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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Licenciements pour motif économique. - Discussion d'une proposition de loi (p. 295).

M. Maxime Gremetz, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 298)

MM. André Lajoinie, Hervé Morin, Jacques Desallangre, Thierry Mariani, Gaëtan Gorce, Yves Nicolin, Jean-Michel Marchand.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles.

M. Gaëtan Gorce.

Suspension et reprise de la séance (p. 312)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

MM. le rapporteur, le président de la commission.

Clôture de la discussion générale.

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES (p. 317)

MM. Alain Bocquet, Thierry Mariani, Yves Rome, Hervé Morin, François Goulard.

L'assemblée, consultée par scrutin, décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.

2. Ordre du jour de l'Assemblée (p. 319).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 319).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1 RÉGIME JURIDIQUE DES LICENCIEMENTS

POUR MOTIF ÉCONOMIQUE Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Lajoinie et plusieurs de ses collègues relative au régime juridique des licenciements pour motif économique (nos 2057, 2102).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des a ffaires culturelles, familiales et sociales, pour dix minutes.

M. Maxime Gremetz, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, vous comprendrez sans doute que je déborde un peu le temps qui m'est imparti.

(Sourires.)

M. le président.

Je m'en doutais, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Ne souriez pas, mes chers collègues. Ce matin, comme tout le monde, j'ai appris qu'il y aurait entre 1 800 et 2 000 licenciements chez Moulinex. J'ai pris contact avec les représentants des syndicats participant à la réunion organisée par le groupe et nous saurons plus précisément ce qu'il en est cet aprèsmidi.

Ce fait nouveau, dont nous n'avions pas connaissance au moment où la commission a examiné la proposition de loi du groupe communiste, doit évidemment être pris en compte dans nos réflexions. Pour Moulinex, il s'agit du troisième plan de licenciement depuis 1996. Mais le groupe continue à bénéficier de la ristourne Juppé, c'està-dire des exonérations de charges patronales jusqu'à 1,3 SMIC. De surcroît, il continuera à percevoir, malgré ses décisions de délocalisation, les fonds publics octroyés dans le cadre de la loi Robien. Alors, madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, si le Gouvernement le voulait, il pourrait tout simplement imposer à Moulinex le remboursement de tous les fonds publics qu'il a reçus pour jeter aujourd'hui des salariés à la rue et délocaliser.

Que chacun prenne ses responsabilités ! C'est donc auparavant, le 22 décembre 1999, que le groupe communiste a déposé une proposition de loi relative au régime juridique des licenciements pour motif économique, susceptible d'être examinée dans le cadre, par nature limité, d'une « niche » ou « fenêtre » parlementaire. En tant que rapporteur, j'ai tenté d'en améliorer la rédaction par des amendements qui en respectent l'esprit et les objectifs, avec comme unique souci d'aboutir à un texte acceptable par tous et rapidement applicable.

Je ne peux donc que vous faire part, madame la ministre, de la très profonde déception, voire de l'indignation du groupe communiste à la suite de ce qui s'est passé en commission. Alors que tous les autres groupes, de l'opposition comme de la majorité plurielle, avaient demandé le passage à la discussion des articles et des a mendements, le groupe socialiste, seul, a invoqué l'article 94 du règlement pour réclamer un vote. Je croyais que ce procédé appartenait à un passé révolu, celui de la droite. Mais le groupe socialiste a ainsi obtenu la suspension des travaux de la commission après la discussion générale.

Quel argument M. Gorce a-t-il invoqué pour justifier cette décision ? Que le Gouvernement n'avait pas arbitré ! J'espère que, depuis, il aura eu le temps de le faire et que nous allons, ce matin, discuter sur le fond de la proposition. Sinon, nous ne comprendrions pas. Nous avons huit heures de niche parlementaire par an, que l'on nous en supprime quatre serait impensable !

M. Gaëtan Gorce.

C'est inexact !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Surtout, madame la ministre, qu'il s'agit d'un allié de la gauche plurielle.

Enfin, je le croyais, peut-être me suis-je trompé ! J'ai entendu M. Jospin, dimanche, déclarer qu'il fallait respecter la majorité plurielle. Une autre personnalité a même dit qu'il ne fallait pas être égoïste avec elle. Alors, si le Gouvernement s'obstine à refuser le débat, je me demande comment on va pouvoir qualifier son attitude à l'égard de sa majorité.

Je m'emporte parce que je suis passionné, mais vous le comprendrez. Il n'est pas admissible que l'examen des textes soit tronqué par des artifices de procédure. Je le dis comme je le pense : c'est un déni de démocratie.

Pourquoi une telle procédure ? Les raisons invoquées ne paraissent pas d'une grande clarté. En discutant sur ce sujet au sein de notre groupe, ce matin, nous sommes arrivés à la conclusion que, manifestement, le Gouvernement, malgré les engagements pris, ne veut pas délibérer sur cette question. J'espère, madame la ministre, que vous allez nous démentir.

Premier argument invoqué en commission, la présentation d'amendements appellerait, selon les commissaires socialistes, un délai de réflexion. Il me semblait pourtant que l'un des objets du travail en commission consistait précisément à examiner les amendements ! Deuxième raison, la nécessité d'une réflexion plus poussée. Cela se passe toujours ainsi quand on ne veut rien faire : soit on crée une commission, soit on réclame une réflexion plus poussée, généralement en liaison avec le Gouvernement. Je rappelle à ce propos que nous n'avons eu aucun contact avec le Gouvernement depuis la remise de notre proposition.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous avez annulé notre rendez-vous !


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M. Maxime Gremetz.

Malgré notre volonté d'examiner avec lui le contenu de ce texte, nous n'avons pas pu engager la discussion avec le Gouvernement.

Troisième argument que nous a opposé M. Gorce : le Gouvernement n'ayant pas encore arbitré sur la question, il n'était pas possible d'en débattre au fond. Quel extraordinaire argument ! Vous nous aviez habitués à mieux, monsieur Gorce, lors de l'examen de la loi sur les 35 heures. Mais nous avons changé de camp : vous étiez rapporteur, c'est moi qui le suis aujourd'hui.

Pourtant, dès l'examen de la loi relative à la lutte contre les exclusions, Mme la ministre de l'emploi nous avait précisé que le Gouvernement travaillait sur un texte prévoyant toutes « les mesures de nature à prévenir les licenciements économiques ». Mais rien depuis ! Eh bien, madame la ministre, l'occasion se présente aujourd'hui, et nous allons voir si vous la saisirez.

Enfin, selon certains, ce texte n'irait pas assez loin. Je ne suis pas partisan, vous le savez, du tout-ou-rien. Je n'attends pas un texte qui, miraculeusement, résoudrait toutes les questions que pose le licenciement économique.

Notre proposition de loi, je le rappelle, comprenait initialement vingt-sept articles. Comme on nous a dit que ce n'était pas possible, il nous a bien fallu choisir six articles cohérents et efficaces.

Je ne peux pas croire que ces arguments augurent d'un rejet pur et simple de la proposition de loi. Ce serait le premier, depuis le début de la législature, s'agissant d'un texte issu d'un groupe de la majorité plurielle. Si cela devait arriver, je considérerais, et mon groupe avec moi, qu'il s'agit d'un précédent extrêmement fâcheux, pour ne pas dire plus.

J'espère qu'il n'y a là que l'hésitation - compréhensible - que l'on peut éprouver avant de légiférer sur un sujet aussi grave, qui concerne directement des millions de salariés. J'espère aussi que les quelques jours séparant la séance publique de la réunion de la commission auront permis à chacun de se forger une opinion et que le débat d'aujourd'hui permettra à chacun de mesurer sa responsabilité.

Persuadé que tel sera le cas et que nous irons au bout de notre travail législatif, je tiens maintenant à expliquer en séance plénière pourquoi il est urgent de légiférer et dans quel sens je propose de le faire.

C ertains estiment que l'amélioration de l'emploi devrait conduire à ne pas légiférer sur la question du licenciement économique. C'est un contresens.

Le nombre des licenciements économiques et des plans sociaux a décru depuis 1997 avec l'accélération de la croissance. Tant mieux ! Il faut saisir ce moment favorable pour réfléchir au régime du licenciement économique avant une inversion de la tendance, toujours possible : ce n'est pas en période de crise que l'on améliorera le régime du licenciement.

La tendance à la baisse des licenciements économiques et des plans sociaux est d'ailleurs fragile, comme le m ontrent les chiffres du premier semestre 1999 : 700 plans sociaux, contre 1 200 sur l'ensemble de l'année 1998. La tentation de recourir au licenciement économique reste fortement ancrée dans les grandes entreprises françaises, alors que leurs profits atteignent des sommets : près de 100 milliards de francs en 1998 pour les vingt plus grandes.

Légiférer sur ce sujet est donc une exigence impérieuse.

Le Premier ministre a d'ailleurs rappelé à plusieurs reprises, depuis son entrée en fonctions, la nécessité de lutter contre les licenciements abusifs.

En outre, la décision du Conseil constitutionnel du 14 janvier dernier nous rappelle la nécessité d'une intervention ferme et précise du législateur. L'annonce simultanée de 2 milliards de profits et de 7 500 suppressions d'emplois chez Michelin nous avait conduits à adopter, dans la deuxième loi sur les 35 heures, un amendement sur les conditions de recours au plan social. Cet amendement « Michelin » avait fait naître de réels espoirs chez les salariés, même s'ils le jugeaient insuffisant. Sa censure ne fait que renforcer la nécessité de légiférer sur le licenciement.

La réponse proposée n'était pas parfaite du point de vue juridique, soit ! Le besoin d'un texte reste aussi fort et l'attente des salariés n'en est que plus grande. On ne peut pas, on ne doit pas les décevoir. D'autant qu'après Michelin, c'est maintenant Moulinex ! L'action du législateur intervient également à point nommé pour mettre fin à une relative incertitude juridique. Ces dernières années, la Cour de cassation a développé une jurisprudence favorable sur bien des points aux salariés : faut-il, là encore, s'en contenter, ou consolider ces acquis en leur conférant une base législative ? Je propose, quant à moi, dans cette proposition de loi, de reprendre et même d'étendre certaines avancées jurisprudentielles et de conforter ainsi l'avancée du droit. Le texte qui vous est soumis ne vise donc nullement à bouleverser le régime du licenciement économique. Ses auteurs n'ont pas pour but d'interdire tout licenciement économique, mais de mettre fin rapidement aux abus les plus criants.

Un grand souci de pragmatisme et d'efficacité a animé la préparation de mon rapport.

J'ai souhaité entendre les voix des différents acteurs de la vie sociale : toutes les grandes confédérations syndicales, les juristes les plus éminents, les praticiens. J'ai par ailleure reçu les salariés d'entreprises caractérisées par la pratique intensive du licenciement ou de son exportation vers les filiales et les entreprises sous-traitantes : Michelin, Renault, Wolber et d'autres.

Ces consultations ont été menées avec un objectif simple : déboucher sur un texte concret applicable dès son entrée en vigueur et susceptible de recueillir un large consensus. Elles n'ont pas été de pure forme. Elles sont à l'origine d'améliorations substantielles du texte.

J'en arrive à la présentation du dispositif.

Cinq articles de la proposition initiale font l'objet d'amendements de réécriture. Je suggère en outre l'introduction d'un nouvel article, l'article 2 bis. Enfin, je propose la suppression du sixième et dernier article pour des raisons que je vous exposerai tout à l'heure.

Après toutes les consultations que j'ai menées, j'ai souhaité réécrire l'article 1er et, par là même, proposer une nouvelle rédaction de l'article L.

321-1 du code du travail qui définit le licenciement pour motif économique.

Aujourd'hui, en effet, le code du travail indique que les causes de ce licenciement sont « notamment des difficultés économiques et des mutations technologiques ».

Ma rédaction comporte trois améliorations majeures par rapport au droit existant.

Je plaide tout d'abord pour la suppression de l'adverbe

« notamment » qui ne permet pas un bon encadrement législatif de la notion de licenciement pour motif économique et fait peser sur le juge une responsabilité trop lourde dans l'appréciation de la réalité et du sérieux de la cause invoquée par l'employeur pour procéder à des licenciements.


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Je considère à cet égard qu'il est indispensable d'encadrer désormais dans la loi la troisième cause possible de licenciement dégagée par la jurisprudence qui ne devrait pouvoir résulter « que des nécessités de réorganisation indispensables à la préservation de l'activité de l'entreprise ». Les licenciements ne peuvent être que le dernier recours, le recours ultime pour assurer la survie de l'entreprise.

Enfin, je souhaite préciser les termes de « difficultés économiques » et de « mutation technologique » pour faire en sorte que le licenciement ne soit possible que lorsque les difficultés économiques n'ont pas pu être surmontées par tout autre moyen, ou lorsque des mutations technologiques remettent en cause la pérennité de l'entreprise.

L'article 2 vise à élargir les cas dans lesquels l'entreprise doit établir un plan social. Les licenciements qui ont lieu dans le cadre d'un plan social ne représentent aujourd'hui que 15 % du total des licenciements.

Je propose de rendre obligatoire l'établissement d'un plan social dès que l'entreprise procède au licenciement de cinq salariés sur une période de trente jours. Initialement, nous avions fixé le seuil à deux salariés, mais nous avons tenu compte des observations qui ont été formulées. Actuellement, le seuil est de dix salariés sur dix jours. Or dix fois dix, cela fait cent licenciements possibles sans plan social en moins d'une année.

Grâce à un article 2 bis, je suggère de reprendre la disposition novatrice dite « amendement Michelin » introduite dans la deuxième loi sur les 35 heures et invalidée par le Conseil constitutionnel, le 13 janvier dernier. Le juge constitutionnel a censuré cette disposition au motif que le législateur « n'a pas pleinement exercé sa compétence ». Il convient donc aujourd'hui d'en reprendre la logique - qui, elle, n'a pas été contestée sur le fond par le Conseil - tout en tenant compte des observations de celui-ci.

M on amendement précise ainsi que l'obligation incombant à l'employeur d'engager sérieusement et loyalement des négociations est contrôlée par le juge. S'il n'y a pas d'accord collectif préalable en matière de réduction du temps de travail ou si l'employeur n'a pas engagé de négociations sérieuses et loyales, la procédure de licenciement est nulle et de nul effet.

S'agissant de l'article 3, il faut tout d'abord rappeler que, selon la jurisprudence, l'employeur doit, lorsqu'il envisage de licencier un salarié, chercher préalablement à le reclasser, afin précisément d'éviter ce licenciement.

Cette obligation de reclassement constitue une obligation de moyens et non de résultat : ce n'est que lorsqu'il n'a pas pu reclasser le salarié que l'employeur peut mettre en oeuvre la procédure de licenciement.

La Cour de cassation a de plus précisé que l'obligation de reclassement doit être loyale et complète.

La rédaction proposée conforte la jurisprudence développée depuis 1992 et reconnaît le droit pour le salarié sur le point d'être licencié de contester devant le juge la façon dont son employeur s'est acquitté de l'obligation de reclassement. On voit là l'apport des députés communistes et, en particulier, de mon ami André Lajoinie qui a fait adopter cet amendement.

En vertu de la loi, ce salarié pourra désormais saisir le bureau de jugement du conseil des prud'hommes qui statuera dans un délai d'un mois. Cela suffit en effet de devoir attendre six mois une décision. D'autant que, lorsque le reclassement ou la réintégration, dans l'entreprise est décidé, celle-ci a, comme par hasard, disparu entre-temps.

Le licenciement sera considéré comme nul et de nul effet si le juge donne raison au salarié et constate l'insuffisance des efforts de reclassement réalisés par l'employeur.

L'article 4 pose la question de la sous-traitance, nulle part traitée dans le code du travail et la législation française. Mais au lieu du texte relativement long et complexe figurant initialement dans le texte, je suggère, sur proposition notamment de juristes y compris de Gérard LyonCaen, de réécrire par amendement cet article de façon concise et efficace.

Mon objectif et d'affirmer de manière claire et simple le principe d'un lien juridique entre donneur d'ordres et sous-traitant, lien applicable notamment dans l'appréciation du respect de l'obligation de reclassement. Donneur d'ordres et sous-traitant constituant désormais une seule unité économique et sociale, les problèmes sociaux créés par leurs relations économiques et commerciales devront être traités en commun.

L'article 5, que je vous invite à adopter par amendement, est le seul à différer profondément du texte de la proposition initiale. Celle-ci cherchait à poser un principe général en droit commercial : celui de la nullité de plein droit de toute décision prise dans l'entreprise en cas de non-respect des règles de consultation des institutions représentatives du personnel.

M. le président.

M. Gremetz, je vous prie de conclure.

Vous avez doublé votre temps de parole.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'était prévisible. On nous prive déjà de notre droit d'initiative parlementaire.

Si l'on devait en plus nous empêcher de parler...

M. le président.

Ce qui est normal, c'est de respecter le temps de parole fixé en conférence des présidents, en accord entre tous les groupes, y compris le vôtre.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

On n'emploie pas l'article 94 à l'encontre de son allié naturel !

M. le président.

Moi, je ne fais qu'appliquer le règlement de l'Assemblée.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Je prendrai donc mon temps pour mieux m'expliquer.

M. le président.

Concluez, monsieur Gremetz, s'il vous plaît !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Je veux m'expliquer ! Personne ne m'empêchera de parler ! Je continuerai, même si vous me coupez le micro !

M. le président.

Pourquoi cette agressivité, monsieur Gremetz ?

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Je ne suis pas agressif du tout, monsieur le président.

M. le président.

Je vous demande de respecter le règlement. Rien d'autre !

M. Yves Nicolin.

Et le règlement est le même pour tous !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Mais dix minutes, c'est bien peu pour un texte aussi important.

M. Thierry Mariani.

Monsieur le président, il faudra nous laisser aussi nous exprimer le double de notre temps de parole ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)


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M. le président.

Concluez, monsieur Gremetz, s'il vous plaît !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Ce principe débordait largement le droit de licenciement pour motif économique. Or, j'ai jugé préférable de m'en tenir à ce droit qui constitue déjà un vaste thème en soi. Je propose donc de réécrire l'article 5 afin d'élargir et de conforter une jurisprudence toute récente - du 19 décembre, je crois de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Il s'agit d'indiquer que, si l'employeur n'a pas pris ses responsabilités en n'organisant pas d'élections pour les représentants du personnel par exemple, il ne peut se réfugier ensuite derrière l'inexistence de ces institutions pour justifier le fait qu'il n'a pas respecté les règles de consultation et d'information du délégué du personnel ou du comité d'entreprise prévues dans le cas des licenciements économiques.

Un licenciement effectué dans ces conditions doit être considéré comme irrégulier et donner lieu à l'attribution d'une indemnité au salarié licencié.

L'article 6 de la proposition de loi proposait d'instituer un système de « bonus-malus » en fonction de l'usage fait par l'entreprise du licenciement économique l'année précédente, sur le modèle, par exemple, du régime de cotisations « accidents du travail ».

Sur le fond, nous restons favorables à cette mesure qui constitue d'ailleurs un engagement de la majorité plurielle, puisque le Premier ministre y a fait référence à Strasbourg.

Toutefois, après examen, cette disposition ne me semble pas pouvoir être examinée dans le cadre de la proposition de loi. En effet, cet article est le seul à ne pouvoir être concilié avec l'objectif d'un texte immédiatement opérationnel. Pour parler clair, les spécialistes nous ont expliqué que nous risquions de mettre en place une usine à gaz. Comme nous voulons que le dispositif soit immédiatement opérationnel, nous n'examinerons pas cette mesure, tout en restant d'accord sur le principe.

Il faudrait prévoir la situation des entreprises recourant au licenciement économique, parce qu'elles sont réellement en difficulté. Il ne faut pas, par le traitement d'un seul aspect du problème, inciter les employeurs à diminuer artificiellement le nombre des licenciements économiques et à recourir à de faux licenciements pour motif personnel, à pousser des salariés à la démission, à s'engager dans l'externalisation de certaines activités - c'est très fréquent en ce moment -, ou encore à recourir à des formes de travail précaire devenues comparativement plus attractives. Je propose donc la suppression de cet article.

En définitive, et je conclus, monsieur le président, le texte de la proposition ainsi amendé à la suite des consultations menées est resserré et juridiquement plus précis et rigoureux. Il devrait donc indubitablement recueillir un large consensus, autour d'une priorité, la lutte contre les licenciements abusifs, partie intégrante de la lutte pour l'emploi, qui est celle affirmée par la majorité plurielle et qui s'est déjà traduite en actes.

L'emploi est la préoccupation majeure des Français ; cet objectif ne peut laisser personne indifférent. En effet, nous ne pouvons nous contenter de dire : « Demain, on rasera gratis », ou « Demain, on fera mieux ». Les plans de licenciement ont lieu aujourd'hui. Les salariés et des régions entières en souffrent.

C'est pourquoi je vous demande d'accepter la discussion de cette proposition. Nous demanderons un scrutin public sur ce vote. Nous verrons ainsi qui est d'accord pour légiférer puisque c'est l'Assemblée qui doit décider, n'est-ce pas, madame la ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Yves Nicolin.

Les masques vont tomber !

M. le président.

Pour lever toute ambiguïté, je rappelle que le temps de parole attribué au rapporteur est fonction du temps de parole décidé par la conférence des présidents pour l'ensemble du texte.

Vous avez parlé vingt-cinq minutes, monsieur Gremetz. Certes, le sujet est important, mais il fallait alors demander en conférence des présidents que le temps consacré à ce texte soit deux fois et demie plus long.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Bien sûr ! Merci, en tout cas, pour votre mansuétude, monsieur le président.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Lajoinie.

Oserai-je dire qu'il dispose de dix minutes ?... (Sourires.)

M. André Lajoinie.

Monsieur le président, soyez assuré que je respecterai mon temps de parole.

M. le président.

Merci.

M. André Lajoinie.

Madame la ministre, mes chers collègues, les tenants du libéralisme veulent limiter l'horizon du travail à un marché étriqué, soumis aux seules exigences des conseils de surveillance et des fonds de placement. Un marché où, à leurs yeux, les milliers de chômeurs, cantonnés dans une sorte d'armée de réserve, sont devenus un mal nécessaire.

Les députés communistes ont toujours contesté cette vision archaïque et inhumaine. Pour leur part, ils ne renoncent pas à bâtir une société de plein-emploi, où chaque individu pourrait trouver sa place et s'épanouir.

Le Premier ministre lui-même juge désormais crédible un retour au plein-emploi.

La proposition de loi que nous vous soumettons aujourd'hui s'inscrit dans cette perspective. Ces derniers mois ont vu le nombre des demandeurs d'emploi régresser régulièrement. La croissance dont bénéficie notre pays, soutenue notamment par la consommation de ménages, a entraîné la création de 320 000 emplois en 1999 et, en l'an 2000, l'INSEE estime que la barre des 400 000 pourrait être atteinte. Les mesures prises par le Gouvernement, comme les emplois-jeunes ou la réduction du temps de travail à 35 heures, favorisent cette embellie.

Toutefois, le reflux du chômage demeure timide et se trad uit trop souvent par une précarité accentuée ; il demande donc à être amplifié.

Ainsi, malgré une réelle décrue depuis 1997, les vagues de licenciements économiques continuent de frapper des centaines de milliers de salariés chaque année. Au seul mois de novembre 1999, 18 000 personnes ont encore été contraintes de s'inscrire à l'ANPE suite à un licenciement économique.

Ce fléau est facteur de drames humains. Je n'insiste pas sur ce point, mais vous en êtes tous conscients. Il nourrit la précarité, alimente l'exclusion et la pauvreté. Au-delà, il pèse aussi sur les comptes sociaux, fragilise nos systèmes de retraite et opère une pression indirecte sur la situation des actifs, qui sont trop souvent confrontés à cette menace.


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Certes, certaines entreprises, des PME pour la plupart, et dépendantes de grands groupes dans bien des cas, connaissent de réelles et sérieuses difficultés qui les contraignent à se séparer d'une partie de leur personnel.

Mais que dire de ces sociétés multinationales, aux c apacités d'autofinancement solides et aux bénéfices confortables, qui n'hésitent pas pour autant à réduire leurs effectifs ? Leur seul but est de séduire les marchés boursiers - cela a été dit officiellement - et de se conformer aux normes de rendement, toujours plus élevées, exigées par les investisseurs. Un diktat sur lequel les milieux d'affaire jettent un voile pudique en le parant d'une formule angélique : la création de valeur pour l'actionnaire.

Quand bien même d'énormes gains de productivité sont réalisés grâce aux nouvelles technologies, l'emploi ne s'en porte guère mieux. C'est cette spirale que nous voulons stopper, ce sont ces abus qu'il nous faut prévenir et éradiquer en priorité. En effet, on ne peut accepter sans réagir le cynisme destructeur de ces puissantes firmes qui usent des salariés comme d'une simple variable d'ajustement.

Il y a quelques mois, Alcatel annonçait 12 000 suppressions d'emplois. Plus récemment, Michelin en a « promis » 7 500, provoquant une légitime émotion dans tout le pays. ABB-Alsthom s'apprêterait à son tour à rayer 12 000 personnes de son périmètre, dont près de 1 500 en France. Quant à Moulinex, comme vient de l'indiquer notre rapporteur, elle a annoncé près de 2 000 suppressions d'emplois.

Face à ces charrettes de licenciements, notre législation n'est pas démunie de garde-fous. En décembre 1992, à l'initiative des députés communistes - madame la ministre, vous étiez alors ministre du travail - l'Assemblée nationale avait adopté un amendement essentiel au coeur de la loi promulguée le 27 janvier 1993. Désormais, l'employeur doit, en effet, assumer le débat avec les représentants du personnel sur le contenu du plan social, les efforts de reclassement, mais aussi sur la situation de l'entreprise et la pertinence de ses choix.

Depuis cette amélioration du code du travail, les tribunaux ont pu être saisis à de multiples reprises pour contrôler le respect de ces dispositions. Ils ont condamné à de nombreuses occasions les dirigeants de sociétés à assumer les conséquences de leurs décisions.

En consolidant la loi de 1993, la jurisprudence en a montré toute la pertinence. A présent, l'employeur s'expose, en cas d'insuffisance du plan social, au risque de voir prononcer la nullité des licenciements et la réintégration des salariés ou, à défaut, de devoir procéder au versement d'indemnités financières.

Cependant, malgré ces progrès indéniables pour le droit des salariés et la défense de l'emploi, des failles perdurent dans lesquelles s'engouffre un patronat qui persiste à conjuguer la compétitivité sur le mode invariable des suppressions d'effectifs.

C'est pourquoi, notre proposition entend faire du l icenciement économique l'ultime recours. Il s'agit notamment de restreindre la notion de « difficultés économiques » et d'éviter que les réductions de coûts recherchées portent en priorité sur les coûts salariaux ou ne soient l'occasion d'accroître le travail précaire. Depuis 1983, la part des salaires dans la valeur ajoutée créée par les entreprises n'a cessé de diminuer. Mais le taux de chômage n'a pas suivi le même rythme.

En outre, nous souhaitons étendre le champ d'application des dispositions de 1993, l'obligation de plan social ne concernant actuellement que 15 % de licenciements économiques prononcés chaque année. Nous voulons également ouvrir le droit, pour chaque salarié individuellement, de contester son licenciement tout en offrant la possibilité aux instances prud'homales de sanctionner les insuffisances d'effort de reclassement.

Face à la multiplication des externalisations d'activité, une stratégie utilisée par certains groupes pour effectuer des licenciements par procuration, nous proposons de créer un lien juridique entre les entreprises donneuses d'ordre et les sociétés sous-traitantes.

Enfin, il convient de renforcer les capacités d'intervention des salariés et de leurs délégués. A cet égard, peut-on encore tolérer que près de la moitié des sociétés de plus de cinquante salariés ne disposent toujours pas de comité d'entreprise ? Même si certains en brandissent par avance l'épouvantail, il ne s'agit nullement de corseter les entreprises dans un carcan administratif. Nous soumettons à l'examen de l'Assemblée des mesures précises et réalistes qui permettent à la fois de prolonger le mouvement initié par la loi de janvier 1993, en responsabilisant davantage le patronat, tout en créant des conditions nouvelles pour que les salariés puissent faire valoir leurs intérêts.

Il y a sept ans, dans ce même hémicycle, lorsque l'amendement défendu par les députés communistes fut adopté, d'aucuns prédirent de funestres conséquences sur l'environnement et la confiance de nos entreprises. Mais, depuis lors, leurs chiffres d'affaires n'ont cessé d'augmenter. En 1997, leur taux d'épargne a atteint 18,3 %, contre 12 % en 1980, tandis que 292,9 milliards de francs d'actions étaient émises sur les marchés boursiers.

Le scénario-catastrophe promis ne s'est donc pas réalisé hier. Tel ne sera pas non plus le cas demain, si les mesures que nous proposons sont adoptées.

Aussi, je vous invite à examiner au fond cette proposition que nous vous soumettons dans un esprit constructif, à l'écoute de toute suggestion apportant des améliorations et des enrichissements.

Lors de son investiture, le Gouvernement s'était engagé à réformer la législation sur les licenciements économiques. Malheureusement, telle n'a pas été sa démarche jusqu'à présent, je regrette d'avoir à le dire, madame la ministre.

M. Dominique Dord.

C'est vrai !

M. André Lajoinie.

Le ministre des relations avec le Parlement m'avait indiqué personnellement que le Gouvernement allait prendre contact avec moi et avec le rapporteur pour examiner la présente proposition de loi. Je n'ai rien vu venir, comme si le sujet était tabou.

M. Dominique Dord.

C'est du joli !

M. André Lajoinie.

Je vous en prie, messieurs de la droite ! Et que dire du débat en commission des affaires sociales, monsieur le président Le Garrec, où le porteparole du groupe socialiste, tout en reconnaissant la nécessité de légiférer, a fait prévaloir le mot d'ordre d'attendre ? »

M. Dominique Dord.

Ils vous ont trompés !

M. Yves Nicolin.

Vous avez été trahis !

M. Dominique Dord.

Une fois de plus !

M. Yves Nicolin.

Gardez-vous de vos amis !

M. André Lajoinie.

Il est étrange, je le relève avec regret, qu'ait été invoqué, pour arrêter le débat, l'article 94 du règlement, article autoritaire s'il en est, monsieur le


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président de la commission des affaires sociales, et cela dans le cadre d'une niche parlementaire qui donne des droits au Parlement et aux députés.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Si peu !

M. Yves Nicolin.

A la niche !

M. André Lajoinie.

Un peu tout de même.

Quand donc le Gouvernement acceptera-t-il l'ouverture d'un vrai débat sur cette question que les sondages classent parmi les premières préoccupations des salariés ? Qu'on ne vienne pas nous dire, comme nous l'avons entendu en commission des affaires sociales, que la croissance suffirait à empêcher la plupart des licenciements abusifs. Il n'en est rien, la réalité le montre.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Personne n'a dit cela !

M. André Lajoinie.

Le groupe communiste ne renoncera pas, madame la ministre, mes chers collègues, en s'appuyant sur l'action du mouvement social, à exiger les mesures appropriées pour lutter efficacement contre les licenciements abusifs. Ce faisant, il a conscience d'agir dans le sens des engagements que nous avons pris, vous et nous, devant les électeurs en 1997, au nom de la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Madame la ministre, permettez-moi, puisque je n'en ai pas encore eu l'occasion, de vous souhaiter une bonne et heureuse année 2000.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est gentil ! M. Hervé Morin. Je ne sais pas si cette année commencera bien pour notre collègue Gremetz, car le sort qui est réservé à sa proposition de loi semble compromis.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Cela dépend de vous ! M. Hervé Morin. La question qui se pose à travers la proposition de loi du groupe communiste est de savoir si le durcissement des règles du licenciement économique est susceptible de limiter les licenciements et, partant, le chômage.

Pour répondre à cette question, je rappellerai les différentes analyses du marché du travail et des relations salariales qui ressortent des travaux de professeurs en droit du travail, de sociologues, de Robert Reich ou encore, dernièrement, d'une très belle note de la Fondation Saint-Simon sur ce sujet.

Le monde du travail, aujourd'hui, est divisé grosso modo en trois catégories salariales.

La première catégorie a été appelée par Robert Reich et par d'autres la « stabilité polyvalente ». Elle regroupe les salariés issus du fordisme, qui travaillent dans des entreprises dont l'organisation est fondée sur la polyvalence et la stabilité. Ce sont les grandes entreprises, la banque, l'assurance et ses différents domaines d'activité. Ces salariés se voient accorder la stabilité, non plus en raison de la pression syndicale, mais en contrepartie de leur capacité à s'adapter au marché du travail.

La deuxième catégorie est celle des « professionnels », c'est-à-dire ceux qui profitent de la mondialisation. Ils ont la connaissance qui leur permet de tirer avantage de la flexibilité du travail pour améliorer leur condition sociale : ce sont ceux qui sont reconnus comme apportant l'innovation, la création et la richesse des entreprises.

L a troisième catégorie, je l'ai dénommée : les

« flexibles ». Elle comprend les salariés les moins qualifiés, qui ont un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, et qui, dans le cadre des relations sociales telles qu'elles existent aujourd'hui, ont peu de moyens de défense car travaillant souvent dans des entreprises où les syndicats sont peu représentés. Cette troisième catégorie est celle qui souffre le plus de l'accroissement du chômage. On la désigne, d'ailleurs, aux Etats-Unis, par le vocable de working poors.

Les chiffres publiés récemment par l'INSEE sont significatifs : les 5 % de salariés les moins bien payés dans notre pays ont vu, en vingt ans, leur salaire réel réduit d'environ 20 %, tandis que le salaire moyen réel de l'ensemble des salariés français connaissait une baisse de 5 %. La répartition sociale est donc très diverse et donne lieu à une différenciation de plus en plus forte.

A ces trois catégories généralement admises, pourrait s'en ajouter une quatrième, celle des cadres dirigeants qui ont une relation patrimoniale à l'entreprise.

Si l'on tient compte du secteur protégé, on voit très bien qu'il y a aujourd'hui une très grande inégalité face au travail, qui pèse à la fois sur les salaires, sur la protection sociale et sur la capacité à s'adapter.

Sur les salaires, l'étude de l'INSEE fait apparaître que les 5 % de salariés percevant les salaires les plus élevés ont vu leur salaire réel, pendant la même période, s'accroître, lui, de 75 %.

L'inégalité en matière de protection sociale se fait sentir tant au niveau de la protection du statut - c'est le cas du secteur public - que des régimes sociaux. Il est clair qu'un salarié exerçant dans une petite entreprise ne bénéficie pas des mêmes régimes de prévoyance, d'assurance et des mêmes avantages sociaux, que celui qui se situe dans la catégorie des « flexibles ».

Quant à l'inégalité en matière d'adaptation au marché du travail, c'est probablement la plus grande qui soit puisqu'elle cumule l'inégalité de départ que constituent la capacité et la formation des salariés, à celle, qui va croissant avec l'âge, de l'absence de formation continue leur garantissant les moyens de s'adapter à l'évolution de l'économie.

Ces inégalités sont représentatives de la grande différenciation du marché du travail. Certains profitent de la mondialisation, de la nouvelle économie. D'autres sont à l'abri des révolutions ou de l'évolution accélérée de l'économie et s'arc-boutent sur leurs avantages et sur leur statut. D'autres, encore, sont à la marge et basculent d'un camp dans un autre, selon les événements qui affectent leur secteur d'activité. Les exemples cités par M. Gremetz des salariés de Michelin, de Moulinex ou ceux de Renault, hier, à Vilvorde en sont l'illustration. Ce sont des salariés qui travaillent dans de grandes organisations et qui sont toujours à la limite de rester dans le marché du travail ou d'en être évincés.

Les derniers, dans ce panorama de la différenciation du marché du travail, sont ceux que l'on appelle aujourd'hui les marginalisés, qui ont une activité dans le cadre de pseudo-stages, du RMI ou de contrats emploi-solidarité.

Souvenez-vous, mes chers collègues, de ce que déclarait en 1989, lors de la création du RMI, le ministre des affaires sociales de l'époque - à moins que ce ne soit le Premier ministre. Il disait que le revenu minimum d'insertion bénéficierait - aujourd'hui, on peut dire toucherait parce que l'on n'est pas RMIste par plaisir - au maximum à 300 000 personnes. Nous en sommes aujourd'hui à plus d'un million de personnes.


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M. Yves Rome.

Vous êtes passés par là !

M. Alain Clary.

C'est la conséquence des licenciements, mon cher collègue !

M. Hervé Morin.

Mon cher collègue, j'ai essayé d'avoir une analyse objective de la situation, sans considération de responsabilité.

M. Alain Clary.

Nous sommes à l'Assemblée nationale, pas à Sciences po. Vous avez des responsabilités à prendre !

M. le président.

Mes chers collègues, laissez M. Morin poursuivre.

M. Hervé Morin.

Laissez-moi y venir, je n'ai pas, que je sache, cherché à faire porter la responsabilité à votre camp.

Monsieur le président, je rappelle que je peux user d'un temps de parole double de celui qui m'a été accordé.

M. Thierry Mariani.

C'est le parallélisme des temps de parole !

M. le président.

Monsieur Mariani, je vous en prie, un peu de sérieux !

M. Hervé Morin.

J'en viens à la deuxième partie de mon propos : un droit plus rigide, plus contraignant contribuera-t-il à la limitation des licenciements ? Selon une analyse de l'UNEDIC, il y a eu, en 1992, environ 300 000 pertes nettes d'emplois. En 1998, il y en a eu plus, mais elles ont été compensées par 300 000 créations d'emplois. Le solde était donc positif et il s'inscrivait dans une logique de destruction créatrice. C'est là toute la question : faut-il maintenir à tout prix - et à tout coût - des emplois alors que d'autres peuvent être créés dans de nouveaux secteurs économiques ? Depuis vingt ans, le code du travail a considérablement épaissi, de plus de deux fois son volume. Pourtant, tous les professeurs de droit social nous l'ont expliqué à l'occasion des missions d'information précédant l'examen du projet de loi sur les 35 heures, et notre collègue Gaëtan Gorce pourrait le confirmer, 70 % du droit du travail en France n'est pas appliqué. Dès lors, à quoi bon introduire de nouvelles règles si, déjà, celles qui existent ne sont pas appliquées ?

M. Jean-Claude Lefort.

On ne peut dire à la tribune de l'Assemblée nationale qu'il est inutile de faire des lois !

M. Alfred Recours.

Drôle d'argument !

M. Hervé Morin.

Troisième élément de réflexion : le renforcement du droit du travail, à notre sens, est susceptible de favoriser la précarité.

M. André Lajoinie.

Supprimons toutes les lois !

M. Hervé Morin.

Trois modes de travail suffisent à le démontrer.

Le premier, c'est « l'externalisation » dont nous a parlé Maxime Gremetz.

Le deuxième, c'est le développement de l'intérim et des CDD. Plus on rendra le droit du travail rigide, plus les entreprises seront tentées de maintenir des contrats précaires...

M. Jean-Claude Lefort.

C'est cela !

M. Hervé Morin.

... au lieu de développer les contrats à durée indéterminée ou de longue durée.

L'opposition est, aujourd'hui, convaincue que l'uniformité du droit du travail ne répond pas à la diversité des relations sociales et salariales.

M. Jean-Claude Lefort.

Voyez-vous cela !

M. Alfred Recours.

Il relaie le MEDEF !

M. Hervé Morin.

Non ! Mon cher collègue. Je ne crois pas non plus, en dépit de certaines réflexions que l'on a pu entendre, que la suppression de l'autorisation administrative de licenciement permettra de créer 400 000 ou 500 000 emplois. Cela, tout le monde en a fait la démonstration.

M. Alfred Recours.

C'est ce que dit le MEDEF !

M. Hervé Morin.

Ce que je crois, en revanche, c'est qu'un droit du travail rigide provoque le chômage de longue durée et la difficulté de réinsertion dans la vie du travail dès lors qu'on en est sorti.

M. Jean-Claude Lefort.

Le droit du travail n'est jamais appliqué, c'est absurde !

M. Hervé Morin.

Il suffit de regarder le taux de chômage et le taux d'activité des plus de cinquante ans pour constater à quel point la France est très mal placée par rapport à ses partenaires.

M. Jacques Desallangre.

Cela n'a jamais existé, on n'en sait rien. C'est un postulat !

M. Hervé Morin.

A mesure que l'on sédimentait les règles de droit du travail, on ôtait de facto à un certain nombre de salariés toute capacité à revenir sur le marché du travail.

Un droit plus rigide permettra-t-il éventuellement aux salariés des créneaux les plus porteurs de s'en sortir mieux ? Ce n'est probablement pas ce que souhaitent ceux qui sont dans les secteurs de la nouvelle technologie, de l'information, de la communication. Ils préféreraient certainement une troisième voie, un droit du travail qui s'adapte mieux à leur condition salariale. Que pourrionsnous proposer, à rebours de la proposition de loi de notre collègue Gremetz ?

M. Jean-Claude Lefort.

Abolir le code du travail !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Ne soyez pas agressif à mon égard !

M. Hervé Morin.

Je n'en ai pas l'intention, mon cher collègue !

M. Yves Nicolin.

Ce ne serait qu'un juste retour !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Je suppose que vous êtes favorable à la discussion de la loi au fond ? M. Hervé Morin. Pour le savoir, laissez-moi terminer.

Pour les salariés relevant de la « stabilité polyvalente », c'est-à-dire ceux qui sont souvent frappés par des plans de licenciement et qui sont toujours à la marge du marché du travail, il faudrait permettre à leurs syndicats de définir avec le patronat des règles moins contraignantes en matière de licenciement assorties de contreparties. Il y aurait, en quelque sorte, un droit...

M. Jean-Claude Lefort. Multiple ! M. Hervé Morin. ... qui serait le droit du travail, garant de l'ordre public, et des contreparties en fonction de la situation de l'entreprise.

M. Jean-Claude Lefort. Ce serait à la carte ! M. Hervé Morin. Elles pourraient être données sur les rémunérations, sur la formation, sur la gestion prévisionnelle des effectifs et surtout sur le droit à la reconversion. Ce serait un système où les salariés pourraient s'affranchir, d'un commun accord avec les entreprises, du droit du licenciement en contrepartie d'avantages.


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C'est la notion de contrat d'activité qui a été développée dans un rapport de M. Boissonnat, qui s'appuie sur le constat que, aujourd'hui, le marché du travail et les salariés ne sont plus dans une situation figée. De plus en plus, les salariés auront à connaître des périodes de reconversion, de congé sabbatique, de congé pour création d'entreprise. Et pour donner une stabilité au droit du travail, la nécessité se fait jour de créer de nouveaux contrats. C'est, notamment, le sens du contrat d'activité qui tend à favoriser l'employabilité des salariés.

M. Dominique Dord.

Excellent !

M. Hervé Morin.

Une seconde solution consisterait, pour ceux que j'ai appelés « les salariés flexibles », ceux qui souffrent le plus de l'évolution économique, à définir un socle de droits sociaux minimaux, dont ils ne bénéficient pas forcément aujourd'hui, notamment en matière de couverture sociale, de droits acquis qui pourraient être transférables en fonction de leur situation. En effet, faute d'uniformité, les régimes de protection sociale ne couvrent pas de la même manière les salariés qui se voient contraints de changer de situation professionnelle.

Seraient également inclus dans ce socle le droit au reclassement, le droit à la reconversion et à la création de structures permettant à ces salariés de bénéficier d'un reclassement et de retrouver un nouveau souffle.

Enfin, l'opposition pense depuis longtemps...

M. Jean-Claude Lefort.

Elle pense, l'opposition ?

M. Hervé Morin.

... qu'un allégement important des charges sociales, notamment par un abattement forfaitaire de 2 000 francs ou 3 000 francs, qui éviterait tout effet de seuil, permettrait de stabiliser la situation de salariés de nombreux secteurs d'activité. A cet égard, nous aurions préféré que les quelque 200 milliards de francs dévolus aux 35 heures soient consacrés à un allégement massif des charges sociales.

En conclusion - vous pouvez constater, monsieur le président, que j'ai peu débordé mon temps de parole, l'UDF pense que nous vivons dans une nouvelle ère économique qui se heurte à une conception du droit du travail - qui est toujours vive dans cet hémicycle remontant au

XIXe siècle. Il est temps d'inventer un droit du travail qui soit en conformité avec l'évolution de l'économie et l'économie globalisée.

M. Georges Hage.

Pour renforcer l'exploitation des travailleurs.

M. Hervé Morin.

Ce n'est certainement pas ce que j'ai essayé de dire dans mon intervention.

M. Jean-Claude Lefort.

Nous n'en sommes pas convaincus !

M. Hervé Morin.

Je citerai la formule de Mme Amiy Dean, présidente de la confédération syndicale américaine qui regroupe, si j'ai bien compris, vingt millions de salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)

M. Georges Hage.

Quelle référence !

M. Hervé Morin.

Elle dit tout simplement : « La nouvelle économie est une économie de changement ; à nous de trouver la réponse appropriée. » Il nous revient, à nous

aussi, dans notre Parlement, de trouver une réponse appropriée aux nouvelles relations salariales qui s'établissent dans ce monde en pleine évolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'orateur précédent. Il a tenté de sép arer artificiellement les différentes catégories de salariés pour nous faire oublier l'essentiel, à savoir que tous se trouvent en situation de dépendance vis-à-vis de leur employeur, et, pour beaucoup d'entre eux, des intérêts des actionnaires.

Il a également repris le refrain selon lequel il faut détruire pour construire, et licencier pour embaucher. Je regrette d'ailleurs d'entendre parfois les mêmes arguments sur d'autres bancs que ceux de la droite.

La seconde partie de son exposé a été plus difficile. Il a mis en lumière, je l'ai bien compris, ce qui, pour lui, est l'essentiel, à savoir qu'il faut en finir avec la rigidité du code du travail, le rêve étant de supprimer ce dernier.

M. Hervé Morin.

Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit !

M. Jacques Desallangre.

Mon propos sera tout autre.

Après avoir institué la semaine dernière une commission chargée d'examiner l'emploi des fonds publics attribués aux entreprises pour pallier la carence du contrôle, je considère que nous devrions aujourd'hui pouvoir juguler les abus de certains groupes qui procèdent à des licenciements économiques tout en étant prospères.

A défaut d'interdire radicalement ces licenciements que je qualifie d'abusifs, la proposition de loi qui nous est soumise à l'initiative du groupe communiste fait preuve de réalisme politique et tend à renchérir leur coût et à améliorer le contrôle des motifs.

M. Dominique Dord.

Vous ne l'avez pas lue !

M. Jacques Desallangre.

Nous avons aujourd'hui la possibilité de faire mentir certains observateurs qui constatent légitimement que le droit du travail tend, depuis une quinzaine d'années, à s'effacer quand les salariés ont précisément besoin de lui pour défendre leurs intérêts. Profitons alors de l'éclaircie économique pour reconstruire les protections qui devraient caractériser ce droit du travail.

L'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose au législateur de fixer les bornes, le cadre dans lequel la liberté peut s'exprimer. Et c'est précisément ce cadre réglementaire qui doit permettre à tous les membres de la société de jouir des mêmes droits.

Les entreprises ont acquis durant la dernière décennie une liberté accrue par la déréglementation et l'ouverture des marchés. Mais cette liberté accrue doit dorénavant s'exercer dans un cadre réglementaire précis répondant aux mêmes impératifs que celui applicable aux citoyens.

Nos concitoyens ne peuvent exercer leur liberté que dans la mesure où cela « ne nuit pas à autrui » et le code civil leur fait obligation de réparer les préjudices dont ils sont l'auteur.

Il est grand temps d'appliquer ces préceptes aux entreprises car nous accepterions sinon qu'elle soient les seules personnes juridiques dont la liberté n'est pas encadrée et soumise au principe de responsabilité.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

Les entreprises pourraient alors tout entreprendre pour augmenter leur bénéfice au plus grand profit de leurs actionnaires, sans se soucier des préjudices qu'elles causent et des restrictions de liberté qu'elles imposent aux citoyens en les privant du droit au travail institué par le préambule de notre Constitution.


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M. Jean-Claude Lefort.

Et sans se soucier de l'intérêt général !

M. Jacques Desallangre.

Les entreprises seraient-elles plus libres et moins responsables que nos concitoyens pour lesquels, aux droits qu'ils ont acquis, répondent des devoirs qu'ils doivent remplir ?

M. Jean-Claude Lefort.

Bonne question !

M. Jacques Desallangre.

Le législateur a pour mission de définir l'intérêt général et de s'assurer de son respect par tous. Et précisément la proposition de loi qui nous est soumise pose une excellente question et apporte une solution satisfaisante, bien que nous puissions la parfaire.

Le comportement actuel de certaines entreprises en matière de licenciement est-il conforme à l'intérêt génér al et à celui de nos concitoyens ? Voilà la question.

En effet, est-il acceptable qu'un groupe industriel prospère jette sur le pavé 7 500 de ses salariés - je parle de Michelin, de Wolber - dans le seul objectif d'accroître sa productivité, de servir de juteux revenus à ses actionnaires, d'obtenir le renchérissement artificiel du cours de son action, cours qui n'est plus que la matérialisation de l'évaluation d'une croyance déconnectée de l'économie réelle ?

M. Dominique Dord.

Voilà le catéchisme de base, maintenant !

Mme Jacqueline Fraysse.

Cela vous gêne !

M. Jacques Desallangre.

Quand c'est nous qui le disons, c'est du catéchisme. Quand c'est vous, c'est de l'économie. Chacun voit midi à sa porte.

M. Dominique Dord.

Nous, nous nous fondons sur la réalité. Vous, vous restez dans votre bulle « dix-neuvièmiste » !

M. Jacques Desallangre.

En tout cas, les cours que vous pouvez donner ne m'impressionnent pas du tout.

La jurisprudence de la Cour de cassation permet aux entreprises prospères de licencier leurs salariés pour raisons économiques dès lors que l'objectif recherché est la préservation de la compétitivité ou l'adaptation aux mutations technologiques. Où est le souci de préserver la survie de l'entreprise ? Il est absent.

I l aurait donc été souhaitable que le législateur empêche cet abus de droit dont les salariés font les frais, en déniant tout caractère réel et sérieux au motif économique quand l'entreprise ou le groupe réalise des profits ou constitue des réserves. De plus la procédure de contestation du motif devant le juge pourrait être améliorée en adoptant le dispositif que j'avais défendu devant vous lors de la discussion sur la réduction du temps de travail et qui me fut suggéré par les 450 salariés de Wolber, laquelle est filiale à 99 % de Michelin. Cette réforme viserait à permettre aux salariés de saisir le juge afin qu'il se prononce sur la réalité et le sérieux du motif économique avant que la situation ne soit irréversible,...

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Très juste !

M. Jacques Desallangre.

... c'est-à-dire avant la rupture du contrat de travail. Pour ce faire, le champ d'application du référé institué par l'article 3 de la proposition qui nous est présentée pourrait être étendu au motif du licenciement.

De même, peut-être devrions-nous envisager de responsabiliser les actionnaires - préservant ainsi l'entreprise - en leur faisant supporter le coût total qu'engendrent les licenciements pour la collectivité. Ainsi, grâce à une telle restitution sociale, les actionnaires lors de leurs arbitrages - coût/avantage, ou risque/rendement seraient moins enclins à imposer des licenciements dont le coût ferait l'objet d'une imputation sur leurs dividendes.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Très bien !

M. Dominique Dord.

Ils iront investir ailleurs !

M. Jacques Desallangre.

Cela vous paraît scandaleux ? J'aime bien être provocateur ! La proposition présentée par nos collègues du groupe communiste ne reprend pas l'ensemble des suggestions que je viens d'exposer et qui figurent dans la proposition de loi que j'ai déposée avec mes collègues du Mouvement des citoyens et certains députés Verts et radicaux. Néanmoins, l'adoption de la présente proposition marquerait un pas décisif car elle illustrerait la volonté politique de la gauche plurielle de lutter contre la pratique abusive de certains groupes qui font fi de l'intérêt général et de la vie des salariés. Ces derniers seraient réduits sinon à n'être plus qu'une variable d'ajustement. Nous devons réformer, améliorer le cadre, l'environnement juridique dans lequel s'exprime la liberté d'entreprendre afin de favoriser des comportements plus conformes à nos idéaux de justice sociale.

Mais, pour ce faire, encore faut-il que nous puissions engager la discussion sur le fond.

M. Dominique Dord.

C'est mal parti !

M. Jacques Desallangre.

Or les débats au sein de la commission, bien qu'ils ne préjugent pas de notre décision, suscitent néanmoins une question institutionnelle : celle de la place de l'initiative parlementaire dans l'élaboration de la loi telle qu'elle est instituée par l'article 39 de notre Constitution.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

Certains au sein de la commission ont cru opportun de faire référence aux intentions et au calendrier du Gouvernement pour justifier le refus de présenter des conclusions et l'application de l'article 94 du réglement.

Mais cette pratique, si elle devenait récurrente, risquerait de réduire à néant le reste d'initiative parlementaire que nous pouvons encore faire valoir, initiative qui serait alors condamnée à n'être plus qu'une simple interpellation du Gouvernement comme le suggérait le président de la commission.

En conclusion,...

M. Dominique Dord.

Ah !

M. Jacques Desallangre.

Il est difficile d'écouter des propos que l'on ne partage pas, n'est-ce pas, mon cher collègue ?

M. Dominique Dord.

Vous avez largement dépassé vos cinq minutes, mais à part ça tout va bien !

M. Jacques Desallangre.

Réjouissez-vous, vous n'avez plus que quinze seconde à souffrir ! (Sourires.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie.

M. Jacques Desallangre.

En conclusion, tant pour des raisons de fond tenant à l'indispensable réforme du droit du licenciement économique que pour la forme tenant à la préservation du rôle du parlement et de notre droit d'initiative, nous souhaitons vivement que cette proposition de loi soit débattue, car chacun d'entre nous pourra alors l'améliorer ou, pour certains, la rejeter.


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Les députés du MDC voteront ce texte...

M. Dominique Dord.

Bien sûr !

M. Jacques Desallangre.

... car le droit du licenciement économique conditionne concrètement la vie de millions de salariés, et il doit être, ne vous en déplaise, mes chers collègues de l'opposition, réformé en profondeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Verts, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la gauche est coutumière des grandes déclarations de principe, lyriques et vigoureuses. Nous nous souvenons encore des beaux et grands discours du printemps 1997 sur Vilvorde.

M. Jean-Claude Lefort. Et la dissolution, vous vous en souvenez aussi ? M. Thierry Mariani. Nous avons encore entendu à cette tribune il y a quelques minutes de belles déclarations sur Michelin. Mais, à ces déclarations, à ces engagements, à ce lyrisme, rien ne succède. Depuis des mois, il est vrai, vous êtes à la recherche d'un texte utopique, qui puisse vous donner sur ce genre de dossier bonne conscience.

Et nous sommes réunis ce matin pour débattre d'une proposition de loi déposée par le groupe communiste de notre assemblée, visant à limiter les licenciements économiques. C'est l'exemple même du texte utopique et irréaliste dont je viens de parler, qui donne à la gauche plurielle une bonne conscience même si cette dernière sait très bien que les dispositions de celui-ci n'ont que très peu de chances d'aboutir.

Avant d'en venir au fond du dispositif qui nous est proposé, je dirai quelques mots des conditions dans lesquelles nous sommes amenés à débattre aujourd'hui car je m'en étonne un peu.

Comme M. le rapporteur l'a rappelé, le groupe communiste avait, en avril dernier, déposé sur le bureau de l'Assemblée une grande loi, qui se voulait ambitieuse, pour limiter les licenciements économiques. Cette proposition, qui ne comprenait pas moins de vingt-quatre articles, se voulait être la grande contribution du groupe communiste à l'oeuvre législative de la majorité plurielle.

Aujourd'hui, où en sommes-nous ? Je ne veux pas me mêler des rapports qui existent entre les différentes composantes de la majorité plurielle,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous avez bien assez de problèmes vous-mêmes ! M. Jean-Claude Lefort. Vous avez assez à faire au sein de l'opposition ! M. Thierry Mariani. ... mais je constate que - après quelques mois de discussions, qui ont dû être laborieuses et difficiles, au sein de votre majorité, madame la ministre - nous en sommes réduits aujourd'hui à débattre d'une texte édulcoré, qui ne comprend plus que six articles et qui n'a même pas réussi à emporter l'adhésion de la majorité au sein même de la commission des affaires sociales.

M. Dominique Dord. C'est tout dire !

M. Thierry Mariani.

En effet, mes chers collègues, si j'ai bien compris le compte rendu des travaux de la commission, nous devrions renoncer - mais qui peut préjuger du vote - à examiner les articles du texte qui nous a été proposé à l'issue de cette discussion générale.

C'est ainsi que l'on peut légitimement s'interroger sur la nécessité qu'il y avait à bloquer une matinée de travaux dans notre hémicycle, dont le planning est déjà surchargé, pour débattre d'une proposition qui n'emporte même pas l'adhésion d'une majorité, il est vrai de plus en plus plurielle et disparate.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous pouvez parler ! C'est hallucinant !

M. Thierry Mariani.

D'ailleurs, de quel texte s'agit-il ? Pas du texte d'avril dernier, dont le parti socialiste et le Gouvernement ne veulent plus entendre parler. Celui-ci hélas pour le parti communiste ! - restera visiblement lettre morte.

M. Jean-Claude Lefort.

Il ne faut pas dire n'importe quoi !

M. Thierry Mariani.

Pas tout à fait du texte déposé à la hâte le 22 décembre dernier, qui constitue une sorte de compilation, de « best of » du premier, ou une version allégée, puisqu'il n'en reprend que quelques articles.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Vous injuriez les meilleurs juristes !

M. Thierry Mariani.

Mais non, monsieur le rapporteur.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Vous injuriez également les confédérations syndicales !

M. Thierry Mariani.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait de gros efforts de concision...

M. le président.

Pas de discussion particulière, mes chers collègues.

Monsieur Mariani, ne vous laissez pas démonter, ce n'est pas votre habitude. Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.

M. Thierry Mariani.

Monsieur le président, j'essayais de faire comprendre à notre rapporteur que même de ce texte, pour l'exposé duquel il a fait beaucoup d'efforts de concision, ses alliés n'ont pas voulu.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Mais vous, vous pouvez le voter, si vous êtes contre les licenciements !

M. Thierry Mariani.

Nous ne débattrons pas non plus, mes chers collègues, des amendements de repli proposés en commission des affaires sociales par notre collègue Gremetz, puisque la commission ayant refusé de conclure sur la proposition de loi, ces amendements ne sont aujourd'hui que virtuels.

Alors, je vous le demande, de quoi débattons-nous ? Je crains que nous ne nous soyons tous déplacés ce matin pour examiner une proposition de loi fantôme.

Mais comment aurait-il pu en être autrement ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous n'aviez qu'à ne pas venir !

M. Thierry Mariani.

Madame la ministre, je tenais à venir, sachant que vous seriez présente.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ne nous insultez pas ! Si cela vous ennuie d'être avec nous, ne venez pas !

M. Thierry Mariani.

Mais c'est un plaisir d'être avec vous, madame la ministre ! (Sourire.)

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Voilà ce que j'attendais ! (Sourire.)

M. Thierry Mariani.

Il n'aurait pu, disais-je, en être autrement. Comment, en effet, aurions-nous pu débattre sérieusement et sereinement d'une proposition de loi niant à ce point les réalités économiques ? Il est vrai qu'avec les 35 heures, vous avez déjà pris un peu d'avance !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

M. Jacques Desallangre.

Vous n'avez rien compris !

M. Thierry Mariani.

Comment aurions-nous pu adopter un texte tout entier basé sur une idéologie d'un autre temps...

M. Dominique Dord.

Du

XIXe siècle !

M. Thierry Mariani.

... qui méconnaît les besoins réels des entreprises ? Dois-je vous rappeler une nouvelle fois que ce n'est pas en contraignant les entreprises, que ce n'est pas en leur imposant des normes toujours plus strictes et toujours plus tatillonnes,...

M. Jacques Desallangre.

Si elles étaient strictes, ça se saurait !

M. Thierry Mariani.

... que nous parviendrons à créer des emplois dans notre pays et à vaincre le chômage ? Non, mes chers collègues, nos entreprises réclament à cor et à cri - vous le savez mais vous faites le contraire plus de liberté, moins de charges.

Mme Catherine Génisson.

Eh voilà !

M. Jacques Desallangre.

Elles réclament plus de liberté, c'est sûr. Mais pour quoi faire ?

M. Jean-Claude Lefort.

Du profit !

M. Thierry Mariani.

Elles demandent, maintenant depuis quelques années, que l'on soutienne leurs initiatives et non qu'on les bride. Or, tous les projets actuellement soumis au Parlement par le Gouvernement ou les membres de la majorité, ne visent au contraire qu'à apporter toujours plus d'Etat dans des domaines où la liberté, la négociation et la convention devraient prévaloir. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel s'est chargé de le rappeler il y a quelques jours.

M. Dominique Dord et M. Yves Nicolin.

Absolument !

M. Thierry Mariani.

Que nous proposiez-vous dans le texte qui aurait dû nous être soumis aujourd'hui ? Dans un premier temps, à l'article 1er , vous souhaitiez donner une nouvelle définition du licenciement économique.

Cette nouvelle définition précisait que le licenciement économique doit être lié à des difficultés économiques qui n'ont pu être surmontées par la réduction des coûts autres que salariaux ou à des mutations technologiques indispensables à la pérennité de l'entreprise.

Cette nouvelle définition ne pouvait nous satisfaire.

Là encore, mes chers collègues, il serait peut-être temps que vous preniez conscience du fait que les entreprises ne licencient plus pour le plaisir de licencier.

M. Jacques Desallangre.

Oh !

M. Jean Vila.

Pour le plaisir du portefeuille !

M. Thierry Mariani.

Vous devriez avoir un peu plus confiance dans le sens de la responsabilité de l'immense majorité de nos chefs d'entreprise pour qui la préservation des emplois au sein de leur structure constitue une priorité.

Mais poursuivons l'examen virtuel de votre proposition de loi fantôme.

A l'article 2, vous nous proposiez de rendre obligatoire, à partir de deux licenciements économiques en moins de trente jours au lieu de dix actuellement, la mise en oeuvre d'un plan social dans les entreprises de plus de 50 salariés.

Là encore, nous n'aurions pu vous suivre.

En effet, cette disposition n'aurait eu comme conséquence que de crisper un peu plus les chefs d'entreprise disposés à embaucher, sans réellement apporter une protection supplémentaire aux salariés.

A l'article 3, vous proposiez de renforcer le recours individuel des salariés contre le licenciement économique, en cas d'insuffisance de reclassement.

Vous instauriez une procédure permettant aux salariés de saisir le conseil des prud'hommes qui devait statuer dans un délai d'un mois... Là encore, il s'agissait de mettre en place de nouvelles contraintes et de susciter la mise en oeuvre de nouveaux contentieux.

L'article 4 prévoyait de contrôler les licenciements dans les entreprises de sous-traitance, en raison d'une décision du donneur d'ordre.

Vous mettez en place un comité d'entreprise élargi aux deux entreprises... une structure de plus, une formalité supplémentaire ! Je passerai sur l'article 5 qui prévoyait d'obliger les sociétés commerciales à respecter la législation relative aux institutions représentatives du personnel, pour en venir au dernier article qui introduisait un système de bonusmalus dans le régime d'assurance chômage pour pénaliser les entreprises qui licencient et avantager les autres...

C'aurait été une nouvelle usine à gaz qui me rappelle un peu d'ailleurs le système prévu par la loi sur les 35 heures pour le financement des heures supplémentaires. Nous avons vu quel a été son sort.

Dans ces six articles, qui constituent, je le répète, une version très allégée de votre proposition, mes chers collègues, certains thèmes, certains mots reviennent souvent : obliger, contrôler, encadrer.

C'est cette philosophie que nous pouvons accepter car nous croyons à la liberté d'entreprendre, à la responsabilité des acteurs économiques et non à la force de l'Etat dans tous les domaines.

Pour nous, un Etat efficace est un Etat qui assume d'abord ses missions régaliennes avant de s'immiscer dans la vie des entreprises. Ces missions - qui sont la sécurité, la défense, la justice - ne sont pas aujourd'hui remplies convenablement ! Certes, en commisssion, monsieur Gremetz, vous avez mis de l'eau dans votre vin,...

M. Dominique Dord.

Rouge !

M. Thierry Mariani.

... et proposé certaines avancées permettant d'atténuer les effets des dispositions que vous nous présentiez.

C'est ainsi que vous semblez d'accord pour supprimer le dernier article de la proposition de loi qui instituait un système de bonus-malus dans le régime d'assurance chômage.

Il semblerait de même que vous soyez disposé à remonter de deux à cinq salariés le seuil de déclenchement d'un plan social pour les entreprises de plus de cinquante salariés.

Mais cela n'a été que peine perdue ! Car, dans le même temps, vous avez proposé de réintroduire l'amendement Michelin que le Conseil constitutionnel avait déclaré non conforme à la Constitution dans sa décision du 19 janvier dernier sur les 35 heures. Et cet amendement purement tactique, purement politicien, qui ne peut avoir de conséquences concrètes a été, cette fois refusé par vos amis de la majorité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

Nous sommes donc, à cette heure-ci, dans le flou le plus total, puisque nous ne savons pas si vos partenaires de la majorité voudront passer à la discussion des articles sur votre proposition.

A ce stade du débat et en l'absence d'un texte sur lequel débattre, le groupe RPR ne peut que s'opposer à une proposition de loi dont le dispositif contraignant évolue jour après jour si bien qu'on ne sait plus ce qu'elle contient.

Nous déterminerons notre vote après avoir entendu la position des différents groupes mais qu'il me soit permis une nouvelle fois de regretter le temps perdu ce matin, dans cet hémicycle.

La séance réservée au débat de l'ordre du jour fixé par notre assemblée ne doit pas devenir une simple vitrine politique, pour ne pas dire politicienne, où l'on ne discute que de projets dont on sait pertinemment qu'ils n'aboutiront pas.

La réforme de notre règlement n'a pas été effectuée dans ce sens.

Au-delà de la démonstration de vos incohérences, cette séance restera dans notre assemblée comme la séance des occasions perdues et, pour la majorité plurielle, la séance de la division affichée.

Tels sont les motifs de l'opposition du groupe RPR.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je vous rappelle, monsieur Mariani, qu'il y a de temps en temps des propositions de loi qui aboutissent. Il y en a même qui sont votées à l'unanimité par notre assemblée. Je vous renvoie au texte relatif à l'expression « guerre d'Algérie ».

M. Jean Le Garrec, président de la commission. Exactement !

M. Thierry Mariani.

Et à celui concernant la Légion étrangère !

M. le président.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce que nos concitoyens a ttendent de nous, me semble-t-il, c'est que nous sachions dresser de la situation économique et sociale de notre pays un diagnostic lucide.

Notre économie connaît depuis deux ans une embellie d'autant plus remarquable qu'elle intervient après uner écession féroce pour nos entreprises comme pour l'emploi. Ce n'est pas faire preuve d'autosatisfaction que de rappeler que nous nous étions engagés en 1997 à relancer l'économie et à faire reculer le chômage et que, depuis lors, la croissance retrouvée a profité à tous les secteurs d'activité et que près d'un million d'emplois nouveaux ont été créés.

Il serait paradoxal que nous nous fassions reprocher d'avoir su redresser une situation que nos prédécesseurs avaient fâcheusement compromise. La confiance économique est là, et elle paraît solide. Ses résultats sont pour b eaucoup dans le soutien que nous apportent les Français.

Il faut cependant, si l'on veut avoir une vision complète du panorama qui se présente à nous, aller plus loin, car confiance économique et confiance sociale entretiennent des relations complexes. Sans doute l'une est-elle nourrie par l'autre.

La reprise de l'activité, que j'ai décrite, s'est traduite par un recul du chômage. Notre politique fiscale et sociale s'est concrétisée pour les salariés par une progression significative de leur pouvoir d'achat, que l'on retrouve dans les chiffres de la consommation. Mais l'une n'épuise pas l'autre. Le paradoxe qu'il nous faut prendre en compte - et plus encore, je crois, cette majorité et la gauche -, c'est que cette embellie économique s'accompagne de la persistance, dans l'esprit de nos concitoyens et d'abord des salariés, d'un sentiment de fragilité sociale, de précarité des situations et des statuts.

Ce sentiment est né des vingt années de crise que nous avons traversées et dont les salariés ont payé le prix fort en termes de revenus comme en termes d'emplois.

Ce sentiment est aujourd'hui entretenu par l'attitude de grandes organisations patronales, qui - moitié conviction, moitié cynisme - n'hésitent pas à vanter à nouveau la flexibilité des horaires, des contrats et des rémunérations.

Ce sentiment trouve également sa source dans un déséquilibre croissant entre l'affaiblissement des organisations syndicales et le renforcement d'un pouvoir économique de grands groupes, qui s'est ouvert à des horizons plus larges, donnant au salarié l'impression de n'être plus qu'un pion sur l'échiquier des restructurations ou des fusions-acquisitions.

Ce sentiment s'alimente enfin de la progression rapide des emplois atypiques, CDD ou intérim, dépourvus de véritables garanties et souvent seuls moyens d'accéder à un premier emploi.

Notre détermination à répondre à ces inquiétudes n'est pas en cause. Depuis deux ans - et, le plus souvent, madame la ministre, sous votre impulsion -, cette assemblée et sa majorité se sont fortement mobilisées pour l'emploi et contre la précarité. Notre récent débat sur la réduction du temps de travail en a encore témoigné, qui nous a permis non seulement de confirmer notre engagement pour l'emploi, mais aussi de renforcer le rôle des syndicats et les droits des salariés.

Par ailleurs, des mesures sont annoncées pour faire reculer la précarité du travail, qui devront à la fois dissuader les entreprises de faire du recours à l'intérim ou aux CDD une forme normale de gestion du personnel, et donner aux salariés concernés des garanties nouvelles, en matière, par exemple, de formation ou de couverture chômage.

Reste la question du licenciement et notamment du licenciement économique.

Certes, notre conviction est que la meilleure façon de faire reculer le licenciement est d'abord de soutenir la croissance. Il est vrai que le nombre de licenciements économiques enregistrés chaque année a baissé en proportion du rythme de reprise de l'activité : près de 600 000 en 1993, 400 000 en 1997, moins de 300 000 aujourd'hui en 1999.

Il n'en demeure pas moins que l'amélioration de la situation économique rend justement le licenciement encore plus injuste, encore plus insupportable,...

M. Alfred Recours.

Exact !

M. Gaëtan Gorce.

... surtout s'il intervient au mépris des règles de droit ou des salariés eux-mêmes.

Tous, ici, nous pouvons citer des exemples de ces entreprises qui, au nom d'une rentabilité jamais discutée, jamais évaluée, n'hésitent pas à sacrifier la vie professionnelle, parfois la vie personnelle, de milliers de femmes


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et d'hommes, rejetés du monde du travail au moment même où il n'est question partout ailleurs que de reprise de l'emploi.

Nous avons beaucoup parlé ici, par exemple dans le débat sur les 35 heures, de Michelin ou de Wolber. Je p rendrai l'exemple d'Epéda, devenu propriété d'un groupe suisse dont le moins que l'on puisse dire est que la considération qu'il porte à ses salariés n'est pas la première des qualités, groupe qui, au printemps 1999, négociait un accord sur les 35 heures et qui, quelques semaines plus tard, annonçait, sans concertation, sans consultation, la fermeture pure et simple de deux sites industriels sur quatre, à Mer et à La Charité-sur-Loire, sans même que son PDG, nouvellement nommé, ait jugé nécessaire de se rendre sur place pour constater quelle était la réalité de l'organisation et du travail sur ces sites.

Depuis lors, il n'a jamais été possible d'obtenir le moindre débat, la moindre discussion sur les motifs de cette décision, d'autant plus critiquable qu'elle était justifiée, semble-t-il, par des raisons de productivité, alors que le regroupement des activités va se faire sur des sites qui, a priori , sont moins performants.

Que peuvent ressentir les salariés de ces entreprises, mis devant le fait accompli, trompés, puisque saisis à quelques mois de distance d'appréciations contradictoires sur leur devenir par leur direction, méprisés puisque même pas jugés aptes de participer à une discussion sur la stratégie du groupe ?

M. Jacques Desallangre.

Ils sont en colère !

M. Gaëtan Gorce.

Certes, nul ne peut prétendre sérieusement que la loi pourra interdire le licenciement ou apporter toujours une solution à ces situations souvent commandées par des situations économiques, commerciales ou sociales particulières.

M. Jacques Desallangre.

Il faut dissuader !

M. Gaëtan Gorce.

Mais la loi devrait pour le moins garantir à chaque salarié, et d'abord à ses représentants, les moyens d'être informés, conseillés, écoutés et, enfin, de faire sanctionner les abus observés.

M. Alfred Recours.

Eh oui !

M. Gaëtan Gorce.

A cet égard, le groupe socialiste, comme je l'ai fait en commission, et je tiens de ce point de vue à préciser les choses, mes chers collègues, considère qu'une amélioration significative de la législation sur le licenciement économique est nécessaire (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), ne serait-ce que parce que la procédure de plan social ne s'applique qu'à un trop petit nombre de licenciements économiques,...

M. Jacques Desallangre.

Tout à fait !

M. Gaëtan Gorce.

... ne serait-ce que parce que l'exigence de transparence doit justement être renforcée, au moment où les licenciements seront de moins en moins justifiés par des difficultés liées à la conjoncture et de plus en plus motivés par des choix stratégiques sur lesquels les salariés doivent avoir leur mot à dire.

Cette amélioration pourrait s'appuyer sur des grandes orientations que je voudrais résumer rapidement.

La première touche à une véritable prévention du licenciement économique, qui doit être l'ultime recours.

Cette prévention passe, me semble-t-il, par une consultation plus précoce, plus complète, plus régulière des représentants du personnel. L'acte de licenciement constitue un acte de gestion qui s'inscrit dans une suite de décisions stratégiques. Ne consulter les représentants du personnel qu'en aval revient à ne leur laisser de marges d'appréciation que sur le plan social et, trop souvent, ils listent aujourd'hui moins les mesures destinées à prévenir le licenciement que celles qui cherchent à en atténuer les conséquences.

Cette situation conforte les directions des groupes dans l'idée que les effectifs constituent la meilleure variable d'ajustement. Elle leur évite de s'interroger sur les alternatives. Elles les incite à ne considérer que le coût direct du licenciement et non ses effets sur l'organisation, la charge du travail ou la pyramide des âges. Cette culture d'entreprise ne pourra être corrigée que si s'instaurent, en amont, un dialogue et un débat nourris, reposant sur une information régulière du comité d'entreprise, sanctionnés, le cas échéant, au niveau de la procédure de licenciement.

La deuxième orientation pourrait porter sur la procédure elle-même, qui pourrait conduire à revoir les modalités d'intervention de l'inspection du travail.

Enfin, ne conviendrait-il pas de bâtir un véritable droit à la reconversion ? D'abord pour les salariés, l'entreprise ayant à sa charge l'obligation de veiller tout au long de leur carrière à leur employabilité. Comment accepter que l'on puisse rejeter sur le marché du travail les salariés les plus âgés ou les moins qualifiés, c'est-à-dire ceux pour lesquels les chances de retour à l'emploi sont les plus minces ? Ensuite, pour les bassins d'emplois concernés.

Comment accepter que les dégâts provoqués sur un bassin d'emplois par un groupe, par une décision de restructuration, ne soient pas compensés au prorata des moyens du groupe qui prend ce type de décision ? Madame la ministre, je ne trace naturellement ces orientations qu'à grands traits. Elles mériteraient d'être approfondies, discutées, débattues, précisées. Elles ne peuvent s'improviser. Elles relèvent d'une concertation entre les partenaires sociaux, syndicaux et patronaux. La loi ne peut pas intervenir seule dans ce sens sans être précédée par une véritable discussion avec l'ensemble des partenaires sociaux.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

On ne l'aura donc jamais ! Vive le MEDEF, quoi !

M. Gaëtan Gorce.

C'est la raison pour laquelle nous ne vous demandons pas aujourd'hui un engagement sur une réforme d'ensemble mais seulement sur des mesures d'urgence destinées à combattre et à sanctionner les licenciements abusifs qui interviennent au mépris de la lettre ou de l'esprit de la loi.

Quel pourrait en être l'objet ? D'abord, rétablir l'obligation de négocier la réduction du temps de travail avant tout plan social. Le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail adopté par l'Assemblée nationale avait conditionné la mise en place d'un plan social, soit à une négociation loyale et sérieuse, soit à la conclusion d'un accord sur la réduction du temps de travail.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est ce qu'il y a dans la proposition de loi !

M. Gaëtan Gorce.

Cet amendement a été censuré par le Conseil constitutionnel, qui a demandé d'en préciser les effets. Nous devons avancer en ce sens.

Par ailleurs, et c'est peut-être aussi le plus important, renforcer les garanties d'information et de consultation des représentants du personnel.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est dans la proposition de la loi !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

M. Gaëtan Gorce.

Ne conviendrait-il pas d'introduire une mesure dissuasive en cas d'irrégularité de la procédure de consultation des représentants du personnel ? Enfin, veiller au respect des engagements pris dans le cadre du plan social. La notification du licenciement ne devrait pas être le terme de la procédure. Celle-ci devrait intégrer le suivi de l'exécution du plan social et déboucher éventuellement, en cas de non-respect des engagements, sur le reversement des aides publiques dont l'entreprise a pu bénéficier.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est ce qu'on va faire, je l'espère, avec Moulinex !

M. Gaëtan Gorce.

Toutes ces propositions - je pourrais en évoquer d'autres, mais j'ai voulu me limiter à l'essentiel - méritent d'être approfondies. Elles sont, par certains aspects, différentes de celles présentées par le groupe communiste. Elles les recoupent sur d'autres.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

En quoi ? Je n'ai pas compris ! Je n'ai entendu aucune proposition de votre part !

M. Gaëtan Gorce.

Aussi, je suis certain que la majorité plurielle pourrait rapidement se retrouver s'il s'engageait entre ses composantes une concertation qui a malheureusement fait défaut, je suis forcé de le constater, dans la préparation du texte dont nous sommes saisis.

La mise en oeuvre de ces propositions traduirait le souci du Gouvernement de respecter le rôle des partenaires sociaux en s'en tenant à des mesures d'urgence et illustrerait sa volonté d'apporter aux salariés des droits nouveaux.

J'évoquais au tout début de mon intervention le sentiment de fragilité sociale encore trop souvent partagé par les employés et par les ouvriers. La persistance de ce sentiment est préjudiciable aussi bien à la stabilité des rapports sociaux, qui restent alors marqués par une dialectique de la menace et du conflit, qu'à notre économie, puisqu'elle introduit dans un environnement de forte concurrence un élément de démotivation nuisible à son efficacité.

Une action résolue contre la précarité du travail comme contre les licenciements abusifs constitue donc bien, me semble-t-il, une composante naturelle de la politique de soutien à la croissance, à l'innovation et à l'emploi conduite depuis deux ans, sur laquelle nous nous sommes toujours retrouvés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un film français à grand succès avec deux acteurs très connus, Jean Reno et Christian Clavier, qui s'appelle Les Couloirs du temps ou, plus communément, Les Visiteurs II et, ce matin, j'ai l'impression que le groupe communiste veut nous faire faire un grand bond en arrière et nous faire visiter les couloirs du temps ! Prenant une fois encore le patronat comme bouc émissaire...

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Oh !

M. Yves Nicolin.

... vous montrez les entreprises du doigt seulement quand cela va mal et jamais quand cela va bien. Mme Aubry nous assène des chiffres, ressentis par de nombreux chômeurs comme irréels, sur le recul du chômage, mais avez-vous une seule fois félicité les chefs d'entreprise d'avoir embauché plusieurs milliers de personnes ?

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Bien sûr ! On ne fait que ça !

M. Jacques Desallangre.

Parlons de la valeur ajoutée ! Ils ne font pas de bénévolat !

M. Yves Nicolin.

Vous ne savez que critiquer les chefs d'entreprise alors que, partout dans le monde, ce sont eux qui font l'emploi. Les vieux démons de l'économie dirigée, encadrée, totalitaire resurgissent.

Le groupe communiste a inscrit à l'ordre du jour une proposition de loi visant à encadrer les licenciements pour motif économique. Cette proposition reprend en partie une précédente proposition de loi qui était beaucoup plus ambitieuse dans son irréalisme. Certes, une négociation a eu lieu avec le Gouvernement afin qu'il reprenne certaines idées communistes dans deux prochains projets de loi sur la régulation économique et les emplois précaires, mais le groupe communiste a voulu montrer ouvertement sa différence et sa position plus extrême en déposant une proposition de loi qui, nous le savons tous ici, n'a aucune chance d'être adoptée.

M. Jean-Claude Lefort.

Ah bon ?

M. Yves Nicolin.

Cette philosophie communiste et grossière a d'autant moins chance de passer que le Gouvernement va demander le rejet du texte.

Il faut certes préciser qu'il y a des points positifs dans c ette initiative communiste. (Exclamations sur divers bancs.)

Notamment, ne sont suggérés ni la suppression du licenciement, ni l'emploi à vie, ni le retour à l'autorisation administrative de licenciement.

M. Dominique Dord et M. Thierry Mariani.

Très bien !

M. Jacques Desallangre.

Les personnes qui sont licenciées apprécieront !

M. André Lajoinie.

C'est la droite qui a institué l'autorisation administrative de licenciement !

M. Yves Nicolin.

Ce texte représente donc une grande avancée. Toutefois, le groupe communiste n'est pas encore totalement convaincu des bienfaits de l'économie privée et, par conséquent, il va falloir encore travailler.

Mesdames et messieurs les députés communistes, vous êtes sûrement animés de bonnes intentions.

M. Dominique Dord.

C'est vrai !

M. André Lajoinie.

Merci !

M. Yves Nicolin.

Je suis même convaincu que vous tentez, à votre manière, de répondre à la détresse de nombreux Français.

M. Jacques Desallangre.

Vous reconnaissez tout de même qu'elle existe !

M. Yves Nicolin.

Mais, car il y a un mais, les moyens que vous voulez imposer à notre société pour y parvenir seraient pire remède que le mal. Les lentilles déformantes que vous utilisez pour voir la réalité quotidienne sont empreintes d'une idéologie passéiste. Elles se sont brisées aux réalités de l'économie moderne...

Mme Muguette Jacquaint.

Ce sont les hommes qui se sont brisés !

M. Yves Nicolin.

... et ce n'est pas en voulant les recoller avec de la « super Hue » que vous recouvrerez la vue ! (Applaudissements et exclamations sur divers bancs.)

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Quel beau jeu de mots ! Vous, vous êtes dans la super glu !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

M. Yves Nicolin.

Vous formez avec vos alliés socialistes un attelage bancal qui semble aujourd'hui tirer à Hue et à dia. (Exclamations sur divers bancs),...

Mme Muguette Jacquaint.

Il fait dans la rondeur !

M. Jacques Desallangre.

Ce sont des choses graves !

M. Yves Nicolin.

... à tel point que le Gouvernement ne veut même pas discuter de votre proposition qu'il juge hors du temps. Rappelez-vous Vilvorde, cette couleuvre, que dis-je, cet anaconda, que vous a fait avaler Lionel Jospin. Lionel Jospin candidat manifestait à Vilvorde, Lionel Jospin Premier ministre étouffait l'affaire ! Il était plus facile, en effet, de manifester à l'étranger pour l'emploi que de défendre les licenciés français.

L'histoire est cruelle, mesdames, messieurs. Elle encre les faits de noir sur les pages des manuscrits et, aujourd'hui, elle vous montrera une fois encore que vous servez d'alibi à une majorité qui a besoin de vous, mais seulement besoin. En réalité, ouvrez les yeux, le PS se moque de vous et de votre proposition. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Thierry Mariani.

Exactement !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Personne ne se moque de nous ! On se moque des salariés, c'est différent !

M. Yves Nicolin.

Maintenant, analysons cette proposition. Au titre Ier , « Du motif économique », l'article 1er vise à préciser que tout employeur doit utiliser le licenciement économique en recours ultime et lorsqu'il rencontre de réelles difficultés qui ne peuvent être résolues par la réduction des coûts autres que salariaux. Comme si cela n'allait pas de soi !

Mme Muguette Jacquaint.

Eh non, cela ne va pas de soi !

M. Yves Nicolin.

Les licenciements sont, dans la majorité des cas, des recours ultimes.

Au titre II : « Du plan social », l'article 2 vise à abaisser le seuil à partir duquel l'établissement d'un plan social est obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Il le rend obligatoire à partir de deux licenciements, et non de dix, comme c'est le cas. Le choix du chiffre 2 est totalement arbitraire. Il ne correspond à aucune logique et ôte tout caractère collectif au plan social.

Je pourrais reprendre article par article chacun des titres de cette proposition, pour montrer que nous aboutirions une fois de plus à un peu plus d'administration, ce qui ne résoudrait aucun problème, ni social ni économique, mais je reviens simplement sur l'article concernant les entreprises sous-traitantes.

Cet article vise à mettre en oeuvre un système de représentation commune des salariés de l'entreprise soustraitante et de son donneur d'ordre. Ainsi, dans le cas où l'entreprise donneuse d'ordre est en difficulté économique et doit procéder à un licenciement collectif, l'entreprise sous-traitante pourrait convoquer le comité des représentants du personnel de l'entreprise donneuse d'ordre. Ce comité serait alors élargi pour comprendre les représentants de l'entreprise sous-traitante. Rien de moins ! Cette idée d'un comité mixte incluant des représentants de l'entreprise sous-traitante est assez récurrente chez les communistes.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Vous avez mal lu la dernière proposition ! Cela n'y est plus !

M. Yves Nicolin.

Cependant, face à cette traditionnelle litanie, l'argument juridique l'emporte. La notion de sous-traitant est une notion purement économique qui n'existe pas en droit. Il est donc impossible de mettre en place un tel comité.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est pourquoi on ne l'a pas fait !

M. Yves Nicolin.

Il ne fallait pas le faire la première fois, monsieur Gremetz ! Comme quoi l'Assemblée vous permet de réfléchir, et je pense que ce débat devrait vous faire réfléchir encore plus.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Il faut écouter ! Vous êtes très intelligents, vous ! On n'a pas l'intelligence que vous avez, mais on écoute les gens compétents !

M. Yves Nicolin.

Mes chers collègues, faisons un cauc hemar d'inspiration communiste. Imaginons que, demain, ce qu'à Dieu ne plaise, nous ayons un gouvernement largement dominé par une idéologie du passé. Vous êtes chez vous, tranquille, en famille, et vous décidez de préparer le mariage de votre fille. Vous demandez à un traiteur de préparer la noce.

M. Thierry Mariani.

C'est pour un PACS !

M. Yves Nicolin.

Malheureusement, vos finances sont dans une situation un peu délicate, et vous devez revoir à la baisse le nombre d'invités. Les communistes étant au pouvoir et appliquant leurs méthodes, vous voyez alors arriver le traiteur ou ses empoyés chez vous, pour vous expliquer qu'il n'est pas question de revoir à la baisse, et que ce qui avait été prévu doit être tenu. C'est à peu près ce que vous prévoyez dans votre texte.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est nul !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Vraiment nul !

M. Yves Nicolin.

Monsieur le président, madame la ministre, mon cher monsieur Gremetz,...

Mme Muguette Jacquaint.

Quel mépris !

M. Yves Nicolin.

... les sociaux-libéraux modérés que nous sommes ne peuvent accepter cet ultra-communisme qui souhaite développer son emprise sur l'économie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Si M. Lyon-Caen vous entendait, il vous dirait qu'il est vraiment nul de parler de ce qu'on ne connaît pas !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Michel Marchand.

M. Jean-Michel Marchand.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que les entreprises licenciaient jusqu'à présent parce qu'elles rencontraient des difficultés, certaines grandes sociétés n'hésitent plus aujourd'hui à procéder à de vastes plans de réduction des effectifs pour motif économique alors qu'elles sont prospères.

L'affaire Michelin a mis en lumière cette méthode de gestion particulièrement cynique, où les salariés sont relégués au rang de variable d'ajustement économique, pour le plus grand profit des actionnaires. Et ensuite, c'est toujours, et presque exclusivement, à la collectivité nationale qu'il incombe de réparer les dégâts sociaux d'une gestion entièrement tournée vers le profit à court terme.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

La loi n'a pas évolué face à ce constat et à ces nouvelles pratiques de gestion, lesquelles masquent - mal - la véritable motivation des licenciements. Sous couvert de raison économique, c'est en fait la gestion ultralibérale qui en est la cause.

Les grandes entreprises ont en effet su s'exonérer de bon nombre de contraintes sociales en externalisant une partie de leur production ou certains services du process industriel.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Absolument !

M. Jean-Michel Marchand.

De telles pratiques leur permettent de réduire leurs coûts en utilisant à leur profit la dépendance dans laquelle elles tiennent les soustraitants. Cela leur permet aussi de s'exonérer des conséquences de leurs choix de gestion en les faisant supporter par les salariés de ces entreprises satellites.

TotalFina en est un exemple, avec la catastrophe écologique et économique due à la marée noire. Mais externaliser les risques liés au transport en recouvrant à des navires battant pavillon de complaisance ne permet plus de s'exonérer de ses responsabilités morales, financières, et - je l'espère bien - juridiques.

Il est donc urgent que la loi donne une définition nouvelle, plus précise et plus protectrice pour les salariés, du motif économique du licenciement.

Tout doit être fait pour empêcher les licenciements

« saucissonnés » de moins de dix salariés par période de trente jours. Il faut obliger les entreprises à anticiper les difficultés et à trouver le moyen d'éviter de « jeter » au chômage des salariés sans qu'aucune stratégie de reclassement n'ait été mise en oeuvre. Et c'est d'abord au sein même de l'entreprise qu'il convient de chercher les solutions alternatives aux licenciements, au regard de l'utilisation de chercher les solutions alternatives aux licenciem ents, au regard de l'utilisation de main-d'oeuvre intérimaire et du recours à la sous-traitance.

En parallèle, les salariés doivent pouvoir faire sanctionner l'absence de véritable recherche de solutions de reclassement. Si tel était le cas, la nullité du licenciement et la poursuite du contrat de travail seraient la juste réparation à la légèreté blâmable de l'employeur.

Il semble toutefois que la saisine directe du bureau de jugement du conseil des prud'hommes sans préalable de conciliation, lequel devrait statuer impérativement dans les deux mois de sa saisine, eût été préférable au réfé ré dont les décisions peuvent, par nature, être remises en cause par les juges du fond. La sanction donnée à l'insuffisance de tentatives de reclassement, qui, soit dit en passant, reste jurisprudentielle, ne devrait pas pouvoir être remise en question quelques mois après avoir été prononcée.

Enfin, il paraît toujours pertinent, pour les raisons que j'ai évoquées, de s'inspirer de la notion d'unité économique et sociale pour instaurer une solidarité entre les entreprises donneuses d'ordres et leurs sous-traitants.

De telles mesures devraient être transposées à des dispositifs de même nature à l'échelle des bassins d'emploi.

Car, s'il nous faut bien admettre aujourd'hui que certains emplois périclitent, ne serait-ce que du fait de l'obsolescence de certaines productions ou de la mécanisation de travaux pénibles, il est par contre inacceptable que les entreprises ne soient pas tenues d'anticiper de telles évolutions pour en gommer les effets, pour que de nouveaux emplois soient créés lorsque d'autres disparaissent.

Vous le savez, mes chers collègues, les Verts, sont très critiques sur l'intérêt et l'utilité de certaines productions, au regard du développement durable, de la protection des ressources naturelles et de l'épanouissement de chaque individu. Des évolutions sont nécessaires et sont attendues en termes de production énergétique, de protection sociale et de qualité de vie.

Produire mieux et dans de meilleures conditions de travail, produire avec la volonté d'économiser l'énergie et de respecter l'environnement, produire avec la détermination de lutter contre l'effet de serre, c'est produire pour le mieux-être des femmes et des hommes ainsi que pour la protection de notre planète, c'est mettre l'économie au service de l'homme avec le souci de la biodiversité.

Il reste beaucoup à faire. Cette proposition de loi peut permettre des avancées dans ce sens. Les députés Verts la voteront.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des a ffaires culturelles, familiales et sociales.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je ferai d'abord un constat : les licenciements économiques ont diminué de 40 %. Mais c'est parce qu'il y a une amélioration de la situation économique que les licenciements économiques deviennent insupportables. Il est vrai que lorsque tout est écrasé, refermé, replié, il y a une peur réelle que rien ne bouge. Toutefois, quand l'espace peut s'ouvrir quelque peu, on perçoit bien la brutalité de la situation en question et son aspect souvent insupportable.

Du reste, il est extrêmement intéressant de voir que cette situation ne préoccupe pas seulement les élus, elle est largement partagée par d'autres car c'est devenu une préoccupation sociale. Ainsi, la chaîne publique Arte a diffusé sur le sujet un film remarquable intitulé Ressources humaines , et les deux auteurs Tardi et Pennac viennent de publier une bande dessinée qui porte uniquement sur ce problème de licenciement. Il y a donc une prise de conscience du problème.

Toutefois, nous devons aussi avoir le courage de dire qu'il est extrêmement difficile de trouver des solutions.

D'ailleurs, M. Gremetz, dont je salue le travail, a dit luimême en commission, avec beaucoup de modestie et une grande retenue - ce qui, chez lui, n'est pas toujours habituel (Sourires) -, que la réponse qu'il propose n'est pas parfaite. Et il a raison. Je trouve même que le problème n'est pas posé dans toute sa dimension.

La réponse qu'il propose par ce texte n'est pas parfaite, et ce pour deux raisons.

La première raison tient au fait que toute entreprise est, par définition, soumise à des aléas et que le pire consisterait à ne pas les prendre en compte. Cependant, il est vrai qu'il est peu aisé à déterminer ce qui relève de véritables difficultés économiques de ce qui ressortit à l'absence de vision stratégique ou à l'erreur de gestion.

M. Jacques Desallangre.

Ou à la recherche accrue de bénéfices !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ou à la recherche accrue de bénéfices en effet. J'ai souvent indiqué ici que les dix chefs d'entreprise les mieux payés au monde, dont le président de mon ancienne entreprise, avaient à eux seuls un bilan de 500 000 disparitions d'emplois.

Comment faire la part entre ce qui relève de véritables contraintes, de difficultés économiques, et ce qui relève de la conception consistant trop souvent à considérer le


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salarié comme la seule variable d'ajustement ? Telle est la première difficulté. Elle n'est pas mince, et ne pas la voir ou la récuser serait une erreur extrêmement profonde.

J'en viens à la deuxième difficulté. Bien entendu, il est indispensable de mieux protéger les salariés. Du reste, depuis 1981, les gouvernements de gauche, dans leurs compositions diverses, s'y sont employés. A cet égard, je citerai au moins deux exemples concrets de ce travail qui n'est jamais achevé : d'une part, les lois Auroux ; d'autre part, le travail accompli par Mme la ministre Aubry.

Il est évident que la protection des salariés est une notion fondamentale. Toutefois, en cette matière, il convient d'élargir la réflexion : le problème doit être envisagé également au regard de la dynamique de l'emploi, de l'aménagement du territoire, du bassin d'emploi, de l'adaptation de la formation professionnelle, des chances d'un nouveau départ. Ne pas prendre en compte cette dimension-là revient à traiter le problème d'une manière partielle et tout à fait insuffisante ! Je le dis pour l'avoir vécu et le vivre encore.

Ces deux dimensions du problème, dimensions qui ne peuvent être récusées par personne - et en disant cela, je me tourne du côté des bancs des députés communistes impliquent de répondre à trois questions.

D'abord, est-il nécessaire et utile de revoir le code du travail ? Cette question me conduit à m'interroger sur certaines des propositions faites par M. Gremetz. Ainsi, dans l'article 2 de sa proposition de loi, il prévoit de modifier le seuil de déclenchement du plan social. Mais s'agit-il d'un problème qui ne doit être posé que par rapport au nombre de salariés ? Est-ce- suffisant ? Ne faut-il pas envisager un délai d'appréciation de la situation ? Je rappelle que l'article du code du travail qu'il est prévu de modifier résulte d'une négociation syndicale qui a abouti le 10 octobre 1986.

De plus, seules les entreprises de plus de cinquante salariés seraient concernées, ce qui laisserait de côté les entreprises dont la taille est inférieure, alors que l'on sait justement que c'est bien souvent dans le cadre de ces dernières que la protection du salarié n'est pas suffisante.

La question est posée, et M. Gremetz a le mérite de la poser. Toutefois, je considère que, sur ce point, la réflexion n'est pas achevée.

M. Thierry Mariani.

C'est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse.

Il faut l'élargir !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Nous sommes d'accord. Etendons le dispositif aux entreprises de moins de cinquante salariés, ce sera parfait !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

La deuxième question a trait à l'anticipation des difficultés.

Nous savons tous très bien que quand nous prenons connaissance de licenciements, il est souvent trop tard. La maison brûle, les catastrophes sont là, et il n'y a pas eu de travail d'anticipation des difficultés. Or nous savons également que ce travail d'anticipation est la bonne façon pour appréhender convenablement la situation des salariés et pour améliorer le fonctionnement et la dynamique des entreprises.

Tout cela passe par un renforcement du rôle des comités d'entreprise, une gestion prévisionnelle des effectifs, une adaptation de la formation des salariés aux transformations du rapport au travail et un contenu du travail, autant de domaines où l'on observe une très grande faiblesse des entreprises françaises.

Pour ma part, je considère que le dispositif des 35 heures crée une dynamique qui devrait permettre de surmonter ces difficultés. Il s'agit d'ailleurs d'autant de questions qui doivent être traitées dans le cadre de la négociation des accords.

Faut-il aller encore plus loin ? J'estime qu'une telle façon d'envisager le problème ne doit pas être négligée.

La troisième question concerne le problème posé par les déséquilibres qui peuvent exister entre le donneur d'ordres et le sous-traitant. Depuis des années, on observe qu'il y a une volonté d'externaliser les difficultés vers la sous-traitance. C'est un problème extrêmement grave.

Cela se traduit par un accroissement des inégalités entre salariés, y compris sur le plan des maladies professionnelles - problème très mal traité par ailleurs.

M. Gremetz a perçu ce problème, mais il le traite d'une manière que je considère non seulement insuffisante mais également totalement inefficace.

M. Thierry Mariani.

Ah !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

En effet, étant donné la complexité de ce problème, on ne pourra avancer sur la voie d'une solution que dans le cadre d'une négociation sociale réunissant autour d'une même table patronat et organisations de salariés.

M. Yves Nicolin.

Il fallait le faire pour les 35 heures !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

J'en donne pour preuve le fait que la France est le seul pays où il y a une inégalité de traitement dans la manière de gérer les paiements : paiement des clients à trente jours, paiement des fournisseurs à cent vingt jours. Une telle situation crée des disparités et entraîne des conséquences extrêmement graves.

M. Jacques Desallangre.

C'est le libéralisme !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Nous devons aborder ce sujet car c'est une des causes des graves difficultés auxquelles sont confrontées les petites et moyennes entreprises.

Et puisque le MEDEF demande depuis plusieurs mois une négociation sociale, je l'invite à se pencher sur un problème qui relève de sa compétence, qui relève d'un code de bonne conduite qu'il nous faudra bien établir.

J'ai examiné avec beaucoup d'attention le travail de M. Gremetz et je l'ai écouté de la même façon, même si, monsieur le président Lajoinie, j'ai soutenu que la commission ne devait pas présenter de conclusions. J'assume cette position qui, au demeurant, n'empêchait pas le débat ! La preuve, c'est que nous l'avons en ce moment !

M. François Goulard.

Quel talent !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

En tout cas, le fait de ne pas présenter de conclusions permet d'éviter d'aborder les articles d'une manière tronquée, d'une manière insuffisamment préparée.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Oh !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Monsieur Gremetz, je vous ai écouté. Laissez-moi exposer la façon dont je vois le problème.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Les organisations syndicales vont être contentes !


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M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Un tel processus permet tout de même d'interpeller le Gouvernement et de fixer un cadre à la discussion. Du reste, monsieur Gremetz, je souhaite que le Gouvernement fixe un calendrier. J'interroge Mme la ministre à ce sujet.

(« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Je sais que le Gouvernement est en train d'élaborer un texte relatif à la modernisation sociale (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) ,...

M. Thierry Mariani.

Allo ?

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Il en a plein !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... qui devrait être voté avant la fin de la session.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est le texte de 1997 !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Je souhaite, madame la ministre, que figure dans ce texte un chapitre concernant le problème que nous évoquons. Je souhaite également qu'au sein d'un groupe de travail, qu'au sein de la commission, qui assumera son rôle, qu'à travers une concertation encore plus large avec les organisations syndicales,...

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Il faut prendre ses responsabilités. Il ne faut pas raconter d'histoires. Si vous ne voulez pas, vous ne voulez pas !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... nous puissions prendre en compte non seulement certaines remarques de M. Gremetz, dont je salue le travail, mais aussi celles de M. Gorce, ainsi que les quelques propositions que je viens modestement de vous soumettre, parce que, comme vous, monsieur Gremetz, je sais que la recherche d'une réponse à ce problème est extrêmement difficile. Telle est, madame la ministre, la proposition très précise que je tiens à vous faire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le président Lajoinie, j'ai trop conscience de l'ampleur du problème, des difficultés sociales qu'il pose, j'ai trop vécu ce genre de situation en tant qu'élu du Nord, je me suis trop battu près des salariés pour traiter ce genre de problème avec désinvolture.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Oh !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Monsieur Gremetz, laissez-moi dire ce que j'ai envie de dire ! C'est un problème trop difficile pour se contenter de faire semblant.

M. Hervé Morin.

Faire semblant : voilà une formule qui pourrait s'appliquer à l'amendement Wolber !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Je souhaite, monsieur Lajoinie, que l'on aille jusqu'au bout de cette réflexion et de cette discussion. J'ai trop de respect pour le rôle de la majorité plurielle, à l'égard de laquelle je suis toujours à l'écoute - et M. Gremetz ne peut pas dire le contraire -, pour ne pas prendre la position que j'ai prise sans y avoir mûrement réfléchi.

Mme Jacqueline Fraysse.

Nous, nous réfléchissons, et eux, ils licencient !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

J'assume totalement cette position. (Exclamations sur divers bancs.)

Je considère que, dans ce domaine, un délai, accompagné d'un engagement du Gouvernement, nous permettra probablement d'aller de l'avant et d'être plus efficaces dans l'élaboration des réponses qui sont attendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce.

Monsieur le président, je souhaiterais, au nom du groupe socialiste, une suspension de séance d'un quart d'heure.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures quinze.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, votre assemblée est donc saisie ce matin, dans le cadre de l'ordre du jour complémentaire, d'une proposition de loi déposée par M. André Lajoinie et l'ensemble des membres du groupe communiste, destinée à revenir sur les conditions dans lesquelles s'opèrent les licenciements économiques.

M. Gremetz l'a souligné, une double préoccupation a motivé les auteurs de cette proposition de loi : la diminution des licenciements économiques, qui, chacun les vit dans sa circonscription, sont difficiles à supporter avec leur lot d'angoisses pour les salariés, et le recul du chômage.

Comme l'ensemble des membres de la majorité plurielle, le Gouvernement partage ces deux objectifs et souhaite que nous puissions continuer à travailler ensemble.

Le sujet est grave et mérite mieux que certaines critiques que nous avons entendues ce matin de la part de l'opposition.

Je pense d'ailleurs que ces mêmes députés ne tiennent pas le même discours lorsqu'ils sont, dans leur circonscription, face à des hommes et à des femmes qui sont licenciés. Je sais, pour avoir été auprès de la Lainière de Roubaix il y a quelques jours, auprès de Cerplex, auprès de Levis dans le Nord Pas-de-Calais ces dernières semaines, combien il est douloureux - je pense que tous les élus ici le ressentent comme moi - d'apprendre des licenciements. Parfois mal expliqués, ils suscitent en tout état de cause de nombreuses angoisses et de sérieuses difficultés. Ces hommes et ces femmes ont le sentiment de tomber dans un gouffre dont ils ont l'impression de ne pas pouvoir sortir, en tout cas rapidement.

Mais, le président de la commission ainsi que le rapporteur l'ont rappelé, le droit du licenciement est un domaine difficile et complexe.

Nous devons trouver les bonnes réponses à ces vrais problèmes et ce n'est pas toujours facile. Les partenaires sociaux en débattent depuis des années. Rappelons-nous les accords interprofessionnels de 1969 qui ont mis en p lace l'autorisation administrative de licenciement.

Celle-ci n'a pas réglé les problèmes puisque 95 % des licenciements étaient autorisés. Puis nous sommes passés


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sous le contrôle du juge et nous avons, André Lajoinie le rappelait tout à l'heure, amélioré la législation, notamment grâce à la loi de 1993, même si des progrès restent à faire à propos du contrôle du plan social.

Il nous faut donc, sur un sujet aussi délicat et douloureux, trouver ensemble des solutions, des solutions qui ne se retournent pas à moyen terme contre les salariés.

Nous ne devons commettre d'erreur ni sur le diagnostic ni sur le remède à apporter. Nous serons jugés, bien sûr sur les améliorations apportées à court terme aux hommes et aux femmes concernés par les licenciements, mais aussi sur les avancées à moyen terme pour ne pas risquer un dur retour de bâton.

Pour cela, il nous faut éviter le licenciement chaque fois que c'est possible, compenser et réparer ses effets quand il ne peut pas être évité. Telles sont d'ailleurs les priorités de l'action que le Gouvernement a menée depuis deux ans et demi, ainsi que Jean Le Garrec l'a rappelé.

Ces orientations - prévention, reclassement - ne sont pas encore assez présentes dans la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, car ses auteurs ont choisi de se centrer avant tout sur la procédure de licenciement collectif pour motif économique. Je souhaite donc que nous continuions à y travailler. Et il ne s'agit pas là pour le Gouvernement d'éluder la question ou de temporiser.

Nous sommes attendus sur ce sujet, toute la majorité plurielle en est consciente aujourd'hui. D'ailleurs, tous ceux qui sont intervenus l'ont dit très clairement.

Le Gouvernement n'est pas resté inactif depuis deux ans et demi. Je rappellerai rapidement l'action qu'il a entreprise pour limiter les licenciements.

Elle a consisté d'abord à prévenir les licenciements.

Il s'est agi en premier lieu de tout faire pour que l'environnement économique soit favorable aux entreprises et que des emplois puissent être créés. Par des politiques volontaristes, nous avons voulu non seulement relancer la croissance mais l'enrichir en emplois. Certes les licenciements restent encore trop nombreux. Mais les résultats sont là : depuis deux ans et demi, un million d'emplois ont été créés et le nombre de chômeurs a reculé de 513 000.

La prévention, c'est en second lieu, lorsque l'entreprise connaît des difficultés économiques, tout mettre en oeuvre pour éviter le licenciement. Notre objectif, comme le vôtre, est que la réduction de la durée du travail s'inscrive clairement dans la recherche prioritaire des reclassements internes. Depuis le vote de la première loi, 450 000 entreprises ont utilisé les accords de 35 heures pour limiter les licenciements et 22 000 ont pu être ainsi évités.

Trois plans sociaux sur quatre sont accompagnés de négociations sur la réduction du temps de travail. C'est cette procédure incitative que l'Assemblée a voulu rendre obligatoire en adoptant l'amendement « Michelin ».

Il est apparu que 40 % des licenciements prévus ont été évités. Quarante-sept pour cent des conventions défensives ont permis d'éviter tous les départs prévus dans une procédure de licenciement économique et 46 % d'entre elles ont mis en oeuvre d'autres mesures d'accompagnement pour limiter le reste des licenciements prévus. De fait, 93 % des conventions signées ont évité tous les licenciements prévus.

La seconde loi sur la réduction de la durée du travail avait prévu de généraliser cette procédure. Cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel, non à cause du fond...

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est ce que j'ai dit.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... mais parce qu'il y avait très certainement matière à améliorer les procédures et les délais.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est ce que nous proposons ici.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous y travaillons avec l'auteur de cet amendement et l'ensemble des groupes.

Le deuxième axe de l'action du Gouvernement a été de responsabiliser les entreprises. Je ne suis pas sûre que chacun ici partage ce point de vue, mais, à mon sens, le motif économique appartient à l'entreprise, à condition qu'elle en prenne toutes les responsabilités.

M. Jacques Desallangre.

Surtout quand elle est prospère !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous ne pouvons accepter que des entreprises qui font des profits et qui licencient demandent à la collectivité de payer pour ces licenciements...

M. Jacques Desallangre.

Il ne faut pas licencier !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et se désintéressent du sort des salariés. Elles doivent contribuer à leur reclassement, soit par mouvements internes, soit par la reconversion des bassins d'emploi, soit par l'aide à la création d'entreprise, soit par la formation.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Que fait Michelin ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il faut accompagner les entreprises en difficulté. Quand elles n'en ont pas et qu'elles décident néanmoins pour des raisons stratégiques de réduire leurs effectifs, elles doivent prendre leurs responsabilités. Car il n'y a pas de liberté sans responsabilité. On nous le dit suffisamment à propos d'autres domaines...

M. Thierry Mariani.

C'est le même principe pour la justice !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Justement, monsieur Mariani, vous devriez l'appliquer aux licenciements, mais ce n'est pas ce que vous avez fait tout à l'heure.

Dès mon arrivée, je me suis opposée à ce que l'Etat finance les préretraites dans les entreprises bénéficiaires en leur demandant de les financer elles-mêmes. Nous avons ainsi cessé de financer les plans sociaux dans l'industrie automobile, la situation économique ne justifiant plus que l'Etat lui verse un milliard par an comme c'était le cas depuis dix-sept ans.

D'autre part, le mécanisme de la contribution Delalande a été renforcé car les licenciements « secs » devenaient plus avantageux que les préretraites FNE pour les entreprises. C'est à l'initiative du groupe communiste que les exonérations qui permettaient de contourner cette contribution ont été supprimées.

En outre, nous avons donné des instructions pour que les grands groupes contribuent à compenser dans les bassins d'emploi les conséquences de leurs restructurations.

C'est un domaine encore insuffisamment pris en compte sur lequel nous devons poursuivre notre réflexion.

Au total, cette politique - conjuguée il est vrai aux effets de la conjoncture économique - a permis de réduire le nombre des plans sociaux. En 1996, 1 888 plans sociaux ont été notifiés à l'administration, en 1998, 1 215. De 312 000 en 1997, le nombre des licenciements économiques est passé à 251 000 en 1998.


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M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Et en 1999 ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous n'avons évidemment pas encore les chiffres sur l'ensemble de l'année, mais ils diminuent par rapport à 1998.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Pour le premier semestre, non !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pourtant, il reste trop de licenciements qui ne sont pas liés à des raisons économiques à court ou à moyen terme. Il reste trop de plans sociaux qui ne permettent pas aux salariés de retrouver leur place dans la société alors que les entreprises auraient les moyens de les y aider. C'est sur ces deux terrains que nous voulons intervenir et non pas seulement sur la procédure de licenciement économique.

Les salariés, nous l'avons tous dit, ne doivent pas être la variable d'ajustement des entreprises, encore moins un élément marketing pour faire monter l'action en bourse comme nous l'avons vu dans certaines annonces symboles qui ont choqué les Français. Comment devons-nous agir pour éviter cela ? Je le dis comme je le pense, je ne crois pas qu'il faille s'attacher uniquement à la procédure de licenciement économique, je m'en suis déjà entretenue avec le rapporteur.

L'article 1er de la proposition de loi modifie la définition du motif économique du licenciement en précisant qu'il n'est justifié que lorsque « les difficultés économiques n'ont pu être surmontées par la réduction des coûts autres que salariaux ». Mais je ne suis pas sûr que la situation des salariés se trouve améliorée par une telle disposition. Aujourd'hui, le juge vérifie si les licenciements sont justifiés par la situation économique, et ce n'est pas son rôle, à mon sens, de se prononcer sur l'action qu'aurait dû avoir le chef d'entreprise. Cela reviendrait à dire que les licenciements ne peuvent avoir lieu que lorsque l'entreprise est au bord du gouffre. Nous risquerions alors d'entraîner des licenciements plus importants encore.

Vous connaissez la jurisprudence liée à la loi de 1993.

Dans un arrêt de 1999, la Cour de cassation a considéré que ni la réalisation d'un chiffre d'affaires moindre ni la baisse de bénéfices ne suffisaient à caractériser la réalité des difficultés économiques alléguées par l'employeur.

Elle a encore estimé qu'une réorganisation de l'entreprise qui n'est pas liée à des difficultés économiques ne peut constituer une cause du licenciement qu'à la condition qu'elle soit effectuée pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et non en vue d'augmenter les profits et de remettre en cause une situation trop favorable au salarié.

Mais si des garde-fous existent, il ne faut pas oublier que certaines entreprises passent à travers les mailles du filet. Il nous faut donc encore travailler, ce que le Gouvernement compte bien faire, après avoir entendu les représentants de tous les groupes de la majorité. Quant à l'opposition, elle ferait mieux de ne pas gloser sur cette question, d'autant qu'en cette période de retour de la croissance les licenciements paraissent encore plus douloureux.

Et nous sommes prêts à travailler dans les plus brefs délais avec l'ensemble de la majorité plurielle. Nous devons être capables d'apporter une réponse aux deux questions importantes que les uns et les autres nous avons soulevées : comment éviter les licenciements qui ne sont pas réellement justifiés par des motifs économiques ? Comment faire en sorte, lorsque ces licenciements ne peuvent être évités, que les salariés puissent retrouver une place dans la société et que l'entreprise en prenne la responsabilité quand elle en a les moyens ? C'est ensemble, avec les partenaires sociaux, - votre rapporteur a rappelé que la discussion avec eux avait apporté des modifications à sa première proposition de loi - que nous arriverons à trouver les bonnes solutions.

En dehors des axes que je viens d'évoquer, il importe de développer la gestion prévisionnelle des compétences et la formation. Nous sommes un des rares pays où des salariés peuvent travailler trente ou trente-cinq ans dans une entreprise, sans bénéficier, à aucun moment, des moyens de s'adapter aux nouvelles technologies, aux nouveaux métiers. Ce n'est pas un sujet sans lien avec le problème des licenciements. La réforme de la formation professionnelle, que prépare actuellement Nicole Péry, permettra de prendre en compte cette dimension pour une meilleure adaptation aux évolutions technologiques, sans oublier le rôle des instances du personnel en la matière.

Nous devons ensuite faire en sorte que les salariés qui ont commencé à travailler tôt et dans des conditions pénibles puissent partir en préretraite et être remplacés par des jeunes. Dans quelques jours, après l'accord définitif de la Commission européenne, le décret concernant ce dispositif sera publié.

M. Alain Néri.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Enfin, il faudra revenir à l'amendement d'Odile Saugues visant à généraliser les négociations sur les 35 heures en amont du plan social. Le Gouvernement reprendra cette disposition votée par l'ensemble de la majorité plurielle, afin d'y apporter les précisions demandées par le Conseil constitutionnel. Et je répète pour ceux qui ne l'auraient pas compris que celui-ci n'a pas remis en cause le fond même de cette mesure, il a simplement estimé qu'elle était insuffisamment articulée avec la procédure de licenciement économique.

Nous avons déjà travaillé les uns et les autres sur les différentes pistes que je viens d'évoquer, MM. Lajoinie, Gremetz, Gorce et Le Garrec l'ont montré ce matin.

Mais nous n'avons pas achevé notre réflexion.

Je le répète, notre souhait n'est pas d'éluder la question. Le Gouvernement s'engage au contraire devant vous à y revenir lors de l'examen du projet de la loi sur la

« modernisation sociale » qui sera déposé dans quelques jours sur le bureau de votre assemblée. Ce projet comportera également un volet formation avec une réforme de la validation des acquis professionnels et un volet sur les emplois précaires.

Mesdames, messieurs les députés, rien ne serait pire que d'apporter des réponses qui se retourneraient à terme contre les salariés. L'action menée par le Gouvernement depuis deux ans et demi a porté ses fruits mais il est conscient, comme vous, que des progrès restent à accomplir, car les Français ne comprennent pas certains licenciements. Nous souhaitons parvenir à un texte plus large, monsieur Gremetz...

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

C'est la première fois qu'on me dit ça !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... moins centré sur la procédure, et qui prendrait en compte la prévention comme l'aide au reclassement. C'est pourquoi je vous propose de ne pas passer à la discussion des articles - l'opposition ne pourra d'ailleurs plus gloser.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

Nous nous retrouverons très vite, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la modernisation sociale, afin de trouver ensemble les meilleures solutions pour diminuer le nombre des licenciements dans notre pays. Certains restent inacceptables, tous sont douloureux.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention toutes les demandes visant à ne pas légiférer sur la question des licenciements économiques. J'aimerais maintenant y répondre, car on ne peut pas dire tout et n'importe quoi, une chose et son contraire.

Mme Odette Grzegrzulka.

Vous êtes grossier !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Non, je ne suis pas grossier du tout ! Assez de provocations ! Ce sujet est suffisamment important...

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

... pour qu'on discute !

M. le président.

Mes chers collègues, évitons ces débats particuliers !

M. Maxime Gremetz.

Madame la ministre, vous dites qu'il faut prendre le temps de légiférer. Mais je citerai les propos de M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. Il n'évoquait alors pas tous les licenciements, mais les licenciements collectifs, auxquels précisément nous avons voulu limiter notre proposition car depuis toujours, dans la majorité plurielle, nous disons qu'il y a un problème avec les licenciements économiques non justifiés et la multiplication des plans sociaux. « Dès mon arrivée - disait-il - j'ai été confronté aux consé quences du conflit de l'usine de Vilvorde. Je ne souhaite pas que cette situation se reproduise. Le plan social ne doit être qu'une solution de dernier recours, envisagée au terme d'une véritable négociation. C'est pourquoi j'ai demandé au ministre de l'emploi et de la solidarité de réexaminer la législation en matière de licenciements économiques » - comme je suis un bon élève de M. Jospin, je me suis limité au mandat qu'il avait donné à la majorité plurielle - « afin que celle-ci ne puisse conjuguer précarité pour les salariés et incertitudes juridiques pour les entreprises. Sur la base de son rapport, le Gouvernement présentera un projet de loi à l'approbation du Parlement. »

C'était en 1997. Et depuis combien de plans sociaux ont-ils été mis en oeuvre ? Il y a eu des centaines de milliers de licenciements économiques ! Donc, comme vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, madame la ministre, lors de la discussion de la loi contre les exclusions : il faut légiférer ! Pour votre part, il faut le reconnaître, avant de déposer notre proposition de loi de vingt-sept articles, nous avons travaillé avec toutes les organisations syndicales, avec tous les juristes du droit du travail et les inspecteurs du travail.

Vous nous avez répondu, monsieur Le Garrec, que ces vingt-sept articles, qui auraient pu régler tous les problèmes, ne pouvaient être examinés dans le cadre de la

« niche parlementaire », et c'est compréhensible. Nous avons donc déposé ce texte, car nous ne sommes pas pour la politique du « tout ou rien » et nous considérons qu'il y a urgence. En effet, vous avez donné des chiffres, madame la ministre, mais moi j'ai ceux du premier semestre 1999, et que nous disent-ils ? Si en 1998, il y a eu 1 200 plans de licenciements collectifs,...

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Aujourd'hui, nous en sommes à 1 000 !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

... on en comptait 7 00 pour le seul premier semestre de 1999, soit 1 400 pour l'année si l'on suit ce rythme, c'est-à-dire que leur nombre augmente par rapport à 1998. Et ce sont des chiffres officiels qui sont vérifiables ! Je n'invente rien ! J'ai des petites fiches et quand j'avance quelque chose, je vous donne toujours les références.

Mme Jacqueline Fraysse. Et Moulinex !

M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Là, en l'occurrence, ces chiffres ont été tirés de la revue Alternatives économiques.

Je vous donne cette référence officielle pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.

Vous ne pouvez nous dire qu'il faut commencer à travailler aujourd'hui sur les licenciements économiques.

Comme si on ne l'avait pas fait depuis deux ans ! Annoncer cela c'est manifester un manque de respect pour tous les gens qui se sont penchés sur la question.

Vous nous expliquez, monsieur Gorce, que nos propositions ne coïncident pas avec celles du groupe socialiste.

Mais j'ai cherché partout les vôtres sur ce sujet et je n'en ai pas trouvé trace ! Il y a engagement du Gouvernement, du Premier ministre. M. Jospin se trompe quand il dit, au lendemain des licenciements économiques auxquels a procédé la société Michelin, « On n'y peut rien », mais il a raison quand il affirme qu'il faut légiférer, comme il le fait dans tous ses discours. Et s'il n'y avait pas urgence, madame la ministre, pourquoi nous aurait-on « bassinés » - excusez l'expression ! - avec l'amendement Michelin dans le cadre de la seconde loi sur les 35 heures ? Le Conseil constitutionnel n'a pas mis en cause cet amendement sur le fond.

Il l'a invalidé au motif que ses objectifs et ses conséquences n'étaient pas suffisamment précisés.

Vous vous gardez bien d'évoquer le fond de la proposition de loi parce que vous ne voulez pas aujourd'hui réintroduire l'amendement Michelin, comme le Conseil constitutionnel nous le permet, pour que les salariés puissent en profiter immédiatement. Soyons clairs ! Et, pour vous justifier, vous évoquez le dépôt d'un projet de loi. Mais il y a urgence car les plans sociaux se multiplient ! Je pense à Moulinex, à Dunlop à Amiens - les salariés seront là cet après-midi -, à Goodyear ! Par ailleurs, madame la ministre, vous êtes en divergence avec les juristes et la jurisprudence lorsque vous estimez que seul l'employeur est juge de la validité du plan économique.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Sous le contrôle du juge ! M. Maxime Gremetz. Or les employeurs invoquent aujourd'hui les difficultés économiques, technologiques, les « nécessaires » restructurations pour justifier les licenciements. Comme Michelin, par exemple, qui fait 2 milliards de profits, mais licencie 7 500 salariés pour que le cours en bourse flambe. Ou encore Dunlop, qui veut imposer les « 5 x 8 » alors que vous leur avez déjà accordé une dérogation, madame la ministre, pour permettre le travail le samedi et le dimanche. Ils sont en complète contradiction. Les salariés sont en grève depuis sept jours, mais la direction refuse de négocier parce qu'elle pense obtenir une nouvelle dérogation du ministère du travail.

Eh bien non ! Ça ne peut pas marcher comme ça ! Dès lors, que proposons-nous sur le fond ? En fait, notre proposition vise à instaurer, en amont, comme vous le souhaitez, une discussion contradictoire, c'est-à-dire à laquelle participent les employeurs, mais aussi les organisations syndicales, sur la réalité des motifs économiques


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

du licenciement annoncé. En outre, nous proposons que le salarié puisse avoir un recours, qu'un référé soit possible. En effet, prenons l'exemple de Yoplait à Amiens. Il y a eu appel et, six mois après les licenciements, les prud'hommes ont estimé que le motif économique n'était pas valable et que les salariés devaient être réintégrés. Le problème, c'est qu'il n'y avait plus d'entreprise ! Il faut donc agir en amont et c'est ce que nous proposons.

Quant aux autres dispositions, elles visent tout simplement - j'insiste là-dessus - à intégrer la jurisprudence dans la loi et à en élargir le champ à l'ensemble des salariés. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur Le Garrec, il n'y a pas partout des organisations syndicales, des plans sociaux, etc. Mais justement, la loi a ce mérite de donner des droits aux salariés, et des droits quis'appliquent dans toutes les entreprises, petites et grandes ! Si vous voulez que l'on élargisse le dispositif aux entreprises de moins de vingt salariés, je suis d'accord. Il me semblait que le Premier ministre visait particulièrement les grandes entreprises qui faisaient des profits et qui licenciaient, mais si vous voulez que l'on traite des petites entreprises, je suis d'accord, il n'y a pas de problème ! Déposez un amendement, nous en discuterons et nous le voterons, monsieur Le Garrec. Mais on ne peut pas prendre prétexte des imperfections de ce texte - qui est parfait ? - pour dire qu'il faut encore travailler, etc. Non ! Ce qu'il faut faire c'est discuter les articles, déposer des amendements, enrichir le texte, ou même éventuellement voter contre. Mais, madame la ministre - je vous le dis au nom du groupe communiste, et je sais que vous l'avez entendu -, il n'est pas acceptable qu'un groupe de la majorité, seul contre tous les autres groupes de l'Assemblée nationale, décide que l'on ne discutera pas des articles de cette proposition.

M. Thierry Mariani.

Tout à fait ! Ce n'est pas normal !

M. Maxime Gremetz.

Le groupe communiste fait pourtant partie de la majorité plurielle, madame la ministre, et vous en avez bien besoin de temps en temps ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Or vous prétendez vouloir légiférer sur les licenciements, mais sur vos bases, pas sur les nôtres ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Ce n'est pas sérieux ! C'est un diktat, et personne ne peut accepter les diktats dans ce domaine.

C'est pourquoi je vous demande, au nom du groupe communiste, de revoir votre position. Je l'ai dit, il y a une vraie attente chez les salariés, pour lesquels il y a urgence ! Ils nous regardent. L'amendement Michelin, qui a créé beaucoup d'espoirs, a été liquidé par le Conseil constitutionnel. Cela a suscité un sentiment d'abandon et un certain fatalisme face aux licenciements. Voilà pourquoi il faut vraiment engager la discussion. La diversité l'impose. La droite n'est pas d'accord avec le contenu de la proposition de loi, mais je suppose qu'elle sera d'accord pour en discuter (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), parce que le débat républicain est nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

J'admets parfaitement que l'on se passionne pour un tel sujet, mais je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur nos intentions.

Lorsque le groupe communiste dépose un texte, j'ai une propension naturelle - je crois l'avoir suffisamment démontré - à le considérer avec beaucoup d'attention parce que ce groupe fait partie de la majorité plurielle, que sa sensibilité, produit d'une histoire, rejoint souvent la mienne et parce que j'ai pour habitude de m'intéresser aux problèmes concernant des sujets aussi sensibles. Je ne suis donc pas du tout d'accord avec votre appréciation, monsieur Gremetz. Il n'y a pas de « diktat » et il n'y en a jamais eu depuis deux ans et demi ! Chaque fois que nous avons eu des difficultés, nous nous sommes toujours efforcés, et le groupe communiste le sait très bien, de discuter et de négocier pour aboutir à des solutions. C'est ce que j'ai proposé à la commission de faire et je suis satisfait de la réponse apportée par Mme la ministre : il est vrai que c'est un sujet difficile et que beaucoup de travail a déjà été fait sur le plan du code du travail, mais nous devons reposer l'ensemble du problème. Et Mme la ministre a garanti aux membres de la majorité plurielle que cette discussion ne serait pas renvoyée à plus tard, qu'elle aurait lieu très précisément dans le cadre d'un texte de modernisation sociale qui sera déposé par le Gouvernement et voté avant la fin de la session, du moins si l'Assemblée nationale le veut bien. Le cadre est parfaitement tracé. Par ailleurs, Mme la ministre a aussi eu le souci de définir très clairement les données du problème,...

M. Francis Delattre.

Baratin !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

... qu'il s'agisse de la prévention, du coût du plan social ou de la protection des salariés. Reste un problème extrêmement préoccupant qui, à mon avis, ne relève pas du code du travail, celui des relations entre le donneur d'ordre et l'entreprise sous-traitante, c'est-à-dire l'externalisation des difficultés sur les petites et moyennes entreprises.

Je suis sensible à ce que dit M. Gremetz. Mais examinons attentivement le texte qui nous est proposé : il ne règlerait en rien le problème des salariés de Moulinex ! Il n'aurait aucun effet, car toutes les procédures requises ont été suivies.

Moulinex a négocié un plan défensif sur les 35 heures et les difficultés économiques rencontrées correspondent à l'appréciation figurant à l'article 1er de la proposition.

Il faut éviter de faire semblant de régler des problèmes quand on ne leur apporte pas de solution ! Nous sommes confrontés à une difficulté parce que le juge ne dispose pas des moyens lui permettant d'apprécier les raisons économiques du licenciement. Ce problème ne peut être réglé que par une réflexion d'ensemble non seulement sur la hauteur du plan social, mais également sur la politique de l'emploi dans une région ou un bassin d'emplois. C'est ainsi que nous devons procéder.

M. Francis Delattre.

Baratin !

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Monsieur le rapporteur, vous vous êtes exprimé au nom d'un groupe que l'on écoute toujours avec attention. Vous avez fait un travail de consultation de qualité, mais je considère que le problème doit être posé dans toutes ses dimensions, avec rigueur et selon un calendrier établi par Mme la ministre. Cela dit, ce n'est qu'une discussion qui s'arrête aujourd'hui, la question sera examinée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


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Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Sur le vote sur le passage à la discussion des articles, j'indique qu'il y aura un scrutin public à la demande du groupe communiste.

Je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin, de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe communiste.

M. Alain Bocquet.

Les licenciements économiques qui se poursuivent ou sont annoncés, comme chez Moulinex, mettent en cause l'efficacité de la politique de la gauche en ce qui concerne tant la création d'emplois que la lutte contre l'exclusion. La politique de l'emploi et le droit au travail sont trop importants en termes d'intérêt économique national et de liberté pour être dictés par les marchés financiers et la recherche du profit immédiat.

Parce que la prévention des licenciements est une question d'urgence, le groupe communiste a inscrit dans sa

« fenêtre » parlementaire une proposition de loi relative au régime juridique des licenciements pour motif économique, une semaine après avoir fait adopter, à l'initiative de Robert Hue, sa proposition de contrôle de l'utilisation des fonds publics au regard de l'emploi.

Notre nouvelle proposition vise, à donner notamment par la démocratie et la transparence, aux salariés et à leurs élus, dans les entreprises sous-traitantes et donneuses d'ordre une responsabilité citoyenne pour mettre fin aux abus, garantir un véritable plan social et une obligation de reclassement. Nous n'acceptons pas que l'on nous oppose l'archaïque article 94 de notre règlement pour empêcher qu'il en soit débattu ! Les députés communistes et apparentés souhaitent que la discussion soit menée à son terme et regretteraient fortement que les articles de leur proposition de loi ne soient pas examinés.

Quoi qu'il en soit, notre initiative a le mérite de contribuer à approfondir le débat, tout en soulignant la nécessité d'aller au fond du problème pour opposer des mesures concrètes à la toute puissance patronale. Il y a toujours urgence à légiférer sur les licenciements économiques, notamment après la censure de l'amendement Michelin par le Conseil constitutionnel. Le licenciement est-il tolérable quand les bénéfices de l'entreprise sont en expansion ? Ne doit-il pas être l'ultime recours et non le facteur exclusif d'adaptation ? En toute hypothèse, le chantier reste ouvert. Vous avez vous-même souligné, madame la ministre, que des progrès étaient à faire. Moulinex est là pour nous rappeler qu'il y a urgence. Une grande bataille populaire doit s'amplifier sur ces questions dans les prochains mois. Les députés communistes auront à coeur d'y participer pour que les salariés se saisissent de ce dossier majeur et contribuent par leur mobilisation à faire instaurer une nouvelle législation protectrice de leurs droits. Au nom du groupe communiste, j'ai demandé un scrutin public sur le vote sur le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Pour le groupe du Rassemblement pour la République, la parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu'il n'y ait aucune ambiguïté : nous sommes contre les mesures proposées. Mais ce texte a au moins l'avantage d'exister et de provoquer un débat. Il soulève un vrai problème, même si nous ne partageons pas les solutions. Et le groupe du Rassemblement pour la République souhaite le passage à la discussion des articles pour deux raisons : l'une de principe, l'autre de méthode.

D'abord, une raison de méthode. Vous nous avez expliqué non sans brio, madame la ministre, que pour le texte sur les licenciements, on verrait plus tard ! Pardonnez-moi, mais cela ressemble un peu trop à ce que l'on commence à appeler la « méthode Jospin », qui consiste à botter en touche en permanence. Les retraites, on fait des rapports mais on verra plus tard ; le statut des élus, on fait des rapports mais on verra plus tard ; les textes sur les licenciements, on peut en discuter mais on verra plus tard.

Plusieurs députés du groupe socialiste. La justice, on peut en discuter...

M. Thierry Mariani. La justice et la responsabilité des magistrats, on dépose le texte mais on verra plus tard.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous voyez où cela nous a menés ! Cette méthode-là, nous ne pouvons pas la partager. Il est temps que cette majorité aborde les vrais problèmes et cesse de les renvoyer à plus tard.

Une raison de principe, ensuite, à mes yeux encore plus importante. J'estime que les niches parlementaires sont trop rares, trop rares pour chaque groupe. Elles nous donnent en effet l'occasion de débattre de sujets comme celui-ci, même si nous n'approuvons pas les solutions proposées. Qu'il s'agisse de textes émanant de l'opposition ou d'un groupe de la majorité, quel qu'il soit, votre majorité, madame la ministre, devrait donc permettre à la discussion d'aller jusqu'à son terme.

Voilà les deux raisons essentielles pour lesquelles le groupe du Rassemblement pour la République souhaite le passage à l'examen des articles. J'y ajouterai le fait que nous déplorons, de la part du groupe socialiste, une certaine incohérence. Même si nous ne partageons pas, j'y insiste, les solutions proposées par le groupe communiste, celui-ci a au moins le mérite de suivre une démarche cohérente. Mais vous, mesdames et messieurs du parti socialiste, vous avez voté, à grand bruit, au mois de décembre, l'amendement Michelin, qui a connu le destin que l'on sait devant le Conseil constitutionnel.

Mme Odette Grzegrzulka. Grâce à vous ! M. Thierry Mariani. Aujourd'hui, vous avez l'occasion d'examiner à nouveau ce problème. Alors pourquoi, madame la ministre, le remettre à plus tard une fois de plus ? Décidément, les effets de manche de décembre ne sont pas suivis par l'affirmation d'une volonté en janvier !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous n'avez pas voté cet amendement, que je sache !

M. Thierry Mariani.

En tout cas, parce que nous sommes, par principe, fovorables à la discussion, nous souhaitons que celle-ci se poursuive.

(Applaudissements sur


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les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie librale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Rome, au nom du groupe socialiste.

M. Yves Rome.

Répondant à une juste interpellation du groupe communiste et de Maxime Gremetz, le groupe socialiste s'est exprimé largement par l'intermédiaire de Gaëtan Gorce, en posant à Mme la ministre de véritables questions pour la poursuite de la discussion sur un sujet, ô combien difficile et délicat. C'est en effet une nécessité si l'on veut confirmer le retour de la confiance sociale dans les actes de ce gouvernement.

Maxime Gremetz a eu raison de poser ces problèmes, mais il l'a fait de manière incomplète, parcellaire. Il est de notre devoir, il est important, parce qu'il est juste, de ne pas laisser croire que les problèmes décrits clairement et précisément par Maxime Gremetz trouveraient une solution claire et précise au moyen d'une simple proposition de loi.

(Exclamations sur les bancs du groupe communiste.) M. Maxime Gremetz, rapporteur.

Si le Parlement ne sert à rien, il faut le dissoudre !

M. Yves Rome.

Les questionnements de Gaëtan Gorce évoquant les grandes difficultés que rencontrent les travailleurs d'Epeda, les justes propositions de Jean Le Garrec visant à traiter plus globalement les problèmes, et la réponse très précise de Mme la ministre, qui n'a pas voulu éluder le débat, mais au contraire l'approfondir et l'engager sur des bases sérieuses, montrent que nous avons des objectifs beaucoup plus larges. Réduire le nombre des licenciements non justifiés, améliorer la qualité des plans sociaux, prévenir les licenciements économiques par un travail plus en amont sur la formation et la validation des acquis, réintroduire dans la loi l'efficience de l'amendement Michelin, tel qu'Odile Saugues l'avait voulu, ce sont là de bonnes pistes, madame la ministre, et les engagements que vous avez pris en réponse aux demandes très précises de Gaëtan Gorce nous donnent satisfaction. Assuré que le Gouvernement, dans le cadre d'une loi de modernisation sociale, avancera des propositions sérieuses et efficaces pour lutter contre ce réel fléau,...

M. Thierry Mariani.

On ne sais pas quand !

M. Yves Rome.

... le groupe socialiste conclut à la nonpoursuite de la discussion, telle que l'a engagée le groupe communiste.

(« Quels démocrates ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe UDF.

M. Hervé Morin.

Mes chers collègues, le groupe UDF votera pour le passage à la discussion des articles, comme le groupe RPR et comme le groupe DL, je suppose, mais je lui laisse le soin de l'annoncer.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous êtes d'accord pour une fois : ça fait plaisir ! M. Hervé Morin Notre vote est justifié par une seule et unique raison : le constituant a modifié, en 1995, notre Constitution et, par là même, le règlement de l'Assemblée pour créer les niches parlementaires. Nous estimons donc que la mise en oeuvre systématique de l'article 94, que la proposition de loi émane du groupe communiste ou de l'opposition, est totalement contraire au principe même de cette création.

Que nous soyons opposés au contenu du texte, cela ne fait aucun doute. En revanche, nous considérons que la discussion doit aller jusqu'à son terme, c'est-à-dire inclure l'examen des articles.

M. Pierre Carassus.

Il a raison !

M. Hervé Morin.

Il ne sert à rien d'avoir modifié la Constitution et le règlement de l'Assemblée si, in fine, chaque proposition de loi émanant de l'opposition ou du groupe communiste est enterrée dès la clôture de la discussion générale.

Afin de respecter la volonté du constituant et celle du président Séguin (« Ah ! », sur les bancs du groupe socialiste), qui est à l'origine de la modification du règlement, nous voterons pour le passage à l'examen des articles.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour le groupe DL.

M. François Goulard.

Maxime Gremetz sait notre opposition au texte qu'il propose à l'Assemblée, il n'y a aucune ambiguïté à cet égard. Mais, comme l'ont expliqué M. Mariani et M. Morin à l'instant, le comportement d'une partie de la majorité pose un vrai problème de procédure parlementaire. En effet, chers collègues socialistes, il est anormal qu'en utilisant abusivement l'article 94 de notre règlement, vous mettiez fin brutalement à un débat qui s'engage dans le cadre d'une niche parlementaire. C'est nier toute valeur à l'initiative parlementaire, dont on sait qu'elle est insuffisamment présente dans l'ensemble de nos travaux. Pour le principe, et en fustigeant une utilisation détournée du règlement, nous sommes donc farouchement hostiles à l'interruption prématurée du débat sur cette proposition de loi.

En outre, nous constatons que si le Gouvernement et une partie de sa majorité refusent absolument de débattre d'une question essentielle, d'une question douloureuse qui touche tant d'hommes et de femmes de ce pays, c'est tout simplement parce que la position qu'ils doivent prendre sur le licenciement provoque en leur sein un profond malaise. Ce malaise, nous l'avons constaté lorsque le Premier ministre, il y a quelques mois, à propos de l'affaire Michelin, a d'abord expliqué à la télévision, devant l'ensemble de nos concitoyens, que l'Etat, malheureusement, n'y pouvait rien...

Mme Nicole Bricq.

Il n'a pas dit cela !

M. François Goulard.

... puis, voyant qu'au sein de sa majorité et de son électorat, ces réalités-là passaient mal, a tenté de faire machine arrière en habillant une position qui est pourtant la sienne.

Nous comprenons que le Gouvernement et le parti socialiste soient spécialement mal à l'aise face à la proposition du groupe communiste. Mais nous dénonçons leur absence de courage politique (« Pas vous ! Pas ça ! » sur les bancs du groupe socialiste), ce courage qui voudrait qu'ils nous disent quelles sont réellement leur analyse et leur position face à la question du licenciement, au-delà de mots comme « régulation économique », qui ne sont qu'un habillage facile et ne recouvrent aucune réalité.

Nous voudrions que vous ayez le courage de vous expliquer vraiment. Vous ne l'avez pas. Vous n'aurez pas notre accord pour cette dérobade.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

M. le président.

Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir regagner les places.

Je vais maintenant mettre aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin sur le passage à la discussion des articles : Nombre de votants ...................................

189 Nombre de suffrages exprimés .................

186 Majorité absolue .......................................

94 Pour ..........................................

70 Contre .......................................

116 L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président.

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 10 février 2000 inclus a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Discussion : après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2012, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ; après déclaration d'urgence du projet de loi organique, no 2013, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la NouvelleCalédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna : M. Bernard Roman, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2103) ; Mme Odette Casanova, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information no 2074) ; Discussion générale commune.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

ORDRE DU JOUR ÉTABLI EN CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS (Réunion du mardi 25 janvier 2000) L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra du mardi 25 janvier au jeudi 10 février 2000, a été ainsi fixé : Mardi 25 janvier 2000 : Le matin, à neuf heures : Discussion de la proposition de loi de M. André Lajoinie, relative au régime juridique des licenciements pour motif économique (nos 2057-2102).

(Ordre du jour complémentaire) L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Discussion du projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (nos 2012-2103-2074).

Discussion du projet de loi organique tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la NouvelleCalédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'ass emblée territoriale des îles de Wallis-et-Futuna (nos 2013-21032074).

(Ces deux textes faisant l'objet d'une discussion générale commune.)

Mercredi 26 janvier 2000 : L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement et l'éloge funèbre de Roland Carraz, et le soir, à vingt et une heures : Suite de l'ordre du jour de la veille.

Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l'élection des sénateurs (nos 1742-2031).

Jeudi 27 janvier 2000 : L'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : Suite de l'ordre du jour de la veille.

Mardi 1er février 2000 : Le matin, à neuf heures : Questions orales sans débat.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce (no 735).

Discussion du projet de loi modifiant la loi no 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (nos 1821-2101).

Mercredi 2 février 2000 : L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion du projet de loi modifiant la loi no 84610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (nos 1821-2101).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

Jeudi 3 février 2000 : Le matin, à neuf heures : Déclaration du Gouvernement sur les conséquences et les suites des intempéries et de la marée noire qui sont intervenues fin décembre 1999 et débat sur cette déclaration.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion du projet de loi modifiant la loi no 84610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (nos 1821-2101).

Mardi 8 février 2000 : Le matin, à neuf heures : Discussion de la proposition de loi de M. Philippe DousteBlazy relative à la participation et à la croissance pour tous (no 2105).

(Séance mensuelle réservée à un ordre du jour fixé par l' Assemblée, en application de l'article 48, alinéa 3 de la Constitution.) L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Discussion, en troisième lecture, du projet de loi organique relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux (no 1877).

Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives (no 1878).

C es deux textes faisant l'objet d'une discussion générale commune.)

Mercredi 9 février 2000, l'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures, jeudi 10 février 2000, le matin, à neuf heures, l'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : discussion, en deuxième lecture, du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innoncence et les droits des victimes (no 1743).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 JANVIER 2000

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 1re séance du mardi 25 janvier 2000

SCRUTIN (No 225) sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi relative au régime juridique des licenciements pour motif économique.

Nombre de votants .....................................

189 Nombre de suffrages exprimés ....................

186 Majorité absolue ..........................................

94 Pour l'adoption ...................

70 Contre ..................................

116 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (250) : Contre : 115 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Abstentions : 3. - MM. Gérard Lindeperg , François Loncle et Jean Michel.

Non-votants : 2. - MM. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale) et Raymond Forni (président de séance).

Groupe R.P.R. (136) : Pour : 7 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe U.D.F. (69) : Pour : 5 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Contre : 1. - M. Edouard Landrain.

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Pour : 17 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (35) : Pour : 32 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (32) : Pour : 9 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non inscrits (7).

Mise au point au sujet du présent scrutin (Sous réserve des dispositions de l'article 68, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale) MM. Edouard Landrain, qui était présent au moment du scrutin ou qui avait délégué son droit de vote a fait savoir qu'il avait voulu voter « pour ».