconversion industrielle, de besoin en termes de développement rural.

Vous le savez, nous aurons à faire face à une réduction drastique de la population couverte.

M. Patrick Ollier.

Réduction inacceptable ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Actuellement, 41,3 % de la population sont concernés par les anciens objectifs 2 et 5 b. Nous transmettront à Bruxelles une carte correspondant tout au plus à 31 % de la population.

Dans ces conditions, il est bien difficile de discuter de la réduction du zonage avec les élus locaux.

Je vous invite donc à participer activement à la phase de concertation animée par les préfets de région, pour faire valoir de façon objective, argumentée, les éléments qui pourraient justifier la prise en compte des portions difficiles des territoires que vous représentez.

Je serai amenée, au mois de septembre, à élaborer la carte à partir des contributions régionales. J'ai d'ores et déjà promis au président de la commission de la production et des échanges de revenir devant la commission p our présenter les éléments qui seront transmis à Bruxelles. Vous aurez donc là une seconde occasion de vous exprimer à ce sujet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président Nous en venons au groupe socialiste.

INCULPATION DE 13 JUIFS EN IRAN

M. le président.

La parole est à M. Daniel Marcovitch.

M. Daniel Marcovitch.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, en Iran, treize juifs de nationalité iranienne arrêtés au début de l'année viennent d'être inculpés d'espionnage au profit d'Israël et des Etats-Unis. Selon la loi iranienne, ce crime est passible de la peine de mort.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Il s'agit de personnes modestes, âgées pour la plupart, et qui, dans la très ancienne communauté juive d'Iran, forte d'environ 25 000 membres, exercent des fonctions de rabbin, d'enseignant ou de responsable de cimetière.

Nous avons peur que, une fois encore, et malgré le démenti formel du gouvernement israélien face aux accusations d'espionnage, la communauté juive serve de bouc émissaire et soit utilisée par les opposants à la politique d'ouverture de l'actuel gouvernement iranien.

Une campagne publique a été lancée par le gouvernement israélien, auprès de l'ONU et des principaux pays occidentaux, dont le nôtre. En France, le CRIF, représentant les institutions juives, soutenu par de nombreuses associations antiracistes, organise aujourd'hui une manifestation devant l'ambassade d'Iran, avenue d'Iéna, pour obtenir la libération des accusés.

Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous informiez la représentation nationale des démarches que vous comptez entreprendre ou que vous avez déjà entreprises aux côtés de la communauté internationale pour éviter que des innocents ne deviennent les victimes des conflits internes au régime iranien. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, aux mois de février et de mars derniers, treize personnes membres de la communauté juive de Chiraz et d'Ispahan, en Iran, ont été arrêtées.

Nous avons été informés assez vite de ces arrestations qui, d'après les Iraniens, font partie d'une vague d'interpellations très nombreuses, touchant diverses communautés, sur lesquelles nous n'avons pas plus d'informations.

Sans tarder, nous avons discrètement pris contact avec des membres de la communauté juive iranienne et leur avons demandé conseil sur la façon d'intervenir. Dans un premier temps, ils nous ont demandé d'agir avec la plus grande discrétion, ce que nous avons commencé à faire.

Mais, depuis le 10 juin, ces arrestations et ces accusations sont publiques. Dès lors, nous ne pouvions persévérer dans la discrétion.

M. Robert Pandraud.

C'est vrai ou ce n'est pas vrai ?

M. le ministre des affaires étrangères.

Nous avons donc pris position très clairement. J'ai dit récemment à la radio que la situation était intolérable, que nous ne pouvions l'accepter, que nous ne pouvions ajouter aucun crédit aux accusations d'espionnage qui ont vraisemblablement été inventées a posteriori.

L'ambassadeur d'Iran a été convoqué au ministère des affaires étrangères. Nous lui avons fait part avec la plus grande netteté et la plus grande fermeté de notre désapprobation, de notre condamnation à l'encontre de ces accusations et de la façon dont elles sont formulées.

Par ailleurs, nous nous concertons avec nos partenaires européens pour donner le plus de poids possible à ces démarches. Nous pensons, les uns et les autres, que, malheureusement, l'explication est à trouver - vous y faisiez vous-même allusion, monsieur le député - dans des conflits internes à l'Iran. Mais le fait est là. La menace existe et la tragédie pourrait se concrétiser, quelles qu'en soient les explications. Nous serons donc très vigilants.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) ÉNERGIES RENOUVELABLES

M. le président.

La parole est à Mme Michèle Rivasi.

Mme Michèle Rivasi.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le Gouvernement a défini sa politique de l'énergie en retenant deux orientations fondamentales qui résultent de l'arbitrage du Premier ministre : la diversification et l'efficacité énergétiques. Il faut maintenant réexaminer les enjeux du développement des énergies renouvelables et augmenter de façon importante les moyens qui lui sont attribués par le Gouvernement et les organismes publics.

En effet, ces enjeux sont considérables : en France et dans les autres pays industrialisés, il s'agit de répondre à la demande croissante d'électricité propre ou « verte », doublée d'une aspiration à une production décentralisée, voire à l'autoproduction d'électricité ; pour les pays en voie de développement, il s'agit tout simplement de permettre l'accès à l'énergie, qui dépend en grande partie de la croissance des énergies renouvelables.

Or, que constatons-nous ? Pour les éoliennes - c'est la filière de production d'électricité qui se développe le plus rapidement dans le monde -, au classement des dix premiers constructeurs mondiaux, on compte quatre entreprises danoises, trois espagnoles, deux allemandes, une américaine, mais aucune entreprise française.

Pour les cellules photovoltaïques - dont la production mondiale croît de 40 % par an - une seule entreprise française est présente parmi les vingt premières mondiales : Total Energie.

Pour les chauffe-eau solaires, la France est en retard.

Pour les toits solaires, elle est à la traîne.

Comment pouvons-nous, sur ces marchés à croissance explosive, être à ce point hors du coup, dépassés ? Les énergies renouvelables font appel à des technologies jeunes et pleines d'avenir qui méritent une aide déterminée à la recherche publique. Que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une part, pour accroître notre effort de recherche et de développement sur les énergies renouvelables, d'autre part, pour renforcer les aides dont elles doivent bénéficier, notamment en ce qui concerne le prix d'achat par EDF de l'électricité produite, et pour développer l'industrie française sur ces marchés en pleine expansion ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Madame la députée, vous le savez, le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale au mois de janvier dernier a permis de dégager les lignes de force d'une politique énergétique qui a d'ailleurs été accueillie de manière très consensuelle sur l'ensemble de ces bancs.

Cette politique doit être attentive aux plus démunis et donc être équitable. Elle ne doit sacrifier ni au « toutnucléaire » ni au « tout-énergies renouvelables ». Elle doit être diversifiée, pour que les énergies nouvelles renouvelables prennent de plus en plus de place dans le paysage énergétique français. Elle doit être maîtrisée, pour que nous utilisions plus rationnellement l'ensemble des énergies disponibles. Enfin, elle doit être responsable, c'est-àdire avoir une vision du long terme pour assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de notre pays.

C'est dans ce cadre qu'une impulsion nouvelle est donnée par le ministre de l'industrie aux nouvelles énergies renouvelables. Le programme Eole 2005 prévoit que,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

cette année-là, nous aurons installé une puissance de 250 à 500 mégawatts. EDF, par exemple, va lancer avant la fin de l'année 1999 un nouveau programme de 100 mégawatts. Le plan Bois-Energie et développement local a permis la création, dans treize régions volontaires, d'une véritable filière de commercialisation du bois et la construction de 200 chaufferies collectives au bois.

J'ai demandé à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie de prendre de nouvelles initiatives dans ce domaine. Le programme 20 000 chauffe-eau solaires est déjà très largement engagé dans les DOMTOM. Il va être complété en métropole par un nouvel effort demandé à l'ADEME. Dans des régions volontaires, un programme de diffusion de chauffe-eau solaires et de planchers solaires directs, que nous appellerons

« Helios 2006 », sera incessamment mis en oeuvre. Enfin, le programme de développement de la biomasse et du biogaz, récemment décidé, entre, en ce moment même, dans une phase opérationnelle.

Vous voyez que, après avoir défini par ailleurs les conditions de rachat de l'énergie produite par les énergies nouvelles renouvelables, notamment l'énergie photovoltaïque et la petite hydraulique, le Gouvernement est très offensif...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Oh là là !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... pour assurer une très large place aux énergies nouvelles renouvelables à côté des autres sources, aujourd'hui encore prépondérantes, d'énergie électrique.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

TRANSPORTS FERROVIAIRES

M. le président.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le ministre, après mon collègue Biessy, je voudrais revenir sur la réunion du dernier conseil des ministres des transports de l'Union européenne qui s'est tenue à Luxembourg, le 17 juin. Fort de l'appui de l'Assemblée nationale, qui s'était manifesté, mercredi dernier, par l'adoption de la proposition de résolution que j'avais déposée au nom de la délégation pour l'Union européenne, ainsi que du soutien de M. le Premier ministre, vous êtes parvenu à battre en brèche la volonté de la Commission européenne et du gouvernement allemand d'ouvrir les réseaux de transport ferroviaire à la libéralisation. Le groupe socialiste s'en réjouit.

Contrairement aux affirmations entendues ici et là, la France ne s'est pas retrouvée isolée, puisque l'Autriche, l'Irlande et l'Espagne l'ont rejointe sur cette position, qui était également celle de la Belgique et du Luxembourg.

Certes, vous avez en partie répondu à mon collègue, mais pourriez-vous, monsieur le ministre, préciser à la représentation nationale comment vous envisagez, après cette première victoire, l'évolution nécessaire de la SNCF et du transport ferroviaire de fret en Europe dans les prochaines années ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, oui, je peux répondre à votre question. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Jacques Myard et M. Philippe Vasseur.

Il peut le faire ! (Sourires.)

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je veux redire, après vous, l'importance de la résolution qui a été adoptée, à l'initiative conjointe de vous-même, du président de la délégation pour l'Union européenne, M. Alain Barrau, et du président de la commission de la production et des échanges, M. André Lajoinie,...

M. Jacques Myard.

Un camarade ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... la semaine dernière à l'Assemblée nationale.

Cette volonté, très largement partagée sur les bancs de l'Assemblée nationale, a contribué à donner davantage de poids à mon intervention et à remporter non pas la victoire, car la bataille n'est pas encore gagnée, mais une première manche.

Dans cette discussion, nous étions loin d'être isolés.

Face à la Commission et à la présidence allemande qui étaient déterminées à arracher à tout prix une ou plusieurs directives à la majorité qualifiée, se sont retrouvés, d'une part, les pays opposés à la libéralisation, d'autre part, ceux qui considéraient le projet de directive par trop précipité, et enfin ceux qui estiment impensable d'imposer à un pays comme la France, ou à un groupe de pays, une décision qui va à l'encontre de ses intérêts majeurs.

Le Premier ministre avait d'ailleurs écrit en ce sens au chancelier allemand, M. Schro der. Un tel ensemble a fait que, finalement, c'est bel et bien la présidence allemande qui a été isolée sur cette question et qu'aucune décision n'a été prise ni aucune conclusion adoptée.

Qu'allons-nous faire demain ? Il ne s'agit pas simplement de se battre contre ces adeptes inconditionnels de la libéralisation, il faut proposer le développement du transport ferroviaire et prévoir les moyens appropriés, notamment dans ce domaine de fret, à l'échelle européenne.

Auparavant, il faut renforcer la cohérence du réseau ferré européen, agir sur ce que l'on appelle l'interopérabilité. Il faut savoir par exemple qu'il existe quatre types de courant différents pour alimenter les locomotives et que l'écartement des voies n'est pas le même dans tous les pays. D'autre part, la saturation est parfois atteinte ; je pense, pour la France, à Bordeaux, à Montpellier, à Lyon, à Nîmes, etc.

Il faut travailler à l'échelle européenne pour débloquer tous ces problèmes. Avec l'observatoire que nous mettons en place, nous pourrons nous y atteler, d'une manière qui ne sera ni dogmatique ni figée, et nous pourrons relever et gagner le défi du développement du transport marchandise par le rail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

RELATIONS FRANCO-ALGÉRIENNES

M. le président.

La parole est à M. Patrick Rimbert.

M. Patrick Rimbert.

Ma question s'adresse au ministre des affaires étrangères et porte sur les relations entre la France et l'Algérie.

A l'occasion de la 5e conférence des ministres de l'intérieur de la Méditerranée occidentale, M. Jean-Pierre Chevènement a parlé, en particulier, d'un assouplissement des conditions d'obtention des visas afin de permettre un meilleur accueil des Algériens qui décident de rendre visite à leur famille installée en France : la famille, en


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

effet, n'existe pas qu'en France. En effet, les Algériens doivent, en ce domaine, avoir les mêmes droits que les Français.

J'aimerais toutefois connaître les modalités de cet assouplissement. Je m'interroge : allons-nous vraiment dans le sens d'une amélioration ? Alors qu'Alitalia, Lufthansa et Iberia ont repris leurs relations aériennes avec l'Algérie, Air France, compagnie française dont l'actionnaire majoritaire est l'Etat, n'a toujours pas repris les siennes. Enfin, les centres culturels français sont aujourd'hui fermés, alors que ceux d'autres pays fonctionnent.

Or ces centres contribuent à diffuser l'histoire, la culture de notre pays.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner des précisions sur le sens des nouvelles relations que l'on souhaite instaurer entre l'Algérie et la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, l'importante visite que vient d'effectuer à Alger M. Jean-Pierre Chevènement, à l'occasion d'une réunion des ministres de l'intérieur, dans le cadre du Forum méditerranéen, me permet de rappeler la politique du Gouvernement dans le domaine que vous évoquez.

Il y a quelques années, le nombre de visas, en ce qui concerne l'Algérie, était monté à 900 000. A la suite des événements que vous connaissez, pour des raisons de sécurité sérieuses, il était tombé à moins de 50 000.

Depuis 1997, le gouvernement de Lionel Jospin a estimé, pour des raisons d'humanité, d'influence culturelle de la France, de relations entre le nord et le sud de la Méditerranée et de coopération, que l'on pouvait, dans des conditions tout à fait strictes de sécurité, et avec la rigueur qui inspire d'une façon générale la politique en matière d'immigration...

M. Thierry Mariani.

C'est un gag !

M. le ministre des affaires étrangères.

... développer malgré tout le nombre de visas accordés. Nous sommes donc remontés à 57 000 en 1997, à 85 000 en 1998, et nous serons sans doute à 150 000 en 1999. Les chiffres qui ont été évoqués à l'occasion de la visite de M. Chevènement sont des perspectives mais ne font pas l'objet de négociations. Il n'y a pas de quotas, tout dépend de l'évolution naturelle des échanges, que nous continuons à canaliser et à encadrer avec toute la rigueur nécessaire.

C'est dans ce cadre qu'on a parlé de 200 000 visas, mais c'est une simple indication.

Tel est le sens dans lequel nous continuerons d'aller, tout en poursuivant l'amélioration des conditions d'accueil et de délivrance des visas, jusqu'au moment où nous pourrons rouvrir, sur place, l'ensemble des services qui se consacraient auparavant à cette tâche. Il faut se rappeler que c'est pour de très sérieuses raisons, après des attentats contre les personnes et des assassinats, y compris dans nos services, qu'ils ont été fermés.

En ce qui concerne la compagnie Air France, la situation est la même. Elle va, notamment à notre demande, envoyer des missions et continuer à examiner la question de la sécurité. Je ne crois pas, selon mes informations, que les autres compagnies dont il a été question aient repris des vols réguliers. Dans certains cas oui, mais elles n'ont pas rétabli les trafics précédents.

A ussi bien en ce qui concerne les consulats qu'Air France et les centres culturels, il faut répéter que la question de la sécurité n'est pas un prétexte - c'est un vrai problème, sérieux. Nous travaillons avec les Algériens, surtout après ce tournant important dans leur vie politique - la visite de M. Chevènement l'a montré - à une relance du dialogue et de la coopération sur tous les plans, pour traiter ces questions au mieux et donner au développement des relations franco-algériennes, que le Gouvernement souhaite, la meilleure assise possible.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2 ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE Discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale (nos 957, 1702).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale que j'ai l'honneur de soumettre ce jour à votre assemblée est à la fois un texte de rupture avec un passé contestable, et un texte fondateur, une nouvelle donne pour la justice de notre pays.

Ce texte consacre tout d'abord la rupture, effective depuis deux ans, avec les pratiques d'intervention directe ou occulte dans le cours de la justice.

C'est aussi et surtout un texte qui consacre la volonté du Gouvernement, exprimée avec force par le Premier ministre dans son discours de politique générale, de garantir à nos concitoyens une justice impartiale, égale pour tous. Pour atteindre cet objectif, il fallait à la fois mettre fin aux interventions destinées à manipuler le cours de la justice et assurer que la politique pénale soit appliquée de façon équivalente sur tout le territoire national.

C'est donc d'abord, et avant tout, l'objectif d'impartialité de la justice qui est au coeur de ce texte. La justice doit en effet être la même pour tous. Le Gouvernement,


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sous le contrôle du Parlement, doit en toute transparence fonder sa politique pénale sur l'intérêt général et non sur les intérêts particuliers.

Ici même, il y a deux ans, le Premier ministre avait déclaré, dans son discours de politique générale : « dès aujourd'hui, plus aucune instruction concernant des affaires individuelles de nature à dévier le cours de la justice ne sera donnée par le garde des sceaux ». Cet engagement pris devant les représentants du peuple français, au nom de qui la justice est rendue, s'est concrétisé par l'adoption en conseil des ministres, le 29 octobre 1997, des orientations de la réforme de la justice. Cette réforme, je le rappelle, comporte trois volets : une justice plus proche des citoyens, une justice plus respectueuse des libertés individuelles, une justice impartiale. Le texte que vous examinez aujourd'hui s'inscrit dans le troisième volet.

Cette réforme, le Parlement l'a aujourd'hui largement fait entrer dans notre droit. Depuis le débat sur les orientations générales, il y a dix-huit mois, votre assemblée a approuvé plusieurs textes législatifs.

Pour le premier volet, qui concerne la justice au quotidien, les projets que je vous ai présentés sont devenus des lois de la République.

La loi sur l'accès au droit du 18 décembre 1998 permet de renforcer la justice de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux besoins de nos concitoyens.

A ce titre, je vous indique que vingt et une maisons de la justice et du droit ont été ouvertes depuis le mois de juin 1997, dont dix depuis le 1er janvier 1999. Actuellement, soixante-trois nouveaux projets sont en cours d'examen. Je rappelle qu'avant juin 1997, seize maisons de la justice et du droit seulement fonctionnaient.

La loi sur l'efficacité de la procédure pénale, définitivement votée le 9 juin dernier, permet d'apporter des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de la petite et moyenne délinquance, celle qui est vécue quotidiennement par nos concitoyens comme une source majeure d'insécurité.

Le décret de procédure civile du 28 décembre 1998 permettra lui aussi d'accélérer la justice civile au quotidien, celle qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers.

Pour le deuxième volet, qui concerne la protection des libertés, le projet de loi sur la présomption d'innocence a été adopté par votre assemblée en première lecture et est en cours d'examen au Sénat. Ce texte vise à garantir un meilleur respect de la présomption d'innocence par la réduction des atteintes qui y sont portées : limitation de la détention provisoire, droits renforcés pour la défense, y compris dès la garde à vue, meilleure protection des victimes.

Enfin, le dernier volet de la réforme, qui a pour but de restaurer l'impartialité de la justice, comprend, outre le texte dont nous discutons aujourd'hui, le projet de loi constitutionnel sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte a été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il doit donc maintenant être soumis au Congrès pour être approuvé définitivement.

Lorsque le Congrès aura modifié, en vertu de ce projet de loi constitutionnelle, l'article 65 de la Constitution, le Gouvernement pourra proposer au Parlement les deux projets de loi organiques qui complètent le dispositif.

Dix-huit mois après le débat d'orientation générale, la réforme avance donc au rythme prévu et je vous remercie du soutien que vous avez apporté à ces textes.

Le présent projet suscite beaucoup de questions et il a permis d'ouvrir un véritable débat sur la place de la justice et le rôle des juges dans notre démocratie. Mais avant d'aborder ce débat nécessaire et essentiel, je vous exposerai les lignes directrices de ce texte qui apporte une contribution majeure à l'impartialité de la justice en associant, dans un équilibre toujours présent, transparence et responsabilité.

Avant d'aborder le détail des dispositions, je souhaite souligner la qualité du travail du rapporteur, André Vallini, qui a procédé à de très nombreuses auditions, à des visites de parquet et à une très importante concertation.

Ce travail va permettre d'enrichir le texte d'un certain nombre d'amendements qui contribueront à renforcer la transparence et la responsabilité des magistrats du parquet. Je voudrais aussi remercier la présidente de votre commission des lois, Catherine Tasca, qui a largement contribué à la réflexion sur ce projet. De très nombreuses réunions ont été tenues à son initiative et je salue la qualité des débats de votre commission des lois.

Ce projet de loi consacre l'impartialité de la politique pénale - ce sera ma première partie -, sans remettre en cause l'équilibre des pouvoirs et des institutions - j'insisterai sur ce point dans une seconde partie.

Tout d'abord, le projet de loi consacre l'impartialité de la politique pénale. La situation de l'institution judiciaire était largement compromise au moment des élections législatives de 1997.

M. Michel Hunault.

Comment pouvez-vous dire cela ?

Mme la garde des sceaux.

Les Français n'avaient plus confiance dans leur justice et considéraient qu'elle fonctionnait selon des intérêts partisans.

M. Michel Hunault.

C'est incroyable de commencer ainsi ! C'est de la provocation !

Mme la garde des sceaux.

Les dossiers construits, tronqués, démembrés, dispersés, retardés ou accéléré s sont encore présents dans nos mémoires.

M. Bernard Roman.

Bien sûr !

Mme Odette Grzegrzulka.

C'était scandaleux !

Mme la garde des sceaux.

Je veux citer ici l'article du recteur Jacques Georgel, paru dans La Gazette du Palais du 29 septembre 1998,...

M. Michel Hunault.

Lisez plutôt Le Monde !

Mme la garde des sceaux.

... intitulé « Les libertés de la justice », et qui évoque les pratiques passées : la dissimulation volontaire à la justice d'éléments essentiels, les manipulations procédurales pour ralentir l'action judiciaire, l'ignorance délibérée des règles,...

Mme Nicole Catala.

Lisez Le Monde !

Mme Odette Grzegrzulka.

Scandaleux !

Mme la garde des sceaux.

... les menaces et le saucissonnage des affaires.

M. Michel Hunault.

Vous parlez de François Mitterrand, madame ?

Mme la garde des sceaux.

Les interventions directes, inopportunes, dans les affaires sensibles, mais aussi dans celles qui ne devenaient sensibles que du fait de ces interventions, ont défrayé la chronique. Par-delà la mise en cause de l'institution judiciaire, c'est tout le système démocratique qui était ébranlé. Nos concitoyens n'avaient plus confiance dans leur justice, qui n'était plus garante, à


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leurs yeux, de l'intérêt général, qui n'assurait plus, à leu rs yeux, un traitement égal pour tous les citoyens, mais qui était, semblait-il, devenue un outil à l'usage de quelquesuns. Pour lever définitivement le soupçon, pour redonner du crédit tant aux politiques qu'à la justice, pour recentrer celle-ci sur ses missions dans un Etat démocratique, il était urgent de rompre avec ces dévoiements.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Depuis deux ans, j'ai mis en place une pratique qui a anticipé sur le texte qui vous est soumis aujourd'hui. Conformément aux engagements que M. le Premier ministre a pris devant vous le 19 juin 1997, j'ai mis en place des méthodes nouvelles de gestion des relations entre les parquets et la chancellerie.

D'abord, le traitement des affaires individuelles se fait dans les parquets et non plus à la chancellerie. Depuis deux ans, dans les affaires individuelles, aucune instruction n'a plus été donnée aux parquets ni par la chancellerie ni par le garde des sceaux.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Aucune procédure, qu'elle soit médiatique ou pas, n'a fait l'ojet d'une instruction.

Personne ne peut citer une seule affaire dans laquelle des décisions auraient été prises sur injonction de la chancellerie. Il a été mis fin à ces pratiques qui visaient à servir quelques-uns au détriment de l'intérêt général.

Peu à peu, les conclusions des rapports des procureurs généraux se sont modifiées. Ont disparu les mentions, autrefois courantes, « sauf avis contraire de votre part » ou

« sous réserve de vos instructions », pour faire place à la mention : « je ne manquerai pas de vous tenir informé ».

Nous avons en effet mis en place un échange constant sur les procédures et sur le contexte. Je me suis attachée à mettre en place un dialogue étroit et permanent entre la chancellerie et les parquets avec des règles du jeu transparentes. J'ai demandé aux procureurs généraux qu'ils me rendent compte de l'activité de leur ressort. J'ai demandé à être tenue informée des développements des affaires qui peuvent toucher à l'intérêt général ou qui ont un retentissement particulier, et cela dans tous les domaines et en toute transparence.

Par exemple, je suis informée, en temps réel, des évolutions judiciaires de certaines affaires importantes qui peuvent avoir des répercussions soit sur l'ordre public, soit sur les orientations de la jurisprudence, soit sur les relations internationales de la France, soit enfin sur la m ise en oeuvre des politiques conduites par le Gouvernement.

Mme Nicole Catala et M. Michel Hunault.

Et à quoi cela vous sert-il, si vous ne faites rien ?

Mme la garde des sceaux.

Je citerai ici trois exemples dans lesquels, vous le verrez, les enjeux nécessitent une information complète et dans lesquels pourtant aucune instruction n'a été donnée pour dévier le cours de la justice.

C'est l'action judiciaire en Corse, bien sûr, d'abord dans le cadre de l'instruction relative à l'assassinat du préfet Erignac, mais aussi dans des affaires de délinquance économique et financière comme celles du Crédit agricole, de la chambre de commerce et d'industrie, et également, bien sûr, dans la malheureuse affaire dite des paillotes.

Ce sont ensuite les incidents graves qui se sont déroulés dans la commune de Vauvert, symbole des violences urbaines qui sont l'une des préoccupations principales de nos concitoyens et donc l'un des objectifs principaux de ma politique pénale.

Ce sont enfin les affaires de dopage dans le monde sportif.

Dans ces affaires, comme dans d'autres, je suis avisée des initiatives prises et des décisions rendues par les juridictions. Il est pourtant clair, dans mon esprit comme dans celui des procureurs, que cette information précise n'est pas destinée à servir de support à de quelconques instructions. Information ne vaut pas demande d'instruction.

Informer ne veut pas dire se soumettre : dans un monde de plus en plus transparent, où l'information se généralise et se diffuse de plus en plus rapidement, il faut admettre que l'on puisse rendre compte sans pour autant attendre des instructions ou des approbations.

M. Bernard Roman.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

A chacun, dans une démocratie adulte, de se conduire en adulte,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument !

Mme la garde des sceaux.

... c'est-à-dire d'assumer à son poste les responsabilités que la loi et les institutions de la République lui confèrent.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

Mme Odette Grzegrzulka.

Excellent !

Mme la garde des sceaux.

Par ailleurs, je ne me suis pas limitée à demander à être informée sur des affaires individuelles. Certains de mes prédécesseurs qui concentraient l'essentiel de leur énergie et de leur activité à donner des instructions individuelles,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Un peu de hauteur voyons !

Mme la garde des sceaux.

... se privaient de l'outil essentiel que constituent, pour un ministre de la justice comme pour l'ensemble du Gouvernement, les informations générales sur le contexte local, sur les évolutions de la délinquance ou sur l'adaptation des moyens pourr épondre à celle-ci de manière efficace. J'ai donc demandé aux procureurs généraux de me rendre compte régulièrement, d'initiative ou à mon choix, de l'état de l'activité de leurs ressorts. Ils font entendre la voix des autorités judiciaires, leurs expériences et leur approche, ce qui est extrêmement précieux, croyez-moi, pour la bonne conduite des affaires de l'Etat. C'est par ce biais que j'ai pu conduire les débats interministériels et nationaux sur les grands thèmes qui ont nourri le travail gouvernemental. Là aussi, je peux vous donner deux exemples.

Tout d'abord, en matière de délinquance des mineurs, la préparation du conseil de sécurité intérieur du 29 janvier dernier a été fondée sur les informations précises que les procureurs généraux m'ont fait parvenir dès octobre 1998, notamment ceux de Douai et de Bordeaux.

Ensuite, la préparation du récent comité interministériel sur la drogue a reposé sur un travail de recueil des expériences et des pratiques des juridictions et des magistrats spécialisés.

L'information n'est donc pas à sens unique. Les procureurs généraux savent qu'ils peuvent solliciter de la chancellerie des avis juridiques, des informations concernant le contexte national ou international, des analyses jurisprudentielles, pour leur permettre de prendre en


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t oute responsabilité les initiatives qui conviennent.

Quand un procureur général s'interroge sur l'attitude de la France à l'égard des Kurdes, à l'égard des autorités libyennes, sur la politique en matière de drogue des PaysBas ou sur l'attitude des Etats-Unis vis-à-vis d'un ressortissant dont ils demandent l'extradition, il est clair que la chancellerie joue son rôle de conseil.

Je vous assure que les procureurs généraux ont compris que demander une information de cette nature n'avait rien à voir avec une quelconque soumission. D'ailleurs, j'ai pu constater que le fait de ne plus recevoir d'instruction individuelle libérait les esprits et permettait des demandes d'informations indispensables en toute franchise. Cette pratique démontre clairement - nous y reviendrons - que, débarrassés des instructions individuelles, parquets et chancellerie peuvent se concentrer sur l'essentiel : l'intérêt général.

Nous avons pu également, depuis deux ans, mener une p olitique pénale cohérente. J'ai ainsi développé un ensemble d'initiatives visant à promouvoir l'égalité devant la loi, l'efficacité des politiques pénales et l'ouverture de la justice à un partenariat local et national. Trois axes servant de support à cette politique pénale ont été mis en place.

D'abord, les circulaires. Si je n'ai plus donné d'instructions dans les affaires individuelles, j'ai en revanche adressé aux parquets des directives générales mais précises quand cela était nécessaire. Ainsi cinq circulaires leur ontelles été adressées en 1997, vingt-six en 1998 et sept cette année. Elles sont toutes inspirées par l'intérêt général.

Deux catégories peuvent être distinguées.

La première concerne les directives générales qui visent à mettre en place une politique pénale conforme aux orientations définies par le Gouvernement. Quelques exemples : la circulaire du 15 juillet 1998 sur la délinquance des mineurs, celle de juillet 1998 sur l'aide aux victimes, celle de juillet 1998 relative à la lutte contre le racisme et la xénophobie et, enfin, celles d'il y a quelques jours sur la politique en matière de stupéfiants.

La seconde catégorie de circulaires est liée à des événements exceptionnels ou à des périodes de crise pouvant affecter l'ordre public. Je citerai ici la circulaire du 3 mars 1998 sur la Coupe du monde de football et celle du 23 décembre 1998 sur les réponses aux actes de violences urbaines. Cette dernière a été inspirée par le souci de prévenir les événements de fin d'année, de tirer les leçons des violences de décembre 1997.

Grâce aux informations précises adressées par les parquets généraux, ces circulaires ont anticipé très clairement les événements, en prévoyant notamment la mise en place de cellules de crise réunissant le préfet et le procureur, en organisant la présence des officiers de police judiciaire sur les lieux où des violences se déroulaient et en faisant usage de la procédure de comparution immédiate ; nous en avons vu les résultats dans les chiffres des interpellations, des déférements aux tribunaux et souvent, d'ailleurs, des condamnations.

Deuxième outil : les réunions de politique pénale. Tant moi-même que le directeur des affaires criminelles et des grâces, à ma demande, avons réuni régulièrement les procureurs généraux autour de thèmes relatifs à la conduite de l'action publique. Je peux vous donner quelques exemples : délinquance des mineurs, bien sûr, mise en place de la loi sur les délinquants sexuels, entraide répressive internationale. Chaque fois, j'ai demandé aux procureurs généraux des évaluations de ces politiques. Ces évaluations ont été précieuses pour l'élaboration des projets de loi, des décrets ou des circulaires, pour l'élaboration, tout simplement, de la politique du Gouvernement.

Dernier outil de cette politique pénale : les politiques partenariales. J'ai demandé aux magistrats du parquet de s'investir régulièrement dans des actions partenariales avec d'autres ministères ou d'autres institutions : contrats locaux de sécurité qui sont cosignés par le préfet et le procureur et qui associent tous les acteurs, dont les élus ; politique de la ville pour laquelle j'ai réuni avec Claude Bartolone, le 28 septembre dernier, l'ensemble des correspondants « ville de France » ; contrats de plan Etatrégions pour lesquels, pour la première fois, j'ai demandé aux chefs de cour de se mobiliser. C'est sur la base de cette expérience positive menée pendant deux ans que le projet de loi vise à conforter les missions essentielles de la justice et, notamment, du parquet.

Cette pratique, qui est reprise par le projet de loi, a pour objectif essentiel de repositionner la justice sur sa mission, au sein des autres institutions de la République, qui est de garantir l'intérêt général et d'assurer l'égalité de traitement des citoyens devant la loi.

Les instructions individuelles du ministère de la justice étant supprimées, elles ne doivent évidemment pas êtrer emplacées par des instructions individuelles venant d'autres ministères, d'élus locaux ou de quelconques groupes de pression. Je demande aux procureurs généraux de m'alerter, croyez-moi, quand de telles occurrences se produisent.

Le projet de loi est fondé sur l'idée que la justice n'est pas conçue pour le service d'intérêts particuliers, de domaines réservés, de groupes de pression. Elle est avant tout un service public pour les justiciables, elle est au service des usagers, de ceux et de celles qui ont besoin de son indépendance, de sa technicité et de son impartialité.

La justice n'est pas faite pour la satisfaction de ceux qui la servent. L'indépendance dont bénéficient les magistrats n'est pas une prébende. Elle est l'indispensable garantie d'une justice au service des citoyens.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien ! C'est courageux !

Mme la garde des sceaux.

Plus encore, dans un Etat démocratique, l'impartialité de la justice est la garantie du fonctionnement normal de l'ensemble de nos institutions.

Ce texte est avant tout un texte de confiance dans les magistrats rendus à leurs missions de service public : entendre, poursuivre, juger, et le tout « au nom du peuple français », c'est-à-dire au seul nom de la loi et non au nom du téléphone, de la majorité, des promesses, des services rendus ou de l'avancement promis.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

C'est pourquoi le projet vise à clarifier le rôle et les missions de chacun.

Au Gouvernement, dans le cadre des lois votées par le Parlement, et sous son contrôle, de définir la politique judiciaire, exprimée par le garde des sceaux par des directives générales, qui sont mises en oeuvre par les parquets.

Au garde des sceaux, grâce aux informations qui lui sont fournies par les parquets, d'évaluer cette politique et cette mise en oeuvre, de proposer les orientations nouvelles et de rendre compte au Parlement des politiques conduites et de leur application. Aux parquets généraux et aux parquets de prendre, en exécution des directives nationales, les mesures générales et individuelles qui conviennent, de manière à garantir, dans le cadre de l'opportunité des poursuites, un traitement cohérent, égalitaire et efficace des affaires individuelles. A eux de


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prendre en compte le besoin d'explications de la population dans la transparence grâce aux recours contre les classements sans suite et à l'information qu'ils sont tenus d'apporter au ministre et au public.

A la police judiciaire, enfin, sous un contrôle renforcé des magistrats qui pourront participer directement à la définition des moyens mis en place, d'exécuter les directives précises des parquets chargés par la loi de sa direction.

Ainsi, les institutions verront leurs rôles mieux définis, mieux précisés et reconnus, pour une répartition démocratique des pouvoirs : le procureur de la République d'abord, qui assume la responsabilité de l'engagement et de la conduite des poursuites ; le procureur général, qui assure la coordination, l'animation des politiques pénales et leur évaluation ; le garde des sceaux, qui assure la synthèse des informations qu'ils recueillent, qui fixe les orientations et, surtout, qui rend compte de l'ensemble devant le Parlement.

M. Bernard Roman.

C'est clair !

Mme la garde des sceaux.

J'en viens maintenant à la façon dont le texte traduit ces orientations. Je le ferai rapidement dans la mesure où il ne fait que concrétiser la pratique que nous avons développée depuis deux ans.

Ce projet de loi poursuit un double objectif : renforcer la transparence et responsabiliser pour tous les acteurs de la décision judiciaire.

Au titre de la transparence, je voudrais citer d'abord la conduite de la politique pénale.

Le garde des sceaux conduit la politique pénale en se dotant des moyens de la faire appliquer également sur tout le territoire national. Le garde des sceaux élaborera

« des orientations générales » dans le cadre de la politique judiciaire déterminée par le Gouvernement. C'est l'article 30 nouveau du code de procédure pénale. Je souligne que la définition du rôle du ministre de la justice apparaît pour la première fois, en tant que tel, dans le code de procédure pénale, alors qu'il n'existait pas jusqu'alors.

Mme Odette Grzegrzulka.

Incroyable !

Mme la garde des sceaux.

Bel exemple, en effet, d'ambiguïté ! Ces « orientations générales », publiques, seront mises en oeuvre par les magistrats du parquet. Elles devront déterminer les priorités et permettre l'application coordonnée et cohérente de la loi pénale sur l'ensemble du territoire national.

Le projet interdit désormais les instructions individuelles. Car le ministre de la justice est le ministre du droit, il n'est pas le ministre des affaires individuelles. Le projet prévoit que le garde des sceaux ne pourra plus donner aucune instruction individuelle. C'est l'article 30-1 nouveau du code de procédure pénale.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ça va changer !

Mme la garde des sceaux.

Le texte impose aux procureurs et aux procureurs généraux de rendre publiques les conditions de mise en oeuvre des orientations générales de politique pénale, tant vis-à-vis de leurs juridictions que vis-à-vis du public.

Cette publicité concerne aussi le garde des sceaux, qui informera chaque année le Parlement de la mise en oeuvre de la politique pénale.

La transparence passe aussi par l'information du garde des sceaux. Je vous ai dit comment cela se passait et ce qui est explicitement prévu dans le projet de loi. Le devoir d'information s'impose aux procureurs généraux et aux procureurs vis-à-vis du garde des sceaux. Pour la première fois, là aussi, ce devoir est défini dans la loi.

Toujours au titre de la transparence, je mentionnerai le droit d'agir du garde des sceaux qui disposera d'un droit d'action - article 30-2 du nouveau code de procédure pénale. Le garde des sceaux pourra agir directement en saisissant une juridiction, soit un juge d'instruction soit les tribunaux, lorsque l'intérêt général commande de telles poursuites et lorsque ces poursuites n'ont pas été engagées par le procureur. Afin que cette action subsidiaire du garde des sceaux s'accomplisse en toute transparence, le texte prévoit également que le Parlement sera informé chaque année de la mise en oeuvre des orientations générales, mais aussi de l'exercice précis du droit d'action du garde des sceaux.

Le texte organise ensuite une responsabilité accrue des magistrats du parquet.

Il définit le rôle des procureurs généraux. Le procureur général aura autorité sur les procureurs de son ressort - article 36 nouveau du code de procédure pénale. Il sera garant de l'application réelle et uniforme de la loi pénale dans son ressort - article 35 nouveau. Il devra coordonner la mise en oeuvre par les procureurs des orientations générales dont il pourra adapter l'application en fonction des circonstances locales. Il pourra leur donner des instructions écrites et motivées de mettre en mouvement l'action publique. Ces instructions seront versées au dossier - article 37 nouveau du code de procédure pénale.

Les procureurs de la République mettront en oeuvre les orientations générales de la politique pénale - article 39-1 et devront exécuter les orientations écrites données par les procureurs généraux.

Ils auront de nouvelles obligations vis-à-vis des justiciables, aussi bien à l'égard des victimes - article 4 du projet - que des personnes intéressées par la procédure - article 5.

Ils devront aviser les victimes des décisions de classement sans suite - article 40-1 nouveau du code de procédure pénale. Cet avis sera motivé en droit et en fait. Les victimes seront informées des droits dont elles disposent : se constituer partie civile ; obtenir, par exemple, l'aide juridictionnelle.

Les personnes intéressées, celles qui n'ont pas la possibilité de se constituer partie civile, pourront former un recours contre le classement : dans un premier temps devant le procureur général, puis devant une commission de recours composée de magistrats du parquet ayant une compétence régionale - articles 48-1 et 48-2 nouveaux du code de procédure pénale.

Enfin, les procureurs disposeront des moyens de contrôler plus efficacement la police judiciaire. Le projet ne prévoit pas le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice, mais il tend à donner efficacité au principe déjà inscrit à l'article 41 du code de procédure pénale, selon lequel la police judiciaire est dirigée, contrôlée, surveillée par le parquet. Et à ce titre, le projet traite de quatre points : les moyens, les délais d'exécution des missions qui sont confiées à la police judiciaire, l'information des magistrats et le contrôle de la chambre d'accusation.

Pour permettre un véritable contrôle de la police judiciaire, les enquêtes devront s'exercer dans le cadre des orientations générales de la politique pénale - article 14 modifié du code de procédure pénale. Le procureur contrôlera non seulement les mesures de garde à vue, mais aussi le déroulement des enquêtes - article 41 modi-


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fié du code de procédure pénale. Ainsi, les autorités judiciaires disposeront d'un véritable droit de regard sur l'affectation des effectifs de police judiciaire lors des enquêtes.

Dans le cadre d'une affaire complexe ou d'une certaine durée, le procureur ou le juge d'instruction, si une information est ouverte, définira avec le responsable du service de police judiciaire les moyens qui doivent être mobilisés - article 41 modifié du code de procédure pénale. Dans le cadre d'une enquête préliminaire, le procureur fixera le délai d'exécution de l'enquête et il devra être informé par les enquêteurs dès que l'auteur présumé de l'infraction sera identifié - articles 75-1 et 75-2 nouveaux du code de procédure pénale.

S'agissant de l'information, dans le cadre d'une enquête préliminaire, la police judiciaire devra informer systématiquement le procureur de l'état d'avancement de l a procédure à l'achèvement d'un délai d'un an - article 75-2 nouveau du code de procédure pénale.

S'agissant de l'effectivité du contrôle de la chambre d'accusation, les décisions de la chambre d'accusation seront d'application immédiate pour le retrait d'habilitation des officiers de police judiciaire. En donnant au procureur de la République un véritable contrôle sur les moyens consacrés aux enquêtes, ce texte donne une réelle responsabilité au magistrat qui devra justifier de son utilisation.

J'en viens maintenant, après avoir décrit brièvement le projet, au débat qu'il a suscité, notamment sur la question de l'équilibre des pouvoirs. J'espère vous convaincre du fait que ce projet réalise un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif, d'une part, et l'autorité judiciaire, d'autre part.

M. Jacques Brunhes.

C'est exact !

Mme la garde des sceaux.

L'article 20 de la Constitution énonce que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il lui appartient donc, sous l'autorité du Premier ministre, de déterminer et de conduire la politique judiciaire.

Dans ce cadre, le rôle du garde des sceaux sera d'élaborer les orientations générales de la politique pénale et de veiller à leur mise en oeuvre par les magistrats du ministère public. Je sais que le texte que je vous propose suscite encore des interrogations parmi ceux qui sont les plus soucieux de l'intérêt général et de l'avenir de notre démocratie.

Je voudrais vous convaincre de deux choses.

M. Michel Hunault.

Ça va être difficile !

Mme la garde des sceaux.

D'abord, que l'Etat non seulement ne sera pas désarmé, mais qu'il sera plus fort.

Ensuite, que les magistrats ne gouverneront pas, mais qu'il seront plus autonomes et plus responsables. Je vais revenir sur ces deux points parce que j'estime que ce sont là des débats importants et légitimes.

L'Etat est mieux armé. En ce qui me concerne, je n'ai jamais cru, et ma pratique ne m'a pas démentie, que la politique pénale pouvait être élaborée et se conduire par l'addition désordonnée d'instructions particulières. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

Quelle caricature !

Mme la garde des sceaux.

Non seulement les instructions individuelles ne font pas une politique pénale, mais quand on a tenté de les réglementer, comme en 1993, elles ont été utilisées à des fins partisanes. D'ailleurs, ceux qui les ont utilisées s'en repentent encore.

(Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

M. Michel Hunault.

Ce n'est pas sérieux !

M. Bernard Roman.

Mais sachez écouter des évidences !

Mme la garde des sceaux.

Depuis 1993, disai-je, les instructions écrites versées aux dossiers ont été rares et je peux vous dire qu'elles ont laissé peu de traces à la chancellerie. Pourtant, c'est écrit dans le code de procédure pénale, justement depuis 1993.

En revanche, les instructions non écrites et adressées en secret ont été utilisées, nous le savons, pour empêcher la justice de suivre son cours.

M. Michel Hunault.

Par Mitterrand, pas par nous !

Mme la garde des sceaux.

Le texte dont nous débattons aujourd'hui permettra de mener une politique pénale, claire, transparente et déterminée.

D'une part, la conception d'ensemble de la politique judiciaire sera clairement affirmée selon ses domaines d'application. Elle sera rendue publique et fera l'objet d'une évaluation.

D'autre part, cette politique sera assumée devant le Parlement et devant les citoyens, elle aura plus de cohérence sur l'ensemble du territoire. Elle réalisera une plus grande égalité devant la loi pénale.

En disant cela, je ne fais ni une profession de foi ni d'ailleurs un pari risqué sur l'avenir, puisque je vous propose simplement d'inscrire dans la loi ce qui est notre pratique depuis deux ans. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Peut-on soutenir en effet que l'Etat est désarmé quand nous avons pu gérer des crises comme les manifestations d'agriculteurs, les blocages de routiers, la Coupe du monde, les violences urbaines, la délinquance des mineurs et les événements de Corse ? Non seulement la justice a bien rempli sa tâche dans ces occasions, mais la suppression des instructions individuelles nous a conduits à anticiper et à modifier nos modes d'action : observation systématique et très en amont des événements ou des prévisions que nous pouvions faire sur les événements ; envoi de télex d'orientations générales en fonction de l'évolution des événem ents ; cellules de veille et de traitement de l'information.

Peut-on soutenir vraiment que l'Etat est désarmé quand chaque procureur sait qu'il lui revient d'exercer la plénitude de ses attributions à la seule lumière du code pénal et des directives générales reçues mais qu'en même temps il doit clarifier ses propres objectifs en les annonçant et les commentant publiquement, rendre compte à son procureur général et mieux s'expliquer dans les cas de classement ? Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand le garde des sceaux est informé du déroulement des procédures, émet des directives et en évalue constamment la mise en oeuvre, dispose d'un droit subsidiaire d'engager les poursuites si le parquet n'a pas poursuivi dans un cas où des impératifs supérieurs rendaient la saisine du juge indispensable ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand les premiers résultats des politiques pénales s'inscrivent dans les chiffres : par exemple, baisse du taux de classement sur auteur connu et augmentation sensible du recours aux mesures alternatives aux poursuites ? Je vous ai indiqué quelle action nous avions menée pour lutter contre les violences urbaines. Je pourrais vous dire aussi comment j'ai engagé les parquets dans la lutte contre les mouvements sectaires. Nous y reviendrons, je pense, dans la discussion.

Je ne fais pas de politique pénale fiction, je vous parle de ma pratique. Je ne prends pas des paris, je vous propose simplement de codifier ce qui a été fait.

Je sais que nous avons besoin d'une politique pénale déterminée dans ses choix et appliquée partout où il n'y a pas de raison convaincante d'y déroger.

Le projet de loi consacre donc l'impartialité de la justice pénale. Je suis convaincue, en second lieu, qu'il nous permettra de réaliser un meilleur équilibre entre les pouvoirs.

Un meilleur équilibre, parce que je souhaite que plus jamais personne ne puisse dire que l'exécutif a instrumentalisé l'autorité judiciaire.

Un meilleur équilibre, parce que les magistrats du parquet comme les magistrats du siège, qui font partie de l'autorité judiciaire, seront plus responsables.

Avant de vous le montrer, je voudrais tout de même rappeler quelques idées simples et mettre fin, si possible, à quelques idées fausses.

M. Georges Sarre.

Voilà qui est bien...

Mme la garde des sceaux.

L'indépendance de la justice n'est pas faite pour les magistrats. Elle est au service des justiciables.

L'indépendance de la justice, c'est ce qui permet aux magistrats de se déterminer seulement en fonction de la loi et pour le seul intérêt général. Car seule la loi nous libère des passions privées des êtres humains.

Enfin, je rappellerai que les magistrats du siège sont déjà, et depuis longtemps, totalement indépendants du pouvoir politique.

M. Jean-Luc Warsmann.

Quand même !

Mme la garde des sceaux.

Heureusement pour notre démocratie. Il s'agit aujourd'hui de donner une plus grande autonomie aux magistrats du parquet parce que l'exécutif ne doit pas pouvoir se servir d'eux à des fins partisanes.

Face à l'indépendance des uns et à l'autonomie renforcée des autres, l'impartialité de la justice commande que les magistrats soient responsables. En effet, ils détiennent, en vertu de la loi, des prérogatives dont l'usage peut affecter les citoyens dans leur liberté, leurs biens, leurs sentiments, leur vie familiale et l'exercice de leur activité professionnelle. La préoccupation de la responsabilité apparaît alors comme l'expression d'une double volonté : assurer la réparation des conséquences dommageables d'un mauvais fonctionnement de la justice aussi bien que prévenir cet éventuel mauvais fonctionnement. Elle vise à rappeler que l'indépendance des magistrats est d'abord et avant tout au service des citoyens.

Il existe déjà un régime de responsabilité des magistrats, pénal, civil et disciplinaire.

Cette responsabilité s'applique aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège.

Mais la question de la responsabilité se pose aujourd'hui d'une manière aiguë en raison de la judiciarisation de notre société, qui place le juge au centre des débats politiques, économiques et sociaux, et lui impose souvent d'être un arbitre, voire un censeur. Du coup, chacun sent bien que le renforcement des pouvoirs du juge doit s'accompagner d'une plus grande responsabilité.

Je tiens à rappeler que si les magistrats ne bénéficient d'aucun privilège et d'aucune immunité en matière pénale ou civile, leur responsabilité disciplinaire peut également être mise en cause, comme ma pratique l'a montré.

Pour les magistrats du parquet, les articles 5 et 43 de l'ordonnance de 1958 prévoient qu'ils sont soumis pour l'exercice de leurs fonctions spécifiquement à l'autorité du garde des sceaux et au contrôle de leur chef hiérarchique et que leurs fautes s'apprécient « compte tenu des obligations qui découlent de leur subordination hiérarchique ».

Quant aux magistrats du siège, le principe général de la responsabilité leur est applicable en vertu du même article 43 : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »

Mme Nicole Catala.

C'est une bonne chose !

M. Pierre Albertini.

Mais cela reste théorique !

Mme la garde des sceaux.

Depuis deux ans, j'ai exercé tous mes pouvoirs en matière disciplinaire et prédisciplinaire. Ainsi, pour la seule année 1998, c'est plus d'une cinquantaine de saisines et de demandes d'explications que j'ai effectuées. Depuis un an, j'ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature de quinze dossiers disciplinaires.

En outre, j'ai renforcé les moyens de l'inspection générale des services judiciaires. Le projet de loi de finances a prévu en sa faveur cinq postes supplémentaires s'ajoutant aux dix existant et elle a été sollicitée beaucoup plus fréquemment. Je compte poursuivre cet effort dans les budgets suivants.

Par ailleurs, la formation des magistrats comprend maintenant - ce n'était pas le cas jusqu'à une période très récente - des enseignements sur leur responsabilité au regard de la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, je souligne que le renforcement de la responsabilité des magistrats est présent dans l'ensemble - je dis bien l'ensemble - de la réforme de la justice.

Dans la réforme constitutionnelle, qui prévoit que le CSM sera composé majoritairement de non-magistrats afin d'échapper à la menace du corporatisme.

Dans le texte sur la présomption d'innocence, avec l'instauration du juge de la détention provisoire pour que les mesures relatives à la privation de liberté fassent l'objet de deux regards ; l'instauration de délais d'enquête et d'instruction contrôlés ; le développement des droits de la défense au cours de l'enquête et de l'instruction ; l'indemnisation des détentions provisoires, en cas de nonlieu, de relaxe ou d'acquittement.

La modification apportée sur ce dernier point par le projet, amendé par l'Assemblée nationale, vise à étendre les cas où une indemnisation est possible, à renforcer les garanties offertes à la personne qui a subi une détention provisoire abusive et à permettre l'information systématique de tous les magistrats ayant participé à la décision de placement en détention provisoire sur les décisions rendues par la commission chargée de l'indemnisation.

Dans les textes qui doivent être examinés prochainement par le Parlement figurent aussi de bonnes mesures tendant à accroître la responsabilité des magistrats. Le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

projet de loi organique sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature prévoit qu'il pourra être saisi par les chefs de cour, et non plus seulement par le garde des sceaux, des fautes éventuelles des magistrats. Le projet de loi organique sur le statut des magistrats instituera une commission d'examen des plaintes des justiciables avec information du garde des sceaux et saisine du Conseil supérieur de la magistrature si le comportement des magistrats apparaît contraire à la déontologie ; il instituera également une limitation de la durée des fonctions de chef de juridiction et de chef de cour d'appel.

Enfin, dans le texte dont nous débattons aujourd'hui sur les rapports entre la chancellerie et le parquet, les mesures renforçant la responsabilité concernent l'affirmation du rôle du garde des sceaux, qui définit les orientations de politique pénale et en rend compte au Parlement ; le renforcement des droits et obligations des procureurs généraux, qui ont autorité sur les procureurs ; le devoir d'information de tous les magistrats du parquet à l'égard du garde des sceaux ; l'obligation de motiver les décisions de classement et la possibilité de recours contre ces mêmes décisions.

Voilà ! La justice est un des fondements du pacte démocratique et social. Nous voulons une démocratie adulte, une justice impartiale, à la fois indépendante et responsable.

Je voudrais terminer en vous exprimant ma plus intime conviction. Aucun gouvernement ne pourra plus sortir indemne des tentatives de manipulation de la justice. Je le sais comme vous tous, ici, le savez.

M. Alain Tourret.

C'est vrai !

Mme Odette Grzegrzulka.

Et c'est tant mieux !

Mme la garde des sceaux.

Le pacte républicain n'inspire confiance à notre peuple que si celui-ci est certain que la justice est égale pour tous, que l'on soit puissant ou misérable. Il n'y a pas de justice si les magistrats ne peuvent pas faire leur travail à l'abri de la contrainte et des pressions. Enfin, il n'y a pas d'impartialité de la justice si ceux qui la rendent au nom du peuple n'ont aucun compte à rendre au peuple.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. René Albertini.

Comment ?

Mme la garde des sceaux.

Je vous redis ma conviction que ce texte donne à la justice les moyens d'une grande ambition, celle de l'impartialité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, chaque année au mois de janvier, dans nos départements, nous assistons aux audiences solennelles de rentrée des cours d'appel et des tribunaux, et leur rituel nous donne de la justice l'image, un peu hors du temps, d'une institution figée dans le ballet immuable des robes rouges et des épitoges d'hermine.

M. Alain Tourret.

Sans oublier les décorations !

M. André Vallini, rapporteur.

Mais chaque semaine, dans nos permanences, nous sommes confrontés à un autre visage de la justice : celle des dossiers qui ont pour toile de fond les drames familiaux, la toxicomanie, le chômage de longue durée, la délinquance juvénile, la violence conjugale.

Deux faces d'une même justice, tout à la fois ancrée au centre de l'ordre symbolique de la société et dans ses problèmes les plus quotidiens, voire, parfois, les plus sordides.

L'institution judiciaire est aujourd'hui confrontée aux multiples missions que lui confie cette société qui connaît une mutation sans précédent de ses rythmes, de ses valeurs et de ses moeurs. La justice hérite ainsi de toutes les questions que la famille, l'école, le quartier ou même les institutions ne parviennent plus à traiter.

Cette « judiciarisation » signifie que le juge doit aujourd'hui trancher de tout. Qu'on lui demande, au nom du droit, d'être un lieu de mémoire : ce sont les procès Papon, Touvier, Barbie ; de dire la vérité historique : c'est le procès Aubrac ; d'évaluer les politiques de santé publique : ce sont les affaires du sang contaminé ou de l'amiante ; de valider le contenu d'un plan social : c'est Renault-Vilvorde ; ou même de définir ce que peut être une religion : c'est l'église de scientologie.

Et pourtant, il y a un paradoxe : alors qu'ils la saisissent de plus en plus, les Français doutent de leur justice. Toutes les enquêtes d'opinion convergent : plus des deux tiers de nos concitoyens ne lui font pas confiance et en ont une mauvaise image. Ils lui reprochent non seulement de mal fonctionner - d'être trop lente, trop coûteuse -, mais aussi d'être trop « soumise au pouvoir politique. »

Or, quand le doute sur la justice s'installe, c'est la société tout entière qui, peu à peu, se déchire et c'est la nation qui est menacée.

Une réforme profonde de la justice s'impose donc, et elle constitue l'un des éléments essentiels du pacte républicain que Lionel Jospin a proposé aux Français de renouer en juin 1997.

Depuis deux ans, madame la ministre, vous avez entrepris cette réforme de la justice. Une réforme globale, vaste, ambitieuse, sans doute la plus importante depuis 1958.

Jamais, en effet, sous la Ve République, un gouvernement et une majorité parlementaire n'avaient entrepris de mettre à plat notre institution judiciaire pour la moderniser et pour la rendre accessible à tous. Mais aussi, et c'est l'objet de ce texte, pour qu'elle soit acceptée de tous. Ce projet se fixe en effet comme objectif majeur de mettre fin au soupçon qui pèse sur les rapports entre le pouvoir politique et l'institution judiciaire.

En réalité, cela fait une dizaine d'années que le souci d'assurer l'indépendance de l'autorité judiciaire a investi le champ du débat politique. La multiplication, le dével oppement de ce qu'il est convenu d'appeler « les affaires » n'y est, bien sûr, pas étranger. Mais cette prise de conscience s'inscrit selon moi dans un processus plus large : celui de la maturation de nos institutions, qui furent, on le sait bien, initialement déséquilibrées - en 1958 - au profit de l'exécutif.

En effet, ce n'est pas un hasard si toutes ces interrogations sur la place des magistrats succèdent à une période qui a été marquée par l'affirmation, l'enracinement de la justice constitutionnelle dans notre pays, pourtant très rétif, par tradition, à l'affirmation d'un « pouvoir » judiciaire face aux pouvoirs législatif et exécutif qui, eux, tirent leur légitimité de l'élection.


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Et alors que la nomination des magistrats et les relations du ministre de la justice avec les parquets n'avaient donné lieu à aucune modification législative pendant trente-cinq ans - de 1958 à 1993 -, le dépôt en 1998 de deux projets de loi, l'un relatif au Conseil supérieur de la magistrature et l'autre à l'action publique, arrive cinq ans à peine après les modifications déjà introduites en 1993.

C'est dire l'intérêt désormais porté à l'autorité judicia ire, aux enjeux liés à son fonctionnement et surtout à ses rapports avec le pouvoir politique.

De droite comme de gauche, toutes les forces politiques sont aujourd'hui convaincues des dégâts causés dans l'opinion publique - et l'on devrait plutôt dire dans l'esprit public, tant le sujet est grave - par le soupçon qui pèse sur l'indépendance de la justice.

Ce soupçon porte atteinte au pacte social. En effet, comment un citoyen ayant commis une infraction peut-il accepter une sanction pénale s'il pense qu'un autre justiciable, ayant commis des faits de même nature, ou d'autres plus graves encore, pourra, lui, grâce à son statut ou à quelque protection, éviter les poursuites ? Les interventions directes dans les affaires pénales individuelles ont donc un effet dévastateur lorsqu'elles sont connues de l'opinion, et elles le sont de plus en plus.

Elles l'étaient en tout cas jusqu'en 1997, date à laquelle ces interventions ont cessé.

Effet dévastateur, d'abord, parce que nos concitoyens font le plus souvent l'amalgame entre les magistrats du parquet et les juges du siège. Et que cet amalgame les conduit à penser que c'est la justice tout entière qui est soumise au pouvoir.

M. Claude Goasguen.

Très juste !

M. André Vallini, rapporteur.

Mais effet dévastateur, aussi, car si les interventions dans les dossiers les plus sensibles ont en fait été très peu nombreuses, elles ont focalisé l'attention sur une pratique exceptionnelle qui a masqué la réalité de l'action publique au jour le jour.

L'indépendance des magistrats du parquet, dans les décisions individuelles qu'ils prennent, doit donc être garantie pour que les citoyens soient assurés que ces magistrats, tout comme leurs collègues du siège, se déterminent uniquement en fonction de la loi et de l'intérêt général.

C'est là l'objectif majeur de ce projet, déposé en juin 1998 sur le bureau de notre assemblée et dont l'élaboration a été précédée par le rapport de la commission Truche, par une déclaration du Gouvernement au Parlement le 15 janvier 1998, puis par l'examen et le vote du projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

C'est dire si les modifications que vous nous proposez aujourd'hui, madame, ont été mûrement réfléchies.

En fait, dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre - vous le rappeliez à l'instant - plaçait la justice au premier rang des responsabilités de l'Etat, d'un Etat « qui inspire le respect, qui redevienne impartial, qui se conforme au droit ».

Et il annonçait solennellement que, avant même toute réforme, « plus aucune instruction concernant les affaires individuelles, de nature à dévier le cours de la justice, ne sera donnée par le garde des sceaux et que les projets de nomination de magistrats du parquet, qui recueilleraient un avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature, ne seront pas maintenus par le Gouvernement ».

C'est là une ligne de conduite à laquelle il n'a pas été dérogé depuis deux ans. Il est proposé aujourd'hui de la consacrer dans la loi.

Ce texte offre ainsi des garanties accrues aux magistrats du parquet, tout en réservant, bien sûr, au garde des sceaux le pouvoir de définir et de faire appliquer sa politique pénale.

Cette autonomie accrue donnée aux magistrats du parquet doit naturellement s'accompagner de leur part d'une haute conscience de leur responsabilité. Aucune institution. aucun individu ne saurait en effet être au-dessus de tout, contrôle et les juges doivent comprendre qu'ils doivent, eux aussi, rendre des comptes.

C'est pourquoi il faudra, dans la suite logique de ce texte, en adopter un autre sur le statut et la responsabilité des magistrats. Ce sera l'objet des lois organiques en préparation - vous en avez parlé, madame la garde des sceaux.

Pour l'heure, et par rapport au présent texte, on entend beaucoup de questions et l'on voit que les magistrats s'interrogent ou que les parlementaires s'inquiètent.

Mais fait-on une loi pour satisfaire les magistrats, rassurer les politiques ou même traiter des rapports entre les premiers et les seconds ? Ou doit-on faire une loi en pensant d'abord et j'allais dire seulement aux citoyens ?

M. Pierre Méhaignerie.

C'est pour l'image !

M. André Vallini, rapporteur.

Or je considère que, de ce point de vue, ce texte sera une bonne loi pour les citoyens, car il leur permettra d'échapper mieux qu'aujourd'hui à un double risque d'arbitraire. D'une part, l'arbitraire, toujours à craindre, du pouvoir politique : c'est la suppression des instructions individuelles. D'autre part, l'arbitraire, toujours possible, des magistrats : c'est la politique pénale qu'ils devront appliquer sur tout le territoire, et ce sont aussi les classements sans suite qu'il leur faudra notifier et motiver et contre lesquels des recours seront possibles.

Enfin, en réponse à ceux qui pensent que cette réforme ne serait pas vraiment urgente, puisque la véritable attente des Français serait celle d'une justice plus simple et plus rapide, je veux dire que nous avons déjà agi en ce sens, notamment avec la loi sur l'accès au droit.

Quant à ceux qui considèrent que cette réforme ne serait pas vraiment nécessaire, puisque les fameuses manipulations politiques de la justice n'ont toujours été que marginales quantitativement au regard de la masse des affaires traitées chaque année par les tribunaux, je veux répondre qu'une seule manipulation serait encore une de trop.

Surtout, pour répondre aux premiers comme aux seconds, je veux dire que si les Français souhaitent, bien sûr, une justice plus accessible, ils veulent tout autant une justice plus impartiale.

En conclusion, j'ajouterai deux éléments. D'abord, je veux noter que ce projet de loi est discuté en période de cohabitation au sommet de l'Etat. Ce fut déjà le cas en 1993, puisque la première initiative tendant à rendre la justice plus indépendante venait de François Mitterrand...

M. Pierre Albertini.

C'était pour effacer ses turpitudes !

M. André Vallini, rapporteur.

..., qui avait chargé une commission présidée par le doyen Vedel de lui faire des propositions.

Les élections de mars 1993 ayant porté une autre majorité au pouvoir, la réforme du CSM fut réalisée par le gouvernement d'Edouard Balladur et fut d'ailleurs votée par le groupe socialiste. Il faut se féliciter que, sur un sujet touchant à l'équilibre des institutions, on réus-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

sisse à transcender ainsi les clivages partisans ; je veux espérer qu'il pourrait en aller de même aujourd'hui sur ce texte.

Ensuite, je veux évoquer le fameux « gouvernement des juges », dont le fantôme semble hanter cet hémicycle depuis deux siècles, tant le souvenir des parlements de l'Ancien Régime a toujours marqué ceux de la République.

Et en réponse aux inquiétudes manifestées ici ou là, sur tous ces bancs, je veux dire que je suis, autant que d'autres, soucieux d'un Etat qui soit respecté et qui puisse faire appliquer sa politique pénale. Sa politique pénale, comme toute sa politique, qui est celle de la nation, et dont la Constitution dit que c'est au Gouvernement qu'il revient de la déterminer et de la conduire.

Je suis donc, autant que d'autres, soucieux d'assurer au Gouvernement les moyens d'être entendu par les magistrats lorsqu'ils sont en charge de l'action publique. C'est pourquoi il faut adopter ce projet de loi qui va renforcer l'efficacité de la politique pénale du Gouvernement.

Mais c'est aussi parce que je suis - et tout autant soucieux de voir la démocratie respectée, que je pense qu'il faut voter ce texte, car il est de nature à restaurer la confiance des citoyens dans leur démocratie. Nous pourrons ainsi apporter la preuve, mes chers collègues, qu'il est possible de faire avancer la démocratie sans désarmer l'Etat ni faire reculer la République.

Les Français attendent depuis longtemps une grande réforme de la justice. Celle que vous nous proposez, madame la ministre, répond à leur double attente : une justice accessible à tous, et notamment aux plus faibles, mais aussi une justice libre à l'égard de tous, et notamment des puissants. N'oublions jamais, en effet, que la République ne peut légitimement exiger des citoyens l'obéissance aux lois qu'à la seule condition de leur assurer en même temps une justice impartiale. La démocratie le requiert, les Français l'exigent, nous allons le faire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe du Rassemblement pour la République une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Madame la ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui comporte deux groupes de dispositions - les unes concernant les rapports entre le garde des sceaux et le ministère public, les autres relatives au classement sans suite - qui me paraissent porter d'une façon ou d'une autre atteinte aux principes constitutionnels de la République. C'est la raison pour laquelle je vous appelle, mes chers collègues, à voter cette exception d'irrecevabilité.

Le premier groupe de dispositions que j'estime non conformes à la Constitution modifie les pouvoirs du ministre de la justice dans la mise en oeuvre de l'action publique. A l'avenir, le ministre continuera de définir les orientations générales de la politique pénale mais ne donnera plus d'instructions dans les affaires individuelles. La loi lui ouvre, en revanche, la faculté de saisir lui-même, par voie de réquisitoire ou de citation directe, la juridiction compétente si l'intérêt général le commande. Je reviendrai sur les questions que soulève cette dernière innovation.

Dans un premier temps, c'est sur la redéfinition des pouvoirs du ministre au regard de l'action publique que je voudrais m'interroger. A l'heure actuelle, ces pouvoirs sont déterminés par l'article 36 du code de procédure pénale, selon lequel « le ministre de la justice peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes ». De ce texte, le garde des sceaux tire le pouvoir soit de déclencher l'action publique, soit d'arrêter une procédure, puisque la pratique l'a admis. Et c'est à ce texte que l'on relie les dévoiements ou abus qui ont pu être observés au cours des dernières années.

Mais, au motif qu'il faut empêcher, pour l'avenir, ces dévoiements et ces abus, on nous propose une réforme qui porte gravement atteinte à nos principes, soulève des interrogations graves sur la légitimité du pouvoir et sur la responsabilité des magistrats du parquet, et n'apporterait, si elle aboutit, qu'un progrès en trompe-l'oeil.

Le véritable progrès, en effet, est non pas de priver le ministre de la justice de prérogatives nécessaires, mais de parvenir à ce qu'il les exerce dans la transparence.

Tel avait été, en tout cas, mon objectif lorsque, en octobre 1992, j'avais fait adopter par la commission des lois un amendement au projet de loi réformant le code de procédure pénale qui avait été ensuite adopté par l'Assemblée - certains ici s'en souviennent. Aux termes de cet amendement, l'article 36 se trouvait complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les instructions du ministre sont toujours écrites. » J'avais souhaité qu'elles soient égale-

ment motivées, mais mon voeu n'avait pas été exaucé sur ce point par M. Vauzelle. Il le fut plus tard par M. Méhaignerie, dont je salue la présence ici. En tout cas, je considère avoir démontré ma volonté personnelle de voir les gardes des sceaux exercer dans la plus complète clarté leurs responsabilités.

M. Arnaud Montebourg.

Ils s'en sont bien moqués !

M. Jacques Brunhes.

M. Toubon n'a guère appliqué vos principes !

Mme Nicole Catala.

Il n'est pas inintéressant d'ailleurs, mes chers collègues, de relire les travaux de la commission des lois lorsque, en 1992, cette question y fut abord ée. Combattant sur ce sujet un amendement de M. Pezet, qui était le rapporteur de la commission, M. Gouzes, qui en était alors le président, mais qui hélas ! n'est pas parmi nous cet après-midi, avait estimé :

« le parquet disposant déjà d'une grande liberté d'action, il est inopportun de priver le Gouvernement de sa possibilité de lui donner des instructions quand il le juge nécessaire ».

M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

Je ne sais pas si Mme Tasca partage aujourd'hui cet avis. En tout cas, ce point de vue était aussi celui de M. Colcombet, dont je salue la présence ici. Il s'était, en effet, prononcé « en faveur du statu quo dans lequel les procureurs de la République, pour la presque totalité des affaires, agissent en toute liberté, mais qui permet à l'Etat d'assumer ses responsabilités ». « Pourquoi - nous disait-il - donner l'autonomie au parquet, et pas à l'armée, à la police ou à la douane ? »

M. Michel Terrot.

Eh oui !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Mme Nicole Catala.

On peut reprendre cette inter-r ogation, mes chers collègues. Nous verrons quelle réponse lui donne aujourd'hui, par son vote, M. Colcombet.

M. François Colcombet.

Je voterai contre vous, madame.

M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui, les socialistes changent vite d'avis !

M. Arnaud Montebourg.

Entre-temps, il y a eu Jacques Toubon !

Mme Nicole Catala.

Quant à M. Gérard Saumade, qui était favorable à mon amendement, il déclarait qu'était là en jeu « cette conception de l'Etat à qui il revient de rendre la justice, alors que la liberté accordée aux procureurs de la République risquerait d'aboutir à des divergences dépourvues de toute justification ».

M. Michel Terrot.

C'était un vrai réquisitoire !

Mme Nicole Catala.

Nous verrons quel sera aujourd'hui le sens du vote de M. Saumade.

Quant à M. Vidalies, il avait, lui aussi, soutenu mon amendement.

Je crois donc, mes chers collègues, qu'un certain nombre de députés qui siègent aujourd'hui sur les bancs du groupe socialiste devraient effectuer un bref retour en arrière pour réfléchir à leur conception des rapports entre le ministère de la justice et le parquet.

M. Pierre Albertini.

O tempora !

Mme Nicole Catala.

Je referme cette parenthèse... dont chacun aura néanmoins saisi l'intérêt, pour revenir au débat de fond.

Votre projet de loi, madame la ministre, repose sur la conviction que les réformes précédentes du code de procédure pénale ne sont pas suffisantes et qu'il faut aller plus loin en retirant au garde des sceaux le pouvoir de donner des instructions dans les dossiers individuels pour confier l'appréciation de ces dossiers à chaque procureur général, lequel détiendra, à son tour, à l'égard des procureurs de son ressort, les pouvoirs actuellement dévolus au ministre.

En effet, les dispositions du texte que vous proposez pour l'article 37 du code de procédure pénale reprennent celles de l'actuel article 36 pour conférer au procureur général le soin de dénoncer au procureur de son ressort les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et de leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier de la procédure, d'engager les poursuites qu'il juge opportunes. La formule est tout à fait similaire à celle de l'article 36.

Votre projet tend donc à déplacer d'un cran, si l'on peut dire, la faculté de déclencher l'action publique,...

M. Pascal Clément.

Il en change la nature !

Mme Nicole Catala.

... dans les conditions que je viens d'indiquer. Mais ce faisant, il change, bien évidemment, la nature de l'autorité investie du pouvoir d'initiative.

M. Pascal Clément.

Absolument !

Mme Nicole Catala.

D'une autorité politique, on passe à une autorité judiciaire ou plutôt à trente-trois représentants de l'autorité judiciaire.

M. Pierre Albertini et M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

Un tel bouleversement heurte à plus d'un titre, j'en suis convaincue, des règles de valeur constitutionnelle. D'abord, parce que notre organisation des pouvoirs confie au Gouvernement et, en son sein, au ministre de la justice, le soin non seulement de déterminer mais aussi de mettre en oeuvre la politique pénale. Il s'agit non seulement d'une prérogative mais également d'une responsabilité éminemment politique. Nul ne me contredira sur ce point.

Ensuite, en conférant aux trente-trois procureurs généraux une autonomie accrue et des pouvoirs considérables, ce texte engendre des risques de distorsion de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels d'égalité des citoyens devant la justice.

Enfin, en raison de la nature imprécise des orientations ou directives générales que prendra le ministre de la justice, le risque existe qu'une atteinte soit portée à l'article 34 de la Constitution.

Tout d'abord, ce projet de loi méconnaît nos règles constitutionnelles dans la mesure où il tend à dessaisir le Gouvernement du pouvoir de déterminer les mesures à prendre ou à ne pas prendre dans tous les dossiers individuels, y compris ceux qui soulèvent des problèmes d'ordre public, et à transférer ce pouvoir au ministère public.

Or ce pouvoir ne consiste pas à imposer une application mécanique de la loi, il comporte une part d'appréciation en opportunité des mesures à prendre. Et ce pouv oir d'appréciation en opportunité est éminemment politique, au sens noble du terme. Il s'agit d'une responsabilité de l'exécutif, responsabilité qui peut être sanctionnée par le suffrage populaire, comme d'ailleurs plusieurs des gardes des sceaux qui vous ont précédée, madame le ministre, en ont fait personnellement l'expérience.

M. Arnaud Montebourg.

C'est incroyable !

Mme Nicole Catala.

Je ne dis rien d'inexact, monsieur Montebourg.

Dessaisir l'exécutif d'un tel pouvoir et le soustraire à la responsabilité qui en est le corollaire, c'est porter atteinte à l'organisation des pouvoirs publics au sens de la Constitution, c'est aussi changer profondément, sans le dire, la n ature des fonctions exercées par les membres du parquet.

M. Pascal Clément.

Absolument !

Mme Nicole Catala.

Or, ces fonctions sont bien particulières. Bien qu'ayant la qualité de magistrat, ils n'ont pas le pouvoir de juger, ainsi que l'a souligné le Conseil constitutionnel le 2 février 1995. Dans cette décision, le Conseil a en effet déclaré non conforme à la Constitution la faculté conférée par un texte au parquet de ne pas déférer à la juridiction de jugement une personne acceptant de se soumettre à une injonction pénale définie par le seul procureur. La sanction d'une infraction, appartient au juge du siège et non au parquet, auquel est dévolu un rôle différent.

Les représentants du ministère public, en effet, sont depuis toujours chargés de représenter les intérêts de la société lorsque des crimes ou des délits sont commis.

Lorsqu'ils mettent en mouvement l'action publique, ils exercent non pas un droit d'action qui leur serait propre, mais le droit d'agir de la société pour réprimer les infractions. Chaque procureur est, en vérité, un mandataire de la société et c'est d'ailleurs ce qu'indique leur dénomination de procureur pro curatore, celui qui agit pour autrui.

C'est tout à fait logique. Dans le procès pénal, ce ne sont pas seulement, et même pas principalement, les intérêts de la victime qui sont en jeu, mais l'intérêt de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

société qui veut que soient identifiés, poursuivis et punis les auteurs d'infractions et que soit ainsi mieux assuré, pour l'avenir, le respect de la loi.

C'est aussi l'intérêt de la société qui peut conduire dans certains cas, minoritaires, à ce que des poursuites ne soient pas, ou pas tout de suite, engagées. Dans un système de légalité des poursuites, ces dernières doivent être automatiquement lancées. Mais notre droit, après des débats qui ont eu cours au début du siècle, a tranché en faveur de la règle, différente, de l'opportunité des poursuites.

C'est un système qui permet à l'autorité publique d'apprécier si, dans telle ou telle circonstance, l'action publique doit être engagée, ne pas l'être ou être différé e. Je retiendrai, pour illustrer mon propos, l'exemple que nous donnait l'autre jour en commission des lois notre collègue Jean-Pierre Michel, magistrat, député du groupe RCV, lui aussi hostile au projet de loi. Supposons, disait-il qu'une grève massive des chauffeurs routiers conduise à un blocage des routes et des autoroutes. Nous avons, hélas, déjà connu cette situation. Le conflit dure, devient paralysant pour l'économie du pays, mais le Gouvernement parvient en fin de compte à enclencher une procédure de médiation. Peut-on dès lors accepter que le procureur de la République compétent choisisse justement ce moment pour citer à comparaître les chauffeurs routiers en infraction ? La réponse est clairement non et je pense, madame la garde des sceaux, que vous aussi diriez non. L'autorité qui a la charge de maintenir l'ordre public et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à cette fin, c'est le Gouvernement. Le parquet n'est à cet égard que son bras séculier, et il est légitime qu'il en soit ainsi. La responsabilité de faire respecter l'ordre public et de faire appliquer la loi est une responsabilité éminemment politique.

M. Michel Terrot.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

On ne saurait d'ailleurs mieux le dire que M. Robert Badinter, dans un article paru le 29 octobre 1997 : « Dans la République, c'est le Gouvernement qui doit assumer la responsabilité politique des actes des fonctionnaires. Les magistrats, même bénéficiant d'un statut particulier, demeurent des fonctionnaires. »

M. Michel Terrot.

C'est vrai pour les préfets.

Mme Nicole Catala.

« Or, il est des affaires de terrorisme, de criminalité internationale, d'infractions liées à des mouvements sociaux où l'intérêt général est en jeu et le choix de la décision à prendre revêt, au vrai sens du terme, un caractère politique. Qui doit en répondre devant le Parlement et les citoyens sinon un membre du Gouvernement ? Imagine-t-on un chef de parquet répondant des conséquences de ses choix en matière d'action publique ? Ce serait injuste. Et comment le ministre pourrait-il répondre de décisions qu'il n'aurait pas le pouvoir de prendre ? »

M. Michel Terrot.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

« Ainsi dans un domaine aussi sensible que celui de l'action publique, la voie dans laquelle on s'engagerait serait celle de l'irresponsabilité politique organisée. »

M. Michel Terrot.

Quelle leçon !

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

Je citerai aussi, à l'appui de cette opinion, M. Charasse qui est tout aussi catégorique dans son opposition à toute coupure du lien hiérarchique entre le parquet et la chancellerie,...

M. Arnaud Montebourg.

Voilà une référence !

Mme Nicole Catala.

... coupure dans laquelle il voit « la fin de la République ».

M. Henri Nayrou.

Lisez donc du Balladur !

Mme Nicole Catala.

Car, souligne M. Charasse, « les citoyens ou leurs élus doivent pouvoir interpeller à tout moment le garde des sceaux, politiquement responsable, pour qu'il s'explique sur la légalité des poursuites et des actes des parquets.

« Le procureur de la République ne peut pas rendre des comptes à la place du ministre. Couper le lien reviendrait à admettre que l'autorité de poursuite peut, sans sanctions, "s'asseoir" - c'est son terme - sur l'expression de la volonté populaire. C'est contraire à la philosophie de notre démocratie et c'est la porte ouverte à la dictature d'un corps sans contrôle. »

Or, madame la garde des sceaux, c'est à cette irresponsabilité politique que tend votre projet de loi, en contradiction avec les principes essentiels qui régissent notre démocratie et qui président au fonctionnement de l'autorité judiciaire.

Il faut, de surcroît, souligner l'incohérence d'un tel bouleversement. En effet, le pouvoir du garde des sceaux de donner des instructions dans les affaires individuelles ne lui est pas retiré dans les domaines autres que l'action publique où ce pouvoir trouve à s'exercer.

M. Jean-Luc Warsmann.

Tout à fait !

Mme Nicole Catala.

Indépendamment des éventuelles communications facultatives, l'avis du ministère public demeurera requis dans toutes les affaires communicables, qu'elles soient relatives à la filiation, à l'organisation de la tutelle des mineurs, à l'ouverture ou à la modification de la tutelle des majeurs. Cet avis est aussi prévu dans les procédures de suspension provisoire des poursuites et d'apurement collectif du passif, de faillites personnelles et dans toutes les autres circonstances qui se produisent au moment du redressement ou de la liquidation des entreprises.

Où est la logique ? Ce texte manque aussi de cohérence si l'on compare l'incapacité imposée au ministre au droit ouvert à un nombre croissant d'associations, de déclencher l'action publique en se portant partie civile.

M. Pascal Clément.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

Je citerai à nouveau sur ce point, même si cela peut vous gêner, M. Robert Badinter.

M. Henri Nayrou.

Encore !

Mme Nicole Catala.

Vous aimeriez peut-être que je vous cite, monsieur Nayrou, malheureusement je n'ai pas trouvé vos réflexions sur ce sujet dans des articles de fond ! M. Robert Badinter écrivait, le 28 octobre 1997 :

« Veut-on que le garde des sceaux ait moins de pouvoir que les responsables d'une association de lutte contre le racisme ou pour la protection de l'environnement ? » Au demeurant, tous les gardes des sceaux qui vous ont précédée, madame la ministre, ont fermement défendu le principe du rattachement fonctionnel du ministère public au ministre de la justice. Vous êtes la première à vouloir vous automutiler d'un pouvoir que, cependant, nous dites-vous, vous n'entendez pas exercer.

M. Pascal Clément.

Rassurez-vous, c'est de l'hypocrisie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Mme Nicole Catala.

Il y a là quelque chose d'un peu irrationnel que je m'explique mal.

Mais sans mettre en cause la véracité de vos propos sur le sujet, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'en la matière, ce sont moins les textes qui comptent que leur effectivité.

La réforme prescrivant que les instructions individuelles émanant du garde des sceaux soient données par écrit était une bonne réforme. Vous estimez qu'elle n'a pas donné de résultats, le téléphone permettant de donner sans laisser de traces les mêmes instructions.

M. François Colcombet.

Le téléphone laisse aussi des traces...

Mme Nicole Catala.

Permettez-moi de penser qu'il en ira de même malgré les règles nouvelles que vous voulez établir si demain il existe des gardes des sceaux interventionnistes.

M. Pascal Clément.

Absolument.

Mme Nicole Catala.

On ne voit pas pourquoi, demain, un garde des sceaux ou un membre de son cabinet s'interdirait d'appeler tel ou tel procureur pour lui exprimer ses vues sur un dossier. Vous avez d'ailleurs évoqué le dialogue qui se noue entre vous-même et les procureurs généraux ou les procureurs de la République.

M. Jean-Luc Warsmann.

Uniquement pour parler de la pluie et du beau temps !

Mme Nicole Catala.

Rien ne l'empêchera et en tout cas, pas plus que les précédentes, la réforme que vous voulez aujourd'hui imposer.

Seule une indépendance complète des magistrats du parquet pourrait y faire obstacle. A défaut d'une telle indépendance, la rupture du lien entre le ministère public et le garde des sceaux ne serait qu'un trompe-l'oeil. C'est bien en vérité ce qu'est votre projet de loi ; un trompel'oeil, sur ce point en tout cas.

M. Pierre Albertini.

Tout à fait.

Mme Nicole Catala.

Ce trompe-l'oeil risque, malheureusement, de coûter cher, car il bouleverse certains principes fondamentaux de notre justice pénale et risque de nous faire faire un pas de plus vers cette République des juges dont ne veulent pas les vrais républicains.

Avec la Constitution de 1958, la Ve République a, en effet, consacré une organisation de la justice, et plus particulièrement de la justice pénale, qui plonge ses racines dans les principes de la Révolution française, et au-delà, dans l'ancien droit. Ce sont ces principes qui fondent aujourd'hui la justice républicaine. Ils sont aussi anciens qu'essentiels. Ils montrent que le ministère public a toujours eu pour rôle de porter l'accusation d'abord au nom du roi, puis au nom de la Révolution, de l'empereur et, de nos jours, de la société.

Depuis le

XIVe siècle, la création du ministère public qui a découlé à l'époque de la conviction que celui qui juge ne doit pas accuser, s'est inscrite dans le paysage de notre justice. C'est une institution qui a survécu à la tourmente révolutionnaire, sauf durant une brève période où seuls existèrent des accusateurs publics, au faîte de la Révolution. Mais les commissaires, redevenus commissaires du pouvoir exécutif à partir de 1795, ont été rapidement rétablis par l'empereur, et en 1808, le code d'instruction criminelle a consacré cette organisation qui fait des membres du parquet les représentants du pouvoir exécutif auprès des tribunaux.

N ous avons donc, en la matière, des traditions anciennes, bien connues, parfaitement assises, et qui ont gardé toute leur valeur.

Cette conception traditionnelle du ministère public n'a en tout cas, jusqu'ici, jamais été répudiée. La Constitution de 1946 était parfaitement claire à cet égard puisqu'elle énonçait que le Conseil supérieur de la magistrature devrait assurer l'indépendance des magistrats du siège, pas de ceux du parquet. D'ailleurs, il n'est pas inintéressant de relever que, d'après un projet établi par le Parti socialiste, les magistrats du parquet devaient passer sous le contrôle du ministère de l'intérieur. Vous n'avez pas repris cette idée, peut-être est-ce pour demain ? Plus près de nous, dans son livre Changer la justice, M. Michel Jéol qui passe pour être proche de votre sensibilité, présente comme un défi au bon sens l'amalgame entre les deux sortes de magistrats car il y voit un mélange entre des fonctions, celles de « partie » et de

« juge » qui sont fondamentalement distinctes.

Si la justice doit être pleinement indépendante dans l'Etat, dit M. Jéol, elle ne doit pas fonctionner de manière isolée : il faut, dit-il, que le Gouvernement qui a la responsabilité de définir et de conduire la politique de la nation, puisse faire entendre son opinion lors de l'application des lois par ses porte-parole naturels : les membres du ministère public. Voilà un magistrat qui respecte les principes essentiels de notre justice pénale ! En effet, les magistrats du parquet expriment et défendent les intérêts de la société sous la responsabilité du pouvoir exécutif. Ils n'assument pas eux-mêmes, quoi que vous ayez dit, madame la garde des sceaux, - la responsabilité du « mal décidé » - pas plus que les juges du siège n'assument celle du « mal jugé ».

Vous semblez envisager un alourdissement de leur responsabilité ; il est vrai que cette réforme met cette question au premier plan.

Mais il ne pourra s'agir que d'une responsabilité disciplinaire accrue - indépendamment des cas de faute personnelle, qui sont rarissimes -, puisqu'en France, les magistrats, n'étant pas élus ne tirent pas leur pouvoir du suffrage et n'assument donc pas de responsabilités devant le peuple.

Le fondement de leur pouvoir dans notre système, réside dans la nomination des juges par une autorité politique élue au suffrage universel.

Un haut magistrat a récemment parfaitement analysé cette situation en écrivant : « Il doit être clairement affirmé que l'institution judiciaire est une composante de l'Etat et que c'est cette appartenance qui justifie l' imperium du juge.

« La légitimité de celui-ci, en effet, résulte, certes, de sa compétence technique et de sa soumission à la loi, mais aussi et surtout de sa nomination par le Président de la République élu au suffrage universel.

« C'est bien l'onction présidentielle qui, dans notre ordre juridictionnel, autorise le juge à statuer au nom du peuple français. Cette légitimié ne saurait trouver de fondement ailleurs et notamment dans le sentiment personnel de l'équité qu'aurait le magistrat. On ne peut soutenir, sauf à retourner à l'arbitraire des parlements de l'Ancien régime, qui fut une des causes de la Révolution, qu'il existe, dans les cieux étoilés, hors des lois de la République, une justice immanente dont le juge serait le serviteur par dessus l'Etat, si l'on peut dire. »

Je crois que cette analyse est parfaitement éclairante sur le fondement du pouvoir des magistrats, du parquet et du siège.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

L'autorité judiciaire et les magistrats qui l'incarnent, qu'il s'agisse de ceux du siège ou du parquet, détiennent dans notre conception de la République non une légitimité « primaire », celle qui découle d'une élection directe par les citoyens, mais une légitimité « seconde », celle que leur confère l'autorité présidentielle, elle-même investie par le suffrage universel.

Il faut le souligner au moment où l'on veut rendre les parquets totalement indépendants dans le déclenchement de l'action publique et par là, indirectement, responsables des décisions à prendre en cas de violation de la loi, y compris en cas d'atteinte grave à l'ordre public.

Cette indépendance nouvelle dont vous entendez investir les magistrats du parquet soulève une seconde interrogation d'ordre constitutionnel. Elle va en effet conduire les procureurs généraux non seulement à mettre en oeuvre les orientations générales que vous leur tracerez, mais aussi « à adapter ces orientations en fonction des circonstances propres à leur ressort ». Cette faculté d'adaptation pourra conduire à des dispositions et à des pratiques différentes selon les ressorts. Dans le ressort de telle cour d'appel, par exemple, on sera impitoyable en matière de toxicomanie et dans tel autre on ne le sera pas.

De là découle un risque de voir brisée l'unité de la politique pénale et naît pour les citoyens un risque d'inégalité devant la justice. Il pourra y avoir, au stade de la mise en oeuvre, trente-trois politiques pénales, autant que de procureurs généraux. Or l'égalité devant la justice est l'un de nos plus hauts principes constitutionnels, et, à l'instar de toutes les libertés publiques, celle-ci ne peut être fragmentée.

Le Conseil constitutionnel manifeste d'ailleurs une particulière vigilance dans l'application de ce principe d'égalité devant la justice. Il l'a mis en oeuvre dans plusieurs décisions, notamment celle du 23 juillet 1995 dans laquelle il a déclaré que des infractions de même nature devaient être jugées par des juridictions de même type.

Ce n'est qu'une décision parmi d'autres et l'on en trouverait bien d'autres car elles sont nombreuses.

Le péril d'inégalité que je dénonce risque notamment de se vérifier dans la détermination de ce qui relève de la notion d'affaires individuelles. Que faut-il comprendre exactement par ces termes ? Supposons que surviennent des violences urbaines suscitées par un petit groupe de meneurs. Considérez-vous qu'il s'agit d'autant d'affaires individuelles, s'il y a deux, trois ou quatre personnes identifiées, ou d'une affaire de portée générale si la violence a envahi toute la localité ? Prenons un autre exemple : celui d'un acte de terrorisme aussi grave que l'assassinat du préfet Erignac.

L'affaire est-elle individuelle, puisqu'il n'y a qu'une victime - d'un acte meurtrier - ou est-elle de portée générale parce qu'il y a vraisemblablement tout un réseau de mafieux ou de délinquants à l'origine de cette affaire ? Vous reconnaissez-vous, ou non le droit de donner des instructions dans de telles circonstances ? On voit bien en vérité, dès que l'on y réfléchit, toute l'ambiguïté, toute l'imprécision du système que vous nous proposez qui n'a de finalité que politicienne.

M ais ce système soulève une autre interrogation d'ordre constitutionnel ; il s'agit de la nature et de la portée des orientations - ou directives, si l'amendement du rapporteur est adopté - générales que vous adresserez, en vertu du futur article 30, aux procureurs généraux. S'il s'agit d'orientations non contraignantes, elles ne poseront pas de problèmes mais pourront ne pas être suivies. Il semble, au contraire, que vous les conceviez comme des d irectives ayant un caractère contraignant puisque l'article 35 du projet prévoit que les procureurs généraux veilleront à leur mise en oeuvre. Dès lors qu'elles revêtiront bien ce caractère contraignant, la question se pose de savoir si, avec ces orientations ou directives générales, le ministre ne risque pas, allant au-delà de simples suggestions, d'« ajouter » à la loi, ce qui porterait atteinte à l'article 34 de la Constitution et serait particulièrement grave en matière pénale.

Enfin, toujours à propos du rôle de la chancellerie en matière de poursuites pénales, je m'interroge sur le futur article 30-2 du projet qui autorise le ministre de la justice à mettre en mouvement l'action publique lorsque l'intérêt général lui paraît commander que des poursuites pénales soient engagées et qu'elles ne le sont pas. Faute de pouvoir dans le futur lui donner des instructions, le ministre va pouvoir se substituer au parquet défaillant, ou au parquet réticent devant l'engagement des poursuites.

La technique est surprenante. D'abord parce qu'elle pose la question de savoir qui représentera le ministre et surtout si le parquet conservera ou non, en pareil cas, ses pouvoirs propres. « La plume est serve mais la parole est libre » ; cet adage vaudra-t-il dans de telles circonstances ?

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

Surtout, même exercée de façon subsidiaire ou exceptionnelle, comme vous l'avez dit, cette possibilité représente l'irruption directe d'une autorité politique dans le déclenchement d'une procédure répressive qui ne laisse pas de surprendre. Une autorité politique ne peut être créditée de l'impartialité dont on doit créditer a priori des magistrats. Cette novation dans notre procédure pénale peut donc, à mon avis, inquiéter du point de vue de l'égalité des justiciables devant la loi.

D'autres dispositions de ce texte soulèvent aussi des interrogations d'ordre constitutionnel ; je les évoquerai rapidement. Il s'agit des dispositions formant le chapitre II du projet, qui instituent la faculté pour des personnes qui ont dénoncé des faits au parquet mais ne peuvent se porter parties civiles, de former un recours contre une décision de classement sans suite.

Le texte définit la composition des commissions qui seront saisies de ces recours en prévoyant qu'elles seront formées de magistrats du Parquet exclusivement, c'est-àdire des magistrats mêmes qui auront procédé à des classements sans suite !

M. Jean-Pierre Delalande.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

Pour qu'il s'agisse d'un véritable recours, il faudrait qu'ils soient tranchés par des magistrats du siège, comme l'a exigé le Conseil constitutionnel dans la décision du 2 février 1995 que j'ai citée. La création de ces instances nouvelles a, d'ailleurs, tellement surpris le Conseil d'Etat qu'il y a vu, semble-t-il, un « objet juridique non identifié ». Je n'ai, malheureusement, pas eu connaissance directe de son avis.

De surcroît, la nature des décisions prises par ces commissions n'est pas définie et l'égalité des citoyens devant leurs décisions n'est aucunement garantie.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

Mme Nicole Catala.

Pas plus qu'elle n'est assurée devant les politiques pénales de trente-trois procureurs généraux, l'égalité des citoyens devant la justice n'est garantie par le fonctionnement de ces commissions, contre les décisions desquelles le projet de loi exclut tout recours.

M. Michel Terrot.

Excellent réquisitoire !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

M. Jean-Luc Warsmann.

Très pertinent !

Mme Nicole Catala.

Dès lors, en l'absence d'un contrôle juridictionnel à l'échelon national, qui peut nous assurer que les jurisprudences seront homogènes et que, sur tout le territoire, les justiciables obtiendront les mêmes solutions ?

M. Jean-Pierre Delalande.

Personne !

Mme Nicole Catala.

Nul ne peut nous apporter cette garantie.

M. Arthur Dehaine.

C'est le fond du problème !

Mme Nicole Catala.

Voilà, mes chers collègues, l'essentiel des griefs que je crois pouvoir adresser à ce projet de loi sur le terrain de la constitutionnalité. Ils me semblent suffisamment nombreux et graves pour que je vous invite à voter l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Je ne veux présenter que quelques observations.

Mme Catala estime qu'il faut maintenir les instructions individuelles et vante les mérites de l'ancien système, les instructions écrites et motivées. Je ne doute pas un instant de sa bonne foi. Naturellement, je la crois quand elle dit que son souhait, à elle, était de faire en sorte que les instructions individuelles soient écrites ou motivées.

M. Pierre Albertini.

Il va sans dire !

Mme la garde des sceaux.

Mais elle serait beaucoup plus convaincante si elle prenait cette position uniquement à son compte sans éprouver le besoin, pour étayer son point de vue de dresser une galerie de portraits de socialistes ou de membres de la majorité qui ont émis cette opinion.

Mme Nicole Catala.

Cela vous gêne !

M. Jean-Luc Warsmann.

Vous font-ils honte ?

Mme Michèle Alliot-Marie.

Cela prouve que cette opinion est partagée sur tous les bancs de cette assemblée !

Mme la garde des sceaux.

Il me semble que là, il y a peut-être un doute sur l'opportunité de maintenir ces instructions.

Je ne peux pas lui laisser dire non plus que, si la loi est votée, les instructions occultes et téléphoniques continueront. En effet, il y aura une grande différence avec le système qu'elle préfère, c'est-à-dire la persistance dans la loi de l'instruction individuelle, c'est que si des instructions sont données, elles violeront explicitement la loi !

M. Jean-Luc Warsmann.

C'était déjà le cas ! Mauvais argument !

Mme la garde des sceaux.

Par ailleurs, dès lors que les instructions individuelles seront purement et simplement interdites, je n'ose imaginer qu'il puisse être facile, comme l'ont fait certains de mes prédécesseurs, de se réfugier derrière l'alibi de la légitimité dans la loi des instructions individuelles, pour donner des instructions déviant le cours de la justice.

Enfin, troisième observation, le scénario catastrophe de la grève des routiers a été si souvent cité qu'il finit par devenir un leitmotiv. Nous avons traversé ce genre de crise. La justice a alors bien fonctionné, avec une cellule de crise faisant collecter l'information à la chancellerie, a vec des directives générales pouvant être adaptées d'heure en heure - parce qu'elles ne comptent plus trente ou quarante pages, que d'ailleurs personne ne lisait puisqu'on utilisait un autre vecteur, les instructions individuelles. L'expérience enseigne que l'on ne gère pas une crise sociale à coup d'instructions individuelles sur tel camion à Cahors ou tel barrage à Maubeuge. La gestion de crise demande surtout des qualités d'anticipation et de rapidité de réaction. Mais je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas y pourvoir grâce aux instructions générales.

J'ajoute que je ne crois vraiment pas que l'addition d'instructions individuelles puisse faire une politique pénale générale.

Mme Nicole Catala.

Je n'ai jamais dit cela !

Mme la garde des sceaux.

Environ 600 000 plaintes par an pourraient faire l'objet d'une instruction. Comment voulez-vous que le garde des sceaux donne des instructions sur toutes ces plaintes soumises aux procureurs ?

M. Jean-Luc Warsmann.

L'argument est pauvre !

Mme la garde des sceaux.

En réalité, il faut bien faire un tri. Le tri sur les instructions individuelles est impossible et il pousse au crime. Comment voulez-vous faire le tri autrement que par les médias ou, en réalité, le copinage ? C'est en tout cas ce qui s'est produit dans la dernière période et ce à quoi il faut mettre fin.

M. Jean-Luc Warsmann.

Quelle polémique !

M. Jean-Pierre Delalande.

Ce n'est pas digne !

M. Charles Miossec.

C'est ridicule !

Mme la garde des sceaux.

Mon projet de loi, madame Catala, n'est pas simplement une amélioration, c'est une rupture radicale avec les pratiques du passé, et je le revendique.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. André Vallini, rapporteur.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt Mme Catala. Elle a effectivement posé des questions juridiques tout à fait intéressantes mais je n'ai pas été convaincu du tout par son argumentation tendant à démontrer que ce texte ne serait pas constitutionnel.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que l'on repousse cette exception d'irrecevabilité.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Cela manque un peu d'arguments !

M. le président.

Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. François Colcombet, pour le groupe socialiste.

M. François Colcombet.

L'excellente intervention de Mme Catala (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République) nous conduit à relire la Constitution qui est notre bible, et sur laquelle nous serons, je pense, tous d'accord. Que dit la Constitution ? Elle dit d'abord qu'il existe une autorité judiciaire qui est confiée aux magistrats.

Mme Nicole Catala.

Pas un pouvoir, une autorité !

M. François Colcombet.

Cette autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et c'est pour cette raison que les magistrats ont un statut particulier. Plus de problème désormais pour les magistrats du siège, le CSM


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

protège leur indépendance. Soit dit entre parenthèses, le CSM est une création de 1946 mais la Constitution de 1958...

M. Jean-Louis Debré.

L'avait modifié !

M. François Colcombet.

... lui avait porté un coup, d'une certaine façon, dans la mesure où le CSM était devenu un simple conseil du Président de la République.

Ensuite, en 1993, par une modification que vous avez dû voter, le CSM s'est transformé en une véritable instance de gestion du corps. Elle est présidée par le Président de la République, mais en fait, les magistrats participent à la nomination des magistrats du siège, et cette formation sert de conseil de discipline.

Mais ce qui est important, et qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui, c'est que la magistrature n'est pas composée que de juges du siège, mais aussi de magistrats du parquet qui ont le même statut d'après la Constitution qui dit clairement que l'autorité judiciaire comporte aussi les membres du parquet. Ils ont d'ailleurs, dans le CSM, une formation qui leur est propre et qui a une composition voisine. La seule différence, c'est qu'au lieu de nommer les magistrats, ils proposent, et c'est l'autorité politique qui les nomme.

Nulle part, je tiens à le signaler, dans la Constitution, il n'est dit que le garde des sceaux serait un magistrat. Le garde de sceaux est un homme politique...

Mme Véronique Neiertz.

Ou une femme politique ! (Sourires.)

M. François Colcombet.

... et est en même temps, ministre de la justice. Il ou elle n'est pas dépositaire de l'autorité judiciaire. Ce sont les magistrats qui en sont dépositaires, mais il ou elle est ministre de la justice. De même que le ministre de la défense est ministre des armées ou le ministre de l'intérieur, ministre de la police.

Mme Nicole Catala.

Cela n'a rien à voir avec le sujet !

M. François Colcombet.

Cela a un sens. Cela veut dire d'abord que la ministre de la justice est chargée des problèmes d'intendance. Elle s'occupe du recrutement des magistrats.

(Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Albertini.

C'est complètement restrictif !

M. François Colcombet.

Elle fait construire les palais.

Elle rénove les prisons.

M. Richard Cazenave.

Entendre ça à l'Assemblée !

M. François Colcombet.

Elle s'occupe de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. Et elle a une autre fonction, comparable à celle des autres ministres, qui est d'assurer une cohérence à l'intérieur de son secteur. Et c'est à ce titre que la ministre de la justice est appelée à faire des circulaires, ce qui d'ailleurs se faisait depuis belle lurette, sans que cela ait été expressément dit ni expressément encadré. Les ministres de la justice faisaient des circulaires, comme M. Jourdain faisait de la prose. Maintenant, ils continueront de le faire, mais d'une façon plus claire parce que ces circulaires seront publiées et seront donc soumises à la critique.

M. Jean-Louis Debré.

Elles étaient déjà publiées !

M. François Colcombet.

Autre aspect de la proposition, le ministre est privé d'un droit qu'il s'était arrogé et qui était contraire, à mon avis, à l'esprit de la Constitution, le droit de donner des injonctions particulières.

M. Michel Terrot.

Pourquoi avez-vous changé d'avis ?

M. François Colcombet.

De vous à moi, et de nous à vous, disons les choses clairement : à une certaine époque, on a pu comprendre, et notamment dans des périodes...

Mme Odette Grzegrzulka.

Récentes !

M. François Colcombet.

... de crise grave, qu'on ait pu utiliser des instructions particulières. On pourrait citer de nombreux exemples où elles ont eu un effet utile.

M. Jean-Luc Warsmann.

En 1990 ou 1992 !

M. François Colcombet.

On peut, hélas ! en citer de nombreuses aussi où elles ont eu un effet plus qu'inutile, un effet complètement néfaste pour l'institution.

A cet égard, je pourrais citer bien des faits. Pour ma part, je me souviens d'avoir vu, par exemple, des interventions insistantes et d'ailleurs efficaces en faveur des membres du SAC. Ensuite, j'ai vu - ce n'est pas très anciens - des procédures enlevées des mains du substitut de service et se perdant auprès d'instances supérieures qui les ont ensablées. Je sais aussi que, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, elle a continué cette dangereuse

« juris-imprudence » ! (Sourires.)

Et je sais bien aussi que c'est un ministre de droite qui, après diverses tentatives, M. Méhaignerie, pour ne pas le nommer, n'a pas hésité à renoncer aux instructions individuelles.

Mme Odette Grzegrzulka.

Bravo !

M. Jean-Louis Dumont.

C'était courageux !

M. François Colcombet.

A l'époque, vous ne l'avez pas critiqué.

M. Arnaud Montebourg.

Son directeur de cabinet s'en chargeait !

M. François Colcombet.

Vous l'avez même probablement applaudi lorsqu'il l'a fait, madame Catala, vous en particulier.

M. Michel Terrot.

Mais vous étiez pour les instructions il y a quelques années !

M. François Colcombet.

Il est vrai que vous n'avez pas critiqué non plus son successeur, le très intervenant M. Toubon, dont l'activisme inconsidéré en la matière a laissé pantois, y compris ses propres amis, d'autant qu'on l'avait fréquemment entendu ici se faire le procureur vigilant de ce qu'il appelait les manquements de la gauche.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mais n'en rajoutons pas ! Prenons acte de ces expériences, bonnes et mauvaises, en constatant que ce que nous demandent les Français c'est maintenant de définir clairement les rapports entre le politique et le judiciaire.

La suppression des directives individuelles correspond, en définitive, à l'esprit réel de la Constitution en ce qu'elle reconnaît aux magistrats du parquet leur véritable nature de magistrats défenseurs des libertés. Au demeurant, l'ancien adage « Plume serve, parole libre » allait déjà dans ce sens.

En réalité, le statut que nous voulons donner aux magistrats est exactement celui que possède le procureur général de la Cour de cassation, qui ne reçoit aucun ordre et qui est complètement libre.

Mme Nicole Catala.

Ce n'est pas le sujet !

M. François Colcombet.

Ce poste a d'ailleurs été occupé successivement par M. Truche, qui n'a pas démérité, et par M. Burgelin qui, après avoir été secrétaire du


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CSM du temps de Valéry Giscard d'Estaing, procureur général du temps de M. Toubon, a su montrer, dans l'affaire du sang contaminé dans laquelle étaient poursuivis des ministres de gauche, une grande indépendance en requérant le non-lieu. Ce qui montre que des magistrats indépendants sont capables de prendre des décisions qui sont acceptées.

Mme Nicole Catala.

Donc, il n'est pas nécessaire de changer les choses !

M. François Colcombet.

J'ajouterai d'ailleurs, concernant M. Burgelin, qu'il a été critiqué par ses propres amis, ce qui a montré qu'il était capable de courage.

Autrement dit, faisons confiance à un système où désormais l'accusation appartiendra à des procureurs bien formés, raisonnables, bien éclairés par l'excellente circulaire de Mme la garde des sceaux. Soyons persuadés que la justice sera correctement rendue.

Je vous propose, mes chers collègues, de repousser l'exception d'irrecevabilité que nous a présentée Mme Catala.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe UDF.

M. Pierre Méhaignerie.

Je voterai comme le groupe UDF cette exception d'irrecevabilité. Pourtant je partage, madame la garde des sceaux, votre double ambition : celle de mieux assurer dans notre démocratie l'indépendance de la justice et celle de renforcer l'autonomie du parquet.

Et je crois avoir moi-même, dans mes fonctions, appliqué cette double ambition.

Trois raisons me conduisent à ne pas voter votre texte.

La première a trait à l'indépendance nécessaire des magistrats. Le texte qui garantit l'indépendance des magistrats, c'est la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. La première réforme de 1993 consistait simplement à recueillir son avis pour la nomination des procureurs.

J'ai pour ma part toujours suivi les propositions du Conseil supérieur de la magistrature, qui est parfois critiqué mais qui, s'agissant des nominations, a mieux fonctionné que ne l'auraient fait la direction compétente du ministère ou le ministre lui-même.

La nouvelle réforme du Conseil supérieur de la magistrature permet de garantir l'indépendance des magistrats et c'est là, comme le disait d'ailleurs M. Badinter, que se situe le cordon ombilical entre le pouvoir politique et les magistrats du parquet. L'indépendance de la justice passe par les perspectives de promotion et de nomination.

Par contre, et c'est là ma réserve essentielle, il y a dans la vie d'une nation des moments dramatiques où la resp onsabilité du pouvoir politique est engagée : des moments de violence extrême, des moments où, pour apaiser une région, apaiser des professions, des instructions individuelles sont nécessaires. Il y en a eu d'autres, liés à des phénomènes de racisme brutal ou d'insécurité.

Comme un grand nombre d'entre nous sur ces bancs, je crois que, dans ces cas dramatiques, la responsabilité politique ne peut pas être déléguée à des fonctionnaires, fussent-ils procureurs généraux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce qui est grave, madame la ministre, ce ne sont pas les instructions individuelles, c'est l'opacité, c'est le téléphone. En revanche, des instructions écrites et versées au dossier assurent la protection des procureurs.

M. Jacques Floch.

Elles n'empêcheront pas les coups de téléphone !

M. Pierre Méhaignerie.

C'est vrai, cela n'évitera pas certains comportements, mais la loi n'empêchera pas non plus des comportements dans l'autre sens.

Cela dit, quel garde des sceaux prendra le risque, avec des instructions écrites et versées au dossier, d'envoyer une instruction scandaleuse, sachant qu'il peut y avoir des retombées médiatiques importantes ? C'est donc un système transparent et réellement protecteur des magistrats du parquet.

Le risque aujourd'hui dans notre société, ce ne sont pas les liens entre le parquet et la chancellerie, dès lors qu'ils sont transparents, c'est la démission face à la responsabilité, la plus grande complexité de la justice, l'opacité.

Ce texte, madame la ministre, ne mérite ni un excès d'honneur, car il ne changera pas les comportements, ni un excès d'indignité,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Dites-le à vos collègues !

M. Pierre Méhaignerie.

... car il ne changera pas grandchose à la réalité.

Je comprends et partage votre critique d'un certain passé, mais, en faisant preuve tout à l'heure d'une sévérité unilatérale, vous avez tout de même oublié une période pendant laquelle vous aviez vous-même des responsabilités, sous l'autorité du président Mitterrand.

M. Michel Hunault.

Eh oui !

Mme Nicole Catala.

Ce n'est pas si ancien !

M. Pierre Méhaignerie.

Enfin, mes chers collègues, je note sur tous les bancs une inquiétude vis-à-vis de la justice, une critique parfois injustifiée des magistrats, certains évoquant même parfois le fantôme du gouvernement des juges. Nous n'en sommes pas là. Ce n'est pas principalement vers les juges qu'il faut se retourner mais vers le Parlement, qui introduit beaucoup trop de dispositions pénales dans les textes législatifs et qui s'inquiète ensuite de la sévérité des juges. Nous ferions mieux de

« peigner » certains de ces textes pour éviter leurs excès pénaux.

Madame la ministre, ce texte se veut un emblème politique, un élément de défense et de promotion politique d'un gouvernement. Je crois personnellement que c'est une loi d'opportunité dont l'ambition est essentiellement m édiatique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe Démocratie libérale.

M. Pascal Clément.

Comme je dois reprendre la parole au nom de mon groupe, je me contenterai de relever l'argument, à nos yeux fondamental, de l'exception d'irrecevabilité qu'a présentée fort brillamment Mme Catala, et auquel vous n'avez d'ailleurs pas répondu, madame la garde des sceaux.

Votre texte prévoit que la responsabilité et la légitimité démocratiques seront transférées du garde des sceaux au procureur général. C'est lui qui sera le maître absolu de l'opportunité des poursuites.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

M. Bernard Roman.

Il faut lire le texte jusqu'au bout !

M. Pascal Clément.

Le garde des sceaux ne pourra donc plus donner d'instructions en ce sens. En revanche, et je m'appuie sur ce qu'a dit un orfèvre en la matière, M. Colcombet, il devient lui-même l'autorité judiciaire puisqu'il peut mettre en mouvement, sans délégation possible, l'action publique.

C'est là que se trouve la racine de l'inconstitutionnalité, pas ailleurs. Comment un procureur général, qui est nommé, peut-il décider de l'opportunité des poursuites ? On ne peut avoir ce pouvoir que si l'on est élu et responsable devant le peuple.

Cette substitution à l'autorité judiciaire que devient tout à coup le garde des sceaux prouve à l'évidence que votre texte ne tient pas. S'il tenait, vous n'auriez pas prévu que le garde des sceaux puisse lui-même mettre en mouvement l'action publique. Pourquoi alors abandonner l'article 36 du code de procédure pénale ? C'est du jamais vu ! C'est un non-sens juridique ! Elle est là l'inconstitutionnalité, madame la garde des sceaux, et vous n'avez pas répondu.

Ce texte sera annulé, j'en prends le pari !

M. Arnaud Montebourg.

Vous avez des amis au Conseil ?

M. Pascal Clément.

Il ne peut pas cadrer avec la Constitution française. C'est là la racine du mal.

S'il est inconstitutionnel, le garde des sceaux garde l'autorité pour décider de poursuivre, et nous retombons sur l'article 36. On sera obligé de rétablir les instructions ! Votre texte est profondément vicié constitutionnellement. C'est ce que Mme Catala, avec beaucoup de culture juridique, a essayé de démontrer, et vous n'avez pas répondu sur ce point, vous contentant de l'aspect strictement médiatique, prenant l'opinion à témoin en annonçant que vous ne donniez plus d'instructions.

Je tenterai tout à l'heure de démontrer la fantastique hypocrisie de ce texte : non seulement il ne change rien, mais il empire les choses. Mais restons au plan constitutionnel ! Votre texte est strictement inapplicable et nous trouverons les soixante parlementaires nécessaires pour le déférer au Conseil constitutionnel.

Mme Odette Grzegrzulka.

Vous en parlerez au Président de la République et à M. Truche !

M. Pascal Clément.

Je ne doute pas une seconde de la suite. Cela permettra de balayer ce texte purement médiatique, comme l'a très justement dit M. Méhaignerie, texte qui n'a aucune espèce de fondement ou de racine dans l'histoire du droit français.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Jean-Luc Warsmann.

Je salue à mon tour l'excellente intervention de Nicole Catala. Le groupe RPR, bien évidemment, votera l'exception d'irrecevabilité, et ce pour trois raisons.

La première, c'est que votre projet de loi, madame la garde des sceaux, méconnaît profondément un principe fondamental, l'égalité de traitement entre les citoyens, qu'il appartient au ministre de la justice et à la politique pénale en général de garantir. Nous ne pouvons accepter d'entrer dans une logique telle que les citoyens risquent d'être traités différemment selon les ressorts des procureurs généraux où l'infraction a été commise, dans une logique où la loi offre des marges de manoeuvre à des adaptations non définies, et risque donc d'entraîner des inégalités de traitement.

La deuxième raison, c'est que nous croyons à la nécessité d'une politique pénale forte. Pour nous, monsieur Colcombet, le garde des sceaux n'est pas chargé de l'intendance. Lui seul, parce qu'il est membre d'un gouvernement qui est l'émanation de la volonté populaire, détient la légitimité pour définir, mettre en oeuvre et év aluer une politique pénale efficace et forte. Mme Catala a fort bien montré à quel point le seul outil que le garde des sceaux prétend mettre en place pour appliquer la politique pénale était inefficace. Je veux parler de ces directives qui posent un problème juridique dès lors qu'il y a des notions juridiques opposables à des tiers.

Elles ne sont juridiquement solides que si elles ne contiennent que des généralités. Sinon, elles sont contestables. Quelle fragilité ! La troisième raison est qu'il s'agit d'un projet en trompe-l'oeil. Vous agitez devant l'opinion publique la suppression des instructions individuelles, mais, si vous ne voulez pas intervenir dans les affaires individuelles, pourquoi voulez-vous en être tenue au courant en temps réel ? Pourquoi voulez-vous nous faire voter un projet de loi qui fait obligation à tous les procureurs généraux et à tous les procureurs de la République de France de vous transmettre des informations sur toutes les affaires individuelles qu'ils jugeront nécessaires de porter à votre connaissance ? En réalité, il n'y a plus aucune limite. Si vous n'intervenez pas dans les affaires individuelles, si vous ne voulez pas de ce soupçon qui a pu égratigner les gardes des sceaux, refusez aussi toute information sur les affaires individuelles ! Pour reprendre votre exemple, vous n'avez pas besoin de connaître le nom des personnes condamnées pour trafic de drogue pour mener une politique de lutte contre le trafic de drogue. Vous avez besoin de rapports généraux et pas de rapports individuels.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Que dire également de la contradiction qu'a très bien relevée M. Clément : vous voulez supprimer les instructions individuelles tout en créant un droit d'action propre au garde des sceaux. Vous donnez d'une main, vous reprenez de l'autre. Tout cela n'est pas sérieux.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera évidemment l'exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste.

M. Jacques Brunhes.

Madame Catala, vous êtes une juriste avertie, vos avis sont écoutés, ils représentent en général un intérêt réel, je peux en témoigner par ce qui se passe en commission des lois, et je ne vous cacherai pas mon extraordinaire perplexité après vous avoir entendue.

M. Jacques Brunhes.

Je me demande si vous avez lu le rapport de la commission Truche.

Mme Nicole Catala.

Oui !

M. Jacques Brunhes.

Je me demande si vous avez lu le texte qui vous est proposé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

M. Jean-Luc Warsmann.

Oh !

M. Pierre Albertini.

C'est discourtois !

M. Jacques Brunhes.

Je me demande si vous avez écouté Mme la garde des sceaux,...

M. Pierre Albertini.

Cela devient diffamatoire !

M. Jacques Brunhes.

... et regardé les amendements.

J'ai vraiment eu le sentiment que votre pensée tournait en rond et que vous visiez avant toute chose à faire un procès d'intention avec un argumentaire qui n'avait qu'une finalité politicienne. Vous êtes montée à la tribune non pour débattre sur le fond du texte mais pour des raisons politiciennes.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

Mme Nicole Catala.

Ce n'est pas vrai !

Mme Michèle Alliot-Marie.

C'est un procès stalinien !

M. Jacques Brunhes.

J'entends vos dénégations mais vous me permettrez de penser le contraire !

M. Pierre Albertini.

Pensez par vous-même !

M. Jacques Brunhes.

Enfin, je me demande si vous avez une idée de la manière dont est ressentie la justice dans notre pays.

Un sondage a été réalisé à la fin de la période où les gouvernements que vous avez soutenus étaient au pouvoir.

M. Arthur Dehaine.

Et sous Mitterrand !

M. Jacques Brunhes.

Je vous livre le résultat : 82 % de nos compatriotes se méfient d'un système qu'ils estiment soumis au pouvoir politique,...

Mme Odette Grzegrzulka.

On les comprend ! Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Et Mitterrand ?

M. Jacques Brunhes.

... 66 % d'entre eux pensent que la justice fonctionne mal,...

M me Nicole Catala.

Avez-vous lu Le Monde d'aujourd'hui ?

M. Jacques Brunhes.

... 77 % regrettent qu'elle manque de moyens, 84 % déplorent qu'elle soit trop coûteuse,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Triste héritage !

M. Jacques Brunhes.

... et, signe des temps, 73 % lui reprochent de traiter plus favorablement les hommes politiques et les fonctionnaires que les citoyens de base.

(Exclamations sur divers bancs.)

M. Arnaud Montebourg.

Voilà votre politique, madame Catala !

Mme Michèle Alliot-Marie.

C'est le résultat de quatorze années de mitterrandisme !

M. le président.

Laissez terminer M. Brunhes, s'il vous plaît !

M. Jacques Brunhes.

Madame Catala, en dépit de tout votre talent et en dépit du journal que vous nous montrez, je ne peux que constater que vous refusez de fait toute rupture,...

M. Richard Cazenave.

Il n'y a aucun argument dans votre démonstration !

M. Jacques Brunhes.

... toute réforme tendant à éviter les abus et à assurer l'égalité devant la justice.

C'et pourquoi nous voterons contre votre motion de procédure.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.) (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le président, je vous demande de bien vouloir lever la séance et de la reprendre à vingt et une heures.

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, no 957, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

M. André Vallini, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1702).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT