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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

1. Conférence ministérielle de l'OMC. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 8069).

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

M.

Laurent Dominati, Mme Béatrice Marre,

MM. Hervé Gaymard, Georges Sarre, Claude Gaillard, Jean-Claude Lefort.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

MM. Jean-Claude Daniel, le président, François Guillaume, Mme Chantal Robin-Rodrigo,

MM. Félix Leyzour, Lionnel Luca, Julien Dray, Yves Cochet.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Clôture du débat.

2. Ordre du jour de l'Assemblée (p. 8100).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 8100).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la préparation de la Confé-r ence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous présente aujourd'hui, après le débat de juin, ses orientations sur les prochaines négociations de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. L'occasion est particulièrement opportune parce qu'elle se situe au moment où l'Europe a fixé sa position commune et où commencent à Genève les discussions sur le projet de déclaration ministérielle qui devra être adopté à Seattle.

Permettez-moi de revenir en introduction sur les caractéristiques fondamentales de l'OMC, qui restent souvent méconnues.

L'OMC ne doit être ni diabolisée, ni idéalisée.

L'OMC n'est pas un organe supranational qui imposerait mécaniquement ses lois aux Etats et aux peuples.

L'OMC n'édicte pas de règles, elle fournit le cadre où les

Etats décident des règles. L'OMC est donc une organisation internationale constituée sur un mode démocratique : chaque gouvernement peut faire entendre sa propre voix et dispose en quelque sorte d'un droit de veto puisque toutes les décisions sont prises par consensus. Le modèle de l'OMC n'est pas celui de la domination des forts sur les faibles, mais davantage celui, cher à notre tradition politique, du contrat social, d'un contrat social international entre partenaires libres et égaux.

En deuxième lieu, l'OMC ne met pas en place des contraintes irréversibles qui, pour issues qu'elles soient de la libre volonté des Etats, les enfermeraient ensuite dans un carcan. Un Etat membre dispose toujours de l'option de se soustraire à l'application d'un engagement qu'il a p réalablement souscrit à l'OMC, s'il propose une compensation. Le système multilatéral prévoit aussi qu'un

Etat puisse prendre des mesures de protection s'il se trouve dans une situation grave : il peut à ce titre bénéficier de sauvegardes ou de dérogations.

L'OMC serait aussi pour certains une organisation marquée irrévocablement par une idéologie particulière, le libre-échange. Je crois la réalité plus complexe. D'abord, l'OMC est une enceinte de discussions où l'on traite d'autres sujets que les tarifs douaniers. Mais plus fondamentalement, le principe de base de l'OMC n'est pas l'ouverture commerciale en tant que telle, mais plutôt l'égalité de traitement. Si un pays impose des normes sanitaires à une certaine catégorie de produits importés, il doit aussi y soumettre ses producteurs locaux. Si un Etat décide d'accorder des facilités commerciales à un autre

Etat, parce qu'il y trouve des avantages directs ou indirects, il doit les accorder à tous les membres de l'OMC.

On dit parfois que, dans l'OMC, coexistent potentiellement un volet d'« ouverture commerciale » et un volet de « régulation », avec en particulier les nouveaux sujets : concurrence, investissement, normes sociales, environnement. Il me semble que l'ouverture commerciale et la baisse des tarifs, telles qu'elles sont négociées, organisées, dosées en fonction des capacités de chacun, enfin contrôlées par l'OMC, sont déjà pleinement de la régulation. De la régulation, dont aux niveaux national, européen et international, l'économie a besoin, ainsi que le Premier ministre l'a affirmé avec force à Strasbourg.

Enfin, dernière observation sur les principes fondamentaux de l'OMC, sa méthode de règlement des conflits. Qui dit en effet régulation, dit règles, mais aussi conflit de règles, interprétation de règles, application de règles. C'est donc tout à fait logiquement que l'OMC dispose d'un tribunal qui permet de faire vivre, de rendre effective la règle de droit.

Le système de règlement des différends de l'OMC représente l'un des grands acquis du cycle d'Uruguay, pour l'Union européenne comme pour ses partenaires, parce qu'il interdit l'unilatéralisme comme mode de résolution des conflits commerciaux internationaux. Il faut se rappeler les guerres commerciales des années 70 - soja, acier, aéronautique - et leurs escalades permanentes où la loi du plus fort l'emportait à coup sûr.

Au total, depuis la création de l'Organe de règlement des différends, l'ORD, l'Union européenne a remporté plus de panels qu'elle n'en a perdu et les sanctions subies sur la banane ou les hormones n'ont pas un caractère définitif. De plus, sur l'acier vis-à-vis des Etats-Unis, sur l'automobile à l'égard du Canada, ou sur les aides fiscales à l'exportation américaines, les perspectives nous sont très favorables.

Je vois néanmoins plusieurs directions dans lesquelles nous devons travailler pour améliorer l'ORD.

La première est l'accès au droit. Les pays pauvres, disons-le franchement, n'ont pas toujours les moyens d'argumenter dans un panel. Nous devons améliorer les choses si nous voulons que l'ORD soit vraiment un instrument juridictionnel mondial.


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Deuxième orientation : la transparence. Surtout quand les sujets traités ont une dimension extra-économique, en matière d'environnement par exemple, il faut que la société civile puisse faire entendre son point de vue. Les modalités ne sont pas toujours simples, mais nous devrons trouver le bon équilibre entre transparence et respect de la confidentialité de certaines informations.

Enfin, il y a le problème des sanctions. Le bon sens, et je dirai même le sens inné de la justice qui est en chacun de nous, comprend mal que souffrent des décisions de l'ORD des secteurs, des entreprises et, en dernier ressort, des hommes et des femmes qui n'étaient pas partie au litige. C'est un sujet très complexe sur le plan juridique, mais où l'OMC joue en partie sa crédibilité : l'objectif d'une meilleure régulation internationale est trop important pour qu'on puisse le fragiliser pour des raisons, peutê tre techniquement justifiées, mais politiquement et moralement peu explicables. Je le répète, l'OMC est une institution démocratique. Si l'on change ou si l'on fait évoluer le système des sanctions, il faudra le faire d'un commun accord. Cela ne nous dispense pas de formuler des propositions.

Mais, au-delà de ces améliorations souhaitables de l'ORD, nous devons considérer que tous les problèmes nouveaux auxquels la communauté internationale se t rouve confrontée dans le domaine commercial ne peuvent être résolus par les juges. Certains voudraient que le droit de l'OMC s'adapte à l'évolution des besoins de l'économie ou des préoccupations de la société civile selon une voie seulement jurisprudentielle. Tel n'est pas le point de vue de la France, ni de l'Union européenne.

Pour des raisons d'efficacité et de légitimité, il est nécessaire que les Etats réexaminent ensemble, périodiquement, au-delà de la jurisprudence, le cadre normatif sur lequel celle-ci doit s'appuyer. Créer de nouvelles règles, modifier les règles existantes ou en préciser la portée, ne peut incomber à des juges, mais relève de la volonté des membres de l'OMC, des Etats souverains.

C'est un des enjeux du prochain cycle.

Au-delà des principes qu'il était, je crois, utile de rappeler, il y a la réalité qui correspond à ce que l'on appelle parfois le bilan de l'OMC.

Dresser ce bilan est un exercice extrêmement difficile, car la vie économique internationale dépend de facteurs monétaires, financiers et politiques qui dépassent largement la capacité de régulation de l'OMC. En particulier, il me semble inexact d'attribuer aux accords de l'OMC une responsabilité dans la crise asiatique de 1997-1998 ; celle-ci est également issue de l'inadaptation de certains cadres juridiques internes des pays qui en furent victimes, en particulier sur le plan des droits bancaire et boursier.

J'ajoute que les nations frappées par cette crise sont souvent loin de s'être engagées dans des politiques d'ouverture commerciale accélérée, mais ont conclu à Marrakech des baisses de tarifs limitées, assorties de périodes de transition importantes.

Le bilan de l'OMC me semble plutôt positif ; en tout cas il l'est certainement pour la France. Notre pays, grâce aux efforts de nos concitoyens, a en effet renoué avec une suite spectaculaire d'excédents commerciaux depuis 1993.

Aujourd'hui, près de la moitié de notre production industrielle est exportée. Dans le domaine agroalimentaire, notre balance commerciale est excédentaire depuis trente ans, avec une progression régulière de 4,5 % par an depuis 1986. L'économie française a donc prouvé sa compétitivité au niveau international et n'a pas à craindre de nouvelles négociations commerciales, d'autant que les perspectives de croissance de l'économie mondiale sont très favorablement orientées.

L'enjeu du nouveau cycle n'est pas le partage de la rareté mais, bien au contraire, l'accompagnement et le renforcement de la croissance par des mesures contrôlées d'ouverture et des disciplines appropriées.

Je n'ignore pas que certains pays en développement ont le sentiment de ne pas avoir tiré les bénéfices escomptés de l'accord de Marrakech.

N'oublions pas, tout d'abord, qu'un certain nombre d'accords signés à Marrakech ne sont toujours pas entrés en vigueur. Les pays en développement ont bénéficié de périodes de transition qui s'appliquent jusqu'aux années 2000 ou 2005.

Les pays en développement considèrent néanmoins que de nombreuses dispositions des accords qui formaient l'équilibre du cycle d'Uruguay n'ont pas été respectées. Ils mettent en avant l'accès au marché pour l'agriculture et le textile, le recours par les pays industrialisés à l'antidumping. Ils considèrent en outre que les pays industrialisés n'ont pas mis en oeuvre leurs engagements en matière de coopération et de transfert de technologie, qui devaient leur permettre de disposer des capacités de mise en oeuvre des accords.

Certains de ces reproches sont fondés, mais ce n'est pas la polémique qui fera évoluer le débat : c'est au sein de l'OMC que les pays en développement doivent présenter leurs propositions pour améliorer la mise en oeuvre des accords : c'est un autre enjeu du prochain cycle.

Permettez-moi de conclure sur cette question difficile par une simple observation : aujourd'hui une trentaine de pays, aussi différents que le Vietnam ou l'Algérie, ont engagé des négociations d'accession à l'OMC. C'est un signe qui plaide sûrement en faveur de cette organisation.

Parce que l'existence et le fonctionnement de l'OMC constituent un atout pour notre pays, nous devons envisager les futures négociations avec beaucoup de résolution.

D'abord à cause nos intérêts économiques, que je viens de rappeler.

Ensuite parce que les objectifs que nous poursuivons nous semblent partagés par la très grande majorité des Français, comme viennent de le rappeler la résolution adoptée par votre assemblée et la déclaration commune des cinq grandes centrales syndicales.

Le Gouvernement a abordé la préparation de Seattle dans la transparence, non pas seulement a posteriori en informant la société civile de positions déjà arrêtées, m ais a priori en consultant les organisations professionnelles et syndicales ainsi que les associations pour élaborer ses positions. Mme Marre mentionne dans son rapport, et je l'en remercie, ces différentes consultations, qui se sont tenues souvent à Bercy, mais toujours dans une dimension interministérielle et en association avec les parlementaires. Je n'y insiste pas, mais vous constaterez que cette démarche est tout à fait inverse de celle de l'AMI.

Enfin, notre résolution est confortée par l'unité de vues qui est celle de l'Union européenne.

(Murmures sur quelq ues bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Aujourd'hui, à Bruxelles, seront adoptées formellement les conclusions du Conseil qui serviront de cadre à la Commission pour préparer Seattle. Les difficultés qui, comme c'est normal dans un texte important et précis, subsisteraient encore à la fin du travail


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intracommunautaire ont été rapidement aplanies. Au total, l'Europe n'est jamais apparue aussi soudée à l'approche de négociations commerciales.

Je crois que cet accord européen et ce consensus au sein de l'opinion française reposent sur une double conviction : si le développement des échanges est un gage de croissance, il est vrai aussi que l'économie n'est pas une fin en soi mais un moyen au service de valeurs supérieures au simple commerce.

Ainsi, dans l'exemple de la culture, l'Union européenne a réaffirmé que les biens et services culturels n'étaient pas des produits comme les autres. A Marrakech, l'Union européenne a utilisé les deux possibilités inscrites dans l'accord de l'OMC sur les services : celle de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle, celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée pour développer ses instruments de soutien au secteur culturel et audiovisuel. Les conclusions du Conseil adoptées aujourd'hui réaffirment clairement cette orientation.

On dit parfois que la France est le dernier bastion de la spécificité culturelle. Permettez-moi de rappeler que, sur 134 membres de l'OMC, 19 seulement ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel.

C'est dire qu'une écrasante majorité de pays - et je l'ai constaté encore très récemment en m'entretenant avec mes homologues africains réunis à Abidjan - partagent notre souci de maintenir leurs souveraineté culturelle.

Au niveau international, ne l'oublions jamais, c'est l'exception culturelle qui est la règle et la libéralisation qui est l'exception.

Ce qui est vrai de la culture, l'est aussi d'autres domaines du secteur des services. Parce qu'ils ont une vision fausse de l'OMC, qu'ils considèrent comme une organisation supranationale et sans contrôle, certains craignent que nos services publics soient mis en péril par les nouvelles négociations, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la santé. Je rappelle que selon l'accord de l'OMC sur les services, on ne libéralise que ce que l'on veut libéraliser, ce que l'on offre volontairement à ses partenaires dont on attend la réciprocité.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Permettez-moi d'affirmer ici avec une certaine solennité qu'il n'est pas question pour la France de s'engager dans un processus de négociation sur l'éducation ou la santé et que, par conséquent, nos services publics ne sont en rien menacés par l'OMC.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

J'aborde maintenant les perspectives et les enjeux du prochain cycle de négociation.

Lors de la signature des accords de Marrakech, tous les membres de l'OMC se sont entendus pour reprendre, à partir de l'an 2000, un certain nombre de négociations, en particulier dans les domaines des services et de l'agriculture. C'est ce que l'on appelle le « programme intégré » de l'OMC. En se rapprochant de l'échéance de l'an 2000, plusieurs membres de l'OMC, dont l'Union Européenne, le Japon, les Etats-Unis, le Canada et certains pays en développement, ont pris position pour compléter ce programme ; si l'on doit négocier dans les secteurs primaire : l'agriculture, et tertiaire : les services, pourquoi ne pas aussi négocier dans le secteur secondaire : l'industrie ? Mais ne peut-on pas également mettre à profit cette opportunité pour développer de nouvelles règles commerciales dont le besoin se fait aujourd'hui sentir ? La France et l'Europe partagent cette conviction et c'est pourquoi elles se sont engagées dans la voie d'un cycle large, assorti d'un accord unique. Comme l'a dit le Premier ministre, « rien ne sera acquis, quand tout ne sera pas acquis ». C'est ce principe qui doit permettre de trouver le bon équilibre entre les priorités de chacun des participants. C'est pourquoi un cycle trop court ou des récoltes précoces ne permettraient pas de répondre à notre objectif d'un cycle global et équilibré.

Le rapport de la délégation pour l'Union européenne vous a présenté de manière précise les différents thèmes de négociation. Permettez-moi d'en rappeler seulement quelques-uns.

Dans le domaine de l'agriculture, l'Union, souvent accusée de protectionnisme, est en fait importatrice nette car ses exportations ne couvrent que 85 % de ses importations. Elle absorbe 20 % des exportations mondiales de produits agroalimentaires, soit autant que les Etats-Unis.

Pour l'Union européenne, les prochaines négociations recouvrent trois objectifs majeurs.

Premier objectif, la réduction des protections tarifaires devra être gérée avec fermeté pour assurer sa compatibilité avec la réforme de la PAC, qui constituera le socle permanent de la position européenne. Dans le même temps, l'Union devra rechercher une amélioration de l'accès aux marchés des pays tiers.

La négociation devra également porter sur certaines pratiques de nos partenaires, comme les monopoles d'importation ou la gestion des contingents d'importation.

Deuxième objectif, les soutiens à l'exportation. Certes, l'Europe devra faire face à la pression conjuguée des

Etats-Unis et des pays du groupe de Cairns pour la suppression de ces soutiens. Mais cette négociation devra aussi être l'objet d'une attitude offensive de l'Europe contre des pratiques comme les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire ou les monopoles d'exportation, qui ont les mêmes effets que les restitutions européennes.

L'Europe devra aussi veiller à ce que progressent les travaux décidés à Marrakech sur la protection des appellations d'origine.

Troisième objectif, les soutiens internes donneront lieu à des négociations dans lesquels le partenaire américain, qui a accru massivement les aides à ses agriculteurs dans la période récente, devra lui aussi justifier de ses propres soutiens.

Mais ces trois objectifs sont englobés dans une perspective plus large qui va au-delà de l'approche classique de l'agriculture à l'OMC. L'Union souhaite en effet élargir le champ de la négociation en prenant en compte les v éritables enjeux de l'agriculture, ses implications majeures sur l'environnement, l'aménagement du territoire, la qualité de l'alimentation et la santé.

La multifonctionnalité de l'agriculture, maintenant reconnue par tous nos partenaires européens, doit être prise en compte par tous les pays dans leur propre intérêt, celui de la santé des consommateurs ou du maintien des populations rurales dans leur cadre de vie. A défaut, les agriculteurs du monde entier, de moins en moins nombreux, s'épuiseront dans une guerre des prix qui ne f avorisera que quelques multinationales de l'agroindustrie.

Dans le domaine des services, nous devons adopter une attitude ambitieuse car nos intérêts y sont importants, la France étant le troisième exportateur mondial de services.

Sur le plan des règles, l'accord sur les services devra être complété par des dispositions sur les marchés publics, les subventions et les sauvegardes.


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Sur celui de l'ouverture des marchés, les télécommunications et les services financiers, qui ont fait l'objet d'accords en 1997, figurent au premier rang des intérêts offensifs de l'Union européenne. La distribution devrait constituer pour la France un secteur d'intérêt prioritaire, en raison d'une implantation à l'étranger déjà très diversifiée et de son impact sur le domaine des marchandises.

Le secteur de la construction, du tourisme et surtout dess ervices environnementaux constituent également des objectifs majeurs pour notre pays.

Un autre enjeu pour notre économie est celui des tarifs industriels, qu'il est de notre intérêt de voir figurer dans le prochain cycle.

Les tarifs industriels de l'Union européenne sont faibles, comparés à ceux de ses principaux partenaires. La moyenne du tarif extérieur de l'Union européenne est de 3 %, à comparer aux moyennes du Japon, 1,7 %, et des

Etats-Unis, 1,5 %. Dès à présent, 40 % des droits du tarif extérieur commun de l'Union européenne sont en franchise.

L'Union européenne présente également une structure tarifaire relativement harmonisée. Dans le secteur sensible des textiles et de l'habillement, les droits européens sont inférieurs à ceux de ses principaux partenaires. Par contraste, les Etats-Unis maintiennent 650 lignes tarifaires supérieures à 15 %. Des pics tarifaires importants subsistent dans la plupart des secteurs sensibles des pays les plus développés.

Dans les pays en développement, la moyenne des tarifs est de quatre à cinq fois supérieure à celle des tarifs de l'Union. Les tarifs sur des secteurs clés tels que l'automobile ou les spiritueux peuvent atteindre 50 %, et de nombreux secteurs tels que les équipements mécaniques, la chimie, la pharmacie ou l'acier atteignent fréquemment des taux de l'ordre de 15 à 20 %.

La France, avec l'Union européenne, a donc un réel intérêt à reprendre la négociation sur les tarifs industriels.

Les Etats-Unis, le Canada, le Japon, et plus généralement les membres de l'APEC, abordent la question tarifaire sous l'angle d'une libéralisation sectorielle consistant à réduire ou à supprimer des droits de douane dans huit secteurs prioritaires. L'Union européenne se prononce pour un traitement des tarifs industriels dans tous les secteurs, ce qui permettrait à chacun des partenaires d'obtenir des ouvertures en fonction de ses intérêts propres.

Dans la prochaine négociation, nos intérêts ne se limitent pas uniquement aux sujets classiques que je viens d'évoquer, malgré leur importance pour nos entreprises, pour la croissance de notre économie et pour l'emploi. Ils concernent également des thèmes nouveaux, qui doivent renforcer la régulation de l'économie internationale et répondre aux exigences de nos concitoyens pour une mondialisation au service du développement durable.

En ce qui concerne l'investissement, l'accord sur les

« mesures d'investissement liées au commerce » reste d'une portée très limitée. La France et l'Union européenne sont favorables à l'élaboration de règles dans l'enceinte de l'OMC, des règles qui sécuriseraient les investissements directs, qui seraient déterminées en accord avec les pays en développement et permettraient à chaque

Etat de garder la maîtrise de ce qu'il entend négocier. Dans chaque pays, des règles de concurrence devraient permettre un accès équilibré et égal aux marchés pour tous les opérateurs et surtout la mise en place d'un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales - cartels mondiaux, positions dominantes qui, à l'heure actuelle, fait défaut, aux dépens des pays les plus faibles.

Dans le domaine des marchés publics, la France et l'Union soutiennent l'objectif d'un accord à l'OMC sur la transparence et l'ouverture qui doivent permettre de lutter contre les pratiques de corruption.

S'agissant de l'environnement, il n'existe pas aujourd'hui de règles pour régir les possibles conflits entre objectifs de développement du commerce international et protection de l'environnement.

Il faut donc que le prochain cycle permette des avancées sur l'articulation entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement, sur la réglementation des démarches « d'éco-étiquetage » des produits, sur la clarification des relations entre l'OMC et les principes environnementaux fondamentaux, et sur la coopération entre l'OMC et les institutions internationales qui traitent d'environnement, notamment la Banque mondiale, la CNUCED et les secrétariats des AME.

Je dirai seulement quelques mots sur le principe de précaution qui est au coeur des préoccupations de nos opinions publiques. Consacré par le droit international de l'environnement, ce principe est intégré dans le droit français et le droit communautaire. Il figure, de manière implicite, dans les accords de l'OMC, en particulier celui sur les mesures sanitaires et phytosanitaires.

Mais le contentieux sur les hormones a montré que sa mise en oeuvre pouvait se révéler difficile, en l'absence d'évaluation scientifique du risque. L'appel au jugement des scientifiques et le renvoi par l'OMC à des normes édictées dans des enceintes spécialisées - accords environnementaux, Codex alimentarius - n'épuisent pas le débat en cours sur le principe de précaution. Ils offrent en revanche des garanties contre des mesures arbitraires, unilatérales et discriminatoires de la part de nos partenaires à l'encontre de nos produits.

L'Union européenne propose donc de renforcer, à l'occasion du prochain cycle, la manière dont l'OMC intègre le principe de précaution.

Par ailleurs, l'essor du commerce international met indirectement en cause les divergences entre les organisations sociales des différents pays.

C'est particulièrement le cas en matière de réglementation du travail. Ainsi, les pays qui interdisent sur leur territoire certaines pratiques, comme le travail des enfants, pour des motifs d'ordre public, ne veulent pas accepter l'entrée sur leur territoire de biens produits ailleurs avec le recours à ces pratiques ; simultanément, ils ne peuvent imposer leurs propres réglementations à d'autres Etats souverains. Il y a donc matière à clarifier les liens entre normes sociales et commerce international.

L'Organisation internationale du travail, l'OIT, est l'enceinte chargée de l'élaboration des principes fondamentaux devant régir l'activité de l'homme au travail. Si l'OMC n'a pas vocation à s'y substituer, elle pourrait, en revanche, avoir vocation à traiter de l'articulation de ces normes avec les disciplines du commerce international.

C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et les

Etats-Unis ont proposé en 1996 la création à l'OMC d'un groupe de travail spécialisé sur ce thème.

Cette proposition n'a pu aboutir en raison de l'opposition de nombreux pays, notamment du monde en développement. Ceux-ci redoutent l'institution de nouvelles barrières protectionnistes, car ils considèrent que le progrès de leurs normes sociales ne peut résulter que du progrès de leur développement économique, alors que le


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développement social peut paraître au contraire comme une des conditions fondamentales du progrès économique.

L'Union européenne, notamment à l'initiative de la France et de l'Allemagne, propose donc pour Seattle une enceinte permanente de travail associant l'OMC et l'OIT, sur le lien entre développement social et commerce. C'est une proposition équilibrée qui tient compte de la sensibilité des pays en développement et des responsabilités respectives des deux organisations.

Le travail de préparation de la déclaration ministérielle a, vous le savez, commencé à Genève, et comme il est naturel au début d'un processus de discussion, les positions restent assez divergentes. L'Union européenne n'est pas pour autant isolée : d'autres pays européens, les pays de l'Est, le Canada également, ont des positions similaires. Le Japon n'en est pas très éloigné.

La position américaine revêt une importance particulière. A ce stade, comme je l'ai indiqué lors de ma visite à Washington, les Etats-Unis abordent la réunion de Seattle plus en simple participant, avec leurs intérêts propres, qu'en pays hôte, assumant la présidence de la conférence ministérielle et ayant pour devoir, à ce titre, de faciliter le compromis. Comme l'a souligné le Premier ministre « le souhait des Etats-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux quelques sujets qui ont leur préférence est irréaliste ».

Certes, il ne faut pas sous-estimer les difficultés internes de l'administration américaine. Cependant, des déclarations hostiles et partielles à l'encontre de la politique agricole européenne, la volonté de réduire les « nouveaux sujets » à de simples conversations séparées du cycle proprement dit ne correspondent, à ce stade, ni aux responsabilités que les Etats-Unis ont acceptées en accueillant la prochaine conférence ministérielle, ni aux enjeux d'une meilleure organisation économique internationale, ni aux interrogations légitimes des opinions publiques, de part et d'autre de l'Atlantique, sur les conséquences de la mondialisation.

L'Europe et ses alliés ont quelques semaines pour convaincre leurs partenaires de l'intérêt commun à se rallier à un cycle global. Les Etats-Unis, avec lesquels nous partageons certaines préoccupations, peuvent encore se rapprocher de nos thèses. Les pays en développement et les pays les moins avancés n'ont pas forcément intérêt à différer les avantages qu'ils pourraient tirer d'un nouveau cycle de négociations.

Bien entendu, le Gouvernement tiendra informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève que, plus que jamais, l'Europe devra mener avec fermeté.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous ai rappelé les positions françaises et européennes pour un cycle large qui corresponde à nos intérêts, mais aussi à ceux de toutes les nations en faveur d'une régulation équilibrée de la mondialisation.

N otre ambition, comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le 11 octobre dernier, est de construire une Organisation mondiale de commerce plus légitime, plus régulatrice, plus généreuse et au service de la croissance.

Le développement économique et social, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, le renforcement du droit sont des valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation.

Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif nouveau, car ces valeurs, nous souhaitons non seulement les défendre, mais aussi les propager en faveur d'un monde plus prospère et plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Laurent Dominati, premier orateur inscrit, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Laurent Dominati.

Monsieur le ministre chargé des affaires européennes, monsieur le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui concerne la gouvernance mondiale et va bien au-delà de la question de l'OMC et des négociations qui auront lieu à Seattle. Je regrette donc pour ma part que, dans cette enceinte, notre débat soit en quelque sorte tronqué, après l'important travail préparatoire effectué par la délégation de l'Assemblée nationale auprès de l'Union européenne et l'intéressant rapport qui en a résulté. Je m'étonne, après avoir entendu dire que le Parlement français devait être totalement associé, que vous ne nous proposiez, messieurs les ministres, qu'un débat, certes intéressant - en tout cas je l'espère -, mais sans vote.

Le Gouvernement aurait été renforcé par une prise de position du Parlement et aurait pu négocier sur la base d'un mandat clair et approuvé par l'Assemblée nationale.

On prétexte qu'il y aurait des dissensions au sein de la majorité plurielle ou du Gouvernement. Outre le fait que vous êtes tout à fait capables de les surmonter, je considère que, en tout état de cause, les choses doivent être dites dans un tel domaine. Les responsables politiques doivent donc se prononcer devant l'opinion publique et non pas laisser quelques orateurs le faire, au risque de ne pas éclairer suffisamment le débat.

Voilà ce que je voulais dire en préambule car on ne saurait aborder ce débat en étant animés de bons sentiments ou en ressassant quelques idées toutes faites. Il faut aller au fond des choses et chacun doit prendre position.

En conséquence, je souhaiterais que le Gouvernement nous explique pourquoi il s'est privé du soutien de l'Assemblée nationale au moment où s'engagent les négociations. Celui-ci n'aurait pu que conforter sa position dans les enceintes internationales. Du reste, les Américains, dont il est beaucoup question aujourd'hui, ont procédé de façon inverse.

J'en viens au sujet proprement dit. La mondialisation, à laquelle les Français sont finalement assez favorables, est souvent perçue ou montrée comme une menace et on en parle en des termes extrêmement critiques. Il est vrai que le réflexe naturel des individus est autonomiste. En m atière économique, cela s'appelle l'autarcie : on consomme ce que l'on produit. En fait, tout ce qui est étranger, tout ce qui paraît comme très lointain et relevant de la responsabilité de mécanismes supérieurs et anonymes, broyant l'homme, ses intérêts et ses valeurs, suscite en premier lieu une certaine réticence.

Heureusement la France est pays de raison. Nous avons réussi à convaincre notre peuple des avantages d'une ouverture, puisque malgré toutes les critiques qui se font jour en la matière, les Français restent largement favorables à la mondialisation et considèrent ses effets comme positifs.

P ourtant, ce « libre-échangisme mondial », pour reprendre les termes de certains hommes politiques particulièrement critiques vis-à-vis de ce phénomène, fait toujours l'objet d'un double langage. La méfiance qu'il inspire apparaît très clairement dans le rapport de notre collègue. Ainsi, en même temps qu'on se prononce très clairement pour la mondialisation, pour l'ouverture des


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

marchés, pour de nouveaux cycles, pour l'OMC, on répète un certain nombre d'idées, que je qualifierai pour ma part d'idées reçues, qui vont précisément à l'encontre de la libéralisation des marchés, celle-ci étant présentée comme contraire à l'intérêt de l'homme et de notre civilisation.

Or, il est de notre devoir d'expliquer à l'opinion publique, dans laquelle se fait jour effectivement un certain nombre d'inquiétudes - on l'a constaté à l'occasion de quelques manifestations -, que cette ouverture des marchés, que cette libéralisation, que cette globalisation, pour employer des mots affreux, servent les intérêts de l'homme et de notre pays. Messieurs les ministres, il est de la responsabilité du Gouvernement d'éclairer l'opinion publique et de prendre des positions offensives afin de détruire un certain nombre de mythes.

C ela s'impose d'autant plus que, dans l'opinion publique, et jusqu'au Parlement, des groupes luttent contre la libéralisation et l'ouverture des marchés. Ainsi, à l'Assemblée nationale - et c'est la raison pour laquelle, encore une fois, j'aurais souhaité un vote ce matin - de nombreux députés, notamment sur les rangs de la gauche, ne se cachent pas de faire partie du groupe ATTAC,...

M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges.

Très bon groupe, monsieur Dominati !

M. Laurent Dominati.

... groupe qui, sous le prétexte d'instaurer la taxe Tobin - ça c'est un amusement économique - a en réalité pour ambition beaucoup plus vaste de lutter contre la mondialisation et l'ouverture des marchés.

Voilà pourquoi le Gouvernement doit dire la vérité à un certain nombre de députés qui le soutiennent. Il doit prendre position très clairement, dans un sens ou dans l'autre. Laisser se développer de telles ambiguïtés dans l'opinion publique et au Parlement ne peut être qu'extrêmement négatif et dangereux pour l'avenir, si l'on considère que les négociations qui s'ouvrent sont importantes pour le siècle prochain, et je le crois.

M. Bernard Outin.

Bigre !

M. Laurent Dominati.

Je n'entends évidemment pas répondre à votre place, messieurs les ministres ; c'est à vous qu'il appartient de faire part à l'Assemblée de vos propres engagements. Mais sans attendre, je voudrais en quelque sorte passer à la contre-attaque, si vous me permettez le jeu de mots, en m'attachant notamment à démonter plusieurs idées que je crois fausses.

La première de ces idées reçues, entre autres lieux communs, est celle selon laquelle le libre-échange jouerait avant tout au profit des plus riches. Partout on nous explique que la libéralisation des échanges profite aux plus forts et donc en premier lieu aux pays industrialisés, au détriment évidemment des pays pauvres. Ce à quoi vous avez excellemment répondu, monsieur le secrétaire d'Etat, que, si tel était le cas, on pourrait se demander pourquoi les pays les plus pauvres sollicitent leur entrée dans l'OMC et se rangent, par le fait même, dans le camp des partisans de l'ouverture des marchés. C'est justement que, pour se développer, ils ont besoin d'accéder aux marchés et notamment aux marchés les plus riches, en l'occurrence les nôtres. Il est donc important de rappeler que la libéralisation des échanges et l'ouverture des marchés jouent au profit des pays les plus faibles et non au profit des pays les plus riches...

Mme Béatrice Marre.

Un peu quand même, non ?

M. Laurent Dominati.

Un petit peu, nous le verrons.

J'attends de vous entendre exposer la thèse inverse ; ce n'est pas tout à fait celle de votre rapport, même si elle y transparaît ici et là. Tantôt vous dites une chose, tantôt l'inverse, sans doute par souci d'équilibre afin de ne fâcher personne... Pour ma part, je ne crains pas de fâcher qui que ce soit. Je crois qu'il est bon de défendre haut et clair ses idées dès lors qu'on les croit justes.

Ainsi les Etats-Unis se voient sans arrêt mis en accusation. Certes, ils ont considérablement développé leur potentiel économique. Mais ils l'ont proportionnellement moins développé que les autres et leur poids dans la richesse mondiale est finalement moins important aujourd'hui qu'il ne l'était au sortir de la guerre. Les cinquante années de développement des économies et des échanges internationaux ont permis l'émergence de pays nouveaux, notamment des pays industriels. C'est dire que l'accroissement de richesses a profité à l'ensemble de la planète, en tout cas à tous ceux qui avaient choisi l'ouverture des marchés plutôt que la fermeture et le protectionnisme. Le cas des Etats d'Asie est particulièrement frappant : certains décollent, d'autres s'enfoncent. La cause tient notamment aux régimes politiques : les Etats anciennement communistes avaient plutôt fait le choix du protectionnisme - les régimes totalitaires préfèrent toujours, on le sait, l'autarcie : c'était le cas du fascisme comme du nazisme, ce fut également le cas du communisme. A l'inverse, les pays libéraux privilégient l'ouverture, car le développement économique va de pair avec la liberté politique. J'y reviendrai.

C'est donc une idée reçue, une idée fausse de croire que l'ouverture des marchés joue au bénéfice des pays les plus riches. En réalité, elle se fait dans l'intérêt de tous les pays.

M. François Loncle.

Dans ce cas, pourquoi les inégalités se creusent-elles ?

M. Laurent Dominati.

Les inégalités se creusent au détriment justement des pays exclus de l'ouverture des marchés, pour des raisons qui tiennent non à la libéralisation des échanges, mais aux conditions sociales : voyez l'exemple du travail des enfants. J'ai lu quelque part que la libéalisation des échanges et l'ouverture des marchés étaient responsables du travail des enfants. Non seulement c'est totalement faux, mais c'est et même l'inverse : la preuve en est que c'est justement dans les secteurs touchés par la libéralisation des échanges qu'il disparaît, alors qu'il reste très fréquent dans les secteurs traditionnels, notamment les secteurs agricoles des pays à économie arriérée, sous-développée.

M. Bernard Outin et M. Jean-Claude Lefort.

Mais c'est faux, totalement faux !

M. Laurent Dominati.

Mais si ! Prétendre que l'ouverture des marchés en serait responsable, c'est refuser de regarder la réalité. Même dans les pays les moins avancés, là où des secteurs s'ouvrent à la concurrence, les entreprises se développent, paient des salaires plus élevés et appliquent des normes sociales et environnementales supérieures. Il se crée ainsi un mouvement d'ensemble qui tire ces secteurs et ces pays vers le haut.

M. Roger Meï.

C'est idéologique !

M. Bernard Outin.

Ce n'est pas la réalité ?

M. Laurent Dominati.

Je sais que ce n'est pas votre thèse, puisque vous avez toujours soutenu des régimes fermés, mais c'est pourtant la réalité. Evidemment pas pour le Parti communiste qui n'a jamais voulu la voir,


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mais bien celle qui a conduit à l'écroulement général du communisme le monde. Tant il est vrai que partout où des régimes totalitaires se sont attachés à fermer les marchés, cela s'est mal passé. C'est là où les normes sociales,e nvironnementales, politique sont devenues les plus basses, conduisant les peuples à se révolter. J'attends bien que vous disiez exactement l'inverse tout à l'heure, arguments à l'appui ; quoi qu'il en soit, les chiffres du développement montrent que les pays qui ont choisi l'ouverture se sont développés au moins deux fois plus vite que ceux qui ont opté pour le protectionnisme. Il faut le dire et le répéter, messieurs les ministres ; sinon l'opinion publique internationale et française persistera à croire que l'ouverture des marchés et la libéralisation internationale joue au détriment des plus pauvres alors que ce n'est pas le cas ; on irait à l'encontre du processus souhaité et ce serait dommageable.

Autre idée habituellement émise : la libéralisation profiterait en premier lieu aux pays industriels. Les précédents cycles de négociations s'étant jusqu'à présent presque tous traduits par un face-à-face entre l'Europe et les Etats-Unis, on croit très souvent qu'ils se sont toujours terminés en faveur des seconds. Si tel était le cas, il faut espérer que le gouvernement français ou les gouvernements européens y mettraient immédiatement fin ! En fait, vous savez fort bien que ce n'est pas vrai. Tout au contraire, on s'aperçoit que l'existence d'une enceinte internationale telle que l'OMC, créée à la demande de la France notamment - c'est notre pays qui, avec le soutien de l'Union européenne, est à l'origine de la transformation du GATT en OMC -, permet de défendre l'intérêt des pays les plus faibles face aux Etats-Unis. Car c'est précisément lorsqu'il n'y a pas de règles que joue la raison du plus fort, la loi de la jungle, l'impérialisme, comme l'a fort bien rappelé M. le secrétaire d'Etat. Or la création de l'OMC permet justement l'établissement de règles sur les marchés internationaux.

Mme Béatrice Marre.

C'est la nouvelle définition du libéralisme ?

M. Laurent Dominati.

Non, madame. Vous ne devez pas bien connaître la définition ni les principes du libéralisme, car il ne peut y avoir de libre marché et de liberté des échanges sans règles.

Sur le plan intérieur comme sur le plan international, mes chers collègues, le libéralisme suppose forcément le droit et même forcément la paix. Tant il est vrai que, pour qu'il y ait marché, relations de confiance, il faut la paix et non la guerre, il faut la confiance et non la fermeture dernière des murs, il faut des règles de droit et d'arbitrage. Sinon il n'y a pas de confiance, donc pas d'échanges. Le principe des marchés internationaux impose par conséquent de découvrir, de révéler, de mettre au point, de garantir progressivement des règles de droit.

A cet égard, le libéralisme apparaît justement comme le moyen de lutter contre l'impérialisme de la canonnière et la loi du plus fort. C'est la raison pour laquelle il faut, comme vous le faites, messieurs les ministres, continuer dans le sens des négociations et aller beaucoup plus loin dans le cycle.

Du reste, Mme le rapporteur elle-même l'a indiqué dans son rapport, on s'aperçoit que les pays européens n'ont pas été défavorisés par les sanctions de l'OMC, bien au contraire. Ce serat plutôt du côté des Etats-Unis que le bilan est défavorable. Voilà bien la preuve réelle, matérielle, concrète, que ce forum international juridique qui réunit les Etats, en tant que cocontractants agit à l'avantage du droit, c'est-à-dire des plus forts,...

M. Jean-Claude Lefort.

Lapsus révélateur !

M. Laurent Dominati.

... des plus faibles, pardonnezmoi ce lapsus qui prouve à quel point la propagande excommuniste est forte, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Lefort.

C'est vrai que vous êtes une victime de la propagande !

M. Laurent Dominati.

Nous le sommes un peu tous, et c'est bien pour cela que je m'efforce de réveiller l'Assemblée pour qu'elle passe à la contre-attaque ! La loi sert d'abord à protéger les plus faibles, sur le plan intérieur comme sur le plan international.

L'idée que la libéralisation des échanges se fait au profit des plus riches procède d'une vision statique de l'économie mondiale, que d'ailleurs certains ici transposent au niveau national. Il n'y a pas à partager les richesses nationales, mais à les développer en se servant du surplus engrangé grâce à la libéralisation des échanges.

M. Jean-Claude Lefort. Ben voyons ! M. Laurent Dominati. Parfaitement. La richesse n'est pas un gâteau à se partager, mais un gâteau à refaire tous les jours et à accroître. C'est cela l'important.

Mme Béatrice Marre. Le gâteau n'est pas partagé à parts égales. Nombreux sont ceux qui n'ont rien.

Mme Catherine Tasca. Il y en a beaucoup qui n'en ont pas une miette ! M. Laurent Dominati. Au demeurant, je ne chercherai guère à plaider davantage sur la réalité du développement économique assuré par la libéralisation des échanges, tant il est vrai que c'est devenu une évidence pour bon nombre d'entre nous, abondamment démontrée par les faits et par l'expérience économique internationale.

Deuxième critique fréquemment entendue à l'encontre de la libération des échanges : l'internationalisme, la glob alisation : « le libre-échangisme mondial » - mot affreux - menacerait la souveraineté nationale. Grand débat ! Dans un sens, je l'avoue, c'est vrai : sitôt que vous importez, mais également que vous exportez quelque chose, vous menacez de fait votre indépendance nationale. Que cette source vienne à se tarir et vous vous heurtez à un problème immédiat. Et c'est bien pour cette raison que les régimes totalitaires et non libéraux ont toujours préféré construire une autarcie - au besoin grâce à un espace vital. Vous le savez fort bien, messieurs, puisque vous êtes quasiment des spécialistes de cette problématique...

M. Jean-Claude Lefort. Attention à vos expressions ! M. Laurent Dominati. Pourquoi « attention » ? Relisez les thèses économiques hitlériennes ou mussoliniennes : elles privilégient la recherche de l'autarcie. Pourquoi vous sentez-vous plus particulièrement visés ? M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Unione uropéenne. A défaut d'arguments, vous jouez la provocation ! M. Laurent Dominati. Mes chers collègues, je parle des totalitarismes. Et c'est très important, car ce débat n'est pas d'ordre commercial, mais bien d'ordre politique.

D'où la nécessité de rappeler certains principes politiques et d'examiner ce que nous a enseigné l'histoire.

Ainsi, le libre échange menacerait la souveraineté des

Etats. En fait, il serait plus approprié de parler de l'exercice de la souveraineté des Etats. La même problématique se pose avec les négociations internationales. L'OMC


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réunit des Etats cocontractants ; ce sont eux qui, en toute souveraineté, ont signé des traités internationaux. Brandir l'argument d'une atteinte à la souveraineté reviendrait à nier toute réalité au droit international, fondé sur l'application de règles du jeu librement décidées entre les différentes parties. C'est l'exercice d'une souveraineté qui a conduit à l'OMC. On ne peut donc parler de destruction de la souveraineté ou de menace contre celle-ci.

Cela dit, il y a quelque chose de vrai à parler d'une forme d'ingérence dans les droits propres des Etats. Car le droit international, vous l'avez relevé à juste raison, monsieur le secrétaire d'Etat, et la libéralisation des échanges emportent certains droits qui dépassent largement les simples accords internationaux.

Vous avez cité par exemple les normes sociales, environnementales ou sanitaires. Comment pourrait-on les appliquer, en particulier dans les pays les moins avancés, sans ce type de traité ? C'est bien le progrès des échanges internationaux, le développement d'une régulation internationale, dans le cadre de l'OMC notamment, qui permet l'émergence de tous ces droits encore embryonnaires.

C'est aller dans le sens de l'histoire, et cela vaut aussi, pour les droits politiques, car il serait assez surprenant de promouvoir des droits sociaux et des normes environnementales sans parler des droits politiques. Il est pour le moins curieux, monsieur le secrétaire d'Etat, de demander à l'Union européenne de pousser l'OMC à se préoccuper de protection sociale et de protection de la nature ou de la planète sans penser à l'homme. N'oublions pas que la charte fondatrice de l'OMC elle-même fait référence, même si cela ne constitue pas à proprement parler un billet d'entrée, aux valeurs de la démocratie pluraliste.

Rappelons dans cette enceinte, comme l'a d'ailleurs fait un dissident chinois hier, que la promesse d'un accès au commerce international peut servir, et c'est encore un intérêt du libre-échange, d'arme politique qui peut et qui doit être utilisée contre les régimes dictatoriaux. J'appelle donc l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'intervenir auprès de nos partenaires de l'Union européenne, avec lesquels nous partageons les mêmes valeurs et principes politiques, pour faire valoir ces exigences en matière de normes sociales et environnementales, mais également de normes politiques. Nous sommes tous d'accord pour dire que le système économique mondial doit être mis au service de l'homme ; or l'un des premiers besoins de l'homme est justement de bénéficier de certaines garanties dans le domaine des droits politiques.

Le système commence du reste à montrer son efficacité : on le voit à propos du droit syndical. Plusieurs grandes entreprises internationales obligent dorénavant certains Etats à respecter le droit syndical ; c'est ce qu'ont fait certaines firmes américaines par rapport au droit social mexicain. Là encore, on voit que la libéralisation des échanges joue au profit du progrès social. Cela devrait être également le cas pour les droits politiques.

Enfin, mes chers collègues, tout ce que je viens de dire ne pourrait en rien vous convaincre si cela ne servait avant tout l'intérêt de la France. On ne le répétera jamais assez. Car parler de l'intérêt de l'humanité, c'est très bien, mais on ne saurait convaincre son opinion publique de faire quelque chose qui irait contre son intérêt propre, quand bien même la cause servirait l'humanité tout entière. Cela supposerait une élévation de pensée que l'on ne rencontre que chez quelques philosophes - certainement aussi chez quelques hommes politiques, mais pas tous...

Il faut aussi expliquer sans cesse à notre pays à quel point le libre-échange est conforme à la tradition française et à l'intérêt même de la France. C'est ce que vous avez fait, en partie, en indiquant à quel point ces discussions s'engageaient dans des conditions autrement plus favorables pour notre pays que les précédentes négociations du GATT en 1993 - heureusement rattrapées, presque « par le collet », allais-je dire, sous le gouvernement de M. Balladur, après avoir été fort mal engagées.

Mais ne revenons pas trop sur le passé...

M. François Loncle.

Ridicule !

M. Laurent Dominati.

Aujourd'hui en tout cas, la négociation qui va s'ouvrir place la France en bien meilleure situation, face aux Etats-Unis notamment, du fait d'une position plus solidaire des pays européens, exempte des rivalités, des dissensions sur lesquelles les Etats-Unis avaient su jouer jusqu'alors.

Je souhaiterais que le Gouvernement puisse montrer plus longuement que je ne l'ai fait à quel point l'emploi n'est pas menacé par le principe du libre-échange. Il faut le dire et le rappeler sans cesse. On entend trop souvent expliquer que la fermeture de telle usine est due à la libéralisation des marchés, que les pays à bas salaires vont concurrencer nos industries, alors que tout démontre l'inverse : le libre-échange tire nos économies vers le haut, tout comme nous tirons vers le haut les pays les moins avancés.

Mais je sens dans mon dos le président s'impatienter.

Je vais donc conclure - hélas ! car ce débat mériterait d'y consacrer beaucoup plus de temps - en relevant le petit changement de la position française à propos de l'exception culturelle.

L'Union européenne et vous-mêmes, messieurs les ministres, avez eu raison de passer à l'idée de conquête de la diversité culturelle. L'exception culturelle ne saurait se réduire au fait que la culture n'est pas une marchandise pour les autres. Nous en sommes tous convaincus, encore que bien d'autres marchandises pourraient prétendre à l'exception, ne serait-ce que dans le domaine de la santé et du médicament. Cette formule pourrait en somme s'appliquer, peut-être pas à tout, mais à beaucoup de choses.

Cela étant, parler d'exception culturelle signifie que la culture n'est pas régie par les normes internationales et ne saurait entrer, comme les autres marchandises, dans un cycle de négociations finalement protecteur sur le plan juridique et international. De ce fait, cette petite évolution sémantique vous met dans une position beaucoup plus forte : en effet, vous pouvez dès lors négocier beaucoup plus heureusement dans tous les domaines liés aux nouvelles technologies et à la propriété intellectuelle, essentiels pour nous comme pour les Américains. Ajoutons que la diversité culturelle sera peut-être mieux défendue dans un cadre de règles internationales et de protection internationale que dans celui de la loi de la jungle à laquelle nous réduit en fait l'exception culturelle.

Car l'exception culturelle, chacun l'aura constaté, je l'espère, n'empêche en rien les Américains de submerger de ses produits culturels le monde entier. Ce n'est pas ce genre de ligne Maginot qui peut nous en protéger, les esprits les plus avertis le savent bien. Il n'est qu'à voir sur les Champs-Elysées ou dans les salles parisiennes ces temps-ci pour remarquer que l'exception culturelle ne préserve en rien nos chères têtes blondes de la mythologie américaine de Star Wars ou autres. Au demeurant, il suffirait qu'une seule des majors américaines décide durant une année, une seule année, de ne pas faire de film et


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d'utiliser ses fonds pour acheter des sociétés de production française, pour que toute la production française passe dans le giron américain. C'est dire à quel point cette évolution sémantique, en fait politique, était bien venue.

M. le président.

Je suis désolé, mon cher collègue, mais nous avons un long débat...

M. Laurent Dominati.

Monsieur le président, je veux simplement rappeler au Gouvernement son devoir de défendre haut et fort le principe du libre-échange et d'en convaincre l'opinion publique, malgré le trouble que les comités d'ATTAC peuvent susciter dans sa propre majorité. Il est temps, messieurs les ministres, de passer à la contre-attaque ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Claude Lefort.

C'est exact, nous sommes des députés d'attaque !

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre, pour le groupe socialiste.

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les dernières semaines ont permis de mesurer plus concrètement les enjeux de la conférence de Seattle, et je me réjouis, au nom du groupe socialiste, de la tenue de ce second débat en séance plénière, même si nous aurions souhaité l'avoir plutôt, et ce pour deux raisons.

En premier lieu, la déclaration que vous venez de prononcer, monsieur le secrétaire d'Etat, nous a permis de vérifier que la proposition défendue par le Gouvernement au sein des Quinze lors de la définition du mandat de négociations du commissaire Pascal Lamy, qui doit être officialisé aujourd'hui, était bien conforme à la résolution votée le 6 octobre dernier par notre commission de la production et des échanges à la suite du rapport que la délégation pour l'Union européenne avait bien voulu me confier, et nous ne pouvons que vous en féliciter.

La France aura été le seule des quinze pays à prendre position de sa propre initiative au sein du Parlement - le Danemark y étant tenu de par sa Constitution - sur une question majeure pour son avenir, comme d'ailleurs pour celui de l'Union européenne et de l'ensemble du monde.

En second lieu, le débat d'aujourd'hui nous permet également de préciser encore les attentes de l'Assemblée nationale et du peuple français qu'elle représente dans un débat dont les termes évoluent chaque jour. Et c'est ce dont je voudrais maintenant dire quelques mots.

Deux dimensions se mêlent, en effet, et entraînent, parfois, des confusions.

Le débat de fond a pour objet de déterminer le rôle exact et la place de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, dans les relations économiques internationales, ce qui conditionne en réalité le visage du monde que nous voulons voir se mettre en place pour demain.

Le débat plus immédiat a trait à la capacité de tel ou tel des partenaires en présence, en particulier des EtatsUnis d'Amérique, à imposer ou non sa vision propre de cette organisation. Et c'est l'objet plus direct de la conférence de Seattle.

Le deuxième débat, chacun le comprend, aura des conséquences sur le premier, mais je souhaiterais les évoquer tous deux ici rapidement, dans le temps qui m'est imparti.

Tout d'abord, quelle OMC, pour quelle mondialisation, c'est-à-dire pour quel modèle de civilisation sur notre planète ?

L'OMC n'est pas la mondialisation et la mondialisation n'est pas non plus de façon inéluctable, en tout cas, la planète Mc Donald's. Les opinions publiques se rebellent, à juste titre, contre l'uniformisation des modes de vie selon un modèle unique, celui de la plus grande puissance économique mondiale que sont encore aujourd'hui les Etats-Unis d'Amérique. Dès lors est née l'assimilation entre « mondialisation » et « américanisation » et, par là même, la dénonciation véhémente de l'OMC comme principal vecteur de l'une et l'autre.

Or la mondialisation est un phénomène en soi, assis principalement sur le progrès technique et dont les effets peuvent être positifs ou négatifs selon l'usage qui en est fait.

Le développement des échanges, que le progrès technique a favorisé, n'a pas, loin de là, que des effets négatifs. L'accroissement de la circulation des biens, des personnes et des idées n'est pas un mal en soi et la France a d'ailleurs, vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, été l'un des premiers pays à bénéficier du développement du commerce international même si, et il faut le souligner, des secteurs, des régions, des catégories socio-professionnelles en ont souffert et en souffrent encore aujourd'hui dans notre pays.

C e qui, en revanche, n'est pas acceptable, c'est l'échange inégal qui frappe d'abord les pays dits en voie de développement et parmi eux les pays moins avancés, mais aussi, je viens de le dire, nombre de citoyens dans les pays développés. Cet échange inégal est né des conditions mêmes dans lesquelles se sont forgées, depuis cinquante ans, les règles du commerce international, je veux dire celui de la domination d'un pays sur tous les autres.

L'OMC n'échappe pas à cette analyse. C'est un outil mis en place en 1994 à la demande notamment de l'Union européenne, et surtout de la France, dans le cadre de la fin du cycle d'Uruguay pour remplacer le très provisoire secrétariat du GATT - provisoire, mais qui durait depuis 1947 ! - qui avait fait la preuve de son inefficacité. Cet outil a de nombreux défauts, que nous voulons corriger, mais il a une qualité : il possède une instance de nature juridictionnelle, l'organe de règlement des différends, reconnue par les 134 Etats membres de l'OMC à la fois dans sa capacité de jugement et dans sa légitimité à les faire faire appliquer.

Il convient, dès lors, non de le diaboliser, mais de définir la nature et l'origine des règles de droit que l'ORD doit appliquer dans ses jugements, en attendant ce qu'il faut espérer, monsieur Cochet - qu'un tel organe juridictionnel soit indépendant de tout autre organisme, hormis l'ONU. Mais nous seront alors dans une phase de « gouvernance » mondiale dont l'horizon me semble encore quelque peu éloigné.

En attendant ce moment heureux, et sous réserve d'améliorations dans la transparence, l'équité et les conditions d'accès à l'ORD - je pense ici aux organisations non gouvernementales qui veulent être plus informées et plus proches des décisions qui sont prises au niveau international - établissons, en attendant, ses compétences. Il doit fonder ses décisions, dans chaque domaine, sur les règles édictées, selon la charte de la Havane, par les organismes internationaux compétents : régles relatives à la santé, l'organisation mondiale de la santé ; règles relatives à l'alimentation, la FAO - c'est, en ce domaine, largement le cas puisque l'accord de l'OMC dit SPS dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat, accord sur la sécurité sanitaire et phytosanitaire, reprend le corpus de règles édicté par la FAO, le codex alimentarius ; règles en


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matière d'environnement, les accords multilatéraux sur l'environnement ; règles en matière de normes sociales, l'Organisation internationale du travail, etc.

Donc l'OMC, à travers cette juridiction, n'a pas vocation à tout règlementer, mais elle peut et doit être l'outil de la mise en application de règles internationales élaborées dans d'autres enceintes, qui ne disposent pas toujours, elles, des moyens de faire appliquer leurs décisions.

Elle doit aussi devenir plus universelle : il est urgent de permettre à la Chine - c'est un sujet d'actualité -, à la Russie et à tous les autres Etats actuellement observateurs d'y entrer.

En résumé, pour que la mondialisation soit réorientée, à travers, notamment, son outil privilégié qu'est l'OMC, vers la construction d'un monde multipolaire, fondé sur le droit et la démocratie, il faut que l'Union européenne prenne toute sa dimension de puissance économique de même envergure que celle des Etats-Unis, mais déterminée, elle, à conduire des négociations équilibrées dans lesquelles tous les Etats membres de l'OMC participent à égalité de droits et de résultats.

Cela m'amène à mon second point : les enjeux immédiats de la conférence de Seattle.

Les cycles précédents, et singulièrement celui d'Uruguay, s'étaient caractérisés par un dialogue, devenu, au fil du temps, affrontement, exclusif entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe, tournant régulièrement à l'avantage des premiers.

L a situation n'est plus la même aujourd'hui qu'en 1986 : le mur de Berlin s'est effondré, l'Union européenne s'est renforcée - en particulier depuis la mise en place de l'euro -, les autres pays veulent, à juste titre, se faire entendre, qu'il s'agisse des pays dits émergents ou de ceux qui ont été tenus à l'écart du développement du commerce mondial et en ont souffert, ce sont les pays dits les moins avancés. Enfin, les opinions publiques, d'un bout à l'autre de la planète, y compris aux EtatsUnis, ne sont plus disposées à rester muettes face à un processus dont elles sentent bien à quel point il conditionne leur avenir.

Dans cette situation, l'Union europénne a un rôle éminent à jouer grâce, je l'ai dit, à sa puissance économique, mais aussi à son rayonnement qui en fait aujourd'hui un pôle de stabilité dont le modèle de développement recueille un intérêt croissant dans le monde.

Nous devons convaincre tous nos partenaires que notre position de négociation traduit la promotion de ce modèle. Que dit cette position ? Premièrement, nous voulons un cycle de négociations court, c'est-à-dire de trois ans, mais large, qui recouvre tous les sujets ayant un lien avec le commerce international, pour permettre, d'une part, d'éviter le duel entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur l'agriculture et, d'autre part, pour garantir à tous les pays la possibilité de trouver les avancées qu'ils souhaitent.

N ous voulons, corollaire du premier point, que l'accord soit global : « rien n'est acquis tant que tout n'est pas acquis » - ont dit, tant le premier ministre Lionel Jospin, que le président de la République. Pourquoi ? Précisément pour éviter que des accords partiels - les Américains disent des « récoltes précoces » - obtenus à l'arraché, ne risquent de mettre en péril l'équilibre global de la négociation.

Nous voulons préciser le rôle et la place de l'OMC, je viens d'en parler, c'est-à-dire en faire un organisme d'encadrement des échanges internationaux qui substitue la règle de droit à la loi du plus fort.

Nous voulons, enfin, dès la conférence de Seattle, que soit prise en compte davantage la difficile situation des pays dits « les moins avancés », en exonérant de droits de douane les produits qu'ils exportent et en accroissant de façon significative l'aide technique - et notamment juridique - pour leur permettre, par exemple, un meilleur accès à l'organe de règlement des différends.

Cette position d'une Union européenne ferme sur un mandat de négociations clair et précis a-t-elle la possibilité de l'emporter, face à des Etats-Unis crispés sur la volonté de réduire le cycle des négociations aux seuls sujets dits « de l'Agenda incorporé », c'est-à-dire à l'agriculture et aux services ? Certainement pas facilement.

Toutefois, et j'en terminerai là car je ne reprendrai pas l'ensemble des sujets que vous avez parfaitement détaillés, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques indices sérieux nous permettent de penser que rien n'est joué aujourd'hui.

Sur la forme tout d'abord, un changement de vocabulaire, qui n'est pas anodin, est apparu : on ne parle plus de « récoltes précoces ». Ce qui veut dire que les EtatsUnis d'Amérique admettent l'idée du cycle global, même s'il est restreint.

Par ailleurs, le quatrième avant-projet de la déclaration ministérielle qui constituera, rappelons-le, le mandat d'ouverture du cycle de négociations est, depuis hier, un document de près de quarante pages - à comparer aux quatre pages du premier document datant de la fin du mois d'août - retraçant de façon beaucoup plus objective les positions des Etats membres et singulièrement celle de l'Union européenne, en particulier sur l'agriculture, sur les services - notamment au regard des services culturels - sur l'environnement, sur la concurrence ou sur l'investissement.

Sur le fond, enfin, la position de l'Union européenne sur plusieurs sujets importants n'apparaît pas comme aussi isolée que certains le disent ou le craignent.

Sur l'agriculture, sujet qui restera central, l'Union européenne fait toujours l'objet d'attaques virulentes - en particulier des pays dits du groupe de Cairns de l'Australie et la Nouvelle-Zélande, au Brésil, à l'Argentine et à quelques autres. Mais au sein même de ces pays, des tensions apparaissent à l'encontre des Etats-Unis au regard de certaines de leurs pratiques pas très loyales, mais surtout beaucoup plus protectionnistes que la politique agricole commune...

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien !

Mme Béatrice Marre.

... et qui pèsent bien davantage sur le commerce des produits agricoles et agro-alimentaires mondiaux. Rappelons que 85 % des échanges de l'Union européenne sont intracommunautaires.

De plus, le modèle agricole européen, fondé sur les deux piliers de la PAC que sont la préférence communautaire et la multifonctionnalité de l'agriculture, garante à la fois de la qualité et de la sécurité alimentaire, de l'environnement, de l'occupation des territoires et de l'emploi, rencontre des soutiens croissants, du Japon, de l'Europe centrale et orientale, d'un certain nombre de pays d'Afrique.

Sur la diversité culturelle, les soutiens sont encore plus nombreux quant à la légimité des aides internes. Nous avons d'ailleurs convaincu les Quinze de la nécessité de cette affirmation dans le mandat de négociation.

Restent deux sujets pour lesquels l'Union européenne a un gros travail à faire en direction des pays en voie de développement. Le problème du bilan des accords de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

Marrakech et de la conception que ces pays se font de ce qu'il est convenu d'appeler « la mise en oeuvre » des accords. Je ne développerai pas, car le temps me manque, mais on voit bien de quoi il s'agit.

La question, pourtant centrale pour leur avenir, des normes fondamentales du travail : on ne peut, à long terme, envisager la poursuite d'un développement durable qui ne serait pas fondé sur le respect des droits de l'homme et de leurs libertés fondamentales. Il faut se donner le temps et les instruments - mesures incitatives, assistance technique - nécessaires pour y parvenir dans des délais raisonnables.

En conclusion, la conférence de Seattle - et plus probablement encore davantage les négociations qui suivront - sera un exercice extrêmement difficile. Son issue - audelà de la phase actuelle que je qualifierai de la période

« peintures de guerre », qui voit le ton monter de tous les côtés - c'est classique, juste avant l'ouverture d'une négociation - dépendra de la capacité de l'Union européenne donc de sa volonté politique et de sa confiance en ellemême - à faire valoir sa volonté de rééquilibrage des rel ations internationales en faveur d'un renforcement des règles de l'échange égal.

Je me réjouis de ce point de vue, d'entendre cette partie droite de l'hémicycle - un peu dégarnie ce matin - demander « davantage d'Europe et davantage de règles » bien que personne ne puisse croire, monsieur Dominati, que la régulation soit l'essence du libéralisme...

M. Laurent Dominati.

Mais si, c'est la réglementation qui est socialiste !

Mme Béatrice Marre.

... comme vous avez tenté de nous le démontrer en déplaçant le débat sur le terrain de l'ouverture - vous, les gens ouverts - ... ou de la fermeture - nous la gauche.

M. Laurent Dominati.

Pas toute la gauche !

Mme Béatrice Marre.

Le débat n'est pas là ! Il est : comment ouvrir, à quelles conditions et avec quels objectifs ! Nous différons sur le contenu.

Plus et mieux d'Europe, plus et mieux d'OMC, ce sont les conditions d'un monde plus proche du modèle de civilisation que nous voulons, fondé sur le respect des hommes et des femmes et de leur environnement, dans le présent et pour l'avenir. Et ce n'est pas un rêve, monsieur Dominati ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Gaymard, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Hervé Gaymard.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est la deuxième fois en trois mois que nous débattons de l'OMC et des futures négociations commerciales internationales, et nous devons nous féliciter de la mobilisation et de la vigilance de notre assemblée sur ce dossier majeur. Il faut remercier la délégation pour l'Union européenne et son président pour le travail qui a été engagé, et plus particulièrement son rapporteur, dont le rapport d'une haute tenue et d'une grande qualité permet à notre assemblée d'aborder ce sujet difficile mais vital pour l'avenir de nos concitoyens, avec tous les éléments d'information utiles.

La proposition de résolution qui a été adoptée est, pour l'essentiel, satisfaisante. Elle prend en compte l'ensemble des préoccupations qui ont été exprimées sur tous les bancs de notre hémicycle, même si j'ai cru déceler quelque part dans les rangs de la majorité le sentiment qu'il n'y avait pas lieu d'en débattre.

Dans le temps qui m'est imparti, fort bref, je ne referai pas le monde, ni la mondialisation, ni les théories économiques.

M. Jean-Claude Daniel.

Vous êtes modeste !

M. Hervé Gaymard.

Je me bornerai à résumer notre état d'esprit à la veille du lancement du cycle du millénaire. Après avoir posé une question liminaire, j'affirme notre certitude que la vision globale qui a été retenue par l'Union européenne est la bonne, mais que nous avons un doute profond quant à l'efficacité de la méthode adoptée et à ses chances de succès.

La question, et je ne suis pas le seul à la poser puisque, si j'en crois la presse, beaucoup de personnalités éminentes, se le demandent : faut-il aller à Seattle ? Est-il, en effet, imaginable d'entamer des négociations aussi importantes dans un contexte où l'exécutif de l'un des principaux partenaires, les Etats-Unis, n'a pas de mandat de négociation ? J'ai bien noté les glissements sémantiques, que vient de rappeler Mme Marre, un mois avant l'ouverture de la négociation.

Il ne s'agit pas de faire de l'anti-américanisme primaire mais d'être tout simplement réalistes. Cette grande puissance à qui nous devons tant, toujours partagée entre l'hégémonie vertueuse et le retrait méprisant, connaît aujourd'hui un tel blocage de son système institutionnel, et ce blocage emporte de telles conséquences sur sa politique extérieure, comme nous venons de le voir avec la non-ratification du traité relatif à l'interdiction des essais nucléaires, que nous sommes en droit de nous poser légitimement cette question.

Bien sûr, il faut toujours discuter. Il faut sans doute se rendre à Seattle, mais avec la claire conscience qu'il ne s'agira que d'un prologue, dont on ne sait aujourd'hui s'il sera homologué ou non, et qu'il faudra faire preuve d'une v igilance, d'une prudence et d'une résolution très grandes.

M. Christian Cuvilliez.

Et d'une grande diversité !

M. Hervé Gaymard.

Bref, il faut sans doute aller à Seattle, mais avec une très longue cuillère.

M. Jean-Claude Lefort.

Les Etats-Unis, c'est le diable ! (Sourires.)

M. Hervé Gaymard.

Notre certitude, c'est que l'Europe a raison d'exiger un ordre du jour large qui couvre l'ensemble des thèmes essentiels pour l'avenir du système commercial.

Bien sûr, la libéralisation du commerce et l'élimination des barrières est une nécessité. Les questions relatives à l'« accès », pour reprendre le jargon de l'OMC, ont toutes leur place dans la future négociation. C'est l'intérêt de nos entreprises, et donc l'intérêt de nos emplois. Et de ce point de vue, l'évolution des Etats-Unis peut nous amener à nous poser des questions.

Malgré une situation économique exceptionnellement florissante, ce grand pays semble avoir basculé dans une forme d'isolationnisme économique et de protectionnisme. Le président, on l'a vu, ne dispose d'aucun mandat pour négocier. On annonce de fortes manifestations hostiles, organisées par les syndicats américains dans un c limat pourtant de grande prospérité économique.

Qu'adviendrait-il, si, comme il est possible, la croissance se ralentit et le chômage augmente ? Jamais une négociation aussi importante n'aura été lancée dans un climat aussi incertain.

C'est pourquoi l'Europe, aiguillonnée par la France, a raison de demander une négociation d'un nouveau type, différente des précédentes. J'ai une conviction forte. Dans


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le contexte actuel, le cycle du millénaire ne peut être un simple exercice mercantiliste. Ce qui est en jeu, à l'ère de l'Internet et du commerce électronique, ce sont nos lois, notre culture et notre mode de vie.

M. Jean-Claude Lefort.

Et vlan, Dominati !

M. Hervé Gaymard.

Il n'est pas question, sur ces sujets, d'être crispés ou défensifs.

M. Jean-Claude Lefort.

Dominati est seul !

M. Hervé Gaymard.

Il n'est pas question non plus d'imposer aux autres nos conceptions et nos visions. Mais il n'est pas question non plus de nous interdire, comme on le fait parfois aujourd'hui, de nous exprimer et de vouloir débattre de tous les sujets que nous considérons comme vitaux dans le cadre de la négociation.

M. René André.

Très bien !

M. Hervé Gaymard.

Ce débat est particulièrement important sur trois sujets.

Les droits sociaux fondamentaux, d'abord. Je suis conscient de l'inquiétude que peut susciter ce thème chez nos amis des pays en développement ou émergents. Nous devons leur dire, avec clarté et sincérité, que nous ne visons en ce domaine aucun objectif protectionniste. La promotion de ces droits peut et doit être obtenue sans recours à de quelconques mesures commerciales, mais il est impossible de nous taire, de ne pas nous faire l'écho des aspirations et des espoirs de millions d'hommes en faveur d'un meilleur sort.

L'OMC n'est pas, et de loin, la seule en cause. Toutes les organisations internationales doivent travailler à la solution de ce problème, au premier rang desquelles, bien sûr, l'OIT, dont c'est la vocation. Mais l'OMC ne peut pas être seule à ignorer cette aspiration.

Le deuxième sujet, l'identité culturelle.

Ce point n'est pas négociable. Nous avons obtenu en 1993, avec Edouard Balladur et Alain Juppé, les garanties les plus solides et les plus fondamentales. Messieurs les ministres, vous devez les préserver. Il ne suffit pas de dire que la culture n'est pas une marchandise, même si c'est vrai. Il faut obtenir des textes, des accords, des garanties incontestables qui préservent nos politiques de soutien de tout dérapage et de toute mise en cause durant la négociation.

De ce point de vue, et j'y reviendrai, la satisfaction parfois affichée me paraît peu fondée et nous pouvons avoir quelques inquiétudes.

Troisième sujet, la sécurité alimentaire.

Cette question est à la fois centrale et complexe. Le principe de précaution, peut-être davantage dans son inspiration que dans un contenu à la densité juridique parfois incertaine, doit assurément être défendu. Nous devons affirmer notre droit à définir nous-mêmes, hors de toute ingérence étrangère, les normes de sécurité applicables aux produits mis sur le marché, dès lors quelles ne sont pas discriminatoires vis-à-vis des pays étrangers. Là encore, le débat ne peut être éludé. Toutes les expertises, toutes les compétences doivent être mises à contribution.

Parmi les premiers, j'ai préconisé la mise en place d'agences de sécurité alimentaire et sanitaire qui, loin de toute préoccupation mercantile ou politique, garantissent à nos compatriotes et, aujourd'hui, à tous les Européens qu'aucun compromis ne sera consenti face aux exigences de leur sécurité sanitaire. Je suis heureux de voir que cette proposition est maintenant admise et reprise par le président de la Commission européenne et surpris de certaines réactions de nos partenaires outre-Atlantique, dans la mesure où on peut considérer qu'avec la création de Food and Drug administration en 1904, ils ont pris bien des décennies d'avance sur nous.

Je dirai, enfin, et ce n'est pas le moins important, que, pour nous, la réforme récente de la politique agricole commune, dont parlera François Guillaume, constitue un point d'arrivée et non un point de départ. Il n'est donc pas question, après le sommet de Berlin, de remettre une fois de plus sur le métier la question des politiques de soutien à l'agriculture européenne, qui viennent de connaître une très importante réforme.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Hervé Gaymard.

Cette démarche globale qui est celle de l'Europe est assurément la bonne, mais prévaudra-t-elle ? Rien n'est moins sûr ! Mes chers collègues, il ne faut pas se voiler la face. Le décalage est immense entre les aspirations qui s'expriment aujourd'hui ici, comme il y a trois mois, au sein de la représentation nationale, et la réalité de la négociation.

J'ai entendu parler de l'aspiration à une nouvelle régulation de l'économie mondiale, mais ce n'est pas du tout cela dont on parle aujourd'hui à Genève. On y parle plutôt de démanteler la politique agricole commune, de mettre fin à l'exception culturelle, de subordonner les politiques de l'environnement aux objectifs du libreéchange.

Ce décalage inquiète, à quelques semaines du lancement de la négociation. L'Europe ne paraît pas aborder ce cycle dans une position favorable. Nous avons entendu le commissaire français, M. Lamy, dire qu'il n'était pas certain, dans les conditions actuelles, que la négociation puisse être lancée, et il a raison. Dans le même temps, nous apprenons que le président de la Commission se précipite à Washington pour négocier des compromis.

Tout cela donne une impression de désordre et d'impréparation.

J'ajouterai une question fondamentale. Quelle est exactement la nature du compromis réalisé à Bruxelles, sur le mandat européen, s'agissant des questions culturelles ? Je comprends que l'Europe défendra, dans le cycle du millénaire, la diversité culturelle. Cette déclaration d'intention, bien sûr, est totalement insuffisante. Une formule aussi vague n'apporte aucune garantie quant à la préservation de nos dispositifs nationaux et européens de soutien à la production audiovisuelle et à la création artistique.

Quand on connaît les intentions agressives des Etats-Unis en ce domaine, on ne peut être qu'extrêmement inquiet pour la suite. Le Gouvernement avait, je crois, demandé des garanties plus explicites. Apparemment, il a renoncé à les obtenir. Pour quelles raisons ? Nous disposons en ce domaine, en effet, du pouvoir de veto. Pourquoi avonsnous renoncé à l'utiliser, contrairement à ce qui avait été fait avec succès en 1993 ? Il était indispensable, à ce stade, d'obtenir la reconnaissance explicite et sans ambiguïté de l'exception culturelle au sein de l'OMC. Ne pas l'avoir fait constitue un dangereux abandon et une manière de précédent : la France commence donc cette négociation dans une position moins favorable que celle qui était la sienne à la fin de la négociation précédente.

Monsieur le ministre, nous sommes en droit de vous demander pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Pourquoi les intérêts français, sur lesquels existe, au sein de cette assemblée, une large convergence, n'ont-ils pas été dès le départ mieux pris en compte ?


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Après tout, l'Europe a pris l'initiative de cette négociation. Elle s'est battue pour convaincre des partenaires init ialement réticents. Pourquoi l'Europe, pourquoi la France donnent-elles aujourd'hui l'impression de devoir lutter pour obtenir le minimum d'acceptation de leurs thèses ? Pourquoi, surtout, avoir accepté cette négociation sans être assurés d'un consensus minimal sur ses objectifs et sur son contenu ? Il eût mieux valu, en effet, s'assurer, avant de donner notre accord sur le principe, que les conditions d'un déroulement favorable soient réunies. En procédant en sens inverse, vous avez pris un risque : celui de devoir petit à petit abandonner vos ambitions et vos objectifs - comme, je le crains, cela a commencé d'être le cas dans le domaine culturel.

Mme Nicole Bricq.

Défaitiste !

M. Hervé Gaymard.

Je suis bien conscient que nous sommes seulement au début d'un très long parcours du combattant et je ne vous fais aucun procès d'intention, mais comprenez notre vigilance, instruits que nous sommes par le précédent de 1992-1993 et soucieux de ne pas manquer ce rendez-vous capital.

Vous abordez cette négociation avec le soutien de la représentation nationale. Vous êtes porteur des espoirs de tous ceux qui veulent une France ouverte, dynamique, partenaire actif de la mondialisation, mais qui exigent aussi et surtout que leur identité soit respectée et leurs aspirations reconnues.

Si vous deviez échouer et revenir de Seattle en ayant reculé sur l'essentiel, vous donneriez raison à tous ceux qui, par peur ou par dépit, se résignent à une vision étriquée de la France.

Au groupe gaulliste,...

Mme Nicole Bricq.

RPR ! Ce n'est pas pareil !

M. Hervé Gaymard.

... nous récusons donc ce choix infernal entre la « France seule » de Charles Maurras et la World Company, car il y a d'autres termes à l'alternative.

Il n'est qu'un moyen de récuser ce débat infernal, c'est tout simplement l'audace, le courage et la volonté politique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Nicole Bricq.

On en a !

M. Alain Barrau, président de la délégation.

C'est beaucoup mieux que ce qu'a dit l'orateur du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Monsieur Dominati, vous êtes tout seul dans votre coin !

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre, pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, messieurs les m inistres, mes chers collègues, mon intervention comprendra cinq parties : le peuple français contre la mondialisation libérale ; une idéologie dangereuse ; la Commission européenne, relais de la mondialisation libérale ; reprendre en main les leviers de commande ; enfin, des propositions, constructives naturellement.

La mondialisation libérale n'est pas un phénomène neutre, quasi naturel, qui résulterait simplement de la révolution technologique et informationnelle. Elle met en concurrence des systèmes sociaux, elle fait quelques gagnants et de nombreux perdants, elle tend à déconnecter l'économie du politique.

M. Julien Dray.

C'est exact !

M. Georges Sarre.

Si l'on définit la mondialisation libérale comme un processus de transfert du pouvoir des

Etats vers les sociétés multinationales, via des instances indépendantes ou largement autonomisées du contrôle démocratique, on peut constater que c'est le pouvoir politique qui s'est lui-même délesté de ses responsabilités.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très juste !

M. Georges Sarre.

C'est le cas avec l'OMC, et je me souviens du débat qui a eu lieu ici à ce sujet. Nous avons été une poignée de députés à voter contre la naissance de l'OMC ! L'OMC est largement dominée par l'idéologie du libre-échange généralisé et par un mélange subtil d'influence politique et de juridisme à l'anglo-saxonne faisant une large place au lobbyisme et à la technocratie.

Si une ouverture maîtrisée des marchés, organisée dans un cadre régional relativement homogène socialement, stimule la croissance, l'abaissement généralisé des droits de douane, négligeant les distorsions monétaires et sociales, constitue à l'inverse une source de désordre, de chômage dans les pays du Nord, avec les délocalisations, et d'accroissement des inégalités Nord-Sud.

M. Christian Cuvilliez.

Inquiétant !

M. Georges Sarre.

Les Etats-Unis abordent les négociations de Seattle de manière moins offensive qu'on ne pourrait le penser. Certes, ils sont bien décidés à remettre en cause la politique agricole commune - qui peut en douter ? - et trouveront des alliés...

M. Christian Cuvilliez.

Dominati !

M. Georges Sarre.

... au sein du groupe de Cairns.

C'est l'Union qui pousse à l'élargissement du champ des secteurs qui seront soumis à la libéralisation.

Ainsi la Commission a-t-elle recommandé d'inclure la protection des investissements dans le cycle de négociations de Seattle, ce qui revient à faire rentrer l'AMI par la fenêtre de l'OMC, alors même que la France était parvenue à l'expulser par la grande porte de l'OCDE.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. François Guillaume.

C'est exactement ça !

M. Georges Sarre.

Si l'OMC est d'abord le lieu d'affrontement des grands blocs commerciaux du monde, force est de constater cependant que, face aux Etats-Unis et au Japon, l'Union européenne, qui ne forme pas une nation...

Mme Nicole Catala.

Très bien !

M. Georges Sarre.

... se trouve souvent en position d'infériorité, la Commission qui négocie en lieu et place des Etats européens n'étant pas une instance adossée au suffrage universel, contrairement aux gouvernements japonais et américain.

Mme Nicole Catala.

Très bien !

M. Georges Sarre.

Comment négocier dans de bonnes conditions quand nous sommes représentés par des tiers ?

Mme Nicole Catala.

Très juste !

M. Georges Sarre.

Le dernier épisode en date est de ce point de vue très significatif.

Alors que l'Allemagne et la France étaient restées fermes lors de la récente réunion du Conseil des affaires générales du 11 octobre 1999 sur les normes sociales et l'exception culturelle, le comité des représentants permanents des Etats membres, le COREPER, formé de fonctionnaires, est parvenu à un accord a minima


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M. François Guillaume.

C'est honteux !

M. Georges Sarre.

Il n'est plus question d'un groupe de travail au sein de l'OMC sur les normes sociales, tel que le réclamait à juste raison le gouvernement allemand, sans doute aiguillonné par ses défaites électorales à répé tition liées au tournant libéral de sa politique. On se contentera de la création d'un forum entre l'OMC et l'OIT. Mieux, la recommandation du COREFER, si l'on en croit le texte disponible uniquement en anglais - nous ne l'avons toujours pas dans la langue de Victor Hugo ou de Montaigne ! -...

M. Alain Clary.

C'est incroyable !

M. Georges Sarre.

Oui, mais c'est la réalité.

M. Lionnel Luca.

On l'aura en langues régionales !

M. Alain Clary.

Pourquoi pas ?

M. Georges Sarre.

Ce texte insiste « sur la ferme opposition de l'Union européenne à toute approche basée sur les sanctions » dans le domaine du respect des normes sociales. Il n'est plus question non plus de l'exception culturelle mais du respect de la diversité culturelle, ce qui laisse la porte ouverte à des négociations. Arrêtez donc de dire que l'exception culturelle est maintenue et préservée.

Mais le plus éclairant n'est pas là.

Le compromis élaboré par les fonctionnaires aurait dû être discuté pour ratification par les ministres compétents lors du prochain conseil « affaires générales » des 15 et 16 novembre. Or une dépêche d'agence tombée hier, lundi 25 octobre, nous indique que c'est le conseil des ministres de la pêche qui devrait, sans débat, entériner l'accord du 26 octobre 1999.

Dans ces conditions, je m'interroge sur l'opportunité d'élargir le champ des secteurs soumis à négociation alors même que ce n'est pas la France mais la Commission qui va négocier, d'autant que le nouveau commissaire européen en charge du commerce, M. Pascal Lamy, a déclaré lors de son audition d'investiture devant le Parlement européen : « la libéralisation est une bonne chose [...] pour des raisons économiques et à la limite pour des raisons philosophiques, voire idéologiques. »

M. Laurent Dominati.

Il a raison !

M. Georges Sarre.

Le préalable à toute évolution vers une OMC moins asservie aux multinationales passe par une reconquête politique du terrain perdu par les nations.

C'est d'ailleurs cette quête de souveraineté populaire qui est au coeur des trois mouvements anti-mondialisations vécus en France depuis 1995 : défense du service public à la française ; souveraineté alimentaire ; défense des créations en langue française, intervention publique en matière culturelle ou lutte contre l'hégémonie américaine.

La première proposition préalable à toutes les autres consisterait à placer l'OMC sous contrôle démocratique en redonnant la primauté aux élus sur les technocrates et aux nations sur les multinationales. Les parlements nationaux devraient disposer de moyens de contrôle et d'action permanents.

Deuxième proposition, agir au plus vite pour que la Chine et la Russie rejoignent l'OMC, afin que nous sortions du face à face USA-Union européenne.

Troisième proposition, promouvoir un développement du libre-échange maîtrisé dans le cadre de zones régionales auxquelles s'arrimeraient les pays en développement proches de chacun des trois grands pôles industrialisés : USA, Union européenne et Japon.

Chacun des partenaires formerait alors l'un des piliers d'une organisation tripolaire, seule apte à assurer une coresponsabilité dans la gestion du monde de demain.

Evidemment, l'organisation d'un libre-échange maîtrisé par zones régionales va à l'encontre de la stratégie mondiale des multinationales, et c'est là que le bât blesse.

Q uatrième proposition, inclure les négociations commerciales dans un cadre plus large que la libre concurrence afin que d'autres préoccupations - droit du travail, variations monétaires, normes environnementales soient réellement prises en compte, ce qui revient à proposer, d'une part, un moratoire sur toute nouvelle négociation permettant de faire le bilan économique et social des cinq premières années d'existence de l'OMC et, d'autre part, la modification des statuts de l'organisation.

Messieurs les ministres, les négociations de Seattle seront un test de la capacité de la France à éviter la création d'une économie administrée par les multinationales.

Le Gouvernement doit s'appuyer sur la prise de conscience citoyenne qui se fait jour dans l'opinion publique pour résister, au besoin en disant non, afin que le peuple français continue d'être citoyen et républicain, que la France garde sa liberté d'allure et, subsidiairement, que, demain, le peuple français ait encore envie de dire oui à la majorité plurielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. François Guillaume.

Excellent, monsieur Sarre, mais la dernière phrase était de trop !

M. le président.

La parole est à M. Claude Gaillard, pour le groupe UDF.

M. Claude Gaillard.

Monsieur le président, messieurs les ministres, nous devions avoir ce matin un débat sur la proposition de résolution relative à la conférence ministérielle de l'OMC à Seattle. Or, pour un certain nombre de raisons qui m'échappent, à moins que ce soit, peutêtre, à cause de l'éventualité du dépôt de motions de pro cédure, il y a eu un changement et se tient un débat qui me rappelle un peu celui qui a eu lieu en juin dernier. Je le regrette car le débat sur une proposition de résolution pouvait avoir un sens puisqu'il était sanctionné par un vote alors que celui-là, me semble-t-il, en a un peu moins.

Mme Nicole Catala.

Tout à fait !

M. Claude Gaillard.

Pourquoi avoir opéré ce changement ? Je serais heureux d'entendre la réponse du Gouvernement à ce sujet. D'autant qu'en commission, sous l'autorité de son président, nous avions travaillé dans l'hypothèse d'un débat sur une proposition de résolution et non sur une déclaration du Gouvernement.

Je considère que ce que j'ai dit dans le débat du 23 juin dernier, dans lequel j'étais le porte-parole du groupe UDF, reste d'actualité. Par conséquent, je ne répéterai pas mes propos sur l'approche du marché, sur les problèmes environnementaux, sur les problèmes de protection sanitaire, sur l'approche sociale - j'avais fait un long développement sur le travail des enfants - sur la diversité culturelle - si j'ai bien compris ce qu'a dit M. Moscovici, la semaine dernière, lors d'une émission de télévision, il faut parler de diversité et non d'exception - et sur le volet Nord-Sud.

Je me bornerai à évoquer quelques points particuliers.

Le premier point concerne l'agriculture. Les agriculteurs vivent dans la mondialisation et ils attendent de nous que nous puissions l'organiser et la maîtriser. Il faut


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donc défendre - et il me semble qu'il y a un consensus sur ce point - le droit à la différence, les spécificités qu i sont les nôtres et le modèle européen.

Dans le modèle européen, il y a aussi le droit à l'exportation, ce qui me paraît fondamental pour la France.

Sur le plan tactique, je dirai que nos partenaires ont beaucoup évolué. Ils portent le volet multifonctionnalité et le volet environnement, mais, par contre, ils portent moins que nous le droit à l'exportation. Or il me semble qu'il serait de notre intérêt qu'ils portent ce volet complètement.

C'est pourquoi les accords de Berlin doivent servir de socle aux négociations. Il ne faut pas aller plus loin ni accepter d'autres réformes. Le mandat de négociation doit donc prévoir le respect de la grande réforme de Berlin ; cela m'apparaît déterminant. Et, bien entendu, il faut exiger un accord global, mais vous l'avez dit, monsieur le ministre.

Sur le plan stratégique, il me semble que l'Europe est plutôt prête, ce qui n'est pas le cas des Etats-Unis. On peut penser que les négociations sérieuses vont commencer plus tard, après les élections américaines. C'est pourquoi, parce que c'est fondamental et parce qu'on en a le temps, il faut demander de dresser le bilan des accords de Marrakech.

Les agriculteurs français considèrent avoir réalisé une réforme importante. Comme le disent les experts, les aides sont dans la « boîte bleue ». Mais il semblerait que les Américains continueraient à octroyer des aides allant au-delà des engagements qu'ils avaient pris. C'est pourquoi il est nécessaire, avant d'ouvrir de nouvelles négociations, de dresser l'état des lieux, de procéder à une éval uation. D'ailleurs, cela contribuera à éclairer la négociation.

A u demeurant, tout cela n'exclut pas, bien au contraire, la nécessité d'organiser un débat mondial sur la protection de la santé et sur la sécurité alimentaire. Il faut établir ce qui est du domaine de l'OMC et ce qui relève de l'Organisation mondiale de la santé. Il faut s'interroger sur les OGM, et se demander s'ils doivent être permis ou autorisé - à mon avis, on a intérêt à rester dans une approche binaire.

Par ailleurs, il est nécessaire que nous travaillions en étroite collaboration avec les pays d'Europe centrale et que nous les traitions comme des alliés de l'Union européenne, car ce qu'ils vont négocier s'imposera à nous plus tard, compte tenu de la probable évolution de l'Union européenne.

Le deuxième point particulier concerne ce que j'avais appelé au mois de juin la négociation asymétrique. Je ne développe pas ce point, mais, j'indique que, sur le plan stratégique, il me semble qu'il convient de faire évoluer dans le même sens toutes les régions du monde, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque chacun peut constater que l'Afrique continue de s'enfoncer. L'Europe, et la France encore moins, ne peut l'accepter.

Il faut donc que nous puissions réserver à ces pays une place particulière et que la prochaine convention de Lomé ne balaie pas le accords ACP. Il faut aussi mesurer les effets de ces accords sur les départements d'outre-mer.

Depuis le 30 septembre 1998, s'est engagée la négociation des accords Lomé V. Parallèlement, le Parlement européen a confié la rédaction d'un rapport à Blaise Aldo.

Ce rapport contient de nombreuses propositions, dont celle d'une reconnaissance plus prononcée des particularités des DOM en prévoyant notamment la notion de réciprocité dans les échanges entre les DOM, devenus zones ultrapériphériques prioritaires, et les pays ACP. L'UDF invite le Gouvernement à suivre les recommandations de ce rapport parlementaire afin que puisse être mise en oeuvre une réelle politique de coopération régionale à partir des DOM et que les efforts faits pour promouvoir l'implantation d'entreprise dans ces régions puissent porter leurs fruits. Le Premier ministre doit d'ailleurs dévoiler dans les prochains jours les grandes lignes du projet de loi d'orientation pour les DOM.

Je dirai quelques mots sur l'évolution technologique et la cohérence politique en prenant l'exemple d'Internet et plus particulièrement les enchères en ligne, qui définissent une nouvelle frontière du e-commerce.

U n journaliste disait : « Ceux qui pensaient que l'économie était mondialisée n'ont encore rien vu : e-Bay et ses clones préparent un marché aux puces global où, du crayon à l'entreprise et de l'idée à l'organe, tout est désormais à vendre ». Je souhaite que nous puissions avoir cette évolution en tête.

N'oublions pas que le développement en ce domaine se fait non par le biais des grands groupes mais par celui des start-up.

Et ce développement subit les effets, soit positifs, soit négatifs, des règles fiscales des différents pays et des coûts d'accès à Internet. Or le coûts d'accès en France sont les plus chers du monde.

Mme Nicole Bricq.

C'est vrai !

M. Claude Gaillard.

S'il est important de se battre pour défendre nos marchés, il faut aussi se battre pour permettre le développement de nos entreprises, celles qui façonneront l'économie du futur.

Mme Nicole Bricq.

Tout à fait !

M. Claude Gaillard.

A l'OMC, on négocie, on se défend, on raisonne sur le marché, - les pays anglosaxons ayant une conception différente de celle des pays latins - mais cela ne doit pas nous faire oublier qu'il y va de notre intérêt de favoriser l'émergence des petites entreprises en question. Par ailleurs, nous devons faire attention aux mesures que le Gouvernement peut prendre : elles peuvent avoir des effets positifs ou négatifs.

Quelques réflexions politiques maintenant, compte tenu du fait que ce débat est sans vote.

La mondialisation s'est imposée en un temps record, avec des effets bons et d'autres moins bons. Elle entraîne des sentiments complexes, souvent contradictoires et parfois de crainte, dans la mesure où l'on ignore l'ensemble de ses effets, notamment ses effets pervers.

Face à constat, je dirai assez volontiers comme Philippe Séguin : c'est quoi la politique ? Surtout quand on se souvient que le monde politique a rarement vu arriver les grands événements, que ce soit l'effondrement du bloc soviétique, la chute du mur de Berlin ou la réunification allemande. Et j'ai encore en tête les expressions du Président de la République de l'époque à ce sujet ! L'évolution que nous connaissons accélère la création de mastodontes aux effets monopolistiques. Notre groupe souhaite donc qu'une réflexion s'engage sur la nouvelle définition à donner aux monopoles. Quand on voit que le premier groupe d'un secteur d'activité peut peser à lui seul autant que les trois suivants, cela conduit à s'interroger sur la manière dont nous pouvons lutter contre une approche monopolistique qui n'a plus rien à voir avec une approche libérale du marché et qui peut engendrer une évolution économique redoutable. On a l'impression d'assister à une disparition progressive du caractère


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indépendant : on l'observe chez les paysans ; on risque de le constater un jour chez les médecins, alors que le phénomène est déjà en cours chez les avocats.

Nous changeons progressivement mais sûrement de société. Face à cette évolution très rapide de la société , le corps social peut-il évoluer aussi vite, notamment les plus faibles ? Il faut certainement réhabiliter la place du politique, sinon les peuples réagiront d'eux-mêmes comme ils ont su le faire si souvent.

Comme tout député de province désireux d'être à l'heure ce matin pour assister à ce débat, je suis arrivé hier soir à Paris. J'ai dîné dans un restaurant du XVe où le maître d'hôtel m'a remis un poème dont je vais vous lire quelques vers tant ils me paraissent révélateurs d'un certain état d'esprit dont nous devons avoir conscience :

« Devons-nous les haïr ou leur tendre la main,

« Oui, que devons-nous faire à ces Américains ?

« Accepter leurs bovins au parfum de l'hormone

« Déguster leurs recettes au goût si monotone,

« Picorer les maïs qui poussent sans malice,

« Gênés par le génie qui modifie d'office

« La génétique, naturelle normalement,

« Qui, bouleversée, déchaînera les éléments. »

M. Alain Bocquet.

C'est du Ronsard !

M. Claude Gaillard.

Celui qui a écrit ce poème mérite d'être écouté même s'il n'a pas fait une grande école. Je ne le connais pas, mais il a essayé de traduire dans ce poème quelques vérités et quelques inquiétudes qu'il me semble intéressant de connaître si l'on ne veut pas que la classe politique soit par trop déconnectée du pays et du monde dans lesquels elle vit ! Je poursuis la citation :

« Devons-nous accepter, bêtement, de grossir,

« De parler fort, de cracher, de se mal vêtir,

« De boire du Coca en place... de notre vin

« Pour mieux désintégrer les aliments malsains.

« Ils nous refusent en bloc, comme notre fromage,

« Ils doivent peut-être encore nous croire au Moyen Age.

« Si l'Amérique veut, c'est donc que ça lui plaît,

« Elle veut nos intérêts, pas notre identité.

« Nous devons plier, courber, présenter l'échine

« Mettre genoux en terre pour qu'on nous assassine...

« Non ! Ces lettres nous aident à supporter l'assaut

« Non ! Le combat commence : pour l'US, le héros,

« Nous sommes résistants et voulons préserver

« Ce qui est en nous-mêmes, qui nous a élevés.

« Nous sommes des humains, attachés à la terre

« Et allons en avant, mais le passé derrière

« Nous rappelle toujours que si l'on vend notre âme

« Le diable nous brûlera, dans l'enfer des flammes. »

Pour conclure, messieurs les ministres, je souhaite que vous ayez bien conscience que toute évolution rapide peut faire naître des espoirs comme elle peut susciter des inquiétudes. Je souhaite que ce débat ne soit pas simplement un cadeau offert à une partie de votre majorité, mais qu'il permette à chacun de réfléchir aux moyens qui p ermettront à la France d'évoluer convenablement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Clary.

C'est aux actes que l'on vous jugera !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe communiste.

M. Jean-Claude Lefort.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais d'abord me féliciter du fait que notre assemblée, pour la seconde fois, et cela conformément à notre souhait, soit appelée à débattre des négociations de l'OMC qui doivent normalement s'ouvrir à la fin du mois à Seattle, la ville de Boeing et de Microsoft. Je rappelle à ce propos que, dans cette grande puissance que sont les Etats-Unis, c'est le Congrès qui a le pouvoir en matière commerciale, alors que c'est l'administration qui négocie.

Ce second débat était nécessaire, car le mandat de la Commission européenne, chargée, selon les traités, de négocier pour l'Europe, n'est pas encore entériné, et parce que l'opinion publique, qui se mobilise en France et ailleurs dans le monde, nourrit de ses idées notre propre réflexion.

Je partirai d'ailleurs de ce dernier fait - la présence positive des opinions publiques dans ce débat qui est un phénomène nouveau et en pleine expansion - pour évoquer un premier point : le dogme selon lequel la mondialisation serait en soit positive. Ce dogme a pris du plomb dans l'aile et, avec lui, cet autre dogme selon lequel la libéralisation sans maîtrise des échanges serait la clé pour ouvrir toutes les portes du futur. Bref, la pensée unique s'effrite et s'ébranle !

Mme Béatrice Marre.

Très juste !

M. Jean-Claude Lefort.

Ce ne sont pas, monsieur Dominati, des présupposés idéologiques qui sont à la base de ces contestations que nous partageons totalement. Ce sont les faits qui parlent ainsi, et les faits disent nécessairement le vrai !

Mme Béatrice Marre.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lefort.

C'est pourquoi nous partageons l'idée selon laquelle, avant d'aller plus avant, un préalable n'est pas rempli : celui consistant à dresser un bilan de l'application des accords mis en oeuvre depuis que sévit l'Organisation mondiale du commerce. Il est vrai qu'un bilan permettrait de vérifier si le dogme de la mondialisation libérale des échanges portée par cette organisation est, de manière univoque, porteuse de progrès.

D'ailleurs, les travaux les plus récents d'organismes officiels confortent les voix contestataires. C'est ainsi que le rapport le plus récent de l'ONU sur le développement - le PNUD - note que la consommation publique et privée actuelle exacerbe les inégalités et met en péril les ressources de la planète.

Ce rapport signale que sur les 4,4 milliards d'habitants des pays en voie de développement, les trois cinquièmes sont privés d'infrastructures sanitaires de base, un tiers n'a pas accès à l'eau potable, un quart ne dispose pas d'un logement correct, un enfant sur cinq quitte l'école avant la cinquième année.

M. Laurent Dominati.

Ce n'est pas nouveau !

M. Jean-Claude Lefort.

Et si cette nouvelle bipolarisation entre pays riches et pays pauvres s'aggrave, le rapport de l'ONU constate que cette bipolarisation se manifeste aussi à l'intérieur des pays développés.

M. Laurent Dominati.

Ça non plus, ce n'est pas une nouveauté !

M. Jean-Claude Lefort.

Le dénuement et la pauvreté, note-t-il, « sont une réalité dans tous les pays industrialisés et ont tendance à s'aggraver. »


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M. Alain Clary.

C'est le bilan du capitalisme !

M. Jean-Claude Lefort.

Ainsi, cette libéralisation des échanges aboutit à cette situation insupportable qui voit aujourd'hui 225 personnes à travers le monde détenir à elles seules autant de richesses que 2,5 milliards d'individus !

Mme Béatrice Marre.

C'est ça le libéralisme !

M. Jean-Claude Lefort.

Ainsi en va-t-il du règne des multinationales. Le monde voit se développer un système

« où la consommation n'est pas partagée, dynamisante, socialement responsable et viable sur le long terme ».

Tout cela est accablant et justifie qu'on entende aujourd'hui de plus en plus de gens s'opposer à un nouveau cycle de négociations qui aboutiraient à une accentuation de ces tendances. Il est temps de mettre l'individu au coeur de toutes les problématiques et non plus laisser le champ libre aux seuls intérêts puissants mais dévastateurs pour les sociétés et le monde, car la mondialisation des échanges se retourne contre les droits humains.

Cette gouvernance-là du monde est vraiment une mauvaise gouvernance pour le monde, une gouvernance pour les seuls intérêts privés au détriment de l'intérêt gé néral, une gouvernance où le politique est subordonné à l'économique, lequel lui dispute tout espace pour le cantonner à la marge et tenter d'administrer l'ensemble des activités humaines.

On peut comprendre, dès lors, que l'OMC, qui symbolise cette mondialisation libérale, soit fortement mise en cause. On peut aussi comprendre que certains envisagent un report des négociations, mais on peut aussi adopter une position intermédiaire plus radicale, consistant à aborder ces négociations de manière offensive,...

Mme Béatrice Marre.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

... pour obtenir qu'elles aboutissent à ce que nous souhaitons : le progrès humain et la réforme de l'OMC.

Pourquoi faudrait-il se résoudre à l'impuissance ou au statu quo alors même que nous le dénonçons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien !

M. Alain Clary.

Il faut des actes !

M. Jean-Claude Lefort.

De ce point de vue, il ne fait pas de doute que la méthode qui consiste à considérer que rien n'est signé tant que tout n'est pas réglé est essentielle. Négocier, ce n'est pas signer.

Je n'aborderai pas la question de la politique agricole, du principe de précaution et des OGM, auxquels mon collègue et ami Félix Leyzour consacrera son intervention.

Je m'élèverai cependant contre les propos de la responsable du commerce américain, qui a traité les Européens, au sujet des OGM, de « bande d'hystériques ». C'est véritablement insupportable !

M. Bernard Outin.

C'est elle, l'hystérique !

M. Jean-Claude Lefort.

Je développerai quelques points, en montrant que notre philosophie générale s'applique à chaque dossier.

L'exception culturelle, d'abord. Nous considérons que la culture et ce qui la véhicule ne peuvent être considérés comme des marchandises, et cette spécificité doit être explicitement reconnue lors des négociations. La culture, ce n'est pas seulement les oeuvres de l'esprit, c'est aussi une façon de vivre et une civilisation qui doivent être protégées et non pas écrasées par l'uniformisation de la World Company.

C'est ce que disent aujourd'hui, d'une façon originale, les cinéastes et les fabriquants de roquefort. Mais cette affirmation va au-delà : les services publics relèvent également de cette exception culturelle, qui fait que le monde est riche de sa diversité, qu'il doit être multipolaire et non unipolaire. Il convient donc de refuser de soumettre aux règles classiques qui régentent le commerce ces services, en particulier l'éducation ou la santé. Refuser d'accroître la libéralisation des secteurs publics, qui sont déjà bien atteints, est un point essentiel, et je me félicite de vos déclarations à ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat.

Deuxième point : l'investissement. Chacun se souvient parfaitement de cet AMI que l'on voulait nous imposer à La Muette. Je reprends à mon compte le paragraphe 15 de la résolution de la commission de la production et des échanges et de la délégation pour l'Union européenne, qui rappelait : « A l'inverse de l'AMI, toute négociation sur l'investissement doit intégrer les préoccupations des pays en voie de développement, favoriser le développement durable et préserver la capacité des Etats à réglementer, sur leurs territoires, l'activité des investisseurs en précisant les devoirs de ces derniers ».

D'une façon générale, s'agissant des entreprises, qu'elles soient nationales ou multinationales, il devrait être admis que ces dernières ont une responsabilité publique, avec les devoirs qui lui sont liés. La charte des Nations unies pour les droits économiques et les devoirs des Etats devrait servir de référence.

M. Christian Cuvilliez.

Très juste !

M. Jean-Claude Lefort.

De même, les mouvements spéculatifs de capitaux devraient être taxés, ainsi que le propose le prix Nobel d'économie James Tobin.

M. Laurent Dominati.

La majorité y a renoncé !

M. Jean-Claude Lefort.

Troisième point : les normes sociales et environnemenales. Il s'agit d'un débat qui ne peut être considéré comme devant relever de l'OMC.

Naturellement, des liens existent entre le commerce et ces questions, mais le problème est de savoir qui dit le droit en ces matières. La volonté tentaculaire de l'OMC n'est pas acceptable, ni politiquement praticable. A chacun son métier : à l'OIT les droits sociaux fondamentaux, à l'OMS les problèmes de santé, aux accords multilatéraux les problèmes d'environnement. Il est de notre devoir qu'il en soit ainsi et cela permettra que nous tendions efficacement la main aux pays du Sud.

Cela renvoie au problème de la hiérarchie des droits au plan international et à l'exigence d'un organe de règlement des différends, qui caractérise l'OMC.

Ce n'est pas un hasard si l'opinion s'est focalisée sur les jugements rendus par cet organe à l'occasion de contentieux qui perdurent, comme ceux sur la banane ou le boeuf aux hormones. Lorsqu'aucun arrangement à l'amiable n'est possible, ce tribunal « autorise », en fin de procédure, un pays qui s'estime victime d'entraves à prendre des sanctions unilatérales contre un autre pays, ce qui apparaît comme une conception assez primaire de la justice.

Il y a un certain consensus pour rendre la procédure plus transparente du point de vue de la nomination des juges, des experts consultés, de la participation des ONG.

Je crois qu'il faut aller plus loin, pour en finir avec ce système de sanctions où des secteurs entiers d'une


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économie nationale payent, pour d'autres, une compensation financière à un Etat représentant ses firmes multinationales ! Au-delà des procédures, la question centrale reste celle du droit que doit appliquer ce tribunal. La prise de conscience citoyenne à propos de l'OMC nous indique une autre voie qui consisterait à soumettre les règles économiques à celles du droit social, du droit de l'environnement et de la santé. Je parle bien d'une inversion des priorités, et non d'un simple aménagement du droit commercial.

Nous avons, eu égard à tous ces problèmes, bien du pain sur la planche. Mais une chose est désormais certaine : rien ne se fera plus sans l'opinion publique et sans la représentation nationale. Ainsi, face à la globalisation de l'économie, une globalisation des réponses tend à se mettre en place.

Ni l'Europe, ni les Etats-Unis, ni l'OMC ne pourront désormais en faire l'économie. Et, à nos yeux, c'est finalement une très bonne nouvelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission de la production et des échanges.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est aujourd'hui de bon ton d'invoquer la mondialisation, qui rendrait inéluctable la restructuration des entreprises et de l'économie. Pourtant, le temps n'est-il pas venu d'inverser ce courant en restructurant la mondialisation ? Il me semble que c'est dans cet état d'esprit que doivent être abordées les prochaines négociations de l'OMC, qui s'ouvriront le 30 novembre prochain à Seattle.

Dans la résolution proposée par notre collègue Béatrice Marre et adoptée à la quasi-unanimité par la commission de la production et des échanges, nous souhaitons que puisse s'établir un équilibre entre la régulation et la libération des échanges commerciaux.

M. Laurent Dominati.

Cela va de pair !

M. André Lajoinie, président de la commission.

Plusieurs propositions formulées dans ce texte participent d'une volonté de réorientation des principes et du fonctionnement de l'OMC, ce qui me paraît très important. Je rappellerai les plus marquantes : l'exigence de dresser un bilan de l'application des accords depuis la conférence de Marrakech ; la priorité qui doit être accordée aux pays en voie de développement ; la perspective affichée d'une intégration institutionnelle de l'OMC dans le système onusien ; la reconnaissance du principe de multifonctionnalité de l'agriculture et de la préférence communautaire en ce domaine ; l'affirmation du nécessaire respect de la diversité culturelle, de la santé sanitaire et alimentaire, de l'existence de services publics non marchands ; la volonté de lier de « nouveaux sujets », comme les normes sociales ou l'environnement, au commerce mondial.

Autant de repères, de mon point de vue, sur lesquels le gouvernement de la gauche plurielle doit prendre appui pour aborder le cycle du millénaire. Vous y avez fait écho dans votre intervention, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

Une grande partie de l'opinion, en France mais aussi en Europe, refuse de léguer aux générations futures un monde uniforme et unipolaire, dangereux et insalubre, un océan de mal-vie où surnageraient quelques îlots de fortune.

Cette aspiration doit être entendue et doit pouvoir s'exprimer, non seulement lors du sommet de Seattle mais aussi pendant toute la durée des négociations. Il faut donc ouvrir toutes grandes aux citoyens les portes des conciliabules et, à brève échéance, engager une démocratisation des institutions de l'OMC, de son secrétariat général à son organe de règlement des différends.

Plusieurs intervenants l'ont déjà souligné : l'accroissement des inégalités entre les régions de la planète, la persistance d'une pauvreté et d'une exclusion de masse dans les pays défavorisés mais aussi dans nos sociétés, ne peuvent être passés par pertes et profits à l'heure où les dirigeants de 134 Etats vont se pencher sur l'évolution d es échanges commerciaux internationaux. Certes, l'OMC, organisation qui aspire au rôle de juge et d'arbitre, n'est pas le maître de la mondialisation. Cette dernière, déclenchée par la révolution technologique et informationnelle de cette fin de siècle, est pilotée, il faut bien le reconnaître, par les puissances géopolitiques dominantes, et principalement par les Etats-Unis.

Le FMI et la Banque mondiale imposent leurs vues à leurs débiteurs. Mais aussi, et surtout, ce mouvement de globalisation porte la marque des marchés financiers et de quelques firmes multinationales d'origine nord-américaine, européenne ou japonaise pour la plupart.

Dans un rapport publié le 27 septembre 1999, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement souligne qu'en 1998 les investissements mondiaux ont augmenté de 39 %, pour atteindre 644 milliards de dollars, soit 3 860 milliards de francs. Cependant, les deux tiers de ces capitaux ont été captés par les EtatsUnis et l'Europe, tandis que la part des pays dits émergents est tombée de 37 % à 25 %, l'ensemble de l'Afrique étant délaissé, avec seulement 8 %. Or l'essentiel de ces flux est orienté par cent grandes entreprises, qui détiennent à elles seules 10 800 milliards de francs d'actifs à l'étranger, emploient plus de 6 millions de personnes à travers la planète et réalisent un chiffre d'affaires total de 12 600 milliards de francs, soit environ huit fois le budget de l'Etat français. Il est de la responsabilité des représentants des nations, des élus politiques, des organisations démocratiques et, au-delà, de tous les citoyens, de ne pas laisser le champ de l'économique et du social entre les seules mains de ces maîtres d'une guerre où la loi boursière prime toujours sur l'intérêt collectif.

A cet égard, reconnaissons que l'OMC, héritière du GATT, si elle a le mérite d'offrir un cadre susceptible de limiter les débordements d'une concurrence sauvage, se borne toutefois à appliquer, comme critères prépondérants, les dogmes du libéralisme.

Pour changer de cap, d'aucuns prônent la référence au

« modèle européen », une sorte de vade-mecum synonyme de progrès social et de résistance aux vélléités hégém oniques américaines. Encore conviendrait-il de s'entendre sur les vertus de ce modèle. La majorité des dirigeants de l'Union européenne - où l'on recense tout de même 18 millions de chômeurs -, n'a-t-elle pas, ces dernières années, poussé les feux de la réduction des dépenses publiques, de la déréglementation et de la privatisation des postes, des télécommunications, des industries de l'énergie ou de l'audiovisuel ? Alors que les Etats-Unis


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n'ont jamais autant aidé leur agriculture, l'Union européenne n'a-t-elle pas, par avance, à Berlin, emboîté le pas aux Américains en entérinant de nouvelles baisses de prix lors d'un accord qui risque de fragiliser davantage encore les producteurs modestes, tandis que croissent les grandes exploitations intensives ? Quand Renault, pour sceller sa fusion avec Nissan, détruit 21 000 emplois dans le monde, est-ce cela le modèle européen qu'il faudrait étendre ? Le drapeau étoilé de l'Union ne saurait servir de paravent.

La France, tout en prenant toute sa place sur la scène communautaire, ne doit donc pas se lier les mains. Indéniablement, sa voix a porté, monsieur le secrétaire d'Etat, au cours des discussions entre les Quinze, sur le mandat à confier au commissaire Pascal Lamy. Nous sommes heureux d'avoir participé à cette action, même si notre contribution a été modeste.

Les conclusions adoptées vendredi témoignent de cette évolution positive, même si elles restent assez alambiquées, notamment en ce qui concerne la production et la diffusion audiovisuelles, car la référence à l'exception culturelle n'est qu'implicite. Il convient donc d'être très vigilants, d'autant que les autorités américaines abordent ce cycle de négociations avec morgue et agressivité. Peutêtre est-ce là un aspect de la personnalité américaine ? A Seattle, la délégation des Etats-Unis, menée par Mme Barshefsky, dont le Président Clinton dit sans détour qu'elle est « si dure qu'elle arracherait des larmes à un homme mort », entend restreindre le terrain des débats à deux sujets : l'agriculture et les services.

L'hôte de la Maison Blanche a fait du démantèlement de la PAC « l'objectif numéro un ». Boeing et Microsoft misent sur un accord taillé sur mesure, leur ouvrant de nouveaux marchés, libéré de toute contrainte fiscale dans l'aéronautique et le commerce électronique.

Pour autant, il est vraisemblable que Bill Clinton, qui ne dispose pas de mandat de négociation globale confié par le Congrès et qui veille à caresser les électeurs dans le sens du poil à un an du scrutin présidentiel, ne pourra s'engager sur aucune décision ferme avant la fin de l'an 2000. Devant cette ambiguïté, dont certains orateurs ont parlé et qui risque de déboucher sur un marché de dupes, ne serait-il pas opportun de reporter toute décision tant que ne sera pas éclaircie la situation en ce qui concerne la représentation américaine ? Les propos de notre rapporteur, Béatrice Marre, selon lesquels il faut aller vers un accord global vont dans ce sens.

Il me semble en tout cas indispensable d'associer davantage encore au processus les parlementaires et les responsables de syndicats ou d'ONG, car ils sont aujourd'hui tenus en lisière.

Pourquoi les représentants des citoyens ne se verraientils pas attribuer un droit de regard et d'intervention quand les grandes sociétés pratiquent ouvertement le lobbying ? Le 12 octobre dernier, Lionel Jospin a souhaité, devant les députés, que cette nouvelle négociation soit

« transparente et respectueuse des préoccupations de nos concitoyens » ; je partage ce souci.

La résolution adoptée par la commission de la production et des échanges conclut en invitant le Gouvernement à tenir l'Assemblée nationale régulièrement informée du déroulement du cycle du millénaire. C'est en effet en se mettant à l'écoute de la représentation nationale, mais également de l'ensemble de l'opinion publique, que la délégation de notre pays pourra faire entendre la voix de la France.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'OMC doit-elle rester la même après les négociations qui vont s'ouvrir à Seattle ? Sûrement pas, et c'est l'une des premières constatations qui s'imposent dans notre débat de ce matin. A l'exception de M. Dominati, qui n'est plus là, et du groupe Démocratie libérale, tous les orateurs ont considéré qu'il fallait modifier le fonctionnement actuel de l'OMC, avec plus ou moins d'ampleur. Ainsi, nous, Français, au travers du mandat que nous donnons au Gouvernement et à la Commission européenne, souhaitons que cette négociation soit non pas un lieu passif où nous accepterons telle ou telle modification du commerce international, mais un lieu actif où l'on modifiera les choses, pour que la situation actuelle soit améliorée.

L'OMC doit permettre de modifier les rapports qui régissent le commerce international, de permettre, bien sûr, à celui-ci de continuer à se développer, mais pas en accroissant les écarts et les distorsions qui existent déjà entre pays riches et pays pauvres, et à l'intérieur même des pays riches. Il faut donc qu'elle soit véritablement une instance universelle, placée sous l'égide de l'ONU, et s'inspirant de règles et de préoccupations permettant de prendre en compte la situation des pays les moins développés, de même que les revendications des secteurs économiques les plus en difficulté dans les pays développés.

Manifester cette attitude, cela signifie participer activement, dans un souci de transformation et de réforme, à la négociation qui va s'engager à Seattle. Estimer qu'on pourrait s'en dispenser reviendrait à dire que, bien qu'une mploi sur quatre dépende, dans notre pays, du commerce international, la manière dont les choses évoluent ne nous concerne pas.

Ce n'est pas du tout notre attitude. Notre délégation a confié un rapport à Béatrice Marre et elle a adopté, le 30 septembre dernier, une résolution. Je remercie le président de la commission de la production et des échanges d'avoir fait diligence pour que cette résolution soit examinée par la commission, le 6 octobre. Nous voulions que l'Assemblée nationale ait une position sur ce point et, je rassure nos collègues, c'est bien le cas.

J'aurais personnellement souhaité que notre débat soit sanctionné par un vote, car c'était possible. Le Gouvernement avait accepté - et je l'en remercie - l'organisation d'un tel débat, en dépit du fait que nous sommes en période budgétaire, et il avait accepté que la discussion de cette proposition de résolution en séance publique soit suivie d'un vote.

Il se trouve que M. Sarre, d'une part, et M. DousteBlazy, d'autre part, sans doute pour des raisons différentes, ont fait en sorte que le débat de fond ne puisse pas avoir véritablement lieu et qu'il ne soit pas sanctionné par un vote. Cela aurait pourtant donné plus de force à la position des députés. Et je revendique que sur un sujet de cette importance, le Parlement ait la possibilité d'indiquer son opinion au Gouvernement.

Il est important que l'Assemblée nationale ait pris position, d'autant plus que le cas est unique parmi tous les pays membres de l'Union.


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Ces négociations, au sein de l'Union, puis au niveau de l'OMC, ne se passeront pas comme les précédentes, dans le secret. En effet, les opinions publiques se sont saisies de la question, de manière contradictoire, de manière quelquefois partielle ou partiale, mais elles s'en sont saisies et c'est une très bonne chose.

Il faut que la représentation nationale se montre capable non pas simplement de suivre les négociations, mais aussi, à chaque étape, d'exercer une sorte de contrôle, de prononcer un jugement et de transmettre une impulsion sur les points qui lui semblent particulièrement importants.

Quels sont ces points ? Tout d'abord, je le répète, il nous faut dresser un bilan complet de l'accord de Marrakech. A l'aube du long cycle de négociations qui s'annonce, cela me semble évident.

Jean-Claude Lefort vient d'évoquer le deuxième point important : nous allons négocier avec plusieurs pays, parmi lesquels les Etats-Unis. Qui sera le négociateur américain ? Quel mandat aura-t-il ? En tout cas, la position de la France devra être constante, quel que soit son interlocuteur.

Troisièmement, sur les sujets incontournables, comme l'agriculture et les services, le Gouvernement ne doit pas s'écarter de sa position de départ.

Nous avons eu la chance de pouvoir mener un débat sur l'agriculture et de définir une orientation. Faisons en sorte que l'accord de Berlin soit la base non seulement de la position de la France, mais aussi de la position de l'Union. Le conseil « affaires générales » de l'Union européenne a d'ailleurs retenu cette position la semaine dernière. Je m'en félicite.

De la même façon, en ce qui concerne l'AMI, le gouvernement français a tranché, et les députés, dans leur majorité, lui ont apporté leur soutien. D'ailleurs, dans notre proposition de résolution, nous préconisons d'aller en sens inverse des dispositions prévues par l'OCDE dans l'AMI.

On constate que les pays en voie de développement sont progressivement marginalisés. Cela ne peut pas durer, pour des raisons de justice sociale, de justice internationale, mais aussi pour l'avenir du commerce mondial.

La réintégration dans la négociation des PVD, et en particulier des pays les moins avancés, est une exigence politique dont nous avons fait un préalable au démarrage des discussions de Seattle. Sur ce point, nous pouvons trouver des alliés.

Enfin, nous devons également conserver une position offensive sur de grandes questions comme la culture, le service public ou la sécurité alimentaire, qui préoccupent les Français et les Européens. Ces questions ont été largement évoquées ; je n'en dirai donc pas davantage.

Monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes au milieu du gué. Il est nécessaire de défendre une position européenne. En la matière, nous avons déjà marqué des points et nous pourrons peut-être obtenir encore plus de fermeté sur tel ou tel sujet. La France a été très présente dans la négociation entre les Quinze. C'est déjà bien.

Mais la position européenne sera soumise à bien des critiques on le constate déjà à propos de la PAC. Il faut donc, avec les Européens, que nous soyons en mesure de trouver des alliés. N'attendons pas béatement que la négociation se déroule ! Sur les questions agricoles, nous pourrons peut-être compter sur le Japon je ne suis pas le premier à le dire -, mais aussi sur des pays en voie de développement. Toutefois, bien sûr, certains pays peuvent être en accord avec nous sur la culture, l'investissement ou les services et ne pas l'être forcément sur l'agriculture.

Il s'agit d'une négociation. Nous devons établir un rapport de force - pardonnez-moi l'expression - avec les autres pôles du monde multipolaire que nous voulons bâtir, et principalement avec les Etats-Unis.

Je ne diabolise pas les Etats-Unis, mais j'estime que le problème se pose en ces termes.

En résumé, les négociations seront très difficiles, et d'autant plus qu'elles se tiendront apparemment sous la pression de l'opinion publique. Mais seulement apparemment, dans la mesure où, à mon sens, le Gouvernement doit précisément s'appuyer sur l'opinion publique pour renforcer son attitude et ses prises de position.

Et puis, pas à pas, il faudra prendre acte de ce qui est réellement possible. Si, sur un sujet particulier, il s'avère impossible d'accepter un compromis sans se plier à ce libéralisme qu'une majorité de députés dénoncent, il faudra saisir l'opinion et l'informer des difficultés. En tout cas, il est hors de question d'accepter un accord a minima et de chanter « tout va très bien, madame la marquise ».

Au cours des négociations de l'OMC, nous devons avoir la volonté de faire de l'Europe l'un des pôles du monde multipolaire que nous voulons bâtir.

C'est une grande responsabilité pour le pays, pour le Gouvernement. C'est pourquoi, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, vous pouvez compter sur la présence et la détermination de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Plusieurs orateurs sont encore inscrits dans le débat. Je les remercie à l'avance de bien vouloir respecter leur temps de parole.

La parole est à M. Jean-Claude Daniel.

M. Jean-Claude Daniel.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'enjeu du prochain cycle de l'OMC sera d'apporter des réponses à t rois problèmes auxquels l'économie mondiale est confrontée : l'internationalisation parfois sauvage de la vie économique ; la multiplication des risques de déséquilibre, d'instabilité et d'injustice, tant pour les Etats que pour leurs ressortissants ; enfin, clairement manifesté par de nombreux citoyens de tous pays, le désir de plus de transparence et de plus de démocratie.

Il est nécessaire de mieux réguler les échanges commerciaux internationaux. Cependant, en aucun cas, cela ne peut ni ne doit conduire à une nouvelle politique d'assujettissement des souverainetés nationales à un nouvel ordre mondial élaboré dans le secret, alchimie d'intérêts économiques privés.

Face à ces enjeux, la commission de la production et des échanges a donné un large assentiment à la proposition de résolution pour la conférence ministérielle de l'OMC à Seattle, proposition présentée par la rapporteur de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Unione uropéenne, Béatrice Marre. C'est une proposition combative, généreuse et claire. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que, pour l'essentiel, l'accord entre les Etats membres de l'Union européenne maintiendra cette position ? La commission de la production et des échanges a souligné que la croissance du commerce international, certes bénéfique pour les pays développés, n'a pas profité à tou s, contrairement à ce que prétend M. Dominati. L'écart se


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creuse entre pays intégrés et pays non intégrés à ce mouvement. Faut-il rappeler la déclaration du Président Clinton : « L'ouverture du commerce augmente la richesse du monde », recevant en écho celle du Président Mandela :

« Elle augmente en même temps l'étendue des zones de pauvreté » ? Plusieurs orateurs l'ont rappelé, l'écart se creuse également au sein même des pays développés, dont les secteurs économiques, et partant les diverses catégories de population, peuvent ressentir les effets négatifs de la mondialisation, par exemple les pertes d'emplois liées à la concur-r ence de pays émergents servant de terrains de délocalisation.

La commission a souligné également l'extrême sensibilité de nos concitoyens, qui s'interrogent légitimement et manifestent de très fortes exigences en matière de sécurité sanitaire, de qualité des produits, de protection de l'envi-r onnement et de contrôle démocratique. L'opinion publique se préoccupe aussi de la place des pays pauvres dans l'économie mondiale, qu'il faut réguler, sans quoi elle se confond avec la loi du plus fort.

J'insisterai sur trois points, bien qu'ils aient déjà été fort bien exposés par les orateurs de la majorité plurielle.

Il faut renforcer la multilatéralité des négociations, de façon à mieux maîtriser l'ouverture des marchés, qui seront alors encadrés par des règles acceptées de tous.

Pour ajouter à son universalité, il est souhaitable que de grands pays comme la Chine ou la Russie - on a cité aussi le Viêt-nam et l'Algérie - adhèrent à l'OMC.

Le cycle de négociation ne doit pas se limiter à l'agriculture et aux services. Il doit être global et aborder la propriété intellectuelle, la baisse des droits sur les produits industriels, mais aussi de nouveaux sujets comme le respect des normes fondamentales du travail et de l'environnement établies dans d'autres enceintes internationales. L'OMC n'est pas le lieu de tous les choix et doit renforcer ses contacts avec d'autres organisations internationales, notamment le FMI, la CNUCED, la FAO et l'OIT. Une telle démarche est primordiale pour parvenir à la création d'une autorité mondiale du commerce crédible, efficace et transparente, destinée, à moyen terme, à intégrer le cadre de l'Organisation des Nations unies.

En ce qui concerne l'agriculture, la position de la France, telle qu'elle a été réaffirmée, est claire. J'espère que celle de l'Europe l'est autant. Le mandat de négociation doit se structurer autour des grands axes qui ont souvent été rappelés : la défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle, respectueuse des hommes et de leur environnement, de la sécurité et de la qualité des aliments ; la référence aux accords de Berlin et le renforcement de la PAC ; la globalité de la discussion, pour parvenir à un engagement unique, où rien n'est conclu tant que tout n'est pas conclu.

Le souhait des Etats-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux quelques sujets qui ont leur préférence, traités en

« vendange précoce », est inacceptable. Il faut obtenir un ordre du jour large qui réponde pleinement au souci légitime des citoyens de mieux maîtriser la mondialisation. A trop persister dans leur orientation, je pense, comme le Premier ministre, que les Etats-Unis remettraient euxmêmes en cause le lancement du nouveau cycle.

La France ne peut accepter les demandes américaines, qui visent principalement les exportations agricoles et européennes, alors que se développent chez eux des formes moins transparentes de soutien aux exportations.

M. Nicolas Dupont-Aignan.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Daniel.

De même, nous ne pouvons admettre l'introduction sur nos marchés de produits suscitant des préoccupations légitimes quant aux garanties de sécurité. C'est le principe de précaution. Demain, à Washington, sur ces sujets, quel sera le mandat de M. Lamy ?

M. Nicolas Dupont-Aignan.

Personne ne le sait !

M. Jean-Claude Daniel.

Enfin, il ne peut être envisagé de ramener le statut des services culturels à celui de simples marchandises. La culture est avant tout le support d'une identité, dans le respect des diversités. Les échanges commerciaux ne peuvent en rien nier cette dimension fondamentale. C'est ce qui motive l'exception culturelle.

S'agissant des services autres que culturels, la commission de la production et des échanges, à l'initiative de notre collègue Félix Leyzour, a souhaité que l'Union européenne ne s'engage pas dans des mesures de libéralisation supplémentaires dans les secteurs d'intérêt public comme l'énergie, les transports et les services postaux.

Après négociation, quel est le mandat de l'Union européenne sur ces sujets ? Comment la France et l'Union européenne envisagentelles de former un réseau d'alliance avec les pays d'Europe centrale et orientale et avec certains pays méditerranéens ou en voie de développement, pour éviter que les négociations ne s'enferment dans une opposition frontale entre les Etats-Unis et l'Europe et créer ainsi le bon rapport de force dont parlait à l'instant M. Barrau ? Le Gouvernement doit tenir l'Assemblée nationale informée de l'avancée des négociations. Le président de la commission de la production et des échanges l'a rappelé.

Dans le souci de garantir plus de transparence et de répondre aux attentes légitimes des citoyens en matière d'information et de participation, la commission de la production et des échanges a souhaité que l'Assemblée nationale soit tenue régulièrement informée du déroulement des négociations et, au moins une fois par an, par le biais de ses organes compétents. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

J'informe l'Assemblée de la présence, dans les tribunes de l'Assemblée nationale, de M. Itamar Franco, ancien président de la République fédérale du Brésil, président de l'Etat de Minas Gerais, à la tête d'une délégation à laquelle nous souhaitons la bienvenue.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

La parole est à M. François Guillaume.

M. François Guillaume.

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, contrairement à ce que l'on affirme ici et là, la conférence ministérielle de Seattle ne sera pas la simple entrée en matière du round du millénaire, pas plus que ne l'avait été celle de Punta del Este pour l'Uruguay round. En effet, le projet de déclaration ministérielle qui devrait être approuvé fixera le programme et l'esprit de la négociation et il sera difficile de les remettre en cause ultérieurement.

Traiter de l'OMC en cinq minutes est une gageure.

Aussi me contenterai-je de vous confier quelques suggestions de stratégie à l'usage de cette première étape, plutôt que de traiter le problème au fond, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir.

C'est la Commission qui négocie à l'OMC, chacun s'en souvient. Elle le fait sur un mandat que lui confie le Conseil des ministres. Ce mandat lui fixe un cadre mais ne peut évidemment l'enfermer dans des consignes


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impératives. Cette marge de manoeuvre, comme la langue d'Esope, peut être la meilleure ou la pire des choses.

C'est la raison pour laquelle, à mon sens, le Conseil des ministres, en formation adaptée, par sa présence effective lors des réunions ministérielles décisives, doit contrôler l'action des commissaires responsables et leur donner ou non le feu vert en temps utile. Cette assistance, ce marquage au plus près, qui avait justement fait ses preuves à Punta del Este, a cruellement manqué aux négociateurs européens par la suite ; c'est pourquoi ils ont cédé si facilement à l'offensive américaine.

Dans la préparation à cette ouverture solennelle, j'allais dire des hostilités, je regrette que l'Union européenne se soit déjà laissée isoler. Le groupe de Cairns, partisan irréductible du free market , déjà nous agresse, et nous seuls.

Pourtant, il n'a pas manqué de critiquer les récentes aides servies par les Etats-Unis à leurs agriculteurs. C'était une occasion de mettre un coin dans sa sainte alliance avec Washington. Vous ne l'avez pas saisie, monsieur le ministre délégué.

Une autre occasion pratiquement perdue était celle d'éviter que les pas du tiers monde ne rejoignent le camp américain. Considérant que le combat des Etats-Unis pour le libre échange est aussi le leur, n'espèrent-ils pas tirer profit de l'avantage comparatif du coût de leur main-d'oeuvre pour gagner des parts de marché ? Il est pourtant facile de démontrer, exemples de la banane et des accords de Lomé à l'appui, que les intentions des

Etats-Unis ne sont pas aussi généreuses et loyales qu'ils l'affirment et que cet espoir des PVD se révélerait un mirage dans un libre marché généralisé.

Faute de ces préparations diplomatiques, l'Union européenne se présente à Seattle seule contre tous. Première puissance commerciale du monde à l'égal des Etats-Unis, elle ne doit pas pour autant nourrir de complexes, mais au contraire adopter une attitude offensive en posant un préalable et une condition, en ménageant une précaution.

La précaution, c'est d'associer à la stratégie européenne les PECO candidats à l'adhésion, pour éviter qu'ils n'acceptent à l'OMC un libre accès à leur marché au profit des tiers, ouverture qui serait préjudiciable à l'Europe lors de leur entrée dans l'Union.

Le préalable, c'est le fast track , c'est-à-dire la capacité accordée par le Congrès des Etats-Unis au Président américain de négocier sans que ses engagements puissent être remis en cause par ce même Congrès.

La condition, c'est la globalité de la négociation, c'està-dire, au final, des résultats équilibrés entre tous les thèmes débattus, pour éviter ce que les Américains appellent la « récolte précoce », c'est-à-dire la mise en oeuvre de certains accords dans des secteurs qui les intéressent, avant même la conclusion générale.

L'agriculture est l'un, pour ne pas dire le seul, de ces accords partiels recherchés par les Etats-Unis, dont ils font un cas d'espèce et un gage de réussite de l'OMC. En la matière, leur mauvaise foi est totale. Le reniement de leurs engagements de l'Uruguay Round est permanent alors que l'Europe a scrupuleusement respecté les siens, qu'il s'agisse d'ouverture de marché, de réduction des aides à l'export ou du niveau de soutien des prix. Contre toute logique, une loi américaine postérieure aux accords de Marrakech a rétabli au profit des farmers des systèmes d'aide démantelés par le GATT, les fameux deficiency payments . Plusieurs dizaines de milliards de dollars ont, en outre, été octroyés chaque année pour compenser la baisse des revenus paysans à tel point que, en 1999, les aides publiques à l'agriculture américaine sont de 50 % supérieures à celles dont bénéficient les agriculteurs européens. Il faut, monsieur le ministre, mettre fin à cette hypocrisie.

Je terminerai mes recommandations, si vous me permettez ce terme que justifie mon expérience personnelle de ce type de négociations, en vous rappelant que l'un des objectifs annoncé de l'OMC était de rétablir les conditions d'une concurrence loyale. A ce titre, vous vous proposez de combattre le dumping social et environnemental pratiqué par les PVD, à la grande irritation d'ailleurs de ceux-ci qui dénoncent ces intentions comme une manoeuvre destinée à mettre à mal leurs avantages comparatifs en même temps qu'à réduire leurs chances de gagner des parts de marché.

Vous semblez oublier le dumping monétaire qui perturbe les échanges entre les pays industrialisés. Il fausse la concurrence. C'est si vrai que, sur une longue période, on constate que les courbes comparées de la valeur du dollar et des exportations européennes sont régulièrement inversées. A l'issue de la conférence ministérielle inaugurale de l'Uruguay round, sur la pression des Européens, les EtatsUnis avaient dû concéder le principe d'un correctif monétaire pour pallier les fluctuations erratiques du dollar par rapport à l'écu. Deux ans plus tard, la Commission abandonnait - hélas ! - cet acquis. Le problème reste d'actualité. Il est la clé de la loyauté du commerce international plus que ne l'est l'élimination du reliquat des droits de douane.

Monsieur le secrétaire d'Etat, dans votre propos liminaire, je n'ai pas relevé la moindre ébauche d'une stratégie française et européenne. Vous vous êtes contenté de rappeler des lieux communs, d'exposer des généralités, de dresser un constat. Je le regrette, car l'enjeu est de taille et la faiblesse de certains de nos partenaires qui, tels les Allemands et les Anglais, ont pour les Américains les yeux de Chimène, nous obligerait plutôt à sonner la charge de cette guerre commerciale qui ne fait que commencer.

D'autant plus que ce sont nos intérêts agricoles qui sont les plus menacés. Il ne suffit pas, messieurs les ministres, de se glorifier annuellement des performances à l'export de nos paysans, encore faut-il les préserver des concurrences déloyales ! Il est plus que temps, messieurs les ministres, de vous ressaisir. Et n'oubliez pas ceci : en diplomatie aussi, il faut savoir dire non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme Chantal RobinRodrigo.

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France a choisi une économie ouverte et l'intégration européenne.

Ce bon choix doit être d'autant plus assumé que notre pays exporte désormais près de la moitié de sa production industrielle, qu'il est le deuxième fournisseur de services au monde, la deuxième puissance agricole et le quatrième exportateur de produits manufacturés. Comment oublier, par ailleurs, que la croissance a été tirée depuis une quinz aine d'années par une vigoureuse progression des échanges de près de 7 % par an ? Si la France a su s'adapter à la mondialisation, nos concitoyens sont pour le moins circonspects sur les é volutions en cours : financiarisation économique, concentrations bancaires et industrielles, embargo américain contre les productions françaises, vache folle, boeuf a ux hormones, organismes génétiquement modifiés,


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marchandisation de la culture. Cet inventaire à la Prévert de ce qu'il faut bien appeler les dysfonctionnements de la mondialisation inquiète, à juste titre, nos compatriotes.

Même si elle n'est pas directement responsable de l'ensemble de ces phénomènes, l'OMC traverse une crise de légitimité, comme l'a souligné récemment à Washington M. François Huwart. Il est de ce point de vue tout à fait dommageable que nous ne disposions pas d'un bilan global de la mise en oeuvre de l'accord de Marrakech au plan économique et social.

M. Yves Cochet et

M. Julien Dray.

Evidemment !

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

A quelques semaines de la conférence de Seattle, ce « chaînon manquant » renforce le sentiment que la transparence et le débat démocratique restent à conquérir au niveau de l'OMC.

M. Alain Clary.

C'est vrai !

Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Comme le souligne Béatrice Marre dans son excellent rapport, le commerce international tend à aggraver l'écart entre pays riches et pays pauvres. Constatons également que l'écart entre riches et pauvres s'aggrave aussi à l'intérieur de chaque pays. Il apparaît donc urgent de réorienter le commerce international en renforçant les règles multilatérales, pour parvenir à une maîtrise du libre-échange.

L'OMC met trop souvent face à face l'Union européenne et les Etats-Unis. Il serait bon de créer les conditions d'une organisation plus multipolaire, permettant par exemple aux pays du tiers monde de s'organiser collectivement pour devenir des interlocuteurs à part entière.

En ce qui concerne la France et l'Europe, la politique commerciale étant de compétence communautaire, c'est la Commission qui est en quelque sorte maîtresse d'oeuvre, d'où l'importance de lui confier un mandat de négociation clair, et même très clair.

Le demi-échec de la réunion du Conseil européen des affaires générales du 11 octobre dernier a démontré qu'il subsistait encore des approches différentes entre partenaires européens sur les normes sociales et l'exception culturelle. Depuis lors, le comité des représentants permanents des Etats membres de l'Union européenne est arrivé à un accord à la fois sur le chapitre de la diversité culturelle et sur celui des normes sociales.

La France doit cependant poursuivre ses efforts pour convaincre les plus libéraux de nos partenaires qu'il est primordial que l'Union européenne défende, à Seattle, une conception du commerce qui préserve le modèle social européen et ouvre la voie à des relations moins déséquilibrées entre pays riches et pays pauvres.

La reconnaissance que toutes les activités humaines ne peuvent être assimilées à des marchandises, la prise en considération des normes sociales, de sécurité sanitaire, de respect de l'environnement, l'interdiction du travail des enfants et des prisonniers, l'impératif de promouvoir le développement des plus pauvres constituent à mon sens les grandes orientations sur lesquelles nous ne devons pas transiger. Il nous faut parvenir à un accord clair pour que l'Union européenne parle d'une seule voix. L'accord conclu à Berlin sur l'agriculture, qui doit beaucoup à la pugnacité de notre ministre de l'agriculture, Jean Glavany, peut servir de référence pour d'autres secteurs.

Je ne suis pas transportée d'enthousiasme, messieurs les ministres, à l'idée de voir la protection des investissements s'inviter à la table de l'OMC. Chacun a gardé en mémoire les conditions dans lesquelles l'AMI avait été rejeté dans le cadre de l'OCDE. Je souhaiterais savoir exactement ce qui se cache derrière la pudique expression

« protection des investissements ». Les investissements constituent un dossier décisif pour le développement des pays du tiers monde. Il serait souhaitable que l'OMC ne s'érige pas en gendarme mondial en imposant dans ce domaine des règles universelles plaquées sur des réalités nationales souvent différentes.

Par ailleurs, l'achat gouvernemental doit demeurer à l'abri d'une conception ultralibérale si l'on souhaite donner leur chance aux économies des pays en voie de développement. Dans ces pays, les contrats d'achat public restent l'un des rares leviers pour orienter le développement économique en permettant à l'industrie locale de se développer.

Il nous faut également réaffirmer que l'OMC ne peut rester repliée sur elle-même comme un cénacle dominé par les fonctionnaires et les lobbyistes des multinationales.

L'opinion publique, les parlements nationaux, le Parlement européen, les organisations non gouvernementales, les associations et les syndicats ont vocation à intervenir, à s'informer et à peser pour orienter une institution, dont il faudra un jour ou l'autre envisager l'intégration institutionnelle au sein de l'ONU. Je salue de ce point de vue l'excellente initiative de notre délégation pour l'Union européenne et de son président Alain Barrau, qui organise un colloque avec les organisations non gouvernementales et les syndicats le 9 novembre prochain.

Dans le même esprit, je me félicite, messieurs les ministres, que le Gouvernement ait le souci d'associer toujours plus l'Assemblée nationale à sa réflexion et à son action en matière de politique commerciale. Le débat d'aujourd'hui en appelle d'autres si l'on veut donner une vraie légitimité démocratique à l'OMC. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Félix Leyzour.

M. Félix Leyzour.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je limiterai mon intervention dans ce débat relatif à l'organisation mondiale du commerce à la question de l'agriculture.

L'agriculture est en effet l'un des points forts sur lesquels doivent s'engager de nouvelles négociations faisant suite à celles qui ont eu lieu dans le cadre du GATT, avant que ne se mette en place l'OMC. Il y a donc continuité entre les différents cycles des négociations et celui qui va s'ouvrir. Mais il y a aussi du nouveau en raison du contexte dans lequel les discussions vont reprendre. Avec la zone euro, le contexte européen n'est plus tout à fait le même. Si l'on assistait auparavant à un tête-à-tête Etats-Unis Europe, les Etats-Unis et l'Europe sont aujourd'hui toujours partenaires, mais il leur faut compter avec les pays en voie de développement. Enfin, jusque là les discussions avaient lieu en milieu pratiquement clos, entre initiés. Quand on parlait du GATT, seuls les spécialistes savaient que ce sigle anglais signifiait : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.

M. Alain Clary.

Seuls les initiés le savaient !

M. Félix Leyzour.

Aujourd'hui, beaucoup de gens savent que OMC signifie organisation mondiale du commerce et ils sont nombreux à comprendre : libéralisation des échanges, pressions ultralibérales de la part des Américains et des groupes de l'agro-business, boeuf aux hormones, organismes génétiquement modifiés, graves manques de transparence dans la mise sur le marché de certains produits, prix à la production de plus en plus écrasés, élimination de nombreux agriculteurs et concentration excessive des productions.


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Aujourd'hui, d'importants secteurs de l'opinion se sont engagés dans le domaine de la sécurité alimentaire en mettant en avant des exigences aussi fondamentales que le principe de précaution garantissant la sécurité alimentaire et soulignant la nécessité de reconnaître la qualité, la diversité de l'alimentation, en faisant aussi prendre conscience que les produits agricoles ont une spécificité et que l'agriculture, les agricultures devrait-on dire, ne doit pas être bradée face aux exigences d'un capitalisme sauvage.

Ce qui est nouveau, dans ces négociations, c'est l'irruption de l'opinion publique comme acteur dans le débat.

Nous devons prendre appui sur la volonté qu'exprime cet acteur pour contribuer à donner un mandat ferme et clair aux négociateurs et créer les conditions pour que l'opinion publique soit aussi présente dans la négociation.

L'exemple de la forte mobilisation contre l'accord multilatéral sur l'investissement - l'AMI - montre qu'il est possible de marquer des points contre l'ultralibéralisme.

Dans le débat qui nous occupe, il ne faut pas perdre de vue ce que sont les objectifs des Américains et du groupe de Cairns que constituent la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Argentine notamment. L'objectif numéro un, c'est le démantèlement de la politique agricole commune.

M. William Daley, secrétaire d'Etat au commerce, est comme tous les Américains : il ne s'embarrasse pas de c onsidérations diplomatiques. Pour lui, à Seattle,

« l'objectif principal est de conclure l'agenda du cycle précédent. » Et, dans ce cadre, le sentiment dominant pour

lui est qu'il faut éliminer les subventions à l'agriculture.

En clair, cela signifie qu'il faut en finir avec la politique agricole commune.

La représentante américaine pour le commerce à l'OMC a déclaré de son côté : « Nous pouvons et nous devons aller bien au-delà des avancées des années 90 et ouvrir davantage le commerce mondial à nos agriculteurs et à nos éleveurs. » Et d'ajouter

: « Les objectifs des EtatsUnis, pour le prochain round de Seattle, comprendront la réduction des tarifs douaniers, l'élimination des subventions aux exportations, la diminution des soutiens intérieurs qui faussent le commerce. »

Visiblement, ce qui reste de la PAC après l'accord de Berlin est dans le collimateur des Américains qui ne se privent pas, par le biais de leur système fiscal, de donner des avantages aux sociétés exportatrices, notamment dans le secteur des céréales et du soja, qui ne se sont pas privés d'accorder, en septembre dernier, 7,5 milliards de dollars - plus de 50 milliards de francs - à leurs agriculteurs, ce nouveau magot s'ajoutant aux 6 milliards de dollars déjà versés l'an dernier.

Face à une telle agressivité, que va faire l'Europe ? On dit que le commissaire européen va négocier sur les bases de l'accord de Berlin. Est-ce suffisant pour nous tranquilliser ? Non.

D'abord, parce que les accords de Berlin n'ont pas toutes les vertus. Ils ont certes permis d'éviter que ne soient appliquées dans leur brutalité les mesures préparées par la Commission trop souvent portée à aller au-devant des prétentions américaines. Mais les accords de Berlin traduisent quand même d'importantes réductions des prix garantis aux producteurs, avec quelques compensations partielles et non assurées dans le temps. Ils traduisent déjà un affaiblissement de la préférence communautaire.

Ensuite, parce qu'il est publiquement connu que des pays comme le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas souhaitent aller plus loin en matière de libéralisation des é changes, c'est-à-dire supprimer les protections qui existent encore.

Nous devons donc faire preuve d'une vigilance extrême pour éviter la mort de la politique agricole commune que certains ont déjà programmée. Etre vigilant, cela ne doit pas signifier être défensif et attendre. Il faut être offensif.

Le renforcement des normes de sécurité et de qualité des aliments est un point important. En décidant, sur les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, de maintenir l'embargo sur la viande bovine britannique, la France a bousculé la logique libérale de la Commission de Bruxelles et la légalité européenne. Il faut aussi bousculer cette logique libérale au niveau mondial. Nous devons faire valoir une interprétation du principe de précaution qui signifie que, dès lors que la preuve de l'innocuité d'un produit n'est pas établie, un Etat peut en interdire la commercialisation.

Sur la base de ce principe s'ouvre un vaste champ pour la défense de la transparence, de la sécurité, de la traçabilité , de la qualité et de la diversité des produits, diversité qui fait partie de la richesse du patrimoine de l'humanité et qu'il faut opposer à une tendance à la banalisation des produits alimentaires.

La France doit être particulièrement vigilante et active pour que soient combattues les prétentions américaines tendant à éliminer à terme les subventions à l'exportation, ce qui aboutirait à mettre l'agriculture européenne hors jeu en la privant de l'arme des restitutions pour la conquête des marchés tiers. L'objectif est le maintien non seulement de la préférence communautaire, du revenu agricole, mais aussi de la capacité exportatrice de l'agriculture.

Nous devons, au cours de ces négociations, démonter le mécanisme qui tend à faire croire aux populations pauvres de la planète qu'elles ont tout à gagner à la libéralisation des échanges, à la domination sans partage du libéralisme qui aboutirait à imposer à tous les pays les brevets des multinationales qui détiennent 80 % des brevets mondiaux. Une entreprise américaine a ainsi déposé un brevet pour le riz basmati, que certaines populations consomment depuis des siècles. Avec un tel système, les plus pauvres pourraient avoir à payer pour des produits traditionnels dans leur pays. C'est ce qu'on appelle, sous couvert de mondialisation, de libéralisation des échanges, mettre en place l'arme alimentaires.

La production agricole et alimentaire ne peut être comparée à n'importe quelle marchandise. Elle ne peut pas être ainsi soumise à des négociations au couteau qui ruinent les producteurs les plus fragiles et affament de nombreux peuples. A ces pratiques, il faut substituer le règne de la coopération.

M. Laurent Dominati.

Et vive la Corée du Nord ! (Protestations sur les bancs du groupe communiste.)

M. Alain Clary.

Un peu de pudeur, voyons !

M. Félix Leyzour.

Il faut donc s'attacher à une transformation de l'OMC en une instance valorisant les coopérations, promouvant la croissance, le développement durable créateur d'emplois et le progrès social et humain.

M. Alain Clary.

Tout à fait !

M. Félix Leyzour.

C'est peut-être ça qui gêne M. Dominati.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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M. le président.

La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à un mois de la conférence ministérielle de Seattle, organisée dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, on nous présente une proposition de résolution qui est un catalogue de bonnes intentions destiné à rassurer tous ceux qui s'inquiètent, à juste titre, de la dérive mondialiste des économies nationales.

L'ouverture de ces négociations commerciales aurait dû se dérouler, comme précédemment, dans l'indifférence générale. Mais les crises financières à répétition, le dé ferlement de l'américanisation du monde, la dépossession sournoise des souverainetés nationales, le mépris de la santé alimentaire au nom du seul profit de quelques groupes internationaux, ont fait naître une prise de conscience chez les peuples qui subissent les ravages de ce que l'on appelle communément la mondialisation.

En France, cette prise de conscience s'est manifestée lors des élections européennes, où la seule liste clairement souverainiste, celle de Charles Pasqua et Philippe de Villiers, est arrivée en deuxième position après celle du parti gouvernemental dominant, lui-même traversé d'un courant de même nature. Durant l'été, les manifestations d'agriculteurs et les attaques symboliques contre la vitrine de l'hégémonisme économique américain, et l'écho populaire qu'elles ont eu, ont été un signe supplémentaire.

Voilà pourquoi vous vous êtes sentis obligés de tenir ce débat devant la représentation nationale.

Un débat à la sauvette, tronqué et organisé dans la précipitation. Un débat à la sauvette de trois heures pour des négociations de trois ans ; un débat précipité, coincé au milieu du débat budgétaire ; un débat tronqué, puisque sans vote, ce qui évitera de révéler à l'opinion les contradictions internes des uns et des autres.

Mme Nicole Catala et M. François Guillaume.

Eh oui !

M. Lionnel Luca.

Cette proposition de résolution n'est bien évidemment qu'un catalogue de bonnes intentions destiné d'abord à rassurer votre électorat, qui n'en revient pas de vous avoir élus pour combattre le capitalisme et de vous voir, étape par étape, vous coucher devant lui. C'est donc bien d'un alibi et d'un paravent qu'il s'agit, et sans doute cette proposition ne mérite-t-elle guère d'attention.

Il est consternant d'avoir vu le Parti communiste, en commission de la production et des échanges, retirer son amendement qui dénonçait les ravages de 100 firmes multinationales américaines et européennes. Heureusement, messieurs, qu'il n'y a plus d'usine là où, il y a q uelque temps, vous auriez désespéré Billanccourt ! (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.

)

M. Alain Clary.

Chassez le naturel, il revient au galop !

M. Lionnel Luca.

De même, il est assez réjouissant que des élus socialistes se reconnaissent dans un texte de l'Union européenne qui affirme très clairement qu'une l ibéralisation plus poussée et le développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la croissance.

Il va de soi que ce pseudo-débat est un débat en trompe l'oeil où le double langage ne sert qu'à masquer votre renoncement, un de plus !

M. Alain Clary.

Vous, vous agitez le chiffon rouge ! C'est pour les bêtes à cornes !

M. Jean-Claude Lefort.

Et c'est le maire de Nîmes qui parle ! Il sait tout de la corrida !

M. le président.

Ne retardons pas le débat, mes chers collègues.

M. Lionnel Luca.

Sur le fond, la conférence de Seattle est bien une convocation des Etats-Unis chez eux, dans la ville de Boeing et de Microsoft, dans le cadre d'une volonté politique, d'une stratégie de domination mondiale, dans l'intérêt unique et compréhensible des EtatsUnis, sous couvert d'une mondialisation qui est bien plutôt synonyme de colonisation.

Quelle est l'urgence ? Pourquoi s'y précipiter ? Pourquoi surenchérir ? Quelle est l'urgence alors que chacun s'accorde à dire que les 20 000 pages de mesures de démantèlement du cycle conclu à Marrakech en 1994 n'ont même pas encore été toutes mises en oeuvre, et surtout qu'aucun bilan n'a été tiré des conséquences de celles entrées en application ?

M. Nicolas Dupont-Aignan.

Très juste !

M. Lionnel Luca.

Pourquoi s'y précipiter alors que chacun sait bien que ces négociations acquerront une dynamique propre, comme lors du précédent cycle, au profit exclusif des plus forts que sont les Etats-Unis ?

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Pourquoi baisser les bras ?

M. Jean-Claude Lefort.

Défaitiste !

Mme Béatrice Marre.

C'est un traité tout de même !

M. Lionnel Luca.

Il vaudrait mieux freiner le mouvement plutôt que de l'accélérer.

P ourquoi l'Union européenne accepte-t-elle cette convocation ? Officiellement, parce que cet engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais la banane et le boeuf aux hormones y figuraient aussi et l'Union européenne, sous la pression de l'opinion publique, à rejeté ces dispositions.

L'urgence n'est pas de démanteler les derniers gardefous, mais au contraire de maintenir la pluralité et l'authenticité des civilisations du globe en empêchant qu'elles ne soient réduites à des folklores ou à une sousculture mondiale.

Pourquoi surenchérir ? Alors que les Etats-Unis ont fixé un cadre limité à ces discussions, l'Union européenne en rajoute pour les étendre à d'autres secteurs où, là encore, s'imposera la loi du plus fort, c'est-à-dire celle des multinationales américaines.

Surtout, c'est l'Union européenne qui participera à ces discussions par l'intermédiaire d'un de ses commissaires qui négociera au nom des quinze Etats européens.

Comble de l'ironie, ce sera un Français,...

Mme Béatrice Marre.

Pourquoi s'en plaindre ?

M. Lionnel Luca.

... sans doute pour mieux juguler une réaction vigoureuse prévisible de l'opinion française. Ainsi la troisième puissance commerciale du monde, la nation qui représente les quelque quarante-cinq Etats francophones de la planète, celle qui est, pour toutes les nations en voie de développement, la seule à pouvoir résister à l'hégémonisme économique américain et à pouvoir défendre les identités nationales, s'en est remise à un simple apparatchik de la Commission, forcément apatride (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. François Loncle.

Scandaleux !

M. Lionnel Luca.

... qui n'aura de comptes à rendre qu'à ses congénères et en aucun cas au peuple.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

C'est pourquoi, avec Jean-Jacques Guillet, Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Myard, nous avons déposé différents amendements afin de demander le report de cette négociation, l'exigence d'un bilan économique et social des accords de Marrakech et le refus de tout mandat général portant sur la libéralisation des services de façon indifférenciée. Aucun n'a été pris en compte, à l'exception de celui qui affirme la nécessité d'une information et d'un débat devant le Parlement français pour le suivi des discussions, car vous n'y aviez même pas pensé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Béatrice Marre.

Mais si !

M. Alain Néri.

Vous devriez être là plus souvent !

M. Lionnel Luca.

Comme le disait, hier soir encore, Charles Pasqua (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) , il vaut mieux ne pas aller à Seattle. Et il ne sert à rien d'aller voir des spectacles pour se réjouir que, dans le passé, certains aient su dire « non » si la seule leçon qu'on en tire, c'est de dire toujours « oui » ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le nom dont on l'affuble revêt finalement peu d'importance. Que l'on soit pudique en parlant de globalisation, mensonger en l'appelant

« mondialisation heureuse » ou réaliste en le qualifiant de nouvel âge du capitalisme, le trait fondamental qui caractérise notre époque reste le même : c'est le capitalisme financier qui, en dernière instance, contrôle tout ; c'est selon ses normes que se réorganisent les flux économiques, que se redéfinissent les marges d'action des Etatsnations, que se construit le nouvel imaginaire culturel des peuples.

J'ai eu l'occasion, lors de la discussion budgétaire, de décrire les conséquences du nouvel ordre qu'induit un tel bouleversement du monde : toujours plus de richesses, mais surtout toujours plus d'inégalités.

Ce qui trompe l'oeil dans la compréhension de ce phénomène, c'est qu'il est présenté comme un ensemble cohérent, spontané, qui va de soi et auquel on ne peut rien. Ce nouvel âge du capitalisme ne sort pourtant pas de l'oeuf. Il est le résultat d'un interventionnisme actif des négociateurs internationaux et des législateurs de chaque pays.

Ici, l'OMC occupe une place de choix. Son concours a été décisif dans la phase de mise en place et d'installation du système. Depuis dix ans, sous l'égide de l'OMC anciennement GATT, la dérégulation, la déréglementation et la dépossession des Etats et des citoyens de leurs capacités d'intervention se sont amplifiées comme jamais dans l'histoire de l'humanité. Ce mouvement global s'est trouvé accentué par la chute du mur de Berlin qui, en sonnant le glas de l'affrontement binaire entre deux systèmes et en dégageant de nouvelles terres vierges pour la libéralisation, en a démultiplié les effets.

Mais ce processus, pour s'épanouir pleinement, induit sans cesse de nouveaux besoins. Les négociations de Seattle sont une nouvelle étape de ce processus. Et personne ne peut penser que cette étape n'est pas conditionnée, au stade actuel, par les principes qui ont régi la phase précédente.

Il y a donc fort à parier que, par-delà les mots, les déclarations d'intention velléitaires et les habillages nécessaires, nous franchissions, au travers de ces négociations, une nouvelle étape instaurant une totale flexibilité, un nivellement des normes sociales par le bas et une marchandisation accrue de tous les compartiments de la vie.

La mondialisation se fait ainsi sous l'égide d'un double mouvement de concentration des richesses entre les mains de quelques-uns et de transformation de l'humanité non plus en communauté de sujets, mais en un marché d'objets.

Mme Béatrice Marre.

Il ne faut pas baisser les bras !

M. Julien Dray.

De ce point de vue, ce qui risque de se produire n'est pas une simple continuité ou un échelon supplémentaire. Ceux qui ont construit l'ordre du jour officieux de ces négociations le savent parfaitement : l'objectif est bel et bien de créer les conditions pour qu'un gouvernement occulte dirige le monde, bref pour que nous soyons sous la dictature des firmes transnationales.

Je sais que certains vont dire qu'il s'agit là d'une description apocalyptique du monde ou d'une approche défaitiste de la situation.

Mme Nicole Bricq.

Eh oui !

M. Julien Dray.

Or ce n'est pas moi, mais Renato Ruggero, directeur général de l'OMC en 1998, qui a dit qu'il

« rédigeait la constitution d'une économie mondiale unifiée ».

Ce n'est pas moi, mais Mme Barshefsky, représentante spéciale des Etats-Unis chargée du commerce, qui présidera d'ailleurs la conférence de Seattle, qui a dit que l'objectif des négociations était « d'encourager l'extension des privatisations », de « promouvoir la réforme des réglementations dans un sens qui favorise la concurrence » et d'

« obtenir l'accès aux marchés, la fourniture transfrontalière de tous les services ».

Ce n'est pas moi, mais Bill Clinton, qui a dit qu'il était « déterminé à poursuivre une stratégie agressive d'ouverture des marchés dans toutes les régions du monde ».

Vous nous répondez que vous avez bâti des digues de résistance qui vont permettre de moraliser l'OMC, de la rendre plus démocratique et de préserver un certain nombre de principes.

Oh ! n'en doutons pas, on permettra assurément à certains gouvernements de sauver la face. Ils obtiendront peut-être la reconnaissance de l'exception culturelle, du principe de précaution en matière de sécurité alimentaire et de vagues recommandations sociales se bornant au strict minimum à l'aube du

XXIe siècle.

Mais ce qu'on ne dira pas, c'est que, comme la négociation est globale, il faudra bien céder sur d'autres terrains. Lesquels ? Pas seulement sur des transactions commerciales portant sur des milliers de milliards de dollars chaque année, mais sur toutes les activités humaines, c'est-à-dire notamment : la distribution, le commerce de gros et de détail, le bâtiment et les travaux publics, l'architecture, la décoration, l'entretien, le génie civil et l'ingénierie, les services financiers, bancaires, et d'assurances, la recherche-développement, les services immobiliers et le crédit-bail location, les services de communication, les postes, les télécoms, l'audiovisuel,...

Mme Béatrice Marre.

C'est un inventaire à la Prévert !

M. Julien Dray.

... les technologies de l'information, le tourisme et les voyages, les hôtels et restaurants, les services de l'environnement dont la voirie, l'enlèvement deso rdures, l'assainissement, la protection du paysage,


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l'aménagement urbain, les services récréatifs, culturels et sportifs, dont les spectacles, les bibliothèques, les archives et les musées, l'édition, l'imprimerie et la publicité, les transports par toutes les voies imaginables, y compris spatiales, sans oublier l'éducation, les enseignements primaire, secondaire, supérieur et la formation permanente, ainsi que la santé animale et humaine, soit plus de 160 sous-secteurs et activités.

On voit bien là les terribles déséquilibres de l'échange à venir.

Voilà pourquoi il y a nécessité de clarifier les choses. Il ne s'agit pas de s'enfermer dans une logique isolationniste ou protectionniste, de refuser les échanges, mais d'opposer une alternative qui soit fondée sur une rupture avec la logique libérale.

C'est d'ailleurs la seule manière d'éviter que demain, partout en Europe, le refus du libéralisme ne se traduise par une montée du nationalisme ségrégationniste.

La démarche que vous devez faire prévaloir à Seattle, c'est celle de la mobilisation citoyenne, qui ne demande d'ailleurs qu'à s'exprimer.

Pour que ce contrôle ait un sens et un effet, encore faut-il qu'il puisse combattre à armes égales l'armada des conseillers de la Chambre de commerce internationale, des centaines de fonctionnaires américains et des lobbies qui dépensent sans compter pour faire valoir leurs droits.

Sans plus attendre, il faut donc exiger que soit réalisé un audit précis de la situation et que, tant que ses résultats ne seront pas connus, il y ait un moratoire sur toute décision nouvelle.

Dans le même temps, la France devrait demander à l'Organisation internationale du travail de présenter une charte fondamentale des droits de la personne. D'ores et déjà, notre assemblée doit prendre ses responsabilités dans ce sens en constituant un délégation permanente à l'OMC et en invitant le Parlement européen à faire de même.

Mes chers collègues, nous entendons souvent parler du mal-être des responsables politiques et de leur impuissance à peser réellement sur le cours des événements.

Avouons-le, beaucoup d'entre nous se posent la question :

« A quoi servons-nous, quelle est notre utilité ? » Eh bien, se présente à nous la possibilité de reprendre en main ce que beaucoup cherchent à faire disparaître : le droit des peuples, par l'intermédiaire de leurs responsables politiques, à disposer de leur avenir. A nous d'avoir le courage d'en appeler aux citoyens pour qu'ils nous aident à construire une mondialisation qui soit à leur service et non à celui des intérêts privés. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Mme Nicole Catala, Mme Christine Boutin et M. Lionnel Luca applaudissent également.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, afin d'illustrer mon propos concernant l'Organe de règlement des différends, l'ORD, et les normes sociales et environnementales, je prendrai appui sur deux exemples récents.

D'abord, les bananes.

Le 7 avril dernier, le groupe d'arbitrage de l'OMC a donné raison à l'Equateur, république bananière téléguidée par les Etats-Unis, pour qui le régime d'importation des bananes - si je puis m'exprimer ainsi (Sourires) de l'Union européenne est non conforme aux règles de l'OMC. Ce groupe de l'OMC a estimé à près de 200 millions de dollars le préjudice causé aux entreprises américaines, somme remboursable sous forme de sanctions à l'importation.

A quoi sert le régime des bananes dites ACP ? A protéger les travailleurs des pays ayant passé avec l'Union européenne les accords de Lomé, c'est-à-dire à leur garantir un minimum de droits sociaux et syndicaux, à refuser l'utilisation de pesticides néfastes pour eux et pour l'environnement ; bref, à garantir des normes sociales et environnementales. En clair, la banane ACP n'est pas prod uite par des esclaves, contrairement à la banane équatorienne, jamaïcaine ou nicaraguayenne.

Mme Béatrice Marre.

C'est pourquoi il faut rendre ces normes obligatoires !

M. Yves Cochet.

Le cas de la viande aux hormones, deuxième exemple, est bien connu et constitue un autre sujet de litige entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

C'est le principe de précaution qui est contesté. Selon ce principe, qu'ont rappelé certains orateurs, toute mesure comportant des risques pour la santé ou pour l'environnement doit être suspendue aussi longtemps que son innocuité n'a pas été prouvée. C'est en vertu de ce principe que l'Union européenne refuse depuis dix ans d'importer de la viande bovine américaine et canadienne provenant de bétail traité aux hormones.

Mais, dans cette affaire, l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dit SPS, livre une interprétation minimaliste des normes sanitaires internationales, et crée en fait une insécurité sanitaire au motif d'une vision restreinte et subordonnée aux intérêts du commerce. Paradoxalement, d'ailleurs, la charge de la preuve du risque sanitaire incombe à l'Union européenne, et non pas celle de l'innocuité du boeuf aux hormones aux pays producteurs.

A un mois du prochain cycle de négociations de Seattle, trois questions se posent : celle du non-respect du principe de précaution par le commerce international, celle de la collusion entre intérêts commerciaux et pouvoir judiciaire au sein de l'OMC - ce qu'on appelle la question du règlement des différends -, celle, plus générale, de la capacité d'intervention du politique et de la démocratie dans la régulation du commerce international.

Le principe de précaution a été consacré par la conférence de Rio et relève de conventions internationales, mais n'est pas spécifiquement mis en oeuvre par les règles du commerce mondial. Il faut donc d'urgence inciter à une adaptation de l'accord SPS, afin de le mettre en conformité avec ce principe, en y inscrivant l'inversion de la charge de la preuve.

Mme Béatrice Marre.

Nous sommes d'accord, et c'est bien pour cela qu'il faut aller à l'OMC !

M. Yves Cochet.

Pourquoi pas ?

M. Laurent Dominati.

Il faut y aller ou ne pas y aller ?

M. Yves Cochet.

Désormais, la charge de la preuve ne doit plus incomber aux Etats, mais aux industries agroalimentaires, notamment à celles qui sont productrices d'organismes génétiquement modifiés.

La deuxième question qui se pose, et que je pose à Mme Marre et aux membres du Gouvernement ici présents, c'est celle de la localisation de l'ORD. La tutelle de l'OMC sur son organe de règlement des différends ne garantit pas l'impartialité des panels. Il me paraît inadmissible qu'une organisation à vocation commerciale ait la prétention de dire le droit : je refuse que des


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entreprises transnationales puissent édicter des principes juridiques universels. Il faut donc impérativement distinguer le juge de la partie en confiant le règlement des différends à une instance judiciaire internationale indépendante, par exemple à une section spécialisée de la Cour de justice internationale de l'ONU.

Mme Béatrice Marre.

Nous sommes d'accord !

M. Yves Cochet.

Il est évidemment impossible, sous l'égide de la seule OMC, de produire les règles d'un commerce équitable. Le cas de la banane ou de la viande aux hormones se reproduira en d'autres occasions.

Troisième question, troisième réponse : il est impératif de politiser et de démocratiser les négociations commerciales en les ouvrant à des observateurs critiques, en donnant aux parlements eux-mêmes, y compris au nôtre, bien entendu, les moyens de les préparer en amont et d'informer les citoyens.

Sur ce point, paradoxalement, on pourrait s'inspirer des Américains, du Congrès lui-même, qui a le pouvoir de réglementer le commerce extérieur, comme l'a encore montré récemment son rejet de la procédure fast track, en ratifiant les accords de l'OMC et en assurant leur suivi.

Alors que la réunion ministérielle de l'OMC à Seattle inaugurera un nouveau cycle de discussions, tendant à élargir les compétences de l'OMC à l'investissement, à la concurrence, à l'environnement et aux marchés publics, il est urgent de créer au sein de notre parlement une délégation permanente aux accords et traités multilatéraux, et même, à terme, de modifier la Constitution afin que, comme aux Etats-Unis, nos assemblées puissent orienter la politique internationale de notre pays.

M. François Guillaume.

Vous avez la majorité pour le faire !

M. Yves Cochet.

Bref, nous ne voulons plus n'être que les « ratificateurs » muets de textes intouchables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le débat de ce matin sur l'OMC a été de haute tenue politique et je ne m'étonne pas, compte tenu du sujet, qu'il ait été à la fois passionnant et passionné.

En effet, nous traitons ici de questions anciennes, qu'il s'agisse d'économie politique - sommes-nous pour le libre-échange ou pour le protectionnisme ? - ou de préoccupations qui remontent au début de l'Union européenne - comment assurer l'articulation entre la nation et l'Europe ? -, et aussi de sujets très actuels : comment aller vers la régulation de la mondialisation, comment contrôler et maîtriser cette régulation ? Ce débat de grande qualité a servi à éclairer, confirmer, enrichir le propos que François Huwart a tenu au nom du Gouvernement.

Avant de passer aux réponses et aux commentaires, je voudrais revenir sur un aspect de forme mais qui a son importance : pourquoi la discussion de ce matin n'a-t-elle pas été suivie d'un vote ? Ce point a été soulevé par plusieurs d'entre vous, M. Sarre, M. Gaillard, M. Luca et M. Barrau a déjà répondu. Je préciserai simplement que cela n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Je rappellerai aussi qu'il y a eu déjà deux votes qui ont porté sur l'OMC : le 30 septembre sur la proposition de résolution de Béatrice Marre, et je salue la qualité de son rapport, qui a été adoptée à l'unanimité avec une abstention par la délégation pour l'Union européenne ;...

M. Pascal Terrasse.

En effet ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... puis, le 6 octobre, en commission de la production et des échanges, avec l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution - M. Jean-Claude Daniel y a fait allusion.

Cela a permis au Gouvernement de disposer, avant le conseil affaires générales du 11 octobre, de la position du Parlement exprimée par ces commissions et même en l'occurrence, et je m'en réjouis, de son soutien.

Si, aujourd'hui, nous ne pouvons pas aller plus loin, c'est que le recours, disons peut-être un peu excessif - cela a été rappelé -, à certaines motions de procédure, nous a conduits à prévoir ce matin une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une résolution. Croyez que, pour ce qui nous concerne, nous étions prêts pour cette discussion. L'unanimité dégagée à deux reprises démontre amplement que le Gouvernement n'avait rien à craindre d'un vote, au contraire. Il s'agissait avant tout de faire en sorte que ce débat ait lieu.

Je rappellerai encore que le texte qui a permis l'adoption d'une résolution, c'est-à-dire la communication de la Commission sur le mandat de négociation, a été transmis volontairement par le Gouvernement au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution. En outre, au nom du Gouvernement, je vous indique que nous serons bien sûr à la disposition du Parlement pour nous expliquer continûment sur les dispositions de l'OMC.

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il est clair, monsieur Dominati, que, même sans vote en séance publique, la résolution adoptée par la commission de la production et des échanges et par la délégation constitue un point d'appui essentiel pour le Gouvernement vis-à-vis des Quinze, et à Seattle. J'ajoute, pour ceux, nombreux, qui se sont préoccupés ce matin de l'association du Parlement, que M. Strauss-Kahn a indiqué ici même la semaine dernière que la délégation française à Seattle comprendrait des parlementaires représentant l'ensemble des familles politiques.

M. Laurent Dominati.

Ce n'est pas pareil ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Peu de pays de l'Union européenne ont d'ailleurs organisé des débats parlementaires. La France en est à son deuxième. Nous respectons donc pleinement la démocratie.

J'en viens au fond de mon propos et à notre attitude par rapport à ce nouveau cycle de négociations multilatérales auquel nous sommes favorables pour au moins trois raisons essentielles. Je m'inscrirai là dans le cadre des questions soulevées par Mme Marre : quelle régulation pour quelle mondialisation ? En la matière, nous n'avons pas de double langage, monsieur Dominati.

M. Laurent Dominati.

Tant mieux ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Nous voulons la régulation pour freiner les aspects négatifs de la mondialisation qui comporte aussi des aspects plus positifs avec le développement de l'échange international. Notre ligne politique est claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du commerce international...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

M. Laurent Dominati.

Très bien ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... mais nous voulons que celui-ci soit régi par des règles. Dans cette négociation, nous souhaitons aussi défendre nos intérêts internationaux et nous allons le faire ensemble.

M. Laurent Dominati.

Moi, je vous soutiens, pas eux tous à gauche ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Alors, faut-il aller à Seattle ? A votre position, monsieur Luca, j'ai tendance à préférer, n'y voyez aucune malice, celle de M. Gaymard. Je pense en effet qu'il faut aller à Seattle. Je suis persuadé qu'en la matière la politique de la chaise vide à l'OMC ne mènerait à rien. Au contraire, elle desservirait nos intérêts nationaux.

M. Laurent Dominati.

Bien sûr ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il faut se rendre à Seattle pour négocier avec vigilance et fermeté, mais en aucun cas se dérober à cette grande confrontation internationale.

M. Jean-Claude Lenoir.

Vous avez raison ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Première raison pour laquelle nous sommes favorables à ce nouveau cycle de négociations, c'est que l'ouverture du commerce international, et nous le savons tous ici, est porteuse d'opportunités de croissance. L'histoire de l'économie mondiale le prouve. Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'à l' Uruguay round, tous les cycles de négociations se sont traduits par une intensification des échanges qui a permis à son tour d'alimenter la croissance mondiale, dont nous voyons qu'elle est la condition de la reprise de l'emploi.

Pour l' Uruguay round , sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international, proche de 8 % par an.

La France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges puisque, je le rappelle, il s'agit là d'un facteur essentiel de création d'emplois. Aujourd'hui, dans notre pays, un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.

Deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement. Je veux préciser ici que, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas comme vous, monsieur Dominati, favorables à une mondialisation qui ne connaîtrait ni contrepoids, ni règles.

M. Laurent Dominati.

J'ai dit l'inverse ! Est-ce ainsi que vous me remerciez de mon soutien ? Puisque c'est comme ça, je m'en vais ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Vous partiez déjà, me semble-t-il. (Sourires.)

Monsieur Sarre, nous sommes opposés à une mondialisation libérale. Il s'agit pour nous d'encadrer la mondialisation par des règles. Tâchons de préciser de quoi nous parlons.

Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, qu'ils soient consommateurs, salariés, épargnants ou investisseurs, sont tributaires, en très grande partie, d'évolutions qui se situent en dehors du territoire national et bien souvent en dehors du territoire européen. Cette mondialisation est une réalité, avec ses conséquences néfastes - je ne le contesterai pas - mais aussi ses potentialités.

M. François Guillaume.

Il ne faut pas confondre mondialisation et globalisation ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Nous ne devons donc pas la nier. Nous devons au contraire l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui remettent de l'ordre dans l'économie mondiale. C'est pourquoi nous sommes partisans d'une mondialisation régulée.

Troisième raison, nous sommes convaincus, comme tant d'orateurs sur ces bancs, qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement. Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis cinquante ans, et tout particulièrement depuis dix ans. Mais nous le savons, et M. Lefort l'a montré avec éloquence, tout comme M. Lajoinie, et Julien Dray y a insisté également, la mondialisation est créatrice d'injustices et d'inégalités. On voit ainsi se développer à l'échelle de la planète des politiques de firmes entièrement tournées vers le bénéfice des actionnaires. C'est ce qu'on appelle la création de valeur, avec des conséquences parfois néfastes sur l'emploi, mais aussi la constitution de fortunes colossales.

Comme vous l'avez rappelé, cela donne des chiffres extrêmement choquants : les deux cents plus grosses fortunes du monde...

M. Jean-Claude Lefort.

Deux cent vingt-cinq ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... représentent à peu près l'équivalent des ressources de 41 % de la population mondiale. A l'évidence, cela doit être maîtrisé. J'en profite d'ailleurs pour saluer le rapport sur l'OMC de M. Lefort devant la délégation pour l'Union européenne : voilà un an, il posait déjà les bonnes questions.

Ces inégalités sont malheureusement un des traits caractéristiques du phénomène de mondialisation. La richesse tend de plus en plus à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés du succès - haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique. En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.

Mais en même temps, et je m'adresse là au président Lajoinie, je ne crois pas qu'on puisse dire que l'OMC est le théâtre de la domination des petits par les grands. J'aurais même tendance à dire le contraire. Le fait qu'il s'agisse d'un cénacle dans lequel chaque pays représente une voix et où la règle de décision est celle du consensus, permet, au contraire, de faire entendre toutes les exigences.

Notre responsabilité, et aussi notre intérêt, est de réintégrer les pays en développement dans l'OMC. J'ajoute, pour faire écho à ce que disait M. Daniel, qu'il est important que l'OMC gagne son universalité, notamment que de grands pays comme la Chine et la Russie puissent y adhérer. C'est clair, le nouveau cycle doit être l'occasion


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d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement, et singulièrement des pays les moins avancés, vis-à-vis de l'OMC.

Je veux le dire avec force, le développement inégal doit céder la place au codéveloppement. Comme Béatrice Marre, comme Chantal Robin-Rodrigo, j'ai la conviction que le commerce international doit accompagner le développement et non aller contre le développement. Ce sera une des stratégies que nous poursuivrons dans cette négociation.

Voilà les raisons pour lesquelles nous devons aller à Seattle et l'esprit dans lequel nous devons y aller. Ne nous trompons pas de débat, en effet, nous devons mener une bonne négociation. Nous devons être ferme mais pas refuser le débat, ni contester le cadre. Il faut, au contraire, essayer de l'élargir et de l'utiliser au mieux.

C'est pour cela que, contrairement à Julien Dray, qui a dit par ailleurs beaucoup de choses que je partage, je ne crois pas que l'OMC soit un acteur de la mondialisation libérale ou la préfiguration d'un gouvernement occulte du monde. C'est aussi le cadre de la régulation. D'une certaine façon, je trouve un peu paradoxal de refuser, au nom de la critique du libéralisme, le cadre où l'on pourrait précisément organiser ou maîtriser ce libéralisme.

Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduits à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne. Sachez que l'Union européenne veut et va jouer tout son rôle dans la négociation de l'OMC. En outre, elle est, selon moi, plus unie que par le passé sur la conception du cycle et la position qu'elle défendra à Seattle et c'est très important.

Je crois aussi, comme M. Gaillard, que l'Union européenne est aujourd'hui davantage préparée que les EtatsUnis.

M. François Guillaume.

Vous ne serez pas déçus ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Ceux-ci, en effet, sont aujourd'hui confrontés à des difficultés politiques : fin de la présidence de M. Clinton, absence de fast track, tentations unilatéralistes ou protectionnistes de certains membres du Congrès.

Sachez, monsieur Guillaume que, dans cette négociation, nous ne serons pas isolés. Et nous ne sommes, en rien, dépourvus de stratégie.

M. François Guillaume.

Les faits sont là, monsieur le ministre ! La France est isolée ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Le cadre européen est désormais fixé. Il l'a été par le Conseil « Affaires générales » du 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte et, depuis vendredi dernier - et de façon satisfaisante, me semble-t-il - pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. Elle doit être capable - nous agirons en ce sens - de peser comme puissance politique dans ces négociations.

Je ne peux que m'inscrire dans le cadre défini fort justement par François Huwart et rejoindre les conceptions du rapport de Béatrice Marre. Nous voulons, d'abord, un cycle large. L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons cette échéance, même si nous n'acceptons pas, contrairement à ce que souhaitent certains aux Etats-Unis, que l'on s'en tienne là, c'est-à-dire à un agenda intégré. En effet, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne souhaite précisément que ces nouveaux sujets dits de Singapour soient maintenant traités. Je veux en citer quatre, pour expliciter notre position.

Premier sujet, les règles relatives aux investissements internationaux, sur lesquels sont intervenus notamment M. Georges Sarre et Mme Robin-Rodrigo. Vous le savez puisque cela a été dit ici même par le Premier ministre, nous avons refusé de discuter en 1998 de l'AMI - ce faux-ami selon Jack Lang. Nous avions alors dit que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité - Lionel Jospin ne l'a jamais niée - mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre légitime et plus large de l'OMC qui compte 134 pays membres et non pas dans celui plus restreint de l'OCDE qui regroupe uniquement les pays les plus riches de la planète.

Nous voulons aussi changer le contexte et le thème même de cette négociation. Il faudra, comme nous y invite M. Lefort, prendre en compte la dimension NordSud, celle du développement durable aussi. Le passage à l'OMC devrait le permettre.

Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux pays en développement qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voire pour aller vers un accès plus important à la technologie et aux marchés internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes. Bref, oui, nous sommes d'accord pour négocier sur l'investissement mais pas du tout comme on voulait le faire à l'occasion de l'AMI.

Deuxième sujet, les règles de concurrence. Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé, faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues et elles le sont au plan national et au plan européen.

Mais, et c'est là un des effets de la mondialisation, les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.

Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence, elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Nous souhaitons dans un premier temps que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer en quelque sorte un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en oeuvre de politiques internes de concurrence et à les rendre compatibles entre elles.

Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. On pourrait débattre longuement, cela a été fait d'ailleurs en d'autres circonstances, de la question des délocalisations.

En cette matière, l'Union européenne n'a pas à redouter à l'excès une plus grande perméabilité ou ouverture aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont moins importants qu'en Europe. En effet, l'Union européenne a d'autres atouts. Elle a les moyens de préserver son modèle social, le coût du travail n'étant qu'un élément parmi bien d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace intégré comme l'espace européen.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons morales, philosophiques mais aussi économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou par des populations carcérales, par exemple. C'est la raison qui nous a conduits à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OIT et l'OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales justement élaborées dans le cadre de l'OIT.

Enfin, quatrième sujet, les normes environnementales.

Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation. Je pense à tout ce qui concerne la biodiversité ou le changement climatique. Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus v aste du développement durable qui est le nôtre.

L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.

Comme vous, monsieur Cochet, nous souhaitons que l'OMC permette d'accroître les normes sociales et environnementales. Nous y serons vigilants. François Huwart a commencé à répondre aux questions que vous avez posées, monsieur le député.

Nous voulons un cycle large ; nous souhaitons aussi un cycle global. C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique, ce qui signifie que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion.

Nous sommes donc totalement opposés, comme l'a dit François Huwart, à l'idée de « récoltes précoces » selon laquelle il pourrait être possible de constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une synt hèse générale en fin de processus. Entre ces d eux démarches fondamentalement différentes, voire opposées, nous nous en tiendrons, je puis vous l'assurer, au principe de l'engagement unique et de la globalité des dicussions.

J'en termine en évoquant les attentes de la société française à l'égard du cycle, à tous égards parfaitement légi times. Exigence de qualité pour l'amélioration, défense de notre identité culturelle, préférence accordée au nonmarchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation : autant de sujets de notre point de vue non négociables. Tout comme M. Gaillard - j'espère qu'il sera d'accord avec moi, car je suis d'accord avec lui -, je crois que la place du politique doit être ici réhabilitée. Sur tous ces sujets, nous entendons appliquer un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce qui signifie que nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international aient une quelconque incidence sur les fondements mêmes de notre vie collective.

Sur ce point également, M. Luca et M. Gaymard diffèrent dans la manière de dire non ; une fois de plus, c'est votre façon que je préfère, monsieur le député Gaymard.

M. Lionnel Luca.

Il a de la chance ! Je tâcherai de faire mieux la prochaine fois ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Un mot également sur ce qui se déroule au sein de l'Union européenne. Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que la Commission se rende à Seattle avec un mandat précis tout à la fois sur la culture et sur l'agriculture. M. Gaymard m'a paru quelque peu dubitatif ; je veux lui expliquer pourquoi et comment nous avons choisi de procéder ainsi.

Pour commencer, il faut bien à la Commission un mandat de l'Union européenne. Comme vous avez été plusieurs à le souligner, c'est elle qui négocie au nom de l'Union européenne ; dès lors, autant qu'elle soit en contact avec le Conseil des ministres, mais également que celui-ci lui fixe des orientations précises. Faute de quoi, elle pourrait négocier librement,...

M. François Guillaume.

Ou ne pas négocier du tout ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... sans aucune ligne politique, au risque de céder au tropisme libéral.

C'est pour éviter ce danger que le Gouvernement et le Président de la République ont souhaité l'élaboration d'un mandat précis donné par le Conseil à la Commission.

M. François Guillaume.

C'est maintenant que vous appelez le Président à votre secours ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il est sans aucun doute utile à la France, monsieur Guillaume, et peut-être aussi dans notre débat.

Les propositions que nous avons faites à chaque étape, c'est-à-dire avant, puis après le 11 octobre, vont jusqu'à prévoir une adoption du mandat par le COREPER. Rappelons que le COREPER ne travaille que sur instruction ; ce n'est pas une vague association de fonctionnaires technocrates totalement déconnectés du politique. Tout cela, monsieur Gaymard, a été fait non seulement en coordination, mais en parfait accord avec le Président de la République. Du reste, François Huwart peut en porter témoignage, l'accord finalement retenu nous satisfait d'autant plus qu'il ressemble beaucoup, avouons-le, à ce que nous avions proposé le 11 octobre. En effet, l'Union s'engagera à respecter la diversité culturelle, puisqu'elle s'est déclarée attachée aux acquis de Marrakech et qu'elle veillera, dans la discussion extrêmement serrée qui s'engagera à Seattle, à garantir la libre mise en oeuvre des politiques culturelles et audiovisuelles auxquelles l'Europe comme la France tiennent particulièrement.

Nous avons, c'est vrai, bâti un compromis. Parce que l'Union européenne est une réalité, M. Sarre le sait bien, parce que nous ne pouvons en changer les règles, parce que nous sommes dans un ensemble à quinze, parce que les traités ont prévu que c'est la Commission qui discutera, mais nous avons su tirer ce compromis vers des thèses satisfaisantes et qui répondent à notre exigence ; comme l'a très bien dit François Huwart, en matière culturelle, c'est l'exception qui est la règle et la libéralisation l'exception.

M. François Guillaume.

On verra !

M. le ministre des affaires européennes.

Pour ce qui est de l'agriculture, nous nous appuierons sur l'excellent texte des ministres de l'agriculture qui doit beaucoup à l'action de Jean Glavany et auquel les conclusions du Conseil font intégralement référence.

Epargnons-nous en la matière les complexes déplacés.

Quand les Américains nous traitent de protectionnistes ou se livrent à une attaque en règle, en des termes peu acceptables...

M. Jean-Claude Lefort.

Hystériques ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

... tels ceux de Mme Barshefsky, contre notre politique agricole commune, il est bon de rappeler qu'ils


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

dépensent 60 milliards de dollars pour les agriculteurs américains pendant que les Européens n'en dépensent que 40 milliards de dollars pour les leurs, et avec une population supérieure.

Nous partageons totalement les préoccupations exprimées par M. Leyzour de protéger le modèle agricole européen dans ses dimensions traditionnelles, mais également dans celles plus nouvelles, telle la sécurité alimentaire que j'ai citée comme lui. Nous entendons bien y faire valoir le principe de précaution et je veux l'assurer de la totale vigilance du Gouvernement dans cette affaire.

Les grands axes qui structurent le mandat de négociations de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre, à l'occasion de la tabler onde réunissant les organisations professionnelles : défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle, prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales, telles la sécurité et la qualité des aliments, référence enfin aux accords de Berlin et au renforcement de la politique agricole commune en tant que socle permanent de la position européenne. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer M. Gaillard. Je crois très sincèrement que, dans le domaine agricole, nous avons un bon texte pour aller à l'OMC. Cela avait du reste été reconnu dès le 11 octobre.

Je conclus sur cet ensemble de préoccupations fondamentales à nos yeux pour ce prochain cycle en rappelant que la question des DOM et de la coopération régionale dans la Caraïbe reste à nos yeux un sujet essentiel pour le développement de ces régions. Le Premier ministre aura l'occasion de l'aborder lors de son voyage aux Antilles à la fin de cette semaine, sans oublier le fait qu'il sera traité dans le projet de loi d'orientation sur les DOM en cours de préparation.

Nous sommes profondément attachés à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à leur american way of life , qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Soyons clairs : dans la discussion qui s'engage, nous n'envisageons pas de négocier notre modèle européen de société, pas plus qu'ils n'envisagent de renoncer au leur. Nous entendons bien nous rendre à l'OMC en restant intransigeants sur ce que nous croyons, mais en tâchant de l'être intelligemment. En d'autres termes, non seulement nous y défendrons nos intérêts, mais nous comptons bien nous montrer offensifs, comme plusieurs d'entre vous nous y ont invités. Car si nous devons protéger nos spécificités, nous devons aussi affirmer notre modèle dans le monde. C'est justement parce que l'Europe a cette double capacité, défensive et offensive, parce qu'elle a vocation à se poser en puissance capable d'organiser la mondialisation que je crois à l'Europe. Et l'Europe et la France en son sein ont tout leur rôle à jouer dans le débat de l'OMC.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Guillaume.

Amen !

M. le président.

Le débat est clos.

2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président.

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au lundi 22 novembre 1999 inclus a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2000 : Discussion du projet de loi, no 1835, de financement de la sécurité sociale pour 2000 : MM. Alfred Recours, Claude Evin, Denis Jacquat et Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteurs au nom de l a commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport no 1876, tomes I à V.)

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis no 1873).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

A N N E X E

ORDRE DU JOUR ÉTABLI EN CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS (réunion du mardi 26 octobre 1999) L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra du mardi 26 octobre au lundi 22 novembre 1999 inclus a été ainsi fixé : Mardi 26 octobre 1999 : Le matin, à neuf heures : Déclaration du Gouvernement sur la préparation de la Conférence ministérielle de l'OMC à Seattle et débat sur cette décla ration.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Explications de vote et vote par scrutin public sur la première p artie du projet de loi de finances pour 2000 (nos 1805-1861-1862 à 1866).

Discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (nos 1835-1876).

Mercredi 27 octobre 1999 : le matin, à neuf heures, l'aprèsmidi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures, jeudi 28 octobre 1999, le matin, à neuf heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures, et, éventuellement, vendredi 29 octobre 1999, le matin, à neuf heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (nos 1835-1876).

Mardi 2 novembre 1999, le matin, à dix heures : Discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 (nos 1805-1861-1862 à 1866) : services du Premier ministre : services généraux, SGDN, Conseil économique et social, Plan, Journaux officiels ; enseignement supérieur, recherche et technologie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 OCTOBRE 1999

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Explications de vote et vote par scrutin public sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (nos 18351876).

Suite de l'ordre du jour du matin.

Mercredi 3 novembre 1999 : L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 (nos 1805-1861-1862 à 1866) : fonction publique, réforme de l'Etat et décentralisation ; anciens combattants.

Jeudi 4 novembre 1999 : L'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : équipement et transports.

Vendredi 5 novembre 1999 : Le matin, à neuf heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : culture ; intérieur.

Discussion du projet de loi modifiant le code général des collectivités territoriales et relatif à la prise en compte du recensement général de population de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales (no 1809).

Lundi 8 novembre 1999 : Le matin, à dix heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2000 (nos 1805-1861-1862 à 1866) : environnement ; travail et emploi.

Mardi 9 novembre 1999 : Le matin, à neuf heures : solidarité et santé.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement : justice (*) ; Légion d'honneur et ordre de la Libération ; solidarité et santé (suite).

Mercredi 10 novembre 1999 : L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement : affaires étrangères (*) ; défense (*).

Lundi 15 novembre 1999 : Le matin, à dix heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : tourisme ; outre-mer.

Mercredi 16 novembre 1999 : Le matin, à neuf heures : ville.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : logement (*) ; éventuellement, ville (suite) ; enseignement scolaire.

Mercredi 17 novembre 1999 : L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : agriculture et pêche, BAPSA.

Jeudi 18 novembre 1999 : Le matin, à neuf heures : communication.

L'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : jeunesse et sports (*) ; éventuellement, communication (suite) ; aménagement du territoire.

Vendredi 19 novembre 1999 : Le matin, à neuf heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat ; économie et finances : charges communes, services financiers, monnaies et médailles, comptes spéciaux du Trésor, taxes parafiscales ; commerce extérieur ; industrie, poste et télécommunication.

Lundi 22 novembre 1999 : Le matin, à dix heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : articles non rattachés.

(*) Procédure expérimentale.