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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Conséquences et suites des intempéries et de la marée noire. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 701).

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

MM. François Brottes, Didier Quentin, Michel Suchod.

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA

MM. Dominique Bussereau, Daniel Paul, Pierre Hériaud, Philippe Duron, Louis Guédon, Yves Cochet, Mme Sylvia Bassot,

MM. René Dutin, Pierre Micaux.

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

MM. Pierre Micaux, Maxime Bono, Michel Hunault, Joseph Parrenin, François Goulard, Bernard Grasset, Christian Jacob, Yves Deniaud.

M. le président.

M. le Premier ministre.

Clôture du débat.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 733).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

CONSÉQUENCES ET SUITES

DES INTEMPÉRIES ET DE LA MARÉE NOIRE Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les conséquences et les suites des intempéries et de la marée noire qui sont intervenues fin décembre 1999 et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le pré-s ident, mesdames, messieurs les députés, vous avez exprimé le souhait d'un débat à l'Assemblée nationale sur les mesures adoptées pour faire face aux conséquences des tempêtes et du naufrage de l' Erika en décembre dernier.

Je vous ai dit ma disponibilité à y prendre part. Cet échange a lieu aujourd'hui et le Gouvernement s'en félicite. Je souhaite que cette discussion soit l'occasion d'informer de la façon la plus complète la représentation nationale sur les dispositions que nous avons retenues le 12 janvier dernier. Trois semaines après, elle me permettra de faire un premier point sur leur mise en oeuvre.

Le Gouvernement s'est rapidement mobilisé.

L'ampleur des dégâts infligés aux deux tiers du pays l'imposait. Les deux ouragans qui ont successivement balayé notre territoire, la marée noire de l' Erika ont atteint beaucoup de nos concitoyens dans leurs proches, dans leur cadre de vie, dans leurs biens et souvent dans leur outil de travail. La solidarité était notre premier devoir. Je me suis rendu immédiatement, comme le Président de la République, auprès de ceux que gagnait parfois un profond et légitime désarroi. Pour témoigner de cette solidarité, pour constater l'étendue des dommages, pour recueillir des éléments permettant de répondre le plus rapidement et le plus efficacement possible aux besoins. Plusieurs ministres ont fait de même. Ce mouvement de fraternité a été celui de nombreux Français. Et je veux une nouvelle fois saluer le grand élan qui a porté les bénévoles, les associations, les fonctionnaires de l'Etat, les militaires venus en renfort, les agents des services et des entreprises publics - en particulier les équipes d'EDF les entreprises sous-traitantes, et aussi les maires, les élus des différentes collectivités, les membres de votre assemblée - sans oublier nos partenaires européens - qui se sont mobilisés pour aider les plus durement touchés.

Le Gouvernement a souhaité associer étroitement les élus à sa démarche. J'y ai veillé personnellement lors de mes déplacements sur le terrain. L'ensemble des ministres ont multiplié les échanges, recueilli les suggestions et les propositions des élus, cherché à répondre aux préoccupations qu'ils ont exprimées. C'est ce que nous faisons aujourd'hui encore. Et nous poursuivrons ces consultations. Je recevrai le 8 février à Matignon les élus du littoral atlantique, pour traiter avec eux les conséquences de la marée noire de l' Erika . Je réunirai le 17 février les représentants des trois plus grandes associations d'élus afin de discuter des réponses apportées aux intempéries.

J'ai présenté le 12 janvier 2000 un plan d'ensemble.

Après de premières mesures d'urgence, au terme d'un trav ail approfondi et considérable, le dispositif arrêté concerne l'ensemble des personnes et des biens qui ont souffert des dégâts. Il vise à porter remède rapidement aux situations de plus grande précarité personnelle ou professionnelle. Il traduit en actes et en moyens financiers la solidarité nationale. Il sera complété et révisé si le besoin s'en fait sentir.

Je souhaite aujourd'hui faire avec vous un premier point sur la mise en oeuvre de ce plan.

Nous avons voulu remédier en priorité aux situations les plus difficiles. Pour les particuliers, le risque tempête est pris en charge par les assurances. Le Gouvernement a fait en sorte que les indemnisations interviennent dans les meilleures conditions : les formulaires de déclaration ont été simplifiés, les délais ont été étendus jusqu'au 31 janvier, les expertises et les indemnisations doivent intervenir rapidement. Dans le cadre des contrats multirisques, la franchise a été plafonnée à 1 500 francs. Les compagnies d'assurance ont accepté d'élargir le champ des dommages couverts par les indemnisations.

Un dispositif de secours a été mis en place en faveur des personnes qui, du fait de la destruction de leur logement, de leurs biens ou de leur outil de travail, se trouvent en situation précaire. Pour les aider à faire face aux dépenses de la vie quotidienne, l'Etat apporte son concours à l'effort de solidarité des communes et des organismes sociaux par une dotation exceptionnelle aux commissions d'aide sociale d'urgence. Cinq cents millions de francs ont été dégagés. Des instructions précises ont été adressées aux préfets sur les conditions d'attribution de ces aides. Sur cette base, les premiers crédits ont été délégués.

Ceux dont le logement a été endommagé pourront bénéficier de prêts à taux nul pour la réparation des biens immobiliers non garantis par les assurances - comme les vérandas ou les clôtures -, qui seront versés par les organismes du 1 % logement. Une convention portant sur un milliard de francs a été signée à cet effet avec l'Union d'économie sociale du logement. Les prêts à taux zéro du ministère du logement sont par ailleurs ouverts pour l'acquisition d'un nouveau logement en cas de destruction de l'habitation principale.

Enfin, les personnes victimes des intempéries pourront bénéficier de délais pour le paiement des impôts - voire de remises en cas de grandes difficultés - ainsi que pour


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la redevance télévision. De même, dans ces situations, des délais sont accordés pour souscrire les déclarations d'impôts.

L'agriculture est un des secteurs les plus touchés. Pour les biens non assurables par nature, la procédure des calamités agricoles a été lancée. La Commission nationale se réunira dès le 11 février. Les premiers acomptes seront versés avant le 1er mars afin d'indemniser les pertes de fonds et de récoltes.

Dans l'immédiat, un système d'avances de trésorerie, de délais de paiement, de report d'annuités et, dans certains cas, de dégrèvement de charges sociales est mis en place, ainsi que des prêts bonifiés au taux de 1,5 %. Les textes nécessaires seront publiés en fin de semaine. Ces mesures spécifiques compléteront le dispositif mis en oeuvre avec la Banque des petites et moyennes entreprises, la BDPME, pour toutes les victimes des tempêtes de fin décembre. Le fonds d'allégement des charges, le FAC, doté de deux cents millions de francs de crédits, sera en outre affecté aux exploitations agricoles les plus touchées.

Trois cents millions de francs sont mis à la disposition des offices agricoles d'intervention - l'ONIFLHOR, l'ONILAIT et l'OFIVAL - afin d'indemniser les pertes de production ou les dommages mal couverts par les contrats d'assurance - tunnels plastiques utilisés pour le maraîchage, pertes de production laitière ou abris pour de petits élevages.

Un plan national a été adopté pour la forêt. Il faut, en effet, évacuer, stocker et mettre en valeur les bois abattus.

D eux enveloppes exceptionnelles de prêts bonifiés - à 1,5 % - ont été prévues. Huit milliards de francs seront consacrés à l'abattage et à la mobilisation des bois ; quatre milliards de francs à leur stockage et à leur valorisation. Les décrets les concernant ont été publiés hier. Les crédits nécessaires à la protection sanitaire des forêts, au dégagement et à la réalisation de pistes forestières et d'aires de stockage sont aujourd'hui prêts à être engagés.

Pour faire face au besoin de personnels qualifiés, un programme d'actions pour l'emploi en forêt a été lancé par Jean Glavany et Martine Aubry, avec pour objectif la formation de 2 500 demandeurs d'emploi.

Nous aidons les professions forestières à surmonter ce sinistre. Il sera possible de déduire des revenus professionnels des charges liées à la tempête non couvertes par les indemnisations des assurances. Les nouveaux matériels feront l'objet d'un amortissement accéléré. Les exploitants forestiers pourront bénéficier d'un dégrèvement exceptionnel de leur taxe foncière sur les propriété non bâties de 1999, pour les parcelles atteintes par la tempête. Instruction a été donnée aux services fiscaux pour toutes ces mesures.

Le Gouvernement fera en outre bénéficier l'ensemble des travaux d'exploitation forestière - plantation, débardage, élagage - du taux réduit de TVA à 5,5 %, qui s'applique déjà à l'abattage et au tronçonnage des arbres. La Commission européenne est par ailleurs saisie d'une demande d'extension du taux réduit de TVA à l'ensemble des utilisations énergétiques du bois. L'horizon de l'exploitation forestière est celui de la longue durée. D'autres dispositions fiscales sont à l'étude, qui devront tenir compte des spécificités des investissements dans ce secteur.

Avec l'appui du Gouvernement et sous l'impulsion de Jean Glavany, l'ensemble des professions forestières a décidé le gel des coupes dans les régions épargnées par la tempête. Les bois abattus seront utilisés en priorité. Le surcoût que génère leur transport est important. C'est pourquoi aux 200 millions de francs que nous avions prévus le 12 janvier, nous ajoutons une enveloppe de 500 millions de francs, soit un total de 700 millions de francs. Une aide forfaitaire de 50 francs par tonne de bois transporté par rail complétera ainsi le tarif exceptionnel décidé par la SNCF. Une aide variant de 20 à 50 francs par tonne en fonction des distances sera accordée au transport par route et par voie navigable. L'objectif est de dégager et de commercialiser dans les meilleurs délais plus de 25 millions de tonnes des essences les plus fragiles.

A plus long terme, il faudra reconstituer la forêt française. Vous le savez, le Gouvernement a prévu de consentir un effort considérable pour le reboisement : 6 milliards de francs de subventions y seront consacrés sur dix ans.

Les effectifs techniques seront renforcés dans le secteur forestier, grâce au recrutement de 230 agents sur trois ans.

La mobilisation des 200 ingénieurs et techniciens forestiers appelés sous les drapeaux en 2000 et 2001 y contribuera.

Au total, et à ce jour, le plan pour la forêt mobilisera plus de 2 milliards de francs de crédits budgétaires en 2000, soit 500 millions de plus par rapport à ce que j'avais annoncé le 12 janvier.

M. Jean-Yves Le Drian.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Le littoral atlantique a été touché par la pollution pétrolière de l' Erika et par les tempêtes. Certaines côtes ont été frappées par ces deux évé nements.

Le Gouvernement traitera donc de la même manière les pêcheurs et les conchyliculteurs affectés par l'un ou l'autre de ces sinistres. Comme pour les agriculteurs, un système d'avances de trésorerie, de report d'annuités et de dégrèvement de charges sociales sera mis en oeuvre. La BDPME y apportera son concours quelle que soit l'origine des dégâts : 300 millions de francs affectés à l'OFIMER permettront notamment de reconstituer les matériels et les stocks des conchylicuteurs, de réparer les navires et de compenser les pertes d'exploitation des marins pêcheurs. Concernant les dégâts causés par la marée noire, ces crédits permettront également de mettre en place dans les jours qui viennent des avances à taux zéro sur les indemnités attendues du FIPOL.

Pour les autres secteurs économiques, le chômage partiel touchant les entreprises privées d'activité par les intempéries sera indemnisé à 100 %. Le Gouvernement a demandé à la BDPME de procéder à des avances sur les indemnisations des assurances. Au 31 janvier, 40 millions de francs d'avances ont été accordées. Le FISAC - le Fonds d'intervention et de soutien au commerce et à l'artisanat - interviendra à hauteur d'un premier crédit de 200 millions de francs. Les modalités d'attribution de ce fonds ont été précisées aux préfets par une circulaire du 28 janvier. Un fonds de garantie mis en place auprès de la SOFARIS permet d'accorder 2 milliards de francs de prêts. Comme pour les particuliers, des délais pour les déclarations et le paiement des impôts pourront être accordés aux entreprises dont les équipements ou l'activité ont été atteints par les tempêtes. Le ministre de l'économie et des finances a pour cela donné instruction, dès le 13 janvier, à ses services. Enfin, les dégâts causés aux équipements touristiques feront l'objet d'un examen particulier, notamment pour ce qui concerne l'hôtellerie de plein air.

Certaines collectivités sont atteintes par les ouragans à la fois dans leurs équipements et leur patrimoine culturel, dans leurs richesses agricoles et forestières, dans leurs ressources économiques.


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L'Etat leur témoignera sa solidarité.

D'abord, face aux urgences, 100 millions de francs ont été immédiatement dégagés pour venir en aide aux communes les plus affectées. Les dépenses liées aux interventions effectuées par les services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, hors de leurs zones de défense feront l'objet d'une prise en charge. Comme je l'ai indiqué le 12 janvier, l'Etat contribuera aux dépenses engagées par les collectivités pour l'intervention de bénévoles, en tenant compte des ressources communales, des charges supportées et du cadre juridique de l'intervention.

Il aidera aussi à reconstruire les biens non assurables.

Des subventions exceptionnelles seront versées aux collectivités locales pour les dépenses d'investissement qu'elles devront consentir à la suite des tempêtes. Un crédit d'un milliard de francs y sera consacré cette année. Le taux moyen de ces concours sera de 50 %. Des modulations seront proposées par les préfets pour tenir compte de la taille des collectivités et des catégories de dépenses.

En complément des indemnisations des assurances, l'Etat accordera 200 millions de francs de subventions pour la restauration du patrimoine historique et culturel.

Des aides seront également apportées aux collectivités pour les équipements éducatifs et sportifs. Je rappelle que, naturellement, l'Etat fera un effort pour la restauration de son propre patrimoine, de l'ordre de 600 millions de francs.

Les communes forestières dont les recettes vont diminuer fortement, soit parce que leur patrimoine forestier est atteint, soit parce qu'elles renoncent par solidarité à des coupes de bois, recevront des aides exceptionnelles pour leur fonctionnement. Les délais de remboursement du fonds de compensation de la TVA pourront être réduits. Une disposition législative sera soumise à cet effet au Parlement.

Nous devons bien sûr également traiter avec persévérance les conséquences du naufrage de l' Erika

Les opérations de lutte contre la pollution se poursuivent. Les plans POLMAR terre et mer restent en vigueur. Si l' Abeille Supporter et son robot Triton ont achevé leur travail de repérage des fuites et de colmatage, nous maintenons une surveillance vigilante de l'épave.

Son traitement doit débuter dans les meilleurs délais.

Après la visite que m'a rendue le président de Total, cette société s'est vu confier par une convention signée le 26 janvier la maîtrise d'ouvrage de ce traitement, dont elle s'est engagée à supporter le coût. Son cahier des charges traite notamment du contrôle exercé par l'Etat sur le choix des solutions et le déroulement des opérations. La première réunion du comité de pilotage constitué par le Gouvernement s'est tenue le 31 janvier.

Regroupant les représentants des ministères concernés ainsi que la préfecture maritime de l'Atlantique, s'appuyant sur un collège d'experts, il assurera la conduite de ces opérations. Après la réalisation des études techniques, après que les procédures d'appel d'offres auront permis de retenir des entreprises qualifiées, les travaux de traitement de l'épave sur le lieu du naufrage pourront commencer, dans des délais que j'espère brefs.

M. François Cuillandre.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Je viens de désigner JeanClaude Gayssot pour coordonner l'action de l'Etat sur ce sujet et veiller à l'information des élus et du public.

M. Jean-Yves Le Drian.

Très bien !

M. le Premier ministre.

La sécurité et la protection de l'environnement resteront tout au long de ce processus au premier rang de nos préoccupations.

De nouveaux moyens sont dégagés pour le nettoyage des côtes. Le fonds POLMAR a déjà bénéficié de 120 millions de francs délégués aux préfets pour faire face aux besoins. J'ai décidé de l'abonder de 140 millions de francs de crédits supplémentaires : 100 millions pour le nettoyage proprement dit, 40 pour le renouvellement du matériel. Le FIPOL a ouvert un bureau à Lorient et, comme je l'ai annoncé, les indemnisations interviendront à partir du 20 février.

Les préfets concernés ont, à la demande de Dominique Voynet, mis en place dans chaque département une cellule d'évaluation de l'impact écologique de la marée noire. Par ailleurs, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement a installé à Rennes un observatoire des conséquences de la marée noire. L'Etat est extrêmement attentif à prévenir l'apparition de nouvelles pollutions qui pourraient résulter d'un stockage hâtif ou d'un nettoyage inadapté. Ainsi, les déchets pétroliers collectés sur le littoral sont orientés sur le centre de stockage de Donges, et maintenant sur celui de Paimboeuf. Les coûts du stockage et du traitement des déchets seront supportés par Total. Le Gouvernement a également mis en place un dispositif de protection des bénévoles, afin que leur santé ne soit pas mise en danger par la toxicité du produit ramassé. Au-delà des recommandations sanitaires, et sur la suggestion de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments, des capteurs ont été mis en place dans les zones touchées pour vérifier le taux d'hydrocarbures. La qualité de l'eau est également étroitement surveillée.

Pour la protection des côtes, l'Etat concourra au taux de 50 % aux dépenses engagées par les collectivités pour les travaux d'enrochement et de reconstruction des digues. Ces dépenses sont évaluées à 150 millions de francs pour l'année 2000.

Le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour que le rayonnement touristique de ces régions ne soit pas affecté par les conséquences des tempêtes et de la pollution.

A l'initiative de Michèle Demessine, des crédits spécifiques seront dégagés afin, notamment, de restaurer l'image de ces territoires : 15 millions de francs y sont aujourd'hui affectés.

Au total, les mesures arrêtées pour faire face aux conséquences des deux ouragans comme à celles de la marée noire représentent d'ores et déjà un effort budgétaire de 4 600 millions de francs pour l'année 2000, sans les prêts qui représentent pour la seule forêt 12 milliards de francs.

Il faut évidemment prendre en compte les 6 milliards prévus sur dix ans pour l'aide à la reconstitution des forêts.

Afin d'aller vite, ces mesures sont d'abord financées en mobilisant en priorité les crédits disponibles sur le budget des charges communes dans la loi de finances pour l'année 2000. Au-delà, les moyens nécessaires seront dégagés pour abonder les budgets des ministères concernés. J'y veillerai avec Christian Sautter et Florence Parly.

Nous solliciterons également les instruments communautaires disponibles. J'ai fait part le 20 janvier au Président de la Commission européenne, M. Prodi, de notre souhait de voir s'exercer la solidarité de l'Union européenne, en raison du caractère exceptionnel et dramatique des événements que notre pays a subis. Nos demandes visent en premier lieu à ce que les projets nécessaires à lar éparation des dommages, dans les soixante-neuf


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départements sinistrés, puissent être effectivement éligibles à un financement au titre des fonds structurels. Une interprétation souple des critères d'éligibilité est donc sollicitée. A titre d'exemple, nous souhaitons que puissent faire l'objet d'un cofinancement communautaire les opérations de restauration ou de reconstruction de l'outil de production des PME, du patrimoine naturel et culturel, les reconstructions d'infrastructures directement liées à l'activité économique ou bien encore l'indemnisation des conchyliculteurs propriétaires de navires d'exploitation.

La reconstruction du potentiel de production agricole et la reconstitution des forêts sinistrées pourront bénéficier d'un soutien communautaire au titre des crédits de développement rural. Nous avons d'ores et déjà indiqué à la commission qu'un renforcement des moyens alloués à la France serait demandé au cours de cette année, en soutien du plan national « chablis ».

Le Gouvernement demande en outre que des moyens spécifiques soient dégagés, au titre notamment de la pollution marine, de la restauration de milieux vitaux pour les oiseaux et des infrastructures de transport de l'énergie à très haute tension. L'Observatoire du suivi de la marée noire devrait recevoir un soutien communautaire. Nous serons attentifs à la mobilisation rapide des fonds disponibles.

Enfin, le Gouvernement entend tirer dans les mois qui viennent les enseignements de ces événements dramatiques.

Nous le ferons d'abord avec les élus. Je vous confirme que, comme je l'ai dit le 12 janvier, nous préparons activement le comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire et le comité interministériel de la mer qui se réuniront à Nantes le 28 février. Il a été demandé aux préfets d'organiser la plus large concertation avec les communes, les départements et les régions sinistrées afin que nous puissions arrêter à cette date des mesures de réparation sur le long terme. Les nouveaux besoins qui se sont fait jour pourront être pris en compte par des avenants aux contrats de plan Etat-région.

V ous avez décidé de constituer une commission d'enquête sur la sécurité en mer et le transport maritime des produits dangereux et polluants. Le Gouvernement sera particulièrement attentif à ses conclusions.

Les professionnels devront être associés à la définition des règles nouvelles. Jean-Claude Gayssot réunira dès le 10 février, autour d'une table ronde, l'ensemble des acteurs du transport maritime, en vue d'élaborer une charte de la sécurité maritime sur la fiabilité des matériels et la qualification des équipages qui permettra ainsi de lutter contre les pavillons de complaisance. A la suite de c es réunions, nous ferons rapidement connaître les démarches que nous engagerons aux plans national, communautaire et international afin d'assurer la sécurité maritime et de renforcer et d'harmoniser les systèmes de contrôle et de sanctions par les Etats du port et du pavillon.

M. Jean-Yves Le Drian.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Je peux vous confirmer que la sécurité maritime sera l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne.

A l'initiative de Jean-Pierre Chevènement, une mission interministérielle d'évaluation sera constituée. Présidée par

M. Gilles Sanson, inspecteur général de l'administration, elle sera chargée d'évaluer les dispositifs mis en oeuvre à l'occasion des tempêtes qui ont frappé notre pays. Cette évaluation portera sur la prévention, les procédures d'alarme ou d'alerte des populations, l'organisation des secours, la gestion de crise, les normes de construction.

Elle devra aussi examiner la pertinence des pratiques d'assurance des biens des collectivités locales face au risque de catastrophe naturelle. Cette mission procédera à de larges consultations, notamment des élus des départements concernés. Elle commencera ses travaux dans les tout prochains jours.

Mesdames et messieurs les députés, c'est grâce à la solidarité de tous que les épreuves que nous venons de traverser ont pu être affrontées. Soyez assurés que le Gouvernement continuera de déployer ainsi ses efforts pour réparer les dommages subis et pour soutenir l'activité économique. Je suis certain que vos interventions contribueront à enrichir un travail que nous entendons poursuivre avec ténacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Mes chers collègues, un certain nombre d'entre vous vont maintenant intervenir. Je vous demande de respecter les temps de parole qui vous sont impartis. Le Premier ministre reprendra ensuite la parole pour vous répondre.

La parole est à M. François Brottes, pour dix minutes.

M. François Brottes.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me féliciter de la tenue de ce débat, qui confirme, d'une part, la solidarité du pays tout entier envers celles et ceux qui ont été victimes des événements dramatiques de ces dernières semaines et, d'autre part, la volonté du Gouvernement d'associer étroitement la représentation nationale à l'élaboration et au suivi des réponses qui se doivent de maintenir une mobilisation à la hauteur des catastrophes que notre territoire vient de subir.

Avant d'intervenir plus spécifiquement sur la forêt et la filière bois, je voudrais, en tant que membre de la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, rendre hommage à mon tour à tous les agents du service public, qui ont démontré, une fois de plus, leur efficacité et leur implication exemplaires, ce qui montre bien qu'il y a en France une sorte d'« atavisme du service public » dont nous pouvons être fiers et que nous avons raison, non seulement de le préserver, mais aussi de le développer.

A présent, en tant que président du groupe d'étude forêt - filière bois de notre assemblée, je voudrais centrer la suite de mon propos exclusivement sur ce secteur. Mes collègues socialistes qui interviendront après moi traiteront des autres problèmes à l'ordre du jour.

Même si, mises bout à bout, l'ensemble des surfaces de bois abattus par la tempête correspond à environ 5 % de la surface de la forêt française de la métropole, ou encore, en volume, à deux fois la croissance biologique annuelle de notre forêt, qui a doublé de surface en un siècle et demi, l'impact de la tempête est très, très important.

Dans certains secteurs comme le Médoc, la Dordogne, le Limousin ou les Vosges - je ne suis pas exhaustif -, la forêt de certaines communes ou de certains propriétaires a parfois été abattue à 100 %, et c'est souvent l'équivalent de cinq à dix ans de récolte qui est tombé, avec, en plus, l'insolence d'une blessure dans les paysages dont on a le sentiment qu'elle est inguérissable. Les 5 000 kilomètres de chemins de randonnée rendus inutilisables sont là pour témoigner de l'ampleur du sinistre, et je n'en rajouterai pas sur le choc que constitue la rupture avec les périodes remarquables de notre histoire, lorsque, ici ou là


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dans les parcs et jardins, en Ile-de-France particulièrement, ce sont des arbres presque légendaires qui sont tombés, comme pour nous rappeler que l'arbre pas plus que l'homme n'est éternel.

Sur le plan de la reconstitution des forêts, je veux être confiant, même si cela doit prendre un peu de temps, car, avec les 6 milliards de subvention pour le reboisement sur dix ans que vous avez annoncé le 12 janvier dernier, monsieur le Premier ministre, avec le souci plus affirmé des professionnels de favoriser une sylviculture qui mélange un peu plus les essences, pratique la futaie irrégulière et favorise, lorsque c'est possible, la régénéra tion naturelle, avec, finalement, l'opportunité de lutter plus efficacement contre l'effet de serre grâce à des millions de jeunes arbres qui s'engageront dans une nouvelle croissance, nous avons là les moyens et l'expérience qui doivent nous permettre de relever ce défi.

Vous l'aurez compris, là n'est pas ma véritable inquiétude.

Non, aujourd'hui, dans cette course contre la montre qui s'est engagée pour sortir et stocker les bois abattus par la tempête, ces fameux chablis dont on doit au moins pouvoir sauver, avant les prochaines chaleurs, l'équivalent d'une récolte annuelle, ce qui m'inquiète, c'est qu'après le désarroi, c'est la colère de l'impuissance qui monte car chacun prend conscience que le temps perdu ne se rattrape pas.

Votre intervention d'aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, doit être salutaire, elle doit permettre à toute la filière de se ressaisir. Le temps est à la fois long et court, car une fois passés les jours de la première urgence, il y eut le temps du diagnostic, des évaluations rapides et, de ce point de vue, le calibrage du plan annoncé le 12 janvier a montré que le Gouvernement avait bien pris la mesure du chantier national qui était devant nous.

Comme cela est normal en pareille circonstance, entre l'annonce et la mise en oeuvre de mesures souvent totalement nouvelles, il semble s'être déjà écoulé trop de temps, face à une interprofession dont on sait bien que la diversité de nos massifs forestiers et le caractère souvent plus artisanal qu'industriel de ses acteurs en font un interlocuteur souvent fragile et pas toujours bien organisé.

Il faut reconnaître que le contexte n'est pas simple et que la tempête a été exceptionnelle.

Notons que la réactivité et l'organisation du monde sylvicole n'ont rien à voir avec celles du monde agricole, par exemple. Les conflits d'intérêts entre ceux qui vendent le bois et ceux qui l'achètent ne facilitent pas forcément le décryptage et la hiérarchisation des bonnes mesures à prendre, et, surtout, l'anéantissement en « un coup de vent » d'un investissement forestier qui concerne plusieurs générations a de quoi déstabiliser durablement même les meilleures volontés.

Le traumatisme est profond chez les forestiers, qu'il s'agisse des propriétaires privés, des élus des communes forestières ou des agents de l'ONF.

Inévitablement, dans un tel contexte, certains prédateurs - le mot n'est pas trop fort - orchestrent la chute des cours du bois pour réaliser, aujourd'hui ou plus tard, des opérations à forte valeur ajoutée.

Dans la filière de la transformation du bois, la désorganisation des approvisionnements, les incertitudes sur le prix mètre cube de bois « rendu à la scierie », les difficultés de stockage - le stockage étant la seule solution pour étaler dans le temps l'impact de la surabondance de bois coupé - sont autant d'éléments qui génèrent de la

« surchauffe » chez les uns et du chômage technique chez les autres.

Dans l'opinion, donc chez le consommateur, réel ou potentiel, du matériau bois, l'émotion provoquée par les images de désolation de millions d'arbres abattus risque de pénaliser les différents marchés du bois, alors que, au contraire, il faut aujourd'hui comme il faudra demain utiliser de plus en plus de bois pour mieux faire vivre la forêt.

Rappelons encore que le bois est présent sur des marchés très diversifiés : marchés de l'énergie, de la construction, de l'emballage, du papier carton, de la viticulture, des panneaux de particules, du meuble, de l'ameublement ou encore de la décoration.

Monsieur le Premier ministre, c'est donc le risque d'une crise profonde qui est devant nous, pour une filière qui emploie plus de 500 000 personnes, comme l'avait souligné en son temps Jean-Louis Bianco dans le rapport dont vous lui aviez passé commande.

Votre gouvernement avait déjà augmenté de près de 40 % le budget de la forêt dans la dernière loi de finances, supprimé une taxe qui pesait notamment sur les scieurs, engagé un vaste programme de développement et de promotion du matériau bois, inscrit l'examen du projet de loi forestière au calendrier de cette session parlementaire : bref, il n'avait pas attendu la tempête pour montrer une détermination sans précédent en faveur de la forêt et de la filière bois.

Le 12 janvier dernier, monsieur le Premier ministre, vous aviez clairement indiqué que le premier train de mesures pourrait être amené à être complété et précisé . Je dois reconnaître que les précisions que vous venez de nous apporter sur la mobilisation des personnes chargées de dégager les forêts, sur la volonté qui est la vôtre de ramener le taux de TVA à 5,5 % pour l'ensemble des travaux forestiers,...

Mme Nicole Bricq.

Enfin !

M. François Brottes.

... sur le soutien clair et immédiat apporté au transport du bois par le fer et par la route grâce à une enveloppe de 700 millions de francs que vous venez de nous confirmer, répondant en cela à une revendication unanime et urgente, sur les modalités d'accès aux prêts bonifiés, sur la mise en oeuvre des aides aux communes forestières - dont je rappelle que certaines acceptent de limiter les coupes qu'elles avaient prévues lorsqu'elles sont dans des zones non sinistrées, pour ne pas encombrer davantage le marché -, sur l'accélération de la réalisation des aires de stockage et, enfin, sur plusieurs mesures d'allégement de charges sont autant de précisions de nature à dissiper les inquiétudes dont je vous ai fait part.

Je souhaite que le prochain texte de loi forestière nous permette aussi de concrétiser un certain nombre de mesures complémentaires portant sur la fiscalité, sur la mutualisation au plan national du risque de chablis, sur le renforcement de la filière et sur la meilleure valorisation de toutes les fonctions de la forêt : zone de production de bois, espace de loisirs, lieu de biodiversité, élément de la lutte contre l'effet de serre, surface de protection, espace paysager. Bref, la multifonctionnalité de la forêt n'est plus à prouver mais elle reste à harmoniser.

Pour l'heure, la seule question qui se pose, c'est celle de l'organisation du plan de bataille dans chaque département, sinistré ou non, pour que les mesures annoncées le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

12 janvier et complétées fortement ce matin se concrétisent au plus vite, et que chacun prenne ses responsabilités en connaissance de cause. A cet égard, monsieur le Premier ministre, votre engagement personnel est un gage d'efficacité.

Votre volonté est claire et la mobilisation des acteurs est forte. Nous devons tous démontrer dans les semaines qui viennent que, malgré la tempête, la forêt demeure une immense chance pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Merci, monsieur Brottes, d'avoir parfaitement respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Didier Quentin, pour dix minutes.

M. Didier Quentin.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, au nom du groupe RPR, je me félicite de l'organisation de ce débat. En effet, monsieur le Premier ministre, vous avez répondu positivement à la proposition que je vous avais faite, lors des questions au Gouvernement du mardi 18 janvier dernier, de dialoguer avec les élus de terrain que nous sommes sur les meilleurs moyens de remédier aux suites des intempéries et de la marée noire qui ont frappé notre pays en décembre dernier.

Il me paraît néanmoins souhaitable de ne pas faire l'amalgame entre ces deux catastrophes, et il me semble préférable de parler d'ouragan. En effet, je représente un département qui n'a pas été atteint, jusqu'alors, par la marée noire, et j'espère que vous aurez à coeur de venir le constater, monsieur le Premier ministre, lors de vos vacances, comme vous le faites depuis quelques années.

(Sourires.)

En revanche, nous avons subi de plein fouet « l'ouragan », appellation que vous avez vous-même employée et qui rend mieux compte du caractère exceptionnel de cette catastrophe climatique, plutôt que le terme d'intempéries qui banalise ce phénomène.

Je tiens d'abord à avoir une pensée émue pour tous ceux qui ont perdu leur vie lors de ce drame et à saluer le dévouement et la solidarité dont ont fait preuve beaucoup de nos compatriotes, au tout premier rang desquels les maires et les élus locaux, les employés communaux, les agents de l'Etat, les militaires, les sapeurs pompiers professionnels et bénévoles, qui se sont dépensés sans compter.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. Didier Quentin.

Je tiens aussi à rendre hommage aux personnels de l'EDF qui ont honoré la notion de service public.

Le moment venu, il conviendra de tirer les enseignements de cet ouragan, notamment pour ce qui concerne la prévision de tels cataclysmes, l'amélioration des systèmes d'alerte, l'organisation des secours et les moyens d'associer plus en amont les élus et les services des collectivités locales et territoriales. Il est, en effet, apparu clairement que l'efficacité la plus grande était le fait des secours de proximité ou des services déconcentrés, comme les brigades de gendarmerie de nos zones rurales.

Mais aujourd'hui, notre débat doit essentiellement porter sur les actions d'urgence.

Dès le 31 décembre 1999, monsieur le Premier ministre, par un courrier adressé aux parlementaires, vous avez fixé le cadre des interventions de l'Etat. Le 12 janvier dernier, vous avez annoncé toute une série de dispositions. Enfin, le 18 janvier, répondant à une question que je vous avais posée, vous vous êtes dit « ouvert à l'idée d'un débat parlementaire sur les conséquences des ouragans », et ce matin même, vous venez de nous apporter quelques précisions.

Mais force est de constater que six semaines après ces cataclysmes, la plupart des très nombreux sinistrés sont toujours dans l'attente des premières indemnisations. Or il y a urgence, monsieur le Premier ministre ! Il en va de la survie de très nombreuses entreprises dans plusieurs secteurs d'activité : la conchyliculture, la pêche, l'agriculture et l'élevage, la sylviculture, l'horticulture, l'aquaculture, l'artisanat, le commerce, l'industrie et toutes les professions, j'y insiste, du tourisme.

Il ne faudrait pas qu'après la mobilisation des premières semaines et, devant l'ampleur de la tâche, des dizaines de milliers de sinistrés cèdent à la déprime, puis à la colère.

Le ministre de l'agriculture et de la pêche, M. Glavany, lors de sa visite en Charente-Maritime, a affirmé :

« Compte tenu du caractère exceptionnel du phénomène, les mesures devront être exceptionnelles ».

Quant à M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il a déclaré qu'il n'y aurait pas d'« impôt tempête ».

Effectivement, ces mesures exceptionnelles peuvent être financées par la fameuse « cagnotte », ces 45 milliards de p lus-values fiscales enregistrées en 1999, même si Mme Parly demeure discrète sur les chiffres. Les très nombreux sinistrés s'attendent à ce que cette « manne » soit en priorité consacrée à la solidarité nationale, à laquelle ils ont droit, et ce pour faire redémarrer les entreprises avec quantité d'emplois à la clé, ainsi que pour procéder aux réparations et aux replantations indispensables à la remise en état de notre patrimoine et de nos paysages. Je crains que l'on ne soit loin du compte avec les 4,5 milliards que vous nous avez confirmés ce matin.

Je voudrais d'abord souligner le devoir qu'a l'Etat, au nom de la solidarité nationale, de prendre en charge un certain nombre de dommages. Je traiterai ensuite, plus particulièrement, de deux secteurs sinistrés : les cultures marines et le tourisme, laissant à mes autres collègues du groupe du Rassemblement pour la République, Christian Jacob et Yves Deniaud, le soin d'aborder les problèmes du secteur agricole et forestier, ainsi que de l'horticulture.

Mes collègues Guédon et Hunault traiteront, quant à eux, du problème de la marée noire.

Il revient à l'Etat de peser de tout son poids pour faire accélérer les procédures d'indemnisation par les compag nies d'assurances. En effet, monsieur le Premier ministre, dans votre intervention du 12 janvier dernier, vous avez déclaré que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a demandé aux compagnies d'assurances de faire preuve de diligence et de compréhension. Or beaucoup de particuliers et de professionnels rencontrent des difficultés face aux sociétés d'assurances, notamment pour la fixation du montant des franchises.

Il importe de savoir précisément comment votre engagement va être appliqué dans les faits. L'Etat prendra-t-il en charge la différence entre la franchise contractuelle et la limite de 1 500 francs pour les particuliers, et sous quelle forme ? Y aura-t-il un accord effectif avec les compagnies d'assurances sur cette limitation ? Ou bien c ette instruction sera-t-elle confirmée par la voie législative ?


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En tout état de cause, même si les compagnies d'assurances font bien leur travail, il restera une part non couverte ou non assurable, comme les pertes d'exploitation, ou encore les dommages aux jardins, aux parcs et aux plantations, ainsi que - c'est un sujet très délicat - aux cimetières.

Il conviendrait que l'Etat intervienne de façon significative dans le cadre d'un partage avec les collectivités territoriales, qui pourrait être d'un tiers pour celles-ci et de deux tiers pour l'Etat au nom de la solidarité nationale.

C'est ainsi que, dans la région Poitou-Charentes, samedi dernier, à l'initiative du président Raffarin, nous avons adopté un plan triennal d'aide de 600 millions de francs et que nous avons décidé de solliciter de l'Etat 1,2 milliard de francs dans le cadre d'une convention annexée au contrat de plan.

De plus, comme l'avait demandé lui-même M. le Président de la République, il va falloir veiller scrupuleusement à une bonne application des mesures accordant de nouveaux délais aux ménages et aux entreprises, afin de leur faciliter au maximum le paiement des dettes fiscales, sociales, voire bancaires.

Dans cet esprit, il paraît souhaitable, à titre exceptionnel, d'exonérer de TVA les travaux de remise en état qui sont en dehors du champ d'application du taux réduit de 5,5 %. De même, il importe que les travaux engagés par les collectivités locales soient considérés comme des dépenses éligibles au fonds de compensation de la TVA. Il apparaît en effet choquant que l'Etat engrange un bénéfice fiscal au détriment des sinistrés, notamment pour les travaux d'abattage, de débitage et de désouchage d'arbres tombés ou menaçant de tomber.

Ces travaux sont considérables, pas seulement pour les professionnels forestiers, mais aussi pour les particuliers. Il est indispensable qu'ils soient effectués rapidement, et en tout cas avant l'été, car pour les bois de pin, par exemple, se poseront des problèmes de sécurité liés au risque d'incendie.

Le recours à des personnes non qualifiées et travaillant

« au noir » peut être tentant. Les employeurs seraient alors non seulement en infraction, mais également responsables des blessures causées à ces travailleurs illégalement employés et non formés à cet emploi délicat. C'est pourquoi je préconise le recours massif à des bûcherons professionnels venus de l'étranger et la mise à disposition par l'Etat de moyens lourds, pour limiter les risques d'incendies et les risques phytosanitaires.

Je souhaite maintenant aborder deux secteurs qui ont été très durement touchés, particulièrement dans mon département de la Charente-Maritime : la conchyliculture et le tourisme.

A une question orale que je lui ai posée mardi dernier sur l'urgence d'effectuer le versement des premières aides pour les ostréiculteurs, M. Glavany m'a assuré que toutes les dispositions prendraient effet avant la fin février. J'en ai pris acte et je me permets d'insister sur la nécessité p our la commission départementale d'indemnisation d'instruire les dossiers très rapidement et de voir ses moyens renforcés.

Par ailleurs, j'appelle avec solennité votre attention sur le problème de la reconstruction des digues, y compris les digues privées d'intérêt collectif. Le comité interministériel de l'aménagement du territoire et le comité interministériel de la mer, que vous avez convoqués pour la fin février à Nantes, devront prévoir expressément un dispositif très complet d'aides pour la défense des côtes. Il devra aussi être fait appel au concours de l'Union européenne, comme le commissaire Michel Barnier s'y est déclaré ouvert lors de sa récente visite en CharenteMaritime.

J'évoquerai enfin le secteur du tourisme.

Notre pays a été une nouvelle fois, en 1999, la première destination touristique du monde avec plus de 71 millions de visiteurs. Ce succès témoigne de la reconnaissance par nos hôtes étrangers de notre exceptionnel patrimoine culturel et architectural ainsi que de la richesse et de la diversité de nos paysages.

Beaucoup de monuments ont été endommagés et de paysages ravagés : de la place d'Austerlitz de l'île d'Aix au moulin de Valmy et à la ligne bleue des Vosges, en passant par les arbres centenaires du château de Versailles.

C'est le visage de la France qui a été balafré.

La remise en état doit être engagée sans tarder afin que la France offre, dès le printemps, un visage présentable en attendant les replantations de l'automne. Il y a là une tâche considérable qui doit être assurée non seulement par les collectivités locales, les professionnels, mais aussi de très nombreux particuliers. Ils ne pourront y parvenir sans une aide massive de l'Etat et des incitations fiscales fortes. Celles-ci pourraient consister en des déductions et des réductions d'impôt, à la fois pour stimuler les dons à des souscriptions pour le reboisement et pour encourager les propriétaires privés à replanter des arbres.

Pour les professionnels du tourisme, l'activité la plus sinistrée est celle de l'hôtellerie de plein air. Les dégâts provoqués par l'ouragan consistent principalement dans la destruction de mobile homes et la chute d'arbres. Il conviendrait que cette activité bénéficie de la mise en place d'un fonds spécial d'indemnisation pour la prise en charge des actifs détruits ou détériorés et non indemnisés par les assurances.

Les aides de l'Etat devraient s'articuler de la façon suivante : Des aides immédiates en trésorerie afin de financer les dépenses engagées par les exploitants pour nettoyer ou déblayer les terains ; Une exonération des charges sociales sur les frais de personnels affectés aux opérations de nettoyage et de déblaiement ; Une exonération des surtaxes EDF ; Une accélération du remboursement de la TVA, celui-ci devant intervenir quinze jours après la déclaration ; Un report du paiement de la taxe professionnelle du 15 juin au 15 octobre 2000 ; Une exonération partielle de la taxe foncière pendant trente ans selon un pourcentage calculé en fonction de la surface déboisée, comme pour les exploitants forestiers ; Un plan de boisement pour 2001 avec l'assistance gratuite d'architectes paysagistes ; Une aide spécifique consacrée à des expertises d'assurés ; Enfin, pour la reconstruction des installations et le réaménagement des terrains, il serait opportun d'assouplir et d'accélérer les procédures, ainsi que d'adapter les plans d'occupation des sols lorsqu'il est possible de dégager des superficies supplémentaires au profit de l'activité d'hôtellerie de plein air.

Telles sont, monsieur le Premier ministre, les quelques orientations qui devraient permettre à cette activité, si importante pour notre capacité d'accueil touristique, de


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redresser une situation très préoccupante, puisque, dans certains départements comme le mien, les réservations pour la saison estivale sont inférieures d'environ 40 % à ce qu'elles étaient l'année dernière à la même époque.

S'y ajoute la nécessité de restaurer l'image touristique de la France et de son littoral atlantique. Nous comptons sur un financement substantiel de l'Etat et sur un concours actif du secrétariat d'Etat au tourisme, notamment par le biais de Maison de la France. En liaison avec les différents acteurs du tourisme et les collectivités territoriales, le ministère devra mettre en oeuvre, dès les prochaines semaines, une campagne de communication en direction des publics français et étrangers. A cet égard, le crédit spécifique de 15 millions de francs que vous avez annoncé me semble insuffisant.

Monsieur le Premier ministre, la tâche de réparation et de reconstruction est immense. Nos compatriotes sinistrés entendent s'y consacrer avec coeur, mais ils ont besoin de se sentir épaulés par la solidarité nationale. C'est à l'Etat de l'exprimer et de le faire à la hauteur des enjeux. Vous avez les moyens d'agir avec la « cagnotte » de 1999.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialistes.)

Démontrez-nous désormais qu'au-delà des bonnes intentions, votre gouvernement a réellement la volonté de répondre aux légitimes attentes de nos compatriotes sinistrés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod, qui, lui aussi, j'en suis sûr, respectera son temps de parole.

M. Michel Suchod.

Monsieur le Premier ministre, je voudrais en premier lieu vous remercier pour la sollicitude qu'a manifestée votre gouvernement à l'égard des régions sinistrées, témoignant souvent sur le terrain la solidarité de la nation à leur encontre. La représentation nationale tient beaucoup aux visites de ministres et il est essentiel pour les populations de rencontrer sur le terrain les responsables de l'Etat. Ce fut le cas lorsque le ministre de l'intérieur s'est rendu en Gironde, lorsque le ministre de l'agriculture - qui, de sa vie, n'a jamais vu autant d'arbres par terre - a visité de nombreux départements dont le mien, et lorsque vous-même, monsieur le Premier ministre, êtes venu en Dordogne le 6 janvier dernier.

Je dirai, en remarque liminaire, que l'effet pédagogique de ces tempêtes sera, selon moi, extrêmement important.

D'abord, elles ont permis de rapprocher les populations du service public. Ainsi, dans mon département, on a compris le rôle immense qu'a joué le réseau des collectivités électrifiées et l'attachement qu'on devait lui témoigner. En 1937, lors de l'exposition internationale, la fée électrique avait été mise en valeur. Mais que dire aujourd'hui quand tout, y compris les moyens d'information, à savoir la télévision, dépend de cette fée ! Les tempêtes ont également contribué à rapprocher la population des entreprises nationales. Elle a compris quel était le rôle d'EDF ou de France Télécom sur le terrain.

De même, la population s'est rapprochée de l'Etat.

Dans des départements, comme le mien, qui ont beaucoup apprécié la décentralisation, nous avons pu constater sur le terrain quel était le rôle des préfets, des sous-préfets et de l'armée. Le conseil général de mon département a d'ailleurs tenu une session spéciale afin de remercier le chef d'état-major des armées en Aquitaine du rôle qu'avait joué l'armée sur le terrain - ce qui, au demeurant, a rendu cette dernière extrêmement populaire.

Chacune a également pu apprécier le rôle des employés d'EDF qui, de toute la France, sont venus nous secourir.

Ainsi, dans mon petit canton de Lalinde, trente agents de Manosque et trente agents d'Avignon sont venus nous apporter leur aide.

Ces tempêtes auront également un effet pédagogique essentiel pour l'avenir. En effet, désormais, les gens c omprendront mieux les sacrifices financiers qu'impliquent la protection de la forêt contre les incendies, la nécessité d'investir dans la sécurité civile et de doter les pompiers en moyens suffisants. La mission qui a été confiée à une personnalité placée sous l'autorité de M. Chevènement pour réfléchir à l'avenir de la protection civile et de la défense du territoire est essentielle et elle est bienvenue.

J'en viens maintenant à l'examen de votre plan d'urgence du 12 janvier dont vous avez présenté tout à l'heure les premiers résultats. A cet égard, je ferai quelq ues remarques d'ordre général mais aussi d'autres remarques plus particulières concernant le département de la Dordogne, la région Aquitaine et, plus généralement, l'Ouest de la France, par solidarité avec les régions voisines également gravement sinistrées.

Le premier point de mon intervention concernera la sylviculture. En effet, nous sommes un des rares départements dont la moitié du territoire est couverte par des forêts. Et comme ce département est le troisième de France par la taille, cela représente une grande superficie forestière. Cette forêt est très majoritairement détenue par des petits propriétaires, puisque, sur les 100 000 propriétaires, 80 000 possèdent moins de quatre hectares. Ils y mènent une sylviculture extensive alliant la production de bois et les autres fonctions de la forêt. Bien entendu, cette forêt sert aussi de réserve financière aux agriculteurs, qui, traditionnement, lorsqu'ils sont confrontés à un problème, vendent une coupe de bois pour équilibrer leurs comptes. Ce mode de gestion permet aussi d'approvisionner une industrie du bois très bien implantée dans le département - 320 PME employant 4 200 salariés -, tout en permettant la conservation d'une richesse environnementale forte.

Notre forêt est donc très différente de celles des Vosges ou des Landes. C'est une forêt de grosses propriétés, l'organisation de lutte contre l'incendie y est forte et les pistes sont très quadrillées. Sur les 400 000 hectares touchés à des degrés divers, 5 millions de mètres cubes de bois, soit cinq années de production, sont sur le sol.

Les plans et mesures actuels sont perçus par un certain nombre de nos producteurs comme étant trop favorables à l'aval de la filière ainsi qu'aux grosses structures. Nouss ouhaiterions que des mesures spécifiques viennent compléter les décrets que vous avez publiés hier, notamment pour ce qui concerne les aides à la pénétration et au débardage, mais aussi aux groupements d'employeurs pour l'acquisition de matériel - il s'agit, je le répète, de tout petits producteurs - et au remembrement des parcelles car il faut prévoir l'avenir de la forêt. Un dégrèvement de charges sociales pour les recrutements de personnes qui pourraient venir travailler sur les exploitations me semble également souhaitable.

Nous avons beaucoup apprécié la participation des militaires sur le terrain. Mais elle est sur le point de cesser, et nous le regrettons. Elle va se concentrer dans des régions plus importantes que les nôtres, comme la Gironde ou les Landes, où les militaires continuent d'aider au nettoiement des grandes allées dans le cadre de la défense des forêts contre l'incendie. Ce travail s'accomplit


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dans notre région, mais nous aurions encore besoin de la présence à nos côtés des militaires pendant un mois ou deux pour poursuivre cette tâche.

Je voudrais évoquer maintenant la situation des producteurs de noix.

Les producteurs de fruits sont confrontés à deux handicaps : l'absence de production alors que des investissements importants ont été réalisés, et la reconstitution de l'outil de production détruit, laquelle nécessite des moyens financiers qu'ils n'ont plus.

Des interventions adaptées s'imposent pour maintenir une partie de notre économie agricole souvent engagée dans des démarches de qualité. Il serait donc nécessaire que l'éligibilité de la noix aux aides compensatoires soit envisagée.

Je sais qu'un décret concernant l'indemnisation des producteurs de noix est en préparation. Mais le seuil d'indemnisation prévu nous paraît trop élevé. Nous avons beaucoup de petites noiseraies éparses, qu'il conviendrait de mieux indemniser.

J'en viens maintenant à la couverture en électricité.

N ous attendons la directive que devrait prendre

M. Roussely pour la reconstruction du réseau électrique.

Cette reconstruction ne doit pas se faire à l'identique : il convient, bien que ce soit plus cher, d'enterrer un certain nombre de lignes.

M. Yves Cochet. Ce n'est pas forcément la solution ! M. Michel Suchod. Je vois que M. Cochet conteste.

Il nous dira tout à l'heure pourquoi.

M. Yves Cochet. Soit ! M. Michel Suchod. Le coût de cette reconstruction du réseau est à peu près de 1 milliard de francs. Selon la clé de répartition normale, EDF doit en supporter une moitié et le syndicat des collectivités électrifiées l'autre moitié. Ce syndicat devra donc supporter une dépense très importante, qui représentera plus de douze années d'investissements normaux. Si l'on veut éviter une charge insupportable, il faudra, là aussi, demander la solidarité de l'Etat.

Il en va de même pour les télécommunications, domaine où le chantier de reconstruction est vaste. Le problème réside surtout dans le volume des travaux nécessaires pour rétablir le réseau. Il faut donc obtenir la montée en puissance des sous-traitants et des entreprises de travaux de lignes : on doit les persuader d'embaucher et d'investir, d'autant plus que, dans l'année qui vient, le coût des travaux s'élèvera à plusieurs dizaines de millions de francs, ce qui est considérable.

J'en viens maintenant à une question importante, que j'avais posée à Mme Parly, ici présente, le 18 janvier. Je lui avais demandé de nous exposer sa vision de l'application par les assureurs des coefficients de vétusté. Elle m'avait répondu qu'elle souhaitait que les assureurs recherchent des solutions humaines et qu'elle avait bien entendu l'intention de mener avec eux un certain nombre de discussions.

Je rappelle au passage que le secteur des assurances est placé sous la tutelle du ministère des finances.

Nombre de problèmes restent posés car les assureurs font des difficultés pour mettre la main à la poche.

D'abord, on comprend difficilement la distinction qui est souvent faite entre la situation de tempête et l'état de catastrophe naturelle. Par exemple, on nous indique que le contenu des congélateurs n'est pas indemnisable parce que la cause du non-fonctionnement de ces appareils réside dans une panne d'électricité, qui est un effet induit de la tempête, et non dans la tempête elle-même.

M. Dominique Bussereau. Exact ! M. Michel Suchod. Autre problème récurrent : les chutes d'arbres. On indemnise le bien détruit, mais on se refuse à indemniser le coût du débitage, du dessouchage et de l'enlèvement. Ces coûts sont excessifs pour des personnes âgées ou des personnes isolées. En ce domaine, les assureurs se font prier.

De la même manière, les chefs d'entreprise déplorent que les pertes d'exploitation ne sont pas indemnisées dès lors que les assureurs considèrent qu'il s'agit d'une carence du fournisseur d'électricité et non d'un préjudice direct imputable à la tempête. Une modification du régime des assurances s'impose donc.

Enfin, je citerai pour mémoire la gravité de la situation que connaissent certains exploitants agricoles en raison de l'absence d'assurance des constructions légères - abris d'animaux, tunnels plastiques, volières, clôtures d'herbages - qui ne relèvent même pas du régime des calamités agricoles.

J'avais également posé des questions sur l'indemnisation des pertes d'exploitation concernant les métiers de bouche, et demandé le report des annuités d'emprunt pour les agriculteurs les plus touchés au cours de l'année 2000.

Pour terminer, monsieur le Premier ministre, je me tournerai vers l'avenir en reprenant ce que vous avez annoncé pour le CIADT Atlantique du 28 février ou le CIADT de mars qui doit être, me dit-on, le « CIADT tempêtes ».

L'Europe et le monde ont été frappés par la violence des tempêtes qui se sont abattues sur notre pays. J'en veux pour preuve la photographie de cette famille qui, plongée dans le noir, en était réduite à s'éclairer à la lampe à pétrole. Cette photographie a non seulement fait la une de la presse française, mais elle a été reprise dans la Tribune de Genève, aux Etats-Unis, et même dans un journal de Bolivie, pour donner une idée de l'ampleur de la catastrophe et pour montrer aussi que ce genre d'événements ne touchait pas seulement des pays habitués aux tornades, aux cyclones et aux ouragans.

On a, dans le monde, le sentiment que la France a été très touchée. Il faut maintenant donner l'image d'une France qui refleurit à la veille de la saison touristique. Par conséquent, tout ce que vous pourrez faire pour augmenter les crédits du ministère du tourisme en faveur des campagnes destinées à restaurer l'image de la France, notamment pour ce qui concerne nos régions OuestBretagne, Poitou-Charentes, Pays-de-Loire et Aquitaine, sera bienvenu.

Il en sera de même des mesures que vous avez évoquées tout à l'heure concernant l'indemnisation des dégâts spécifiques à l'hôtellerie de plein air. Mille campings ont été détruits et cinq mille caravanes ou mobilhomes sont par terre. J'ai vu moi-même de ces mobilhomes fendus par des arbres. C'est très impressionnant.

Il faut donc faire quelque chose à la veille de la saison touristique.

J'en arrive à ma conclusion.

Il reste forcément des incertitudes dans l'évaluation.

J'en veux pour preuve qu'après les tempêtes de Bretagne de 1987, nos collègues ont considéré qu'ils étaient sortis d'affaire il y a seulement quelques années : il aura fallu dix ans.


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Pour nous, ce sera la même chose.

On traite actuellement le visible. Mais il y a aussi l'invisible. Quel sera, par exemple, le démarrage végétatif en avril ? Quel sera le rendement du secteur animal dans des exploitations où les animaux ont été touchés par le stress et développent déjà un certain nombre de maladies, telles que des mammites ? Pour le savoir, il faut attendre.

Cela dit, on doit se féliciter des démarches que vous avez entreprises à Bruxelles, d'ailleurs relayées par nos parlementaires européens, qui se sont étonnés de l'incongruité du régime des aides. Ce régime permet en effet d'octroyer des aides pour des catastrophes naturelles à l'extérieur de l'Union, mais il ne permet plus, depuis deux ans, de le faire dans l'Union. Plusieurs collègues ont engagé un débat sur le sujet.

Un dernier mot : on doit se féliciter de la solidarité des nations d'Europe. Lorsque j'ai vu, dans une commune de trois cents habitants de mon canton, quatre-vingts réservistes de chasseurs alpins italiens qui, d'une manière exceptionnelle et avec un très grand sens de l'organisation, s'occupaient du débardage des bois, j'ai considéré que la solidarité des nations d'Europe était auprès de nous. C'est très réconfortant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.) (Mme Nicole Catala remplace M. Laurent Fabius au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA,

vice-présidente

Mme la présidente.

La parole est à M. Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, je m'exprimerai au nom de mon groupe politique mais aussi, comme l'a fait Didier Quentin, avec la sensibilité du député d'un département particulièrement sinistré, la Charente-Maritime. Je pense que Maxime Bono et Bernard Grasset feront de même.

Monsieur le Premier ministre, le 28 décembre au matin s'est abattue une tempête - ou un ouragan, chacun usant de son propre vocabulaire...

M. le Premier ministre.

C'était un ouragan !

M. Dominique Bussereau.

Vous avez météorologiquement raison, monsieur le Premier ministre : il s'est bien agi d'un ouragan. Mais au quotidien, on parle encore de

« tempête », même si la réalité était bien au-delà.

Pour un département comme le mien, le bilan est considérable. Nous avions immédiatement déploré treize morts et quatre-vingts blessés et, par la suite, des personnes sont décédées à la suite d'intoxications à l'oxyde de carbone ou de problèmes cardiaques. Des pompiers et des volontaires ont été blessés durant les missions de sauvetage.

M. le ministre de l'intérieur, et je l'en remercie, était présent, quelques jours après la tempête, aux obsèques d'un pompier mort durant son service. C'est une histoire terrible : le fils, lui-même pompier volontaire, a continué de travailler sur les routes après avoir appris le décès de son père par la radio.

Les deux ouragans à vingt-quatre heures d'intervalle ont révélé une légère faiblesse - faiblesse légitime, si je puis dire - de nos procédures d'urgence à l'échelle nationale.

Le plan ORSEC, que nous connaissons tous, est déclenché quand survient un événement grave à Béziers, par exemple. Et tout le département, la région, la France entière viennent alors aider Béziers. Mais quand c'est tout le pays qui est touché de la même manière, on s'aperçoit que nos procédures d'urgence du type plan ORSEC sont très difficiles à mettre en oeuvre.

En Charente-Maritime, 98 % de foyers ont été privés d'électricité et il n'y avait plus d'alimentation des réseaux de téléphonie mobile ni des réseaux de modulation de fréquence. On ne recevait donc plus d'informations radiophoniques ou téléphoniques et, parfois même, on n'avait pas d'eau.

Je crois, monsieur le Premier ministre, que vous avez bien fait de diligenter la mission Sanson pour réfléchir à tout cela.

Imaginons des cas de terrorisme ou d'agression - nous ne sommes plus à l'époque des troupes spéciales de l'Union soviétique chargées de casser les grandes infrastructures des pays de l'Ouest ! Imaginons une situation de catastrophe liée à des actes de terrorisme ! Nous nous sommes aperçus que nos procédures d'urgence étaient faibles pour faire place à un cataclysme qui frappe l'ensemble du territoire national ou nombre de ses régions.

Les grandes entreprises publiques ont eu un comportement exemplaire, comme l'ont souligné certains de mes collègues, qu'il s'agisse d'Electricité de France, de la SNCF, qui a réussi à remettre en ordre son réseau avant la grande pointe du 31 décembre, ou de France Télécom.

Je ferai une remarque particulière sur France Télécom, qui a moins bien communiqué en cette période de crise.

La communication de crise du président Roussely, pour EDF, et de la SNCF a été bonne. Celle de France Télécom n'a pas toujours été à la hauteur des événemen ts et l'organisation nouvelle de cette entreprise, plus tournée vers le commercial que vers le technique, a fait que dans de très nombreuses communes, alors que l'électricité était revenue, les liaisons téléphoniques ont été beaucoup plus longues à être rétablies.

Vous pouvez constater, monsieur le Premier ministre, que c'est un libéral qui dit un peu de mal du secteur concurrentiel et du bien d'entreprises du secteur public.

Mais il faut savoir de temps en temps reconnaître les choses. (M. Michel Suchod applaudit.)

J'ajoute que cela n'empêche ni France Télécom ni les autres entreprises de continuer de s'améliorer.

Notre groupe a d'ailleurs déposé une demande de commission d'enquête sur l'organisation des grands services publics car cette crise a montré qu'un pays comme la France, dans l'Europe de l'an 2000, peut avoir des services qui tombent complètement en carafe à l'échelle nationale. Leur organisation pyramidale, centralisée, la politique qui a toujours été celle d'EDF de ne pas enfouir les lignes, tout cela ne doit-il pas être examiné à l'échelle nationale ? Nous nous sommes aperçus que nos grandes organisations étaient très fortes pour faire acheminer aussitôt du matériel ou pour faire intervenir - ce qu'elles font avec beaucoup de talent -, des entreprises étrangères afin de réparer les dégâts. Mais n'est-ce pas leur système trop centralisé qui a conduit à la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés ? Vous avez évoqué, monsieur le Premier ministre, et Didier Quentin après vous, les aides prévues. Que l'Etat ait réagi rapidement, le 12 janvier, alors que nous étions encore dans l'« après-crise », c'était très bien. Mais je vous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

avoue, en dehors de toute polémique, que nous avons le sentiment qu'un certain nombre des aides que vous nous avez annoncées manquent de lisibilité. En dépit des documents produits par votre service d'information et des éléments communiqués aux communes ou aux organisations consulaires sous forme de directives, les gens qui sont sur le terrain, dans nos départements, n'ont pas toujours très bien compris ce que veut l'Etat. Un problème de lisibilité, de compréhension se pose donc pour les aides que vous avez annoncées le 12 janvier, et que vous avez tout à l'heure rappelées et même, si je puis dire, enrichies.

J'ajoute - soyons clairs - que certaines mesures sont en vigueur alors que d'autres ne le sont pas. Quand on les interroge, les secrétaires généraux de nos préfectures ou les sous-préfets nous disent très clairement qu'ils ne savent pas où les choses en sont, que la circulaire n'est pas parue, qu'ils n'ont pas le décret ou que le crédit n'est pas déconcentré.

Il y a un problème d'application réelle des mesures sur le terrain.

Un député du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Très juste !

M. Dominique Bussereau.

Nous déplorons un autre défaut - je ne relancerai pas le débat sur la « cagnotte » : il y a beaucoup de prêts bonifiés mais pas beaucoup de cash - pardonnez-moi de parler en franglais, que nous avons évoqué avant-hier. Dans certains cas, c'est l'argent frais qui manque. Un forestier qui a tout perdu, dont la forêt n'est plus que chablis, qui ne sait comment il va vendre son bois ni comment il va dégager sa forêt, se trouve complètement « bloqué » quand on lui annonce qu'il peut avoir un prêt bonifié, même s'il s'agit là d'une mesure intelligente. Il se dit qu'il n'a plus rien, qu'il n'a plus de marché, qu'il ne va plus pouvoir travailler et qu'en plus on ose lui demander d'emprunter.

Des assouplissements, des accompagnements à vos mesures sont donc peut-être nécessaires.

Vous avez évoqué la démarche que vous avez menée auprès du président Prodi. Il y a quelques jours, nos avons reçu dans notre département Michel Barnier, qui nous a laissé peu d'espoir. J'espère que l'Europe sera plus généreuse que ce que l'on nous a, semble-t-il, laissé entendre et qui n'était pas tout à fait à la mesure de nos souhaits.

Dans notre région, nous avons proposé la méthode de l'avenant au contrat de plan, dont M. Quentin a parlé.

Mme Voynet est venue récemment signer chez nous le premier avenant. Les quatre présidents des conseils généraux et le président du conseil régional vous font une proposition : par un tel avenant, nous apporterions 600 millions de francs et nous sollicitons de l'Etat - vous avez reçu notre lettre hier - la somme de 1,2 milliard pour contractualiser l'ensemble des aides.

J'en viens à la forêt, sujet abordé par le président de notre groupe d'étude et par Michel Suchod.

L'état des lieux est ce qu'il est. Nous avons des craintes car tous les arbres qui ne seront pas enlevés avant le printemps vont périr. Pour les forêts de chênes, il n'y aura pas de problème. Mais en Aquitaine et en PoitouCharentes, nous avons des pins maritimes, et tous les pins maritimes qui vont, comme disent les gens de la forêt, « bleuir », seront fichus.

Notre inquiétude est d'autant plus forte qu'il est très difficile d'accéder à la forêt : elle est pleine d'eau et embouteillée d'arbres dans tous les sens ; les gros engins ne peuvent pas passer. Nous sommes confrontés à un problème économique et de sécurité phytosanitaire car une forêt malade, une forêt-chablis présente des risques de développement de maladies, en dehors même des risques d'incendie.

Nous proposons que soient établis, parallèlement au programme national que vous nous avez présenté tout à l'heure, monsieur le Premier ministre, et que M. Glavany a explicité à de nombreuses reprises, des plans individualisés par région pour les forêts, celles-ci étant différentes selon les endroits. Nous saurions ainsi à quelles aides nous pouvons prétendre.

S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours, monsieur le ministre de l'intérieur, deux problèmes se posent.

D'abord, les SDIS ayant été sollicités en permanence, nous avons dû payer énormément de vacations à nos volontaires. Or, la plupart du temps, les budgets des SDIS étaient déjà votés et la part communale était déterminé e. Certains de ces services vont donc se trouver en situation de déséquilibre financier, car, si l'Etat ne les aide pas, ils ne pourront pas boucler leur budget.

Ensuite, nous avons besoin de renforts pour le printemps et l'été. En effet, soyons clairs, les forêts ne seront pas toutes nettoyées avant l'été et les risques d'incendie seront plus importants dès les premières chaleurs. Nous souhaitons donc un renforcement des effectifs de la sécurité civile et, si possible, des Canadair qui seraient en attente sur zone. En tout état de cause, l'Etat doit être conscient du fait que les risques d'incendie seront accrus.

Les problèmes de l'agriculture ont déjà été évoqués. Je me bornerai à dire que la demande des agriculteurs est identique à celle des ostréiculteurs. Ils souhaiteraient obtenir des aides directes parallèlement à celles accordées sous forme de prêts ou au titre des calamités agricoles.

Monsieur le ministre de l'agriculture, la profession agricole et horticole de notre département vous a ainsi présenté, par l'intermédiaire du préfet, une demande d'aide directe de neuf millions de francs.

J'en viens aux problèmes posés par les marées. Les ouragans ont en effet été suivis d'un autre phénomène : l'estuaire de la Gironde et les côtes ont été touchés par un raz-de-marée épouvantable. Des gens se sont noyés ou sont morts les uns dans les bras des autres, victimes d'hypothermie. Alors que le coefficient de marée était très bas, des personnes ont passé jusqu'à quinze heures dans l'eau suite au mascaret qui a remonté et nettoyé les rives de l'estuaire de la Gironde. Monsieur le Premier ministre, outre le problème de financement de la remise en état des digues, que vous avez également évoqué, se pose celui du dégagement des immondices. Dans ces grands marais il y a de tout : des bois, des animaux morts. Tout est mélangé. Il va donc falloir dégager des millions de mètres cubes d'immondices et nous aurons besoin de l'aide de l'Etat.

Monsieur le ministre de l'agriculture, nous devrons peut-être aussi envisager le gel de terres. En effet, certaines d'entre elles n'étant plus exploitables en raison de la chute des arbres, il faudrait voir avec l'Union européenne s'il ne serait pas possible de prévoir des mesures dérogatoires pour que les exploitants puissent geler certaines terres et en exploiter d'autres.

Didier Quentin et Michel Suchod ont évoqué la grande détresse de l'hôtellerie de plein air et du monde touristique. Je n'y reviendrai pas.

Je terminerai par deux propositions concrètes émanant de notre groupe politique. Cela dit, nous ne faisons preuve d'aucun chauvinisme partisan en la matière et je


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pense que les mesures de bons sens que nous préconisons p ourraient être reprises par le Gouvernement et l'ensemble des formations politiques.

La première proposition est relative à l'extension exceptionnelle du taux réduit de TVA aux travaux de remise en état occasionnés par les intempéries. En effet, les personnes privées qui vont acheter du matériel pour réparer leur clôture ou leur toit subissent de plein fouet le taux maximum de TVA. Nous vous proposons donc d'étudier la possibilité de ramener ce taux à 5 % pour ces travaux de remise en état accomplis par les particuliers. C'est une m esure intéressante et raisonnable qu'il serait bon d'adopter.

L'autre proposition est relative à l'extension de l'état de catastrophe naturelle aux dommages causés par la tempête. Comme l'a relevé M. Suchod, l'arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ne visait que les dégâts causés par les mouvements de mer, à l'exception de ceux dus à la tempête, qui, pour une bonne part, ne sont ainsi pas pris en compte par les assurances.

C'est notamment le cas des pertes d'exploitation indirectes dues aux coupures d'électricité. Or, en Aquitaine, en Poitou-Charentes et dans le département de la Cha-r ente-Maritime, certaines communes ont été privées d'électricité pendant plus de quinze jours et, passé ce délai, c'était encore des groupes électrogènes qui assuraient l'alimentation minimale. Les pertes subies par les entreprises parce qu'elles n'ont pas pu travailler ne peuvent en aucun cas être prises en charge puisqu'il s'agit de pertes d'exploitation indirectes liées à l'absence d'électricité. Il serait donc bon, me semble-t-il, que le législateur réfléchisse à une nouvelle rédaction du texte sur la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour étendre celui-ci aux dommages directs et indirects causés par les tempêtes.

Tout a été dit sur cette tempête. On a parlé en particulier du formidable mouvement de solidarité qui s'est manifesté. Les collectivités décentralisées, les maires, les élus se sont trouvés en première ligne et des choses extraordinaires se sont produites. On a d'ailleurs vu que les générations réagissaient différemment. Les enfants, les jeunes ne comprenaient pas ce qui se passait. Ils n'avaient jamais vécu ce type de situation. La privation d'électricité était quelque chose d'inconnu pour eux. Quant aux plus âgés, ceux qui avaient connu les périodes de guerre ou autres, ils retrouvaient des réflexes d'entraide, de solidarité, et de très belles choses se sont passées dans le coeur et la vie des hommes et des femmes de ce pays. Mais nous avons besoin de l'Etat. C'est dans ces moments de solidarité qu'il doit remplir tout son rôle. Il faut aller encore plus loin, monsieur le Premier ministre. Je vous le demande au nom de mon groupe, bien sûr, mais surtout au nom des hommes et des femmes de mon département qui ont particulièrement souffert et qui attendent de l'Etat les gestes forts qu'ils sont en droit d'espérer.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, pour un trop grand nombre de nos concitoyens, l'année 1999 s'est tristement conclue par le déchaînement de la nature et les conséquences de la négligence des hommes, trop souvent enclins à la course au profit. Cette nouvelle année restera en effet marquée par les deux tempêtes qui se sont successivement abattues sur l'ensemble de la France, ainsi que par le naufrage du pétrolier Erika, à l'origine de la marée noire qui a souillé une grande partie du littoral atlantique. Ces deux catastrophes sont les révélateurs de la grande solidarité dont sont capables les Français dans de telles situations. Quelle réponse à ceux qui parlent sans cesse de l'égoïsme et de l'insensibilité de nos compatriotes ! La preuve est ainsi faite de leur capacité de mobilisation quand la cause est juste.

Je tiens aussi à saluer la mobilisation dont ont su faire preuve les services publics et leurs agents face à l'adversité. S'est ainsi illustrée l'efficacité reconnue de nos servies publics, dont la défense et la promotion n'ont cessé d'être au coeur des exigences de notre groupe. A travers les éléments caractéristiques que sont la continuité de la satisfaction des besoins de tous et l'égalité de traitement des usagers, les services publics ont su démontrer, s'il en était encore besoin, qu'ils constituaient un facteur indéniable de cohésion sociale sur l'ensemble du territoire et, par là même, un véritable atout pour notre pays. Le dévouement de leurs agents apporte un démenti flagrant à ceux qui souhaitent leur affaiblissement. Les épreuves subies ont partout été l'occasion de souligner l'ancrage d'une véritable culture de service public dans notre pays. Preuve est désormais faite, si besoin était, qu'il faut travailler à les rendre encore plus performants, et non à les affaiblir.

Il ne faut donc pas réduire leurs moyens d'action comme voudrait le faire la droite, qui prône leur privatisation en faisant prévaloir leur ouverture à la loi des marchés financiers et la rentabilité à court terme sur le souci de l'intérêt général et de la solidarité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Hunault.

Ce n'est pas à la hauteur du débat !

M. Daniel Paul.

Sachons tirer les conséquences de ces tristes événements afin d'être encore mieux à même de faire face à l'avenir. Les nouvelles technologies et techniques doivent être utilisées. La question se pose, par exemple, de l'enterrement des lignes électriques. Mais l'importance de la présence des hommes sur les différents territoires se révèle aussi être un élément incontournable au moment où, là aussi, des voix suggèrent la réduction des moyens humains.

Si la tempête et la marée noire ont mis en exergue l'efficacité de nos services publics, de l'Etat et des élus locaux, ainsi que la solidarité de nos concitoyens, il faut souligner ce qui distingue ces tristes événements : la responsabilité. Si personne ne peut être désigné comme responsable du déclenchement de la tempête, il est des responsables au naufrage et à la marée noire qui s'en est suivie.

Nous nous réjouissons de ce débat sur les conséquences des tempêtes et de la marée noire due au naufrage du pétrolier Erika . L'émotion est juste et bénéfique, car elle sait donner naissance aux élans de solidarité de la population, élans que notre pays a connus ces dernières semaines. Mais cela ne suffit pas. Les habitants du littoral atlantique commencent à exprimer des inquiétudes et craignent que les aides apportées pour nettoyer les côtes, en particulier, ne s'inscrivent pas dans la durée. Nous n'avons pas le droit de les abandonner. La solidarité devra encore s'exprimer, même lorsque les projecteurs de l'actualité se seront éteints. Le nettoyage des côtes restera pour eux d'actualité tant que le sort de l'épave de l' Erika


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ne sera pas réglé. Tout ceux qui ont connu, en 1978, le naufrage de l' Amoco Cadiz savent les difficultés qu'il y a à surmonter les épreuves.

M. Yves Cochet.

Il y a aussi eu le naufrage du Torrey Canyon en 1967 !

M. Daniel Paul.

En effet ! Tout comme les moyens humains doivent perdurer, il est nécessaire que les promesses faites soient tenues. Nous n'avons pas le droit de lésiner sur les moyens pour venir en aide à cette zone désormais sinistrée. Il y va de la crédibilité de l'Etat, de tous les responsables ! Le naufrage du pétrolier Erika doit aujourd'hui nous interpeller pour la recherche de solutions permettant que ces catastrophes écologiques ne se reproduisent plus. Au-delà du problème du navire, ne faut-il pas réexaminer l'ensemble des procédures POLMAR afin d'en vérifier la bonne adéquation avec les questions posées ?

M. Jean-Yves Le Drian.

Très bien !

M. Daniel Paul.

Ne faut-il pas aussi revoir l'organisation d'un certain nombre de dispositifs tant au plan national qu'au niveau des ports ? La mise en cohérence de la mer avec les autres secteurs d'activité devient sans aucun doute une priorité.

Le bilan est lourd : plus de 40 000 oiseaux mazoutés, des atteintes aux ressources halieutiques, soit une dégradation considérable du paysage et des écosystèmes. A ces conséquences écologiques, nous devons ajouter les conséquences économiques qui ont touché les professionnels de la mer, les pêcheurs, les paludiers, les conchyliculteurs, sans oublier les professionnels du tourisme qui craignent une baisse considérable de la fréquentation touristique.

Ainsi, une association de tourisme social de la région h avraise lance, comme beaucoup d'autres, un cri d'alarme : les 5 000 lits qu'elle propose chaque année le long de la côte atlantique risquent d'être désertés si une forte campagne de promotion et de vérité n'est pas lancée pour éviter la fuite des touristes vers d'autres cieux.

Mon ami Félix Leyzour a souligné dans cet hémicycle avec force la nécessité de placer les pollueurs face à leur responsabilité, d'autant plus flagrante qu'elle ne peut être imputée à la simple et triste fatalité. Il n'est pas inutile que nous le rappelions aujourd'hui, car c'est bel et bien la recherche du moindre coût, donc du plus grand profit, qui est à l'origine de cette catastrophe écologique. L'immense majorité de la population souhaite de vraies mesures dissuasives contre les armateurs et affréteurs qui ne respectent pas les normes de sécurité en vigueur. Les coûts des réparations de tous les préjudices subis doivent a insi leur être imputés. Je note d'ailleurs que Mme Michèle Demessine a obtenu de TotalFina une première somme de trente millions de francs pour financer la campagne de promotion, en France et à l'étranger, dess ecteurs touchés. Vous venez, monsieur le Premier ministre, d'annoncer un apport de l'Etat de quinze millions de francs. Sans doute faudra-t-il poursuivre ces efforts pour parvenir au résultat escompté.

Mais si faire payer les pollueurs est nécessaire, cela ne suffit pas, car cela signifierait un droit à polluer pour les plus puissants d'entre eux.

M. Yves Cochet.

C'est vrai !

M. Daniel Paul.

Après le Torrey Canyon et l' Amoco Cadiz - pour m'en tenir à la France - il est temps de passer à des décisions visant à la remise en cause des navires hors normes.

Notre assemblée a décidé, le 20 janvier dernier, la mise en place d'une commission d'enquête sur la sécurité en mer. Sans préjuger de ses conclusions, nous devons tirer les leçons de la triste expérience de vingt ans de déréglementation du transport maritime.

Aujourd'hui, 40 % du pétrole consommé dans le monde circule par voie maritime, soit 1,4 milliard de tonnes de brut par an. Il faut y ajouter le transport de produits pétroliers raffinés ainsi que de divers produits chimiques, et l'on sait que c'est là que résident les plus grands dangers pour les prochaines années. Dans la Manche, par exemple, ce sont 300 000 navires qui transitent chaque année, soit 500 000 tonnes de pétrole brut, 35 000 tonnes de gaz et 60 000 tonnes de produits chimiques par jour ! Les risques sont donc considérables pour les 4 000 kilomètres de côtes de notre pays si nous ne nous assurons pas de la fiabilité de leur acheminement. Nous en avons fait malheureusement l'expérience aux dépens d'une partie de la Bretagne.

Il faut absolument lutter contre « la complaisance » et les « navires poubelles ». La France, par sa position maritime, doit prendre l'initiative de cette lutte au sein de l'Europe et la présidence de l'Union européenne, qui échoit prochainement à notre pays, devrait justement en être le cadre privilégié. Il s'agit là d'une tâche essentiel le qui nous incombe, car l'Europe est la principale utilisatrice de ces pavillons. Il importe d'être confiant, car l'importance de l'Europe dans le commerce mondial et dans la flotte mondiale est telle qu'elle peut nous permettre d'enclencher une dynamique, malgré la réticence de quelques Etats européens et non européens. Si les cinq pays qui bordent la Manche et la mer du Nord - France, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Allemagne - et qui regroupent les principaux ports européens mettaient au point un accord sur ces questions, celui-ci aurait un écho extraordinaire. Ces pays ont déjà des contacts importants depuis janvier 1994. Leurs premiers accords ont été repris par l'Union européenne. Ne peut-on favoriser cette approche régionale ? Comment imaginer, en effet, que des Etats disposant des ports de Hambourg, Bremerhav en, Rotterdam, Anvers, Felixstowe, Dunkerque, Le Havre, Marseille, auxquels il faut ajouter évidemment Barcelone et Gênes pour l'Espagne et l'Italie, ne puissent pas ensemble imposer de nouvelles orientations ? Et quels sont les armateurs, les affréteurs qui pourraient ne pas en tenir compte ?

M. Jean-Yves Le Drian.

Tout à fait !

M. Daniel Paul.

A ce jour, près des deux tiers de la flotte pétrolière mondiale, soit 7 030 navires, naviguent sous des pavillons de complaisance. Pour les affréteurs, les tarifs de ces bateaux, naviguant sous ces pavillons de

« libre immatriculation », sont bien moins coûteux. Du reste, les équipages de ces navires peuvent être de n'importe quelle nationalité : il arrive que l'on compte jusqu'à dix nationalités différentes à bord d'un même navire. Les différences tenant à la langue et à la formation de ces hommes posent, bien évidemment, de graves problèmes de sécurité. Ces raisons expliquent le succès de ces pavillons, puisque, désormais, nous nous inscrivons dans la seule logique de la recherche du profit. Mais, se faisant au mépris de la sécurité, celle-ci a un prix que nous allons devoir payer pendant encore longtemps.

Cette mise en cause de l'utilisation des pavillons de complaisance ne peut être considérée comme du protectionnisme primaire. En effet, il s'agit simplement de dénoncer des pratiques qui mettent en danger les équipages, les côtes, la flore et la faune et, par conséquent, de


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prôner la mise en place de règles « pour tous » pour le bien de tous les Etats. Dans leur ensemble, il faut qu'ils se battent pour leur pavillons nationaux et imposent que la concurrence se fasse au-dessus d'un seuil minimal de qualité.

Nous ne pouvons non plus tolérer les atteintes éhontées aux droits de l'homme, connues de tous. Si l'esclavage a été aboli en 1848, nous sommes pourtant amenés à constater que les navires battant pavillons de complaisance, comme le Kifangondo dans le port du Havre, sont aussi souvent de véritables « négriers ». Nous ne pouvons humainement tolérer les conditions de travail et de sécurité imposées aux hommes qui travaillent sur ces bateaux. Dois-je rappeler qu'entre 140 et 190 navires sombrent chaque année, entraînant la mort de 600 personnes, marins ou passagers ? La coopération avec les pays en voie de développement pourrait se faire autrement qu'en admettant ce recours scandaleux à la complaisance et à l'exploitation des hommes.

La transparence doit être une priorité afin de permettre une lutte efficace contre la situation actuelle du transport maritime. Aujourd'hui, deux navires sur cinq ne respectent pas les normes internationales et leurs propriétaires sont très difficiles à identifier. Ainsi les groupes pétroliers se retranchent-ils derrière des sociétés-écrans entre le propriétaire du navire, le fournisseur des équipages, l'affréteur, le chargeur dont les adresses sont disséminées à travers le monde. Le rapport du BEA sur le naufrage de l'Erika le montre bien.

A l'OMI - Organisation maritime internationale - les droits de vote sont proportionnels au tonnage détenu. Ne faut-il pas rééquilibrer ces règles de fonctionnement dominées par les Etats des pavillons et les milieux d'affaires en donnant plus de poids aux Etats ayant plus de côtes et donc une superficie d'eaux territoriales plus importante. Il y a le droit des Etats du pavillon, le droit des Etats du port, il nous faut aussi un droit des Etats des eaux et des côtes.

Ne pourrions-nous pas imposer aux candidats à l'entrée dans l'Union européenne le respect de règles élémentaires comme celle de disposer d'une véritable administration maritime, d'organismes de classification et de contrôle, avec obligation d'user de leur autorité ? Parmi les pavillons les plus souvent défectueux figurent, en effet, Malte, Chypre, la Turquie, la Roumanie... tous candidats à l'entrée dans l'Union européenne. Ne faut-il pas exiger d'eux qu'ils exercent totalement leur responsabilité dès lors qu'ils acceptent que des navires arborent leur pavillon national, cette exigence valant condition d'entrée dans la Communauté ? Enfin, il faut renforcer les contrôles afin de nous donner les moyens de lutter : sans des contrôles techniques rigoureux dans tous les ports, nous ne pourrons traiter avec sérieux la lutte contre les « navires-poubelles ». Et des contrôles dignes de ce nom ne peuvent s'envisager sans des moyens financiers à la hauteur. Le Gouvernement a annoncé une augmentation du nombre d'inspecteurs. Il faut que cela se concrétise rapidement afin que nos ports puissent contrôler 30 % des navires, conformément à ce qui est prévu dans le cadre du mémorandum de Paris. Mais il est possible d'aller au-delà, surtout si un suivi précis de l'ensemble des flottes - en particulier les plus dangereuses - se met en place et que ces contrôles peuvent s'effectuer dans la zone des 200 milles au-delà de nos côtes.

Il me semble essentiel de conclure sur une observation qui, malheureusement, sous le coup d'une légitime colère, n'a été que très peu faite : le naufrage du pétrolier Erika , s'il a mis en évidence les insuffisances du transport maritime, ne doit pas laisser croire que tous les armateurs sont fautifs. Fort heureusement, il en existe de sérieux et compétents.

Il serait dommage de décourager les bons professionnels, victimes de cet amalgame, qui se battent, qui acceptent les règles, et, par conséquent, courent le risque de se trouver en position de faiblesse vis-à-vis de ceux qui ne les respectent pas et cherchent à réduire leurs coûts.

Car c'est grâce à ces vrais professionnels qui ont appliqué le droit existant que la pollution pétrolière a diminué de 60 % ces dernières années. Ce chiffre doit nous encourager à faire des propositions pour que l'horreur vécue sur nos côtes ne se reproduise plus, ni ici ni ailleurs. Si le risque zéro n'existe pas, il peut être diminué de manière spectaculaire. Mais ce but ne peut être atteint sans une volonté forte, s'inscrivant dans la durée.

La catastrophe causée par l' Erika a fait naître néanmoins cet espoir : celui de voir enfin la législation existante respectée et améliorée pour renforcer la sécurité de la navigation. La Commission d'enquête diligentée par l'Assemblée nationale et que je vais présider aura à coeur d'atteindre cet objectif. Ses conclusions et propositions viseront à donner les éléments nécessaires au Gouvernement pour renforcer sa législation afin de protéger ses eaux territoriales, et à la France pour mener à bien la charge qui lui incombe au sein de l'Union.

Ce triste événement doit aussi être l'occasion de voir s'améliorer les conditions de vie et de travail des équipages.

E nfin, comment ne pas souhaiter des mesures concrètes en faveur du pavillon national et d'équipages nationaux, formés et qualifiés ? Il est temps, là aussi, de rompre avec la logique libérale de déréglementation ; on voit où elle conduit.

Une grande politique maritime signifierait à la fois plus d'emplois et plus de sécurité. En effet, si les différences entre les catastrophes de la fin de l'année 1999 sont importantes, il existe aussi des points communs. En particulier, elles rappellent la nécessité de ne pas laisser faire la loi de l'argent, celle qui tend à déréglementer le transport maritime et qui permet à un groupe pétrolier de passer du « je fais tout » dans les années 70, au « je ne fais plus rien » dans les années 90, celle qui tend à réduire le poids des services publics et les démembrer au nom de la concurrence. Faisons en sorte que la puissance publique, les Etats, mais aussi l'ensemble des citoyens sachent constater ces dérives et exiger que la priorité soit donnée à l'homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Pierre Hériaud.

M. Pierre Hériaud.

Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici donc en séance, six semaines après les faits, pour débattre des effets d'une marée noire qui se poursuit toujours sur notre littoral atlantique et d'un ouragan exceptionnel qui a causé d'énormes dégâts, un peu partout en France, à la fin de l'année 1999.

Au nom du groupe UDF, j'aborderai les principaux points des conséquences économiques et environnementales de cette marée noire ainsi que des mesures à prendre pour prévenir de tels accidents.

Auparavant, je tiens à rendre publiquement hommage au corps des sapeurs-pompiers,...

M. Edouard Landrain.

Très bien !


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M. Pierre Hériaud.

... à l'armée, à la protection civile, à la Croix rouge, ainsi qu'aux très nombreux bénévoles qu'ils encadraient et continuent d'encadrer. Sur les dixneuf communes littorales du département de LoireAtlantique, le plus touché de la façade, plus de 600 spécialistes, chaque jour, encadrent autant de bénévoles. Ce sont 3 000 personnes, sur l'ensemble de la façade atlantique, qui sont chaque jour en action.

Le plan « POLMAR terre » a été revu en août 1999 pour le département de Loire-Atlantique. A cette époque, j'étais intervenu pour que les maires y soient associés. On a vu depuis l'importance du rôle que jouer ceux-ci dans l'organisation sur le terrain.

M. Edouard Landrain.

En effet !

M. Pierre Hériaud.

La mise à contribution des services techniques des communes les plus importantes, ainsi que des services administratifs pour enregistrer les candidatures bénévoles et les affecter, a démontré que l'organisation et l'efficacité ne s'obtiennent que dans un cadre de proximité, là où s'exerce réellement la responsabilité de gens très motivés. C'est au moins une leçon à méditer.

Hommage doit être également rendu aux services de l'Etat et aux responsables, élus et agents, des collectivités locales. La région des Pays-de-Loire et le département de Loire-Atlantique ont immédiatement pris des décisions pour venir financièrement en aide, par des avances, aux communes, notamment aux plus petites d'entre elles, dont la trésorerie ne pouvait faire face aux dépenses engagées.

A ce jour, le nettoyage des plages et des criques est opéré à plus de 80 %, mais l'inquiétude revient avec de nouvelles traces dont la provenance est mal connue.

S'agit-il de nouvelles fuites de l' Erika , sur lesquelles on entend tout et son contraire ? S'agit-il des premiers dépôts de mazout apparus sur les rochers, à la fin du mois de décembre, repris partiellement par les marées des 23 et 24 janvier, qui flottent à nouveau à proximité du rivage ? Les populations riveraines et leurs élus sont excédés par la multitude des informations, souvent contradictoires avec leurs observations, et par la rétention des informations relatives aux résultats des analyses sur la qualité de l'eau, qui doivent emporter des décisions aux conséquences économiques vitales pour les exploitants ostréiculteurs et conchyliculteurs, notamment dans certaines zones de la baie de Bourgneuf et de Noirmoutier.

Vous-même, monsieur le Premier ministre, êtes venu à la fin du mois de décembre à La Baule, quelques jours après le début du sinistre, vous rendre compte de l'ampleur du problème. Plusieurs de vos ministres se sont succédé : Mme Voynet à deux reprises, M. Glavany, M. Chevènement, Mme Demessine. Chacun y est allé de ses engagements et de son soutien, dans la limite de ses attributions, pour le secteur qui le concernait, s'en remettant aux mesures qu'annoncerait le Gouvernement.

Ce que nous attendons, monsieur le Premier ministre, et ce qu'attendent les citoyens, c'est l'expression d'une solidarité gouvernementale à la mesure du formidable mouvement de solidarité qui s'est développé et continue de se développer sur le terrain.

Aujourd'hui, 3 février, où en est-on ? La pollution continue, comme la dépollution ; les dépenses à la charge de l'Etat et des communes aussi, puisque tous les moyens restent en place et en action, malgré quelques transferts, de secteur à secteur.

A cet égard, les élus vous demandent, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir prendre une mesure exceptionnelle pour que les travaux engagés pour les réparations des dégâts causés tant par la tempête que par les interventions liées à la dépollution des plages par les entreprises de travaux publics réquisitionnées à cet effet soient taxés au taux de 5,5 % de TVA.

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Pierre Hériaud.

Les procédures judiciaires sont engagées afin d'établir une estimation des pertes et des indemnisations correspondantes principalement auprès du FIPOL dont le siège est à Londres et qui a établi un bureau à Lorient.

TotalFina a annoncé et mis en oeuvre des mesures de dépollution, sous réserve d'informations plus complètes.

Mais nous ne savons pas encore si cette société abandonne le droit à intégrer la valeur de sa cargaison dans la masse des créances du FIPOL ; car cela représenterait beaucoup et gréverait d'autant les possibilités d'indemnisation des autres secteurs.

La politique de soins et de réparation des dommages causés, dont l'estimation est délicate et loin d'être terminée, se poursuit parallèlement à l'action sur le terrain.

L'estimation des dégâts est donc difficile. Et comment ne pas retenir les conséquences considérables qu'aura cette catastrophe sur le secteur du tourisme ? Les intervenants précédents les ont rappelées, mais j'y reviens en raison de l'importance du problème pour nos communes littorales.

La plupart de ces communes dont la population est multipliée par cinq ou six et parfois davantage pendant la période estivale, doivent faire face à des équipements surdimensionnés dont les financements et les amortissements ne peuvent s'opérer que par des ressources provenant assez largement de l'activité touristique.

Dans ces communes, c'est maintenant que se font les réservations dans les offices de tourisme, les syndicats d'initiative et les hôtels. Les comités régionaux et départementaux du tourisme dont l'action, en liaison avec les élus locaux des communes touristiques, est essentielle, examinent et vont mettre en oeuvre un plan de communication très utile pour la promotion, en France et à l'étranger, de nos stations littorales. Nous ne pouvons pas baisser les bras. Il faut « positiver » devant de tels accidents. C'est notre seule manière de nous en sortir.

Cela est extrêmement important, parce que la France accueille de plus en plus de ressortissants des pays de l'Union européenne, qui réservent d'ailleurs davantage en avant-saison et en arrière-saison pour leurs vacances estivales que la clientèle nationale. Et aussi parce que cela correspond aussi à la politique développée depuis de nombreuses années déjà par les collectivités littorales ; leur stratégie consiste à passer d'un tourisme de six semaines à un tourisme de six mois, voire à un tourisme des quatre saisons, en développant des investissements adaptés en matière de capacité hôtelière et d'équipements ludiques et sportifs.

Ce n'est donc qu'après la saison 2000 qu'une estimation pourra être effectuée selon une méthode appropriée ; car la seule perte de chiffre d'affaires des établissements d'accueil ne permet d'apprécier qu'imparfaitement les conséquences de cette baisse d'activité, les effets induits en matière de redistribution des salaires et donc de réduction du pouvoir d'achat, effets négatifs en cascade.

Mais, dans ce domaine comme dans d'autres, une politique de soins, si nécessaire soit-elle, ne suffit pas, monsieur le Premier ministre. Il faut une politique de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

prévention. Et c'est là que nous vous demandons de prendre des initiatives en commençant par appuyer la démarche du groupe UDF que nous avons initiée, mes collègues Edouard Landrain, Dominique Caillaud et moimême, en proposant la création d'un corps de gardescôtes, à l'instar des coast guards américains.

M. Yves Cochet.

C'est une bonne idée !

M. Pierre Hériaud.

Il ne s'agit pas seulement de voter des textes, encore faut-il qu'ils soient appliqués - ce qui suppose qu'on ait les moyens de le faire.

Il existe une réglementation maritime nationale et internationale à laquelle les transporteurs sont soumis. En France, les préfets maritimes sont dotés d'un pouvoir de contrôle et d'intervention sur tous les navires circulant jusqu'à 60 milles de nos côtes. En 1982, par le mémorandum de Paris, l'Europe du Nord s'est donné le droit d'inspecter les bateaux faisant escale dans ses ports et de les retenir s'ils ne satisfont pas aux normes requises. Sur le plan international, la réglementation impose des normes techniques et des contrôles réguliers par des sociétés de classification.

Malgré ces règles, les conditions minimales de sécurité sont parfois loin d'être assurées. L'existence de pavillons de complaisance, la possibilité pour certains armateurs d'obtenir des certificats de navigabilité sans valeur réelle présentent des risques indéniables et engendrent des catastrophes qui ne sont plus tolérables.

Les nouvelles dispositions législatives et réglementaires à mettre en oeuvre le plus vite possible, qui ne dispensent pas de l'application immédiate et drastique des textes en vigueur, doivent prévoir : premièrement, une remise des plans du navire soumis à l'agrément des gardes-côtes avant toute entrée dans un port français, puis européen ; deuxièmement, une inspection en rade avant tout accostage des navires ;...

M. Edouard Landrain.

Très bien !

M. Pierre Hériaud.

... troisièmement, une inspection complète à chaque escale dans un port français, puis européen ;...

M. Edouard Landrain.

Bravo !

M. Pierre Hériaud.

... quatrièmement, une inspection annuelle de tout bâtiment équipé de la double coque, désormais obligatoire, avec transmission des informations aux ambassades des pays concernés ; cinquièmement, l'agrément d'un nombre limité de sociétés de classification et d'experts à la suite d'un examen méticuleux de ces sociétés agréées ;...

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Pierre Hériaud.

... sixièmement, cela me paraît très important car c'est un problème récurrent, après relâche dans un port de tout tanker pétrolier, la remise aux autorités compétentes d'un certificat de dégazage, qui constituerait le dernier contrôle obligatoire pour pouvoir reprendre la mer.

M. Yves Cochet.

Encore faudrait-il que nos ports soient équipés, voilà le problème !

M. Pierre Hériaud.

Ce n'est qu'à ces conditions qu'une politique de prévention pourra se révéler efficace.

Il y a près de vingt ans, nous l'avons rappelé, que, par le mémorandum de Paris, l'Europe du Nord s'est donné le droit d'inspecter les bateaux. Cette politique doit être harmonisée au plan européen et nous vous demandons de tout mettre en oeuvre, vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le Premier ministre, pour régler cette question pendant la présidence européenne de la France, à partir de juillet prochain.

Voilà, monsieur le Premier ministre, les éléments d'information et les exigences que je formule au nom du groupe UDF et en tant qu'élu d'une région particulièrement touchée par la marée noire.

Aujourd'hui, le débat a lieu devant la représentation nationale. La semaine prochaine, vous nous recevrez avec quelques maires et représentants d'associations d'élus, ainsi que vous l'avez annoncé.

A Nantes, doivent se réunir un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le 28 avez-vous dit, ainsi qu'un conseil interministériel sur la mer : autant d'occasions de rappeler la nécessité des indemnisations pour rétablir l'équilibre de certaines activités économiques dont la situation financière s'est fortement dégradée, parfois pour plusieurs années ; je pense aux activités agricoles, conchylicoles et ostréicoles.

Compte tenu de l'importance des pertes, compte tenu des surplus de rentrées fiscales dont le rythme est deux fois supérieur à la croissance économique en valeur, une loi budgétaire complémentaire prenant en compte et réglant spécifiquement cette situation serait-elle si inopportune ? Monsieur le Premier ministre, je vous demande, au nom du groupe UDF, de bien vouloir, à chaque étape des débats - et en commençant par aujourd'hui -, apporter des réponses fermes et prendre des engagements précis sur la politique que vous entendez conduire en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Philippe Duron, pour le groupe socialiste.

M. Philippe Duron.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, voici un mois, notre pays affrontait un phénomène météorologique sans précédent dans notre histoire climatique : un ouragan associé à des inondations et une marée noire qui a ravagé une partie importante du littoral atlantique. Le très lourd bilan humain qui ae ndeuillé cette fin d'année 1999 restera dans les mémoires comme un mois de décembre noir.

Je tiens ici à saluer la mémoire des victimes, notamment, dans le département du Calvados, celle du brigadier-chef Claude Cosnard, mort en service lors d'une opération d'hélitreuillage d'une famille isolée par les inondations.

Les ouragans que nous avons connus le 26 décembre puis dans la nuit du 27 au 28 décembre ont été exceptionnels par leur ampleur, leur force et leur impact sur notre territoire. Les dommages considérables qu'ils ont entraînés ont dépassé en importance ce que la mémoire collective et les archives de notre pays ont jusqu'ici retenu.

De nombreux départements ont subi de surcroît des inondations d'une forte ampleur. Dans le Calvados, le mois de décembre 1999 a été le mois le plus pluvieux des cent vingt dernières années, avec de nombreuses crues qui viennent, dans les annales, après celles de 1995.

Vous-même, monsieur le Premier ministre et votre gouvernement, avez pris la mesure des événements et apporté aux élus et aux populations les encouragements et les secours qui s'imposaient.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

Je souhaiterais à présent évoquer, au nom du groupe socialiste, les deux thèmes de la prévention et de l'indemnisation.

Face à des tempêtes d'une telle ampleur, la prévention est un exercice difficile. Relativement fréquent sous les climats intertropicaux, ce phénomène climatique est ici rarissime. Toutefois, les experts nous le disent, il est susceptible de se reproduire. Il faut consolider notre système de prévention dans ce domaine et rechercher une plus g rande fiabilité de l'information météorologique. Le modèle ARPEGE de Météo France, en minimisant la violence du phénomène, n'a pas permis d'en anticiper suffisamment les conséquences.

Quatre-vingt-huit de nos concitoyens ont péri lors des tempêtes. Ce bilan aurait sans doute été plus lourd encore si la tempête qui a touché la moitié sud de notre pays l'avait atteint en plein jour. De nombreux accidents, des fractures du visage ou des membres antérieurs ont montré la nécessité d'une information simple sur les comportements à adopter face à des vents d'une telle force. L'usage des médias, de la radio notamment, pourrait être renforcé. Une accélération de l'enfouissement des lignes électriques et téléphoniques, annoncée par Christian Pierret lors du débat sur l'électricité, limitera les risques et les interruptions du service.

Une meilleure couverture du territoire en matière de téléphonie mobile faciliterait, dans les premières heures d'un tel phénomène, l'organisation des secours. L'analyse de la gestion de cette crise montrera, j'en suis convaincu, la nécessité qu'il y a d'inventorier de façon précise, et certainement d'augmenter, le nombre de groupes électrogènes disponibles sur un même territoire ainsi que les stocks de bâches et de tous les matériels de première urgence.

Quant aux inondations, elles représentent le risque le plus important en matière de catastrophes naturelles. Ce risque concerne directement plus de 2 millions de personnes en France et peut affecter jusqu'à une commune sur trois.

Un dispositif de prévention existe déjà, qu'il s'agisse des documents départementaux des risques majeurs, des atlas des zones inondables, des systèmes d'annonce de crues, ou des plans de prévention des risques instaurés par la loi du 2 février 1995.

Malgré les efforts réalisés depuis 1997 par votre gouvernement, seules 1 700 communes environ sont aujourd'hui dotées d'un PPR. La méthode d'élaboration et les résultats sont parfois contestables, et surtout contestés par les élus et les usagers.

En février 1999, monsieur le Premier ministre, vous aviez confié à notre collègue Yves Dauge une mission sur la mise en place d'un cadre de débat et de concertation sur les inondations. Son rapport préconise la création d'une instance nationale permettant d'analyser les inondations et d'assurer un retour d'expérience. Il s'agit de reconstituer, puis de diffuser auprès des collectivités locales la « mémoire » du risque. J'aimerais connaître, monsieur le Premier ministre, les suites que le Gouvernement compte donner à ces propositions pour renforcer la prévention, qui constitue un facteur de forte réduction des risques.

En matière d'indemnisation, je tiens d'abord à saluer la rapidité des mesures prises par votre gouvernement, que vous venez de rappeler et de compléter dans votre intervention : parmi celles-ci, la déclaration de l'état de catastrophe naturelle dans soixante-neuf départements par le conseil des ministres du 29 décembre permettra, conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1982, une indemnisation rapide des dommages causés par les inondations.

Toutefois, ces mesures, certes nécessaires, ne dispensent pas d'une interrogation sur la validité de notre système d'indemnisation des risques naturels à l'aune des intempéries que nous venons de subir. Ce système de garantie des catastrophes naturelles est fondé sur la notion de solidarité, et cela est juste. Toutefois, les tempêtes, les ouragans, les cyclones n'entrent pas dans le cadre de ce régime, mais relèvent de la loi du 25 juin 1990. Celle-ci impose aux assurances, comme c'est normal, la couverture des sinistres liés à ces risques. Il reste que ce deuxième dispositif est nettement moins avantageux pour l'assuré que le régime de la loi de 1982, qui prévoit une indemnisation « valeur à neuf » des dégâts. Certains sinistrés, et je pense en particulier aux agriculteurs, auront des difficultés à remettre en état un patrimoine immobilier souvent ancien, ainsi que leur outil de travail. Vous avez indiqué, monsieur le Premier ministre, les mesures complémentraires que le Gouvernement met en place pour pallier les insuffisances de ce système d'indemnisation.

Mme la présidente.

Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Duron.

J'en termine, madame la présidente.

Enfin, il y a lieu de s'interroger sur la pérennité du système d'indemnisation fondé sur l'état de catastrophe naturelle. En effet, ce système, qui privilégie la réparation au détriment de la prévention, entraîne une certaine déresponsabilisation des usagers, comme des assureurs.

Face à une crise majeure, le Gouvernement, les services et entreprises publics et nos concitoyens ont su faire face de façon exemplaire. Le principe de précaution nous impose cependant d'améliorer le système d'information et de prévention face à un niveau de risques jusqu'ici inconnu. De plus, à l'issue du bilan qui sera fait de cette catastrophe, il faudra revenir sur le dispositif d'indemnisation, pour en améliorer l'efficacité, le rendre plus vertueux et plus pérenne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Louis Guédon.

M. Louis Guédon.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le naufrage de l' Erika et sa pollution ont été à l'origine d'une mobilisation générale : mobilisation des populations maritimes et des bénévoles, mobilisation des services de l'Etat, des pompiers, de l'armée, de la protection civile, placés sous l'autorité des préfets.

Certes, nous comprenons la colère légitime qui, dans leur dignité, anime nos concitoyens. S'il s'agissait, en effet, du premier naufrage, on pourrait invoquer le destin, la fatalité, l'absence d'expérience. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Cette catastrophe suscite un certain nombre de questions. Il est de notre responsabilité de comprendre, le risque zéro n'existant pas, comment notre littoral a pu subir une nouvelle marée noire.

En ce qui concerne le plan POLMAR mer, commente xpliquer son dysfonctionnement, sinon avouer son échec ? Comment expliquer, pour un navire en difficulté présentant tous ces dangers, le temps écoulé entre le premier appel de détresse et le naufrage, sans que soient engagées les mesures visant à l'éviter ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

Comment justifier les erreurs de suivi de la nappe de mazout qui, annoncée à La Rochelle, touchait le rivage au Guilvinec, rendant les moyens mis en place inutiles dans les Charentes et inefficaces dans le Finistère ? Comment faire croire aux populations maritimes averties des problèmes de la mer, que l'on pouvait, avec des navires inadaptés, pomper ce mazout ? S'agissant du plan POLMAR terre, il est regrettable que les mesures n'aient concerné que les estuaires et les entrées de port, laissant les plages, indispensables au développement touristique, et les côtes sauvages sans protection programmée.

Les bénévoles ont montré leur solidarité, ils sont venus nombreux, leur courage a provoqué l'admiration, mais des signes de lassitude, après un mois et demi d'efforts, commencent à apparaître, sentiment renforcé par l'apparition de nouvelles nappes. Cette situation est de plus en plus insoutenable, et l'on comprend que les populations concernées se regroupent, constituent des associations de défense et militent pour qu'une attitude responsable et préventive se substitue aux propos rassurants.

Les dégâts sont importants, les moyens mis en place sont onéreux, la facture sera lourde. Elle sera prise en compte, on le sait, par les assureurs, pour 70 millions, par le FIPOL, pour 1,2 milliard, et par l'Etat, qui assurera le financement du plan POLMAR avec le souci légitime de faire payer les pollueurs. Les pêcheurs, les ostréic ulteurs, les conchyliculteurs, les professionnels du tourisme, les collectivités locales attendent des réponses concrètes.

Il apparaît primordial que l'Etat, dont les moyens sont supérieurs, fasse valoir auprès du FIPOL ses droits à indemnisation après ceux des collectivités locales et territoriales.

On doit s'interroger sur le rôle et la responsabilité des compagnies pétrolières qui, dégageant des bénéfices substantiels, confient leur dangereuse cargaison à des navires dont la fiabilité est mise en cause.

Comment ne pas évoquer aussi le développement des pavillons de complaisance, qui a projeté la flotte de Malte au troisième rang mondial, alors qu'en quelques décennies la flotte de commerce française est ainsi passée de la huitième à la vingt-cinquième place, entraînant par la même occasion la perte de nombreux emplois. Il serait juste, dans un pays où la tradition maritime est forte et le potentiel économique évident, que notre littoral, le plus long d'Europe, soit valorisé par le renouveau d'une véritable flotte marchande. Il y va de la crédibilité maritime de l'Europe, au travers de ses réglementations et de ses aides.

Or le temps presse et l'économie touristique, première source de devises, ne se satisfait pas de mesures improvisées. C'est une industrie, elle se programme, elle fait partie d'un négoce, elle doit faire face à la concurrence des pays étrangers. Il est urgent d'apporter la preuve que les réparations de notre littoral sont entières et définitives.

A juste titre, le Gouvernement a annoncé une grande compagne de communication. Dans l'urgence, des initiatives positives et parfaitement légitimes ont également été prises en ce domaine par les régions et les départements.

L'action de ces derniers devra être prioritaire. Ils ont ciblé une clientèle fidèle qui apprécie, dans leur diversité, leurs activités, leur climat, leur culture et leur patrimoine.

Monsieur le Premier ministre, notre population maritime attend que toute la lumière soit faite sur ces événements, et qu'une grande rigueur soit la ligne de force sur laquelle un consensus national pourra s'établir. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur les mesures d'ordre financier et assuranciel ayant déjà largement eu lieu, et vous-même, monsieur le Premier ministre, ayant largement traité cet aspect, je ne m'y attarderai pas.

Dans l'intitulé même de cette séance : « Déclaration du Gouvernement sur les conséquences et les suites des intempéries et de la marée noire », je crois qu'il manque le mot « causes ». Et ce défaut d'analyse me semble préoccupant dans quatre domaines essentiels.

Premièrement, le réseau électrique.

Les dégâts sur le réseau électrique ont été plus importants dans notre pays qu'en Allemagne ou en Belgique par exemple, pays qui, pourtant, ont été également traversés par la tempête. Cela veut dire que les éléments naturels ne sont pas les seuls en cause dans ces ravages. La tempête, à mon avis, a révélé la vulnérabilité du ré seau électrique français, due notamment au choix de la monoénergie nucléaire, qui a entraîné la centralisation de la production électrique sur une vingtaine de sites seulement. D'où d'innombrables kilomètres de lignes à très haute tension, fragiles aux intempéries, d'où aussi des pertes en ligne importantes, sans parler de la dégradation des paysages. Ce choix d'un réseau énergétique centralisé a renforcé les effets dévastateurs des tempêtes et contribué à priver d'électricité des milliers de foyers pendant des semaines et des semaines.

Deuxièmement, le nucléaire.

Deux des quatre réacteurs de la centrale du Blayais, située au bord de la Gironde, ont été mis hors d'état le 27 décembre en raison de l'inondation des sous-sols, faute de digues d'une hauteur suffisante pour arrêter le débordement de la Gironde.

Troisièmement, les forêts.

La gravité des dégâts qu'elles ont subis est un révélateur des mauvais choix passés de notre politique de plantation forestière, caractérisée par la plantation à outrance de résineux dans des régions où ils ne sont pas naturellement présents, par le choix d'essences à croissance rapide, par la culture de futaies homogènes facilement exploitables, pour répondre sans doute à des impératifs de rentabilité, mais au détriment des forêts elles-mêmes, y compris dans leur fonction marchande, mais aussi dans leurs fonctions non marchandes et dans leur vertu écologique.

Quatrièmement, enfin, la marée noire.

Nous pensons que la catastrophe de l' Erika aurait pu être évitée si, après celles du Torrey Canyon, de l' Amoco Cadiz, du Tanio et bien d'autres, avait été mise en place une politique de prévention des pollutions et de renforcement de la sécurité maritime. En effet, jusqu'au naufrage de l' Erika alors même que le transport maritime n'a cessé de se développer, peu a été fait pour prévenir les risques liés au transport de marchandises et de produits toxiques ou dangereux à bord de navires à bout de course, sans contrôles sérieux, tant au niveau des normes de sécurité elles-mêmes que du respect des normes sociales. Certains ont évoqué la composition de l'équipage de l' Erika, ce bateau naviguant sous pavillon de complaisance dans des couloirs de navigation saturés. La Manche, on le sait, est l'autoroute maritime la plus dense du monde.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

Après ce constat un peu différent, peut-être, de celui qu'ont dressé les orateurs précédents, j'en viens à nos propositions.

La démesure des ravages causés par les intempéries est globalement la conséquence de choix parfois opérés en dépit du bon sens, souvent sans précautions et assujettis à une pensée économique unique. Nos choix présents et à venir, nos orientations, nos investissements doivent concilier sécurité d'approvisionnement, protection de l'environnement, développement local et création d'emplois.

Voici donc quelques pistes de réflexion.

S ur le plan énergétique, l'ampleur des désordres confirme, selon nous, la nécessité de donner la priorité à une production décentralisée et diversifiée d'énergie, au plus près des besoins et s'appuyant sur les potentialités locales de nos régions. Je pense par exemple à la cogénération, à des unités de production de plus petite taille qui soient maillées dans une sorte de boucle locale et, bien sûr, aux économies d'énergie et aux énergies renouvelables. Certes, l'Allemagne a moins souffert de la tempête que la France en raison de l'enterrement de ses lignes.

Mais le débat n'est pas tranché, car l'enfouissement des lignes coûte cher, en particulier pour la très haute tension. Il faut donc réfléchir à l'autre option que je propose et qui consiste à reconstruire les lignes en diversifiant les moyens de production dans une perspective anticipatrice.

Bien entendu, les Verts ne sont pas les apôtres d'une pseudo-énergie miracle qui serait susceptible de remplacer le nucléaire à court terme. Cela n'a jamais été notre discours. Mais prenons un exemple. Il sera bientôt possible de produire de l'électricité à bas prix grâce à la pile à combustible. Celle-ci fait déjà l'objet de recherches, que ce soit dans l'industrie automobile ou dans le secteur énergétique. Dans dix, quinze ou vingt ans, elle viendra concurrencer la production centralisée d'électricité, car elle permettra à un immeuble, à un village, à un quartier de se passer du cordon ombilical qui les relie à EDF. Je pense donc qu'EDF a de quoi s'inquiéter, notamment avec l'ouverture du marché de l'électricité. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

S'agissant de la vulnérabilité des centrales vis-à-vis des crues, des marées ou d'autres éléments naturels, j'estime que l'inondation du site du Blayais était évitable. Mais elle a mis en évidence la nécessité de vérifier seize des dix-neuf sites centralisés que compte la France. Nous devons nous interroger sur la pertinence des méthodes employées jusqu'à présent pour déterminer l'intensité des agressions externes extrêmes. Il ne faut plus attendre que de possibles accidents se produisent pour procéder à des contrôles systématiques de l'adéquation des critères de sécurité appliqués dans les centrales.

Pour ce qui est des forêts, les leçons à tirer sont au fond les mêmes que pour l'énergie : il convient de diversifier et de développer la recherche et l'innovation. La diversification des essences en fonction des impératifs géographiques et climatiques locaux, la régénération naturelle favorable à la mixité des essences et la révision des m odes et des critères d'exploitation forestière nous paraissent des solutions de bon sens. Néanmoins, tout comme pour l'énergie, il est impératif de développer parallèlement la recherche, par la mise en place de laboratoires forestiers permettant d'expérimenter et de multiplier les scénarios de plantations, de coupes, de contrats respectueux de la biodiversité. Car il n'existe malheureusement plus dans l'Hexagone - à part peut-être dans les Vosges - de forêts primaires dont nous puissions nous inspirer.

En ce qui concerne le transport maritime et la lutte contre les pollutions marines, notre sous-groupe, les Verts, a déposé une proposition de loi qui vise notamment à appliquer, comme M. Paul l'a également suggéré, le principe « pollueur payeur » aux transports maritimes ; à renforcer la réglementation, le contrôle et les sanctions en matière de sécurité des navires et de normes sociales pour les équipages ; à revoir la politique portuaire dans le cadre d'une politique française et européenne d'aménagement du territoire ; à réprimer les rejets volontaires en haute mer, autre facteur de pollution.

En effet, nous avons tous été émus par les marées noires, notamment la dernière, celle de l' Erika mais en termes de tonnage, c'est la pollution chronique, c'est-àdire les dégazages, qui est la plus massive. Nous proposons donc, de même que M. Hériaud, d'imposer l'obtention d'un certificat de dégazage à tout navire avant de l'autoriser à reprendre la mer. Cela implique que tous les ports français et européens soient équipés d'installations de dégazage, ce qui est loin d'être le cas.

Nous proposons enfin la création, auprès du ministère de l'environnement et de celui chargé de la mer, d'un établissement public, qu'on pourrait dénommer « agence de protection de l'espace maritime », ayant un rôle d'expertise en matière de pollution du milieu marin, et notamment pour cette pollution chronique massive dont on parle moins.

On pourrait croire, et le titre donné à ce débat le laisse penser, que s'il y a bien eu coïncidence temporelle entre les tempêtes et la marée noire, il n'y a pas de relation réelle entre ces deux phénomènes. Je suis convaincu du contraire. En effet, l'Erika transportait du pétrole destiné principalement à être brûlé dans les moteurs thermiques de nos véhicules, qui sont eux-mêmes, on le sait, la cause principale de l'accroissement des taux de gaz à effet de serre. Or s'il est impossible aujourd'hui d'établir scientifiquement, de manière incontestable, un lien de cause à effet entre les désordres climatiques, notamment le réchauffement de la planète, et les intempéries que nous venons de subir, on ne peut pas non plus conclure hâtivement que la croissance de l'effet de serre ne joue aucun rôle dans les perturbations climatiques. D'ailleurs, certains experts internationaux s'attendent à une hausse de la température moyenne du globe de 1 ou 1,5 degré à 3 degrés d'ici à la fin du siècle. Ce changement se traduirait sans doute par des sécheresses aggravées dans certaines zones de la planète, et à l'inverse, par une augmentation des pluies due à une évaporation plus forte à la surface des océans. Il est impossible aujourd'hui de situer les zones géographiques qui seraient touchées par l'un ou l'autre de ces phénomènes, mais il est probable que la croissance de l'effet de serre se traduira par une aggravation des perturbations climatiques telles que celles que nous venons de subir.

C'est pourquoi, au-delà de ces intempéries, dont il faudra d'ailleurs peut-être attendre d'autres suites sous forme climatique, il convient immédiatement de réduire la vulnérabilité de notre société à ces situations de crise par la mise en oeuvre de politiques appliquant le principe de précaution. Cela passe notamment par ce que j'appellerai la défragilisation de nos infrastructures. En outre, et celar envoie, monsieur le Premier ministre, madame la ministre de l'environnement, aux propositions que vous avez évoquées voilà une dizaine de jours concernant la lutte contre l'accroissement de l'effet de serre, il faut rejeter le principe des permis à polluer qui atténueraient


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

considérablement la portée de votre plan. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Sylvia Bassot.

Mme Sylvia Bassot.

Mesdames, messieurs, je voudrais, à l'occasion de ce débat, appeler plus spécialement l'attention du ministre de l'agriculture sur la détresse de nos agriculteurs après la tempête du 26 décembre.

Est-il besoin de rappeler que, ces dernières années, les agriculteurs ont eu à faire face à des crises à répétition : ESB, dioxine, listéria, effondrement des cours ? Dans la même période, le contexte économique s'est durci avec les mesures protectionnistes prises par les américains et les rapports avec la grande distribution se sont encore tendus.

Cette tempête est donc une épreuve de plus pour le monde agricole qui se mobilise avec beaucoup de courage et de détermination pour reconstruire mais qui, seul, ne pourra pas s'en sortir, si la solidarité nationale ne joue pas pleinement.

Alors que nous sommes en mesure d'envoyer quasiment toutes les semaines des satellites dans l'espace, nous devons être capables de sauver notre agriculture sinistrée.

En tout état de cause, elle va payer un très lourd tribut et ne se remettra que difficilement, car ses blessures sont profondes. Toutes les filières ont été touchées, en effet, et un très grand nombre d'exploitants ont perdu leur outil de travail.

Concrètement, cela se traduit pour un département comme l'Orne, par une facture impressionnante : 700 millions de francs de dégâts, dont 200 ne seraient pas pris en compte par les assurances. Ce sont aussi 1 million de mètres carrés de bâtiments agricoles endommagés, 2,5 millions de litres de lait perdus, et plus de 100 000 pommiers et poiriers détruits. Le bocage en fleurs était un spectacle unique en Europe.

Au-delà des mesures d'urgence annoncées par le Gouvernement, il me paraît indispensable de compléter le dispositif pour l'adapter à l'ampleur des dommages constatés avec, d'une part, des aides financières plus importantes, et, d'autre part, la mise en place de mesures administratives concrètes et souples.

M. René André.

C'est essentiel !

Mme Sylvia Bassot.

A cet égard, les avenants au contrat de plan que vous venez d'évoquer, monsieur le Premier ministre, vont dans le bon sens. La spécificité de chaque région doit être prise en compte. S'agissant de la Basse-Normandie, par exemple, il serait souhaitable que la reconstitution des vergers soit en quelque sorte prioritaire.

M. René André.

Eh oui !

Mme Sylvia Bassot.

Pour ce qui est des mesures financières, des moyens supplémentaires doivent être mobilisés.

En effet, les pertes d'exploitation, les différentiels de vétusté, et les dégâts sanitaires sur le cheptel ne sont pas assurés dans la plupart des cas. Or la reconstitution du potentiel de production va entraîner un investissement important de la part des exploitants.

Bercy doit donc prendre des mesures d'allégement fiscal : non-imposition des indemnisations perçues et modulation exceptionnelle du régime d'imposition des bénéfices et des plus-values. Compte tenu de l'ampleur des dégâts, une adaptation des taux d'indemnisation « calamité agricole » est également nécessaire. Une simplification de la procédure aussi.

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi d'insister, l'urgence s'impose. Tout doit être fait pour que les premiers acomptes soient versés d'ici à la fin du mois de février.

Enfin, le manque de main-d'oeuvre pour remettre en état les parcelles se fait cruellement sentir. Des initiatives ont été prises, faisant appel aux asociations d'insertion.

Leur coût est réparti entre les agriculteurs et les collectivités locales. Mais l'Etat doit participer à cet effort et mettre en place une mesure nationale.

Pour ce qui est des mesures administratives, il faut être plus souple, plus rapide, tout en restant vigilant. Ainsi, il me paraît particulièrement important que le calendrier et les objectifs du PMPOA soient revus. Je pense au report des échéances pour les agriculteurs sinistrés, et à l'intégr ation rapide de ceux qui répondent ou non au seuil du n ombre d'UGB, et qui sont dans l'obligation de reconstruire leur bâtiment. Toutes ces mesures sont dictées par le bon sens.

Par ailleurs, je souhaite que le ministre des finances fasse en sorte que les services de la concurrence et des prix se montrent particulièrement vigilants. En effet, les prix des matériaux ne doivent pas s'envoler, comme les tuiles et les ardoises pendant la tempête.

Je demande également au ministre de l'équipement de donner des instructions afin que les procédures de permis de construire soient accélérées pour la reconstruction des bâtiments.

Enfin, une dérogation nationale et temporaire concernant le nombre d'heures travaillées sur les exploitations serait la bienvenue.

En tout état de cause, quelle que soit leur importance, les mesures engagées par l'Etat et les collectivités territoriales pour aider le monde agricole n'effaceront jamais le préjudice moral subi. Certains agriculteurs sont d'ailleurs complètement découragés après avoir vu, en une nuit, une vie de travail balayée et détruite.

Permettre à des agriculteurs de quitter leur métier la tête haute, notamment lorsqu'ils sont proches de la retraite, et redonner aux plus jeunes l'espoir et le moral suffisant pour continuer ou s'installer, tels doivent être aussi les objectifs de l'Etat. Celui-ci doit non seulement appréhender les conséquences économiques de cette tempête, mais également - je vous le demande instamment, monsieur le Premier ministre - porter un regard humain sur cette catastrophe.

M. René André.

Très bien !

Mme Sylvia Bassot.

Alors que les agriculteurs ont été les premiers à se mettre bénévolement au service de chacun pour dégager routes et chemins, la solidarité nationale doit maintenant accompagner leurs efforts pour les aider à retrouver leur outil de production et permettre la survie de leurs exploitations déjà fragilisées par une conjoncture très difficile.

La cagnotte de M. le ministre des finances devrait nous permettre d'y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Louis Idiart.

Les libéraux l'ont déjà dépensée !

Mme la présidente.

La parole est à M. René Dutin.

M. René Dutin.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a quinze jours, j'ai déjà interrogé le Gouvernement sur les conséquences de la tempête, plus


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particulièrement dans mon département, la Dordogne, qui a payé un des plus lourds tributs. La tenue de ce débat, ce matin, va me permettre d'aborder cette question de manière beaucoup plus large.

Après plus d'un mois, ces deux tempêtes restent gravées dans les esprits et leur bilan apparaît chaque jour plus lourd.

Des milliers de gens ont été touchés. Certains ont été privés, pendant plus de quinze jours, des conditions élémentaires d'existence : eau, électricité, téléphone, routes praticables. Il y a même eu des victimes, dont je salue ici la mémoire, et j'apporte toute ma sympathie à leur famille.

A présent, la vie courante est redevenue normale et le dernier groupe électrogène a été retiré aujourd'hui même dans ma circonscription.

Cela a été possible grâce à la mobilisation de tous. Je ne crois pas inutile de rendre ici à nouveau hommage à tous ceux qui se sont mobilisés dans l'urgence : les services publics, préfet et sous-préfet, avec bien sûr le dévouement et le savoir-faire irremplaçable des agents EDF. S'y sont ajoutés ceux de France Télécom, de La Poste, de la DDE, de la SNCF, les services de secours et d'incendie et l'armée.

On ne peut pas passer sous silence non plus la mobilisation des élus, et avant tout des maires, qui ont été les premiers interlocuteurs des sinistrés. Grâce à eux et aux employés municipaux, le désastre a été atténué.

Je veux également souligner le formidable élan de solidarité qui s'est manifesté dans la population, ce qui a ranimé des valeurs fortes et belles, parfois oubliées. Mais à présent, il faut dresser le bilan des dégâts, il faut répa rer, il faut reconstruire.

Le plan d'aide du Gouvernement est maintenant connu. Je déplore toutefois que l'état de catastrophe naturelle n'ait pas été étendu à la tempête.

En effet, beaucoup de dégâts ne relèvent pas de l'indemnisation prévue par les assurances. Chez les simples p articuliers, l'abattage des arbres, l'enlèvement des souches, les destructions de clôtures, de vérandas, de volets, ne sont pas, par exemple, pris en charge.

De même, il faut prévoir des aides exceptionnelles pour le déblaiement des parcs et des jardins se trouvant autour des jardins et des propriétés privées. Cela n'est pris en charge par les assurances que si la chute de l'arbre a causé des dégâts. Lorsque l'on sait que le moindre déblaiement coûte au moins 10 000 francs... Et que dire des cimetières dont la plupart des pierres tombales sont saccagées ! Malheureusement, les particuliers ne sont pas les seuls pénalisés. Il faut souligner aussi le manque à gagner des artisans, des PME et des commerçants privés d'un élément essentiel, l'électricité. A cet égard, je soutiens l'idée d'une déduction fiscale sur l'exercice 2000, pour compenser les pertes qui n'auraient pu être indemnisées.

Je pense aussi aux petits agriculteurs dont l'outil de t ravail a été détruit et qui ont subi des pertes d'exploitation énormes - animaux morts, lait jeté, vergers ravagés -, comme vous avez pu le constater, monsieur le Premier ministre, lors de votre visite en Dordogne.

Pour eux, les seuils d'éligibilité à la procédure de

« calamité agricole » doivent être réduits. Il est aussi nécessaire de maintenir et même de renforcer l'aide de l'armée, qui, pour mon seul canton, est estimée à 1 500 journées de travail, non pour reconstruire mais pour effacer les plus gros dégâts. A cet égard, en vue des travaux de printemps - semis, retour des troupeaux dans les pâturages -, ne peut-on pas, en concertation avec les collectivités locales, mobiliser ultérieurement les groupements d'employeurs ? Je pense également aux rivières et cours d'eau qu'il faut dégager pour éviter les crues de printemps.

Enfin, je pense à la forêt, particulièrement sinistrée, parfois anéantie, ce qui a un impact écologique, bien sûr, mais aussi économique. Il faut déblayer, transporter, stocker, vendre et reboiser. Or la filière bois était en crise avant les 300 millions d'arbres abattus par la tempête - 5 millions de mètres cubes pour la seule Dordogne.

Certes, le plan national spécifique en faveur de la forêt comporte des mesures positives. Je me pose toutefois la question de leur suffisance devant l'ampleur des dégâts que je vois tous les jours un peu plus dans ma circonscription.

La Dordogne compte 100 000 propriétaires forestiers, dont 50 % ont moins de quatre hectares. Cela signifie que le plan national d'aides mis au point par le Gouvernement ne pourra pas leur être appliqué. Pourtant, nous n'avons pas le droit de les oublier. Les pouvoirs publics doivent intervenir de manière forte. Peut-être pourrionsnous envisager un groupement d'employeurs ? Pour évacuer tous les bois, il faudrait également que des garesbois soient très vite opérationnelles et que les tarifs du transport soient étudiés au plus juste, comme vous l'avez dit ce matin, monsieur le Premier ministre.

Je pense enfin au tourisme vert, dont l'activité me semble bien compromise pour la saison à venir si des mesures exceptionnelles ne sont pas prises, tant pour refaire les sites que pour aider les professionnels du tourisme à remettre en état les lieux d'accueil, notamment pour l'hôtellerie de plein air et les campings.

Ainsi, les besoins sont immenses. Les assurances, qui affichent des profits fabuleux, doivent jouer leur rôle et non faire du chantage à la hausse des primes.

L'Etat doit donc apporter une réponse à la hauteur de la situation. Les engagements du 12 janvier sont un point de départ non négligeable. Mais nous savons bien que, depuis quatre semaines, les particuliers et les communes ont pu faire un inventaire plus réel des dégâts occasionnés. Ils ont aujourd'hui une approche réaliste et inquiétante s'agissant des dégâts qui ne seront pas pris en considération par les assurances.

Les sinistrés sont bien souvent découragés. Ils ont besoin d'un message fort de solidarité de la nation pour retrouver l'espoir. Monsieur le Premier ministre, je sais qu'on peut compter sur vous, et vous pourrez compter sur nous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Pierre Micaux.

M. Pierre Micaux.

Monsieur le Premier ministre, vous avez raison d'engager une réflexion portant sur les conséquences des deux tempêtes de fin décembre 1999.

Dans mon intervention, je me bornerai, quant à moi, à évoquer celles qui concernent la forêt. En la matière, toute la difficulté est de remédier rapidement à une situation que nous ne connaissons pas encore avec précision, tout en engageant une démarche de longue haleine. En tout cas, il ne faut absolument pas plier devant l'inertie administrative - et je sais de quoi je parle. La forêt, que nous aimons, ne peut qu'ignorer les diktats déterminés par des inconscients.


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Aujourd'hui, si nous en sommes toujours aux hypothèses s'agissant de l'importance des dégâts, il est certain que la forêt est bien la principale victime de cette catastrophe, eu égard au volume de bois abattu, déraciné, fendu ou cassé. Hier encore, deux hommes, qui travaillaient à remettre de l'ordre dans l'enchevêtrement des troncs abattus, ont perdu la vie. Il faut donc veiller à ce que personne n'aille en forêt sans une formation préalable.

Le volume de bois abattu atteindrait 115 millions de mètres cubes : grosso modo, deux tiers chez les propriétaires privés, un tiers dans les forêts relevant de l'ONF des collectivités et des établissements publics, car, même si l'on n'en parle pas, ils sont nombreux à être propriét aires, des hôpitaux notamment. Cette répartition démontre, si besoin était, toute la considération que méritent les propriétaires privés. Ils doivent être traités de la même manière que les propriétaires publics.

L'enjeu écologique, économique, social, humain est sans précédent. Pour autant, il n'y a aucun raison de vouloir remettre en cause, de fond en comble, notre gestion forestière nationale. Sans doute allons-nous voir de brillants esprits s'activer. On parle déjà de remettre en cause le principe de la futaie, alignée ou non. Ne tombons pas dans les slogans. La forêt, on l'aime, certes, mais il faut d'abord l'apprendre et ensuite la gérer : un peuplier, c'est vingt à vingt-cinq ans, un épicéa entre cinquante et cent ans, suivant le sol, un chêne ou un hêtre entre quatrevingts et cent-cinquante ans.

Il y a probablement eu des errements. Profitons de la nécessité de réparer les dégâts provoqués par la tempê te pour y remédier, afin qu'à quelque, chose malheur soit bon, mais ne déclenchons pas nous-mêmes une nouvelle tempête sur l'ensemble de la forêt.

Pour le court terme, il faut rapidement mettre en oeuvre des solutions techniques car la nature ne va pas manquer de reprendre ses droits. Je pense en particulier aux risques phytosanitaires. Au moment où se déroule un colloque sur la lutte contre le cancer, on peut dire que ces risques phytosanitaires s'apparentent à un risque de cancer pour la forêt. Il faut donc intervenir au plus vite, même si cela suppose que l'on supprime les freins qui subsistent ici ou là.

Je pense, en particulier, aux risques phytosanitaires qui pèsent sur les hêtres, les pins, les épicéas. Mais je veux aussi parler de l'éventuelle dégradation des sols et, en général, de l'écosystème, de l'environnement, de la lutte contre l'effet de serre dans laquelle la forêt est un allié irremplaçable. Ne perdons surtout pas de vue que notre forêt blessée, meurtrie, est très affaiblie. Elle est donc bien moins armée pour résister à de nouveaux vents, même moins violents.

Des solutions pratiques et financières doivent être mises en oeuvre rapidement. Le total des pertes en capital, auxquelles s'ajouteront des dépenses d'exploitation inhabituelles, accrues par les difficultés d'accès, par la nécessité de nettoyer des bois enchevêtrés, dépassera sans doute les 30 milliards de francs, dans un domaine peu couvert par les assurances.

Il faut satisfaire à l'urgence en engageant concrètement les premières interventions, car nous avons pris du retard.

Le Gouvernement agit dans le bon sens, mais il faut allere ncore plus vite. Il est indispensable d'opérer des reconnaissances sur le terrain quitte, là où les inondations limitent les possibilités d'accès, à intervenir par voie aérienne. Tel doit être en particulier le cas pour les peupleraies dont on ne parle pas assez. Nous disposerions ainsi d'un inventaire assez proche de la réalité, nécessaire avant d'aborder la phase des marchés.

Autant que faire se peut, il convient aussi de n'exploiter que les arbres complètement abattus ou cassés. Ceux qui sont encore enracinés peuvent attendre quelques mois, sous réserve que soient mises en oeuvre les mesures de sécurité nécessaires. A cet égard, il est très urgent de donner le feu vert à la création de 230 postes d'encadrement de chantier en forêt privée. Vos propos à ce sujet, monsieur le Premier ministre, vont dans le bon sens, mais un étalement sur trois ans me paraît trop long, compte tenu de l'urgence.

Il est également indispensable d'agir pour éviter que les marchés soient déséquilibrés, sinon, nous subirions une seconde catastrophe. Nous savons tous qu'il y a toujours des aigrefins, dans notre hexagone et de par le monde.

A cet égard, la mise en place de cellules de marché est un bien, mais l'Etat devra aussi soutenir aussi bien l'ONF et les collectivités que les propriétaires privés tant dans la défense des cours de vente que dans la conquête de nouveaux marchés. Il est bien d'avoir fait reporter l'exploitation de coupes déjà vendues, mais on ne pourra pas éviter la compensation du manque de recettes.

Inversement, il faut dès à présent réfléchir au futur manque de matériel ligneux, qui risque d'être compensé par des importations supplémentaires dans les quatre ou cinq prochaines années.

En tout état de cause, nous sommes déjà dans l'anticipation et il faudra, auparavant, faire en sorte que le nombre de bûcherons permette de traiter l'important volume de bois en attente. Au-delà des chômeurs qualifiés que l'on va remettre dans le circuit, nous ne pourrons pas éviter l'appel aux bûcherons étrangers. Cela constituera un nouveau facteur de surcoût, avec les frais de débardage, d'exploitation et de transport.

En ce qui concerne le transport, ne pourriez-vous pas lancer un appel à la solidarité en direction de la SNCF, qui donne plutôt l'impression de vouloir profiter de la situation ? A cet égard, l'évolution des tarifs de transport de bois entre décembre 1999 et janvier 2000 est édifiant.

Une telle attitude est fort regrettable.

(M. Laurent Fabius remplace Mme Nicole Catala au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. Pierre Micaux.

Tout en faisant face à l'urgence, nous devons travailler au projet de loi d'orientation de la forêt et de la filière bois en nous attachant plus particulièrement à assurer une gestion durable et la compétitivité de la filière. L'une des voies à explorer est celle de l'association, je dirai même la mise en symbiose du monde agricole avec ce qui doit être aussi sa forêt.

Demain, les contrats territoriaux d'exploitation pourront les y aider.

Je voudrais aussi que l'on n'oublie pas les pépinières, publiques et privées, qui risquent de connaître une surabondance de demandes de plants. Il faut réfléchir à ce problème, afin qu'elles puissent répondre aux attentes en offrant des prix sages.

Mais j'anticipe et il me faut revenir à une démarche logique.

Supposons les grumes débardées. A ce moment, le risque phytosanitaire qui pèse sur la forêt les menacera aussi. La surabondance de matériel ligneuxrendra néces-


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saire leur immersion ou, surtout, leur arrosage. Les collectivités locales et les SIVOM d'adduction d'eau seront sollicités du fait de la cherté de l'eau. Ils devront être relayés et aidés en amont par le Fonds national de développement des adductions d'eau. Cela est essentiel.

Il faudra aussi aider le financement des aires de stockage et les surcoûts d'exploitation en prévoyant des prêts bonifiés à taux très bas, des subventions d'investissement, l'accélération des amortissements pour les entreprises, les coopératives et les particuliers. Monsieur le Premier ministre, je suis satisfait des mesures que vous avez annoncées à ce propos, mais il va falloir les concrétiser précisément.

Le stockage des bois à scier va également gonfler énormément. Là encore il faudra prévoir rapidement les financements nécessaires pour qu'il puisse être assuré dans des conditions supportables par les entreprises.

Lorsque l'on parle de soutiens, il est évidemment sousentendu qu'ils doivent être répartis équitablement entre l'ONF, les collectivités et les propriétaires privés. Nous avons enregistré avec satisfaction l'annonce de dégrèvements de taxe foncière non bâtie et apprécié les délais accordés pour le paiement des impôts. Mais ne pensezvous pas que vous devez encore convaincre Bercy de la nécessité de supprimer les droits de mutation pour des parcelles « mortes » pour très longtemps ? De nombreuses autres suggestions peuvent être formulées, tel l'abaissement de la TVA à 5,5 % pour les travaux dans les forêts sinistrées. Sur ce sujet aussi, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes exprimé dans le bon sens. Je pense encore à la possibilité, pour les communes, de placer librement l'excédent temporaire de recettes provenant de la vente des chablis. Les liens entre les communes et leurs forêts mériteraient d'ailleurs une réflexion d'ensemble, car, bien souvent, la forêt est au centre de leur vie même.

Pour la reconstitution de la forêt, vous avez annoncé 6 milliards sur dix ans, ce qui procède d'une bonne intention, mais sans plus, car cette somme est loin d'être à la hauteur du problème. Cela démontre une nouvelle fois la nécessité de connaître son ampleur avec précision.

Il est plus que jamais évident que la budgétisation des crédits, maintenant actualisés, remplaçant le Fonds forestier national, doit être assurée pour très longtemps dans la pérennité. Il ne faut plus permettre à Bercy de jouer avec l'évidence, y compris avec la nature.

J'en terminerai en vous soumettant trois idées, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres.

D'abord, seulement 1,2 million des 3,5 millions de propriétaires forestiers, en France, possèdent plus d'un hectare. Ne pourrions-nous profiter de cette occasion pour procéder, ne serait-ce qu'à titre expérimental, à des remembrements forestiers puisque 500 000 hectares ont été touchés ? Réfléchissez à cette idée qui me tient à coeur depuis longtemps et sur laquelle je me suis souvent et longtemps penché. Elle serait conforme à l'intérêt des petits propriétaires et à celui de la forêt elle-même, à commencer par sa sécurité, sans parler de l'amélioration de sa rentabilité.

Ensuite, n'est-il pas devenu urgent d'affecter exclusivement la nouvelle TGAP à la protection de la nature au lieu d'aller porter secours aux 35 heures ? Je considère d'ailleurs que cette utilisation n'est qu'un dévoiement et un gros mensonge.

Enfin, monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez également en charge la mer et la forêt. Compte tenu des derniers événements et de l'urgence de leur traitement, ne pensez-vous pas que vous devriez être assisté par un secrétaire d'Etat à la forêt ? Je crois qu'elle le mérite.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Maxime Bono, pour cinq minutes.

M. Maxime Bono.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, avant de débuter mon propos, je tiens, comme les orateurs précédents, à saluer la mémoire des victimes, à souligner le formidable élan de solidarité et le travail considérable de nos services publics.

Si les activités littorales n'ont malheureusement pas été les seules à subir les dégâts liés aux intempéries, nombre d'entre elles, en revanche, ont cumulé les dommages de la tempête et ceux consécutifs à la marée noire.

Par ailleurs, aux destructions et aux pertes causées par le vent et la marée s'ajoute, à présent, l'image dégradée de nos côtes après le naufrage de l' Erika, même pour les territoires qui n'ont pas été touchés, tant le littoral atlantique est vécu par nos concitoyens comme une seule et même entité. Ce déficit d'image touche d'ailleurs de nombreuses activités littorales. Tel est le cas, en particulier, des activités touristiques et des métiers de la mer : conchyliculteurs, pêcheurs et paludiers. Ils seront le sujet de mon bref propos.

Dans le secteur de l'hôtellerie, l'ensemble des entreprises du littoral altantique subit à ce jour une baisse considérable des réservations et s'attend à une fréquentation inférieure, parfois de 40 %, à 1999. Dans ce secteur, qui a déjà subi un arrêt d'exploitation au moment des réveillons et repas de fin d'année en raison de la privation d'électricité, les mesures annoncées - aides de trésorerie, indemnisation à 100 % du chômage partiel, prêts bonifiés - ont été appréciées.

En revanche, deux secteurs restent encore dans une grande inquiétude.

Le premier est celui du tourisme associatif et social car 350 villages de vacances ont été durement touchés. Il redoute de perdre 1 200 000 touristes en 2000 et ignore encore à ce jour s'il aura accès à l'ensemble des aides prévues pour les entreprises à caractère industriel et commercial.

Le second secteur est celui de l'hôtellerie de plein air, dont l'outil de travail a été soudainement dévasté. Dans la seule Charente-Maritime, 44 000 arbres se sont abattus dans les campings, endommageant plus de 1 700 mobile homes. La Gironde est aussi particulièrement concernée.

Dans la France entière, 3 000 mobile homes ont été totalement détruits. L'outil de travail est très souvent à reconstituer entièrement, les plantations ayant non seulement une valeur d'agrément mais représentant surtout une composante essentielle des fonds de commerce.

Il faut, aujourd'hui encore, dégager les milliers d'arbres qui encombrent les terrains, restaurer les capacités d'accueil, replanter les arbres et les haies. C'est dire si ce secteur mérite à lui seul une attention particulière.

Enfin, tous les professionnels du tourisme attendent une vaste opération de promotion qui redonne aux 31 millions de touristes accueillis chaque année dans nos régions littorales le désir de nous visiter à nouveau. A ce propos, Mme la secrétaire d'Etat au tourisme a évoqué un vaste plan sur deux ans qui correspond bien aux attentes des professionnels.


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Je veux également traiter rapidement des activités maritimes qui ont payé un lourd tribut tant à la marée noire q u'aux intempéries. Paludiers, ostréiculteurs, mytiliculteurs, pêcheurs ont, en effet, tous subi des pertes sévères.

Monsieur le Premier ministre, les mesures que vous avez annoncées, dès le 12 janvier, reconnaissant que la procédure de calamité agricole couvrirait non pas simplement la perte de récolte mais aussi celle subie par le fonds d'exploitation, permettront des taux d'indemnisation élevés. Ces mesures ont été appréciées favorablement , mais l'urgence, aujourd'hui, est grande.

Ainsi, l'impatience croît, dans l'attente de l'arrivée des premiers chèques d'indemnisation. M. le ministre de l'agriculture et de la pêche a promis qu'ils arriveront avant la fin du mois de février. Par avance, je l'en remercie, car je le sais homme de parole et j'ai bien noté dans vos propos, monsieur le Premier ministre, l'affirmation de cette volonté.

Pour autant, quelques mesures restent à prendre qui compléteraient sans doute heureusement le dispositif.

La première concerne l'implication de l'Europe, qui pourrait être sollicitée pour la reconstruction des digues, notamment de celles nécessaires à l'exercice de certaines professions. Leurs propriétaires, souvent privés, auront, en effet, beaucoup de difficultés à procéder à leur rénovation en dépit de votre engagement de financer les reconstructions à hauteur de 50 %.

La seconde mesure est relative à la pêche. Dans ce domaine votre gouvernement a mis en place les SOFIPÊCHE. Elles permettent d'acquérir des bateaux en collectant des fonds qui ouvrent droit à des avantages fiscaux. La date limite de collecte de ces fonds était fixée au 31 décembre, mais les événements de fin d'année ont considérablement perturbé la constitution des armements.

C'est pourquoi une prorogation de cette date limite jusqu'à celle de dépôt des déclarations d'impôts sur le revenu, qui serait sans doute une mesure peu coûteuse, constituerait une aide très forte à la reconstitution de flottes terriblement endommagées.

Enfin, comme en matière de tourisme, une vaste campagne de promotion des produits de la mer s'imposera afin d'effacer les effets du naufrage de l' Erika , de mettre un terme à la mévente des produits et de rendre à nos côtes atlantiques leur légitime réputation, celle de la qualité, que se sont employés à restaurer tous les services publics, auxquels je veux rendre un bref hommage, et que s'emploient quotidiennement à restaurer avec une énergie admirable les hommes et les femmes de notre littoral atlantique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, je dois, avant tout, me réjouir de l'organisation de ce débat et des déclarations du Gouvernement sur les conséquences des intempéries et de la marée noire. J'apprécie également que M. le Premier ministre soit resté jusqu'au bout de nos débats.

Je tiens également, comme l'ont fait avant moi plusieurs intervenants, à saluer l'élan de solidarité nationale qui s'est manifesté à la suite de ces tragiques événements de la part tant des élus locaux que des bénévoles, des associations et de l'ensemble des services publics.

Je veux aussi parler des assureurs, car, au cours de ces trois heures de débats, il n'en a pas été beaucoup question. Pourtant, ils ont été parmi les acteurs économiques les plus prompts à réagir après les tempêtes, en indiquant, dès le jour même, que la couverture du risque tempête par les contrats multirisques habitation était assurée. Ils ont même été assez loin concernant les clauses des contrats qui les lient à leurs clients.

J'en prends pour exemples l'allongement du délai de déclaration du sinistre, qui a été, dans un premier temps, prolongé à dix jours, puis jusqu'au 31 janvier dernier, soit pendant plus d'un mois, ou encore le remboursement facilité des travaux sur simple présentation d'une facture, sans imposer d'expertise pour des sinistres de faible importance. Les sociétés d'assurance ont également simplifié au maximum les modalités de règlement. Enfin - doit-on le rappeler ? -, c'est sur elles que pèseront essentiellement les mesures évoquées.

Au-delà de ce constat, il faut tirer des enseignements de ces événements, notamment en posant le problème des biens assurables. En effet, si les cas de non-assurance contre le risque tempête sur les bâtiments est rarissime, ils sont en revanche très fréquents en matière de pertes d'exploitation. Il faudrait régler ce problème et demander aux instances professionnelles d'inciter leurs adhérents à réfléchir aux conséquences de la non-assurance. L'Etat doit également jouer un rôle essentiel, avec la solidarité nationale, pour ce qui relève de la non-assurabilité.

Ce débat doit aussi être l'occasion de nous interroger sur les mesures de prévention. Ainsi, on ne peut passer sous silence l'état des bâtiments, qu'ils soient publics ou privés, affaiblis sans être pour autant détruits, et qui peuvent désormais être endommagés par des vents beaucoup moins violents. La mise en place de plans de prévention des risques dans chaque département me semble une nécessité impérieuse. A cet égard, permettez-moi, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, de faire une suggestion.

Vous avez mis en place, dans chaque département, sous l'autorité du préfet, une commission chargée de l'indemnisation. Au-delà de la période d'indemnisation, qui sera limitée dans le temps, il faudrait pérenniser ces structures sous forme d'observatoires chargés d'évaluer les risques et de suivre l'application des mesures gouvernementales que M. le Premier ministre nous a rappelées.

Vous avez également annoncé ce matin, monsieur le Premier ministre, des mesures pour compléter le plan que vous aviez présenté à la mi-janvier. Jusqu'à présent, vous avez pu compter sur les collectivités territoriales. Permettez-moi donc de suggérer que, dans les régions où l'on doit parler de véritable reconstruction, il soit possible de contractualiser avec l'Etat. Cela se fait bien dans le cadre des contrats de plan ou d'autres procédures et permettrait d'accroître l'efficacité des mesures que vous avez rappelées.

Il me faut malheureusement parler aussi de la marée noire, comme certains de mes collègues l'ont fait avant moi.

Bien des interrogations subsistent aujourd'hui quant aux conséquences de cette catastrophe, car aucune somme ne restaurera les équilibres détruits par cette marée noire.

Bien des incertitudes demeurent aussi chez les professionnels quant à l'indemnisation. Ainsi, des polémiques sont engagées autour des conclusions du laboratoire Analytika sur la nature de la cargaison, selon lesquelles le pétrole transporté contenait des résidus de raffinerie toxiques risquant de provoquer des cancers. Cette question doit être éclaircie rapidement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

Une autre mauvaise nouvelle vient de frapper les professionnels de la mer, puisque les coquillages de LoireAtlantique ont été déclarés impropres à la consommation.

Dans quelques heures, l'Agence française de sécurité des aliments doit se prononcer sur l'interdiction, durable ou non, de leur mise sur le marché. S'il existe des enjeux de sécurité alimentaire, n'oublions pas le découragement qui guette des professionnels désemparés.

Les mesures que vous avez annoncées ce matin sont importantes, mais elles devront être complétées par d'autres en faveur des professionnels de la mer. L'enjeu est considérable.

Comme cela a déjà été évoqué, les conséquences touristiques devront être évaluées, car, si l'on peut penser que, grâce à l'effort de solidarité, les plages seront propres cet été, les images de la marée noire ne s'effaceront pas aussi rapidement de l'esprit des touristes. Les mesures prises en faveur de l'économie touristique devront faire l'objet d'un suivi attentif et, s'il le faut, être complétées.

A la demande d'Edouard Landrain, je suggère que la taxe départementale pour les espaces naturels sensibles soit affectée aux opérations menées pour remédier aux conséquences de la marée noire.

Je terminerai brièvement, si M. le président m'accorde encore quelques instants, sur la nécessité d'une législation européenne en la matière.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit que cela allait être un enjeu important de la présidence française dans les prochains mois. Il n'y a pas aujourd'hui d'espace judiciaire euporéen. Nous avons donc du pain sur la planche.

Il faut responsabiliser davantage les affréteurs. Dernièrement, lors de sa venue devant les conseils régionaux de Bretagne, du pays de la Loire et du Poitou-Charentes, M. Desmarest a polémiqué sur la responsabilité des affréteurs et des armateurs. Il faut aller beaucoup plus loin et définir des critères précis.

Un grand quotidien du jour a mis en exergue les défaillances de l'Etat dans la lutte contre la marée noire.

J'ai voulu quant à moi placer mon intervention sous le signe de la construction. Vous avez, vous-même, tenu, monsieur le Premier ministre, à être présent jusqu'à la fin de ce débat. L'élan de solidarité nationale auquel nous assistons depuis un mois mérite que la représentation nationale, aujourd'hui informée, suive avec attention l'application des mesures que vous êtes venu nous présenter. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Joseph Parrenin, pour cinq minutes.

M. Joseph Parrenin.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après les fortes inondations du Sud de la France et leurs dégâts importants, la fin de l'année 1999 a été marquée, en France, par deux très graves catastrophes : une tempête a balayé la France les 26 et 27 décembre ; en même temps, suite au naufrage de l' Erika , une marée noire endommageant gravement notre littoral atlantique.

Nous n'avons pas le pouvoir d'éviter les catastrophes climatiques mais nous pouvons toutefois nous prémunir contre ce risque. Nous devons ensuite en réparer les dégâts et faire jouer pleinement la solidarité nationale.

Dès le lendemain de la tempête, la population, les élus, les services publics se sont mobilisés. Ensemble, ils ont fait preuve d'une grande solidarité et d'une remarquable efficacité. Quant au Gouvernement, il a été immédiatement présent dans les régions sinistrées, comme en témoignent la présence de Mme Voynet dans les forêts de Mignovillard et de Prince, celle de M. Chevènement dans les forêts de la région de Pontarlier et celle de M. Moscovici dans les forêts du pays de Maîche. Les uns et les autres ont pu mesurer, dès les premiers jours qui ont suivi la tempête, les conséquences de celles-ci, en particulier sur les forêts.

Notre collègue François Brottes vous a parlé de la situation de la filière bois et de sa capacité à réagir face à une situation exceptionnelle. S'il est vrai, comme il l'a indiqué, qu'elle n'est pas préparée à de tels événements et qu'elle a quelques difficultés à se mobiliser, il serait dommageable d'accuser à tort et à travers. Tout le monde est passé à l'action. Je le sais pour avoir participé à plusieurs réunions organisées sur le plan local avec l'ensemble des partenaires qui s'occupent de l'exploitation de ces forêts.

En France, la gestion de la forêt est diverse.

Dans la majorité des communes forestières, elle est confiée à l'Office national des forêts. Il en est de même des forêts domaniales. Alors qu'il n'était pas prêt à gérer des volumes de bois aussi importants, l'ONF a réagi immédiatement. L'ensemble de ses moyens a été mobilisé.

Son personnel travaille sur le terrain. Pourtant, nous sommes contraints de constater que de nombreux postes sont vacants dans les régions touchées.

Un certain nombre de communes, en particulier dans le Sud-Ouest, gèrent leurs forêts elles-mêmes. Là aussi, les moyens techniques sont insuffisants pour exploiter et mettre sur le marché de telles quantités de bois.

Quant à la forêt privée, elle est gérée - pour partie seulement - par des systèmes divers, principalement les coopératives et les chambres d'agriculture. Là encore, les moyens techniques font cruellement défaut.

Il semble donc nécessaire de renforcer d'abord et rapidement les moyens humains des différentes structures qui prennent en charge la gestion des forêts. Tout doit être mis en oeuvre pour renforcer leurs effectifs.

A l'ONF, de nombreux départs en retraite sont prévus dans les prochaines années. Il semblerait judicieux d'avancer la date prévue pour le recrutement de jeunes agents.

L'embauche de jeunes en formation, la libération par anticipation de jeunes sous les drapeaux comme le report annoncé par M. le Premier ministre du service national me semblent de bonnes mesures.

On pourrait aussi imaginer de faire appel, pour quelques semaines, à de jeunes retraités de l'ONF.

Pour les communes forestières, plusieurs aspects sont à considérer.

Le premier concerne la trésorerie de ces communes. La mesure annoncée, à savoir l'octroi de prêts bonifiés à taux faible, est nécessaire et doit être mise en oeuvre dans les meilleurs délais. Elle doit s'adresser aussi bien aux communes sinistrées qu'aux communes non touchées par la tempête, car, si les premières sont dans l'incertitude quant aux coûts et délais d'exploitation et quant à la date de règlement de leurs ventes de bois, les secondes devront suspendre les coupes ordinaires afin de favoriser l'écoulement des chablis des premières.

Une autre préoccupation importante à prendre en compte est l'état des routes communales : déjà endommagées par la tempête, elles seront complètement détériorées après l'exploitation massive des forêts. Il semblerait souhaitable que des mesures financières soit prises dans les mois qui viennent par abondement de la deuxième part DGE dans les départements concernés.


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Un autre aspect à considérer dès maintenant est l'exploitation des dizaines de milliers de mètres cubes de bois qui ne peuvent être destinés au sciage. Les solutions sont multiples et diverses, suivant les essences et les massifs.

Leur mise en oeuvre doit relever d'une décision prise à un niveau décentralisé, mais elle nécessitera des appuis financiers de l'Etat et les régions et les départements devront également y contribuer de façon significative. L'ADEME doit mobiliser ses moyens, en particulier pour ce qui concerne l'utilisation énergétique de ces bois.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer la question de la reforestation.

L'ensemble de l'opinion est sensible à la qualité de nos paysages et de nos forêts. Les ruraux comme les citadins sont affectés des conséquences des intempéries sur l'environnement.

Je veux me porter en faux contre certaines affirmations démagogiques et erronées mettant en cause les politiques sylvicoles et les rendant responsables de la destruction des arbres.

Dès que les forêts seront dégagées, nous devrons rapidement procéder à la reforestation. Le plan annoncé sur dix ans doit être sensiblement raccourci afin de redonner espoir et confiance. La reconstitution des forêts étant très longue, il faut agir sans attendre.

Je terminerai, monsieur le Premier ministre, sur une demande.

Face à une telle situation et considérant qu'il est difficile de tout mesurer et de tout prévoir, le groupe socialiste souhaite qu'une communication soit faite régulièrement sur l'évolution de ce dossier, c'est-à-dire sur l'exploitation des bois, la situation de la filière, le coût réel de la reforestation et la situation des communes forestières les plus durement touchées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je demanderai aux quatre orateurs qui doivent encore s'exprimer de respecter scrupuleusement leur temps de parole, afin que le Premier ministre puisse répondre comme il le souhaite sans que nous terminions trop tard.

La parole est à M. François Goulard, pour cinq minutes.

M. François Goulard.

Monsieur le Premier ministre, vous avez décliné ce matin la liste des mesures que le Gouvernement a prises après les deux ouragans du mois de décembre dernier et la catastrophe de l' Erika. Personne n'aurait compris que la solidarité de l'Etat ne s'exerce pas au bénéfice des personnes, des professions et des collectivités sinistrées.

Dans la liste des mesures que vous avez rappelées ou annoncées ce matin, certaines sont importantes, d'autres très timides. Mais peu importe. Ce n'est ni le lieu, ni l'heure de polémiquer.

Quand surviennent de telles catastrophes, le principe qu'il faut affirmer est celui de la solidarité nationale.

C'est ce sentiment de solidarité nationale qui a animé tous les Français au cours des dernières semaines et c'est ce même sentiment que nous avons le devoir de relayer et d'exprimer dans cette assemblée.

Mais, au-delà de l'expression légitime de ces sentiments, nous devons nous pencher sur les faits avec toutes l'objectivité que requiert la volonté de tirer les leçons de l'expérience.

Si le comportement des hommes, où qu'ils se soient trouvés et quelles qu'aient été leur place, leur fonction, leurs responsabilités, a été largement irréprochable quand il n'a pas été admirable, il n'en a pas toujours été ainsi des organisations. Certains membres de la majorité ont émis des réserves sur l'organisation de la production et de la distribution d'électricité ainsi que sur la capacité du réseau à résister aux intempéries. Ils ont eu raison de le faire. Ils ont posé de vraies questions.

Je voudrais quant à moi vous parler de la marée noire qui touche ma région. Les côtes morbihanaises seront propres à brève échéance parce que nous y mettons les moyens, avec le courage et la ténacité que l'on veut bien prêter ordinairement à notre caractère. Il n'en reste pas moins que les conséquences économiques de la marée noire sur la vente des produits de la mer et sur le tourisme seront considérables, et les demandes d'indemnisation dépasseront très probablement les possibilités des mécanismes conventionnels existants. Les victimes se retourneront contre tous les protagonistes de ce drame et je tiens à vous dire, monsieur le Premier ministre, que nous ferons en sorte qu'aucun ne soit exclu.

Vous avez rappelé tout à l'heure que l'Etat a signé, le 26 janvier dernier, une convention avec la compagnie Total portant notamment sur le pompage des produits restant dans l'épave. Une chose doit être claire, monsieur le Premier ministre. Pour nous, collectivités locales, professionnels, victimes à un titre ou à un autre de la catastrophe, cela ne vaut pas renoncement à poursuivre en responsabilité la compagnie.

M. Pierre Hériaud.

Absolument !

M. François Goulard.

Et je dois vous dire que la démarche entreprise par vos préfets pour inciter les conseils généraux à retirer leur plainte contre Total est pour nous incompréhensible, pour ne pas dire davantage.

Comme vous le savez, mes chers collègues, le principal obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de Total c'est le protocole additionnel à la convention internationale de 1969, signé en 1992 par un gouvernement socialiste. En effet, il exonère l'affréteur, c'est-à-dire en l'espèce Total, de toute responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Cela ne nous empêchera pas d'explorer d'autres voies de recours.

Nous n'écartons pas non plus le recours en responsabilité contre l'Etat. Cette affaire a révélé trop d'insuffisances dans la prévention et le traitement de la crise pour ne pas fournir un fondement juridique à notre demande d'indemnisation.

Après le temps de l'expression spontanée de la solidarité dans les jours et les semaines qui ont suivi le drame, viendra celui de prendre des mesures pour éviter que de t els enchaînements de défaillances conduisent à de pareilles catastrophes. La commission d'enquête qui a été constituée à cet effet, et qui commence ses travaux, devrait y contribuer. Mais cela ne doit pas faire oublier que la réparation s'impose. Comptez sur nous pour y veiller.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Grasset, pour cinq minutes.

M. Bernard Grasset.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, en pensant aux


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nombreuses victimes - aux trop nombreuses victimes de cette nuit terrible et à leurs familles, je veux exprimer à nouveau la gratitude de mes compatriotes envers les services publics locaux et nationaux, envers les pompiers, envers les agents d'EDF, de France Télécom et de la SNCF, envers les militaires des quatre armes, qui, depuis la nuit du 27 décembre, se sont dépensés sans compter, dans des conditions toujours délicates et souvent dangereuses, pour réparer les terribles conséquences de cet ouragan dévastateur.

Vous êtes venu sur le terrain, monsieur le Premier ministre. L'éventail des mesures annoncées est bon.

L'effort budgétaire est conséquent. Mais il importe avant tout que les subventions soient rapidement débloquées, et que les indemnisations soient versées rapidement aux entreprises, comme aux particuliers, sans tracasseries administratives et sans procédure inquisitoire, faute de quoi le bénéfice de cet effort sans précédent serait progressivement perdu et le découragement des premières heures ferait sa réapparition pour s'installer longtemps.

J'évoquerai deux problèmes : celui de l'agriculture et celui des dommages non assurables causés aux particuliers.

L'agriculture a beaucoup souffert : bâtiments d'exploitation détruits, productions compromises, champs irrémédiablement détruits par l'effet conjugué de la tempête et du raz-de-marée. J'insiste auprès de vous, monsieur le Premier ministre, pour que les premiers versements prévus par les différents dispositifs interviennent dans les prochains jours.

En ce qui concerne l'horticulture - et je me permettrai d'évoquer le cas de la Charente-Maritime -, 60 % des surfaces couvertes sont détruites et la perte du chiffre d'affaires est estimée à 100 millions... Le coût de reconstruction des serres s'élève à 80 millions de francs.

140 entreprises sont concernées. 300 emplois sont menacés.

L'intervention d'ONIFLHOR devra être rapide et à la mesure de la catastrophe. Il serait hautement souhaitable que ses dirigeants viennent sans tarder sur place pour se rendre compte de l'étendue des dégâts.

Je n'ai pas à vous convaincre, monsieur le ministre de l'agriculture, puisque vous avez récemment rencontré, dans leurs serres pulvérisées, les courageux horticulteurs rochefortais.

De façon plus générale, il importe de mettre en place des mesures financières, fiscales et sociales adaptées à la situation et d'assouplir les mesures réglementaires pour faciliter la reconstruction des bâtiments agricoles. Sur ce dernier point, il faut prévoir la remise aux normes.

Envisagez-vous d'adapter la mise en oeuvre du plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole à la situation créée par la tempête ? Il serait également opportun d'adapter les mesures de la PAC, qu'il s'agisse des jachères ou des procédures de contrôle.

Pouvons-nous - même si je sais que cela est difficile disposer encore de l'aide de l'armée pour quelques actions spécifiques ? Il est un autre problème, tout aussi angoissant : celui des dommages non assurables et plus particulièrement des arbres abattus dans les jardins privés. Le coût pour le tronçonnage et le dessouchage d'un arbre varie entre 4 000 et 10 000 francs. Il serait, là aussi, souhaitable que des dispositifs d'aide soient mis en place en faveur des propriétaires les plus modestes.

Il serait également opportun que le taux de TVA applicable soit, pour quelques mois, ramené à 5,5 % pour ces travaux précis. Cela réduirait considérablement les tentations de recourir au travail au noir et les risques de blessures graves encourus par ces bûcherons amateurs.

Monsieur le Premier ministre, vous avez pris la juste mesure de l'étendue de la catastrophe. Les mesures annoncées sont bonnes. Il importe maintenant d'aller vite dans la juste réparation des sinistres. Je sais votre détermination à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette tempête ou cet ouragan - on l'a évoqué tout au long de la matinée - a provoqué des dégâts considérables dans plusieurs secteurs. Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur le secteur agricole, où se posent divers problèmes.

Plusieurs de mes collègues m'ont donné hier des chiffres sur les biens assurables qui n'étaient pas assurés et ceux qui ne sont pas assurables, et notamment sur les pertes d'exploitation. Dans le département d'Eric Doligé, pour le seul secteur de l'horticulture, il y a plus de 20 millions de francs de dégâts, dont seulement 6 pour des biens assurés, le reste n'étant pas assuré ou pas assurable.

Jean-Claude Lemoine me donnait des chiffres comparables pour la région Basse-Normandie. Autre exemple : pour le seul canton de Rebais, dans ma circonscription, on estime les dégâts à 40 millions de francs, dont 35 pour le seul secteur agricole et 5 pour les artisans et commerçants, sans compter les gens qui ont subi des dégâts à titre individuel.

Plusieurs points ont déjà été largement évoqués, l'adaptation des mesures, notamment au moment des contrôles PAC, les problèmes de clôture des prairies, mais je voud rais revenir plus particulièrement sur les pertes d'exploitation qu'ont subies par exemple les éleveurs laitiers, les aviculteurs ou les horticulteurs, et m'interroger à haute voix, monsieur le Premier ministre, sur la responsabilité d'EDF.

Prenons le cas d'un producteur de lait qui a un tank à lait pour refroidir son lait. N'ayant pas d'électricité, il a jeté dans le caniveau le lait qui n'a pas été vendu parce qu'il n'était pas refroidi. Son assureur considère qu'il n'y a pas de dommage sur le bien assuré, puisque le moteur n'a pas été endommagé. Il se retourne alors vers EDF avec lequel il y a eu rupture de contrat puisqu'il n'a pas été alimenté en électricité, et EDF fait valoir le cas de force majeure. Cet argument me semble un peu court.

Je veux bien le comprendre pour les dégâts immédiats mais, pour tous les dégâts induits, s'il y a eu rupture d'alimentation, c'est parce qu'un certain nombre de choix politiques ont été faits par EDF, des choix qui peuvent d'ailleurs être tout à fait compréhensibles. N'avoir, par exemple, que quelques grandes centrales oblige à avoir un grand nombre de lignes de transfert par haute tension, avec beaucoup plus de risques. Un autre choix a été fait, celui d'écarter l'enfouissement, pour des raisons de coût que je veux bien comprendre.

Quid du principe de précaution ? Il est trop facile d'avancer l'argument de cas de force majeure et je me demande s'il ne faut pas en rediscuter avec EDF. Même si je rends hommage à tous les agents, notamment à tous les lignards qui étaient sur le terrain et qui ont fait jour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

et nuit un travail exceptionnel, il y a à mon avis un problème de responsabilité juridique sur lequel nous devons avancer.

Autre point, la forêt.

Vous avez annoncé un certain nombre de mesures, mais il faut aller au-delà. Les prêts bonifiés et les mesures de ce type, c'est bien, par exemple, pour les replantations, mais, pour dégager tous les arbres abattus, il faut rapidement de l'aide directe. Comment replanter tant qu'on n'a pas dégagé ce qui est abattu ?

Il faut surtout alléger les cotisations sociales pour les bûcherons et tous ceux qui travaillent dans le bois. Si l'on ne prend pas très vite des mesures d'allégement et de prise en charge des cotisations sociales, on risque de voir se développer le travail au noir, sans compter les accidents avec des gens qui ne sont pas des bûcherons professionnels. Or c'est un métier qui exige une forte qualification.

Voilà, monsieur le Premier ministre, très rapidement, les quelques points sur lesquels je voulais revenir. Je sais que l'addition sera lourde, et j'imagine que vous avez déjà commencé à faire les calculs, mais, comme l'ont rappelé plusieurs de mes collègues, il y a cette fameuse cagnotte, et je ne voudrais pas qu'on tombe dans la caricature.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous avez déjà dépensé l'argent dix fois en deux mois !

M. Christian Jacob.

Cet argent n'est pas le vôtre, ce n'est pas le nôtre,...

M. Jean-Louis Idiart.

Bien sûr qu'il n'est pas le nôtre !

M. Christian Jacob.

... c'est celui des Français à qui l'on a prélevé 400 milliards supplémentaires depuis trois ans. Ce que nous demandons aujourd'hui, c'est que la solidarité nationale s'exerce. Et ne répondez pas que les libéraux veulent plus d'Etat. L'argent, ce n'est pas le nôtre, c'est celui des Français !

M. Jean-Louis Idiart et Mme Yvette BenayounNakache.

Vous l'avez déjà distribué !

M. Christian Jacob.

On leur a prélevé 400 milliards de francs supplémentaires en trois ans. Il y a aujourd'hui un excédent de 45 milliards de francs. On peut donc aller largement au-delà des mesures annoncées. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Idiart.

Pourquoi n'avez-vous pas constitué de cagnotte ?

M. le président.

La parole est à M. Yves Deniaud, dernier orateur inscrit, pour cinq minutes.

M. Yves Deniaud.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la ligne de ce qui a été déjà longuement exprimé par mes collègues du groupe RPR et de l'opposition, mais aussi, sur certains aspects, de la majorité, je voudrais insister particulièrement sur deux points concernant cette juste réparation des dégâts de la tempête que nous souhaitons tous : les recettes qu'il conviendrait d'y affecter et les dépenses.

S'agissant des recettes, je pense, moi aussi, que l'on peut puiser dans les excédents du budget de 1999. Des indiscrétions ont révélé des chiffres. Nous aurons la réalité, M. le ministre de l'économie et des finances nous l'a annoncé, à la mi-février. Quel que soit le montant, il semble qu'il soit possible d'en distraire quelques milliards supplémentaires pour que la solidarité nationale s'exerce pleinement En commission des finances, M. le ministre de l'économie et des finances m'a objecté qu'il serait contradictoire que nous qui sommes résolument partisans de la maîtrise rigoureuse des dépenses publiques et de la réduction des déficits et des impôts exigions des dépenses supplémentaires.

La réponse tient en trois points.

Premièrement, l'énormité du désastre suffirait à justifier, même en l'absence de ressources nouvelles, un effort particulier de la solidarité nationale.

Deuxièmement, les 40 ou 45 milliards de francs envisagés comme divine surprise sont des impôts supplémentaires, Christian Jacob vient de le rappeler, payés par les Français en plus de ce qui leur avait été annoncé. Il est donc légitime de leur en restituer une partie.

Troisièmement, les sommes qui, nous le souhaitons, seront versées par l'Etat ne seront jamais qu'une avance remboursable sur la TVA acquittée par les particuliers,e ntreprises, agriculteurs et collectivités locales. Pour 80 milliards estimés de travaux, ce sont, en effet, 16 milliards non prévus dans la loi de finances 2000 qui entreront dans les caisses de l'Etat. Il serait légitime que, jusqu'à hauteur de cette somme, on restitue aux Français sinistrés l'équivalent des impôts qu'ils acquitteront par la suite.

C'est pourquoi, et j'en viens au volet dépenses, il est nécessaire que l'Etat se manifeste par des subventions et pas seulement par des reports d'impôts et des prêts, car, c'est d'une évidence aveuglante, les « bénéficiaires » de ces mesures devront un jour ou l'autre rembourser. Or, pour un très grand nombre d'entre eux, nous le savons tous, cela se révélera extrêmement difficile, voire impossible.

Je voudrais insister à mon tour, en complément de ce qu'a dit Christian Jacob, sur les sinistres agricoles.

Le Fonds national de garantie des calamités agricoles peut verser des indemnités atteignant 75 % des dommages subis, dans la limite de ses possibilités. Or nous savons bien qu'il ne dispose pas actuellement des sommes nécessaires pour faire face aux demandes. Il faudra donc l'abonder. Dans mon seul département de l'Orne, cela a été rappelé tout à l'heure, la chambre d'agriculture estime les dégâts non couverts par les assurances à 200 millions.

On imagine l'extrapolation à l'échelle nationale.

Comment seront indemnisés les pertes d'exploitations non assurées causées par des coupures de courant ? Comment seront financées la reconstitution des plantations pérennes et la compensation du manque de recettes sur le long terme dû à leur destruction ? C'est le cas, par exemple, de toutes les cultures fruitières. Dans l'Orne, Sylvia Bassot l'évoquait excellemment tout à l'heure, le verger cidricole de pommiers et de poiriers est très largement détruit. Il faut quinze ans pour qu'un pommier ait un rendement convenable, trente ans pour un poirier.

Que vont devenir en attendant les agriculteurs dont cette production représentait une part indispensable de leur revenu ? Il est juste que des subventions leur soient accordées et, au-delà du court terme, que des programmes de reconstruction des productions soient mis en oeuvre. Le Gouvernement a fort justement retenu l'idée d'avenants aux contrats de plan Etat-région. Que l'Etat finance aux deux tiers, laissant un tiers aux collectivités locales, qui auront à financer leurs propres dommages, me paraît équitable puisqu'il pourra payer les siens propres sur les excédents de 1999 ou sur les excédents de TVA à venir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 FÉVRIER 2000

Des fonds européens sont disponibles pour appuyer notre effort national. J'espère que des instructions seront données et attentivement suivies pour qu'ils soient mis en oeuvre avec la célérité qui s'impose, contrairement aux mauvaises habitudes constatées depuis longtemps dans ce domaine dont j'entretiens régulièrement, à chaque discussion budgétaire, Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Au total, l'effort de solidarité nationale doit être exemplaire, tout le monde le dit. Ce n'est pas à la générosité des propos qu'il se mesurera mais - en Normandie, on connaît bien cela (Sourires) - à la générosité dûment comptée en milliards. Un tel effort est indispensable. Il est finançable par l'Etat sans que l'on mette en péril en quoi que ce soit le nécessaire assainissement de nos finances. Il serait donc inexcusable qu'il ne soit pas accompli. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Mes chers collègues, je remercie en votre nom à tous - j'en suis sûr - les membres du Gouvernement, et singulièrement M. le Premier ministre, d'avoir assisté à l'ensemble du débat.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, deux ouragans d'une telle ampleur, d'une telle violence, qui frappent notre pays, une marée noire qui, à nouveau, souille nos côtes atlantiques, c'est, avant tout plan pour y répondre, toute action gouvernementale, une épreuve humaine.

Nous n'avons pas oublié les hommes et les femmes, les enfants qui sont morts à l'occasion des deux premières catastrophes, et l'un d'entre vous rappelait tout à l'heure, à propos d'un cas particulier, le dévouement et parfois le sacrifice d'un certain nombre de représentants des services publics.

J'étais au centre de la cellule de crise à La Rochelle quand a été apprise la mort d'un pompier. J'ai mesuré la qualité du dévouement de son fils, qui continuait à agir sur le terrain, de la même manière que j'ai pu saluer l'homme jeune qui avait sauvé deux personnes par son courage et son esprit d'initiative.

Dans d'autres départements, par des témoignages qui, déjà, concernaient un passé qui s'enfuyait, j'ai pu mesurer ce qui s'est exprimé de dévouement et de courage.

Si ces épreuves sont des révélateurs, elles ont montré que notre peuple, une fois de plus, savait réagir avec force dans ces événements, qu'il n'était pas emprisonné dans l'individualisme et l'égoïsme dont on dit qu'il serait désormais marqué. Le sens de la solidarité, du voisinage, du compagnonnage, du rassemblement s'est au contraire manifesté à cette occasion, bien sûr entre les simples citoyennes et les citoyens avec la mobilisation des bénévoles, bien sûr dans le professionnalisme de ceux qui réagissaient, mais aussi, et je l'ai constaté à plusieurs reprises sur le terrain, chez les élus qui, le plus souvent, en particulier dans leur région où ils sont côte à côte, ont su d épasser leurs divergences légitimes pour travailler ensemble.

C'est ce même état d'esprit, ce même climat qui, pour leur quasi-totalité, a inspiré les intervenantes et les intervenants.

Ce débat a été utile. Naturellement, je ne pourrai répondre à toutes les questions qui ont été posées, faire écho à toutes les suggestions, à toutes les propositions qui ont été avancées. Je ne pourrai m'inscrire dans chacune des réflexions plus larges qui ont été conduites pour tirer des leçons de cette catastrophe. Déjà, dans mon intervention liminaire, j'avais apporté un certain nombre de réponses. Je vous ai écoutés, les ministres présents sur ces bancs également, ainsi que les conseillers des autres ministres, et les remarques auxquelles je ne pourrai pas répondre ce matin, faute de temps, et pour ne pas prolonger à l'excès ce débat, nous pourrons en faire notre profit.

Un certain nombre d'observations de caractère général ont été faites et elles sont souvent aussi utiles que des propositions précises. Elles ne nous éloignent pas nécessairement de ce sentiment que nous avons à répondre en urgence à des demandes concrètes.

On a notamment fait observer que les catastrophes que nous avons connues à la fin de l'année dernière ont rapproché les Français de leurs services publics. Compte tenu des débats qui ont eu lieu, parfois même sur ces bancs, compte tenu d'un certain nombre de tendances lourdes qui cherchent à se frayer un chemin à l'échelle internationale dans ce monde dit globalisé, compte tenu des critiques dont ils ont été parfois injustement les victimes, le fait que ce sentiment soit désormais largement partagé est une bonne chose.

M. Louis Mexandeau.

Très bien.

M. le Premier ministre.

Cela ne dispense d'ailleurs pas tel ou tel service public ou telle grande entreprise publique de s'efforcer de tirer des leçons de ces événements pour mieux organiser ses réseaux, diversifier ses sources d'énergie, rendre le nécessaire maillage du territoire national moins dépendant d'un certain nombre de décisions ou d'instruments techniques centralisés ou régionalisés.

Les Français ont également mesuré à cette occasion, plusieurs d'entre vous l'ont dit, de sensibilités diverses, l'importance de l'Etat, non pas la bureaucratie, un Etat forcément lourd, lent et inefficace, mais un Etat qui rassemble dans des administrations, à travers des serviteurs ayant le sens du service public et de l'intérêt général, une somme de talent, d'expertise, de dévouement et de compétence qui ont été mis au service de nos concitoyens.

J'ai été heureux, allant sur le terrain, de constater que, dans pratiquement tous les cas, compliment m'était fait, ou était fait au ministre de l'intérieur ou à d'autres ministres, mais à moi particulièrement, sur la façon dont les préfets s'étaient tenus aux côtés des élus. Bien que non élus eux-mêmes, les préfets ont presque partagé la vie quotidienne des élus et leur engagement contre les conséquences de la tempête. Entendre ces compliments, que j'ai retransmis tout récemment au corps préfectoral, place Beauvau, aux côtés du ministre de l'intérieur, fut une bonne chose.

Je rappelle que, dans un pays démocratique, l'Etat est tout simplement et doit être, à travers un certain nombre de personnels, de structures, d'organisations, de règles de fonctionnement, l'expression de la communauté nationale, l'expression organisée, concentrée et, je l'espère, efficace de la démocratie fonctionnant.

Là aussi, cette forme de réhabilitation de l'Etat, si l'on entend l'Etat dans le sens que j'indiquais à l'instant, n'était pas inutile.

C'est pourquoi - et c'est peut-être un des rares points où j'ai été un peu surpris de la nature de l'information et surtout de la qualité médiocre de celle-ci - cet Etat, à


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travers le Gouvernement et à travers ses préfets, n'a évidemment donné aucune instruction de faire en sorte que tel ou tel élu renonce aux procédures judiciaires qu'il voudrait engager contre telle ou telle entreprise.

Je pense d'ailleurs que certains qui veulent former recours contre l'Etat, dont ils ont pourtant été, sur le plan professionnel, l'illustration, devraient peut-être s'interroger à quel moment l'Etat, et gouverné par qui, peut être mis en cause. Je crois, monsieur le député (M. le Premier ministre se tourne vers M. François Goulard) - et vous êtes le seul que je me permettrai d'interpeller -, que ce n'est peut-être pas là qu'il faut situer le sens de l'Etat.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

L'Etat a répondu et répondra à la demande de solidarité. Toutefois, il n'entend pas pour autant se substituer aux assurances privées, qui ont à assumer leurs responsabilités. Je ne voudrais pas que, en raison d'un désir légitime de nous voir agir plus fort et plus vite, on presse finalement la collectivité nationale et l'Etat d'assumer des frais et des coûts qui relèvent de la responsabilité des compagnies d'assurance.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Eh oui !

M. René Dutin.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Les assurés, nos concitoyens, ont versé des primes. Je ne vois pas pourquoi ce serait aux impôts acquittés par l'ensemble des Français de répondre au nécessaire engagement des compagnies d'assurance.

Je ne critique pas ces dernières. Nous avons pu, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie notamment, nouer avec ce secteur de bonnes relations.

Les compagnies d'assurance ont pris en compte la dimension du problème. Il faut espérer que cela se traduira concrètement lorsqu'il s'agira de faire face aux engagements précis. Mais que chacun ait sa responsabilité ! Pour autant, je pense que par l'importance des sommes qu'il a mobilisées dès 2000 - 4,6 milliards de francs -, par ce qu'il s'apprête à faire dans le temps, par l'engagement qu'il prend de réviser si c'est nécessaire, en fonction des évaluations, son effort, l'Etat - et donc le Gouvernement en l'espèce - n'a pas été défaillant.

Et pour agir, il vaut mieux disposer d'une économie en bon état, d'une croissance forte, d'une gestion maîtrisée de l'action publique. En effet, pour dégager ces sommes, pour le faire sans barguigner, pour être prêt à décider vite, il faut être relativement assuré du contexte économique dans lequel on inscrit son action, du dynamisme que l'on est parvenu à remettre en mouvement, de l'activité retrouvée, du chômage qui recule, des comptes sociaux maîtrisés, parce que, dans le cas contraire, il serait plus difficile de prendre un tel risque. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

Je pense donc que l'Etat remplit son rôle, sans qu'il soit besoin de revenir, une fois de plus, sur la question de la « cagnotte ». Il semblerait, avant même que les chiffres ne soient connus à la date où ils doivent normalement l'être, c'est-à-dire avant le 15 février, que, dans les débats, notamment ici, la « cagnotte » soit en passe de remplacer la fameuse « cassette ». (Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mais Christian Sautter, à qui l'on attribuait spécifiquement cette cagnotte tout à l'heure, pas plus que Florence Parly, qui est présente au banc du Gouvernement, n'est pas un nouvel Orgon !

M. Didier Quentin.

Ne serait-ce pas plutôt Harpagon !

M. le Premier ministre.

Il ne s'agit ni de sa cagnotte, ni de sa cassette ! Il s'agit, tout simplement, des comptes de l'Etat, que vous suivez de près, sur lesquels vous intervenez par vos propositions, et que vous votez ! Cette cagnotte, autrement dit les plus-values de rentrées fiscales, est, contrairement à ce que répète l'opposition de façon constante, parfaitement connue de vous. Il n'y a pas des dizaines de milliards à redécouvrir, car 24 milliards de ce que vous appelez une cagnotte, et que j'appelle, moi, des plus-values de recettes fiscales, ont été avec votre approbation, inscrits dans le collectif budgétaire. Sur cette somme, 10 millards sont destinés à financer le remboursement que l'ancienne majorité avait promis à l'UNEDIC - il s'agit d'une de vos promesses que nous avons dû honorer, mesdames et messieurs de l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Par ailleurs, 3 milliards de francs sont consacrés à une augmentation des minima sociaux et à des mesures en faveur des chômeurs en fin de droits. Le reste a servi à réduire le déficit, comme vous nous y avez plutôt encouragés.

Ce collectif, portant sur ces 24 milliards, vous l'avez voté. Il ne relève pas du mystère. Il n'a pas a être redécouvert ! Pour le reste, le ministère de l'économie et des finances fait les comptes et nous apprécierons quelles recettes supplémentaires nous pourrons ajouter à ces 24 milliards déjà connus.

M. François Goulard.

C'est un secret de Polichinelle !

M. le Premier ministre.

Il me semble que nous n'atteindrons pas le chiffre de 45 milliards, qui est une pure extrapolation, et dont, de toute façon, une partie a déjà été utilisée. Vous le savez bien, mesdames et messieurs les députés, en matière budgétaire, il n'y a jamais de mystère ! Et puisque l'on a parlé de Bercy, sachez que, en tant que Premier ministre, j'ai en permanence sur cette administration d'une grande compétence, sur ceux qui l'animent et en qui j'ai toute confiance, un regard extrêmement attentif, et Bercy le sait. (Rires sur tous les bancs.) Je suis content de constater que je fais l'unanimité sur ce point.

Une question pertinente, sensée, m'a été posée sur le manque de lisibilité des aides accordées et des mesures prises. Il convient donc d'apporter quelques clarifications.

Il est vrai que le dispositif mis en place, que je ne vais pas décrire de nouveau, puisque je l'ai fait le 12 janvier et encore un peu ce matin, est complexe. Mais il est complexe, d'une part, parce qu'il obéit lui-même à une réalité complexe, et, d'autre part, parce que nous souhaitons répondre en jouant absolument sur toutes les touches du clavier. Nous devons nous adapter à des situations extrêmement différentes. En effet, il n'est pas possible de traiter de la même façon la forêt lorsqu'elle dépend de grandes exploitations et, lorsqu'elle appartient au domaine public ou lorsqu'elle se mêle intimement, au coeur de toutes petites exploitations, à la réalité agricole, à la vie paysanne, comme c'est le cas en Dordogne, par exemple. De même, on ne peut pas parler de la même façon des conchyliculteurs et des pêcheurs, des agriculteurs dont les serres se sont envolées et des marinspêcheurs.


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Etant donné cette extraordinaire diversité de situations, de terroirs, de pays, de types de forêts ou de types d'agricultures, les mécanismes pour agir sont différents. Et c'est à cette complexité que nous sommes confrontés.

Alors, il nous revient - et nous l'avons déjà fait -, par des instructions, par des bulletins d'informations, qu'ils émanent du Gouvernement ou des préfets, d'atténuer au maximum cette complexité et surtout de faire en sorte que l'ensemble des mécanismes existants des ressources dégagées et des droits à faire jouer soient effectivement portés à la connaissance des acteurs, qu'il s'agisse des secteurs d'activité, des entreprises ou des personnes.

Une autre question a porté sur les moyens mobilisés et la rapidité de leur mise en oeuvre. A cet égard, si l'on conçoit bien quel doit être le rôle de l'Etat face à une telle catastrophe, si l'on sait que cet Etat est un Etat de droit, qu'il est tenu de respecter des règles et qu'il est soumis à l'examen des comptables, et si l'on tient compte du fait qu'on ne peut pas sortir des billets de sa poche comme on aurait parfois la tentation de le faire pour répondre à des situations d'urgence, on peut dire que ce gouvernement a fait preuve d'une exceptionnelle réactivité face à la catastrophe qui a touché notre pays.

S'agissant des assurances, il a obtenu, je l'ai déjà dit, grâce à la mobilisation de ce secteur et au fait que celui-ci ait renoncé à exiger une expertise avant d'indemniser les sinistres inférieurs à 20 000 francs, que les indemnisations interviennent très rapidement. Aujourd'hui, 15 % des personnes sinistrées ont d'ores et déjà reçu un premier chèque, même si, naturellement, je souhaite que ce pourcentage augmente.

Pour ce qui le concerne, l'Etat a abondé le budget de 2000 d'un milliard de francs en mobilisant la provision pour dépenses accidentelles. Cette procédure a permis d'aller très vite, et elle a évité des discussions préalables avec les ministères, qui, bien que légitimes, auraient fait perdre du temps. Ces crédits ont été immédiatement délégués aux préfets, qui disposent d'une large autonomie pour les affecter là où ils sont les plus nécessaires, et ils ont permis de verser les premières aides.

Par ailleurs, des instructions ont été données aux comptables publics de faire preuve de la plus grande souplesse possible en matière de marchés publics, afin d'accélérer au maximum le paiement des opérations de remise en état.

La rapidité du versement des aides est effectivement une priorité pour le Gouvernement. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de ce qui a été fait dans l'Aude après les inondations de novembre dernier, et qui, d'une certaine façon, témoigne de ce que nous entendons faire à une échelle encore plus vaste. Dans ce département, nous avons versé les aides aux agriculteurs moins de deux mois après la catastrophe. C'était un record dans l'histoire des indemnisations ! Eh bien, notre objectif est après ces tempêtes, après ces ouragans, d'agir avec la même rapidité.

Puisque j'évoque la mobilisation des moyens, je voudrais rassurer l'un d'entre vous qui se demandait si les armées allaient continuer à rester sur le terrain. Les a rmées mobilisent aujourd'hui encore près de 4 000 hommes dans les régions touchées par les ouragans, sans compter, bien sûr, les 1 200 hommes engagés dans le cadre des plans POLMAR. Ces militaires se consacrent aux tâches prioritaires que leur confient les préfets des zones de défense : déboisement des itinéraires forestiers et sécurisation des cours d'eau. Ils poursuivent ces engagements, en accord avec les principes qui prévalent depuis le début : action d'urgence ou intervention en l'absence de ressources civiles suffisantes.

J'en profite d'ailleurs pour rappeler la décision d'Alain Richard d'accepter de reporter l'incorporation sous les drapeaux de jeunes exploitants agricoles ou fils d'exploitants agricoles qui auraient normalement dû être appelés au service national en février ou en avril prochains.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

En même temps, il faut comprendre que le ministre de la défense et les chefs d'état-major de nos armées nous mettent aussi en garde. Pour eux, il faut également que ces hommes, ces soldats, assument les missions qui sont principalement les leurs. Nous devons donc trouver un juste équilibre entre ces différentes exigences.

Certains ont évoqué la possibilité de signer des avenants aux contrats de plan. Oui, comme je l'ai dit moimême et confirmé ce matin, nous sommes d'accord pour signer avec les régions des avenants aux contrats de plan.

Mais, à cet égard, je soulignerai trois points.

Premièrement, les montants de ces avenants doivent tout de même demeurer compatibles avec l'enveloppe initiale, autrement dit rester dans des limites acceptables.

Deuxièmement, il est clair que ces avenants ne pourront concerner que des mesures de moyen-long terme, comme le veut d'ailleurs un contrat d'une durée de sept ans, et non des mesures d'urgence qui relèvent, elles, du plan d'urgence.

T roisièmement, enfin, même si la discussion est ouverte, une certaine proportion servant généralement de référence entre l'effort des régions et celui de l'Etat doit tout de même être respectée.

La forêt a beaucoup et principalement souffert de cette catastrophe. Je sais que les professionnels de la forêt et du bois s'impatientent et que des tensions se font jour ça et là. Je vous confirme que, dès cette semaine, des indications seront transmises aux préfets et que des crédits leur seront délégués en même temps. Nous pourrons, à mon sens, verser les premières aides dans un délai d'un mois et demi après les tempêtes.

Je sais, car les ministres et particulièrement le ministre de l'agriculture me l'ont dit, que la forêt française sinistrée est un immense chantier. J'ai confiance dans la capacité des forestiers à relever ce défi ; pour cela, ils peuvent compter sur le soutien de l'Etat.

Au-delà, la forêt française est une vraie chance pour notre économie et notre écologie. A cet égard, je vous confirme que le Parlement sera saisi ce semestre du projet de loi forestière ; ce sera non seulement l'occasion d'un grand débat mais peut-être aussi de tirer certaines leçons des sinistres qui viennent de se produire.

Les agriculteurs sont, hélas pour eux, confrontés souvent aux calamités, et il existe donc des procédures classiques pour intervenir vite et les aider fortement : fonds de calamités agricoles, fonds d'allégement des charges, procédures « agriculteurs en difficulté ». Toutes ces procédures sont, bien sûr, mobilisées et elles sont toutes exceptionnellement améliorées : le taux d'indemnisation est augmenté de dix points et le taux de prêt bonifié a été baissé à 1,5 % contre 3,9 à 4,9 % habituellement.

Nous avons voulu donner des moyens exceptionnels pour faire face à des dégâts inhabituels. C'est pour cette raison que nous avons doté les offices agricoles des


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300 millions de francs dont je parlais tout à l'heure. Je confirme qu'il s'agit là de moyens supplémentaires et non de redéploiements.

Par ailleurs, sur un plan plus large, le monde de l'agriculture sait bien que nous le défendrons dans les négociations internationales qui ont été évoquées par certains et certaines d'entre vous, comme nous l'avons fait au sein de l'Union européenne lors de la discussion de la PAC.

La conchyliculture a été gravement touchée, et vous avez été quelques-uns à évoquer ce secteur. Un crédit d'un montant de 125 millions de francs a été débloqué pour faire face aux besoins. L'évaluation des dégâts subis par les 850 conchyliculteurs concernés est en cours. Elle doit être rapidement achevée et permettre le paiement des aides, sachant que, dans cette profession, l'essentiel des pertes se constate en fin d'année.

Dans l'attente, l'OFIMER dispose de ressources permettant d'attribuer des aides d'urgence. Je peux d'ores et déjà annoncer que les conchyliculteurs touchés seront exonérés en 2000 de la redevance pour occupation du domaine public maritime, ce qui représente de 5 000 à 15 000 francs par exploitation.

Je ne répondrai évidemment pas à toutes les questions précises qui m'ont été posées ni à toutes les suggestions qui m'ont été soumises. Je vous mobiliserais sinon jusqu'à quinze heures et vous auriez du mal à me le pardonner...

Mme Sylvia Bassot.

Pas du tout !

M. le Premier ministre.

... malgré votre motivation.

Mais il y a des évocations de risques ou de dangers que je ne peux laisser sans réponses, surtout quand les réponses qu'elles appellent sont positives.

La nature du fioul, d'abord, question qui peut inquiéter : toutes les analyses réalisées confirment qu'il s'agit de fioul no 2, visqueux, lourd mais peu toxique, et non d'un déchet hautement cancérigène comme l'affirme un laboratoire. Il n'est donc à cet égard pas indispensable de prendre au pied de la lettre des indications alarmistes.

Quant à l'origine des pollutions arrivant ces jours-ci sur les côtes, le préfet maritime affirme que les deux épaves ne fuient plus depuis le colmatage des brèches. Le plus probable est que les grandes marées de fin janvier ont redécollé et mobilisé des plaques de fioul échouées sur des rochers un mois plus tôt. Mais on ne peut exclure, et cela nous renvoie à un autre sujet que vous avez traité abondamment et à juste titre les uns et les autres, que des dégazages sauvages aient été cà et là effectués.

J'en viens au cas de Total. Je n'ai pas l'habitude de polémiquer s'agissant d'une grande entreprise française ; je m'efforce plutôt de faire en sorte, et je crois y avoir contribué, qu'elle assume ses responsabilités - tel est mon réflexe. Je préfère positiver plutôt que dire des choses trop négatives.

Total a effectivement annoncé, peut-être parce qu'on y a - les ministres et moi-même - veillé, qu'elle passerait en dernier au FIPOL, après les particuliers, après les collectivités et après l'Etat. Il paraît assez peu vraisemblable, compte tenu de l'ampleur des dommages, qu'elle puisse envisager le remboursement de la valeur de la cargaison d' Erika.

En tout cas, cette entreprise s'est engagée à assumer le coût du pompage et l'indemnisation des dégâts écologiques mal pris en compte par le FIPOL.

Nous devons aussi réfléchir à la réglementation, que beaucoup d'entre vous ont évoquée.

Le Gouvernement entend agir résolument contre un système qui privilégie trop souvent la réduction des coûts de transport au détriment de la sécurité et de l'environnement. Cela suppose de lutter contre les pavillons de complaisance, d'améliorer la fiabilité des navires, de responsabiliser les différents acteurs du transport maritime, de renforcer et d'harmoniser les systèmes de contrôle et de sanction par les Etats.

Les élus comme les professionnels seront associés à la définition des nouvelles règles et, après la rencontre avec les élus du littoral, le 6 février, et la table ronde animée par Jean-Claude Gayssot, le 10 février, le Gouvernement présentera rapidement le plan d'action qu'il entend conduire au niveau national, communautaire et international.

Il convient aussi de tirer les leçons de ces événements dans d'autres domaines. A cet égard, j'ai déjà évoqué le travail qui sera conduit sous l'autorité du ministre de l'intérieur, en coordination avec les différents départements ministériels.

On peut penser, comme cela a été dit ici, que les conséquences de la tempête ont été aggravées par différents systèmes de production trop intensifs, trop centralisés, parfois trop axés sur la monoculture. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé des infléchissements importants dans un certain nombre de domaines. Vous nous avez suivis, mesdames, messieurs les députés, en votant la loi d'orientation agricole et la loi d'orientation sur l'aménagement durable du territoire.

Vous devez savoir que des schémas de service collectif sont en ce moment en discussion au sein des administrations et qu'ils seront soumis à consultation à partir du mois d'avril.

Pour la première fois a été institué un schéma de service collectif de l'énergie, dont les principes répondent à ce que souhaitent un certain nombre de députés. Ces principes intègrent la dimension régionale ainsi qu'une meilleure répartition des sources de production et de distribution sur le territoire. Il sera naturellement demandé à EDF de mener une réflexion sur l'implantation et les normes de construction des lignes comme sur la sécurisation des lieux de consommation vitaux, en eau potable, par exemple, et de diversifier les sources d'énergie dans le réseau d'alimentation générale. Le prochain comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire pourra d'ailleurs donner des orientations dans ce sens.

Il y a quinze jours, j'ai présidé le conseil interministériel de l'effet de serre. Le Gouvernement a souligné qu'il était très vigilant quant aux liens entre le réchauffement climatique et les troubles visibles du climat. Nous avons adopté un plan ambitieux, salué par nos partenaires européens. Là aussi, la présidence française à l'Union européenne pourra nous servir pour faire avancer nos propositions.

Faut-il réformer les procédures d'urgence ? La question a été posée.

Je ressens, comme certains d'entre vous, un besoin d'appréciation renouvelée des procédures d'urgence, non que celles-ci n'aient pas fonctionné, mais la violence des phénomènes naturels qui ont frappé la France, dans l'Aude puis sur tout le territoire, et qui peuvent se renouveler, doit nous inciter à réévaluer ces procédures. C'est pourquoi, sur la suggestion du ministre de l'intérieur, j'ai confié à M. Gilles Sanson une mission d'évaluation qui devrait déboucher sur un perfectionnement de ces procédures, en particulier de celles qui touchent à la prévention, à l'articulation entre le plan POLMAR-terre et le plan POLMAR-mer, et aux pollutions en mer.


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Mesdames, messieurs les députés, je crois qu'il est raisonnable que je m'arrête là et que je conclue.

Je pense que ce débat était utile, en tout cas pour le Gouvernement. Mais il n'a peut-être pas mobilisé autant de parlementaires que l'enthousiasme et la détermination avec laquelle il avait été demandé aurait pu le laisser penser. Mais cet effet de concentration m'a rendu d'autant plus sensible à la qualité des interventions. (Sourires.)

Les présents étaient des élus du peuple, des élus de la nation, mais aussi des élus directement concernés, du fait de leur enracinement, par ces problèmes, et souvent des élus de régions qui ont été très lourdement touchées. La qualité de leur information, leur connaissance précise de la vie d'un certain nombre de secteurs, le ton qu'ils ont choisi d'adopter, quel que soit le banc sur lequel ils siègent, pour traiter de ces questions très difficiles, l'intérêt même des suggestions qu'ils ont faites et que le Gouvernement examinera, tout cela a pleinement justifié à mes yeux cette matinée de travail entre le Gouvernement et la représentation parlementaire.

Ce rendez-vous sera suivi d'autres, et j'en ai déjà annoncé certains. Nous pourrons donc faire le point en permanence, comme la demande en a été formulée tout à l'heure. Nous pourrons aussi être tenus en éveil parce que nous savons que la représentation nationale est présente et vigilante.

Tout cela pour vous dire que ce gouvernement a bien l'intention de continuer à agir en plaine responsabilité et dans la durée. Comme j'ai eu l'occasion de le dire sur le terrain, nous n'oublierons pas la catastrophe qui a frappé nombre de régions, nous n'oublierons pas les hommes et les femmes qu'elle a durement touchés et, même quand le temps aura passé un peu, même quand l'intérêt pour ces questions se sera réduit, le Gouvernement, au nom de l'Etat, en tout cas de la partie de l'Etat qu'il représente, continuera d'assumer sa mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Le débat est clos.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Discussion de la proposition de résolution, no 2118, de M. Laurent Fabius et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises : M. Raymond Forni, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2125).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT