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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

1. Organisation mondiale du commerce. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 6331).

M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

MM. Yves Cochet, Claude Gaillard, Jean-Claude Lefort.

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

M. Jean-Claude Lefort.

M. le secrétaire d'Etat.

Suspension et reprise de la séance (p. 6343)

M.

Philippe Vasseur, Mme Béatrice Marre,

M.

Hervé Gaymard.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

MM. Michel Suchod, Joseph Parrenin, Jean Pontier, Jean-Claude Daniel.

M. le secrétaire d'Etat.

Clôture du débat.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 6359).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l'organisation mondiale du commerce et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ce débat me permet de vous présenter au nom du Gouvernement les orientations que nous envisageons de retenir dans la perspective de la prochaine réunion ministérielle de l'OMC à Seattle et du lancement des futures négociations commerciales multilatérales qui s'y décidera.

Il intervient opportunément puisqu'il me permet de dresser un premier bilan des consultations que j'ai conduites depuis la fin de l'année dernière avec les entreprises, les fédérations professionnelles, les organisations syndicales et les associations. Je crois être d'ailleurs le prem ier secrétaire d'Etat à avoir entrepris une telle démarche.

Certains d'entre vous le savent pour avoir participé à ces travaux, j'ai tenu plusieurs réunions avec Jean Glavany, Dominique Voynet, Dominique Strauss-Kahn et Hubert Védrine sur l'agriculture, l'environnement, les normes sociales mais aussi sur l'industrie et les services.

Bien sûr, nous tiendrons le plus grand compte du débat d'aujourd'hui et des rencontres qui s'ensuivront avec les commissions pour affiner la position du Gouvernement à Seattle.

Nos choix, pour le prochain cycle de négociations, doit permettre à notre pays d'améliorer ses positions dans l'économie mondiale, pour soutenir la croissance et l'emploi. Ils doivent aussi viser à une meilleure maîtrise de la globalisation de l'économie pour que ce soient les hommes qui imposent leur rythme au marché et non l'inverse.

Avant d'examiner le détail de nos positions actuelles, je voudrais indiquer l'esprit dans lequel le Gouvernement aborde ces échéances et le rôle que nous désirons voir jouer à l'Organisation mondiale du commerce. Pour ce faire, il n'est peut être pas inutile de dresser un bilan de l'ouverture commerciale et de la mise en oeuvre des accords de Marrakech.

Nous pouvons, me semble-t-il, nous accorder sur un double constat qui porte sur les bénéfices de l'internationalisation de notre économie et sur les risques dont elle est porteuse.

Les bénéfices sur la croissance et le développement technologique, nous les connaissons.

L'impact sur la croissance, tout d'abord.

La progression des échanges, depuis le milieu des années 80, a été très vigoureuse, d'environ 7 % par an depuis 1985. Nos entreprises ont su en tirer parti.

Je ne citerai pas le chiffre des excédents commerciaux que nous enregistrons depuis 1993. Je remarquerai plutôt qu'en 1986 nous commencions le cycle de l'Uruguay et que nous exportions le tiers de notre production industrielle. Treize ans plus tard, alors que nous nous préparons au lancement d'un nouveau cycle, presque la moitié de notre production industrielle est destinée à l'étranger.

C'est dire que nos entreprises ont su trouver leur place sur les marchés internationaux.

Un facteur nouveau renforce les enjeux associés au courant de la globalisation : les nouvelles technologies.

Elles nous ont apporté 0,5 % de croissance en 1998 et il faut compter sur une accélération de ce mouvement.

Dans cette perspective, le rôle de l'ouverture aux échanges sera essentiel, car un marché élargi permet de tirer un bon profit de l'innovation.

En bref, pour accompagner la nouvelle croissance, nous avons encore plus besoin qu'auparavant d'un environnement international ouvert.

Parallèlement, les risques de la mondialisation ne sont pas moins apparents : déficit de régulation, accroissement de certaines inégalités à l'échelle du monde, mise en oeuvre des accords passés encore incomplète. A ce propos, au cinquantenaire du GATT, l'année passée, le président Clinton déclara que l'ouverture du commerce augmentait l a richesse du monde. Le lendemain, le président Mandela lui fit remarquer qu'elle augmentait en même temps l'étendue des zones de pauvreté. Je crois que c'est à cette dialectique qu'il nous faut réfléchir.

Le déficit de régulation est illustré par la crise des pays émergents des deux dernières années.

La crise des pays émergents n'a pas seulement été une crise de liquidités ou de gestion conjoncturelle des économies concernées, un peu aléatoire.

Nous avons été confrontés à la crise d'un modèle de développement dans lequel entreprises, banques, administrations et classes politiques entretenaient des liens informels trop étroits.

Nous avons donc besoin de travailler ensemble à renforcer les aspects du cadre multilatéral qui pèseront en faveur de la transparence et d'un meilleur fonctionnement des économies des pays émergents.


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C'est pourquoi il me semble important que nous introduisions de « nouveaux sujets » dans les négociations commerciales, en particulier sur la concurrence et l'investissement.

La deuxième carence tient à ce qu'on a appelé « l'inégalité du monde ».

Il est peu de dire que certains pays en développement n'ont pas tiré tous les bénéfices promis par les partisans de l'ouverture.

Nos partenaires les plus libéraux prétendent que la libéralisation permet de remplacer l'aide au développement. Si tel était le cas, pourquoi plus de 30 % de la population des pays en voie de développement est-elle encore condamnée à vivre avec moins de 1 dollar par jour ? Et 13 % de leur population active âgée de moins de 14 ans ? L'OMC intègre déjà en partie les préoccupations des pays en voie de développement en permettant une ouverture « asymétrique » plus rapide pour les pays riches que pour les pays pauvres, des périodes de transition allongées pour la mise en oeuvre des différents accords, des contraintes allégées dans des domaines tels que celui des subventions. Mais nous avons encore du chemin à faire pour permettre aux pays les moins avancés de trouver dans l'OMC un cadre plus propice à leur développement.

Enfin, les efforts que nous avons faits jusqu'ici pour renforcer le cadre international ne sont pas toujours suivis d'effet. La mise en oeuvre des accords passés reste souvent incomplète.

Si les engagements pris en matière tarifaire sont généralement respectés, il n'en a pas été de même des obstacles non tarifaires, dans le domaine de la propriété intellectuelle, de l'adoption de normes discriminatoires et, plus généralement, de l'instabilité de l'environnement réglementaire.

Cela étant, on ne peut attribuer à l'OMC ni tous les bénéfices de l'ouverture ni toutes les failles de la mondialisation.

L'organisation mondiale du commerce international représente un progrès par rapport à l'absence de règles, quand la loi du plus fort fait office de norme internationale.

Les accords de Marrakech ont fixé une règle du jeu, sur la base de principes simples d'égalité de traitement et d'un règlement des différends dont on peut faire un premier bilan assez équilibré.

Comment, dans le contexte que je viens de rappeler, abordons-nous la prochaine négociation ? Un mot sur la méthode pour aborder Seattle, qui doit répondre à deux principes, la transparence et la globalité.

La transparence, d'abord.

Je l'ai dit en introduction, nous avons commencé une série de consultations avec la société civile, des producteurs de poulets aux producteurs d'oeuvres intellectuelles.

(Sourires.)

Il nous faudra aussi y associer étroitement les syndicats - qui étaient d'ailleurs représentés dans la délé gation française au cinquantenaire du GATT et à d'autres réunions de ce genre -, les ONG et les entreprises qui le souhaitent. Ils seront accueillis sur place à Seattle.

Ces organisations devront pouvoir participer au déroulement des travaux de la réunion ministérielle, mais aussi remettre des contributions et être ainsi, naturellement associées à la suite des événements.

La globalité, ensuite, est le second principe que nous souhaitons défendre.

Les conclusions du Conseil européen satisfont bien à notre objectif d'associer libération et régulation.

Les négociations devront aboutir à un accord unique qui nous permette de trouver un double équilibre entre les priorités de chacun des participants ; entre les sujets de négociations, de manière à ne pas privilégier l'accès au marché par rapport à la régulation.

Beaucoup se font les chantres des vendanges précoces - bien que, d'ordinaire, les vendanges tardives soient les meilleures. La vendange précoce permet d'avancer, mais elle ne permet pas de savoir à quoi on va aboutir. Elle peut permettre à un pays d'obtenir certains avangages, puis de disparaître sans que l'on ait pu obtenir la contrepartie de ce qu'on vient de lui céder. Voilà pourquoi, à moins que vous ne nous démontriez que c'est une erreur, nous restons partisans d'un accord global dans lequel on examine bien ce qu'apporte chacun.

Ce double équilibre que nous recherchons, entre les priorités des participants et entre les priorités des participants et entre les sujets de négociations, sera au coeur du mandat que nous entendons donner à la Commission européenne qui négociera pour l'Union européenne.

Pour cette raison, les objectifs auxquels nos partenaires communautaires semblent tenir en termes de durée - trois ans - doivent être considérés comme secondaires par rapport à la substance de ce que nous allons discuter. Nous essaierons d'adapter la durée au contenu, et non le contraire. C'est une position que j'ai rappelée très fermement à mes collègues européens, à Berlin, le mois dernier.

J'en arrive au contenu des négociations proprement dit.

Il faut distinguer les sujets traditionnels - ceux de

« l'agenda incorporé », l'agriculture, les services ainsi que les iniatives qui seront prises dans le domaine tarifaire - et les nouveaux sujets qui concernent la « régulation ».

L'agenda incorporé : ce sont les thèmes de négociations dont tous les membres de l'OMC sont convenus, depuis Marrakech et Singapour. Ils doivent faire l'objet de nouvelles négociations à partir de l'an 2000 : ce sont les services et l'agriculture.

Comme vous le savez, la France est le deuxième fournisseur au monde, en matière de services. Les milieux professionnels font état d'intérêts très différents selon les secteurs ; nous avons besoin de plus d'ouverture dans des domaines tels que les services financiers, les télécommunications, l'environnement.

M ais dans d'autres domaines, la réglementation communautaire nous fixe des contraintes que nous devrons respecter pour ne pas affaiblir la construction européenne que nous continuerons à mener en parallèle.

Je pense, en particulier, au secteur des professions juridiques, de l'édition, du transport ou de l'énergie.

Il doit être clair que les services publics tels que l'éducation ou la santé ne seront pas touchés par la négociation.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

A ce propos, je veux lever une ambiguïté qui concerne le secteur de l'audiovisuel. On entend dire parfois que, compte tenu des nouvelles technologies, notre exception audiovisuelle perdrait de sa pertinence. Il faut bien comprendre ce qu'est cette exception culturelle. L'objectif n'est pas du tout de fermer nos frontières, qui sont et resteront largement ouvertes. Notre souci est seulement de garder le


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droit de soutenir et de réguler, par les moyens de notre choix, notre secteur audiovisuel, parce que la diversité culturelle est un objectif primordial.

Face au foisonnement des nouvelles technologies, qu'il s'agisse de la vidéo sur Internet ou de la diffusion par satellite, nous devons être prêts à faire évoluer les modalités de soutien à l'audiovisuel en tant que de besoin.

Dans ce contexte, il est évidemment impossible de désarmer notre exception culturelle dans son acception la plus large.

Le second volet de l'agenda incorporé est constitué par la négociation agricole.

Une évolution importante provient de la reconnaissance progressive du caractère central du principe de multifonctionnalité, pour appréhender l'évolution de l'agriculture dans les prochaines années.

Car l'agriculture, c'est d'abord une activité de production, mais avec des implications majeures pour l'environnement, l'occupation de l'espace rural et la qualité de l'alimentation.

Cette spécificité forte, qui se trouve au coeur de la loi d'orientation agricole que vous venez de voter, doit être reconnue dans le contexte de libéralisation des échanges.

C'est autour de cette notion que nous devrons organiser nos principaux objectifs de négociation : la défense de la préférence communautaire et la pérennité des aides directes aux agriculteurs.

La récente réforme de la politique agricole commune détermine les bases de la position de négociation communautaire dans le domaine agricole.

Certaines évolutions devront également être prises en compte, s'agissant par exemple de l'avenir des oléoprotéagineux en Europe alors que sont mises en cause les farines animales.

Mesdames et messieurs les députés, vous pouvez constater que nous tenons compte des problèmes alimentaires récemment rencontrés en Europe. Je remarque d'ailleurs que ces problèmes ne nous valent que des ennuis : j'étais en Corée il n'y a pas longtemps et les Coréens se sont plaints de la qualité de nos poulets, sous prétexte que l'on avait trouvé un peu de dioxine dans les poulets belges ! Mais revenons-en au sujet. Plus largement, nous ne devons pas avoir de complexes pour mettre en cause le comportement de certains de nos partenaires prompts à invoquer les lois de la libre concurrence.

Bien sûr, beaucoup de pays protègent leurs producteurs : monopoles de commercialisation, utilisation de l'aide alimentaire à des fins commerciales, absence de protection des appellations d'origine, aides massives aux agriculteurs américains, etc.

Après les services et l'agriculture, les tarifs. Ce troisième domaine semble faire l'objet d'un assez large consensus.

Nos entreprises nous rappellent que nous avons besoin d'équilibrer la situation, nos tarifs étant en moyenne déjà très bas et les pics tarifaires restant très nombreux chez nos partenaires commerciaux. Je pense en particulier à des secteurs tels que le meuble ou le textile.

J'ai encore vu récemment Charlene Barshefsky, la puissante, dynamique et intelligente secrétaire d'Etat au c ommerce extérieur des Etats-Unis d'Amérique. Au début, elle venait me voir dans mon bureau pour me dire que l'Union européenne bénéficiait de protections tarifaires scandaleuses. Je lui ai dit que ce n'était pas vrai, que nous avions fait les calculs et que les Etats-Unis d'Amérique se protègent davantage que l'Union européenne.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Je lui ai proposé de lui fournir les chiffres. Et depuis, j'ai une Charlene charmante qui ne me parle plus de ce sujet.

(Sourires.)

Mais il faudra bien revoir les tarifs de protection, notamment dans le domaine du textile.

Hormis les services, l'agriculture et les tarifs, nous devrons traiter des « nouveaux sujets ». C'est probablement l'un des points qui ressort le plus nettement des discussions que nous avons eues au cours des six derniers mois.

Nous avons longuement parlé d'environnement, de protection des consommateurs, de normes sociales, de marchés publics, de concurrence ou d'investissement.

L'investissement tout d'abord.

Les flux d'investissements français à l'étranger et étrangers en France ont été multipliés par six entre 1986 et 1998.

Nous sommes un puissant pays investisseur à l'étranger, le troisième au monde. L'investissement est désormais l'un des vecteurs de la mondialisation.

Ce n'est pas forcément une catastrophe. Je rappelle toujours qu'un quart de l'industrie française est possédée par des capitaux étrangers et que ce quart est à l'origine du tiers de nos exportations. Il créé donc de l'emploi en France.

Il doit bien sûr continuer à se développer mais avec des règles multilatérales. C'est important pour nos entreprises qui sont freinées dans leurs projets d'investissements en raison de discriminations au profit de leurs concurrentes. C'est important aussi pour les pays en développement qui ont besoin d'investissements directs pour financer leur croissance. Il faut bien voir en effet qu'il faut qu'un pays en voie de développement exporte pour que nous puissions espérer qu'il paye un jour les produits plus sophistiqués que nous lui fournissons.

La discussion de l'AMI a été l'illustration de ce qu'il ne faut pas faire :...

M. Yves Cochet.

Absolument !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

... un accord entre pays développés, trop ambitieux, attentatoire à la souveraineté nationale, qui menaçait notre exception culturelle et contredisait les efforts que nous voulions faire pour promouvoir les normes sociales et l'environnement.

Mais nous ne pouvons en rester là.

Il faut engager des discussions à l'OMC sur ce sujet avec pour premier objectif de rallier les pays en développement à l'idée d'une négociation, ce qui suppose que le champ de la discussion soit étroitement délimité.

Nous devrons rechercher surtout des garanties de nondiscrimination en matière d'accès, ce qui ne signifie pas une obligation d'ouverture, mais simplement un traitement égal de tous les pays tiers.

Par ailleurs, le droit des Etats à réglementer l'investissement dans leur pays ne doit pas être mis en cause. Il faudra insister sur les droits mais aussi sur les responsabilités des investisseurs. La définition même de l'investissement devra être stricte.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !


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M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Un autre sujet important sera celui de la transparence dans les marchés publics, c'est-à-dire de la lutte contre la corruption. Si on rend publics les appels d'offres des marchés publics, on diminue automatiquement la corruption.

Il faut pour cela veiller à une certaine publicité. On le sait en France. Il n'y a pas de raison qu'on ne le fasse pas dans les autres pays de l'Union européenne et, plus largement, dans les pays adhérents à l'OMC.

Il faut aussi ouvrir des négociations sur la concurrence à l'OMC. Cela peut susciter la crainte de voir l'organisation mondiale du commerce usurper son rôle et pénétré dans le droit économique des Etats. J'aimerais, pour dissiper ces réticences éventuelles, rappeler quelques éléments.

En premier lieu, nos entreprises rencontrent souvent à l'étranger des pratiques qui nuisent à nos exportations ou à nos investissements : réseaux de distribution opaques, refus de vente, ententes des concurrents sur les prix, etc.

En deuxième lieu, on a bien vu avec la crise en Asie que les pays de cette région du monde auraient eu intérêt à ce que quelques grandes entreprises locales qui privilégient les parts du marché aux dépens de leur équilibre financier soient surveillées davantage en amont par un droit de la concurrence efficace.

Enfin, les pays en développement constatent que la communauté internationale en tant que telle se trouve démunie face à des multinationales qui sont tentées parfois de s'organiser en cartels pour contrôler le marché mondial.

Le nouveau cycle, si ce thème de négociation s'y trouve inclus, pourrait voir une première étape avec deux volets.

Premier volet : on se mettrait d'accord pour établir un socle de règles minimales pour lutter contre les pratiques les plus anticoncurrentielles.

Second volet : les Etats qui en sont dépourvus s'engageraient à mettre en place des autorités indépendantes de la concurrence qui collaboreraient avec celles qui existent déjà dans d'autres pays.

On pourrait enfin intégrer la concurrence dans l'examen des politiques commerciales des Etats-membres de l'OMC pour vérifier la mise en oeuvre de ces engagements.

Après avoir passé ces deux sujets en revue, j'en arrive à l'environnement.

Comme l'a rappelé récemment Dominique Voynet, il n'y a pas opposition entre libéralisation et protection de l'environnement et il n'y a pas de corrélation entre protectionnisme et protection de l'environnement.

Mais on doit sûrement mieux harmoniser régulation des échanges et développement durable.

Il faut faire preuve de ce qu'on pourrait appeler une méthode douce.

Le thème de l'environnement, vous le savez, suscite une certaine méfiance de la part des pays en développement, majoritaires à l'OMC, qui craignent qu'on leur impose de trop fortes contraintes.

Il est donc important de continuer à avancer. Un groupe de travail existe d'ailleurs déjà à l'OMC.

Il y a plusieurs pistes.

Première piste : clarifier les rapports entre accords multilatéraux sur l'environnement et OMC.

Cela ne nécessite pas forcément un changement des textes mais au moins un consensus pour que les clauses des accords sur l'environnement ne se voient pas opposer les règles générales de l'OMC.

On pourrait, par exemple, envisager que les plaintes à l'OMC qui mettraient en cause un accord sur l'environnement soient jugées irrecevables.

Deuxième piste : favoriser les systèmes d'écolabels qui prennent en compte le caractère respectueux de l'environnement du produit dans sa globalité, sa fabrication, son usage, son élimination, bref, si vous me permettez l'expression, du « berceau à la tombe ».

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Merci.

Il faut assurer leur compatibilité avec le règlement sur les obstacles au commerce de manière à pouvoir en développer l'usage.

La troisième piste est plus ambitieuse. On pourrait envisager de déroger à la clause de la nation la plus favorisée pour donner des facilités commerciales aux produits respectueux de l'environnement.

M. Yves Cochet.

Les bananes OMC !

M. le secretaire d'Etat au commerce extérieur.

Non, je ne parlerai pas des bananes.

C'est plutôt un objectif de moyen terme. Mais c'est un objectif dont il faut se souvenir.

A plus brève échéance, on pourrait développer les régimes spéciaux d'encouragement au sein du système de préférences généralisées, comme l'Union européenne l'a déjà fait en faveur de la forêt tropicale.

Enfin, quatrième piste : je crois que l'on pourrait libéraliser les technologies, les biens et les services qui permettent de protéger l'environnement afin de faciliter leur circulation et leur diffusion.

Parallèlement à ces propositions, je voudrais évoquer le principe de précaution au sein de l'OMC. C'est un sujet complexe sur lequel j'organiserai à la rentrée une réunion de travail « ouverte ».

S'il ne faut pas tomber dans les peurs de l'an Mil, on ne peut pas non plus ne rien faire. Il y a un équilibre à trouver et des erreurs seront forcément commises. Mais entre professionnels et gens soucieux qu'on ne fasse pas n'importe quoi, on doit arriver à trouver un modus vivendi français, que l'on s'efforcera ensuite de défendre dans les instances du commerce mondial.

Il faut, bien sûr, préserver la santé du consommateur mais il faut aussi tenir compte du fait que celui-ci souhaite que les prix soient en rapport avec ce qu'il gagne.

Je ferai pour l'heure quelques observations.

Première observation : l'OMC dans son accord sur les normes sanitaires et phytosanitaires - l'accord SPS - a admis la légitimité de politiques de précaution.

Un Etat peut interdire des importations si une minorité d'opinions scientifiques considère qu'il y a un risque, même faible, pour la santé ou que ce risque ne peut être évalué.

L'OMC ne permet donc pas l'importation de n'importe quel produit n'importe où. Un Etat peut s'inquiéter de la santé de ses nationaux et, s'il a des doutes, interdire certaines importations. Toutefois, il ne peut pas interdire éternellement sans motifs sérieux.

Deuxième observation : l'état de la jurisprudence de l'organe des règlements des différends est parfois critiqué parce que l'accord SPS impose, pour interdire l'importation d'un produit, qu'on identifie un risque pour la santé : c'est le problème de la charge de la preuve.

M. Yves Cochet.

Voilà ! Il faut l'inverser !


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M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

C'est un problème compliqué. On peut l'inverser la charge de la preuve, mais on doit en discuter au préalable.

Certes, tout n'est pas parfait, mais je dois attirer votre attention sur un point important.

Quand on évoque le principe de précaution, on pense spontanément qu'il peut aider à se protéger de quelque chose de potentiellement dangereux venant de l'extérieur.

Mais il faut considérer aussi son utilisation par les autres contre nous, contre nos produits.

Si, animé par de purs motifs protectionnistes, un Etat se réclame du principe de précaution, il est préférable que ce soit à lui de justifier sa position. En conséquence, quand on demande que soit inversée la charge de la preuve ; il faut distinguer selon les cas.

Troisième et dernière observation : la position du Gouvernement dans ce domaine n'est pas de faire de l'OMC le juge mondial de la sécurité et de la santé du consommateur.

Dans l'avenir, je le répète, on peut envisager que l'OMC se contente de reconnaître les normes contenues dans les accords sur l'environnement ou la santé comme elle le fait aujourd'hui avec le Codex alimentarius.

Telles sont les observations que je voulais faire sur ce sujet important. Nous en discuterons à nouveau dans le cadre d'une réunion de travail. J'espère vous avoir montré qu'en ce qui concerne le principe de précaution l'OMC ne mérite ni un excès d'honneur ni un excès d'indignité.

Mon dernier thème concerne les normes sociales avec une attention particulière pour le problème du travail des enfants,...

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

... notamment sous ses formes les plus intolérables qui viennent d'être dénoncées à l'OIT. Il y a des pays où l'on fait travailler les enfants dans des conditions très difficiles, les empêchant par là même d'apprendre à lire et à écrire.

Plus de 100 millions d'enfants sont concernés. Cela mérite vraiment que l'on y réfléchisse.

Comme l'a rappelé Lionel Jospin, lundi, à la conférence européenne sur le développement, l'histoire récente a montré que le développement du droit social, la protection des travailleurs, les programmes éducatifs, n'étaient pas le fruit naturel de la croissance économique mais, au contraire, une de ses conditions.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le sécrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Il n'est donc pas du tout dans notre esprit d'attendre béatement que la libéralisation des échanges engendre le progrès social dans les pays en développement.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Néanmoins, je retiens de la réunion de concertation que j'ai menée sur ce sujet qu'une approche graduelle devrait être efficace.

M. Jean-Claude Lefort.

Bien sûr !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Elle ne passera pas par des sanctions commerciales directes à l'encontre des pays qui ne respectent pas les normes sociales - sauf peut-être dans les cas extrêmes. Elle devra plutôt user de mesures incitatives, en particulier des facilités commerciales supplémentaires pour les pays qui font de leur mieux. C'est déjà le cas au sein du système de préférences généralisées.

M. Yves Cochet.

Il y a quand même un minimum !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Oui, il faut un minimum.

Je donne deux exemples. Alors que le PIB par habitant est à peu près le même au Vietnam et aux Indes, 90 % des enfants savent lire et écrire au Vietnam pour un enfant sur deux aux Indes. C'est donc bien aussi une question de volonté politique.

Il faut donc prévoir des mesures incitatives.

J'ajoute deux choses.

D'une part, la société civile a un grand rôle à jouer dans ce domaine : établir avec les entreprises des labels sociaux fiables.

D'autre part, je crois que les normes sociales sont un sujet prioritaire pour la concertation entre les organisations internationales, non pas seulement entre l'OMC et l'OIT mais aussi entre ces organisations et le FMI et la Banque mondiale.

Le souhait du Gouvernement est d'établir une sorte de conditionnalité incitative tant aux différents programmes d'aides qu'aux facilités commerciales.

Je voudrais faire une ultime remarque qui concerne mes deux derniers sujets : l'environnement et les normes sociales. Sur ces thèmes, comme sur d'autres, vous savez que le souci du Gouvernement est de mieux travailler avec la société civile, les associations et les ONG.

Et, sur les thèmes commerciaux, je crois, à l'issue des concertations que j'ai menées, que les points de vue sont assez proches : on diffère parfois plus sur la tactique que sur la stratégie.

Je constate, par contre, que certains gouvernements sont parfois un peu décalés par rapport à leurs opinions publiques sur les « nouveaux sujets » de l'OMC.

Je serais heureux que, grâce aux contacts avec leurs associations et leurs ONG, certaines administrations étrangères qui restent traditionnelles ou timides dans leur approche des négociations commerciales du nouveau cycle, évoluent elles aussi, et que le dialogue entre associations de différents pays puisse les y aider.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, comment le Gouvernement envisage les prochaines négociations et détermine ses principaux objectifs.

Je ne vous cacherai pas que les négociations seront difficiles et demanderont beaucoup de méthode et de fermeté. Mais les positions que je vous ai présentées, qui seront enrichies par le débat d'aujourd'hui et ceux que nous aurons ultérieurement en commission, me semblent équilibrées. Elles correspondent aux intérêts des agriculteurs, des créateurs, des salariés et des entreprises de notre pays, pour plus de croissance et plus d'emploi (car elles sont favorables à la croissance et à l'emploi).

Nous avons tiré profit de la libéralisation des échanges et il n'y a aucune raison, étant donné, en particulier, les capacités scientifiques et technologiques de notre pays, qu'il n'en soit pas de même dans l'avenir.

Mais les positions françaises correspondent également aux intérêts plus globaux des membres de la communauté internationale.

Quand nous défendons l'exception culturelle, nous défendons nos artistes et nos créateurs mais aussi les artistes et les créateurs du monde entier qui doivent échapper à la pure logique marchande.

Quand nous parlons de la multifonctionnalité de l'agriculture, c'est pour faire reconnaître la spécificité de l'agriculture en Europe mais aussi, comme l'a bien souligné


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Jean Glavany, pour encourager d'autres pays à faire les bons arbitrages dans leur politique agricole pour lutter contre l'exode rural et la dégradation de l'environnement.

Il en va de même, je vous l'ai dit, pour les nouveaux sujets, notamment les normes sociales ou l'environnement : il ne s'agit pas de nous protéger en cherchant à imposer des contraintes aux plus faibles mais d'aider ces derniers à aller dans la direction d'un développement durable sur le plan économique et social.

Nos positions à l'OMC correspondent donc aux intérêts de nos concitoyens comme à la vocation de notre pays à éclairer les chemins d'un monde plus juste. Elles expriment, dans le domaine du commerce, une vision plus large, rappelée avant-hier par Lionel Jospin, vision qui est au coeur du rôle privilégié que joue en ce moment la France sur les grands sujets économiques internationaux : la lutte contre les paradis fiscaux ; le combat contre la corruption ; l'allégement de la dette des pays les plus pauvres ; un meilleur fonctionnement des institutions financières internationales.

Je souligne en particulier sur ce point le souci de Dominique Strauss-Kahn de faire jouer un rôle préventif et pas seulement curatif au FMI et d'orienter encore davantage les activités de la banque mondiale en faveur des superstructures : réformes administratives, systèmes d'éducation et de santé.

Tout cela va dans le même sens, celui d'une régulation équilibrée de la mondialisation. L'OMC peut y apporter sa contribution. Son bilan est positif. Son fonctionnement doit être amélioré. Ses règles doivent être complétées.

Mais j'ai la conviction que cette organisation n'engendrera pas, comme peuvent le craindre certains, « une organisation commerciale du monde ». Au contraire, elle peut nous aider, si nous en prenons les moyens, à faire émerger un droit de l'économie qui assure la prospérité de chacun, la justice et le respect de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens d'abord à remercier le Gouvernement d'avoir relayé la demande du groupe RCV en organisant ce débat, qui est une première dans cette maison. Il est d'une extrême importance que les parlementaires puissent avoir leur mot à dire sur les négociations multilatérales qui, jusqu'à présent, se sont poursuivies dans une certaine opacité, depuis les accords de Marrakech, et qui engagent pourtant tous les secteurs de l'activité humaine.

Il y va de la réhabilitation de la crédibilité du politique et du ressaisissement à opérer face aux diktats des marchés.

Nous sommes aujourd'hui, vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, à la veille d'un nouveau cycle de négociations extrêmement important. Et je crains qu'une sorte de privatisation du monde ne s'engage. Mais je ne veux pas croire qu'elle soit inexorable. Hélas, il y a quelques signaux clairs et je prendrai à cet égard un exemple emblématique. Ainsi, vous le savez, le sommet de Seattle s'ouvrira, dans quelques mois, sous l'égide de la Seattle Hosting Organisation, présidée par M. Bill Gates et la firme Boeing ! Evidemment, cela nous agace un peu. Cela agace aussi Airbus, mais pour d'autres raisons. (Sourires.)

Je ferai trois constats critiques et sept propositions.

Le premier constat critique concerne le déficit démocratique qui caractérise l'institution OMC et les processus de négociations préalables. L'OMC, mais aussi l'OCDE, on l'a bien vu pendant la préparation de l'AMI, ont l'air de craindre la transparence, la démocratie, l'ouverture.

Sous l'égide de ce qu'on appelle la « quad », qui réunit les Etats-Unis, le Canada, le Japon, l'Union européenne, M. Leon Brittan, qui est à la fois commissaire tout en n'étant plus commissaire mais en l'étant encore, continue à se promener à travers le vaste monde en faisant des propositions au nom de la Commission, au nom de l'Europe et donc, du même coup, au nom de la France.

Il y a là quelque chose d'un peu troublant.

Ma deuxième critique concerne le caractère partial du mécanisme de règlement des différends. Car la spécificité de l'OMC par rapport au GATT est d'avoir institué son propre organe de règlement des différends ; les décisions des panels établissent d'une certaine manière une jurisprudence, un droit internationnal du commerce. Mais on constate que, depuis l'origine, tous les litiges comportant des aspects environnementaux, de santé publique, ou même sociaux, ont été tranchés la plupart du temps sans égard pour ces derniers, ce que nous regrettons.

Troisième critique, la stratégie de verrouillage, de confidentialité, tant en termes de mécanismes que de substance. Je ne m'étendrai pas sur les mécanismes.

Concernant la substance, on sait que les accords commerciaux existants portent sur l'agriculture, les services et la propriété intellectuelle. Or M. Leon Brittan propose d'ajouter énormément de domaines, qui sont parfois soumis à la loi du plus fort : la réduction des tarifs industriels, la facilitation du commerce, les politiques de c oncurrence, l'investissement, les relations entre commerce et environnement ou entre commerce et normes sociales. Voilà qui me fait craindre, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'OMC devienne l'Organisation c ommerciale du monde, par cette ouverture sur l'ensemble des domaines de l'activité humaine.

Face à tous ces risques, je ferai rapidement sept propositions.

La première, vous l'avez dit vous-même, il conviendrait de dresser un bilan des accords de Marrakech. Celui-ci doit être contradictoire. L'OMC doit présenter le sien, m ais aussi l'Union européenne, le Parlement, bien entendu, et les ONG. Ainsi, nous aurons une vision contrastée de ce qui s'est passé depuis six ans.

Notre deuxième proposition, dans la mesure où nous sommes très sceptiques sur l'élargissement du cycle du millénaire aux « nouveaux domaines » est de la refuser.

En effet, le gouvernement français, il y a un peu plus d'un an, proposait de tranférer les négociations de l'AMI à l'OMC plutôt qu'à l'OCDE. Pour l'instant, la négociation est assez opaque et un cycle de bilan, ce que l'on appelle en anglais le round assesment, serait préférable à un cycle élargi aux domaines proposés par M. Brittan.

Troisième proposition : l'OMC n'a pas vocation à être l'arbitre de tous les conflits, notamment en matière d'environnement, de biodiversité ou de normes sociales.

Vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, mais j'y insiste, l'autonomie des accords multilatéraux pour l'environnement, les AME, doit être reconnue, ainsi que la nécessité de négocier dans d'autres enceintes que l'OMC les règles régissant les grands sujets environnementaux : effet de serre ou biodiversité, par exemple.

L'OMC ne doit pas discuter de tout. Aussi, sur la question de la brevetabilité du vivant qui constitue un sujet majeur, je ne pense pas qu'on puisse discuter d'un thème


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aussi fondamental, j'allais dire anthropologique, uniquement sous un aspect commercial. A propos de brevetabilité, d'ailleurs, j'ajouterai celle des logiciels, qui sera débattue dans quelques jours. La puissance américaine veut évidemment protéger, alors que nous, nous sommes plutôt pour des logiciels ouverts et libres comme Linux je ne fais pas de publicité, car il ne s'agit pas d'une marque déposée.

En matière agricole, cette question se révélera essentielle pour l'évolution du statut des agriculteurs, notamment au regard de la dépendance qu'elle pourrait impliq uer à l'égard des grandes firmes productrices de semences.

On le voit avec la commercialisation de semences stériles comme « Terminator » ! Les grandes firmes productrices de semences auraient le monopole et les agriculteurs ne pourraient donc pas ressemer ! Quatrième proposition : l'OMC doit reconnaître les grands principes environnementaux.

Vous en avez cité quelques-uns, monsieur le secrétaire d'Etat, notamment le principe que nous essayons de mettre en oeuvre dans le domaine de l'agriculture, mais aussi dans celui des transports avec la TGAP, ce qu'on a essayé de faire dans l'an I de la fiscalité écologique. L'an prochain, il y aura l'an II.

Le deuxième principe, c'est le principe de précaution et le troisième, l'approche du berceau à la tombe des produits, avec les écolabels.

S'agissant du principe de précaution, celui-ci doit être invoqué dès lors qu'il existe un risque de dommage grave ou irréversible. J'insiste sur la coordination « ou » et non pas « et » de telle manière que ce principe puisse être évoqué dans l'un ou l'autre cas et qu'il ait une portée opérationnelle. Je vous ai à cet égard fourni une petite note qui essaie de rendre opérationnel le principe de précaution.

Pour que ce principe ait une portée, et je le souhaite comme vous, il doit conduire à renverser la charge de la preuve pour la faire peser sur les pétitionnaires voulant d iffuser un nouveau produit qui devront prouver l'absence de risque grave ou irréversible, car les plaignants n'ont, bien souvent, pas les moyens de faire leurs propres analyses.

Cinquième proposition : il faudrait « déconnecter » l'OMC du règlement des contentieux. Comment l'OMC peut-elle être son propre juge ? C'est troublant. Il faudrait donc réfléchir au transfert de la compétence du règlement des différends à la Cour de justice internationale, instaurée par la charte des Nations unies au lendemain de la guerre et dont le siège est à La Haye. Ce transfert pourrait prendre la forme d'un recours en cassation porté devant une chambre spécialisée de la Cour de justice internationale. La jurisprudence de l'OMC rentrerait ainsi dans le giron du droit international général, ce qui étendrait le champ des références juridiques.

Sixième proposition : il ne faut évidemment pas refaire le cycle de l' Uruguay Round.

Le prochain cycle des négociations ne doit pas être réduit à un affrontement entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur la politique agricole. Il faut associer l'ensemble des pays, notamment les pays en voie de développement, car ils sont un des enjeux majeurs des prochaines négociations.

La proposition concerne la démocratie. Le débat d'aujourd'hui est une première, mais j'espère que, dans le futur le plus immédiat, comme vous l'avez suggéré, monsieur le secrétaire d'Etat, le Parlement sera associé à la négociation des conventions internationales et à la délégation française lors des négociations à l'OMC. Il n'est pas i nimaginable, par exemple, que les présidents des commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que des commissions compétentes, la commission des finances par exemple, soient associés au suivi des négociations de l'OMC qui s'étaleront sur un certain nombre d'années et que le Parlement dispose d'un rapport d'information.

En conclusion, il convient de cadrer le mandat de la Commission européenne, car c'est elle qui nous représentera, la France n'étant pas directement associée aux négociations de l'OMC, et d'associer plus étroitement le Parlement européen, nouvellement élu, à la négociation dans la mesure où sa consultation dépend malheureusement du bon vouloir de la Commission et du Conseil.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. le président.

J'ai noté qu'il fallait un peu plus d'une minute pour faire une proposition. M. Gaillard, qui dispose de vingt minutes, pourra donc faire une quinzaine de propositions.

(Sourires.)

M. Claude Gaillard.

Je ne sais pas si la qualité du débat se mesurera au nombre de propositions, monsieur le président ! Pour notre part, nous considérons que ce débat est l'occasion de faire le point sur cette question de fond car, contrairement aux apparences, il s'agit d'un sujet éminemment politique.

C'est la raison pour laquelle je ferai en préambule quelques réflexions d'ordre politique sur un sujet économique. Nous vivons dans une économie de marché. Le groupe UDF souhaite que nous nous inscrivions dans le libre-échange. Cela dit, celui-ci doit être organisé par un ensemble de règles, des règles asymétriques, comme vous l'avez dit, celles régissant les pays riches entre eux par rapport à celles régissant les pays riches et les pays pauvres, et des règles de réciprocité et loyauté : tout un programme ! Le libre-échange, comme le dirait un prix Nobel, ne doit pas être le « laisser-fairisme », où le ou les plus fortsr ègnent de façon complètement hégémonique, où l'économie prime tout le reste et où l'homme n'est que la variable d'ajustement dans une société qui aurait perdu son sens.

C'est pourquoi la mondialisation ne peut être la nouvelle religion des temps modernes. Elle ne peut être qu'un constat objectif de l'évolution, notamment d'une évolution fulgurante et parfois vertigineuse des technologies qui réduisent jusqu'à les supprimer les distances et le temps ; tout, tout de suite, en temps réel.

Face à ce constat, monsieur le secrétaire d'Etat, la politique doit prendre toute sa place, car la politique est l'art de gérer la cité. Or, la planète devenant un village, il est grand temps de remettre progressivement les choses à l'endroit. Ce débat doit permettre à la France de convaincre l'Europe de l'enjeu sociétal et de veiller au bon déroulement des négociations qui commenceront à Seattle. Je suis convaincu qu'il nous faut un regard multiple, car, face à un monde complexe, seule la multiplicité des regards permet de bien voir. Telle est la seule ambition de notre contribution.

Pour ce débat, j'ai retenu trois approches : géopolitique, globale avec un aspect social et environnemental et thématique.

Je limiterai l'approche géopolitique à nos relations avec les pays du Sud et à leurs problèmes. La France a toujours été très vigilante dans ses relations avec les pays du


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Sud et elle s'est toujours sentie très engagée. Elle se doit donc de plaider, auprès des partenaires européens, leur cause. La libéralisation totale des échanges se traduirait en effet par un désastre économique pour les pays du Sud dont l'Europe et la France seraient d'ailleurs les premières victimes, dès lors que 60 % des exportations de ces pays se dirigent vers l'Union européenne. Mais au-delà de ce simple aspect commercial, nous ne pouvons accepter que des pays qui se trouvent à nos portes, qu'il s'agisse du Mahgreb ou de l'Afrique, soient dans la misère, sans prendre plusieurs risques ! Le risque d'un embrasement de ces régions - il y en a déjà , le rique de départs massifs de populations vers l'Europe, le risque que ces pays, abandonnés par l'Europe, ne se tournent vers les EtatsUnis, qui - il faut le constater avec lucidité - mènent un jeu compliqué sur la scène politique africaine afin de déstabiliser la présence européenne et gagner de nouveaux débouchés, notamment pour leur industrie agro-alimentaire.

Pour éviter ce scénario catastrophe qui ne relève en rien de l'économie-fiction, l'OMC ne doit pas obliger ces

Etats à ouvrir leurs frontières à n'importe quel prix. Les pays d'Afrique et les pays tiers-méditerranéens connaissent aujourd'hui d'énormes problèmes d'investissement : le Maghreb représente 0,3 % de l'investissement mondial et l'Afrique moins de 1 %. Or ces pays vont être confrontés à des défis importants dans les prochaines années. Les pays tiers-méditerranéens, en raison des accords de partenariat euro-méditerranéens, vont devoir ouvrir leurs frontières sur une douzaine d'années aux produits industriels de l'Union européenne.

En ce qui concerne les pays d'Afrique, la prochaine convention de Lomé, en mars 2000, risque d'obliger ces

Etats à ouvrir leurs frontières pour respecter les règles de l'OMC, et ainsi balayer les accords entre Etats ACP, Afrique, Caraïbe, Pacifique.

Compte tenu de la situation économique de ce continent, la France doit adopter une position ferme visà-vis de ses partenaires européens pour que, dans le cadre des prochaines négociations de l'OMC, la communauté internationale donne le temps nécessaire à ces pays, avant de les contraindre à l'ouverture de leurs frontières.

Pour l'Afrique, il faudrait prévoir une période transitoire avant de leur appliquer pleinement les accords de l'OMC, sous peine d'une paupérisation plus grande.

Permettez-moi quelques mots sur les relations DOMACP.

L'OMC permet qu'un ou plusieurs Etats soit favorisé grâce à un traitement différencié si celui-ci est un pays en voie de développement. Le Tokyo Round du GATT a ainsi prévu plusieurs accords multilatéraux annexés à l'OMC, dont la convention de Lomé.

Les pays ACP ont donc accès au marché de la Communauté, donc des DOM, sans restrictions quantitatives et en franchise de douane, à l'exception des fillières banane, sucre et rhum.

L'inverse n'étant pas vrai, les produits des DOM sont taxés dans les pays ACP de la même manière que s'ils étaient produits sur le continent européen et avec les mêmes restrictions quantitatives.

Depuis le 30 septembre 1998, s'est engagée la négociation des accords « Lomé V ». Parallèlement, le Parlement européen a confié la rédaction d'un rapport à Blaise Aldo contenant de nombreuses propositions, dont la reconnaissance plus prononcée des particularités des DOM en introduisant notamment la notion de « réciprocité » dans les échanges entre les DOM, devenus zones ultrapériphériques prioritaires, et les pays ACP.

L'UDF invite donc le Gouvernement à suivre les recommandations de ce rapport parlementaire afin que puisse être mise en oeuvre une réelle politique de coopération régionale à partir des DOM et que les efforts faits pour promouvoir l'implantation d'entreprises dans ces régions puissent porter leurs fruits.

Deuxième approche, l'approche globale avec son volet social et environnemental.

S'agissant du volet social, je n'aborderai qu'un point : le travail des enfants qui est également lié à la mondialisation des échanges et à l'approfondissement de la concurrence internationale. Il est souvent affirmé que plus un pays est intégré dans l'économie mondiale, plus la situation sociale et économique de sa population s'améliore. Les cas de la Corée et de Hong Kong sont souvent cités comme exemple. C'est sans doute exact à long terme si certaines garanties économiques et sociales sont respectées.

Mais, à court terme et moyen terme, il est largement démontré que la ruée mondiale vers la compétitivité aspire plus encore les enfants des pays en développement dans le monde du travail.

La mondialisation pousse les entreprises multinationales à délocaliser une partie de leurs activités. C'est ainsi qu'une partie significative des activités industrielles et agricoles de nombreux pays en développement est contrôlée par des sociétés transnationales.

Toute action radicale menée contre l'exploitation des enfants est rendue encore plus difficle en raison de la mondialisation du commerce.

Les pays en développement, afin de faire face à la concurrence, cherchent à tirer parti d'une de leurs ressources : une main-d'oeuvre bon marché.

On aborde là un des problèmes essentiels - et vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat - concernant le t ravail des enfants, qui explique la divergence des approches entre, d'une part, les pays occidentaux et, d'autre part, les pays en développement. Dans les pays occidentaux, où l'enfance est définie comme l'antithèse même de toute exploitation, les réactions sont plutôt d'ordre moral.

Dans les pays en développement, le travail des enfants relève surtout d'une préoccupation économique.

Cependant, les enjeux du travail des enfants pour les pays en développement ne sont pas seulement positifs. En effet, plus le nombre d'enfants travaillant est important, plus leur scolarisation est faible, plus le pays augmente son retard économique ; et nous alimentons ainsi la spirale infernale.

En outre, on ne peut sous-estimer les conséquences de ce travail en termes de santé publique. La mondialisation des échanges montre donc qu'il s'agit d'un problème particulièrement complexe où intérêts des pays occidentaux et intérêts des pays en développement s'opposent sur certains points pour se retrouver sur d'autres.

Ainsi doit émerger, vous l'avez dit, un débat sur l'opportunité d'introduire une clause sociale dans les rapports commerciaux internationaux. Mais, pour certains, un des moyens de lutter contre le travail des enfants serait, dans le cadre de l'OMC, de mettre en place une forme de conditionnalité sociale : d'une part, les pays qui ne respectent pas certaines normes sociales de base seraient écartés des relations commerciales préférentielles et se ver-


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raient imposer des droits de douane compensateurs ; d'autre part, les pays qui respectent ces normes bénéficieraient d'avantages suppplémentaires.

En ce qui concerne le deuxième volet, les normes environnementales, je me bornerai à dire que, s'il est important de commercer, il est aussi important de protéger notre patrimoine commun. Je souhaite que les dégradations des milieux, la pollution sous toutes ses formes trouvent leur place dans nos préoccupations. J'ai retenu à cet égard votre idée d'« écolabel », c'est-à-dire d'encouragement des produits qui répondraient au critère environnemental. Je souhaite que cette philosophie nous habite, là aussi de façon asymétrique, de telle façon que les pays industrialisés soient contraints de faire des efforts beaucoup plus importants que les autres et qu'on aboutisse à un rythme acceptable par tous.

Troisième volet : le regard thématique ou sectoriel.

Pour les services, je prendrai l'exemple de l'audiovisuel.

Dans ce secteur, les enjeux sont considérables car, demain, l'industrie de l'audiovisuel et toutes celles liées à la communication ne se contenteront pas de créer emplois et richesses, elles décideront du rayonnement, donc de la puissance d'une civilisation. Nous sommes face à un immense Monopoly virtuel, et il est à craindre que le marché mondial de l'audiovisuel et de la communication ne passe un jour sous le contrôle de quatre grands opérateurs transnationaux, tous anglo-saxons d'ailleurs. Il y a quinze ans à peine, aucune chaîne de télévision américaine n'était diffusée en Europe. Aujourd'hui, elles sont une cinquantaine. L'Europe est devenue l'eldorado des grandes majors américaines, qui y réalisent 80 % de leur chiffre d'affaires cinématographique et dont les téléfilms représentent 60 % des programmes de fiction sur les chaînes européennes.

Ne rien faire, c'est accepter les risques d'une concentration excessive du pouvoir audiovisuel ; c'est accepter le principe d'une hégémonie culturelle, lente mais sûre érosion des diversités artistiques et intellectuelles ; c'est accepter l'émergence d'une civilisation mondialisée et uniformisée, reflet inquiétant de la nouvelle économiemonde.

Comme l'a écrit le président de mon groupe, Philippe D ouste-Blazy, « les civilisations n'existent que dans l'échange et la confrontation. Sacrifier la diversité culturelle sur l'autel de la nécessité économique, c'est renoncer à notre identité et à ce qui explique et justifie l'Europe : une culture commune. »

Les évolutions technologiques connues - compression numérique, diffusion par satellite, gigantesques portails d'accès à Internet - et celles à venir rendent ce dossier éminemment politique. Il faut donc, à l'évidence, affirmer le rôle des responsables politiques internationaux dans la définition des règles du jeu communes, et la France doit obtenir que nos représentants européens portent cette conviction.

Après l'audiovisuel, quelques mots sur l'agriculture.

L'Europe doit défendre les enjeux de la politique agricole commune, notamment face aux Etat-Unis, qui semblent inquiets de la part grandissante de l'Union européenne dans le commerce agro-alimentaire mondial.

Il y a quelques années, l'agriculture a fait une entrée remarquée dans le nouvel ordre économique mondial avec l'affaire des oléagineux. Depuis lors, le GATT, aujourd'hui l'OMC, est en quelque sorte considérée comme une arme contre la politique agricole commune.

Les frictions entre l'OMC et l'Union européenne sont nombreuses et passionnelles, comme le montrent le dossier de la viande hormonée, celui des organismes génétiquement modifiés, relancé par l'éventuelle interdiction des farines animales, ou le différend sur la banane.

Depuis le 13 mai, l'Union européenne est en quelque sorte hors la loi puisqu'elle a maintenu l'embargo sur le boeuf américain aux hormones malgré l'arbitrage de l'OMC, qui enjoignait à l'Europe d'ouvrir ses frontières aux importations de viandes américaines ou de présenter une démonstration convaincante du risque encouru par les consommateurs de viandes aux hormones. Le comité scientifique vétérinaire européen a conclu à l'existence d'un risque très réel pour la santé des Européens et a donc proposé le maintien de l'embargo. Le puissant lobby qu'est l'Association nationale des producteurs de boeuf américains a réclamé de fortes compensations et l'Europe doit aujourd'hui négocier une compensation financière.

L'Europe a également été condamnée par l'OMC pour son système d'organisation commune de marché de la banane. Les bananes en provenance des pays ACP entrent sans droits dans l'Union européenne alors que les bananes-dollar, produites par l'Amérique du Sud et vendues par des compagnies américaines, paient un droit de douane. Dans les Caraïbes, la banane est une production clé, et l'Europe ne peut sacrifier l'économie des pays de l'ACP au seul profit des trois compagnies américaines qui commercialisent déjà à bas prix les deux tiers de la production mondiale de la banane. L'OMC a chiffré à près de 200 millions de dollars le manque à gagner pour les

Etats-Unis. Il ne faudrait pas que la décision de l'OMC conduise l'Europe à sacrifier les producteurs ACP.

Autre dossier agro-alimentaire sensible, celui des farines animales, qui touche directement le consommateur. Ces farines ont conduit à l'accident industriel de l'ESB et aujourd'hui à la contamination des poulets, alors que l'on s'interroge déjà sur la consommation des poissons d'élevage et des porcs. Compte tenu de l'inconnue qui pèse sur la composition réelle de ces farines et sur les dommages que leur consommation est susceptible de causer dans la chaîne alimentaire, le gouvernement français - et nous lui en sommes reconnaissants - envisage avec sagesse d'interdire l'utilisation de ces farines.

Cette interdiction, en espérant qu'elle soit acceptée par l'Europe, suppose le recours à des aliments de substitution et donc une augmentation très sensible de la c onsommation d'oléagineux, essentiellement du soja.

Acceptera-t-on le soja américain, dont il est toujours difficile de savoir s'il s'agit de soja génétiquement modifié ou de soja non modifié ? La traçabilité sur le soja paraît en effet hasardeuse. Faudra-t-il envisager, pour préserver la santé des Européens, de nouvelles compensations aux

Etats-Unis si l'Europe refuse les organismes génétiquement modifiés ? Ou bien les Etats-Unis prendront-ils unilatéralement des mesures de rétorsion ? Ces questions intéressent directement les Français, qui comprendraient mal qu'on leur impose la loi du marché international au détriment de leur santé.

D'autre part, la décision prise à Berlin, en mars 1999, de réduire l'aide aux producteurs d'oléagineux, donc d'inciter les producteurs français à produire moins, est-elle pertinente et adaptée ?Ne traduit-elle pas, peut-être, un manque de clairvoyance ? Troisième exemple : l'industrie.

Il n'y a pas d'économie solide sans un socle industriel fort : les Etats-Unis le savent. Une véritable politique commerciale implique la réhabilitation d'une politique industrielle pratiquant le mieux-d'Etat et non pas le plus-


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d'Etat ou, au contraire, le tout-Etat. A cette condition, la diplomatie européenne pourra et saura aider nos exportations.

Or le ministère de l'industrie a disparu dans ce gouvernement. Est-ce rassurant ? Je l'ignore.

Sur le textile, il faudrait, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'on abandonne le principe de négociation suivant : le textile-habillement comme monnaie d'échange dans les négociations multilatérales ou autres. Cela implique certainement qu'on ne remette pas en cause le démantèlement de l'accord multi-fibre, qu'on respecte le calendrier d'intégration du textile-habillement défini dans le GATT ; qu'on n'augmente pas les taux de croissance des quotas restants.

Voilà quelques enjeux du prochain round , dont on ignore encore beaucoup à ce jour, malgré les précisions que vous avez apportées sur le contenu et le calendrier.

Ces enjeux sont, vous l'avez dit, l'introduction de clauses sociales, les normes environnementales, l'avenir politique de notre agriculture et de nos industries, la nouvelle stratégie d'accès au marché pour l'Union européenne, les enjeux sanitaires, la liberté d'expression, sans parler de l'adhésion de la Chine à l'OMC.

Je suis aussi intrigué, voire inquiet, monsieur le secrétaire d'Etat, de la différence entre le multilatéralisme de l'OMC et la pratique unilatérale des Etats-Unis...

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Claude Gaillard.

... qui apparaît clairement dans l'exigence d'ouverture des marchés des pays tiers à leurs propres exportations, assortie d'une discrimination à l'égard des importations, sur leur propre sol avec, à la clé, des mesures de rétorsion sans même attendre la mise en oeuvre de sanctions : je pense au marché de la banane.

L'Union européenne est sans aucun doute le bon élève de l'OMC - barrières et tarifs en baisse - mais elle ne doit pas être le Candide du libre-échange. Elle doit ouvrir son marché, mais aussi protéger son tissu industriel.

Autrement dit, il faut protéger les entreprises européennes. La libéralisation des échanges internationaux exige une concurrence loyale entre les Etats et entre les entreprises. L'OMC et l'Union européenne, à travers la politique commerciale commune, ont certes fixé des règles : antidumping, interdiction des importations par contournement de la Communauté, etc. Mais nous devons veiller à ce qu'elles soient respectées.

Cela étant, nous savons fort bien que les Etats-Unis mènent le jeu et que l'élargissement du champ d'intervention de l'OMC aux règles de concurrence, aux marchés publics et à l'investissement est avant tout le fait de la demande américaine. Il importe donc que l'Europe arrive à imposer une vision moins machiavélique de la mondialisation. Il faut que l'Europe, grâce à son unité et à son poids économique, parvienne à humaniser la mondialisation économique et s'impose dans la définition des règles, car nous savons que les sanctions prévues valent surtout pour les plus faibles.

Je fais partie de ceux qui refusent de croire que la mise en place de l'OMC n'apporte que misère et catastrophes.

La libéralisation des échanges mondiaux, la progression de l'investissement et le développement des échanges ont en effet permis une hausse de la croissance et de l'emploi en Europe. Mais il demeure indispensable de maîtriser les dérives et de réguler les échanges. Je pense que l'Europe doit défendre l'idée qu'il appartient à l'OMC de promouvoir des règles dans la perspective d'un commerce équitable pour l'ensemble des régions du monde et non d'un commerce totalement libéralisé au profit essentiel des

Etats-Unis. Là aussi, la vigilance s'impose. N'oublions pas, cependant, que pour affronter l'ouverture tous azimuts des marchés, les entreprises doivent parfaire leur compétitivité. Autrement dit, selon les cas, licencier. C'est un fait politique simple et, hélas, connu.

Aussi peut-on comprendre que la mondialisation n'engendre, à échéance prévisible, que pessimisme et désarroi.

Tous les pays évoluent et doivent évoluer, de même que la société, mais attention au rythme qui, aujourd'hui, s'affole. Soyons convaincus que freiner la mondialisation économique, c'est permettre en fait d'accélérer la mutation sociale, si nécessaire.

Et tout cela a pour but d'éviter de passer - l'expression n'est pas de moi - « du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes au droit des investisseurs à disposer des peuples ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lefort.

Pas si mal !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat sur les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce est une première. Nous voulons dire notre satisfaction, tout en souhaitant que ce premier pas soit suivi de beaucoup d'autres pour surmonter le déficit démocratique dont nous souffrons, en France, s'agissant des négociations économiques internationales.

Cette réflexion m'amène à formuler une première remarque. Il est temps, pensons-nous, que notre pays change sa façon de faire dans le domaine des négociations multilatérales, afin que ces dernières, compte tenu de leur importance, de leur multiplicité et de leurs conséquences considérables, ne soient plus confinées dans quelques cénacles spécialisés, hors le regard et l'intervention des peuples et de leurs représentants.

Car le monde a changé, beaucoup changé, et notre démocratie n'a pas suivi ce mouvement.

On ne peut plus accepter de voir notre assemblée placée en situation subsidiaire ou spectatrice face au processus nouveau et irréversible de la mondialisation. On ne peut plus considérer comme satisfaisante la situation qui prévaut actuellement, où l'intervention du Parlement se limite à approuver ou à refuser tel ou tel accord, pourvu encore qu'il soit soumis à ratification, ce qui n'est pas t oujours le cas selon qu'il relève de compétences communes ou de compétences mixtes. Il convient donc de mettre notre parlement au diapason du monde moderne, et de lui donner en la matière, qui est nouvelle et dont les effets sont considérables, de réels moyens d'intervention en amont.

Cette exigence démocratique est d'autant plus vitale et nécessaire que la politique commerciale commune est jalousement gardée au sein de la Commission. Le Parlement européen se plaint, lui aussi, de ne pas obtenir d'informations suffisamment précises sur le déroulement et le contenu des négociations engagées en la matière. Cela provoque bien des initiatives intempestives dont sir Leon Brittan, bien que maître en la matière, n'est pas le seul à avoir le secret.

Cette situation en marge dans laquelle on tient les parlements est néfaste à tous égards. Elle place la France et l'Europe en manque de politique, dans un domaine où il


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en faudrait tant, où il faudrait au contraire que la politique domine le propos, sous peine de laisser le jeu des marchés et la libre concurrence faire seuls la loi. Et elle place d'emblée nos partenaires américains en position de force, le Congrès disposant, selon la Constitution américaine, du pouvoir de « réglementer le commerce avec l'étranger ».

Sans aller jusqu'à proposer une modification de notre Constitution, je veux faire deux propositions de portée immédiate.

La première tend à ce que le Gouvernement associe directement la société civile, comme on dit, aux discussions qui auront lieu en décembre à Seattle. M. le secrétaire d'Etat vient de l'annoncer. Je m'en réjouis, mais il conviendrait, me semble-t-il, de poursuivre l'association du Parlement à ce processus.

La seconde vise à structurer dans le temps l'information et le travail du Parlement sur ces questions, qui ont des volets multiples, en créant un office parlementaire aux relations économiques internationales. Cet office pourrait, tout au long de l'année, auditionner les acteurs des négociations dans les divers secteurs concernés, des experts, des représentants d'associations et d'organisations.

Il pourrait sensibiliser l'opinion publique et émettre des avis par la publication de rapports réguliers. Il pourrait également s'assurer la participation des députés européens français inscrits à la commission compétente du Parlement européen et susciter de la sorte des échanges d'informations très utiles entre parlementaires nationaux et européens, comme cela se fait en Allemagne.

Le Gouvernement pourrait aisément créer un tel office.

Au reste, pour faciliter votre tâche, je vous informe, monsieur le secrétaire d'Etat, que je viens, avec les collègues de mon groupe, de déposer une proposition de loi portant création d'un office parlementaire aux relations économiques internationales.

J'en viens aux réflexions que nous inspirent les prochaines négociations dites « Cycle du millénaire », dont la réunion de Seattle marquera le coup d'envoi. Un coup d'envoi très important puisque, jusqu'à cette réunion, notre pays pourra parler encore de sa propre voix, ce qui ne sera plus le cas par la suite, et qu'il s'agira d'établir les objectifs et les modalités de ces négociations au sein de l'OMC.

Initialement limités à l'agriculture et aux services, les thèmes retenus se sont largement étendus. Au-delà de ces deux secteurs, les négociations doivent désormais concerner les investissements, les marchés publics, la concurrence, l'environnement, les normes sociales et les tarifs industriels.

Ces sujets, on l'admettra, recouvrent un champ considérable. Ils concernent pratiquement toute la sphère sociale. La question de savoir dans quel esprit seront abordées ces négociations est donc décisive. Permettrontelles ou non un progrès par rapport à la situation qui prévaut actuellement dans le monde ? Permettront-elles ou non de surmonter le déséquilibre explosif que connaît la planète ? (M. Arthur Paecht remplace M. François d'Aubert au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. Jean-Claude Lefort.

Que pouvons-nous dire aujourd'hui de ces négociations, sur la base de ce que nous savons et qui est bien peu ? Ce qui me paraît dominer, c'est une volonté idéologique connotée qui fait du libéralisme - ultra ou non - la seule perspective possible, le champ ultime et unique de la pensée humaine.

Cette crainte que j'exprime n'est pas imaginaire. C'est le Conseil européen de Cologne qui précise : « La libéralisation des échanges multilatéraux est le meilleur moyen pour répondre aux défis qui résultent d'une mutation économique rapide et profonde ainsi que de la mondialisation croissante. »

Cette affirmation sentencieuse n'est appuyée, et pour cause, sur aucune démonstration. Faut-il redire où une libéralisation sans rivages ni digues a conduit le monde ? Je renvoie chacun au dernier rapport du PNUD, qui présente un état du monde, ou encore au Sommet mondial pour le développement social dont voici l'une des conclusions : « Au lieu d'une égalisation progressive, on assiste à une polarisation. Les riches deviennent plus riches tandis que les pauvres deviennent plus pauvres. » Ce sont, je le

rappelle, les chefs d'Etat qui s'expriment de la sorte et non pas de dangereux révolutionnaires.

Il y a donc un premier problème, de philosophie pourrait-on dire, sur lequel il convient d'être clair. Nous entendons que ces négociations participent au progrès humain, à l'intérêt général et non à une nouvelle promotion des intérêts privés, étendue à de nouvelles activités humaines.

Pourquoi donc la mondialisation ne pourrait-elle pas être celle du progrès ? Cette option est majeure. Elle entre naturellement en conflit avec la pensée qui domine des deux côtés de l'Atlantique. Mais on ne peut s'en abstraire. Ce conflit est déjà à l'oeuvre derrière chaque sujet retenu pour ces négociations. Prenons quelques exemples.

D'abord celui de l'agriculture. Nombreux sont ceux qui ont la volonté de démanteler la PAC, seule politique commune européenne, qui procède précisément d'une conception non-ultralibérale. De ce point de vue, les dispositions de l'accord de Berlin ne doivent pas, selon les termes mêmes du communiqué qui en a résulté, constituer « les éléments essentiels » d'un accord au sein de l'OMC. Elles doivent être le socle minimum sur lequel l'Union européenne ne saurait revenir.

L'Europe, importatrice nette de produits agricoles, est déjà le marché le plus ouvert au monde. Elle doit adopter une position offensive du point de vue de la spécificité de ses choix alimentaires.

Nous devons donc assurer l'application de la PAC réformée et prévoir des modalités spécifiques d'aide aux pays en voie de développement. Les accords de Lomé sont un exemple de coopération Nord-Sud. Le jugement de l'organe de règlement des différends de l'OMC concernant le conflit de la banane n'a pas estimé contraire aux règles multilatérales l'existence de tarifs préférentiels. Ce qu'il a mis en cause, ce sont les modalités d'application et non les principes. Ce qui, par parenthèse, rend étonnante à mes yeux l'attitude de l'Union européenne qui ne s'est pas conformée en temps utile à cette remarque, à cette recommandation.

Prenons maintenant le cas des OGM qui représentent un marché fabuleux, en croissance exponentielle aux

Etats-Unis, mais également un sujet qui, tout comme le boeuf aux hormones, oppose deux conceptions : d'un côté, la rentabilité aveugle et sans égard pour la santé humaine, de l'autre, une conception respectueuse de la qualité aussi bien que des individus. Outre le problème des risques sanitaires qu'il convient d'expertiser avec certitude en prévision d'éventuels contentieux avec les EtatsUnis, les OGM posent la question de la dépendance


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absolue des paysans face aux multinationales américaines qui possèdent les brevets des semences et les imposent au reste du monde.

On pourrait également évoquer le commerce électronique, lui aussi marché énorme et en pleine expansion, et qui, indépendamment du problème de la fiscalité sur ces transactions, voit encore s'affronter une conception qui ne méprise pas la protection des données à caractère personnel et la vie privée et une autre que je qualifierai de beaucoup moins ferme sur ce point.

Parlons également des services sur lesquels, une fois de plus, la commission et ses ultralibéraux, ce cher Léon Brittan en tête, poussent les feux jusqu'à proposer la libéralisation de l'éducation, de la santé, de l'énergie et des transports, ni plus ni moins ! Des domaines aussi sensibles n'ont aucune raison de venir en discussion au sein de l'OMC ; il faut leur appliquer la même réserve que celle qui a abouti à l'exception culturelle.

Mme Béatrice Marre.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lefort.

Pour l'heure, il convient de retirer ces sujets des négociations. L'expression « exception culturelle » doit être appréhendée dans son sens large, en tant qu'expression d'un type de société, de civilisation, et non réduite aux seules oeuvres d'art ou de cinéma - les premières englobant les secondes.

L'intégration dans les négociations des normes sociales et de protection de l'environnement est ressentie, vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, par les pays pauvres comme une attaque des pays riches, comme un biais pour opposer des obstacles protectionnistes à l'importation de leurs produits.

Les pays du Sud souhaitent que le sujet des mesures sociales soit traité par l'Organisation internationale du travail. A cet égard, une recommandation très importante, vous l'avez dit, vient d'être adoptée à l'unanimité à l'OIT, le 17 juin dernier, appelant à l'interdiction des pires formes du travail des enfants et à une action immédiate en vue de leur élimination. Reste à en assurer fermement la bonne application. Le rapprochement évoqué, et nécessaire, entre l'OMC et l'OIT me paraît une bonne voie pour faire progresser la compréhension mutuelle. Il faut faire prévaloir, dans ces domaines, une démarche qui refuse la domination, corollaire de l'ultralibéralisme, et s'appuyer sur les conventions internationales souscrites par ces pays, ce qui n'exclut nullement la définition de standards plus élevés pour les pays développés, notamment en matière d'environnement. Tout ne peut se résoudre de manière uniforme ; tout ne peut être résolu au sein de l'OMC.

Je terminerai cette rapide énumération en m'arrêtant sur le problème de l'investissement. Dans ce domaine, il me semble que le cadre multilatéral doit prendre toute sa signification pour empêcher un « clonage » de l'AMI. Sur le fond, à l'opposé du modèle AMI qui a échoué à l'OCDE, il faut affirmer le principe, novateur, selon lequel les entreprises privées, qu'elles soient nationales ou transnationales, ont des obligations sociales. Les Etats devraient avoir le droit d'exiger des investisseurs qu'ils se conforment à certaines obligations sociales. C'était, rappelons-le, le sens de la Charte des Nations Unies sur les droits économiques et les devoirs des Etats, adoptée en 1974 et reprise plus récemment dans les conclusions du sommet social de Copenhague en 1995.

En tout état de cause, il doit être clair que l'AMI, passé par la fenêtre à l'OCDE, ne doit pas revenir, dans les mêmes formes, par la porte à l'OMC. L'opposition de la France en particulier ne tenait pas seulement au fait que le lieu de négociation du château de la Muette était inapproprié ; c'est la philosophie même de l'AMI, type OCDE, que refusait le Gouvernement. Nous devons nous en tenir à cette position.

Cette liste non exhaustive montre à quel point ces négociations voient s'opposer deux conceptions. La première consiste à introduire des règles visant à instaurer une zone de libre échange au plan mondial au profit des multinationales ; la seconde, dans laquelle nous nous reconnaissons, tend à considérer ces négociations non comme une fin en soi, mais comme un moyen pour promouvoir un monde multipolaire qui préserve un modèle social auquel nous sommes attachés, mais également, en l'affirmant, une union de l'Europe attaquée en son principe.

Cette conception, que nous défendons, n'est pas facteur d'isolement, mais au contraire de rassemblement à travers le monde. Elle peut être une force d'entraînement.

La primauté de la politique ou la primauté des marchés, tel est l'enjeu.

J'en viens maintenant - troisième et dernier volet de cette intervention - aux modalités de la négociation qui elles aussi posent des questions aux enjeux lourds. Il est clair qu'elles doivent servir les objectifs recherchés et prendre en compte ce que nous connaissons des intérêts opposés - ne soyons pas naïfs ! A cet égard, je voudrais relever un point qui, sur le plan de l'intérêt offensif pour l'Union européenne, n'est pas assez souligné alors qu'il est évident, de bonne logique et efficace, si j'en juge par votre expérience, monsieur le secrétaire d'Etat. Je veux parler de tous les dispositifs législatifs et réglementaires américains qui permettent aux Etats-Unis d'exiger le libéralisme à l'extérieur tout en recourant au protectionnisme à l'intérieur. La réciprocité est un principe de commerce qui doit ici être mis en oeuvre.

Il en va ainsi de cette panoplie de barrières tarifaires, d'entraves techniques au commerce, de lois qui accordent la préférence aux entreprises américaines dans l'accès aux marchés publics, du recours affirmé au principe de

« sécurité nationale » pour s'opposer à un accord qui ne conviendrait pas, quand bien même tout le reste du monde l'approuverait... Enfin, les lois subfédérales ou locales regorgent d'obstacles ainsi qu'en attestent les quatre cents pages de réserves américaines à l'AMI. Paradoxe absolu : l'administration américaine mène des négociations, mais ses Etats ou ses villes ne sont pas tenus d'en appliquer les résultats ! A cela s'ajoutent les dispositifs tels que la section 301 de la loi américaine sur le commerce de 1974 et ses dérivés - « super 301 », « spécial 301 », « section 1377 » de la loi sur le commerce de 1998, par lesquels les Etats-Unis imposent unilatéralement des sanctions commerciales aux pays qui gêneraient les exportations ou investissements américains.

Et il faut naturellement citer les lois extra-territoriales qui leur permettent de sanctionner un pays tiers ou des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas l'embargo décidé par le seul Congrès américain à l'égard de tel ou tel pays, lois contre lesquelles l'Union européenne avait saisie l'OMC avant de se rétracter sous l'impulsion de...

Sir Leon Brittan, encore lui ! Cet ensemble de dispositions américaines devrait, monsieur le secrétaire d'Etat, faire l'objet d'un préalable.

Comment négocier des règles si un Etat, et non le moindre, peut les contourner à tout propos et de manière constante ?


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Face aux Etats-Unis, la cohésion européenne est indispensable. Il faut faire prévaloir l'intérêt général europé en. Si l'on y parvient, alors l'Union européenne sera au rendez-vous sur tout le reste. Mais il faut absolument éviter, nous semble-t-il, un tête-à-tête Union européenne-USA.

Mme Béatrice Marre.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lefort.

La recherche d'alliés pouvant se retrouver aux côtés des Européens sur une ligne de progrès claire, offensive et positive, est à cet égard décisive.

Le mandat, autre point crucial, doit être ferme sur les modalités de négociation et sur la liste des intérêts défensifs et offensifs qu'il convient de faire valoir. Par ailleurs, l'Union européenne ne devrait pas céder sur le principe de cycle global et d'engagement unique, seul à même d'aboutir un accord définitif sur l'ensemble des sujets, alors qu'une succession d'accords indépendants les uns des autres faciliterait la tâche des forces adverses.

Ce principe doit nous amener à relativiser l'importance de la durée du cycle. Lors du dernier cycle du GATT, un compromis avait pu être trouvé au prix d'une extension de trois ans à sept ans de la durée initialement prévue.

Autant nous sommes partisans, vous l'avez noté, de défendre des « intérêts butoirs » sur tous les sujets, autant nous restons sceptiques sur la nécessité de nous enfermer dans des dates butoirs.

Le succès des négociations dépendra également de la désignation du prochain directeur général de l'OMC et du nouveau commissaire européen au commerce, en remplacement de celui que j'ai déjà bien trop souvent cité.

Pour l'heure, nous ne connaissons ni l'un ni l'autre et ce n'est pas le moindre des paradoxes. S'agissant du directeur général de l'OMC, aucun des deux candidats restant en lice n'apparaît en situation d'obtenir un consensus.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas prendre l'initiative en permettant par exemple à un autre candidat, d'un pays en voie de développement, de relancer utilement la donne ? Celui qui prendra la bonne initiative le plus rapidement possible sera certainement celui qui gagnera à l'arrivée. A défaut, la France et l'Europe ne pourront que rester bloquées dans cette affaire, puisque c'est au directeur général de l'OMC qu'il reviendra d'organiser les débats du cycle des négociations et d'en tirer les conclusions.

M. le président.

Monsieur Lefort, puis-je vous demander de conclure ?

M. Jean-Claude Lefort.

Rassurez-vous, monsieur le président, ceux qui disposent de cinq minutes de temps de parole en profitent souvent pour parler dix minutes ; pour ma part, je ne vous demanderai pas de m'accorder quarante minutes... J'en aurai terminé dans deux ou trois minutes et j'aurais même pu conclure plus rapidement si vous ne m'aviez interrompu dans mon élan ! L'organe de règlement des différents de l'OMC pourrait aussi être réformé afin de le rendre incontestable, c'est-à-dire impartial, quand bien même le poids du droit anglo-saxon resterait toujours aussi prégnant. La direction des affaires juridiques devrait prendre en compte cette donnée pour la contrebalancer. De même, la mise en place aux côtés de l'OMC d'un forum citoyen constituerait une novation positive et utile.

Enfin, et j'en termine, monsieur le président, ce sera certainement une contribution majeure de l'Union européenne si celle-ci s'attache à faciliter les coopérations entre divers organismes internationaux qui eux aussi ont à traiter de questions qui touchent aux conditions du commerce du

XXIe siècle. L'OMC ne peut rester à l'écart des réflexions, principes et décisions des autres institutions internationales, notamment sur l'ONU et ses diverses organisations.

Tels sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques éléments que je tenais à aborder pour alimenter ce débat, en réitérant mon souhait de le voir se prolonger à l'Assemblée nationale par d'autres moyens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Le Gouvernement m'a fait savoir qu'il souhaitait une suspension de séance. Peut-il m'en préciser la durée ?

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Une dizaine de minutes, monsieur le président.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante-cinq.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à M. Philippe Vasseur.

M. Philippe Vasseur.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un nouveau cycle de négociations va s'ouvrir avant la fin de l'année sur la libéralisation du commerce mondial.

Depuis 1945, nous avons déjà eu huit cycles de négociations de ce genre, le dernier en date, sans doute le plus important, ayant été le cycle dit « de l'Uruguay », conclu par l'accord de Marrakech le 15 avril 1994. C'est là qu'est née l'Organisation mondiale du commerce qui conduit à une approche globale des échanges planétaires, comprenant les services, les investissements et la propriété intellectuelle.

A cette organisation mondiale du commerce, il ne manque plus guère aujourd'hui que la Chine et les pays de l'ancienne URSS, au premier rang desquels figure la Russie.

Avant d'engager de nouvelles négociations et de fixer les objectifs souhaitables, il est nécessaire de faire le point sur la situation de l'Organisation mondiale du commerce.

Or, le bilan du cycle d'Uruguay apparaît contrasté et il montre qu'une grande prudence s'impose face aux objectifs que l'on veut assigner au nouveau cycle de négociations.

D'abord, on peut regretter que l'accord de Marrakech ait libéralisé le commerce sans intégrer des phénomènes dont les conséquences peuvent être plus destructrices que des mesures de régulation des marchés. C'est le cas, par exemple, des phénomènes monétaires comme nous le rappelle la crise qui sévit aujourd'hui encore dans les pays asiatiques. Ce sont pourtant ces pays qui ont le plus profité de la libéralisation du commerce international.

De ce point de vue, il est regrettable que la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce n'ait pas donné lieu à une coopération approfondie avec les autres organisations internationales. En effet, il est souhaitable d'accompagner la libéralisation des échanges par une meilleure régulation des flux financiers.

Ensuite, l'application des règles définies par l'accord de Marrakech n'est pas satisfaisante. En tout cas, elle ne l'est pas pour l'Europe et pour la France. Certains pays ne respectent pas leurs engagements ou ils les détournent


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sciemment parce qu'il est impossible de contrôler une bonne partie des aides versées, par exemple, cela a été dit, celles qui sont octroyées par un des Etats composant les

Etats-Unis d'Amérique, les fameuses aides « sub-fédérales », ou celles qui sont attribuées au titre de l'aide alimentaires ou encore les crédits exports. Il en va tout autrement chez nous puisque la transparence budgétaire de l'Union européenne permet au reste du monde de contrôler nos engagements. La différence de traitement entre les signataires de l'accord de Marrakech est ici particulièrement flagrante.

Voilà autant de bonnes raisons de faire preuve de la plus grande prudence dans la définition des objectifs que nous voulons fixer pour le nouveau cycle de négociations.

Nous avons affaire à forte partie. La volonté de domination des Etats-Unis apparaît très clairement en matière agricole, aéronautique ou audiovisuelle. Nous devons donc être très vigilants et exiger des Américains des négociations, d'une part, sur le respect de leurs engagements multilatéraux, ce qui implique le retrait des procédures nationales autonomes et, d'autre part, sur les conséquences des variations monétaires, notamment en ce qui concerne la réduction des soutiens.

Mais il y a bien d'autres pays qui ne respectent pas leurs engagements, sur le dumping ou sur la propriété intellectuelle entre autres, et dont la priorité est l'ouverture du marché européen à leur profit.

Nous devons réagir et clarifier la position de l'Europe, d'autant que la France va assumer la présidence de l'Union européenne au second semestre de l'an 2000 et nous l'avons constaté dans le passé : lorsque l'Europe se présente en ordre dispersé dans une telle négociation, elle part avec un lourd handicap qui la met en situation délicate. L'Europe doit donc résoudre ses contradictions internes pour harmoniser ses positions.

Je citerai simplement trois exemples.

Le premier porte sur la poursuite de l'intégration européenne. La plupart du temps, nous sommes amenés à définir des règles applicables aux Etats membres et aux entreprises communautaires qui sont plus strictes que c elles adoptées par l'Organisation mondiale du commerce. Les règles concernant les subventions sont ainsi de plus en plus rigoureuses au sein de l'Union européenne, mais nos partenaires internationaux ne font pas autant d'efforts.

M. Jean-Claude Lefort.

C'est vrai !

M. Philippe Vasseur.

De même, l'Union européenne se montre plus ouverte à la concurrence en permettant aux entreprises des pays tiers un accès facilité au marché, notamment aux marchés publics : il faut que l'Organisation mondiale du commerce rende le jeu plus égal.

Enfin, le statut des entreprises commerciales d'Etat a été remis en cause en Europe alors qu'il ne l'est pas au niveau de l'Organisation mondiale du commerce : là encore, l'Union doit obtenir l'adoption de règles d'équivalence.

Deuxième exemple de clarification nécessaire : la lutte contre le chômage. C'est une priorité pour l'Europe, même si les conclusions du sommet de Luxembourg sur l'emploi peuvent nous laisser sur notre faim. Mais nous sommes d'accord sur un point : toute concession proposée dans le cadre de la négociation mondiale doit impérativement faire l'objet d'une évaluation en termes de destruction d'emplois afin que l'Europe puisse au moins exiger un équilibre global en fin de négociation.

L e troisième exemple concerne l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale, les PECO. La perspective de l'entrée des PECO dans l'Union européenne doit être intégrée dans la préparation d es négociations de l'Organisation mondiale du commerce et elle doit être prise en considération tout au long des discussions.

En effet, l'Europe doit absolument éviter de payer deux fois : une fois, lors de la négociation du cycle qui va s'ouvrir, puis une nouvelle fois au moment de l'adhésion des PECO. Une clarification préalable est donc nécessaire au sein de l'Union européenne, mais celle-ci doit également manifester une forte cohésion dans la conduite de la politique commerciale.

Rappelons-nous ce qui s'est passé du temps du commissaire Leon Brittan, qui avait fait de la libéralisation totale des échanges un credo économique assimilable à un véritable intégrisme. La politique d'ouverture des marchés ainsi défendue était vibrionnante et consistait à v ouloir multiplier les zones de libre-échange avec l'Afrique du Sud, les pays d'Amérique latine ou les EtatsUnis. Je crois qu'une telle démarche, dont la cohérence m'a d'ailleurs toujours échappé, doit être proscrite.

Mme Béatrice Marre.

Nous sommes d'accord !

M. Philippe Vasseur.

Il est évident que tous les pays du monde souhaitent bénéficier d'un accord privilégié avec l'énorme marché de consommateurs que représente l'Union européenne. Mais vous savez bien que tout accord bilatéral doit ensuite être agréé par l'organisation mondiale du commerce et que, dans ce cadre, des pays tiers peuvent demander à bénéficier de compensations.

On entre alors dans une spirale infernale puisque des concessions octroyées à certains pays sont suivies de compensations accordées à d'autres. Ce n'est pas raisonnable. Et il n'est pas raisonnable non plus de vouloir passer outre aux aspirations des peuples, comme on semble vouloir le faire, par exemple, dans le domaine de l'alimentation.

Regardons les choses en face : à chaque fois qu'un pays a mis en place des mesures de protection sanitaire et qu'il a été fait appel à l'arbitrage de l'Organisation mondiale, c'est le pays exportateur qui a gagné.

Mme Béatrice Marre.

C'est vrai !

M. Claude Gaillard.

Eh oui ! C'est choquant !

M. Philippe Vasseur.

Pour le saumon, le Canada a gagné contre l'Australie. Pour le traitement des fruits, et en particulier les pommes, les Etats-Unis ont gagné contre le Japon. Et pour la viande aux hormones, les

Etats-Unis et le Canada ont gagné contre l'Union européenne.

M. Jean-Claude Lefort.

Et ce n'est pas fini ! Ce sont donc toujours les intérêts du commerce qui triomphent sur les principes de précaution auxquels les consommateurs ont droit. Pourquoi ? Parce qu'un pays qui refuse d'importer un produit pour des raisons sanitaires doit, selon les règles de l'OMC, apporter la preuve scientifique que ce produit présente un danger. Or, au nom du principe de précaution, le consommateur européen, en général, et le consommateur français, en particulier, demandent, au contraire, que la preuve scientifique soit inverse, c'est-à-dire qu'elle garantisse l'absence de tout risque.

M. Jean-Claude Lefort et Mme Béatrice Marre.

Tout à fait !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Philippe Vasseur.

C'est le désaccord de fond qui nous oppose notamment aux Etats-Unis à propos de la viande aux hormones et des organismes génétiquement modifiés.

Que l'Organisation mondiale du commerce prétende imposer aux citoyens d'un pays ce qu'ils refusent, cela pose incontestablement un problème qui dépasse largement le cadre du libre-échange et des considérations économiques.

Pour toutes ces raisons, il est impératif que l'Union européenne clarifie ses positions, définisse ses objectifs et fixe ses priorités avant même le début du nouveau cycle de négociations commerciales.

Dans ce contexte-là, la France doit avoir une position forte. D'abord, elle doit défendre ses intérêts sans aucun complexe. Elle doit défendre ses intérêts agricoles et faire valoir sa vocation exportatrice, toute remise en cause de ce principe aboutissant à compromettre de nombreux emplois et ses intérêts aéronautiques, et il faut éviter la pression américaine contre le soutien à Airbus alors que les Etats-Unis savent parfaitement subventionner leur industrie par le biais des commandes publiques.

M. Jean-Claude Lefort.

Les programmes lois !

M. Philippe Vasseur.

La France doit également défendre les intérêts dans le secteur des services. Il faut préserver l'avenir des groupes français dans ce domaine ainsi que nos positions dans l'audiovisuel. Je partage sur tous ces points ce que d'autres ont dit à cette tribune, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent.

M. Jean-Claude Lefort et Mme Béatrice Marre.

Très bien !

M. Philippe Vasseur.

Mais si la France doit affirmer ses intérêts, elle doit aussi faire valoir les principes qu'elle a toujours défendus à d'autres niveaux. Le débat ne saurait se limiter à l'organisation mondiale du commerce. Il se déroule parallèlement dans d'autres enceintes : OCDE, G8, banque mondiale.

M. Jean-Claude Lefort.

FMI !

M. Philippe Vasseur.

Et la France doit rappeler systématiquement ses préoccupations, comme les Américains le font eux aussi - à merveille ! La négociation commerciale ne peut pas être considérée comme une fin en soi et une coopération plus étroite est nécessaire à travers la banque mondiale, le fonds monétaire international, l'organisation mondiale de la santé ou l'organisation internationale du travail. Et précisément, il faut que la France joue un rôle moteur sur les nouveaux sujets qui doivent être évoqués au cours du prochain cycle de négociations, comme la liaison entre le commerce et les normes relatives à l'environnement. Et elle doit l'affirmer toujours davantage.

De même, comme l'a rappelé récemment le Président de la République en recevant les partenaires sociaux, il faut prendre « la défense d'un modèle de développement original contre les risques de dumping social induits par la mondialisation ». Il ne peut donc pas y avoir de discussions sur les échanges internationaux sans que soient pris en compte les libertés démocratiques et les droits fondamentaux des travailleurs.

Enfin, la France doit être le porte-parole des pays en développement. A condition de bien s'entendre sur la notion de pays en développement. Est-il normal que certains pays soient encore classés comme tel alors que leur produit national brut par habitant dépasse celui de bien des pays industrialisés ? Je pense par exemple - et je le dis devant un député de Lorraine - à la Corée, même si elle n'est pas seule en cause. Il n'est pas logique que nous offrions à ces pays des concessions et que nous fassions preuve à leur égard de souplesse en matière de subventions alors qu'eux-mêmes nous refusent toute réciprocité.

M. Claude Gaillard.

Il a raison !

M. Philippe Vasseur.

En revanche, lorsqu'il s'agit vraiment de pays en développement, il faut adapter les instruments de l'Organisation mondiale du commerce : il est, en effet, particulièrement difficile de comparer le statut d'un producteur agricole d'un pays en développement à celui d'un producteur d'un pays européen. Le débat se présente de manière identique pour les produits manufacturés dans les nouveaux pays industrialisés.

En fonction de tout cela, il est clair que la priorité doit être donnée aux pays les moins avancés, et la France doit accorder une attention toute particulière aux pays africains qui, d'une façon générale, sont les éternels oubliés de la négociation. Nous devons apporter à ces pays une coopération technique leur permettant d'aborder ce cycle de négociations en toute confiance et de bénéficier de concessions de la part des autres pays membres de l'organisation mondiale du commerce.

Je n'ignore pas l'aide technique fournie par l'administration française lors du dernier cycle, mais je crois que l'on peut faire plus et mieux. Il me semble d'ailleurs que l'on pourrait créer dans le cadre de notre assemblée un groupe d'études chargé d'examiner les possibilités d'aide et de soutien à la négociation pour les pays africains envers lesquels la France a des devoirs.

E n conclusion, la libéralisation des échanges sur l'ensemble de la planète, pour nécessaire qu'elle soit, ne saurait s'effectuer n'importe comment, sans précautions et sans régulations.

L'idée selon laquelle les échanges peuvent avoir lieu sans réserve entre, d'une part, des pays riches qui s'imposent des mesures rigoureuses pour préserver leur environnement et garantir les droits de leurs travailleurs, et, d'autre part, des pays pauvres qui n'ont aucun souci environnemental et dans lesquels la main-d'oeuvre est exploitée au point de comprendre parfois des enfants, ce que certains d'entre vous ont dénoncé à juste titre, porte en elle-même ses propres contradictions. Elle me paraît en t out cas moralement inacceptable, économiquement contestable et politiquement dangereuse.

Si la mondialisation devait aboutir à créer de plus en plus de richesse mais à multiplier dans le même temps le nombre de pauvres ou de personnes en situation précaire au sein des populations, elle ne serait pas défendable.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Philippe Vasseur.

Il est vrai que l'on voit actuellement s'accroître la richesse globale du monde et, en même temps, y compris au sein de nos sociétés industrialisées, les phénomènes de pauvreté.

M. Jean-Claude Lefort.

La fracture sociale ! (Sourires.)

M. Philippe Vasseur.

Pour ceux qui veulent défendre l'économie de marché et le capitalisme, et j'en suis, c'est une situation qui nous conduit tout droit à la perte. Et, si cela continuait, la légitimité même de l'économie de marché et du capitalisme serait mise en cause.

M. Jean-Claude Lefort.

Important !

M. Philippe Vasseur.

Comme l'a écrit dans Le Figaro du 10 mai dernier le prix Nobel d'économie Maurice Allais, « la libéralisation totale des échanges et des mouve-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

ments de capitaux n'est possible, elle n'est souhaitable, que dans le cadre d'ensembles régionaux, groupant des pays économiquement et politiquement associés, de développement économique et social comparable ».

Je voudrais prendre une comparaison dans un domaine qui m'est cher, celui du sport. Un match de football, par exemple, se joue avec des règles bien précises. Les dimensions du terrain et des buts qui se trouvent de chaque côté sont rigoureusement fixées. Il y a onze joueurs de part et d'autre, et un seul peut se servir de ses mains à l'intérieur d'un rectangle restreint. Au milieu, il y a un arbitre, et deux autres l'assistent sur les lignes de touche.

A partir de là, le match peut commencer pour deux mitemps de quarante-cinq minutes, et que la meilleure équipe gagne, la mieux entraînée, la plus combative, la plus imaginative, et aussi, il faut bien le dire, la plus chanceuse.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Les équipes sont-elles cotées en bourse ?

M. Philippe Vasseur.

C'est un autre débat que nous pourrons avoir, si vous voulez, soit dans cet hémicycle, soit dans l'annexe qui se trouve à côté et où l'on peut prendre un café, mais c'est un vrai débat, un débat mondial.

Pour moi, le commerce mondial, c'est comme un match de foot : on ne peut pas faire n'importe quoi, il y a des règles à respecter et il faut que la compétition ne mette pas en présence des forces déséquilibrées, par exemple six joueurs d'un côté et quinze de l'autre...

La liberté, ce n'est pas l'anarchie, et le libéralisme, décrié par certain, vanté par d'autres.

M. Jean-Claude Lefort.

Certes !

M. Philippe Vasseur.

... n'a de sens que s'il est avant tout un humanisme, c'est-à-dire s'il permet l'épanouissement de la personne humaine sans laisser quiconque au bord de la route. Sur ce point, nous sommes en désaccord non pas sur la finalité mais sur les moyens.

Lacordaire disait qu'entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit.

La France et l'Europe doivent vouloir pour l'Organisation mondiale du commerce une grande loi qui permette à tous les habitants de la planète de s'affranchir pour vivre pleinement leur liberté.

(« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre.

M. Jean-Claude Lefort.

C'était plutôt bien, son discours !

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce matin concerne un sujet fondamental pour l'avenir non seulement de notre pays mais aussi de notre

« petite planète » tout entière.

La question des relations commerciales internationales t ouche, en effet, directement ou indirectement à l'ensemble des relations internationales. Les opinions publiques, et singulièrement la nôtre, en ont d'ailleurs bien conscience puisque le mot « mondialisation » cristallise aujourd'hui toutes les peurs d'une époque en pleine mutation.

J'articulerai mon propos en trois points : une mondialisation à encadrer ; des aspirations fortes des citoyens à prendre en compte ; un rôle déterminant à jouer pour l'Union européenne et la France.

Tout d'abord une mondialisation à encadrer.

Il me semble nécessaire de lever une ambiguïté : l'OMC n'est pas la mondialisation. La mondialisation est une tendance de fond de l'évolution de nos sociétés, tendance historique millénaire qui a vécu une fantastique accélération au cours de ce siècle, l'exemple le plus récent étant la création du réseau Internet. La question n'est donc pas, me semble-t-il, de débattre de la possibilité, voire de l'opportunité, de s'opposer à la mondialisation, mais de déterminer le sens et la nature de l'intégration planétaire que nous souhaitons.

Plus précisément, et c'est tout le débat d'aujourd'hui, la question qui nous est posée est la suivante : peut-on m ettre en place des instruments d'encadrement et d'orientation de la mondialisation ? Je le pense et l'OMC est l'un de ces instruments, mais pas le seul, que nous pouvons et devons mettre en oeuvre pour peser en faveur d'un mode de fonctionnement et de développement du monde auquel nous tenons et que j'appellerai le « modèle européen ».

La création de l'OMC en 1995, au terme du quatrième cycle des négociations commerciales internationales du GATT, dit Uruguay Round , est d'ailleurs révélatrice d'un climat général de prise de conscience de cette problématique.

Je ne reviendrai pas ici en détail sur les aspects positifs des premiers pas de l'OMC, que vous avez souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, notamment au regard du volume des échanges et en particulier de l'expansion du commerce extérieur français.

Je voudrais, en revanche, en relever les nombreuses et graves insuffisances, à commencer par le fait que cette expansion n'a profité presque exclusivement qu'aux pays les plus développés, creusant même encore l'écart entre ces derniers et les pays en voie de développement, et que, de surcroît, elle reste extrêmement fragile, les deux dernières crises de 1997 et 1998 en témoignent.

C'est pourquoi le nouveau cycle qui s'ouvrira le 1er janvier 2000 est fondamental. Alors que les quatre cycles précédents s'étaient ouverts sous la domination des EtatsUnis - qui en fixaient l'ordre du jour - et avaient eu pour axe central, voire unique, la libéralisation des échanges, le prochain cycle devra être plus équilibré en faveur des autres groupes régionaux et singulièrement de l'Europe, qui doit prendre l'initiative et poursuivre la voie timidement ouverte à Marrakech, où l'accent a été mis sur la régulation des échanges. C'est le sens de la bataille que nous devons mener en nous fondant sur les aspirations et les préoccupations des citoyens de nos pays.

Deuxième point, des aspirations fortes des citoyens à prendre en compte.

Il est un aspect de la mondialisation porteur de progrès, c'est le développement de l'information, qui a accru considérablement le poids des citoyens dans la vie publique, nationale ou internationale, et, par là même, contribué à confronter la démocratie.

Quatre exigences doivent dominer notre approche de ces négociations : la transparence, l'équité, la sécurité, la préservation du futur.

La transparence, qui implique information et débat public, fait sortir les questions économiques internationales d'un petit groupe de diplomates et d'experts pour permettre à ce qu'il est convenu d'appeler la société civile d'en débattre et je salue sur ce point la méthode dont vous usez depuis six mois dans la préparation de ces négociations.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Il est impératif que la représentation nationale soit saisie, et le débat de ce matin est un premier pas. Le C ongrès américain a d'ailleurs quelques longueurs d'avance ! Je suis d'accord monsieur Lefort, avec l'esprit de la proposition de loi que vous avez déposée, même si l'on peut s'interroger sur la nature, voire sur l'opportunité de créer une structure supplémentaire au sein de nos assemblées pour suivre ces questions. Monsieur le secrétaire d'Etat, je propose que l'on associe le Parlement non seulement au suivi des négociations mais aussi au déroulement de la conférence de Seattle et de celles qui suivront.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

Mme Béatrice Marre.

Deuxième exigence, l'équité : je n'en évoquerai que l'aspect le plus important, c'est-à-dire le débat sur les normes sociales. Jusqu'à présent, dans les négociations commerciales, seule comptait, au regard des lois internationales, la notion de produits comparables.

Aujourd'hui, le mode de production de ces produits est sujet à comparaison, et ce doit être l'une de nos batailles.

L'Union européenne a décidé à Berlin, les 9 et 10 mai dernier, d'inscrire ce débat à l'ordre du jour hors

« agenda incorporé ».

N'oublions pas toutefois que cette question des normes sociales, qui nous semble à nous, pays développés, l'évidence de l'équité, constitue pour nombre de pays en voie de développement l'un des gros sujets d'inquiétude, voire de rejet, de l'OMC. Il nous faudra donc les convaincre de toute l'importance pour leur avenir de l'application des normes sociales - je pense en particulier au travail des enfants - et, sans doute, étudier des dispositions transitoires particulières pour leur permettre de rejoindre le niveau des autres pays. Un travail commun a déjà commencé entre l'OMC et l'OIT et c'est une bonne chose.

La préservation du futur, la protection de l'environnement font l'objet de la même analyse : soyons intraitables entre pays de même niveau de développement - l'attitude de certains, dont les Etats-Unis, sur l'effet de serre, par exemple, est inadmissible - mais trouvons collectivement les moyens de permettre aux autres pays d'en assumer les coûts. Je ne reprendrai pas l'exemple du terrain de football que vient de nous donner M. Vasseur, mais c'est effectivement le même esprit ! Ce sera une rude bataille car elle touche un sujet particulièrement sensible : celui du développement durable, et donc de l'agriculture. La défense du modèle agricole européen, à travers en particulier la multifonctionnalité de l'agriculture, constitue, j'y reviendrai, l'un des points chauds de ce futur cycle de négociation.

Enfin, la sécurité, sanitaire et alimentaire en particulier, est une exigence d'une criante actualité : ESB et dioxyne, hormones et OGM, représentent pêle-mêle aux yeux de nos concitoyens, et à juste titre, ce qu'on a appelé l'horreur économique, pour plagier le titre d'un livre désormais célèbre. Nous devons faire admettre à nos partenaires, d'outre-Atlantique notamment, notre volonté d'agir selon notre appréciation du principe de précaution.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit à propos de l'inversion de la charge de la preuve.

Chacun comprend bien que l'introduction de ces notions dans les négociations sera de nature à rééquilibrer encore davantage l'OMC et à transformer l'instance de libéralisation pure et simple des échanges qu'elle était en une instance de régulation.

Pour y parvenir, quel peut être notre rôle ? Ce sera mon troisième et dernier point : l'Union européenne et singulièrement la France ont un rôle déterminant à jouer.

Le commerce des marchandises et des services relève aujourd'hui de la compétence communautaire et la Commission européenne sera la seule voix habilitée à négocier au nom de l'Union européenne sur ces questions. Encore les choses ne sont-elles pas aussi simples, car, sur toute une série de compétences mixtes - propriété intellectuelle, marchés publics...

M. Jean-Claude Lefort.

Investissements !

Mme Béatrice Marre.

... investissements - ou de la stricte compétence des Etats membres, les services financiers par exemple, la Commission ne sera dans certains cas que le porte-parole et les Etats membres conserveront toute liberté pour s'exprimer.

La France, quatrième pays exportateur mondial et d euxième en Europe derrière l'Allemagne, mais au deuxième rang mondial, par exemple, pour les services financiers, peut et doit peser dans ces négociations. Comment ? Nous devons, en premier lieu, agir en faveur de la cohésion de l'Union européenne, condition essentielle pour le rééquilibrage global de l'Organisation mondiale du commerce.

En deuxième lieu, à l'intérieur de l'Union européenne, et afin d'éviter la situation que nous avons connue lors du cycle précédent et que nous connaissons encore - et je ne peux être la seule à ne pas citer le commissaire Brittan - il est impératif que la Commission soit munie d'un mandat de négociation clair et précis, et notre Assemblée sera, je l'espère, appelée à se prononcer sur ce point dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

Cette exigence est d'autant plus importante que notre principal partenaire - je veux parler des Etats-Unis - est actuellement dans une position relativement inconfortable, le Congrès américain ne semblant pas vouloir donner à l'administration Clinton le désormais célèbre fast track, c'est-à-dire un mandat de négociation.

Nous devons aussi et surtout, et je terminerai par là, peser, sur le fond, pour une négociation équilibrée entre la nécessaire poursuite de la lutte contre les entraves à la libre circulation des produits et services et l'impérieuse nécessité de réguler les échanges en nous appuyant sur une règle simple : Nous devons faire preuve de fermeté sur ce qu'il est convenu d'appeler nos positions « défensives » : la politique agricole commune, pour laquelle le sommet de Berlin des 23 et 24 mars dernier a établi la base d'un mandat de négociation, qu'il nous reste donc à affiner, et nous savons que ce sera l'un des points durs de la négociation de Seattle, même s'il faut éviter que ce soit l'unique sujet du débat ; l'exception culturelle, qui doit être aussi l'un des points forts de notre position défensive.

Nous devons faire preuve d'une fermeté équivalente sur nos positions dites « offensives » : lutte contre les pics tarifaires, américains notamment ; lutte pour l'ouverture des marchés de services, cette fois face au Japon et aux pays émergents d'Asie du Sud-Est ; lutte contre des pratiques clairement contraires à la lettre et à l'esprit tant de l'OMC que d'autres instances ou accords internationaux, telles que les obstacles non tarifaires, les lois d'exterritorialité américaines, ou encore l'usage abusif de l'aide alimentaire, par exemple ; enfin, maintien de l'objectif d'une négociation globale, et de durée raisonnable.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

En conclusion, l'OMC ne mérite, selon la formule consacrée, ni excès d'honneur, ni indignité : ce doit être un outil au service du développement, du progrès et de la démocratie. A nous de peser en ce sens à travers ce prochain cycle de négociations. L'Union européenne possède la puissance économique, renforcée par la mise en place de l'euro. Reste à lui insuffler la volonté politique d'infléchir durablement l'Organisation mondiale du commerce, non dans le sens d'un affrontement entre l'Europe et les

Etats-Unis, mais en faveur d'une instance multipolaire tendue vers un objectif commun : l'amélioration de la situation du monde. La France peut et doit y prendre toute sa part.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les députés, même si certains peuvent penser que le débat d'aujourd'hui est prématuré, il faut saluer l'initiative du groupe RVC qui a demandé qu'un tel débat soit organisé à l'Assemblée nationale.

Tous les jours, en effet, nous apprenons que des réunions internationales ont eu lieu, que vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, donné votre accord pour le lancement d'une négociation commerciale, que des engagements ont été pris. Sur de telles questions, quels que soient les gouvernements d'ailleurs, la représentation nationale est rarement consultée..

Chaque jour, on entend parler de la guerre de la banane, de celle du boeuf aux hormones et, pour employer un vocabulaire balkanique, de leurs dommages collatéraux. Nous n'évoquons pas là des problèmes techniques, nous sommes au coeur d'un véritable débat politique dont les enjeux courent sur la prochaine décennie.

Soyons clairs. Nous sommes bien évidemment favorables à une économie ouverte et nous rejetons le protectionnisme. Nous considérons que la France peut affronter sans complexe et sans crainte la compétition internationale. Encore faut-il savoir selon quelles règles du jeu et avec quels équilibres.

Or on peut craindre, et c'est pourquoi ce débat est important, que nous n'adoptions une attitude passive. Il faut parler procédure, calendrier, mais, surtout, il ne faut pas aborder cette négociation comme une fatalité. Il faut avoir une vision claire des intérêts français et européens.

Pourtant, si elle a lieu, cette négociation sera importante et difficile. Elle sera importante car elle affectera la santé de nos entreprises, de notre croissance et de nos emplois, mais elle sera aussi difficile, car nous voyons émerger des questions nouvelles qui mettent en cause le fonctionnement même de nos sociétés. Je voudrais en citer plus particulièrement trois : la santé, la culture et le développement du commerce électronique.

D'abord, actualité oblige, les questions relatives à la santé et à l'alimentation.

Rien n'est plus important pour nos concitoyens et jamais, en ce domaine, leur confiance dans notre capacité à les protéger n'a été aussi ébranlée que dans les affair es récentes. C'est aussi, de plus en plus, une source de conflits graves entre les pays, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Europe, car tous n'ont pas la même sensibilité face à certains progrès de la science comme les OGM, tous ne gèrent pas selon les mêmes procédures l'articulation du technique, du scientifique et du politique. Il faut en sortir, briser cet enchaînement de défiance et de contentieux sur fond d'incertitudes scientifiques.

Pour cela, chacun le sait bien, les acteurs publics disposent depuis un certain nombre d'années du « principe de précaution », lequel présente de grands avantages.

Mais, bien évidemment, tout dépend de sa mise en oeuvre.

Nous voulons obtenir pour nos consommateurs les garanties les plus strictes, mais nous souhaitons aussi protéger nos producteurs de l'arbitraire et de l'irrationnel. Il y a trois ans, dans le prolongement de la crise de la vache folle, j'avais proposé de créer une agence de la sécurité sanitaire et alimentaire. Une proposition de loi en ce sens avait été déposée au Sénat, laquelle avait été adopté e par l'Assemblée il y a deux ans. Pour autant, j'ai été de ceux qui ont regretté que nous n'ayons pas été assez ambitieux en ce domaine. Les événements que nous vivons depuis quelques semaines montrent tant au niveau national qu'au niveau européen ou international, qu'il est nécessaire, comme l'a souligné le Président de la République lors du sommet de Cologne, d'adopter une approche offensive en matière de sécurité sanitaire et alimentaire.

Cette dimension devra être prise pleinement en compte dans le cadre des futures négociations.

Deuxième sujet : la culture.

Nous savons bien que la culture - et là j'enfonce une porte ouverte - n'est pas un bien comme un autre. Juste avant la guerre, dans l' Esquisse d'une psychologie du cinéma.

André Malraux écrivait, en conclusion d'une quarantaine de pages dans lesquelles il développait des considérations artistiques, psychologiques et philosophiques :

« Par ailleurs, le cinéma est aussi une industrie ». En l'occurrence, il faut renverser la formule de Malraux : puisque l'on parle beaucoup de commerce de biens culturels, de nouvelles technologies de l'information, de diffusion du savoir, eh bien, il faut affirmer que la culture n'est pas seulement une industrie.

Sachons gré à Edouard Balladur et à Alain Juppé d'avoir obtenu, en 1993 et en 1994, l'application du principe de l'exception culturelle. Il s'agit non d'un combat d'arrière-garde, mais de la préservation de la diversité des cultures et des nations dans un monde qui bouge.

Cette question de la culture est extrêmement importante, et nous sommes nombreux ici à le penser. C'est un point sur lequel il faut être très vigilant.

Enfin, troisième sujet : la protection de la vie privée et le commerce électronique.

Le développement du commerce par Internet en est à ses débuts, mais nous pouvons déjà percevoir tous les bouleversements qu'il va apporter. Pour de nombreux biens et services, les frontières vont largement disparaître et les choix offerts aux consommateurs seront considérablement accrus. En contrepartie, il sera plus difficile de protéger ceux-ci contre les abus de toutes sortes.

Un renforcement de la coopération internationale est nécessaire, ne serait-ce que pour éviter les déviations criminelles qui menacent. Malheureusement, cette coopération n'est pas acceptée par tous. Beaucoup, notamment aux Etats-Unis, préfèrent s'en remettre au libre jeu du marché.

M. Jean-Claude Lefort.

Voilà !

M. Hervé Gaymard.

Voilà un sujet dont on aimerait que les négociateurs se saisissent en pleine transparence et en associant tous les acteurs de la société civile. Au lieu de quoi, nous assistons sur la question cruciale de la protection des données privées à des négociations directes et quasi confidentielles entre les autorités de Bruxelles et le gouvernement américain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

J'ai pris à titre d'exemples - mais il y en aurait bien d'autres - ces trois interrogations car elles paraissent emblématiques des enjeux auxquels nous devons faire face. Ce sont, au vrai sens du terme, des enjeux de société. Sommes-nous préparés techniquement et politiquement à les affronter ? J'ai apprécié, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous parliez à cet effet de vendanges précoces, car, effectivement, il faut toujours anticiper.

Pouvons-nous, dans le cadre d'une négociation à l'OMC, faire prendre en compte ces préoccupations fondamentales mais qui dépassent le simple champ commercial traditionnel ? Il est inutile, et sans doute dangereux, de nous engager dans une négociation si nous ne soulevons pas d'emblée les vrais problèmes et si nous n'obtenons pas la garantie formelle qu'ils seront convenablement traités.

J'en viens maintenant au coeur de la négociation ellemême, c'est-à-dire aux questions centrales de la politique commerciale. Les cycles de négociations commerciales se succèdent depuis trente ans avec une périodicité régulière.

C'est, globalement, une bonne chose. Mais le moment de cette nouvelle négociation est-il bien choisi ? Ne cédonsnous pas un peu facilement au symbole du millénaire ? Il me semble, en effet, que plusieurs conditions impérieuses devraient être remplies avant que nous puissions ouvrir un nouveau cycle de négociations. Je vois à cet égard quatre préalables.

Le premier, c'est le préalable américain. Les Etats-Unis ne disposent pas d'un mandat de négociation du Congrès et rien n'indique qu'ils en auront un dans un avenir prévisible. Faut-il négocier sans avoir la garantie que notre principal partenaire pourra lui-même tenir ses engagements ?

M. Jean-Claude Lefort.

Bonne question !

M. Hervé Gaymard.

J'en suis d'autant moins certain que les relations transatlantiques sont, aujourd'hui, sur le plan économique et commercial, particulièrement instables. Les contentieux se multiplient, avec cette caractéristique que tous ont pour objet de remettre en cause des politiques importantes de l'Union européenne. Je détecte, de plus, une tendance préoccupante à demander à l'Europe de « faire l'ajustement » des effets commerciaux de la crise asiatique.

Un deuxième préalable, qui est complètement lié au précédent, est le préalable agricole. L'Union européenne vient de procéder à une réforme fondamentale de la politique agricole commune. Nos agriculteurs ont dû consentir des efforts extrêmement importants. Or qu'entendonsnous ? Que dans le cadre du futur cycle, il faudrait recommencer. La réforme serait jugée « insuffisante » par d'autres membres de l'OMC, ceux-là même dont l'objectif unique - j'allais dire obsessionnel - a toujours été le démantèlement de la politique agricole commune.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Hervé Gaymard.

Ceux-là même qui, alors que l'Europe réduit ses soutiens à l'agriculture, augmentent considérablement les leurs.

Face à ces intentions aussi clairement affichées, quelles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, vos propres perspectives ? Allez-vous accepter que s'ouvrent de nouvelles négociations sur les subventions agricoles ? Ce serait, me semble-t-il, courir un risque inacceptable. Nous devons, au contraire, réaffirmer et défendre la vocation exportatrice de l'agriculture française, sa capacité à être présente sur les marchés mondiaux. A l'aube du XXIe siècle, c'est pour notre pays, un atout majeur que de pouvoir contribuer à la satisfaction des besoins alimentaires des milliards d'habitants qui peupleront la planète. Il serait impardonnable de le gâcher par inconscience ou par précipitation.

Le troisième préalable est de nature différente. Traditionnellement, la France a toujours souligné le lien entre la libéralisation commerciale et la stabilité des taux de change. Ce lien paraît aujourd'hui plus que jamais nécessaire, tant sont apparents, dans toutes les régions du globe, les effets négatifs de l'instabilité financière. Inlassablement, le Président de la République plaide pour une coopération internationale renforcée en matière monétaire. Il serait souhaitable que ce combat soit relayé à tous les niveaux, dans toutes les enceintes. Jamais, dans le passé, une négociation commerciale n'a été lancée sans que ce lien fut rappelé. Je serais heureux, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir votre sentiment sur ce point.

Enfin, le quatrième préalable - the last but not the least - est celui du fonctionnement de l'OMC. L'OMC, rappelons-le, est aussi une idée française. Sa création n'aurait pas été possible sans l'impulsion décisive donnée en 1993 par Edouard Balladur et Alain Juppé. L'objectif était alors de mettre fin à l'unilatéralisme, notamment américain, et de soumettre le commerce international à des règles du jeu claires et équilibrées entre les pays.

Or l'OMC traverse aujourd'hui une crise grave. Depuis plusieurs mois, elle se montre incapable de se choisir un directeur général. Le spectacle qu'elle offre est désolant et sans précédent pour une grande organisation internationale.

Dans cette crise, la position française a manqué pour le moins de lisibilité. Deux candidats s'opposent : l'un originaire de Thaïlande, l'autre de Nouvelle-Zélande. Après plusieurs mois, il m'est encore impossible de comprendre lequel est soutenu par la France, et pourquoi. Nous avons entendu à Bangkok, il y a deux mois, que la préférence de la France allait au candidat thaïlandais. Mais immédiatement après, un communiqué de M. Védrine a démenti cette prise de position. Puis, plus rien.

M. Jean-Claude Lefort.

Que dit le Président de la République ?

M. Hervé Gaymard.

Je lis aujourd'hui dans la presse que nous soutenons le candidat néo-zélandais. Quelle est exactement le choix du Gouvernement ?

M. Jean-Claude Lefort.

Et celui du Président de la République ?

M. Hervé Gaymard.

Et s'il est vrai que nous penchons pour la Nouvelle-Zélande, quelle est la logique de cette position, alors que ce pays, par ailleurs admirable, paraît-il, est parmi les pays les plus hostiles à la PAC et vise à obtenir son démantèlement dans la prochaine négociation ? Ce choix semble pour le moins étrange, et des éclaircissements de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, seraient bienvenus.

Quoi qu'il en soit, l'incapacité de l'OMC à trancher augure mal de l'avenir. On peut douter que l'organisation soit aujourd'hui capable de piloter une négociation complexe et encore moins de défendre des règles justes et équitables pour le commerce international.

Mais le plus inquiétant dans ce vide politique est que se profile à l'horizon un danger sérieux : celui d'un « gouvernement des juges » à l'échelle internationale, c'est-àdire une situation dans laquelle le mécanisme de règlement des différends se substituerait peu à peu à des négociations paralysées par la procédure et par les oppositions nationales et idéologiques. Une telle dérive est percep-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

tible, notamment pour ce qui concerne les décisions prises à l'occasion des contentieux relatifs à la banane et à l'importation de boeufs aux hormones.

M. Yves Cochet.

Absolument !

M. Hervé Gaymard.

Il est urgent que les Etats reprennent leurs compétences et leurs responsabilités, et qu'une limite soit clairement tracée entre le champ d'application des procédures contentieuses et celui de la négociation.

Dernier exemple de notre relative impuissance : les conditions dans lesquelles se négocie aujourd'hui l'adhésion de la Chine à l'OMC. Il est hautement souhaitable que ce grand pays, devenu en dix ans une puissance commerciale majeure, intègre rapidement l'organisation.

Par contre, il est absolument anormal que les conditions de son adhésion, qui affecteront directement notre bienêtre, se discutent ouvertement et exclusivement avec les

Etats-Unis...

M. Jean-Claude Lefort.

Absolument !

M. Hervé Gaymard.

... et soient soumises, ce faisant, aux aléas d'une relation politique bilatérale très agitée, voire à ceux du débat partisan aux Etats-Unis. Il est diffic ile de comprendre la passivité européenne en ce domaine. L'OMC montre ici ses limites, qu'il faudra dépasser absolument si nous voulons pouvoir conduire une négociation multilatérale significative et équilibrée.

En conclusion, mes chers collègues, je dirai que, audelà des objectifs et de la stratégie, la question qui, en définitive, se pose est celle de la finalité d'une telle négociation. Quelles sont en effet les valeurs qui nous guident et les motivations qui nous animent ? Je ne crois pas, comme je l'ai dit, au protectionnisme.

Mais je refuse également le libéralisme aveugle et irréfléchi.

Mme Béatrice Marre, M. Jean-Claude Lefort et M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Hervé Gaymard.

Dans les circonstances présentes, rien n'est plus important que de promouvoir cette « mondialisation à visage humain » dont le Président de la République s'est fait le défenseur. La mondialisation nous apporte beaucoup de prospérité mais, en même temps, beaucoup d'inégalités et d'insécurité, comme cela a été rappelé ce matin par tous les orateurs. Nombreux sont ceux que le progrès laisse sur le bord de la route. La négociation ne peut les ignorer. Elle doit s'inscrire dans une vision plus large et permettre de répondre aux inquiétudes et aux tourments de ces oubliés du progrès.

La France, depuis six ans maintenant, défend la prise en compte, dans le débat international, des droits fondamentaux de l'homme au travail. Elle le fait d'abord aus ein des enceintes compétentes, au premier rang desquelles figure l'Organisation internationale du travail.

Mais cette démarche s'inscrit dans une perspective plus large, qui englobe l'ensemble des institutions internationales à vocation économique et financière. La négociation commerciale ne peut faire l'impasse sur ces préoccupations. Je connais les inquiétudes qui s'expriment à ce sujet dans certains pays en développement. Elles doivent pouvoir être apaisées par le dialogue et le débat ouverts.

Il ne s'agit de priver de manière unilatérale ces pays de leur avantage comparatif en matière de salaires, mais de les accompagner dans la voie du développement durable.

Il est satisfaisant de voir que ce dialogue progresse et que les thèses françaises, au départ très minoritaires, rencontrent aujourd'hui un écho de plus en plus étendu. Par delà les conflits d'intérêts et les divergences de perspective, aucune négociation n'a de sens si elle ne conduit pas, en définitive, à une meilleure compréhension entre les hommes et entre les peuples. C'est à cela qu'il faut maintenant nous atteler.

Vigilance, imagination et combativité : telles sont pour le groupe du RPR les qualités dont devra faire preuve la France dans ce « grand jeu » qui commence, et dans lequel le Parlement, constamment informé, devra tenir toute sa place. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) (M. François d'Aubert remplace M. Arthur Paecht au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La parole est à M. le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assembée nationale pour l'Union européenne.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par une constatation, que d'aucuns considéreront comme une provocation : il n'y a plus de libéraux dans cet hémicycle ! Le débat de ce matin le démontre et c'est tout de même une très grande satisfaction pour ceux d'entre nous - et nous sommes nombreux - qui ne souhaitent pas que les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce cèdent à une dérive libérale !

M. Claude Gaillard.

Ce n'est pas un bon début !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Ce que nous voulons, c'est construire un monde multipolaire. Y parviendrons-nous ? Je voudrais remercier à mon tour le groupe Radical, Citoyen et Vert d'avoir fait en sorte que ce débat puisse avoir lieu aujourd'hui. On peut considérer qu'il est précoce par rapport aux négociations, mais il présente l'avantage de permettre à l'Assemblée de continuer à être vigilante sur ce sujet dès le début du processus...

Mme Béatrice Marre et M. Yves Cochet.

Tout à fait !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... et pas seulement à la dernière minute, comme cela avait été le cas pour l'AMI.

En tant que président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, je ferai quelques propositions pour que le la place du Parlement puissent être mieux établies.

J'aborderai le deuxième point de mon intervention par une image : les chemins de fer ne font pas le printemps mais y contribuent (Sourires.) En effet, la semaine dernière, à une exception près, et remarquée,...

M. Jean-Claude Lefort.

Et pas remarquable !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... celle du groupe Démocratie libérale, l'Assemblée a voté une proposition de résolution que la délégation lui avait soumise pour aider le Gouvernement français à empêcher la libéralisation absolue du chemin de fer au sein de l'Union européenne. Ce que nous avons fait sur la directive « chemin de fer », je vous propose de le faire pour les futures négociations de l'OMC.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Mme Béatrice Marre.

Très bien !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Après avoir entendu M. Vasseur, on peut même imaginer que le vote sera encore plus large.

M. Claude Gaillard.

Oui !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

La politique commerciale commune, qui est une compétence exclusive de l'Union européenne, fait l'objet d'une attention constante de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Celle-ci a déjà eu l'occasion d'examiner les relations économiques de l'Union avec les Etats-Unis, au travers d'un rapport d'information de Jean-Claude Lefort, et avec le MERCOSUR, par le biais d'un rapport d'information que j'ai personnellement présenté la semaine dernière et qui a été adopté par la délégation. Cette dernière a désigné Yves Dauge pour examiner la renégociation de la convention de Lomé et Mme Béatrice Marre, qui vient d'intervenir avec talent, pour rapporter sur les prochaines négociations commerciales de l'OMC.

Ces négociations, qui font l'objet du présent débat, débuteront en janvier 2000, après la conférence ministérielle de Seattle qui aura lieu du 30 novembre au 3 décembre 1999.

Dans l'attente du résultat de ces travaux, et comme la délégation ne s'est pas prononcée sur le rapport luimême, mon rôle consistera davantage à tracer des perspectives générales, - en particulier sur le rôle du Parlement dans le contrôle de ce processus - qu'à livrer des conclusions définitives.

Le débat d'aujourd'hui est délicat dans la mesure où le long processus de préparation des prochaines négociations commerciales n'est pas encore entré dans sa phase active, dite de définition. La phase dite de proposition se termine à la fin du mois de juillet, et les membres de l'OMC ont jusqu'à cette date pour présenter leurs orientations. Mais je crois qu'il aurait été intéressant de se saisir de ce dossier dès maintenant.

La décennie 1990 aura été marquée par l'ampleur des débats suscités par la problématique de la mondialisation.

D'un côté, cela a été rappelé tout à l'heure, la France est l'un des grands pays exportateurs, dont les produits sont compétitifs dans le monde entier : nous sommes le quatrième exportateur mondial et nous n'avons jamais eu un excédent commercial aussi important que ces dernières années.

De l'autre, la « globalisation », la mondialisation, est, souvent à juste titre, un sujet plutôt impopulaire dans notre pays, où l'on note surtout ses impacts négatifs sur les mutations industrielles et agricoles, l'emploi et la distribution des revenus, l'environnement ou la multiplication des risques alimentaires, tous sujets qui ont déjà été évoqués. Ces craintes ne sont pas sans fondement. Je souhaite à ce propos que le Gouvernement entreprenne, avant le lancement des prochaines négociations, une évaluation des accords de Marrakech concluant le cycle de l'Uruguay du GATT, afin de nous éclairer sur le bilan coûts-avantages, en termes économiques et sociaux, de la libéralisation des échanges.

M. Yves Cochet.

Tout à fait !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Je remarque que ces négociations commerciales, qui se déroulaient précédemment dans le cénacle des milieux diplomatiques, font maintenant irruption au coeur des médias et mobilisent l'opinion publique, pas encore l'ensemble de l'Assemblée nationale, certes (Sourires) , mais c'est un premier pas.

M. Jean-Claude Lefort.

Ça va venir !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Face au besoin d'information des citoyens, on ne pourra plus jamais négocier comme avant, et l'échec de l'AMI à l'OCDE est là pour nous le rappeler.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Ces nouvelles négociations semblent, par certains côtés, reproduire celles du cycle de l'Uruguay : agriculture au premier plan, avec les attaques des Etats-Unis et de leurs alliés du groupe de Cairns contre la PAC, menaces sur l'exception culturelle. En fait, les choses ont changé. L'OMC a été créée le 1er janvier 1995, ce qui a permis de se doter d'une instance de régulation des échanges pour affronter les problèmes de la mondialisation, mais de manière encore insuffisante. La question centrale aujourd'hui est de savoir comment introduire, au coeur même des négociations, à côté des préoccupations commerciales, des préoccupations concernant plus directement l'homme.

Le dernier sommet du G7-G8 réuni du 18 au 20 juin à Cologne a d'ailleurs officiellement admis la dimension sociale de la mondialisation. Conscients des ravages sociaux dus à la crise asiatique qui a secoué l'économie mondiale au cours des deux dernières années, notamment dans les pays les plus pauvres, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont entendus pour « accroître la prospérité et promouvoir le progrès social », et ainsi « humaniser la mondialisation ». Vaste programme !

M. Jean-Claude Lefort.

Beau programme !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Je pense qu'il est logique que l'Assemblée nationale puisse contribuer, par ses débats, à cette humanisation de la mondialisation.

Les nouvelles négociations commerciales devront opérer un rééquilibrage entre la libéralisation du commerce international et la réglementation, pour assurer une plus grande loyauté des échanges. Pour cela, il faudra rechercher une plus grande coopération entre les différentes organisations internationales chargées de la régulation économique du monde - OMC, FMI, Banque mondiale, CNUCED, OIT -, afin d'assurer une meilleure « gouvernance » économique du monde. Les citoyens demandent, à juste titre, aux gouvernements de conserver la maîtrise de la mondialisation - et non pas de se laisser conduire par elle -, et de la réguler au profit du développement humain.

L'Organisation mondiale du commerce a été créée en 1995, à l'initiative de l'Union européenne, et singulièrement de la France, pour mettre fin à près de cinquante ans de domination des Etats-Unis sur les règles du commerce international, au travers de la structure provisoire qu'était le GATT. Seuls les Etats-Unis auraient avantage aujourd'hui à sa suppression, puisque la disparition du gendarme signifierait le retour à la loi du plus fort. Il faut cependant demander l'achèvement du système mis en place à l'OMC. Ses travaux gagneraient à être plus transparents, pour répondre aux attentes impérieuses des citoyens dans le domaine de l'information. Il faudrait aussi améliorer sa procédure de règlement des différends, dont la « guerre de la banane » a montré les limites. Il faudrait en outre clarifier ses règles, qui laissent trop de place à l'interprétation, et donc aux litiges.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Ces nouvelles négociations ne feront pas l'économie d'une nouvelle confrontation entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il faudra être intraitable à l'égard de l'usage que font les Etats-Unis de leurs législations unilatérales et extra-territoriales. La Commission européenne ne devra pas chercher à « donner l'exemple », comme elle le fait trop souvent, mais elle devra négocier durement des concessions réciproques et équilibrées. Il faudra montrer, et pas simplement à nous-mêmes, qui le savons, mais aussi à des pays tiers, qui peuvent être des alliés dans cette affaire,...

M. Jean-Claude Lefort.

Absolument !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... que les Etats-Unis ont des pratiques protectionnistes inadmissibles, comme le refus d'appliquer au sein de chaque Etat les règles relatives aux marchés publics, ou la multiplication des barrières locales aux investissements étrangers.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Cela pénalise l'ensemble de ceux qui participent au commerce international, et pas seulement les Européens.

M. Jean-Claude Lefort.

Vous avez raison !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

On a parfois l'impression que les Etats-Unis ne respectent pas les règles du jeu, même s'ils ont souvent largement contribué à les établir.

M. Yves Cochet.

Ce n'est pas qu'une impression !

Mme Béatrice Marre.

Et on ne l'a pas que « parfois » !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Ainsi M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture, dénonçait-il récemment leur utilisation massive de crédits déguisés à l'exportation de céréales sur le ma rché mondial. Je note aussi que les négociations pourraient se trouver compliquées par le refus du Congrès américain de donner au Président Clinton une habilitation générale.

M. Jean-Claude Lefort.

Eh oui !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Comment se présentent ces futures négociations commerciales multilatérales ? La Commission europ éenne, lors du conseil informel des ministres du commerce extérieur de Berlin, les 9 et 10 mai derniers, a estimé qu'elles ne devraient pas durer plus de trois ans.

Envisager un cycle qui ne soit pas trop long est sage, même s'il ne faut pas nécessairement s'imposer une date butoir.

La Commission, approuvée en cela par le Conseil, propose un cycle global comportant un grand nombre de sujets et reposant sur la règle de l'engagement unique. La possibilité de « récoltes précoces », demandée notamment par les Etats-Unis, risquerait en effet de tourner exclusivement à leur avantage ; conclure de façon anticipée les négociations les plus faciles priverait l'Union européenne de moyens de pression sur les dossiers les plus difficiles.

M. Jean-Claude Lefort.

Evidemment !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Les négociations devront reprendre en janvier 2000 sur deux sujets : l'agriculture et les services.

Dans le secteur des services, l'Union européenne, et singulièrement la France, a des positions à conquérir et des atouts qu'elle doit faire jouer ; rien ne doit être négligé en c e domaine, particulièrement riche en créations d'emplois. Mais il faudra sans doute élargir ce programme de travail, à la mesure des nouvelles dimensions prises par les questions liées au commerce international.

L'Union européenne appuiera sans doute une nouvelle négociation tarifaire : ayant des droits de douane parmi les plus bas du monde, elle pourra demander la suppression des « pics tarifaires », pratiqués notamment par les Américains. Elle aura aussi intérêt à demander l'amélioration du respect de la protection intellectuelle dans tous ses aspects - droits d'auteur, brevets, appellations d'origine, appellations géographiques - à l'égard desquels la France a beaucoup d'intérêts à défendre. L'Union européenne pourra enfin soutenir l'intégration des pays en voie de développement dans le système commercial mondial, notamment par une prise en compte de leurs contraintes particulières et par des programmes d'assistance.

Un meilleur respect de l'environnement, en vue d'un développement durable, sera un des objectifs que devront prendre en compte les nouvelles règles multilatérales. De même, les problèmes de la « vache folle », du boeuf aux hormones ou des organismes génétiquement modifiés nous imposent de veiller au respect des règles élémentaires de sécurité sanitaire et alimentaire.

L'Europe devra mieux se défendre dans ces domaines en demandant la reconnaissance d'un principe de précaution. A Genève, les experts de l'OMS n'ont-ils pas reconnu, le 11 juin dernier, qu'ils étaient dans l'incapacité d'évaluer l'ampleur du risque sanitaire dû à la présence de dioxine dans les farines animales, en raison du manque d'information et de l'insuffisance de moyens de recherche dans ce domaine ? C'est tout à fait scandaleux quand on sait les problèmes qui se posent dans de nombreux pays.

M. Yves Cochet.

C'est vrai !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

La déclaration de la Conférence ministérielle de l'OMC de Singapour de décembre 1996 sur le respect des normes sociales est restée en grande partie lettre morte. Certes, l'OIT a adopté, en juin 1998, une déclaration sur les droits fondamentaux de l'homme au travail.

Mais OMC et OIT n'ont même pas commencé à collaborer pour intégrer dans les règles du commerce international le respect des droits de l'homme au travail, c'està-dire l'interdiction du travail des enfants et du travail forcé, le respect de la négociation collective et de la liberté syndicale, le principe de non-discrimination. Il faut compter maintenant avec de fortes attentes des consommateurs pour une plus grande éthique dans les processus et méthodes de production, et nous devons répondre à ces attentes.

Il faudra convaincre les pays en voie de dévelppement, sans donner l'impression de leur donner des leçons, qu'il est de leur intérêt de mettre leurs enfants à l'école et d'assurer une juste rémunération des travailleurs, et non pas de subir sans réagir les pressions des multinationales.

Je suis convaincu que, malgré la difficulté de la tâche, nous pourrons atteindre des résultats concrets en ce domaine, en particulier si l'Union européenne joue un rôle moteur.

L'investissement devra aussi constituer un des nouveaux sujets de négociation, certes sur des bases différentes de celles qui ont abouti à l'échec de la négociation de l'AMI. Il ne faudra pas imposer tous les devoirs aux Etats et accorder tous les droits aux multinationales,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

... mais établir le cadre général d'une protection des investissements directs à l'étranger. Le droit de la concurrence pourra aussi être traité à l'OMC, à la mesure de l'internationalisation de la concurrence, afin d'instaurer une coopération internationale en la matière. Pourquoi ne pas demander que l'OMC prenne en compte les facteurs monétaires et financiers, afin de limiter les fluctuation erratiques des monnaies, en particulier du dollar, qui bénéficie de la situation ? Avant le début des négociations, le Conseil devra donner à la Commission européenne un mandat clair et précis ; Commission, Conseil et Parlement européen devront travailler ensemble. L'élaboration de ce mandat nécessitera que chaque Etat membre contribue à la recherche de l'intérêt général européen, qui permettra de définir une position forte des Quinze, à la hauteur de leur puissance économique, la première du monde. Il faudra, en particulier identifier clairement les sujets sensibles sur lesquels nous ne serons pas prêts à faire des concessions.

Dans ce mandat, la Commission européenne devra s'attacher en particulier à préserver ce qui fait la spécificité de la construction européenne, c'est-à-dire la défense du « modèle social européen », dans toutes ses dimensions.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Ainsi, il faudra préserver la politique agricole commune, pour laquelle la réforme décidée lors du Conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars 1999 doit constituer non pas une forteresse contournable mais un élément moteur permettant une mise en oeuvre systématique.

Il faudra obtenir une certaine reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture, qui ne doit plus répondre aux seuls buts productivistes et mercantilistes. Il f audra tout autant préserver de façon permanente

« l'exception culturelle » que nous avions réussi à arracher en 1993 aux Américains. Il faudra aussi s'assurer que les règles internationales permettent le développement de l'industrie aérospatiale européenne, modèle de coopération industrielle.

Dans cette optique, il faut que l'Union européenne et la France se cherchent des alliés. Nous devons aborder cette négociation après avoir pris des contacts avec d'autres zones régionales du monde, notamment avec le Mercosur, mais nous devons également engager le dialogue avec des pays d'Afrique et du bassin méditerranéen, voire avec certains pays d'Asie, afin de définir une coopération et de ne pas arriver en ordre dispersé face aux

Etats-Unis, qui sont en position dominantes. Chercher des alliés dans les semaines et les mois qui viennent est un élément important de la stratégie française et européenne.

L'Assemblée nationale doit jouer son rôle dans le suivi des prochaines négociations commerciales. Elle constitue le relais naturel de l'opinion publique pour l'étude de ces questions qui intéressent de plus en plus nos concitoyens.

Plusieurs propositions ont été faites et, personnellement, je les partage. L'information doit être complète tout au long du processus de négociation ; en retour, les gouvernements doivent être attentifs à l'expression formulée par l'Assemblée, et le résultat des négociations sera soumis, in fine, au Parlement pour ratification.

L'Assemblée nationale, à mes yeux, devra s'intéresser à l'ensemble du processus de négociation, avec tous les moyens de contrôle mis à sa disposition. On a parlé de la participation à la phase de négociation de Seattle, du démarrage de la conférence pour la négociation. La délégation à l'Union européenne entend prendre sa part dans ce travail. Ainsi, le Gouvernement pourrait - je dirai devrait - transmettre au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, la communication que présentera la Commission européenne en juillet prochain et, surtout, le projet de mandat de négociation qu'elle proposera au Conseil à l'automne. Ces documents serviraient ainsi de base au prochain rapport d'information de la délégation et à une ou plusieurs propositions de résolution - vous avez vu que, dans la dernière période, nous prenions l'habitude d'avoir des débats de fond en séance plénière sur les questions européennes - TVA, chemin de fer et maintenant OMC -, ce dont je me félicite, propositions de résolution dont l'intérêt justifierait, au même titre que le présent débat, dont je salue ceux qui sont à son origine, une inscription à notre ordre du jour.

Tels sont les souhaits que je voulais formuler en mon nom propre et en tant que président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod.

M. Michel Suchod.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on se félicite apparemment sur tous les bancs, de l'initiative du groupe RCV, qui a demandé ce débat. Pour ma part, je remercierai le Gouvernement pour la méthode de travail qu'il a retenue, en évoquant très en amont la conférence ministérielle qui se tiendra à Seattle en novembre prochain ; cette méthode a débouché sur un certain nombre de consultations interministérielles et sur le présent débat.

C'est une très bonne idée, et c'est une première de consulter sur des sujets importants comme l'agriculture, l'environnement, les normes sociales, les industries et les secteurs des services, la société civile, les fédérations professionnelles, les syndicats, les ONG et les entreprises, que vous comptez, si j'ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, associer sur place, à Seattle, à la réunion.

Toutefois, vous ne nous avez guère donné d'informations sur la préparation de l'Union européenne à cette négociation. En raison des règles, c'est la Commission qui va négocier, mais nous avons gardé un souvenir extrêmement mitigé - beaucoup de nos collègues l'ont rappelé sur la manière dont a été traité le dernier round du GATT, qui a abouti aux accords de Marrakech, et l'emblématique commissaire européen Sir Leon Brittan a été critiqué ici même, à juste titre.

Dans une période de vacance de la Commission, vous avez peut-être du mal à trouver des interlocuteurs, mais nous aimerions tout de même savoir comment la négociation va s'organiser à Bruxelles, puisque c'est là que sera le noeud de l'affaire.

La France a fait le choix d'une économie ouverte, et ce choix nous l'assumons complètement. Comment, du reste, ne pas le faire dans un pays qui exporte désormais près de la moitié de sa production industrielle, qui est le d euxième fournisseur de services au monde et la deuxième puissance agricole, et dont la croissance, que nous jugions trop modeste pendant les quinze dernières années, a été portée par une progression vigoureuse des échanges, de près de 7 % par an pendant toute la période ? Mais ce choix global de l'ouverture ne nous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

conduit pas le moins du monde à baisser la garde à l'orée de négociations qui seront très difficiles et que nous voudrions voir aborder avec une grande fermeté, tant sur les sujets traditionnels que sur les sujets nouveaux.

Sur les sujets traditionnels, nous sommes d'abord préoccupés par la question des obstacles non tarifaires, qui conduit parfois à douter de la réalité des engagements pris par un certain nombre de partenaires. M. Barrau a dit que les Etats-Unis donnaient parfois le mauvais exemple. Je dirai quant à moi « souvent », voire « trop souvent ».

M. Yves Cochet.

C'est plus exact, en effet.

M. Michel Suchod.

Nous nous souvenons tous de certaines normes discriminatoires ; jusque dans le plus petit canton de France, on se rappelle ce qu'a été l'attitude de certains face au lancement du Concorde. Mais le détournement des règles de la concurrence concerne d'autres domaines. Ainsi, la poudrerie de Bergerac, située dans ma circonscription et qui est la deuxième de France, subit en permanence des procès pour subventions aux Etats-Unis.

On nous cherche des poux dans la tête en prétendant que nous accorderions des aides indirectes à certaines productions, tout simplement pour interdire l'importation de nos produits.

M. Yves Cochet.

C'est un sujet explosif ! (Sourires.)

M. Michel Suchod.

Je crois qu'il ne faut pas cacher aux

Etats-Unis notre façon de penser, d'autant qu'il y a des contre-exemples. Le Japon, qui avait été fortement critiqué dans les décennies précédentes a fait des efforts méritoires et peut représenter un terme de comparaison.

Nous souhaitons également rester fermes dans la négociation agricole, secteur qui n'avait jamais été touché en quarante ans de GATT. Jamais, à l'époque du Kennedy Round, du Tokyo Round, du Nixon Round ou de l'Uruguay Round, on n'avait eu cette idée. La question figure dans l'agenda de Marrakech mais nous souhaitons que vous engagiez le Gouvernement à rester sur le mole fixé par la deuxième réforme de la PAC, que nous venons d'adopter, et sur notre excellente LOADT, parce qu'il convient de défendre deux principes : la préférence communautaire et la pérennité des aides directes aux agriculteurs.

Certains voudront certainement, en mettant en avant les règles de la concurrence et la poussée américaine sur les oléoprotéagineux, faire tomber une partie de la protection dont bénéficie notre agriculture.

Concernant les services, nous sommes forcément très attachés à l'exception culturelle française. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir indiqué en conclusion de vos propos qu'en défendant l'exception culturelle française, nous défendions aussi bien nos artistes et nos créateurs que les artistes et les créateurs du monde entier ; qu'ils soient européens, latino-américains, africains ou asiatiques, ceux-ci doivent échapper à la logique marchande. On parle de biodiversité, mais notre devoir n'est-il pas de promouvoir également la « culturodiversité » ?

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Michel Suchod.

Notre secteur audiovisuel est aussi concerné, cela nous paraît primordial. Nous devons garder le droit de soutenir ce secteur face, notamment, aux technologies de diffusion par satellite qui ont conduit certains à penser que notre exception culturelle était sur le point de disparaître.

Je ferai une mention spéciale pour nos professions juridiques. Si nous acceptions que le droit écrit que nous avons hérité du droit romain soit complètement passé à la « moulinette » de la common law anglo-saxonne, c'est un ordre intellectuel qui pourrait être menacé. Il convient de faire attention.

Il faudra aussi être très ferme concernant les sujets nouveaux de négociation, à commencer par les investissements. Certains se sont beaucoup félicités, ici même, de la position prise par Lionel Jospin lorsqu'il a décidé de suspendre la négociation de l'AMI en cours à l'OCDE.

Mais il convient néanmoins de veiller qu'à l'OMC, on fasse quelque chose de très différent. Car sinon, nous aurions lâché la proie pour l'ombre ! Vous avez donc raison de proposer que nous nous calions sur la non-discrimination en matière d'accès, laquelle suppose un traitement égal pour tous les investissements, mais n'entraîne pas obligation d'ouverture et de laisser-passer « à tous vents ». Il faut en la matière sauvegarder la souveraineté nationale ; cela me paraît bien le moins.

Nous sommes réservés concernant l'insertion, dans le débat OMC, des règles de la concurrence. Après l'agenda incorporé, après la réglementation des investissements, ne risque-t-on pas, à terme, de renforcer de façon excessive le pouvoir de l'OMC ? La suppression des barrières non tarifaires pose déjà des difficultés. L'OMC ne devrait-elle pas se focaliser sur ses premières fonctions, du moins sur celles qu'elle ne réussit pas à assumer complètement avant de se lancer dans de nouvelles ? Il faut veiller également à la mise en oeuvre de normes sociales. C'est peu de dire que la mondialisation n'aide pas au développement du tiers-monde. Les chiffres que vous avez cités - 30 % de la population des pays en voie de développement vivent avec moins de 1 dollar par jour et 13 % de la force de travail dans le tiers-monde reposent sur les enfants - montrent que nous devons nous y consacrer à fond.

Vous avez proposé d'établir des labels sociaux fiables avec les entreprises et d'organiser la mobilisation de toutes les organisations internationales, notamment du FMI, sur le thème du travail et des enfants. Voilà un beau sujet ! La France doit défendre, au-delà de ses propres intérêts, les intérêts globaux de la communauté internationale. C'est son rôle. Cela doit le rester.

M. Yves Cochet.

Voilà !

M. Michel Suchod.

Je pense tout spécialement à l'aide que nous pouvons certainement apporter aux pays émergents, parmi lesquels la Chine, qui représente le quart de la planète. L'intérêt bien compris de tous est qu'elle soit intégrée d'emblée à l'OMC, sans qu'on lui impose par ailleurs d'inadmissibles conditions politiques qui, pour les membres au Mouvement des citoyens, ne sont que des prétextes. Nous pensons que l'accession de la Chine à l'OMC se traduirait par des concessions commerciales d'étendue considérable et que, bien entendu, il faudrait la laisser passer.

M. Yves Cochet.

Tout de même, si elle était plus démocratique, ce serait mieux !

M. Michel Suchod.

Un dernier mot sur la présidence de l'OMC, qui est vacante depuis le 30 avril dernier. La réunion de vendredi dernier s'est soldée par un échec et nous allons vers un blocage complet de ces négociations, qui ont été reportées en juillet prochain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Là encore, nous devons être fermes. Les Etats-Unis soutiennent un Néo-Zélandais, M. Mike Moore. J'ai eu l'occasion de rencontrer le candidat, que je considère comme étant celui des pays en voie de développement, M. Supachai Panitchpakdi, de Thaïlande, premier vicepremier ministre thaïlandais. Ce n'est pas aux Etats-Unis de dicter le nom du président de la future OMC. Peutêtre serait-il utile de chercher un candidat plus représentatif de l'ensemble de la communauté économique internationale ? (Applaudissments sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Joseph Parrenin.

M. Joseph Parrenin.

Monsieur le secrétaire d'Etat, beaucoup de choses ont été dites. Je m'intéresserai surtout à l'agriculture, à l'agro-alimentaire et plus généralement à la politique alimentaire dans le monde. Mais je tiens à vous remercier au préalable d'avoir répondu à cet appel et à me féliciter des propos par lesquels vous avez engagé le débat.

La libéralisation des échanges ne doit pas conduire à appliquer la loi de la jungle. Or nous avons un peu le sentiment que c'est le cas lorsque nous examinons les orientations qui ont été prises et les pratiques de ces dernières années, en particulier depuis les accords de Marrakech - et je me range à l'idée de faire un bilan de ces accords.

Dans le domaine alimentaire, nous avons plusieurs points à prendre en compte : les pays en voie de développement, la sécurité alimentaire, la sauvegarde du patrimoine et des choix culturels, y compris dans le domaine alimentaire, les politiques territoriales.

Les pays riches doivent porter leur attention sur les famines qui interviennent de façon conjoncturelle ou ponctuelle. Mais cette question ne doit pas être traitées elon une logique purement commerciale et nous devrions avoir un vrai débat là-dessus.

Il faut prendre en compte les politiques d'autodéveloppement des régions du monde. Nous avons entendu, ces derniers temps, des déclarations des organisations paysannes des Indes, par exemple, qui remettent en cause certains choix techniques de production et certains choix commerciaux imposés très souvent par les USA.

Nous devons tenir compte des habitudes alimentaires des uns et des autres. Il serait important d'établir une charte des droits des peuples dans le domaine alimentaire.

Les fermiers américains, à travers les grandes firmes, n'ont pas à imposer au monde et, en particulier, aux pays en voie de développement leur logique alimentaire.

Je voudrais insister sur un autre aspect, celui des baisses de prix qui sont trop accentuées à mon avis, imposées très souvent par nos amis américains et qui font l'objet de compensations, parfois déguisées, contrairement à ce que prétendent ceux-ci.

Quoi qu'il en soit, ces baisses de prix conduisent inévitablement à des pratiques de production et de transformation qui risquent de mettre en péril la sécurité alimentaire et la santé publique. L'opinion française et européenne est très sensible à cet aspect des choses. De telles pratiques, que nous subissons depuis quelques années déjà - certaines, anciennes, n'ont été révél ées au public que dernièrement - ne sauraient perdurer.

Je me félicite des propos tenus par le Premier ministre, hier, à un colloque de la Banque mondiale, et dont chacun pourra prendre connaissance dans une dépêche de l'AFP.

La qualité des produits ne s'accommode pas très bien de la baisse des prix. Mais je voudrais aussi tordre le cou à l'idée selon laquelle nous devrions produire des denrées alimentaires qui donneraient satisfaction sur tous les plans - de la sécurité, du goût - mais que seuls les pays riches ou, dans nos pays, les familles les plus aisées pourraient s'offrir. En ce domaine, nous avons une responsabilité.

Réserver le poulet fermier aux catégories les plus aisées et celui qu'il faut récupérer avec une écumoire aux gens des cités est proprement scandaleux ! Je suis persuadé qu'on peut produire à des prix acceptables pour tout le monde des denrées alimentaires qui donnent satisfaction à tous points de vue.

Les pratiques alimentaires, liées à la culture, sont bien connues dans nos régions. Mais elles existent partout dans le monde. Et nous n'avons pas à imposer à certains p ays du monde des pratiques alimentaires qui ne conviennent pas à leurs habitudes culturelles. Il n'est pas question d'accepter tous les matins, tous les midis et tous les soirs, un hamburger arrosé d'un Coca-Cola partout dans le monde.

Je terminerai par les accords de Berlin, que l'on devrait considérer, comme M. Lefort l'a dit tout à l'heure, comme une base minimale. Aussi devront-ils être révisés le plus rapidement possible.

Nous aurons à renégocier en Europe une véritable politique agricole commune. Et, pour cela, nous devrions nous appuyer sur la loi d'orientation agricole. A ce propos, j'avais constaté, en entendant les propos tenus dans cet hémicycle, que tout le monde était d'accord sur les principes de cette loi d'orientation ; j'avais dit à l'opposition qu'elle aurait dû la voter. Cela nous aurait donné plus de force, aussi bien au niveau de la Communauté que dans les négociations menées dans le cadre de l'OMC.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

M. Joseph Parrenin.

Elle ne l'a pas fait, c'est dommage.

Je ne vais pas évoquer M. Brittan, dont on a déjà trop parlé, et ses propos ne méritent pas que l'on y consacre beaucoup de temps. Mais je suis très réservé sur le libéralisme humaniste. Je considère d'une certaine manière que c'est de l'angélisme, car aujourd'hui, ce que nous devons faire, c'est affirmer des choix politiques par rapport aux pouvoirs économiques.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Joseph Parrenin.

Voilà ce qui est important. Sinon, les grandes firmes font tout et n'importe quoi, et lorsqu'un problème survient ce sont les Etats qui doivent a rranger les choses, rassurer l'opinion, prendre des mesures de retrait du marché, etc.

M. le président.

Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue.

M. Joseph Parrenin.

Le pouvoir politique doit prendre en compte la liberté des peuples, la justice sociale, la garantie sanitaire. Le rôle du politique n'est pas d'avoir une confiance aveugle, mais d'ouvrir grand les yeux. C'est à mon avis le choix fait par le Gouvernement en associant le Parlement à cette réflexion. Nous aurons, j'en suis persuadé, l'occasion d'en reparler.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans ce débat relatif à l'OMC, une chose me préoccupe.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

Les objectifs fixés à la prochaine négociation sont nombreux : promouvoir les normes sociales et celles de l'environnement ; poursuivre la libéralisation des échanges ; rechercher des remèdes à la crise asiatique et, plus largement, à l'instabilité économique internationale ; enfin, aider les pays en développement à mieux profiter de l'échange international.

Pris séparément, chacun de ces thèmes est important.

Mais l'OMC peut-elle répondre aux ambitions que nous avons pour elle ? Sommes-nous capables d'amener tous nos partenaires à discuter de ces sujets difficiles ? S'agissant du premier point, je ne prendrai qu'un exemple pour illustrer mon inquiétude.

L'une des principales innovations de l'OMC réside dans son système de règlement des différends, qui devrait, en théorie, donner aux petits pays l'assurance d'un traitement plus équitable que par le passé.

M. Yves Cochet.

Ils n'en ont pas les moyens !

M. Jean Pontier.

Nous ne sommes pas ici pour évoquer les relations transatlantiques, mais l'actualité récente ne nous porte pas à l'optimisme.

Les Etats-Unis ont obtenu que l'Union européenne soit condamnée à l'OMC sur la question de la banane et sur celle des hormones.

Ces décisions vont, dans le premier cas, affaiblir l'organisation communautaire du marché de la banane. Il nous sera difficile de continuer à respecter les engagements que nous avons pris, dans le cadre des accords de Lomé, vis-àvis des pays ACP, dont la vocation est précisément d'aider le développement de ces pays amis de la France et de l'Europe.

Des entreprises, souvent des PME, ont été sanctionnées par les Etats-Unis ; ces sanctions, qui ont été autorisées par l'organisation de Genève, mettent d'ores et déjà plusieurs d'entre elles en difficulté.

Dans le second cas, nous sommes apparemment placés devant un choix difficile : soit nous autorisons la viande aux hormones, alors que de nouvelles études viennent récemment de confirmer les inquiétudes des scientifiques sur l'impact pour la santé des résidus d'hormones que l'on trouve dans la viande ; soit nous acceptons d'être, à nouveau, sanctionnés, comme dans le cas de la banane.

Une fois encore, les Etats-Unis imposent leur point de vue. Aujourd'hui, comme avant, ils continuent à jouer sur les registres de l'intimidation et de la force. Que cela passe par des sanctions unilatérales ou par la mobilisation de cohortes d'avocats en commerce international, la différence n'est évidemment pas bien grande.

C es derniers développements vont clairement à l'encontre des objectifs que nous nous fixons en matière de développement ou de protection du consommateur. Ils doivent nous conduire à nous interroger sur le bon fonctionnement du règlement des différends de l'OMC.

Plus largement, je m'interroge sur notre capacité à faire évoluer l'OMC dans la bonne direction.

Sur de nombreux sujets, ni les Etats-Unis, ni beaucoup d'autres pays membres de l'OMC, à commencer par les pays en développement, ne semblent prêts à retenir l'approche globale et ambitieuse que proposent la France et l'Union européenne.

En dehors de positions agressives sur des sujets comme l'agriculture et l'audiovisuel, je comprends que la plupart des membres de l'OMC n'attendent que peu de choses de la prochaine négociation, en dehors peut-être de quelques réductions de tarifs supplémentaires. L'accent est mis, au contraire, sur la recherche de « récoltes précoces », voire de nouveaux résultats en matière de libéralisation, dès Seattle.

Dans ce contexte, nous courons, me semble-t-il, un grave danger. Les membres de l'OMC risquent de ne parvenir à s'entendre que sur le plus petit commun dénominateur et l'agriculture et l'audiovisuel resteront les seuls sujets véritablement proposés à la négociation. Une telle orientation, il faut le dire nettement, serait inacceptable.

M. Jean-Claude Lefort.

Très juste !

M. Jean Pontier.

Elle conduirait à une pression renforcée sur l'agriculture et l'audiovisuel, elle nous amènerait à laisser nos consommateurs, nos entreprises, nos salariés et notre environnement sur le bas-côté de la mondialisation.

C'est, il me semble, le message qui devrait être transmis par la représentation nationale. Nous n'avons pas besoin d'un tel accord, et nous ne l'accepterions pas.

Mais, dans le même temps, nous aurions tort de renoncer à rechercher un cadre multilatéral plus solide.

Nous aurons certainement besoin, dans les mois à venir, et durant toute la négociation, de conjuguer nos efforts si nous souhaitons réellement parler, à l'OMC, d'autre chose que d'un agenda dicté par nos amis américains.

Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, ce que, dans ce bref laps de temps, il me paraissait important d'évoquer.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Daniel.

M. Jean-Claude Daniel.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'enjeu du prochain cycle de l'OMC sera d'apporter des réponses certes pas toutes les réponses - à un double phénomène auquel l'économie mondiale est soumise : l'internationalisation de la vie économique ; la multiplication des risques de déséquilibre, d'instabilité et d'injustice tant à l'échel le des pays que pour leurs ressortissants.

Face à la mondialisation de l'économie, le monde a besoin de règles du jeu et donc d'institutions chargées d'en assurer le respect. Elles sont nombreuses : l'OMC ne peut avoir l'exclusivité. Pour que l'ouverture des marchés et la libéralisation des échanges, des changes ou des télécommunications ne conduisent pas à l'anarchie, elles doivent s'accompagner d'une régulation renouvelée à l'échelle de la planète. Dans ces conditions, comment, monsieur le secrétaire d'Etat, se justifie le semblant de réserve de la France et de l'Europe dans la grave crise traversée par l'OMC à l'occasion de la nomination de son directeur général ? Première puissance commerciale du monde, l'Europe n'aurait-elle pas pu, n'aurait-elle pas dû, être l'indispensable intermédiaire entre l'Asie et les EtatsUnis, entre les pays riches et les pays moins favorisés ? La détermination américaine, elle, reste très forte. Les

Etats-Unis ont allègrement ignoré les règles de l'OMC en décidant unilatéralement de prendre des sanctions à l'égard de l'Europe dans le dossier de la banane. Mais ils collectionnent également les différends sur le boeuf aux hormones, les OGM, les nuisances sonores de certains avions de ligne ou les subventions à l'industrie aéronautique. L'énorme déficit commercial des Américains 250 milliards de dollars annoncés pour cette année - les rend particulièrement déterminés.

Au-delà de la banane, l'affrontement de la France et de l'Union européenne avec Washington met à l'épreuve le fonctionnement même du système de règlement des diffé-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 23 JUIN 1999

rends de l'OMC. Parmi les sujets qui enveniment les relations transatlantiques figurent, outre le dossier de l'acier, la question de la conformité aux règles de l'OMC de la section 301 de la législation américaine. En vertu de ce texte, les Etats-Unis s'autorisent à prendre des mesures de rétorsion unilatérales contre d'autres pays quand ils considèrent que leurs intérêts sont directement en jeu, comme c'était le cas pour la banane. Quelle sera, en la matière, la position du Gouvernement français ? A quelques mois de l'ouverture des négociations de Seattle, la diversité et la portée des engagements de libéralisation pris à Marrakech et depuis lors justifient une évolution de leur mise en oeuvre. Ce travail d'actualisation, demandé avec insistance par les pays en développement - et que de nombreux collègues appellent de leurs voeux est engagé, nous dit-on, à Genève, mais quel en est le bilan, peut-on aujourd'hui recevoir quelques informations sur son état d'avancement ? Au moment où deux stratégies s'affrontent pour le Cycle du millénaire : celle de la France - et, je l'espère, de l'Europe -, favorable au lancement d'un cycle multilatéral global permettant de négocier d'un secteur à l'autre, et celle des Etats-Unis, plus enclins à poursuivre la libéralisation des échanges au travers d'une succession de négociations sectorielles, les choix à défendre seront lourds de conséquences.

Ainsi, l'ouverture à de nouveaux dossiers comme la réglementation des investissements, celle des marchés publics et le travail sur les normes environnementales ou sociales - on a insisté tout à l'heure sur l'interdiction indispensable du travail des enfants -, nécessite que vous indiquiez à la représentation nationale quelle ligne de conduite le Gouvernement français entend tenir.

Des disparités souvent fortes au détriment de l'Union européenne ou de la France subsistent, en particulier dans le domaine tarifaire. C'est le cas, par exemple, pour les pics tarifaires textiles ou pour le secteur du meuble. Il faut aussi améliorer les niveaux consolidés des droits de douane. Mentionnons enfin les différends sur les inspections avant embarquement, les normes techniques, la protection des droits de propriété intellectuelle, etc. Les dossiers sont donc nombreux.

En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, devant une telle complexité, devant l'obligation pour les pays les plus riches de prendre en compte les conditions du développement durable des pays pauvres ou émergents, l'organisation des négociations ne sera pas sans conséquences.

C omment défendrez-vous la fixation d'un terme unique pour tous les dossiers, de préférence à un calendrier différencié par sujet ? Comment défendrez-vous, en tout premier lieu, le single undertaking - rien n'est acquis tant que tout n'est pas acquis - par rapport au principe, développé par nos amis américains, des récoltes précoces ? Enfin, quelle stratégie d'alliances intra et extracommunautaires poursuivrez-vous pour mettre en oeuvre les choix politiques que vous nous avez présentés aujourd'hui - c'est une première en ce domaine -, sans enfermement dans l'opposition Europe -

Etats-Unis, mais dans l'optique de la construction d'une Europe solidaire et ouverte au développement des pays les moins avancés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux d'abord me réjouir du caractère studieux de nos délibérations. Je note qu'un consensus assez large s'est dégagé sur le besoin de transparence des négociations, sur l'équilibre à respecter entre les sujets initiaux et les nouveaux sujets - normes sociales, environnement, investissement -, sur la préférence à accorder à un cycle global plutôt qu'à des récoltes précoces et, enfin, sur le thème central, à savoir qu'il faut aboutir à un système en développement. Ce consensus est précieux.

Mes réponses à vos nombreuses questions seront nécessairement brèves et partielles ; je m'en tiendrai aux grands thèmes que vous avez évoqués.

Plusieurs d'entre vous, dont l'initiateur de cette matinée, Yves Cochet, ont demandé un bilan des dossiers en cours. La direction des relations économiques extérieures travaille depuis plusieurs mois à établir un bilan aussi objectif que possible et retraçant les plus et les moins.

Dès qu'il sera achevé, il sera remis à chaque parlementaire.

Je voudrais dire un mot à propos des péripéties auxquelles donne lieu le choix du directeur général de l'OMC. Si nous n'avons pas abouti, ce n'est pas une question de personne, c'est parce que deux doctrines se sont opposées, entre lesquelles la France a hésité. Il y avait au départ un très bon candidat, M. Abouyoub, présenté par le Maroc, mais le gouvernement marocain a soudainement retiré sa candidature, avant même que l'on puisse compter ses partisans.

Le candidat canadien, dont on ne voulait pas, a été écarté. Restent en présence M. Supachai, candidat d'un p ays en voie de développement, la Thaïlande, et M. Moore, candidat d'un pays développé, la NouvelleZélande.

Après les avoir l'un et l'autre consultés, nous avons constaté que M. Supachai défendait les théories des pays en voie de développement, traditionnellement soutenues par la France, mais ne voulait prendre aucun engagement sur l'inclusion, à l'occasion du nouveau round, de clauses sociales et environnementales, tandis que M. Moore, plus

« syndicaliste », était assez soucieux de ces clauses. C'est ainsi que M. Moore qui, au départ, ne soulevait guère l'enthousiasme, a fait petit à petit le plein des voix, puisqu'il compte actuellement à peu près quatre-vingts partisans. Seuls cinq pays asiatiques se battent toujours pour

M. Supachai. Le Japon a rejoint le camp de M. Moore, ce qui montre bien qu'il ne s'agit pas uniquement d'une bataille Asie-reste du monde et que l'on devrait trouver un accord.

Il n'est pas sûr que l'on parvienne à s'entendre sur un troisième homme, car on sera toujours confronté à la même dialectique : faut-il privilégier les clauses environnementales et sociales ou laisser les pays en voie de développement nous livrer des produits fabriqués dans des conditions qui posent problème ? Les élus des régions textiles savent bien que la crise bancaire étant à peu près surmontée en Asie, d'excellents produits apparaissent sur le marché, depuis le début de cette année, à des prix très compétitifs. Cela n'a rien d'étonnant quand on pratique des salaires bas, qu'on dispose de bonnes machines et qu'on peut travailler dans de petites unités parce qu'on n'a pas à investir les 4 ou 5 millions nécessaires à une station d'épuration pour les teintures. Tout cela allège évidemment les coûts de fabrication des pull-overs ou des t-shirts ! Vous êtes nombreux à souhaiter que l'Union européenne s'efforce de dégager une doctrine commune. Pour le moment, elle n'en a pas. Huit ou neuf pays sont partisans de clauses sociales et environnementales ; les autres ne veulent poser aucune condition et sont menés, comme


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par hasard, par la Grande-Bretagne et son féal, les PaysBas. Dans ces conditions, il devient assez pénible d'assiter aux réunions européennes. L'unité n'est pas encore faite et quelques années seront encore nécessaires.

Je forme des voeux pour que nous arrivions fin juillet à Seattle avec un directeur général qui défende un peu les idées exprimées ici ce matin.

Le problème du boeuf aux hormones est beaucoup plus compliqué que celui des bananes. Mais nous ne voulons pas que les Américains prennent des sanctions unilatérales. Nous avons obtenu de l'Union européenne qu'elle plaide pour la suppression de la section 301, qui n'est pas conforme aux traités internationaux signés par les EtatsUnis. Nous admettons que les Américains demandent à l'OMC de pouvoir appliquer des pénalités : nous nous sommes toujours inclinés devant ce type de décisions. En revanche, nous n'acceptons pas qu'ils les appliquent d'autorité, sans consulter leurs partenaires.

J'ajoute que les sanctions américaines sont motivées par un très important déficit commercial. Or, en ce qui nous concerne, c'est nous qui sommes en déficit vis-à-vis des

Etats-Unis. Nous sommes très corrects à leur égard ; nous avons le souci d'entretenir avec eux des relations qui ne soient pas la source de trop nombreuses difficultés. Aussi avons-nous demandé énergiquement à l'Union européenne de plaider pour l'abolition de la section 301 ainsi que des lois Helms-Burton et d'Amato, tout aussi scandaleuses. Certes, d'Amato a été puni puisqu'il a été battu aux élections, mais sa loi demeure et il faudra l'abroger.

Les Etats-Unis ont beau être une superpuissance, ils ne doivent pas se croire les gardiens du monde.

Plusieurs d'entre vous se sont ainsi prononcés en faveur d'un monde multipolaire.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Oui !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

C'est aussi le point de vue du Gouvernement, qui souhaite fondamentalement l'émergence d'un monde où plusieurs grands pays, plusieurs grands ensembles, dont l'Europe, donnent le la du commerce mondial.

Pourquoi défendons-nous la mondialisation ? Certains, ici, que je ne citerai pas nommément, se demandent si la mondialisation est une bonne chose. Il est certain qu'un système d'organisation régionale se prête mieux aux retournements de l'économie que le système mondial, forcément lourd à manoeuvrer. Mais l'expérience que nous avons eue entre les deux guerres a montré que si les sous-ensembles mondiaux géraient plus facilement leurs économies, ils avaient une fâcheuse tendance à convoiter leurs voisins et à entrer en conflit avec eux. Mieux vaut donc une organisation mondiale. C'est peut-être plus difficile et plus lent, mais cela permet de limiter les conflits.

La seconde guerre mondiale ayant fait pas mal de casse, autant éviter la troisième, dont le coût humain serait encore deux ou trois fois plus élevé. La mondialisation est un facteur de paix.

Les oreilles de Sir Leon Brittan ont dû siffler toute la matinée. Je l'ai rencontré à Berlin, alors qu'il s'apprêtait à partir, d'un pas guilleret, expliquer en Asie la position de l'Europe - en réalité la sienne, très proche de la position britannique. Je lui ai rappelé qu'étant démissionnaire, il n'était pas mandaté. Il est entré en transe.

(Sourires.)

Si encore il avait adopté une position moyenne, reflétant réellement celle de l'Europe, on aurait pu accepter cette démarche. Mais le manque de contrôle sur les anciens commissaires est tout à fait fâcheux.

Mme Béatrice Marre et M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

La situation devrait être bientôt reprise en main.

Vous souhaitez que le Parlement soit associé aux négociations. Je suis d'accord sur le fond, mais il reste à trouver sous quelle forme. Je propose de nous réunir prochainement pour en discuter, étant entendu - l'un des orateurs l'a souligné - que c'est l'Union européenne qui négociera à Seattle et que nous ne serons donc pas en première ligne.

L'un d'entre vous, un seul, a parlé de la protection de la vie privée et du commerce électronique.

M. Jean-Claude Lefort.

Oui !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

C'est un problème important et en devenir. Ayant une formation d'ingénieur, je pense toujours qu'il faut expérimenter avant de légiférer, contrairement à bien des juristes qui préfèrent rédiger de belles lois et les appliquer aussitôt. Le Gouvernement a déjà pris une très bonne décision en autorisant des codages plus complexes sur Internet. Ce système permet déjà une bonne protection de la vie privée, mais des problèmes se posent encore et il faut remédier aux dérapage éventuels avant d'engager le processus législatif. L'année dernière, nous avons opté pour une période probatoire d'un an, assortie d'une certaine liberté.

Je souhaiterais que ce délai de viduité soit prolongé pour que l'essai soit concluant. Le commerce électronique ne représente qu'une part modérée du commerce mondial.

Les risques de dérapage sont donc limités.

Je suis d'accord avec l'orateur qui a souhaité que l'on négocie à Bruxelles. Chacun de vos groupes a des députés au Parlement européen. Faites en sorte qu'ils y expriment les idées que vous avez exposées ce matin afin de peser sur la Commission. Elle ne retrouvera jamais sa belle indépendance d'antan après une démission collective qui ressemblait au suicide collectif de certaines sectes (Rires) et qui aura des conséquences historiques sur l'exercice de ses compétences.

Dans le domaine des investissements, vous avez bien compris que nous ne les laissons pas tous passer.

A ce sujet, je suis allé, l'été dernier, à l'investiture du président de la Colombie et du président de l'Equateur.

S eul représentant de l'Union européenne à m'être déplacé, j'ai appris à cette occasion, en discutant avec les nouveaux investis, qu'un article de la Constitution permettait la nationalisation d'une entreprise sans indemnité d'aucune sorte.

M. Yves Cochet.

C'est les Soviets !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Cela n'est pas acceptable. J'ai assisté contre mon gré, parce que la firme ne valait pas un « clou », à la nationalisation de la CGCT, compagnie générale de construction téléphonique, et il a bien fallu payer quelque chose. Et pour être gentil avec les Américains, il a fallu faire de même avec ATT ; c'est d'ailleurs nécessaire. Quand un gouvernement s'empare d'un moyen de production, il se doit de dédommager correctement. On ne peut pas empêcher les nationalisations car elles relèvent des politiques nationales.

Mais on peut essayer d'empêcher la spoliation. C'est dans cet esprit que l'on demandera lors des négociations que les propriétés d'autrui soient respectées. Le nouveau pré-


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sident colombien m'a dit de ne pas m'inquiéter car, quand il était dans l'opposition, il avait demandé la suppression de ce fameux article. Il s'est donc engagé à le supprimer. Je n'ai pas eu le temps de vérifier si cela a été fait, mais je ne doute pas qu'on y arrive un jour.

Par ailleurs, je vous remercie d'avoir noté que le problème du règlement des différends est une des forces absolues de l'OMC car c'est bien parce que l'on résout rapidement les différends que l'OMC est devenue aussi puissante. Tout le monde s'en inquiète d'ailleurs : l'OMC va-t-elle traiter les affaires sociales à la place de l'Organisation internationale du travail ? On est dans un système où, quand on a décidé quelque chose, une structure apporte une réponse en deux ans et pas forcément au détriment des petits pays, c'est donc assez précieux. Je crois que notre Vert, M. Cochet, a proposé une cour de cassation...

M. Yves Cochet.

Auprès de la Cour internationale de justice.

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

... et l'on s'oriente de plus en plus vers des systèmes où les magistrats traitent les différends ; c'est une évolution du même ordre que celle qui concerne les tribunaux de commerce.

M. Yves Cochet.

C'est mieux que la chambre de commerce international qui est très puissante à l'OMC !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Le recrutement se fait parmi de vrais juristes.

Il y a peut-être à faire quelque chose, pour se rapprocher, comme l'a proposé Yves Cochet, d'une solution plus classique et pas moins spécialisée sur le commerce.

Mais, rassurez-vous, un effort va être fait dans ce domaine.

Nous souhaitons que la négociation s'engage sur des bases qui ne soient pas uniquement commerciales, mais aussi éthiques. Je propose à cet égard que nous nous revoyons dans quelques mois.

Mme Béatrice Marre et M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

On aura fait le tour des différentes professions ; on aura entendu vos commissions et on essaiera d'organiser un nouveau débat. Nous pourrions faire savoir à Matignon que nous sommes tous d'accord pour en rediscuter.

Après, on partira à Seattle.

Cela dit, je veux organiser aussi une réunion avec des pays étrangers. Nous avions déjà réuni les francophones à Monte-Carlo. On leur a promis alors - il y avait aussi bien des pays en voie de développement que des pays très développés - de discuter avec eux vers la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre de la ligne à défendre. Il faut arriver à renforcer la cohésion du monde et non pas à écraser les plus petits ou ceux qui sont le moins développés. Car, dans une situation de concurrence, ce sont les pays développés qui gagnent aussi bien sur le plan industriel que sur le plan agricole. Il faut donc aider les pays les moins avancés à décoller et à dépasser ce stade inacceptable de 1 dollar par jour et par habitant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Le débat est clos.

2

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion du projet de loi, no 957, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale : M. André Vallini, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1702).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT